Title: Conversion des Sauvages qui ont esté baptizés en la Nouvelle France, cette année 1610
Author: Marc Lescarbot
Release date: April 27, 2007 [eBook #21221]
Language: French
Credits: Produced by Rénald Lévesque
CONVERSION
DES SAUVAGES
QUI ONT ESTÉ BAPTIZÉS
EN LA NOUVELLE FRANCE,
cette année 1610.
AVEC UN BREF RECIT
du voyage du Sieur
DE POUTRINCOURT.
A PARIS
A LA ROYNE
ADAME,
Dieu m'ayant fait naitre amateur de ma nation & zelateur de sa gloire, je ne puis moins, que de luy faire part de ce qui la touche, & qui sans doute l'époinçonnera quand elle entendra que le nom de Jesus-Christ est annoncé és terres d'outre mer qui portent le nom de France. Mais particulierement cela regarde vôtre Majesté, laquelle sur ces nouvelles a eu un temoignage du grand contentement qu'elle en avoit. La chrétienté doit ceci au courage & à la pieté du Sieur de Poutrincourt, qui ne peut vivre oisif parmi la tranquillité en laquelle nous vivons par le benefice du feu Roy vôtre Epoux. Mais (Madame) si vous desirez bien-tot voir cet oeuvre avancé, il faut que vous y mettiez la main. Donnez luy des ailes pour voler sur les eaux, & penetrer si avant dans les terres de delà, que jusques à l'extremité où l'Occident se joint à l'Orient, tout lieu retentisse du nom de la France. Je sçay qu'il ne manque de volonté & fidelité au service du Roy et de vôtre Majesté, pour faire (apres ce qui est de Dieu) que vous soyés obei par tout le monde. Et pour mon regard en tout ce que j'ay jamais travaillé, je me suis efforcé de bien meriter du Roy & du public, ausquels j'ai dedié mes labeurs. S'il m'en arrive quelque fruit, je le dedieray volontiers, & tout ce que Dieu m'a donné d'industrie, à l'accroissement de cette entreprise & à ce qui regardera le bien de vôtre service. Cependant ayez (MADAME) agreable ce petit discours evangelique (c'est à dire portant bonnes nouvelles) que publie à la France souz vôtre bon plaisir,
MADAME,
P
AR grace & privilege du Roy, il est permis à Jean
Millot Marchant Libraire en la ville de Paris, d'imprimer,
ou faire imprimer, vendre & distribuer par
tout nostre Royaume tant de fois qu'il luy plaira, en telle
forme ou caractere que bon luy semblera, un livre intitulé
LA CONVERSION DES SAUVAGES
composé par MARC LESCARBOT Advocat en la Cour
de Parlement. Et ce jusques au temps & terme de six ans
finis & accomplis, à compter du jour que le dit livre
sera achevé d'imprimer. Pendant lequel temps defences
sont faictes à tous Imprimeurs, Libraires, & autres de
quelque estat, qualité, ou conditions qu'ils soient, de non
imprimer, vendre, contrefaire, ou alterer le dit livre, ou
aucune partie d'iceluy, sur peine de confiscation des exemplaires,
& de quinze cens livres d'amende appliquable
moitié à nous, & moitié aux pauvres de l'hotel Dieu
de cette ville de Paris,& despens dommages, & interests
dudit exposant: Nonobstant toute clameur de Haro,
Charte, Normande, Privileges, Lettres ou autres appellations
& oppositions formées à ce contraire faictes ou
à faire. Donné à Paris le neufiesme jour de Septembre
l'an de grace 1610. Et de nostre regne le premier.
Par le Roy en son Conseil.
Signé, BRIGARD.
LA CONVERSION DES
Sauvages qui ont esté baptisez
en la Nouvelle-France, cette
année 1610.
A parole immuable de nôtre
Sauveur Jesus-Christ
nous temoigne par l'orne
de sainct Matthieu que
L'Evangile du royaume des cieux
sera annoncé par tout le monde, pour estre en
temoignage à toutes nations, avant que la
consommation vienne. Nous sçavons par les
histoires que la voix des Apôtres eclaté
par tout le monde de deça dés il y a
plusieurs siecles passez, quoy qu'aujourd'hui
les royaumes Chrétiens en soient
la moindre partie. Mais quant au nouveau
monde decouvert depuis environ
six-vingts ans, nous n'avons aucun vestige
que la parole de Dieu y ait onques
esté annoncée avant ces derniers
temps, si ce n'est que nous voulions
adjouter quelque foy à ce que Jehan de
Leri rapporte, que comme il racontoit
un jour aux Bresiliens les grandes merveilles
de Dieu en la creation du monde,
& mysteres de nôtre redemption, un
vieillart lui dit qu'il avoit oui dire à
son grand pere qu'autrefois un homme barbu
(or les Bresiliens ne le sont point)
estoit venu vers eux, & leur avoit dit
choses semblables: mais qu'on ne le
voulut point écouter, & depuis s'estoient
entre-tuez & mangez les uns les autres.
Quant aux autres nations dela
quelques uns ont bien quelque sourde
nouvelle du deluge, & de l'immortalité des
ames, ensemble de la beatitude des
bien-vivans apres cette vie, mais ils peuvent
avoir retenu cette obscure doctrine de
main en main par tradition depuis le
cataclisme universel qui avint au temps
de Noé. Reste donc à déplorer la miserable
condition de ces peuples qui
occupent une terre si grande, que le monde
de deça ne vient en comparaison
avec elle, si nous comprenons la terre
qui est outre le détroit de Magellan dite,
Terra del fugo, tant en son étenduë
vers la Chine, & le Japan, que vers la
Nouvelle Guinée: comme aussi celle
qui est outre la grande riviere de Canada,
qui s'estend vers l'Orient & est baignée
de la grande mer Occidentale.
Toutes lesquelles contrées sont en une
miserable ignorance, & n'y a point
d'apparence qu'elles aient onques eu le vent
de l'Evangile, sinon qu'en ce dernier
siecle l'Hespagnol parmi la cruauté &
l'avarice y a apporté quelque lumiere
de la religion Chrétienne. Mais cela est
su peu de chose, qu'on n'en peut pas faire
si grand estat qu'il pourroit sembler,
d'autant que par la confession méme
de ceux qui en ont écrit les histoires ils
ont preque tué tous les naturels du
païs, & en fait nombre un certain
historien, de plus de vingt millions, dés
il y a soixante ans. L'Anglois depuis
vingt-cinq ans a pris pié en une terre
qui git entre la Floride, & le païs des
Armouchiquois, laquelle terre a esté
appelée Virginie, en l'honneur de la
défuncte Royne d'Angleterre. Mais
cette nation fait ses affaires si secretement,
que peu de gens en sçavent de
nouvelles certaines. Peu apres que j'eu
publié mon Histoire de la Nouvelle
France on fit un embarquement de huit
cens hommes pour y envoyer. Il n'est
point mention qu'ils se soient lavé les
mains au sang de ces peuples. En quoy
ils ne sont ni à louer, ni à blamer: car
il n'y a aucune loy, ni aucun pretexte,
qui permette de tuer qui que ce soit, &
méme ceux des biens desquelz nous
nous emparons. Mais ils sont à priser
s'ils montrent à ces pauvres ignorans le
chemin de salut par la vraye & non fardée
doctrine Evangelique. Quant à
nos François je me suis allez plaint en
madite Histoire de la poltronnerie du
temps d'aujourd'huy,& du peu de zele
que nous avons soit à redresser ces pauvres
errans, soit à faire que le nom
de Dieu soit coneu exalté & glorifié
en ces terres d'outre-mer, où jamais il ne
le fut. Et toutefois nous voulons que
cela porte le nom de France, nom tant
auguste et venerable, que nous ne pouvons
sans honte nous glorifier d'une
France que n'est point Chrétienne. Je
sçay qu'il ne manque pas de gens de bonne
volonté pour y aller. Mais pourquoy
l'Eglise, qui possede tant de biens; mais
pourquoy les Grands, qui font tant de
depenses superflues, ne financent-ilz
quelque chose pour l'execution d'un si
sainct oeuvre? Deux Gentils-hommes
pleins de courage en ces derniers temps
se sont trouvez zelés à ceci. Les Sieurs de
Monts, & de Poutrincourt, lesquels à
leurs dépens se sont enervés, & ont fait
plus que leurs forces ne pouvoient porter.
L'un et l'autre ont continué jusques
à présent leurs voyages. Mais l'un a esté
deceu par deux fois, & est tombé en
grand interest pour s'estre rendu trop
credule aux paroles de quelques uns.
Or d'autant que les dernieres nouvelles
que nous avons de nôtre Nouvelle-France
viennent de la part du Sieur de
Poutrincourt, nous dirons ici ce qui est
de son fait: & avois juste sujet d'exalter
son courage, entant que ne pouvant
vivre parmi la tourbe des hommes oisifs,
dont nous nous n'abondons que trop; &
voyant nôtre France comme languir
au repos d'un calme ennuieux aux hommes
de travail: apres avoir en mille
occasion fait preuve de sa valeur depuis
vingt quatre ans en ça; il a voulu coroner
ses labeurs vrayement Herculéens
par la cause de Dieu, pour laquelle il
employe ses moyens & ses forces, & va
hazardant sa vie pour accroitre le nombre
des citoyens des cieux, & amener à
la bergerie de Jesus-Christ nôtre souverain
Pasteur, les brebis egarées, lesquelles
il seroit bien-seant aux Prelats de l'Eglise
d'aller recuillir (du moins contribuer
à cet effect) puis qu'ils en ont le
moyen. Mais avec combien de travaux
s'est-il employé jusques ici à cela?
Voici la troisieme fois qu'il passe le grand
Ocean pour parvenir à ce but. La premiere
année se passa avec le sieur de
Monts à chercher une demeure propre
& un port asseuré pour la retraite des
vaisseaux & des hommes. Ce qui ne succeda
pas bien. La seconde année fut
employée à la mesme chose; & lors il
estoit en France. En la troisieme nous
fimes epreuve de la terre, laquelle nous
rendit abondamment le fruict de nôtre
culture: Cette année icy voyant par
une mauvaise experience que les hommes
sont trompeurs, il ne s'est plus voulu
attendre à autre qu'à luy-méme, &
s'est mis en mer le 26 Février, ayant eu
temps fort contraire en sa navigation,
laquelle a esté plus longue dont j'aye
jamais ouï parler. Certes la nôtre nous
fut fort ennuieuse il y a trois ans, ayant
est vagabons l'espace de deux mois &
demi sur la mer avant qu'arriver au Port
Royal. Mais en cette-ci ils ont esté trois
mois entiers. De sorte qu'un indiscret
se seroit mutiné jusques à faire de mauvaises
conspirations: toutesfois la benignité
du dit Sieur de Poutrincourt & le
respect du lieu où il demeuroit, à Paris,
lui ont servi de bouclier pour luy garantir
la vie. La premiere côte où territ iceluy
Sieur de Poutrincourt fut au port
au Mouton. De là parmi les brouillars
qui sont fort frequens le long de l'Eté
en cette mer, il se trouva en quelques
perils, principalement vers le Cap de
Sable, où son vaisseau pensa toucher sur
les brisans. Depuis voulant gaigner le
Port Royal, il fut porté par la violence
des vents quarante lieuës par-dela,
c'est à sçavoir à la riviere de
Norombega tant celebrée & fabuleusement
décrite par les Geographes & Historiens,
ainsi que j'ay monstré en madite
Histoire, là où se pourra voir cette
navigation par la Table geographique
que j'y ai mise. De-là il vint à la riviere
sainct Jehan qui est vis à vis du Port
Royal pardela la Bay Françoise, où il
trouva un navire de S. Malo, qui
troquoit avec les Sauvages du païs. Et là il
eut plainte d'un Capitaine Sauvage
qu'un dudit navire lui avoit ravi sa femme,
& en abusoit dont ledit Sieur fut
informer, & print celui là prisonnier,
& le navire aussi. Mais il laissa aller ledit
navire & les matelots se contentant de
garder la malfaiteur: lequel neantmoins
s'evada dans une chaloupe & se
retira avec les Sauvages, les detournant
de l'amitié des François, comme
nous dirons ci-apres. En fin arrivés audit
Port Royal il ne se peut dire avec
combien de joye ces pauvres peuples
receurent ledit Sieur & sa compagnie.
Et de verité le sujet de cette joye estoit
d'autant plus grand qu'ils n'avoient
plus d'esperance de voir les François
habiter aupres d'eux, desquels ils
avaient ressenti les courtoisies lors que
nous y estions, dont se voyans privés,
aussi pleuroient-ils à chaudes larmes
quand nous partimes de là il y a
trois ans. En ce Port Royal est la demeure
dudict sieur de Poutrincourt, le plus
beau sejour que Dieu ait formé sur la
terre, remparé d'un rang de 12 ou 15
lieuës de montagnes du côté du Nort,
sur lesquelles bat le Soleil tout le jour:
& de cotaux au côté du Su, ou Midi:
lequel au reste peut contenir vingt mille
vaisseaux en asseurance, ayant vingt
brasses de profond à son entrée, une
lieuë & demi de large, & quatre
de long jusques à une ile qui a
une lieuë Françoise de circuit: dans lequel
j'ay veu quelquefois à l'aise noüer
une moyenne Baleine, qui venoit
avec le flot à huict heures au matin par
chacun jour. Au reste dans ce port se
peche en la saison grande quantité de
harens, d'eplans (ou eperlans) sardines,
bars, moruës, loups-marins, & autres
poissons: & quant aux coquillages
on y recueille force houmars, crappes,
palourdes, coques, moules, escargots
& chataignes de mer. Mais qui voudra
aller au dessus du flot de la mer il
pechera en la riviere force esturgeons &
saumons, à la deffaicte desquels il y a un
singulier plaisir. Or pour reprendre nôtre
fil, le Sieur de Poutrincourt arrivé
là a trouvé ses batimens tout entiers
sans que les Sauvages (ainsi a-on appellé
ces peuples là jusques à maintenant)
y eussent touché en aucune façon, ny
méme aux meubles qu'on y avoit laissé.
Et soucieux de leurs vieux amis ils
demandoient comme un chacun d'eux
se portoit, les nommant particulierement
par leurs noms communs, & demandans
pourquoy tels & tels n'y
estoient retournez. Ceci demontre une
grande debonnaireté en ce peuple, lequel
aussi ayant en nous reconnu toute humanité,
ne nous fuit point, comme il fait
l'Hespagnol en tout ce grand monde
nouveau. Et consequemment par une
douceur & courtoisie, qui leur est aussi
familiere qu'à nous, il est aisé de les faire
plier à tout ce que l'ou voudra, &
particulierement pour ce qui touche le
point de la Religion, de laquelle nous
leur avions baillé de bonnes impressions
lors que nous estions aupres d'eux, &
ne desiroient pas mieux que de se ranger
souz la banniere de Jesus-Christ: à
quoy ils eussent esté receuz dés lors,
si nous eussions eu un pié ferme en la
terre. Mais comme nous pensions continuer,
avint que le sieur de Monts ne
pouvant plus fournir à la depense, & le
Roy ne l'assistant point, il fut contraint
de revoquer tous ceux qui estoient pardelà,
lesquels n'avoient porté les choses
necessaires à une plus longue demeure.
Ainsi c'eust esté temerité & folie de
conferer le baptéme à ceux qu'il eust
fallu par apres abandonner, & leur donner
sujet de retourner à leur vomissement.
Mais maintenant que c'est à bon
escient, & que ledit sieur de Poutrincourt
fait pardelà sa demeure actuelle,
il est loisible de leur imprimer le charactere
Chrétien sur le front & en l'ame,
apres les avoir instruit és principaux
articles de nôtre Foy. Ce qu'a eu soin de
faire ledit Sieur, sachant ce que dit l'Apôtre,
que celuy qui s'approche de Dieu doibt
croire que Dieu est: & apres cette croyance,
peu à peu on vient aux choses qui
sont plus eloignées du sens commun,
comme de croire que d'un rien Dieu ait
fait toutes choses, qu'il se soit fait homme,
qu'il soit nay d'une Vierge, qu'il ait
voulu mourir pour l'homme, &c. Et
d'autant que les hommes Ecclesiastics
qui ont esté portés pardelà ne sont encore
instruits en la langue de ces peuples,
le dit Sieur a pris la peine de les
instruire & les faire instruire par l'organe
de son fils ainé jeune Gentilhomme qui
entend & parle fort bien ladite langue,
& qui semble estre né pour leur ouvrir le
chemin des cieux. Les hommes qui sont
au Port Royal, & terres adjacentes tirant
vers la Terre-neuve, s'appellent
Souriquois, & ont leur langue propre.
Mais passée le Baye Françoise, qui a
environ 40 lieuës de profond dans les terres,
& 10 ou 12 lieuës de large, les
hommes de l'autre part s'appellent
Etechemins, & plus loin sont les Armouchiquois
peuple distingué de langage
de ceux-ci, & lequel est heureux en
quantité de belles vignes & gros raisins, s'il
sçavoit conoitre l'utilité de ce fruit, lequel
(ainsi que nos vieux Gaullois) il
pense estre poison. Il a aussi de la chanve
excellente que la nature lui donne,
laquelle en beauté & bonté passe de beaucoup
la nôtre: & outre ce le Sassafras,
force chenes, noyers, pruniers, chataigniers,
& autres fruits qui ne sont venus
à notre conoissance. Quant au Port
Royal je veux confesser qu'il n'y a pas
tant de fruits: & neantmoins la terre y
est plantureuse pour y esperer tout ce
que la France Gaulloise nous produit.
Tous ces peuples se gouvernent par
Capitaines qu'ils appellent Sagamos, mot
qui est pris és Indes Orientales en méme
signification, ainsi que j'ay leu en
l'histoire de Maffeus,& lequel j'estime
venir du mot Hebrieu Sagan, qui signifie
Grand Prince, selon Rabbi David,
& quelquefois celui qui tient le second
lieu apres le souverain Pontife. En la
version ordinaire de la Bible il est pris
pour le Magistrat & neantmoins là méme
les interpretes Hebrieux le tournent
Prince. Et de fait nous lisons dans
Berose que Noé fut appellé Saga tant
pour ce qu'il estoit grand Prince que
pour ce qu'il avoit enseigné la Theologie,
& les ceremonies du service divin
avec beaucoup de secrets des choses
natureles, aux Scytes Armeniens, que
les anciens Cosmographes appellerent
Sages du nom de Noé. Et paraventure
pour cette méme consideration ont
est appellés nos Tectosages, qui sont
les Tolosains. Car ce bon pere restaurateur
du monde vint en Italie, & envoya
repeupler les Gaulles apres le Deluge,
donnant son nom de Gaullois (car
Xenophon dit qu'il fut aussi appellé de
ce nom) à ceux qu'il y envoya, par ce
qu'il avoit esté echappé des eaux. Et
n'est pas inconvenient que lui-méme
n'ait imposé le nom aux Tectosages.
Revenons à nôtre mot de Sagamos lequel
est le tiltre d'honneur des Capitaines
en ces Terres neuves dont nous
parlons. Au port Royal le Capitaine,
ou Sagamos dudit lieu s'appelle en son
nom Membertou. Il est àgé de cent ans
pour le moins, & peut naturellement
vivre encore plus de cinquante. Il a
sous soy plusieurs familles, ausquelles il
commande, non point avec tant d'authorité
que fait nôtre Roy sur ses sujets,
mais pour haranguer, donner conseil,
marcher à la guerre, faire raison à celui
qui reçoit quelque injure, & choses
semblables. Il ne met point d'impost sur le
peuple. Mais s'il y a de la chasse il en a
la part sans qu'il soit tenu d'y aller. Vray
est qu'on lui fait quelquefois des presens
de peaux de Castors, ou autre chose,
quand il est employé pour la guerison
de quelque malade, ou pour interroger
son dæmon (qu'il appelle Aoutem)
afin d'avoir nouvelle de quelque
chose future, ou absente: car chaque
village, ou compagnie de Sauvages,
ayant un Aoutmoin, c'est à dire Devin,
qui fait cet office, Membertou est celui
qui de grande ancienneté à prattiqué
cela entre ceux parmi lesquels il a conversé.
Si bien qu'il est en credit pardessus
tous les autres Sagamos du païs, aiant
dés sa jeunesse esté grand Capitaine, &
parmi cela exercé l'office de Devin &
de Medecin, qui sont les trois choses
plus efficaces à obliger les hommes, & à
se rendre necessaire en ceste vie humaine.
Or ce Membertou aujourd'huy par
la grace de Dieu est Chrétien avec toute
sa famille, aiant esté baptizé, & vingt
autres apres lui, le jour sainct Jehan
dernier 24 Juin. J'en ay lettres dudit Sieur
de Poutrincourt en datte du unzieme
jour de Juillet ensuivant. Ledit Membertou
a esté nommé du nom de nôtre
feu bon Roy HENRY IIII & son fils
ainé du nom de Monseigneur le Dauphin
aujourd'huy nôtre Roy LOUIS XIII
que Dieu benie. Et ainsi consequemment
la femme de Membertou a
esté nommée MARIE du nom de la
Royne Regente, & à sa fille a esté imposé
le nom de la Royne MARGUERITE. Le
second fils de Membertou dit Auctaudin
fut nommé PAUL du nom de nôtre
sainct Pere le Pape de Rome. La fille du
susdict Louis eut nom CHRISTINE en
l'honneur de Madame la soeur ainée du
Roy. Et consequemment à chacun fut
imposé le nom de quelque illustre, ou
notable personnage de delâ. Plusieurs
autres Sauvages estoient lors allez
cabanner ailleurs (comme c'est leur coutume
de se disperser par bendes quand
l'esté est venu) lors de ces solennitez de
regeneration Chrétienne, lesquels nous
estimons estre aujourd'huy enrollés en
la famille de Dieu par le méme lavement
du sainct bapteme. Mais le diable, qui
jamais ne dort, en ceste occurence ici
a témoigné la jalousie qu'il avoit du
salut annoncé à ce peuple, & de voir que
le nom de Dieu fust glorifié en cette
terre: ayant suscité un mauvais François,
non François, mais Turc: non
Turc, mais Athée, pour detourner du
sentier du salut plusieurs Sauvages, qui
estoient Chrétiens en leur ame & de
volonté dés il y a trois ans: entre
autres un Sagamos nommé Chkoudun
homme de grand credit, duquel j'ay fait
honorable mention en mon Histoire de
La Nouvelle-France, par ce que je j'ay veu
sur tous autres aymer les François, &
qu'il admiroit nos inventions au pris de
leur ignorance: mémes que s'estant
quelquefois trouvé aux remontrances
Chrétiennes qui se faisoient par-delà à
noz François par chacun Dimanche, il s'y
rendoit attentif, encores qu'il n'y entendist
rien: & davantage avoit pendu devant
sa poitrine le signe de la Croix,
lequel il faisoit aussi porter à ses domestics
& avoit à nôtre imitation planté une
grande Croix en la place de son village
dit Oigoudi, sur le port de la riviere sainct
Jehan, à dix lieuës du port Royal. Or
cet homme avec les autres, a esté
détourné d'estre Chrétien par l'avarice
maudite de ce mauvais François que
j'ay touché ci dessus, lequel je ne veux
nommer pour cette heure pour l'amour
& reverence que je porte à son pere
mais avec protestation de l'eterniser s'il
ne s'amende. Celui-là di-je, pour arracher
quelques Castors de ce Sagamos
Chkoudun, l'alla en Juin dernier suborner,
pares s'estre evadé des mains dudit Sieur de
Poutrincourt, disant que tout ce qu'icelui
Poutrincourt leur disoit de Dieu n'estoit rien qui
vaille, qu'il ne le falloit point croire, & que
c'estoit un abuseur, & qu'il les feroit mourir pour
avoir leurs Castors. Je laisse beaucoup de
mechans discours qu'il peut avoir adjouté à cela.
S'il estoit de la Religion de ceux qui se disent
Reformez je l'excuserait aucunement: mais il
montre bien qu'il n'est ni de l'une, ni de l'autre.
Ce Sagamos pouvoit estant Chrétien en rendre
bon nombre semblables à lui, à son imitation.
Mais je veux esperer, ou plustot croire pour
certain qu'il ne demeurera plus gueres long
temps en cet erreur, & que ledit Sieur aura trouvé
moyen de l'attirer (avec beaucoup d'autres)
pres de soy, pour luy imprimer derechef les
vives persuasions dont il lui avoit autrefois touché
l'ame en ma presence. Car l'esprit de Dieu
est puissant pour faire tomber sur ce champ une
nouvelle rousée, qui fera regermer ce que la
grele a desseché & abattu. Dieu vueille par sa
grace conduire le tout en sorte que la chose
reüssisse à sa gloire & à l'edification de ce peuple,
pour lequel tous Chrétiens doivent faire
continuelles prieres à sa divine bonté, à ce qu'il
lui plaise confirmer & avancer l'oeuvre qu'il
lui a pleu susciter en ce temps pour l'exaltation
de son nom, & le salut de ses creatures.
Il y a pardela des hommes d'Eglise de bon sçavoir que le seul zele de la Religion y a porté, lesquels ne manqueront de faire tout ce que la pieté requerra en ce regard. Or quant à present il n'est pas besoin de ces Docteurs sublimes qui peuvent estre plus utiles pardeça à combattre les vices & les heresies. Joint qu'il y a certaine sorte de gens desquels on ne se peut pas bien asseurer faisans métier de censurer tout ce qui ne vient à leurs maximes, & voulans commander par tout. Il suffit d'estre veillé au dehors sans avoir de ces epilogueurs qui considerent tous les mouvemens de vôtre corps & de vôtre coeur pour en faire registres, desquels les plus grands Roys méme ne se peuvent defendre. Et puis, que serviroient pardela tant de grans de cette sorte, quant à present, si ce n'est qu'ils voulussent s'addonner à la culture de la terre? Car ce n'est pas tout que d'aller là. Il faut considerer ce que l'on y fera y estant arrivé. Pour ce qui est de la demeure du Sieur de Poutrincourt, il s'est fourni au depart de ce qui lui estoit necessaire. Mais s'il prenoit envie à quelques gens de bien d'y avancer l'Evangile, je seroy d'avis qu'ils fissent cinq ou six bendes, avec chacun un navire bien equippé, & qu'ils allassent planter des colonies en diverses places de ces quartiers là, comme à Tadoussac, Gachepé, Campseau, La Héve, Ougoudi, Saincte Croix, Pemptegoet, Kinibeki, & autres endroits où sont les assemblées de Sauvages, lesquels il faut que le temps ameine à la Religion Chrétienne si ce n'est qu'un grand Pere de famille tel que le Roy en vueille avoir la gloire totale, & face habiter ces lieux. Car d'y penser vivre à leur mode j'estime cela estre hors de nôtre pouvoir. Et pour le montrer, leur façon de vivre est telle, que depuis la premiere terre (qui est la Terre-neuve) jusques aux Armouchiquois, qui sont pres de trois cens lieuës, les hommes vivent vagabons, sans labourage, n'estans jamais plus de cinq ou six semaines en un lieu. Pline a fait mention de certains peuples dits Ichtyophages, c'est à dire Mangeurs de poissons, vivans de cela. Ceux ci sont tout de méme les trois parts de l'année. Car venant le Printemps ils se divisent par troupes sur les rives de mer jusques à l'Hiver, lequel venant, par ce que le poisson se retire au fond des grandes eaux salées, ilz cherchent les lacs & ombres des bois, où ilz pechent les Castors, dont ilz vivent, & d'autres chasses, comme Ellan, Caribous, Cerfs, & autres animaux moindres que ceux-là. Et neantmoins quelquefois en eté méme ilz ne saissent point de chasser; & d'ailleurs ont infinie quantité d'oyseaux en certaines iles és mois de May, Juin, Juillet & Aoust. Quant à leur coucher, une peau etendue sur la terre leur sert de matelas. Et en cela n'avons dequoy nous mocquer d'eux, par ce que noz vieuz peres Gaullois en faisoient de méme, & dinoient aussi sur des peaux de chiens & de loups, si Diodore & Strabon disent vray. Mais quant au païs des Armouchiquois & Iroquois, il y a plus grande moisson à faire pour ceux qui sont poussez d'un zele religieux, par ce que le peuple y est beaucoup plus frequent, & cultive la terre, de laquelle il retire un grand soulagement de vie. Vray est qu'il n'entendent pas bien la façon de faire le pain, n'ayant les inventions des moulins, ni du levain, ni des fours; ains broye son blé en certaine façon de mortiers' & l'empâte au mieux qu'il peut pour le faire cuire entre deux pierres echauffées au feu: ou bien rotit ledit blé en epic sur la braise, ainsi que faisoient les vieux Romains, au dire de Pline. Depuis on trouva le moyen de faire des gateaux souz la cendre: & depuis encore les boulengers trouverent la façon des fours. Or ces peuples cultivans la terre sont arretés, ce que les autres ne sont point, n'ayans rien de propre, tels qu'estoient les Allemens au temps de Tacite, lequel a décrit leurs anciennes façons de vivre. Plus avant dans les terres au dessus des Armouchiquois sont les Iroquois peuples aussi arretés, par ce qu'ilz cultivent la terre, d'où ils recueillent du blé mahis (ou Sarazin) dés fèves, des bonnes racines, & bref tout ce que nous avons dit du pays desdits Armouchiquois, voire encore plus, car par necessité ilz vivent de la terre, estans loin de la mer. Neantmoins ils ont un grand lac d'etendue merveilleuse, comme d'environ 60 lieuës, à lentour duquel ils sont cabannés. Dans ledit lac il y a des iles belles & grandes, habitées desdits Iroquois, qui sont un grand peuple, & plus on va avant dans les terres plus on les trouve habitées: si bien que (s'il faut croire les Hespagnols) au pays dit le Nouveau Mexique bien loin pardela lesdits Iroquois, en tirant au Suroïst, il y a des villes baties, & des maisons à trois & quatre etages: méme du bestial privé: d'où ils ont appellé une certaine riviere Rio d las vaccas, la riviere des Vaches, pour y avoir veu en grand nombre paturer le long de la riviere. Et est ce pays directement au Nort à plus de cinq cens lieuës du vieil Mexique, avoisinant, comme je croy, l'extremité du grand lac de la riviere de Canada, lequel (selon le rapport des Sauvages) a trente journées de long. Je croiroy que des hommes robustes & bien composés pourroient vivre parmi ces peuples là, & faire grand fruit à l'avancement de la Religion Chrétienne. Mais quant aux Souriquois, & Etechemins, qui sont vagabons & divisés, il les faut assembler par la culture de la terre, & obliger par ce moyen à demeurer en un lieu. Car quiconque a pris la peine de cultiver une terre il ne la quitte point aisement. Il combat pour la conserver de tout son courage. Mais je trouve ce dessein de longue execution si nous n'y allons d'autre zele, & si un Roy ou riche Prince ne prent cette cause en main, laquelle certes est digne d'un royaume tres-Chrétien.
On a jadis fait tant de depenses & pertes d'hommes à la reconqueste de la Palestine, à quoy on a peu proufité: & aujourd'hui à peu de frais on pourroit faire des merveilles, & acquerir infinis peuples à Dieu sans coup ferir: & nous sommes touchés d'une se ne sçay quelle lethargie en ce qui est du zele religieux qui bruloit nos peres anciennement. Si on n'esperoit aucun fruit temporel en ceci je pardonnerois à l'imbecillité humaine. Mais Il y a de si certaines esperances d'une bonne usure, qu'elles ferment la bouche à tous les ennemis de ce pays là, lesquels la decrient afin de ne perdre la traite des Castors & autres pelleteries dont il vivent, et sans cela mourroyent de faim, ou ne sçauroient à quoy s'employer. Que s'il plaisoit au Roy, & à la Royne Regente sa mere, en laquelle Dieu a allumé un brasier de pieté, prendre goust à ceci (comme certes elle a faict au rapport de la Conversion des Sauvages baptizés par le soin du Sieur de Poutrincourt) & laisser quelque memoire d'elle, ou plustot s'asseurer de la beatitude des cieux par cette action qui est toute de Dieu, on ne peut dire quelle gloire à l'avenir ce lui seroit d'estre la premiere qui auroit planté l'Evangile en de si grandes terres, qui (par maniere de dire) n'ont point de bornes. Si Helene mere de l'Empereur Constantin eust trouvé tant de sujet de bien-faire, elle eust beaucoup mieux aymé edifier à Dieu des temples vivans que tant d'edifices de marbre dont elle a rempli la terre saincte. Et au bout l'esperance de la remuneration temporelle n'en est point vaine. Car d'un part le Sieur de Poutrincourt demeure toujours serviteur du Roy en la terre que sa Majesté luy a octroyée: en laquelle il feroit le rendez-vous & support de tant de vaisseaux qui vont tous les ans aux Terres neuves, où ilz recoivent mille incommodités, & en perit grand nombre, comme nous avons veu & oui dire. D'ailleurs penetrant dans les terres, nous pourrions nous rendre familier le chemin de la Chine & des Molucques par un climat & parallele tempéré, en faisant quelques stations ou demeures au Sud de la grande riviere de Canada, puis aux lacs qui sont plus outre, le dernier desquels n'est pas loin de la grande mer Occidentale, par laquelle les Hespagnols vont aujourd'hui en l'orient. Ou bien on pouroit faire la méme entreprise par la riviere de Saguenay, outre laquelle les Sauvages rapportent qu'il y a une mer dont ilz n'ont vu le bout, qui est sans doute ce passage par le Nort, lequel en vain l'on a tant recherché. De sorte que nous aurions des épices, & autres drogues sans les mendier desdits Hespagnols, & demeureroit és mains du Roy le proufit qu'il tire de nous sur ces denrées: Laissant à part l'utilité des cuirs, paturages, pecheries, & autres biens. Mais il faut semer avant que recuillir. Par ces exercices on occuperoit beaucoup de jeunesse Françoise, dont une partie languit ou de pauvreté, ou d'oisiveté: ou vont aux provinces étrangeres enseigner les metiers qui nous estoient jadis propres et particuliers, au moyen dequoy la France estoit remplie de biens, ou lieu qu'aujourd'hui une longue paix ne l'a encore peu remettre en son premier lustre, tant pour la raison que dessus, que pour le nombre de gens oisifs, & mendians valides & volontaires que le public nourrit. Entre lesquelles incommodités on pourroit mettre encore le mal de la chiquanerie qui mange nostre nation, dont elle a esté blamée de tout temps. A quoy seroit aucunement obvié par les frequentes navigations: estant ainsi qu'une partie de ceux qui plaident auroient plustot fait de conquester nouvelle terre, demeurans en l'obeissance du Roy que de poursuivre ce qu'ilz debattent avec tant de ruines, longueurs, solicitudes & travaus. Et en ce je repute heureux tous ces pauvres peuples que je deplore ici. Car la blafarde Envie ne les amaigrit point ilz ne ressentent point les inhumanités d'un qui sert Dieu en torticoli, pour souz cette couleur tourmenter les hommes, ilz ne sont point sujets au calcul de ceux qui manquans de vertu & de bonté s'affublent d'un faux pretexte de pieté pour nourrir leur ambition. S'ilz ne connoissent point Dieu, au moins ne le blasphement ilz point, comme font la plupart des Chrétiens. Ilz ne sçavent que c'est d'empoisonner, ni de corrompre la chasteté par artifice diabolique. Il n'y a point de pauvres, ny de mendians entre eux. Tous sont riches, entant que tous travaillent & vivent. Mais entre nous il va bien autrement. Car il y en a plus de la moitié qui vit du labeur d'autrui, ne faisant aucun metier qui soit necessaire à la vie humaine. Que si ce païs là estoit etabli, tel y a qui n'ose faire icy ce qu'il feroit là. Il n'ose point ici estre bucheron, laboureur, vigneron, etc. par ce que son pere est chiquaneur, barbier, apothicaire &c. Et là il oublieroit toutes ces aprehensions de reproche & prendroit plaisir à cultiver la terre, ayant beaucoup de compagnons d'aussi bonne maison que lui. Et cultiver la terre c'est le metier le plus innocent, & plus certain, exercice de ceux de qui nous sommes tous descendus, & de ces braves Capitaines Romains qui sçavoient domter & ne point estre domtés. Mais depuis que la pompe & la malice se sont introduits parmi les hommes, ce qui estoit vertu a tourné en reproche, & les fainéans sont venus en estime. Or laissons ces gens là, & revenons au Sieur de Poutrincourt, ains plustot à vous, Ô Royne Tres Chrétienne, la plus grande et la plus chérie des cieux que l'oeil du monde voye en la ronde qu'il fait chaque jour alentour de cet univers. Vous qui avés le maniement du plus noble Empire d'ici bas. Quoy souffirrez vous de voir un Gentil-homme de si bonne volonté sans l'employer & sans le secourir? Voulez vous qu'il emporte la premiere gloire du monde par dessus vous, & que le triomphe de cet affaire luy demeure sans que vous y participiés? Non, non, Madame, il faut que le tout vous en soit rapporté, & que comme les étoiles empruntent leur lumiere du soleil, aussi que du Roy & de vous qui nous l'avés donné toutes les belles actions des François dependent. Il faut donc prevenir cette gloire, & ne la céder à autre, tandis que vous avés un Poutrincourt bon François, & qui a servi le feu-Roy de regretable memoire vôtre Epoux (que Dieu absolve) en des affaires d'estat dont les histoires ne font mention. En haine dequoy sa maison & ses biens ont passé par l'examen du feu. Il ne passe point l'Ocean pour voir le païs, comme ont fait préque tous les autres qui ont entrepris de semblables navigations aux dépens de noz Roys. Mais il montre par effectz quelle est son intention, si bien qu'on n'en peut point douter, & ne hazarderez rien maintenant quand vôtre Majesté l'employera à bon escient à l'amplification de la religion Chrétienne és terres Occidentales d'outre mer. Vous reconoissez son zele, le vôtre est incomparable, mais il faut aviser où se pourra mieux faire vôtre emploit. Je louë les Princesses & Dames qui depuis quinze ans ont donné de leurs biens pour le repos de ceux ou celles qui se veulent sequestrer du monde. Mais j'estime (sauf correction) que leur pieté seroit plus illustre si elle se montroit envers ces pauvres peuples, Occidentaux qui gemissent, & dont le defaut d'instruction crie vengeance à Dieu contre ceux que les peuvent ayder à estre Chrétiens, & ne le font pas. Une Royne de Castille a esté cause que la religion Chrétienne a esté portée és terres que tient l'Hespagnol en Occident: faites ô lumiere des Roynes du monde, que par vous bientot ce monde nouveau où il n'est point encore conneu. Or reprenant le fil de mon Histoire, puisque nous avons parlé du voyage dudit Sieur de Poutrincourt, il ne sera point hors de propos si apres avoir touché les incommodités & longueurs de sa navigation, qui l'ont reculé d'un an, nous disons un mot du retour de son vaisseau. Ce que sera bref, d'autant qu'ordinairement sont brèves les navigations qui se font des terres Occidentales en deça hors le Tropique du Cancer. J'ay rendu la raison de cela en mon Histoire de la Nouvelle-France, où je renvoye le Lecteur: comme aussi pour sçavoir la raison pourquoy en Eté la mer y est remplie de brumes en telle sorte que pour un jour serein il y en a deux de brouillars: & deux fois m'y suis trouvé parmi des brumes de huict jours entiers. Ceci a esté cause que ledit Sieur de Poutrincourt renvoyant son fils en France pour faire nouvelle charge, il a demeuré aussi long temps à gaigner le grand Banc aux Moruës depuis le Port Royal, comme à gaigner la France depuis ledit Banc: & toutefois depuis icelui Banc jusques à la terre de France il y a huit cens bonnes lieuës: & de là méme jusques audit Port Royal il n'y a gueres plus de trois cens. C'est sur ledit Banc qu'on trouve ordinairement tout l'Eté force navires qui font la Pecherie des Moruës qu'on apporte pardeça, lesquelles on appelle Moruës de Terre-neuve. Ainsi le fils dudit Sieur de Poutrincourt (dit le Baron de Sainct Just) arrivant audit Banc fit provision de viande freche, & pecherie de poisson. En quoy faisant il eut en rencontre un navire Rochelois & un autre du Havre de Grace, d'où il eut nouvelles de la mort lamentable de nôtre defunct bon Roy, sans sçavoir par qui, ni comment. Mais apres eu en rencontre un autre navire Anglois, d'où il entendit la méme chose, accusans du parricide des gens que je ne veux ici nommer: car ils le disoient par haine & envie, n'ayans plus grans adversaires qu'eux. En quinze jours donc ledit Sieur de Sainct Just fut rendu dudit Banc en France ayant toujours eu vent en poupe: navigation certes beaucoup plus agreable, que celle du vingt-sixieme de Février mentionnée ci-dessus. Les gens du Sieur de Monts partirent du Havre de Grace neuf ou dix jours apres le dit 26 Février pour aller à Kebec, 40 lieuës pardela la riviere de Saguenay, où icelui Sieur de Monts s'est fortifié. Mais ilz furent contraints de relacher pour les mauvais vents. Et là dessus courut un bruit que le Sieur de Poutrincourt estoit peri en mer, & tout son equipage. A quoy je n'adjoutay onques foy, croyant pour certain que Dieu l'aidera, & le fera passer par-dessus toutes difficultez. Nous n'avons encore nouvelles dudit Kebec, & en attendons bientot. Mais je puis dire pour la verité que si jamais quelque chose de bon reüssit de la Nouvelle France la posterité ne aura de l'obligation audit Sieur de Monts autheur de ces choses, auquel si on n'eust point oté le privilege qui lui avoit esté baillé pour la traite des Castors & autres pelleteries, aujourd'hui nous aurions force bestiaux, arbres fruictiers, peuples & batimens en la dite province. Car il a desiré ardamment de voir pardela les affaires etablies à l'honneur de Dieu & de la France. Et jaçoit qu'on lui ait oté le sujet de continuer, si ne s'est il point decouragé jusques à present de faire ce qu'il a peu, ayant fait batir un Fort audit Kebec, avec des logemens fort beaux & commodes. En ce lieu de Kebec cette grande & immense riviere de Canada est reduite à l'étroit, & n'a que la portée d'un fauconneau de large, abondante en poissons autant que riviere du monde. Pour le pays il est beau à merveilles, & abondant en chasse. Mais estant en pays plus froid que le port Royal, assavoir quatre vingtz lieuës plus au Nort, aussi la pelleterie y est-elle beaucoup plus belle. Car (entre autres) les Renars y sont noirs, & d'un poil si beau, qu'il semble faire honte à la Martre. Les Sauvages du Port Royal y peuvent aller en dix ou douze jours par le moyen des rivieres sur lesquelles ils navigent préque jusques à la source, & de là portans leurs petits canots d'écorce par quelque espace dans les bois, ils gaignent un autre riviere qui va tomber dans ledit fleuve de Canada: & ainsi expedient bien-tot de longs voyages: ce que de nous-mémes ne sçaurions faire en l'etat qu'est le païs. Et par mer audit Kebec il y a dudit Port Royal plus de quatre cens lieuës en allant par le Cap Breton. Ledit Sieur de Monts y avoit envoyé des vaches dés il y a deux ans & demi, mais faute de quelque femme de village qui entendist le le gouvernement d'icelles, on en a laissé mourir la pluspart en se dechargeant de leurs veaux. En quoy se reconoit comme une femme est necessaire en une maison, laquelle je ne sçay pourquoy tant de gens rejettent, & ne s'en peuvent passer. Quant à moy je seray toujours d'avis qu'en quelque habitation que ce soit on ne fera jamais fruit sans la compagnie des femmes. Sans elles la vie est triste, les maladies vienent, & meurt-on sans secours. C'est pourquoy je me mocque de ces mysogames qui leur ont voulu tant de mal, & particulierement j'en veux à ce fol qu'on a mis au nombre des sept Sages, lequel disoit que la femme est un mal necessaire, veu qu'il n'y a bien au monde comparable à elle. Aussi Dieu l'a il baillée pour compagne à l'homme, afin de l'aider & consoler: et le Sage dit que Malheureux est l'homme qui est seul, car il n'a personne que l'echauffe, & s'il tombe en la fosse il n'a personne pour le relever. Que s'il y a des femmes folles, il faut estimer que les hommes ne sont poins sans faute. De ce defaut de vaches plusieurs se sont ressentis, car estant tombés malades ilz n'ont pas eu toutes les douceurs qu'autrement ils eussent euës, & s'en sont allez promener aux champs Elisées. Un autre qui avoit esté de nôtre voyage, n'eut point la patience d'attendre cela' & voulut gaigner le ciel par escalade dés le commencement de son arrivée, par une conspiration contre le sieur Champlein son Capitaine. Les complices furent condemnés aux galeres, & ramenés en France. L'Eté venu assavoir il y a un an, ledit Champlein desireux de voir le païs des Iroquois, afin qu'en son absence les Sauvages ne se saisissent point de son Fort, il leur persuada d'aller là faire la guerre, & partirent avec lui & deux autres François, en nombre de quatre-vingts ou cent, jusques au lac desdits Iroquois, à deux cens lieuës loin dudit Kebec. De tout temps il y a eu guerre entre ces deux nations, comme entre les Souriquois & Armouchiquois: & se sont quelquefois elevés les Iroquois jusques au nombre de huit mille hommes, pour guerroyer & exterminer tous ceux qui habitoient la grande riviere de Canada: comme il est à croire qu'ils ont fait, d'autant que là n'est plus aujourd'hui le langage qui s'y parloit au temps de Jacques Quartier, qui y fit, il y a quatre-vingts ans. Ledit Champlein avec ses troupes arrivé là, ilz ne se peurent si bien cacher qu'ilz ne fussent apperceuz de ces peuples, qui ont toujours des sentinelles sur les avenües de leurs ennemis: & s'estans les uns & les autres bien remparés, il fut convenu entre eux de ne point combattre pour ce jour là, mais de remettre l'affaire au lendemain. Le temps lors estoit serein: si bien que l'Aurore n'eut point plutot chassé les ombres de la nuit, que la rumeur s'emeût par tout le camp. Quelque enfant perdu des Iroquois ayant voulu sortir de ses rampars, fut transpercé non d'un trait d'Apollon, ou de l'Archerot aux yeux bendés, mais d'un vray trait materiel & bien poignant qui le mit à la renverse. Là dessus, la colere monte au front des offensés & chacun se met en ordre pour attaque & se defendre. Comme la troupe des Iroquois s'avançoit, Champlein qui avoit chargé son mousquet à deux balles, voyant deux Iroquois marcher devant avec dés panaches sur la tête, se douta que c'estoient deux Capitaines, & voulut s'avancer pour les mirer. Mais les Sauvages de Kebec l'empecherent, disans: Il n'est pas bon qu'ilz te voyent, car incontinent, n'ayans point accoutumé de voir telles gens, ilz s'en fuiront. Mais retire toy derriere le premier rang des nôtres, & puis quand nos serons prets, tu devanceras. Ce qu'il fit: & par ce moyen furent les deux Capitaines tout ensemble emportés d'un coup de mousquet. Lors victoire gaignée. Car chacun se debende, & ne restoit qu'à poursuivre. Ce qui fut fait avec peu de resistance, & emporterent environ cinquante têtes de leurs ennemis, dont au retour ilz firent de merveilleuse fêtes en Tabagies, danses, & chansons continuelles selon leur coutume.
1.EMBERTOU grand Sagamos àgé de
plus de cent ans a esté baptizé par Messire
Jessé Fleche Pretre, & nommé HENRY
par Monsieur de Poutrincourt
au nom du Roy.
2. MEMBERTOUCOICHIS (dit Judas) fils ainé de Membertou àgé de plus de 60 ans, aussi baptizé, & nommé LOUIS par Monsieur de Biencour au nom de Monsieur le Dauphin.
3. Le fils ainé de Membertoucoichis dit à present Louïs Membertou, àgé de cinq ans, baptizé & tenu par Monsieur de Poutrincourt, qui l'a nommé JEHAN de son nom.
4. La fille ainée dudit Luis àgée de treze ans aussi baptizée, & nommée CHRISTINE par ledit Sieur de Poutrincourt au nom de Madame la fille ainée de France.
5. La seconde fille dudit Louis àgée d'onze ans aussi baptizée, & nommée ELIZABETH par ledit Sieur de Poutrincourt au nom de Madame la fille puisnée de France.
6. La troisieme fille dudit Louïs tenu: par ledit Sieur de Poutrincourt au nom de Madame sa femme aussi baptizée, nommée CLAUDE.
7. La 4e fille dudit Louïs tenuë par Monsieur de Coullogne pour Madamoiselle sa mere, a eu nom CATHERINE.
8. La 5e fille dudit Louïs a eu nom JEHANNE ainsi nommée par ledit Sieur de Poutrincourt au nom d'une de ses filles.
9. L 6e fille dudit Louïs tenuë par René Maheu a esté nommée CHARLOTTE du nom de sa mere.
10. ACTAUDINECH' troisieme fils dudit Henri Membertou a esté nommé PAUL par ledit Sieur de Poutrincourt au nom du Pape Paul.
11. La femme dudit Paul a esté nommée RENÉE du nom de Madame d'Ardanville.
12. La femme dudit Henri a esté tenuë par le dit Sieur de Poutrincourt au nom de la Royne, & nommée MARIE de son nom.
13. La fille dudit Henri tenuë par ledit Sieur de Poutrincourt & nommée MARGUERITE au nom de la Royne Marguerite.
14. L'une des femmes dudit Louïs tenuë par Monsieur de Jouï pour Madame de Sigogne, nommée de son nom.
15. L'autre femme dudit Louïs tenuë par le dit Sieur de Poutrincourt au nom de Madame de Dampierre.
16. ARNESY cousin dudit Henri a esté tenu par ledit Sieur de Poutrincourt au nom de Monsieur le Nonce, & nommé ROBERT de son nom.
17 AGOUDIGOUEN aussi cousin dudit Henri a esté nommé NICOLAS par ledit Sieur de Poutrincourt au nom de Monsieur des Noyers Advocat au Parlement de Paris.
18. La femme du dit Nicolas tenuë par ledit Sieur de Poutrincourt au nom de Monsieur son neveu, a eu nom PHILIPPE.
19. La fille ainée d'iceluy Nicolas tenuë par le dit Sieur pour Madame de Belloy sa niepce, & nommée LOUISE de son nom.
20. La puisnée dudit Nicolas tenuë par le dit Sieur pour Jacques de Salazar son fils, a esté nommée JACQUELINE.
21. Une niepce dudit Henri tenuë par Monsieur de Coullogne au nom de Madamoiselle de Grandmare, & nommée ANNE de son nom.
LOUÉ SOIT DIEU.