The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 3231, 28 Janvier 1905

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Title: L'Illustration, No. 3231, 28 Janvier 1905

Author: Various

Release date: September 6, 2010 [eBook #33655]

Language: French

Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3231, 28 JANVIER 1905 ***








(Agrandissement)

Suppléments de ce numéro: L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE
contenant LA CONVERSION D'ALCESTE et L'INSTINCT.


LA JOURNÉE DU 22 JANVIER A SAINT-PÉTERSBOURG
La cavalerie de la garde chargeant, devant l'Amirauté, les manifestants qui se dirigeaient vers le Palais d'Hiver.

Dessin de Georges Scott, d'après le croquis de notre envoyé spécial, M. F.


COURRIER DE PARIS

JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE

Natenska rentre, radieuse, du Collège de France. Elle ouvre sa serviette; en tire un petit carton qu'elle jette sur ma table et me dit: «Lis ceci, c'est un document dont ta philosophie s'amusera. Si la chose m'avait été racontée, je ne l'aurais pas crue, toi non plus, je suis sûre».

Je lis:

74, avenue Suffren
Téléph. 712-17.

Monsieur Th. Vienne, directeur de la Grande Roue de Paris, a l'honneur de vous présenter ses salutations et de vous informer que le duel (ici deux noms) aura lieu à la Roue le ... (ici la date), à onze heures précises.

A M. G ... Paris, ce 24 janvier 1905.

Ce carton a été montré tout à l'heure à Natenska par un camarade de cours, passionné d'escrime et qui suit les duels comme d'autres suivent les vernissages ou les premières.

Je n'ignorais pas que cette curiosité est très à la mode et que «l'affaire d'honneur» est un des spectacles où se complaît le plus passionnément la badauderie des Parisiens. Jusqu'ici pourtant cette badauderie semblait n'être que tolérée par les duellistes. On avait bien la gentillesse d'avertir tout bas ses amis de l'heure et du lieu de la rencontre (en les suppliant de n'en rien dire à personne); et si, par surprise, quelques intrus s'avisaient de découvrir le secret du rendez-vous et brusquement apparaissaient dans l'embrasure d'une fenêtre ou sur la crête d'un mur au moment où les épées sont tirées de leur gaine ou les pistolets de leur écrin, on aimait mieux feindre de ne pas les voir que leur dire de s'en aller. On était, au fond, très flatté de «s'aligner» devant une foule ... Sans doute; mais tout de même on y mettait de la discrétion. On faisait les gestes de s'enfuir, avec l'espoir d'être suivi; mais on n'avouait pas cet espoir-là.

A présent, on fait mieux que l'avouer: on sollicite l'honneur d'être escorté sur le terrain, regardé et applaudi. Les rencontres s'organisent sans mystère; on y invite des femmes. Il ne manquait plus à ce cérémonial nouveau que la carte d'invitation,--la «formule» imprimée au bas de laquelle le tenancier du local où l'on se bat met sa signature et le cachet de sa maison. C'est fait. Dans un an, des maîtres d'hôtel accompagneront les médecins sur le pré; et, tandis que l'un déballera sa trousse, l'autre débouchera les bouteilles et préparera les pâtisseries.

Tout cela est un peu comique, et les duellistes d'autrefois n'avaient pas prévu, je suppose, que l'affaire d'honneur apparaîtrait un jour à leurs arrière-neveux comme une occasion de faire valoir en public la grâce de leurs attitudes et d'être photographiés pour rien dans les journaux.

Cependant les pires modes ont leur bon côté et il ne faut jamais se presser de médire de celles du temps où l'on vit. Je me souviens qu'au pensionnat de Neuilly où je fus élevée un dentiste venait, à chaque rentrée, s'assurer de l'état de nos bouches. Il entrait dans les salles d'étude, escorté de deux soeurs de charité qui disposaient au milieu de nous un fauteuil, une table et les accessoires nécessaires aux petites opérations possibles; une à une, nous défilions, tremblantes, mais résignées,--rendues braves par la peur de paraître ridicules ... Nous nous obligions les unes les autres à faire bonne contenance sous la dure main de l'opérateur, et cette «publicité» nous rendait fortes.

La façon nouvelle dont s'organise le règlement des affaires d'honneur, protégera, de même, les combattants timides contre le danger de certaines défaillances. On recule devant une épée; on ne fuit pas devant l'objectif. Et ainsi, dans l'avenir, tous les duels seront de beaux duels: il ne s'y produira que des attitudes nobles et des gestes hardis. Le plus poltron pensera: «Attention ... Des femmes me regardent, et il y a un cinématographe.»

...Au restaurant Fayot. Dans un coin, une table fleurie, encombrée de flacons de liqueurs et de boîtes de cigares, autour de laquelle cinq personnes achèvent de dîner. Cigares et flacons sont intacts. On boit du tilleul en fumant des cigarettes. Le Parisien devient sobre. Neurasthénique ou gastralgique, il dédaigne (ou redoute) le tabac fort et les spiritueux; et l'on ne vient plus «au cabaret», comme ils disent, pour bien boire ou pour bien manger, mais pour bavarder à l'aise une heure ou deux, dans un joli décor, hors de chez soi. Mes voisins causent à demi-voix, mais assez haut pour qu'il me soit facile d'entendre ce qu'ils disent. Ils m'intéressent; ils s'entretiennent un peu de tout: du nouveau ministère, des bagarres russes, de la pièce d'hier, de l'exposition du cercle Volney, du dernier Salon des miniaturistes.

Quelqu'un dit: «Et vous, vous êtes content?» Je regarde l'homme à qui cette question est posée. Les coudes sur la table, il répand de ses doigts maigres un peu de tabac dans une feuille de papier qu'il roule d'un geste preste et l'allume vivement à la flamme d'une bougie; un épais binocle, dont le cordon s'accroche au-dessus de l'oreille droite, voile l'éclat des yeux durs, au-dessus d'une face osseuse et tourmentée. Je le reconnais. C'est l'homme du jour: M. Brunetière, de l'Académie française, qui ouvre cette semaine, en un local privé, une série de dix «leçons» où, depuis un mois, tout Paris s'est donné rendez-vous. Evincé des grandes chaires publiques où l'indépendance un peu brutale de sa parole froissait, je crois, certaines «orthodoxies», M. Brunetière est devenu ce que les Parisiens aiment par-dessus tout: un conférencier d'opposition.

M. Brunetière continue de rouler de minces cigarettes, qu'il fume, l'une après l'autre, fiévreusement, et expose en phrases lentes, longues, martelées, le sujet de ses prochaines leçons. Il parlera des Encyclopédistes, de la jeunesse de Voltaire et des idées de Montesquieu; il enseignera de quelle façon on était «libre penseur» en ce temps-là, et cela lui fournira l'occasion, je suppose, de dire son sentiment sur la façon dont on l'est aujourd'hui. Je me rappelle avoir vu un jour, je ne sais où, un billet écrit par M. Brunetière, et j'en fus très frappée. Cela formait des lignes régulières, composées de caractères appuyés, verticaux, parfaitement lisibles sur l'alignement desquels s'épanouissait, de distance en distance, une lettre «bouclée» avec soin; et cela donnait à l'oeil l'impression de quelque chose d'archaïque et de clair à la fois, de dur et de fleuri. La parole de M. Brunetière ressemble à cette écriture-là. Elle ne caresse point l'oreille, comme tant d'éloquences françaises; elle n'est ni amusante, ni jolie; mais elle «empoigne», et j'ai, en écoutant parler ce diable d'homme, la sensation (pas désagréable du tout) d'être tenue par cinq doigts de fer qui ne me lâcheront que quand cela leur plaira. Je ne sais pas ce que valent, en politique ou en littérature, les opinions de cet académicien, et cela m'est bien égal; il me suffit de goûter la manière et le ton dont il les défend. M. Brunetière me plaît pour les raisons qui le rendent antipathique à tant de gens.

Je le regarde qui explique à des femmes aimables, parmi les fleurs et les lumières d'une salle de restaurant, ce que c'est que les romans de Voltaire. Il explique cela avec âpreté, sans grâce, uniquement impatient de persuader. C'est de cette même façon bourrue, presque rageuse, que je l'entendis un jour parler de Marivaux..., M. Brunetière est un passionné triste et qui est arrivé à la gloire en jouant la difficulté: dans la plus aimable des sociétés d'Europe, il n'a pas consenti à être un professeur aimable; au milieu de philosophes et de critiques qui montrent un constant souci de plaire et de parer leur science d'un peu de grâce, cet homme n'a jamais souri. Et le voilà illustre quand même. C'est très beau. Je sens que j'aurais de lui une peur affreuse, si j'étais sa femme; mais, vu ainsi et regardé à distance dans la fumée que font ses cigarettes, il ne me déplaît pas.

«Théâtre national de l'Opéra, 28 janvier 1900, GRANDE REDOUTE, parée, masquée et travestie.»

L'affiche m'avait tentée. C'était une des traditions de l'hiver parisien, ces bals de l'Opéra d'autrefois. On y revient,--pour une nuit, et nous nous étions promis, Natenska et moi, d'aller voir cela, sans en rien dire à personne. La grippe qui court Paris m'a traîtreusement jointe rue Soufflot ... Je n'irai pas à l'Opéra.

Delbon, qui m'est venu voir, s'amuse de ma déconvenue.

--Voulez-vous, me dit-il, savoir ce qui se passera tout à l'heure, à l'Opéra?

--Dites...

--Voici. Quatre ou cinq mille personnes, vers minuit, se bousculeront froidement dans un édifice plein de lumières, mais si vaste qu'il semblera partout insuffisamment éclairé. Les femmes seront enveloppées de vastes dominos qui cacheront l'élégance des tailles et l'agrément des sourires; et parmi ces mystérieux paquets de satin clair, les hommes déambuleront, mélancoliques, le chapeau sur la tête et la canne à la main, comme dans la rue. Le silence de cette foule ne sera coupé que par le bruit de deux orchestres, autour desquels on regardera curieusement tourner quelques couples de filles et de figurants costumés. Du haut en bas des loges, il y aura des femmes assises qui, elles aussi, considéreront sans joie ce spectacle. Pour s'exciter un peu, celles dont les loges sont le plus rapprochées du parquet,--c'est-à-dire de la plate-forme construite en prolongement de la scène, sur toute l'étendue de l'orchestre--auront à la main des lignes de pêcheur, au fil desquelles pendront de menus objets (des poupées, des fleurs) qu'elles promèneront au-dessus des têtes et que les plus agiles flâneurs de l'orchestre devront attraper en passant. Un buffet luxueux s'ouvrira près du foyer. On s'y écrasera pendant une heure ou deux. Autour des petites tables, des gens graves seront penchés sur leurs verres, suçant au bout de longues pailles des choses glacées. Il y aura çà et là une ébauche de farandole, un essai «d'intrigue»; et l'on s'y précipitera--pour voir--comme autour d'un accident... Tout cela sera triste, madame, et bien des Parisiens voudraient être tout là l'heure à votre place, souffrir d'un rhume qui les dispensât d'aller s'amuser là. Mais on n'est pas libre à Paris de fuir certains amusements, à moins que le médecin ne vous l'ordonne. Il y a des corvées traditionnelles auxquelles on se doit; il y a des spectacles où il est nécessaire «d'être allé...»

--Alors, dis-je, vous irez à la redoute de l'Opéra?

Il eut un geste désolé:

--Naturellement.
Sonia.



LES FAITS DE LA SEMAINE

FRANCE

17 janvier.--La Chambre siège quelques minutes, pour la forme, et s'ajourne sine die, en raison de la crise ministérielle, virtuellement ouverte depuis le 14.

18--Dans une réunion du conseil des ministres à l'Élysée, M. Combes remet officiellement au président de la République, qui l'accepte, la démission collective du cabinet. --Publication au Journal officiel d'arrêtés pris par le ministre de l'intérieur, en application de la loi du 7 juillet 1904, et fixant au 1er septembre prochain, terme de l'année scolaire, la fermeture de 466 établissements d'enseignement congréganistes.

20.--M. Jonnart, gouverneur général de l'Algérie, offre un déjeuner au duc et à la duchesse de Connaught; le même jour le frère du roi d'Angleterre invite le gouverneur à dîner à bord de L'Essex.

21.--M. Rouvier est appelé à l'Élysée en vue de la formation du cabinet.

22.--- Election législative en Corse (arrondissement d'Ajaccio); M. Forcioli, ancien député radical, remplace M. Emmanuel Arène, devenu sénateur.--Obsèques de Louise Michel, dont le corps a été ramené de Marseille à Paris, pour être inhumé à Levallois. Un nombreux cortège composé de groupes socialistes et révolutionnaires accompagne le char funèbre.

23.--Sir Francis Bertie, le nouvel ambassadeur d'Angleterre à Paris remet ses lettres de créance au président de la République.--Le cabinet Rouvier est constitué.


ÉTRANGER

15.--A Moscou, un jeune homme, étudiant, croit-on, tire trois coups de revolver sur le général Trepof, préfet de police, sans l'atteindre.--Fin de la grève de l'industrie pétrolifère à Bakou (Transcaucasie.)

16.--A Essen, l'Union minière patronale ayant refusé d'accorder aux ouvriers la réduction de la journée de travail, la grève générale est proclamée dans le bassin minier de la Ruhr (Westphalie), comptant 370.000 ouvriers.--Grève générale des 140.000 ouvriers des usines Poutilov, près de Saint-Pétersbourg (fabrique de matériel de guerre pour l'État).

17.--En Westphalie, la grève s'étend à 303 mines ou puits de mines; 154.330 ouvriers ont quitté le travail.--A Saint-Pétersbourg, les ouvriers des ateliers franco-russes se joignent à ceux des usines Poutilov.--L'ambassade française quitte Larache pour Fez.

18.--En Westphalie, 307.310 grévistes.--A Saint-Pétersbourg, les 13.000 ouvriers de l'usine gouvernementale de constructions navales de la Neva font grève, arrêtant ainsi la construction d'un croiseur et de torpilleurs.

19.--En Westphalie, 235.000 grévistes; on signale les premières violences; les expéditions de houille sont interrompues.--A Saint-Pétersbourg, où les grévistes sont déjà au nombre de 100.000, les propriétaires de fabriques, réunis au ministère des finances, repoussent la demande de réduction de la journée de travail et refusent de discuter avec les organisations ouvrières. Le pope Gapone, fondateur de l'Union des ouvriers russes, prend la tête du mouvement ouvrier. Les chantiers de la Baltique, de nombreuses usines sont désertés par les travailleurs.--Pendant la cérémonie de la bénédiction des eaux de la Neva, par le tsar, une des pièces de la batterie d'honneur, installée sur la berge, lance sur le palais d'Hiver une boîte à mitraille; les vitres de quatre fenêtres sont brisées.


             Les amies de Louise Michel
                 derrière le corbillard.

20.--Signature d'une convention d'arbitrage entre les Etats-Unis et la Suède et Norvège.--Aggravation de la situation, à Saint-Pétersbourg; 74 usines sont fermées; 93.000 ouvriers sont en grève; 5.000 grévistes ont parcouru le quartier de Vassili-Ostrov, faisant cesser partout le travail. Le général Foullon, gouverneur de la ville, interdit les rassemblements; toute la garnison est sur pied.

21.--Manifestation socialiste à Riga.--A Saint-Pétersbourg, les journaux n'ont pas paru; 1.500 établissements sont fermés; 150.000 ouvriers chôment. Le soir, premiers désordres, dans le faubourg d'Okhta.

22.--Conflits sanglants, à Saint-Pétersbourg, entre les troupes et les grévistes qui veulent, le pope Gapone à leur tête, apporter au tsar, au palais d'Hiver, une pétition réclamant une constitution politique et énumérant des revendications économiques. Le tsar est resté à Tsarskoïé-Sélo. Nombreux tués et blessés.

Le cortège funèbre sortant de Paris par la porte d'Asnières. Mme Séverine prononçant son discours au cimetière de Levallois-Perret.

L'ENTERREMENT DE LOUISE MICHEL


Le général Oshima. Le général Tsuchiya. Le général Ichinoyé.

TROIS GÉNÉRAUX JAPONAIS PHOTOGRAPHIÉS DEVANT PORT-ARTHUR.
--Copyright 1905 by Underwood and Underwood.

PHOTOGRAPHIES DE VAINQUEURS

Nous avons eu, à maintes reprises, déjà, l'occasion de signaler la grande sympathie des Japonais pour la photographie. Nous serions les derniers, au surplus, à nous plaindre de ce penchant, qu'on est enclin à trouver, à quelques égards, un peu puéril chez des guerriers, puisqu'il nous a procuré quelques images amusantes. En voici, de nouveau, trois qui sont plus caractéristiques encore de l'état d'esprit des Japonais.

Trois des principaux collaborateurs du général Nogi dans la conquête de Port-Arthur n'ont pas résisté au désir de laisser d'eux à la postérité une image héroïque. Ce sont: le général Oshima, commandant de la 9e division, le lieutenant général Tsuchiya et le général Ichinoyé. Tous trois sont des militaires de grande valeur. Le général Oshima est un des vétérans de la guerre sino-japonaise; le général Tsuchiya, maintenant à la tête d'une division, a joué, à la troisième armée japonaise qui investissait Port-Arthur, un rôle important et le général Ichinoyé est un des chefs les plus audacieux de l'armée japonaise. Il a dirigé contre Port-Arthur les assauts les plus énergiques, et notamment la charge contre le fort de Baurinzan, qui fut si meurtrière, une véritable réédition de Balaclava; le 29, il entrait dans les tranchées russes, sabre en main, à la tête de ses hommes.

Ces héros ont cédé, pourtant, à un mouvement de toute petite vanité en posant devant l'objectif, dans une mise en scène un peu théâtrale, au milieu d'obus russes tombés sur le camp japonais sans exploser, donc, peu dangereux. Le même décor, les mêmes accessoires, d'ailleurs, ont servi pour deux des photographies: le général Oshima et le général Ichinoyé ont été pris devant le même fond, flanqués des mêmes projectiles. Le général Tsuchiya, plus heureux, a eu les honneurs d'un cadre spécial et d'accessoires bien à lui.


LES TROUBLES EN RUSSIE.
--Hommes d'État et fonctionnaires russes ayant joué le premier rôle dans les événements actuels.


La journée du 22 janvier à Saint-Pétersbourg: après un feu de salve sur le quai Nicolaevskaïa, à l'entrée du pont Nicolas. D'après un croquis de notre envoyé spécial, M. F.


M. Pobédonostzev, procureur général du
Saint-Synode, considéré comme hostile à toute réforme.
--Phot. Levitzky.


Le prince Sviatopolsk-Mirsky, ministre de l'intérieur de Russie.
--Phot. Bulla.


M. Witte, président du Comité des ministres, chargé d'étudier les réformes.
--Phot. Levitzky.


Le général Foullon, préfet de police de Saint-Pétersbourg, qui a quitté ce poste après les troubles du 22 janvier.


LE VOYAGE DE LA MISSION DIPLOMATIQUE FRANÇAISE DE TANGER A FEZ
Photographies de M. du Taillis.


M. Mare. Cap. Jouinot-Gambetta. M. St-René-Taillandier. M. Pelletier. Dr Murat. Le Cadi. M. Giriend. M. Neuville. M. Brun. M. Pémienta. M. Gaston Leroux. La mission à bord du «Du Chayla», qui l'a transportée de Tanger à Larache.

Canot à vapeur du «Du Chayla». «Barcasse» du sultan. Les opérations de transbordement sur la «barcasse» pour le passage de la barre devant Larache.


Débarquement à Larache sur une «barcasse» du sultan.


IMPRESSIONS D'UN CORRESPONDANT DE GUERRE

COMMENT VIT LE GÉNÉRALISSIME RUSSE


Le train du général Kouropatkine sur une voie de garage. Le général Kouropatkine allant, en troïka, visiter un campement de troupes.


        M. Raymond Recouly.

Le chemin de fer est la seule chose russe, dans le vaste pays mandchou; il fut la cause de la guerre dont il est maintenant le soutien; le long de cette ligne qui, de l'est à l'ouest et du nord au sud de Mandchouria à Vladivostok et de Kharbine à Port-Arthur, coupe audacieusement des étendues immenses, l'influence russe, la civilisation russe ont coulé; des villes nouvelles ont surgi du steppe, villes toujours pareilles, avec les maisonnettes uniformes des fonctionnaires, des employés, les casernes, la banque, les échoppes des marchands et la petite église encore timide, discrète, n'osant pas sur cette terre hostile, âprement disputée, élancer trop haut son clocher!...

Pour les Russes, le chemin de fer est comme la corde qui soutient le plongeur sous l'eau; autour de lui, toute l'armée se concentre, et la tête, l'âme de l'armée, le généralissime reste toujours sur sa voie: cinq à six wagons très élégants, d'un luxe solide et de bon aloi, un restaurant, un salon pour le général, trois voitures pour les officiers de l'entourage, des vétérans, à la poitrine chargée de décorations, montant la garde près des marchepieds, le sabre nu, voilà la maison roulante, le quartier du commandant en chef. Faut-il partir? la locomotive est à côté, parfois même, dans les circonstances graves, déjà attelée et sous pression. Décide-t-on qu'il faut rester quelques jours dans un lieu? en deux ou trois heures, une équipe d'ouvriers bien entraînés a posé, près de la ligne principale, une ligne de garage sur laquelle s'engage le train du général. Quand un ombrage, une berge riante est voisine, l'ingénieur n'hésite pas à pousser jusqu'à elle: à Kaï-Tcheng, les wagons de Kouropatkine étaient sous la saulaie: on les entrevoyait tout d'un coup à travers les rameaux et le feuillage; le chemin de fer semblait avoir oublié ses bas instincts utilitaires; il s'oubliait à jouir des rives verdoyantes, de la proximité des eaux. Lui, l'homme du devoir et de la discipline, il s'attardait en museries, il faisait l'école buissonnière!

Durant les longs séjours, à Liao Yang, à Moukden, le généralissime se permettait quelques douceurs d'une installation moins provisoire, moins volante. Il souffrait ... un peu, que son train prît racine. Pour accéder aux wagons, on échafaudait à la hâte un escalier attenant à une galerie couverte, qui servait aux réceptions, aux promenades les jours de pluie; des étendards, des écussons, décoraient modestement la nudité des planches. Les mois d'atroce canicule, pour rendre moins intolérables les compartiments surchauffés, on avait coiffé les wagons d'un capuchon de chaume, sur lequel des soldats versaient, à jet de pompe, une pluie rafraîchissante. Le train de Kouropatkine prenait sa douche longuement!...

Non loin de ces cars élégants, de simples wagons pour marchandises abritent les services auxiliaires, les nombreux bureaux de l'état-major. Par les portières ouvertes, on voit d'immenses cartes tapissant toute la paroi; sur ces cartes quantité de petits drapeaux, de couleurs diverses, qui représentent chaque unité de l'armée; ces drapeaux se meuvent selon que se meuvent les troupes dont ils sont la marque, et le général peut avoir, à toute minute, une image absolument exacte des masses énormes qu'il conduit. D'autres cartes avec d'autres drapeaux reproduisent tout ce qu'on sait de l'armée japonaise, tout ce que le service des renseignements, les espions, la lecture des journaux, des télégrammes a pu apprendre sur l'ennemi; et, malheureusement pour les Russes, ce tout a toujours été peu de chose et les petits drapeaux ont suivi d'une façon précise les mouvements des bataillons nippons. Un wagon contient le télégraphe qui fonctionne à toute heure du jour et de la nuit, relié à chaque division de l'armée, transmettant les ordres du généralissime et les informations des chefs de corps. Dans un autre, s'imprime le journal de l'armée, le Mandchourski Vestnik ou «Éclaireur de Mandchourie». Plus loin, ce sont les fourgons pour les chevaux, les équipages, la sotnia de cosaques qui escorte le commandant.

Presque tous les jours, Kouropatkine dérobe quelques instants à son accablante besogne et sort pour inspecter un détachement nouvellement débarqué, pour visiter un convoi de malades ou de blessés. Un Caucasien très armé, son garde du corps fidèle, le Roustan du général russe, est constamment à son côté. Une troïka, attelée de trois bêtes magnifiques, des chevaux tout noirs, l'équipage russe, le cocher portant la robe très ample et cette curieuse coiffure, un diadème orné de plumes de paon. Par derrière, caracolent les officiers d'ordonnance, puis la masse des cosaques sibériens, montés sur des chevaux mongols, des chevaux à moitié sauvages, hirsutes, ébouriffés, remuant avec une rapidité folle leurs jambes petites et nerveuses; les longues lances dont les cosaques sont armés, ressemblent à une forêt mouvante, et, dans d'épais brouillards de poussière, le généralissime et sa suite disparaissent prestement.

Vienne le jour de la bataille, il faut alors quitter le wagon et la voie ferrée, se mêler à l'armée d'une manière plus étroite, s'enfoncer dans le pays mandchou. Sur d'innombrables charrettes, on charge les bagages, les papiers de l'état-major. Mais la dévotion russe ne souffre pas de départ sans prières. Quand tout est préparé, Kouropatkine et sa suite, tous les généraux, tous les officiers, dans leurs plus beaux costumes, les attachés militaires étrangers, les soeurs de charité, le personnel des ambulances vont se prosterner devant l'autel. Noyés dans cette foule recueillie, un ou deux correspondants prennent des instantanés. Avant la dernière bataille, la grande bataille de Cha-Ké qui dura dix jours et dont on savait d'avance qu'elle ferait cinquante mille victimes, j'ai pu voir cette scène de prières empreinte d'une triste et grave beauté. Par un matin de lumière splendide, une éclatante lumière d'Orient, l'autel dressé en plein air, les saintes icônes posées sur un coussin de velours, autour d'elles l'évêque et deux prêtres étincelants de dorures; Kouropatkine seul, en avant, le genou ployé; derrière, les officiers; plus loin, à l'infini, des soldats et des soldats, les cosaques de l'escorte, deux régiments présentant les armes! La lenteur rythmée des chants liturgiques tombe sur ces têtes abaissées; le prêtre, d'une voix puissante, clame les invocations à Dieu, les prières pour l'empereur, Kouropatkine se relève et va baiser les icônes que ses officiers viennent baiser à leur tour. Soutenus par les prêtres et suivis par le général, les emblèmes sacrés passent parmi les rangs des soldats qui puisent du réconfort dans leur contemplation, qui communient dans une pensée d'espérance, de force, avant les carnages de demain.
RAYMOND RECOULY.



EN MANDCHOURIE.--La prière du général Kouropatkine et de ses troupes avant la bataille.


LA JOURNÉE DU 22 JANVIER A SAINT-PÉTERSBOURG


Le pope Gapone.     Le général Foullon.
LE POPE GAPONE, CHEF DU MOUVEMENT OUVRIER, ET LE PRÉFET DE POLICE DE SAINT-PÉTERSBOURG
Photographie prise à l'inauguration de la 3e section du Club ouvrier.

Cliché Bulla, communiqué par le Matin.


La cavalerie de la garde devant le Palais d'Hiver.


Groupe d'officiers de la garde sur la place du Palais.


LENDEMAIN D'ÉMEUTE.--Ouvriers lisant les affiches collées aux murs des usines. Photographies prises le 23 janvier par notre envoyé spécial.


PHYSIONOMIE DE SAINT-PÉTERSBOURG UN LENDEMAIN D'ÉMEUTE
Patrouille de cavalerie de la garde et promeneurs en traîneaux dans la perspective Nevsky.

Photographie prise dans la matinée du 23 janvier par notre envoyé spécial.


(Agrandissement)
PLAN DE SAINT-PÉTERSBOURG
Les croix noires indiquent les points où se sont produits les principaux conflits entre les troupes et les manifestants.


LE CONFLIT ENTRE LA TROUPE ET LES OUVRIERS A LA PORTE DE NARVA
Les ouvriers des usines Poutilov, ayant à leur tête le pope Gapone, en noir, et d'autres popes, en habits sacerdotaux portant des croix et des icônes, se heurtent, devant l'arc de triomphe de Narva, élevé en mémoire des campagnes de 1812-1814, aux troupes massées à l'entrée de Saint-Pétersbourg.


LA GREVE DES MINEURS DE WESTPHALIE

Les mineurs de Westphalie ajoutent en ce moment une page importante à l'histoire économique de l'Europe. Le bassin de la Ruhr est en grève; près de 300.000 ouvriers ont quitté le travail; Essen, Dortmund, Oberhausen, Bochum, privés de charbon, ont cessé de produire: les hauts fourneaux manquent de coke, les gazogènes vides entraînent l'arrêt des fours Martin Siemens; les torrents éblouissants de fonte et d'acier, richesse de l'Allemagne des bords du Rhin, sont taris. Si l'on considère que les expéditions et consommations de combustibles westphaliens ont atteint, en 1900, 53 millions de tonnes, il est aisé de concevoir quelle répercussion peut avoir la grève présente, tant dans la région même où elle sévit qu'à l'étranger.

D'aucuns diront qu'il est aisé de la faire cesser, en en supprimant les causes, en faisant droit à de justes demandes, partiellement tout au moins: il y a fort à croire qu'ils se tromperont.

Les causes de la grève ne reposent pas, en effet, sur des questions de salaires, de diminution des heures de travail, de création de contrôleurs élus par les mineurs ou de reconnaissance par les patrons des associations ouvrières.

Si ce sont là les motifs apparents qui ont présidé à la cessation du travail, il ne faut pas se hâter d'y trouver les origines réelles du mouvement actuel.

L'ouvrier mineur de la Ruhr peut compter parmi les privilégiés de la grande famille des artisans de l'industrie moderne.

Les salaires se sont élevés, en 1900: pour les piqueurs, à 5 marks 16 (environ 6fr.40); les charpentiers (chargés de l'entretien), à 3m,36; les hommes du jour, à 3m,32; les gamins, à 1m,28; cependant que par exemple les ouvriers métallurgistes gagnaient en moyenne: les spécialistes, 4 marks; les ouvriers ordinaires, 2m,50 à 3m,50; les manoeuvres, 2 à 3 marks; les gamins, 1m,50.

Si, d'autre part, on établit un parallèle entre les gains moyens des divers mineurs allemands, on trouve en 1898, pour les ouvriers du district de Dortmund, une paye quotidienne de 3m,96 et, pour ceux de Haute et Basse Silésïe, 2m,87 et 2m,80.

Le mineur de Westphalie, de plus, a un travail remarquablement simplifié par la configuration même du terrain qui permet l'emploi d'appareils mécaniques facilité par les compagnies qui rivalisent entre elles pour le faire exécuter dans les meilleures conditions hygiéniques.

Nous nous en rendrons compte, en allant changer de vêtements dans le vestiaire ou penderie[1], où, au-dessus de nos têtes, se balancent déjà pendus aux crochets, tirés au plafond par des cordes individuelles montées sur poulies, les habits de ville des travailleurs, afin de descendre jusqu'aux chantiers d'abatage d'une houillère westphalienne.

[Note 1: Il n'existe en France, croyons-nous, qu'une penderie semblable: celle des Mines de la Loire.]

Gagnons le puits après avoir pris à la lampisterie nos lampes à feu couvert; nous y attendrons à la recette supérieure l'arrivée de la cage. La voici: un bruit sec, les portes se soulèvent automatiquement, le clichage se fait, les moulineurs se précipitent, s'emparent des berlines pleines; ayant pris tant bien que mal leur place laissée libre, sur un signal, nous montons un instant pour permettre de charger l'étage inférieur; et puis, brusquement, sans rien qui l'ait pu faire prévoir, c'est la descente. Les bruits de roulage des berlines, le souffle de la machine, le bourdonnement de la vie, s'effacent subitement, dans la nuit; une lueur, une autre, les accrochages intermédiaires,--et nous sommes au fond.

A peine sortis de la cage nous assistons à la manoeuvre inverse de celle du jour: d'un coup de reins le galibot (gamin) enfonce à grand bruit la berline pleine dans la cage après en avoir retiré la vide, profitant pour le roulage des plaques de fonte qui garnissent la galerie au point où elle s'élargit et s'exhausse, cependant qu'un porion (contremaître), à la lueur fumeuse de lampes fixes, surveille le travail et manoeuvre le signal de mise en marche de la cage.

En prenant la «voie d'allongement», galerie haute tracée dans la roche, soutenue par une sorte de charpente en fer, nous gagnerons les fronts de taille. Mais voici dans le lointain un bruit de tonnerre qui se rapproche: le temps de se garer le long du mur, c'est un roulage, un long train de berlines pleines, traînées par un cheval au trot.


Chargement des berlines dans la cage.--Phot, Zirkler.


Le vestiaire des mineurs--Phot. Risse.

Pour arriver au gîte, il nous faut cependant quitter la grande voie et prendre le plan incliné, la descenderie, qui dessert les galeries secondaires, ou fausses voies: un appel pour interrompre le mouvement de balance commandé d'en haut, par lequel les berlines pleines descendues à la voie d'allongement pour y être formées en train, font remonter les vides par leur poids.

Profilant de cet arrêt, un herscheur (manoeuvre) a détaché la berline vide et la pousse par la voie desservie au front de taille, pour l'y remplir à nouveau. Suivons-le: après avoir passé la porte d'air nous sommes devant le havage. L'homme travaille debout, au pic, perpendiculairement à la taille; la couche d'épaisseur moyenne a 2 mètres environ; la partie supérieure, le toit, est assez résistante pour n'avoir pas nécessité un boisage immédiat.

Il n'en est pas de même à cet autre front de taille horizontal--en plateure --et de plus faible puissance: il a été étayé au fur et à mesure de l'avancement du travail par le «chapeau» que soutiennent les deux «moutons»; les hommes accroupis se servent pour l'abatage d'une haveuse pneumatique.

Le travail le plus pénible s'opère dans des gîtes de très faible épaisseur (0m,60) et de forte inclinaison: le haveur, couché dans la taille, sa lampe venant encore ajouter à la chaleur et à la viciation de l'air, arrache le charbon à coups de pic, de pinces et le repousse du pied, en rampant, dans l'étroit boyau, par «boutage», jusqu'aux galeries où le herscheur le reçoit dans une berline.

L'aérage se fait ici de façon difficile; on est obligé d'employer des injecteurs plus ou moins primitifs: un tuyau au centre duquel jaillit un filet d'eau qui entraîne et rafraîchit une certaine quantité d'air, par exemple (mines de la Guttehoffnungshütte). Plus tard, quand la fausse voie suivante aura été atteinte, le front de taille sera desservi, comme le reste de la mine, par le courant qui ne cesse de traverser toute l'exploitation, en partant du puits d'extraction pour aboutir aux ventilateurs monstres du puits d'aérage.

Ces puits, dont le forage est long et coûteux, sont munis d'un «cuvelage», revêtement en bois, maçonnerie ou actuellement fonte, qui les rend étanches et empêche l'eau des nappes traversées de noyer les travaux.

Les eaux d'infiltration, les fuites inévitables du cuvelage--les «pichoux»--sont amenées par les pentes naturelles à un puisard, le «bougnou», qui se trouve en prolongement du puits. C'est là que les pompes qui fonctionnent sans jamais s'arrêter vont les puiser pour les rejeter au jour.

Mais l'heure de la remontée au jour a sonné... Avant de quitter ces profondeurs, nous noterons en résumé les progrès accomplis et projetés, qui répondent en partie aux desiderata des congrès d'hygiène: c'est la tendance à suppléer le plus possible au travail manuel par les actions mécaniques, perforatrices, haveuses, treuils, câbles sans fin (pour remplacer la traction animale), le tout mu par l'air comprimé, l'eau sous pression, la vapeur ou l'électricité, que l'on arrive à employer dans les milieux grisouteux avec des moteurs cuirassés et une ventilation intensive, distribués aux appareils du fond après production par les appareils du jour ...

Quelles sont alors les vraies raisons de la grève? Nous laisserons à l'avenir, ou au socialisme d'outre-Rhin le soin de nous les dire bientôt.
GEORGES G. PARAF.



Au front de taille: havage à la main.


DANS UNE MINE DE WESTPHALIE.
--Au front de taille: havage mécanique.
Phot. Zirkler.
--Voir l'article à la page précédente.



                                                                                                            L'interprète. Le capitaine Wood
LA CONFERENCE SUR L'INCIDENT DE HULL.
--Déposition du premier témoin anglais à la séance du mercredi 25 janvier.

Après avoir terminé la partie préliminaire de son oeuvre, choisi le cinquième délégué, l'amiral baron de Spaun, représentant l'Autriche, et élaboré son règlement de procédure, la commission internationale chargée de poursuivre l'enquête sur l'incident de Hull vient de tenir ses premières séances publiques.

Ces séances ne seront guère suivies que par les journalistes amenés là par leur devoir professionnel.

La «brillante assistance» des chroniques mondaines serait, ici, absolument fourvoyée et, au surplus, n'y entendrait à peu près rien. Il a été décidé en effet que les délégués des deux parties adverses ainsi que les témoins russes et anglais s'exprimeraient chacun en leur langue maternelle, la seule où ils puissent réellement formuler d'une façon exacte et précise leur pensée. Dépositions et plaidoiries seront ensuite traduites en français, puis retraduites, de nouveau, en anglais ou en russe pour pouvoir être examinées par l'adversaire. Ce qui menace de rendre fort longs les travaux de la conférence.

Du côté des Anglais, les témoins sont les pêcheurs mêmes qui stationnaient sur le Dogger Bank. Ils sont arrivés à Paris et, de bonne grâce, se sont prêtés à la photographie, dans la cour même du palais des Affaires étrangères.

Ce sont de braves loups de mer, en tout semblables à des pêcheurs des côtes normandes ou bretonnes, types de maîtres au cabotage et de matelots endimanchés. Les uns ont coiffé la bonne «cape» de feutre, que nous appelons «melon»; d'autres arborent la casquette anglaise. Il ne paraît pas qu'ils doivent se laisser impressionner par la majesté de la conférence. Il est à croire que leurs dépositions seront énergiques, résolues. «Dieu et mon droit», dit la devise britannique. Ceux-ci sentent derrière eux, pour la défense de ce droit, un peuple entier, indépendant et fier.

Du côté russe on entendra plusieurs dépositions écrites, que lira l'amiral Fournier. Celle de l'amiral Rodjestvensky, commandant de la seconde escadre du Pacifique, sera, de toutes, la plus importante.

Mais trois officiers, spécialement débarqués en cours de route par l'amiral et renvoyés en Europe, seront entendus directement: ce sont le commandant Clado, dont il a été beaucoup parlé et dont nous avons, ici même, publié le portrait, et deux de ses camarades, MM. Schramtschenko et Ellis.

Mercredi a commencé l'audition des témoins anglais, et le shipmaster Wood, de Hull, pilote de la Baltique et de la mer du Nord, capitaine du vapeur Zeno, a déposé le premier après avoir prêté serment sur la Bible.


Les pêcheurs de Hull venus à Paris pour déposer devant la commission.


Documents et Informations.


                  Quatre timbres russes de bienfaisance.

Timbres russes de bienfaisance.

L'administration des postes russes vient d'émettre quatre nouveaux timbres dont nous reproduisons ici les modèles. Imprimés en deux couleurs, ils valent: le rouge et vert, 3 kopeks; le violet et jaune, 5; le bleu et rose, 7; le bleu et jaune, 10.

Chacun d'eux est vendu 3 kopeks de plus que la valeur marquée et le bénéfice résultant de cette majoration est destiné aux orphelins des soldats morts pendant la guerre. L'heureuse innovation du timbre de bienfaisance tirant parti du philatélisme au profit de la philanthropie, se propage, on le voit, dans tous les pays.

LE CHATEAU DE BAGATELLE.

Nous avons, il y a quelques mois, rappelé l'histoire de Bagatelle ou «Folie d'Artois», ce souvenir exquis du dix-huitième siècle que, par un caprice de grand seigneur, le duc d'Artois--plus tard Charles X--fit, en 1777, dessiner et construire en deux mois par l'architecte Bélanger pour Marie-Antoinette. Nous exprimions alors le voeu que la ville de Paris réalisât son projet de l'acheter. Nous sommes heureux d'annoncer aujourd'hui que la Ville vient de terminer les formalités d'acquisition.


              Le château de Bagatelle au Bois de Boulogne.

Ce domaine de 24 hectares a été payé 6.500.000 francs à l'héritier de sir Richard Wallace.

Les jardins de Bagatelle restent le seul exemple complet et d'ailleurs charmant des «jardins pittoresques» qu'on appelait aussi «jardins anglo-chinois», si à la mode à la fin du dix huitième siècle.

Qu'en fera-t-on?

De tous les projets présentés celui qui semble le mieux s'adapter au bois de Boulogne, ce cadre élégant de Bagatelle, et au caractère même de ses jardins nous paraît être celui de M. Forestier, le distingué conservateur des promenades de Paris.

Son idée consiste, en effet, à utiliser les jardins de Bagatelle tels qu'ils sont pour en faire au milieu du bois de Boulogne comme un jardin brillant et paré, dont l'attrait serait d'ajouter à la curiosité que peut évoquer un souvenir historique l'intérêt de plantes curieuses, de fleurs rares et nouvelles groupées harmonieusement dans le style du jardin. Bagatelle deviendrait, comme le jardin de Kew, près de Londres, un lieu de promenade très agréable où les Parisiens et les étrangers si amoureux du Bois pourraient admirer, en même temps qu'une jolie «Folie du dix-huitième siècle» intégralement conservée, les plus beaux produits de l'horticulture parisienne. Dans le projet de M. Forestier se trouve, paraît-il, un détail assez intéressant: la création dans le potager de 400 mètres de longueur, d'une immense collection de roses bordée de lis et de clématites.

Il convient, en effet, de ne pas dénaturer un ensemble d'un tel caractère qui a eu l'heureuse fortune d'appartenir à des propriétaires jaloux de nous le conserver intact.

Ainsi, le dernier, sir Richard Wallace n'y occupa jamais moins de vingt jardiniers qui plantaient chaque année 200.000 pieds de fleurs. En dehors de ses gens de service et de ses écuries qui n'entrent pas dans cette somme, l'entretien même de Bagatelle lui coûtait en moyenne 80.000 francs par an.

LA TEMPÉRATURE DE L'ANNÉE 1904.



Les années 1903 et 1904 ont été très comparables au point de vue de la température moyenne: 10°,38 en 1903 et 10°,4 en 1904. L'une et l'autre de ces températures ont été supérieures à la moyenne normale 9°,7. (Il s'agit des températures observées au parc Saint-Maur.)

Les températures extrêmes ont été les suivantes, l'année dernière: -7°,1 et +36°,9; en 1903, elles avaient été -9°,3 et 32º,30.

En Algérie, on avait observé 46° à Biskra en 1903 et 44° à Tunis en 1904. Comme températures très basses, Arkhangel avait supporté -35° en 1903 et Haparanda, -36° en 1904. Montpellier a subi, en 1904, la température la plus élevée qui ait été jamais observée en France, soit 43°,9, le 19 juillet.

Il a plu un peu moins à Paris en 1904 qu'en 1903: 141 jours contre 159; et 537 millimètres d'eau contre 541. Ces deux années ont été d'ailleurs sèches, car la moyenne des cinquante dernières années est de 594 millimètres.

LA RECHERCHE DE L'OXYDE DE CARBONE DANS l'AIR.



Bien souvent, à l'occasion de malaises vagues, ou Simplement pour savoir quelle confiance on peut accorder à tel ou tel appareil de chauffage, le besoin se fait sentir d'un moyen simple et rapide de déceler la présence de l'acide carbonique et de l'oxyde de carbone dans l'air.

On possédait bien divers petits appareils, assez pratiques pour indiquer la présence de l'acide carbonique, mais, jusqu'à présent, on n'avait rien de semblable pour l'oxyde de carbone, bien plus dangereux cependant que l'acide carbonique.

Or, MM. Lévy et Pécoul viennent de présenter à l'Institut un appareil qui permet d'apprécier très simplement les quantités même infinitésimales d'oxyde de carbone pouvant exister dans l'air.

Cet appareil, qui est renfermé dans une caisse peu volumineuse, se compose d'un aspirateur qui permet de faire passer un volume d'air donné sur un tube contenant de l'acide iodique. Le tube est chauffé et l'acide iodique est réduit par l'oxyde de carbone. L'iode est alors mis en liberté et vient barboter dans un flacon contenant du chloroforme. Ce liquide se colore en rose plus ou moins foncé suivant que l'iode mis en liberté arrive plus ou moins abondant.

Ce procédé est très sensible, tout en étant d'une application très commode: il permet de déceler une proportion de 3/100.000 d'oxyde de carbone dans certains lieux habités.

LES SPORTS D'HIVER EN SUISSE.



Sillonnés en tous sens, l'été, par les touristes qu'attire la beauté de leurs sites, les pays de montagnes sont en train, depuis quelques années, grâce à des efforts très intelligents, de devenir presque aussi fréquentés l'hiver: alors, ce sont les amateurs des sports originaux qui leur constituent une clientèle très enthousiaste,--les neurasthéniques, les malades condamnés à la cure d'air demeurant, en tout état de cause, par belle ou vilaine saison, le noyau de cette population flottante, comme disent les statistiques.

Dans la plupart des stations climatériques, on en est arrive à organiser de véritables meetings sportifs, où le patinage, le hockey, les gymkhanas variés, la luge, enfin, jeu national, ont leurs journées.


                   UN SPORT D'HIVER.--Le "bobsleigh"
                            à capot et direction à volant.

La photographie que nous donnons, et qui nous est envoyée de Leysin (canton de Vaud), montre le dernier en date des engins de sports à la mode. C'est le bobsleigh, perfectionnement de la luge, mais perfectionnement tel que la nouvelle machine ne rappelle pas plus l'ancienne que la yole outrigger des rameurs d'Oxford ou de Cambridge ne rappelle la barque de promenade où s'entassent les familles, le dimanche, sur la Marne ou la Seine. Le bobsleigh est un appareil compliqué, à patins montés sur boggies, préservé à l'avant contre l'envahissement par la neige par une sorte de tablier conique, et pourvu d'un système de direction à volant, semblable à celui des automobiles, une vraie machine pour gentlemen, enfin, et sur laquelle certaines équipes ont atteint des vitesses considérables.

QUELLE EST LA CAUSE DE L'APPENDICITE?



A cette question qu'il s'est posée un médecin américain, M. Mitchell, de Chicago, n'entreprend point de répondre directement. Mais il se considère comme étant en état de faire savoir à quoi l'appendicite n'est pas due. Ayant eu l'occasion de faire de nombreuses autopsies de sujets morts de façons diverses, par accident et de maladies variées autres que l'appendicite, M. Mitchell s'est imposé l'obligation d'examiner dans chaque cas l'état de l'appendice. Son idée était de voir si des corps étrangers peuvent se rencontrer dans un appendice sain. Car c'est une opinion assez généralement reçue que l'appendicite a pour point de départ de prédilection la présence d'un petit corps étranger dans l'appendice: c'est là-dessus qu'on a imaginé la théorie qui rattache l'appendicite à l'emploi d'ustensiles de cuisine émaillés, en supposant que des parcelles d'émail peuvent se détacher et aller visiter l'appendice. M. Mitchell a donc soigneusement examiné 1.600 sujets dont il a eu à faire l'autopsie, avec ce résultat que chez 18 de ceux-ci il a trouvé des corps étrangers dans l'appendice. C'étaient des grains de raisin, des grains de plomb, un clou mince, un globule de plomb provenant d'une soudure, un morceau de coquille de noix, une vertèbre de petit poisson, des fragments d'os, des morceaux de pierre. Or, chez ces 18 sujets porteurs de corps étrangers, pas un seul appendice ne présentait la moindre trace d'inflammation. L'appendice était parfaitement sain: il n'avait rien et n'avait rien eu. La conclusion c'est qu'il faut innocenter les corps étrangers de l'appendice: ce n'est pas à leur existence qu'est due l'appendicite. Elle provient d'autres causes.

Mouvement littéraire.

Donatello, par Arsène Alexandre (Laurens 3 fr. 50).--Hogarth, par François Benoît (Laurens, 3 fr. 00).--Boucher, par Gustave Kahn (Laurens, 3 fr. 50).--Le Poinct de France, par Mme Laurence de Laprade (Laveur, 10 fr.).--Les Primitifs français, par Henri Bouchot (Librairie de l'Art ancien et moderne, 4 fr.).

Donatello



Rapidement se poursuit la collection déjà nombreuse des grands artistes, entreprise par la maison Laurens. Donatello a été confié à M. Arsène Alexandre. Le petit Donato ou Donatello naquit à Florence en 1386. Son père, Donato di Niccolo Betto Bardi, cardeur de laine, avait connu, l'exil et vu de près l'échafaud (1380). De quels sombres récits il dut remplir l'imagination de son fils enfant! Ami de l'architecte Brunelleschi, Donatello fit avec lui le voyage de Rome, où les deux compagnons vécurent dans la plus grande pauvreté. Son oeuvre, jusqu'à sa mort (1460), fut immense. Or San Michèle, le campanile de Florence, la cathédrale sont peuplés de ses puissantes créations. Dans son saint Marc, son saint Pierre, son saint Jérôme, dans ses prophètes et ses apôtres, ne cherchez aucune douceur il n'y a là que grandeur et indignation Rien n'égale l'horreur tragique de sa Judith coupant la tête d'Holopherne. Il sculpta un Jean-Baptiste enfant et dans les villes d'Italie répandit «la haute et éloquente tristesse de son âme». Ses deux saint Jean-Baptiste, couverts de peaux de Venise et de Sienne, sont d'effrayantes apparitions. A Padoue il éleva la statue équestre du condottiere Gattamelata et dans l'église Saint Antoine de cette ville façonna des bas-reliefs, parmi lesquels d'une vie prodigieuse, se signalent ceux des enfants chanteurs. Avec l'architecte Michelozzo, il travailla, de 1425 à 1433 à de grands tombeaux; lui-même repose à San-Lorenzo où il dépensa si généreusement son génie.

Nous avons au Louvre son portrait par l'Uccello. Simple dans ses habits, sans nul souci de l'argent, il déposait en un panier ses trésors, afin que ses élèves y puisassent selon leur besoin. L'oeuvre de Donatello vit dans les pages enthousiastes, mais d'une critique juste, de M. Arsène Alexandre.

Hogarth.



William Hogarth est un des plus complets représentants de l'humour anglaise. C'est avant tout un satiriste. Il n'y a pas de métier, ni de fonction dont il n'ait attaqué les travers et les vices. Soldats, juges, médecins, gens d'Église, hommes politiques sont l'objet de sa raillerie. Il n'épargne aucune catégorie sociale. Dans la Réunion moderne à minuit, un révérend prépare le punch. La Marche des gardes vers l'Écosse est dirigée contre l'armée. En la personne de Wilkes, tribun sans conscience, flattant les basses passions populaires, il flagelle la basse démagogie. Sa série de tableaux: l'Élection, débute par une scène de ripaille qui nous montre que Londres ne différait pas de la Rome de Salluste où l'on cherchait la faveur du peuple par des festins. Les six tableaux de la Destinée d'une courtisane, les huit tableaux de la Destinée d'un libertin, reproduits et popularisés par la gravure, les Quatre âges de la cruauté, en quatre tableaux, le Travail et Paresse, le Mariage à la mode, la Rue du Gin et la Rue de la Bière, font pénétrer fort avant dans les moeurs des Anglais au dix-huitième siècle. Le Combat de coqs expose des visages béats et grotesques, suivant la lutte des deux champions armés de longs becs et d'éperons. La plupart des compositions d'Hogarth, à plusieurs scènes enchaînées et graduées, montrent une grande entente du théâtre et constituent de véritables comédies. Rien de plus sain et de plus robuste que cette peinture. Ce qu'on peut reprocher à l'artiste, c'est peut-être parfois, à cause de la multitude des détails, un certain manque d'harmonie dans la composition. Hogarth nous a laissé de lui-même un portrait où il a placé son chien favori. Peut-être l'homme n'était-il pas très sympathique. Petit, trapu, vif, coquet, il était au moral vaniteux, vantard, agressif, et, bien qu'économe, de moeurs relâchées. Il s'est surtout attaché aux laideurs, aux tares, aux cynismes de ses contemporains. Né à Londres le 10 novembre 1697, il mourut le 26 octobre 1764, nous laissant dans son oeuvre une minutieuse histoire des moeurs, des costumes, du mobilier de son temps. M. François Benoît nous a raconté, avec la précision élégante du professeur, les travaux et la vie d'Hogarth.

Boucher.



Ce n'est plus le professeur, c'est le lettré de la nouvelle école, épris de tours originaux, que nous trouvons en M. Gustave Kahn. Sa forme, du reste, s'adapte merveilleusement à la peinture de Boucher. Le souci de bien dire et de ne pas s'exprimer comme tout le monde n'empêche pas M. Kahn de se livrer aux recherches les plus scrupuleuses. François Boucher naquit à Paris, le 29 septembre 1703, rue de la Verrerie, d'un père dessinateur en broderies. Il fut l'élève de Lemoyne, mais se laissa fortement impressionner par Watteau. En Italie, dont il entreprit le traditionnel voyage, il éprouva un goût très vif pour Tiepolo. De 1731 à 1733, il devient «décorateur habile, peintre des coquetteries et des élégances de l'amour, amoureux du léger et du joli». Il illustre Molière de trente-trois dessins (1734), crée dix grandes vignettes pour Acajou et Zirphile de Déclos, fait des cartons de tapisseries et, avec Renaud et Armide, est reçu à l'Académie en 1734. L'année précédente il avait épousé Marie-Jeanne Buseau, jolie blonde de dix-sept ans, dont La Tour nous a laissé un portrait. Cette jeune femme, artiste elle-même, gravant les oeuvres de son mari, devint son type de beauté et paraît dans toute sa peinture. Oudry, appelé à diriger, avec Nicolas Bernier, la manufacture de Beauvais, fait appel au maître-décorateur Boucher. Avec une belle entente de l'ordonnance de l'oeuvre, M. Kahn a parfaitement divisé les productions de l'artiste en pastorales, mythologies, chinoiseries. Si l'on excepte les cris de Paris, parmi lesquels ce chef-d'oeuvre de mouvement et de vie: Balais! balais! et quelques fantaisies comme les Faiseurs de bulles de savon, la Buveuse de lait, et des décors d'opéra, presque tout est compris dans les catégories principales si ingénieusement marquées par M. Kahn. Mais partout, soit qu'il représente Vénus, soit qu'il nous montre des Chinoises de rêve prenant le thé, c'est toujours la femme parisienne qui apparaît. Ses tableaux, semés d'amours, sont une fête éternelle. Il fut le favori de Mme de Pompadour dont il fit sept fois le portrait, en même temps qu'il peignait sa fille, Alexandrine d'Étioles. Dans le luxe et l'aisance, il s'éteignit en mai 1770. En chacun des volumes de la collection des Grands Artistes, vingt-quatre reproductions éclairent le texte du critique historien.

Le poinct de France.



Le dix-septième siècle usait beaucoup de dentelles et pour les habits féminins et pour les costumes des hommes, si bien qu'une partie notable de l'argent français passait en Italie, à Venise, à Gênes, à Raguse. Pour arrêter cet exode, Colbert fit rendre par Louis XIV la déclaration du 12 août 1665 créant des manufactures de poinct de France. Pour que ces produits ne fussent pas inférieurs, il en établit, d'après un code draconien, les modèles, les types, les mesures, les qualités. Avec savoir, Mme de Laprade nous initie à l'oeuvre de Colbert; elle nous raconte ce que fut la dentelle--le poinct de France--dans des villes comme Argentan, Alençon, Valenciennes, et quelles familles se tinrent à la tête de cette charmante industrie française. Son livre, d'une belle érudition, est précédé de quelques pages, fort littéraires, de M. Henry Lapauze.

Les Primitifs Français.



Ce volume paraît au moment où je termine cet article: c'est son auteur, M. Henri Bouchot, qui organisa, il y a quelques mois, l'Exposition des primitifs français. Plein de renseignements, son livre a cependant, avant tout, l'allure d'une thèse. Non sans le prouver, M. Bouchot nous affirme qu'il y eut, à l'origine, avant ce qu'il appelle la Renaissance décadente, un art bien français, échappant complètement à l'influence italienne et d'autant mieux à l'influence flamande qu'il précédait les Van Eyck. Ceux-ci même durent une partie de leur génie au contact de l'art flamand avec l'art français, son précurseur. Peu s'en faut même que M. Bouchot ne fasse des deux célèbres frères des fils de l'Ile-de-France. Bien qu'ils soient nés à Maeseyck, ce sont pour lui, semble-t-il, des Parisiens. Cela vaut à M. Bouchot, dont la pensée a déjà débordé en certaines revues, les anathèmes de M. Huysmans, dans le superbe livre: Trois Primitifs (Vanier). A la fin du treizième et au commencement du quatorzième siècle, M. Bouchot nous montre des oeuvres françaises, d'une liberté, d'une vie sans pareilles. Près de Mahaut d'Artois, petite-fille de Louis VIII et nièce de saint Louis, née vers 1275, paraissent deux artistes: Etienne d'Auxerre et Evrard d'Orléans. Ils la suivent de Paris et de Conflans à Hesdin, sa résidence favorite. Jacques de Boulogne, formé par Etienne d'Auxerre, et son fils Laurent travaillent à Hesdin. Ainsi Paris et l'Ile-de-France, se transportant vers le Nord et dans le voisinage des Flandres, exercèrent sur les Néerlandais une véritable action artistique.

Plus tard, en plein quinzième siècle, des maîtres bien français comme Jean d'Auteuil, Girard d'Orléans, qui mourut en 1378, donnent des marques de leur talent tout personnel. Vers 1374, trente ans avant l'Agnus Dei de Gand, se place le Parement de Narbonne, du Louvre, avec les scènes de la Passion et le Divin Jardinier. A la cour de Dijon, Jean de Troyes peint à l'huile, quand l'auteur présumé de la peinture à l'huile, Hubert Van Eyck, n'a que trois ans. Ce dont M. Bouchot poursuit à chaque ligne la démonstration, c'est que les Van Eyck ne sont pas des initiateurs et que les Français les ont devancés et enseignés.

De l'art parisien, pur à l'origine, transformé un peu ensuite sous la direction du duc de Berri et par les apports lombards, sont sortis les Flamands de Bruges et parallèlement les Tourangeaux avec Jean Fouquet, les Auvergnats, les Lyonnais et les Avignonnais.

Avec une vigueur toute franc-comtoise, M. Henri Bouchot a présenté ces Opinions.
E. LEDRAIN.



ONT PARU:

ROMANS.--Exploits de Tom Sawyer, détective, par Mark Twain. In-18, Mercure de France, 3 fr. 50;--Place aux géants, par H-.G. Wells, traduction H. Danay. In-18, d°, 3 fr. 50.--Princesse Helga, par Opale. In-18, Flammarion, 3 fr. 50.--La Route s'achève, par Jean Saint-Yves, in-18, Ollendorff, 3 fr. 50.

LITTÉRATURE.--Le Général Choderlos de Laclos, (1751-1803), d'après des documents inédits, par Emile Dard. In-8°, Perrin, 5 fr.;--Choix d'oeuvres en prose de G. Leopardi, traduction de Mario Turiello. In-18, d°, 3 fr. 50.--Le Rêve d'un siècle (Victor Hugo-Richard Wagner), par Joseph Baruzi. In-18, Calmann-Lévy, 3 fr. 50. --Nietzsche et la Réforme philosophique, par Jules de Gaultier. In-18, Mercure de France, 3 fr. 50;--Soirées du Stendhal Club, documents inédits, par Casimir Stryienski. In-18, d°, 3 fr. 50. --Rétif de la Bretonne, avec notice et portrait. In-18 de la Collection des plus belles pages, Mercure de France, 3 fr. 50;--Gérard de Nerval, avec notice et portrait, in-18, d°, 3 fr. 50.

LES THÉÂTRES


AUX VARIÉTÉS.--"La Petite Bohème": scène finale du 3° acte.

Le nouveau poème lyrique de M. Saint-Saëns, Hélène, ne comptera pas parmi les meilleurs ouvrages du célèbre compositeur; on y retrouve néanmoins sa maîtrise habituelle dans le maniement des voix et de l'orchestre, et quelques belles envolées lyriques témoignent de la verdeur de son inspiration. Pour accompagner cet ouvrage, fort court, l'Opéra-Comique a repris Xavière, de M. Th. Dubois, un opéra comique aimable, bien écrit, et dans un style élevé quoique dénué de prétention.

La Ville de Paris et le Concert Colonne ont donné deux très belles auditions de la Croisade des Enfants, légende musicale adaptée du poème de Marcel Schwob; nous avons publié, avec notre dernier numéro, un fragment de cette oeuvre: il nous sera permis, quoique M. Gabriel Pierné soit notre collaborateur, d'en dire tout le mérite. La haute inspiration, la parfaite ordonnance et l'unité de sentiment qui distinguent sa partition en font une oeuvre d'art de premier ordre.

De la musique à la poésie il n'y a qu'un pas. Au surplus, est-ce encore par des qualités d'ordre musical que M. G. d'Annunzio charme et séduit dans sa Gioconda, représentée par «l'Oeuvre» au Nouveau-Théâtre. A travers l'excellente traduction de M. G. Hérelle, on perçoit nettement les riches sonorités de l'original. Dans ses chants passionnés où l'art et la beauté de la femme sont exaltés et confondus. M. d'Annunzio nous fait entendre des accents vraiment nouveaux et d'une beauté supérieure. On a moins goûté le sujet même de la tragédie, sujet encombré de détails étranges ou par trop naïfs. Le voici en deux mots: un sculpteur sacrifie sa femme qu'il aime au modèle féminin qui est l'inspiratrice de ses oeuvres. L'histoire ne nous dit pas que Léonard de Vinci ait perdu la raison en peignant sa Joconde. Dans la Gioconda de M. d'Annunzio, le statuaire Lucio--supérieurement représenté par M. Burguet--nous apparaît un pur détraqué dont l'étrange folie semble inexplicable et n'éveille aucune sympathie.

Nous publions dans ce numéro l'Instinct, drame concis et poignant que M. Kistemaeckers a fait jouer au théâtre Molière; «Disons seulement qu'il a beaucoup plu au public et à la presse. La pièce de M. Arthur Bernède, jouée au même théâtre, la Soutane, met en cause le secret de la confession et conclut que ce secret est fait pour être violé; le talent ne manque pas dans cette oeuvre un peu trop déclamatoire et d'une logique contestable.

Nous arrivons aux pièces gaies de la semaine. Les Merlereau, comédie de M. G. Berr, où il est, fait une grande dépense d'esprit, nous montrent des bourgeois fêtards que désole la bonne conduite de leur fils Pascal. Gaie au premier acte, cette histoire tourne un peu à la mélancolie vers la fin, malgré l'excellente interprétation qu'en donnent les acteurs des Bouffes-Parisiens. M. Huguenot en tête.

Si la pièce de M. G. Berr est par trop sérieuse, on peut reprocher à certaines scènes du vaudeville de MM. Kéroul et Barré, le Chopin, au Palais-Royal, d'outrepasser les bornes de la décence, si élargies qu'elles aient été par le relâchement des moeurs théâtrales à notre époque; mais le public paraît s'y amuser.

Aux Variétés enfin, la Petite Bohème, livret de M. Paul Ferrier, musique de M. Hirchmann, où sont mis en scène une fois de plus les personnages de Henri Murger, a obtenu un succès rappelant celui des grandes opérettes d'autrefois: la musique en est aimable, chantante, d'une gaieté et d'un entrain sans pareils.

LE NOUVEAU MINISTÈRE

M. ETIENNE
Ministre de l'intérieur. Né en 1844. Député d'Oran (2e circonscription.)
M. CHAUMIE
Ministre de la justice. Né en 1849. Sénateur de Lot-et-Garonne.
M. GAUTHIER
Ministre des travaux publics. Né en 1850. Sénateur de l'Aude.
M. DELCASSE
Ministre des affaires étrangères. Né en 1852. Député de Foix (Ariège), ministre des affaires étrangères depuis le 28 juin 1898.


M. THOMSON
Ministre de la marine. Né en 1848. Député de Constantine (2e circonscription.)
M. MAURICE ROUVIER
Président du conseil, ministre des finances.
Né en 1842. Sénateur des Alpes-Maritimes.
M. BERTEAUX
Ministre de la guerre Né en 1852. Député de Versailles (1re circonscription.)


M. DUBIEF
Ministre du commerce. Né en 1850. Député de Mâcon (1re circonscription).
M. CLEMENTEL
Ministre des colonies.
Né en 1860. Député de Riom (Puy-de-Dome).
M. BIENVENU-MARTIN
Ministre de l'instruction publique et des cultes.
Né en 1807. Député d'Auxerre (Ire circonscription).
M. RUAU
Ministre de l'agriculture. Né en 1865. Député de Saint-Gandens (2e circonscription).


M. BERARD
Sous-secrétaire d'État aux postes. Né en 1859. Député, de Trévoux (Ain).
M. DUJARDIN-BEAUMETZ
Sous-secrétaire d'État aux beaux-arts. Né en 1852. Député de Limoux (Aude).
M. MERLOU
Sous-secrétaire d'État aux finances. Né en 1849. Député d'Auxerre (2e circonscription).

Photographies Anthony's, Benque, Paul Boyer, Gerschell, Nadar, Otto, Pirou, Walery.



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LA SCIENCE RÉCRÉATIVE

Solution du dernier numéro.
Nº 1987.--Mot carré de huit mots.

                                 D É L I B É R É
                                 É G A R A M E S
                                 L A P I D O N S
                                 I R I S A N T E
                                 B A D A U D A T
                                 É M O N D E N T
                                 R E N T A N T E
                                 É S S E T T E S

[Note du transcripteur: Les suppléments ont, pour la plupart, été perdus; ils ne sont d'ailleurs pas contenus dans les éditions reliées de 26 numéros.