The Project Gutenberg eBook of Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Tome Sixième

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Title: Correspondance diplomatique de Bertrand de Salignac de la Motte Fénélon, Tome Sixième

Author: active 16th century seigneur de La Mothe-Fénelon Bertrand de Salignac

Release date: December 17, 2012 [eBook #41644]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CORRESPONDANCE DIPLOMATIQUE DE BERTRAND DE SALIGNAC DE LA MOTTE FÉNÉLON, TOME SIXIÈME ***

Notes de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.

Sur la page 456, l'expression Vc signifie que le chiffre romain doit être multiplié par cent. Le symbol #, qui suit, pourrait représenter une «lire», car il est suivi du mot «d'esterling» et c'est sous le nom de «lire» que le livre sterling était connu à l'époque en France.

CORRESPONDANCE
DIPLOMATIQUE

DE

BERTRAND DE SALIGNAC
DE LA MOTHE FÉNÉLON,
AMBASSADEUR DE FRANCE EN ANGLETERRE
DE 1568 A 1575,

PUBLIÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sur les manuscrits conservés aux Archives du Royaume.

TOME SIXIÈME.
ANNEÉS 1574-1575.

PARIS ET LONDRES.


1840.

RECUEIL
DES
DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES

Des Ambassadeurs de France
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE,

Conservés aux Archives du Royaume,
A la Bibliothèque du Roi,
etc., etc.,

ET PUBLIÉS POUR LA PREMIÈRE FOIS
Sous la Direction
DE M. CHARLES PURTON COOPER.


PARIS ET LONDRES.


1840.

DÉPÊCHES, RAPPORTS,
INSTRUCTIONS ET MÉMOIRES
DES AMBASSADEURS DE FRANCE
EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE
PENDANT LE XVIe SIÈCLE.

LA MOTHE FÉNÉLON.

Imprimé par BÉTHUNE et PLON, à Paris.

A
MR HENRI HALLAM
COMME TÉMOIGNAGE D'ADMIRATION
POUR SES OUVRAGES HISTORIQUES
ET COMME GAGE
DE RECONNAISSANCE POUR DE NOMBREUX SERVICES PERSONNELS.
CE VOLUME LUI EST DÉDIÉ
PAR
SON TRÈS-FIDÈLE ET TRÈS-OBLIGÉ SERVITEUR
CHARLES PURTON COOPER.

1

DÉPÊCHES
DE
LA MOTHE FÉNÉLON

CCCLIXe DÉPESCHE

—du Ve jour de janvier 1574.—

(Envoyée exprès jusques en la court par Jacques.)

Audience.—Négociation du mariage.—Desir d'Élisabeth de prendre l'avis des princes protestans d'Allemagne.—Demande de nouveaux délais.—Avis d'une entreprise projetée contre la France.—Nouvelles d'Écosse et d'Irlande.

Au Roy.

Sire, le deuxiesme jour de ce moys de janvier, j'ay esté faire les compliments du nouvel an à la Royne d'Angleterre, et luy dire que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, le luy souhaitoient très bon, voyr le meilleur qu'elle eût encores eu, depuis, ny auparavant estre Royne; et que vous desiriés, de bon cueur, que ce fût, en cestuy cy, auquel il pleût à Dieu de changer la solitude, où elle avoit tousjours vescu, en ung soulas d'une très douce et desirée compagnye d'ung jeune et vertueux prince, qui luy fît trouver les années à venir encores plus heureuses et plaines de félicité que les passées; et que vous n'aviez aujourdhuy aulcune chose au monde en plus grande affection que de pouvoir bientost ouyr la responce, qu'après le retour de Me Randolphe, elle vous voudroit faire; dont me commandiés d'incister, aultant qu'il me seroit possible, 2 de l'avoir, du premier jour, et de l'avoyr ainsy bonne comme la desiriés, et comme l'honneste et persévérant desir de Monseigneur vers elle le méritoit. Et ay adapté à cella les aultres propos que j'ay trouvés ès lettres de Vostre Majesté, du VIIIe et XXIIe du passé, sellon que j'ay veu qu'ilz y pouvoient convenir.

A quoy la dicte Dame m'a respondu qu'elle recevoit ces bons et honnestes souhayts, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy faisiés, pour la meilleure estrayne, et le plus précieulx et agréable présent, qui luy pouvoit estre faict, à ce commancement d'année; dont vous en remercyoit le plus qu'il luy estoit possible, et vous prioit, toutz deux, de vouloir aussi accepter d'elle ung semblable présent d'ung pur et parfaict desir qu'elle avoit à vostre bien et grandeur, et à la continuation de vos félicités, et que, sortant cella de son cueur, ainsy qu'elle s'assuroit que ce que luy aviés mandé partoit aussy du cueur de Voz Très Chrestiennes Majestez, elle pensoit que c'estoit chose à plus estimer, que si, de chascun costé, eussiés mis la main au cabinet de voz meilleures bagues, pour vous entre envoyer celles qui eussent esté de plus de pris; et qu'il estoit très raysonnable qu'elle vous fît bientost sçavoir la responce qu'attandiés maintenant d'elle, laquelle elle ne vous vouloit nullement différer, et me prioit seulement de luy donner deux ou troys jours de terme pour en dellibérer avec ses conseillers, desquelz l'absence des ungs, et la maladye des aultres, estoit cause qu'elle n'y avoit peu vacquer, durant ces festes, ainsy qu'elle me l'avoit promis; et qu'il pourroit estre que cepandant arriveroient les ambassadeurs des princes protestants d'Allemaigne, desquelz s'estoit entendu qu'ilz vouloient envoyer vers elle intercéder pour le propos 3 de Monseigneur; en quoy, encor qu'elle ne voulût estre veue dépandre tant d'eux, qu'on cuydât qu'elle fût en leur tutelle, si estimoit elle que leur office, en cest endroict, ne pourroit estre sinon bien honnorable pour les deux costés; et pourroit, en plusieurs choses, parce qu'ilz estoient de la mesme religion de ce royaulme, beaucoup servir à rendre agréable, et plus approuvé le mariage vers toutz ses subjects.

J'ay répliqué qu'après les aultres grands dellays qu'elle avoit desjà prins en cest affaire, je craignois que celluy qu'elle demandoit maintenant, encor que ne fût que de troys jours, vous semblât intollérable; car pensiés qu'elle eût desjà sa responce toute preste, pour la vous pouvoir incontinent mander, sans estre besoing qu'elle l'allât rechercher d'aultruy; et qu'au moins la priois je que, dans ceste feste des Roys, il luy pleût me la faire ainsy royalle comme il convenoit à la Royne qui la feroit, et aulx Roys et princes à qui elle seroit faicte; et qu'encor que rien du propos n'eût à dépendre d'ung tiers, si, pensois je, vous n'auriés mal agréable que les princes d'Allemaigne envoyassent icy leurs ambassadeurs, car les sentiés de si bonne inclination vers vous qu'ilz n'y procureroient que l'effect de ce que desiriés.

Elle m'a respondu que je cognoissois assez l'humeur de deçà, comme rien ne s'y pouvoit expédier sans cérymonie; dont ne me debvois tenir graivé qu'elle m'eût encores demandé ce peu de temps, et qu'elle ne sçavoit de certain si les princes d'Allemaigne envoyeroient icy, mais qu'elle sentoit bien qu'il ne seroit que bon qu'ilz le fissent.

Et est ung poinct, Sire, qu'elle a monstré qu'elle le desiroit bien fort, et qu'elle auroit grand plaisir qu'en fissiés 4 faire quelque instance, soubz main, ainsi que le comte de Lestre me l'a confirmé; et peut estre que c'est ce qui la faict ainsy temporiser maintenant, ou bien pour entendre mieulx comme il va du faict de la Rochelle, car ceulx de ce conseil en sont toutz en grand suspens, ou bien pour attandre l'arrivée du gentilhomme que le nouveau gouverneur de Flandres envoye vers elle, qui sera icy à la fin de ceste sepmayne, et bientost après le suyvront, à ce que j'entends, le Sr de Forges et le Sr de Sueveguen, conseillers d'estat du pays, pour venir radresser l'entrecours, et accommoder les aultres différants d'entre les Angloys et les subjects du Roy d'Espaigne. Or ay je, Sire, au partir de la dicte Dame, bien estroictement conféré avec le garde des sceaulx, et avec le comte de Sussex, avec l'admiral, et avec Mr Walsingam, lesquelz m'ont uzé de beaucoup de bonnes parolles; et puis, suis allé voyr, en passant, milord trésorier, en son lict, qui m'en a uzé encores de meilleures. Mais il m'a bien donné à cognoistre que l'accidant de la Rochelle venoit mal à propos, par ce, dict il, qu'il ne falloit s'attandre que la conclusion du mariage se fît, sinon en concluant une parfaicte union entre les deux royaumes, et faysant une communication des conseils et des forces des deux, pour résister à toutz ceulx qui voudroient nuyre ou à l'ung ou à l'aultre; et qu'il n'estoit possible que cella se fît, si Vostre Majesté ne pourvoyoit que ceulx de la nouvelle religion peussent vivre en France, non en la licence que, possible, ilz voudroient, mais en la seureté de leurs vies, et honneste liberté de leurs consciences, soubz la modération que vos édicts leur ordonnoient. Je solliciteray, à toute heure, la susdicte responce; et Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, y ayderez s'il vous plait de dellà, sellon 5 qu'aurez prins expédient de le faire sur les advis que, par le Sr de Sabran, je vous ay mandés.

Voicy, Sire, ung advis qu'on me vient de donner. Il a esté mis en dellibération, entre aulcuns passionnés de la nouvelle religion, que, de tant que ceulx de la Rochelle s'apperçoyvent maintenant qu'il y a de la division entre eulx, et qu'ilz sont en plus dangereux estat que quand ilz estoient assiégés, l'hautorité du mayre n'estant pour y tenir longuement les choses en modération, qu'ilz doibvent estre persuadés de recevoyr en leur ville quelque force et garnison des Angloys; et que, se trouvant les pays d'Aulnis, de Poictou, de Saintonge, d'Angoulmoys, et aultres endroicts de la Guyenne, intéressés en la même cause, qu'il sera facille de passer oultre en pays, et y mettre si bien le pied qu'il ne sera aysé de l'oster, accordant mesmement aulx habitans du pays de leur renouveller leurs anciennes immunités et franchises; et que cella commançoit de se mener bien à l'estroict, et bien fort secrettement, de peur qu'il n'en vînt quelque chose à ma notice. Qui ne sçay encores, Sire, s'il a esté ainsy proposé à ceste princesse, mais l'on m'a bien fort assuré qu'il a esté mis en avant à aulcuns de son conseil, lesquels l'ont grandement gousté; et pourtant semble expédient que Vostre Majesté envoye promptement rassurer les dicts de la Rochelle en quelque si bonne façon, qu'ilz n'ayent à desirer ny rechercher aulcune sorte de nouvelleté en leur ville.

Quand à l'Escoce, le comte de Morthon a naguyères faict exécuter ung hermestran qui a chargé le comte d'Honteley, Baffour, le feu comte d'Arguil et le mesme Morthon, d'estre copables de la mort du feu Roy d'Escosse; de quoy l'on soupçonne qu'il se pourra renouveller du 6 trouble au pays. Au regard de l'Irlande, le vray comte d'Esmond a tant faict qu'il a mis des forces en campaigne, et a reprins presque tout son estat sur le bastard qui le luy usurpoit, et qui estoit maintenu par les Angloys, et a prins le mesme bastard et sa femme prisonniers. Et ayant Fitz Maurice aussy soublevé ung aultre quartier du pays, et prins quelques forts, il s'est joinct à luy avecques ses troupes; et attandent du secours d'Espaigne, où le dict Fitz Maurice a envoyé son filz pour ostage; et le comte d'Essex a esté bien mal traicté au quartier où il est descendu. L'on traicte, en ce conseil, d'y envoyer promptement quatre cappitaines avec les soldats qui sont naguyères revenus d'Ollande, et d'y faire passer le comte d'Ormont, bien que, pour estre naturel du pays, l'on l'a aulcunement suspect, et, avec luy, milord Rich et Me Parait. Et m'a quelqu'ung faict sentir que ceste princesse auroit grand playsir que vostre ambassadeur, qui est en Espaigne, veillât ung peu sur les actions de Estuqueley et du filz du dict Fitz Maurice, affin de l'esclarcyr en ce qui se brassera par dellà contre elle. Sur ce, etc. Ce Ve jour de janvier 1574.

CCCLXe DÉPESCHE

—du XIIe jour de janvier 1574.—

(Envoyée par le cappitaine Mazin d'Albène.)

Explications sur l'entreprise tentée contre la Rochelle.—Assurances données par le roi que l'édit de pacification sera maintenu.—Négociation du mariage.—Protestation de dévouement de l'agent de la Rochelle.—Efforts de l'ambassadcur pour empêcher les Anglais de former une entreprise contre la France.

Au Roy.

Sire, la dépesche de Vostre Majesté, du XXIXe du passé, 7 laquelle le cappitaine Mazin m'a rendue le VIIIe d'estui cy, m'a esté ung argument tout à propos pour aller trouver ceste princesse, à laquelle j'ay faict entendre que les choses de la Rochelle avoient passé et estoient maintenant en l'estat que me l'avez mandé, et luy en ay faict voyr le mémoire que j'en ay trouvé dans vostre pacquet, ensemble ung extraict de celle partye de vostre lettre qui en parle en très bonne façon. Et ay estimé, Sire, qu'il estoit expédient d'en uzer ainsy, parce que je sçavoys bien que desjà l'on en avoit parlé, tout aultrement que de ce qui est, à la dicte Dame; et que ceulx, qui craignent le succès du propos de Monseigneur le Duc, luy avoient discouru que vostre lieutenant en Poictou n'eût jamays ozé attempter à la surprinse de ceste ville, ny à rompre vostre édict, ny n'eussent, deux ou trois des compagnyes de voz ordonnances, marché jusques bien près du lieu, sans commandement de Vostre Majesté; et avoient faict, de cella et de l'armement qu'ilz disent qui s'appreste en Normandie, et de la prinse de huict ou dix navyres angloys qui ont esté nouvellement combatus, à leur retour de Bourdeaulx, par des navyres françoys qui les ont ammenés, une grande déduction à la dicte Dame pour luy imprimer que, en nulle sorte, se pourra jamays bien establir amityé, aulmoins qui soit de durée, entre Vostre Majesté et les Protestants; dont, par les arguments que je luy ay admenés au contrayre, qui ont esté les plus vifs que j'ay peu, j'estime luy avoir beaucoup diminué ceste opynion.

Néantmoins, de ces accidants et de ce que, possible, son ambassadeur luy a escript, elle a encores ceste foys différé de me faire sa responce, bien que je l'en aye extrêmement pressée, et que mes instances n'ont esté petites, et que je 8 sçay bien que, dès devant hier, ses conseillers luy avoient, là dessus, donné leur advis conforme, ainsy que j'entends, à ce qu'ilz avoient tousjours conseillé: qu'elle se debvoit marier et qu'elle debvoit entendre à cest honnorable party de Monseigneur, pourveu qu'elle s'en peult complayre. Mais elle m'a remis à Hamptoncourt, s'excusant que, à cause que le souspeçon de peste la contreignoit de partir trop soubdain d'icy, et qu'aulcuns de ses conseillers estoient absants, elle ne me pouvoit résoudre, jusques à ce qu'elle fût au dict lieu, mais que, sans aulcun doubte, elle me résoudroit, dans ceste procheyne sepmayne, sans plus de remises. Et je vous supplye très humblement, Sire, de croyre que je ne perds heure, ny momant, de la sollicitation qui se peut mectre en cest affère; et, encor que la lettre de crédict ne soit poinct arrivée, je n'ay layssé de faire valoir, le mieulx que j'ay peu, l'assurance, que m'avez mandée, que me l'envoyeriés. Et ay dict à milord trésorier et au comte de Lestre que vous ne vouliés prescripre à l'ung ny à l'aultre ce qu'entendiés de fère pour eulx, car dellibériés de commettre aultant que montoit la mesmes personne et la grandeur et la fortune de Monseigneur, vostre frère, le tout en leurs meins, et que leur loyer surmonteroit indubitablement et vos promesses et leur espérance; mais qu'en l'endroict des personnes, ès quelles ilz estimeroient estre bon d'uzer quelque présente libéralité, qu'ilz la promissent ardiment pour vous, car vous y satisfferiés entièrement, et me feriés venir jusques à cinquante et soixante, et cent mille escus pour y fournir à leur discrétion, ce qui n'a esté prins que de très bonne part. Et à quelques aultres propos, bien esloignés de cella, j'ay sondé le Sr Acerbo s'il auroit moyen de fournir, icy, de 9 l'argent; qui m'a dict qu'il fournira tousjours, en ceste ville, jusques à cent mille escus, sur la lettre du Sr Orace Russelin et sur celle du sieur Jehan Baptiste Gondy, et qu'il ne fault sinon qu'on accorde de quelque assignation par dellà avec l'ung d'eux pour estre rembourcé, au cas que leur crédict soit employé icy, et que, s'il ne l'est poinct, l'on leur rendra leur lettre. De quoy j'ay desjà prins parolle du dict Sr Acerbo.

Et après, Sire, que j'ay eu communiqué à la Royne d'Angleterre et aulx seigneurs de son conseil ce que m'avés mandé de la Rochelle, je l'ay faict sçavoyr aulx gentilshommes et aultres vos subjects qui sont icy, desquelz y en y a eu qui n'ont peu contenir les larmes du grand ayse, qu'ilz ont receu, de la déclaration de Vostre Majesté, et de ce que leur voulés maintenir vostre édict; ny pas ung d'eulx n'a dict, ny monstré semblant aulcun, de vouloir devenir aultres que très humbles et très obéissantz subjectz de Vostre Majesté. Et l'agent de la Rochelle, sur toutz, s'est resjouy de la susdicte déclaration, et m'a instamment requis de vous supplyer très humblement, Sire, qu'il vous playse ne croyre que, de la part de ceulx de sa ville, ny en général, ny en particullier, il soit venu aulcun advertissement, ny plaincte, ny remonstrance de ce faict en ceste court; et que seulement ung homme qui estoit présent, quand les choses furent descouvertes, estant, d'avanture, arrivé icy pendant le premier bruict qui en couroit, il a esté appellé devant le comte de Lestre pour dire ce qu'il en sçavoit; et qu'il me promettoit, devant Dieu, qu'il ne s'estoit traicté ny se traicteroit rien, icy, par ceulx de sa ville, qu'il ne m'en fît participant, affin que je fusse tesmoing que leurs déportements n'estoient que de loyaulx et fidelles 10 subjects de Vostre Majesté. Par quoy je luy ay permis de fère sçavoir à ceulx de sa ville la façon dont Vostre Majesté avoit escript, par deçà, de ce faict.

J'ay mis toute la dilligence, qu'il m'a esté possible, et ne cesse encores par les meilleurs moyens, que je puis, de destourner celle dellibération, que je vous ay mandée qu'on mettoit en avant, touchant la dicte ville de la Rochelle et ce quartier de la Guyenne qui est entre la Loyre et la Garonne, et pense avoyr faict quelque commancement de la divertyr. Néantmoins, parce que ceulx de la nouvelle opinyon ne se peuvent encores bien rassurer de ces rescentes souspeçons, et que ceulx cy arment et équippent navyres et font quelque description de gens de guerre, pour envoyer, ainsy qu'ilz disent, en Irlande, je supplye très humblement Vostre Majesté de fère advertyr, secrettement, les gouverneurs, tout le long de vostre coste, qui regarde la mer de deçà, qu'ilz ayent à se tenir sur leurs gardes, bien qu'on ne m'a jamays annoncé icy plus de paix ny d'amityé qu'on faict maintenant. Et sur ce, etc.

Ce XIIe jour de janvier 1574.

11

CCCLXIe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour de janvier 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Mission du baron d'Aubigny, envoyé en Angleterre par le roi d'Espagne.—Négociation des Pays-Bas.—Affaires d'Irlande.—Nouvelles de la Rochelle.—Inquiétudes causées à Londres par les armemens préparés en France et les nouvelles prises faites par les Bretons.—État de la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, le baron d'Aubigny, de Bourgoigne, est ce gentilhomme que le grand commandeur de Castille a envoyé devers ceste princesse, lequel parle assez bien le langage de ce pays, car il a esté nourry page de la feue Royne Marie d'Angleterre, et est arrivé, le XIIIIe de ce moys, en ceste ville, et, le troysiesme jour après, il a passé oultre à Hamptoncourt. Les deux commissayres des Pays Bas, qui estoient avecques luy, sont encores, derrière, à Donquerque, parce qu'ils n'ont voulu passer deçà sans ung saufconduict de la dicte Dame, laquelle le leur dépescha hier; et ilz seront, de brief, icy, pour vacquer quelques moys à radresser l'entrecours, et accorder les différants des prinses, s'ils peuvent. Je ne sçay encores comme l'affère leur succèdera.

Les quatre cappitaynes, qui doibvent aller en Irlande, ont faict la monstre de leur huict centz hommes, et ont touché deniers. Ilz s'achemineront dans deux ou trois jours; et j'entends qu'on les haste ainsy de partir, parce qu'il est venu nouvelles que les Angloys ont esté, de rechef, bien battus de dellà, et l'ung des filz du milord Housdon tué, et que le comte d'Essex est asssiégé en ung destroit de pays, où, s'il n'est secouru dedans ung moys, il sera contrainct de 12 se rendre; et a mandé que le comte d'Esmond a faict ligue avec trois aultres comtes du pays, qui dellibèrent de mettre chacun dix mille hommes en campaigne, à ce prochain printemps, oultre le secours qu'ilz attandent de Mac O'Nel l'escossoys. Dont ceulx cy se trouvent assés empeschés comme remédier à cest affère, et mesmement qu'on leur mande que les Irlandoys, lesquels on disoit que s'enfouyeroient à la première harquebouzade qu'ilz orroient, se monstrent aultant ou plus assurés harquebouziers que les Angloys, dont souspeçonnent qu'il y ayt des françoys et hespaignols parmy eulx, qui les dressent ainsy et qui les conduysent.

Quand au faict de la Rochelle, ce qu'il vous a pleu, Sire, dernièrement m'en escripre, a faict que, en ceste court, ny parmy les Angloys, ny encores parmy voz subjects qui sont icy, l'on n'en parle plus de la façon qu'on faysoit, et que chascun commance de se proposer des considérations fort apparantes pour juger que l'entreprinse n'a esté dressée, ny du sceu ny du commandement de Voz Majestez Très Chrestiennes. Il est vray que, en l'endroict des ungs, ny en l'endroict des aultres, parce qu'ilz sont touts assés ombrageux et deffiants, je ne puis, pour encores, advancer guyères que de les fère demeurer paysibles, et sans rien mouvoir, jusques à ce qu'ils voyent comme les choses procèderont, et comme ceulx de Languedoc se réduyront, et qu'est ce que résultera de ceste assemblée de conseil que Vostre Majesté tient maintenant à St Germain en Laye, car monstrent que, jusques allors, ilz ne pourront guyères bien déposer la crainte et l'espouvantement où ilz sont. Et si, m'a t on, depuis deux jours, Sire, confirmé cella mesmes, que je vous ay naguyères mandé, touchant 13 recevoir des forces d'Angleterre en ce quartier de la Guyenne qui est entre Loyre et Garonne, et susciter là une grande révolte contre Vostre Majesté. En quoy, encores que je n'espère estre si endormy, si l'on en venoit à des actes prochains, que je ne vous en puisse bien advertyr, si vous suppliè je très humblement, Sire, de faire cepandant sonder, par vos lieutenants et gouverneurs, s'il y a estincelle aulcune de telle impression ès cueurs de voz subjects au dict pays; car je confesse que cest advis me vient d'ung endroict, d'où, d'aultres foys, l'on m'a interpretté les actions de ceulx de la nouvelle religion en tout aultre sens que je ne l'ay, puis après, peu vériffier, ny qu'il ne s'est à la fin trouvé.

Tant y a que ceste princesse ne m'a peu dissimuler qu'on n'ayt mis peyne de luy donner une malle impression de la prinse de ces dix navyres, qui a esté faicte sur ses subjects, en allant et retournant de Bourdeaulx, et de ce qu'on luy a dict que, dans la rivyère de Bourdeaulx, Vostre Majesté faict tenir deux grands navyres de guerre touts prets, et ung en Brouage, et quatre fort grands à Brest, quelque autre nombre à St Mallo, cinq au Hâvre de Grâce, sept à Dieppe, et vingt huict navires bretons, de cent et six vingts tonneaulx chacuns, à Callays, qui y sont depuis deux moys, et les gens de guerre toutz prets, en Picardye, pour les embarquer. A quoy, encor que je luy aye abondamment satisfaict, je sents néantmoins qu'on la veult, par là, mettre en allarme, affin que, de son costé, elle face aussy armer et mettre hors aulcuns de ses grands navyres de guerre, comme je ne fay doubte qu'on ne la conduyse facillement à cella; et que sir Artus Chambernan et Me Hacquens qui ont esté, ces jours passés, fort négociants en ceste court, 14 n'obtiennent aussy commission d'armer des vaisseaulx, vers le Ouest, pour courre ceste mer estroicte, ou pour estre prets à toutes occasions. A quoy j'auray l'œil le plus ouvert, que je pourray, pour en advertyr incontinent Vostre Majesté.

Au regard du propos de Monseigneur le Duc, j'attands, d'heure en heure, Sire, que la dicte Dame me face appeller à Hamptoncourt pour me bailler sa responce. Et le comte de Lestre m'a promis qu'il sera fort dilligent et soigneux de luy recorder qu'elle ne me la vueille plus prolonger; et encores, à toutes advantures, j'envoye le Sr de Vassal présentement devers luy affin qu'il ne l'oublye. Cepandant j'ay visité milord de Burgley, à son commancement de guérison, pour conférer de cest affaire avecques luy, lequel m'a pryé de presser, le plus que je pourray, icelluy affère, et que, nonobstant qu'il soit contredict de plusieurs, que je n'en veuille encores mal espérer. Sur ce, etc.

Ce XVIIIe jour de janvier 1574.

A la Royne

Madame, premier que la Royne d'Angleterre soit partie d'icy pour aller à Hamptoncourt, encor que ce ayt esté bien soudaynement et à la haste, je l'ay néantmoins fort pressée, et faicte bien fort instamment presser, par milord trésorier et par le comte de Lestre, de me vouloyr fère sçavoyr la responce qu'elle entend fère à Voz Majestez Très Chrestiennes touchant le propos de Monseigneur le Duc, vostre filz; mais il ne m'a esté possible de tirer aultre chose d'elle, sinon que, dans peu de jours, elle me feroit appeler pour me la dire, et que, si elle se trouvoit maintenant 15 un peu longue à se résouldre en cella, qu'elle vous prioit, Madame, de vous souvenir que vous aviés bien esté six moys entiers sans luy mander rien de certain touchant l'entrevue; à l'occasion de quoy elle vous supplioyt qu'à ceste heure vous layssiés compenser la longueur de l'une avec celle de l'aultre. Et bien, Madame, que je n'aye deffally de responce là dessus, elle m'a néantmoins fort conjuré de ne me douloyr de ce petit dellay, qui luy faysoit encores besoing, car m'assuroit qu'il ne seroit long. Et le comte de Lestre a prins en luy de m'envoyer ung de ses gentilshommes pour m'advertyr proprement du jour que j'iray trouver la dicte Dame; mais, ne m'attendant du tout à cella, je viens de luy dépescher, tout à ceste heure, ung des miens, affin de le luy recorder. Et semble qu'elle ayt esté persuadée d'accomplir ce que le duc d'Alve desiroit en cest affaire, qu'elle ne conclûd rien avec Monseigneur, vostre filz, sans avoyr entendu quelz advantages l'on luy feroit proposer pour le filz de l'Empereur; et, possible, aulcuns, en ceste court, s'attendent que le baron d'Aubigny en mette quelque chose en avant, et qu'il ayt charge d'en parler. Et il est bien certain que, toutes les foys que Voz Majestez Très Chrestiennes ont faict attacher chaudement ceste praticque, que, du costé d'Espaigne, l'on n'a fally, soubz aultres prétextes, d'envoyer soubdain icy des ambassadeurs pour y donner tout l'empeschement qu'on a peu; tant y a qu'on me faict accroyre que debvés encores paciemment attandre ceste responce, sans vous désespérer de vostre pourchas.

Et milord Trésorier, avec lequel j'en ay, depuis deux jours, fort estroictement conféré, m'a dict que les adversayres du propos, encor qu'ilz soient en grand nombre, n'ont, jusques à ceste heure, peu prévaloyr contre la dellibération des 16 principaulx du conseil, qui sont fort bien résolus pour le mariage de leur Royne. Sur ce, etc.

Ce XVIIIe jour de janvier 1574.

CCCLXIIe DÉPESCHE

—du XXVIe jour de janvier 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Nouveaux retards apportés à la négociation du mariage.—Mission du baron d'Aubigny.—Communication faite par l'agent de la Rochelle.—Assurance donnée par l'ambassadeur que le roi ne veut rien attenter contre cette ville.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, le XXe de ce moys, à Hamptoncourt, pour presser ceste princesse de me vouloir fère sa responce sur le propos de Monseigneur le Duc, et elle a monstré qu'elle estoit preste de le fère, et que nulle difficulté, ny argument du passé, y donnoit plus d'empeschement, s'en estant elle, avec ceulx de son conseil, entièrement bien résolue; mais qu'il estoit survenu, de nouveau, aulcuns escrupules, aulxquels elle pensoit que Vostre Majesté pourroit facillement satisfère, lesquels iceulx de son dict conseil jugeoient estre expédient de les oster, premier qu'elle peût bien respondre. Et me les a fort amplement desduicts, et m'a dict qu'elle feroit promptement partir ung courrier, devers son ambassadeur, pour vous faire entendre le tout, affin que Vostre Majesté n'estimât que ceste remise fût sans beaucoup de fondement.

J'ay respondu à toutz ces escrupulles de la dicte Dame, et plus à ceulx dont j'estois adverty qu'elle estoit vifvement 17 touchée dans son cueur, qui estoient véritablement considérables, et desquels elle ne me faisoit poinct de mencion, que à ceulx dont elle me parloit; et l'ay fort adjurée de ne vouloir, pour cella, interposer plus de longueur en sa responce, de peur que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, ne l'interprétissiés à une manyère de deffaicte; et qu'il n'estoit besoing qu'elle envoyât en France, ny qu'elle attandît aulcune satisfaction de dellà, car ce que je venois de luy respondre pouvoit suffire à elle, et aux seigneurs de son conseil, pour demeurer bien esclarcys de toutz les dicts escrupulles.

Elle m'a réplicqué qu'elle me prioit donc de vouloir fère communicquation, à quelques ungs de son dict conseil, des articles de mes dépesches, que je luy venois de déduyre, affin qu'ilz en peussent prendre aultant de satisfaction qu'elle: comme j'ay faict à milord trésorier et au comte de Sussex. Et suys maintenant à poursuyvre, comme devant, la susdicte responce, laquelle j'espère avoyr bientost. Et pense, Sire, que, par le rapport, que le cappitaine Mazin vous aura faict, de la rigueur qu'on luy a tenue, au repasser en France, Vostre Majesté aura comprins d'où est procédé l'ung de leurs dicts escrupules, qui n'a esté si petit qu'ilz n'en ayent faict tenir les passages sérés, pour quelques jours, et faict surprendre beaucoup de pacquetz; dont encores quelques ungs des miens en ont esté retardés.

Le baron d'Aubigny, après avoyr esté, cinq jours, en ceste court, festoyé et caressé, et l'avoyr ceste princesse fort bénignement ouy, par deux foys, et luy avoyr baillé responce aulx troys lettres, qu'il luy a apportées, du duc d'Alve, du grand commandeur et des Estatz de Flandres, 18 car n'en avoit du Roy d'Espaigne, bien qu'on l'ayt voulu publier aultrement, il a esté favorablement licencié d'elle, avec présant d'une chayne de quatre centz escuz. Et aulcuns luy ont voulu toucher, en passant, qu'elle se vouloit, plus estroictement que jamays, confédérer avec le Roy d'Espaigne, et luy envoyer bientost ou le vicomte de Montégu, ou milord Sideney, et que seulement elle s'entretenoit avec Vostre Majesté pour gaigner temps. Néantmoins, le jour d'après, ung estranger, qui est icy, lequel est fort du party d'Espaigne et inthime amy de Gouaras, m'est venu chaudement rechercher d'une praticque, de laquelle je résous faire cy après mencion à Vostre Majesté; laquelle monstre bien qu'ilz procèdent entre eulx d'une grande deffiance, et que, nonobstant la venue des deux depputés des Pays Bas, qui semblent n'attandre que le retour du dict d'Aubigny à Dounquerque, pour passer deçà, ilz ne s'attandent guyères, de pas ung costé, qu'ilz puissent bien accomoder leurs différants.

Ceulx de la Rochelle, devers lesquels le comte de Montgommery avoit dépesché ung sien secrettère, pour leur donner compte des frays du secours qu'il leur avoit admené, durant ce siège, luy ont renvoyé en dilligence le dict secrettère.

Et despuis, l'agent de la Rochelle m'est venu dire, que, suyvant la promesse, qu'il m'avoit faicte, de me conférer tout ce qui surviendroit, icy, concernant ceulx de sa ville, il me vouloit bien advertyr qu'il avoit receu lettres d'eux, par lesquelles ilz luy confirmoient la vérification de l'entreprinse, qui avoit esté faicte, pour livrer eulx, et leur ville, à un misérable saccagement; non qu'on luy mandât que ce fût, du sceu ny du commandement de Vostre Majesté, mais 19 qu'ilz avoient évité ung très grand et manifeste danger; et estoient encores en quelque frayeur de ce que les garnisons, d'alentour d'eux, se grossissoient et renforçoient, chacun jour, et qu'ils entendoient qu'une nouvelle levée de Suisses avoit esté mandée, et qu'en divers ports du royaulme s'équippoient en guerre beaucoup de navyres. Ce qu'ayants les gentilshommes et aultres de la nouvelle religion eu bien fort suspect, il s'en estoit retiré quelque nombre en leur ville, non qu'ils les y eussent appellés, mais ilz y estoient venus, de eulx mesmes, pour éviter le danger, et pour recognoistre d'où procédoit le fonds de ceste entreprise; et que le dict agent sçavoit bien que iceulx habitants n'avoient aultre affection que de vivre en vrays et loyaulx subjects, sans exception quelconque, que de ce, seulement, qu'il avoit pleu à Vostre Majesté leur octroyer par le dernier édict; et qu'ilz ne cherchoient que la seule seureté, laquelle si se pouvoit trouver, non seulement la ville seroit preste d'obéyr à vostre vouloir, comme elle fera tousjours, mais au simple mandement du moindre de voz officiers; et qu'il me prioit que, de ce costé, je voulusse signiffier ceste leur dévotion et servitude à Vostre Majesté, ainsy qu'il estimoit que, de dellà, ilz envoyeroient ung de leurs habitans pour le vous dire.

J'ay respondu, Sire, que, sans escrupulle aulcun, il se pouvoit assurer que Vostre Majesté garderoit inviolablement son édict à ceulx de sa ville, et qu'ilz n'avoient à souspeçonner ny les garnisons, ny les Suisses, ny les navyres dont ilz parloient: car, oultre que je pensois qu'il n'en estoit rien; encore, par nulle rayson ny par démonstration aulcune, il ne pouvoit estre ny vray ny vraysemblable que les volussiez tourner assiéger, sinon qu'ils se missent tant 20 hors des termes de l'édict que eulx mesmes en fussent l'occasion; et que je craignois assés que ceste tant chaude allarme, qu'ilz s'estoient donnée, les eût desjà tant esmeus, et les fît passer si avant à des exécutions, et à recevoir gens de guerre en leur ville, et, possible, à d'aultres praticques ailleurs, qu'en lieu de se rendre, par iceulx habitants, Vostre Majesté favorable, ilz la provoqueroient contre eulx; et qu'icelluy agent avoit bien veu en quelle bonne sorte vous m'aviés commandé de parler, icy, de leur affère, et comme vous aviés approuvé l'exécution qu'ilz avoient faicte; et j'espérois que, par mes premières, je luy pourrois encores donner si bon compte de toutes ces choses, dont il monstroit d'estre en peyne, qu'à mon advis il en resteroit consolé, et auroit de quoy en consoler ceulx de sa ville; et qu'en ce que je me pourrois employer, vers Vostre Majesté, pour la seureté qu'il m'avoit parlé, et pour leur procurer toute tranquillité, que je le ferois de bon cueur. De quoy il m'a fort remercyé, et, de rechef, m'a promis qu'il ne se traicteroit rien, icy, pour ses habitans que je n'en fusse participant. Et sur ce, etc.

Ce XXVIe jour de janvier 1574.

CCCLXIIIe DÉPESCHE

—du IIIe jour de febvrier 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Audience.—Réponse d'Élisabeth sur la négociation du mariage.—Consentement donné par elle à l'entrevue sous la condition qu'elle sera tenue secrète.

Au Roy.

Sire, après que j'ay eu donné une si ample satisfaction 21 à milord trézorier, et au comte de Sussex, sur les escrupulles dont la Royne, leur Mestraysse, m'avoit parlé, qu'elle et ceulx de son conseil ont confessé que c'estoit assés, elle m'a mandé venir, le XXVIIe du passé, à Hamptoncourt; où, d'arrivée, elle m'a grandement remercyé de la franchise, dont j'avoys uzé, à communicquer le propre original de mes lettres à ces deux milords, et qu'elle estoit fort ayse qu'ilz y eussent trouvé cella mesmes que, sur ma parolle, elle leur avoit desjà respondu de l'intention de Vostre Majesté, touchant les dicts nouveaulx escrupulles; et qu'elle vous supplioit bien, Sire, ne trouver maulvais si elle se rendoit ainsy soigneuse de complaire à ses subjects, non à toutz, car ne se vouloit assubjectir à une si grande extrémité, mais à quelques ungs des principaulx qui monstroient avoyr leur fortune et leurs vies entièrement conjoinctes avec la personne, la condicion et l'heureux règne d'elle; et que, de tant que le propos de son mariage estoit principallement fondé sur le contentement de ses dicts subjectz, lesquels se trouvoient, de rechef, escandalizés pour la rumeur des choses qu'on rapportoit de France, elle jugeoit estre fort expédient que Vostre Majesté monstrât, par quelque effect, ainsy comme de parolle, contre ceulx qui machinoient la rupture de vostre édict, que vous voulés surtout qu'il soit inviolablement observé; tendant la dicte Dame, par là, à prolonger encores sa responce, jusques à ce que quelque justice fût faicte de ceulx qui ont troublé les choses de la Rochelle.

A quoy, prévenant son opinyon par des raysons qui seroient longues,à mettre icy, mais auxquelles elle a esté contraincte d'acquiescer, je luy ay faict voyr qu'il n'y avoit lieu aulcun d'uzer plus de remise.

Dont elle a suivy à dire qu'elle me feroit donc la meilleure 22 et plus clère responce qu'elle pourroit. Qui a esté, Sire, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviés si longuement persévéré à pourchasser son alliance, et aviés uzé de si honnorables moyens vers elle, qu'avec la déclaration qu'elle vous avoit desjà faicte de se vouloir marier, elle vous déclaroit, de nouveau, que ce seroit de la mayson de France plustost que de nulle aultre de la Chrestienté; bien que, depuis peu de moys, il luy eût esté offert ung party bien grand et deulx aultres non petitz, fort honnorables, et aulcuns d'iceux assés agréables en ce royaulme, aulxquels elle n'avoit voulu respondre, et n'y respondroit rien tant qu'elle auroit espérance que celluy de Monseigneur le Duc peût réuscyr; lequel, oultre que, pour les grandes et royalles marques de l'extraction d'ung tel prince, et pour les excellantes qualités qu'on rapportoit de sa personne et de ses vertus, il estoit desirable, encor se santoit elle luy avoyr de particulliers debvoirs, qui la rendoient obligée de le préférer à quelque aultre party qui fût au monde; et que pourtant, sur les dernières dellibérations qu'elle avoit tenu de luy, (où l'on luy avoit, de rechef, par une si grande expression qu'elle en estoit demeurée toute esbahye, voulu assurer que la petite vérolle luy avoit layssé je ne sçay quoy de difformité en quelque endroit du vysage, qu'elle ne s'en pourroit jamays contanter, et qu'à ceste occasion l'entrevue avecques luy ne pourroit estre sinon ung commancement de désordre et de beaucoup d'offance entre Voz Majestés Très Chrestiennes et elle), elle avoit si bien débattu l'affère, par le rapport de Me Randolphe, et par le pourtraict qu'il luy avoit apporté, qu'on avoit bien cognu qu'elle vouloit conduyre le propos au desir de Monseigneur le Duc, d'estre sienne, si, en façon du monde, il se pouvoit 23 honnestement faire; et, parce qu'elle ne se pouvoit bien résouldre, ains estoit en très grande perplexité d'accorder l'entreveue en public, pour des grandes raysons qu'on luy avoit alléguées, elle me prioit d'envoyer sçavoyr de Vostre Majesté et de la Royne, Vostre mère, et de Monseigneur le Duc, si vous pourriés trouver bon que la dicte entreveue se fît en privé; auquel cas elle l'accordoit, dès à présent, et me promettoit de me bailler telles seuretés, de sa main propre, si besoing estoit, pour Mon dict Seigneur, comme je les voudrois demander.

J'ay respondu, Sire, que plusieurs inconvénients adviendroient de ceste façon d'entreveue, et luy en ay allégué les raysons qui seroient longues à desduyre, la priant qu'en un acte si honnorable, et qui avoit à se passer entre très grands princes, et lequel estoit poursuyvi, de vostre costé, avecques tout honneur et grandeur, elle ne voulût y fère intervenir des actes petits, bas et cachés, qui n'en feroient que dimynuer la dignité; et pourtant qu'elle vous accordât entièrement l'entreveue, avec l'assurance du mariage, puisque, du contantement et félicité d'icelluy, elle pouvoit estre mieulx assurée par Me Randolphe, et par le pourtraict qu'il luy avoit apporté, que touts ces rapports contrayres, qui estoient notoyrement faulx, ne l'en debvoient mettre en doubte.

Elle a réplicqué que je luy ferois tort, si je ne croyois fermement qu'elle cherchoit de vous pouvoir complère, et de fère que Monseigneur le Duc et elle peussent estre maryés ensemble, car c'estoit ce qu'elle en avoit résolu, et son conseil en estoit bien d'accord avec elle. En quoy elle cognoissoit bien que l'entreveue estoit tousjours fort nécessayre, et, possible, plus pour luy que pour elle; 24 mais que, de la fère publicque, il fauldroit que Monseigneur le Duc y vînt en magnifficence, pour estre tel prince comme il est, et que pareillement elle en uzât beaucoup pour le recevoyr; en quoy concourroient non seulement les yeulx de la France et de l'Angleterre, mais toutz ceulx de la Chrestienté: et si, puis après, le mariage ne succédoit, il y auroit de la matière de discours, et encores, possible, d'offance, beaucoup plus que si elle et luy se voyoient privément, car s'assuroit que si, après s'estre veus ainsy, il restoit aulcune occasion de se plaindre de quelque costé, que ce seroit du sien.

Et, sans que je l'aye peu mouvoir de ceste opinyon, elle s'est, mise à discourir des façons comme il pourroit venir incognu, et comme elle s'approcheroit vers la mer pour estre plus à propos; dont, de ses discours et de ceulx qu'aulcuns de ses conseillers m'ont faict depuis, je laysse au sieur de Vassal à qui je les ay commis, de vous en rendre compte. Et sur ce, etc.

Ce IIIe jour de febvrier 1574.

CCCLXIVe DÉPESCHE

—du IXe jour de febvrier 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Négociation du mariage.—Insistance d'Élisabeth, malgré les réclamations de l'ambassadeur, pour que l'entrevue ait lieu secrètement.

Au Roy.

Sire, ayant la Royne d'Angleterre sceu par milord trésorier, lequel, après estre guéry, est, ces jours icy, retourné à la court, que je ne me tenois assez bien satisfait 25 de la responce qu'elle m'avoit faicte, ny de la lettre qu'on m'avoit depuis escripte, elle a baillé charge à Mr Walsingam, venant en ceste ville, de m'y donner quelque si bonne interprétation que j'en peusse rester contant; mais, entendant que je debvois aller retrouver la dicte Dame, il a mieulx aymé que ce fût d'elle que je la receusse que non pas de luy. Et ainsy, après que j'ay eu faict part à la dicte Dame de toutes les particullarités de vostre lettre, du XVIIIe du passé, et mesmement de ce qu'aviés réduy les princes et seigneurs de vostre conseil à procéder, dorsenavant, d'ung bon accord aulx choses de vostre service; et du bon ordre qu'aviés commancé restablyr en vostre royaulme; et de la paciffication qu'espériés bientost du costé du Languedoc, sellon les bonnes nouvelles qu'en aviés freschement receues; aussy de celle qui continuoit vers la Rochelle, et comme l'alarme que s'estoient donnée ceulx de la ville se trouvoit de peu de fondement, dont ceulx qui y avoient accouru s'en estoient desjà retournés presque toutz en leurs maisons; et que néantmoins vous y aviés dépesché Mr de Saint Suplice pour examiner bien le faict, et y fère droictement observer l'édict; luy touchant, à ce propos, ce qui s'estoit entendu, qu'on eût traicté avec elle d'envoyer des forces par dellà, mais que vous n'en aviés rien creu, comme aussy il n'en estoit besoing, veu l'honnesteté dont me commandiés luy offrir beaucoup plus grand chose que cella; puis des remonstrances que son ambassadeur vous avoit faictes pour le commerce des Angloys en vostre royaulme, et pour y avoyr justice et pour leur y estre les anciens privilèges restitués, et pour la satisfaction d'aultres leurs pleinctes du présent, en quoy soubdain vous aviés commandé fère des dépesches à Roanet et ez aultres endroicts 26 pour y pourvoir; je suis enfin venu à luy dire que, touchant le propos du mariage, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, vous estiés infinyement resjouys de deux choses que je vous avois escriptes: l'une est que Me Randolphe luy eût, par son rapport et par le pourtraict qu'il luy avoit apporté, donné pleyne satisfaction de ce qu'elle avoit desiré sçavoyr, du visage et de la disposition de Mon dict Seigneur, contre les faulx rapports qu'on en avoit faicts; l'aultre, que, sellon les propos que j'avoys depuis ouys d'elle, et sellon ceulx que ses deux conseillers m'en avoient tenus, je vous avois faict espérer qu'elle vous feroit une bonne responce. Dont me commandiés que je la conjurasse bien fort de la vous vouloir fère bientost, ainsy bonne et favorable, comme vostre longue attante et vostre persévérance, et les honnestes satisfactions que vous estiés tousjours efforcée de luy donner, et la conjoincte et constante bonne affection de toutz trois vers elle, la vous faisoient justement mériter.

A quoy elle, monstrant ung singulier plaisir des susdictes particullarités, lesquelles luy avoient osté les souspeçons, où l'on l'avoit volue mettre de vostre costé, m'a respondu plusieurs honnestetés, sellon sa coustume, de la confiance qu'elle prenoit, de jour en jour, plus grande de vostre amityé, et de la parfaicte assurance que vous vous deviés donner pour jamays de la sienne. Et puis, sur le propos de Monseigneur le Duc, m'a dict qu'elle avoit esté en peyne d'entendre que je n'eusse ainsy bien prins sa responce, comme elle pensoit me l'avoyr faicte fort bonne, sellon que j'avoys bien cognu que la perplexité, où l'avoient mise aulcuns, qui avoient naguyères veu Monseigneur le Duc, (lesquels, pour l'acquit de leur loyaulté, s'estoient venus 27 descharger vers elle de ce qu'elle m'en avoit desjà dict), ne portoit pas qu'elle me peût parler plus ouvertement et plus cordiallement qu'elle avoit faict; car estimoit toucher à son honneur, premier que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, azardissiés la venue de Mon dict Seigneur par deçà, qu'elle vous deût clèrement mander tout ce qu'on luy en proposoit, et ce qu'on luy en faysoit craindre. Mais, affin que ne prinssiés argument qu'elle n'eût procédé tousjours fort sincèrement en cest endroict, et qu'elle ne desirât de bon cueur le mariage, s'il plaisoit à Dieu que eulx deux se peussent complayre, et que ne tombissiés en aulcune malle satisfaction d'elle, elle vous avoit bien voulu, de rechef, accorder l'entrevue, en privé, pour estre néantmoins, premier, bien considéré de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et entièrement réglé par l'opinyon que pourriés avoyr que, nonobstant ceste nouvelle confirmation de rapport, la présence seroit pour donner bon succès au mariage: car si ne l'aviés telle, comme aussy, si elle ne s'en estoit réservée une bien bonne espérance vers elle, elle vous supplieroit fort franchement, et de la plus grande affection de son cueur, que vous volussiés déporter entièrement de la dicte entrevue, affin de n'azarder rien de ceste tant bien fondée amityé et confédération, où elle se retrouvoit maintenant avec Vostre Majesté et avec vostre royaulme.

Je luy ay, par ma réplicque, si clèrement remonstré le peu de correspondance que sa responce apportoit à voz honnorables offres, et aulx honnestes satisfactions que luy aviés données, qu'il sembloit que mal volontiers, et à regret, elle accordât la dicte entrevue, et qu'elle eût comme à mespris, et quasy à honte, ce en quoy vous estimiés l'honnorer et defférer beaucoup à sa grandeur, et que je 28 m'esbahissois comme elle ne s'appercevoit que c'estoit une imposture, par trop impudente, que de luy renouveller plus ce faulx rapport, qui estoit convaincu par le tesmoignage de Randolphe et par le pourtraict, et encores plus convaincu par l'offre de ce qu'on soubmettoit cella au jugement que ses propres yeux en pourroient fère; qui luy engagoys ma vye que, non seulement elle n'y verroit point de deffault, ains qu'elle y trouveroit tant de perfections qu'elle se repputeroit bien heureuse d'estre aymée d'un tel prince, et qu'indubitablement elle viendroit amoureuse de luy. Dont la suppliay qu'elle voulût amander sa responce, affin que vous en peussiés recevoyr plus de satisfaction.

Elle, soudain, appela les comtes de Lestre et de Sussex et les deux secrettères, Mrs Smith et Walsingam, pour leur fère entendre mon instance, sur laquelle, après qu'ilz eurent longuement débattu entre eulx, je ne peus, de toute leur déduction, tirer rien de mieulx que devant, parce que desjà elle avoit mandé à son ambassadeur de vous dire le mesmes que je vous avois escript; sinon, quand au passeport, qu'elle ne luy avoit donné aulcune charge de vous en parler, mais elle me confirma, de rechef, qu'aussytost qu'auriés résolu la dicte entrevue, ainsy en privé, qu'elle ne faudroit de me la fère bailler très honnorable et bien seur, et qu'au reste elle vous rendoit beaucoup de mercys de la tant ample satisfaction que luy avés donnée à ses escrupulles, et de ce que n'en aviés voulu prendre d'elle; qui vous prioit de croyre, Sire, qu'elle n'avoit presté, ny presteroit jamays, l'oreille à praticque quelquonque qui se fît jamays contre vostre estat, et qu'elle estoit très ayse qu'eussiés prins à cueur le traffic de ses subjects en vostre royaulme, comme elle feroit le semblable pour les vostres par deçà; et ne 29 sçavoit à quoy il pouvoit tenir qu'on n'eût desjà conclud ce faict entre les deux pays, comme il estoit porté par le traicté; et ne vouloit, pour la fin, oublyer de vous fayre ung très expécial mercyement pour Me Vuarcop son pensyonnayre, pour lequel elle ne s'estimoit moins gratiffiée, en ce que feriés pour luy, que si la plaincte touchoit à elle mesmes.

Et, après que je me fus ainsy licencié d'elle, j'entretins longuement ses conseillers sur ce que vous trouveriés peu de satisfaction en la responce qu'elle vous avoit ceste foys faicte; mais ilz me dirent qu'il y avoit des considérations qui la contreignent de protester ainsy ces choses premier que de passer plus avant, et qu'ilz ne peuvent encores que fort bien espérer de tout l'affère, me déduysant plusieurs raysons là dessus: lesquelles, pour estre trop longues, je les remettray à une aultre foys, pour adjouxter seulement, icy, Sire, que j'ay baillé à la comtesse de Montgommery les provisions qu'avés octroyées à son mary, laquelle s'en est resjouye infinyement, et les luy a envoyées incontinent, à Gerzé, d'où il en fera la responce et le très humble mercyement à Vostre Majesté. Et sur ce, etc.

Ce IXe jour de febvrier 1574.

A la Royne

Madame, après avoir debbatu à ceste princesse la forme de sa responce, en la façon que je mande en la lettre du Roy, et trop plus amplement et plus vifvement que je ne le puis pas mander, je l'ay curieusement observée si, en aulcunes de ses parolles, ou de ses contenances, je pourrois noter qu'elle se fût alliennée du propos de Monseigneur, vostre filz; mais, ou soit qu'elle le sçache bien cacher ou 30 bien qu'il soit ainsy, je n'y ay peu cognoistre sinon la mesmes bonne disposition qu'elle a tousjours monstrée vers luy. Dont luy ay touché, en passant, si elle n'entendoit pas que les mesmes articles, qui avoient esté desjà trouvés bons au propos du Roy de Pouloigne, restassent entiers et accordés pour Monseigneur le Duc, et si elle luy feroit pas l'honneur, au cas qu'il vînt par deçà, et qu'ilz se peussent complère, de l'espouser, sans luy donner la peyne de repasser la mer, attandu que ce ne seroit par procureur, ains en personne, qu'il luy viendroit offrir son service. A quoy elle m'a respondu que je ne demandois rien qui ne fût raysonnable, sinon en ce que je pressois un peu trop l'affère, d'aultant qu'il failloit que le mariage fût publicque et solennel, là où l'entrevue seroit privée, et, entre peu, dans une salle. Dont j'estime, Madame, que, si Voz Majestez se résolvent à la dicte entrevue, en privé, car je ne pense point qu'on en puisse obtenir d'aultre, qu'il sera bon que vous réserviés de la fère en la plus commode et honnorable façon que vous jugerés convenir à vostre grandeur, et à la dignité de Mon dict Seigneur, vostre filz; et que les deux pointz, dessus, soient gaignés, premier qu'il passe, affin de prendre tousjours pied, et avoyr des arres, sur ceulx qui artifficieusement subtilisent par trop les points de cest affère, et qui espèrent par là le mener à rupture. Dont vous plerra en toucher quelque mot à l'ambassadeur de la dicte Dame, et le disposer d'escripre tousjours en bonne sorte par deçà, car ses lettres n'y peuvent estre sinon utilles; et me commander, au reste, par le retour du Sr de Vassal, l'ordre qu'il vous plerra que je preigne, car je ne fauldray de bien entièrement l'observer. Et vous remercye très humblement, Madame, de la favorable recordation qu'il vous 31 a pleu avoyr de moy, vers le Roy, pour me fère retenir de son privé conseil, chose que je reçoys en plus grand heur que nulle aultre qui m'eût peu venir de l'élection et bénefficence de Voz Majestez, et en laquelle je regrette infinyement que mon insuffisanze m'en oste le mérite; mais j'espère y apporter tant de dilligence et de fidellité que Vostre Majesté ne se repantira de son bienfaict, pour lequel ce qui me reste de vye sera pour jamays employé à vostre service, aydant le créateur auquel je prye, etc.

Ce IXe jour de febvrier 1574.

CCCLXVe DÉPESCHE

—du XVe jour de febvrier 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Succès remporté par la flotte du prince d'Orange.—Négociation des Pays-Bas.—Affaires d'Écosse.—Excès du comte de Morton; mécontentement des Écossais.—Nouvelles de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, il est venu icy nouvelles, le Xe de ce moys, comme les vaysseaulx du prince d'Orenge avoient repoussé et rompu la flote, que le grand commandeur envoyoit pour avitailler Meldelbourg, et que la ville, à ceste occasion, estoit bien près de se rendre, de quoy l'on a faict diverses démonstrations par deçà, les ungs d'estre marris, mais le plus commun, et en public, l'on a monstré d'en estre fort ayse, mesmement qu'il y avoit beaucoup de vaysseaulx, et de mariniers, et de soldats, angloys, à l'entreprinse. Et le mesmes jour, les deux depputés des Pays Bas, qui avoient attandu à Dounquerque le baron d'Aubigny, sont arryvés, 32 lesquels l'on n'a pas layssé, pour cela, de bien recevoyr, ni eulx de monstrer bonne contenance; et est l'on après à depputer des commyssayres pour vacquer avec eulx à l'accord de leurs différentz. Et se continue la dellibération d'envoyer ou le vycomte de Montégu, ou milord Sideney, en Espaigne, lesquels sont toutz deux à présent en court; mais je ne voy pas qu'ilz soient encore si près de partir, et croy que, si les affères d'Irlande ne pressoient, que l'ung ny l'aultre n'y yroient poinct du tout.

Au regard de l'Escoce, les choses semblent s'y entretenir encores en quelque forme de paix, soubz la prétendue régence du comte de Morthon, bien que j'ay advis qu'il s'y déporte en homme avare, et violent, et dissolu, et que, de toutz les principaulx de la noblesse, il n'a près de luy, à ceste heure, qu'ung seul milord, duquel il entretient la femme, et en entretient encores deux ou trois aultres, maryées, au grand escandalle d'ung chascun; et que, entre aultres, le nouveau comte d'Arguil est très malcontant de luy, de ce qu'ayant demandé de succéder à l'estat de chancellier, ainsy que son frère, à son décès, le possédoit, icelluy de Morthon l'a baillé à milord de Glames; dont ung gentilhomme escouçoys, de bonne qualité, à qui j'ay eu tousjours intelligence, oncle du dict d'Arguil, qui a résidé plus de huict moys en ceste ville, parce qu'il ne pouvoit accorder avec le dict de Morthon, estant, à présent, mandé par son nepveu, et estant peu satisffaict de la façon dont les Angloys ont procédé vers luy, et qu'il void qu'ilz procèdent vers sa nation, m'est venu dire qu'il s'en alloit remonstrer clèrement, aulx principaulx de son pays, comme la Royne d'Angleterre ne cherchoit que leur ruyne et le moyen de les dominer, et qu'ilz se debvoient retirer de 33 toute intelligence et communicquation d'avec elle, s'ilz ne vouloient ung jour estre réputés traistres à leur prince, et de se tenir plus fermes que jamays à l'alliance de France, et qu'il sçavoit bien que les plus grands et les meilleurs du royaulme estoient desjà tout persuadés de cella; dont, s'il plaisoit à Vostre Majesté les assister, et mesmement le dict comte d'Arguil, son nepveu, contre le dict de Morthon, qui estoit du tout angloys, qu'indubitablement ilz le déchasseroient facillement de toute son authorité, et pareillement toute sa faction, laquelle n'estoit, à présent, guyères grande.

Je luy ay respondu qu'il pouvoit hardiment assurer le dict comte d'Arguil; son nepveu, et ceulx de la noblesse, de son pays, que Vostre Majesté, en toutes sortes, dellibéroit de bien soigneusement conserver l'alliance de la couronne d'Escosse; et pourvoir, en tout ce qu'il vous seroit possible, à la protection des princes du dict pays, et à la deffance et repos de tout l'estat; et continuer aulx Escossoys les mesmes entretènementz, pensions, privilèges et faveurs, qu'ilz avoient, de tousjours, eu en France; et n'habandonner nullement ceulx qui, comme gens de bien et bons escoussoys, voudroient suyvre cest honnorable party, que leurs prédécesseurs avoient tousjours tenu. Dont, après qu'il auroit parlé à eulx, s'il me faysoit sçavoyr leur intention, je mettrois peyne de fère en sorte que Vostre Majesté leur feroit santir l'effect et l'assurance de la sienne.

Or, attand le dict gentilhomme son saufconduit, et je desire, de bon cueur, qu'il vous playse me mander ce que j'auray à luy dire ou commettre davantage, pour vostre service par dellà. J'entendz néantmoins que le susdict Morthon a remis milord de Humes, moyennant dix mille livres, en la 34 possession des deux chasteaulx que les Angloys ont rendus, avec obligation qu'il tiendra le party contrayre à la Royne d'Escosse.

J'ay parlé à milord trésorier, suyvant ce qu'il vous a pleu m'escripre, le XIXe du passé, du passeport de madamoyselle de Rallay, et de deux servitteurs, pour venir servir la dicte Royne d'Escosse, et n'ay obmis aulcune sorte de persuasion dont je ne luy aye uzé là dessus; mais il m'a pryé de me contanter, pour ceste heure, de sçavoyr que la dicte Dame se portoit bien et estoit bien traictée, et que la Royne d'Angleterre n'estoit plus si irritée, comme elle souloit, contre elle, ni contre le comte de Cherosbery; et que je réservasse de parler du dict saufconduict, après que je verrois le propos de Monseigneur le Duc acheminé à quelque bonne conclusion. Duquel propos, Sire, la négociation demeure suspendue jusques à la procheyne response de Voz Majestez Très Chrestiennes. Et sur ce, etc.

Ce XVe jour de febvrier 1574.

CCCLXVIe DÉPESCHE

—du XXe jour de febvrier 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh et Walsingham sur la négociation du mariage.—Affaires d'Irlande.—Détails particuliers donnés par Walsingham.

Au Roy.

Sire, quand la Royne d'Angleterre est partie d'Aptomcourt, pour aller en la mayson du comte de Lincoln, ainsy que je le vous ay mandé par mes précédantes, milord trésorier ne l'a point suivye, ains s'en est retorné reposer en 35 sa mayson de ceste ville, pour achever de se bien guérir, et pour confirmer sa santé, et Mr Walsingam, avecques luy; avec lesquels deux j'ay continué de négocier, aultant que j'ay peu, l'advancement du propos de Monseigneur le Duc. Et le dict grand trésorier m'a faict sçavoyr comme, le jour après que je fûs party d'avec la dicte Dame, il parla longuement à elle, sur la forme de la responce qu'elle m'avoit faicte, et que, sellon aulcunes considérations qu'elle luy avoit sceu bien déduyre, il jugeoit, veu l'estat du propos, qu'elle ne me l'eût peu fère meilleure; et qu'indubitablement elle s'attandoit que Monseigneur le Duc ne refuzeroit de venir ainsy, en privé, avec quelque honneste et honnorable, mais petite compagnye, des mieulx choisis de vostre court, et des siens; et qu'il se pouvoit assurer qu'elle luy feroit tout l'honneur et bonne chère qu'elle pourroit; et que, si elle n'avoit affection et bonne espérance du mariage, elle ne consentiroit, pour chose du monde, que la dicte entrevue se fît, ny en une façon, ny en une aultre; mais que, pour l'incertitude de l'évènement, elle avoit, à toutes advantures, estimé estre trop plus expédient de la fère ainsy, en privé, que non à la descouverte.

Et Mr Walsingam dict que c'est tout le mieulx que la dicte Dame eût peu fère, en la présente disposition du dict propos, et que, si jamays l'on avoit remarqué aulcun indice en elle d'y vouloir, à bon escient, entendre, que c'estoit à présent; et qu'elle se persuadoit que Vostre Majesté, ny la Royne, vostre mère, ne refuzeriés, ny n'auriés aulcunement mal agréable, que ceste privée entrevue se fît; et que, luy, de sa part, espéroit que la présence de Monseigneur le Duc auroit plus d'effect, à mener l'affère à sa conclusion, que nulle aultre chose qu'on y peût applicquer, 36 se persuadant qu'il satisferoit à l'œil de la dicte Dame, ainsy qu'il sçavoit bien qu'elle avoit desjà les aureilles très satisfaictes de la grande réputation de ses vertus; et que deux choses seulement retenoient le dict Mr Walsingam en doubte, l'une que la dicte Dame ne retournât trop facillement, d'elle mesmes, à la naturelle inclination, qu'elle avoit, de ne se marier poinct; et l'aultre, que ceulx, qui luy avoient faict passer beaucoup d'années en ceste opinion, ne la luy temporisassent encores tout exprès, pour enfin ne luy en laysser poinct prendre de meilleure, et que c'estoit ce qui l'engardoit de ne s'ozer entremettre, sinon par mesure, au dict affère. Auquel néantmoins, quand il viendroit à son tour, il vous supplioit, Sire, et la Royne, vostre mère, de croyre qu'il ne faudroit de s'y employer fermement et en homme de bien, comme en chose qu'il réputoit utille et très honnorable à sa Maystresse, et qu'il cognoissoit nécessayre à ces deux royaulmes.

Et c'est la substance de tout ce qui s'est peu tirer de la dernière négociation d'avec les dicts deux personnages; qui pourra, possible, après mes précédantes dépesches, assés servir de responce aulx poinctz de celle de Vostre Majesté, du Ve du présent, que je viens maintenant de recevoir, aulmoins jusques à ce que j'aye, de rechef, veu ceste princesse, ou bien que m'ayés mandé d'aultres plus expresses nouvelles là dessus.

La dicte Dame et ceulx de son conseil sont rentrés en quelque peu de bonne espérance des choses d'Irlande, sur ce que le comte d'Essex a escript qu'il s'estoit retiré, le mieulx qu'il avoit peu, du destroict où l'on l'avoit enfermé; et que aulcuns, des principaulx du pays, luy avoient mandé qu'ilz seroient prestz de se soubmettre à la dicte 37 Dame, si elle les vouloit tenir et traicter comme bons subjectz, et leur laysser paysiblement jouyr de leurs terres, et qu'encores luy payeroient ilz quelque petit tribut annuel, ainsy qu'il seroit advisé; mais qu'il ne pouvoit encores assés bien juger s'ils luy avoient faict tenir ce langage à feincte, ou bien à bon escient. Tant y a que cella venoit d'aulcuns plus authorizés d'entre eulx; et que le comte de Quildar, avec Me Gueret son frère, s'employent de grande affection à réduyre tout le pays en quelque bonne tranquillité, soubz l'obéyssance de la dicte Dame; néantmoins qu'il estoit bien d'advis qu'elle ne layssât, pour cella, d'envoyer tousjours les hommes et les provisions, qu'elle avoit ordonné pour la guerre de dellà, comme, à la vérité, Sire, ceulx, qui cognoissent bien l'Irlande et les Irlandoys, disent qu'elle y trouvera plus de difficulté et de résistance que jamays. Sur ce, etc. Ce XXe jour de febvrier 1574.

A la Royne

Madame, oultre ce que je mande en la lettre du Roy, des propos de milord trésorier et de Mr Walsingam, icelluy Walsingam a adjouxté davantage qu'il supplioit Vostre Majesté vous souvenir de ce qu'il vous avoit quelques foys dict, quand il estoit en France, qu'il vous failloit réputer vostre poursuyte, touchant le mariage de la Royne, sa Maistresse, comme l'expugnation d'une forte place, où y auroit de la résistance et de la difficulté beaucoup, ainsy qu'il avoit bien trouvé, estant icy, qu'il estoit fort malaysé de conduyre la dicte Dame au poinct d'une ferme résolution de se maryer, et de l'y fère persévérer; et n'estoit moindre la contradiction de recevoir ung prince estranger en ce royaulme: toutesfoys plusieurs poinctz estoient desjà vuydés 38 là dessus qui rendoient, à présent, la matière plus facille; et quand bien Monseigneur le Duc, enfin, ne pourroit venir à bout d'une si haulte entreprinse, comme d'emporter la dicte Dame et ce royaulme, qu'il ne s'en debvoit pourtant donner aulcune honte, non plus que si l'on n'avoit pas prins la place forte qu'on auroit assiégée, pourveu qu'on y eût bien faict son debvoir; et qu'icelluy de Walsingam, voyant les deux principaulx et aulcuns aultres conseillers de la dicte Dame marcher de très bon pied en cest affère, et y avoyr ung très grand desir, il n'en vouloit avoyr ny moins de desir, ny moins d'espérance, que eulx; bien qu'il me vouloit dire, tout franchement, que, à son advis, ny les ungs ny les aultres ne s'en pouvoient encores promettre l'yssue telle, ny si assurée, comme ilz la desireroient.

De quoy, Madame, il se peut facillement comprendre qu'il y cognoit encores des doubtes, lesquelz ne permettent qu'il puisse voyr bien cler dans le fondz de l'affère. Dont estant encores à moy, qui suis estrangyer, plus difficile d'y pénétrer, je suis contrainct d'en demeurer en ung incertain sur le simple recueil, que je puis fère, de la substance et des conjectures des parolles et des démonstrations de la dicte Dame, et de ses dicts conseillers, comme je les vous ay desjà escriptes et mandées, par le menu; et de supplier là dessus Voz Majestez de prendre, de vous mesmes, et avec l'advis de vostre prudent conseil, la résolution que jugerés meilleure et plus honnorable pour Mon dict Seigneur, vostre filz. Et sur ce, etc.

Ce XXe jour de febvrier 1574.

39

CCCLXVIIe DÉPESCHE

—du XXVIe jour de febvrier 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Négociation du mariage.—Conférence de l'ambassadeur avec Leicester.—Assurance donnée par l'ambassadeur qu'il ne sera pas fourni de secours aux protestans de France.—Dénonciation contre Marie Stuart, et punition du dénonciateur.

Au Roy.

Sire, tous ces jours de caresme prenant, la Royne d'Angleterre a esté convyée par les seigneurs et gentilshommes, voysins de Hamptoncourt, d'aller, de lieu en lieu, fort privément et à peu de compagnye, fère bonne chère en leurs maysons, et n'a esté bien à propos que je la sois allée trouver là; mais j'ay conféré en ceste ville, fort à loysir, avec milord trésorier, des poinctz contenus en la dernière dépesche de Vostre Majesté, et mesmement de celluy où est touché ce que dict l'ambassadeur d'Angleterre à la Royne, vostre mère, le IIIIe du présent, et, depuis, au Sr Géronyme Gondy. Sur quoy le dict grand trésorier m'a respondu que Voz Majestez très Chrestiennes debvoient prendre de très bonne part l'instance du dict ambassadeur, lequel ayant senty, après le retour de Me Randolphe, que le mariage procédoit très bien du costé de sa Mestresse, encor qu'il vît bien aussy que vous y alliés de très grande affection et fort sincèrement du vostre, et que me fissiés encores estre, icy, en mes sollicitations, plustost pressant et importun vers elle que de luy garder la médiocrité; si vouloit il, sellon qu'il voyoit la trempe bonne, vous éguilloner encores davantage, affin de ne la laysser nullement 40 réfroidir; et que le dict grand trésorier me juroit, en sa conscience, qu'il avoit veu la dicte Dame très bien dellibérée de me fère une bonne et bien résolue responce, sans l'intervention d'ung, de qui il ne pouvoit nullement approuver le zèle, lequel, pour l'acquit de sa loyaulté vers elle, luy estoit venu remettre sus le premier escrupulle du visage; et que, contre icelluy, il n'avoit pas craint, la dernière foys qu'il l'avoit veue, de luy dire que j'avoys fermement remonstré qu'après le rapport de Me Randolphe, et après le pourtraict envoyé, et qu'on soubmettoit encores le jugement de ce poinct à l'œil d'elle, je ne pouvois dire sinon que c'estoit une pure imposture et trop grande impudence de révoquer plus maintenant cella en doubte; et que le comte de Lestre, ny luy, ne m'avoient sceu que respondre, ainsy qu'elle mesmes, après y avoyr bien pensé, avoit confessé que, voyrement, n'y avoit il poinct de réplicque; néantmoins qu'il me prioit de supporter ung peu sa Mestresse en cest endroit, veu qu'il n'estoit pas seulement question de conclurre une simple amityé ou une ligue, d'où l'on se peût, de chascun costé, puis après, départir, quand l'on ne s'en trouveroit pas bien, car c'estoit une obligation pour toute la vye, en laquelle n'y auroit jamays plus lieu de repantailles; et qu'il trouvoit la dicte Dame en une très bonne, voyre, en la meilleure disposition qu'il l'eût jamays vue vers le mariage, dont il n'en vouloit sinon tousjours bien espérer; et que, sellon que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, disposeriés Monseigneur le Duc à ceste entrevue privée, le propos pourroit parvenir à sa conclusion. Dont luy sembloit que, sans rien mouvoir, pour ceste heure, je debvois attandre qu'est ce que, par vostre procheyne dépesche, il m'en seroit escript.

41 Depuis, j'ay envoyé, devers le comte de Lestre, le prier de me mander de la santé de la Royne, sa Mestresse, et de son portement, sellon que j'avoys commandement de Voz Majestez, et de Monseigneur le Duc, de vous en fère sçavoyr, le plus souvent que je pourrois. Et luy ay faict toucher les mesmes poinctz que j'avoys déduictz à milord trésorier, et qu'il voulût prendre occasion de fère voyr à la dicte Dame la lettre que Monseigneur m'avoit escripte de sa main, affin qu'elle cogneût sa persévérance vers elle. Lequel comte, après avoyr fort promptement et très vollontiers satisffaict à cella, il m'a envoyé remercyer infinyement de la négociation que je luy avoys commise à fère, laquelle il me pouvoit assurer que la Royne, sa Mestresse, l'avoit eue très agréable, et s'estoit resjouye, trop plus que ne le me sçauroit exprimer, de la lettre de Monseigneur le Duc, et mesmes d'avoyr veu qu'en termes exprès il y parloit du mariage d'entre eulx d'eux, ce qu'elle avoit bien observé, qu'en nulle de ses aultres lettres il n'en avoit uzé ainsy, et qu'elle ne s'estoit pas contanté de la lyre une et deux foys, car l'avoit relue la troysiesme foys, et l'avoit interprété au dict comte en très bonne signiffication; et qu'il me pouvoit assurer de n'avoyr jamays veu la volonté de la dicte Dame mieulx inclinée vers le mariage, et vers Monseigneur le Duc, que maintenant; et qu'il cognoissoit bien qu'elle avoit grand desir de le voyr, mais qu'elle ne diroit jamays ouvertement qu'il vînt; et que le dict comte, de sa part, ne se présumoit pas tel qu'il ozât, de son costé, le luy mander, car repputoit cella de trop d'importance vers luy, en l'endroict d'ung si grand prince comme est Mon dict Seigneur le Duc; néantmoins, comme son très dévot serviteur et partial de la France, il desiroit et ne se pouvoit tenir 42 de dire qu'il feroit très bien de venir ainsy, privément, comme la dicte Dame l'avoit desjà consenty; et que, demeurant le rapport, qu'on avoit faict de luy, convaincu par sa présence, il ne faysoit doubte qu'il n'obtînt son desir.

Lesquels propos des dicts comte et milord trézorier j'ay bien voulu, Sire, les vous représanter en propres termes, affin que puissiés mieulx juger à quoy pourra réuscyr le voyage de Mon dict Seigneur le Duc par deçà, si, d'avanture, il l'entreprend, sur la responce, que je vous ay desjà mandée; sur laquelle néantmoins, telle qu'elle est, la dicte Dame et les siens se persuadent que, s'il a bonne affection au mariage, qu'il ne diffèrera de venir. Dont ceulx, qui le desirent, ne cessent de me presser que je vous conseille de le haster, et ont opinyon que, par ce moyen, elle et luy se trouveront plus tost maryés que on ne l'aura pensé; et qu'il ne se pourra fère qu'il n'advienne une de deux choses: ou que Mon dict Seigneur l'espousera, ou qu'il emportera aulmoins parolle d'elle qu'elle n'en espousera jamays d'aultre. Et de ma part, Sire, ne sachant à quel grand regret Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, pourriés avoyr ceste venue de Mon dict Seigneur par deçà, et luy encores plus grand, s'il n'y obtenoit son desir, je ne puis, en façon du monde, me contanter que ceulx cy luy en veuillent ainsy laysser l'évènement trop incertain, et se monstrer, en cest endroict, par trop inconstans et muables; dont je ne sçay qu'en dire. Et ay opinion que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Mon dict Seigneur le Duc, pourrés plus prudemment, et avec plus de généreuses et hautes considérations, prendre l'expédient honnorable qui conviendra à cestuy vostre péculier et vrayment royal affère, que nuls aultres ne le vous sçauroient conseiller. Au regard de ce que le susdict 43 ambassadeur a touché, comme de luy mesmes, au Sr Gondy, qu'il seroit bon que envoyssiés, de rechef, quelqu'ung par deçà, ceulx ci n'en sont nullement d'advis; ains disent que, si Monseigneur ne vient, que toutz aultres voyages et dilligences, pour ce regard, seront entièrement innutilles. Disent davantage, quand au commerce, qu'il n'a tenu à la Royne, leur Maystresse, ny à ma sollicitation, qu'il ne soit desjà bien estably, car, à mon instance, plusieurs assemblées ont esté desjà sur ce faictes en ceste ville, mais les marchandz y ont tousjours résisté, et y résisteront jusques à ce qu'ilz voyent une paix plus assurée et ung ordre mieulx estably en France.

Au surplus, Sire, je ne sentz qu'il se face encores, icy, aulcune propre dellibération de guerre pour rien entreprendre hors du royaulme, bien qu'on envoye beaucoup d'artillerye, de toutz qualibres, dans les grands navyres, comme pour en vouloir mettre quelque nombre dehors, à ce prochain primptemps. Mais je ne voy pas haster l'avitaillement, ni les aultres apprestz, pour vous debvoir mettre encores en peyne; et difficilement pourra t on dresser ung armement, aulmoins qui soit de quelque importance, que je n'aye quelque loysir de vous en donner advis. Ces gens de guerre, dont vous a esté faict rapport, sont seulement, ces huict centz soldatz que je vous ay desjà mandé qu'on dépeschoit en Irlande, et cinq centz à Fleximgues. Bien a l'on ordonné de fère bientost les monstres accoustumées du pays, et, quand à ce qui a esté traicté, de jetter des forces de ce royaulme dans le quartier de la Guyenne, qui est entre Loyre et Gironde, et dans la Rochelle, cella a esté plus mis en avant par aulcuns angloys qui sont extrêmes en leurs impressions, que non que la dicte Dame, ny 44 que ceulx de son conseil y ayent presté l'oreille, ny l'ayent trouvé bon, ny que pas ung françoys y soit intervenu. Et croy que j'ay assés suffizamment advéré, tant du costé des angloys que de voz subjectz, qui sont icy, que la dellibération en demeure bien froide; bien que ceulx cy m'ayent, de rechef, ramanteu leur escrupulle de certain apprest de navyres, qu'on leur faict accroyre qui se poursuit fort chaudement en Normandye et Bretaigne, et que Vostre Majesté est après à fère levée d'allemans et suysses, et fère venir des italiens, ce que je leur ay jetté bien loing.

Il y a ung chapellain protestant, qui servoit le comte de Cherosbery, lequel, estant venu defférer icy la Royne d'Escosse, et ayant si fort irrité la Royne d'Angleterre contre elle que sa vye en a esté en extrême danger, il a esté dilligemment observé par ung bon amy, de ceste court, qui l'a faict enfin convaincre d'imposture; dont a esté condempné au pillory, et la dicte Royne d'Escosse demeure, pour ce coup, dellivrée de ce grand danger, grâces à Nostre Seigneur, auquel je prie, etc.

Ce XXVIe jour de febvrier 1574.

CCCLXVIIIe DÉPESCHE

—du Ve jour de mars 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Raymond.)

Conférence de l'ambassadeur avec les députés de Flandre.—Vives assurances de dévouement données par l'agent de la Rochelle.—Mesures prises à Londres contre les étrangers.—Nouvelles d'Irlande.

Au Roy.

Sire, n'ayant, pour ceste heure, à fère sçavoir à Vostre 45 Majesté rien de nouveau, du propos de Monseigneur le Duc, ny d'aulcune aultre chose que j'aye traictée avec ceulx cy depuis ung moys en çà, sinon cella mesmes que je vous ay désjà escript par mes précédentes dépesches, je viendray maintenant à vous dire que les deux depputés de Flandres, après avoyr présenté leurs lettres et leur commission à la Royne d'Angleterre, et luy avoyr exposé le sommayre de leur charge, ilz me sont venus visiter, le jour ensuyvant, et je les ay conviés, pour le lendemain, à vouloir prendre leur dîner en mon logis, où ilz ont uzé assés privément avecques moy. Et, entre aultres choses, m'ont dict qu'ilz espéroient, sellon la bonne démonstration que la dicte Dame leur avoit faicte, et sellon le plaisir, qu'elle avoit eu, de recevoyr de si bénignes lettres, comme ilz luy avoient apportées, du Roy d'Espaigne, que, avant la fin de trois moys, qu'ilz avoient à estre icy, ilz auroient accomodé les affères d'entre les deux pays, chose qu'ilz réputoient estre de grande conséquence pour le Roy, leur Maistre, et pour ses subjectz, et non moins utille et nécessayre à ce royaulme; néantmoins qu'ilz me vouloient fort affectueusement prier que, si je découvrois qu'il se menât quelque praticque, par ceulx cy, en faveur du prince d'Orange, contre le Roy, leur Maistre, que je les en voulusse advertyr, et qu'ilz me feroient le semblable, s'ilz entendoient qu'on y fît rien contre Vostre Majesté; et que, de vostre costé, non plus que du leur, ne se falloit attandre que, pour tous ces bons propos de mariage, lesquels ne servoient que d'une forme d'entretènement, ny pour nulles confédérations et ligues, vielles ou rescentes, les Angloys se divertîssent des intelligences qu'ilz avoient avec les aultres protestants, ny qu'ilz ne broillassent tousjours, aultant qu'ilz pourroient, 46 les affères dedans les estatz de leurs voysins, car c'estoit ce de quoy ilz faysoient leur prouffit, et de quoy ilz estimoient pouvoir mieulx entretenir leur repos. A quoy, Sire, je leur ay fort volontiers acquiescé.

Or, Sire, pour vériffier davantage si l'advis, d'envoyer des forces, d'icy, au quartier de la Guyenne, qui est à l'entour de la Rochelle, et dans la ville mesmes, auroit fondement, j'ay curieusement examiné là dessus, l'ung après l'aultre, toutz les principaulx de voz subjectz qui sont par deçà; lesquels m'ont fort évidemment faict cognoistre que c'estoit chose à quoy nul d'eux n'avoit jamays pensé, ains l'ont détestée avec exécration. Et, entre aultres, le sire Bobineau, agent de la Rochelle, s'est offert à moy de se mettre en lieu où l'on pourroit fère justice de sa personne, au cas que, depuis le dernier édict, il se soit traicté chose aulcune, ny en ayt esté proposé une seule, petite ny grande, à ceulx cy, par ceulx de sa ville, qui puisse estre au préjudice du dict édict, ny contre l'obéyssance et fidellité qu'ilz doibvent à Vostre Majesté; et qu'il me prioit d'approfondir bien cest advis, duquel je luy venois de parler, affin que, par la vérité de ce que j'en trouverois, je vous peusse oster toute la sinistre impression que pourriés avoyr conçue d'eux, car c'estoit ce qu'ilz craignoient le plus au monde, que de vous mettre en quelque souspeçon et deffiance, et que ceulx de sa ville se vouloient maintenant monstrer plus fermes et loyaulx subjectz de Vostre Majesté et de vostre couronne, qu'ilz n'avoient jamays faict; et qu'icelluy agent n'estoit retenu, icy, que pour quelque somme, à quoy ilz estoient obligés vers les Angloys, depuis le siège; et que, s'il vous plaisoit leur fère expédier la commission, que leur avés, longtemps y a, accordée, de pouvoir lever 47 les deniers pour ce payement, que luy se retireroit incontinent d'icy, et l'on verroit que les habitans de la Rochelle n'auroient plus aulcune communicquation avec les Angloys; et qu'il ne me vouloit pas celler qu'il estoit après, maintenant, à achepter quelque quantité de poudre, sellon que, de tout temps, ceulx de la Rochelle estoient tenus d'en avoyr ordinayrement quarante milliers de provision dans leur ville; et, parce qu'après le siège il n'en y estoit point resté, l'on luy avoit mandé d'y en fère venir. Je luy ay respondu que je ferois entendre à Vostre Majesté tout ce qu'il m'avoit dict, et qu'il se pouvoit assurer que vous maintiendriés droictement à ceulx de la Rochelle vostre édict, s'ils se sçavoient contenir de ne l'enfreindre de leur part.

Bientost après est arrivé, du dict lieu de la Rochelle, ung marchant de ceste ville, nommé Landol, qui dict en estre party le Xe du passé; et rapporte que Mr de St Suplice n'a esté qu'ung soyr dans la ville, et que les habitans et ceulx de la nouvelle religion, qui sont aulx envyrons, estoient après à fère leurs monstres et reveues, et que ceulx de Languedoc leur avoient mandé de se mettre aulx champs. Ce qui seroit, Sire, pour esmouvoir assés ceulx cy, si je n'assurois fort fermement que le contrayre est toute la vérité.

L'on a descouvert, en ceste ville, que quelque nombre d'angloys, promptz à la main, estoient toutz pretz de succiter une grande sédicion, par tout ce royaulme, contre les estrangiers, mais il y a esté dilligemment pourveu. Néantmoins, pour mieulx appayser les mutins, il a esté faict une fort curieuse recherche sur les dicts estrangyers, et, de trèze mille sept centz, qui s'en est trouvé en ceste seule 48 ville de Londres, l'on en a banny plus du tiers, presque toutz flammantz, qui ne se rangeoient à nulle église, ny à celle des Angloys, ny à celle des estrangiers. Et leur est commandé de vuyder le royaulme, dans Nostre Dame de mars, sur peyne de prison; dont ilz proposent de se retirer à ceste heure en Zélande, où ilz entendent que Meldelbourg est rendu au prince d'Orange: et plusieurs aultres, en grand nombre, de ceulx mesmes qu'on souffriroit bien de demeurer icy, dellibèrent de s'y en aller.

Il n'est venu, longtemps y a, rien de nouveau d'Escosse, dont ne vous en feray icy mencion; mais parce que je voy praticquer plus souvent Me Quillegrey, en ceste court, depuis huict jours en çà, qu'il n'avoit faict de longtemps auparavant, je souspeçonne que ce ne peult estre que pour quelque voïage en Escoce, ou bien pour l'envoyer en Allemaigne. Je mettray peyne d'en entendre la vérité.

Du costé d'Irlande, le comte d'Esmond va si bien prospérant en ses entreprinses, qu'il a entièrement reprins tous les chasteaulx et lieux forts de son estat, et tient à présent fort à l'estroict la ville de Corc, dont ceulx cy hastent leurs dellibérations et apprestz pour y remédyer; car l'ouverture d'accord qu'on avoit faict au comte d'Essex demeure sans effect. Et sur ce, etc. Ce Ve jour de mars 1574.

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CCCLXIXe DÉPESCHE

—du VIIe jour de mars 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Jacques.)

Nouvelle reprise d'armes en France.—Efforts de l'ambassadeur pour empêcher les secours que pourraient donner les Anglais aux protestans de France.—Avis d'une entreprise qui doit être tentée contre Calais.

Au Roy.

Sire, parce que la Royne d'Angleterre veult prendre ung peu de temps à dellibérer de ce qu'elle aura à respondre, sur les lettres que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, luy avés dernièrement escriptes, et sur la créance que m'avés faicte luy exposer de vostre part, je ne vous diray rien de ce qui s'est passé entre elle et moy là dessus, jusques à ce que je vous manderay du tout sa responce. Et cepandant je vous donray advis, Sire, comme j'ay receu vostre dépesche, du troysiesme du présent, et, avec icelle, la confirmation de ce qu'à mon très grand regret j'avois desjà entendu de la reprinse d'armes, par voz subjectz de la nouvelle relligyon, qui disent estre intimidés de leurs vyes par des advertissementz, qu'on leur donne, que vous les voulés exterminer; en quoy et ceulx qui leur baillent ces allarmes, et, eulx, qui les prennent trop légèrement, sont bien fort à blasmer.

Une entreprinse a esté publiée, icy, fort grande, d'une soublévation générale, en ung mesme jour, de touts ceulx de la dicte nouvelle religion, tant de pied que de cheval, en divers endroictz de vostre royaulme, et qu'ilz avoient prins sept ou huict villes en Poictou, Nantes et Vitry en Bretaigne, Péronne en Picardye, plusieurs lieux d'importance 50 en Languedoc et Daulfiné, failly à surprendre Bordeaulx et Blaye, et que leur armée, près d'Avignon, se trouvoit fort puissante; et estoient prestz d'en mettre une aultre aulx champs du costé de la Rochelle, et que envyron douze centz chevaulx des leurs s'estoient venus joindre à ung rendés vous, près St Germain en Laye, qui avoient contreinct Vostre Majesté et toute la court de desloger, de nuict, et fère une fort soubdayne retraicte à Paris. Il est vray que, quand la dépesche de l'ambassadeur d'Angleterre est arrivée, encore que le courrier ayt faict les choses bien grandes, le comte de Lestre m'a néantmoins mandé que les lettres parloient fort modérément, et ne disoient sinon que Vostre Majesté, estant advertye que ceulx de la dicte nouvelle religyon s'assambloient assés près de St Germain, vous vous en estiés venu à Paris pour y pourvoir.

Maintenant, Sire, je mettray peyne que ceste princesse et ceulx de son conseil entendent mieulx comme le tout va, jouxte ce qu'il vous plaist m'en escripre; et feray tout ce qu'il me sera possible qu'elle et eulx ne se vueillent esmouvoir de rien, bien qu'il ne fault s'attandre, Sire, encor que, par advanture, je pourray bien tirer beaucoup de parolles et de démonstrations bonnes d'elle, que pourtant toutz les siens demeurent paysibles, si les troubles s'eslèvent en vostre royaulme; non plus qu'ilz ne se peuvent contenir qu'ilz ne s'entremettent bien avant de ceulx de Flandres; oultre que la dicte Dame leur en pourra dissimuler davantage sur ce qu'on luy a voulu fère accroyre que ces vaysseaulx de Normandye s'équippoient en faveur d'Adam Gourdon, pour le trajetter, avec de bonnes forces, en Escoce. Ce que je luy ay néantmoins assuré, sur ma vye, que non, 51 ains que c'estoit pour Dantzic, ainsy que vostre dépesche, du XXe du passé, le portoit; et me suis mocqué de ce qu'on luy vouloit imprimer que Vostre Majesté, et le Roy d'Espaigne, aviés une entreprinse, pour ce primptemps, sur l'Angleterre, comme de chose qu'elle debvoit estimer ridicule et pleyne de vanité.

Et, quand à voz subjectz, qui sont par deçà, Sire, je leur feray entendre vostre bonne intention, et mettray peyne de les retenir en la dévotion, qu'ilz m'ont plusieurs foys assuré, qu'ilz avoient à vostre service; et sçay bien que le comte de Montgommery estoit encore, n'y a pas cinq jours, à Gerzé, et que luy, ny son filz, n'en ont point bougé; et que mesmes ilz s'en reviennent, toutz deux, bientost trouver la comtesse de Montgommery, à Hamptonne; d'où, s'il s'approche jusques icy, je ne faudray de le confirmer, le plus qu'il me sera possible, à vouloir demeurer en ce qu'il vous a promis, par l'escript, que je vous ay naguyères envoyé, signé de sa main.

Au surplus, Sire, l'on me vient d'advertyr que environ quarante navyres de guerre, qui sont prestz à sortir de Fleximgues, avec bon nombre de soldatz, et le cappitaine Chestre, angloys, qui embarque encores de nouveau, icy, quatre ou cinq centz hommes pour les passer, à ce qu'il dict, en Hollande, ont une entreprinse sur Callays, par la conduicte d'aulcuns françoys qui ont demeuré longtemps à la Rye, et maintenant sont passés dellà. Dont, encor que l'advertissement ne me viegne de grand lieu, je ne l'ay voulu mespriser, ains ay estimé que, à cause d'icelluy, je debvois renvoyer promptement Jacques le courrier, affin d'en donner advis, en passant, à Mr de Gourdan, et pareillement à Mr de Caillac, à Bouloigne, comme, encores je 52 suys très ayse qu'ayés faict advertyr, tout le long de la coste, qu'on ayt à s'y tenir sur ses gardes. Et sur ce, etc.

Ce VIIe jour de mars 1574.

CCCLXXe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de mars 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrettère.)

Audiences.—Consentement du roi à ce que l'entrevue se fasse en secret à Douvres.—Demande d'un délai pour donner la réponse.—Changement apporté dans les délibérations d'Élisabeth par la nouvelle de la reprise des armes en France.—Communication qui lui est faite à cet égard par l'ambassadeur.—Bonne disposition des réfugiés français.—Réponse d'Élisabeth qu'elle consent à l'entrevue, dans l'une de ses maisons, près de Douvres.

Au Roy.

Sire, la Royne d'Angleterre a curieusement, et avec affection, leu les trois lettres, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le Duc, luy avés escriptes, de voz mains, et a esté fort facille de cognoistre, à ses parolles et contenances, qu'elle prenoit ung grand playsir de voyr que toutz troys persévériés, conjoinctement et constamment, vers elle. Néantmoins elle m'a dict, en riant, qu'elle craignoit que, par mes dépesches, je vous eusse parlé ung peu trop licencieusement de l'affection, qu'elle m'avoit privément déclaré, qu'elle avoit à l'establissement d'une mutuelle et perdurable amityé avec Voz Majestez, et que je la vous eusse interprétée à quelque aultre sorte d'affection vers le mariage et l'entrevue; en quoy, si je ne luy avois réservé la modération, qui convenoit aulx filles, elle auroit grande occasion de se pleindre de moy.

Je luy ay respondu que ce que je luy avoys à explicquer 53 de ma créance luy donroit assez à cognoistre de quelle façon je vous avoys escript ses propos, et comme Vostre Majesté les avoit prins. Et encor, Sire, qu'il m'est bien souvenu qu'ung de ses troys conseillers m'avoit desjà admonesté que je debvois considérer les ennemys que j'avoys en ce propos; (et que, si je venois, de rechef, à débattre ceste forme de privée entrevue, qui m'estoit desjà accordée, qu'ilz m'y succiteroient des labirintes nouveaulx, qui seroient très longs et très difficilles à desmeller, et que, puisque je pouvois avoyr la dicte entrevue en effect, qu'il ne falloit que je m'arrestasse à la formalité, car il estoit très certain que le tout dépendoit maintenant de voyr Monseigneur le Duc, et que, sans cella, le mariage ne succèderoit jamays; et néantmoins, pour l'incertitude de l'évènement, la Royne, sa Mestresse, estoit conseillée de monstrer tousjours qu'elle n'en vouloit venir si avant; dont, de tant qu'il appartenoit à Monseigneur le Duc, qui estoit l'homme, de fère toutes les instances du mariage, c'estoit aussy à luy de monstrer quelque trêt extraordinayre de son affection en la poursuyte de ceste entrevue, et qu'il ne debvoit réputer qu'il luy peût jamays tourner à honte de venir voyr celle qu'il nommoit sa maistresse, en la privée façon qu'elle le devisoit); néantmoins, Sire, je me suis contenu dans les termes de l'instruction que j'ay trouvée dans vostre lettre. Et par ainsy, ay dict à la dicte Dame que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviés beaucoup esmerveillé la forme de la responce qu'elle vous avoit faicte, et mesmes de ce qu'elle vous y avoit représanté plus d'incertitude de sa volonté que nulle bonne espérance de la vouloir effectuer; dont aviés esté à ne sçavoyr que y fère, ny que dire davantage. Néantmoins, après avoyr bien digéré le faict, 54 voyant que le nouveau escrupulle n'estoit sinon celluy mesmes qu'on avoit auparavant proposé, et que c'estoit plustost une invention faicte, à poste, par les ennemys, pour interrompre encores le propos, ceste foys, que non qu'ilz pensassent dire vérité, car aviés l'object devant voz yeulx, qui vous assuroit du contrayre, vous vous estiés mis toutz trois à dellibérer comme vous pourriés, tout ensemble, contenter le desir de la dicte Dame, et satisfère à vostre réputation, car pensiés bien qu'elle ne voudroit que vînsiés à luy complayre, sinon avec la conservation de vostre honneur; et que, là dessus, Sire, vous me commandiés de luy dire tout franchement que vous ne croyriés jamays que, en vostre endroict, et de la Royne, vostre mère, sur ung si cordial offre, comme vous luy aviés faict, de Monseigneur le Duc, qui s'estoit encores luy mesmes tout entièrement offert à elle, elle eût le cueur de vous vouloir tromper ny uzer de simulation, ny qu'elle vous ait faict fère déclaration qu'elle se vouloit marier, et vouloit préférer vostre alliance à toutes celles de la Chrestienté, pour, puis après, se mocquer de vous, ains que sincèrement elle correspondoit à vostre sincérité; et que, sur ceste confiance, vous aviés résolu de surmonter encores, s'il vous estoit possible, ceste renouvellée difficulté, en soubmettant la décision d'icelle au parfaict jugement de ses yeulx. En quoy vous la vouliés prier, de bon cueur, qu'elle considérât que Monseigneur le Duc estoit nay grand, et tenoit ung très grand lieu au monde, et commandoit aujourdhuy sur toutz les affères de Vostre Majesté, et que pourtant il n'estoit pas possible que sa venue vers elle peult estre collorée, ny couverte, soubz la légation de quelconque aultre ambassadeur, que peussiés envoyer par deçà; mais vous aviés advisé que, en venant en 55 Picardye, où aviés desjà proposé de vous acheminer, à ceste my caresme, pour changer d'air, sellon que voz mèdecins disoient que cella ayderoit bien fort à vous mieulx reffère de la fiebvre quarte, laquelle vous avoit layssé; que, pour l'amour d'elle, et pour servir à ce bon effect, et pour mieulx couvrir le voyage de Monseigneur le Duc, vous poursuivriés vostre chemin jusques à Bouloigne, et que, si elle se vouloit aussy approcher, vers ce quartier là, jusques à Douvres, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, mettriés peyne de luy dresser si à propos, et privément, et secrettement, la dicte entrevue, et sans y uzer aulcun apparat ou despence, que vous espériés, en toutes sortes, de la rendre très contante.

Elle, d'ung bon visage, et d'une fort bonne démonstration, m'a respondu que, en voz lettres et en la créance d'icelles, il vous plaisoit et à la Royne, vostre mère, continuer si honnorablement le pourchas de son alliance, qu'elle voudroit de bon cueur vous pouvoir bien complayre, et s'accommoder à ce que desiriés; et vous supplioit de croyre qu'elle n'estoit si superbe de se vouloir excuser de s'approcher vers Voz Majestez, car, pour servir à vostre honneur et grandeur, elle entreprendroit bien ung plus long et plus malaysé voyage que d'aller jusques à Douvres; mais que n'y ayant pas longtemps qu'elle y avoit esté, et que son premier progrès estoit desjà dressé d'ung aultre costé, vers Yorc, ung chascun diroit qu'elle alloit chercher mary, non qu'elle voulût, pour cella, regarder tant à sa qualité de Royne, veu que Monseigneur le Duc estoit aussy luy mesmes royal, comme à ce qu'elle estoit fille. En quoy elle vous supplioit de trouver bon qu'elle n'outrepassât rien des modestes respectz qu'elle se debvoit réserver, bien que, par advanture, 56 elle pourroit aller, comme en chassant, jusques en une mayson de milord Coban, à vingt milles de Grenvich, sur le chemin de Douvre, et rencontrer là Monseigneur le Duc, qui s'y pourroit trouver avec douze ou quinze des siens; ou bien, s'il se vouloit approcher à Gravesines, qui est ung lieu sur la Tamise, que bien facillement une barge l'yroit prendre là, et le porteroit fort secrettement avec les siens dans Grenvich, et qu'elle estimoit que c'estoit bien tout le mieulx qui s'y pouvoit fère.

Je luy ay réplicqué que, puisque Voz Majestez condescendoient de luy envoyer Monseigneur le Duc, en la plus descente et convenable façon que verriés le pouvoir fère, je la suppliois qu'elle se voulût, en quelque partie, accomoder à vostre volonté de s'approcher vers Douvres, et vous envoyer présentement le saufconduict, et que, de tout le surplus, elle s'en reposât ardiment sur le bon ordre que Voz Majestez y sçauroient bien donner.

A cella elle m'a respondu que la Royne, vostre mère, sçauroit très bien dresser la finesse, quand elle vouldroit, mais qu'elle craignoit qu'elle y voulût trop garder l'advantage de son filz; et que, de tant que ses principaulx conseillers estoient absentz, lesquels elle n'attandoit jusques au deuxiesme jour ensuyvant, elle me prioit, premier que de rien résoudre en cella, de luy donner ung peu de loisir d'en pouvoir conférer avec eulx.

Or ay je, Sire, distribué voz aultres lettres à iceulx conseillers, aussytost qu'ilz ont esté arrivés, et n'ay obmis de leur fère les instances et les offres, et leur déduyre les raysons, que j'ay cognu les pouvoir anymer et encourager, non seulement au poinct de ceste entrevue, ains aussy à résoudre la conclusion de tout l'affère.

57 Mais cepandant est survenu ceste nouvelle de la reprinse d'armes par voz subjectz de la nouvelle religion, laquelle, du commancement, a esté publiée fort grande, ainsy que je le vous ay mandé; mais, depuis, l'ambassadeur d'Angleterre l'a escripte fort modérément. Et je la suis allé représanter, en propres termes, à la dicte Dame et aulx siens, comme je l'ay trouvée dans vostre lettre, du IIIe du présent, y adjouxtant seulement que vous craigniés bien que les impacientz du repos, lesquelz, par leurs faulx bruictz et par leurs faulces subjections, s'efforçoient de ressuciter ce malheur dans vostre royaulme, n'aspirassent oultre à fère tousjours leur profict de ceste division, à deulx aultres encor plus maulvais effectz: l'ung estoit d'imprimer une maulvaise opinyon de Vostre Majesté aulx princes protestantz d'Allemaigne, pour les vous rendre ennemys, du costé de deçà, et les fère aussy ennemys du Roy, vostre frère, du costé de Pouloigne; et l'aultre, d'altérer la bonne amityé que vous aviés avec la dicte Dame, et traverser le pourchas que faysiés de son alliance. En quoy vous la supplyés, de bon cueur, de ne vouloir, pour tout cecy, s'esmouvoir aulcunement de sa part, car debvoit croyre, avec toute vérité, que ce qui estoit recommancé, et ce qui pourroit ensuyvre de trouble en vostre royaulme, seroit contre vostre volonté, et contre celle de la Royne, vostre mère, et celle de Monseigneur, vostre frère, et sans aulcune coulpe qui fût procédée de nul de vous; et que touts troys, quoy qui deût advenir, estiés tous résolus de persévérer, plus constamment que jamays, vers elle; et attandiés maintenant, avec très grand desir, sa responce sur ce que luy aviés naguyères faict proposer.

La dicte Dame m'a respondu que, en nulle sorte du 58 monde, vous luy pouviés mieulx monstrer que vous l'aymiés et que vous vous fyiés d'elle, que de luy fère ainsy part et communicquation de voz affères; et qu'elle avoit ung merveilleux regret, que ceulx qui envyoient le bien et la prospérité d'iceulx, eussent tant de moyen que de les remettre en trouble, en quoy, si son advis estoit digne de venir devant Vostre Majesté et devant l'expérimantée prudence de la Royne, vostre mère, elle vous conseilleroit très volontiers toutz deux de fère, de main en main, enquérir si avant, contre ces faulx rapporteurs, que quelqu'ung en peult estre prins, pour le fère, en terreur des aultres, très exemplayrement punir, et plus griefvement que ceulx mesmes qui ont prins les armes, comme estant plus traistres qu'eulx: car plus grand trahison, à son advis, ne vous pourroit estre faicte que de vous distrayre et allyéner voz subjectz, et vous mettre en nécessité d'esprouver que peut; en voz susdicts subjectz, le désespoyr de vostre bonne grâce; et, quand à elle, que, en cest accidant et toutz aultres, vous la trouveriés tousjours très constante amye et très germayne bonne seur; et que, desjà une foys, elle avoit assemblé ceulx de son conseil pour adviser de la responce qu'elle auroit à me faire; vray est, qu'ayant depuis pensé que, à cause de ces nouveaulx accidantz, vous pourriés, possible, m'avoyr mandé quelque changement, elle avoit bien voulu attandre jusques à ce que j'eusse, de rechef, parlé à elle, mais voyant que je ne luy disois rien au contrayre, elle me feroit bientost sçavoyr ce qu'elle dellibéroit vous respondre, qui ne vous seroit, à son advis, sinon bien agréable.

Or, attandant cella, Sire, j'ai communicqué la mesme lettre de Vostre Majesté, du IIIe du présent, à ceulx de 59 voz subjectz, plus principaulx, qui sont encores icy; lesquelz m'ont respondu qu'ilz estoient très marrys du renouvellement du trouble, et néantmoins qu'ilz avoient beaucoup de consolation de voyr que Vostre Majesté le détestoit et le vouloit remédier. Dont Mr le vydame, de sa part, a monstré qu'il ne vouloit rien mouvoir, ains plustost servir, en tout ce qu'il pourroit, à l'effect de la bonne intention qu'aviés à la tranquillité de voz subjectz, et qu'il y employeroit très volontiers, quand Vostre Majesté le luy commanderoit, les mesmes moyens qu'il m'avoit autreffoys dict qu'il pensoit avoyr bien bons vers le comte Palatin, aulmoins si les choses ne se trouvoient depuis bien fort changées en luy. Et Mr de Languillier m'a fort expressément confirmé sa résolution de vouloir jouyr du béneffice de l'édict, soubz la bonne grâce de Vostre Majesté, et que, s'il vous plaisoit vous servir de luy vers ceulx de la noblesse de Poictou, qu'il espéroit pouvoir beaucoup vers eulx, à les rendre, par sa persuasion et par son exemple, bien capables de vostre bonne intention, et que, plustost que de sa part il repreigne les armes, sinon par vostre commandement, encor qu'il voye ne pouvoir avoyr seur repos chés luy, qu'il s'en yra habiter en Suysse. Et la comtesse de Montgommery, laquelle m'est venue dire adieu, avec mademoiselle de Beaufort sa fille, quand elles sont allées à Hamptonne, m'a assuré qu'elle feroit incontinent sçavoyr à son mary ce que je luy avoys déclaré de vostre droicte intention, et le persuaderoit bien fort de la suyvre. Lequel son mary, Sire, estoit encores, le Ve de ce moys, à Gerzei, et n'en a poinct bougé; et a descouvert, ce dit on, deux trettés qui se faysoient pour le tuer, l'ung, par des soldatz qui, en guyse de marchandz et de marinniers, estoient, 60 à cest effect, passés en l'isle, et l'aultre, par son secrettère, avec du poyson, dont le dict secrettère est prins, et dict on qu'il sera mené icy, et que le dict comte retournera bientost par deçà.

Je ne voy pas, Sire, que les Angloys, ny voz dictz subjectz, qui sont icy, dressent, pour encores, rien contre le bien de voz affères, mais il ne se fault pas attandre, si les choses vont plus avant, qu'ilz se puissent garder d'avoyr intelligence, et porter toute la faveur et support de forces et d'argent, qu'ilz pourront, à ceulx de leur religion. Et depuis naguyères, ung personnage, de grande qualité, allemand, a esté, icy, en nom et habit déguysés, lequel je sçay bien que ceste princesse a eu opinion que ce fût ung prince; et il a négocyé fort estroictement avec ceulx de son conseil. Dont je desire de bon cueur que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, par vostre vertu et prudence, pourvoyez que ce commancement de troubles, s'il est possible, n'ayt poinct de suyte en vostre royaulme.

Cependant pour mieulx retenir ceulx cy, j'ay tousjours plus instamment, que devant, sollicité la dicte Dame, leur Mestresse, de sa responce, et de me la fère bonne; de laquelle j'ay enfin obtenu de vous pouvoir mander, de sa part, que, puisque vostre dellibération estoit de venir en Picardye, pour changer d'air, après la fiebvre quarte, dont elle louoit et remercyoit Dieu qu'en fussiés bien guéry, qu'elle se tiendroit de tant plus heureuse et contante que plus elle se santiroit estre près de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et que ne luy pouvant estre bien séant de retourner maintenant à Douvre, pour les considérations qu'elle m'avoit desjà alléguées, que aulmoins se pourroit elle, soubz colleur d'aller à l'esbat et à la chasse, 61 s'approcher en une de ses maysons, la moins esloignée du dict Douvre que fère se pourroit, là où, s'il plaisoit à Monseigneur le Duc prendre la peyne d'y venir privément, et sans cérymonie, ilz s'y pourroient rencontrer toutz deux; et elle auroit grand plaisir de le voyr; et, si Vostre Majesté se pouvoit contanter que l'entrevue se fît en ceste privée façon, car ne pouvoit juger qu'il luy peût estre bon de la consentyr aultrement, que son ambassadeur auroit charge de vous dellivrer le saufconduict, lequel, à cest effect, elle luy envoyoit présentement; et vous confirmeroit plus amplement ceste sienne responce; laquelle elle mesmes ne pouvoit, à cause d'ung peu de mal qui luy avoit prins à la main, la vous escripre, ainsy qu'elle avoit bien dellibéré de le fère. Qui est, en substance, Sire, tout ce que j'ay peu advancer en cest endroict. Et sur ce, etc.

Ce XVIIe jour de mars 1574.

CCCLXXIe DÉPESCHE

—du XXIIIe jour de mars 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calays par le Sr Cavalcanti.)

Nécessité d'accepter l'entrevue.—Nouvelles des troubles de France.—Craintes inspirées par Montgommery.—Armemens faits en Angleterre.—Nouvelles des Pays-Bas et d'Écosse.—Meilleures dispositions d'Élisabeth envers Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, je n'ay, par ceste dépesche, à mettre ny oster rien de ce que, par la précédante, du XVIIe du présent, je vous ay escript touchant l'entrevue, sinon de vous confirmer qu'il est besoing que Vostre Majesté se détermine à la consentir, ou bien laysser à tant le propos, car ceste 62 princesse est très fermement résolue de ne passer oultre, sans voyr Monseigneur le Duc; et encores, si, en le voyant, l'on pouvoit estre bien assuré qu'elle procèderoit incontinent à la conclusion du mariage, le voyage ne seroit tant à regretter, mais, en l'incertitude où elle vous en laysse, avec l'accoustumée instabilité de deçà, je ne voy sinon que, pour parvenir là où Mon dict Seigneur le Duc prétend, il fault, par nécessité, ou qu'il azarde de venir incertain, ou qu'il quitte du tout son entreprinse. Et vous puis assurer, Sire, que la dicte Dame s'attand, sans aulcun doubte, qu'il viendra, et qu'elle sera preste de s'approcher, quand elle en aura plus de certitude, vingt ou vingt cinq mille vers Douvre pour le rencontrer.

La nouvelle s'augmante, de jour en jour, icy, des désordres et troubles qui multiplient en vostre royaulme; qui est cause que plusieurs angloys commancent de solliciter des moyens et des provisions de ceste court, pour pouvoir aller par dellà se joindre à ceulx de leur religion, et d'aultres praticquent d'avoyr des commissions pour armer des vaysseaulx; et aulcuns en y a qui mettent en avant qu'il seroit bon d'en accommoder de quelque nombre le comte de Montgommery, ensemble de quelques hommes et deniers, affin qu'il peût maystriser ceste mer estroicte, et entreprendre quelque descente en France, là où il verroit le pouvoir mieulx fère à son advantage; mais il semble qu'il ayt escript, de Gerzé, qu'encor qu'on ayt voulu attempter à sa vye, qu'il ne remuera rien contre Vostre Majesté, qu'il ne voye comme les choses yront plus avant, et comme il vous plerra uzer vers luy; car veult estimer que cella n'est procédé aulcunement de vostre commandement. Néantmoins, Sire, je l'observeray, le plus qu'il me 63 sera possible; car l'on m'a adverty qu'il a envoyé icy fère quelque provision de pistollés et d'harquebouzes; et je voy bien que ceulx cy, de leur costé, poursuyvent de garnyr d'artillerye, d'armes et de tout aultre fourniement nécessayre, tous leurs grandz navyres de guerre, réservé d'y mettre les vivres et le nombre d'hommes qui faict besoing, car cella est remis à quand il sera temps. Et dellibèrent cepandant de mettre la flotte en deux, pour en envoyer tenir la moictyé à Portsemue, vis à vis du Hâvre de Grâce, et l'aultre moictié restera à Gilingam, où, de présent, elle est. Et m'a l'on dict que, depuis huict jours, il a esté dépesché, de ceste ville, une lettre de crédict, de soixante mille escuz, pour Francfort.

Je viens d'entendre que sept ou huict bretons sont arrivés, desquelz l'on présume que l'ung d'eux a charge d'aller devers le prince d'Orange, pour emprunter des navyres de guerre, mais je n'ay encores vériffyé cella. Bien m'a l'on dict que le susdict prince a mandé comparoir, à certain prochain jour, en Hollande, où il s'en est retourné, toutz les vaysseaulx qui s'advouent à luy, soubz prétexte de leur vouloir bailler ung règlement sur le faict de la navigation et sur les prinses, affin qu'ilz ne se portent plus en pirates, avec intention de déclarer désavouez ceulx qui ne comparoistront. Je ne sçay si, lors, il fera quelque autre dellibération. Les angloys qui s'estoient embarqués, icy, pour luy, sont arrivés à Fleximgues, et s'y en est trouvé le nombre de sept centz soldatz completz, quand ilz sont descendus de dellà, qui incontinent ont receu paye; dont l'entreprinse qu'on m'avoit adverty, sur Callays, est, pour ce regard, passée.

Les choses d'Escosse s'entretiennent encores en quelque 64 repos, bien que l'on m'a dict que les bourgoys et marchandz, et le commun du pays, vont faysant une secrette ligue contre le comte de Morthon, pour les grandes exactions qu'il faict sur eulx, et qu'ilz ne veulent plus souffrir qu'il aille ainsy, de lieu en lieu, tenir la justice pour les piller et ruyner, comme il faict, et que les principaulx de la noblesse sont toutz retirés en leurs maysons. Milord trésorier a observé, luy mesmes, le temps de pouvoir présenter, bien à propos, la lettre de la Royne d'Escosse à la Royne, sa Mestresse; et m'a mandé qu'il la luy avoit faicte lyre toute entièrement, et qu'elle l'avoit trouvée en termes si honnestes, et escripte de si bonne façon, qu'il me pouvoit assurer que cella avoit beaucoup regaigné le cueur de sa Mestresse, et que les choses alloient, à présent, assés bien, et espéroit qu'iroient encores mieulx, entre elles deux. Sur ce, etc.

Ce XXIIIe jour de mars 1574.

CCCLXXIIe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour de mars 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Projet du roi de retarder l'entrevue.—Bruit de la mésintelligence qui aurait éclaté entre le roi et le duc d'Alençon.—Craintes que les Anglais ne veuillent profiter des troubles de France.—Soupçons contre Montgommery.—Affaires d'Écosse.

Au Roy.

Sire, estimant qu'il sera bon qu'ayés veu et considéré, à loisyr, la responce que la Royne d'Angleterre m'a faicte, laquelle je vous ay mandée, le XVIIe de ce moys, et 65 qu'ayés ouy son ambassadeur, et retiré de luy le saufconduict qui luy a esté envoyé pour vous bailler, et que j'aye receu, là dessus, nouveau commandement de Vostre Majesté, premier que de changer ny débatre rien plus à la dicte Dame, j'ay advisé de ne luy proposer, jusques allors, ce que m'avez escript, du VIIe du présent, de luy prolonger l'entrevue; car semble qu'elle est aulcunement persuadée qu'encores que voz affères vous apportent une très suffizante occasion de ne vous esloigner, pour ceste heure, des envyrons de Paris, que néantmoins vous ne voudrés que Mon dict Seigneur le Duc laisse, pour cella, de venir fère, secrettement et privément, une course jusques icy, comme s'il alloit à quelque autre commission pour vostre service, joinct que le saufconduict, ainsy qu'on m'a dict, s'estend jusques au XXe de may prochain. Et il est à croyre, Sire, que, si le poinct de l'entrevue estoit cependant vuydé, que vostre voyage, puys après, en Picardye, seroit pour donner grand chaleur à tout le reste, et pour fère que le propos pourroit réuscyr à une ou aultre conclusion, pendant que seriés si près d'icy; et, possible, que le mariage se consommeroit, si, d'avanture, les personnes venoient à se complayre. Mais, de tant que je tiens ceulx cy ordinayrement pour très suspectz de mutation et de changement, je ne vous puis promettre, Sire, rien de plus certain d'eux que une grande incertitude; bien qu'à présent les choses monstrent de continuer, icy, telles, comme je le vous ay mandé, et comme le Sr Cavalcanti vous l'aura depuis confirmé, et encores, en apparance, semble quelles vont de bien en mieulx.

Mesmes il m'a esté signiffié que ceste princesse et les principaulx, d'auprès d'elle, ont esté très marrys d'ouyr publier par deçà qu'il y eût mauvayse intelligence entre 66 Vostre Majesté et Monseigneur le Duc, et que vous eussiés, pour cella, faict quelques rigoureuses démonstrations à luy, et au Roy de Navarre, à Monsieur le prince de Condé et Monsieur de Montmorency; dont envoyèrent sçavoyr ce que j'en entendoys, et qu'ilz ne pouvoient, ny vouloient, croyre qu'il en fût rien, car les lettres de leur ambassadeur n'en parloient nullement; et que cella estoit venu d'ung messager ordinayre, qui n'estoit poinct angloys, lequel, estant party de Paris, le VIIIe du présent, avoit semé ce bruict. Et à peyne, Sire, ay je eu déchiffré la vostre, du VIIe du présent, laquelle a séjournée, pour l'occasion du temps, huict jours entiers, à Callays, que milord trésorier et le comte de Lestre, chacun de sa part, m'ont envoyé ung gentilhomme pour m'advertyr que, par les plus rescentes du dict ambassadeur, lesquelles estoient du XVe de ce moys, il apparoissoit que le susdict bruict estoit faulx, et qu'il ne se pouvoit desirer plus de vraye et cordialle amityé, entre deux frères, qu'il s'en voyoit entre Vostre Majesté et Monseigneur le Duc, et que vous luy portiés plus de faveur que vous n'aviez jamais faict, ensemble au Roy de Navarre et aulx aultres deux. Et ont adjouxté qu'avec Mr de Turène, et Mr de Torcy, estoient venus vers Vostre Majesté trois gentilshommes, de la nouvelle religyon, de ceulx qui ont nouvellement prins les armes, pour se rendre plus assurés de vostre bonne intention vers eulx, et qu'ilz s'en estoient retournés bien fort satisfaictz; et que d'ailleurs vous aviés envoyé le Sr Strossy à Mr de La Noue, en Poictou; dont se vouloient conjouyr, avecques moy, de ce que les choses prenoient ung chemin pour retourner à la paix, sans passer à plus d'altération. De quoy je les ay envoyés infinyement remercyer par le Sr de Vassal, et que cella 67 monstroit combien l'affection de leur Mestresse, et la leur, estoient très bonnes vers le bien de voz affères, et qu'ilz seroient marris qu'il vous y succédât mal.

Or, est il bien certain, Sire, que, sur le renouvellement des présents troubles de vostre royaulme, il a esté tenu, icy, diverses assemblées de conseil; et plusieurs dellibérations y ont esté mises en avant, ainsy que Vostre Majesté en a eu, comme je voy, quelque sentiment; mais, encor qu'on y ayt procédé aulx opinions, et que tel peut avoyr monstré d'incliner bien fort à la guerre ouverte, qui, possible, est plus remis que nul des aultres, je ne puis toutesfoys descouvrir qu'on en soit venu encores à quelque conclusion. Et je mettray peyne, aultant qu'il me sera possible, s'il s'en faict aulcune, que l'effect d'icelle ne passe oultre, sans que je vous en puisse donner quelque advertissement; ne voulant toutesfoys mettre en doubte que, si ce nouveau feu s'allume davantage, ceulx cy ne facent ouvertement, ou soubz main, tout ce qu'ilz pourront pour le fomenter.

Le comte de Montgommery est si près de la coste de dellà, et si esloigné d'icy, que Vostre Majesté peut avoyr, plus souvent et ordinayrement, nouvelles de luy, que non pas moy; tant y a que je souspeçonne fort, parce que le Sr de St Ouan, de Gersey, a faict, icy, de nouveau, quelque provision d'harquebouzes et pistollés, que ce ne soit pour en accomoder davantage le dict de Montgommery.

L'oncle du comte d'Arguil estoit desjà party pour Escosse, quand vostre dépesche est arryvée, mais je l'ay, avant son partement, si bien instruict des mesmes choses, que m'avez escriptes, que j'espère qu'il les sçaura très bien représanter par dellà. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour de mars 1574.

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CCCLXXIIIe DÉPESCHE

—du IIe jour d'apvril 1574.—

(Envoyée jusques à la court par Anthoyne Laguète.)

Audience.—État des négociations en France pour rétablir la paix.—Réception faite au roi de Pologne dans ses états.—Nouvelle de la descente de. Montgommery en Normandie.—Protestation d'Élisabeth qu'elle a ignoré cette entreprise.—Doute sur la vérité de cette nouvelle.—Assurance donnée par l'ambassadeur qu'Élisabeth ne veut fournir aucun secours aux protestans de France.

Au Roy.

Sire, je loue Dieu que ceulx, qui se sont eslevez en vostre royaulme, ayent prins l'expédient d'envoyer sçavoyr, par le Sr de Guyteri, la vérité de ce qu'on les mettoit en doubte, et qu'on les intimidoit de la volonté qu'avez vers eulx, et qu'il ayt eu de quoy leur rapporter, de la part de Vostre Majesté, qu'ilz ont esté trompés, et qu'ils trouveront tousjours trop plus de bonne seureté, en la protection de vostre parolle, qu'en tout l'effect des armes qu'ilz ont reprinses. Ce que ayant faict sçavoyr à la Royne d'Angleterre, et comme vous attandiés, par Mr de Torcy et Mr de Turène, lesquels vous aviés renvoyés, avec le dict de Guyteri, vers eulx, et par le Sr Strossy, qui estoit allé devers le Sr de La Noue, en Poictou, et pareillement du costé de Mr le mareschal d'Envylle, qui traictoit aussy de quelque moyen de paix, avec ceulx de Languedoc, bientost quelque bonne responce de leur modération, je l'ay assurée qu'incontinent après vous aviés dellibéré de leur bailler ceste ampliation de vostre édict, dont je luy avois parlé, qui les debvoit contanter; et, par ainsy que vous ne doubtiés que, dans bien peu de jours, tout ce renouvellement de troubles 69 ne cessât. Et luy ay compté, Sire, la bonne et desirée nouvelle qu'aviés receue du couronnement du Roy de Pouloigne, vostre frère, et comme les Poulonnois, pour le grand contantement qu'ilz avoient de le voyr, luy avoient remis beaucoup de ces condicions, aulxquelles les ambassadeurs, qui luy avoient apporté les décrets de son élection, l'avoient obligé, de sorte qu'il se trouvoit aussy absolu prince, sur ce grand royaulme, que quelque aultre roy qui fût en la Chrestienté; et que vous desiriés qu'elle participât à l'ayse, que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, et Monseigneur le duc, en santiés, ainsy que vous la feriés toujours participer aulx profictz et advantages qui vous en viendroient, sellon la plus estroicte amityé et confédération qu'elle avoit avecques Vostre Majesté; et que cella vous faysoit davantage desirer que l'honneste pourchas, auquel vous persévériés toujours de l'alliance d'elle avec Mon dict Seigneur le Duc, vostre frère, peût réuscyr à bon effect, affin que l'union indissoluble, d'entre ces trois grandes couronnes, fût plus craincte et respectée par toute la Chrestienté; et que vous estiés bien marry que ces nouveaulx désordres retardassent vostre venue en Picardye, mais que vous espériés y avoir bientost pourveu, pour, incontinent après, vous y acheminer. Dont m'assurois qu'aussytôst que vous auriés veu la dernière responce, qu'elle vous avoit mandée, que vous m'escripriés tout ce que pourriés fère en cella, affin de l'en advertyr. Bien estois je en grande perplexité comme Vostre Majesté pourroit prendre ce qui se publioit, icy, que, de l'isle de Gersey, qui est à elle, le comte de Montgommery fût descendu, en armes, au pays de Normandye, chose qui estoit toute contrayre à la promesse et au sèrement, et à la teneur du dernier 70 traicté de ligue, qu'elle avoit faicte avec Vostre Majesté; et que je demeurois le plus infâme gentilhomme du monde, et la parolle d'elle ne se pouvoit non plus saulver, si elle n'y pourvoyoit, et ne vous en faysoit fère une bien prompte réparation; car m'avoit fait vous escripre, encores depuis ung moys, que vous la trouveriés, en touts ces nouveaulx accidantz, et en l'occurrence de toutz voz affères, très bonne amye, et vrayement germayne bonne seur.

La dicte Dame, premier que respondre à ces poinctz, m'a prié de luy dire qu'est ce que je sçavoys de vostre santé, et si vous estiés bien dellivré de la fiebvre quarte, et s'il y avoit apparance qu'eussiés eu ce grand malcontantement, contre vostre frère et contre vostre beau frère, comme on l'avoit publié par deçà.

Je luy ay respondu que, grâces à Dieu, la fiebvre vous avoit, il y a longtemps, du tout layssé, et que vous estiés, à présent, aussy dispos et gaillard que fûtes oncques, et qu'il ne se pouvoit imaginer une plus parfaicte et cordialle amityé, entre deux frères, que celle qui se voyoit entre Vostre Majesté et Monseigneur le Duc; et que vous n'estiés moins assuré de sa volonté que de la vostre, ny n'aviés plus de fiance en vous mesmes que en luy; et le semblable du Roy de Navarre; et que ce faulx bruict estoit sorty de la malice de ceulx, à qui il faysoit bien mal qu'il n'estoit vray, et qui voudroient bien voyr de la division en ce premier lieu, ainsy qu'ilz l'entretiennent ez aultres lieux, qui suyvent après.

Lors, elle a suivy à dire, qu'elle remercyoit Dieu, de très bon cueur, que la disposition de vostre santé et celle de voz affères allassent trop mieulx qu'on ne le disoit, car avoit entendu que vous estiés encores bien fort maigre 71 et foible; dont vous prioit de ne mesprizer aulcun bon régyme, qu'on vous ordonnât, pour vous bien remettre du tout; et qu'elle avoit bien rejetté cest aultre fascheux bruict, de Mon dict Seigneur le Duc, et des aultres seigneurs, qu'on mestoit au compte, comme du tout faulx; mais quiquonques l'eût inventé, c'estoit bien tout le pis qu'il pouvoit fère contre vostre grandeur et contre la réputation de voz affères, dont elle avoit ung très grand playsir d'estre bien assurée qu'il n'en fût rien, et que vous eussiés, au reste, ung si bon desir, conjoinct avec beaucoup d'espérance, que ces nouveaulx troubles ne passeroient oultre, sellon que proposiés d'adjouxter quelque déclaration à vostre édict pour contanter ceulx de la nouvelle religion, affin de les mettre en plus de repos, en leurs maysons; et que surtout elle se conjouyssoit avec Vostre Majesté, et bien fort expéciallement avec la Royne, vostre mère, des bonnes nouvelles qu'aviés reçues du Roy de Pouloigne, lesquelles elle vous prioit de croyre qu'elle les santoit, aultant et nullement moins, que si elle fût sa propre seur de sang, comme elle l'estoit d'estat; mais, en ce que vous auriés veu, depuis, de la responce qu'elle vous avoit faicte au propos de Monseigneur le Duc, elle croyoit bien que ce ne seroit pour vous apporter ung si grand contantement comme du costé de Pouloigne; aussy falloit il qu'il vous y survînt du tempérament, de quelque aultre costé; bien pensoit que ne le jugeriés chose de mespris, et qu'elle verroit maintenant à quelle dellibération Vostre Majesté en voudroit venir.

Et, quand à la descente du comte de Montgommery en France, que c'estoit chose qu'elle ne sçavoit, et ne la pouvoit aulcunement croyre, veu ce qu'elle luy avoit deffandu, 72 lorsqu'elle luy avoit permis d'aller à Gersey, pour y sçavoyr nouvelles de ses affères: qu'il se gardât bien de vous fère, de ce lieu là, non seulement ennuy, mais de ne vous y donner aulcune souspeçon de luy; dont ne luy pourroit avoyr faict une plus mortelle offance que d'avoyr attempté de descendre en armes par dellà, et qu'elle désavoueroit le premier angloys qui le rencontreroit, s'il ne le tuoit, desirant que vous croyés et espériés d'elle, Sire, qu'elle, persévèrera droictement en la vraye amityé, qu'elle vous a jurée, si vous ne commancés de luy fallir de correspondance.

Et n'ay veu, ny peu nother chose aulcune, de la dicte Dame, qui m'ayt semblé tendre, sinon à cella mesmes, que je vous ay mandé par mes précédantes. Et, pour le regard de ce dernier poinct, du comte de Montgommery, toutz les seigneurs de ce conseil m'ont fermement assuré qu'ilz n'en sçavoient du tout rien, et ne le pouvoient croyre. Néantmoins, puisque Mr de Matignon vous l'a mandé, il le peut mieulx sçavoyr, estant voysin du lieu, que non pas nous, qui en sommes bien loing, et d'où souvant il fault attandre beaucoup de jours le temps, premier qu'il en viegne des nouvelles; et quoy que soit, ny en ceste court, ny en ceste ville, l'on n'en a rien de certein.

Et, au regard de préparer icy une aultre descente de plus grand nombre d'angloix par dellà, soubz colleur d'équipper en guerre plusieurs navyres marchandz, je sçay qu'il s'en équippe voyrement quelques ungs, pour aller en Hespaigne, et en Barbarye, et non ailleurs, bien que je loue infinyement l'ordre que Vostre Majesté a donné de fère advertyr, par toute la coste, qu'on ayt à s'y tenir sur ses gardes; car, en nulle façon du monde, se 73 pourroient garder les Angloys, si la guerre de voz subjectz continue, qu'ilz ne s'en vueillent mesler, tout ainsy qu'ilz font du costé de Flandres. Mais pourtant je vous supplye très humblement, Sire, de ne vous esmouvoir, pour encores, des bruictz et rapportz qu'on vous pourra donner des dellibérations de deçà, car ne se pourra dresser aulcun appareil de guerre, qui soit d'importance, sans que je vous en donne advis, de quelque temps devant. Et sur ce, etc.

Ce IIe jour d'apvril 1574.

Il y a homme, en ceste ville, qui assure d'avoyr layssé le comte de Montgommery, le XVIe de mars, à Gerzé, et les seigneurs de ce conseil jurent qu'à tout le moins ne peut il estre vray qu'il ayt tiré ny poudres, ny amres, ny aulcune artillerye, de ce royaulme; et que, si luy mesmes est descendu en Normandye, il a si grandement mespris contre la Royne, leur Mestresse, et contre son estat, qu'on mettra peyne de l'en fère amèrement repantir.

CCCLXXIVe DÉPESCHE

—du VIe jour d'apvril 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Meusnier.)

Délibération des seigneurs du conseil sur l'entreprise de Montgommery.—Déclaration de la reine d'Angleterre que les armemens, faits à Londres, ont pour objet d'observer la flotte espagnole qui doit se rendre dans les Pays-Bas.—Nouvelles de Flandre et d'Écosse.—Disposition favorable d'Élisabeth à l'égard de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, après que j'ay eu faict ma plaincte à la Royne d'Angleterre de la descente du comte de Montgommery en Normandye, et de ce que, de l'isle de Gersey, qui est à elle, il a dressé toute son entreprinse par dellà, et en a tiré les poudres, les armes, l'artillerye et les monitions qu'il a 74 voulu, elle a proposé le faict en son conseil, avec démonstration, sellon qu'on me l'a bien fort assuré, qu'elle en estoit grandement offancée. Et Me Pollet, gouverneur de la dicte isle, qui, plus d'ung moys auparavant, estoit icy, a esté appellé, lequel s'est efforcé de monstrer qu'il ne pouvoit estre que cella fût vray, et qu'aulmoins estoit il très certain que luy, ny son lieutenant, n'en estoient nullement consentantz. Dont, sur ce doubte, l'on a envoyé devers la comtesse de Montgommery, à Hamptonne, pour en avoyr la certitude; laquelle a mandé qu'elle n'en sçavoit du tout rien, et que, si son mary avoit faict ce voyage par dellà, qu'il le luy avoit desrobbé, et qu'elle n'avoit eu nouvelles de luy, ny n'en estoient venues aulcunes de Gersey, à cause du vent contrayre, plus de troys sepmaynes avoit. Et, là dessus, le dict Pollet a esté renvoyé à sa charge pour en donner promptement advis, et n'y a eu celluy, de tout le dict conseil, qui n'ayt advoué à la dicte Dame que le comte auroit bien fort mespris contre elle, s'il avoit entreprins la dicte descente, et qu'elle la luy debvoit fère réparer. Et elle a déclaré davantage qu'elle ne vouloit, en façon que ce fût, que hommes, armes, vaysseaulx, ny nulle aultre assistance sortît de ce royaulme pour ceulx qui s'estoient eslevez contre Vostre Majesté.

Dont je verray, Sire, comme cella s'observera; et en continuant ma remonstrance du dict de Montgommery, quand la surprinse qu'on dict qu'il a faicte de Carantan sera mieulx advérée par deçà, et allant souvant à plaincte pour les aultres supportz, que j'entendray que les dictz Angloys feront aulx dictz eslevez; qui, à mon advis, ne se pourront tenir qu'ilz ne leur en facent quelques ungs, je mettray peyne de vous destourner tout le mal, que je pourray, 75 de ce costé; et essayeray ce que m'avez mandé, de la susdicte comtesse de Montgommery, ayant cepandant, Sire, prins parolle d'aulcuns principaulx de son conseil, oultre celle de la dicte Dame, de vous pouvoir assurer, qu'encor qu'elle prépare des forces, par mer et par terre, et qu'elle en ayt desjà de prestes, que néantmoins sa présente dellibération n'est de les employer nullement contre Vostre Majesté. Et je sçay bien, Sire, que, par icelles, elle, en tout évènement, se veult trouver pourveue, pour le passage de cette grande armée qui doibt venir d'Espaigne, au secours des Pays Bas, quand elle arryvera en la mer de deçà; et aussy que les choses d'Irlande la pressent assez, et qu'elle ne se peut jamays tenir assez assurée de celles d'Escosse. Néantmoins la naturelle inclination, que les Angloys ont contre la France, et leur commune religyon avec ceulx qui ont prins les armes par dellà, me faict vous supplyer très humblement, Sire, de ne laysser rien de si exposé, de leur costé, que l'occasion les puisse convyer d'entreprendre; car, encores qu'en toutes les parolles et démonstrations de la dicte Dame, si elle n'est bien la plus faulce et simulée princesse de la terre, elle face tout semblant d'avoyr bonne intention vers Vostre Majesté, et mesmes d'estre bien inclinée au party de Monseigneur le Duc, vostre frère, s'il advenoit que les Angloys fissent quelque exploit en France, qui réuscyst, advantageux pour les prétencions de ce royaulme, indubitablement elle l'advoueroit; et quand bien elle n'auroit volonté de le fère, ses subjectz l'y contreindroient; dont se fault tenir sur ses gardes.

Les depputez de Flandres continuent de vacquer tousjours à leur commission, bien qu'à dire vray il semble qu'ilz 76 y vont lentement, et qu'ilz praticquent d'aultres choses d'importance en ceste court, lesquelles je mettray peyne de sçavoyr au vray, affin de le vous mander. Et ayant recherché, jusques au fondz, quelle estoit celle entreprinse qu'on m'avoit adverty sur Callays, j'ay trouvé qu'elle estoit sur l'Éscluse, et qu'avec les navyres qui partoient d'Ollande et les angloys, qui s'embarquoient lors, icy, le dict prince d'Orange prétandoit d'emporter le dict Éscluse, et se fère, incontinent après, maistre de Bruges, pour y avoyr encores ung butin plus riche que celluy de Meldelbourg.

J'ay, ces jours passés, escript, par deux diverses voyes, en Escosse, et ay mandé au Sr de Quelsey la responce que m'avez commandé de luy fère. J'espère que, dans peu de jours, j'auray responce des principaulx seigneurs du pays. J'entendz que le comte de Morthon a faict appeller le comte d'Arguil pour venir rendre compte d'aulcunes bagues, qu'il prétend que la comtesse d'Arguil, sa femme, veufve du feu comte de Mar, retient, de celles de la couronne; et l'a faict venir au ban pour le fère déclarer forfaict, d'où l'on crainct, icy, que les armes s'en repreignent par dellà. Et le susdict Quelsey m'a layssé, par mémoyre, de supplyer très humblement Vostre Majesté qu'il vous playse octroyer vostre ordre au dict d'Arguil, ainsy que son feu père l'avoit.

J'ay supplyé, le plus humblement que j'ay peu, la Royne d'Angleterre de vouloir fère responce à certaynes lettres, que la Royne d'Escosse luy a escriptes, et l'ay sondée fort doulcement de quelle affection elle estoit, à ceste heure, vers elle; qui m'a, en très bonne sorte, respondu qu'elle luy escriproit, ou aulmoins escriproit au comte de Cherosbery tout ce qu'elle avoit à luy respondre; et qu'elle vouloit 77 que je luy escripvisse ardiment qu'elle n'avoit, à présent, aulcune aultre nouvelle offance contre elle, que la recordation de celles qui estoient déjà passées; et a commandé de fère seurement conduyre à la dicte Dame les coffres et besoignes, et lettres, qui luy estoient freschement arrivées de France. Vray est qu'elle a voulu que ce ayt esté par des serviteurs du dict Sr de Cherosbery, et non par ceulx qui les avoient menés jusques icy. Sur ce, etc.

Ce VIe jour d'apvril 1574.

CCCLXXVe DÉPESCHE

—du XVe jour d'apvril 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Prise de Carentan par Montgommery.—Désaveu que font les Anglais de cette entreprise.—Desir d'Élisabeth que l'entrevue soit accordée.

Au Roy.

Sire, le jeudy de la sepmayne saincte, et non plus tost, est arrivée à ceulx cy la certitude de la descente du comte de Montgommery en Normandye, et de la surprinse qu'il a faicte de Quarantan; et j'entendz que le mesme advis porte qu'il estoit bien près d'avoyr aussy Valoignes, et que Mr de Torcy avoit parlé à luy, le XXIIe du passé, et luy avoit monstré des articles, de la part de Vostre Majesté, aulxquelz il avoit faict la responce, qu'il a mandée par deçà; et que son frère avoit été tué, de guet à pens, par le commandement de la Royne. Dont vous puis assurer, Sire, que ceste princesse et ceulx de son conseil ont faict grande démonstration d'estre fort malcontantz du dict comte, et m'avoit esté donné espérance qu'il luy seroit escript 78 de s'en retourner, et d'amander la faulte qu'il avoit faicte, ou aultrement, que la dicte Dame s'en ressantiroit; dont suis attandant ce qu'elle y voudra fère, car n'a encores bien résolu, en son conseil, comme y procéder. Et je vous supplye très humblement, Sire, vous souvenir comme, dès le commancement de janvyer, je vous advertys du voyage du dict de Montgommery à Gersé, et comme il falloit que le fissiés observer de dellà, parce qu'il estoit tout auprès de vostre coste, et bien fort esloigné d'icy, et que mandissiés advertyr, tout au long des places de la mer, de se tenir bien sur ses gardes; dont je fus infinyement ayse, par une dépesche du moys de febvrier dernier, que Vostre Majesté me mandoit d'y avoyr très bien pourveu.

Or, Sire, ce que j'estime pouvoir maintenant fère est de retenir ceste princesse, et pareillement ceulx de voz subjectz, qui sont encores par deçà, le plus que je pourray, en vostre dévotion, et garder qu'ilz ne suyvent ny favorisent l'entreprinse du dict de Montgommery. En quoy j'ay faict desjà, et continueray ordinayrement de fère, les plus exprès et les plus ardentz offices qu'il me sera possible. Et, quand à l'heure présente, je ne sçaurois desirer rien de mieulx, de ceste princesse, que ce que sa parolle et tout son semblant monstrent de vouloir fère bonnement pour vous, en l'occurrence de voz présentz affères; et que, pourveu que luy faciés sçavoyr, ou bien qu'elle puisse cognoistre ce que desirés d'elle, elle promet de très volontiers s'y employer.

Ung de ses principaulx conseillers, sur une nostre privée communicquation, m'a faict sçavoyr que la dicte Dame et ceulx de son conseil ne furent oncques mieulx disposés qu'à présent au propos du mariage, parce qu'ilz prévoyent, 79 plus que jamays, par une occulte nécessité qui est dans cest estat, qu'elle et toutz eulx sont ruynés, si elle ne se marye. Et néantmoins il leur semble que le docteur Dayl y a senty du réfroydissement, de vostre costé, non que les termes, dont Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, luy avez uzé, en sa dernière audience, n'ayent esté bons et fondés en rayson, mais il luy a semblé n'y avoyr cognu la mesmes affection que devant; et qu'icelluy conseiller desireroit, au cas que Voz Majestez ne peussent, pour encores, s'approcher de ceste frontyère, qu'elles fissent aulmoins venir Mon dict Seigneur le Duc à ceste entrevue privée; où il me pouvoit assurer qu'il seroit receuilly et reçu de bon cueur; et que desjà ceste princesse avoit préparé ce qui faysoit besoing pour aller là où elle prétandoit de le rencontrer; et, quoy que ce soit, il me vouloit assurer, sur son honneur et sur le péril de son âme, que la dicte Dame ny ceulx de son conseil n'estoient consantz, ny sçavantz, de l'entreprinse du dict de Montgonmery, ains se tenoient fort offancés de ce qu'il l'avoit faicte; et que c'estoit chose très assurée qu'il n'avoit admené ny hommes, ny monitions aulcunes, de ce royaulme, et n'en tireroit la valeur d'ung soul; comme à la vérité, Sire, sellon le rapport que j'ay de l'estat du pays d'Ouest, il ne s'y prépare, pour encores, rien en faveur de luy. Et sur ce, etc.

Ce XVe jour d'apvril 1574.

80

CCCLXXVIe DÉPESCHE

—du XIXe jour d'apvril 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Motifs qui ont engagé Montgommery à reprendre les armes.—Ses instances pour obtenir des secours.—Nouvelle de la fuite du prince de Condé.—Négociation faite, au nom de La Noue, auprès des Anglais et du prince d'Orange, pour qu'ils portent des secours à la Rochelle.—Armemens des Anglais, qui se tiennent prêts à profiter des troubles de France.—Nécessité de reprendre la négociation du mariage.—Effet produit à Londres par la nouvelle de l'arrestation du duc d'Alençon et du roi de Navarre.

Au Roy.

Sire, par des lettres, que le comte de Montgommery a escriptes en ceste court, il s'est voulu justiffier, de sa descente en Normandye, sur des advertissementz qu'il assure luy avoyr esté donnés, de bon lieu, comme l'entreprinse estoit faicte de le tuer, de voye de faict ou par poyson, dans Gersey, et que, d'ailleurs, la Royne d'Angleterre avoit suspecte sa demeure au dict lieu; dont il avoit mieulx aymé aller exposer sa vye, avec ceulx qui estoient en armes en France, que demeurer en ceste peyne, entendant mesmement qu'ilz monstroient de ne les avoyr prinses que pour deffandre leur religyon, et pour éviter une généralle exécution qu'on avoit décrettée contre eulx; et supplioyt ses amys et parantz de luy moyenner quelques forces, de icy, pour le secourir, et des vaysseaulx pour courre la mer, en son nom, et pour fère quelque surprinse par dellà, où il s'en trouveroit la commodicté. A quoy il n'a esté encores respondu, et ne seroient ses instances pour produyre de grandz effectz, n'estoit tant de choses qu'on publie, si advantageuses pour les eslevez, que cella esmeut bien fort les 81 Angloys d'accourir à leur guerre; en quoy n'est de petit moment la fuyte, qu'on assure estre vraye, du Prince de Condé, qui a layssé la charge que luy aviez donnée en Picardye, pour se retirer ou en Allemaigue, ou avec eulx. Et, d'ailleurs, Sire, Mr de La Noue a envoyé icy son ministre, Textor, lequel il a faict passer à la Rochelle pour y prendre mémoyres et instructions; et n'a esté sitost arryvé en ceste ville, que le ministre Villiers, et Bobineau, agent de la Rochelle, et avec eulx Calnar, agent du prince d'Orange, l'ont mené vers aulcuns seigneurs de ce conseil, à la court, où il a négocié bien fort privément avec eulx. Et luy a l'on eu de tant plus de foy qu'il a apporté lettres de fort expresse recommandation du dict Sr de La Noue à Mr de Walsingam; ensemble, ainsy que j'entendz, certayne moictyé de quelques enseignes, que les susdicts de La Noue et de Valsingam s'estoient d'autrefoys my parties entre eulx pour signe de crédict, à celluy par qui ilz les envoyeroient l'ung à l'aultre.

Et je souspeçonne fort que la négociation n'est légère, ny de peu d'importance; de laquelle ce que j'en descouvre, pour ce commancement, est que icelluy Textor rejette bien loing toutz moyens et propos de paix; et qu'il demande assistance d'armes, de poudres et de vivres, offrant, en eschange, du sel et du vin, et aultres marchandises, et pareillement demande quelques vaysseaulx armez. En quoy semble que, pour ce poinct, des vaysseaulx, il traicte aussy avec le dict Calnar d'en avoyr du prince d'Orange; et est en grande espérance qu'il en impétrera d'icy, avec les aultres choses qu'il requiert, et que, de ceulx du dict prince, il les a desjà toutz assurés.

82 Or, Sire, ayant descouvert ces choses, je m'efforce, par toutz les meilleurs moyens que je puis, et m'efforceray, à toute heure, d'en traverser les effectz, et, possible, en interrompray je la pluspart; mais de ce qui en pourra eschaper, à la desrobée ou soubz aultres prétextes, je me trouve aussy perplex que j'ay esté, les aultres foys, de le pouvoir empescher; mesmement que je viens d'entendre que ceulx cy ont faict résolution d'armer toutz leurs grands navyres, et de mettre bientost les meilleures et les plus gaillardes forces, qu'ilz ayent, en mer, soubz colleur d'assurer ceste coste contre le passage de l'armée d'Espaigne, bien que le depputé de Flandres, qui m'est venu, ces jours icy, visiter, m'ayt dict qu'il a eu une très bonne et fort favorable responce de ceste princesse, quand il l'a priée de vouloir concéder le passage libre et seur, ez rades et portz d'Angleterre, pour l'armée d'Espaigne. Dont semble, Sire, suyvant les précédantz advis que je vous ay mandés, qu'il ne sera que bon qu'ayez aulcunement suspect, et pourvoyés, le mieulx que pourrés, que cest armement ne vous puisse nuyre, non que je descouvre en ceste princesse ny aulx siens, pour encores, aulcune sinistre intention contre Voz Majestez. Et seulement je les voy un peu altérez de ce resfroidissement, qu'il leur semble sentir en Voz Majestez Très Chrestiennes et Monseigneur le Duc, vers le propos du mariage; duquel, si ne mandez bientost quelque bonne responce, il y a grand danger qu'ilz n'accordent du tout, et ne concluent de bien grandes et estroictes intelligences avec le Roy d'Espaigne, m'ayant ung personnage d'authorité, et bien fort principal de ceste court, mandé que, si bientost le party de Mon dict Seigneur le Duc ne se résoult, et l'entrevue ne se fait, qu'il 83 n'en faudra jamays plus parler; car ung aultre propos sera substitué en lieu d'icelluy. Et sur ce, etc.

Ce XIXe jour d'apvril 1574.

Comme je voulois clorre la présente, les seigneurs de ce conseil m'ont envoyé dire que le pacquet de leur ambassadeur estoit arryvé; par où ilz avoient sceu que la fiebvre quarte avoit reprins Vostre Majesté, et qu'il y avoit grand trouble en vostre court, à l'occasion de certaynes praticques qui s'estoient descouvertes; dont aulcuns gentilhommes avoient esté constitués prisonniers, et Monseigneur le Duc et le Roy de Navarre mis en arrest, et voz gardes renforcés, et logés dedans le chasteau de Vincennes, et que tout y estoit si resserré qu'à peyne avoit peu sçavoyr, le dict ambassadeur, qu'est ce que se faysoit dedans; dont iceulx du dict conseil déploroient le présent estat de voz affères. De laquelle nouvelle, Sire, ceste court, avec toute ceste ville, sont si pleines, et y faict on dessus tant de nouveaulx desseings que j'en suis en très grande peyne. Dieu veuille que ce qu'ilz disent, et ce qu'ilz proposent, se trouve, à la fin, tout vain.

CCCLXXVIIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour d'apvril 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Audience.—Retard apporté à la réponse du roi, sur l'entrevue, par les nouveaux évènemens de France.—Reproche adressé, en France, à la reine d'Angleterre d'avoir favorisé l'expédition de Montgommery, et trempé dans le complot de Saint-Germain.—Sa justification.—Demandes faites par l'ambassadeur de la confirmation de la ligue, du secours promis par le traité d'alliance, et du désistement de l'entreprise de Montgommery, ou de la remise au roi de sa femme et de ses enfans.—Protestation que l'on doit avoir confiance dans le desir du roi d'accommoder les affaires de la religion en France.—Consentement donné par Élisabeth à toutes ces demandes.—Délibération des seigneurs d'Angleterre.—Conseil donné par Élisabeth au roi d'user de rigueur contre les auteurs du complot de Saint—Germain.—Mémoire. État des forces de Montgommery et de La Noue: détails de leurs négociations en Angleterre.—Avis d'une entreprise projetée contre Dieppe.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, le XXe de ce moys, donner les bonnes 84 pasques à la Royne d'Angleterre, et luy ay dict que j'avoys expressément différé, cinq ou six jours, de venir fère ce debvoir vers elle, pour attendre qu'il m'arryvât quelque dépesche de France; car Vostre Majesté n'avoit accoustumé, ny la Royne, vostre mère, ny pareillement Monseigneur le Duc, d'estre tant longtemps sans me mander de voz nouvelles, affin d'en fère tousjours part à la dicte Dame, ny sans me commander de vous escripre souvant des siennes. Dont il pouvoit bien estre qu'il y eût quelque chose de ce trouble qu'on publioit de vostre court, qui vous retardoit ainsy; mais que je la supplioys bien de ne croyre que le tout fût vray, car il se cognoissoit facillement que la pluspart de ce qu'on en avoit escript estoit plus recueilly de la paillasse que prins du cabinet; et que n'ayant de quoy traicter maintenant avec elle sur des lettres fresches, je luy racompterois ce que me commandiés par voz précédentes, du XXIIIe du passé: c'est que vous desiriés qu'elle ne voulût interpréter, sinon à bien, qu'au partir de Saint Germain vous n'eussiés prins le chemin de Picardye, comme vous luy aviez promis de le fère, Car aviés esté contrainct de retourner vers Paris, pour pourvoir aux affères qui vous estoient survenus; dont la supplyois qu'elle vous voulût ung peu proroger le temps de l'entrevue, avec promesse que vous la luy viendriés accomplyr, en la façon qu'elle la vous accordoit, à la première sallie que feriés des environs de Paris, après qu'auriés restably la paciffication de vostre royaulme. Et cependant vous vouliés seulement impétrer d'elle que Mon dict Seigneur le Duc peût mener quelques seigneurs et gentilshommes, non en grand nombre, mais de bonne qualité, quand il passeroit de deçà, affin de pouvoir plus honnorablement comparoir en sa présence.

85 Elle m'a respondu qu'elle me remercyoit infinyement des bonnes pasques que j'estois venu luy donner, lesquelles luy seroient ung passage à plus d'heur, puisque je le luy souhaytois, et qu'elle regrettoit, du plus profond de son âme, que les vostres ne vous eussent esté ainsy joyeuses et pleynes de repos comme elle les vous desiroit, et qu'elle n'avoit peu contenir ses larmes, au récit, de ce qu'on luy avoit escript, du trouble que vous aviés en voz affères publicques de vostre royaulme, et aulx privés de vostre mayson; et que, sellon l'exemple, non trop vieulx, mais bien fort calamiteux, qu'elle avoit en ses cronicques, de la ruyne d'aulcuns roys et des frères des roys d'Angleterre, ses prédécesseurs, par la division, en quoy aulcuns ambicieux subjectz, et pleins de passion, les avoient entretenus, lesquels en avoient esté eulx mesmes les premiers ruynés, elle vous supplyoit, de tout son cueur, Sire, que voulussiés procéder sagement, et par les prudentz advis de la Royne, vostre mère, et par meure dellibération du conseil, sans aulcune perturbation d'esprit, à l'examen de cest affère; et que, de vous proroger l'entrevue, elle ne le vous voudroit pas refuzer; mais pensoit que les choses se trouveroient changées, et qu'elle n'avoit garde de recevoyr vers elle ce que vous jugeriés digne d'estre banny de vous.

Je luy ay réplicqué qu'elle se pouvoit promectre d'avoir aultres nouvelles, et trop meilleures, par la procheyne dépesche qui viendroit de Vostre Majesté, que celles qu'on luy avoit escriptes; et, comment qu'il en fût, que je sçavoys bien que vous luy feriés part de la vraye vérité du tout. Et ay adjouxté qu'elle voyoit bien comme il playsoit à Dieu de vous succiter beaucoup d'affères, par la présumption et trop grande licence d'aulcuns de voz subjectz, dont aviez 86 besoing, plus que jamays, d'estre consolé et assisté des princes de vostre alliance; et que je la supplioys de ne vous vouloir maintenant deffalir, sellon que, en telles grandes occasions, les bonnes et royalles, et généreuses amityés, comme estoit la sienne, se sçavoient bien monstrer; et qu'elle vous fît sentir, à bon esciant, qu'il ne vous failloit recourir, pour tous ces accidantz, à nulle meilleure ny plus certeyne confédération que celle qu'elle vous avoit jurée, affin que, vous tenant ferme à icelle, vous n'eussiés occasion de vous unir, ny vous obliger, à nul aultre nouveau party;

Et que j'avoys ung extrême regret que le comte de Montgommery eût ainsy entreprins d'aller, de l'isle de Gersey, qui estoit à elle, surprendre une de voz places en Normandye, sans considérer le tort qu'il succitoit à la ligue d'entre Voz Majestez, et l'interromption qu'il mettoit au commerce de voz deux royaulmes, et le préjudice qu'il faysoit au bon propos du mariage. Dont je l'avoys desjà supplyée que, pour tesmoigner du déplaysir qu'elle en avoit, elle luy voulût mander de se départir de son entreprinse, et réparer sa faulte, ou qu'aultrement elle vous mettroit sa femme et ses enfantz entre voz mains; et qu'il y avoit deux personnages, de bonne qualité, en Normandye, qui m'avoient escript que, par aulcuns propos du dict de Montgommery, et aultres divers argumentz, il y avoit grande apparance que la dicte Dame eût sceu et tenu la main à l'entreprinse du dict de Montgommery, et davantage qu'elle eût adhéré à ceulx qui, peu auparavant, avoient atiltré leur rendez vous près de St Germain, pour surpendre Vostre Majesté.

Sur quoy, je l'assurois de vous avoyr escript, Sire, 87 que, si rien de semblable vous estoit rapporté, que je vous supplioys très humblement de ne le croyre, car je me voulois soubmettre à telle punition de mort, qu'il vous plerroit me condampner, qu'elle ny ceulx de son conseil n'avoient esté consentz ny sçavantz de l'une ny de l'autre entreprinse, cognoissant qu'elle avoit le cueur si royal et la conscience si bonne, et avoit en si grande recommandation sa parolle, son honneur et la droicture, qu'elle ne voudroit, pour chose du monde, avoyr faulcé les promesses et les serrementz de vostre dernier traicté, ny vous avoyr rendu, en eschange de la grande amityé que luy portiés, et du pourchas que fesiés de son alliance, ung tel trêt d'ingrate et d'ennemye princesse, oultre que les mutuelles lettres, qu'aviez de la main l'ung de l'aultre, vous debvoient assurer de toutes semblables souspeçons d'entre vous; et qu'elle jugoit assez que ceste reprinse d'armes de voz subjectz estoit si inicque qu'elle ne méritoit d'estre favorizée, ains d'estre mortellement poursuivye de toutz les honnorables princes du monde, sellon que je la supplioys de considérer qu'il ne pouvoit estre rien de plus injuste que de ne vouloir avoyr esgard que Vostre Majesté, ayant ung royaulme composé de beaucoup de grandz princes et seigneurs, et de beaucoup de noblesse, et d'ung grand nombre de prélatz et gentz d'église, et de plusieurs bonnes et puissantes villes, de sept ou huict parlementz, et d'une infinité de subjectz toutz catholicques, lesquelz ne falloit doubter que n'eussent en grande révérance l'église romaine, s'ilz voyoient qu'advantagissiez par trop les Protestantz, il n'y eût danger qu'ilz prînssent ung party tout contrayre à celle naturelle affection et vray amour qu'ilz vous portoient. Dont falloit qu'ilz se contentassent de ce que 88 bonnement pouviez fère pour eulx, sans mettre vostre estat en danger; et que, s'ilz n'eussent aulmoins fondé leur reprinse d'armes, sinon sur l'instance d'estre mieulx accomodez de l'exercice de leur religion, sellon que, par le dernier édict de la Rochelle, il ne leur y estoit assez suffizamment pourveu, bien que, pour nulle occasion du monde, les subjectz doibvent jamays recourir aulx armes en l'endroict de leur prince, si seroient ilz encores plus tolérables que de collorer leur grand meffaict, par ung aultre plus grand, de calompnier vostre réputation, qu'ayez voulu, contre votre parolle, surprendre la Rochelle, et décrété une généralle exécution contre eux; chose que la dicte Dame pouvoit juger, par les aultres occasions et grandz empeschementz où vous estiés lors occupé, tant de vostre malladye que de l'expédition du Roy de Pouloigne, vostre frère, et de son passage par l'Allemaigne, et de l'avoyr franchement commis à la foy des Protestantz, et vous estre quasy du tout désarmé, là où ilz demeuroient avec une puissante armée en Languedoc, et d'avoyr approuvé l'exécution que ceulx de la Rochelle avoient faicte contre ceulx qu'ilz accusoient de la conspiration, bien qu'ilz s'en soient purgez à leur mort, et l'ayent prinse à leur dampnation au cas qu'il fût vray, et d'avoyr, en mesme temps, poursuivy, avec plus d'affection que jamays, le propos du mariage d'entre elle et Monseigneur le Duc, combien leur prétexte avoit peu d'apparance de vérité:

Et que pourtant je la supplioys qu'elle me voulût accorder quatre choses; esquelles le droict et l'honnesteté l'obligoyent vers Vostre Majesté: l'une estoit de vous assurer, avec effect, de la confirmation et entretènement de la ligue que vous aviez avec elle, affin que n'eussiez occasion 89 d'en chercher de nouvelle ailleurs; l'aultre, qu'elle vous offrît l'assistance, en quoy la dicte ligue l'obligoit vers vous, et la dényât du tout aulx eslevez, de sorte qu'en nulle façon du monde, ny ouverte, ny dissimulée, ilz ne peussent tirer aulcun secours d'elle ny de son royaulme; la tierce estoit de faire despartir le comte de Montgommery de son entreprinse, ou bien remettre sa femme et ses enfantz entre voz mains, et qu'à cest effect elle fît arrester sa famille; et la quatriesme, qu'elle voulût ainsy juger de Vostre Majesté, comme d'ung prince qui vouloit bien traicter toutz ses subjectz, et accommoder, avec toute seureté, en l'exercice de leur nouvelle religyon, ceulx qui en estoient, aultant que, sans altérer l'estat de vostre couronne, vous le pourriez fère.

Qui a esté ung propos, Sire, que, sur aulcuns advis qu'on m'a donnés, de bonne part, j'ay estimé estre nécessayre que je tînse à la dicte Dame.

Et elle m'a respondu qu'elle réputoit à ung très bon office que je vous eusse ainsy escript à la descharge d'elle et de ses conseillers, et qu'elle appeloit Dieu à tesmoing, et le prioit de fère tomber sur elle la punition de mort, à quoy je m'estois soubmis vers vous, au cas qu'elle ny eulx eussent eu aulcune participation aulx entreprinses de voz eslevez, et que les choses que je luy demandois estoient si raysonnables qu'elle n'en vouloit refuzer pas une; mesmes elle avoit pensé de vous envoyer ung gentilhomme pour les vous offrir; ou bien, encores mieulx que cella: tant y a qu'elle considéroit de ne se debvoir trop ingérer en ceste cause, laquelle sembloit aulcunement appartenir à sa religyon, de peur que, possible, vous eussiés son office plus suspect que agréable, néantmoins qu'elle vous prioit, 90 de tout son cueur, d'adviser qu'est ce qu'il vous plerroit qu'elle fît pour vous, en la présente occasion de voz affères, et qu'elle vous promectoit devant Dieu que, droictement et de bonne affection, elle s'y employeroit.

Et, sur ce, m'a renvoyé aulx seigneurs de son conseil, en l'assemblée desquelz j'ay proposé les mesmes choses que j'avoys faict à elle. Et eulx, après aulcunes excuses de l'occasion que les eslevez avoient de souspeçonner le danger de leurs vyes et de leur religyon, m'ont protesté, avec grands sèrementz, d'estre innocentz de toutes leurs entreprinses, et que, non seulement ilz estoient marris, mais qu'ilz déploroient la désolation de vostre royaulme, et que, pour le bien de leur Mestresse et de sa couronne, ilz voudroient éviter, de tout leur pouvoir, la diminution de vostre grandeur; dont, en ce qu'ilz auroient moyen de la relever et conserver, ilz seroient prestz de s'y employer très volontiers, en la façon que leur Mestresse le leur commanderoit.

Et m'estant, le jour après, arryvée la petite dépesche, que Vostre Majesté m'a faicte, du Xe du présent, laquelle a esté onze jours en chemin, je n'ay eu, par icelle, que adjouxter à ma précédente négociation, ny de quoy leur respondre rien de plus certain sur les particullaritez dont ils m'interrogeoient, que auparavant. Dont j'ay advisé de ne retourner vers elle jusques à la venue de mon secrettère, mais bien leur ay envoyé comunicquer la plus petite des deux lettres de Vostre Majesté, et celle de Monseigneur le Duc, affin qu'ilz vissent que les choses n'alloient de la façon qu'on les leur avoit escriptes. Sur ce, etc.

Ce XXIVe jour d'apvril 1574.

91

A la Royne

Madame, ez propos que la Royne d'Angleterre m'a ceste foys tenus, elle a monstré, à bon escient, qu'elle portoit peyne du trouble de voz affères, et plus de ceulx qu'on luy avoit mandé estre survenuz en vostre court que des aultres du royaulme; dont m'a faict les honnestes responces que je mectz en la lettre du Roy; et encores d'aultres, touchant les grandes preuves, que Dieu faict voyr au monde, de vostre grande prudence et de vostre vertu, mettant souvant l'une et l'aultre à des essays si dangereux qu'ung chascun s'esmerveille comme il est possible de vous en desmeller; et néantmoins qu'il vous en faict tousjours venir au dessus. En quoy, si son opinyon vous pouvoit sembler aussy bonne comme elle est loyalle et pleyne d'amityé, elle vous conseilleroit que fissiés si sévèrement punir ceulx, que trouveriés coupables de ces désordres, qu'il servît d'exemple aulx aultres. Et le comte de Lestre, sellon qu'on m'a rapporté, a faict, sur ces nouveaulx accidantz, de bien fort dignes offices vers la dicte Dame et dans ce conseil; et a déclaré qu'il aymeroit mieulx avoyr perdu vingt mille escuz du sien, que si Voz Majestez Très Chrestiennes avoient reçeu de Monseigneur le Duc, ny du Roy de Navarre, le déplaysir qu'on leur avoit escript. Si Vostre Majesté a agréable que la dicte Dame envoye, vers le Roy, ung gentilhomme pour les complimentz que pourriés desirer d'elle, en ce temps, il m'a semblé avoyr comprins d'elle qu'elle le fera très volontiers. Sur ce, etc.

Ce XXIVe jour d'apvril 1574.

92

OULTRE LES DEUX PRÉCÉDANTES LETTRES,
le mémoyre, qui s'ensuit, a esté adjouxté à la dépêche:

Que le comte de Montgommery a escript, du XIIe de ce moys, à la comtesse, sa femme, comme il luy envoyoit la femme de son filz, et qu'elle ne fût plus en peyne de l'ung ny de l'aultre, car leur entreprinse alloit très bien;

Qu'il avoit deux mille cinq centz bons hommes de pied et envyron six centz chevaulx;

Que La Noue luy avoyt escript qu'il mît peyne de le venir bientost joindre, par le passage qu'il sçavoit: et ne le nommoit pas.

Lequel La Noue avoit de cinq à six mille hommes de pied, et envyron mille chevaulx, et assuroit que tout le Poictou, tant Papistes que Huguenotz, estoient unanimes avecques luy.

Que le dict de Montgommery espéroit avoyr bientost prins le chasteau de Valongnes, parce que, par un garçon qui alloit haster le secours, il avoit sceu qu'il n'y avoit plus munition, ny de guerre, ny de bouche, dedans;

Qu'il prioit la dicte comtesse de fère advertyr les soldats françoys, et aultres, de deçà, qui avoient intention de l'aller trouver, qu'ilz se hastassent, pendant qu'il estoit près de la mer, parce que, quand il auroit marché en pays, il seroit difficile de se pouvoir conduyre jusques à luy;

Que, par des lettres de la Rochelle, du premier, de ce moys, lesquelles le Sr de La Mothe Fénélon a trouvé moyen de voyr, semble que le ministre Textor ayt esté seulement dépesché par deçà, de la part du dict La Noue; et que, passant au dict lieu de la Rochelle, il ne luy ayt esté donné aulcune instruction, ny mémoyres, par les habitans; lesquelz monstrent que ceste reprinse d'armes ne leur plaist; et ne s'y joignent qu'à regret, se contantantz de l'édict qui est favorable pour eulx, et qu'ilz sentent qu'il y a, je ne sçay quoy, de trop maulvais, et du désordre beaucoup dans le fondz de l'entreprinse, dont n'en espèrent bien.

Néantmoins leur agent, qui est icy, s'est envoyé excuser, vers le dict Sr de La Mothe, s'il n'alloit plus le visiter comme auparavant, parce que les choses estoient changées, et qu'on s'estoit, de rechef, esmeu en France pour la cause généralle de la religion; de laquelle il pensoit que ceulx de sa ville ne se voudroient séparer.

Celluy, que le dict de La Mothe a faict nommer à Leurs Majestez 93 par le Sr de Vassal, assure fort qu'il a beaucoup de moyen en la dicte ville, et parmy toute la noblesse du Poictou, de leur fère accepter les honnestes conditions de paix qu'il playra au Roy leur offrir, et s'en faict fort, ne luy manquant émulation, ny compétence contre les aultres chefz, et promet de fère ung très grand et loyal service à Sa Majesté.

Que le susdict ministre Textor, après avoyr négocyé en ceste court, est passé en Ollande, et va trouver le comte Ludovic, de la part du dict La Noue, ce qui monstre que les Allemans et Flammantz, et Angloys, protestantz, sont de mesmes intelligence avec les Huguenotz, et qu'il y a quelque secrette confédération entre toutz eulx; à laquelle l'on contrainct ceste princesse de secrettement y adhérer, sur l'impression qu'on luy donne que le Roy s'est de nouveau ligué, avec le Pape et le Roy d'Espaigne, contre les dicts Protestantz et contre elle;

Qu'il n'y a chose que le dict Textor rejette plus loing que toutz propos de paix, et dict qu'on n'a garde de poser ceste foys les armes, sans avoyr bien accommodé et estably, avec toute seureté, le faict de leur religyon: dont semble que le Roy doibt préparer ses forces pour n'estre contrainct de ses subjectz, ains pour les contraindre, eulx, d'accepter, de luy, les condicions qu'il leur voudra bailler;

Que plusieurs particulliers, icy, font provision d'armes et de monitions de guerre, que le dict de La Mothe souspeçonne estre pour en accomoder le dict de Montgommery; et se dict que envyron quatre centz gentilshommes, ou soldatz, anglois, se préparent pour l'aller trouver, à quoy icelluy de la Mothe s'opposera, le plus qu'il luy sera possible;

Que le cappitaine Girons, de Dieppe, a une entreprinse d'aller, avec quelques siens navyres de guerre, brusler la Salamandre, et aultres vaisseaulx, qui sont dans le hâvre de Dieppe, et mettre le feu dans la ville, s'il peut, affin d'essayer si, par ce désordre, il pourroit surprendre le chasteau: à quoy le dict de La Mothe a mandé, par deux voyes, à Mr de Sigoignes, d'y prendre garde;

Que le vidame de Chartres promect bien tousjours de ne s'entremettre de rien contre le service du Roy. Néantmoins il semble que la nécessité le contreigne de sortir d'icy, et qu'il dellibère d'aller trouver le prince d'Orange ou le comte Palatin; dont le dict de La Mothe l'a prié de ne vouloir partir, sans le fère sçavoyr au Roy: et il luy a dissimulé qu'il eût volonté de s'en aller.

94

CCCLXXVIIIe DÉPESCHE

—du dernier jour d'apvril 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Nouveaux détails de la précédente audience—-Efforts de l'ambassadeur pour rassurer Élisabeth sur la crainte d'une ligue, formée contre elle, par le roi et le roi d'Espagne.—Grands armemens faits à Londres.—Nouvelles d'Irlande.—Secours préparé pour Montgommery.—Projet d'Élisabeth d'envoyer un député en France.

Au Roy.

Sire, je vous ay mandé, par mes précédentes, comme, entre aulcuns propos de ma dernière audience, la Royne d'Angleterre m'avoit touché, en passant, qu'on avoit opinyon que Vostre Majesté s'estoit, de nouveau, ligué avec le Roy d'Espaigne contre les Protestantz; et que, sans la faveur et assistance qu'aviez promis de luy fère, il n'eût poinct entreprins d'envoyer son armée de mer par deçà, parce qu'il n'y avoit pas ung port qui fût à sa dévotion. A quoy ma responce a esté que Vous, Sire, et luy, pareillement, aviez assez à fère, chascun en vostre propre estat, sans vous obliger, ny vous entremettre, de celluy de l'aultre, et que voz prétancions estoient diverses, tendans, les vostres, principallement à troys choses: à bien assurer la paix en vostre royaulme, bien establyr les affères du Roy de Pouloigne, vostre frère, et conduyre à quelque bonne fin le propos que pourchassés d'elle avec Monseigneur le Duc, vostre aultre frère; et qu'en tout cella Vostre Majesté n'avoit besoing de se liguer contre les Protestantz; et que le Roy d'Espaigne prétandoit, de son costé, de saulver ses Pays Ras, et de soubstenir la guerre contre le Turc; dont elle pouvoit voyr que vostre intérest et le sien n'avoient 95 rien de commun; et que vous estiés entré en ligue avec elle, en laquelle, si elle vouloit bonnement et droictement persister, vous n'aviez garde d'en chercher d'autre, mais, s'il vous apparoissoit qu'en lieu de vous ayder, elle s'efforçât ouvertement, ou soubz main, de vous nuyre, qu'elle vous donroit grande occasion de rechercher le Roy d'Espaigne, et de prendre party avecques luy; néantmoins que je ne pensois qu'il y eût, à présent, aultre chose, entre vous deux, sinon, possible, qu'il vous avoit demandé le passaige libre pour son armée, comme j'estimois qu'aussy avoit il faict à elle, et que, à mon advis, ny vous, ny elle, ne voudriés, en une si juste entreprinse, comme sembloit estre la sienne, le luy refuzer.

Elle m'a réplicqué que, voyrement, luy avoit, le Sr de Sueneguen, depuis huict jours en çà, parlé du dict passage, et luy en avoit baillé lettre de son Maistre; et qu'elle luy avoit respondu qu'elle s'esbahyssoit par trop comme, en tant d'ouverte amityé, que le Roy d'Espaigne luy monstroit, il luy portoit une si occulte inimytié que d'entretenir et extipendier ses rebelles, en ses pays, et mesmes qu'il les retiroit près de luy, ainsy comme, à présent, elle entendoit qu'il avoit faict venir en Espaigne Wesmerland, Acres, Merley, et aultres, leurs semblables; et qu'elle me vouloit dire, en ung mot, qu'elle ne creignoit nullement le Roy d'Espaigne, et qu'elle avoit desjà pourveu qu'il ne luy peût, avec sa grande armée qu'il préparoit, ny avec ses nouvelles ligues, ny avec l'intelligence de ses rebelles, fère aulcun dommage.

Dont j'entendz, Sire, qu'elle a mandé renforcer d'armes et d'artillerye, d'hommes et de monitions, toutz les forts, qui sont le long de la coste, et toutz les portz de ce 96 royaulme, et ordonné de mettre en mer toutz ses grandz navyres, excepté seulement quatre; et qu'il en sortira six, devant le XVe de may, avitaillés pour deux moys, ainsy que desjà l'on faict venir trois mille marinyers pour mettre dessus; et, dans le Xe de juing, sortiront les aultres XVIII avitaillés pour ung moys; mais toutz extrêmement bien pourveus de toutes choses nécessayres pour ung combat. Néantmoins elle n'a ordonné encores, pour toute ceste dépence, que trente cinq mille escus, d'extraordinayre, là où il en fault quatre vingtz mille, si toutz les navyres sortent, oultre le coust des poudres. Et plusieurs particulliers, à la chaleur de cest armement, arment aussy en divers endroictz de ce royaulme. Ce qui semble requérir, Sire, que, le long de vostre coste, l'on soit adverty de mettre toutes choses en bon estat et de s'y tenir sur ses gardes.

Au regard des choses d'Irlande, il semble que ceste princesse les veuille terminer par accord, et, à cest effect, elle a envoyé, ez archives de Windesor, fère chercher certaynes capitulations, faictes envyron l'an quarante cinq, par aulcuns principaulx O'Nels du pays, avec le feu Roy Henry, son père, affin de les renouveller avec eulx.

Et quand aulx choses de France, le jeune La Moyssonnyère, normand, s'appreste, le plus secrettement qu'il peut, pour aller trouver le comte de Montgommery, avec quarante ou cinquante françoys qu'il ramasse par deçà. Et, au reste, il ne se remue rien, à présent, entre les Angloys, de ceste matyère, attandant que les nouvelles, qui viendront, tant de vostre court, que du costé des eslevez, leur monstrent comme s'y gouverner; dont je prie Dieu qu'elles soient sellon vostre desir. Et sur ce, etc.

Ce XXXe jour d'apvril 1574.

97

Par postille à la lettre précédente.

Je viens, tout à ceste heure, d'estre adverty que, sur une dépesche, qui est arryvée du docteur Dayl, ceste princesse a prins une soubdayne résolution de vous envoyer, dans deux ou trois jours, ung gentilhomme. Je mettray peyne d'entendre, le plus avant que je pourray, de sa légation, affin de la vous mander; et ne le lerray partir, s'il m'est possible, sans l'accompaigner de l'ung des miens, tant pour l'observer que pour le fère bien recevoyr.

CCCLXXIXe DÉPESCHE

—du IIIe jour de may 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Audience.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle a résolu d'envoyer le capitaine Leython en France pour s'informer de la santé du roi, connaître le véritable état des choses, offrir sa médiation, et savoir les causes de la mise en arrêt du duc d'Alençon.—Efforts de l'ambassadeur pour retarder le départ du capitaine Leython.—Crainte que lui inspire cette mission.—Prière pour qu'un bon accueil soit fait à l'envoyé d'Élisabeth.

Au Roy.

Sire, suyvant ce que je vous ay mandé, par le postille de ma précédente, du dernier du passé, que ceste princesse avoit dellibéré d'envoyer ung gentilhomme devers Vostre Majesté, elle, premier que de le dépescher, a bien voulu m'en parler, et m'a envoyé prier que je la vînse trouver à Grenvich; auquel lieu, après aulcunes parolles de la diverse façon de ceste audience, en laquelle elle se trouvoit requérante, au lieu que j'avoys accoustumé tousjours de requérir, elle m'a dict:

Qu'ayant considéré la diversité des choses qu'on mandoit de France, elle avoit escript à son ambassadeur qu'il fît dilligence de sçavoyr, le plus près qu'il pourroit, le vray estat d'icelles, affin qu'elle peût uzer, là dessus, vers Vostre Majesté, du debvoir, en quoy vostre commune confédération, 98 et vostre mutuelle amityé, l'obligeoit; et qu'il luy avoit freschement escript qu'il avoit eu deux audiences de Voz Majestez Très Chrestiennes, et qu'encor que ne fussiés bien guéry de la fiebvre quarte, que néantmoins vous n'aviez layssé de bien fort bénignement l'ouyr, et pareillement la Royne, vostre mère, l'avoit escouté, aultant qu'il avoit voulu, et luy avoit amplement respondu; et que, de là et d'aulcuns aultres advertissementz, qu'on luy avoit donné, d'ailleurs, il l'avoit maintenant esclarcye, le plus qu'il avoit peu, comme le tout alloit, dont estimoit toucher maintenant à elle de vous envoyer visiter sur trois occasions:

L'une, de vostre malladye, pour vous tesmoigner combien elle en avoit de déplaysir, et combien, de bon cueur, elle desiroit vostre santé; l'autre, sur les troubles de vostre royaulme, pour vous offrir ce qu'estimeriés qu'elle peût fère pour la conservation de vostre authorité, car elle seroit preste de vous y assister de toute sa puissance; et la troysiesme, pour se condouloir de ceste plus privée et domesticque calamité du souspeçon, qu'on vous avoit donné, de Monseigneur le Duc, vostre frère;

Et que, sur ceste dernière, elle me vouloit dire librement que, si, en nulle des deux entreprinses, de St Germain, ny du boys de Vincennes, ny en nulle aultre occasion du monde, Mon dict Seigneur se trouvoit, peu ny prou, coupable vers la personne ny l'estat de Vostre Majesté, qu'elle protestoit de ne le voyr jamays, car elle n'avoit d'amityé avecques luy, qu'aultant que Vous mesmes et la Royne, vostre mère, y en aviez voulu mettre; et n'y en pouvoit jamays avoyr d'aultre que celle que vous y establiriés, parce qu'elle faysoit principalement estat de la vostre. Néantmoins, si les 99 choses alloient ainsy, comme aulcuns disoient, que Mon dict Seigneur eût esté adverty, par des siens, de prendre garde à luy, parce qu'on vouloit attempter à sa personne, et que, sur cella, il eût pensé de se retirer en quelque lieu pour, de là en hors, fère entendre son faict à Vostre Majesté, et à là Royne, vostre mère; et que, pour ceste occasion seulement, vous fussiés entré en quelque deffiance de luy, qu'elle estimoit que, pour chose si légière, Vostre Majesté luy debvoit avoyr espargné l'escorne et l'escandalle de mettre en doubte qu'il ne vous ayt tousjours esté très fidelle et très obéyssant frère et subject; et qu'elle vouloit encores passer oultre, de tant que Vous et la Royne, vostre mère, l'aviez tant honnorée que de la rechercher d'alliance pour luy, et que luy mesmes s'estoit offert à elle, bien qu'ilz ne fussent, ny, possible, seroient jamais l'ung à l'autre; néantmoins y ayant, elle, faict desjà quelque responce, si, d'avanture, aulcuns particulliers s'estoient cependant ingérés de mener une si pernicieuse trame que de vous avoir faict mettre la main sur luy, en deffaveur du dict propos, et pour l'interrompre, qu'elle estimoit toucher, par trop, à son honneur, de s'en ressentir contre eulx, en toutes les façons qu'elle pourroit, et qu'indubitablement elle se mettroit en son debvoir de le fère; et que ces trois occasions l'avoient faicte résoudre de vous envoyer promptement le cappitaine Leython, espérant qu'auriés agréable, et prendriés de bonne part sa bonne et saincte intention; laquelle ne tendoit qu'à vostre honneur, et à l'honneur des vostres, et à vostre repos.

Je luy ay respondu que je ne pouvois sinon beaucoup louer, et la remercyer infinyement du propos qu'elle me venoit de tenir, voyant la grande considération, qu'elle y 100 avoit, de la santé de Vostre Majesté, du repos de vostre royaulme, et de l'union de Mon dict Seigneur le Duc à vostre parfaicte intelligence; et que sa légation là dessus ne pourroit estre sinon très honnorable pour, elle, et convenable au besoing qu'aviez d'estre, en ce temps, visité, conseillé et assisté des princes de vostre alliance; et que, pour le regard du dernier poinct, je luy avoys faict voyr ce que Mon dict Seigneur le Duc m'avoit luy mesme escript, du Xe du passé, comme il n'avoit eu, ny n'auroit jamays, aultre volonté que de se conformer, en tout et par tout, à la vostre; et que je la supplioys de ne vouloir penser aultrement de luy qu'ainsy que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, en avoient respondu à son ambassadeur; et que, si elle vouloit avoyr pacience de dépescher le dict cappitaine Leython, jusques à ce que j'eusse receu lettres de Vostre Majesté, je l'informerois si clèrement de la vérité de ce qui en estoit, qu'elle le pourroit, puis après, fère partir avec plus de fondement.

Elle m'a réplicqué que les advertissementz, qu'elle avoit, n'estoient légiers, ny vains, et que pourtant elle ne vouloit plus temporiser là dessus, et si, vouloit que le dict Leython fût plus tost par dellà, qu'on ne sceût qu'elle le vous eût dépesché.

J'ay adjouxté que je la supplioys donc de deux choses: c'est que je le peusse accompaigner d'ung mien gentilhomme, pour le fère traicter et bien recevoyr partout, et qu'elle le voulût adresser seulement à Voz Majestez, et le charger de ne fère, ny dire, ny uzer, en ce temps, sinon ainsi que luy ordonneriez.

Elle m'a respondu qu'elle m'accordoit volontiers ce dernier, et mesmes de ne voyr poinct Mon dict Seigneur le 101 Duc; s'il ne vous playsoit, mais qu'au reste il n'estoit poinct besoing de tant de traictement au dict Leython, et qu'elle vouloit qu'il y allât fort secrettement. Et puis a adjouxté certaynes plainctes d'aulcuns de leurs navyres marchandz, qui ont esté nouvellement assallis par des françoys, et du peu de justice qu'on leur administroit en France; ce qui animoit les Angloys de s'en vouloir revencher.

A quoy je n'ay esté court de luy bien respondre que ceulx, qui faysoient l'injure et la violence, se pleignoient. Dont, Sire, ayant considéré le langage et les contenances de la dicte Dame, l'altération en quoy son ambassadeur, qui est par dellà, semble l'avoyr mise, l'estroite négociation que le Sr de Montleroy, venant de Ollande, a eu avec aulcuns de son conseil, premier que de se rembarquer pour la Rochelle, et l'advancement qui se met en l'accord des Pays Bas, je suis tombé en de nouvelles souspeçons; lesquelles il vous plerra entendre du Sr de Sabran, présent porteur, qui, pour en éviter encores de plus grandes, je l'ay bien voulu joindre au voyage du dict cappitaine Leython. Et sur ce, etc. Ce IIIe jour de may 1574.

A la Royne

Madame, encor que le prétexte, que la Royne d'Angleterre prend, d'envoyer présentement Me Leython, cappitaine de Grènezay, devers Voz Majestez, soit sur une occasion si honneste et pleyne d'honneur que je n'ay ozé bonnement le luy contredire, si ay je essayé, par divers moyens, de l'en divertyr; ou aulmoins qu'elle voulût prolonger son partement, jusques à ce que j'aurois receu quelque pacquet de France, par où elle peût donner plus 102 de fondement à ce voyage; mais il semble que le docteur Dayl la luy ayt baillée si chaude, qu'elle prend pour ung grand poinct d'honneur de ne temporizer en cella une seulle heure. Dont, de tant que plusieurs choses concourent maintenant avec ceste cy, je fay aulcunes conjectures là dessus qui ont beaucoup de vraysemblable; lesquelles le Sr de Sabran, qui va avec le dict Leython, vous dira; et je supplie très humblement Vostre Majesté de les considérer, et qu'au reste elle veuille fère bien recevoyr, et fère bien traicter et gratiffier le dict Me Leython, parce qu'il est tenu en quelque bon compte de sa Mestresse et en ceste court, et est parant, et bien fort favory, du comte de Lestre.

J'ay admené beaucoup de raisons à la dicte Dame pour la persuader que, sans s'arrester à l'apparence des choses, qu'aulcuns qui, possible, ne les cognoissoient ny les entendoient, luy pourroient avoyr escripte, elle voulût demeurer ferme au bon propos dont Voz Majestez Très Chrestiennes l'avoient recherchée, et la recherchoient encores, plus que jamays, pour Monseigneur le Duc. A quoy elle m'a respondu qu'il falloit que le temps luy monstrât comme elle auroit à s'y conduyre, et qu'elle avoit à vous fère une querelle de ce que vous aviez aulcunement dissimulé à son ambassadeur la détention de Mon dict Seigneur le Duc.

Et sur ce, etc. Ce IIIe jour de may 1574.

Je vous suplie très humblement, Madame, de monstrer au dict Leython que Voz Majestez ont très bonne opinyon et grande confiance du comte de Lestre; car il importe de tout ce que pouvez desirer de ce royaulme, que le reteigniés en vostre dévotion, et est nécessayre que le gratiffiés de quelque honneste présent.

103

CCCLXXXe DÉPESCHE

—du Xe jour de may 1574.—

(Envoyée jusques à la court par l'homme de Mr Brullard.)

Audience.—Complot de Saint-Germain.—Arrestation de Coconas et de La Mole.—Dispositions prises par le roi pour rétablir la paix.—Justification du duc d'Alençon et du roi de Navarre.—Intercession d'Élisabeth en faveur de La Mole.—Déclaration concernant Montgommery.—Assurance donnée par l'ambassadeur à Élisabeth, que Mr de Montmorenci n'a pas trempé dans le complot.—Plaintes d'Élisabeth au sujet des prises faites sur les Anglais.—Nouvelle de l'arrestation de Mrs de Montmorenci et de Cossé.

Au Roy.

Sire, sur le retour de mon secrettère, je suis allé dire à la Royne d'Angleterre, qu'après avoyr longuement desiré sçavoyr de voz nouvelles et de celles de vostre santé, et de ce qui se faisoit près de Voz Majestez Très Chrestiennes, il vous avoit pleu m'en mander bien largement pour en fère bonne part à elle; et qu'en premier lieu, me commandiés de l'assurer de vostre convalescence et bon portement, et, après, de luy représanter fort expressément, le bien et consolation que, par aulcunes de mes lettres, et par des propos de son ambassadeur, vous aviez receu, ez présentz accidans de voz affères, d'avoyr comprins qu'elle en portoit peyne, comme si elle santoit du trouble aulx siens; et mesmement de ce qu'on luy avoit rapporté qu'il y avoit quelque chose meslé de Monseigneur, vostre frère, et pareillement des honnorables responces qu'elle m'avoit rendues, sur le faict du comte de Montgommery; qui estoient démonstrations que vous recognoissiés procéder d'une très bonne affection qu'elle vous portoit, et qui vous estoient si utilles et propres, en ce temps, qu'en nulle aultre sayson 104 du monde, elle vous pourroit mieulx fère gouster le fruict, qui vous restoit, d'avoyr longuement entretenu une pure et ferme amityé avecques elle: dont l'en vouliés remercyer de tout vostre cueur, et la suppliés de croyre qu'elle n'employeroit jamays aulcune sorte d'honnesteté, ny de courtoysie, vers prince du monde, qui les receût avec plus de profonde recognoissance, que vous fesiés; qui vous assuriés qu'elle les accompagneroit toujours de semblables bons effectz, ainsy qu'elle ne debvoit fère aussy aulcun doubte de ne trouver une parfaicte correspondance en Vostre Majesté, sur toutz les affères et accidans qui luy pourroient jamays survenir; et que, pour ne luy celler rien de ce qui vous estoit advenu, vous me commandiés de luy en dire toutes les particullarités jusques à la plus moindre.

Dont luy ay récité, Sire, le contenu de vostre lettre du XVIIe du passé,[1] en ce qui concernoit l'entreprinse de St Germain en Laye, qui avoit esté descouverte, et comme, depuis, l'on l'avoit volue exécuter, ou bien une semblable, au boys de Vincennes; à quoy vous aviez très bien remédyé, et comme aviez faict constituer prisonnier le comte de Couconnas, La Mole, et aultres, qu'on souspeçonnoit y avoyr tenu la main; lesquels aviés renvoyés à vostre parlement de Paris pour en fère justice; la volontayre confession, qu'ilz avoient faicte, d'avoyr voulu suborner Monseigneur le Duc, et le Roy de Navarre, et d'avoyr faict atiltrer chevaulx, avec le rendés vous, pour les substrère de court, et les desjoindre d'avec Voz Majestez Très Chrestiennes; la déclaration que Mon dict Seigneur le Duc, et le Roy de Navarre, s'appercevans 105 de la tromperie qu'on leur avoit uzée, vous estoient venus fère, où n'aviez trouvé qu'une très honneste signiffication de n'avoyr, l'ung ny l'aultre, jamays eu aultre volonté que de suyvre entièrement la vostre; le poinct de la déposition du dict Couconnas, touchant le comte de Montgommery, et l'instance que vous faysiés là dessus à la dicte Dame d'y pourvoir; la retraicte du Prince de Condé vers Sedan, sur ung faulx donner entendre; et comme vous aviez envoyé après luy pour le bien informer, et le rappeller en la charge de son gouvernement; les nouvelles que Monsieur de Montpensier et monsieur de La Vauguyon, du costé de Poictou, et monsieur de Matignon, du costé de Normandye, et monsieur de La Vallete, du costé de Gascogne, vous avoient mandées, touchant les bons exploitz qu'ilz avoient exécutés contre les eslevez, lesquels vous estimiés que bientost seroient réduictz à ne mespriser poinct la paix, ainsy que vous dellibériés, plus que jamays, de la leur donner, et de l'establir en vostre royaulme, sellon qu'aviés envoyé la traicter et la conclurre près de monsieur le mareschal Danville, avec ceulx de Languedoc, par Mr de St Suplice et de Villeroy, et avec ceulx de Poictou et de la Rochelle par Mrs Strossy et Pinard; et que, à deffault qu'ilz ne la voulussent accepter, que vous fesiés tenir quatre mille reytres en vuartguelt, et une levée de six mille suysses toute preste pour les y contraindre.

Et puis ay adjouxté, Sire, qu'encor que toutz ces affères vous pressassent beaucoup, et vous empêchassent de satisfère à ce qu'aviez mandé à la dicte Dame, de vouloir venir en Picardye, pour conduyre l'entrevue qu'elle vous avoit accordée, que néantmoins vous la suppliés, de bon cueur, qu'elle ne voulût en rien changer sa bonne dellibération, 106 en cest endroict, tout ainsy que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, demeuriés très constantz et immobiles en l'affection d'estreindre, de plus en plus, par ce bon propos de mariage, et par tous les bons moyens qui se pourroient trouver au monde, une perdurable et inviolable amityé et alliance avec elle; et qu'aussytost que sentiriés ung peu de relasche en voz dicts affères, vous ne faudriés de vous acheminer à Bouloigne.

De toutz lesquelz propos, Sire, la dicte Dame a monstré, par des parolles bien expresses, et par des contenances, qui m'ont semblé non feinctes, ny pleines d'artiffice, qu'elle en recevoit beaucoup d'ayse et de contantement; et m'a dict que de vostre convalescence, elle en avoit eu desjà advis, et en avoit remercyé Dieu, ainsy dévotement, comme elle debvoit, pour la conservation d'ung prince, à qui elle se trouvoit, par plusieurs grandes et bien expresses obligations d'amityé, fort estroictement unie; et que, de tant plus avoit elle agréable la confirmation, que je luy en apportois maintenant, qu'on luy avoit voulu imprimer beaucoup de doubtes de la qualité de vostre malladye, dont elle vous supplioit, de toute son affection, que voulussiez avoyr soing de vostre santé; qu'elle santoit ung très grand playsir que vous jugiés ainsy bien de ses déportementz vers voz affères, comme ilz estoient très parfaictement bons et droictz, et qu'il luy seroit faict un très grand tort de les souspeçonner aultrement, car juroit à Dieu qu'elle desiroit la conservation de vostre estat, de vostre authorité et de vostre grandeur, comme la sienne propre, ainsy qu'elle vous l'avoit envoyé tesmoigner par le cappitaine Leython, duquel elle espéroit que prendriés de bonne part tous les poinctz de sa légation;

107 Qu'elle vous remercyoit très grandement de la communicquation, qu'il vous playsoit luy fère, de voz affères, laquelle elle prenoit pour ung très certain gage de la bonne intelligence que vouliés continuer avec elle; et qu'elle joignoit en cella les mouvementz de son affection à ceulx de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, pour se douloir de ce qui vous donroit affliction, et se resjouyr des choses qui succèderoient à vostre advantage; qu'elle confessoit avoyr porté beaucoup de peyne du bruict qu'on avoit faict courir de Monseigneur le Duc, car desiroit qu'ung tel prince, de qui vous meniés ung propos d'alliance avecques elle, fût exempt de toute apparance de chose qui peût toucher à sa réputation; ce qu'elle, à dire vray, vouloit bien examiner, car, non seulement le vouloit cognoistre exempt de coulpe, mais encores de toute souspeçon d'en avoyr; et que si, d'avanture, la chose alloit ainsy, qu'on l'eût adverty que quelques ungs vouloient attempter à sa personne, et qu'à ceste occasion il eût pensé de se retirer, non pour se joindre aulx eslevez, ny pour entreprendre rien contre vostre intention, car cella seroit inexcusable, mais pour pourvoir à luy, qu'il ne luy en debvoit estre rien imputé, non plus qu'à La Molle, si sa dellibération n'avoit tendu qu'à saulver la vye de son maistre, ainsy qu'elle le vous avoit faict remonstrer par son ambassadeur; et qu'elle vous prioit, d'ung cueur de bonne seur, de ne vouloir, à la persuasion et praticque de ceulx qui, possible, n'ont bonne intention à vostre grandeur, laysser oprimer la réputation de Mon dict Seigneur le Duc, ny la vye de son serviteur, si elle y attouchoit en rien;

Et, quand à ce que le comte de Couconnas avoit dict 108 du comte de Montgommery, elle me pouvoit dire, avec vérité, de n'avoyr entendu ung seul mot d'icelluy Montgommery, depuis sa folle entreprinse, et qu'il sentoit bien, où qu'il fût, qu'il l'avoit offancée, et qu'il n'avoit à demander ny espérer rien de ce royaulme; dont elle vous prioit, Sire, de vous en mettre en tout repos; qu'elle auroit grand playsir que donnissiés la paix, et ung honneste accommodement en la religion, à voz subjectz, affin de satisfère à vostre parolle, et divertyr les inconvénientz de ceste guerre, qui ne pourroient, sellon qu'elle les comprenoit, estre sinon bien grands et dangereux; et, en cas qu'ilz ne se voulusent contanter de la rayson, qu'elle louoit bien fort qu'eussiés faict une bonne provision de forces pour les y contreindre; en quoy elle vous offroit, de bon cueur, tout ce à quoy vous jugeriés bon et honneste de l'employer.

J'ay mis peyne, Sire, de luy agréer, par toutes les bonnes parolles que j'ay peu, sa bonne et vertueuse responce, et, après aulcunes particullarités, je me suis arresté ung peu à luy dire, touchant Monseigneur le Duc et le Roy de Navarre, que Voz Majestez Très Chrestiennes les avoient trouvés si esloignés de toutes malles pensées, et avoyr l'intention et l'inclination si vertueuses et si généreuses, à tout ce qui estoit de leur debvoir et de leur honneur, envers Dieu et Vostre Majesté, que Vous, et la Royne, vostre mère, me mandiés que, pour vostre singullier contantement, vous n'y sçauriés desirer rien de plus, ny de mieulx, et qu'il n'y avoit jamays eu ung plus naturel amour, ny une plus parfaicte intelligence, entre vous, que mayntenant;

Et, pour le regard de La Molle, que je luy voulois bien 109 monstrer ce que la Royne m'en escripvoit, du XXVe du passé, dont luy ay leu la lettre.

Et elle m'a dict qu'elle craignoit seulement le danger du serviteur, pour la réputation de Monseigneur; et m'a demandé comme il alloit de Monsieur de Montmorency.

Je luy ay dict qu'il continuoit tousjours le debvoir d'ung grand et loyal, et très fidelle subject, vers Vostre Majesté, et que c'estoit luy qui, ayant examiné le faict, et cognu la grande tromperie qu'on avoit voulu uzer à Voz Majestez, et à ces jeunes princes, avoit jugé qu'il estoit besoing de chastiement; dont il tenoit son lieu près de Voz Majestez, avec plus de crédit et d'authorité que jamays.

Et, sur la fin, la dicte Dame m'a comentée la pleincte de ses subjectz, touchant les prinses et otrages, que les Françoys leur faysoient sur mer, et du peu de justice qu'ilz trouvoient en France; et qu'elle vous supplyoit très cordiallement, Sire, d'y pourvoir, affin de fermer la bouche à aulcuns des siens, qui prenoient occasion, par là, de mal opiner sur l'entretènement de vostre mutuelle amityé. Sur quoy, luy ayant déduict plusieurs choses pour rejecter la coulpe sur elle, et sur les siens, ainsy qu'elle en a advoué une grande partie, elle m'a fort gracieusement licencié. Et sur ce, etc. Ce Xe jour de may 1574.

Ce que dessus estoit bien advancé d'escripre, quand la dépesche de Vostre Majesté, du IIe du présent, est arrivée, laquelle satisfaict amplement, et par très bon ordre, à mes précédantes, et à plusieurs aultres choses qu'il estoit besoing que je sceusse; dont en iray entretenir, ung jour de ceste sepmayne, ceste princesse, et mettray peyne de la tenir tousjours la mieulx disposée, que je pourray, vers Vostre Majesté.

Tout à ceste heure, me vient d'arryver une aultre dépesche, du IIIIe du présent, avec la nouvelle de la détention de messieurs de 110 Montmorency et de Cossé. Je traicteray de l'une et de l'aultre avec la dicte Dame, et puis vous manderay ce qu'elle m'en aura dict.

CCCLXXXIe DÉPESCHE

—du XVIe jour de may 1574.—

(Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Changement apporté dans les bonnes dispositions des Anglais par les exécutions de Coconas et de La Mole, et l'arrestation de Mrs de Montmorenci et de Cossé.—Grands armemens faits en Angleterre, qui peuvent être dirigés contre la France.—Sollicitations de Montgommery pour avoir des secours.—Audience.—Mécontentement d'Élisabeth au sujet de l'exécution de La Mole.—Conseils qu'elle donne au roi.—Nouvelle proposition de l'entrevue, faite par l'ambassadeur.—Disposition d'Élisabeth à reprendre la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, devant le dixiesme de ce moys, je n'avoys poinct cognu que les Angloys eussent aulcune dellibération contre Vostre Majesté, ny pas une contre le repos de vostre royaulme, en faveur des eslevez; ains que toutz leurs appretz et appareils, tant par mer que par terre, s'adressoient contre l'armée d'Espaigne, à laquelle, nonobstant qu'ilz eussent accordé l'octroy du passage libre, et de pouvoir entrer dans les portz, et toutes aultres faveurs et rafraychissementz qu'elle voudroit demander, comme à flote d'amys et confédérez, la résolution estoit néantmoins prinse de luy oposer une aultre gagliarde armée, de toutz les grandz vaysseaulx de ceste princesse, et de plusieurs aultres particulliers, jusques au nombre de cent; non sans quelque secrette intelligence, avec le prince d'Orange et avec ceulx de la Rochelle, que, au cas qu'avec cent aultres bons navyres qu'ilz debvoient avoyr lors en mer (sçavoir le dict prince, soixante dix, pour sa part, et iceulx de la Rochelle 111 trente, équippés aulx despens du contract de sel qu'ilz ont faict avec les Ollandoys), icelluy prince attachât le combat, qu'indubitablement il seroit assisté des Angloys. Et desjà estoit arresté que l'amyral mesmes d'Angleterre, et plusieurs gentilshommes de court, et aultres principaulx personnages du royaulme, yroient à l'entreprinse. Dont les six premiers vaysseaulx, avec deux mille cinq centz hommes, debvoient sortir, le XXe du présent, soubz la conduicte de milord Havart, et le reste de l'armée s'aller dresser, en la plus grande dilligence que fère se pourroit, à Porsemue, pour estre preste, ung peu avant la St Jehan.

Mais aussytost que les deux évènementz, de l'exécution du comte de Couconnas et de La Molle, et puis de l'emprisonnement de MMrs les mareschaulx de Montmorency et de Cossé, ont esté rapportés icy, le Xe de ce moys, par le courrier de leur ambassadeur; à quoy ilz adjouxtent davantage que Mr le mareschal Dampville a esté aussy faict prisonnier à Narbonne, il n'est pas à croyre la mutation et changement de volontés qu'on a incontinent veu en ceste court. Et n'ay peu encores descouvrir, Sire, si, en leurs fréquentes et longues tenues de conseil, ilz ont rien ordonné contre ce qu'ilz avoient dellibéré auparavant, ny à quoy présentement ilz se résolvent; tant y a que je supplye très humblement Vostre Majesté de donner tout le meilleur ordre, qu'elle pourra, aulx portz et places qui regardent l'Angleterre; car, là où auparavant je n'entendoys, de toutes partz, icy, que bonnes parolles de paix avecques la France, maintenant l'on m'en rapporte, à toute heure, de bien contrayres. Et je sçay bien que ceulx cy n'ont faute d'inclination à la cause des eslevez, et si, sont si picqués de l'exécution de ces deux gentilshommes, et de la détention 112 des aultres trois seigneurs, croyant fermement que cella a esté conduict par la menée du party, qu'ilz estiment estre leur adversayre, que je ne fay doubte que Vostre Majesté n'ayt à sentir, ou ouvertement, ou soubz main, de la contradiction, de ce royaulme, avant la fin de l'esté; bien que je m'y opposeray le plus qu'il me sera possible.

Et suyvant ce qu'il vous a pleu me commander, Sire, que je advertisse les gouverneurs, mes voysins, de ce que je pourrois descouvrir qui leur importeroit, j'ay desjà escript, de ma main, à Mr de Calliac une entreprinse qu'on avoit sur Bolloigne, laquelle a esté offerte au prince d'Orange, qui, sellon qu'on m'a dict, l'a refuzée; et depuis, celluy, qui l'a mené, a esté icy, et a parlé à ceulx de ce conseil. Aussy a parlé à eulx ung, qu'on nomme Lelua, homme de peu d'apparance et de petite qualité, qui dit estre envoyé de la part du Prince de Condé, pour encourager à la guerre les françoys qui sont par deçà, et les assurer que, dans le prochain moys de juillet, il sera avec une armée bien près de Paris.

Et le comte de Montgommery a escript, de son costé, en ceste court, conformément à ce que m'avez mandé de luy, qu'il estoit sorty de St Lo; mais dict que c'est avec trois centz chevaulx, et ce, à deux fins: l'une, pour soulager les vivres et monitions de la place, et l'autre pour assembler des forces, affin d'aller lever Mr de Matignon de devant le dict St Lo, ainsy qu'il l'a levé, luy, de devant Valoignes; mais aulcuns présument qu'il l'a faict pour ne se vouloir enfermer, et pour munir, le mieulx qu'il pourra, Quarantan, qui est ung lieu sur la mer, affin de s'en pouvoir rettirer quand il voudra. Et cependant il sollicite avec très grande instance ceulx qui ont, icy, affection à son 113 entreprinse, de l'aller trouver bientost, ou bien de luy envoyer ung bien prompt secours, dont j'entendz que le jeune La Moyssonnyère, qui se faict nommer le cappitaine Mondurant, s'est desjà secrettement appresté, avec soixante ou quatre vingts françoys, pour s'y acheminer, à la file.

Et d'ailleurs j'ay aulcunement suspect cest armement des Angloys, parce que aulcuns des parans et amys du dict Montgommery vont dessus: ce qui me faict, de rechef, suplier très humblement Vostre Majesté de fère réytérer, tout le long de la coste, l'advertissement de s'y tenir sur ses gardes, et envoyer ung peu de renfort de gens de guerre partout; bien qu'à dire vray, Sire, ceste princesse ne m'a encores faict démonstration, ny déclaration aulcune, que je puisse ny doibve sinon interpréter en très bonne part; car m'ayant assigné l'audience à jeudi dernier, et se trouvant, d'avanture, pressée de beaucoup d'aultres affères, elle me dépescha ung de ses valletz de chambre pour me pryer que je voulusse avoyr pacience jusques au deuxiesme jour ensuyvant; mais, comme le messager me fallit, j'arrivay lorsqu'elle n'y pensoit pas. Néantmoins elle ne voulut que je m'en retournasse sans la voyr, dont supercéda ses aultres affères, et m'ouyt fort volontiers.

A laquelle je récitay, par le menu, la teneur des deux dépesches de Vostre Majesté, du IIe et IIIe du présent, sur lesquelles je confesse librement qu'elle monstra de ne rester guyères contente, ny de l'exécution des deux premiers, ny de la prison des deux seconds; mais elle fit bien une grande allégresse de l'amandement qu'aviez senty en vostre mal, et de l'espérance qu'aviez de vostre prochaine et parfaicte guérison, pour laquelle elle vous prioit de croyre qu'elle faysoit continuelles prières à Dieu, aussy 114 dévotement comme pour la conservation de sa propre vye.

Et s'est mise à discourir qu'elle creignoit bien fort que, par les aguetz et artiffices d'aulcuns, qui avoient faict de grands dessings sur vostre malladye, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, ne vous layssissiés conduyre à jouer vous mesmes, contre vostre propre repos, et seureté, ces divers roolles qu'aviez commancé en vostre mayson, car elle le conjecturoit ainsy sur aulcunes dilligences, qu'on luy avoit mandé, qui s'estoient faictes en Allemaigne, et qu'elle desireroit, de bon cueur, pouvoir estre quelques heures près de Voz Majestez, pour vous dire librement ce que, possible, vous ne sçavez, ny nul vous l'ozoit dire; et que, d'une chose avoit elle à se plaindre grandement de vous deux, touchant l'exécution de La Molle, et en faysoit plus de tort à la Royne que non pas à vous, car, principallement, elle s'en estoit addressée à elle pour la prier qu'elle voulût considérer, en cella, l'honneur de son filz, lequel elle luy proposoit pour mary; dont elle pensoit avoyr aulmoins impétré que, quand le procès seroit parachevé, la communicquation luy en seroit sommayrement faicte, premier que de passer à l'exécution, ainsy que son ambassadeur le luy avoit escript; et la lettre, que je luy avoys faicte voyr, de la Royne, sembloit parler en ce sens; mais que toutes ses prières et remonstrances n'avoient peu gaigner une heure de temps en cella, dont elle voyoit bien que son crédit devers Voz Majestez estoit par trop petit; et néantmoins qu'elle n'attandoit sinon une pareille précipitation de jugement contre les aultres deux prisonniers, par la dilligence de leurs adversayres, qui vous vouloient fère ruyner ce party, affin que le leur se trouvât seul, et supérieur, et nullement contredict en vostre royaulme; ce 115 qu'elle n'estimoit estre la seureté de Voz Majestez.

Néantmoins, puisque, ny ce qu'elle vous pourroit donner de conseil, ny de consolation, ny d'assistance, en voz présentz affères, pouvoit estre bien prins, ny tenu en grand compte, elle s'en déporteroit, et recourroit à prier Dieu pour vous, qu'il voulût bien conduyre voz affères, et donner à elle le sens de conduyre bien les siens par deçà la mer, adjouxtant plusieurs aultres choses en termes fort exprès, tant des personnes que des évènementz passés, et de ceulx qu'elle crainct à l'advenir; et avec tant d'apparance d'affection que j'ay esté contrainct de luy réplicquer:

Que je la supplioys de se souvenir que, en toutes grandes et excellantes qualités de bonne seur, elle estoit germayne de Vostre Majesté, et, comme telle, il falloit qu'elle jugeât ceste matière d'estat, et non sellon le discours de ces passionnez, que je cognoissois bien, qui avoient parlé à elle; et qu'elle debvoit penser de ne pouvoir avoyr amityé en France qui luy sceût estre utile, ny inimityé qui luy peût estre dommageable, que aultant qu'elle se feroit proprement amye ou ennemye de Vostre Majesté, et non de quel qui fût de voz subjectz; et que je ne voulois rien dire contre le comte de Couconnas et La Molle, qu'aultant que Vostre Majesté m'en avoit escript, suyvant leur condempnation par arrest de vostre parlement, ny de MMrs les mareschaulx de Montmorency et de Cossé, sinon qu'ilz avoient esté tenus, jusques icy, pour fort honnorables, fort prudentz et fort loyaulx conseillers et subjectz; desquelz néantmoins la réputation, sur l'examen de leurs faictz, ne pourroit estre aultre que celle que vous en aurez; et que je la supplioys qu'en lieu de se courroucer, elle se voulût condouloyr, avecques vous, de la violence qu'elle 116 jugeoit bien que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez souffert en vous mesmes, premier que de la fère à ces deux personnages, lorsqu'aviés esté contrainct de mettre la main sur eulx; et que vous en souffriés encores plus, à ceste heure, en les gardant en prison, que eulx d'y estre gardés;

Et qu'au reste, de plusieurs grands ennuys, qui vous venoient de ces accidantz, celluy estoit très grand, que vous vous trouviés contrainct de différer, pour quelques jours, vostre voyage de Bolloigne; lequel néantmoins vous proposiés plus fermement que jamays d'accomplir, aussytost qu'auriés ung peu accommodé voz affères, affin de conduyre l'entrevue, puisque l'affère n'estoit plus accroché qu'à ceste seule difficulté: qu'elle peût avoyr agréable la personne, sellon que ne desiriés rien tant au monde que de vous conjoindre en une perpétuelle confédération et alliance avec elle et avec sa couronne, par le moyen de ce mariage;

Et sur ce qu'elle avoit craint que Monseigneur le Duc fût en maulvaise intelligence avec Voz Majestez, auquel cas, elle disoit de ne pouvoir jamays plus avoyr si bonne opinion de luy comme auparavant, que j'avoys commandement de luy respondre, encores une foys, ce que la Royne Mère en avoit respondu à son ambassadeur, et ce que je avoys eu charge de luy en dire, icy, à elle: que vous l'aviez trouvé si esloigné de cella, et avoyr l'inclination si droicte et si vertueuse, à tout ce qui estoit de son debvoir vers Dieu et Vostre Majesté, et vers la Royne, sa mère, que toutz deux n'y pouviés desirer rien de plus, ny de mieulx, pour vostre parfaict contantement; et luy aviez trouvé ung desir qui tendoit tant à acquérir honneur, avec dignité et réputation, sans blasme, que vous pouviés 117 dire qu'il avoit le cueur aultant généreulx et royal que prince qui fût au monde.

Elle m'a respondu que je me gardasse bien d'avoyr si maulvayse opinion d'elle, qu'elle eût emprunpté ce qu'elle m'avoit dict du discours de pas ung des siens; ains qu'elle l'avoit prins de la vraye bonne affection qu'elle portoit à Vostre Majesté, et qu'elle prioit Dieu qu'elle eût veu plus de mal en ces accidantz, que vous n'en y eussiés, puis après ce, trouvé; et que, de vostre voyage, de Bolloigne, elle pouvoit bien présumer que les ennemys du propos, lesquelz vous sçavoient bien tirer ailleurs, vous pourroient bien divertyr d'y venir, mais qu'elle remettoit cella à Dieu; seulement me vouloit dire, et me l'a dict en riant, qu'elle estoit d'assez bon lieu pour avoyr ung prince libre à mary, et qu'elle n'en vouloit poinct de pire condicion.

Et ainsy, après plusieurs devis, dont les aulcuns ont esté proférés d'affection, et les aultres ont esté assez gracieulx, je me suis, pour ceste foys, licencié d'elle.

Et sur ce, etc. Ce XVIe jour de may 1574.

A la Royne

Madame, en une partie de la lettre que je fay présentement au Roy, je y mectz les advis que j'ay à mander à Voz Majestez, et, en l'aultre, je y touche les propos que ceste princesse m'a ceste foys tenus, laquelle m'a fort prié de vous représanter, le plus vifvement que je pourrois, la juste occasion, qu'elle avoit, de se tenir pour offancée que n'eussiés voulu avoyr quelque esgard à ce qu'elle vous avoit faict dire et remonstrer pour La Molle et Couconnas, qui pourtant n'estoit chose qui touchât à elle, ains proprement à l'honneur de vostre filz et par conséquent au vostre. Sur quoy, 118 après l'avoyr layssée ung peu eslargir en sa collère, je me suis vifvement opposé à la pluspart de son discours, et en sommes venus en une contestation non petite; mais encor que je sçay bien que la rayson a esté de mon costé, elle, comme grande Royne, ne s'est volue laysser vaincre, jusques à ce que je luy ay dict que je m'assuroys que Vostre Majesté luy feroit cognoistre que l'exécution, dont elle se pleignoit, de ces deux gentilshommes, estoit très juste, et n'avoit peu estre plus longtemps différée; et qu'il faudroit qu'elle prînt rayson en payement. Ce qu'elle, à la fin, a accepté. Et puis, j'ay suivy à luy dire que je vous escriprois ardiment que j'avoys facillement recueilly, du propos et des contenances d'elle, qu'elle n'avoit nulle malle impression de Monseigneur le Duc, vostre filz.

Elle m'a respondu qu'elle ne vouloit estre si ingrate que d'avoyr en mauvayse estime ung prince, qui monstroit de l'avoyr bonne d'elle; mais que je vous disse ardiment, et s'est mise à soubrire, qu'elle ne prendroit poinct de mary, les fers aulx pieds. Et, pour ceste foys, je n'ay peu tirer aultre chose d'elle sinon qu'elle verra ce que le cappitaine Leython luy rapportera de la part de Voz Majestez.

Au surplus, Madame, je me suis beaucoup consolé de ce que, en me commandant, par vostre lettre du IIe de ce moys, d'avoir encores ung peu de pacience jusques à ce que ces présentz affères soient ung petit remis, il vous plaist m'assurer, qu'aussytost qu'ils le seront, Vostre Majesté mesmes me moyennera mon congé, et fera que le Roy, qui monstre estre bien contant de mon service, m'uzera quelque digne récompense. Je remercye très humblement Vostre Majesté de l'une et de l'aultre promesse, et, comme ayant besoing de toutes les deux, je les accepte et supplie très humblement 119 Vostre Majesté les accomplir, et qu'il luy playse se souvenir que nul gentilhomme, de toutz ceulx qui sont au service de Voz Majestez, a esté plus longuement continué, et sollicité au travail, que moy, ny plus longtemps oblié à la récompense; et que beaucoup de nécessitez me pressent, à ceste heure, de ne pouvoir plus attandre. Dont, entre aultres, je vous puis assurer, Madame, avecques vérité, que la cherté est si extrême, icy, que, depuis ung an, toutes provisions sont enchéries par moytié, et quelques unes excèdent le double, de sorte qu'il s'en fault par trop que l'estat ordinayre d'ambassadeur y puisse suffire. A quoy je supplye très humblement Vostre Majesté y fère avoyr de l'esgard, et qu'il ne me soit faict tant de tort que de me oster, ou retarder, les gages de la chambre et la pension de douze centz livres: car, avec les autres pertes que j'ay faictes, ce seroit me conduyre à mendicité, dont j'espère que Vostre Majesté m'en préservera. Et sur ce, etc.

Ce XVIe jour de may 1574.

CCCLXXXIIe DÉPESCHE

—du XXIIIe jour de may 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Plainte contre une expédition préparée par le capitaine Montdurant.—Assurance de la reine qu'elle en arrêtera le départ.—Continuation des armemens.—Nouvelles instructions données au capitaine Leython.—Nouvelles de Marie Stuart.—Plaintes des Anglais à raison des prises.—Sollicitations de l'ambassadeur pour obtenir la juste récompense de ses services.

Au Roy.

Sire, estant adverty que le cappitaine Montdurant, avec envyron quatrevingtz soldatz, qu'il a ramassez icy, s'en 120 alloit trouver la comtesse de Montgommery vers Hamptonne, en intention de s'embarquer au dict lieu, pour passer aulx isles de Gerzey et de Grènesey, et, des dictes isles, aller descendre en celle poincte de Normandye, qui est près de Carantan, pour se joindre au comte de Montgommery, ou bien pour tenter luy mesmes quelque entreprinse par dellà, je suis allé remonstrer à la Royne d'Angleterre que, de tant que je ne résidois près d'elle que pour y estre procureur et directeur du bien de l'amityé qu'elle vous avoit jurée, et pour divertyr le mal qui pourroit naystre de quelque altération si, d'avanture, elle y survenoit, je la voulois bien supplyer de fère en sorte qu'on ne peût dire que, de la ville capitalle de son royaulme, et de ses portz et isles, fût party ung équipage pour vous aller fère la guerre; et qu'elle deffendît que la folle entreprinse du comte de Montgommery n'eust poinct de suite, d'icy, affin qu'on cognût, à bon escient, qu'elle n'en avoit poinct prins le commancement; et qu'il ne pourroit rien advenir de plus répugnant à la ligue et confédération, qu'elle vous avoit jurée, ny rien de plus contrayre aulx promesses et offres honnorables, qu'elle vous avoit rescentement faictes, que si elle n'empeschoit le voyage du dict cappitayne Montdurant; et que pourtant elle voulût, par ceste petite chose, esclarcyr le monde comme elle dellibéroit procéder dorsenavant vers vous, et comme vous auriés à juger, cy après, de ses intentions.

La dicte Dame, d'une fort franche volonté, et sans aulcune remise, m'a respondu qu'elle le feroit, et a prins incontinent le nom du cappitayne pour envoyer empescher son embarquement. Et m'a dict, davantage, qu'ayant sceu que quelques ungs avoient achepté des pouldres pour envoyer 121 en France, qu'elle avoit mandé les retenir pour elle, et les avoit payées et faictes mettre dans la Tour; et qu'elle espéroit vous fère cognoistre qu'elle avoit Dieu et son sèrement, et le debvoir de l'amityé, qu'elle vous avoit promise, devant les yeulx. Et si, m'a touché, en termes couvertz, quelque particullarité de l'armement de ses navyres pour me fère comprendre qu'elle les dressoit contre l'armée d'Espaigne; mais je n'ay faict semblant de l'entendre, car je m'attandz, Sire, que, sur l'advis que je vous en ay donné, Vostre Majesté me commandera d'en parler ouvertement à la dicte Dame, affin de tirer d'elle, là dessus, la plus expresse déclaration que je pourray.

Les six premiers navyres de son dict armement sortiront à la fin de ce moys, et non plus tost, et les aultres, puis après, s'yront conduysant, tout à loysir, à Porsemmue, où desjà l'on prépare les vivres, le biscuit, la cher, et aultres provisions, pour les avitailler; et le comte de Bethfort part bientost pour aller donner ordre, en Cornoialle et Dauncher, que les mariniers et gens de guerre, qu'il faudra mettre dessus, se trouvent prestz. Néantmoins je sentz bien que les évènementz de France font que ceulx cy traictent plus gracieusement avec le Roy d'Espaigne qu'ilz ne faysoient auparavant, et qu'il semble qu'ilz entreront en beaucoup de modération avecques luy, ainsy que luy, de son costé, les en recherche; et que difficillement se garderont ilz qu'ils n'employent, en une façon ou aultre, quelque partie de leur armement en faveur des eslevez de vostre royaulme, bien que je ne cesseray de m'y oposer tousjours, autant qu'il me sera possible.

L'on a envoyé nouvelle instruction au cappitayne Leython, depuis l'exécution du comte de Couconnas et de La 122 Molle, et depuis l'emprisonnement de messieurs les Mareschaulx; dont j'estime qu'il parlera en toute aultre façon à Vostre Majesté qu'on ne le luy avoit commandé, à son partement. Néantmoins je desire qu'il vous playse le renvoyer bien contant, et mander, par luy, beaucoup d'honnestes satisfactions à la Royne, sa Mestresse, et pareillement à ses deux conseillers.

Elle est après à dépescher quelque personnage, et croy que ce sera Quillegreu, eu Escosse, devers le comte de Morthon, par prétexte de traicter de certains désordres qui sont nays en la frontyère; mais je croy que c'est pour conférer avecques luy sur le passage de l'armée d'Espaigne. Je ne vous toucheray rien, icy, des nouvelles du dict pays, parce que le sieur de Molins, qui en vient tout freschement, vous en aura donné bon compte. La Royne d'Escosse, vostre belle sœur, se porte bien, et, hier, je présentay, de sa part, une basquinne de satin incarnat, à ouvrage d'argent, fort menu, et tout tissu de sa main, à la Royne d'Angleterre, laquelle a eu très agréable le présent, et l'a trouvé fort beau, et l'a prisé beaucoup, et m'a semblé que je l'ay trouvée fort modérée vers elle. J'ay, icy, des lettres que la dicte Royne, vostre belle seur, escript à Voz Majestez, mais je n'ay encores congé de les vous envoyer. Ce sera par Halley, son vallet de chambre, qui est icy, l'ung de voz chevaulcheurs d'escuyerie, lequel les attand. Et semble qu'il n'y aura rien de mal que Voz Majestez luy respondent quelquefoys; car ceulx cy voyent bien passer ordinayrement des lettres d'elle, qui vous vont provoquant et obligeant de luy respondre.

J'ay tant faict que sir Artus Chambernon s'est contanté de me bailler ses procurations pour les fère tenir à l'ambassadeur 123 d'Angleterre, et promect de se monstrer, en sa charge, aultant vostre serviteur qu'il luy sera possible, n'ayant voulu permettre que son filz soit allé trouver le comte de Montgommery, son beau père. Il vous plerra, Sire, luy fère avoyr quelque bonne provision de justice sur les biens du dict de Montgommery, pour la dot de sa belle fille.

Ceulx cy me rengrègent, plus que jamays, la pleincte des prinses, et le manquement de justice en France; dont y en a aulcuns, dans ce conseil, qui, par deux et trois foys, ont pressé ceste princesse de permettre à ses subjectz d'armer pour en avoyr la revenche, et mesmement contre deux navyres de Vostre Majesté, qui s'appellent, l'ung le Prince et l'aultre l'Ours, lesquels, depuis naguyères, ont faict plusieurs prinses, et icelles, avec grande violence et meurtre, sur les Angloys; dont je vous supplie très humblement, Sire, y vouloir pourvoir.

Et pour la fin, je remercyeray très humblement Vostre Majesté des favorables responces qu'il vous a pleu fère à celluy des miens qui vous a parlé de celle petite abbaye de Néelle, que ung mien frère, qui naguyères a esté tué dans Sarlat, me tenoit, et qui vous a présenté aussy ung placet pour mes gages de la chambre, et pour la petite pencion de douze centz livres qu'il plaist à Vostre Majesté me donner; qui sont choses raysonnables et sur lesquelles je ne veux sinon très bien espérer de Vostre Majesté, parce qu'elle ne voudra jamays oublier ny mon long service ny ma fidellité, ny me laysser tomber en l'extrême pouvreté, où je serois réduict, si elle n'avoit souvenance, à ceste procheyne distribution, de m'accomplir la libéralité de quelque bienfaict, selon que, longtemps y a, il luy a pleu me 124 la promettre, et laquelle j'ay plus longuement attandue que nul aultre gentilhomme qui soit à son service; et, tout ensemble, me récompenser de la perte que je fay, estant icy, de celle petite abbaye de Néelle que Monseigneur le Duc a donnée à ung de ses secrettères, qui m'estoit venue, par résignation, d'ung de mes parantz; et avoyr esgard, Sire, touchant ma pencion, et gages, que la cherté est si extrême et insupportable en ce lieu, où Vostre Majesté me détient plus longtemps et plus extraordinayrement qu'il n'a jamais faict nul aultre ambassadeur, que l'estat qu'elle m'y donne n'y peut de beaucoup suffire. Et sur ce, etc.

Ce XXIIIe jour de may 1574.

CCCLXXXIIIe DÉPESCHE

—du XXIXe jour de may 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Hallay.)

Assurance que les armemens d'Angleterre sont dirigés contre l'Espagne.—Nécessité de se tenir cependant sur ses gardes en France.—Nouvelles d'Allemagne et d'Écosse.—Instances de Montgommerry auprès des Anglais.—Avis donné par l'ambassadeur aux gouverneurs des côtes de l'expédition du capitaine Montdurant.

Au Roy.

Sire, je ne puis encores descouvrir que, en toutes ces longues assemblées de conseil, que ceulx cy ont quasy toutz les jours tenues, depuis ung moys en ça, il y ayt esté rien déterminé contre Vostre Majesté; ains mes advis se rapportent qu'ilz ont dressé leurs délibérations à ordonner, comme ils pourront, par leur appareil de mer, lequel ilz préparent tousjours, bien résister à l'entreprinse qu'ilz se persuadent que le Roy Catholique a sur ce royaulme ou 125 bien sur l'Irlande, et comme, sans commancer aulcune infraction de paix, de leur costé, ilz rendront inutilles les efforts de l'armée qui s'attand d'Espaigne, au cas qu'elle essaye rien sur eulx; et de faict, les parolles de ceste princesse, et de ceulx qui guident plus ses intentions, tendent à me fère bien espérer de leurs déportementz pour Vostre Majesté; et mesmes ont escript aulx portz de ne laysser sortir, avec armes, ceulx qui s'acheminoient vers le comte de Montgommery. Néantmoins, pour la façon de laquelle j'entendz qu'ilz parlent des évènementz de France, qui ne se peuvent tenir qu'ilz ne supportent tousjours la cause des eslevez, et qu'ilz ne desirent bien fort qu'ilz ne soient poinct opprimés, et admettent ordinayrement leurs agentz à traicter de leurs affères avec eulx; et que, parmy aulcuns de ceulx qui s'apprestent pour aller sur leurs grands navyres, il court ung bruict sourt qu'ilz feront quelque descente en Normandye ou en Guyenne; je me résouls, d'ung costé, Sire, de retenir ceste princesse, aultant que je pourray, en vostre dévotion, et de divertyr, s'il est possible, qu'il ne vous viegne nul mal d'elle ny des siens, ou le moins que fère se pourra, et vous supplyer très humblement, de l'aultre, que vous ne layssiés, pour cella, de vous pourvoir contre leur armement, comme contre suspectz amys, ou bien contre couvertz ennemys, affin qu'ilz ne vous puissent uzer de surprinse. Dont, de jour en jour, je ne faudray de vous escripre ce que je pourray approfondir davantage de leurs dellibérations, desquelles, sellon qu'au retour du cappitayne Leython ilz se trouveront bien ou mal satisfaictz de sa légation, j'en pourray, lors, plus certeynement juger.

Il leur est arrivé, depuis trois jours, ung Courier d'Allemagne, 126 dépesché par ung, leur agent, qui se tient à Franckfort, et, soubdain le conseil s'est assemblé là dessus; où j'entendz qu'il a esté résolu que promptement seront envoyés cinquante mille escuz en Hambourg et à Colloigne, pour estre remis à ung Jehan Lith, facteur de Me Grassen, auquel sera mandé comme et à qui il les faudra distribuer. Et parce qu'on y employe quelque forme de crédict d'Anvers, il semble que ce soit plustost une provision pour le prince d'Orange, que non une emplète contre Vostre Majesté; mais, de tant qu'on dict que Me Randolphe sera bientost dépesché devers les princes protestantz, je vous supplie très humblement, Sire, ordonner quelqu'ung qui le sache bien observer de dellà.

Me Quillegreu est commandé de se tenir prest pour aller en Escosse, et j'entendz que c'est pour une praticque qu'on a descouvert que quelques seigneurs du pays menoient pour restablir l'authorité de la Royne d'Escoce. Il va voyr ce qui en est, et va traicter avec le comte de Morthon du passage de l'armée d'Espaigne, et comme il aura à s'en gouverner.

Le comte de Montgommery avoit envoyé, icy, ung des siens, nommé Lafouloyne, pour luy admener des soldatz, et luy procurer quelques secours; mais il s'en est retourné aujourdhuy, fort mal accompaigné, n'ayant peu praticquer, en ceste ville, que six ou sept hommes. J'ay adverty Mr de Sigoignes de la dellibération, que le cappitayne Montdurant a faicte, de descendre près de Carantan, avec les quatre vingtz soldatz qu'il a ramassés par deçà; dont je m'assure qu'il en advertyra Mr de Matignon pour y pourvoir, et pareillement Mr de la Melleraye, au cas qu'il s'efforçât de descendre ailleurs. Sur ce, etc.

Ce XXIXe jour de may 1574.

127

CCCLXXXIVe DÉPESCHE

—du IIIIe jour de juing 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Armemens maritimes faits par Me Grinvil.—Assurance qu'ils sont destinés pour l'Irlande et pour un voyage de découverte.—Résolution des Anglais de se joindre aux vaisseaux du prince d'Orange et de la Rochelle pour combattre la flotte d'Espagne.—Avis donné par l'ambassadeur d'un coup de main qui doit s'exécuter en France.—Nécessité d'exercer une active surveillance auprès du roi et des princes.

Au Roy.

Sire, estant adverty que, oultre l'armement des grandz navyres de ceste princesse, lequel va tousjours en avant, ung particullier de ce royaulme, nommé Grinvil, gentilhomme tenu en très bon compte en ceste court, et qui, dès l'entrée de l'hyver, a commancé de mettre sept bons navyres en équippage de guerre, avecques voix de vouloir aller descouvrir quelque destroict vers le North, ayant layssé passer la sayson d'un tel voyage, ne laysse pourtant de se préparer, à ceste heure, en toute dilligence, pour s'aller mettre sur mer avec les susdictz sept navyres et encor trois davantage, qu'il y a joinctz de nouveau; et qu'il s'est desja expédié de court pour aller fère son embarquement, en divers endroictz, sellon que ses susdictz navyres sont distribués en divers portz de ce royaulme, où plusieurs gentilshommes vont estre de la partye, et des soldatz ou mariniers, jusques au nombre de quinze centz hommes, en tout, j'ay eu le dict appareil pour bien fort suspect; de tant mesmement qu'on m'a dict qu'icelluy Grinvil a associé avecques luy le sir Artus Chambernon. Dont j'ay incontinent envoyé rechercher bien curieusement, 128 par toutz mes advis, où se pouvoit addresser cette entreprinse. Et voicy, Sire, ce qu'on m'en a rapporté:

Que le dict Grinvil, ayant longtemps sollicité la permission de pouvoir aller fère ceste descouverte, qu'il a en main, et en ayant, jusques à ceste heure, esté empesché par ceulx qui portent, icy, le faict du Roy d'Espaigne et du Roy de Portugal, qu'il a sceu enfin si bien remonstrer l'utillité qui adviendra de son voyage à tout ce royaulme, si on le luy laysse parachever, qu'avec la faveur de ses amys il a obtenu de le pouvoir fère, en ce toutesfoys que, devant toute œuvre, il yra donner quelque forme de secours, qui luy a esté prescripte, au comte d'Essex, en Irlande; et de là il prendra, puis après, sa route où il prétend aller, sans luy estre néantmoins loysible de descouvrir en endroict, où les Espaignols et Portugoys ayent desjà actuellement descouvert, et sans qu'il puisse attempter rien contre les amys de ce royaulme, spéciallement contre Vostre Majesté. Et, par ainsy, mes advertissementz portent que je ne doibs prendre allarme, ny vous en donner aulcune, de l'entreprinse du dict Grinvil.

Et m'a l'on rapporté, davantage, Sire, que ceste princesse, jeudy dernier, entre ses plus privés, a dict qu'elle estoit fort marrye qu'on vous fît prendre, ny que vous vous imprimissiés, aulcune sorte de deffiance, du costé de ce royaulme; car elle vous maintiendroit, sans aulcun doubte, l'amityé qu'elle vous avoit promise, et qu'il n'y auroit nul qui la vous ozât enfeindre. Et, de faict, encor que j'aye des présumptions bien violentes contre les Angloys, à les avoyr suspectz ez présentz troubles de vostre royaulme, si ne découvrè je que, pour encores, ilz ayent aulcune entreprinse déterminée contre Vostre Majesté, 129 ains que l'ordre, qu'ilz ont proposé de tenir, quand ilz auront mis leurs grandz navyres en mer, est, à ce que j'entendz, qu'ilz n'entreront dans nulz portz; ains qu'ilz tiendront tousjours la mer, et aussytost qu'ilz auront recognu l'armée d'Espaigne, qu'ilz l'yront tousjours costoyant sur l'aile gauche, pour luy couvrir la coste d'Ouest d'Angleterre et la routte d'Irlande, sans la laysser nullement approcher de deçà; et, si aulcuns vaysseaulx d'icelle s'y escartent, encor que ce soit par tourmente ou par aultre contraincte nécessité, l'on ne layra de les investir et combattre. Et mesmes se présume qu'ilz ont concerté avec le prince d'Orange, lequel doibt avoyr, lors, cent bons navyres sur mer, comprins ceulx de la Rochelle, qu'ilz chercheront les occasions de provoquer la dicte armée de venir aulx mains, ayant faict équipper dix huict pataches, du port de vingt cinq ou trente tonneaulx chascune, dans la rivière de Golchestre, en forme de frégates à rames, bien garnies d'artillerye à fleur d'eau, pour les oposer aulx gallères qu'on dict qui seront en la dicte armée. Et n'y a que six jours que deux marchandz de Flandres, qui venoient d'Espaigne par mer, ayantz esté contrainctz du vent à prendre port vers le cap de Cornoaille, ont esté incontinent conduictz, avec toutes les lettres qu'ilz portoient, devers les seigneurs de ce conseil, qui les ont dilligemment examinés du faict de la dicte armée. Et il semble qu'ilz leur ayent confirmé qu'elle sera bientost preste à se mettre à la voylle; ce qui faict que ceulx cy hastent davantage leur armement. Dont, de jour en jour, Sire, je vous donray advis de la dilligence qu'ilz y mettront, affin que, nonobstant leurs bonnes parolles et leurs démonstrations, vous vous pourvoyés tousjours, comme je vous en supplie très humblement, que ne soyés surprins 130 de leurs maulvais effectz, si, d'avanture, ilz en avoient.

J'entendz qu'on a changé d'advis d'envoyer Me Randolphe en Allemaigne, et que ce sera un agent, lequel partira bientost, qui est ung fort dangereulx homme et de mauvayse intention. Il doibt passer devers le prince d'Orange, duquel, depuis peu de jours, le ministre Textor est retourné icy, avec beaucoup de mémoyres. Et de tant, Sire, qu'il est eschappé à aulcuns des plus passionnés supposts de la nouvelle religyon, qui soient par deçà, de dire que bientost adviendra, en France, une chose grande et de grande importance, qui mettra toute la Chrestienté en admiration; et qu'ilz monstrent qu'avec grand desir et joye indubitablement ilz l'espèrent, je vous supplye très humblement, en l'incertitude que ce peut estre, que vueillés fère uzer quelque forme d'aguet et d'observance, plus grande que de coustume, entour les personnes de Voz Majestez, et fère tenir quelque assemblée de Conseil ung peu solennelle, pour leur fère penser que leur entreprinse est descouverte, car pourra estre que peu de démonstration la leur destournera et leur emportera toute leur attante. Et sur ce, etc. Ce IVe jour de juing 1574.

131

CCCLXXXVe DÉPESCHE

—du VIIIe jour de juing 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Nouvelles de la maladie du roi.—Mission du capitaine Leython.—Explication donnée par l'ambassadeur sur la communication qu'il avait précédemment faite à l'égard de Coconas et de La Mole.—Plaintes du roi sur les armemens des Anglais qui lui ont été dénoncés comme devant être dirigés contre la Normandie et la Bretagne.—Satisfaction donnée en France au sujet des prises.—Succès remportés sur les protestans.—Mécontentement d'Élisabeth de ce que le roi n'a pas voulu, sur sa demande, faire surseoir à l'exécution de Coconas et de La Mole.—Sa déclaration que ses navires sont armés pour surveiller le passage de la flotte d'Espagne.—Protestation de sa part qu'elle n'a aucune intention d'attaquer la France.—Nouvelle de la mort du roi.—Condoléances de l'ambassadeur à la reine-mère.—Message d'Élisabeth sur la mort du roi.—Son desir de renouveler l'alliance avec le nouveau roi.—Avis d'une entreprise préparée contre les côtes de France.

Au Roy.

Sire, suyvant ce qu'il vous a pleu m'escripre, du XXe du passé, j'ay dict à la Royne d'Angleterre que vous aviés prins en fort bonne part, et vous estiés bien fort resjouy de la venue du cappitaine Leython, comme de celluy dont aviés trouvé que toutz les poinctz de la légation, qu'il vous avoit explicquée, de par elle, estoient aultant de tesmoignages de la vraye et indubitable amityé qu'elle vous portoit, et qu'en premier lieu il vous avoit faict grand bien de voyr le soing qu'elle prenoit de vostre santé; dont luy en aviez grande obligation, et que vous la vouliés assurer que, grâces à Dieu, vous alliés en amandant, et qu'ung accès de tierce double, qui vous avoit prins le XVIIe du passé, avoit mis voz mèdecins en bonne espérance qu'il retrancheroit les accidantz de la quarte, et que ce seroit une 132 parfaicte guérison, dont en sentirez desjà du solagement; et quand aulx honnorables offres qu'elle vous avoit mandé fère de vous vouloir assister, aultant qu'elle pourroit, en voz présentz affères, pour maintenir et conserver vostre authorité, que c'estoit ung des vrays fruictz que vous alliés recueillant de la longue persévérance en laquelle vous vous estiés confirmé, depuis vostre règne, à ne vous vouloir départir, pour occasion ou persuasion, ou instigation, qu'on vous eût peu donner au contrayre, jamays de son amityé; et que vous expérimantiés, à ceste heure, avec vostre grand contantement, combien il vous venoit bien à propos d'avoyr sceu acquérir et conserver une si grande et si parfaicte, et si constante amye, et bonne voysine, comme elle vous estoit; et qu'elle pouvoit croyre et croyroit, avecques vérité, que vous luy uzeriés, toute vostre vye, une semblable correspondance, et vous porteriés, en toutes les choses qui surviendroient au monde, très droictement et cordiallement, vers elle, aultant qu'elle le pourroit desirer, et espérer, du plus entier et esprouvé amy qu'elle eût en la Chrestienté; et puisqu'elle se monstroit de ceste bonne disposition vers voz affères, qu'à la mesure qu'ilz vous surviendroient, vous les luy feriés entendre, affin d'uzer de son assistance et de son conseil, et de son bon secours, là où verriés d'en avoyr besoing;

Et, au regard des propos que le dict cappitaine Leython avoit tenus, de Monseigneur le Duc, en l'honneste et honnorable et très modeste façon qu'elle luy avoit ordonné d'en parler à Vostre Majesté et à la Royne, vostre mère, que toutz deux en aviés senty ung ayse et ung contantement trop plus grands qu'il ne vous estoit possible de l'exprimer, cognoissant, par là, la bonne affection qu'elle 133 luy portoit, et la bonne opinyon et estime en quoy elle le tenoit, sans avoyr donné foy à plusieurs rapportz que vous pensiés bien qu'on luy avoit faictz de luy; ce qui vous faysoit espérer, de bien en mieulx, du bon propos dont vous la recherchiés plus que jamays, qu'elle voulût accepter ce vertueux prince pour tout sien, et que vous ne faudriés, ny la Royne, vostre mère, aussytost que la violence de voz affères vous permettroit ung peu de respirer, de venir en çà, pour le luy consigner; et qu'elle s'assurât qu'en toute vraye amour et intelligence, Monseigneur le Duc et le Roy de Navarre estoient très unis avec Voz Majestez par ung lyen si estroictement attaché, que nulle chose au monde le pourroit jamays rompre; que, de ce qu'elle vous avoit faict parler du comte de Couconnas et de La Mole, et de l'emprisonnement de Mrs de Montmorency et de Cossé, je layssois bien à ses ambassadeurs de luy fère entendre les responces que Voz Majestez Très Chrestiennes leur en avoient faictes, et comme elles leur avoient faict voyr que la procédure de ceulx cy estoit la vraye justiffication de Monseigneur le Duc et du Roy de Navarre;

Mais que j'avoys bien à me plaindre de ce que ses dicts ambassadeurs vous avoient dict que j'avoys promis, de vostre part, aulcunes choses en cella, icy, à elle, que, puis après, vous n'aviez pas accomplyes; et que je la priois de se souvenir comme, par une lettre que je luy avoys monstrée, là dessus, de la Royne, vostre mère, elle luy avoit mandé qu'après que le procès seroit faict et parfaict aux dictz de Couconnas et de La Molle, elle luy feroit entendre le tout, non qu'elle luy eût promis de luy envoyer le dict procès, car ce n'estoit chose digne de sa grandeur, 134 ains c'estoient actes secretz de vostre court de parlement, où, possible, plusieurs aultres se trouvoient defférez, qui n'estoit loysible de les réveller; mais que, bientost après, je luy estois allé dire comme iceulx Couconnas et La Molle avoient librement confessé d'avoyr voulu suborner Monseigneur le Duc, et le Roy de Navarre, pour les distrayre d'avec Voz Majestez, et d'avoyr, à cest effect, faict atiltrer des chevaulx, et ordonné des rendez vous, pour les transporter en quelque lieu, hors de la court; et que eulx mesmes s'estoient jugés dignes de plus rigoureuse mort que celle qu'on leur faysoit souffrir: qui estoit bien luy donner, à elle, ung très ample compte de leur condampnation; mais que je layssois ce propos pour luy dire que ses bonnes démonstrations vous rendoient si parfaictement assuré de sa bonne et droicte intention vers vous, qu'il faudroit bien qu'il vous advînt beaucoup de mal, du costé d'elle, et qu'elle se déclarât, à bon escient, contre vous, premier que vous peussiés croyre qu'elle se voulût déterminer de vous nuyre ou de vous offancer;

Et pourtant que vous la priés de vous esclarcyr franchement d'ung advertissement, qu'on vous avoit donné, qu'elle mettoit présentement ses grands navyres de guerre dehors, avec les barques pour les suyvre, soubz prétexte d'assurer sa coste, au passage de l'armée d'Espaigne, et que, n'estant la dicte armée si preste à passer, l'on vouloit inférer que son armement s'addressoit contre vous, en faveur des eslevez de vostre royaulme;

Et qu'à cest effect elle avoit, depuis naguyères, envoyé secrettement recognoistre et figurer les portz et advenues de Normandye et Bretaigne, et que l'on vous vouloit mettre en grande souspeçon d'elle, mais que 135 vous ne le feriés pas, ains croyriés ce qu'elle vous en manderoit, et vous en reposeriés en sa parolle.

Puis luy ay adjouxté ce qu'aviés ordonné pour les plainctes de ses subjectz, et l'offre que faysiés d'aulcuns vaysseaulx de conserve avec ceulx que, par commune intelligence, elle voudroit envoyer, de sa part, pour tenir la navigation seure.

Et, pour la fin, luy ay compté des bons exploictz que voz cappitaines, et chefz de guerre, alloient exécutant en la Gascoigne, Poictou et Normandye, pour réprimer les eslevez, et pour réduyre aulcunes places, qu'ilz avoient prinses, à vostre obéissance.

La dicte Dame, se trouvant très contante de tout le propos, m'a respondu qu'elle avoit ung grand plésir que la légation du cappitaine Leython vous fût agréable, et qu'à ceste intention l'avoit elle, d'ung cueur pur et entier, très volontiers dépesché; et se donnoit honte que, plus tost, elle ne vous eût envoyé visiter en vostre malladye, attandu que, du succès d'icelle, venant Vostre Majesté à convalescence, ce luy estoit le plus souverain contantement qu'elle pouvoit desirer; et, au contrayre, s'il vous mésadvenoit, c'estoit le plus grand ennuy et le plus grand trouble qu'elle pourroit sentir au monde: dont pouviés croyre qu'elle prioit Dieu dévotement pour vostre longue et heureuse vye, et juroit que nulle aultre personnage, de toute la terre habitable, elle préféroit à vous à le desirer tenir la couronne de France. Et s'est curieusement enquise des accidans de vostre maladye, et qu'elle sera tousjours en frayeur jusques à ce qu'elle entendît que vostre santé soit bien confirmée; que, au regard de ses offres, elle les vous confirmoit, de rechef, en tout ce que 136 estimeriés estre bon et honneste de l'employer, pour la conservation de vostre authorité.

Et, touchant les propos qu'elle vous avoit faict tenir, de Monseigneur le Duc, elle espéroit que vous auriés bien cognu qu'ilz ne tendoient qu'à l'honneur de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et à celle de vostre mayson, et à garder bien entière la réputation de vostre frère, dont nul justement en pouvoit fère sinon une bonne et saincte interprétation; que de ce, qu'elle vous avoit faict toucher du comte de Couconnas et de La Molle, que j'excusasse si ses ambassadeurs en avoient ainsi parlé, car ce avoit esté de son commandement, et que c'estoit pour ne pouvoir rester contante que, à son instance, Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, n'eussiés voulu supercéder, huict jours, leur exécution, car, possible, eussiés vous apprins des choses que vous ne sçavez pas, et qu'elle pense que vous ne les sçaurés jamays;

Que, de l'armement de ses navyres de guerre, à la vérité, elle avoit commandé d'en mettre douze dehors, à cause de l'armée du Roy d'Espaigne; puis, que, sur les lettres qu'il luy en avoit escriptes, elle luy avoit accordé le passage libre, et l'entrée et refraychissement dans ses portz, dont ne se vouloit trouver désarmée à un tel advènement, comme ce n'estoit pas aussy la coustume des princes; et aussy qu'on disoit qu'ung de ses rebelles d'Irlande, nommé Stuqueley, avoit la conduicte de six navyres de la dicte armée, mais qu'elle espéroit bien que le Roy d'Espaigne seroit si sage qu'il ne mouveroit rien contre elle; et qu'elle pensoit que ne fussiés bien adverty du faict de la dicte armée, car entendoit qu'elle seroit bientost à la voylle, et que mesmes, d'ung aultre costé, avant ne fût dix jours, 137 que don Johan d'Austria vous envoyeroit demander son passage par la Bourgoigne, avec l'armée qu'il mène d'Italye, pour les Pays Bas; et qu'elle vous promettoit, sur son honneur, qu'en ordonnant de son appareil, elle n'avoit jamais pensé, ny n'avoit esté faicte une seule mencion des choses de France, ny ce n'estoit qu'imposture et faulceté de vous avoyr rapporté qu'elle eût envoyé recognoistre la coste de Normandye et Bretaigne, car juroit qu'il n'en estoit rien; et que pouviés croyre qu'elle aymeroit mieulx estre morte que si, ez pleins termes d'amityé où elle estoit de présent avecques vous, elle estoit trouvée de vous avoyr uzé ung tel trêt; mais, quand elle en voudroit venir là, qu'elle chercheroit, premier, l'occasion de se départir de l'amityé; et qu'elle vous vouloit bien confesser, tout librement, qu'elle s'estoit mise en estat de pouvoir repoulcer le mal, qu'on luy voudroit fère, plustost que d'estre contraincte de le souffrir;

Que, de l'ordre qu'aviés prins pour les plainctes de ses subjectz, elle vous en remercyoit grandement, et vous prioit qu'avec les provisions de justice, il vous pleût pourvoyr à l'exécution d'icelles, car c'estoit ce dont ses subjectz se plaignoient le plus; et que, touchant les deux chefs de cest article, elle en communicqueroit avec ceulx de son conseil pour, puis après, m'y fère avoyr responce; et qu'au reste elle se resjouyssoit beaucoup des aultres nouvelles, dont luy aviez faict part: que voz cappitaines alloient, avec les armées, réduysant vos provinces, mais qu'elle desiroit plustost que, sans armes, avec une bonne paciffication, vous peussiés réduyre, en union, toutz voz subjectz à la parfaite obéyssance de vostre authorité.

Je luy ay respondu que ses responses estoient si vertueuses, 138 et pleynes d'honneur, que je ne y voulois uzer d'autre réplicque que de l'en remercyer, le plus humblement qu'il m'estoit possible, et de l'assurer que je mettrois peyne d'en contanter bien fort Voz Très Chrestiennes Majestez.

Là dessus, elle m'a très expressément prié de vous présenter, et à la Royne, vostre mère, ses très affectueuses et très cordialles recommandations; et que vous croyés que, sans excepter ceulx mesmes qui, de plus près, vous appartiennent, elle est une de celles, de ce monde, qui plus desire vostre bon portement, et longue vye, et la conservation de vostre grandeur, et la prospérité de voz affères. Et s'estant encores longtemps arrestée à discourir de Vostre Majesté, et des présentz évènementz de France, et des deux prisonniers, et de ce qu'on dict de Mr le mareschal Danville, et aultres particullaritez, auxquelles j'ay mis peyne de luy satisfère le mieulx que j'ay peu, je me suis licencié d'elle. Et sur ce, etc. Ce VIIIe jour de juing 1574.

A la Royne

Madame, au retour de l'audience, en laquelle j'avoys recueilly les propos que je mande en la lettre du Roy, j'ay trouvé que le Sr de Vassal estoit arryvé, avec les deux dépesches, du XXVIIe et XXXe du passé, en l'une desquelles, me faysant Vostre Majesté mencion de l'ennuy qu'elle sentoit de l'extrémité du Roy, son filz, j'ay soubdain demandé au Sr de Vassal comme il se portoit, et il m'a librement confessé qu'avant qu'il partît, Sa Majesté avoit rendu l'esprit à Dieu; de quoy j'ay esté très profondément attaint, jusques en l'âme, d'ung très mortel regret, pour la perte que j'ay faicte de mon Roy et bon Maistre, et de mon naturel Seigneur, 139 et pour la calamité publicque de son royaulme, qui ne pourra estre que n'en viegne plus grande, et bien fort, pour l'extrême amertume que je sçay bien que Vostre Majesté en sent dans son cueur. Dont, en ung si lamantable accidant, j'ay eu mon recours à Dieu, pour dévotement le supplier que, comme il a faict la mercy, à ce très chrestien prince, de très chrestiennement mourir, qu'il luy playse, Madame, vous administrer une très chrestienne consolation, et vous inspirer, d'en hault, les remèdes qui font besoing, pour subvenir aux grands affères publicques et privés qu'il a layssés en son royaulme.

Le courrier de l'ambassadeur d'Angleterre est bientost après arrivé, qui a porté la confirmation de ceste dollante nouvelle; laquelle, tout aussytost, a esté divulguée partout. Dont est besoing que j'attande, maintenant, vostre procheyne dépesche, et que j'aye faict mon habit de deuil, premier que de retourner vers ceste princesse; affin que, tout par ung moyen, je luy face la condoléance de cest accidant, et que je luy traicte du contenu ez dernières lettres de Voz Majestez, et de celle mesmement que Vostre Majesté luy escript de sa main, ne voulant vous ennuyer, icy, pour ceste heure, Madame, de plus long escript que pour vous assurer que je n'obmettray rien, de tout ce qui se pourra fère, pour retenir tousjours très soigneusement la dicte Dame en vostre amityé. Et sur ce, etc.

Ce VIIIe jour de juing 1574.

Tout présentement, ceste princesse vient de m'envoyer visiter par ung gentilhomme de sa chambre, et dire que si, sur ma grande affliction du trespas du Roy, Monseigneur, elle peut quelque chose, pour mon bien et consolation, qu'elle me l'offre de très bon cueur; et que, de sa part, elle s'en trouve plus attaincte que de nulle aultre dolleur 140 qu'elle ayt jamays sentye en sa vye, pour avoyr perdu le plus certain et le meilleur, et le plus grand, de toutz les amys qu'elle eût au monde, et qu'elle dellibère de vous envoyer promptement ung gentilhomme pour s'en condouloyr avec Vostre Majesté; et qu'aussytost que le Roy de Pouloigne sera arrivé, elle luy en envoyera encores ung aultre pour renouveller la ligue et l'amytié avecques luy.

L'on me vient d'advertir qu'aulcuns murmurent, icy, d'une descente en Brouage, et que, par lettres, qui arryvèrent, hier au soyr, de Collogne, l'on escript qu'il a esté accordé une levée de quatre mille reytres au prince de Condé.

CCCLXXXVIe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de juing 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)

Retard apporté à l'audience demandée par l'ambassadeur.—Discontinuation des armemens.—Montgommery fait prisonnier.—Proposition des seigneurs anglais de renouer la ligue avec l'Espagne.—Nouvelles d'Écosse.—Délibération des seigneurs du conseil au sujet des prises.—Succès remporté en mer par le capitaine Montdurant.—Nouvelles de la flotte d'Espagne.—Crainte conçue en Angleterre.—Décision soudaine de reprendre les armemens.

A la Royne, Régente

Madame, au pied de la lettre que je vous ay escripte, du VIIIe du présent, je vous ay faict mencion de l'honneste office que, le jour mesmes, ceste princesse avoit envoyé fère vers moy, sur le trespas du feu Roy, vostre filz, pour me signiffier le deuil et le déplaysir qu'elle en avoit; laquelle a continué, depuis, et continue de monstrer qu'elle le regrette infinyement; et mesmes, ayant envoyé demander à la dicte Dame quand il luy playroit que, sur une dépesche que j'avoys receue de Vostre Majesté, je l'allasse trouver, elle m'a mandé qu'elle me prioit de luy différer ung peu la dolleur, qu'elle sçayt bien qui luy renouvellera 141 de me voyr, et qu'elle sent son cueur si pressé de la première appréhension de cette dolente nouvelle, qu'il ne luy seroit pas possible de supporter, pour encores, celle segonde, qui luy viendra, de la condoléance de Vostre Majesté; et qu'elle partoit expressément de Grenvich, pour s'aller ung peu désennuyer, le mieulx qu'elle pourroit, en une sienne mayson, aulx champs, nommée Avrin, où je pourroys renvoyer, d'icy à troys jours, mon secrettère, et qu'elle me manderoit, lors, quand elle me pourroit donner lieu de la venir voyr. Par ainsy, je remetz, jusques à ce que j'aye parlé à elle, de respondre aulx troys dernières dépesches de Vostre Majesté.

Et vous diray cependant, Madame, que ceste princesse a assemblé, par plusieurs foys, ceulx de son conseil pour dellibérer de ce qu'elle auroit à fère, et comme elle auroit à se comporter en ses présentz affères, après ce grand accidant de la mort du Roy. Dont j'entendz que les advis n'ont esté pareils, et que mesmes ilz sont tombés en deux opinions, qui sont contraires l'une à l'aultre; desquelles, parce que je n'en sçay encores bien au vray les particullaritez, je me déporteray de vous en rien mander jusques à mes premières: Mais je sçay bien qu'après la tenue du dict conseil, l'on a envoyé à Gelingam supercéder l'apprest des navyres de guerre, et mandé à Portsemue de ne brasser plus de vivres, ny cuyre de biscuyts, ny tuer la cher, ny assembler les hommes; mais qu'on ayt à tenir ce qui est desjà préparé de victuailles, et pareillement le roole des hommes, et la somme ordonnée pour les frays de cest armement, en ung estat, tout prest, pour s'en servir en ung soubdein besoing, si, d'avanture, il survient. Ce que je présume bien, Madame, qu'a esté ordonné ainsy, en 142 partye, pour le changement des choses de France, et pour la prinse du comte de Montgommery; mais principallement pour avoyr ceulx, qui portent icy le faict du Roy d'Espaigne, remonstré à ceste princesse que la confédération, qu'elle avoit avecques la France, reste maintenant esteinte par le décès du feu Roy, vostre filz, et qu'ilz respondoient, sur leur vye et sur leur honneur, que, si elle ne vouloit poinct provocquer le dict Roy d'Espaigne, que luy aussy, de son costé, ne mouveroit, en façon du monde, rien contre elle, ains entreroit volontiers aulx termes d'amityé dont il la faisoit tousjours rechercher, et qu'elle trouveroit en luy toute seureté et vérité. A quoy la dicte Dame a monstré d'incliner. Et pensent aulcuns qu'elle n'uzera d'aulcune plus ennemye démonstration à l'armée d'Espaigne, quand elle passera, que de se tenir sur ses gardes, et qu'elle layssera aller à quelque bonne conclusion le renouvellement d'amityé qui se mène entre eulx. A quoy, Madame, il ne seroit honneste et ne peut estre juste qu'on s'y aille opposer; mais j'ay bien regret que aulcuns seigneurs de ce conseil n'ont esté, par Voz Majestez Très Chrestiennes, ainsy que souvant je l'ay requis, aussy obligés de s'affectionner à vostre party, comme le Roy d'Espaigne y a tousjours bien tenu ceulx du sien bien estipendiés.

Me Quillegreu est party pour Escoce, où j'entendz qu'il fera quelque résidence, y estant allé à ses journées. Aulcuns, qui sont icy, bien affectionnés à la Royne d'Escoce, m'ont adverty que, vers le North d'Escoce, l'on s'y est eslevé contre le comte de Morthon, en faveur de leur Royne; et qu'avec quelque secours, qu'on leur pourroit envoyer de France, d'hommes ou d'argent, ilz tiendroient 143 en si grand suspens les Angloys, qu'ilz les garderoient bien de rien entreprendre de notre costé. Je ne sçay encores au vray si l'élévation des Escossoys est certayne, mais je m'en informeray, le plus soigneusement que je pourray, pour le vous mander.

La dépesche, qu'on faysoit, icy, pour Allemaigne, est différée pour quelques jours; néantmoins celluy, qui doibt aller, est commandé de ne s'esloigner, et de se tenir prest. Ceulx de ce conseil incistent que l'ordre que Vostre Majesté a prins par dellà, pour pourvoyr aulx plainctes des subjectz de ce royaulme, s'entende des plainctes du passé, aussy bien que de celles de l'avenir; et mesmement de celle de Me Warcop, gentilhomme, pensionnayre de ceste princesse, lequel estant aymé et favorizé en ceste court, et m'ayant la dicte Dame cy devant plus expressément recommandé sa cause que nulle aultre, dont elle m'ayt jamays parlé, il presse bien fort de luy estre faict rayson. Et m'a l'on adverty que, sur aulcunes aultres prinses qu'aulcuns navyres françoys ont faictes, tout de nouveau, sur des angloys, encor que ceste princesse n'ayt trouvé bon qu'on aye uzé d'aulcun arrest pour cella sur les biens des Françoys, qu'il a esté, néantmoins, donné une secrette permission de s'en revencher sur la mer; de quoy je me pleindray bien fort, si je puis advizer qu'il soit vray.

Je croy que Vostre Majesté a bien sceu comme le cappitaine Montdurant, à qui n'a esté permis d'aller aux isles de Gerzey et Grènesey, s'estant mis sur mer, avec ung navyre d'ung des fuytifs de Dieppe, a combatu le navyre du cappitayne St Martin, et a tué le dict cappitaine, et mené prisonnier le reste des hommes, qui estoient dedans, ensemble le dict navyre; dont entendant qu'il s'apprestoit, 144 de rechef, pour aller s'essayer de descendre à Carantan, j'ay mandé à Mr de Sigoignes qu'il en advertît Mr de Matignon, affin de l'empescher, mais l'on me vient de dire qu'il laysse maintenant ceste entreprinse pour s'en aller à la Rochelle. Et sur ce, etc.

Ce XIIIe jour de juing 1574.

Par postille à la lettre précédente.

A peyne ay je eu signé la présente, qu'il m'est venu ung advis, de bon lieu, de ceste court, comme, hier au soyr, y estant arryvé le secrettayre du docteur Dayl, d'ung costé, et des nouvelles d'Espaigne, d'autre; par lesquelles l'on assure que l'armée d'Espaigne partira indubitablement, à la fin de ce moys, avec deux centz cinquante navyres armez, l'assurance que ceste princesse s'estoit cuidé donner de ses affères s'est soubdain convertye en nouvelles souspeçons. Et, nonobstant que le bagage fût desjà party pour aller à Avrin, elle l'a contremandé, et a différé ce voyage pour trois sepmaynes, assemblant incontinent son conseil; à l'yssue duquel l'on a commandé aulx officiers de la maryne d'aller en dilligence accomplir tout ce que, par la première ordonnance, leur avoit esté commandé; et dépesché le comte Dherby pour aller fère la levée d'hommes et maryniers, vers son quartier; et prins les marynniers de ceste rivyère, affin que, dans douze jours d'icy, au plus loing, les susdictz navyres, premiers prestz, puissent sortir; et à milord Sidney de passer promptement en Irlande, avec bonne provision d'argent et avec quelque nombre d'hommes.

145

CCCLXXXVIIe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour de juing 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Nouveau retard apporté à l'audience.—Hésitation des Anglais.—Craintes que l'on doit avoir en France de leurs armemens,—Détail des nouvelles données par l'ambassadeur d'Angleterre de ce qui s'est passé à la cour depuis la mort du roi.—Sollicitations du prince d'Orange auprès d'Élisabeth.—Projet du roi d'Espagne de se faire remettre le prince d'Écosse.—Avis d'une entreprise sur Calais et sur Boulogne.

A la Royne, Régente

Madame, suyvant ce que la Royne d'Angleterre m'avoit faict prier, ainsy que je le vous ay mandé par mes précédentes, de ne luy renouveller si tost son extrême regret du trespas du feu Roy, vostre filz, j'ay layssé couler cinq jours entiers sans renvoyer vers elle; et, au sixiesme, luy ayant faict sçavoyr que j'avoys, depuis, receu une segonde et troysiesme dépesches de Vostre Majesté pour luy fère, avec le dict triste accidant, entendre d'aultres propos de satisfaction et d'amityé, qu'elle auroit bien agréables, et dont elle resteroit bien consolée et contante, elle a voulu prendre encores du temps pour dellibérer si elle me debvoit admettre vers elle, ou non; et m'a, de rechef, faict respondre, par le comte de Sussex, son grand chamberlan, qu'elle luy avoit commandé de luy en fère souvenir le matin ensuyvant, affin qu'elle me peût mander quand elle me pourroit bailler son audience. En quoy elle a monstré, ou de se vouloyr revencher du dellay que Vostre Majesté avoit prins d'ouyr son ambassadeur, ou bien qu'elle vouloit attandre des nouvelles de France, ainsy que, bientost après, elle en a receu par Me de Quillegreu; dont ayant 146 encores renvoyé vers elle, elle m'a, ceste troysième foys, mandé que, après demain, je seray le très bien venu. Où, Madame, je mettray peyne de ne luy obmettre rien de ce que, par vos six dernières, du XXVIIe et trentiesme du passé, et du premier, troysiesme, cinquiesme et huictiesme d'estuy cy, il vous a pleu me commander de luy dire. Et noteray soigneusement les propos qu'elle me tiendra, et la façon et substance d'iceulx, affin de vous pouvoir représanter, aultant qu'il me sera possible, de quelle intention et disposition je la trouveray vers Voz Majestez Très Chrestiennes, et vers le présent estat de voz affères.

Et vous diray cependant, Madame, qu'elle et ceulx de son conseil sont, chascun jour, depuis le matin jusques au soyr, à dellibérer qu'est ce qu'ilz ont à fère, et comme ilz ont à se comporter au passage de l'armée d'Espaigne, mesmes que le comte d'Esmond, par la challeur d'icelle, monstre de renforcer ses entreprises et combatz en Irlande avec plusieurs bons succès, et qu'on assure fort que Me Stuqueley a charge de huict navyres en la dicte armée; ce qui faict que la dicte Dame et les siens l'ont davantage suspecte, et la redoubtent beaucoup. A l'occasion de quoy ont mandé en divers portz de ce royaulme d'armer, en dilligence, grand nombre de navyres particulliers, oultre ceulx de la dicte Dame, et commandé de fère la monstre généralle partout, et encores des descriptions particullières de certain nombre de soldatz, ez endroictz plus propres à fère les embarquementz, et pour estre prestz à deffandre les descentes. En quoy, parce que, nonobstant le grand souspeçon qu'ilz monstrent avoyr de la dicte armée, les agentz du Roy d'Espaigne ne layssent de négocier ordinayrement avec eulx, et d'estre fort bien et favorablement 147 receus en ceste court, et qu'il ne se voit ès parolles et démonstrations, de l'ung costé ny de l'aultre, apparance quelconque que de toute amityé; aussy que je sçay bien que, sur la résolution de leur armement, ilz ont mis en avant plusieurs considérations des choses de France, et que les minystres françoys, qui sont icy, et aulcuns, de la part des eslevez, ne cessent de négocyer, toutz les jours, avec eulx; et que mesmes le cappitayne Montdurant et ceulx de sa troupe ont envoyé offrir leur service à la dicte Dame, je ne puis fère que je n'aye grande meffiance de leur susdict armement. Dont je me suis bien fort resjouy, Madame, d'avoyr veu, par vostre dépesche du IIIe du présent, qu'ayez envoyé, de bonne heure, pourvoyr au long de la coste de dellà; et supplieray encores très humblement Vostre Majesté qu'avec l'advis, que je pense bien que y manderez, du passage de l'armée d'Espaigne, il vous playse y fère refrayschir celluy de cest appareil d'Angleterre, affin qu'on ayt à s'y tenir fort soigneusement sur ses gardes.

L'ambassadeur d'Angleterre a escript, du VIe du présent, beaucoup de nouvelles, et entre aultres que le trouble et le souspeçon croyssoit tousjours, de plus en plus, en vostre court, et que Vostre Majesté s'en trouvoit en une fort grande perplexité, bien que, pour le dissimuler, vous mandiés souvant aulx ambassadeurs, et principallement à luy, et au cappitaine Leython, de bien honnestes et courtois messages, et monstriés de desirer l'amityé de la Royne, leur Mestresse, bien qu'à dire vray, ilz cognoissent que vous vous meffiez assez d'elle; que, sur quelques parolles que le feu Roy avoit dictes à son trépas, vous vous estiez attribué l'administration du royaulme, de vostre propre 148 authorité, et aviez faict sortir voix que le Roy de Pouloigne seroit bientost de retour, mais que ceulx, qui entendoient l'ordre du pays, et qui en estoient, n'a pas longtemps, revenus, assuroient qu'on ne le layroit partir jusques après l'élection d'ung nouveau Roy; que vous estiés plus rigoureuse, que jamays, à Monseigneur, vostre filz, et au Roy de Navarre, leur ayant faict redoubler les gardes, et faict boucher les fenestres de leurs chambres, qui regardoient hors du logis, et aviez faict prendre Bonacorsy, non pour faulte qu'il eût faicte, mais parce que Mon dict Seigneur l'aymoit, et se fyoit de luy, affin d'intimyder ses aultres serviteurs; que vous estiés après à dépescher Mr le jeune Lansac en Allemaigne pour aller obtenir le saufconduict du passage du Roy de Pouloigne; et que Mon dict Seigneur le Duc et le Roy de Navarre avoient envoyé, l'ung Mr d'Estrée, et l'aultre Mr de Mioncens, saluer, de leur part, le Roy de Pouloigne pour Roy; que le Sr de La Noue, après avoyr receuilly deux mille harquebouziers de Gascoigne, avoit si entièrement deffaict la troupe de Mr de Montpensier, qu'à peyne s'estoit le dict seigneur peu saulver; et qu'on avoit admené le comte de Montgommery devant St Lô et Carantan, pour fère rendre ces deux places, mais que ceulx de dedans n'en avoient tenu compte, et continuoient de se deffendre gaillardement.

Depuis cella, Madame, le jeune Quillegreu a apporté, ainsy que j'entendz, que Mr le mareschal de Retz, après beaucoup de difficultez qu'il avoit trouvé en Allemaigne, estoit enfin arryvé, et ne s'entendoit encores quel effaict avoit prins sa négociation avec les princes protestantz; que Mr de St Suplice et Mr de Villeroy estoient revenus de Languedoc, avec peu ou poinct d'espérance de paciffication, 149 ce qui vous mettoit en grand peyne; et que, de rechef, vous aviez renvoyé par dellà, ensemble une lettre, prétandue du comte Palatin au Sr de La Noue, par l'abbé Gadaigne, et la carte blanche, aulx ungs et aulx aultres, pour leur accorder tout ce qu'ilz demanderoient; et que, pour couvrir ung peu l'estroicte garde que teniés sur Monseigneur le Duc et le Roy de Navarre, vous les meniés en conseil, et quelquefoys promener jusques aulx Tuylleries.

Je verray, Madame, de quelz termes et de quelles démonstrations ceste princesse m'usera, affin de vous en advertyr incontinent, ensemble de ce que je pourray descouvrir d'aulcunes allées et venues, qui se sont faictes, et qui se continuent encores à présent, avec plus de dilligence que jamays, du prince d'Orange à la Rochelle, et de la Rochelle vers luy; et dont les messagers viennent rapporter et conférer tousjours le tout avec aulcuns de ce conseil, comme, encores de présent, ung gentilhomme de Liège, serviteur du dict prince, est, depuis deux jours, arryvé du dict lieu, de la Rochelle; qui passera vers luy, aussytost qu'il aura esté expédyé de ceste court. Et sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de juing 1574.

Tout présentement, je viens d'estre adverty, de bon lieu et seur, que le Roy d'Espaigne mène chaudement la practique d'avoyr le Prince d'Escosse entre ses mains, et qu'en son armée y a charge, expressément commise, de tenter si cella se pourra effectuer. J'en esclarciray davantage Vostre Majesté par mes premières; mais cependant je la supplye très humblement de regarder comme y debvoir pourvoyr.

Encore, depuis ce dessus, l'on me vient de dire qu'il y a une entreprinse sur Callays et sur Bolloigne; dont je mande aulx deux gouverneurs d'y prendre garde; et sera bon, Madame, que leur envoyez quelque renfort.

150

CCCLXXXVIIIe DÉPESCHE

—du XXIe jour de juing 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)

Audience.—Communication officielle de la mort du roi et de la régence de la reine-mère.—Offre faite au nom de Catherine de continuer la ligue.—Condoléance de la reine d'Angleterre.—Son desir de maintenir l'alliance.—Emportements d'Élisabeth au sujet des mesures prises en France après la mort du roi.—Sa déclaration qu'elle considère les pouvoirs de l'ambassadeur comme expirés.—Protestation de l'ambassadeur contre cette détermination.—Nouvel avis d'une entreprise formée contre l'une des villes de la côte de France.

A la Royne, Régente

Madame, je viens de fère la condoléance de la mort du feu Roy, vostre filz, à la Royne d'Angleterre, et de luy représanter toutes les particullarités que, par plusieurs de voz dépesches, depuis cest accidant, il vous a pleu me commander de luy dire; et l'ay infinyement remercyé des honnorables et vertueux propos, et des vrayes démonstrations, que desjà elle m'avoit envoyé signifier par ung de ses gentilshommes; du grand regret qu'elle en avoit; qui l'ay assuré que j'avoys creu et croyrois, et voulois bien croyre, sans aulcune difficulté, qu'il estoit grand, parce qu'une princesse, ornée de tant de vertu et d'humanité comme elle, ne pourroit pas fère qu'elle ne sentît beaucoup le trespas de ce prince, qui luy estoit frère d'estat, et de voysinance, et d'affection, et de toute perfection d'amityé, aultant que s'il luy eût esté propre germain, ainsy que les quatorze ans de son règne luy avoient donné bonne preuve que nulle occasion, ny persuasion, ny instigation, l'avoient jamays peu mouvoyr de la vraye amityé qu'il luy portoit; ains s'estoit tousjours confirmé à la recherche du parantage, et de plus 151 de confédération et d'intelligence que nul de toutz les aultres princes de son alliance, et qu'en effet, elle avoit perdu le plus certain et le meilleur, et le plus grand, de toutz ses amys; et que Vostre Majesté qui, mieulx que nul aultre, sçaviés ce qu'il en avoit dans le cueur, comme celle qui le luy aviez dressé, et le luy teniez tousjours bien incliné à cella, et qui vous trouviés maintenant outrée de ceste grande perte, jugiés bien que vostre condoléance en estoit bien adressée à elle, et estoit très convenable entre vous deux; dont m'aviés commandé de la luy fère trop plus expresse, et plus grande, que n'aviés pas donné charge de la fère semblable à nul autre prince ni princesse de la Chrestienté. Et, là dessus, luy ayant racompté aulcunes choses de la qualité de son mal, et comme le bon sens et la mémoyre, et la parolle, ne luy avoient manqué jusques à l'extrême souspir, et qu'après avoyr satisfaict aulx pitoyables offices de ce monde, d'avoyr demandé pardon à Vostre Majesté, d'avoyr, avec grand amour et charité, recommandé la Royne, sa femme, avoyr dict le dernier adieu à Monseigneur, son frère, à la Royne de Navarre, sa seur, au Roy de Navarre et aultres Princes; et avoyr fort dignement parlé de son estât, et du regret qu'il avoit qu'il n'eût esté plus soulagé de son temps, et qu'il ne le pouvoit laysser plus paysible, il avoit achevé ses derniers actes par des parolles si sainctes, invoquant tousjours Dieu, et par des gestes si paysibles et le visage si composé, avec ung si doulx trespassement, que ceulx, qui y avoient assisté, pleins de larmes, voyantz une si saincte et si chrestienne mort, n'avoient nullement doubté de son salut, ny de sa vye plus heureuse et perdurable;

Et qu'avant trespasser, il vous avoit très instamment 152 priée, et vous avoit adjurée, de vouloir prendre l'administration du royaulme, jusques au retour du Roy de Pouloigne, son frère, à qui, de droict, il appartenoit; ce que Vostre Majesté, surprinse d'une très véhémente appréhension de ceste perte présente et des grands désordres qui pourroient multiplier dans le royaulme, n'aviés eu rien tant en affection que de vous pouvoir retirer, en quelque lieu solitayre et escarté, pour y passer le reste de voz jours à repos; et que vous en fussiés excusée, sans la considération qu'aviés eue de ne debvoir, en une si importante occasion, défallir à l'amityé que portiés au Roy de Pouloigne, vostre filz, qui véritablement estoit grande, ny refuzer, en ce temps, vostre peyne ny voz bons offices à la couronne de France, à laquelle vous réputiés avoyr très grande obligation; et que, pourtant, vous aviés accepté la dicte administration avec l'assistance que Monseigneur le Duc, vostre filz, et le Roy de Navarre, avoient très cordiallement offert de vous y fère, y concourantz les Princes du sang, et les aultres princes et seigneurs du conseil de l'estat, et la noblesse du royaulme, et les officiers principaulx de la couronne, les gouverneurs des provinces, les parlementz, les bonnes villes, et générallement toutz les meilleurs subjectz du royaulme, avec lesquelz vous espériés conduyre toutes choses par si bon advis et modération qu'il n'y surviendroit poinct de nouvelle altération ny de changement; et de tant que vous sçaviés la bienvueillance qu'elle portoit à ceste couronne, et à ceulx qui en estoient, vous luy aviés bien volu fère toute ceste communicquation pour la prier de vous vouloir bien assister des bons et fermes offices de bonne seur, qu'elle vous pouvoit rendre en ce temps, et de vouloir constamment persévérer 153 ez termes de l'amityé et confédération qu'elle avoit jurée au feu Roy, et au bon propos dont luy et Vostre Majesté l'aviez tousjours pourchassée, sellon que vous sçaviez bien que le desir du Roy, à présent, vostre filz, seroit de renouveller avec elle le dernier traicté de ligue, et l'entretenir inviolablement; et que vous luy promettiés de le luy rendre très ferme et perpétuel amy, et pareillement Monseigneur le Duc très dévot serviteur, et de ne laysser deffallir, tant que vous vivriés, l'amityé de dellà, si elle la vouloit conserver du costé d'elle; et que Mon dict Seigneur le Duc m'avoit commandé de fère aussy à la dicte Dame sa condoléance de la perte qu'il avoit faicte, et luy signiffier l'administration de Vostre Majesté, et l'assistance, et service, qu'il vous y vouloit rendre; ensemble le Roy de Navarre, qui, toutz deux, m'en avoient escript, et m'avoient mandé d'y conformer ma négociation en tout ce que j'auroys à traicter, icy, avec la dicte Dame.

Elle, d'ung visage fort composé à la dolleur, après m'avoyr paysiblement et fort attentivement escousté, m'a respondu qu'elle estoit bien fort marrye que je fusse arryvé au bout de ma légation par ung accidant si lamantable, comme estoit la mort du prince qui m'avoit envoyé; et qu'elle en avoit receu ung ennuy qui surpassoit de beaucoup toutz les aultres plus grands qu'elle eût senty depuis qu'elle estoit royne, pour avoyr perdu ung frère, ung amy, et ung voysin qui luy estoit plus estroictement confédéré que nul aultre prince de la Chrestienté, et de la bienveillance duquel elle avoit la preuve, des quatorze ans que je disois de son règne. Dont je pouvois ardimment bien croyre que le regret, qu'elle m'en avoit envoyé tesmoigner par son gentilhomme, et les larmes qu'elle n'avoit peu 154 contenir, à mon arryvée, me voyant en cest habit de deuil, et oyant mon piteux récit, et celles qu'elle avoit encores aulx yeulx en me faysant ceste responce, n'estoient nullement feinctes; ains procédoient d'une aultant profonde dolleur de son cueur que nulz de ses plus prochains en eussent point jetté; et que, oultre les privées conférances, et les honnestes gratiffications, et familiers complimentz, dont ilz avoient uzé l'ung vers l'aultre, aultant qu'il s'estoit peu fère entre princes absentz, pour contracter une bien fort ferme amityé, elle s'estimoit encor avoyr prins de si bonnes erres de luy qu'elle se tenoit très assurée qu'il eût perpétuellement persévéré vers elle; chose qu'elle ne sçavoit si elle s'en pouvoit promettre de semblable de quiconque luy viendroit à succéder.

Par ainsy n'estoit de merveille si elle le pleignoit amèrement, et que, voyrement, en estoit fort bien et proprement addressée à elle la condoléance que Vostre Majesté luy en faysoit, qui vouloit aussy mutuellement se condouloir avecques vous de ceste mesmes perte, laquelle elle jugoit bien que ne la pouviés sentir petite, parce que celluy que vous aviés perdu estoit très grand, et le premier de voz troys enfans, et celluy qui, jusques à sa mort, vous avoit rendu toute entière obéyssance;

Et, au regard de vostre administration, qu'elle ne sçavoit ce que les loix du royaulme en ordonnoient, et n'en vouloit estre davantage curieuse, s'assurant que Vostre Majesté estoit si vertueuse et prudente que n'en vouldriés rien oultrepasser; et que, pour le bien qu'elle vouloit à la France, elle ne pouvoit estre sinon bien ayse que le manyement en fût venu en vostre main, parce que nul le pouvoit conduyre avec plus d'amour et de foy, ny avec plus de 155 droicture et d'intégrité, que vous, qui estes la mère des deux, qui, l'ung après l'autre, estoient appellés à y succéder, et qui en entendiés mieulx les affères, pour les avoyr longuement manyés, que nul autre qui s'en sceût mesler;

Et, quand à la continuation d'amityé, qu'il vous playsoit luy offrir, qu'elle l'acceptoit de très bon cueur, et vous en remercyoit, aultant qu'il luy estoit possible, et que son ferme propos estoit de ne s'en départir nullement, si ne luy en donniés occasion; qu'elle espéroit, dans troys ou quatre jours, vous dépescher ung gentilhomme pour aller accomplir le debvoir de sa condoléance vers Vostre Majesté, et qu'après que le Roy de Pouloigne seroit arryvé, elle y en envoyeroit ung autre, pour procéder ainsy vers luy, comme elle verroit qu'il procèderoit vers elle, bien qu'à dire vray, elle ne voyoit poinct qu'il peût estre de retour encores de longtemps.

Et, quand à la condoléance de Monseigneur le Duc, elle la voyoit vraye et certeyne, comme de celluy qui avoit faict une grande et fort sensible perte; et que, touchant ung raport qu'on avoit faict, que le Roy, son frère, ne luy avoit monstré si bon semblant, à son trespas, comme au Roy de Navarre, qu'elle estoit très bien advertye que cella estoit faulx, et qu'il ne l'avoit jamays réputé aultre que son très loyal et très obéyssant frère, comme aussy elle l'estimeroit digne de perdre le nom de prince, et de déchoir de tout degré d'honneur et de réputation, s'il avoit non seulement tenté mais pensé jamays chose contre luy, ny contre Vostre Majesté, ny contre le repos de voz affères; et qu'elle louoit grandement l'assistance que luy et le Roy de Navarre vous avoient offert en vostre administration; adjouxtant, avec un soubzrire, que vous aviés bien donné 156 ordre qu'ilz s'en reposassent du tout sur vous; et qu'à ce propos elle me vouloit bien dire qu'on luy avoit rapporté des choses bien estranges, desquelles elle eût esté esbahye, et peu contante, si elle ne se fût tousjours assurée qu'à nul pris Vostre Majesté voudroit jamays changer le gracieux nom de bonne mère en celluy de cruelle marastre.

Et là dessus, Madame, je confesse qu'elle s'est eslargye en des propos ung peu bien véhémentz, lesquelz m'ont rendu hardy de luy ozer aussy uzer de véhémentes remonstrances; lesquelles m'ont semblé, avant que je me soye départy d'avec elle, qu'elles l'ont ramenée à quelque modération. Et je mettray peyne qu'elles produisent encores d'aultres meilleures effectz, s'il m'est possible; bien qu'à dire vray, je trouve la dicte Dame plus picquée et altérée que je ne pensois. Dont de ce qui s'est passé, pour ce regard, entre elle et moy, et de l'intention que j'ay peu nother qu'elle a vers le Roy, à présent, vostre filz, je vous envoyeray bientost ung des miens pour vous en donner compte, ensemble de ce qu'elle m'a respondu à la lettre que luy avés escripte de vostre main, le XXVIIe du passé, et à vostre plaincte des gens de ses ambassadeurs, et sur ce qu'elle vouloit monstrer de tenir ma légation pour expirée: de quoy toutesfoys elle m'a pryé, à la fin, de n'en vouloir rien escripre; et ce qu'elle m'a dict de son armement, lequel véritablement est grand et formidable: qui sont toutz poinctz desquelz elle s'est assez ouverte de parolle et de démonstration.

L'on me confirme, de divers endroictz, ce que je vous ay mandé de certayne praticque sur Callays, et que, quoy que ce soit, il y a entreprinse projectée sur quelque endroict de la coste de dellà; dont je supplye très humblement 157 Vostre Majesté de fère renforcer la garnison du dict Callays, celle de Bouloigne, de Dieppe, du Hâvre et de Cherbourg, et refraychir l'advertissement ez aultres places, sur la mer, qu'on ayt à s'y tenir bien sur ses gardes; car je trouve ceulx cy changés et beaucoup eslevez pour cest armement qu'ilz vont avoyr tout prest. Et sur ce, etc.

Ce XXIe jour de juing 1574.

CCCLXXXIXe DÉPESCHE

—du XXVIIe jour de juing 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Sabran.)

Détails de la précédente audience.—Plaintes de l'ambassadeur contre les menées des Anglais attachés aux ambassadeurs en France.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle est prête à punir ceux qui seraient coupables.—Assurance donnée par la reine qu'elle n'a conservé aucune animosité contre le duc d'Anjou.

A la Royne, Régente

Madame, après la condoléance faicte à ceste princesse, le XXe de ce moys, ainsi que, par mes lettres du jour ensuyvant, je le vous ay mandé, je luy présentay la lettre que, du vivant encores du feu Roy, vostre filz, vous luy aviés, au nom de toutz deux, escripte, de vostre main, laquelle elle leut bien curieusement, et se satisfit assés d'aulcuns honnestes trêtz d'amityé qu'elle y trouva. Et me dict que ce de quoy elle avoit desiré, lors, pouvoir privéement traicter avec Voz Majestez, estoit pour vous fère ouvrir les yeulx sur aulcunes choses qui vous travailloient; desquelles elle eût espéré vous mettre facillement hors de payne, mais qu'estant, à présent, l'occasion passée, cella ne pourroit plus servir de rien: seulement elle vous prioit 158 de croyre que, quand quelque advertissement luy viendroit, concernant les personnes de Voz Très Chrestiennes Majestez et vostre estat, qu'elle ne seroit paresseuse de le vous fère sçavoyr, ainsy qu'elle s'assuroit que ne diffèreriés la semblable bonté vers elle, quand l'occasion s'y offriroit.

Je luy parlay de ces menées, que les gens de ses ambassadeurs s'efforcent de fère par dellà, qui tournoient bien fort à vostre offance et mespris, et au préjudice du repos de l'estat; et lesquelles vous la priés de les fère cesser, et de vouloir qu'entre Vos deux Majestez se continuât et se nourrît tant de vraye et inthyme amityé qu'il ne se peût praticquer rien, au nom d'elle, en France, ny pareillement, au nom de Voz Majestez Très Chrestiennes, par deçà, sans une mutuelle et privée communicquation d'entre vous deux.

A quoy, elle, après une longue digression, meslée d'ung peu d'aigreur et de collère, m'ayant demandé si vous ne me mandiés pas à quoy tendoit la fin des dictes menées, et luy ayant respondu que non; mais que, de tant qu'on y alloit à vostre desceu, je jugeois bien que ce n'estoit pour l'advancement ny grandeur de Messieurs voz enfans, ny pour le bien de leur couronne, car l'on ne le vous celleroit pas; et luy ayant réplicqué aussi aulx aultres poinctz de sa digression, sellon que j'estimoys le debvoir fère; elle m'a respondu qu'elle vous prioit d'approfondir bien la vérité des dictes menées, et, si trouviés qu'elles fussent à vostre préjudice, ou de l'estat, qu'elle offroit d'en fère telle punition que vous voudriés; et qu'elle ne voyoit pas que ès grandes offres, dont je luy avoys touché en passant, il y peût avoyr rien de vérité, ny nul aultre bien, 159 sinon que, si Monseigneur le Duc sçavoit et croyoit qu'elle eût voulu fère tout cella pour luy, qu'il l'en aymeroit mieulx quand ilz seroient maryez ensemble. Et, après avoyr riz là dessus, elle se mist à parler du retour du Roy, vostre filz, comme si elle estimoit qu'il seroit retardé.

Et de propos en propos, elles mesmes m'a ouvert l'argument de luy dire que je craignois assez que quelque peu de nuée, que j'avoys comprins luy rester encores contre le nouveau Roy, ne la rendît trop facille à se laysser persuader des choses de luy qui n'estoient point; et que je la supplioys que, de ce qu'ilz auroient à desmeller ensemble, elle n'en voulût prendre l'advis de ceulx qui estoient extrêmes, et sans modération aulcune, sur le faict de la religion, ny de ceulx qui prétandoient d'establir le fondement de son repos sur le travail de la France; car ilz ne la conseilleroient jamays droictement, et la conduyroient à des dellibérations, auxquelles je m'assurois qu'elle auroit regret; mais qu'elle prînt le conseil ordonné de Dieu, et celluy qui procèderoit de l'honneur et vertu qui estoient en elle, sur les moyens d'amityé qu'elle debvoit tenir vers ceulx qui cherchoient la sienne, et qui véritablement l'aymoient, ainsy qu'elle en avoit la preuve, pour le regard de Vostre Majesté, de plus de quinze ans, et du Roy, vostre filz, depuis son aage de discrétion; et que, si elle avoit doubté, d'aultrefoys, de quelque sienne affection, lorsqu'il n'estoit que Duc d'Anjou, qu'elle estimât qu'à présent toutes ses affections seroient d'ung grand Roy de France, son voysin, qui, en restablissant les ruynes de son royaulme par une perdurable paciffication de ses subjects, chercheroit de confirmer avec elle la mesmes confédération que le feu Roy, son frère, luy avoit jurée; et que Vous, Madame, 160 luy prométiés de le luy réserver très constant et parfaict amy, ainsy qu'elle l'avoit eu quelquefoys serviteur.

Elle m'a respondu qu'elle espéroit qu'il n'uzeroit sinon honnorablement vers elle, ainsy qu'elle ne luy avoit jamays donné occasion de fère aultrement, et que, suyvant cella, elle procèderoit aussy avec droicture et honneur vers luy; et qu'elle me prioit de croyre que la nuée, que je craignois, estoit passée, car plusieurs choses estoient depuis intervenues qui avoient faict oublier tout cella; et que, le jour précédent, ung des siens luy avoit dict que, possible, avoit elle faict difficulté de l'espouser, parce que lors il n'estoit pas Roy, et qu'à présent, qu'il estoit double Roy, elle s'en debvoit contanter: à quoy elle avoit respondu qu'il avoit esté tousjours Royal, et qu'une chose, plus haute que les couronnes, y avoit mis l'empeschement, c'estoit la religion, laquelle faysoit qu'on layssoit le monde pour suyvre Dieu; et que l'ung ny l'autre n'y debvoient avoyr regret. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIe jour de juing 1574.

MÉMOIRE PARTICULIER,
baillé au Sr de Sabran, pour dire, de vive voix, à la Royne.

Le Sr de Sabran retiendra en mémoire les principaulx poincts de la dépesche pour en pouvoir satisfaire la Royne.

Luy dira que les affections sont fort changées par deçà, qu'ils creignent à merveilles que le nouveau Roy soit mal incliné vers eulx, et qu'il se laysse du tout posséder à ceulx de son party, qu'ils réputent leurs ennemis; et qu'il opprimera ceulx qui conseilleroient l'intelligence et confédération d'entre ces deux royaulmes; et qu'il entrera facilement en quelque obligation avec le Pape et le Roy Catholique contre ce royaulme.

Outre cella, ils le tiennent pour un irréconciliable ennemy de ceux de leur religion, dont les plus passionnés mettent peine de 161 bander ceste princesse contre luy, et de la rendre, de jour en jour, plus piquée du mespris et reffus qu'ils luy représentent qu'il a faict d'elle, et de lui imprimer beaucoup de deffiance de la Royne Mère; de sorte qu'à très grande difficulté a l'on pu rompre, jusques icy, les délibérations, à quoy l'on l'a volue pousser, de se déclarer ouvertement pour les eslevés;

Qu'il est bien certain que toutes les délibérations de ce conseil ont toujours esté de ne rompre jamais avecques le feu Roy, et elle ne le voulloit nullement faire, et a tenu la main que l'entreprinse de Montgommery n'a poinct eu de suitte; et monstre, par tous ses propos et démonstrations, qu'elle n'a esté, du vivant du feu Roy, jamais participante d'aucune pratique par delà, qui fût contre luy, ny contre la Royne, ny contre leurs affaires. A ceste heure, la mutation de règne a admené beaucoup d'escrupules et mutation de volonté.

Et, quant aux pratiques avec Monseigneur le Duc, il n'est possible d'ouyr rien, plus esloigné de toute apparance de mal, que ce que ceste princesse monstre juger de ses délibérations; et parle en termes si exprès de la sincérité sienne, et d'avoir en exécration non seulement les actes, mais les pensées, s'il en avoit jamais eu pas une contre son frère, ny contre sa mère, ny tendant à troubler leurs affères, que non seulement elle le rend infiniment bien justiffié, mais monstre sentir bien fort qu'on l'ayt eu, ny qu'on l'ayt suspect; et ne dissimule sa collère et menasses là dessus, ains semble qu'elle y va un peu plus expressément que n'est accoustumé en affaires d'autruy;

Qu'à ceste heure, les plus protestants monstrent de chercher la réconciliation de ceste princesse avec le Roy d'Espagne, et se rengent avec ceux, qui sont, icy, de ce party là; ce qui donne le plus d'obstacle aujourdhuy à ces choses de France, en ce Royaulme. Dont, sans quelque nouveau moyen, sera impossible de les y pouvoir plus maintenir à la réputation de ces six ans passés. Et pourtant faut incister à quelque honneste présent, dès ceste heure, pour le comte de Lestre et milord de Burgley, et pour quelque pension, à l'advenir; car c'est par là qu'on destournera les mauvaises intentions et délibérations de deçà;

Que les advis continuent de venir, de divers bons lieux et asseurés, que le Roy d'Espaigne mène chaudement la praticque d'avoir le Prince d'Escosse entre ses mains; et que son armée a expressément charge de tenter si cela se pourra effectuer. A quoy il est nécessaire de voir de quelle façon il y faut pourvoir.

162

CCCXCe DÉPESCHE

—du premier jour de juillet 1574.—

(Envoyée exprès à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Délibération des seigneurs du conseil.—Proposition de renouer l'alliance avec l'Espagne.—Interruption des armemens.—Plaintes des agens anglais, qui sont à Paris, des soupçons dirigés contre eux.—Mécontentement de Leicester à raison de la méfiance qui lui est témoignée.—Nécessité de dissimuler les sujets de plaintes que l'on peut avoir en France contre l'Angleterre.—Efforts de l'ambassadeur pour empêcher les représailles des Anglais sur mer.—Affaires d'Écosse.

A la Royne, Régente

Madame, deux jours après que j'ay eu parlé à ceste princesse, elle a rassemblé ceulx de son conseil pour leur proposer ce que je luy avoys offert, de la part de Vostre Majesté, de la continuer en celle mesmes bonne amityé et confédération du Roy, à présent, vostre filz, que le feu Roy, son frère, luy avoit jurée; et, ayant ceulx du party d'Espaigne concouru à l'assemblée, ilz n'ont failly de représanter pareillement l'offre que le Roy Catholicque luy faysoit de renouveller aussy, avec elle, l'ancienne allience de Bourgoigne; et mesmes ont atiltré des lettres et adviz, qu'ilz disoient venir freschement d'Espaigne, pour monstrer qu'il ne y avoit, en tout l'appareil de dellà, rien de pourpensé ny de dellibéré contre l'Angleterre. Dont, après plusieurs allées et veneues devers leur Mestresse, et de leur Mestresse vers eulx, elle, enfin, par leur advis, a ordonné que son armement ne passeroit plus oultre, et que la dépance cesseroit; néantmoins que l'appareil demeureroit en l'estat qu'il est pour s'en servir en ung soubdain besoing, si, d'avanture, il survenoit, et qu'on ne mettroit, pour 163 ceste heure, dehors que deux de ses grands navyres pour garder l'embouchure de la Tamyse, de façon que, le jour d'après, il a esté envoyé, de par elle, descharger les habitans de ceste ville du nombre des marinyers et des quatre centz soldats qu'ilz estoient cothisés de bailler, et mandé le semblable ez aultres lieux et villes de ce royaulme; et de mettre en suspens tout ce qu'on leur pourroit avoyr commandé d'extraordinayre, oultre les monstres généralles, lesquelles, de nouveau, elle leur a enjoinct de les continuer, et les parachever, en la plus grande dilligence que fère se pourra.

Et a la dicte Dame concédé au Sr de Sueneguen et à Goaras de pouvoir aller attandre, à Porsemmue, le passage de l'armée pour pourvoir à ce qu'ilz jugeroient, ou qui leur seroit mandé d'y préparer pour la rafreschir, sans toutesfoys ottroyer aulcune descente, aulmoins qui puisse excéder le nombre de cinquante personnes à la foys. De laquelle nouvelle dellibération vous proviendra aulmoins ce soulagement, Madame, que toute la frontière, de ce costé, sera moins travaillée, et en plus de seureté, attandant le retour du Roy, vostre filz; et se fût peu traicter d'aultres choses avec ceste princesse aussy utilles en ce temps, si, de la mesme façon que m'aviés tousjours commandé de la temporiser doulcement, et de luy interrompre de loin, sans l'offancer, ce qu'elle pouvoit avoir de malle impression et de maulvaise praticque contre le présent estat de voz affères, il vous eût pleu la manyer de mesmes doulcement, et ne monstrer de l'avoyr si suspecte, et ses ambassadeurs, et ne les fère si soigneusement observer, comme le jeune Quillegreu s'en est plainct par deçà; ne layssant toutesfoys de luy rompre ses menées en celle 164 bonne façon et ouverte qu'envoyastes uzer à ses dictz ambassadeurs par Mr Pinart, qui fut fort honnorable. Et peut bien estre, Madame, que le dict Quillegreu s'est plainct icy à tort.

Néantmoins, après son retour, le Sr de Walsingam m'a fait sçavoyr, par le Sr de Vassal, lequel j'avoys envoyé vers luy, que sa Mestresse, voyant que Vostre Majesté avoit prins ceste grande deffiance d'elle, et que touts les siens estoient ouvertement remarqués pour très suspects en vostre court, et n'y estoient nullement bien veus, qu'elle avoit changé d'opinyon de vous envoyer le gentilhomme, qu'elle avoit desjà faict apprester pour vous aller fère sa condoléance de la mort du feu Roy, vostre filz, et qu'elle n'attandoit sinon l'arryvée du cappitaine Leython pour, incontinent après, escripre à son ambassadeur qu'il s'acquitât, le mieulx qu'il pourroit, de cest office.

Et le comte de Lestre, auquel j'avoys aussy, par le mesme Sr de Vassal, envoyé communicquer l'honneste mencion, que Vostre Majesté faysoit de luy, en la lettre que le dict Quillegreu m'avoit apportée, après avoyr uzé d'ung très humble mercyement, monstrant d'avoyr le cueur très élevé et plein de despit, m'a mandé qu'oncques n'avoit esté faict ung plus grand tort, ny une plus grande injure à gentilhomme qu'à luy, de l'avoyr eu suspect: car juroit à Dieu, le Créateur, qu'il n'avoit jamays faict, ny pensé de fère, ny consenty à chose quelconque, qui, près ny loing, peût mériter cella, ny pareillement les siens; lesquels, et luy, à leur exemple, s'estoient toujours monstrés parciaulx, jusques à exposer leurs vyes pour la couronne de France; et qu'il sçavoit combien de grands ennemys, 165 dans ce royaulme, et quels plus grands, dehors, il s'estoit acquis, pour avoyr incliné et faict incliner les choses de deçà à la dévotion de Voz Majestez Très Chrestiennes; dont il en recevoit, à présent, ung très maulvais loyer: et qu'il vous supplioit aulmoins de croyre, si estimiés qu'il y eût d'honneur en luy, que pour chose du monde il n'eût envoyé Quillegreu en France, s'il eût pensé qu'il y eût deu fère quelque praticque, ny ung seul semblant d'y praticquer rien contre l'intention et le playsir de Vostre Majesté; et qu'il chercheroit l'opportunité de parler à moy, pour me déduyre davantage l'extrême marrisson, qu'il sentoit dans son cueur, de la mauvèse opinyon que vous aviés prinse de luy.

Sur quoy, Madame, si avez desir de conserver au Roy, vostre filz, l'intelligence et confédération de ce royaulme, je vous supplye très humblement de couvrir et modérer, aultant qu'il vous sera possible, bien que non de déposer du tout, la grande meffiance qu'avez monstré d'avoyr de ceste princesse, de peur que, la mettant en désespoir de vostre amityé et de celle du Roy, elle n'entre ouvertement en ligue avec les Protestantz et eslevez, et qu'elle ne se réunisse avec le Roy Catholicque, comme elle en est infinyement recherchée; et pour le regard du comte de Lestre, qu'il vous playse le gratiffier, ainsy que je le vous ay naguyères escript, affin de conserver, icy, par son moyen, et pareillement en Escoce, les choses qui appartiennent au service de Voz Majestez, et espargner, possible, par ung petit présent, l'occasion d'une très grande despence, qui vous pourroit survenir, si ce royaulme se changeoit contre vous; à quoy il peut, plus que nul aultre, obvier: et que, par quelques bonnes lettres, de vostre main, à la dicte 166 Dame, et au dict comte, et pareillement au grand trézorier, il vous playse radoulcyr leurs espritz.

J'ay commancé et continueray de débatre fort vifvement la permission, qu'ilz veulent octroyer, icy, à leurs subjectz, de se revancher, sur mer, des violences et déprédations que les Françoys leur ont faictes; mais le grand manquement, non de provisions de justice, mais d'exécution d'icelles, qu'ilz disent que leurs dictz subjectz trouvent en France, me mect souvant à ne sçavoyr que leur réplicquer; et je voy bien qu'ilz vuellent, par là, entrer en occasion de noyse avecques nous.

J'entendz que quinze ourques, chargées de vivres et de monitions, se sont desrobbées de l'armée d'Espaigne pour se retirer par deçà, lesquelles l'on n'a trouvé bon que restassent icy, et sont passées en Ollande.

Me Quillegreu a escript, d'Escoce, que les choses s'y maintiennent assez paysibles soubz le prétandu régent, lequel a affermy beaucoup son authorité par le moyen d'aulcuns principaulx de la noblesse, qui se sont racoinctés à luy, et mesmement du comte d'Hontelay, à qui il mande qu'il est en termes de luy remettre les sceaulx et l'estat de chancellier du royaulme. J'ay, par deux foys, adverty Vostre Majesté, et ceste cy sera la troysième, comme il se praticque de mettre le jeune Prince d'Escoce entre les mains du Roy d'Espaigne; et maintenant l'on vient de me confirmer, de rechef, qu'il n'y a rien qui se mène plus chaudement que cella. Et sur ce, etc.

Ce Ier jour de juillet 1574.

167

CCCXCIe DÉPESCHE

—du IIIe jour de juillet 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Retour du capitaine Leython.—Prise de Saint-Lô par les catholiques.—Exécution de Montgommery.—Résolution arrêtée en Angleterre d'engager le prince de Condé à entrer en France avec une armée, et de lui fournir secrètement des secours.—Dispositions des réfugiés à passer en armes en France.—Reproche fait à Marie Stuart d'être en intelligence avec le roi d'Espagne.—Résolution des Anglais d'user de représailles sur mer; déclaration de sir Arthur Chambernon que, sur le refus de la reine régente de faire droit à ses réclamations, il a chargé son fils de se payer lui-même sur les navires français qu'il pourrait prendre.—Mandement donné à l'ambassadeur pour recevoir une communication des seigneurs du conseil.—Plaintes des Anglais au sujet des prises faites par les Français.—Demande d'audience.—Refus de la reine de recevoir l'ambassadeur en cette qualité.—Résolution de l'ambassadeur de ne plus paraître à la cour.—Vive instance pour qu'il lui soit envoyé un successeur.

A la Royne, Régente

Madame, le dernier jour du passé, le cappitaine Leython est arryvé devers la Royne d'Angleterre, à Grenvich, duquel lieu, dans bien peu d'heures après, elle est partie pour aller à Richemont, où elle séjournera six jours, et de là s'acheminera en son progrès vers Bristo. J'espère la voyr demain, sur l'occasion de voz dernières dépesches, du XXe et XXIIIIe du passé, et mettray peyne de bien notter comme elle aura esté satisfaicte du rapport que le dict cappitaine Leython luy a faict. Ceulx qui sont, icy, les principaulx entre les Protestantz, ont fort senty, et sentent grandement la prinse de St Lô, et l'exécution du comte de Montgommery. Et les ministres françoys, mesmement Villiers, joinct à luy l'agent du comte palatin, et celluy du Duc de Saxe, et celluy du prince d'Orange, ont esté, depuis cella, fort fréquents en ceste court; mesmes, 168 mardy dernier, XXVIIIe du passé, ilz furent, cinq grosses heures, en estroicte conférance avec quatre de ce conseil; et, le lendemain, l'on m'assura qu'il y avoit esté déterminé que le Prince de Condé entreroit résolument en France avecques forces; et qu'il seroit assisté, d'icy, soubz main, sans que ceste princesse s'en meslât, et qu'on feroit en sorte qu'elle n'empêcheroit poinct qu'on ne trouvât du crédict en ceste ville pour la dicte entreprinse, pendant que la dicte Dame s'esloigneroit en son progrès; et depuis, a esté depesché ung Labrosse devers le dict Prince. J'entendz que, de ceste court, mais je ne sçay encores de quelle main, luy sera envoyée une espée et une dague, fort richement garnyes, pour l'encourager à la superintandance de ceste guerre pour la cause de la religyon, ainsy que son feu père l'avoit.

L'agent du prince d'Orange est souvant avec le vydame de Chartres, et luy faict ordinayrement tenir des lettres de son maistre, et semble que le dict sieur vydame s'employe en ce qu'il peut pour luy. Les cappitaines Barrache, Limons, La Roque, et quelques aultres françoys, jusques à six ou sept vingts, naguyères revenus de Ollande, sont, depuis quatre jours, allez vers l'Ouest en intention de s'embarquer où ilz pourront, pour passer à Carantan. Il est vray que, parmy eulx, se parloit de la difficulté et du danger qu'il y auroit à se jetter dedans, dont la pluspart inclinoient de s'en aller à la Rochelle, et je croy qu'ilz auront prins celle route. Néantmoins j'ay escript à Mr de Sigoignes qu'il advertît Mr de Matignon de leur dellibération.

Me Quillegreu a escript qu'il avoit descouvert, en Escosse, comme le Roy d'Espaigne avoit une fort secrette, et néantmoins fort grande intelligence avec la Royne 169 d'Escosse: ce que je pense qu'il a faict, tout à poste, pour anymer la Royne d'Angleterre à parachever son armement, affin de l'employer contre le dict Roy d'Espaigne, car il est merveilleusement affectionné au dict prince d'Orange. Néantmoins icelluy armement a cessé, et ne paroistra nullement en mer contre l'armée d'Espaigne, bien que le Sr Boyssot, gouverneur de Fleximgues, lequel est passé, depuis huict jours, avec sa femme par deçà, comme pour s'y venir esbattre, ayt négocié plusieurs choses fort secrettement avec les seigneurs de ce conseil; mais ne se sçait encores ce qu'il a impétré. Goaras a trouvé moyen, soubz le nom de quelque aultre, de le fère mettre en prison, pour certeynes pleinctes et déprédations prétandues contre luy, mais il a esté incontinent mandé de ceste court qu'on l'eût à relaxer, sans ung seul denier de frayx; de quoy le dict Goaras se sent fort offancé. Néantmoins le dict advertissement de Quillegreu a esté cause qu'on a envoyé quérir ung Amelthon, précepteur des jeunes enfantz du comte de Cherosbery, pour l'examiner sur ceste intelligence de la Royne d'Escoce avec le Roy Catholicque, ny s'il sçayt qu'elle ayt receu, ny qu'elle reçoyve, de nulle part, aulcuns chiffres.

Il semble que ceulx cy se résolvent d'envoyer trois ou quatre navyres pour réprimer aulcuns vaysseaulx françoys, qui pillent, sur mer, les subjectz de ce royaulme; et sir Artus Chambernon m'a escript que, vue la froyde responce que Vostre Majesté avoit faicte sur son affère à l'ambassadeur d'Angleterre, après celle tant bonne que le feu Roy, vostre filz, luy en avoit mandée auparavant, qu'il a remis la debte du comte de Montgommery à son filz, lequel adviseroit maintenant de s'en payer le mieulx qu'il pourroit 170 sur les Françoys. A quoi je m'opposeray, Madame, aujourdhuy vers les seigneurs de ce conseil, qui m'ont envoyé prier de me trouver, à troys heures après midy, en la maison de milord Quipper, où ilz seront toutz assemblés pour me fère entendre aulcunes choses que la Royne, leur Mestresse, leur a donné charge de me déclarer; de quoy je suis bien en peyne que ce peut estre; mais j'espère que Dieu me fera la grâce de leur respondre comme il conviendra pour le service du Roy et vostre. Et sur ce, etc.

Ce IIIIe jour de juillet 1574.

PAR POSTILLE.

Pendant que j'ay faict mettre au net la présente, j'ay esté devers les susdictz seigneurs du conseil, qui m'ont faict une assez rude déclaration touchant la pleincte de leurs subjectz; dont je vous manderay, Madame, par mes premières, comme le tout a passé entre nous. Et voulant desjà clorre le pacquet, le Sr du Vassal, qui estoit allé pour mon audience à la court, et à qui j'avoys donné charge de sçavoyr résoluement comme je y serois receu, m'a rapporté, de la part du comte de Lestre, que la Royne, sa Mestresse, me mandoit que je serois le bien venu quand il me playroit; et que je sçavoys bien ce qu'elle n'avoit dict dernièrement, qu'encor que ma légation fût expirée, qu'elle ne layrroit de traicter avecques moy comme avec ung gentilhomme françoys, ministre du Roy, mon Maistre, lequel, avoit bien agréable, mais qu'elle ne pouvoit, en façon du monde, me recevoyr plus comme ambassadeur, jusques à ce que j'eusse nouvelle commission du Roy, qui est à présent. Sur quoy je me suis arresté, et suis tout résolu, Madame, de ne fère tant de préjudice à la grandeur du Roy, vostre filz, et à la vostre, ny tant d'indignité à la charge qu'on m'a veu exercer, icy, les six ans passés, que d'y aller maintenant en aultre qualité, dont vous plerra adviser de quelque expédient. Et s'il vous playsoit fère venir mon successeur, pour estre quelques moys, icy, agent, pendant que les lettres du Roy, vostre filz, luy arryveroient pour estre ambassadeur, nous conduyrions, par ensemble, la négociation ung espace de temps; et puis je la luy layrroys, au partyr, si clère et nette, qu'il ne s'y sentiroit aulcune mutation, sinon possible en mieulx, en ce que, mieulx que moy, 171 il pourroit fère. Et vous pléra, Madame, pourvoyr promptement à ce faict, de peur que les affères de Voz Majestez ne reçoyvent quelque détriment, par faulte de personnage qui les puisse aller négocier avec la dicte Dame.

CCCXCIIe DÉPESCHE

—du VIIIe jour de juillet 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer).

Déclaration faite à l'ambassadeur, en conseil, que la reine a pris la résolution de permettre à ses sujets d'user de représailles sur mer contre les Français.—Protestation qu'elle ne veut pas pour cela abandonner l'alliance, ni faire acte d'hostilité.—Regret témoigné par l'ambassadeur de ce que des excès ont été commis sur mer, et par les Français et par les Anglais.—Son desir qu'il y soit remédié conformément au traité.—Ses plaintes contre les secours donnés, depuis le commencement des guerres civiles, aux révoltés de France.—Ses remontrances à raison des prises faites par les Anglais.—Protestation de sa part qu'il prendra toute autorisation de représailles comme une infraction au traité d'alliance.—Déclaration du conseil qu'il en sera référé à la reine.—Ordre donné de mettre tous les navires en mer.

A la Royne, Mère du Roy, Régente.

Madame, ayant, jeudy dernier, esté appellé en la mayson de milord Quipper par les principaulx de ce conseil, j'ay trouvé qu'il y en avoit neuf des principaulx desjà assemblez et assis, lesquels m'ont assez bien receu; et s'estantz remis, chascun en sa place, et m'ayantz, ainsy que de coustume, donné celle du premier lieu, ilz ont esté quelque temps en silence, comme s'ilz attandoient que j'ouvrisse le propos; mais voyantz que je ne sonnois mot, milord Quiper et milord trézorier m'ont dict que la Royne, leur Mestresse, avoit ordonné que aulcunes choses, qui estoient d'assez d'importance, me seroient déclarées en ceste assemblée; lesquelles ilz me prioient de les vouloir ouyr de Me Smith.

172 Et tout aussytost, s'estant le dict Me Smith levé, il m'a, avec ung peu d'apparat, dict que les grandes et fréquentes plainctes, qui, depuis ung an, estoient venues, et venoient encores tous les jours à la dicte Dame, des déprédations, volleries, meurtres et rançonnementz que les subjectz de ce royaulme souffroient, en mer, par les Françoys, et mesmes bien freschement de celles que deux navyres de guerre, qui s'avouoient au Roy, l'ung nommé le Prince et l'autre l'Ours, exécutoient sur eulx, et le peu de justice qu'ilz trouvoient en France ez officiers de sur les lieux; lesquelz, encor que le Roy et les seigneurs de son conseil ordonnassent souvant de bonnes provisions, ilz les mesprisoient, et ne tenoient compte de les exécuter, et layssoient intimider devant eulx, injurier, battre, mutiller et meurtrir ceulx qui en alloient fère la poursuyte, sans qu'on leur eût encores jamays veu fère punition d'ung seul pirate, ny une seule restitution, bien que la dicte Dame en eût faict addresser ses pleinctes fort souvant par moy mesmes, et ordinayrement par ses ambassadeurs, à Voz Très Chrestiennes Majestez, et se fût mise en tout debvoir de punir, de son costé, ceulx de ses subjectz qui avoient troublé la mer, et donné toute satisfaction aulx Françoys;

Et voyant, à ceste heure, le désordre continuer tousjours plus grand sur les siens, et les remèdes de justice leur deffallyr du tout, ainsy qu'il apparoissoit par le faict de Me Warcop, qui estoit fondé en très grande équité; et par celluy de Guyllaume Rutheau, qui avoit obtenu lettres patantes du grand sceau pour estre satisfaict en l'espargne, sellon que ses biens avoient esté prins pour les exprès affères du feu Roy, néantmoins le trésorier de l'espargne en refuzoit le payement; ensemble de plusieurs aultres 173 semblables accidantz de ses subjectz, qui ne cessoyent d'inquiéter la dicte Dame, et ceulx de son conseil, de leurs très lamentables doléances;

Elle, pour ne laysser dépérir le commerce, ny voyr cesser la navigation en son royaulme, qui estoient les deux choses qui principallement maintenoient son estat, avoit advisé que, sans plus m'en parler, ny aller plus à pleincte à Voz Majestez Très Chrestiennes, elle adviseroit des remèdes que, par l'advis de ceulx de son conseil, elle avoit jugé les plus propres et les plus expédientz, pour récompenser et desdomager ses dictz subjectz et leur assurer leurs dictz navigation et commerce, sans, pour ce, altérer la bonne paix qu'elle vouloit droictement garder au Roy, vostre filz, et à son royaulme; et que ce qu'elle en faysoit estoit principallement pour obvier que les choses ne passassent si avant que la dicte paix s'en peût rompre; par ainsy, s'il advenoit que je vîsse ou ouysse parler de quelque nouvel ordre sur la mer, que je n'en prinse poinct d'esbahyssement.

Et, sans passer plus oultre, m'ayant lors exibé ung grand cahier de pleinctes, qu'il disoit n'y avoir esté satisfaict, et ung role de restitutions faictes aulx Françoys à mon instance, il s'est tourné rassoyr.

Et les aultres s'estantz rendus fort attentifs à ce que je respondrois, je leur ay dict, que le propos, qu'ilz m'avoient maintenant faict tenir, venant de la Royne, leur Mestresse, et d'ung si prudent et vertueux conseil, comme le sien, se trouveroit, à mon advis, pour le regard de celle partie qui faysoit mencion de garder droictement l'amityé, très conforme au desir du Roy, vostre filz, et au vostre, de façon que je leur pouvois assurer que Voz Majestez, et toutz ceulx de vostre couronne, l'auroient très agréable; et encores ne 174 pensois je que l'autre partye, qui monstroit avoyr de l'altération, vous peût du tout desplayre, parce qu'elle tendoit à descouvrir franchement les occasions qui avoient commancé de troubler, et qui troubleroient davantage la clerté de ceste amityé, si elles n'estoient remédiées; que le remède n'en seroit désormais difficile, puisque les causes du mal estoient descouvertes, lesquelles ne me sembloient ny si griefves, ny de tel poids, qu'elles peussent esbranler la très solide et très ferme, et très sainctement jurée, bonne amityé qui avoit, depuis quinze ans, prins son fondement sur la mutuelle bonne inclination que Voz Majestez s'estoient réciproquement portée;

Que, touchant les désordres de la mer, et manquement de justice, en France, pour leurs subjectz, j'étois très marry qu'ilz eussent occasion de s'en douloyr, et je m'en voulois douloir avec eulx, n'estant du debvoir de la confédération qu'ilz receussent injure de nous, ny qu'elle ne fût réparée, quand nous la leur aurions faicte, car les trettés le portoient ainsy; mais la malice du temps avoit assez privé en France et l'estranger et le subject de l'ancien ordre de la justice; néantmoins je pouvois tant affirmer, de l'intention et desir de Voz Majestez Très Chrestiennes et de vostre conseil, que les provisions, qui avoient deu en cella procéder de très justes princes, et très sévères et équitables conseillers, n'y avoient jamays deffally; que eulx mesmes estoient ceulx, et je les supplyois de n'estre offancés d'ouyr ceste vérité, qui avoient donné commancement à ce mal: car, jusques en l'an 1568, encor que nos troubles eussent desjà duré cinq ou six ans, les Angloys n'avoient toutesfoys senty de nous, ny nous d'eux, aulcune injure sur la mer; mais, après qu'ilz avoient eu admis, icy, 175 Chastellier Portault comme visadmyral, nonobstant qu'il fût un fuitif condampné à mort par justice, et qu'ilz eurent donné lieu aulx commissions du Prince de Condé et du cardinal de Chastillon et du prince d'Orange, et dernièrement à celles du comte de Montgommery, et que, soubz icelles, ung grand nombre d'angloys, et pareillement beaucoup de fuitifz françoys, escossoys et walons, eurent entreprins, soubz la faveur de ce royaulme, sortantz de leurs portz et y ayantz leur retrette, de piller les Catholicques, et de débiter par deçà leurs prinses, la mer avoit esté incontinent remplye de très grands désordres; et, encor que, depuis, ilz s'estoient efforcez de les réprimer, et que la Royne, leur Mestresse, eût commandé de fère justice, elle n'avoit esté faicte entière, ny à toutz, ny contre toutz. Et bien souvant une partye du principal, avec les frays, ou toutz les deux ensemble y estoient demeurés, de façon que le dommage des Françoys restoit encores et en diminution de leurs biens, et en injure et violence contre leurs personnes, et en perte de navyres, si grande qu'il excédoit de dix mille pour cent celluy qu'ilz m'alléguoyoient de leurs subjectz;

Que je ne voulois nyer qu'il n'y eût à desirer quelque chose de nostre costé, mais beaucoup plus sans comparayson du leur; et, au pis aller, les injures, qu'ils avoient reçues de nous, ne pouvoient estre sinon semblables à celles qu'ils nous avoient faictes, ès quelles nous n'avions jamays tenté aultre remède que de recourir à la Royne, leur Mestresse, et à eulx, de nous fère justice sellon les traictés; et nous estions contantés de celle qu'elle nous avoit administrée, ou qu'elle avoit monstré de nous vouloir administrer, excusans le reste sur la malice du temps; 176 dont je la supplyois, et eulx aussy, qu'ilz voulussent maintenant uzer le semblable, et ne chercher nulz remèdes en cella hors des traictés; et que leurs ambassadeurs avoient naguyères tretté de cest affère avec Voz Majestez Très Chrestiennes, lesquelles avoient prins avec eulx l'ordre que je leur avoys desjà déclaré; lequel, s'il ne leur satisfaysoit assez, qu'ilz en missent quelque autre en avant, et je leur ozois bien promettre que, s'il n'estoit bien malhonneste et inique, que Vostre Majesté le leur accorderoit, et leur feroit voyr qu'elle desire soigneusement conserver le commerce et intelligence de ce royaulme;

Que la Royne, leur Mestresse, ny eulx ne pouvoient, ny debvoient procéder maintenant d'aultre façon; et, pour le debvoir de ma charge, je ne pouvois fère de moins, en cas de quelque nouveaulté en cest endroict, que de les requérir de la vous communicquer, et d'attandre sur icelle vostre consentement, premier que de la mettre à exécution, ou bien leur protester de l'infraction des traictés; que je les priois de considérer que le feu Roy estoit mort leur bon allié et confédéré, et que le Roy, à présent, son frère, selon le troysième article du traicté, avoit succédé en la mesme ligue et confédération, et avoit ung an de terme pour en déclarer sa volonté, et que Vostre Majesté leur promettoit qu'il ne l'auroit poinct dissamblable au deffunct, et, possible, beaucoup meilleure; et aulmoins ne pouvoient ilz, pour chose qu'il eût faicte, depuis son règne, aulcunement juger qu'il la deût avoyr aultre; et pourtant je les priois que la Royne, leur Mestresse, et eulx se voulussent, en l'absence sienne, et à l'advènement sien à ceste grande couronne de France, qui leur estoit voisine, et en l'administration de ses présentz affères ez mains de 177 Vostre Majesté, se déporter en vrays bons alliez et confédérez, et luy ayder et assister, comme à celluy qui debvoit estre, cy après, bien fort à eulx; et de qui, pour estre ung prince nay à toute vertu, creignant Dieu, fort esprouvé aulx armes et aulx affères, et dont la fortune ne se monstroit petite, ny les augures de sa grandeur que très bons, ilz pouvoient espérer et se promettre beaucoup plus que de nul aultre prince de la Chrestienté.

Laquelle responce, qui a esté, en quelque endroict, plus ample et plus expresse, milord trésorier l'a incontinent récapitulée en angloix, à ceulx qui n'entendoient le françoys.

Et après qu'ilz ont eu assez longtemps débattu ensemble, luy mesmes m'a respondu, que ce qu'ilz m'avoient auparavant déclaré de l'intention de leur Mestresse estoit sellon la résollution qu'elle en avoit prinse, à laquelle ne leur pouvoit estre loysible d'y rien oster ou mettre; mais qu'ilz luy rapporteroient fidellement mon dire, lequel leur avoit semblé à toutz honnorable et plein de beaucoup de satisfaction; et que, puis après, elle m'y feroit entendre sa volonté. Il s'est passé, là mesmes, d'autres choses lesquelles je réserve à la prochayne dépesche, parce que cette lestre est desjà trop longue. Et adjouxteray seulement que, samedy dernier, le comte d'Oxfort et milord Edwart de Sommerset se sont desrobez d'icy pour passer en Flandres, de quoy ceste court est assez troublée. Et sur ce, etc.

Ce VIIIe jour de juillet 1574.

L'on me vient d'advertyr, tout à ceste heure, que ceux cy ont, depuis hier au soyr, changé, encores un coup, de dellibération, et qu'indubitablement ilz mettront toutz leurs navyres dehors avant le XXIIIIe de ce moys. J'envoye de ce pas en vériffier l'advis, et incontinent 178 après, je le vous escripray. Le pacquet de Vostre Majesté, du dernier du passé, vient d'arryver. Il est besoing de pourvoyr promptement à la difficulté que, par le postscripte de ma précédente, je vous ay mandé.

CCCXCIIIe DÉPESCHE

—du XIIe jour de juillet 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Reprise des armemens.—Intrigues des partisans de l'alliance de Bourgogne.—Suspension des lettres de marque contre les Français.—Mémoire. Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh, Leicester et Walsingham, sur la déclaration des seigneurs du conseil.

A la Royne, Régente

Madame, ce n'est sans rougir de honte qu'il fault que, par ceste cy, je vous mande, touchant l'armement de ceste princesse, tout le contrayre de ce que, par celle du premier de ce moys, je vous avoys escript: qu'elle l'avoit desjà interrompu, et avoit faict licencier les gens de guerre, et les marinyers, et les ouvriers, et officiers de ses navyres, et faict cesser les provisions des victuaylles, et révoqué toutes aultres commissions en cella, chose que j'ay veue de mes yeulx. Et mesmes la dicte Dame estoit desjà entrée en marché avec le Sr Boyssot, gouverneur de Fleximgues, qui estoit lors icy, pour luy vendre les dictes victuailles. Mais estant, samedy dernier, survenu des nouvelles de France à la dicte Dame, lesquelles j'entendz que ne luy ont pleu; et, bientost après, d'autres, du costé de Biscaye, comme l'armée d'Espaigne se debvoit mettre en mer le cinquiesme de ce moys en nombre de troys centz voylles, toutes à double équippage de guerre; et encores d'aultres fascheuses nouvelles, le mesmes soyr, comme les 179 deux milords, dont je vous ay cy devant escript, s'estoient desrobez pour passer en Flandres, la peur et les souspeçons luy ont renouvellé plus grandz que jamays. Dont soubdain elle a faict contremander ce qui estoit licencyé, et envoyé argent de toutes partz pour haster les soldatz et les maryniers; et maintenant elle faict fère une extrême dilligence de pouvoir, avant le XXVe du présent, mettre ses grands navyres dehors, en nombre de XXV, aultant bien équippés qu'il y en ayt en ceste mer, avec les barques et aultres vayssaulx qui suyvront, oultre les particulliers qui seront bien aultant. Et l'admyral mesmes d'Angleterre se prépare, avec beaucoup de noblesse, pour y aller commander; chose néantmoins qu'à mon advis ne pourra estre si tost preste, et de laquelle j'espère, et desire de bon cueur, que je puisse encores une foys changer les advis que j'auray à vous en mander, non qu'on ne m'ayt donné beaucoup de bonnes parolles d'assurance que rien de cest appareil n'est contre la France. Néantmoins je ne puis fère, pour aulcunes considérations que j'ay, que je ne le souspeçonne beaucoup, et que je ne le rende suspect à Vostre Majesté, veu mesmement la déclaration assez rude que les seigneurs de ce conseil m'ont naguyères faicte, comme je le vous ay mandé du VIIIe; et veu que les ministres françoys de ceste ville, qui sont bien les plus passionnez du monde, sont ceulx qui le sollicitent. Joinct que les partisans de Bourgoigne, lesquelz sont trop plus ferventz, pour ceste heure, que les nostres, et qui sont très bien estipendiés, s'efforceroient de traverser cella, s'ilz sentoient qu'il y eût rien au dommage du Roy Catholicque.

Et à propos des dictz partisans de Bourgoigne, je vous puis assurer, Madame, qu'ilz ont faict tout ce qu'ilz ont 180 peu pour induyre ceste princesse de rompre avecque vous; et n'est sans apparance que, ez praticques qu'avez descouvertes par dellà, il y ayt de leur artiffice beaucoup, sans le sceu et oultre la volonté d'elle. Car desjà ilz avoient tant faict, icy, à la sollicitation d'ung hespagnol, naturalizé en ceste ville, lequel pourchassoit pour luy une lettre de marque contre les Portugoys, que ce conseil avoit résolu qu'on en octroyeroit aussy, avec toutes provisions de représailles, et d'arrest, aulx marchantz angloys contre les Françoys. Et sans ce que la dicte Dame, quand l'on luy en est allé parler, a dict qu'il falloit qu'on m'en notiffiât la déclaration, et qu'on entendît là dessus ma responce, premier qu'elle le consentît, l'on eût desjà passé oultre; bien qu'elle n'a faict grand difficulté de passer la lettre contre les Portugoys. Et c'est sur quoy iceulx de ce conseil m'ont tenu depuis le propos que je vous ay mandé; sur quoy je leur ay faict, sur le champ, la responce, et eulx leur réplicque que Vostre Majesté a veue par ma dépesche du VIIIe de ce moys. Et je joins dans un mémoyre à part ce qui s'en est ensuivy.

Et depuis, Madame, l'on m'a adverty que les dictes lettres de marque ont esté suspendues. Je ne sçay si, à présent, l'on les remettra. Et le Sr Artus Chambernon m'est venu dire que, puisqu'il vous playsoit fère rayson à son fils du dot de sa femme, qu'il garderoit qu'il ne l'allât pourchasser, sinon vers Vostre Majesté, par la voye que luy permettriés de le fère. Et sur ce, etc.

Ce XIIe jour de juillet 1574.

181

MÉMOIRE.

Madame, après estre levez du conseil, milord trézorier et le comte de Lestre, m'ayantz retiré à part, m'ont remonstré en combien de deffiance de vostre amityé et de celle du Roy, vostre filz, vous aviez mis ceste princesse par les estranges façons dont aviez procédé vers ses ambassadeurs et leurs gens: de les avoir ainsi faict observer comme si vous la teniés desjà pour vostre déclarée et mortelle ennemye, et mesmes de ce tret, qu'aviez faict uzer, par le grand commandeur de Champaigne, au cappitaine Leython, le jour qu'il estoit party de Paris, bien qu'il luy eût dict que ce n'estoit de vostre part; et qu'ilz promettoient à Dieu qu'ilz ne voyoient ny sçavoient qu'il y eût eu, cy devant, ny qu'il y eût, à présent, en l'intention de leur Mestresse, chose aulcune qui vous deût raysonnablement esmouvoyr contre elle; et que, si elle avoit voulu monstrer quelque recognoissance vers Monseigneur vostre filz, de l'obligation, en quoy elle se sentoit estre, de ce que le feu Roy, son frère, et Vous, le luy aviés présenté, et que luy mesmes s'estoit offert à elle, que vous la debviés avoyr segondée en cella, si aviés nul desir de leur mariage, car pouviés croyre qu'elle ne tendoit qu'à fère tout ce qu'elle jugeoit bon pour le bien et contentement de Voz Majestez Très Chrestiennes et pour l'honneur de vostre couronne, et pour conserver et accroystre la réputation de Mon dict Seigneur, vostre filz; et qu'il falloit dire ou que vous estiés fort circonvenue en l'opinyon qu'on vous faisoit prendre de leur Mestresse, ou que vous luy portiés une fort maulvayse volonté.

Je leur ay respondu qu'à dire vray, là où la meffiance pénétroit et pouvoit mettre racyne, qu'elle y suffocquoit facillement toutes les plantes d'amityé; mais que je les suplioys de considérer, par leurs prudences, si, en ung temps qu'il vous estoit advenu, Madame, de perdre le feu Roy, vostre filz ayné, et avoyr absent le Roy, son frère, vostre segond filz, en ung pays très loingtain; et que son royaulme, durant vostre administration, se trouvoit ombragé, en plusieurs endroictz, de diverses guerres intestines, où vous aviés six armées aulx champs pour luy, l'une en Normandye, une en Poictou, une en Gascoigne, une en Languedoc, une en Daulfiné et une aultre en Champaigne, et deux mareschaulz de France prisonnyers, et le Prince de Condé, qui se préparoit en Allemaigne, pour venir, avec nouvelles forces, troubler davantage voz affères; et que le comte de Montgonmery estoit par ce costé descendu en Normandye; et que les eslevez ne faysoient de rien tant d'estat que du secours d'Angleterre; 182 et que plusieurs ministres, et aultres françoys fuityfs, ne cessoient de dellibérer icy, toutz les jours, des moyens d'entretenir la guerre par dellà; et que les gens de leur ambassadeur s'estoient efforcez de mener, jusques en vostre court, de très dangereuses praticques; si toutes ces choses là ne vous debvoient bien avoyr causé de la souspeçon;

Et que je leur voulois librement dire que la Royne, leur Mestresse, et eulx vous debvoient sçavoyr grand gré de l'ordre que vous aviés tenu, là dessus, pour conserver l'amityé; car aviés envoyé Mr Pinart, secrettère des commandementz, devers leurs ambassadeurs pour les prier doulcement d'ouvrir les yeulx sur ces maulvais déportementz de leurs gens, et y vouloir pourvoyr; et m'aviez commandé de déclarer, icy, à leur dicte Mestresse, les poinctz et termes de la dicte pratique; et luy nommer les propres personnes qui la menoient, la priant qu'elle jugeât combien il vous debvoit estre grief, qu'au nom d'elle l'on entreprînt telles choses près de Vostre Majesté, en vostre mayson, et jusques dans vostre cabinet, sans vous en fère part;

Et que vous promectiés à Dieu que vous aviés fermement creu que c'estoit sans qu'elle le sceût, et contre sa volonté, qu'ilz le faysoient; et que cella procédoit de l'artiffice des eslevez, ou bien des ministres réfugiés par deçà: dont l'aviés priée qu'elle fît cesser ces choses, et qu'elle voulût entretenir et nourrir tant de vraye amityé avecques vous, que rien ne se peût traicter de par elle en France, comme vous luy promettiés bien que rien ne se traicteroit de par Voz Majestez Très Chrestiennes par deçà, sans une privée communicquation d'entre vous deux.

En quoy ilz pouvoient voyr combien grande occasion l'on vous avoit donné de souspeçon, et combien vous aviés mis peyne de garder qu'elle ne vînt à altération; et qu'ilz debvoient ainsy juger de Vostre Majesté, comme d'une princesse qui leur aviez conservé, quinze ans durant, l'amityé du feu Roy, vostre filz, et qui luy conserveriés perpétuellement celle du Roy, son frère, et conduyriés à bon effect le propos de Monseigneur le Duc, si eulx mesmes ne vous donnoient occasion d'en uzer aultrement.

Et les ayant layssez en cella, Mr Walsingam m'est venu ramener jusques hors du logis, qui m'a dict que, de tousjours, il avoit plus esté françois qu'espaignol, et pourtant qu'il s'advanceroit de me prier franchement que je me voulusse souvenir combien j'avoys tousjours trouvé sa Mestresse bien inclinée à la France; et combien elle 183 méritoit que Voz Majestez Très Chrestiennes tînsiés en grand compte son amityé, et la traictissiés, en toutes choses, honnorablement et avec dignité, et respect; et que c'estoit une princesse très débonnayre, très vertueuse et paysible, à laquelle falloit donner de la satisfaction; et que pourtant, sur la déclaration qu'elle m'avoit faicte fère par ceulx de son conseil, il estoit nécessaire que Vostre Majesté la contantât honnestement, en faysant avoyr satisfaction, par justice, à ceulx de ses subjectz qui plus luy faysoient de presse.

A quoy je luy ay respondu que, jusques icy, il s'estoit veu beaucoup de correspondance entre Voz Majestez et entre ces deux royaulmes, et que, de vostre costé, il ne s'y trouveroit ny resfroydissement ny diminution; dont luy pouvois promettre que la satisfaction seroit faicte par justice à leurs subjectz, s'il leur playsoit l'administrer de mesmes bonne aulx Françoys par deçà.

CCCXCIVe DÉPESCHE

—du XVIe jour de juillet 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Jacques.)

Nouvelle suspension des armemens.—Assurances données par Leicester de son affection pour la France.—Avis qu'une audience est accordée à l'ambassadeur.—Affaires d'Écosse.—Mémoire. Communication entre l'ambassadeur et Leicester.

A la Royne, Régente

Madame, en ce que, par ma dépesche, du XIIe de ce moys, j'avoys présagé que j'auroys encores une foys à vous mander quelque changement de la dellibération de ceulx cy touchant leur armement, je ne m'en trouve nullement déceu, car, sellon que je l'ay dict, et comme je le desirois, mais, certes, plus tost que je ne l'espérois, il est advenu qu'ilz ont, de rechef, depuis peu d'heures en çà, entièrement cassé tout l'appareil de leurs grands navyres. Et ne sçay d'où est procédé ceste tant soubdeyne mutation, car don 184 Bernardin de Mendossa, qui vient de la part du grand commandeur de Castille, n'a point esté encores ouy, et le secrettère de l'ambassadeur d'Angleterre ne fut pas si tost arryvé, samedy au soyr, à Windsor, qu'on envoya icy redoubler le commandement de haster la sortie des dictz grands navyres. Et si, je sçay certaynement que aulcuns ministres furent, le dimanche ensuyvant, appelez à la court, pour encourager ceste princesse à ces deux guerres, de France et de Flandres, et pour luy remonstrer que le salut de ce royaulme et la conservation de leur religion requéroit que l'ordre de son armement ne se trouvât nullement diminué de ce qu'il est, ains plustost augmenté, quand le Prince de Condé entreroit en France, et quand l'armée d'Espaigne passeroit icy, au long, pour aller en Flandres.

Il est bien vray, Madame, que j'avoys desjà eu, en cella, quelque bonne parolle du comte de Lestre, dont je metz le propos à part, qui pense bien que, de luy et de quelques ungs qui n'ont encores perdu toute leur bonne affection vers la France, et de quelques amys du Roy d'Espaigne, est venu maintenant ceste interrumption d'armement; et à luy aussy, plus qu'à nul aultre, j'en rendray, samedy prochain, les grandz mercys, quand j'iray à l'audience à Redinc, à quarante mille d'icy, où ceste princesse m'a assigné. A laquelle je n'obmettray ung seul poinct de toutz ceulx qui sont contenus en vostre dernière dépesche du VIIe du présent, desquelles, en ce qui touche aulcunes particullaritez, bien bonnes et bien desirées du Roy, vostre filz, je m'en conjouys infinyement avec Vostre Majesté; et surtout j'ay bien fort solennisé la nouvelle de son bref retour, car c'est ce qui resjouyt, plus que je ne 185 le sçauroys dire, les bons, et met en terreur et confusion ceulx qui n'ont bonne intention.

Au regard de l'affère d'Escoce, je ne sçay comme bien y pourvoir, car, de s'en adresser au comte de Morthon, ou à pas ung de sa faction, le debvoir ny la rayson ne le peuvent requérir; et je ne sçay à quel, de toutz ceulx de l'aultre party, j'en pourrois escripre, qui n'ayme, possible, beaucoup mieulx que ce que je vous ay mandé succède, au cas que n'y veuillés entendre pour vous, que d'en demeurer là où ilz sont. Dont semble estre expédient que, soubz une colleur, fassiés passer quelque escossoys confident jusques là, par mer, pour y aller manyer ce négoce sellon vostre intention. Et sur ce, etc.

Ce XVIe jour de juillet 1574.

ADVIS, A PART.

Madame, j'ay envoyé devers le comte de Lestre le Sr Acerbo pour le prier de troys choses: l'une, qu'il voulût oster, d'entre la Royne d'Angleterre et moy, cette difficulté qu'elle faysoit de ne me vouloir recevoyr comme ambassadeur, luy ayant à dire une chose fort expécialle et d'importance que Vostre Majesté luy mandoit; l'aultre, de m'advertyr en quelle disposition elle estoit demeurée vers Voz Majestez et vers la France, après qu'elle eût ouy le rapport de ceulx de son conseil, sur ce qui s'estoit passé naguyères entre eulx et moy; et la troysiesme, qu'il promît ardiment à la dicte Dame, sur la parolle de Vostre Majesté, que la confirmation de la ligue avec le Roy, vostre filz, s'en suyvroit, tout ainsy qu'elle l'avoit eue avec le deffunct, son frère, et que je luy en obligeoys ma vye; et plusieurs aultres bonnes parolles et promesses au dict comte pour l'eschaufer, plus que jamays, au party du Roy, et de ne se laysser surmonter ny aulx partisantz d'Espaigne, ny aulx passionnez protestans.

A quoy, après avoyr conféré avec la dicte Dame, il m'avoit mandé, comme de luy mesmes, qu'il me prioit de n'estre point marry, si je ne pouvois estre receu comme ambassadeur, car, à la vérité, je ne l'estois poinct; et s'il advenoit que quelque chose se trettât avecques 186 moy, en celle qualité, que tout cella seroit de nulle valeur; mais qu'il me respondoit, sur son honneur, si je venois trouver la dicte Dame, qu'elle ne me tiendroit en aultre lieu et rang que comme elle avoit accoustumé, bien que non d'ambassadeur;

Et, au regard de ce qui s'estoit passé entre ceulx du dict conseil et moy, qu'après que luy et milord trézorier, et les deux secrettères, en avoient eu rendu compte en bien bonne sorte à la dicte Dame, elle avoit dict que ma responce luy sembloit telle que de plus honnorable ne s'en pouvoit fère, ny qui fût plus pleyne de satisfaction; et qu'elle avoit lors faict arrester, en son dict conseil, que, premier que d'innover rien aulx trettés d'entre le Roy et elle, ny attempter rien contre les Françoys, qu'on attandroit de voyr s'il sortiroit aulcun effect des bonnes parolles et déclarations que je leur avoys faictes; vray est que ceulx, qui nous estoient peu amys, avoient tant faict qu'il avoit esté réservé, au cas que les violences continuassent de nostre costé, et que les Anglois fussent maltraictés en France, et déprédés par les Françoys, et qu'on ne leur fît quelque satisfaction du passé, qu'on leur permettroit de se revencher sur mer, et prendre leur récompense sur les dictz Françoys, ainsy qu'ilz la pourroient avoyr: qui pouvois penser que leur seroit chose assez aysée, mais mal convenable à l'amytié;

Et que la dicte Dame avoit dict, tout hault, que Vous, Madame, vous estiez trompée et circonvenue vous mesmes, d'avoyr prins tout aultrement l'intention d'elle qu'elle n'estoit; car prioit à Dieu de la punir très griefvement si elle avoit pensé, ny consenty jamays, à chose qui deût offancer le feu Roy, vostre filz, ny vous, ny troubler aulcunement voz affères; et que, s'il luy apparoyssoit que, quelz que ce soient en France, de ceulx que vous aviez suspectz, eussent vollu rien attempter contre la personne du feu Roy ny contre la vostre, ny contre l'estat, que ce seroit elle qui solliciteroit très instammant qu'on leur tranchât la teste;

Que, quand à respondre, sur la parolle de Vostre Majesté, de la confirmation de la ligue à la dicte Dame, qu'il s'y employeroit très volontiers, car c'estoit chose qu'il desiroit infinyement, et espéroit qu'elle l'accepteroit, et ne s'en monstreroit ny refuzante ny dédaigneuse, pourveu qu'elle en fût honnestement recherchée;

Et qu'au reste, il n'estoit besoing que, par nouvelles persuasions et promesses, je le sollicitasse au party du Roy, car il s'estoit desjà déclaré tant parcial françoys, en toutes les compétences d'entre les deux maysons de France et de Bourgoygne, qu'il sçavoit n'avoyr, 187 aujourd'huy, ung plus capital ennemy au monde que le Roy d'Espaigne; et que les Protestantz n'avoient guyères meilleure opinyon de luy, en ce qui concernoit Voz Très Chrestiennes Majestez, car estoient bien advertys que, sur les diverses instances que j'avoys souvant faictes à la dicte Dame contre eulx, ce avoit esté luy qui l'avoit, en temps et lieu, tousjours faicte résouldre de ne les assister ny d'argent, ny d'hommes, ny de monitions, ny d'aultres moyens, pour soustenir la guerre; et que mesmes, aussytost que j'avoys eu dernièrement faict ma plaincte à elle du comte de Montgommery, qu'il l'avoit induyte de deffendre que, de quinze centz hommes, les mieulx choysis d'Angleterre, lesquelz estoient desjà secrettement enrollez pour aller trouver le dict comte en Normandye, il n'y en passât ung seul; dont luy reprochoient que la ruyne de ce pouvre gentilhomme, et de toutz ceulx de leur religyon au dict pays, s'en estoit ensuyvie; et, nonobstant que la France se monstrât très ingrate en son endroict, et que les meffiances et souspeçons, que Vostre Majesté avoit prinses de luy, fussent de très maulvayses récompanses de ses bons, voyre souveraynement bons, offices passez, qu'il ne layrroit pourtant de les continuer encores meilleurs et plus fervans que jamays; et qu'il me promettoit que bientost je m'en appercevroys.

CCCXCVe DÉPESCHE

ET PREMIÈRE AU ROY TRÈS CHRESTIEN HENRY IIIe

—du XXIIIe jour de juillet 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Remerciemens de l'ambassadeur au roi.—Heureux effet produit à Londres par la nouvelle que le roi a quitté la Pologne.—Audience.—Desir d'Élisabeth de continuer le traité d'alliance.—Détails de l'audience.—Communication d'une lettre écrite par la reine-mère.—Satisfaction d'Élisabeth.—Protestation qu'elle ne conserve aucun ressentiment au sujet des plaintes qu'elle a faites.—Réclamation des seigneurs du conseil à l'égard des prises.

Au Roy.

Sire, j'ay, avec révérance et respect, très humblement 188 baysé la lettre qu'il a pleu à Vostre Majesté m'escripre, de Cracovia, du XVe du passé, laquelle m'a esté d'une souverayne consolation; et m'a confirmé, quand au trespas du feu Roy, vostre frère, cella mesmes que j'en avoys indubitablement veu, que la dolleur avoit d'aultant plus faict d'impression dans vostre cueur que plus vous l'aviés magnanime, généreulx et royal, sellon qu'à tels est tousjours la douleur plus naturelle, et l'humanité plus familière, que n'est aulx aultres. Et semble qu'avez voulu davantage augmenter vostre regret par la recordation de l'amityé qu'il vous portoit, et des advantages que, de son vivant, il s'estoit efforcé de vous donner en son royaulme; en quoy vous avez bien fort honnoré la mémoyre de luy, et orné grandement vostre réputation, et apporté beaucoup de soulagement au grand mal que nous portions de sa mort. Qui vous promects bien, Sire, qu'il seroit encores plus grand et insupportable, sans l'assurance, que nous donnez, de vostre brief retour; dont je prie Dieu qu'il vous veuille ramener sain et sauf, bientost, aulx vostres, et rendre vostre règne très heureux, et très heureux le fère sentir à ceulx à qui venés naturellement commander.

Il n'est pas à croyre combien d'inconvénientz et de désordres se préparoient au monde pour l'opinyon, que quelques ungs avoient, qu'on vous deût susciter des empeschementz et des difficultez non petites en Pouloigne, pour ne vous en laysser partir de longtemps. Et est certain que voz affères, et ceulx de la France, commançoient d'en venir, icy, aussy bien qu'aillyeurs, à quelque mespris, et moy en assés de défaveur; mais je vous puis dire que la seule nouvelle de vostre arryvée en Autriche, les a, en l'endroict de ceste princesse, plus relevez que jamays, laquelle, à dire vray, 189 ne s'est jamays esloignée de sa bonne inclination. Et ne se pourroit desirer une plus ouverte signiffication de grand contantement que celluy, qu'elle a monstré avoyr, de la lettre de Vostre Majesté, laquelle je luy ay présentée, le XXe de ce moys, avec voz très affectueuses et très cordialles recommandations à toutes ses bonnes grâces; et elle l'a fort volontiers et attentivement leue.

Et, luy ayant, après, touché les poinctz de celle que Vostre Majesté m'adressoit, desquels elle a fort gousté celluy qui l'assure de la continuation de vostre amityé, et de vous trouver non moins entier et persévérant vers elle que le feu Roy l'a tousjours esté jusques à son trespas, elle m'a respondu qu'elle confessoit d'avoyr extrêmement senty la mort du dict feu Roy, comme d'ung fort grand et fort esprouvé amy, qu'elle avoit perdu; mais que, maintenant, le playsir ne luy estoit moindre de voyr que, en la mesme place, elle avoit recouvert ung aultre amy, qui n'estoit dissemblable, ny de rien inférieur au premier; et que, de nulle part du monde, luy eût peu venir chose, en ce temps, qui plus luy eût apporté de vray contantement que faysoit vostre lettre, et l'assurance de vostre amytié, et la nouvelle de vostre brief retour, et la confirmation de la régence de la Royne, vostre mère, et la continuation de ma légation, icy, auprès d'elle: qui estoient choses, desquelles elle me prioit de vous en rendre, de par elle, le plus grand mercys que je pourrois, attendant qu'à vostre arryvée en France elle vous en envoyât davantage, par ung de ses milords, espéciallement remercyer: lequel satisferoit aussy aulx aultres honnestes debvoirs qu'elle sçavoit estre tenue vous rendre, sur le trespas du feu Roy, et sur vostre heureulx advènement à la couronne, sellon 190 qu'elle s'en vouloit dignement acquiter, le plus qu'elle pourroit, pour l'honneur et grandeur de Vostre Majesté, et pour vous donner une non moins assurée confirmation de son amityé, qu'il vous playsoit l'assurer de la vostre; avec plusieurs aultres parolles et plusieurs démonstrations qui ont semblé procéder d'une vrayement bonne affection.

Mais je ne metz icy le tout, affin que je ne préocupe la légation de celluy qu'elle vous doibt bientost envoyer; et adjouxteray seulement que je remercye très humblement Vostre Majesté du favorable jugement, que sa lettre faict de mon service passé, et de la bonne opinyon qu'il luy plaist prendre de celluy de l'advenir. Qui vous promectz bien, Sire, que je n'ay dressé, ny dresserai jamays, l'heur et la félicité de ma vye à nul meilleur but, au monde, que de vous en pouvoir fère qui vous soit agréable; et ay réputé à grand honneur qu'il vous ayt pleu ainsy, de loing, me continuer en ceste charge jusques à vostre retour, après lequel je vous supplie très humblement avoyr tant de compassion de moy que de m'en retirer, et m'octroyer tant de grâce que je puisse aller voyr la face de Vostre Majesté, et luy bayser très humblement les mains, ainsy que très humblement je les luy bayse, d'icy en hors, de toute l'affection de mon cueur; et prie le Créateur qu'il vous doinct, etc. Ce XXIIIe jour de juillet 1574.

A la Royne, Régente

Madame, la lettre du Roy, vostre fils, a esté singullièrement bien receue de ceste princesse, et nonobstant qu'à l'ouverture d'icelle, ainsy qu'elle a jetté l'œil sur le seing, 191 elle ayt ung peu soupiré de ne trouver plus Charles, elle n'a layssé de prononcer fort gracieusement que c'estoit maintenant ung Henry qu'elle y trouvoit. Et a leu tout du long, avec son grand plésir, et bien curieusement, la dicte lettre, et m'a très volontiers accepté en la continuation de ceste charge, avec plus de faveur qu'elle ne m'avoit jamays faict, dont je metz sommayrement en la lettre du Roy ce que, pour ce regard, elle m'a respondu; ayant davantage recueilly de ses propos, qu'encor qu'elle ne soit lyonne, elle ne layssoit d'estre yssue et tenir beaucoup de la complexion du lyon, et que, sellon que le Roy la traictera doulcement, il la trouvera doulce et traictable, aultant qu'il le sçauroit desirer; et s'il luy est rude, elle mettra peyne de luy estre le plus rude et nuysible qu'elle pourra. Et s'est eslargie en aulcuns poinctz qui seroient longs à mettre icy; lesquels néantmoins elle me les a bien voulu fère sonner: et m'a prié de vous en mander ung entre aultres qu'elle estime le plus considérable, mais je l'ay supliée qu'elles mesmes le vous voulût escripre.

Et ay suivy à luy dire que j'avoys à luy toucher d'ung aultre faict, qui estoit de très grande importance, comme de celluy d'où avoit à dépandre l'establissement ou la ruyne de toutz les fondementz de l'amityé qui se pouvoit espérer pour jamays entre ce jeune prince, nostre nouveau Roy, et elle; et lequel, s'il n'estoit remédié, pourroit engendrer de la meffiance beaucoup entre eulx, pour les conduyre à des discordes et malcontantements, qui, petit à petit, les feroient, possible, tomber en ropture. Et de tant que cella estoit au long fort bien déduict en une lettre de Vostre Majesté du XXe du passé, en laquelle toute la conception de vostre cueur estoit clèrement expliquée, il estoit expédient, 192 ou qu'elle prînt la peyne de la voyr, ou qu'elle eût la patience de l'ouyr lire.

Et, là dessus, s'estant rendue fort attentifve, avec quelque esbahyssement que ce pouvoit estre, m'a prié que je luy voulusse lyre la dicte lettre, ce que j'ay faict; et ayant layssé le premier article, qui estoit en chiffre, j'ay commancé en l'endroict où est dict: J'ay sceu certaynement que aulcuns, qui sçavent beaucoup du secret de la Royne d'Angleterre, se sont layssez entendre, etc., jusques à la fin du propos, qui concerne le malcontantement qu'on vous a dict qu'elle avoit du Roy, de ce qu'on luy avoit rapporté qu'il avoit mesdict d'elle. Et m'estant arresté là dessus, pour entendre ce qu'elle me diroit, s'estant trouvée ung peu surprinse, et n'avoyr encores bien preste sa responce, elle m'a prié d'achever le reste de la lettre, s'il y avoit chose dont j'eusse à luy parler.

Et ainsy j'ay continué les aultres articles, qui estoient de l'espérance de la paciffication, des exploicts qui se faysoient cependant en la guerre, du faict de Mr le maréchal de Dampville, de la maladye de Mr le maréchal de Cossé, de vostre bon desir à la justiffication de Mr de Montmorency et du dict Sr de Cossé, de l'exécution du comte de Montgommery et du faict des pleinctes des marchandz; sur toutz lesquelz poinctz nous avons longuement discouru. Mais j'ay ramené, le plus tost que j'ay peu, le discours à silence, affin de retourner au premier article, dont elle m'a prié que je le luy voulusse encor lyre ung coup.

Et puis m'a dict que, quand bien elle auroit esté cy devant offancée, ceste lettre luy apportoit maintenant tant de satisfaction qu'elle avoit occasion de demeurer contante, 193 et qu'elle n'avoit point sceu que le Roy eût mesdict d'elle, car elle ne luy en avoit jamays donné occasion, ny il n'en avoit eu le subject, ny, comme elle pensoit, aussy la volonté; mais qu'elle ozoit bien dire qu'il l'avoit peu traicter plus honnorablement qu'il n'avoit faict, car indubitablement elle avoit eu l'intention et la volonté très bonnes vers luy, de l'espouser, de bon cueur, et n'avoit attandu autre chose sinon qu'il fît quelque déclaration de se contanter de sa religyon en privé; et que lorsqu'elle pensoit l'avoyr aulcunement eue, et qu'elle s'estoit tant advancé que d'envoyer ung de ses conseillers, avec exprès pouvoir, pour conclurre le propos par dellà, il s'estoit trouvé qu'il avoit prins une aultre bien contrayre résolution. En quoy elle ne vouloit pourtant ny pouvoit justement le blasmer d'avoyr évité le mariage avec une vieille; mais elle me tournoit dire, de rechef, que la bonne affection et la bonne façon, dont elle avoit procédé vers luy, méritoit qu'il eût ung peu plus d'honneste respect à elle.

Je luy ay réplicqué ce que j'ay estimé propre pour luy ramantevoyr que les difficultez avoient tousjours procédé d'elle, et de ceulx qui, pour elle, avoient manyé le propos; et qu'il n'avoit tenu, sinon à elle mesmes et à eulx, que ce prince n'eust esté tout sien. Et m'a semblé, Madame, qu'elle a eu bien agréable la recordation d'aulcunes choses qui avoient passé en cella; qui luy ont faict remettre sur aulcuns gracieulx propos, qui ont donné une fort gracieuse fin à cestuy cy.

Et lors je luy ay présentée la lettre que Vostre Majesté luy escripvoit, laquelle, quand elle a veu qu'elle estoit toute de vostre main, m'a demandé si je sçavoys de quoy ce pouvoit estre; et je luy ay respondu que non, mais que, si 194 c'estoit de chose qui procédât de mon advertissement, j'estois là tout prest pour en respondre.

Elle m'a lors appellé à lyre avec elle la dicte lettre et n'en a perdu ung seul mot, et s'est fort arresté sur ce que Monseigneur le Duc vous avoit revellé la praticque, et sur le poinct du secrettère, et de ce que vous affermiez qu'il ne parloit que de luy mesmes, et de la part d'aulcuns turbulans qui y mestoient les noms des deux princes, affin qu'elle y adjouxtât plus de foy, et de ce que vous luy aviez bien voulu escripre fort confidemment toute ceste hystoyre, affin qu'elle ne se layssât tromper d'une si meschante négociation. Et ayant longuement poisé toutz ces poinctz, et iceulx releus plus de trois foys, avec diverses contenances, elle a appellé le comte de Lestre qui s'est venu mettre sur un genoul devant elle; dont je me suis levé.

Et, après qu'ilz ont eu conféré une petite espace de temps, s'en estant retourné, elle m'a rappellé et m'a faict rassoyr. Puis m'a dict, que c'estoit, à ce coup, que Vostre Majesté s'estoit portée en vraye et naturelle mère vers elle, et luy avoit monstré ung très expécial signe de grande amityé, dont elle vous en remercyoit de tout son cueur; et ne s'esbahyssoit plus, si vous aviez eu de la souspeçon beaucoup, bien que, pour ne la vous augmenter davantage, elle avoit différé de vous envoyer ung gentilhomme, qui estoit tout prest, pour vous aller fère la condoléance du feu Roy, vostre filz; et que, si plus tost elle eût eu vostre lettre, indubitablement elle l'eût faict partir, mais que désormays elle feroit de tout ung, d'envoyer ung milord vers le Roy, vostre filz, et vers vous, aussytost qu'il seroit arryvé; et qu'elle estoit bien ayse que Monseigneur le Duc se fust ainsy acquitté du debvoir de bon filz à vous réveller 195 ce qu'il sçavoit, ainsy que nature l'obligeoit de le fère, et que c'estoit de luy que vous pourriés sçavoyr si elle luy avoit faict proposer chose aulcune qui fût contre Voz Très Chrestiennes Majestez, ny contre le repos de vos affères; et qu'elle ne cognoissoit le secrettère ny nul de toutz les serviteurs de son ambassadeur, mais qu'elle s'enquerroit qui il pouvoit estre, pour le fère bien chastier; et vous prioit d'approfondir davantage le dict affère, affin de luy en pouvoir fère plus grande communicquation; et que vous pouviés croyre qu'elle ne se layrroit circonvenir à fère jamays chose qui vous peût offancer; et vous respondroit plus amplement par une sienne lettre, affin de vous donner aultant de satisfaction d'elle, en cest endroict, comme vous luy en aviés faict recevoyr par celle que vous luy aviez escripte.

Je l'ay infinyement remercyé de sa bonne et vertueuse dellibération, et n'ay rien oublyé de ce que j'ay estimé pouvoir servir pour luy fère voyr que, non seulement elle debvoit sçavoyr gré, mais qu'elle se debvoit réputer grandement attenue à Vostre Majesté de cest advertissement.

Et, après ce propos, nous sommes entrés en devis de don Bernardin de Mandossa, duquel elle m'a dict qu'encor qu'il l'eût bien fort faicte presser de son audience, qu'elle la luy avoit néantmoins remise après la mienne, et qu'elle pensoit qu'il ne venoit poinct pour parler pour la France.

Je luy ay respondu que je ne faysois doubte qu'il ne vînt pour remettre sur la parciallité de Bourgoigne, mais, de tant qu'elle mesmes estoit le chef de la part françoyse par deça, que je la supplyois de maintenir et deffendre bien ce party, duquel elle se prévaudroit mieulx que de nul aultre de la Chrestienté.

196 Et, sur ce, m'estant licencié d'elle, les seigneurs du conseil m'ont détenu quelque temps, sur la déclaration qu'ilz m'avoient auparavant faicte en ceste ville, et dict qu'ilz verroient qu'est ce que réuscyroit de la bonne et honnorable responce que je leur avoys rendue, car entendoient que les désordres et injures continuent plus grands que jamays sur leurs subjectz, et que freschement ung vaysseau de guerre du Hâvre de Grâce avoit pillé ung navyre marchand anglois qui venoit de Roan, quasy sur l'emboucheure de la rivyère de Seyne. Dont le sieur de Walsingam m'a baillé une nothe de leurs pleinctes, avec la marque, en marge, de celles où ilz desireroient estre principallement pourveu. Dont je vous supplye très humblement, Madame, mander en Picardye, Normandye, Bretaigne et la Guyenne, qu'on m'envoye aussy ung rolle des pleinctes des subjectz du Roy, aulxquelles il n'a esté satisfaict par deçà, et ung extrêt des jugementz donnés, depuis dix ans en çà, au prouffit des Anglois, avec actuelle restitution, parce qu'on exagère fort à ceste princesse que je ne luy en pourrois fère apparoir d'une seule, et que ses subjectz sont mesprisez et très maltraictés en France. Et sur ce, etc.

Ce XXIIIe jour de juillet 1574.

La dicte Dame m'a dict qu'elle a commandé de préparer les obsèques du feu Roy, vostre filz, dont Vostre Majesté me commandera si j'auray à m'y trouver, et si je assisteray au service, et à la cérimonye, qui s'y fera sellon la religyon receue en ce royaulme.

197

CCCXCVIe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour de juillet 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Monyer.)

Audience accordée à don Bernardin de Mendoce envoyé du roi d'Espagne.—Gracieux accueil qui lui est fait par la reine et par les seigneurs de la cour.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle ne mettra pas sa flotte en mer.—Promesse d'une satisfaction sur la plainte de la reine-mère contre le secrétaire de l'ambassadeur d'Angleterre en France.

A la Royne, Régente

Madame, je n'ay si tost esté party d'avec la Royne d'Angleterre, de Redinc, le XXe de ce moys, que don Bernardin de Mendossa y est arryvé, lequel a esté honnorablement receu, et elle luy a donné fort bénigne et fort favorable audience, aultant de foys et si longuement qu'il l'a desiré. Et s'est sa légation explicquée, pour la pluspart, en la salle de présance, où les principaulx de la court et ceulx du conseil sont intervenus à voyr comme il a présenté les lettres du Roy, son Maistre, et qu'il a requis la continuation de l'amityé, et qu'il a faict le mercyement de la bonne responce qu'elle avoit rendue, touchant l'armée d'Espaigne, d'en avoyr accordé le passage libre, et l'entrée, et refraychissementz, dans les portz de ce royaulme; et comme il luy a offert les angloys qui avoient esté prins en Flandres, ainsy que le grand commandeur les avoit desjà faictz reconduyre par deçà; desquelz il n'imputoit nullement à elle, mais à leur propre affection ce, qu'ilz avoient suyvy le prince d'Orange, ainsy qu'il y avoit bien, parmy leurs compagnies hespaignols, aussy des gentilshommes angloys, vaillantz et de grand cueur; qui cherchoient, les ungs et les aultres, de 198 voyr la guerre; et que le Roy, son Maistre, ne desiroit rien tant que de renouveller et confirmer plus estroictement que jamays avec elle les anciennes amityés et alliances de Bourgoigne, sellon qu'il avoit mandé aulx députés de Flandres, qui estoient icy, qu'ilz eussent à composer, commant que ce fût, avec elle et avec ses subjectz, ces derniers différends des prinses, en la façon qui plus la pourroit contanter.

De toutz lesquelz propos elle a monstré de demeurer infinyement bien satisfaicte, et a confirmé, tout hault, les mesmes seuretés et resfraychissementz, qu'elle avoit octroyé pour l'armée d'Espaigne; et a remercyé grandement le renvoy des anglois, non pour l'amour d'eux, car estoient, disoit elle, sans adveu et dignes de chastiement, mais pour le respect que le Roy d'Espaigne avoit voulu avoyr à elle; qui luy avoit monstré en cella, et en plusieurs aultres choses, beaucoup de vrays signes de l'amityé qu'il luy portoit; et qu'elle seroit par trop ingrate, si elle ne luy rendoit pareils bons tesmoignages de la sienne, sellon qu'elle se recognoissoit obligée à luy de la vye, et de l'estat, et du lieu qu'elle tenoit; et que, pour luy fère foy de la confiance qu'elle vouloit avoyr en luy, qu'elle ne métroit ung seul navyre de guerre dehors; ains estimeroit que ce seroit luy, puisqu'il avoit, à présent, des forces en mer, qui se trouveroit armé pour elle, si quelqu'ung la vouloit offancer, monstrant cesser de son armement en faveur du dict Roy Catolicque, bien qu'auparavant elle l'eût ainsy résolu de fère.

Néantmoins, sur cette tant ouverte démonstration sienne, il n'y a eu celluy de sa court qui n'ayt mis peyne de monstrer aussy quelque signe de bonne affection, vers le dict 199 Roy Catholicque, au dict don Bernardin, et que la générale inclination de ce royaulme estoit à l'alliance de Bourgoigne.

Or a il eu, depuis, une plus longue et plus privée communicquation avec elle, et a praticqué bien fort estroictement avec milord trézorier, mais beaucoup plus estroictement avec milord de Lestre, et a esté, sellon qu'on m'a dict, bien instruict par Me Athon, qui ne l'a layssé sans guyde et sans le bien addresser en tout ce qu'il a eu à fère. Et après avoyr esté bien caressé, festoyé, entretenu, mené à la chasse, mangé à la table de la dicte Dame, et honnoré d'une chayne de huict centz escus, avec d'autres présentz d'hacquenées et de lévriers, que les seigneurs luy ont donné, il a esté fort gracieusement licencié. Et luy a esté ordonné deux navyres de guerre de la dicte Dame pour le repasser dellà.

Je ne sçay encores sur quoy a esté sa secrette négociation, ny quelles autres bonnes responces il emporta; mais je feray dilligence de vous en pouvoir bientost mander quelque chose.

Cepandant j'ay travaillé de sçavoyr comme la dicte Dame demeuroit bien satisfaicte de Vostre Majesté, depuis ma dernière audience; et il m'a esté rapporté qu'elle avoit esté plusieurs foys en conseil avec les deux milords trézorier et de Lestre, et avec Mr de Walsingam, sur ce que je luy avoys dict et porté par escript; et qu'elle avoit fort curieusement faict examiner le secrettère de son ambassadeur, duquel ne se rapportant sa responce au contenu de vostre lettre, ilz jugeoient que Vostre Majesté avoit plus procédé par conjecture, à l'escripre, que par certeyne science. Et néantmoins le comte de Lestre m'a depuis 200 mandé que la dicte Dame ne vouloit, en façon du monde, que vous demeurissiés sans satisfaction; dont vous escriproit, de sa main, et vous renvoyeroit le secrettère, affin que, s'il ne se pouvoit bien justiffier, vous le fissiez ainsy bien chastier comme sa témérité le méritoit; et qu'elle le feroit passer devers moy, affin que je l'interrogeasse davantage, et m'envoyeroit sa lettre pour Vostre Majesté, ou bien la coppie d'icelle; et que le dict comte me prioit, surtout, que je misse peyne d'oster et d'effacer de vostre opinion que jamays il ayt esté rapporté à la dicte Dame que le Roy, vostre filz, ait mesdit d'elle, car ne l'avoit jamays entendu, ny oncques n'avoit eu peur ny souspeçon qu'il le deût fère.

Je me resjouys infinyement de ce qu'il plaist à Dieu favorizer et facilliter le retour du Roy, vostre filz. C'est ung bien qui se sent grand et universel en toute la Chrestienté, et qui est incomparable à nous, ses subjectz; et m'aperçoy bien que ses affères et ceulx de son royaulme se vont de tant plus relevans que la nouvelle continue qu'il approche. Je vous envoye, de l'extrêt des pleinctes de ceulx cy, celles qu'ilz desirent estre principallement satisfaictes; dont vous plerra y fère pourvoir. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour de juillet 1574.

201

CCCXCVIIe DÉPESCHE

—du IIIe jour d'aoust 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Grognet, mon secrettère.)

Arrêt fait à Rouen sur les navires et marchandises des Anglais.—Nouvelles plaintes à ce sujet.—Nécessité de révoquer promptement cette mesure.——Nouvelles d'Écosse et de Marie Stuart.

A la Royne, Régente

Madame, jusques à ceste heure, j'ay tenu Vostre Majesté, la plus soigneusement que j'ay peu, bien advertye de l'estat des choses de deçà, et comme l'on a esté, deux et troys, et plusieurs foys, en dellibération de mettre une armée de mer dehors; et comme ceste princesse a esté fort sollicitée de se déclarer pour les eslevez de France, et infinyement pressée, par ceulx qui voudroient bien qu'elle eût desjà rompu avecques vous, qu'elle permît à ses subjectz de prendre leur revenche sur mer des déprédations que les Françoys leur ont faictes; et comme j'ay mis peyne de divertyr ces choses, et de fère que la dicte Dame les ayt mises en suspens, sur l'assurance que je luy ay donnée que Vostre Majesté la continuera en la mesme ligue et confédération avec le Roy, vostre filz, qu'elle l'a eu avec le feu Roy, son frère; de sorte que, nonobstant qu'elle ayt eu quelque peu d'indignation, dans son cueur, de ce qu'il luy a semblé que vous l'aviez tenue trop suspecte, et que, là dessus, l'on luy ayt faict recevoyr, avec trop grande et par trop extraordinayre faveur, ceste dernière légation du Roy d'Espaigne, néantmoins j'avoys desjà tiré d'elle qu'elle persévèreroit très constamment en l'amityé de Voz 202 Majestez Très Chrestiennes, si vous ne vouliés poinct départir de la sienne.

Maintenant j'ay à vous dire, Madame, que, depuis deux jours, les seigneurs de ce conseil m'ont renvoyé une certeyne remonstrance que les principaulx bourgeoys de Londres sont allez présenter à la dicte Dame, et à eulx; et m'ont faict venir les mesmes bourgeoys pour m'en signiffier l'occasion, laquelle est toute fondée sur l'arrest qui a esté faict en Normandye de leurs biens, navyres, marchandises et facteurs. Dont l'allarme en est grande en ceste ville, et n'en est pas petite en ceste court, m'ayantz, des deux costés, faict de fort vifves et fort grandes instances qu'ilz puissent estre promptement esclarcys de l'intention de Vostre Majesté en cest endroict, affin de pourvoyr à leurs affères.

A quoy je leur ay respondu, le plus gracieusement qu'il m'a esté possible, que cest arrest, à mon advis, provenoit de l'ordre que Vostre Majesté avoit auparavant mandé qu'on mît en la frontyère, pour l'assurer à la venue de l'armée d'Espaigne, et au sortyr de celle qui se préparoit, icy, et non pour innover chose aulcune contre les traictez; et que de ce j'en avoys ung grand argument par une lettre de Vostre Majesté, du XVIe du passé, par laquelle me mandiés d'avoyr escript à Mr de La Meilleraye qu'il fît promptement rendre à un angloys son navyre, et marchandises et biens, qui luy avoient esté prins assez près du Hâvre de Grâce, avec toutz les dommages et intéretz, chose qui monstroit bien qu'il n'y avoit aulcune innovation contre ce royaulme: ce qui les a ung peu modérez. Néantmoins, parce que aulcuns de leurs facteurs sont passez icy, toutz effrayez des difficultez qu'on leur a faictes par dellà, 203 ilz m'ont fort pryé d'envoyer ung des miens, tout exprès, devers Vostre Majesté, affin de sçavoyr comme il en va, et ne les en tenir en suspens. Dont, Madame, si avez dezir que les choses s'entretiennent paysibles, de ce costé, je vous supplye très humblement me commander de leur fère quelque bonne responce, et qu'escripviés tout d'ung trein, en Normandye, qu'on lève le dict arrest, et qu'on ouvre le passage aulx Angloys; ayant à vous dire davantage que sur ceste nouveaulté, qu'on leur a faicte par dellà, ilz ont incontinent mandé aulx officiers de la maryne, icy, de fère nouvelles provisions pour leurs navyres, parce que le gouverneur de Fleximgues a desjà achepté et enlevé celles qui estoient auparavant faictes, et les a transportées en Hollande, à cause que l'armée du grand commandeur empesche que nuls vivres puissent venir, du costé de terre, dans les villes et places du dict pays. Et ainsy l'on a commancé de tuer nouvelle cher; mais, à mesure que les choses yront en avant, j'en donray advis à Vostre Majesté, ayant cepandant envoyé le Sr de Vassal, jusques en ceste court, fère, pour ce regard, et sur quelques aultres occasions, une particullière négociation avec aulcuns qui sont de bonne intention. Et j'espère que je pourray contenir encores les choses, et vous mander, dans bien peu de jours, à quoy elles auront à devenir; qui cependant vous supplye très humblement, Madame, de vouloir non seulement dissimuler que demeuriez plus en souspeçon de ceulx cy, et que le Roy pareillement le dissimule, mais que toutz deux monstriés de vouloir prendre de la confiance d'eux, ou certaynement vous les vous acquerrez pour tout déclarez ennemys.

Le secrettère de leur ambassadeur vous sera bientost renvoyé, et la dicte Dame vous escripra, de sa main; laquelle 204 cepandant continue son progrès vers Bristol, bien joyeuse de ce que le comte d'Oxfort est retourné à son mandement, encor que milord Edwart soit demeuré.

Me Quillegreu est encores en Escoce, lequel assure fort que les choses y continuent paysibles par dellà. Et, de faict, le comte d'Honteley est venu à Lillebourg, et le comte de Morthon faict semblant de s'estre fort racointé avecques luy, qui, en ceste confiance, s'en va bientost visiter paysiblement le pays du North jusques à Abredin, car aultrement il n'y fût point allé qu'avec des forces. Il faict réparer le chasteau de Lillebourg. Et milord St Jehan, Escossoys, est venu, depuis peu de temps, en ceste ville, lequel sollicite d'y pouvoir demeurer sans souspeçon, ou bien qu'on luy baille passeport de se pouvoir retirer en France ou bien en Italye. Le Prince d'Escoce se porte fort bien, et la Royne d'Escoce, sa mère, aussy assez bien de sa santé; laquelle envoye ung gros pacquet de lettres à Mr de Glasgo, son ambassadeur, pour le distribuer à Voz Majestez Très Chrestiennes et à ses aultres parantz par dellà. Sur ce, etc. Ce IIIe jour d'aoust 1574.

CCCXCVIIIe DÉPESCHE

—du VIIIe jour d'aoust 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Nouvelles plaintes à raison de prises nouvellement faites sur les Anglais.—Voyage du roi en Italie.—Présence de l'ambassadeur au service célébré à Londres en mémoire du feu roi.

A la Royne, Régente

Madame, ce que j'ay respondu, sur la plaincte que les 205 seigneurs de ce conseil m'avoient renvoyée des bourgeoys de cette ville, et la dilligence, qu'ilz ont veu que j'ay mise, de vous dépescher promptement mon secrettère pour aller procurer leur satisfaction, a esté cause qu'on a mandé de cesser la provision des navyres, et que seulement l'on eût à tenir deux centz bœufs à l'herbe, et disposer des aultres victuailles et des hommes et marinyers en façon que le tout peût estre prest, le cinquiesme jour après que le premier mandement leur en seroit faict. Mais, depuis, les mesmes bourgeoys me sont venus crier qu'ung leur navyre, qui estoit de grand valleur, avoit de nouveau esté prins et pillé, dans la rivyère de Seyne, par troys navyres françoys, l'ung du Hâvre, l'autre de Fescamp, et l'aultre de Bretaigne, et qu'ilz n'attandoient sinon l'heure qu'on leur rapportât la perte d'aultres cinq de leurs vaysseaulx, qui ne sont pas moindres, lesquelz on tenoit arrestez dedans la dicte rivyère, et les pirates les attandoient à l'yssue pour les piller; et qu'il n'estoit pas possible qu'ilz peussent plus supporter les grandes injures et violences que les Françoys leur faysoient. A quoy je n'ay eu que respondre, sinon d'assurer ces gens de bien que Vostre Majesté estoit extrêmement marrye que la navigation n'estoit plus seure, et qu'il n'avoit tenu à elle qu'il n'y eût desjà esté pourveu, ayant faict offrir à la Royne, leur Mestresse, de mettre, par commune intelligence avec elle, aultant de navyres de conserve, en mer, comme elle y en voudroit mettre, de sa part, mais qu'elle ny ceulx de son conseil n'y avoient encores voulu entendre; et que tout le désordre provenoit du support qu'on faysoit, en ce royaulme, à ceulx de la nouvelle religion, qui alloient piller les Catholicques. Ce que la pluspart d'eux ont confessé estre vray, et ne l'ont moins détesté 206 que moy. Néantmoins, Madame, je supplye très humblement Vostre Majesté de mander aulx gouverneurs de Normandye que, pour la réputation de la couronne, et pour l'entretènement de la paix, ilz vueillent tenir le faict du commerce et de la navigation en quelque meilleur estat qu'il n'est.

Ceulx cy commencent de n'espérer plus, tant qu'ilz faysoient, l'accord d'entre le grand commandeur de Castille et le prince d'Orange; et si, se parle, entre eulx, que la venue du Prince de Condé est retardée, mais ilz ont bien quelque opinyon que le Roy, à son retour, voudra remettre la paix en son royaulme. Et n'est pas à croyre, Madame, en quelle admiration ung chacung, icy, a ce qu'on escript, d'Italye des grands appretz qui s'y font pour honnorer le passage du Roy, vostre filz, et que toutz les potentats du pays concourent à luy aller au devant. De quoy aulcuns sont aussy aises comme si c'estoit pour leur propre prince; et les aultres en restent touts estonnés: et milord de Windesor, qui est à Venise, en a mandé ung grand discours en ceste court. Dont je verray ce que ceste princesse m'en dira, quand je l'iray trouver, à la première occasion que Vostre Majesté m'en donra, après ceste vostre dépesche, que je viens de recepvoyr, du XXIIIe du passé, laquelle contient bien des matières d'importance, mais non propres pour aller tretter d'icelles seules avec la dicte Dame; et aussy que je me suis arresté icy pour les exèques, qu'on a faictes, le VIIe de ce moys, du feu Roy, vostre filz, assez magnificques; où milord trézorier est intervenu pour la Royne, sa Mestresse, avec plusieurs aultres milords; par où l'on a bien voulu fère voyr qu'on tenoit le deffunct pour ung grand amy et confédéré de ceste couronne, qui est 207 une démonstration qui tend à vouloir persévérer vers le Roy, son frère, si, d'avanture, les choses sont gracieusement conduictes. Je m'y suis trouvé, à l'instance de la dicte Dame et à la leur, avec protestation que c'estoit seulement pour ne refuzer d'assister à l'acte de gratitude de ceste princesse vers le feu Roy, et pour ne la mettre en aulcun doubte que Voz Majestez Très Chrestiennes ne vueilliés persévérer tousjours fort constamment vers elle; mais ce a esté sans y fère ny dire chose qui n'ayt beaucoup plus monstré de n'approuver que de donner tant soit peu d'aprobation à leurs cérymonies. Et me suis excusé d'aller à l'offrande, bien qu'on m'y ayt semond, et qu'on m'ayt remonstré que c'estoit la coustume.

Il y a, icy, encores quelque petit nombre de cappitaines et soldatz françoys, de la nouvelle religyon, qui parlent entre eulx de la surprinse de quelque place en France; mais je n'en puis si tost descouvrir la particullarité. Et sur ce, etc. Ce VIIIe jour d'aoust 1574.

Les choses d'Espaigne se vont fort accommodant avec ceulx cy, et faict on tenir prest un gentilhomme, pour l'envoyer devers le Roy Catholicque, ainsy qu'on faict aussy apprester ung milord, pour le dépescher devers le Roy, vostre filz.

208

CCCXCIXe DÉPESCHE

—du XIIIe jour d'aoust 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Irrésolution des Anglais.—Sollicitations des protestans de France pour obtenir des secours.—Instances de l'ambassadeur auprès des réfugiés afin de les engager à recourir au roi.—Nouvelles d'Écosse.—Négociation des Pays-Bas.

A la Royne, Régente

Madame, je n'ay pas esté avec milord trézorier durant les exèques, qu'il a célébrées, icy, au nom de la Royne, sa Mestresse, pour le feu Roy, vostre fils, sans le mettre en propos de confirmer, à ce nouveau règne, l'amityé qui a duré tout le règne passé, affin de sentir en quelle disposition sa dicte Mestresse et eulx de son conseil en estoient. Qui m'a respondu honnorablement plusieurs choses, les unes généralles, les aultres particullières, et les aultres indifférentes, lesquelles seroient bien longues à les mettre toutes, icy; mais, en substance, il a esté facille de recueillyr, de son dire, que la dicte Dame et eulx ont remis de prendre leur résolution, vers le Roy, jusques à ce qu'ilz voyent comme il se déportera à cestuy sien advènement à la couronne, et comme il commencera l'entrée de son règne; en quoy ne fault doubter qu'ilz ne remarquent, de près, tout ce qui s'y fera, et qu'ilz ne se forment une impression que la suyte en doibve estre semblable. Bien m'a il dict que ce qu'il estimoit, à présent, estre besoing de plus promptement pourvoyr, estoit celle plaincte de leurs marchandz et subjectz qu'ilz m'avoient renvoyée, à laquelle ils avoient à adjouxter plusieurs excès nouveaulx, qui estoient 209 par trop insupportables, et sur lesquels la Royne, sa Mestresse, ne pouvoit plus dényer sa provision, si elle ne vouloit renoncer à sa couronne; et mesmement que ses subjectz la supplioient qu'aulmoins elle leur permît de se revencher sur les mesmes françoys qui les avoient oultragés et endommagez.

A quoy je luy ay oposé plusieurs raysons, et allégué beaucoup d'inconvénients, qui adviendroient de cella, et luy ay exibé des plainctes, aussi récentes, des nostres, comme estoient celles dont il me parloit des leurs; et qu'en effaict, il falloit que, par commune intelligence, Voz Majestez Très Chrestiennes, et la Royne, Sa Mestresse, fissiés cesser ces désordres, et qu'on ne donnât ny retraicte, ny faveur, en ce royaulme, à ceulx de la nouvelle religyon qui alloient piller les Catholicques, ce qu'il n'a nullement contredict; ains m'a assuré que, sellon qu'il n'avoit jamays approuvé telles choses, il en parleroit vifvement à la Royne, sa Mestresse, laquelle il alloit trouver, le jour ensuyvant, pour luy ramener le comte d'Oxfort, son beau fils. Lequel il espéroit qu'elle le verroit très volontiers pour s'estre bien fort vertueusement acquité vers son service, quand il a esté en Flandres, où non seulement il n'avoit voulu fréquenter le comte de Vuestmerland ny la comtesse de Northomberland, mais ne les avoit voulu ny voyr, ny ouyr, ny nul des fuitifs de ce royaulme.

J'ay depuis receu la lettre de Vostre Majesté, du XXVIIe du passé, laquelle j'ay envoyée communiquer au comte de Lestre par le Sr de Vassal, affin d'en fère part à la Royne, sa Mestresse; et ay envoyé, par mesme moyen, à Mr de Walsingam, une coppye de la patante qu'avez faicte expédier en faveur des Angloix. Il est arryvé icy, d'Allemaigne, 210 ung françoys, qu'on m'a dict s'appeler, de son propre surnom, Poutrin, mais il se faict nommer Dupin, lequel a esté négocier en ceste court, et les ministres, avec aulcuns aultres principaulz protestantz, le sont allez assister. Qui ont, toutz ensemble, ainsy qu'on me l'a rapporté, fort instamment pressé d'avoir argent ou crédit de ceste princesse pour fère la levée, en Allemaigne; mais, après beaucoup de réplicques, d'ung costé et d'aultre, elle les a remis à attandre ung peu que le temps luy appreigne ce qu'elle debvra fère; et ainsy ilz sont temporisans, icy, ceste espérance.

J'ay faict admonester les principaulx françoys de la nouvelle religyon, qui sont encores par deçà, d'aller au devant du Roy, vostre filz, et qu'avec le debvoir de leur obéyssance ilz luy facent eulx mesmes entendre leurs requestes, sur ce qu'ilz desirent de Sa Majesté pour le repos et seureté de leurs personnes, biens et conscience, leur assurant que Vostre Majesté leur assistera. Et ay faict presser le vydame de Chartres, lequel semble s'apprester pour passer en Allemaigne, le chassant d'icy la nécessité, qu'il vueille attandre la déclaration de la bonne volonté et intention de Voz Majestez, à ce commencement de ce nouveau règne.

Je ne sçay encores comme luy et les aultres en uzeront; tant y a qu'il m'a mandé que Vous, Madame, sçavez bien qu'il vous est, et ne peut, ny veult vous estre aultre que très bon et très humble serviteur, et qu'il avoit fondé toute son espérance et la resource de toutz ses affères, sur la bonne opinyon qu'il pensoit que Vostre Majesté eût de luy; mais qu'il avoit bien senty tout le contrayre, en son procès de Chavamoye, et qu'il croyoit estre vray, ce qu'on disoit: 211 que Vostre Majesté ne faysoit bien sinon à ceulx qui s'efforçoient de vous fère du mal.

J'attands, d'heure en heure, le retour d'ung escossoys, lequel j'ay, longtemps y a, faict acheminer à Lillebourg, pour observer Me Quillegreu, et pour me rapporter, au vray, l'estat des choses de dellà, et comme je y pourray escripre, et où adresser mes lettres. Il m'a cependant adverty que la payx s'y entretient aulcunement, et que le comte de Morthon et celuy d'Honteley sont, de vray, assez bien ensemble; et qu'icelluy de Honteley demeure à Lillebourg, pendant que l'autre va tenir la justice à Abredin, et vers le North, (comme ostâges l'ung pour l'autre); et que toutz les grands d'Escosse ont presté l'obéyssance au dict de Morthon, réservé le comte d'Arguil, qui, pour ceste occasion, est mis au ban; et qu'on y parle d'entretenir fermement la ligue avecques la France.

Les depputés, qui vacquent, icy, sur les différens des Pays Bas, sont fort près de conduire l'accord, et m'a l'on dict qu'il se fait quelque forme de récompense aulx mutuelz subjectz, de laquelle l'on pense qu'encore que, de pas ung des costez, l'on ne s'en ayt bien à contanter, néantmoins, parce que les princes ne veulent poinct de différent, que nul ne s'y oposera. Et desjà la flotte des leynes est partye de ceste rivyère pour aller à Bruges, et delà en Anvers, ainsy qu'on avoit auparavant accoustumé de le fère.

Je loue Dieu, de bon cueur, de ce qu'il luy plaist donner toute facillité et bon rencontre au voïage du Roy, vostre filz, et prie Dieu qu'il le vous vueille rendre, bientost, bien sain et bien joyeulx. Et sur ce, etc.

Ce XIIIe jour d'aoust 1574.

212

CCCCe DÉPESCHE

—du XVIIe jour d'aoust 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Nicolas de Malehape.)

Préparatifs faits secrètement pour secourir la Rochelle.—État de la négociation des Pays-Bas.—Incertitude sur le départ de la flotte d'Espagne.

A la Royne, Régente

Madame, ayant, le tréziesme du présent, receu la dépesche de Vostre Majesté, du Ve, j'ay incontinent envoyé là, où j'ay quelque intelligence, pour fère dilligemment observer les choses aulxquelles me commandiés prendre garde. Et j'ay trouvé que, sur ung pacquet qui est arryvé, à ceste princesse, le IXe de ce moys, de son ambassadeur qui est en France, elle luy a incontinent renvoyé son secrettère Thomas Wilx, celuy mesmes, à mon advis, dont Vostre Majesté m'a cy devant faict mencion, lequel est party de ceste ville, le XIIe, mais non en grande dilligence, car a emmené deux hacquenées, comme s'il alloit à journées; et a esté conférer avec les ministres et aultres principaulx françoys de la nouvelle religyon, qui sont encores icy, sans passer nullement devers moy, bien qu'on m'eût assuré qu'il luy seroit commandé de le fère. Et, bien peu d'heures après, ung allemant, d'assez bonne apparance, qui estoit party de Paris, le Xe, est arrivé icy, le tréziesme fort matin; et incontinent, a passé oultre vers ceste court, à Bristo, où j'ay aussytost dépesché de mon costé, affin d'estre adverty comme et avec qui il négocyera. Et n'est pas à croyre, Madame, combien la venue du Roy, et les levées des reytres et suysses, qui sont entrés, pour 213 son service, en France, meuvent diversement les affections de ceulx cy, et font diverses impressions en eulx, et en ceulx des aultres nations, françoys, allemans, flammants, et encores italiens et hespaignols, qui sont en ceste ville; dont se faict plusieurs discours, et beaucoup de gageures, entre eulx, sur ce qui debvra advenir. Et cependant ceulx de la nouvelle relligyon ont envoyé, en Hambourg et Emdhem, fère provision d'armes et de poudre, et de monitions de guerre, et en cherchent de toutes partz, secrettement, en ce royaulme, pour envoyer à la Rochelle.

Les depputés qui vacquoient icy, pour le Roy d'Espaigne, sur les différends des Pays Bas, se sont condescendus presque à tout ce que les Angloix ont voulu, réservé à ung seul poinct, sur lequel eulx et les principaulx marchands de ceste ville sont allez trouver les seigneurs de ce conseil, à Bristo, qui les en mettront, ainsy que chascun pense, fort facillement d'accord.

L'on commance fort à doubter de la venue de l'armée d'Espaigne, s'entendant que celle du Turc va à Tuniz; et que desjà la sayson, pour venir par deçà, s'en va passer. Néantmoins Goaras dict qu'il luy est arryvé ung pacquet du Roy d'Espaigne, qui s'adresse à Péro Mélendès, pour le luy dellivrer, au premier port que l'ung de ses vaysseaulx abordera, en ce royaulme; par où il publie que l'armée estoit desjà partye. Et sur ce, etc.

Ce XVIIe jour d'aoust 1574.

214

CCCCIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour d'aoust 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Félicitation au roi sur son retour en France.—Demande par l'ambassadeur de son rappel.—Mémoire général. Détails de la négociation de don Bernardin de Mendoce.—Ses efforts pour renouer l'alliance de l'Angleterre et de l'Espagne.—Démarches de l'ambassadeur pour rompre ses projets.—Confidences de Leicester sur les offres qui lui avaient été faites par le roi d'Espagne lors de l'avènement d'Élisabeth.—Ses plaintes de l'abandon où le laisse la France.—Nécessité où il se trouve d'accepter les nouvelles offres des Espagnols.—Hésitation d'Élisabeth à se prononcer entre la France ou l'Espagne.—Vive recommandation de l'ambassadeur pour que la légation annoncée par Élisabeth soit bien reçue en France.

Au Roy.

Sire, sellon le debvoir et servitude que j'ay à Vostre Majesté, je la supplie très humblement avoyr agréable que je luy puisse, d'icy en hors, par le Sr de Vassal, avec la présente, très humblement bayser les mains, et me conjouyr, avec elle, ainsy de parolle et par escript, comme je le fay infinyement du profond de mon cueur, de son heureulx retour; sur lequel je fay ceste dévote prière à Dieu, que tout ainsy qu'il luy a pleu de le guider, et le rendre favorizé des plus souverains princes et potentatz de la terre et de toutz les peuples, où elle a passé, et le rendre encores non moins desiré de ses bons et naturels subjectz que leur propre vye, qu'ainsy sa divine providence vous vueille maintenant, Sire, introduyre en ung règne qui soit d'une continuelle félicité à Vostre Majesté, et d'ung bien assuré et perdurable repos à voz subjectz; et qu'il vous face aussy contant de la fidelle obéyssance qu'ilz vous doibvent, comme ilz vivront très heureulx soubz 215 vostre légitime et souverayne authorité. Il ne fault pas qu'on juge autrement des extrêmes difficultez que Vostre Majesté, par une grande magnanimité de cueur, en s'en venant, et la Royne, vostre mère, par une singullière prudence, eu vous attandant, avez, l'ung et l'autre, vertueusement surmontées, sinon que, par là, Dieu a déterminé, sellon le grand soing qu'il a tousjours eu de la couronne de France, de la restablir bientost en quelque meilleur estat et en plus d'esplandeur qu'on ne l'a veue de longtemps. Et Dieu vueille que, pour ce regard, Vostre Majesté me répute, en quelque endroict, digne de son service; car je n'ay, pour nulle aultre occasion qui soit au monde, plus cher le restant de mes jours que pour les dédyer toutz à très humblement vous en fère.

Je desire bien que les choses d'icy vous soient entièrement cognues, affin de prendre advis comme vous conduyre vers celles qui, en l'endroict de ceste princesse et de son royaulme, peulvent concerner le présent estat des vostres. Et s'il vous plaist, Sire, vous souvenir des termes, où l'on en estoit, quand partistes pour vostre royaulme de Pouloigne, sellon que, jusques allors, je vous en avoys tousjours rendu bon compte; et entendre, à ceste heure, de la Royne, vostre mère, ce que, depuis, du vivant encores du feu Roy, vostre frère, et, après qu'elle a esté Régente, je luy en ay ordinairement mandé, joinct l'ample instruction que, par le Sr de Vassal, présent porteur, je vous en envoye, et ce que luy mesmes, par qui j'ay souvent négocyé avec des principaulx de ce conseil vous en dira, il ne vous sera malaysé d'eslire, entre plusieurs expédients là dessus, celluy qui plus conviendra au bien de voz affères. Une chose vous supplyè je très humblement, Sire, de considérer: 216 qu'il y a ung grand nombre d'ans que nulle entrée de règne n'a esté si curieusement observée, en la Chrestienté, que sera la vostre, ny nuls actes de prince plus dilligemment remarqués que ceulx que vous y ferés; que tant plus, sur ce commancement, l'on les verra bien et sagement et sans précipitation conduictz au seul but du bien et utillité de vostre couronne, tant plus Vostre Majesté en demeurera redoubtée de ses voysins, et creincte et révérée de ses subjectz, et son authorité en prendra, avec sa grande réputation, ung très solide fondement pour tout le temps de son règne; bien qu'à dire vray rien n'est advenu, du passé, que ceulx icy ne monstrent desjà, comme je pense que feront ceulx des aultres courts, de le vouloir tirer en argument de l'advenir, sellon qu'ilz verront que les premiers déportements de Vostre Majesté procèderont.

J'ay commancé, par ma dépesche, du XXIIIe du passé, et continueray, par ceste cy, de suplier très humblement Vostre Majesté de m'octroyer tant de grâce qu'après une si longue résidance, de six ans continuels que j'ay esté en ceste charge, avec la ruyne de mes meilleurs ans, et de ma santé, et de mes affères; et avec la perte de ce peu de bien que j'avoys, qui tout m'a esté osté, et ung de mes frères meurtry, et troys aultres, pendant que j'ay esté icy, sont mortz; je puisse maintenant, pour mon souverain bien et pour ma meilleure consolation, aller voyr la face de Vostre Majesté; ayant la Royne, vostre mère, pour diverses occasions qui sont survenues en vostre service, tousjours différé, de temps en temps, de me retirer jusques à ceste heure, que j'espère que Dieu l'aura voulu ainsy, affin que j'aye tant plus d'heur d'estre rappellé et relevé de ma pouvreté, et récompensé de mon tant long et très fidelle service, par 217 la libéralle main de Vostre Majesté, ainsy que, de rechef, pour une singullière estreyne à cestuy sien très heureulx retour, très humblement, et au nom de Dieu, je l'en requiers. Et je supplieray le Créateur, etc.

Ce XXIVe jour d'aoust 1574.

MÉMOIRE PRINCIPAL,
baillé au Sr de Vassal de ce qui est expédiant que Leurs Majestez entendent de l'estat des choses d'Angleterre:

Que, au mois de juing dernier, le cappitaine Leython et le jeune Quillegreu rendirent fort mal satisfaicte la Royne d'Angleterre des choses de France, et firent que le comte de Lestre, qui avoit tousjours entretenu la dicte Dame en l'intelligence du Roy, et luy mesmes, qui s'estoit toujours montré partial françois, demeura encores plus offencé qu'elle, de ce qu'ils luy rapportèrent qu'on se deffioit grandement de luy et qu'on l'avoit bien fort suspect par delà.

De quoy s'estant les passionnés Protestants bien apperceus, et pareillement ceux qui portent, ici, le faict du Roy d'Espaigne, et se voullants, les uns et les autres, servir de l'occasion, ceux ici firent incontinent sçavoir au grand commandeur de Castille, qu'il estoit temps qu'il envoyât par deçà un personnage de qualité, pour renouveller l'amitié avec cette princesse, et avec ce royaulme; et que, si le Roy, son Maistre, y avoit tant d'affection, comme il en faisoit le semblant, qu'il y trouveroit, à ceste heure, de la facilité et disposition fort bonne. Dont, soubdain, il print espédiant d'y envoyer don Bernardin de Mendossa; mais, pour monstrer que l'occasion de sa légation n'estoit soubdaine, ains qu'elle provenoit de plus loing, il fit courir le bruict que, de certains blancs qu'il avoit rempli à cest effaict, c'estoient des lettres bien fresches du Roy, son Maistre, qui enfin luy estoient venues par la voye de Gènes, après que plusieurs aultres siens pacquets avoient esté volés, en France, par ceux de la nouvelle religion; et advertit ceux de son parti, ici, qu'ils commenceassent d'ainsi le publier.

Lesquels ne faillirent pas de faire bien honneste cette nouvelle, comme très oportune, sur le doubte où l'on estoit de l'armée d'Espaigne, et se mirent à pratiquer des personnes plus principalles, hommes, et femmes de ceste cour, et proposer tout ouvertement, et 218 avec grande expression, dans ce conseil, les choses que s'ensuivent, ainsi que le Sr de La Mothe Fénélon en a esté seurement adverti:

Que l'intelligence du Roy d'Espaigne estoit nécessaire et de très grande utilité à l'Angleterre, considéré que le commerce et la navigation des Anglois, qui estoient les deux choses sur lesquelles se maintenoit principallement l'estat de ceste couronne, estoient si meslées et fondées avec l'Espaigne et Flandres, et pareillement celles des Espagnols et Flamans avecque l'Angleterre, qu'il n'estoit pas possible que les uns se pussent passer des aultres, ainsi que la preuve du suspens et intermission du traffiq, où ils en avoient esté, ces quatre ou cinq ans derniers, avoit faict sentir, de chasque costé, que les inconvénients en venoient si grands que les pays s'en estoient plusieurs fois cuidés rebeller;

Et qu'on n'avoit jamais peu bien establir le commerce en ce royaulme de France, fust pour incompatibilité des deux nations, ou par faulte qu'il n'y eust de bons ports par delà, ou que les subsides y feussent trop grands, et les charrois trop chers et difficilles, et les chemins mal seurs: ou qu'on n'y trouvât à y faire la descharge, ni à charger ce qui faisoit besoin par deçà: ou bien d'aultres désordres et manquements de la police et de la justice du royaulme; de sorte qu'ils jugeoient n'y avoir propos ni apparence qu'ils deussent laisser leurs anciens entrecours, lesquels estoient faciles et aisés, pour en commencer des nouveaux qui n'avoient nulle aisance ni facilité;

Qu'il ne s'estoit veu, ni ne se voyoit rien au Roy d'Espaigne, pour quoy la Royne, leur Mestresse, deubt rejetter son amitié ny luy dénier la sienne, puisqu'il la venoit rechercher; car il s'estoit tousjours monstré prince véritable et certain, plain de grande modération, et d'intégrité, qui n'avoit poinct meu de guerres injustes, ni qui ne feussent nécessaires; et n'avoit usé, en icelles, ni fraude, ni mauvaise foy, ni exercé aulcuns actes cruelz qui feussent hors du debvoir de la guerre, ni contre les termes de la justice;

Qu'il s'estoit monstré si modéré qu'il n'avoit poinct refusé, pour la diversité de religion, de confirmer les anciens traictés avecques la Royne, leur Mestresse; et que, tant qu'elle avoit esté de bonne intelligence avecques luy, il avoit bien gardé que le Pape ni le concille n'avoient rien meu contre elle; qu'elle n'avoit poinct de particuliers ennemis auprès de luy, pour l'inciter à la fascher: et si le duc d'Alve l'avoit d'aultrefois esté, il falloit considérer qu'il en avoit esté aulcunement provoqué; et néantmoins son Maistre ne l'en avoit pas despuys advoué, et le tenoit encores, à cause de cella, assez recullé de luy;

219 Que les précédents Roys, prédécesseurs de ceste couronne, avoient assez cognu que leurs affaires s'estoient tousjours très bien portés avec l'intelligence d'Espaigne, et non seullement ils en avoient maintenu leur estat en grande seurté, et enrichi leurs subjects, mais avoient exécuté, avec cet appuy, de grandes entreprinses ailleurs, et s'estoient rendus formidables à leurs ennemis; et qu'en effaict, de tous les aultres voysins, ils n'avoient jamais guières senti que mal, dommage et ennuy, et de cestuy ci toujours beaucoup de bien, faveur et support; et estoient pour en sentir plus que jamais, et pour estre bien secourus de luy, à leur besoin, là où les aultres estoient si ruinés et si empeschés, qu'ils ne se pouvoient secourir eux mesmes;

Et que, si l'on venoit à l'occasion des derniers différents d'entre la Royne, leur Mestresse, et le dict Roy d'Espaigne, l'on trouveroit que c'estoit luy qui avoit à se plaindre; car il estoit l'offencé, et ses subjects avoient esté beaucoup plus pillez que les Anglois. Dont, puisque l'opportunité s'y offroit très bonne, de pouvoir esteindre maintenant ceste injure avec un tel prince, leur ancien ami et confédéré, et avecques ses dicts subjects, qu'ils ne la debvoient nullement laisser passer; et que eulx osoient bien respondre, sur leur vie, que, si la Royne, leur Mestresse, voulloit bien user vers luy, qu'elle ne sentiroit, par mer ni par terre, ny en nul endroit de ses pays, ni en chose qui appartienne à sa grandeur et couronne, ni en l'estat de sa relligion, aulcun empeschement, dommage ny desplaisir, de tout le temps de sa vie.

A laquelle opinion un chascung monstra non seullement de consentir, mais d'y apporter quelque bonne parolle de confirmation; dont feut délibéré que le dict don Bernardin seroit bien et honnorablement receu, et seroit respondu avec toute faveur.

D'autre costé, les principaux supposts de la nouvelle religion se assemblèrent, plusieurs foys, en conseil, et appellèrent souvant Villiers Calvart, et aultres ministres, et pareillement les agents des princes protestants et de la Rochelle; pour adviser, avec eux, de ce qui estoit à faire, après la mort du feu Roy, et en l'absance de cestuy ci. Et puis allèrent ressusciter, plus vifves que jamais, leurs poursuittes en ceste cour: où ils feurent mieux ouis qu'ils ne l'avoient encores esté, depuis ces nouveaux troubles: et feurent assistés des mesmes partisans d'Espaigne, soubs l'odeur de l'accord qui se menoit entre le grand commandeur de Castille et le prince d'Orange; et, bien qu'ils ne rapportassent pour lors l'espécialle promesse, qu'ils 220 demandoient de la dicte Dame, d'estre assistés de somme désignée de deniers, et de nombre certain d'hommes et de vaisseaux, et de la faire entrer en ligue ouverte avec les princes protestantz, si eurent ilz beaucoup de bonnes parolles, et firent tant qu'elle retourna souvent à la délibération d'armer: et que un Orné, anglois, et un Labrosse, françois, feurent dépeschés en Allemagne, et qu'on fît au dict sieur de La Mothe Fénélon ceste déclaration qu'il a mandée touchant les déprédations; et obtîndrent aussy que, sellon qu'on verroit la disposition du temps et des choses le requérir, ils seroient, de jour en jour, mieux respondus et satisfaictz.

De toutes lesquelles délibérations estant, le dict ambassadeur adverti, et craignant que la dicte Dame et les siens, non seulement se bandassent, mais qu'ils s'efforceassent aussy de bander, avec eulx, ceux de leur intelligence contre le Roy, il envoya soubdain devers milord trésorier et le comte de Lestre, et Mr de Walsingham, pour les reschaufer à la ligue de France; et leur en fist représenter les utilités, et la grande seurté qui en viendroit à tout ce royaulme. A quoy les deux respondirent aulcunes parolles indifférantes, sans se voulloir ouvrir de rien.

Mais le comte de Lestre, avec lequel feut besoing d'estreindre un peu plus la négociation, parce qu'avecques luy plus qu'avec nul aultre ces supposts protestants et les partisans d'Espaigne s'efforçoient d'entrer en estroicte pratique, manda franchement à ce dict ambassadeur qu'il avoit le cœur oultré de despit et de regret, de ce qu'après avoir tant travaillé et tant despandu, comme il avoit faict, pour avancer en ce royaulme l'intelligence de France, il y avoit faict entrer la Royne, sa Mestresse, et tout son conseil, il se trouvoit maintenant de n'estre, en nulle part de la Chrestienté, tant haï ni tenu pour suspect, que là; et que, quand il se souvenoit qu'il s'estoit extrêmement formalisé pour la dicte couronne, au préjudice des aultres alliances, et d'Espaigne et d'Allemaigne, et de sa propre relligion; et qu'il n'estoit nulle sorte de bons et bien rellevez offices qu'il n'eût faict pour icelle, trop plus ouvertement que nul aultre estranger du monde ne l'eût osé entreprendre, espérant d'y trouver du refuge à son besoin, il ne pouvoit dire sinon que la France se portoit par trop ingratement vers luy; mais que, pour cella, il ne lairoit de conseiller à sa Mestresse de garder bien l'amitié au Roy, quand il viendroit en son rang d'en parler, ayant tousjour jugé que c'estoit le bien d'elle et de ses subjects, car aultrement il n'y eût eu tant d'affection; et ne falloit doubter que si le Roy la demandoit, et 221 qu'il requist, de bonne sorte, la confirmation de la ligue; qu'il ne l'obtînt: mais qu'il craindroit par trop de s'en rendre désormais plus solliciteur, ni instiguant, comme il avoit faict, s'il ne voyoit bien procéder de meilleurs effaicts de delà.

Comme aussy, il se délibéroit de conseiller, de mesmes, l'amitié d'Espaigne, puisqu'il estoit si humainement recerché de ne s'y opposer plus, et qu'à dire vray le Roy d'Espaigne ne luy avoit jamais donné occasion que de luy estre fort serviteur: car, quand il estoit entré en ce royaulme, il avoit tiré luy et ses deux frères de prison, et leur avoit faict rendre l'héritage de leur père, qui estoit confisqué; et quand l'armée d'Angleterre avoit esté à Sainct Quentin, soubz le comte de Pembrok, il luy avoit faict tenir le second lieu, et commander à l'artillerie; et puis, au retour, il n'avoit poinct escript, pour nul aultre, plus favorablement que pour luy, à la Royne Marie, sa femme; dont son premier avancement en estoit venu.

Et, après la mort de la dicte Royne, il avoit à luy et non à pas un plus de ceste cour, escript de sa main, par le comte de Férie; et luy avoit offert une pension de quatre mille escuz, prévoyant bien qu'il estoit pour tenir quelque lieu d'authorité en ce royaulme, laquelle pension il avoit reffusée, bien que d'aultres en avoient accepté. Et depuis, par l'évesque d'Aquila, il luy avoit faict mestre en avant de s'ayder de luy pour espouser la Royne, sa Mestresse: et que, indubitablement, il luy conduiroit l'effaict de ses nopces au poinct qu'il le pourroit desirer, à ses propres despans, avec le concours de tous les amis qu'il avoit en ce royaulme, et avec la faveur des princes estrangers, jusques à luy offrir le consentement et l'authorisation du Pape; et que, mesmes, s'il voulloit incliner à la réduction de la religion catholique, que le Pape luy octroyeroit un chapeau de cardinal pour son frère, et d'establir luy et sa race, pour jamais, en ceste couronne, qui avoit esté un poinct de ce dernier qui l'avoit faict retirer de la praticque du dict d'Aquila; mais il ne laissoit pourtant d'en avoir grande obligation à son Maistre;

Que, pour lors, il avoit eu plus d'inclination à la France, et trop meilleur opinion des François que des Espaignols, ce qui l'avoit, assez tost après, faict déclarer ouvertement pour le Roy, jusques à avoir accepté, pour très grand honneur et faveur, son ordre: dont le Roy d'Espaigne avoit commencé de désespérer des choses de ce royaulme; mais qu'à présent la preuve du temps et des personnes luy faisoit voir, et à tout ce royaulme, que l'alliance d'un tel prince 222 n'estoit nullement à rejetter, et mesmes qu'il se conduisoit si bien vers eux, qu'ilz ne sçavoient desirer rien de mieux de luy; car, de tous les traictés, entrecours, et trafiqs de ses païs il offroit cella mesmes aux Anglois que ses prédécesseurs leur avoient, de tout temps, concédé, sans diminution quelconque; et encores avec des privilèges davantage, s'ils en demandoient; et, pour le regard des prinses, et aultres différants, d'en fère entièrement comme ils voudroient; touchant à son armée de mer et à ses forces, qu'elles seroient pour servir et non pour nuire, en façon que ce feust, à leur Mestresse, ny à son royaulme; et que, mesmes, le dict comte entendoit que don Bernardin avoit charge d'offrir parti à la dicte Dame, ne voullant poinct dissimuler au dict de La Mothe Fénélon, que indubitablement il seroit bien venu en ceste cour.

Là dessus, il vint bien à propos au dict Sr de La Mothe Fénélon qu'il eût à demander audience, laquelle il n'obtint pas pourtant, sans que les partisants d'Espaigne débatissent assez qu'elle debvoit estre premièrement octroyée au susdict don Bernardin, lequel la demandoit en mesmes temps, par ce, disoient ils, qu'il venoit de loing. Néantmoins le dict de La Mothe Fénélon luy feust préféré, et mit peyne, avec une lettre du Roy, du XVe de juin, de Cracovia, et une aultre que la Royne, sa mère, escripvoit, de sa main, à ceste princesse, de la remestre en quelque bien bonne disposition vers eux; et ne cogneut le dict Sr de La Mothe Fénélon qu'elle se réservât que une seule chose: c'est que, si Leurs Majestez Très Chrestiennes se voulloient tant laisser posséder aux princes estrangers, ou bien à ceux des leurs, lesquels elle ne pouvoit avoir sinon fort suspects, se souvenant qu'ils avoient peu interrompre le mariage d'entre le Roy et elle, et qu'ils voulleussent tant deppendre de leurs advis et persuasions, qu'elle ne peût rien establir avec Leurs majestez mesmes, sans danger d'estre bientost renversée par les aultres, qu'indubitablement elle ne sçauroit se commettre à leur amitié. Sur laquelle audience le dict ambassadeur fit une bien ample dépesche à Leurs Majestez Très Chrestiennes, du XXIIIe du passé.

Le jour ensuivant, le dict don Bernardin fust ainsi bien honnorablement receu, et bien ouï et festoyé, et puis favorablement licencié, comme le dict de La Mothe Fénélon l'a despuis mandé. Et oultre les particullarités, qu'il a desjà escriptes, de sa négociation, il a entendu, despuis, que celle, qu'il avoit faicte, en privé, avoit esté de dire à la dicte Dame que, puisqu'elle monstroit de se voulloir marier, le Roy, son Maistre, luy voulloit bien offrir un party très honnorable, 223 et lequel il espéroit que seroit à son contentement, premièrement de son frère, don Joan, lequel il ne tenoit en aultre rang que de frère germain et utérin, estant fils du grand Empereur Charles cinquiesme, et prince, de soy mesmes, d'une telle vertu et singullière valleur, et de telle perfection de nature, que nul aultre prince se pouvoit justement préférer à luy, ou bien le prince Ernest, segond fils de l'Empereur, prince excellent et rare, entre tous ceux de la Chrestienté; et avec l'ung ou l'aultre luy faire des avantages trop meilleurs et plus grands qu'elle n'en sçauroit avoir de nul aultre party.

Or, n'a pu encores bien au vray sçavoir le dict de La Mothe Fénélon quelle responce il a emportée; mais on l'a bien adverti que ceux de ce conseil avoient plus pressé, que onques ils n'avoient faict auparavant, la dicte Dame de se marier, sans toutesfois l'adstreindre à un party plus qu'à un aultre, mais d'en prendre quelqu'un qui luy peût plaire; et qu'elle leur avoit monstré de n'en estre pas esloignée; et qu'il sembloit que ses deux principaux conseillers inclinoient toujours plus à Monseigneur le Duc, puisque le propos en estoit si avant, que à tout aultre, pourveu que les choses, qu'on luy avoit mises sus, n'y donnassent d'empeschement, bien que je jugeois que, de ce costé, ni de l'aultre, on ne se debvoit plus attendre à ceste poursuitte.

Néantmoins le dict don Bernardin manda au dict de la Mothe Fénélon, après pleusieurs honnestes parolles de merciement, sur une visitte qu'il luy envoya faire par le Sr de Vassal, qu'il l'excusât, s'il ne le pouvoit venir voir, parce qu'il estoit pressé de son retour devers le grand commandeur, et qu'il ne sçavoit s'il avoit à passer incontinent devers le Roy, son Maistre, sur certain incident de la présente légation.

Cestuy ci ne feust plus tost party, que les Protestants et les ministres retournèrent, en cour, renouveller leurs premières instances, et en mectre encores d'aultres en avant, de ce qu'ils estimoient estre besoin de pourvoir, à l'arrivée du Roy.

Sur quoy, le dict de La Mothe Fénélon, pour ne laisser aller les choses ni à leur poursuitte, ni à celle que le dict don Bernardin avoit faicte; il envoya incontinent le Sr de Vassal à la cour, parce que luy mesmes n'avoit argument assez propre d'y aller: et luy bailla des lettres au comte de Lestre et à Mr de Walsingam, pour avoir moyen, en négotiant avec eux, de leur faire bien gouster les choses qui estoient pour le service du Roy, et les divertir de l'opinion des aultres, qui pouvoient estre au contraire, et approfondir s'il y en avoit quelqu'une 224 mauvaise, qui eût desjà passé en délibération. Dont il receuillit de leurs propos assez de quoy prendre une grande conjecture de l'intention de leur Mestresse, et de la résolution de son conseil; ainsi qu'il plairra à Leurs Majestez l'entendre de luy mesmes.

Lesquelles, possible, fairont le mesme jugement que faict le dict de La Mothe Fénélon: c'est que, ne pouvant la Royne d'Angleterre s'asseurer assez de quelle vollonté sera le Roy vers elle, et se deffiant beaucoup de celle du Roy d'Espaigne, elle et son dict conseil demeurent en suspens; et tiennent, pour ceste occasion, suspendues leurs délibérations, donnant entendre aux Protestants qu'il n'est encore temps qu'elle se déclare, ni qu'elle attente rien contre les termes de la ligue qu'elle a avec le Roy, jusques à ce qu'elle voye comme il se déportera à son arrivée: et entretiennent ceux du party de Bourgoigne d'une espérance, d'envoyer bientost un gentilhomme devers le Roy Catholique, estant le jeune Coban desjà nommé pour cest effaict; et néantmoins que ces expresses démonstrations, qu'elle faict vers le dict Roy d'Espaigne et vers les dicts partisants, sont plus pour mettre le Roy en jalousie, que non qu'elle soit encores bien déterminée vers eux; vray est que d'autant, que les choses se pourroient bien disjoindre d'avecques le Roy, pour se réunir à l'un ou à l'aultre des aultres partis, ou aux deux ensemble, parce que tous deux sont fort appuyés et authorisés en ceste cour, il sera bon d'y pourvoir de bonne heure.

Et le moyen plus aisé, en cella, semble estre que le Roy, à cestuy sien advennement, veuille bien et favorablement recevoir la légation, qui luy sera faicte de la part de ceste princesse, et qu'il luy en dépesche bientost une aultre bien honnorable, s'ouvrans, de chasque costé, à parler franchement entre eux, sans plus de deffience, et sans essayer de se convaincre l'un l'aultre sur ce qui a desjà passé, ains s'en donner toute la mutuelle satisfaction qu'ils pourront; et que le Roy face déclarer à la dicte Dame qu'il veut succéder à la ligue du feu Roy, son frère, avec elle, et qu'il en requiert la confirmation; et qu'au reste il face toute démonstration de voulloir establir si bien, et à conditions si raisonnables, la paix en son royaulme, que les eslevés soient convaincus de manifeste rébellion s'ils ne l'acceptent.

225

CCCCIIe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour d'aoust 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Voyage de la reine-mère pour aller recevoir le roi.—État des affaires en France.—Annonce d'une audience.—Nouvelles d'Écosse.

A la Royne, Régente

Madame, premier que de parachever ma dépesche, par le Sr de Vassal, lequel vous est allé trouver, le XXIIIIe de ce moys, Grougnet, mon secrétaire, estoit desjà arryvé, avec celle de Vostre Majesté, du VIIIe auparavant. Et je m'en vay, tout à ceste heure, trouver la Royne d'Angleterre, à cent mille d'icy, pour luy dire vostre partement pour Lyon, où espérés rencontrer le Roy, vostre filz; et que, pour fère meilleure dilligence, vous avez layssé la Royne, vostre belle fille, à Paris, ayant seulement admené Monseigneur, et le Roy et la Royne de Navarre, voz enfans, avecques vous. Et luy toucheray les aultres poinctz de voz troys ou quatre dernières dépesches, espéciallement l'espérance qu'avez de la paix, et comme il ne tiendra à Voz deux Majestés Très Chrestiennes qu'elle ne succède bonne et seure, et de longue durée, en vostre royaulme; pareillement de la venue des ambassadeurs des princes d'Allemaigue, et des depputez de ceulx de la nouvelle relligyon qui sont allez au devant du Roy; aussy des deux levées de reytres et suysses, pour pouvoir, avec plus d'authorité, conclure la dicte paix, ou bien réprimer, par force, l'élévation de voz subjectz; et puis du bon ordre qu'avez layssé à Paris, pour la police, et pour, entre 226 aultres choses, administrer, bien et promptement, par le grand commandeur de Champaigne et le chancellier de Navarre, qui sont deux personnages fort notables du conseil privé du Roy, la justice aulx Angloix, sur les pleinctes que je vous ay dernièrement envoyées. Et mettray peyne que, de tout ce qui se pourra tirer de voz dictes dépesches, rien n'en soit obmis, qui puisse apporter de la satisfaction à la dicte Dame, et luy fère bien espérer de vostre intention, et luy disposer bien la sienne vers Voz Majestez Très Chrestiennes.

En quoy je sentz bien, Madame, qu'il me vient de grandes traverses, du costé des Protestantz, parce qu'ilz ont très suspect le passage que le Roy a faict par l'Italye, et craignent qu'il y ait esté conseillé, ou que, mesmes, on l'ayt expressément obligé, de promesse, avant qu'il en soit sorty, qu'il poursuyvra, à oultrance, ce qu'avant estre Roy, il avoit desjà commancé: d'exterminer ceulx de la nouvelle relligion. Et non moins me traversent les partisans de Bourgoigne, lesquels, jaloux du mesmes passage, allèguent à ceste princesse qu'il ne luy peult venir ny proufit, ny secours, de continuer la ligue avec le Roy, parce que, disent ilz, qu'il est si empesché qu'il ne se sçauroit ayder, ny secourir, soy mesmes; et que, s'il se veult tirer d'empeschement, il n'en a nul moyen sinon en cherchant de le fère d'une façon qui seroit plus suspecte à ce royaume que s'il demeuroit bien empesché: et pressent tousjours la dicte Dame d'envoyer une honneste ambassade vers le Roy d'Espaigne.

Néantmoins je viens d'estre adverty qu'elle a desir que je l'aille trouver, affin d'avoyr de quoy donner, aulx ungs et aulx aultres, des bonnes parolles, de celles qu'elle entendra 227 de moy, et de celles qu'elle leur pourra adapter, pour les entretenir en quelque espérance, sans qu'ilz la pressent, à ceste heure, par trop; et aussy qu'à dire vray, elle se tient assez doubteuse de quelle intention le Roy sera vers elle, et ne se peult garder qu'elle n'ayt aulcunement suspectes les forces qu'il assemble; de tant mesmement que, oultre que, de la part des eslevez de France, et des partisans d'Espaigne, l'on use de toutz les artifices qu'on peult pour luy en donner peur.

Le comte de Morthon luy a, d'abondant, escript qu'il a descouvert, au quartier du North d'Escosse, où il est de présent, qu'il y a dellibération, en France, de fère bientost une descente par dellà; mais je m'esforceray de luy oster ces impressions, et de luy persuader qu'elle veuille, du premier jour, envoyer saluer le Roy, vostre filz, et visiter Vostre Majesté, par ung personnage d'authorité, et ne mouvoir rien cepandant jusques à son retour; comme, pour le présent, Madame, je ne descouvre aultre chose de nouveau par deçà, sinon que dix ou douze cappitaynes et soldatz, françoys, qui sont encores icy, s'apprestent pour passer à la Rochelle, estant bruict, parmy eulx, que le Roy, vostre filz, prétend d'addresser son premier exploict, de ceste année, contre ceste ville. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour d'aoust 1574.

Depuis ce dessus, ung de mes amys m'a adverty que Me Quillegreu, qui est en Escosse, a escript à ceste princesse qu'il est en grande espérance d'avoyr bientost ce qu'il a tant pourchassé; et que le dict amy souspeçonne que c'est la personne du Prince d'Escosse; et qu'il a opinyon que milord Housdon n'est allé, ces jours passez, à Barvic, que pour ceste occasion. Il vous plerra, Madame, adviser, avec ceulx de voz affectionnés serviteurs, escoussoys, qui sont en France, le moyen d'y pourvoir, et envoyer promptement sur le lieu 228 pour cest effect. Qui, de mon costé, feray bien, d'icy en hors, tout, ce que je pourray; mais je ne voy pas comme, ny à qui, m'en pouvoir bien addresser en Escosse pour y mettre empeschement; et mesmes qu'on me veult fère souspeçonner que cella ne se conduyra sinon avec l'intelligence d'Espaigne.

CCCCIIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de septembre 1574—

(Envoyée jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Félicitations d'Élisabeth sur le retour du roi.—Mémoire. Détails de l'audience.—État des choses en France.—Déclaration qu'une armée est réunie par le roi pour forcer les protestans à faire la paix.—Protestations d'amitié d'Élisabeth.—Sa déclaration qu'elle doit considérer le projet de mariage comme rompu.—Conseil qu'elle donne au roi d'éviter la guerre.—Arrivée à Londres de Mr de Méru.—Sa conférence avec l'ambassadeur.—Sollicitation de Mr de Méru en faveur de Mr de Montmorenci, son frère.

Au Roy.

Sire, estant allé trouver la Royne d'Angleterre, à soixante dix milles d'icy, pour traicter avec elle du contenu ez quatre dernières dépesches, que j'ay receues de la Royne, vostre mère, elle m'a incontinent, devant toutes aultres choses, fort curieusement demandé si j'avoys nouvelles que Vostre Majesté fût arryvée en France, et qu'est ce que j'entendoys de vostre bon portement et santé, car on faysoit courir le bruict que vous estiés bien fort malade en Italye.

Je luy ay respondu que la Royne, vostre mère, m'avoit escript, du VIIIe d'aoust, qu'elle espéroit bien arryver, sur la fin du moys, à Lyon, et qu'ung gentilhomme, que Vostre Majesté avoit dépesché vers elle, vous avoit layssé sur le Pô, qui veniés, par eau, jusques à Casal de Montferrat, 229 bien sain et gaillard, et bien fort contant du grand recueil, et des suprêmes honneurs, qu'on vous avoit faict par toutz les lieux où aviés passé. De quoy elle a monstré d'estre bien fort ayse; et sommes entrés en plusieurs honnestes devis de vostre partement de Pouloigne, et de vostre long voyage.

Et m'a dict qu'elle regrettoit que son royaulme ne fût en quelque climat, où vous eussiés eu à passer, car se fût mise en debvoir de vous y fère toutes les sortes d'honneurs et de bonne chère qu'elle eût peu, et, possible, que l'Empereur ny la Seigneurie de Venize ne l'eussent, de guyères, surmontée; et que de cella estimoit elle son païs moins heureulx que vous n'en aviés approché, ny à l'aller, ny au retour, et qu'il n'estoit en endroict où peussiés jamays addresser vostre chemin. Et m'a fort prié, Sire, de vous présenter, et à la Royne, Vostre mère, ses très cordialles recommandations, et vous assurer que, sellon qu'elle pourra cognoistre qu'aurés bonne intention vers elle, qu'elle se disposera de nourrir une bien confidente amityé avecques vous deux. Et remettant, Sire, de vous escripre plus amplement par mes premières, estant le mémoire, que j'envoie à la Royne, très ample sur tout ce qui présentement occourt par deçà, je n'adjouxteray rien plus, icy, sinon une très dévote prière à Dieu, etc.

Ce Xe jour de septembre 1574.

MÉMOIRE A LA ROYNE.

Madame, m'ayant la Royne d'Angleterre donné toute la commodicté que j'ay desiré de pouvoir, à loysir, traicter avec elle en la mayson du comte de Pembrok, près de Salsbury, en une chasse où elle a voulu que je l'aye accompaignée; après que je luy ay eu faict le plus honnorable mercyement, qu'il m'a esté possible, pour l'exèque du 230 feu Roy, vostre filz, qu'elle avoit faicte cellébrer à Londres, je luy ay touché, sellon l'ordre de voz quatre dépesches, du XXIIIe et XXVIIe de juillet, et Ve et VIIIe d'aoust, toutz les poinctz qu'elles contiennent; et mesmement de la condoléance que son ambassadeur vous avoit faicte de la mort du dict feu Roy, vostre filz, et de l'excuse, dont il vous avoit uzé, sur ce qu'elle ne vous avoit poinct dépesché de gentilhomme, exprès pour cella:

Qui estoit, sellon son dire, pour ne vous augmenter davantage voz souspeçons, et qu'elle s'attendoit de fère, de tout ung, quand le Roy, vostre filz, seroit arryvé, lequel elle envoyeroit saluer, et envoyeroit pareillement visiter Vostre Majesté par ung personnage d'authorité, qui vous signiffieroit, à toutz deux, le desir qu'elle avoit de confirmer avecques luy l'amityé commancée avec le feu Roy, son frère, et estre assurée de la sienne; et de voyr qu'il fît bien administrer en son royaulme la justice aulx Angloys: qui estoient, en substance, les principaulx poinctz que son dict ambassadeur vous avoit lors déduictz;

Et que Vostre Majesté l'avoit prié de la remercyer infinyement de la condoléance, et luy escripre hardiment que le personnage d'honneur, qu'elle eût envoyé pour la fère, n'eût pas augmanté, ains eût plustost dimynué vostre souspeçon; car estimiés qu'elle luy eût commandé, voyant ce que luy en aviés escript, de vostre main, de régler si bien les gens du dict ambassadeur qu'on ne les eût plus trouvés à vous en donner d'occasion; et que, de nouveau, vous vous estiés plaincte à luy de ce que, depuis le partement de son secrettère, son aultre serviteur, Jacomo, italyen, s'estoit esforcé de ressusciter, avec le Bastard de Bourbon, et avec une des dames de la Princesse de Navarre, les mesmes praticques qui avoient engendré les dictes souspeçons; de quoy vous ne pouviés rester sinon malcontante;

Mais, quand à l'amityé du Roy, vostre filz, qu'il lui escripvît, d'assurance, que Vostre Majesté luy seroit caution qu'il la luy continueroit, aussy longuement qu'avoit faict le feu Roy, son frère, c'estoit jusques à la mort, si elle ne l'interrompoit, de son costé; et que Vostre Majesté ne voyoit chose plus convenable, pour la rendre perpétuelle, et pour déchasser toutes souspeçons d'entre vous, que de parachever le bon propos de Monseigneur le Duc, vostre filz;

Que, touchant fère justice aulx Angloix, qu'il estoit très nécessayre qu'on l'administrât, bonne et prompte, aulx mutuels subjectz, en l'ung et l'aultre royaulme.

231 Et là dessus je luy ay discouru l'ordre, que vous y aviés desjà mis, pour les siens, en France, et qu'elle voulût ordonner le semblable pour les Françoys, en Angleterre; et que Vostre Majesté avoit donné une bien prompte provision, par lettres patantes, à ses dicts subjectz, et, encores, pour l'amour d'eux à d'aultres, estrangers, pour avoir l'entrée et l'yssue libres par dellà, aussytost que aviez entendu que Mr de La Meilleraye leur y avoit mis de l'empeschement.

Puis ay suivy à luy parler des ambassadeurs des princes protestantz, qui sont allez trouver le Roy, vostre filz, et des levées de reytres et de suysses, et aultres forces, que faysiés acheminer vers luy à Lyon, desquelles vous desiriés bien fort que la dicte Dame ne se voulût donner aulcune souspeçon; car estoient pour la servir, plus que pour luy nuyre; et que Voz Majestez prétendoient, par là, de fère la paix, avec authorité, ou bien terminer bientost la guerre, par la force; et qu'il ne tiendroit au Roy, vostre filz, ny à Vous, que la dicte paix ne s'en suivît, à condicions si bonnes et si seures, pour voz subjectz, que toutz les princes chrestiens les auroient à tenir pour manifestes rebelles, s'ilz ne s'en contantoient. Dont, en ce cas, vous la vouliés bien prier de se porter en bonne amye, et en confédérée bonne seur, vers le Roy, vostre filz, contre eulx.

La dicte Dame, devant toutes choses, ayant prins, sur le mercyement de l'exèque, et sur l'office de la condoléance, un argument de dire plusieurs choses à la louenge du feu Roy, et du tort qu'elle se feroit, si elle n'en honnoroit la mémoyre, m'a, au reste, respondu, qu'elle vous avoit amplement escript de sa main tout ce qu'elle avoit eu sur le cueur, touchant les particullaritez qu'elle avoit veues dans voz dernières lettres, et touchant aulcunes aultres; lesquelles elle vous prioit bien fort de les prendre, et de les fère prendre, de très bonne part, au Roy, vostre filz, sellon qu'elles procédoient d'une grande franchise, qu'elle desiroit estre uzée entre vous; et vous ouvrir clèrement son estomac, affin de nourrir une plus parfaicte et plus pure amityé, avec Voz Majestez, si, d'avanture, vous ne vouliés mespriser la sienne; et qu'il seroit en vostre main de pouvoir aussy seurement respondre au Roy, vostre filz, pour elle, comme il vous playsoit d'estre respondante à elle, pour luy; car, indubitablement, vous, et luy, jouyriés de ce qu'elle avoit de moyen et de pouvoir, et aultant qu'il y en avoit en sa couronne, pour voz commodictés, si luy donniés bien à cognoistre qu'elle se peût confier à Voz Majestez; et qu'elle ne 232 se souvenoit plus de la petite querelle qu'elle avoit eue avec le Duc d'Anjou, et n'en vouloit avoir nulle avec le Roy de France, ains luy ayder, en ce qu'elle pourroit, à establir sa grandeur et accomoder ses affères;

Et, quant à parachever le propos de Monseigneur le Duc, qu'elle estimoit que c'estoit une chose du tout délayssée, laquelle auroit besoing d'ung esclarcissement de beaucoup de faictz d'autruy, là où il luy suffisoit assez qu'elle peût bien respondre des siens; qu'elle estoit infinyement marrye de la fascherye que l'italien Jacomo vous avoit donnée, lequel Vostre Majesté pouvoit fère bien chastier, si elle vouloit, car c'estoit sans qu'elle le sceût, et contre son vouloir, qu'il faysoit ces meschantes praticques; et qu'elle commançoit d'avoyr cest homme là pour suspect, et pour ung qui trahissoit son maistre; et, que je serois trop esbahy d'entendre ce qu'elle avoit commancé de descouvrir, depuis ma dernière audience, comme bon nombre de ducatz avoient couru, en ceste menée, pour vous mettre l'une et l'aultre en peyne, et en mauvais mesnage, toutes deux; que d'administrer justice, en France, à ses subjectz, c'estoit ce, de quoy elle vous vouloit infinyement requérir, parce que ses dicts subjectz commançoient desjà d'uzer de parolles arrogantes contre elle, et contre ceulx de son conseil, de ce qu'elle ne prenoit aultrement à cueur leurs injures, pour leur en faire avoyr leur réparation et revenche; et qu'indubitablement c'estoit la chose qui pouvoit plustost admener une ropture entre vous, s'il n'y estoit bien remédyé;

Qu'elle avoit grand playsir que les princes d'Allemaigne eussent desjà envoyé devers le Roy, vostre filz, ainsy qu'elle avoit aussy desjà faict élection d'ung de ses milords, pour le luy dépescher, incontinent qu'elle entendroit son arryvée à Lyon; et qu'il ne falloit doubter que toutz les Protestantz n'eussent assez suspect son passage, qu'il avoit faict par l'Italie; et que, s'ilz voyoient maintenant qu'il poursuivît ses subjects, qui sont de leur religyon, par les armes, qu'ilz ne jugeassent incontinent que les mesmes armes s'adresseroient à eulx, aussytost qu'il auroit faict en son royaulme; dont ilz pourvoyroient, de bonne heure, à leurs affères;

Et, si elle n'estoit pas trop ignorante des affères du monde, elle pronosticquoit une plus obstinée et plus dangereuse guerre en France, que n'avoient esté toutes les précédentes, si le Roy et Vous, Madame, n'embrassiés la paix; ce qui luy faysoit grandement louer la dellibération qu'aviés prinse, qu'il ne tiendroit ny à luy, ny à 233 Vostre Majesté, qu'elle ne se fît; et que, pour ce regard, approuvoit elle bien fort les levées des estrangers et les forces du royaulme, que faysiés acheminer au devant de luy, à Lyon, affin qu'elles luy peussent servir de meilleur moyen et de plus d'authorité en cella; desquelles forces, pour ceste occasion, elle ne se donnoit poinct de peur, ny n'en prenoit aulcune souspeçon, jugeant qu'elles luy faysoient bien besoing pour luy, et qu'il avoit assés où les employer, en son propre estat, sans en aller troubler ses voysins; et qu'elle vous prioit toutz deux de croyre fermement que, si voz subjectz ne se vouloient contanter de la rayson, ny accepter les honnestes condicions qu'il vous plerroit leur donner, et qu'il apparût tant soit peu de rébellion en eulx, que non seulement elle leur dényeroit toute retraicte et assistance en son royaulme, mais qu'ilz n'auroient nulle plus mortelle ny plus irréconciliable ennemye qu'elle, en tout ce monde universel;

Et se sont faictes, Madame, plusieurs aultres honnestes déductions et plusieurs réplicques sur les susdicts propos, desquels, et de toutes ses démonstrations, et de plusieurs discours que j'ay eus avec ceulx de son conseil, je n'ay poinct comprins qu'elle et eulx ayent aultre intention que celle que je vous ay desjà mandée par mes précédentes, du XXIIIe du passé: c'est de persévérer en l'amytié du Roy, vostre filz, avec la considération toutesfoys et réserve de ce qu'elle vous a dernièrement escript, de sa main; qui espère encores que, sur cella mesmes, ce que je luy ay déduict de raysons luy tiendront modérée sa trop violente impression.

Après estre de retour de la dicte Dame, j'ay trouvé que Mr de Méru estoit arryvé en ceste ville, lequel m'a incontinent envoyé ung des siens pour me dire qu'il me viendroit fère entendre l'occasion qui le menoit par deçà, quand je serois de loysir; dont soubdain, je luy ay renvoyé troys ou quatre des miens, pour le conduyre en mon logis; mais cependant aulcuns l'ont eu diverty de n'y venir poinct.

Vray est qu'il m'est depuis venu trouver, aulx champs, où il m'a déclaré qu'il s'estoit retiré d'Allemaigne, pour éviter de ne donner aulcune souspeçon de luy à Voz Majestez, ayant receu une lettre de madame la connestable, laquelle il m'a monstrée, qui l'advertissoit de la détresse, où elle estoit, d'entendre le bruict, qui couroit de luy et de son frère, qu'ilz fussent pour dresser des praticques en Allemaigne, et pour mener des reytres en France; et qu'il advisât de s'oster de là: n'y ayant aultre chose, en substance, dans la dicte lettre, sinon 234 qu'elle l'exortoit au reste de prier fort Nostre Seigneur et la Vierge Marie;

Et que, suyvant le conseil de la dicte Dame, il estoit passé en ce royaulme, comme en pays allié et confédéré du Roy, où il ne pouvoit fère de moins que de bayser la main de la Royne d'Angleterre, et la prier d'intercéder pour monsieur de Montmorency, son frère, à ce qu'il playse à Voz Majestez Très Chrestiennes le recognoistre pour vostre très fidelle et loyal subject et serviteur, et pareillement luy, qui ne s'est jamays entremis plus avant que de très humblement obéyr à tout ce que luy aviez commandé; et que si, à ce retour du Roy, Voz Majestez vouloient uzer de clémence et de douceur, vers le dict Sr de Montmorency, et vers Mr le maréchal de Cossé, qu'il s'yroit jetter à voz piedz; et sçavoit que touts les siens le feroient de mesmes, pour n'entendre jamays à rien aultre chose qu'à bien employer leurs vies pour vostre service.

Sur quoy l'ayant conforté de toute bonne espérance de Voz Majestez, aultant que je l'ay peu, et sceu fère, je l'ay fort admonesté d'accomoder tout son parler par deçà à la louange et réputation de Voz dictes Majestez et de Monseigneur le Duc et de la couronne de France, et n'uzer d'aulcun déportement qui puisse estre ny contre vostre intention, ny contre le présent estat de voz affères; et que, indubitablement, je le ferois observer, pour ne vous dissimuler rien de ce que j'entendrois de luy;

Et, quand à l'intercession qu'il vouloit rechercher de la Royne d'Angleterre, qu'il pensât que la clémence et débonnayreté du Roy et la vostre n'avoient à se mouvoir tant, vers messieurs les mareschaulx, à l'entremise d'ung prince estranger, ny pareillement leur justiffication en estre tant advancée, comme elle le seroit par ung vray et naturel debvoyr de bons et fidelles subjectz, s'ilz mettent peyne de le fère eulx mesmes bien cognoistre à Voz Majestez.

Sur quoy il m'a fort pryé d'octroyer ung passeport à ung sien argentier pour aller supplyer madame la connestable de luy fère tenir, icy, de l'argent pour sa despence, me donnant sa foy et son honneur qu'il n'auroit, ny par lettres, ny en parolles, aultre charge que celle là; ce que je luy ay promis de fère, pour ne l'estranger trop, et ne le laysser trop praticquer de ceulx qui le voudroient mal persuader.

Avec Mr de Méru sont arryvés le cappitayne La Porte et le cappitaine Chat, desquelz je n'ay oublyé ce qui m'en a esté escript du vivant du feu Roy; dont je vous supplye très humblement, Madame, 235 me mander, à ceste heure, comme j'en auray à uzer; et ce que j'auray à fère entendre, de la part de Voz Majestez, au dict Sr de Méru et à eulx. Mr le vydame monstre d'estre entièrement résolu de partyr, d'icy, bientost, pour se retirer en Allemaigne.

CCCCIVe DÉPESCHE

—du XVe jour de septembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounier.)

Traité conclu entre l'Angleterre et l'Espagne.—Nouvelles de la Rochelle.—Négociation des protestans de France avec le prince d'Orange.—Affaires d'Écosse.

A la Royne, Régente

Madame, j'ay receu, le treiziesme du présent, la dépesche de Vostre Majesté, du XXVIIe du passé, et, avec icelle, une consolation, trop plus grande que je ne le sçaurois exprimer, pour m'avoyr tiré hors d'une incertitude, où, plus de douze jours durant, m'a détenu le faulx bruict, qu'on a faict courir, de la maladye du Roy, vostre filz, et de l'indisposition et retour de Vostre Majesté à Paris, à cause, ce disoit on, de quelque désordre qui vous estoit survenu en chemin. Dont je loue Dieu que, en son voyage et au vostre, toutes choses se sont ainsy bien portées, comme Vostre Majesté me l'escript. Il est très certain que la venue sienne faict craindre et faict espérer à divers diverses choses; dont les affections se manifestent en ce que les ungs s'en resjouyssent infinyement, et prient pour sa prospérité, et desirent qu'il ayt soing de se conserver, et mesmes me sollicitent de vous advertyr toutz deux bien expressément, et comme par chose nécessayre, que vueillés prendre bien garde à voz personnes; les aultres parlent 236 et font toutes choses comme gens mal assurez, qui ont beaucoup de meffiance. Et parce que ces segonds vont semant plusieurs discours, et beaucoup de grands argumentz, à leur poste, en ceste court, ceste princesse et ceulx de son conseil s'en layssent plus facillement aller aux offres et persuasions d'Espaigne; de sorte que l'accord des Pays Bas s'en est du tout ensuivy. Et le seul poinct qui tenoit l'affère accroché, qui estoit pour cent mille escuz, que les subjectz du Roy Catholicque demandoient pour récompence, a esté vuydé à leur prouffict: sçavoyr est que les Angloys leur en payeront soixante quinze mille. Et s'espère qu'il se renouvellera une fort grande et estroicte amityé entre le dict Roy Catholicque et ceste princesse, et que touts les anciens commerces et entrecours, d'entre leurs pays et subjectz, seront remis; qui semble à ceulx cy d'avoyr recouvert ung très ferme appuy de ce costé là. Et n'ont obmis aussy, entendans qu'il se debvoit tenir une diette en Allemaigne, d'y envoyer ung personnage de qualité, nommé le sir Henry Quenols, qui est assez favorizé en ceste court, et l'ung des plus parciaulx protestantz de ce royaulme, affin de se fortiffier de cest aultre endroict. Et je ne despère pas qu'ilz ne recherchent de mesmes, et, possible, plus ardemment que de nul aultre prince, l'amityé et intelligence du Roy, vostre filz, estant le voyage du milord, que ceste princesse luy doibt envoyer, desjà tout résolu, aussytost qu'on entendra son arryvée à Lyon; qui pense que ce sera milord de North.

L'on m'a adverty que le Sr de La Noue a escript plusieurs lettres par deçà, et que, par icelles, il monstre de desirer infinyement la paix, et de vouloir rendre toute obéyssance au Roy; mais crainct que le Roy ne vueille 237 donner la dicte paix bien seure à ses subjectz, ny avec les condicions qu'ilz demandent pour leur religyon et conscience, et qu'en ce cas luy et touts ceulx qui ont prins les armes par dellà sont résolus de souffrir, avec toutes les aultres extrémitez, la mort mesmes, premier que de rien quicter de leur dicte religyon; et que pourtant ilz supplyent la Royne d'Angleterre, et les seigneurs d'auprès d'elle, de ne concevoyr aulcune sinistre opinyon qu'ilz vueillent estre rebelles, encor qu'il soit rapporté qu'ilz n'ayent si tost posé les armes. Et cependant, Madame, je suis adverty que ceulx de la Rochelle se pourvoyent, en Hembourg, et à Hendem, et en Ollande, et encores en ce royaulme, là où ilz peuvent, de grand nombre d'armes, et de pouldres, et d'autres monitions de guerre, creignant que le Roy les vueille assiéger. Et le ministre Textor est passé devers le prince d'Orange, affin d'impétrer de luy un nombre de navyres armez, pour les tenir en Brouage, et sur la coste de la Rochelle, chose qu'on asseure desjà icy que le dict prince luy a accordée, tant pour se relever des frays d'ung si grand nombre de vaysseaulx, qu'il a ordinayrement à entretenir, veu que l'armée d'Espaigne ne faict plus semblant de venir, que pour maintenir tousjours vifve la guerre par mer en France, affin que le Roy n'ayt moyen, par la mesmes mer, de favorizer les affères du Roy Catholicque, et que rien ne puisse venir d'Espaigne, qui ne tombe en leurs mains. J'entendray plus avant du voyage du dict Textor, quand il repassera par icy.

Les cappitaynes Barache, Limons et dix ou douze aultres soldatz françoys se sont embarquez, depuis troys jours, pour aller à la Rochelle. Mr de Méru n'est poinct encores allé trouver la Royne d'Angleterre, et se tient retiré en 238 son logis. Je luy feray part des nouvelles de Mr de Dampville son frère, affin de le fère tousjours mieulx espérer de son propre faict. Ung agent du comte Palatin vient de passer, ce matin, par la poste, qui va trouver ceste princesse. J'ay envoyé incontinent après pour le fère observer.

L'on me continue les advis que je vous ay cy devant mandez, comme il se mène une bien chaude praticque de mettre le prince d'Escoce ez mains des Angloix, et qu'à cest effect le comte de Houtinthon a esté jusques à Barvic, dont j'ay dépesché exprès ung escoussoys vers les seigneurs du pays, affin d'y donner tout l'empeschement qu'il sera possible; et si j'entends que cella passe oultre, je m'y oposeray à ceste princesse, mesmes au nom du Roy, vostre filz, tout ouvertement. Et sur ce, etc.

Ce XVe jour de septembre 1574.

CCCCVe DÉPESCHE

—du XIXe jour de septembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Nycolas.)

Départ du secrétaire de l'ambassadeur d'Angleterre.—Sollicitations des protestans de France et des princes d'Allemagne.—Fabrique de fausse monnaie établie en Angleterre pour soutenir la guerre en France.—Nouvelles d'Écosse.—Audience accordée par Élisabeth à Mr de Méru.

A la Royne, Régente

Madame, par la dépesche, que Vostre Majesté m'a faicte, de Lyon, le dernier du passé, j'ay eu assez de quoy bien convaincre ceulx qui disoient que le Roy, vostre filz, et Vostre Majesté avoient eu du destourbis et empeschement en leurs voïages, et aussy de quoy bien confirmer la bonne 239 opinyon de ceulx qui avoient tousjours espéré, et qui espèrent encores très bien des affères de Voz Majestez. Je ne fauldray, à la première nouvelle, qui m'arrivera que le Roy soit entré en son royaulme, d'aller retrouver ceste princesse, au retour de son progrès, laquelle est encores assez loing, pour m'en conjouyr avec elle, et pour haster le partement du millord qu'elle vous doibt envoyer. Et cependant je vous diray, Madame, que le secrettère de l'ambassadeur de la dicte Dame est assurément repassé en France, et m'a mandé ses excuses, de Bouloigne, en hors, de ce qu'il n'estoit passé devers moy, confessant qu'il luy avoit esté commandé de le fère, mais que les aultres commissions, qu'on luy avoit baillées en ceste ville, luy avoyent faict oublyer ceste cy.

Celluy Poutrin, qui se faict appeller Dupin, est encores icy, n'ayant peu, avec toute l'assistance des ministres, impétrer rien de ceste princesse par dessus ce que je vous ay desjà escript: qu'elle s'estoit dellibérée d'attandre comment procèderoit le Roy, vostre fils, vers elle, et vers l'entretènement de la ligue, qu'elle avoit avec le feu Roy, son frère, premier que de rien attempter contre luy. Ce qui a faict mettre en avant par les plus passionés ces faulx bruictz que je vous ay desjà mandez, affin d'essayer s'ilz la pourroient mouvoir à leurs affections; et ne m'ont espargné en leurs discours vers elle, disantz que je la trompois de mensonges et de veynes persuasions, et que je luy allois racomptant du faict du Roy, vostre filz, et de Vostre Majesté, et de voz affères, tout au contraire de ce que j'en sçavoys; tant y a que le dict Poutrin est encores icy, attendant sa résolution. Et le ministre Textor n'a pas esté conseillé, arryvant de la Rochelle, d'aller rien pourchasser en ceste court, car ont bien veu que cella ne luy eût esté 240 que temps perdu; dont, après qu'il a eu faict assembler, par quatre ou cinq foys, le conseil des ministres, en ceste ville, sur les moyens de pourvoyr au secours et deffance de la Rochelle, et pour dresser des forces par mer par dellà, il est passé devers le prince d'Orange en Hollande, et Du Lua a esté renvoyé en Allemaigne. Et m'a quelqu'ung adverty que, sellon la négociation qu'a faicte le dict Textor, il semble que ceulx de la nouvelle religyon, de la Rochelle et du Poictou, se sentent pressés, et qu'ilz sont assez effrayés; dont, si Brouage estoit reprins, je croy que les Angloix, à très grande difficulté, se mouveroient jamays par mer pour eulx, par faulte de retraicte; parce que celle là seule leur semble opportune, puisque les Rochellois ne les veulent recevoyr dans leur ville, et aussy que la commodicté du sel, du quel ilz font leurs contratz et marchez, leur deffaudroit.

J'entends que cest agent du comte Palatin qui est freschement arryvé en ceste court, et encores ung aultre allemant qu'on estime estre agent du duc de Saxe, ont eu à fère deux sortes de légation à ceste princesse: l'une, ouverte, pour la prier de conformer les instructions du millord, qu'elle envoyera devers le Roy, à celles que leurs mestres ont baillées à leurs ambassadeurs, qu'ils luy ont desjà dépeschées, tendantes au soulagement de ceulx de leur religyon et à mettre ung repos en la Chrestienté; et l'autre, secrette, pour luy remonstrer qu'elle et les aultres princes protestantz doibvent avoyr une grande considération sur le retour du Roy, vostre filz, et sur le passage qu'il a faict par l'Italye, qui leur doibt estre grandement suspect, et que la légation du cardinal Saint Sixte, nepveu du Pape, vers luy, et les confidentes démonstrations que luy ont uzé 241 ceulx qui commandent pour le Roy d'Espagne en l'estat de Milan, leur debvoient estre arguments irréfragables que l'intelligence et confédération de ces deux puissants Roys avec le Pape est très certeyne. Dont l'ont exortée qu'elle vueille, avec les aultres princes protestantz, pourvoyr, de bonne heure, à leur seureté, et favorizer, en France et en Flandres, ceulx qui ont prins les armes pour la deffence de leur dicte religyon, pendant qu'ilz sont encores en pieds; et qu'il y auroit bientost une levée de sept mille reytres et quatre mille lansequenetz en estre, qui seroit preste de marcher en leur faveur, s'il se pouvoit trouver moyen de leur fournyr deux centz mille escuz pour leurs deux premiers payementz. Sur quoy je croy bien que, touchant le premier poinct de leur légation, les dictz agentz seront fort bien respondus: c'est que la dicte Dame fera par le dict milord parler le mesme langage que leurs mestres à Voz Très Chrestiennes Majestez; mais j'espère bien qu'ilz ne seront assez bons orateurs pour impétrer si tost les deux centz mille escuz, bien que quelqu'ung m'a dict que les évesques de ce royaulme offroient d'y contribuer et d'y fère contribuer leurs diocèses: ce qui n'est pas matière bien preste.

Et ce que je crains le plus est ung aultre moyen de recouvrer deniers, et qui est esmerveillable et bien frauduleux, c'est que certains allemands et ollandoys, et encores, m'a l'on dict, quelques françoys, ont entreprins de forger, en ung endroict de ce royaulme, jusques à ung million d'escus, du coing de France, d'Espaigne et de Flandres, pour soustenir ceste guerre; qui seront si bien faicts qu'on n'en pourra, ny au poix, ny à la touche, cognoistre la différence dans les bons; et que desjà ils ont si bien commancé 242 d'y besoigner, avec la secrette permission d'aulcuns de ce conseil, qu'ilz ont cinquante mille escuz de France toutz pretz. A quoy, Madame, il est besoin de pourvoyr, et mander à Paris, et aultres principalles villes, où la première emplète s'yra fère, qu'on y prenne bien garde; et je ne fauldray de vous mander, de jour à aultre, tout ce que j'en pourray descouvrir davantage.

Me Quillegreu est revenu, depuis deux jours, en poste, d'Escosse, et l'on continue toujours de m'advertyr qu'il mène la praticque d'avoyr la personne du Prince d'Escosse par deçà, dont je suis bien en peyne que cella se trame si secrettement que je ne le puis bien descouvrir. Mr de Méru est allé trouver ceste princesse à Fernand Castel, où elle luy a assigné l'audience à ce jourdhuy. Il faict toutes démonstrations de se vouloyr comporter en très bon et fidelle subject du Roy, mais tels que je voirray estre ses déportements, je ne fauldray de les vous tesmoigner. Et sur ce, etc. Ce XIXe jour de septembre 1574.

CCCCVIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour de septembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Crainte des Anglais que le roi n'ait formé une ligue avec le pape pour détruire le protestantisme.—Leurs efforts pour s'emparer du prince d'Écosse.—Arrestation et mise en liberté de ceux qui fabriquaient la fausse monnaie.—Nouvelles d'Irlande.

A la Royne, Régente

Madame, en attendant d'avoyr bientost la certitude de la bonne et desirée nouvelle que le Roy, vostre filz, soit 243 entré en son royaulme, laquelle se faict desjà aulcunement confesser par ceulx qui plus opinyastroient qu'elle n'adviendroit jamays, j'ay faict sçavoyr à la Royne d'Angleterre ce que Vostre Majesté m'en avoit escript, du dernier du passé, laquelle a monstré non seulement d'en estre bien ayse, mais a faict grand signe d'allégresse de ce qu'il ne pouvoit apparoir qu'il y deût plus avoyr de difficulté, ny de retardement, en son voyage; et s'est efforcée de donner à cognoistre à ung chascun que véritablement elle avoit grand playsir du retour de ce prince; et a eu à dire plusieurs choses, de la vertu et du bonheur qui accompaignent ses entreprinses, et du contentement qu'elle aura d'estreindre une bonne amityé avecques luy, si, d'avanture, il ne veult point mespriser la sienne. Et m'ont ceulx de ce conseil envoyé curieusement demander si Voz Majestez s'achemineroient bientost vers Reims, ou bien si elles prendroient aultre chemin, affin de pouvoir mieulx ordonner du partement du millord qui vous doibt aller trouver. Je leur ay respondu cella mesmes que j'ay veu, par vostre lettre, que en aviés desjà dict à leur ambassadeur; et aulcuns d'eulx m'ont, d'abondant, faict part de celle légation ouverte, que les agens des princes d'Allemaigne, lesquelz sont encores à la suyte de ceste court, ont faicte à la dicte Dame: qui m'ont mandé que c'estoit en la propre forme que je l'ay desjà escript par mes précédentes, du XIXe du présent, mais ne m'ont rien touché de leur aultre secrette négociation; dont a esté besoing que je l'aye recherchée d'ailleurs.

Il est bien vray que touts mes advis se rapportent à ce que ceste princesse conviendra sans doubte avec les dictz princes de fère remonstrer au Roy, vostre filz, plusieurs 244 choses, touchant le soulagement des Protestantz, et d'establir, pour le regard de l'estat de la religyon, une paix publicque en la Chrestienté; mais que, pour encores, elle ne résouldra rien, ny de guerre, ny de paix, ny de ligue, ny de contributions de deniers, là dessus, avec les dicts princes, qu'elle ne voye plus avant comme le Roy se déportera vers elle. Qui cognois bien, Madame, que quelle démonstration qu'elle face, elle ne peut encores prendre assés de confiance de luy, tant pour les choses qui ont passé au propos d'entre eulx deux, que pour se représanter encores en l'esprit ce qu'elle a d'autrefoys creu, que la Royne d'Escoce luy avoit cédé le droict et le tiltre qu'elle prétend en ce royaulme, se persuadant la dicte Dame que le mesme conseil, duquel il se conduysit lors, ez dicts deux affères, est en plus d'authorité qu'il ne fut jamays près de luy. Sur quoy je n'ay obmis une seule de toutes les démonstrations, dont j'ay peu user à elle et aulx siens, que je ne les leur aye franchement déduictes, pour les divertyr de ceste opinyon. Néantmoins ilz ne cessent, sur ce retour de Me Quillegreu, sellon qu'on m'en a adverty, de dellibérer chaudement comme ilz pourront avoyr le Prince d'Escosse par deçà, bien que la dicte Dame tient cella aulcunement suspect pour elle, et n'y entend qu'à regret. Mais il y a grand apparance que les persuasions des Protestantz, lesquelz veulent fère nourrir ce petit prince à leur mode, comme celluy qu'ilz réputent desjà aparant successeur de ce royaulme, et qui remonstrent que c'est la principalle seureté de ceste princesse, et de son estat, que d'avoyr la mère et le filz en ses mains, la facent enfin condescendre à leur intention, mesmement s'ilz trouvent que les choses ne soient trop difficiles, du costé d'Escosse. Et 245 y en y a aulcuns qui estiment qu'on essayera de tretter cella avec la Royne d'Escoce mesme, avec promesse de luy amplyer sa liberté, si elle le veult consentir; et que, pour le mieulx conduyre, l'on a trouvé moyen de fère persuader, par la duchesse de Suffolc, laquelle n'ayme poinct la Royne d'Escoce, au comte et comtesse de Cherosbery, en faysant le mariage de leurs enfans, qu'ilz feront bien de remuer la Royne d'Escoce au chasteau de Pontfroid, qui est l'une des maysons de la Royne d'Angleterre; ce que je ne sçay encores bien au vray si tout cella succèdera.

Tant y a qu'ayant desjà faict dire, en passant, au comte de Lestre que j'en avois eu le vent, mesmement du faict du petit Prince, et que c'estoit chose qui ne se pourroit conduyre sans offancer le Roy, lequel estoit le principal alié de la couronne et des Princes d'Escosse, il m'a seulement mandé que je réputois sa Mestresse et ceulx de son conseil plus sages et plus pourvoyans qu'ilz n'estoient, et que, pleût a Dieu, qu'ilz peussent avoyr le dict Prince, sans m'y respondre rien davantage. Et me vient on de dire qu'on est après à fère une dépesche pour renvoyer le dict Me Quillegreu, de rechef, par dellà. Il sera bon, Madame, que, sur l'occasion de ce que Mr de Glasgo remonstrera au Roy, en sa première audience, Voz dictes Majestez parlent ung peu de bonne sorte à l'ambassadeur d'Angleterre des affères d'Escoce, et de l'estat de la Royne et du Prince du dict pays, affin d'arrester les instantes poursuites de ceulx cy: vous ayant à dire au surplus, Madame, qu'on avoit trouvé moyen de fère constituer prisonniers aulcuns de ceulx qui forgent par deçà celle faulce monnoye, dont, par mes précédentes, je vous ay faict mencion, mais ilz ont 246 esté assez tost eslargis par secret mandement d'aulcuns de ce conseil; ce qui me faict avoir davantage suspecte l'inique et meschante provision de deniers qu'ilz font, laquelle j'entendz, quand à ce qui s'en bat du coing de France, que c'est de celluy du feu Roy, dernier décédé, dont je mettray peyne d'en recouvrer quelque pièce si je puis, pour vous en envoyer la monstre. Et sur ce, etc.

Ce XXIVe jour de septembre 1574.

Depuis ce dessus, j'ay eu advis de ceste court de deux choses: l'une est que la dépesche qui y est arryvée de Mr le docteur Dayl, du Ve du présent, y a suscité beaucoup d'escrupulles de la dellibération, qu'il mande que le roy aporte d'Italye contre les Protestantz; et l'aultre, que, en Irlande, le comte d'Esmond ayant esté attiré à parlementer, il a esté, soubz parolle de paix, détenu prisonnyer, et le conduict on maintenant soubz bonne garde par deçà. Je mettray peyne de vériffier l'une et l'autre nouvelle pour vous en mander plus de certitude par mes premières.

CCCCVIIe DÉPESCHE

—du XXIXe jour de septembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Nouvelles d'Écosse.—Disposition des Écossais à maintenir l'alliance avec la France.—Assurance donnée à l'ambassadeur que Mr de Méru ne sollicite de la reine rien autre chose que son intercession en faveur de Mrs de Montmorenci et de Cossé.—Nouvelle de l'arrivée du roi à Lyon.—Désignation de lord de North pour passer en France.

A la Royne, Régente

Madame, celluy que j'avoys, il y a desjà assez longtemps, dépesché en Escoce, quand Me Quillegreu y alla, est revenu depuis deux jours, lequel m'a rapporté de plusieurs seigneurs, à qui il dict avoyr parlé, et leur avoyr bayllé 247 mes lettres, par dellà, leurs responces de bouche, parce qu'ilz n'ont ozé m'escripre, ne m'ayant apporté que celle seule du comte d'Arguil, et du laer de Quelseit, par escript.

Je m'assure que l'on ne veut souffrir au dict pays, en façon que ce soit, qu'on y propose rien contre la ligue de France; et mesmes le comte de Morthon monstre de ne le vouloyr essayer, par ce, possible, qu'il sent qu'aussy bien il ne le pourroit mener à bout; et qu'encores qu'il se laysse entretenir et poursuyvre par grande instance de Me Quillegreu, sur la consignation de la personne du jeune Prince à la Royne d'Angleterre, qu'il n'y a apparence quelconque, (quand bien l'avarice l'aveugleroit de s'en obliger à elle moyennant quelque somme d'angelotz, ainsy qu'on dict qu'on luy en promect beaucoup), qu'il le puisse néantmoins, sans beaucoup de contradiction, ny sans beaucoup de danger, effectuer; et mesmement, si Voz Majestez Très Chrestiennes faictes voyr et entendre par dellà que vous ne le voulez, ny mesmes n'estes pour souffrir qu'il se face.

Le mesmes messager m'a aussy apporté une lettre du duc de Chastelleraut pour la Royne d'Escoce, et ung petit pourtraict du jeune Prince, son filz. J'advizeray de le luy fère tenir par la plus seure et commode voye qu'il me sera possible; et j'espère que, par cest aultre messager, que j'ay dernièrement dépesché au dict pays, lequel toutesfoys cestuy n'a pas rencontré, les seigneurs de dellà seront davantage confirmés en leur bonne dellibération vers le Roy, vostre filz, et vers sa couronne.

La femme du comte de Morthon est morte depuis quinze jours en çà, au grand contantement de son mary, qui est après à choysir party; et s'espère que, par le moyen de 248 quelque alliance, il se réduyra à plus de modération qu'il n'en a monstré jusques icy.

Mr de Méru est retourné, depuis deux jours, de devers ceste princesse, avec laquelle il a esté huict jours entiers. Et j'entendz qu'il a esté fort humaynement receu d'elle, et que les seigneurs de ceste court luy ont faict beaucoup d'honneur et beaucoup de courtoysyes, l'ont traicté et l'ont accompaigné à la chasse, et luy ont donné tout le playsir qu'ilz ont peu. Et l'ung d'eux m'a mandé que je ne fusse poinct en peyne de chose qu'il peût pourchasser vers elle, car m'assuroit que, si elle n'eût esté bien certeyne qu'il n'avoit à luy parler qu'avec grand honneur et respect de Voz Majestez Très Chrestiennes, et que seulement il la vouloit requérir d'intercéder pour Mrs les mareschaulx, ses frère et beau père, qu'elle ne l'eût aulcunement admis en sa présence. Tant y a que je ne lairay, pour cella, de le fère tousjours observer, affin de vous mander, le plus au vray que je pourray, quelz seront ses déportementz.

J'ay sceu, à la vérité, que la dépesche de Mr le docteur Dayl, du Ve du présent, a engendré assez d'escrupulles en ceste court, mais l'on ne m'a encores sceu bien discerner sur quelles particularités ce peut estre; tant y a que, depuis, est arryvé ung de ses secrettères, nommé Devet, lequel est venu en dilligence, de qui les propos n'adoulcissent pas beaucoup ce que son maistre avoit altéré. Et, auparavant le dict Devet, estoit passé, icy, ung qui se dict serviteur de madame de Ferrare, lequel ne s'est nullement addressé à moy, ains m'a l'on dict qu'il a eu grande communicquation avecques Villiers et avec les aultres ministres françoys qui sont en ceste ville.

Milord trézorier, estant encores le dict Sr de Méru à la 249 court, s'est retiré en une sienne mayson des champs, pour quelques jours, assez près de ceste ville, où il a festoyé les agentz des princes d'Allemaigne; desquelz j'entendz que celluy du comte Palatin est escouçoys, frère de Me Robert Melvin, et les principaulx supostz et entreméteurs de la nouvelle religyon s'y sont trouvez, qui m'ont rendu davantage curieux de fère observer ce qui s'y feroit. Et l'on m'a rapporté que la responce y a esté rendue aulx dictz agentz, et leur dépesche bayllée pour s'en retourner; mais je n'ay encores peu sçavoyr qu'est ce qu'elle contient, ny si Mr le vydame, qui a bien esté au festin, l'a sceue, lequel s'est enfin entièrement résolu de passer avec les dictz agentz en Allemaigne. Mais je croy que ce ne sera sans me venir dire adieu, et je ne fauldray de l'exorter vifvement qu'il ne vueille rien mouvoir par dellà qui puisse estre contre l'intention de Voz Très Chrestiennes Majestez, ny contre le desir qu'il a tousjours montré avoyr à la tranquillité du royaulme. En cestuy mesmes festin du dict grand trézorier m'a esté suscité ung aultre escrupulle, pour la comtesse de Lenox qui s'y est trouvée, et pour avoyr icelluy grand trézorier et Me Quillegreu, et le dict Melvin, agent du comte Palatin, conféré longuement et fort estroictement avec elle; dont, depuis, j'ay sceu qu'elle s'apreste d'aller jusques en une sienne mayson qui est vers le North, et que, de là, elle passera en Escoce, pour visiter le jeune Prince, son petit filz, ce que je juge n'estre à aultres fins que pour essayer de l'avoyr entre ses mains, affin de le transporter par deçà, et que ceulx cy veulent, en toutes sortes, tenter tous moyens à eulx possibles pour surmonter les difficultez qui s'y pourroient trouver. A quoy je vous supplye très humblement vouloir pourvoyr du costé de dellà; car je 250 crains bien fort que, nonobstant ce que m'a rapporté le messager, qui naguères en est venu, je ne pourray mettre assez de suffizans obstacles, du costé d'icy, pour les empescher. Et sur ce, etc.

Ce XXIXe jour de septembre 1574.

Ainsy que je signois la présente, milord de North m'a envoyé dire, par ung sien gentilhomme, que la Royne, sa Mestresse, ayant eu advertissement par son ambassadeur, comme le Roy, vostre filz, estoit arryvé à Lyon, elle luy avoit incontinent commandé de haster son partement pour l'aller trouver, et qu'il dellibéroit de partir, le quatriesme ou cinquiesme d'octobre, mais que, devant cella, il me viendroit visiter, ainsy qu'il avoit commandement de le fère; et cependant me prioit de donner ordre qu'à Bouloigne, et sur les chemins, il peût trouver des chevaulx prestz pour fère meilleure dilligence. Dont présentement j'en fays ung mot de lettre à Mr de Calliac; et je vous suplye très humblement, Madame, de commander ce que Vostre Majesté sçayt estre expédient pour le fère honnorer et bien recevoyr, tant par les chemins qu'arryvant à la court, sellon que ce premier acte, de la confirmation d'amityé d'entre le Roy, vostre filz, et la Royne, sa Mestresse, semble infinyement le requérir.

CCCCVIIIe DÉPESCHE

—du Ve jour d'octobre 1574.—

(Envoyée jusques à Bouloigne par ung des gens de milord de North.)

Desir d'Élisabeth de conserver l'alliance avec la France.—Départ de lord de North.—Négociations des princes d'Allemagne.—Pacification de l'Irlande.—Nouvelles d'Écosse.

A la Royne, Régente

Madame, je n'ay receu les lettres de Vostre Majesté, du VIIIe de septembre, jusques au vingt uniesme jour de leur dathe, à cause que la mer a esté si haulte qu'on ne l'a peu passer, sinon envyron la fin du moys; et, avec icelles, j'ay 251 receu la coppie de la lettre que la Royne d'Angleterre a escripte, de sa main, à Vostre Majesté; en laquelle, encor qu'elle uze de beaucoup de digressions, et d'aulcunes formes de parler qui n'expliquent qu'à demy ce qu'elle a voulu dire; et, en d'autres endroictz, elle s'efforce d'en fère plus comprendre qu'elle n'en veut exprimer, si descouvre elle bien avant de l'intérieur de son cueur; et monstre de l'avoyr grandement esmeu, et que diverses impressions la mettent à ne sçavoyr comme espérer de l'amityé du Roy, vostre filz, ny si elle se doibt résoudre de renouveller la ligue avecques luy, au cas qu'il le luy demande, ou bien si elle doibt retourner à celle de Bourgoigne.

Et en cella, Madame, j'ay à dire à Vostre Majesté que, depuis le passage du Roy, vostre filz, en Italye, et la bonne et grande opinyon qu'on dict qu'ung chascun a conçue de luy, à voyr seulement sa présence, et son maintien, et ses vertueux déportemens, partout où il a passé, joinct sa précédente réputation, et la grandeur et bonne fortune qui l'accompaignent, il n'est pas à croyre combien les agentz du Roy d'Espaigne, icy, se sont imprimés une merveilleuse jalousie de luy; lesquelz travaillent, plus qu'ilz ne firent jamays, de séparer ceste princesse de son intelligence, et mettent toute la dilligence, qu'ilz peuvent, d'entretenir par fréquentes sollicitations et par promesses et présantz ceulx qui sont auprès d'elle, et de gaigner nomméement ceulx qu'ilz estiment qui ont de l'affection à la France; dont n'est sans difficulté qu'on peut maintenant tenir, icy, relevé le nom du Roy et de sa couronne. Néantmoins je ne veux désespérer qu'il n'y trouve encores de la correspondance, parce que ceste princesse, en son cueur, ne le hayt poinct, ains l'ayme, et desire estre 252 aymée de luy, comme de celluy qu'elle estime et prise, sur toutz les princes qui vivent; et si, n'a pas grande inclination à l'Espaigne, ny ne peut encores prendre confiance de ce costé là. Dont se pourra fère, Madame, que, par ceste nouvelle ambassade, qu'elle vous envoye maintenant, si, d'avanture, Voz Majestez la reçoyvent favorablement, et en font ainsy cas, comme elle monstre de l'espérer, que les choses se remettront facillement aux mesmes bons termes qu'elles estoient.

D'une chose ne me puis je assés esbahyr, sur quoy elle s'est peu fonder d'avoyr présupposé, en sa lettre, que Vostre Majesté eust apprins de quelqu'ung de ses conseillers qu'elle se tenoit offancée du Roy, car je luy fis voyr par voz propres lettres que c'estoit de la depposition du comte de Montgommery que Vostre Majesté l'avoit tiré; mais, à dire vray, elle se trouva lors si surprinse, quand je vins à luy toucher ce poinct, qu'elle a bien voulu, depuis, prendre le prétexte de ceste plaincte pour en esteindre si bien, si elle peut, la mémoyre, qu'il n'en soit jamays, en peu ni en prou, aulcune nouvelle, ny de vostre costé ny du sien.

La pluspart de ceulx, qui sont ordonnez pour accompaigner ceste ambassade, sont desjà partis de ceste ville, et milord de North, l'ambassadeur, partira demain. J'ay desjà adverty Mrs de Gourdan et de Calliac, et Mr de Crèvecœur, de son voïage, affin de le fère bien recevoyr, et le fère accomoder de chevaulx en Picardye. Et je vous supplye très humblement, Madame, de commander qu'il soit bien receu et accomodé au reste du chemin, et qu'il luy soit faict honneur et faveur, quand il arryvera vers Voz Majestez; car l'on prendra, icy, un grand argument de vostre intention, sellon qu'on verra que uzerés vers luy. Il a charge, 253 après les complimentz faictz, de parler vifvement à Voz Majestez du faict des déprédations, et semble qu'on desire, icy, que luy faciés avoyr conférance avec les deux du conseil qui sont depputés là dessus.

Les agentz des princes d'Allemaigne viennent de partir, lesquelz, à ce que j'entendz, n'emportent rien de contant, mais seulement une promesse de deux centz mille escuz, qu'ilz ont demandé, qu'on les leur fera fournir de ce royaulme, en espèces, ou par crédit, pour fère les levées, au cas que la paix ne succède en France. Et en y a qui présument que desjà il est allé en Hembourg une partie de ces escus que je vous ay mandé qu'on a nouvellement forgez; dont sera bon d'en fère éventer par dellà la faulceté, affin qu'ilz demeurent descriez. Mr le vydame faict toutes les dilligences qu'il peut pour s'en aller avec les dictz depputés, mais, comme aulcunes nécessitez le convient de s'en aller, aussy il y en a d'aultres qui l'empeschent de partir. Me Astafort, jeune gentilhomme de ceste court, s'est desjà embarqué dans leur vaysseau, et s'en va jusques là où sont les dictz princes, pour revenir bientost rapporter de leurs nouvelles.

Le comte d'Esmont n'a pas esté faict prisonnyer, en Irlande, comme l'on me l'avoit rapporté, ains ceste princesse a si bien accommodé ses affères au dict pays, par voye d'accord, avec présans et promesses, et gracieuses condicions, que le dict comte, avec quatre mille hommes, s'est remis au service d'elle, et Mac O'Nel est repassé en son païs du North d'Escosse, avec quatre mille harquebouziers qu'il avoit admenez. Et, à présent, les officiers et agentz de la dicte Dame vont reprenant la possession des places, sans qu'on leur y face de résistance: vray est qu'on 254 crainct tousjours bien fort l'instabilité de ceste nation.

Ung de mes amys me vient d'advertyr qu'indubitablement la praticque de livrer le Prince d'Escoce par deçà a esté bien fort en avant, et qu'elle a esté sur le poinct d'estre exécutée, si le comte d'Honteley et Me Alexandre Asquin ne l'eussent empeschée; et qu'on présume, en ceste court, que cella est venu de mon advertissement, et qu'il fault qu'on m'observe de plus près. Il y en a aussy qui pensent que, de tant que ceste princesse n'a pas monstré d'en estre trop marrye, qu'elle mesmes, soubz mein, les en a faictz advertyr; tant y a que le voïage, dont je vous ay cy devant escript, de la comtesse de Lenox, pour aller visiter le dict Prince, se poursuit; et je suis après à descouvrir sur quelle intention elle y va.

Il y a icy desjà de longtemps un gentilhomme polounoys, de la mayson d'Alasco, et y en est arryvé encores d'autres, depuis la venue du Roy, qui ne m'ont, ny les ungs ny les aultres, visité; ains ilz sont souvant visitez par les ministres françoys et flammans, qui sont icy; et si, ont esté quelquefoys en ceste court, et de la court l'on a envoyé vers eulx. Il vous plerra me mander si j'auray à fère aulcun office en leur endroict. Sur ce, etc.

Ce Ve jour d'octobre 1574.

255

CCCCIXe DÉPESCHE

—du Xe jour d'octobre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Conférence de l'ambassadeur avec lord de North.—Desir d'Élisabeth de connaître les intentions du roi.—Sa réponse aux envoyés des princes d'Allemagne.—Sollicitations pour Marie Stuart.

A la Royne, Régente

Madame, premier que milord de North soit party, il m'est venu visiter, et m'a discouru, en général, de la bonne intention que la Royne, sa Mestresse, a vers le Roy, vostre filz, et comme elle desire infyniement de se maintenir en bonne paix avecques luy, et garder inviolablement avec Vostre Majesté la vraye amityé que vous vous estes, longtemps y a, promise l'une à l'autre, et estreindre, s'il est possible, plus fort que jamays, celle en quoy il vous a pleu nourrir tousjours toutz Noz Seigneurs, voz enfantz, avecques elle; dont, s'il peut vous bien explicquer sa commission, tout de mesmes que la dicte Dame la luy a donnée là dessus, il ne faict aulcun doubte que n'en demeuriez très assurée; et que, de sa part, il s'en va très dellibéré de fère, en cest endroict, les meilleurs et plus exprès offices qu'il pourra.

De quoy je l'ay bien fort remercyé, et, après luy avoyr faict aulcunes remonstrances sur les escrupulles qu'on vous avoit suscités, de ce costé, je l'ay exorté de se déporter en façon que, en France et icy, l'on ayt à se louer de son élection à ceste charge. Et parce qu'ung mien amy m'a adverty que, le propre jour que sa dicte Majesté l'a licencié, elle a monstré d'estre aulcunement 256 en peyne de ce que je ne luy allois annoncer l'arryvée du Roy à Lyon, ny luy fère entendre aulcune chose, de sa part; et qu'il y en y avoit, de ceulx qui aspirent à la retirer de l'intelligence de France, qui s'efforçoient de luy en fère une maulvayse interprétation; j'ay, soubz prétexte de visite, envoyé dire à ses plus expéciaux conseillers que je n'attandoys que l'heure qu'il m'arrivast une dépesche du Roy, vostre filz, pour aller trouver la dicte Dame; et que Vostre Majesté m'avoit escript, du VIIIe du passé, qu'il estoit desjà arryvé à Lyon, mais qu'il estoit si empressé, à ce commancement, qu'il n'avoit encores peu ouyr le gentilhomme que je luy avoys dépesché, néantmoins que, dans deux jours, ou troys, il les ouyroit à loysir, et puis me manderoit, par luy mesmes, ce qu'il voudroit que je fisse sçavoyr, de sa part, à la dicte Dame; et que cependant je ne fallisse de vous escripre à toutz deux du bon portement d'elle et de sa santé, dont les priois de m'en vouloir mander.

Sur quoy, après avoyr conféré avec elle, ilz m'ont mandé, par mon secrettère, qu'elle avoit eu très agréable ceste mienne dilligence, et s'en estoit plus grandement resjouye qu'ils ne le me sçauroient dire, et desiroit que j'eusse de quoy lui venir bientost compter des nouvelles du Roy, vostre filz, et que je les luy peusse tesmoigner aussy bonnes, comme elle les souhaytoit pour elles mesmes. Puis l'ung d'eux m'a mandé qu'elle n'avoit, en chose de ce monde, aujourdhuy, le cueur si tendu qu'à ouyr jusques aulx moindres particullaritez qui venoient de luy; et qu'il me pouvoit assurer que, de beaucoup de demandes qu'on luy avoit faictes depuis peu de temps en çà, elle s'estoit tenue ferme à n'en vouloir accorder aulcune, au préjudice 257 de luy, que premièrement elle ne voye comme il se voudra déporter vers elle.

Néantmoins, Madame, je mettray, icy, ceste digression qu'on m'a adverty d'ailleurs qu'indubitablement les agentz des princes d'Allemaigne s'en sont retournés bien contantz des bonnes parolles et promesses qu'elle leur a données; et les dictz conseillers ont davantage dict à mon dict secrettayre qu'ilz avoient entendu que le Roy, vostre filz, desiroit bien fort la paix; néantmoins que les grosses forces, qu'il faysoit marcher, leur faysoient souspeçonner la guerre, et qu'on leur avoit dict qu'il se rendoit beaucoup plus assidu en ses affères que n'avoient faict ses prédécesseurs; et néantmoins se monstroit plus grave, et de difficile accès, que nul d'eux, et que leur Mestresse et eulx estoient à regarder, avec le reste de la Chrestienté, comme il formeroit ses affères, à ce commancement, affin de fère une conséquence comme ilz auroient à procéder tout le reste de son règne.

J'ay, à deux jours de là, renvoyé, encores une aultre foys, devers eulx, pour impétrer aulcunes honnestes et bien raysonnables demandes, que j'avoys à fère à leur dicte Mestresse et à eulx, pour la Royne d'Escosse, vostre belle fille, et pour leur fère voyr ung cahier de plainctes que Mr de La Melleraye m'a envoyé. Et sur ce, etc.

Ce Xe jour d'octobre 1574.

258

CCCCXe DÉPESCHE

—du XVe jour d'octobre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Certitude de l'arrivée du roi en France.—Nouvelle répandue en Angleterre que le roi, à son passage en Italie, a formé une ligue avec le pape.—Assurance donnée à l'ambassadeur qu'Élisabeth, pour la combattre, est entrée en ligue avec les princes protestans d'Allemagne.—Efforts des Anglais pour renouer l'alliance avec le roi d'Espagne.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, par ung des gens de l'ambassadeur d'Angleterre, lequel est arryvé icy, le Xe de ce moys, qui est le second courrier qu'il a dépesché à la Royne, sa Mestresse, depuis vostre retour, il l'a advertye comme Vostre Majesté, s'estant expédiée de ses plus pressans affères à Lyon, elle s'acheminoit maintenant à Reyms, pour y fère bientost son sacre et couronnement. De quoy la dicte Dame a estimé qu'elle avoit très bien faict d'avoyr desjà dépesché milord de North pour vous aller saluer de par elle, et estre l'une des premières qui honnoreront et se conjouyront de vostre heureux advènement à la couronne. Et par mesme moyen luy a escript que les depputés de ceulx, qui se sont eslevez en Languedoc et Daulfiné, n'ayantz peu obtenir, ny par leur requeste ny par l'intercession des agentz des princes d'Allemaigne, aulcun exercice de leur religyon, ilz s'estoient retirez, et les dictz agentz départis avec plus d'opinyon, les ungs et les aultres, de la guerre que d'espérance de la paix; et que Vostre Majesté avoit donné charge de parachever ceste guerre à Mr de Savoye, comme pour le déclarer desjà, et l'introduyre par là, à estre cappitaine 259 général de la ligue qu'on présumoit estre entièrement conclue entre le Pape et Vostre Majesté et le Roy d'Espaigne, avec les aultres princes catholicques, contre les Protestantz et contre leur religyon.

Sur lequel advertissement, Sire, la dicte Dame et ceulx d'auprès d'elle se sont de nouveau restreinctz en conseil avec les principaulx personnages de ce royaulme, et ont contremandé les agentz, qui estoient desjà partis, des dictz princes protestantz pour, de rechef, entrer en conférence avec eulx; mais je ne sçay encores s'ilz ont rien changé de leurs précédentes dellibérations. Tant y a qu'ung de ce conseil m'a mandé qu'ilz s'ébahyssoient toutz comme, à l'apétit de troys centz mille escuz qu'on vous avoit offert de prest en Italye, vous vous estiez layssé persuader à la continuation de ceste guerre, laquelle vous ruyneroit de plus de vingt millions, et vous mettroit, possible, en danger de ne pouvoir jamays heureusement jouyr l'amplytude de vostre beau royaulme. A quoy je luy ay respondu que je n'avoys rien entendu des dictz troys centz mille escus, et n'en croyois rien, parce que vous n'estiés prince pour vous mouvoir de cella; et qu'indubitablement vous vouliés la paix, et entendiés de la donner, avec honnestes et raysonnables condicions, à voz subjectz, mais que nul, soubz le ciel, sçavoit mieulx que vous et la Royne, vostre mère, comme vous la leur debviez octroyer, et de quelle façon elle pouvoit estre utille à vostre royaulme; qui vouliez, comment que ce fût, comme chose très juste et très légytime, demeurer Roy et Mestre, et surmonter toutes les désobéyssances et violentes contradictions qu'on atempteroit contre vostre authorité, et ne souffrir uzurper aulcune loy par voz subjectz, sinon celle qu'ilz prendroient de vous, qui 260 rechercheriés tousjours, aultant que vous pourriez, leur solagement et le repoz de leurs consciences; et qu'ilz ne debvoient vous presser de chose qui ne vous semblât loysible, et qui ne vous fût à playsir de la leur concéder.

Et, depuis cella, l'on m'a voulu fère croyre que la dicte Dame avoit passé oultre à se joindre formellement à la ligue, et à s'obliger aulx chapitres d'icelle, pour la contribution et secours, avec les dictz princes protestantz, et avec les dictz eslevez, de France et de Flandres; mais je ne puis ny veulx croyre que, jusques à ce qu'elle ayt entendu comme Vostre Majesté aura receu sa dernière ambassade, et comme il vous plerra uzer vers elle, qu'elle s'oblige à nulle nouvelle ligue, ny qu'elle conclue rien qui puisse directement tourner à vostre préjudice: car j'ay parolle et promesse fort expresse d'elle, et qui m'a semblé partir de son cueur, qu'elle ne le fera nullement. Vray est que je me crains assez qu'on l'ayt persuadée de fermer les yeulx sur les secretz moyenz que les susdictz agentz et les ministres, et aultres plus aspres suppostz de la nouvelle religyon, s'efforcent d'inventer, toutz les jours, pour cuyder maintenir et fortiffier davantage leur cause, ainsy comme, de ceste nouvelle forge d'escuz, dont j'ay cy devant escript, laquelle ilz poursuivent tousjours; et les espèces en sont si belles, sellon qu'ung homme de bien, qui en a veu, me l'a rapporté, et si parfaictement bien faictes au molinet, qu'il ne s'y peut cognoistre, ny au son, ny au poix, ny à la touche, rien de différent d'avecques les bons; et qu'il en est desjà allé, ce m'a il assuré, ung bon nombre en Hembourg, de toutes les dictes espèces, et nomméement cinquante mille, du coing de Vostre Majesté; dont je fay extrême dilligence d'en recouvrer ung des dictz escuz 261 pour le vous fère voyr, et pour, avec telle monstre, me pleindre infinyement à ceste princesse de la tollérance d'une si grande faulceté.

Cependant elle travaille, aultant qu'elle peut, de se remettre en bons termes avec le Roy d'Espaigne, et d'establir ung bien assuré commerce entre leurs subjectz, ayant, dimanche dernier, licencyé ung des commissayres des Pays Bas; qui s'en est retourné fort satisfaict de l'accomplissement de leur commission, et du payement, que les Angloix ont desjà bien advancé de fournir, de la somme de soixante quinze mille escuz, pour la récompense des prinses faictes sur les subjectz du Roy d'Espaigne. Et l'autre commissayre plus principal demeure encores icy, comme agent, pour le dict Roy, son Mestre. Et m'a l'on adverty que la dicte Dame faict apprester son premier mestre des requestes pour l'envoyer bientost devers le grand commandeur, en Flandres.

D'ailleurs, Sire, la comtesse de Lenox part, dans cinq ou six jours, de ceste court, pour aller en sa mayson vers le North, avec celle mesme dellibération, que j'ay cy devant escript, que, si les choses d'Escosse apparoissent bien disposées pour son voyage, elle yra jusques à Esterlin visiter le Prince d'Escosse, son petit fils; qui est chose que j'ay fort suspecte, et laquelle je ne puis interpréter que soit à aultres fins que pour pouvoir transporter ce jeune Prince en ce royaulme. Mais, de ces choses là et de toutes celles qui se praticqueront par deçà contre vostre service, tant du costé de France que d'Escosse, et aussy de Flandres, je ne fauldray de vous en donner, à toute heure, le plus d'esclarcissement, et d'y mettre de moy mesmes le plus d'empeschement, qu'il me sera possible, 262 attandant qu'il vous playse m'envoyer mon successeur; comme j'espère que, sur la très humble et très raysonnable requeste que je vous en ay faicte, et sur l'occasion d'envoyer visiter ceste princesse, à vostre nouvel advènement, il vous aura pleu, avant partir de Lyon, en nommer quelqu'ung, et luy commander de se tenir prest pour passer, icy, aussytost que milord de North aura accomply sa légation par dellà; et qu'il vous aura aussy pleu, Sire, (et la Royne, vostre mère, vous l'aura recordé), de vous souvenir de moy en la distribution de voz bienfaictz, affin qu'en contemplation des bons et fidelles services, où j'ay actuellement continué, durant les troys règnes passez, et soubz celluy heureux, où nous sommes à présent, cella me soit ung commancement de récompense à la perte et pouvreté qu'ung chascun sçayt et void que j'ay souffertz pour les fère. Et sur ce, etc.

Ce XVe jour d'octobre 1574.

CCCCXIe DÉPESCHE

—du XXe jour d'octobre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Instructions données à lord de North.—Négociations avec l'Espagne.—Sollicitations des protestans de France auprès des Anglais.—Efforts faits pour entraîner Élisabeth dans la ligue avec l'Espagne, et l'exciter à faire mourir Marie Stuart.—Démarches auprès du prince de Condé.—Disposition où paraît être ce prince de demander à rentrer en grâce.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, parce que milord de North, estant à Douvre, a trouvé que la mer estoit bien haulte, il n'a ozé incontinent 263 s'y commettre, ains a temporisé jusques au XIIIIe du présent qu'il s'est embarqué, et toutes ses gens, dans ung des navyres de la Royne, sa Mestresse, pour passer, le mesmes jour, à Bouloigne. Et j'estime que, de présent, il est à Paris, et que bientost il sera devers Vostre Majesté, là où il a charge, ainsy qu'on m'a adverty, de bon lieu, d'avoyr principallement le cueur à quatre choses: l'une est de nother fort curieusement, et par toutes les circonstances et conjectures qu'il pourra, si, en vostre desir, Sire, y a quelque inclination de retenir, à bon escient, ceste princesse et son royaulme en vostre amityé; la segonde est d'approfondir si avez nulle secrette intelligence avec le Roy d'Espaigne contre elle; la troysiesme, s'il vous reste beaucoup d'affection à la restitution de la Royne d'Escosse; et la quatriesme, qui sont ceulx à qui donnés plus de crédict et d'authorité près de vous: car, sellon qu'il rapportera le certain ou le vraysemblable de ces choses à la dicte Dame, elle a proposé de se ranger à une ou aultre disposition vers Vostre Majesté.

Et cepandant elle faict passer, sur le commancement de la prochaine sepmayne, son premier maistre des requestes, Me Wilson, en Flandres, pour y renouveller, le plus qu'il pourra, l'ancienne amityé d'entre le Roy d'Espaigne et elle, et arrester avec le grand commandeur une assemblée à Bruges d'aulcuns grands et notables personnages, de dellà et d'icy, à ce prochain mars, pour vuyder le différent des entrecours. Et m'a l'on dict qu'il y va avec commission, laquelle a esté secrettement recherché par les agentz d'Espaigne, d'ayder, en ce qu'il pourra, au nom de sa Mestresse, à la paciffication du pays, comme aussy le dict milord de North vous doibt exorter à celle de vostre royaulme.

264 Et, à ce propos, Sire, l'ung de ceulx que j'ay mis après pour descouvrir, parmy les ministres et les suppostz de la nouvelle religyon, qu'est ce qu'ilz espèrent de secours, d'icy, en leurs affères, m'a rapporté qu'ilz ne s'assurent encores de rien, parce qu'on les a remis de leur donner résolution, après le retour de ces deux ambassadeurs; dont craignent bien fort, si le dict de North est receu avecques faveur de Vostre Majesté, et que le renvoyés contant, et mandiés, par luy, quelque assurance de vostre amityé à la dicte Dame, que difficilement impètreront ilz rien de mieulx d'elle, pour leurs dicts affères en France que par le passé, ny, possible, tant qu'ilz ont faict jusques icy; sinon, par advanture, qu'à la persuasion des évesques, d'icy, ilz pourront abstreindre, par escrupulle de conscience, la dicte Dame à fère, soubz main, ou dissimuler aulcunes secrettes et légières assistances de ce royaulme, en faveur de sa religyon, par dellà, pour ne l'y laysser opprimer, ou n'estre veue de l'avoyr du tout habandonnée; et n'espèrent qu'elle face guyères mieulx pour la Ollande. Vray est qu'ilz sont après à dresser de bien vifves remonstrances pour l'induyre, comment que ce soit, à la ligue avec les princes d'Allemaigne et avec les eslevez, et de se debvoir joindre ouvertement à eulx, si Vostre Majesté délaysse la voye de paix pour venir à bout de cest affère par les armes, et ont des argumentz préparez pour luy imprimer de très grandes deffiances de Vostre Majesté, trop plus que du Roy d'Espaigne, comme redoubtans vostre fortune et voz effectz plus que les siens, parce que, en personne, vous vous trouvez aulx affères, et il s'en tient loing; avec ce, qu'ilz l'estiment assez engagé à la guerre du Turc; et si, prétendent de ressuciter les mesmes machinations qu'ilz avoient cy devant 265 contre la Royne d'Escoce, pour la fère mourir, alléguans que c'est le seul moyen d'esteindre la querelle que pourriés dresser par deçà pour l'amour d'elle, et pour mettre fin à toutes les maulvaises querelles qui se pourroient eslever en ce royaulme à son occasion; et que mesmes ilz aspirent de fère entrer le petit Prince d'Escosse avec le comte de Morthon dans la dicte ligue, jusques avoyr escript naguyères au Prince de Condé de les envoyer visiter toutz deux, de sa part: duquel prince toutesfoys ilz monstrent de n'espérer plus tant qu'ilz faysoient au commancement, par ce, possible, que les princes d'Allemaigne n'ont trouvé ung tel subject en luy comme ilz le s'estoient promis, qui l'avoient jugé tout semblable ou peu dissemblable de feu Monseigneur le Prince, son père, et peut estre qu'ilz y voyent ung peu de manquement pour la surdité, et qu'il a de l'inclination à retourner vers Vostre Majesté; et creignent assez, ce dict le mesmes advis, que luy et le Sr de Laval s'y layssent persuader, dont ne seroit, par advanture, mal à propos que Vostre Majesté les fît fort instamment praticquer toutz deux.

Les choses d'Escosse demeurent tousjours en ce suspens que j'ay cy devant escript, soubz la violente et avare domination du comte de Morthon; et m'a lon dict que, depuis quinze jours, il a faict constituer prisonnyers deux honnestes personnages que Mr de Glasgo et Mr de Roz avoient envoyez par delà, et qu'il les a faictz conduyre en sa mayson de Datquier. Je ne sçay si ce qu'il tirera de leur déposition l'aygrira davantage, ou si les seigneurs du pays s'en voudront esmouvoir. Sur ce, etc.

Ce XXe jour d'octobre 1574.

266

CCCCXIIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour d'octobre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Nycolas.)

Défiances inspirées à Élisabeth à l'égard des projets du roi contre les protestans et contre l'Angleterre.—Conférence de l'ambassadeur avec l'envoyé du roi d'Espagne.—Projet du prince de Condé de se jeter dans le Languedoc.—Avis à la reine-mère. Conférence de l'ambassadeur avec Mr de Méru.

Au Roy.

Sire, affin que la Royne d'Angleterre ne pensât que l'occasion de n'avoyr heu de voz nouvelles, depuis vostre arryvée à Lyon, provînt d'ailleurs que de voz grandes occupations, j'ay envoyé fère aulcuns honnestes complimentz vers elle, et pour l'assurer que bientost il me viendroit quelque dépesche de Vostre Majesté pour luy en fère sçavoyr de bien bonnes, et pour luy donner toute honneste satisfaction de vostre part; ce qu'elle a eu très agréable: et l'ung de ses expéciaulx conseillers m'a mandé que cest office estoit venu bien à propos pour luy oster une fâcheuse impression, qu'on luy donnoit, de Vostre Majesté, et ne m'en a pas déclaré davantage. Mais j'estime que c'est ce que ung aultre m'a descouvert que, ayant naguyères esté tenue une assemblée de conseil, en ceste ville, par ceulx de la nouvelle religyon, pour pourvoyr à leurs affères, ilz ont, incontinent après, faict semer, en ceste court, que par des lettres qui leur estoient venues de dellà la mer, l'on les avoit seurement advertys que les dellibérations du concille de Trante, contre ceulx de leur dicte religyon, avoient esté renouvellées et confirmées ez mains de Vostre Majesté passant 267 par Italye; et que vous vous estiés obligé, Sire, à Nostre Saint Père, et aulx princes et estatz catholicques, par sèrement solennel, qu'aussytost qu'auriés, avec leur secours, pourveu aulx troubles de vostre royaulme, et recouvert l'obéyssance de voz subjectz, que vous entreprendriés la guerre contre ceulx de voz voysins qui refuzeroient d'obéyr à l'église romayne; et oultre cella, vous aviez faict résouldre, en vostre conseil privé, depuis vostre arryvée à Lyon, que l'Inquisition seroit reçue en France, mais qu'ilz s'assuroient bien que les courtz de parlement et le peuple, et les meilleurs de vostre royaulme, sinon, par advanture, quelques éclésiastiques, s'y oposeroient, et qu'indubitablement il sourdiroit de là une très grande et généralle révolte, par laquelle la pluspart des Catholicques prendroient lors les armes, sans estre attainctz de rébellion, et les Huguenotz continueroient de les exécuter sans estre arguez de maulvayse conscience. Et se sont efforcez de fère bien mordre dans ce dernier poinct la dicte Dame, et ceulx de son conseil, qui, à ce que j'entendz, y ont prins goust, comme au meilleur remède de la peur où les aultres deux les mettent, craignantz infinyement que le premier esclat ne tombe sur eulx. Et ont adjouxté que, d'ung bon endroict, ilz estoient aussy advertys que Vostre Majesté me donroit bientost charge de ouvrir, en termes honnestes et bien gracieulx, un propos à la dicte Dame pour mettre en liberté la Royne d'Escoce; et que si, dans une ou deux foys, elle ne vous y faysoit quelque responce de satisfaction, que vous me feriés, puis après, parler plus rudement à elle, et la sommer ouvertement de sa dellivrance ou que Vostre Majesté se mettroit en debvoir d'y pourvoyr.

268 Lesquelles choses j'ay bien mis ordre, Sire, aussytost que j'en ay esté adverty, qu'elle ne les ayt receues pour vrayes; néantmoins ilz luy ont mis de poignantz escrupulles dans le cueur, et luy ont fondé, sur cestuy dernier, leurs principalles remonstrances: qu'elle se debvoit dépescher de sa cousine. Néantmoins j'espère qu'elle ne se layrra encores conduyre à nulle dellibération qui vous puisse estre préjudiciable, ny qui puisse interrompre, de sa part, l'amityé, que premièrement elle ne voye comme il luy succèdera de la vostre.

Le Sr de Sueneguen lequel est demeuré, icy, agent pour le Roy d'Espaigne, m'est venu visiter, et m'a bien voulu fère sentir qu'il avoit beaucoup de contantement de ceste court, et de la disposition, qu'il y voyoit maintenant bien bonne vers le Roy, son Maistre, et qu'il pensoit avoyr beaucoup faict, pour son service et pour la conservation de ses Pays Bas, de luy avoyr reconfirmé l'amityé de ceste princesse. Et néantmoins il semble que le dict Sr de Sueneguen ne rejette de communicquer avec les flammantz, qui sont refouys par deçà, ny laysse, pour la faveur et support qu'on leur y faict, de procurer tousjours que les affères de son Maistre y soient pareillement favorisés et supportés. Et estime que c'est beaucoup, en ce temps, de garder que l'on ne s'y déclare ouvertement contre luy.

Mr le vidame de Chartres est encores icy, tout prest pour partir au premier bon vent. L'on me vient de dire qu'il court une nouvelle, parmy ceulx de la nouvelle religyon, que Mr le Prince de Condé est approché vers Genève, et qu'il a intention, n'ayant peu tirer des forces, ainsy qu'il prétendoit, d'Allemaigne, de pénétrer, s'il peut, avec ce qu'il a des siens, jusques en Languedoc, pour employer 269 là sa personne, et azarder sa vye à la deffense de sa religyon. Sur ce, etc.

Ce XXIVe jour d'octobre 1574.

ADVIS, A PART, A LA ROYNE.

Madame, aussytost que Mr de Méru a esté de retour en ceste ville, j'ai trouvé moyen de parler à luy, en lieu escarté, aux champs, parce qu'il n'a ozé venir en mon logis, et, non seulement je luy ay dict, mais je luy ay baillé à lyre ce que me commandiez luy fère entendre par la vostre, du XXVIIIe du passé; et y ay adjouxté toutes les meilleures raysons et persuasions que j'ay peu, pour l'induyre à se bien disposer vers ce que luy commandiez, lequel a monstré qu'il sentoit une grande consolation de la bonne opinyon qu'il vous playsoit avoyr de luy.

Et m'a respondu qu'il supplioit Vostre Majesté se souvenir qu'il ne s'estoit absenté pour faulte qu'il eût commise, et qu'il prenoit Dieu pour juge de son cueur, et le Roy, et Vostre Majesté pour arbitres de ses euvres, s'il avoit jamays faict, ny dict, ny pensé chose qui vous deût offancer;

Et qu'il n'avoit jamays eu praticque ny intelligence avec pas ung qui portât les armes contre le Roy, ains leur avoit esté très adversayre, fussent ilz ses proches parantz, ou non, et avoit esté très esloigné, comme il estoit encores, et seroit toute sa vye, de leur religyon, n'y n'avoit esté meslé en toutes les menées que vous aviez eues suspectes à la court; mais que, en une si grande deffaveur et ruyne, qui estoit inopinèment, et, comme il espéroit que se trouveroit, sans juste cause, suscités contre toutz ceulx de sa mayson, et contre son beau père, qu'il avoit bien voulu éviter ce grand orage, le mieulx qu'il avoit peu, attandant que le temps et la clémence de Voz Majestez leur fît à toutz reluyre quelque plus beau jour;

Et que, considéré ce dessus, et qu'il n'avoit aulcune privée cognoissance avec les eslevez, ny avec pas ung de ceulx qui ont l'authorité parmi eulx, et qu'il sçavoit qu'ilz s'estoient pleinctz que, quand Mr de Montmorency avoit esté cy devant employé à leur fère poser les armes, ilz avoient esté lors les plus maltraictez, qu'indubitablement, s'il leur escripvoit à ceste heure, ilz se mocqueroient de luy, et de ses lettres, et qu'il ne pensoit poinct qu'il vous peût estre utille en cest endroict;

Néantmoins que Vostre Majesté advisât en quoy et comment il 270 pourroit estre si heureulx que d'employer sa personne et sa vye, et toutz ses moyenz pour le service de Voz Majestez, et qu'il n'avoit aultre affection, ny dévotion, que de vous rendre toute la plus parfaicte et très humble obéyssance qu'il luy seroit possible, me priant de le vous fère ainsy entendre, et de vous tesmoigner qu'il protestoit à Dieu, et le prenoit en comdempnation de son âme, que toutz ses déportementz, icy, ne tendoient qu'à honnorer et révérer Voz Majestez, et de publier vostre louange, et la réputation de voz affères, le plus qu'il luy estoit possible, et n'y mouvoir rien, qui peût estre contre vostre service.

Et a monstré que, si je luy pouvois fornir d'ung passeport du Roy, ou qu'il vous pleût luy escripre quelque mot de lettre, qu'il vous dépescheroit incontinent ung des siens pour aller mieux comprendre vostre intention: qui est tout ce que j'ay peu tirer, pour ceste foys, de luy.

Et, sur les aultres remonstrances que je luy ay faictes, touchant les ministres qui le visitent souvant, il s'est efforcé de m'y satisfère, mais je verray comme il s'y conduyra.

CCCCXIIIe DÉPESCHE

—du XXIXe jour d'octobre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Mécontentement d'Élisabeth à raison du silence que garde le roi à son égard.—Présentation des lettres du roi par l'ambassadeur.—Satisfaction montrée par la reine.—Son desir de continuer l'alliance avec la France.—Conseils qu'elle donne au roi.—Difficulté qu'elle fait d'admettre les messages adressés à Marie Stuart et en Écosse.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, le XXVIe de ce moys, à Hamptoncourt, où, d'arrivée, la Royne d'Angleterre m'a bien donné à cognoistre, assez ouvertement, et avec ung peu d'apparat non accoustumé de magnificence et de grandeur, devant la pluspart des siens, en sa salle de présence, qu'elle ne pouvoit interpréter à nul signe de vostre bonne volonté vers 271 elle que, depuis vostre retour, elle n'avoit eu une seule nouvelle, ny une lettre, ny mesmes une recommandation, de Vostre Majesté, comme si teniez en fort petit compte son amityé. Mais, après que je l'ay eue fort cordiallement saluée de vostre part, et que je luy ay heu présenté vostre lettre, et desduict l'occasion de ce retardement, sur voz très grandes occupations, avec d'aultres choses, que j'ay estimé bien à propos de luy dire, de vostre bonne disposition vers elle; elle a, tout aussytost, sans bouger du lieu, et devant le mesmes concours des siens, changé de façon; et, d'ung visage fort riant, et d'une contenance bien fort joyeuse, m'a exprimé l'ayse, qu'elle sentoit en son cueur, de vous voyr entrer en ce bon chemin d'amityé et de bonne intelligence avec elle.

Et, encor qu'elle se soit eslargye à me déclarer là dessus, sellon que, de propos en propos, je l'y ay attirée, comme l'on l'avoit volue intimider de beaucoup d'entreprinses qu'on luy avoit dict que vous aviez contre elle, tant par les promesses, à quoy l'on vous y avoit obligé, passant par l'Italye, à cause de sa religyon, que par la perpétuelle instigation qu'on vous y donnoit maintenant en France, à cause de la Royne d'Escosse; ainsy qu'aulcuns se vantoient, sellon qu'on le luy avoit rapporté, qu'ilz vengeroient, à ce coup, le tort qu'elle luy avoit faict de la détenir par deçà; elle néantmoins m'a déclaré qu'elle s'arresteroit à ce que vous luy diriez et luy promettriez, et ne recevroit impression aulcune qui peût estre contrayre à cella, sinon qu'elle vît bien que la vérité de voz paroles fût convaincue par l'effaict de voz œuvres; ce qu'elle ne vouloit présumer, pour rien du monde, pouvoir jamays procéder d'ung prince si excellemment qualifyé en toute 272 preuve de vertu comme vous; et qu'il n'y avoit pas deux heures, sçachant que je debvois venir, qu'elle avoit reveu le dernier traicté de ligue d'entre le feu Roy, vostre frère, et elle, et que, par l'ordre d'icelluy, vous debviez parler le premier; dont en la forme que vous commanceriez, elle vous respondroit, et, si vous monstriez d'avoyr en estime l'intelligence d'elle et de son royaulme, elle se mettroit en debvoir d'honnorer beaucoup la vostre, et celle de vostre couronne; et prioit Dieu qu'il vous mît au cueur de vous fère aultant aymer comme il vous avoit donné de quoy fère beaucoup priser et estimer vostre amityé, me voulant bien dire, touchant la bonne lettre que luy aviez escripte, qu'elle la tiendroit bien fort précieuse comme estant la première marque de vostre bonne démonstration vers elle, et qu'elle dellibéroit de se mettre en pareille bonne disposition vers vous, et y persévérer aussy constamment qu'elle avoit faict vers le feu Roy, vostre frère, pourveu que, comme luy, vous ne vous en départissiez; adjouxtant tout bas, et me l'est venu dire, quasy en l'oreille, qu'il la failloit prendre présentement, car, si l'occasion se passoit, elle seroit, comme la mesmes occasion, qui ne se laysseroit jamays prendre puis après, et que je creusse qu'elle estoit très instamment et sans intermission recherchée, avec de grandz advantages, d'ailleurs; dont verroit comme, de l'ung costé et de l'autre, les choses procèderoient pour elle et son estat, car c'estoit la règle par où elle se vouloit gouverner; et remercyoit Dieu qu'elle se trouvoit pourveue, pour tout évènement de paix ou de guerre qui pourroit arriver.

Et m'a encores là dessus, et sur aulcunes aultres particullaritez, qu'elle dict avoyr entendues de vostre court, faict ung plus ample discours, auquel il seroit trop long 273 de mettre, icy, ce que je luy ay respondu; dont suffira que je vous dye, Sire, qu'elle a monstré de demeurer de ma réplicque beaucoup satisfaicte, et pleyne de toute bonne espérance. Et m'a confirmé, avec grande expression, que, si vous luy faictes bientost voyr quelque effect bien fondé de vostre amityé vers elle, que vous pourrez fère entier et perpétuel estat de la sienne vers vous.

Puis, sur ce que je luy ay touché de celle bonne intention que vous avez vers ceulx de voz subjectz qui s'estoient eslevez, et, s'ilz se monstroient tels comme ilz debvoient envers vous, que vous dellibériez d'estre entièrement tel vers eulx comme ilz le sçauroient desirer, elle m'a respondu que vous aviez peu cognoistre par son ambassadeur, et le cognoistriés davantage par milord de North, qu'elle ne desiroit nullement ny le mal ny le trouble de vostre royaulme, et qu'elle prioit Dieu que vous peussiez bien prendre le conseil de ceulx qui droictement desiroient le bien de vostre grandeur, et l'establissement de voz affères; en quoy, encor que ce fût ung poinct bien fort enveloppé d'aultres apparances persuasives, qui avoient tant de vraysemblable qu'à peyne permettoient elles qu'on les peût discerner du vray mesmes, si espéroit elle que l'expérience, que vous aviez du passé, conjoincte avec vostre vertu et prudence, vous y feroient voyr plus cler que n'avoit jamays faict le feu Roy, vostre frère; duquel le règne, par faulte de cella, n'avoit esté, pour luy et pour vous, et pour la Royne vostre mère, et pour toutz ceulx de vostre couronne, et encores pour les plus vaillantz et les meilleurs de vostre royaulme, qu'ung perpétuel tourment, ny qu'une mort et une incomparable ruyne de tout vostre estat; m'enchargeant bien fort de vous supplier très affectueusement, 274 de sa part, que vous y voulussiez approcher l'œil de bien près: ce que non seulement je luy ay promis que je ferois, ains luy ay bien fort gratiffyé, en vostre nom, son bon conseil et sa bonne volonté.

Mais, quand je suis venu à la prier, de vostre part, qu'elle voulût octroyer passeport à ung des miens, pour porter à la Royne d'Escosse, et puis, au Prince d'Escosse, son filz, et au comte de Morthon, des lettres que Vostre Majesté leur escripvoit, elle s'est incontinent esmeue: et m'a dict que vous la debviez tenir à elle, pour beaucoup de respectz qui ne vous estoient pas incognus, en trop meilleur compte que la Royne d'Escosse, laquelle, quand bien se trouveroit régner en ceste isle, ne vous y seroit jamays si bonne amye, ny n'auroit en tant d'affection la conservation de vostre grandeur, comme elle avoit; qui sentiriés mieulx cella, quand il playroit à Dieu y ordonner de la mutation, et qu'elle s'assuroit que, lors, vous regretteriez amèrement la Royne Elizabeth.

Et m'a récapitulé aulcunes de ces mesmes choses qu'elle m'avoit dict qu'on l'avoit menacé, de cest endroict; mais je luy ay réplicqué que Vostre Majesté n'avait peu fère de moins, sur les instances de l'ambassadeur d'Escoce, et sur les remonstrances, qu'il vous avoit faictes, des très anciennes et très estroictes obligations d'entre les princes et les couronnes de France et d'Escosse, que d'uzer de cest honneste compliment de lettres vers ceste pouvre princesse, qui estoit vostre belle seur, vostre parante et vostre principalle allyée, de laquelle vous ne debviez, ny vouliés aulcunement impugner les droictz, et pareillement vers le Prince, son filz, et vers les seigneurs du païs, qui estoient toutz voz confédérés; et qu'en cella, vous n'aviez voulu 275 fère sinon aultant que m'aviez commandé de luy en communicquer, ce qu'elle debvoit interpréter en meilleure part que toutes les aultres impostures qu'on luy avoit rapportées, et ne debvoit différer l'octroy de passeport que luy demandiez; en quoy, s'il luy playsoit bailler ung adjoinct à celluy que j'envoyerois, affin qu'elle demeurât sans escrupulle, je m'assuroys que Vostre Majesté en seroit très contante.

Là dessus, la dicte Dame s'est ung peu modérée, et m'a prié que je luy donnasse ung peu de temps pour en communicquer à son conseil, et que, bientost après, elle m'y feroit responce. Et m'ayant, sur deux aultres poinctz que je luy ay remonstrez, touchant le peu de justice que voz subjectz trouvoient par deçà, et touchant la faulce monoye qu'on battoit en ceste ville, assez faict cognoistre qu'elle vous vouloit beaucoup satisfère, elle m'a bien fort gracieusement licencyé. Et sur ce, etc.

Ce XXIXe jour d'octobre 1574.

CCCCXIVe DÉPESCHE

—du IIIe jour de novembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Déclaration de Burleigh et de Leicester sur les intentions d'Élisabeth de renouer l'alliance avec la France, pourvu que le roi lui donne la ferme assurance qu'il veut maintenir le traité.—État des affaires en Écosse.—Eclaircissements sur des projets d'attentats dirigés contre la personne du roi.—Départ du vidame de Chartres pour l'Allemagne.

Au Roy.

Sire, pour davantage recognoistre si le fondz de l'intention de ceste princesse estoit semblable aulx bonnes responces qu'elle m'avoit dernièrement faictes, quand je luy 276 présentay vostre lettre, j'ay mis peyne, sur l'occasion des aultres deux lettres, qu'avez escriptes à ses deux principaulx conseillers, de négocier et fère négocier bien estroictement, avec eulx, en termes si clers que je les ay contreinctz de parler clèrement.

Et, en substance, il s'est recueilly de leur dire qu'ilz estiment que leur Mestresse et eulx ont très juste occasion d'avoyr les dellibérations qui se font près de Vostre Majesté, et les entreprinses à quoy ilz voyent que Vostre Majesté se prépare, pour bien fort suspectes, tant pour la source d'où ilz disent que dérivent voz conseilz, qui est du Pape et du Roy d'Espaigne, et d'aulcuns des vostres desquelz ilz ont une merveilleuse deffiance, que pour les objectz qu'il leur semble bien qu'ilz vous pourront mouvoir d'entreprendre contre ce royaulme pour la cause de la religyon, et pour la détention, qu'on y faict, de la Royne d'Escosse; et que, là dessus, ilz ne me veulent nullement dissimuler qu'ilz ne veillent, et qu'ilz ne consultent, dilligemment et souvant, comme ilz pourront fère que ceulx de leur dicte religyon ne souffrent tant de détriment, ailleurs, que l'orage en puisse, puis après, venir fondre, icy, sur eulx; et comme ilz pourront pourvoyr que les grands dangers, qu'ilz ont tousjours jugé très imminentz à la Royne, leur Mestresse, et à son estat, si elle ne se tenoit bien assurée de la Royne d'Escosse, ne luy survenoient; et qu'en cella ilz ont réputé nécessayre, touchant le premier poinct, d'en entendre l'advis de ceulx qui sont en mesme cause, et en pareille condicion que eulx, et, par ainsy, d'en conférer avec les princes protestantz; et, quand au second, de adhérer à ceulx des Escossoys qui conviennent, mieulx que les aultres, avec le repos de l'Angleterre; et, pour 277 toutz les deux poinctz ensemble, ilz ont estimé bon de renouveller les anciennes amityés, et en fère de nouvelles et regaigner les perdues, le plus tost et le mieulx qu'il leur seroit possible; mesmement qu'ilz estoient incertains à quoy inclineroit Vostre Majesté, à vouloir ou ne vouloir poinct l'intelligence de ce royaulme. Et néantmoins, encor que desjà il y eût de ces choses qui fussent beaucoup advancées ailleurs, il y en avoit aussy, et de plus importantes, qui restoient en suspens, pour attandre l'évidence de voz actions; et qu'ilz ne doubtoient nullement, si, après ceste bonne lettre qu'avez escripte à leur Mestresse, il vous plaisoit luy fère voyr une suyte de vostre bonne intention, et de voz bons effectz vers elle, qu'elle ne se disposât en si bonne sorte, vers voz affères, que vous la trouveriez, à toutes occasions, preste de les segonder, et de procurer l'establissement et le progrès de vostre grandeur; et que, sans difficulté, elle vous accorderoit la confirmation de la ligue, si la luy envoyés ainsi honnorablement demander, comme le traicté monstre qu'il touche à vous de le fère; mais qu'ilz me vouloient bien advertir qu'ilz ne la pouvoient conseiller de demeurer longuement sur l'incertain, parce que la sayson ne portoit qu'on se deût arrester à simples parolles: dont failloit que j'advisasse de haster, le plus que je pourrois, ce qui se debvoit establir entre vous.

Qui sont propos, Sire, fort conformes à ceulx que la dicte Dame m'a tenus, aulxquelz je n'ay deffailly de suffizante réplicque; car la matière et les bonnes raysons ont abondé de mon costé: et pense qu'elles ont esté de quelque moment, et mesmement à divertyr le voyage de Me Wilson en Flandres, aulmoins l'ont elles retardé. Mais, sur les dictz propos, j'ay à dire à Vostre Majesté que, au 278 retour de milord de North, il se doibt fère, icy, une grande résolution des choses appartenantes à ceste présente guerre, qu'ilz appellent de la religyon, sellon que je sçay qu'on a prié des personnages allemantz, qui sont prestz de partir, qu'ilz vueillent attandre jusques allors. Dont semble qu'il est expédient, Sire, que la légation de Vostre Majesté vers ceste princesse suive bientost, et sans intervalle, celle qu'elle a faicte vers vous. Et de tant qu'elle et les siens sont merveilleusement tendus sur le faict de la Royne d'Escosse, et encor plus sur le faict des Escossoys, et qu'ilz veulent pourvoyr, par toutz les moyens qu'ilz pourront, que ny la personne d'elle, laquelle ilz ont en leurs mains, ny l'intelligence d'eux, qu'ilz pensent encores mieulx posséder, ne leur eschapent, sellon qu'à présant ilz ne vivent en peyne de nul aultre endroict, ayantz réduict l'Irlande, que de ce costé là; et qu'ilz prétendent d'avoyr, s'il leur est possible, ou le Prince ou quelque aultre grande chose en gage, pour garder que le pays ne se destourne de leur dicte intelligence; il sera bon, Sire, que pourvoyés, le plus tost que pourrés, que celle ancienne alliance, conjoincte avec authorité, que voz prédécesseurs y ont tousjours conservée, et qui est deue à vostre couronne, ne vous y soit en rien diminuée; et qu'à cest effect, en desmellant les aultres choses avec la Royne d'Angleterre, vous vous esclarcissiés encores avec elle de ceste cy.

J'ay bien escript, depuis naguyères, à aulcuns seigneurs du pays, mais, parce que ce a esté par voye secrette, je ne sçay quand j'auray responce d'eux. Et me vient on d'advertyr qu'il y a grande apparance que les armes y seront bientost reprinses, parce que quelque mylord y a esté tué, qu'on dict estre le comte d'Athol; et que c'est le comte de 279 Morthon qui l'a faict fère; mais je n'ay encores bien la vériffication de cella. L'on m'a desjà promis le passeport, icy, pour envoyer voz lettres au jeune Prince d'Escosse et au dict de Morthon; mais je me trouve en celle mesmes difficulté, que j'ay cy devant mandée, que le dict de Morthon ne voudra recepvoir, ny mesmes souffrir, qu'aulcun entre au païs, qui ayt adressé au dict Prince, sinon comme à Roy, ny à luy, sinon comme à régent, et les lettres de Vostre Majesté n'ont pas celle intitulation.

Et, au regard de l'autre lettre, qu'avez escripte à la Royne d'Escosse, parce qu'on avoit desjà octroyé passeport au frère de son chancellier, présidant de Tours, pour luy aller porter quelques besoignes, lequel est encores icy, l'on a desiré que je fisse fère, par luy mesmes, le message. A quoy, pour n'augmenter les escrupulles de ceste princesse, lesquelz, par occasion nouvelle, qui a procédé de la duchesse de Suffolk, se sont, puis peu de jours, rengrégés, oultre la générallité de ceulx qu'elle a tousjours non petitz de Vostre Majesté, je m'y suis condescendu.

Et, quand à esclarcyr davantage Voz Majestez sur l'advertissement de prendre garde à voz personnes, j'ay singullièrement recherché de ceulx, d'où cella estoit venu, de m'en dire la particullarité. Et ilz m'ont séparément confirmé, qu'après qu'il se sceut, icy, que les empeschementz qu'on croyoit fermement qui deussent retarder vostre retour estoient ostez, qu'il y eut de ceulx qu'ilz appellent Puretains, qui tindrent des propos fort meschantz et malheureux, disantz qu'il n'importoit pas beaucoup que vous fussiez venu, car bientost l'on verroit ung semblable jugement sur vous, et sur la Royne, vostre mère, qu'on avoit veu sur le feu Roy, vostre frère; et qu'il ne falloit destendre 280 le tabernacle qui avoit esté dressé pour ses obsèques, parce que l'on y auroit bientost à cellébrer les vostres, et aultres motz tendantz à mesmes effect; de façon que, s'estantz eulx donnés une grande peur du danger de Voz Majestez, ilz avoient bien volu fère en sorte que je vous advertisse d'y prendre bien garde, et que, quand ilz en entendroient davantage, et de plus expécial, qu'ilz me le feroient incontinent sçavoyr. A quoy pouvez croyre, Sire, que je n'auray l'œil et le cueur moins tendus, que si c'estoit pour ma vye et pour le mesmes salut de mon âme.

Mr le vidame de Chartres s'est enfin embarqué, le XXXe du passé, avec la pluspart de toutz ces françoys qui restoient icy, et est passé à Fleximgues devers le prince d'Orange. Il m'a promis qu'estant là, et lorsqu'il sera près du comte Palatin, où il prétend d'aller, il s'efforcera de vous fère cognoistre qu'il a toute dévotion à vostre service et à la paix de vostre royaulme; et que, de Hollande en hors, il dépeschera ung des siens devers Vostre Majesté. Néantmoins l'on m'a adverty qu'ainsy qu'il entroit dans son navyre, celluy Rua, que j'ay cy devant mandé, qui estoit allé en Allemaigne, est arryvé, et qu'il s'en est retourné avecques luy en Zélande; mais qu'il doibt bientost revenir, et qu'on a entendu qu'il a dict que les choses se portoient très bien, là où il avoit esté, ce qu'on juge estre qu'il y a des forces prestes en Allemaigne pour ceulx de leur religion. Sur ce, etc.

Ce IIIe jour de novembre 1574.

281

CCCCXVe DÉPESCHE

—du VIIIe jour de novembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Entreprises diverses projetées par les Anglais contre les villes maritimes de la France.—Découverte d'une entreprise sur le Hâvre.—Surveillance qu'il importe d'exercer.—Protestation des seigneurs du conseil qu'ils ignoraient entièrement le projet de s'emparer du Hâvre.—Demande faite par l'agent du roi d'Espagne de son passeport.

Au Roy.

Sire, je supplye très humblement la Royne, vostre mère, de se vouloir souvenir comme, dès qu'il fut sceu par deçà que le retour de Vostre Majesté en France estoit par l'Italye, je luy donnay advis que les entreméteurs de ceulx de la nouvelle religyon, se deffiantz de pouvoir obtenir telles condicions de paix comme ilz desiroient, s'estoient mis à dellibérer de la continuation de la guerre, et, entre aultres choses, de surprendre des places en Picardye et Normandye, le long de la mer; et desjà ilz faysoient estat d'en emporter quelques unes, dont estimois estre besoing qu'on renforçât les garnisons de Callays, de Bouloigne, de Dieppe, du Hâvre et de Cherbourg, et qu'on advertît les gouverneurs d'estre vigilantz à la garde de ces cinq villes, et touchoys encore quelques mots de Brouage; dont, à peu de jours de là, je fus infinyement ayse que Sa Majesté m'escripvît qu'elle avoit très bien pourveu, non seulement à ces cinq places, mais à toutes les aultres le long de la mer, jusques à Bourdeaulx. Qui pense, Sire, que ceste sienne dilligence d'allors a servi beaucoup maintenant contre la praticque, qu'on dict qui 282 s'est descouverte du Hâvre de Grâce, de quoy je loue et remercye Dieu de tout mon cueur.

Néantmoins je retourne advertyr Vostre Majesté qu'il est expédient de refraychir, de rechef, ce mesmes advertissement aulx mêmes gouverneurs, et renforcer leurs garnisons, tant pour la conservation de leurs places, et pour ne laysser occasion quelconque à ceulx de dehors d'y entreprendre, que pour garder que, au dedans du pays, ne se face aulcun mouvement; car voicy, Sire, ce que l'ung de ceulx, que j'ay mis après à observer les ministres, m'a rapporté, que aulcuns d'eulx se sont desbouchez de dire que Vostre Majesté seroit bientost travaillé de plus d'endroictz qu'elle ne pensoit; et qu'ilz avoient de leurs amys, gens de bonne mayson, et aultres, en Picardye, qui, du premier jour, se déclareroient ouvertement pour eulx, et que les restes de Normandye, qui n'estoient encores toutes mortes, ne manqueroient pas de leur costé, et, possible, de telz d'où l'on n'avoit encores ouy parler; et que ce ne seroit, sans qu'ilz se fissent maystres de quelque bonne place d'importance, où ilz pourroient recevoyr le secours, car c'estoit de quoy ilz se debvoient principallement efforcer, pour induyre les Angloix de favorizer leurs entreprinses. Et disoient davantage qu'il estoit résolu qu'on tiendroit ung bon nombre des navyres de guerre angloix, et de ceulx de Hollande, en Brouage, et qu'on recepvroit leurs gens dans le fort, affin qu'ilz se peussent tenir plus assurez de leurs vaysseaulx; et que les mesmes ministres avoient remonstré à ceste princesse, qu'en la présente occasion, où elle voyoit bien qu'il y alloit de l'entière extermination, ou de l'establissement, pour jamays, de sa religyon, et le semblable de l'estat de sa couronne, elle ne debvoit refuzer 283 d'y mettre, à bon escient, la main, et se préparer à quelque belle entreprinse par dellà, comme de s'impatronir de quelque bonne place, et la bien pourvoyr, ou bien envoyer joindre ses forces à celles qu'elle y verroit bientost en campaigne; car pouvoit considérer que les vostres seroient bien fort retardées en Languedoc, et beaucoup diminuées, avant que Nymes et Montaulban, après les aultres moindres places, fussent prinses; et que la Rochelle, si vouliés entreprendre de la forcer, vous ruyneroit plus d'hommes et vous consommeroit plus d'argent et de monitions de guerre, que n'avoit faict l'aultre foys; et que la trouveriez, à ceste heure, plus imprenable que ne fîtes au premier siège, parce qu'ilz avoient mieulx pourveu de garder les advantages de la mer, qu'ilz n'avoient eu, lors, ny le temps, ny le moyen de le fère; et quand la dicte Dame n'en debvroit rapporter aultre prouffict que d'entretenir la guerre par dellà, et garder qu'elle ne passât, icy, en son royaulme, et ne laysser succomber, du tout, sa religyon, ce luy seroit ung très grand bien et une réputation immortelle.

Sur quoy, Sire, je retourne supplier très humblement Vostre Majesté de pourvoir à ces deux coings, de Picardye et Normandye, qui regardent ceste mer, et commander de fère quelque effort à reprendre Brouage, pendant qu'il n'est encores ny si bien fortiffié, ny si bien muny, ny en telle deffance, comme l'on prétend bientost de le mettre. Qui ay opinyon que c'est la plus salutayre entreprinse qui se pourroit fère du costé de la Guyenne; bien que je ne pense pas que, désormays, ceste princesse se laysse aller à toutes les persuasions des dictz ministres, et que mesmes nous leur pourrons rabattre une bonne partye de leurs plus 284 aspres dellibérations, si renvoyés aulcunement bien satisfaict son milord de North, sellon que je l'ay remise, et les plus authorisez de son conseil, en trein de renouveller et confirmer très estroictement la ligue avec Vostre Majesté. Et ay convié iceulx seigneurs du conseil à disner, le jour de St Martin, en mon logys, pour y fère la conjouyssance de l'heureux retour de Vostre Majesté, et pour aultres bons effectz; qui m'ont toutz promis d'y venir volontiers, ayant bien voulu cependant toucher à aulcuns d'eulx que Vostre Majesté sentiroit grandement ceste trame qu'on avoit menée sur le Hâvre, laquelle on disoit procéder en partie de deçà, ce qu'ilz m'ont aussytost très fermement contredict, et qu'elle n'en venoit nullement. A tout le moins me vouloient ilz, et mesmement le comte de Lestre, assurer, à peyne de reproche, et d'estre estymé, luy, le plus infâme et desloyal gentilhomme qui vive, si la Royne, sa Mestresse, ny pas ung de son conseil, ny de sa court, ny mesmes ung seul angloix, y participoit; car, pour ceste heure, leurs dellibérations ne tendoient à rien de semblable. Le Sr de Sueneguen, agent du Roy d'Espaigne, voyant que le voyage de Me Wilson s'alloit retardant, et réfroidissant, de jour à aultre, a faict semblant qu'il avoit obtenu congé du grand commandeur de Castille pour se retirer, dont est allé à Ampthoncourt se licencier de ceste princesse, en espérance qu'elle le prieroit de demeurer. Je ne sçay ce qu'elle fera; tant y a qu'il m'est venu dire adieu, avant d'aller au dict Ampthoncourt, comme pour publier davantage sa retraicte. Sur ce, etc.

Ce VIIIe jour de novembre 1574.

285

CCCCXVIe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de novembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Conférence de l'ambassadeur avec Leicester.—Déclaration qu'Élisabeth est avertie que le roi a résolu de lui faire la guerre.—Complète réconciliation de la reine d'Angleterre avec le roi d'Espagne.—Affaires d'Écosse.—Nouvelles répandues à Londres des succès remportés par les protestans en France.—Avis à la reine-mère. Plainte d'Élisabeth de ce que le roi et la reine-mère lui auraient voué une haine implacable.—Justification faite par l'ambassadeur à raison de ce reproche.—Description d'un phénomène maritime survenu à Londres.

Au Roy.

Sire, entendant que la Royne d'Angleterre avoit faict assembler ceulx de son conseil, sur une dépesche qu'elle avoit receu d'Allemaigne, et sur troys aultres qui luy estoient venues, coup sur coup, du costé de France, les deux de son ambassadeur résidant, et la troysiesme de milord de North, avant qu'il outrepassât Paris; et encores sur ce que luy avoit rapporté ung courrier freschement retourné d'Escosse; et que, là dessus, les ministres, et, incontinent après eulx, le Sr de Sueneguen avoient esté devers elle; je n'ay peu demeurer longtemps sans m'esclarcyr des escrupulles que tout cella m'avoit engendré. Qui, pour ne vivre en plus de peyne, ay trouvé moyen de parler, à part, et bien au long, avec le comte de Lestre, et l'ay curieusement examiné si, de nul costé, estoit survenue occasion qui eût admené du changement en la bonne dellibération où me sembloit naguyères avoyr layssé la Royne, sa Mestresse, et eulx toutz, vers les présentz affères de Vostre Majesté.

Lequel m'a respondu en somme que, de divers endroicz 286 de la Chrestienté, la dicte Dame estoit admonestée de se préparer à la guerre, parce que vous aviez proposé de la luy fère, et que de cella l'on luy admenoit tant d'argumentz et de raysons apparantes qu'il me confessoit qu'elle ne sçavoit à quoy s'en tenir; et que ceulx, qui mettoient peyne de ne la laysser aller à ceste persuasion, n'avoient qu'y pouvoir opposer, sinon la seule parolle, que je leur avoys donnée, de la bonne intention de Vostre Majesté vers elle; et que le dict comte et quelques autres, qu'il ne me vouloit pas nommer, s'estoient formalizés, pour moy, de dire qu'ilz ne m'avoient encores jamays veu négocier à faulces enseignes, ny sans que j'eusse charge bien expresse et bien fondée de tout ce que je disois, et qu'il m'assuroit que la dicte Dame demeuroit encores fermement résolue d'attendre l'évidence de voz effectz vers elle; et que, si elle les cognoissoit bons et pleins d'une vraye et non feincte amityé, qu'indubitablement elle vous uzeroit d'une très ferme correspondance, et vous pourriez assurer d'avoyr en elle la plus entière et parfaicte de toutes les amies, qu'ayez au monde; et, au contrayre, aussy, si vous la provoquiez, que nulle, en toute la terre, vous seroit plus mortelle, ny plus irréconciliable ennemye, qu'elle; et que, pour le présant, il me pouvoit jurer que, non seulement des ouvertes dellibérations de la dicte Dame, mais des plus secrettes, qui se fissent dans son cabinet, Vostre Majesté avoit occasion d'en demeurer très contant, et mesmes d'en sentir beaucoup d'obligation à elle; et qu'il desiroit que, bientost après le retour de milord de North, Vostre Majesté envoyât quelque personnage d'honneur et bien choisy par deçà; car espéroit qu'il vous rapporteroit toute satisfaction, ne me voulant toutesfoys dissimuler que sa 287 Mestresse estoit en très bons termes avec le Roy d'Espaigne, mais que cella n'empescheroit qu'elle ne fût encores en meilleurs avec vous.

Et de ceste mesme substance ont esté les responces d'aulcuns aultres de ce conseil avec lesquelz j'ay envoyé négocyer; ayant à vous dire, Sire, touchant ce dernier poinct, que m'a touché le comte de Lestre, de la réconciliation avec le Roy d'Espaigne, que le Sr de Sueneguen, estant naguyères à Amptoncourt, a tant faict que, bien qu'on ne l'ayt beaucoup prié de résider davantage par deçà, il a néantmoins obtenu que la légation du mestre des requestes, laquelle avoit esté interrompue, s'effectueroit présentement; et mesmes j'entendz qu'ilz passent aujourdhuy la mer, de compagnye, pour aller trouver le grand commandeur de Castille. A quoy a bien aydé certain advis, qui est freschement arryvé, par chiffre, de Bruxelles, à Mr Walsingam, comme la paix se va fère aulx Pays Bas.

J'ay retiré, avec assez de difficulté, ung passeport, signé de huict de ce conseil, pour envoyer ung des miens porter les lettres de Vostre Majesté en Escosse; mais je suis tousjours en peyne de ce que j'ay mandé, par mes précédantes, que le comte de Morthon ne voudra, en façon du monde, recepvoir personne qui n'ayt addresse au Prince d'Escosse comme à Roy, et à luy comme à régent. Dont attandray encores le segond commandement de Vostre Majesté là dessus. Et vous diray cependant, Sire, que j'ay faict une négociation, depuis huict jours, en quelque endroict de ce royaulme, par laquelle j'espère qu'il sera mis assez d'empeschement à celle tant chaude praticque, qu'on menoit, d'avoyr le dict jeune Prince d'Escosse par deçà, et que les picques, qu'on nourrissoit entre ceste princesse 288 et la Royne d'Escosse, demeureroient pour la pluspart esteinctes. Du Rua n'a point encores esté renvoyé par le vidame, et sont, toutz deux, avec le prince d'Orange. Ce qu'il a publié, que les affères alloient bien, de là où il venoit, semble avoyr esté plus dict à artiffice, pour le cuyder ainsy fère acroyre, que pour la vérité. Car l'on a, depuis, remarqué que les ministres ont esté fort troublés du peu d'espérance, qu'il leur a donnée, que les forces d'Allemaigne vueillent marcher pour eulx, s'il n'y a du contant, ou assurance de plus grand somme, qu'ilz n'ont moyen, pour encores, de fournir, ny de bailler respondant. Et vouloit le dict Rua destourner le vidame de n'aller poinct par dellà, l'assurant qu'il n'y advanceroit rien. Néantmoins les ministres, pour maintenir, par ung aultre endroict, leurs affères en réputation, publient que Mr le maréchal Dampville s'est ouvertement déclaré pour eulx, et qu'il s'est saysy de Beaucayre, Montpélier, Aygues Mortes et Narbonne; et que le cappitaine Montbrun a deffaict sept enseignes de gens de pied de Vostre Majesté, et qu'à Lusignan, ceulx de dedans ont faict une si brave sallye, qu'ilz ont mis en roupte tout le camp de Mr de Montpensier: et s'y mesle, je ne sçay quoy, de Mr de Savoye, ez dictz propos, que je n'ay encores bien comprins. Sur ce, etc.

Ce XIIIe jour de novembre 1574.

ADVIS, A PART, A LA ROYNE.

Madame, en ceste conférance, que j'ay eue avec le comte de Lestre, oultre les propos que je déduictz en la lettre du Roy, vostre filz, qu'il m'a tenuz, il m'a dict davantage que la Royne, sa Mestresse, ne se pouvoit donner, à ceste heure, tant de repos, du costé de France, comme elle avoit faict jusques icy, parce qu'on luy avoit révellé que Vostre Majesté ne l'aymoit nullement, et que toutes ces honnestes démonstrations, dont uziés vers elle, n'estoient que pour 289 l'entretenir, pendant que le Roy, vostre filz, et Vous, estiés bien empeschés ailleurs; mais que, toutz deux, luy gardiés une dangereuse pensée, pour l'effectuer, quand le temps vous y pourroit servir;

Néantmoins qu'elle résistoit fort à ceste persuasion, et desiroit, plus que chose du monde, qu'elle peût cognoistre qu'il en alloit aultrement, car, si elle se pouvoit bien assurer de vostre droicte amityé, encor qu'elle se sentît bien avoyr des ennemys près du Roy, néantmoins elle n'auroit plus à estre ny en difficulté, ny en doubte, d'aulcune chose de dellà.

Sur quoy j'ay admené au dict sieur comte la pluspart des évènementz, qui ont apparu en la Chrestienté, depuis que Vostre Majesté manye les affères de France jusques à maintenant; et que l'ordre et succez d'iceulx avoit bien peu fère voyr à la Royne, sa Mestresse, que, oncques, il ne luy estoit advenu de rencontrer une si constante amye, ny sy persévérante, en toutes occasions, comme Vostre Majesté luy avoit toujours esté.

Et l'ay pryé qu'il voulût bien remarquer cella pour en rendre capable sa Mestresse, et pour la mettre hors de ceste faulce et fascheuse impression qu'on luy avoit voulu donner. Ce qu'il a monstré de beaucoup gouster, et m'a promis de fère en sorte que sa Mestresse le gousteroit, et s'en contanteroit.


Et me remettant, Madame, pour ceste foys, de toutes aultres choses au contenu de la lettre du Roy, vostre filz, je adjouxteray seulement, icy, une nouveaulté qui est arrivée, en ceste ville, le VIe de ce moys, qu'après la première marée du matin, ainsy que l'eau commançoit à baysser, une aultre marée est soubdain revenue, qui a remonté: et est venue si haulte qu'elle a inondé bien avant dans le pays, chose que ceulx cy ont prinse pour un grand présage et y donnent diverses interprétations.

290

CCCCXVIIe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de novembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calays par Jehan Volet.)

Conférence de l'ambassadeur avec les seigneurs du conseil.—Retour en Angleterre du frère de lord de North.—Nouvelles de la Rochelle.—Mécontentement d'Élisabeth contre la comtesse de Lennox, au sujet du mariage de son fils avec la fille du comte de Schrewsbury.—Défense qui lui est faite de continuer son voyage en Écosse.—Nouvelles de ce pays.—Avis à la reine-mère. Conférence de l'ambassadeur avec Walsingham.

Au Roy.

Sire, les sept premiers et principaulx du conseil d'Angleterre, avec d'autres seigneurs de ceste court, sont venuz, le jour de St Martin, prendre leur dîner en mon logys, et Mr de Walsingam, qui estoit l'ung d'eux, m'a dict qu'il avoit charge de me fère les recommandations de la Royne, leur Mestresse, et m'assurer qu'encor qu'elle fût absente elle desiroit de communicquer, aussy bien que eulx, qui estoient présentz à ceste conjouyssance, que je cellébroys, de l'heureux retour de Vostre Majesté; et que, non seulement elle leur avoit volontiers donné licence d'y venir, ains avoit prins grand plésir de voyr que, allègrement et fort vollontiers, ilz y venoient. Pour laquelle honneste démonstration d'elle, j'ay pryé le Sr de Walsingam de luy dire que, mille et mille foys, je luy baysois très humblement les mains, et que je ne fauldroys de le signiffyer à Vostre Majesté. Et vous puis dire, Sire, quand à iceulx seigneurs du conseil, qu'il n'y en a eu pas ung qui n'ayt mis quelque honneste propos en avant pour honnorer vostre valeur et vertu, et pour cellébrer les rares et excellantes qualitez que Dieu a mis en vostre personne; 291 monstrans ung singullier desir que l'amityé puisse continuer, bonne et droicte, entre Vostre Majesté et la Royne, leur Mestresse, avec une bonne et parfaicte intelligence entre voz deux royaulmes.

Sur quoy je leur ay remonstré que c'estoit de eulx mesmes que principallement avoit à dépendre le succez de ce grand bien, parce qu'ilz guidoient les intentions de leur Mestresse, et régloient les actions de ses subjectz; et que je les priois qu'à l'appétit et persuasion d'aulcuns, qui se faisoient, à crédit, et sans aulcune juste occasion, eulx mesmes malcontantz, ilz ne voulussent dellibérer chose aulcune, ny en dissimuler nulle aultre, par deçà, qui peût susciter de l'altération en ceste bonne amityé: car pouvoient penser que ce ne seroit par injures et déplaysir, ains par honnestes gratiffications, et mutuelles bénefficences, que la dicte amityé se rendroit perdurable.

Ilz m'ont répliqué que pleût à Dieu que toutz ceulx de vostre conseil fussent d'aussy bonne intention vers la dicte amityé, et aussy promptz de la vous persuader, comme ilz la desiroient de leur part, et estoient prestz de la conseiller toujours à leur Mestresse; et qu'encor que, quelquefoys même, ilz ne le vouloient pas nyer, ilz prêtassent l'oreille aulx malcontantz, sellon qu'il n'estoit pas expédient de la leur fermer du tout, si me prioient ilz de croyre qu'ilz sçavoient assez bien comme s'excuser, et se couvrir de leurs importunitez, et qu'en effect vous ne trouveriez que toute bonne correspondance en leur Mestresse, et en eulx, et en tout ce royaulme, pour veu qu'ilz peussent cognoistre de la disposition bonne en Vostre Majesté.

J'ay à eulx toutz, en général, et encores à quelques ungs, en particulier, aprofondy davantage ce propos, 292 parce que, le jour précédant, estant la nouvelle, dont j'ay faict mencion en la fin de ma dernière dépesche, arrivée, j'eus advertissement que Me Quillegreu, lequel est assez dilligent de brouiller tousjours les affères, estoit aussy allé trouver Mr de Méru, et avoit assemblé les plus aspres ministres chez luy, et puis l'avoit mené à Amtoncourt. De quoy m'estant imprimé beaucoup de souspeçon, j'ay bien voulu tout clèrement la leur descouvrir, mais ilz m'ont pryé de n'estre en peyne, et n'en vouloir encores donner, de cest endroict, à Vostre Majesté; car vous estiez en très bons termes avec la Royne, leur Mestresse, pour establir une mutuelle et très ferme assurance entre vous, et que pourtant il se failloit bien garder de ne rien précipiter.

Et s'en estantz, le jour d'après, iceulx seigneurs tournez vers leur Mestresse, ilz ont trouvé que le frère de milord de North estoit arrivé, lequel, en passant, a tenu à ceulx de ses amys, qu'il a rencontrez en ceste ville, plusieurs propos de fort grande satisfaction, du lieu d'où il venoit. Et j'ay aussytost envoyé en court, pour observer, au vray, le rapport qu'il y feroit.

Ceulx de la Rochelle ont faict une fort ample dépesche aulx ministres et aultres de la nouvelle relligyon, qui sont icy, du XIIIIe du passé, par où j'entendz qu'ilz monstrent de desirer la paix, et qu'ilz ont, au retour de Roger, vostre valet de chambre, que leur aviez envoyé, dépesché incontinent le Sr de Bessons vers Vostre Majesté; et néantmoins, pour n'espérer telles condicions de seureté, ny tant d'exercisse de leur religyon comme ilz desireroient, ilz remonstrent qu'ils font cepandant grand dilligence de se munir, par terre et par mer, et de pourvoyr leur ville, pour soubstenir la guerre; et sollicitent ceulx 293 de deçà de leur moyenner du secours pour le besoing, et de leur envoyer des armes et des pouldres, et aultres monitions. En quoy je mettray peyne de leur y estre le plus oposant qu'il me sera possible. Les dictz ministres font un grandissime cas de la conversion du Sr Dampville, et disent qu'il a de grandes forces aulx champs, qui marchent pour eulx, et beaucoup de bonnes et fortes places à sa dévotion. Et m'a l'on confirmé, qu'ilz continuent de mesler Mr de Savoye fort avant au discours de ces choses; et que bientost l'on me sçaura dire en quelz propres termes ilz en parlent, dont je ne fauldray d'en advertyr incontinent Vostre Majesté.

Il est advenu que la comtesse de Lenox, faysant son voïage vers le North, s'est rencontré avec la comtesse de Cherosbery, et a moyenné, pour le jeune comte de Lenox, son filz, le mariage de la fille de la dicte comtesse, bien qu'elle en fût en termes avec la duchesse de Suffolk, pour le filz de la dicte duchesse; et ont passé oultre à fère les nopces, sans attandre la volonté de la Royne d'Angleterre; laquelle s'en trouve si offancée qu'elle a contremandé la dicte comtesse de Lenox et son filz; et pense l'on qu'elle les fera mettre dans la Tour. Duquel évènement je suis, d'ung costé, bien ayse, parce que le voïage de la dicte comtesse demeure interrompu, et qu'elle n'yra poinct en Escosse; et, d'ailleurs, je crains qu'ayant faict amityé avec la comtesse de Cherosbery, elle la rende ennemye de la Royne d'Escosse.

J'ay sceu que, en Escosse, les choses se maintiennent encores assez paysibles, et que le comte d'Athol, qu'on disoit avoir esté tué, se porte bien, et n'a eu nul mal; et que le comte de Morthon a esté fort malade, mais qu'à 294 présent il est guéry, et qu'encor qu'il continue de se fère haïr, il se faict néantmoins tousjours craindre et obéyr. Sur ce, etc. Ce XVIIe jour de novembre 1574.

Je viens de recepvoyr vostre pacquet, du dernier du passé, sellon lequel Me North a grande occasion de bien cellébrer la faveur et bon traictement, que milord de North, son frère, a receu de Vostre Majesté.

ADVIS A PART, A LA ROYNE.

Madame, je racompte sommayrement, en la lettre du Roy, ce qui s'est passé avec les seigneurs de ce conseil, quand je les ay festoyés, le jour de St Martin, en mon logis; et adjouxteray davantage que, le mesmes jour, j'ay tiré, à part, Mr de Walsingam pour luy dire que Voz Majestez Très Chrestiennes avoient plus de plésir de son advancement, et de le voyr monter en authorité, en ceste court, que de gentilhomme qui fût en Angleterre, pour la bonne opinyon qu'aviez conceue de sa vertu et de sa suffisance; et n'y avoit qu'une seule chose qui vous mît en suspens de luy, c'est que vous l'aviez ung peu cognu extrême au faict de sa religyon, dont creigniez qu'il se formalizât, et qu'il se rendît plus parcial, qu'il n'estoit besoing, près de la Royne, sa Mestresse, pour ceulx qui s'estoient eslevez en vostre royaulme.

En quoy j'estois bien ayse qu'il eût gousté, depuis qu'il estoit dans ce conseil, mieulx qu'il n'avoit faict auparavant, les poinctz qui appartiennent à la souverayne authorité d'ung prince, pour considérer qu'ayant le Roy, vostre filz, premier que de venir à la couronne, exposé mainte foys et azardé fort courageusement sa propre personne pour la religyon catholicque, c'estoit bien tout ce qu'avec sa réputation il pouvoit fère, pour ceulx de l'autre religyon contrayre, que de leur octroyer l'entière restitution de leurs biens, la seureté de leurs personnes, et la liberté de leurs consciences; et que, si, dorsenavant, sa Mestresse et ceulx de son conseil favorisoient leur opiniastreté, ny pareillement celle des malcontantz qui leur voudroient adhérer, qu'il failloit qu'elle et eulx confessassent de soustenir ung très maulvais exemple de rébellion, dans l'estat du Roy, qui seroit, possible, quelque jour, de très grand préjudice au leur.

A quoy il m'a respondu qu'il baysoit très humblement les mains de Voz Majestez, et qu'en mettant toute la peyne, qu'il pourroit, d'honnestement 295 s'employer près de la Royne, sa Mestresse, pour vostre service, il s'efforceroit d'esgaller ses actions à la bonne opinyon qu'il vous playsoit avoyr de luy; et qu'il ne voyoit pas que la dicte Dame ny les siens eussent à se formalizer beaucoup pour les eslevez de vostre royaulme, si leur octroyés, ou ne leur octroyés poinct, tout ce qu'ilz demandent de leur religyon; et que, sellon son advis, s'ilz obtenoient de leur prince l'entière liberté de leur conscience, qu'ilz debvoient, attandant mieulx, louer Dieu, et se contanter; mais qu'il y avoit bien aultre chose qui mouvoit sa Mestresse, c'estoit de voyr que toutes les dellibérations du Roy, vostre filz, s'alloient formant par ung conseil qu'elle avoyt très suspect, et que, si ne luy faisiés cognoistre qu'elle peût establir très confidemment une bonne intelligence avec Voz Majestez mesmes, sans danger d'estre interrompue par ceulx qu'elle a opinyon que ne la voudroient pas, qu'il me vouloit librement dire que vous ne trouveriez jamays que meffiances et difficultez, et très grandes escrupulles, du costé d'elle.

Et bien que je me soys efforcé de luy rabatre ceste sienne impression, comme très mal fondée, il a monstré d'entendre si parfaictement tout ce qui dépandoit de ce poinct, et toutes les circonstances d'icelluy, que je n'en ay peu tirer aultre chose, sinon que, pour la fin, il m'a dict qu'il supplioyt très humblement Voz Majestez de croyre que, estant parfaictement angloix, nul seroit jamays meilleur françoys, en Angleterre, que luy; et que bientost il reviendroit en ceste ville, tout exprès, pour me visiter, et pour conférer privéement de toutes choses avecques moy.

CCCCXVIIIe DÉPESCHE

—du XXIIe jour de novembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Satisfaction d'Élisabeth à raison de l'accueil fait en France à lord de North, son ambassadeur extraordinaire.—Desir des protestans du Poitou et de la Rochelle de faire la paix.—Description de phénomènes atmosphériques survenus en Angleterre.

Au Roy.

Sire, j'entends que, de la lettre que milord de North 296 a escripte, et du rapport que son frère a faict, il demeure ung très grand et souveraynement bon tesmoignage de Vostre Majesté en ceste court, et que toutz deux ont loué bien fort à la Royne, leur Mestresse, l'honnorable façon de laquelle il vous a pleu recepvoyr sa légation; et vous ont attribué, sur ce qu'ilz ont peu comprendre de la gravité de voz responces, et de la dignité de voz actions et de vostre royalle personne, toutes les excellantes et plus belles parties qui se pourroient desirer en ung prince. De quoy aulcuns eussent bien voulu qu'ilz eussent moins dict, et moins escript, et qu'ilz eussent espargné la vérité; mais ilz ont parlé droictement, et si, ont fort assuré qu'aviez bonne inclination à la paix, et que néantmoins vous n'obmettiez une de toutes les provisions qui estoient nécessayres pour une bien forte guerre; en quoy toutes choses vous y alloient, de jour en jour, succédant sellon vostre desir. Bien est vray qu'ilz avoient opinyon que, de la déclaration de Mr Dampville vous pourroit survenir des difficultez nouvelles, et non petites, en la dicte guerre, et du retardement beaucoup en la paix, toutesfoys qu'ilz avoient cuydé sentir que ceulx de la nouvelle religyon ne se fioient que bien à point de luy, et qu'ilz creignoient que, pour retirer son frère aysné, et fère revenir ses aultres frères, et accomoder ses affères, il pourroit bien entreprendre de vous fère quelque extraordinaire service à leurs despens.

Sur quoy il m'a esté mandé que la dicte Dame avoit seulement respondu qu'elle s'estoit toujours bien attendue, que vous uzeriés de quelque bonne démonstration vers elle, mais non de si grande et si pleyne d'honneur et de faveur, comme aviez faict en l'endroict de son ambassadeur, dont elle vous en avoit beaucoup d'obligation; et qu'elle se resjouyssoit 297 bien fort qu'eussiez la volonté d'amortir ces émotions de vostre royaulme par la voye de douceur, sellon qu'elle réputoit estre une chose trop plus heureuse que recouvrissiez de voz subjectz, avec leur amour et bienveillance, en leur donnant la paix, l'obéyssance naturelle et parfaicte qu'ilz vous doibvent, que si, par une définition de guerre, vous ne regaignés sur eulx que une domination pleyne de terreurs, d'espouvantement, et d'indignation cachée dans leurs cueurs; et qu'au reste elle vouloit suspendre son jugement du faict de Mr Dampville jusques à ce qu'elle en sceût mieulx la vérité. Et j'estime, Sire, que les choses demeureront en cest estat jusques au retour de milord de North, lequel l'on espère que pourra estre icy à la fin de ce moys.

L'on m'a raporté que ceulx de Poictou et de la Rochelle, par le discours de leurs lettres, qu'ilz ont escriptes par deçà, du XIIIIe et XVIIIe du passé, monstrent, à bon escient, qu'ilz desirent la paix; et que, regardans à plus de choses que ne font ceulx qui les incitent à la guerre, mandent à leurs agentz que, s'ilz peuvent trouver de bonnes et seures condicions vers Vostre Majesté, qu'ilz sont toutz résolus d'y entendre; et que ce sont ceulx de la noblesse qui principallement les y persuadent. De quoy les ministres de ceste ville, qui creignent quelque diminution en leur religyon, s'en trouvent grandement escandalizés, et s'en esmeuvent, plus que je ne le sçauroys dire, et ne layssent nulle pierre à mouvoir pour interrompre ce bon euvre, sollicitantz ung chascun, et veillantz, jour et nuict, pour dresser des remonstrances et une longue responce par dellà, affin d'y divertyr les gens de bien de ce bon et sainct propos, et les abuser d'une veyne espérance de 298 secours d'Angleterre, d'Allemaigne et de Flandres; et font tenir prest ung Lachemaye, qui, naguyères, en est venu, pour le renvoyer avec ceste ample dépesche. Dont je desireroys, Sire, que fissiez uzer de quelque dilligence vers les dictz de Poictou et de la Rochelle, pour prévenir vers eulx la malice des dictz ministres; et, de ma part, j'essaye bien, par les meilleurs moyens que je puis, de fère escripre l'agent de la Rochelle et les aultres, qui sont de ce quartier là, tout au contrayre de leurs dictes dépesches. J'entendz que, depuis deux jours, les dictz ministres font courir, de main en main, une déclaration qu'ilz disent venir de Mr le Prince de Condé, et quelques aultres escriptz que je n'ay peu encores recouvrer; mais je feray dilligence de sçavoyr que c'est, pour en advertyr Vostre Majesté.

Il semble que, sur ce malcontantement, que la Royne d'Angleterre a conceu de la comtesse de Lenox, qu'elle dellibère de renvoyer Me Quillegreu en Escosse. Je ne sçay à quelles fins; mais je feray observer l'occasion pour quoy c'est, affin de pourvoyr, le mieulx que je pourray, qu'il n'en viegne détriment à vostre service. Et sur ce, etc.

Ce XXIIe jour de novembre 1574.

La dicte Dame et les siens sont aulcunement espouvantez des prodiges, qui apparoissent par deçà; et mesmes que, depuis la double marée, du VIe de ce moys, il a esté veu de grands brandons de feu, en l'ayr, qui ont rendu les deux nuicts, du XVe et XVIe du présent, aussi lumineuses et clères comme de plein jour, encor qu'il ne fît poinct de lune. Et ont continué les dictz feux, en diverses figures, depuis les deux heures après minuict, jusques envyron les huict heures du matin, que le soleil estoit desjà bien haut. Sur quoy, aulcuns astrologiens de ce royaulme ont esté mandez; mais ne sçay encore quelle signiffication ils y donnent.

299

CCCCXIXe DÉPESCHE

—du XXVIIe jour de novembre 1574.—

(Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Danger de la reine d'Écosse.—Prière de Marie Stuart au roi pour qu'il la prenne en sa protection.—Instances des protestans de France auprès de Mr de Méru.—Résolution des habitans de la Rochelle de se défendre jusqu'à la dernière extrémité.—Changement apporté dans les bonnes dispositions des Anglais par la violation de la capitulation de Fontenay.

Au Roy.

Sire, j'ay addressé, en la meilleure et plus digne façon que j'ay peu, à la Royne d'Escosse, vostre seur, la lettre que Vostre Majesté luy a escripte, du VIIIe du passé; et elle m'a mandé qu'elle s'en est resjouye, oultre mesure, et plus que de nulle autre chose, qui luy eût, en ce temps, peu advenir, de quelle part qui soit au monde, et m'a faict tenir la responce, qui est de sa main, laquelle j'ay adjouxté à ce pacquet; et croy que la consolation et visite de vos lettres, à ceste pouvre princesse, vous sera imputé à ung euvre de grande charité devant Dieu, et ung office de singullière recommandation envers les princes souverains, et envers les gens de bien de toute la terre. La dicte Dame loue Dieu de vostre heureuse arrivée, et le prie incessamment, pour le bon succès de voz affères, et pour la grandeur et félicité de Vostre Majesté. Elle est si subjecte à calompnies, et ses ennemys sont si promptz à luy attribuer l'occasion de toutz les maux et désordres qui surviennent en ce royaulme, qu'ilz ont voulu imprimer à la Royne, sa seur, qu'elle estoit cause du mariage du comte de Lenox avec la fille de la comtesse de Cherosbery, et qu'elle avoit 300 ligué la duchesse de Suffolc et la comtesse de Lenox avec la dicte comtesse de Cherosbery pour monopoler plusieurs choses pour elle dans ce royaulme; là où, au contrayre, elle crainct, plus que chose du monde, que de la racointance de ces troys dames, desquelles les deux luy ont esté tousjours très ennemyes, ne luy viegne beaucoup de traverse en ses affères et ung préjudice, par trop grand, à sa propre liberté. Dont, de quelle part que puisse procéder le mal, elle a senty qu'on faysoit, là dessoubz, une aspre menée pour l'oster de la garde du comte de Cherosbery, et la mettre en des mains qu'elle n'a moins suspectes que la mort. Sur quoy m'a escript qu'elle recouroit, comme vostre belle seur, et vostre principalle allyée, et de vostre sang, à la protection de Vostre Majesté, et, qu'en cas qu'on la voulût mettre en mains suspectes, qu'elle vous supplioyt de vous y oposer, et de protester de la conservation de sa vye, et de vanger sa mort, et le tort et injure qu'on luy feroit; et que c'est bien ce qu'elle doibt et peut justement espérer de l'appuy de vostre couronne.

Je ne luy ay encores respondu, mais, ayant descouvert, premier qu'elle, toute ceste trame, j'ay mis le plus de dilligence et de soing que j'ay peu d'y remédier, et espère que les choses n'iront si mal, comme ses ennemys le procurent, ny comme elle a eu juste occasion de le craindre. Néantmoins il vous plerra me commander, là dessus, vostre volonté, et me mander ce que j'auray à luy respondre.

Le Sr de Vassal est arryvé, avec vostre dépesche, du Xe du présent, sur laquelle j'espère voyr bientost ceste princesse, et je satisferay, puis après, à toutz les chefz de vos lettres, le plus tost et le mieulx que ma santé, laquelle 301 je sentz, de jour en jour, évidemment empirer, en ce lieu, me le pourra permettre. Et vous diray cepandant Sire, que, sur ce que j'ay faict cognoistre en ceste court, que les allées et venues, que Mr de Méru y faisoit, m'estoient suspectes et plus encores celles des ministres; il m'a esté respondu, quand aulx ministres, qu'on ne pouvoit, en Dieu et conscience, refuzer d'ouyr ce qu'ilz trouvoient nécessayre d'estre dict et remonstré, ou bien proposé, pour la deffance de leur relygion, qu'ilz avoient commune avec cest estat, et qu'à cella je m'oposeroys en vain; mais quand à l'aultre, que je n'avoys à me plaindre de faveur qu'on luy fît, car l'on n'avoit encores veu ny ouy parolle de luy, qui ne fût sellon l'honneur et dignité de Vostre Majesté, et pour le repos de vostre royaulme; et ne se cognoissoit rien en luy qui sentît la rébellion, car, quand il en monstreroit le moindre signe du monde, il ne trouveroit plus tel visage, en ceste princesse, ny aulx siens, comme il avoit faict, ny n'auroit plus aucun accez à eulx.

Je ne puis, à dire vray, Sire, bien descouvrir s'il trame rien avec la dicte Dame, mais je ne me puis contanter que le ministre Villiers, et quelques aultres, ses semblables, soient ordinayrement, et trop souvant, en secrette conférance avecques luy; et que je commance d'entendre qu'il se parle, parmy les siens, de retourner bientost en Allemaigne. Je travailleray de le réduyre au poinct que m'avez mandé de vostre intention par toutz les moyens et plus vifves persuasions qu'il me sera possible; et vous rendray compte de ce qu'il m'aura dict.

Quelqu'ung m'a rapporté, du costé d'Ouest, là où la comtesse de Montgommery et sa famille sont, que le jeune Lorges y est arrivé secrettement, en habit incognu, pour 302 voyr sa femme: et je le croy, en partye, parce que Mr de Walsingam m'a mandé qu'il avoit receu des lettres de la Rochelle, que je pense qu'il a apportées, et qu'on luy mande qu'on se dellibéroit entièrement d'attandre l'extrémité, parce que l'exemple de Fontenoy[2] leur monstroit qu'il ne leur seroit gardé capitulation, ny promesse, qu'on leur fît. Sur ce, etc.

Ce XXVIIe jour de novembre 1574.

Le comte de Sussex, grand chambelland de ceste princesse, a prins des lettres de moy à Mr de Matignon et au cappitayne Lago, pour pouvoir tirer le nombre de cinq centz tonneaulx de pierre blanche, de Caen; dont il desire qu'il playse à Vostre Majesté leur escripre, à toutz deux, de tenir la main que, sans empeschement, ny destourbier, ny sans aulcun grief, ses gens puissent fère transporter librement la dicte pierre deçà la mer. De quoy, Sire, je supplye très humblement Vostre Majesté le vouloir gratiffier.

A la Royne

Madame, ayant mis peyne d'approfondir, en ceste court, l'occasion de quoy il est advenu, qu'après avoyr faict retarder le voïage de Me Wilson en Flandres, et l'avoyr si bien interrompu qu'on luy avoyt une foys mandé de descharger ses gens, il y ayt depuis ung si soubdain changement qu'en moins d'une heure l'on l'ayt dépesché et l'ayt on faict incontinent partir; il m'a esté respondu à cella, que la grande impression que j'avoys donnée à ceste princesse qu'elle pourroit establir une ferme et perdurable amityé avecques le Roy, vostre filz, et la grande réputation qui couroit, icy, de sa vertu, et surtout qu'il estoit 303 prince de parolle et de grande vérité, avoient faict qu'elle s'estoit résolue de se commettre entyèrement à luy, et ne passer plus oultre avec le Roy d'Espaigne; mais que, sur l'advertissement que ceulx de la Rochelle avoient, depuis, mandé: que la capitulation n'avoit esté gardée à ceulx de Fontenoy, il avoit esté remonstré à la dicte Dame que, bien que le Roy se voulût rendre, en toutes aultres choses, fort entier, il monstroit néantmoins desjà qu'il estoit persuadé, jouxte le concile de Constance, de ne debvoir tenir ny foy ny promesse à ceulx de la religyon dont elle estoit, et que, pourtant, elle se hastât de renouveller, le plus tost qu'elle pourroit, avec le Roy d'Espaigne, les anciennes amityés de Bourgoigne; auxquelles, encor que, pour quelque occasion, il voulût bien suyvre le concille de Constance, il n'entreprendroit toutesfoys, pour d'aultres grandes utillitez, de préjudicier aulx dictes anciennes amityés, oultre que, jusques icy, il n'avoit jamays démenty sa parolle.

Et par ce, Madame, que j'ay envoyé assurer que ce que ceulx de la Rochelle avoient mandé de Fontenoy estoit faulx, aulcuns de ceulx qui se monstrent mieulx inclinez à la France qu'à l'Espaigne, m'ont secrettement adverty qu'on sçavoit trop bien ce qui en estoit, et que je n'en parlasse plus; et m'ont pressé de vous fère ung article, exprès, comme il est besoing qu'advertissiez le Roy, vostre filz, que, en ceste cause, laquelle est aujourdhuy la plus grande de la Chrestienté, et laquelle va bander toutes les armes et puissances des Chrestiens les unes contre les aultres, il ne veuille laysser prendre au monde ceste impression de luy, qu'il ne vueille bien garder la foy et les promesses qu'il donnera, ou aultrement qu'il se prépare 304 ardiment de soubstenir, dans son royaulme, une guerre continuelle, sans intermission, ny relasche aulcun, non seulement avec ses subjectz, mais avec toutz les princes et estatz, et avec toutz les intéressés en la dicte cause, jusques à ce que, par une deffinition et une victoyre généralle, il ayt exterminé entyèrement tout aultant qu'il y en a au monde.

J'ay respondu, sans promettre que je vous en escriprois, ce que j'ay estimé digne de la grandeur du Roy et de sa couronne, et de la juste cause, qu'il poursuyt, de recouvrer l'obéyssance de ses subjectz; et feray, le mieulx que je pourray, pour effacer les aultres violentes impressions, qu'on s'efforce de donner au monde, de vostre intention et de celle du Roy. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIe jour de novembre 1574.

CCCCXXe DÉPESCHE

—du IIIe jour de décembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Nécessité de faire surveiller les protestans qui passent d'Angleterre en France.—Démarches faites par l'ambassadeur auprès de Mr de Méru.—Plaintes de l'ambassadeur à raison de l'oubli dans lequel on laisse ses services.—Mémoire. Détails de l'audience.—Réponse d'Élisabeth à la déclaration du roi qu'il veut maintenir l'alliance avec elle.—Protestation d'amitié de la part de la reine d'Angleterre.—Ses instances pour que la paix soit rétablie en France.—Conférence de l'ambassadeur avec les seigneurs du conseil.

A la Royne

Madame, ce que j'ay recueilly des propos et responces de la Royne d'Angleterre en ma dernière audience, je le metz assez particullièrement en ung mémoire à part au 305 Roy, vostre filz, et me reste seulement de vous dire que la dicte Dame supplie Vostre Majesté de se souvenir que, au premier an du règne du feu Roy, Françoys, vostre filz, vous luy promistes l'amityé de voz enfantz; dont elle vous prie tenir vostre parolle pour le Roy, qui est à présent, ainsy qu'avez faict pour les deux passez; et qu'elle ne doubte nullement que n'ayés encores l'affection très bonne au propos que luy aviez mis en avant pour le quatriesme; mais l'on s'est bien fort escarté de la voye de l'effaictuer, néantmoins qu'il ne sera jamays qu'elle ne luy vueille beaucoup de bien, et qu'elle ne l'honnore et n'ayt une très bonne opinyon de luy.

Je suys adverty, Madame, qu'il y a ung ministre, nommé Joys, homme de lettres, nourry longtemps en Angleterre, lequel, partant d'icy, disoit s'en aller en Constantinople, qui s'est arresté à Paris, et escript souvent par deçà, et mande plusieurs choses à l'advantage des eslevez, et qu'ilz obtiendront, ceste année, tout ce qu'ilz vouldront; dont, de tant qu'il parle plusieurs langues, et que, soubz ombre de hanter les collèges, pour l'occasion des lettres, il pourroit praticquer des intelligences dans la ville contre le service de Voz Majestez, il sera bon de le fère chasser ou aulmoins prendre garde à luy.

J'ay parlé à Mr de Méru, et n'ay rien obmis du postscripta de la lettre du Roy ni des poinctz qu'il vous pleut toucher au Sr de Vassal. Je l'ay trouvé en collère et malcontant; mais il a remis de me respondre, dans ung jour ou deux, dont, par mes premières, je vous feray entendre ce qu'il m'aura dict. Et persévérant plus que jamays, Madame, à vous supplyer très humblement pour mon congé, sellon que je sentz, de jour en jour, diminuer ma santé et 306 me croystre plusieurs manquementz en la continuation de ceste charge, je pryeray le Créateur, etc.

Ce IIIe jour de décembre 1574.

Je ne sçay de quelz termes uzer pour me douloir, à Vostre Majesté, de m'avoyr, non oublyé, mais déjetté très honteusement de celle grande distribution de biens qui a esté faicte, à l'arryvée du Roy, vostre filz. Aulmoins me debvoit ce béneffice, qu'on m'a osté, qui estoit tout mon bien, estre rendu; et ne puis dire, Madame, sinon que je suis celluy, à qui il vous playst de fère porter la plus notable marque d'indignité et de défaveur, et de malcontantement, qu'à nul aultre gentilhomme, qui soit au service de Voz Majestez; et je laysse bien à Dieu, et elles, de juger si je l'ay mérité.

MÉMOIRE AU ROY.

Sire, il n'est besoing que je vous racompte les propos que j'ay tenus, ceste foys, à la Royne d'Angleterre, car je les ay prins de la lettre que Vostre Majesté m'a escripte, le Xe du passé, et il sera facille de comprendre quelz ilz ont esté par les responces que la dicte Dame m'a faictes, qui sont, en substance, comme s'ensuyt:

Que jamays chose ne luy estoit mieulx advenue, sellon son desir, que l'effaict de la légation de milord de North, puisque, des lettres qu'elle vous a escriptes par luy, et des poinctz qu'il vous a explicqué de sa créance, il vous reste du contantement; et que toute l'ambassade et l'ambassadeur vous ont esté agréables, car la principalle intention qu'elle a eue, en le vous envoyant, a bien esté d'honnorer vostre grandeur, et donner ung évident tesmoignage au monde de l'affection qu'elle porte, très bonne et de très bonne seur, à Vostre Majesté, et à l'establissement de voz affères;

Qu'elle a ung singullier playsir de voyr, par ce commancement, que vous voulez tenir en quelque bon compte son amityé, et luy donner à elle une très grande espérance de la vostre; que ce qu'elle desire maintenant, le plus au monde, est que les choses puissent ainsy procéder entre vous que vous ayez mutuellement à prendre une très assurée confiance l'ung de l'aultre;

Que nulle meilleure ny plus honnorable nouvelle eust elle peu entendre de voz vertueuses dellibérations, que celle que je luy ay assurée que, de vostre propre naturel vous avez, de vouloir résoluement tenir voz promesses, et manquer plustost à la vye que à la parolle 307 que vous aurez une foys donnée; que, sur le solide fondement de ceste vostre constante volonté, laquelle estoit vrayement royalle et digne de vous, qui estiez par extraction, et par élection, et par succession, le plus royal prince qui ayt esté, de longtemps, en la Chrestienté, elle se disposeroit en telle sorte vers vostre amityé que, s'il n'y deffailloit de correspondance, de vostre costé, vous pourriez fère estat d'avoyr en elle la plus entière et parfaicte bonne sœur, et bonne amye, qui fût au monde;

Qu'elle ne vouloit nyer qu'on ne luy eût voulu donner quelque male impression des promesses, à quoy on vous pouvoit avoyr obligé, passant par l'Italie, contre elle, et contre le repos de son royaulme, ou contre sa religyon; dont se resjouyssoit bien fort de ce que luy donniés parolle qu'il n'en estoit rien, et que vous vous trouviez libre de toutes ligues et obligations, sinon des anciennes de vostre couronne, et de celle que pouviez avoyr avec elle, à cause du sèrement du feu Roy, vostre frère, et avec le royaulme de Pouloigne, à cause du vostre;

Que, puisque vous estiez résolu de vivre en bonne intelligence avec les princes et estatz voz voisins, qui la voudroient avoyr bonne avecques vous, que vous la vous pouviez ardiment promectre très seure et perdurable, de son costé; car, tant qu'elle vivroit, vous en pourriés fère très certain estat;

Que nulle chose au monde vous pouvoit elle plus louer, ny plus recommander, que celle voye de paix, que proposiez de suyvre, pour mettre le repoz en vostre royaulme, et que celluy vous seroit bien traistre et infidelle, voyre très cruel ennemy, qui vous ozeroit conseiller, ou dire, qu'il ne fût honnorable et utille, et mesmes très nécessayre de la fère;

Que, pour le bien universel de la Chrestienté, elle se sentoit obligée, entendant le grand progrès des armées et victoires du Turc sur les Chrestiens, et des appareils qu'il faict pour entreprendre plus avant, de vous supplier que vueillez embrasser la paix publicque et unyon des dictz Chrestiens; mais encores plus, pour vostre bien et repos particullier, elle vous vouloit fort expressément exorter d'amortyr, en toutes sortes, ces guerres de vostre royaulme, et y employer si avant vostre clémence et doulceur, et l'authorité de vostre foy et parolle, que voz subjectz puissent seurement retourner à l'obéyssance et subjection qu'ilz vous doibvent;

Qu'elle n'approuvoit nullement les armes des eslevez, en quelle façon, ny soubz quel prétexte, qu'ilz les eussent prinses, et mesmement 308 en ce qui se faysoit hors de la considération de la religyon, et qu'elle s'esbahyssoit assés de Mr le maréchal Dampville, et n'avoit, depuis la nouvelle qui estoit venue de sa déclaration, veu Mr de Méru, son frère, ny ne le verroit, s'il apparoissoit en luy ung seul signe de rébellion;

Néantmoins qu'elle entendoit que la craincte de mort et l'injustice faysoient renger un grand nombre de voz subjectz à la deffansive, et prendre voz villes et places pour lieu de refuge, et passer encores à l'offensive, et attirer troubles sur troubles, et susciter les estrangers dans vostre royaulme;

Sur quoy, pour la singullière affection qu'elle avoit à la conservation de vostre grandeur, et de vostre couronne, elle vous prioit de rompre, le plus tost que vous pourriez, le cours de ce malheur, et prendre, de bonne part, si elle vous disoit librement que les choses, mal passées contre ceulx de la nouvelle religyon, requerroient que vous ne refusissiez ny trouvissiez mal honnorable, ny contre vostre réputation, de les accomoder maintenant de quelque honneste seureté.

Ces responces de la dicte Dame, qui ont esté plus expresses et plus considérées que nulles aultres qu'elle m'eût guyères jamays faictes, m'ont baillé argument de luy mettre bien devant les yeux la conséquence de ceste cause, et combien ceulx, qui s'efforçoient de la luy desduyre pour bonne et soubstenable, bandoient desjà, et dressoient de semblables rébellions contre elle; et qu'elle considérât si, de Vostre Majesté, qui aviez, premier que d'estre Roy, combatu, l'espace de sept ans, très courageusement, et azardé souvant, et mis en manifeste danger vostre propre personne, pour la religyon catholicque, ce n'estoit pas assés, maintenant que estiez monté à la couronne, et que la somme de toutes choses estoit parvenue en voz mains, d'accorder, à iceulx de la dicte religyon, l'abolition du passé, la jouyssance de leurs biens, la demeure paysible de leurs maysons, et la liberté de leur conscience; et que, de demander davantage, c'estoit par trop forcer la volonté qu'ilz sçavoient bien que vous aviez, qui estiez leur Roy, et leur prince;

Que néantmoins vous donniez ceste parolle à la dicte Dame qu'il n'y auroit aulcune honneste ny tollérable condicion, pourveu que n'offançât vostre honneur, que ne fût accordée à voz dictz subjectz, pour les fère revenir à leur debvoir; mais aussy que, quand vous auriez faict ainsy le vostre envers Dieu et les hommes, vous protestiez bien d'employer toutes les forces et moyens, que Dieu vous 309 avoit donnez, et n'en laysser ung seul en arrière, de toutz ceulx que vous pourriés mouvoir en la Chrestienté, pour réprimer justement la présumption et témérité de ceulx qui, inicquement, persévèreroyent d'estre rebelles contre vous; et qu'en ce cas vous l'adjuriez, elle, de non seulement leur dénier la faveur et apuy de ce royaulme, mais de joindre ses forces aulx vostres pour extirper de la terre ung si pernicieux exemple que le leur.

A quoy elle m'a respondu qu'elle se souvenoit tant d'estre Royne, et de vous estre, pour cella, conjoincte d'estat, qu'elle ne manqueroit jamays à nul debvoir de bien bonne seur vers Vostre Majesté, et qu'après que milord de North seroit arryvé, et qu'il luy auroit faict le récit des choses de dellà, nous pourrions lors poursuivre plus amplement ce propos; et qu'elle s'esbahyssoit comment il ne vous avoit parlé du faict de la navigation, et de l'administration de la justice à voz mutuelz subjectz, car il en avoit eu charge, et qu'elle ne desiroit rien tant que d'y pourvoyr, par bonne intelligence, avecques vous, et députer, pour cest effect, deux de son conseil, ainsy que Vostre Majesté en avoit depputé deux du sien; et que, quand le gentilhomme, que dellibériez envoyer vers elle, seroit icy, elle nous feroit rendre, par son admiral et par les officiers de la marine, ung si bon compte de leurs depportementz passez, en tout ce qui avoit concerné les Françoys, qu'elle espéroit que vous en demeureriez contant.

Et, là dessus, m'estant licencyé de la dicte Dame, j'ay estimé bon de déduyre aulx seigneurs de son conseil ce que j'avoys dict à elle, affin de bailler à ceulx, à qui reste encores quelque affection vers Vostre Majesté, de quoy pouvoir fère incliner leurs dellibérations, le plus qu'il leur seroit possible, au bien de vostre service. Lesquelz ont monstré toutz d'estre bien fort ayses de l'assurance, que je leur ay donnée, de vostre bonne intention vers leur Mestresse, et vers eulx, et vers l'estat de ce royaulme. Et leurs responces m'ont assez contanté, sinon en ce que l'ung d'eux m'a dict fort rondement que, voyantz la profession, que Vostre Majesté avoit jusques icy faicte, de se monstrer adversayre de leur religyon, qu'ilz ne pouvoient interpréter l'effaict de voz armes, sinon qu'elles estoient dressées et s'exécutoient contre eulx, et que vous pouviez bien fère estat qu'ilz n'estoient pour se déjoindre aulcunement de la cause de leur dicte religion. Et ne m'estant pas, en toutes choses, si bien accordé avec eulx comme avec la dicte Dame, nous n'avons passé plus avant.

310

CCCCXXIe DÉPESCHE

—du VIIe jour de décembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Négociation de l'ambassadeur avec Mr de Méru.—Nouvelles de Marie Stuart; crainte qu'elle ne soit commise à la garde de l'un de ses ennemis.—Sollicitations des réfugiés.—Retour de lord de North.—Mémoire. Détails de la négociation avec Mr de Méru.—Desir du roi qu'il serve d'intermédiaire pour procurer la paix.—Plainte de Mr de Méru contre la conduite tenue a l'égard des Montmorenci.—Leur justification.—Assurance de leur entier dévouement au roi.—Desir de Mr de Méru que Mr de Montmorenci, son frère, soit lui-même choisi par le roi comme négociateur.—Déclaration du capitaine La Porte.

A la Royne

Madame, je pense que rien n'a esté obmis, comme verrez par le mémoire au Roy que je joins à ce paquet, de ce qui se pouvoit déduyre à Mr de Méru, pour le ramener au sentiment des choses que desiriez luy estre, de moy mesmes, et encores aulcunement de la part de Voz Majestez, déclarées touchant l'acheminement de la paix, et le divertissement des forces estrangières, qui ne luy ayt esté vifvement remonstré; et encores qu'il ayt, du commancement, déchargé ung peu sa collère, si est il revenu, à la fin, à la modération et à la cognoissance de son debvoir vers Voz Majestez, et monstré d'estre tout disposé à vous rendre entière obéyssance. Il est bien vray qu'il demeure ferme en la justiffication et innocence de ses deux frères, et de ne se vouloir desjoindre de leur cause ny d'eux, mais il a opinyon que, sans difficulté, ilz se réunyront toutz unanimement, et pareillement son beau père, et ceulx qui pourroient dépendre d'eux, au poinct que Voz Majestez 311 desireront, s'il vous plaist les rendre assurez de vostre bonne grâce.

Le milord de North n'est encores retourné, dont l'on s'esbahyt assés qu'est ce qui le peut si longtemps retenir par dellà.

Ceste princesse se tient si offancée du mespris que la comtesse de Lenox et le comte et la comtesse de Cherosbery ont tenu d'elle, en ce mariage du jeune comte de Lenox, qui est parant de la couronne, qu'elle dellibère de le leur fère bien sentir à toutz. Mais le pis est qu'elle veut oster au dict comte la garde de la Royne d'Escosse, et les ennemys de la dicte Dame l'en sollicitent instamment; de quoy je sçay que la dicte Royne d'Escoce sera fort troublée et fort marrye, et suis en grand peyne en quelles mains on la voudra mettre. Dont je supplye très humblement Vostre Majesté de dire, ou fère dire à l'ambassadeur d'Angleterre, que vous suppliez la Royne, sa Mestresse, de ne la commettre à nul qu'elle ayt suspect, ny qui ne soit seigneur de qualité pour respondre du traictement d'une telle princesse. L'on m'a bien faict desjà une honnorable promesse là dessus, mais je crains les artiffices et menées de ses ennemys. J'ay obtenu une lettre à l'ambassadeur d'Angleterre, par laquelle luy ay mandé de bayller ung passeport de luy à Nau, pour venir jusques icy, et il en prendra ung aultre, icy, pour aller trouver la Royne d'Escosse.

J'ay octroyé des certifficatz à des habitants de Roen, et de Normandye, de leurs paysibles déportementz par deçà, sur des bons tesmoignages qu'on m'a rendus d'eux, affin d'obvier à la saysie de leurs biens. Et y a ung ministre, lequel, entre les autres, est plus modéré, et n'adhère poinct 312 aulx violentz conseils de la guerre, ny aulx invectives et praticques de ses compaignons, qui m'a faict aussy demander ung certifficat pour luy; mais, à cause de sa qualité de ministre, je ne luy ay poinct voulu octroyer sans en avoyr expresse permission de Voz Majestez, dont vous plerra me commander comme j'auray à en uzer: et semble que cella pourroit aulcunement servir de tenir leurs opinyons parties et divisées, en ne dényant vostre faveur à ceulx qui l'ont modérée et paysible.

Le cappitayne Janeton, après s'estre excusé de passer à la Rochelle, ny d'aller trouver le Prince de Condé, s'est résolu de se retirer à vostre service, ou en sa mayson; et persévérer là, toute sa vye, en l'obéyssance de Voz Majestez, de laquelle il ne s'est jamays départy; et qu'il aymeroit mieulx estre mort que d'avoyr porté les armes contre vostre service. Il vous supplye très humblement de luy fère envoyer ung passeport: et je vous promectz, Madame, que, par ce que j'ay veu et ouy de luy par deçà, il mérite vostre faveur. Je suis contrainct de vous ramantevoyr tousjours mon congé, et vous supplye de le vouloir fère résoudre comme chose fondée en très grande nécessité. Et sur ce, etc. Ce VIIe jour de décembre 1574.

L'on me vient d'advertyr, toute à ceste heure, que milord de North arrive aujourd'huy à Douvre. Et je viens de fère une petite négociation avec ung seigneur de ce conseil, suyvant laquelle il sera bon que différiez de fère parler du faict de la Royne d'Escosse à l'ambassadeur d'Angleterre, jusques à ce que Vostre Majesté ayt aultres nouvelles de moy.

MÉMOIRE AU ROY.

Sire, après que Mr de Méru m'a heu fort volontiers escouté, sur tout ce que je luy ay voulu dire, conforme au postille de la lettre 313 de Vostre Majesté, du Xe du passé, et suyvant ce que la Royne, vostre mère, m'en avoit mandé par le Sr de Vassal, avec plusieurs remonstrances que je luy ai faictes, de moy mesmes, de ne vouloir, ny luy ni ses frères, gaster une cause qu'ilz réputoient si bonne et juste comme la leur, et ne provoquer, en ce temps, l'indignation de Vostre Majesté, ny celle à jamays de la couronne de France, de laquelle eulx et feu Mr le connestable, leur père, et leurs prédécesseurs avoient mis peyne, jusques icy, de bien mériter d'icelle; et elle les avoyt plus obligés que nulz gentilzhommes du royaulme, dont luy monstreroient maintenant une horrible ingratitude, et la provoqueroient, durant tout vostre règne et de voz enfantz, et quiconque y vînt à régner après vous, à une très juste indignation contre eulx, pour les avoyr et toutz les leurs à l'advenir très suspectz, et ne cesser qu'elle n'en ait exterminé la race, s'ilz suyvoient le chemin qu'ilz avoient commancé;

Et pourtant qu'il voulût embrasser l'honneste moyen qui luy estoit offert de pouvoir conserver, pour luy et ses frères, vostre bonne grâce, et maintenyr la mayson de Montmorency en l'honnorable degré qu'elle a esté jusques icy, et de pouvoir encores un jour recueillir à soy la succession d'icelle, et celle de son beau père, et, possible encores, l'estat que son dict beau père tient, s'il sçavoit bien uzer de la présente occasion; oultre que ce, en quoy il avoit à s'employer maintenant, non seulement luy éviteroit les dommages et dangers, et luy apporteroit les utillitez que je luy déduysois, mais luy acquerroit ung non petit mérite envers Dieu, et une grande faveur de Vostre Majesté, et une très grande louange par toute la France; et qu'il pouvoit espérer que sa dilligence et ses bons offices en cest endroict auroient tant d'heur qu'ilz nous produyroient une bonne et desirée paix, sellon que je luy jurois, devant Dieu, que tout ce qu'il vous avoit pleu me fère sentir et cognoistre de voz intentions estoit entièrement dressé à la paix et repos de voz subjectz; et qu'il pesât bien que luy ny ses frères ne pouvoient comparoistre en ceste guerre, parce qu'ilz n'estoient de la nouvelle religyon, sinon comme purs rebelles, et qu'ilz ne se donneroient la garde que les dictz de la nouvelle religyon auroient accepté l'accommodement que Vostre Majesté leur vouloit fère, et que luy et les siens demeureroient dehors, délayssés de toutz les Françoys et nullement soubstenus d'aulcun prince, ny estat estranger, et que la fin ne leur en seroit que honteuse et pleyne de confusion, et d'une grande ruyne de leurs biens, de leurs vyes et de leur honneur, à jamays.

314 Il m'a respondu, en une certeyne façon, qu'il est venu à conclurre tout au contrayre de son narré, car m'a parlé en homme fort malcontant et tout oultré de courroux et de dheuil, de ce que son frère aysné et son beau père estoient trop long temps détenus prisonnyers, sans qu'on examinât leur cause, et de ce que, contre la promesse que Vostre Majesté avoit faicte à Mr de Dampville à Turin, l'on s'estoit efforcé de luy fère depuis son procès à Lyon, et l'avoit on contrainct, maugré luy, de prendre le party où il estoit à présent;

Et pour le regard sien, du dict Sr de Méru, qu'on sçavoit assés qu'il ne s'estoit absenté pour offance qu'il eût faicte, ains pour éviter l'orage qu'il voyoit concité contre ceulx de sa mayson; et s'estoit retiré en Allemaigne, et depuis, pour ne donner souspeçon, passé icy, où il s'estoit comporté en bon et loyal subject de Vostre Majesté, et néantmoins ses biens estoient meintenant saysis, et deffanse faicte de luy apporter de l'argent par deçà.

Ce qui les menoit, avec l'impression qu'on leur donnoit d'ailleurs que leur ruyne estoit desjà jurée, à ung si extrême désespoir que force leur estoit de chercher des remèdes pour ne périr du tout, soubz la violence de ceulx qui bandoient ainsy vostre authorité contre eulx; et que, sentans leur cause bonne et juste, et eulx munis de bonne conscience envers Dieu et Vostre Majesté, ilz dellibéroient de n'obmettre ung de toutz les moyens, dont ilz se pourroient prévaloyr, pour repousser plus courageusement ceste injure, que ceulx qui la leur procuroient, et qui les vouloient opprimer, ne pensoient qu'ilz le peussent fère;

Adjouxtant plusieurs choses, de particullier, de luy et de ses frères, et plusieurs aultres, de général, du Royaulme, qui seroient par trop longues icy.

Néantmoins le pressant de restreindre en brief ce que j'auroys à vous fère entendre de sa dellibération, il m'a dict, et encores, après y avoyr mieulx pensé, m'a mandé qu'il supplioyt très humblement Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, de le vouloir tenir pour vostre très obéyssant et très fidelle serviteur, et que ce qu'il vous plerroit luy commander, pour paix ou pour guerre, qu'il seroit tout prest de très humblement y obéyr;

Que ses frères et luy ne desirent pas tant leur propre vye comme la bonne grâce de Vostre Majesté et la paix de vostre royaulme; que très volontiers, s'il se sentoit avoyr quelque moyen d'induyre voz subjectz à la dicte paix, ou bien de divertyr les forces estrangères qui se pourroient apprester de venir en France, qu'il le feroit, mais 315 qu'il pouvoit si peu en l'ung ny en l'autre, estant mesmement si loing qu'il ne sçauroit par où y commencer;

Que Mr Dampville estoit là, beaucoup plus près, à quy Vostre Majesté en pourroit fère parler, et que, si estimiez que ceulx de sa mayson peussent aulcunement servir à ces deux choses, ou à quelque autre de vostre intention, qu'à son adviz Mr de Montmorency estoit le plus capable de toutz, plein de persuasion et de conseil, et qui avoit son desir du tout à la paix et à l'establissement de voz affères, et que, s'il vous playsoit le fère parler à Mr de Dampville, sellon que vous le cognessiez homme entier et de grande sincérité, et aviez mille expériences et mille bonnes cautions de luy, il s'assuroit qu'il vous serviroit droictement et sincèrement, et avec honneur et conscience;

Qu'il adjuroit la bonté et clémence de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, de vouloir fère examiner par la règle de justice, devant les payrs de France, la cause du dict Sr de Montmorency et de Mr le maréchal de Cossé, et s'ilz estoient trouvez coupables, que luy mesmes les réputoit dignes de mort, voyre la plus cruelle que nulz aultres subjectz de la terre; mais, s'ilz estoient innocentz, qu'il vous supplioyt, au nom de Dieu, de les remettre en liberté;

Que s'il vous playsoit de disposer des estats de ses deux frères et de son beau père, et du sien, et mesmes prendre de leur bien, si pensiez qu'ilz en eussent trop, et leur commander de demeurer comme privez gentilzhommes en leurs maysons, sans se mesler de rien, ou bien de vuyder le royaulme, qu'ilz seroient prestz d'obéyr à tout ce qu'il vous plerroit leur commander.

Et c'est en substance tout ce que j'ay peu tirer de luy.


Le cappitayne La Porte m'est venu dire qu'il juroit à Dieu de n'avoyr jamays pensé qu'à estre très obéyssant et très fidelle subject et serviteur de Vostre Majesté, et qu'il ne s'estoit absenté pour chose qu'il eût jamays dicte ny faicte au contrayre; mais, parce qu'il avoit esté cherché et suivy pour le fère prisonnyer, aussytost que Mr de Montmorency fût prins, il avoit bien voulu sortir hors du royaulme, non que très volontiers il ne fût allé présenter sa vye pour servir à la liberté de Mr de Montmorency, mais qu'il voyoit bien qu'on ne le vouloit que tourmenter et questionner, pour tirer, par violence, quelque déposition de luy, pour nuyre au dict seigneur, dont estoit résolu de ne retourner jamays en France qu'il ne fût hors de prison. 316

CCCCXXIIe DÉPESCHE

—du XIIe jour de décembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Communication de l'ambassadeur avec Walsingham.—Instances de Walsingham pour que la paix soit rétablie en France.—Démarches de l'ambassadeur auprès de l'agent de la Rochelle afin de l'engager à rompre toute négociation avec les Anglais.—Avis à la reine-mère. Nouvelles de Marie Stuart.—Arrivée de la comtesse de Lennox à Londres.

Au Roy.

Sire, estant milord de North arryvé en ceste ville de Londres, le Ve du présent, il y a séjourné le VIe, et est allé, le VIIe, trouver la Royne, sa Mestresse, à Hamptoncourt, où j'ay aussytost envoyé pour sçavoyr en quelle disposition resteroit la dicte Dame, et ceulx de son conseil, après qu'il aura faict son rapport. Il est encores là, et croy que bientost il me viendra visiter, dont, de ce que je pourray noter de ses propos, et de ce qui me sera rapporté de ceulx qu'il aura tenus à la court, je ne fauldray de vous en mander incontinent toute la particullarité. Aulcuns de ces cappitaynes, qui estoient allez en Hollande avec le vidame de Chartres, voyantz qu'il passoit oultre en Hambourg, et qu'il dellibéroit d'aller vivre, comme gentilhomme privé, auprès du comte Palatin, sans s'entremettre trop avant de ceste guerre, s'en sont retournez icy, et font semblant de vouloir passer à la Rochelle.

Ceste princesse a bien mandé, ces jours icy, toutz ses officiers de la marine pour luy venir rendre compte des frays qu'ilz avoient faict, ceste année, pour l'apprest de ses navyres, et a révoqué toutz mandementz et commissions, à 317 celle fin de n'y employer rien plus que l'ordinayre accoustumé à la garde et entretènement d'iceulx dans le hâvre, jusques à ce qu'elle y ayt aultrement ordonné, mais elle a commandé de les tenir en estat, pour estre prestz à ung soubdein mandement.

Et m'a l'on adverty qu'il y a une secrette dellibération de les mettre en mer, et de dresser un gros armement, à ce prochain printemps, si, d'avanture, la guerre continue en France, bien que, ayant envoyé fère par le Sr de Vassal une gracieuse négociation avec le Sr de Walsingam sur la continuation de l'amityé et de la bonne intelligence d'entre ces deux royaulmes, il m'a mandé, après plusieurs honnestetés de celle dévotion qu'il dict avoyr plus grande vers vostre service et vostre couronne, après celle d'Angleterre, que à nulle aultre de la Chrestienté, qu'il s'employeroit de toute son affection à nourrir et fomanter par deçà, tant qu'il pourroit, ceste bonne amityé, et divertyr toutes occasions d'altération d'entre Voz Majestez; mais qu'il vous supplioyt et adjuroit, au nom de Dieu, de commencer, en l'endroict de voz subjectz, d'establyr, par tout le reste de la Chrestienté, une bonne paix, sellon qu'il estoit plus en vostre main de le pouvoir fère qu'en celle de toutz les aultres princes chrestiens ensemble; et que ne voulussiez mespriser en cella ny le conseil honneste ny les admonitions cordiales que la Royne, sa Mestresse, et les princes d'Allemaigne vous en faisoient: car vous ne le pourriez rejetter sans vous nuyre beaucoup à vous et les offancer grandement à eulx, et les bander toutz entièrement contre voz entreprinses; et qu'il sçavoit bien que, s'il vous playsoit octroyer quelques lieux de refuge pour seureté à ceulx de vos subjectz qui sont en armes, et en 318 iceulx l'exercisse de leur religion, que la paix estoit faicte; et qu'il avoit naguyères receu des lettres de Mr de La Noue qui ne portoient en elles que le tesmoignage d'ung vray subject et serviteur.

Sur quoy, depuis, je luy ay mandé qu'il ne doubtât nullement de vostre bonne intention, et de vostre desir à la paix, mais qu'il admonestât ceulx de voz subjectz, qui estoient opinyastres, de se contanter des honnestes condicions avec lesquelles vous la leur pourriez donner. Et ay envoyé exorter le sire Bobineau, agent de la Rochelle, de ne vouloir tromper ses citoyens soubz une feincte espérance de secours d'Angleterre, car je luy obligeois ma vye que ceste princesse ne luy en bailleroit nullement, ny mesmes, quand ilz luy consigneroient leur vye entre ses mains, (ce que je m'assurois que, pour leur fidellité et pour la recordation des anticques offances qu'ilz avoient faictes aulx Angloys, avec l'exemple du Hâvre de Grâce, ilz ne le feroient jamays), elle ne la voudroit pas accepter; et que, si ceulx cy monstroient au dict Bobineau quelque disposition, en apparance, de faveur pour les dictz de la Rochelle, que ce n'estoit que pour maintenir la division et fère durer les troubles en France, d'où proviendroit, à la fin, la ruyne de ses dictz citoyens et de leur ville, s'ilz ne se remettoient bientost en l'obéyssance et bonne grâce de Vostre Majesté.

Sur quoy il m'a mandé, depuis, qu'il me remercyoit de mon advertissement, et qu'il cognoissoit qu'il estoit véritable, dont m'assuroit avoyr incontinent escript à ses dictz citoyens d'entendre incontinent à la paix, et d'accepter les condicions que Vostre Majesté leur voudroit offrir, pourveu qu'ilz vissent de la seureté pour leurs vyes, et qu'ilz puissent 319 obtenir quelque exercisse de leur religyon pour leurs consciences.

Il y a ung gentilhomme de Normandye, nommé Des Troyspierres, qui est depuis huict jours passé en ce royaulme. Il semble qu'il a crainct que, à cause de ceste praticque du Hâvre, l'on ne voulût courre sus à ceulx de sa religyon, dont est venu à refuge par deçà.

Je continueray, Sire, aultant qu'il me sera possible, de veiller icy, et d'y estre soigneux de vostre service; mais le deffault de santé et mes aultres nécessitez me contreignent de vous supplyer très humblement pour mon congé, et en presser fort instamment Vostre Majesté. Sur ce, etc.

Ce XIIe jour de décembre 1574.

ADVIS A LA ROYNE.

Madame, je suis bien en peyne pour la praticque, que je sentz qu'on mène tousjours pour fère changer de gardien à la Royne d'Escosse. Vray est que la résolution n'en est pas encores prinse, et je tiens le plus ferme que je puis qu'elle ne se face poinct. Dont j'espère que, si le comte de Cherosbery se rend ung peu difficile, de son costé, comme il y a grande apparance qu'il le fera, que les choses en demeureront à tant, et qu'on n'entreprendra poinct de la luy oster. La comtesse de Lenox vient d'arriver, laquelle yra demain en court. Elle crainct bien fort l'indignation de la Royne, sa Mestresse, et qu'elle ne la face remettre dans la Tour, à cause de ce mariage, mais elle s'appuye sur des amys qu'elle pense qui luy sauveront ce coup.

320

CCCCXXIIIe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour de décembre 1574.—

(Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Desir du roi de rétablir la paix en France.—Vive assurance donnée par l'ambassadeur que lord de North ne peut avoir qu'un compte favorable à rendre de sa légation.—Emportement d'Élisabeth contre la conduite tenue à son égard en France.—Ferme remontrance de l'ambassadeur sur les conséquences qu'aurait pour elle une rupture avec le roi.—Danger qu'elle doit craindre en s'unissant aux protestans de France.—Déclaration de la reine qu'elle ne veut pas s'unir à eux.—Entreprises formées sur Calais, Boulogne, Dieppe, Le Hâvre et Cherbourg.—Irritation d'Élisabeth à la suite des rapports faits par lord de North.—Efforts de quelques seigneurs anglais pour amener une déclaration de guerre.

Au Roy.

Sire, ayant déduict à la Royne d'Angleterre, le XVe de ce moys, à Ampthoncourt, les honnestes propos d'amityé que, par vostre lettre du XXIIIe du passé, il vous playsoit me commander luy tenir, avec le récit de vostre voïage en Avignon, et de l'espérance qu'aviez de mettre la paix en vostre royaulme, si les depputez des eslevez, lesquelz vous attandiez de brief, se monstroient raysonnables en leurs demandes, et à recevoyr les honnestes condicions qu'entendiez leur offrir; auquel cas, s'ilz ne se vouloient, puis après, réduyre à vostre obéyssance, vous la vouliez bien prier que, en une si grande opiniastreté et arrogance que seroit la leur, et en ce maulvais debvoir qu'ilz uzeroient vers leur Roy et Prince, elle, Royne et Princesse, ne voullût les assister, ny permettre qu'ilz fussent assistez en rien de son royaulme, ainsy que Vostre Majesté luy promettoit bien aussy qu'en tout ce qui concerneroit le bien et repos d'elle et la tranquillité de son estat, elle ne sentiroit 321 jamays que faveur et support de vostre costé, et rien qui la peût ny ennuyer ny fâcher.

J'ay, pour occasion bien nécessayre, suivy, puis après, à luy dire que, de tant que c'estoit toute la gloyre et félicité de ma négociation, qu'elle peût trouver en Vostre Majesté les poinctz de bienveillance et de vraye affection dont m'aviez cy devant commandé de luy porter parolle de vostre part, et que pareillement vous trouvissiez en elle celle vraye correspondance qu'elle m'avoit fort expressément enchargé vous escripre de la sienne, je venois maintenant me conjouyr, avec elle, de ce que je vouloys croyre que milord de North, s'il estoit gentilhomme d'honneur et de vérité, il luy avoit à son retour rapporté: qu'il avoit trouvé en Vostre Majesté tout ce qu'elle pouvoit desirer en cest endroict, et encores plus abondamment que je ne le luy avoys jamays sceu expliquer ny ozé promettre; et que je louoys Dieu que Vous, Sire, me randiez véritable vers elle, ainsy que je la supplioys aussy, et l'adjurois aussy, sur l'honneur et vérité de sa parolle, qu'elle ne me voulût rendre menteur vers vous, sellon qu'il n'y avoit rien de plus expédient en toute la Chrestienté, entre nulz aultres princes, qu'estoit le poinct de l'amityé entre vous deux; et que les utillitez s'en manifestoient si grandes, conjoinctes avec quelque nécessité du temps présent, pour le bien et repos de touts deux, et la tranquillité de voz estatz, et encores pour l'accomodement de la meilleure part de la Chrestienté, que je ne pouvois assez louer ny assés desirer ce grand bien.

A quoy la dicte Dame, par sa responce, m'a récité aulcuns propos, que milord de North luy avoit rapporté, bien fort honnorables de Vostre Majesté et de la Royne, vostre 322 mère, et telz qu'elle n'eût sceu desirer rien de mieulx que ce que voz parolles luy avoient signiffyé de vostre bonne intention vers elle; mais qu'il y avoit eu d'aultres démonstrations entremeslées qui avoient entièrement monstré le contrayre.

Et s'est lors la dicte Dame, en haussant la voix, affin d'estre mieulx ouye de ses conseillers et des dames principalles qui estoient dans sa chambre, licencyée en des parolles grosses, qui m'ont assez troublé, et aulxquelles je n'ay voulu différer aussy, tout hault et en la mesme présence, de promtement et bien fermement y respondre, ainsy que, par mes premières, j'en feray le récit à Vostre Majesté.

Et après luy avoir remonstré le tort, qu'elle se faisoit, de se laysser ainsy transporter à l'artificieuse persuasion, pleyne de malice, de ceulx qui la vouloient brouiller avec Vostre Majesté, et de leur vouloir tant complayre que, sur de petitz faulx rapportz, elle se mît hors des honnorables termes qu'elle debvoit garder vers Voz Très Chrestiennes Majestez, je luy ay dict qu'elle avoit assés de preuves comme il ne manquoit de ceulx qui ne cherchoient rien tant que d'empescher l'establissement de l'amityé d'entre vous et elle, et y susciter tousjours de la meffiance; et qui estoient bien marrys qu'ilz n'avoient de quoy vous pouvoir si bien picquer l'ung contre l'aultre que vous en fussiez desjà aulx mains; et qu'elle jugeoit bien que ce n'estoit pas pour vostre commun bien qu'ilz le faysoient, ains pour leur intérest, ou pour leurs passions et vengences, et pour leurs malcontantementz; et que, si c'estoient princes, ilz creignoient l'unyon de voz forces, et, si c'estoient subjectz, leur prétention n'estoit plus ny pure ny simple pour la considération de la religyon ny pour la seureté de vyes, ains 323 avoient relevé une aultre forme de prétention, de laquelle nulle autre pouvoit estre ny plus odieuse, ny plus adversayre à l'authorité des princes; et qu'elle pensât, si l'on la dressoit contre Vostre Majesté, quelz aultres princes du monde s'en pourroient saulver: car l'on ne pouvoit rien débattre contre les qualitez de vostre extraction, estant encores la mémoyre du feu grand Roy, Françoys, vostre ayeul, et de la Royne Claude, vostre ayeulle, fille du Roy Loys douxiesme et de la Royne Anne, duchesse de Bretaigne, et la mémoyre pareillement du feu Roy Henry, vostre père, et de voz deux frères, Roys, et la présence de la Royne, vostre mère, encores toutes fresches, et Vostre Majesté en fleur d'aage, garny de toutes les plus excellantes qualitez pour régner, que prince qui, en plusieurs siècles, ayt monté à ce degré, et lesquelles une nation loingtayne de Pouloigne les avoit tant prisées qu'elle vous avoit esleu pour son Roy; et aviez, en traversant l'Allemaigne pour y aller, et puis l'Italye, à vostre retour, esté partout approuvé et recognu pour ung si royal et accomply prince que ceulx, qui vous estoient propres et mutuels subjectz, avoient maintenant ung trop malheureux tort de ne se soubmettre de tout leur cueur à vostre obéyssance, et mesmes qu'ils ne pouvoient prétendre que vous eussiez encores rien mal administré, car ne faysiés que d'entrer au premier an de vostre règne; et que je supplioys la dicte Dame de vouloir, dez maintenant, fère voyr au monde qu'elle estoit pour favorizer et maintenir, de toutes ses forces, la juste et royalle cause de Vostre Majesté, et réprimer celle trop présomptueuse des eslevez.

Sur quoy, la dicte Dame m'ayant dilligemment enquis de la qualité de ceste aultre cause et s'estant représanté en 324 son esprit aulcunes particullaritez, par lesquelles l'on s'estoit efforcé de la luy fère trouver meilleure et plus espécieuse qu'elle n'estoit, m'a respondu, pour la fin, qu'elle vous rendoit toutz les plus grandz mercys, qu'elle pouvoit, pour l'honneur et bon traictement qu'aviez faict à milord de North, et pour les bons propos que luy aviez enchargé de luy apporter de vostre amityé et persévérance vers elle; lesquelz, encor que ne les eussiez estendus en beaucoup de langage, vous les aviez néantmoins si bien ordonnez et en parolles de telle efficace qu'elle les vouloit indubitablement croyre, et tenir vostre amityé en tel priz que vous réputeriez de ne l'avoyr mal colloquée, ny mise en lieu d'où vous n'en tiriez toute l'honneste et utille correspondance que pourriez desirer de la meilleure et plus germayne bonne seur qu'ayez au monde; qu'elle n'avoit garde de laysser rien procéder d'elle, ny de son royaulme, qui vous peût donner du trouble ez affères du vostre, car se jugeroit elle mesmes digne d'estre troublée au sien, et qu'elle ne boucheroit là dessus ses yeulx à doigtz ouvertz, ains seroit très soigneuse d'empescher, partout où elle pourroit, qu'on n'y commît de l'abus; et qu'elle vous tesmoigneroit davantage de sa bonne et droicte intention par le gentilhomme que dellibériez envoyer vers elle.

J'ay monstré que je demeuroys bien fort satisfaict de ses derniers propos, mais qu'il me restoit d'avoyr quelque satisfaction de ceulx qu'elle m'avoit tenuz auparavant.

Et estant desjà bien fort tard je me suis licencyé, avec quelque opinyon, Sire, d'avoyr beaucoup interrompu la trame qu'on avoit ordye pour fère que ceste princesse rompît avecques vous. Et semble qu'il sera bon que Vostre Majesté face haster les deux personnages qui sont ordonnez 325 pour venir par deçà: car, si la ligue peut estre une foys renouvellée et bien confirmée, il y a grande apparance que les aultres poursuyvans n'obtiendront sinon ce qu'on ne leur pourra honnestement dényer.

Je suis contrainct pour des nouveaulx advis qu'on me vient de donner, touchant les cinq places, dont vous ay cy devant faict mencion: de Callays, Bouloigne, Dieppe, le Hâvre et Cherbourg; de vous supplyer, de rechef, très humblement, qu'il vous playse de renforcer les garnisons et advertyr les gouverneurs de prendre bien garde à eulx, car il y a entreprinse sur une chascune des dictes places.

Je remercye très humblement Vostre Majesté de la compassion, qu'il luy a pleu avoyr enfin de moy, de m'ordonner ung successeur pour me retirer de ce long exil. Je mettray peyne de laysser ceste négociation à celluy qui viendra, en si bon ordre, qu'il ne s'y pourra cognoistre de mutation sinon en mieulx, en ce que je ne doubte qu'il n'y apporte plus de suffizance que je n'en ay heu; et je réserveray ce qui me reste de vye pour le mettre et exposer à jamays pour vostre service. Sur ce, etc.

Ce XVIIIe jour de décembre 1574.

A la Royne

Madame, par ung de ceulx que j'avoys envoyé à Amthoncourt pour observer ce que milord de North rapporteroit de France, et pour notter quelle satisfaction il feroit prendre à la Royne, sa Mestresse, des choses de dellà, j'ay sceu qu'il avoit meslé, parmy les bonnes choses et bien honnorables qu'il avoit dictes de Voz Très Chrestiennes Majestez, aulcuns si malplaysantz et si fascheux rapportz d'elle et de la court, que la dicte Dame restoit extrêmement 326 picquée et offancée. Et, sur cella, l'estant allé trouver pour luy oster cette malle impression, elle s'est advancée de descharger son cueur, et monstrer, par des parolles qu'elle a dictes, desquelles je ne suis demeuré contant, qu'elle l'avoit bien fort ulcéré, et que la partye estoit toute dressée, et aulcuns de son conseil l'avoient tramée, pour fère qu'elle passât à quelque poinct de ropture avec Voz Très Chrestiennes Majestez.

Dont, après luy avoyr, tout franchement et hault, respondu, mot par mot, à ce qu'elle m'avoit dict, sellon que par mes premières je feray le discours du tout à Vostre Majesté, j'ay esté contrainct de luy uzer de la remonstrance que je déduictz en la lettre du Roy, laquelle m'a semblé que luy a ouvert les yeulx, et luy a faict comprendre qu'on vouloit artifficieusement l'attirer à ceste guerre des eslevez; si bien qu'avant que je soye bougé d'avec elle, j'ay emporté une assez bonne espoyr et encores une plus expresse déclaration de son intention: que très difficilement se layrra elle embrouiller en leurs entreprinses, aulmoins elle y résistera le plus longtemps qu'elle pourra; et, si envoyez bientost requérir la confirmation de la ligue, j'ay grande espérance que toutz les aultres poursuyvantz demeureront exclus. Dont, pour mon regard, Madame, je prépareray à ces deux gentilzhommes qui viendront, l'ung pour la dicte confirmation, et l'autre pour résider, tout ce qui se pourra fère pour obtenir l'effect de ce qu'aurons à requérir pour le service de Voz Très Chrestiennes Majestez, vous remercyant très humblement, Madame, de la souvenance qu'il vous a pleu avoyr enfin de me fère ordonner ung successeur pour me retirer d'icy. Et sur ce, etc.

Ce XVIIIe jour de décembre 1574.

327

CCCCXXIVe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour de décembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Succès que l'ambassadeur espère de ses efforts pour détourner Élisabeth de déclarer la guerre.—Nécessité d'envoyer promptement les députés de France qui lui ont été annoncés.—Nouvelles d'Allemagne et d'Espagne.—Mise en arrêt de la comtesse de Lennox, de son fils et de sa bru.

Au Roy.

Sire, je ne puis avoyr regret d'avoyr ung peu différé de vous escripre la male satisfaction que j'avoys rapporté de ma dernière audience, car, en lieu que les choses avoient commancé d'entrer en ung assés maulvais train, et estoient en voye d'aller plus mal, elles ont, grâces à Dieu, depuis, reprins ung beaucoup meilleur chemin; et s'en vont desjà en termes que j'ay bien opinyon que vous n'aurez que playsir de les entendre telles, comme, dans deux ou troys jours au plus tard, j'espère que, par ung des miens, je les vous pourray bien particullièrement mander, sellon que j'en ay desjà de bonnes erres. Et j'espère de travailler encores si bien que je feray que la chose ne parviendra qu'en bien bon estat et bien rabillée, devant Voz Très Chrestiennes Majestez. Seulement je vous supplye très humblement, Sire, de fère apprester les deux personnages qu'avez proposé d'envoyer par deçà, affin que ceste princesse ayt par eulx, le plus tost que fère se pourra, ung nouveau tesmoignage de vostre droicte persévérance vers elle, car peu s'en faut que milord de North et les siens n'ayent renversé tout celluy qu'elle en avoit auparavant.

J'entendz que, depuis cinq jours, ceulx cy ont dépesché ung personnage de qualité en Allemaigne, sur le retour 328 d'ung autre des leurs qui n'en faysoit que d'arryver, avec ung nouvel agent du comte Palatin, et avec ung Valfenyère, qui est encores icy; lequel on m'a dict qu'il s'appreste pour passer à la Rochelle, et qu'il s'en va embarquer à Hamptonne dans ung navyre du feu comte de Montgommery, et visiter la comtesse, en passant, qui n'est sans qu'il ayt bien fort négocyé par deçà.

Le ministre Calvart, agent du prince d'Orange, ayant esté, toutz ces jours, à Amptoncourt, s'en va aussy bientost trouver son maistre en Ollande; et m'a quelqu'ung adverty qu'il porte parolle de promettre par dellà que, si ung nombre des meilleurs vaysseaulx du dict prince se vuellent mettre en mer, comme advanturiés, et s'aller tenir en Brouage, et vers la Rochelle, qu'on leur donra, soubz main, de l'entretènement. Il peut estre qu'on est rentré en allarme du nouvel armement qu'on dict que le Roy d'Espaigne appreste en Biscaye, et qu'il a desjà désigné pour général celluy don Martin d'Alcandèle, qui soustint le siège d'Oran, en l'an soixante ung.

Je n'ay, longtemps y a, aulcunes nouvelles d'Escosse, et Me Quillegreu, qu'on faysoit apprester pour y retourner, est encores icy. La comtesse de Lenox et son filz, et sa belle fille, sont commandés de ne bouger de leur logys, et deffandu que nul ne parle à eulx que le conseil ne les ayt ouys. La Royne d'Escosse a escript une bonne lettre à la Royne, sa cousine, pour sa justiffication de ce qui est advenu, touchant ce mariage du comte de Lenox; et m'a l'on dict qu'elle en restoit assés satisfaicte, tant y a qu'on parle encores de remuer la dicte Dame; mais je m'y oposeray aultant qu'il me sera possible. Sur ce, etc.

Ce XXIVe jour de décembre 1574.

329

CCCCXXVe DÉPESCHE

—du XXVIIIe jour de décembre 1574.—

(Envoyée exprès jusques à la court par Joz, mon secrettère.)

Détails de la précédente audience.—Rapports faits par lord de North à son retour de France.—Ses plaintes contre le duc de Guise et les autres seigneurs de la cour.—Insulte qu'il déclare avoir été faite par la reine-mère a la reine d'Angleterre.—Vive irritation d'Élisabeth.—Ses emportemens.—Protestation de l'ambassadeur contre le reproche adressé à la reine-mère.—Ses plaintes contre les intrigues qui ont pu engager lord de North à dénaturer les intentions du roi.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle n'a pas entendu faire injure à la reine-mère.—Nécessité de donner quelques explications sur le propos qui a été rapporté.—Bons offices de Walsingham dans cette affaire.—Rapport confidentiel des propos répandus par lord de North sur le mépris que l'on faisait d'Élisabeth à la cour de France.—Ressentiment d'Élisabeth.—Prière pour que la reine-mère fasse une déclaration écrite qui puisse satisfaire la reine d'Angleterre.—Mémoire général. Bonnes dispositions d'Élisabeth à l'avènement du roi.—Intrigues pour la détourner de l'alliance de France.—Projets de l'Espagne.—Avis donné à Élisabeth que le pape a fait cession de l'Angleterre au roi, qui a le projet d'envahir l'Écosse, d'épouser Marie Stuart et de conquérir l'Angleterre.—Mesures arrêtées par la reine pour former une ligue avec le prince d'Orange et les protestans de France.—Engagement pris à l'égard de Mr de Mèru de soutenir la ligue du bien public.—Projet d'une guerre générale.—Avis donné à l'ambassadeur d'un complot dirigé contre le roi.—Lettre confidentielle au roi. Détails particuliers sur la conspiration.

Au Roy.

Sire, pour rendre compte à Vostre Majesté de ce que, par mes deux précédentes dépesches, j'ay réservé de vous escripre en ceste cy, je vous diray que la Royne d'Angleterre s'est trouvée extrêmement offancée des maulvaiz rapportz que milord de North luy a faictz, qui, à la vérité, luy touchent bien fort, sellon la façon qu'il les luy a dictz, et la fascheuse interprétation qu'il leur a donnée; non, qu'au partir de Lyon, à mon advis, il eust pensé d'en uzer ainsy, mais il en a esté embousché, en passant en ceste 330 ville, affin de provoquer, par toutz les plus picquantz moyens qu'il pourroit, la dicte Dame de rompre avecques vous. Et aulcuns de son conseil, qui sont de ceste menée, quand ilz l'en ont veu bien altérée et en collère, l'ont confortée d'en debvoir fère ung très grand ressentiment, de faict et de parolle, se persuadans que l'amityé s'en pourroit bien rompre.

Dont la dicte Dame s'estant proposée que, aussytost qu'elle me verroit, elle m'en feroit ouvertement, et en présence de ses dicts conseillers, sentir son malcontantement, elle n'a pas failly (après qu'elle m'a eu récité aulcuns bien bons et bien fort gracieux propos, de ceulx que le dict de North luy avoit rapportez de Vostre Majesté et de la Royne vostre mère, desquelz elle a dict estre très bien satisfaicte), de me dire qu'elle avoit à me fère sçavoyr que, si on luy avoit signiffyé, en France, quelque bonne volonté de parolle, l'on avoit bien prins aultant de peyne de l'oltrager et de l'offancer par effect; car, réservé le comte de Charny, duquel à la vérité elle avoit à se louer, il ne s'estoit trouvé nul autre gentilhomme françoys, en toute vostre court, qui eût daigné saluer ny entretenir, ny fère ung seul bon semblant à pas ung des gentilzhommes angloix qui estoient avec milord de North; et que Mr de Guyse, en mespris d'elle, et pour fère honte aulx dictz gentilzhommes, leur avoit commandé, dans vostre chambre, qu'ilz eussent à se descouvrir, bien que ce ne fût la coustume de dellà, et avoit uzé d'aulcunes parolles et gestes vers eulx, qui avoient bien monstré combien il avoit d'animosité vers elle; de sorte que, s'il eust esté aultre part, il y en avoit là qui eussent entreprins de luy bien respondre; et, qui pis est, que la Royne, vostre mère, en 331 sa chambre, ayant faict venir ung bouffon abillé à l'angloyse, avoit dict, par dérision, à milord de North, que c'estoit proprement le feu Roy Henry d'Angleterre; de quoy elle avoit le cueur plus serré, et se tenoit plus outragée que de nulle aultre chose qu'on luy eût dicte ny faicte, depuis qu'elle estoit au monde.

Et, là dessus, haussant sa voix, affin d'estre mieulx ouye de ses conseillers et de ses dames, a poursuivy, en collère, le propos, avec des parolles assez grosses, desquelles m'a semblé comprendre qu'elle a dict que, s'il y eût eu de l'honneur en la Royne, vostre mère, elle n'eût parlé ainsy mal honnorablement, et en dérision, d'ung si honnorable prince qu'estoit le feu Roy, son père, et qu'elle seroit très marrye d'avoyr faict ny dict rien de semblable d'elle, ny de quelconque aultre prince que ce soit; et que le dict de North avoit aulmoins respondu que les tailleurs de France avoient peu sçavoyr la façon comme s'abilloit ce grand Roy, car quelques foys avoit il passé la mer à bonnes enseignes, et avoit bien faict parler de luy par dellà.

Sur quoy, Sire, estimant que je debvois commancer ma responce par ce dernier poinct, qui touchoit la Royne, vostre mère, j'ay addressé, présantz et oyantz les aultres, ma parolle en ceste sorte, à la dicte Dame:

Que la Royne, ma Mestresse, mère du Roy, Mon Seigneur, estoit toute pleyne d'honneur et aultant honnorable princesse qu'il y en ayt soubz le ciel, sans rien réserver, et que je voulois dire, et maintenir jusqu'au dernier souspir de ma vye, que milord de North n'avoit veu ny ouy d'elle, ny de Vostre Majesté, ny mesmes de Mr de Guyse, ny de nul autre prince ny seigneur de vostre court, chose aulcune, procédant de l'intention de Voz Majestez Très Chrestiennes, qui 332 eût esté dicte ny faicte, ny qu'on la peût interpréter, contre la dicte Dame, ny contre l'honneur du feu Roy Henry, son père, ny contre la dignité de la couronne d'Angleterre; et que, si milord de North, ou aultre, le luy avoient aultrement raporté, qu'ilz ne l'avoient bien entendu, ny n'avoient ainsy bien négocyé comme il convenoit de le fère entre princes.

Et m'est venu, Sire, en l'esprit de sommer la dicte Dame qu'avant que je sortisse de sa chambre, elle voulût rabiller ce qu'elle avoit dit de la Royne, vostre mère, ou bien qu'elle me donnât congé de sortir de tout hors de son royaulme; mais, considérant que le présent estat de voz affères ne requéroit cella, et que c'estoit le poinct auquel les adversaires tendoient le plus, j'ay suivy l'autre expédient, de remonstrer à la dicte Dame ce qui est porté par ma précédante dépesche. Et ay adjouxté que, puisqu'elle mesmes advouoyt que, de la part de Vostre Majesté, qui faisiez exacte profession d'estre plus soigneux de la vérité de voz parolles et promesses que de la propre vye, milord de North luy en avoit apporté de très bonnes, avec la confirmation d'icelles par une vostre lettre; et je les trouvois encores très confirmées par celles qu'il vous avoit pleu m'escripre, depuis qu'il estoit party d'avecques vous; joinct qu'elle sçavoit bien que la Royne, vostre mère, l'avoit tousjours fort respectée, et luy avoit uzé plus d'honnestes traictz d'amityé que princesse qui fût au monde, et ne l'avoit jamays offancée; je m'esbahyssois par trop comme elle, qui estoit prudente et advisée, s'estoit layssée mener à dire d'elle rien qui la peût offancer, et qu'elle ne cognoissoit qu'on la vouloit tromper, car j'ozois dire librement que, si milord de North et ceulx de sa suyte, au 333 sortir de vostre chambre, fussent saultez dans la sienne, qu'ilz ne luy eussent apporté que tout contantement de Voz Majestez; mais ilz avoient apprins ung aultre roollet par les chemins; et qu'indubitablement la Royne, vostre mère, laquelle se souvenoit très bien que le feu Roy Henry d'Angleterre avoit esté prince très estimé de son temps, et aultant honnoré et bien voulu en la court de France que en la sienne propre, n'avoit aulcunement parlé de luy, sinon en la mesme façon qu'elle eût voulu parler des feus Roys, ses beau père et mary; et que Mr de Guyse aussy estoit si modeste prince qu'il n'avoit uzé de parolle ny de démonstration vers les Angloix, dont elle eût occasion de se tenir offancée; car, oultre que ce n'estoit son naturel, de dire ny fère choses semblables, il s'en fût encores abstenu pour le respect du lieu et de la présence de Vostre Majesté, bien que c'estoit son debvoir, comme grand maistre, de fère advertyr les dictz gentilzhommes angloix de ne se couvrir, tant que Monseigneur et le Roy de Navarre, et les aultres Princes et grands seigneurs, qui assistoient à ceste cérémonie, seroient descouvertz, encor que, au dict de North, quand il vous explicquoit sa créance, vous luy fissiez tenir le bonnet à la teste, car c'estoit pour davantage l'honnorer à elle; et que Mr de Guyse avoit justement peu supplyr en cella la faute, que ses dictz ambassadeurs avoient faicte, de n'avoyr adverty les gentilzhommes comme ilz debvoient uzer en vostre chambre, et néantmoins j'entendoys qu'il s'estoit retenu de ne le fère pas; et qu'au reste, quand elle vous eût bien dépesché le plus grand de son royaulme, ou quand même l'Empereur vous eût envoyé quelqu'ung de ses enfantz ou de ses frères, archiducz, ilz ne pourroient justement se plaindre que ne les eussiez faictz fort honnorablement 334 recevoir par Mr le comte de Charny et les gentilshommes qui avoient receu le dict de North et sa trouppe; et que je sçavoys bien qu'il n'avoit pas esté faict davantage ny, possible, tant, à ung comte que le Roy d'Espaigne vous avoit envoyé: dont je la supplyois de ne se vouloyr laysser transporter en cest endroict.

La dicte Dame, ayant prins de bonne part ma remonstrance, s'est incontinent, en tout le reste de son parler, bien fort composée; et avec beaucoup de modération est venue à dire plusieurs choses en bien fort bonne sorte de Voz Majestez, et du desir qu'elle avoit d'establyr une ferme amityé avecques elles. Et depuis m'a mandé, par troys des plus grands et principaulx seigneurs de son conseil, qui estoient présentz, qu'elle n'avoit dict ny entendu dire de la Royne, vostre mère, sinon que, si elle avoit dict ou faict, en mespris ou dérision du Roy, son père, ce que le dict de North luy avoit rapporté, qu'elle n'y pouvoit pas avoyr beaucoup d'honneur; et me prioyt d'en escripre à Voz Majestez affin qu'elle en peût estre satisfaicte, et en peût satisfère ceulx de ses subjectz qui en estoient escandalisez; et qu'elle ne demeurât offancée par Voz Majestez, lesquelles elle ne vouloit nullement offancer.

Sur quoy, Sire, je supplye très humblement Vostre Majesté me donner, par voz premières, de quoy convaincre et ce que le dict de North a dict, et la malice de ceulx qui le luy ont faict dire; et que ce qu'il vous plerra m'en escripre soit en façon que je le puisse monstrer à la dicte Dame. Et s'il plaist à la Royne, vostre mère, luy en escripre ung bon mot de sa main, elle en restera extrêmement contante.

Mr Walsingam a faict en cest endroit ung très honneste office vers elle. Il remercye très humblement Vostre Majesté 335 de l'honneur que luy avez faict de luy escripre, et promect qu'il employera tout son moyen et pouvoir pour conserver droictement l'amityé et bonne intelligence qu'avez avec ceste couronne.

Pardonnez moy, s'il vous playst, Sire, si je continue de vous importuner pour la venue de mon successeur, car plusieurs nécessitez, et mesmement celles de vostre service pour le deffaut de ma santé, m'y contreignent, mais j'espère que je luy lairay ceste négociation en très bon estat. Sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour de décembre 1574.

A la Royne

Madame, il ne fut onc à princesse du monde faict ung si fascheux et malplaysant rapport, que celluy, dont milord de North et ceulx de sa trouppe ont uzé à leur Mestresse, sur la pluspart des choses qu'ilz ont veues et ouyes en France; car, oultre les traictz que j'en récite en la lettre du Roy, vostre filz, j'ay sceu qu'ilz ont, d'habondant, dict à la dicte Dame que, en leur faysant Vostre Majesté voyr dans vostre chambre deux petites neynes habillées comme elle, vous aviez, et aulcunes de voz dames, jetté tout plein de motz qui ne pouvoient estre prins qu'en dérision et mocquerie d'elle; et mesmes qu'il avoit bien cognu, quand vous aviez faict semblant, en luy parlant de Monseigneur le Duc, vostre filz, de luy louer la beauté et belles qualitez d'elle, que ce n'avoit esté que pour vous en mocquer; et s'est efforcé, par toutz les moyens qu'il a peu, de mettre au cueur de la dicte Dame qu'elle estoit infinyement haïe et mesprisée de Voz Très Chrestiennes Majestez, et la moins respectée en vostre court qu'en nulle part de la Chrestienté; de sorte que, s'en trouvant elle bien fort escandalizée 336 et quasy oultrée d'une très juste dolleur, de se voyr desprisée, injuryée et touchée en son honneur par ceulx qu'elle s'esforçoit d'honnorer, et dont elle recherche l'amityé, elle ne s'est peu tenir de respondre quelques mots pour revancher l'honneur et dignité de son père, dissimulant ce qui touchoit particullièrement à elle, non pour l'oublier, ains pour en réserver cachée en son cueur une indignation et vengeance pour lorsqu'elle verroit le poinct de vous pouvoir bien nuyre.

Mais, aussytost que je luy ay eu fermement assuré du contrayre, et que je luy ay faict voyr qu'on la vouloit tromper, elle s'est ressouvenue des tesmoignages d'amityé que Vostre Majesté luy avoit tousjours monstré, qui l'ont, plus que nulle aultre chose, ramenée incontinent à modération, et lui ont faict sentir que les choses n'estoient telles qu'on les luy avoit données entendre; et a protesté que, si, par collère, n'ayant bien la propriété de la langue françoyse, elle avoit advancé quelque mot en deffance de l'honneur du feu Roy son père, elle n'avoit toutesfoys dict ny entendu dire, sinon que, si Vostre Majesté avoit ainsy faict ou parlé en mocquerye et dérision de luy, comme milord de North luy avoit rapporté, que n'y pouviez avoyr beaucoup d'honneur; et qu'elle desiroit qu'il vous pleût, Madame, luy fère voyr que cella n'estoit auculnement advenu, et que aulmoins il n'avoit esté faict en ceste mauvayse intention de dénigrer la mémoyre du dict feu Roy, son père, affin qu'elle en peût satisferre ceulx des siens qui avoient ouy le mesmes compte, et qui jugeoient que l'honneur d'elle, et la dignité de sa couronne, et tout ce royaulme en estoient grandement intéressez.

En quoy, Madame, estant ce qu'elle demande bien fort 337 juste, et mesmes qu'il semble qu'il y auroit de l'injustice de le luy refuzer, j'espère que Vostre Majesté le luy accordera, jouxte la vraye vérité de ce qui en est, qui m'assure qu'il ne y a rien eu de mal à propos contre elle par dellà, et que milord de North et les siens resteront confuz de ce qu'ilz en ont dict, mesmement s'il vous plaist en escripre une bonne lettre, de vostre main, à la dicte Dame, comme très humblement je vous en supplye.

Mr de Walsingam s'est monstré vertueux et honneste gentilhomme à rejetter ces faulx rapportz; et a parlé, à son tour, très honnorablement de Vostre Majesté, ainsy que je l'ay bien certeynement sceu. Il vous remercye très humblement de l'honneur que luy avez faict de luy escripre, et promect qu'il n'aura nul plus grand soing, en sa charge, que de conserver l'amityé d'entre Voz Très Chrestiennes Majestez et la Royne, sa Mestresse, et qu'il espère de voyr la dicte amityé plus ferme que jamays, si la paix succède en France. Sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour de décembre 1574.

ADVERTISSEMENT D'AULCUNES CHOSES
à Leurs Majestez, oultre le contenu des lettres:

Que ceste princesse, depuys l'advènement du Roy à la couronne, s'est rendue bien fort curieuse de monstrer que, pour chose qui ayt passé cy devant entre eulx, elle ne se tient offancée de luy, et n'a opinyon qu'il se tienne aussy en rien offancé d'elle, affin que le fondement ne deffaille entre eulx de pouvoir mutuellement renouveller les traictez de paix et d'amityé qu'ilz ont l'ung avecques l'aultre.

En quoy, encor qu'il y ait ou y puisse avoyr, sellon aulcunes non légères conjectures, de l'artiffice autant que de vérité, si est il bien certain que la résolution a esté une foys prinse par la dicte Dame, au cas qu'elle peût trouver de la correspondance au Roy, qu'elle persévèreroit 338 très constamment vers luy, ainsi qu'elle avoit persévéré vers le feu Roy, son frère;

Mais l'on luy a suscité des escrupulles non petites pour la divertyr de ce bon propos, car, oultre la contrariété de la religyon et autres choses, que j'ay cy devant mandées, l'on luy a faict tomber ung advertissement entre meins, comme venant de Flandres, mais j'estime que quelque ministre l'ayt inventé, que le Roy adhérant soubz main à la guerre que le Turc mène si aspre au Roy d'Espaigne, il prétend, après l'avoyr bien travaillé par là, de luy courir sus au duché de Milan, et que desjà la jalousie en estoit si grande, en Italye, qu'on n'avoit voulu octroyer le passage aux forces de pied et de cheval que le Pape luy offroit pour la guerre de France;

Et que Mr de Savoye avoit donné parolle au Roy d'Espaigne qu'il ne les permettroit aulcunement passer par ses terres;

Et ont meslé, parmy le dict advertissement, que, par aulcuns mémoyres du dict duc de Savoye, l'on avoit descouvert que véritablement le Roy avoit accepté du Pape le droict de conqueste de ces isles de deçà, qui se sont substrettes de l'obéyssance de l'église rommayne, en la forme que le feu Pape et le consistoyre en avoient octroyé l'investiture au Roy d'Espaigne, avant qu'il entrât en ceste guerre du Turc;

Et qu'indubitablement le Roy avoit promis, pour l'effet de cella, de fère descendre en Escosse six mille harquebuziers italiens, quatre mille françoys et quinze centz chevaulx, pour, avec plus grandes forces, après qu'il auroit avec celles icy réduict l'Escosse, passer plus avant, et entreprendre, en personne mesmes, la plus forte et la plus aspre guerre en Angleterre, avec l'ayde des Catholicques, qu'on y ayt jamays veu;

Et que, pour s'attribuer, le Roy, plus de droict en cella, il prétandoit d'espouser la Royne d'Escosse et fère valoir le transport du tiltre d'Angleterre que, de longtemps, elle luy a faict, et de poursuyvre si vifvement ceste entreprinse qu'il l'eût menée à fin avant le bout de deux ans;

Mais que le roy d'Espaigne se dellibéroit de luy susciter tant d'affères d'ailleurs, et luy tirer la guerre intestine de la France en telle longueur, sellon qu'il en avoit assez de moyenz par le Languedoc, et par diverses intelligences dans le royaulme, que, si la Royne d'Angleterre se vouloyt aider, de son costé, on feroit aysément escouter au Roy ses forces et ses finances, et ses bons hommes, et tout l'effaict de ceste grande fortune, qui lui ryoit si fort à ce commancement, 339 pour avoyr assez que fère dans son royaulme, sans s'estendre ny en Italye, ny en Flandres, ny en Angleterre.

Et, là dessus, est arryvé milord de North, qui a faict à la dicte Dame d'aussy fascheux et malplaysantz rapportz qu'il est possible, non du Roy, car il n'a ozé estre si impudent, mais de tout le reste de sa court; et qu'il n'y avoit rien veu qui ne luy eût signiffyé une manifeste déclaration d'hayne et de malveillance contre elle et contre ce royaulme, racomptant ce que j'ay plus au long desduict ez lettres de Leurs Majestez, n'obmettant rien de ce qui pouvoit irriter et picquer jusques en l'âme ceste princesse, et luy rendre très suspecte l'amytié de Leurs Très Chrestiennes Majestez.

Sur quoy, elle, assez troublée et pleyne d'indignation, a mandé ses plus privés conseillers pour leur communicquer ce fascheux rapport, et le juste malcontantement, qu'elle avoyt, que le Roy et sa court luy eussent rendu honte pour l'honneur qu'elle luy avoit envoyé fère.

Et là dessus se sont prinses des dellibérations que je n'ay peu toutes descouvrir; mais voicy ce qui en est venu à ma cognoissance:

Que, en premier lieu, il a esté mandé à Me Wilson, à Bruxelles, de s'employer, le plus vifvement qu'il pourroit, et employer le nom et crédict de la dicte Dame, pour fère venir bientost les choses en accord avec le prince d'Orange, et de renouveller comment que ce soit, et le plus estroictement qu'il luy sera possible, les anciens entrecours d'entre ce royaulme et les Païs Bas;

Que des cappitaynes angloix ont esté mandez à Ampthoncourt pour leur accorder quelque entretènement, et les assurer qu'ilz seront bientost employez, et qu'ils ayent cependant à advertyr leurs gens de se tenir prestz; et a l'on aussy creu la pencyon à quelques cappitaynes italyens qui sont en ceste ville;

Qu'on a envoyé ung gentilhomme devers Mr de Méru, qui a longuement conféré avecques luy; et, après qu'il a esté départy, le dict Sr de Méru s'est trouvé si surprins d'ayse qu'il ne s'est peu tenir de dyre que la dicte Dame et ceulx de son conseil avoient envoyé luy fère la conjouyssance de ce que milord de North rapportoit: qu'ung grand nombre de seigneurs, et gens de bonne mayson et gentilzhommes de France, avoient commancé de manifester la bonne affection qu'ils portoient à la mayson de Montmorency, et que Mrs l'admiral de Turenne et de Ventadour, de Carses, de Limreilh et plusieurs autres s'estoient déclarez ouvertement pour eulx; et que le maréchal Dampville avoit troys mille chevaulx et dix huit mille harquebuziers 340 en campagne, et que le mareschal de Retz, qui avoit voulu marcher vers ces quartiers là, s'estoit trouvé si foible qu'il avoit esté contreinct de se retirer, et mander au Roy qu'il le supplyoit de s'advancer pour renforcer son armée; que beaucoup de gens abandonnoient l'armée du Roy, et que Monsieur le Prince Daulfin s'estoit retiré fort malcontant, que Monsieur le Prince de Condé armoit et avoit espérance d'entrer bientost avec dix mille reytres en France; et que, en Provence, Daulfiné et Languedoc, ne restoit plus qu'une seule ville que toutes n'eussent adhéré aulx eslevez, ou pour la cause de la religyon ou pour l'autre prétendue du bien public.

Et, à deux jours de là, le dict Sr de Méru est allé à Hamptoncourt, avec le cappitayne La Porte, et le cappitayne Chat, lesquels deux j'entendz qu'ont faict la cenne avec les Protestantz, mais luy demeure catholicque; et ont esté fort bien et fort privéement caressez;

Que les ministres se sont assemblés en conseil pour dellibérer de ce qui estoit à fère sur ung concours de tant de nouvelles; et m'a l'on rapporté qu'il a esté résolu entre eulx qu'il sera dépesché ung homme exprès, vers ceulx qu'ils sentent estre de leur party et mesmement vers les principaulx et plus grands, pour les admonester de prendre, à ce coup, les armes, et que le poinct est venu qu'il n'y aura jamays plus envers Dieu et les hommes aulcune excuse pour eux, s'ilz ne se déclarent maintenant, et s'ilz ne sont dilligentz à susciter bientost les soublévations et révoltes qu'ils sçavent estre secrettement formées en divers endroictz du royaulme, de sorte qu'il n'y ayt province où il n'y en apparoysse quelqu'une;

Que, par mesme moyen, ils ayent à se saysir du plus grand nombre de places qu'ilz pourront, et, par exprès, d'aulcunes sur la mer de deçà, le long de Picardye et de Normandye, affin d'attirer les Angloix à ceste guerre, car lors ils se déclareront indubitablement pour eulx;

Que les praticques qui sont tramées, de longtemps, sur Callays, Bouloigne, Dieppe, le Hâvre et Cherbourg, seront tantées; en quoy se parle qu'il y a des habitantz, aulxquelz on a promis cinq centz escus de rante à chascun, dans ce royaulme, pour introduyre les Angloix dans leurs villes; et qu'on doibt conduyre l'entreprinse par des navyres marchands, où y aura des harquebouziers et gens de guerre cachez, lesquelz, avec leurs intelligences, se rendront mestres des portes; et qu'en mesmes temps y aura partye faicte, dans les dictes villes, pour tuer les gouverneurs et cappitaynes;

Et qu'en effect la guerre s'allumera par toutz les coings et endroictz 341 du royaulme, pour obtenir ceste foys l'édict irrévocable de janvyer, avec de si bonnes places et lieux de seureté, qu'ilz n'auront jamays plus à creindre qu'on leur viegne forcer ny leurs vyes ny leurs consciences; et que le Roy et la Royne, sa mère, se trouveroient si perplex que, de la pluspart de ceulx qu'ilz se voudroient servir, ou qu'ilz voudroient retenir près d'eulx, ou bien les employer en légations et charges, ilz ne les réputeront fidelles; et, s'il est possible, ilz persuaderont ceulx de ce conseil de fère que ceste princesse monstre quelque ressentiment, de parolle ou d'effaict, sur les susdictz rapportz de milord de North, affin de venir en ropture avecques le Roy.

Mais ce qui plus me griefve est que deux personnages catholicques, et bien fort vénérables, de ce royaulme, m'ont mandé, séparément l'ung de l'autre, sellon qu'ilz sont aussy séparez, que la conjuration a esté faicte contre la vye et la personne du Roy, et qu'à présent, plus que jamays, l'on la poursuyt; et qu'il faut que Sa Majesté face prendre soigneusement garde à son boyre, à son manger, à ses vestementz, à ce qu'il touchera, et nomméement au pommeau de la selle et aulx rènes du cheval qu'il montera.

Et, depuis, les dessusdictz et ung autre personnage de bonne qualité, estranger, m'est venu confirmer le mesmes advertissement, par la relation d'aulcuns aultres, et comme il est ordonné d'employer de grands dons et présantz pour corrompre quelqu'ung de la cuysine, ou d'autre office de la bouche du Roy, ou bien de sa garderobbe, ou de l'escuyerye, pour exécuter l'entreprinse. Et n'ont deffally aussy aulcuns françoys de la nouvelle religyon qui m'ont adverty comme ilz avoient eu quelque sentiment de ceste détestable conjuration, et, qu'en toutes sortes j'en debvois donner advis au Roy.

Et les ungs et les aultres, tant plus je les ay examinés des circonstances de ce faict, plus je les ay trouvez conformes et persévérantz en ce qu'ilz m'en avoient desjà dict. Et m'ont, d'abondant, confirmé qu'il y a secrette dellibération, entre les Angloix, d'armer et de tanter l'entreprinse des susdictes cinq places, ou de quelqu'une d'icelles; et que pareillement il y a grande conjuration contre la vye de la Royne d'Escosse, ce que la pouvre princesse a bien senty, ainsy qu'ung chiffre que j'ay dernièrement receu d'elle le tesmoigne.

Et y a grande apparance, aussy, que, si les escrupulles qu'on a imprimé à la Royne d'Angleterre ne sont modérez, qu'elle tentera, de rechef, l'entreprinse d'avoyr le Prince d'Escosse, sellon qu'on m'a rapporté que, depuis quelques jours en çà, elle a dict qu'elle 342 vouloit fère en sorte que le dict Prince et le château de Dombertrand fussent mis ez mains du comte de Morthon, parce qu'il réputoit Me Alexandre Asquin et ceulx qui gardent Dombertrand, et nomméement Droucastel, traystres. De quoy seroit bon les advertyr de l'opinyon que la dicte Dame a d'eux, car cella les feroit du tout jetter ez bras du Roy.

Et n'ont deffally aulcuns, mesmement des partisans de Bourgoigne, qui ont mis en avant à ceste princesse que, sans plus s'amuzer aulx belles parolles du Roy et de la Royne, sa mère, lesquelles n'estoient que pour la tromper, elle voulût estroictement racoincter le Roy d'Espaygne; et avoyr agréable que Mr de Savoye envoyât la requérir de mariage, sellon que c'estoit ung prince d'âge compétant, qui avoit eu des enfans d'une princesse aussy advancée en l'aage comme elle, et qui estoit prince d'une esprouvée vertu, qui n'escandalizeroit rien par deçà, et qui sçavoyt supporter ceulx de la nouvelle religyon en ses terres, estant certain que le Roy d'Espaigne, en faveur de ce mariage, et pour paciffyer et saulver ses Pays Bas, comme indubitablement il le feroit avec la faveur de ce royaulme, il establiroit le dict Mr de Savoye gouverneur de Flandres, chose qu'il n'en pourroit advenir de plus heureuse, ny plus à propos, pour l'Angleterre que cella.

Et m'est bien souvenu de ce que, par une dépesche du moys d'octobre dernier, Leurs Majestez m'avoient mandé, que je ne fusse, à présent, nullement endormy, parce que ce seroit le temps auquel l'on feroit les plus grands effortz de mettre la dicte Dame à la guerre; mais j'espère que Dieu fera la grâce au Roy d'establyr la paix en son royaulme, par le moyen de laquelle il rendra esteinctes aulx malins leurs males pensées dans leurs cueurs, et veynes toutes leurs entreprinses; et que, s'il luy playst d'envoyer requérir la continuation de la ligue avec ceste princesse, et la satisfère ung peu de ces impressions que milord de North luy a données, qu'il obtiendra tout ce qu'il voudra d'elle, et ne sentira de son royaulme que toutz offices d'amityé et de bonne intelligence.

343

AUTRE LETTRE A PART.
(Escripte de la main du Sr de La Mothe Fénélon.)

—du XXVIIIe jour de décembre 1574.—

Au Roy.

Sire, il y a des personnes, à qui leur malice les presse si fort au cueur qu'ilz ne l'y peuvent tenir cachée, et manifestent souvant des pensées qu'ilz ont, qui sont plus malignes qu'il ne leur abonde le moyen de les exécuter, ainsy que, sur ce que je viens de vous escripre par ung mémoyre de ceste dathe, touchant la conjuration faicte contre la personne de Vostre Majesté, j'ay envoyé remonstrer au vieux évesque catholicque de Lincoln, et à ung autre grand docteur très catholicque, qui sont toutz deux en arrest en ceste ville, et pareillement au Sr Fogas, portugoys, et surtout au Sr de Languillier et au cappitayne Bastian, provançal, et à quelques aultres françoys, (qui m'ont donné le dict advertissement, et y ont meslé le danger de la Royne, vostre mère, avecques le vostre), que je ne voulois légèrement, sur ung dire si général et incertain que le leur, vous donner ceste tant fascheuse impression, laquelle ne pourroit estre que ne vous esmeût bien fort, et ne picquât estrangement les cueurs de Voz Majestez; et que pourtant je les prioys de me désigner s'il y avoit, de présent, près de Voz dictes Majestez, ou s'il y debvoit venir personne, de quelque qualité que ce fût, qu'ilz l'eussent ouy nommer pour suspecte de cest acte, affin que la puissiez fère mieulx observer et vous mieulx contregarder.

Et ilz m'ont respondu le mesmes qu'ilz m'avoient desjà 344 mandé, que, par des propos qu'aulcuns, transportez de passion, avoient tenuz entre eulx, il estoit évident que la dicte conjuration estoit faicte, et qu'on poursuyvoit encores, à présent, plus qu'on n'avoit encores faict, de l'effectuer. Et ont adjouxté qu'il falloit prendre bien garde que quelqu'ung, ayant une baguette en la main, avec ung nœud, ou ung petit boucquet au bout, ne vous touchât, feignant de le fère par mégarde, car le bouquet seroit empoysonné; et aussy que, pour éviter quelque malheureux coup de dague ou de pistollé par trahyson, Vostre Majesté n'admît près de soy personnes incognues, et nomméement nul escossoys, qui ne fût bien advoué.

Et m'ont, d'abondant, adverty que les ministres s'estant persuadez qu'il n'y avoit bonne intelligence entre Vostre Majesté et Monseigneur vostre frère, avoient proposé de mettre en avant que nouveau partage luy fût baillé, avec tiltre de Roy, ou aulmoins de souverayneté, affin que ses terres fussent ung lieu de refuge à ceulx de leur religyon, qui estoit la plus honneste seureté qu'ilz vous sçauroyent demander; mais qu'ilz ne sçavoient pas encores si Mon dict Seigneur le trouveroit bon, car ce n'estoit chose qui fût provenue de luy. Qui sont dellibérations, Sire, qui descouvrent plus de tourment en ceulx qui les font, qu'il n'y a apparance qu'ilz les puissent ny ozent jamays entreprendre, tant elles ont peu de fondement; dont n'en debvez estre en peyne.

Et néantmoins je n'ay voullu fallir de les vous mander, puisqu'elles concernent vostre personne, vous supplyant très humblement, Sire, que, de tant que ces gens ne cessent de vous dresser, dedans vostre royaulme et partout où ilz peuvent, dehors, tout plein de fâcheuses praticques, 345 sur l'apparance de ce qu'ilz imaginent debvoir estre ou pouvoir advenir, qu'il vous playse, et à la Royne, vostre mère, pour les rendre confus, unyr très intimement et très cordiallement Monseigneur vostre frère à voz intentions, comme ung autre bras droict de vostre force, et l'appuy de vostre authorité, et que faciez paroistre qu'il est ainsy; et réputiez, au reste, très honnorable, et encores plus heureuse, la paix avec voz subjectz, en quelle façon que Dieu vous donnera de la pouvoir fère avec vostre réputation, car elle vous mènera à bout de toutz voz affères; et qu'il soit vostre bon playsir de me renvoyer la présente, qui est escripte de ma main: car ceulx qui y sont nommez me l'ont ainsy faict jurer et promettre. Et sur ce, etc. Ce XXVIIIe jour de décembre 1574.

CCCCXXVIe DÉPESCHE

—du segond jour de l'an 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Assurances réciproques d'amitié.—Offre faite par Élisabeth de sa médiation pour procurer la paix en France.—Réponse évasive de l'ambassadeur.—État des forces que le roi peut opposer aux rebelles.—Explications sur les propos rapportés par lord de North.—Déclaration d'Élisabeth à ce sujet.—Instances de l'ambassadeur en faveur de Marie Stuart.—Meilleure disposition d'Élisabeth à l'égard de la reine d'Écosse.—Recommandation au roi en faveur de Me Warcop.—Prière à la reine-mère de faire une réponse à la déclaration d'Élisabeth.

Au Roy.

Sire, estant, à l'occasion de vostre dépesche du Ve du passé, allé donner, le premier d'estui cy, les bonnes festes et le bon an à la Royne d'Angleterre, à Ampthoncourt, elle s'est trouvée merveilleusement bien contante des propos 346 que j'ay eus à luy tenir de vostre part; et après qu'elle m'a eu, avec démonstration de beaucoup d'affection, dict qu'elle vous faisoit, de bon cueur, les mesmes bons et honnestes souhaitz que je luy faisois, icy, à elle, et qu'elle desiroit que ce segond an de vostre règne fût en toutes sortes si segond, et bien heureux, qu'il vous peût introduyre en plusieurs aultres années après, qui vous fussent pleynes de félicité, elle m'a prié de vous escripre qu'elle vous remercyoit infinyement de celle forme d'excuse que luy faysiez de ne l'avoyr encores envoyé visiter, laquelle luy estoit ung tesmoignage non petit que vostre intention estoit de vous entretenir en bonne amityé avec elle, puisqu'au milieu des grands et très urgentz affères de vostre royaulme, et mesmement de ceulx où vous vous trouviez à présent enveloppé, ez confins d'icelluy, vers le Languedoc, il vous playsoit d'avoyr en mémoyre ceste visite, sur laquelle elle considéroit assez vos empeschementz; mais elle vous promettoit bien qu'en quel temps qu'elle vînt, elle tesmoigneroit au monde qu'elle l'acceptoit de bon cueur, et qu'elle la recepvoit à très grand honneur, et pour une marque de la plus parfaicte intelligence qu'elle desire avoyr avec quelconque aultre prince qui soit en la Chrestienté; et puisque luy offriez de luy garder sincèrement les droictz de vostre amityé, qu'elle vous prioit de croyre qu'elle vous conserveroit perpétuelle et inviolable ceulx de la sienne, bien qu'elle ne se pouvoit assurer qu'il n'y en eût, près de vous, qui vous persuadoient aultrement, et qui desiroient vous voyr brouillez ensemble, et la troubler à elle en son estat, mais qu'elle ne layrroit, pour cella, de donner foy à ce que luy promettiez, et de souhayter, de tout son cueur, l'establissement de voz affères 347 et la tranquillité de vostre estat; et que la mesmes offre, qu'elle avoit faicte au feu Roy, vostre frère, aulx troubles de son temps, elle la tournoit fère à Vostre Majesté en ceulx qui se sont ressucitez du vostre:

C'est que, si voyez qu'elle puisse quelque chose pour les réduyre à de bons termes de paix, avec la conservation de vostre authorité et réputation, et avec toutz les advantaiges qui doibvent estre réservez à ung roy et prince souverain, qu'elle est preste de s'y employer en la mesme forme qu'elle desire demeurer establie sur ses propres subjectz, et non à rien moins que cella. En quoy s'il luy pouvoit apparoir que eussiez offert aulx vostres, non toutes les condicions qu'ilz voudroient, mais quelques unes, honnestes et tollérables, pour satisfère à leurs consciences, et d'autres pour les rendre aulcunement assurez contre les justes meffiances que vous mesmes jugés bien qu'ilz ont occasion d'avoyr, et qu'ilz ne s'en voulussent contanter, qu'elle les réputeroit lors substretz de la droicte religyon pour entrer en une manifeste rébellion contre Dieu et contre leur prince naturel, et comme telz elle ayderoit, de tout son pouvoir, à les chastier et réprimer.

De quoy l'ayant bien fort remercyé avecques une suyte de toutz les honnestes propos que j'ay estimez convenir à l'expression de vostre bon desir à la paix, sans m'arrester nullement à son offre, sinon de l'assurer que je le vous signiffieroys le plus près que je pourrois des mesmes termes qu'elle me l'avoit dicte, je luy ay satisfaict à ce qu'au reste elle m'a demandé: s'il n'y avoit poinct cependant suspencion d'armes? Que véritablement non, et que j'entendoys que Mr de Bellegarde estoit devant Livron avec une bonne armée et vingt canons; et Mr le maréchal de 348 Retz devant Riez, en Provence, avec une aultre armée et avec une aultre bonne bande d'artillerye; et le duc d'Uzès avec d'autres bonnes forces vers l'autre part de Languedoc; et Mr le maréchal de Monluc avec d'autres en la Guyenne; et Mr de Montpensier continuoit le siège de Lusignan en Poictou: de sorte que Vostre Majesté avoit cinq armées aulx champs, et estiez prest d'introduyre encores bien d'autres grosses levées de reytres et de suisses, et estrangers, et joindre de très grandes forces de voz subjectz pour remédyer, par ce violent moyen, à la trop ostinée opiniastreté à voz subjectz, si les remèdes de vostre clémence et doulceur n'y pouvoient estre applicquez.

De quoy la dicte Dame s'est donnée beaucoup d'admiration, d'où, ny commant, après tant de ruynes et de calamités de vostre royaulme, vous pouvoient maintenant survenir tant de grands et esmerveillables moyenz. Et a adjouxté qu'elle vous prioit, sur toutes choses, de ne vouloir essayer l'extrémité, parce qu'après icelle n'y avoit plus, de ressource. Et puis a faict venir à propos de me dire que, depuis huict jours en çà, je l'avoys cuydé remettre en la mesme détresse qu'elle estoit, lorsque la feue Royne, sa seur, luy faisoit fère son procès dans la Tour sur des parolles qu'on avoit mal entendues d'elle; et qu'elle me pouvoit dire qu'encores jamays elle n'avoit, à son escient, intéressé l'honneur de gentilhomme ny de dame, qui fût au monde, et que pourtant je pouvois croyre qu'elle n'avoit touché ny entendu toucher, en façon que ce fût, à celluy d'une telle princesse comme la Royne, vostre mère; mais qu'elle n'avoit peu fère de moins, pour l'honneur et révérance du feu Roy, son père, que de dire qu'il n'avoit esté honnorable à elle de se mocquer de luy, si, d'avanture, 349 elle l'avoit faict; et qu'elle verroit quelle interprétation elle y voudroit donner.

Je luy ay respondu que, à dire vray, j'estois, l'autre foys, party bien troublé de sa présence, ayant entendu des parolles qui tendoient, d'ung costé, à blasmer la Royne, vostre mère, et par conséquent Vostre Majesté mesmes, et, de l'autre, à mettre de l'altération en vostre mutuelle amityé; et que pourtant j'avoys cherché quelque radresse en cella, mais qu'à présent je demeuroys le plus satisfaict gentilhomme du monde, et me soubscripvois à ce qu'elle m'en avoit mandé, et à ce que présentement elle m'en disoit; dont espérois que bientost il luy viendroit aussy à elle tant de satisfaction, de cest endroict, que les mauvais rapportz en resteroient convaincus. Et suis passé à luy fère une petite négociation pour la Royne d'Escoce, et luy présenter une lettre qu'elle luy escripvoit, et une très belle coyfure de réseil, qu'elle luy envoyoit, fort mignonement ouvrée de la main mesmes de la Royne d'Escosse, avec le collet et manches, et aultres petites pièces appartenantes à cella, que la dicte Dame a eu autant agréables qu'il est possible. Et pense avoyr réduit les choses, entre elles, à quelques bons termes, pour n'estre besoing, Sire, que touchiez rien à l'ambassadeur d'Angleterre du changement qu'elle creignoit, jusques à ce que je vous en auray autrement escript. Et sur ce, etc.

Ce IIe jour de janvier 1575.

Par postille à la lettre précédente.

Ceste princesse et les principaulx de son conseil m'ont si instamment pryé de remémorer à Vostre Majesté la promesse qu'avez faicte à milord de North, touchant l'affère de Me Warcop, que je vous supplie très humblement, Sire, d'y vouloir fère regarder, et luy pourvoyr; 350 car, avec l'équité de sa cause, il est gentilhomme de mérite, et qui est fort bien veu et bien fort estimé de la Royne, sa Mestresse, et de toute sa court.

A la Royne

Madame, je suis retourné, ceste foys, si satisfaict de la Royne d'Angleterre, des honnestes et vertueux propos qu'elle m'a tenuz de Vostre Majesté, et de l'obligation qu'elle dict avoyr de vous aymer et respecter par dessus toutes les aultres princesses de la Chrestienté, et de la ferme créance qu'elle veut avoyr, attandu les honnorables offres d'amityé et d'alliance qu'elle a eues plus expresses de vous que de nul autre prince ny princesse qui vivent, qu'il ne peut estre que vous l'ayez volue offancer ny injurier, en vous mocquant et faisant ceste dérision, qu'on luy a dict du feu Roy, son père. Et a si bien rabillé ce que la collère et l'instigation d'autruy luy pouvoient avoyr faict advancer quelque parolle, que j'estime, Madame, s'il vous plaist luy escripre ung bon mot, de vostre main, sur l'interprétation de ce qui peut avoyr esté faict en cella; et que Vostre Majesté l'assure qu'il n'y a eu rien en dérision ny mocquerie d'elle ny du feu Roy, son père, que toutes choses se réduyront entre vous deux en aussy bons termes qu'elles ont esté jamays. Et de tant que cella ne peut estre, en ce temps, ny pour quelles occasions qui puissent survenir, sinon très commode et de beaucoup d'utillité aulx affères de Voz Majestez Très Chrestiennes, et au bien de vostre royaulme, je vous supplye très humblement, Madame, ne la vouloir mespriser. Et sur ce, etc.

Ce IIe jour de janvier 1575.

351

CCCCXXVIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mousnyer.)

Nécessité d'envoyer promptement la légation annoncée pour complimenter Élisabeth de la part du roi.—Maladie de l'ambassadeur.—Ses instances pour obtenir son rappel.—Nouvelles des Pays-Bas, d'Irlande et de la Rochelle.

Au Roy.

Sire, ayant, par ma précédante dépesche, donné ung bien entier compte à Vostre Majesté des propos qui ont esté tenuz entre la Royne d'Angleterre et moy, à ce nouvel an, j'ai depuis travaillé, et fais tousjours tout ce que je puis pour entretenir la dicte Dame et ceulx de son conseil aulx meilleurs et plus exprès termes de vostre amityé qu'il m'est possible, affin qu'ilz ne se layssent conduyre, d'ailleurs, à fère des dellibérations qui vous puissent estre nuysibles, ny qui soient pour apporter de l'empeschement à l'establissement de voz affères. Et bien qu'ilz s'assemblent assez souvant pour traicter des entreprinses de l'année où nous entrons, si ne descouvrè je qu'ilz se résolvent, pour encores, à rien de bien certain, jusques à ce qu'ilz puissent voyr quelle yssue prendra le pourparlé de paciffication que Vostre Majesté a commancé avec ceulx de leur religion, car il semble bien, Sire, que la dicte Dame, avec aulcuns des mieulx intentionnés de son conseil, vous desirent de bon cueur la réduction de voz subjectz; mais il est bien certain qu'elle ny pas ung d'eux ne voudroient, en façon du monde, qu'elle advînt par une deffinition d'armes; et je crains par trop, si le dict pourparler vient du tout à se rompre, que 352 leurs dictes dellibérations, avec celles des Allemantz, lesquels, par messagers ordinayres, confèrent quasy toutes les sepmaynes ensemble, ne se résolvent, en faveur de voz dictz subjectz, à vous susciter avec eulx une guerre plus longue et plus pleyne de difficultez et de dangers que n'ont esté les précédantes. Dont, affin, Sire, que, en tout évènement de paix ou de guerre, l'on ne puisse ainsy facillement divertyr ceulx cy de vostre intelligence, comme je voy bien que ceulx qui envyent vostre grandeur, et ceulx qui la creignent, s'efforcent de le fère, je vous supplye d'envoyer bientost visiter la dicte Dame, et la requérir de la confirmation de la ligue; car j'espère, moyennant cella, que je pourray bien, avec le gentilhomme qui viendra pour cest effect, et avec celluy qu'envoyerez me succéder, fère en sorte que les aultres poursuyvans, qui sont à présent icy, demeureront exclus de la pluspart de leurs demandes; et que je pourray laysser à mon successeur les choses de vostre service en très bonne disposition par deçà.

En quoy, Sire, pour l'occasion de mon indisposition, laquelle me rengrège si fort, à toute heure, qu'à peyne ozè je plus habandonner la chambre, je suis contrainct de presser, plus qu'autrement je ne ferois, Vostre Majesté, de la venue des dictz deux gentilzhommes, joinct que Me Wilson a naguyères escript de Bruxelles qu'il avoit obtenu telle expédition qu'il avoit peu desirer sur toutz les poinctz de sa légation, et que le commerce d'Anvers estoit réouvert aulx Angloix, et l'amityé avec le Roy d'Espaigne s'alloit renouer plus estroictement que jamays, se louant infinyement des bonnes chères et des festins et accueils et bons trettementz que le grand commandeur et le duc d'Ascot, 353 et don Bernardin de Mendossa, et aultres seigneurs de celle court luy avoient faict; ce que venant à estre mis en comparayson des choses que milord de North a mal rapportées de France, je sentz bien que quelques ungs s'efforcent d'en relever la part d'Espaigne par dessus celle de Vostre Majesté, dont est besoing de quelque ayde et de quelque prompt entretènement pour y remédyer.

Les choses d'Irlande succèdent, à ceste heure, assez heureusement à ceste princesse depuis la réduction du comte d'Esmont, qui luy a remis cinq fortz entre mains. Et le comte d'Essex en a gaigné deux ou troys, et en faict réédiffyer quatre; dont demande, à présent, ung renfort de soldatz, affin de les garnyr bien très toutz; et si, a prins, à ce que j'entends, Briant Mac O'Nel, qui est escossoys, prisonnyer. Et le susdict comte d'Esmont promect qu'il fera bientost réduyre tout le païs à une bonne tranquillité soubz l'obéyssance de la Royne d'Angleterre.

L'on dict qu'il est party de Flexingues une flote de dix huict bons navyres de guerre pour aller courre la coste d'Espaigne, et se retirer, puis après, en Brouage.

Il y a ung jeune homme, naguyères revenu de la Rochelle, qui rapporte que Mr de La Noue en est party, avec quarante chevaulx, assez malcontant des habitants; bien que les ministres font courir le bruict qu'il est allé, avec troys centz chevaulx, recueillyr aultres troys ou quatre centz chevaulx en Périgort, et six centz harquebouziers; et qu'avec ces forces, et aultres qu'il pourra assembler, il dellibère d'aller combatre Mr de Montpensier, et secourir ceulx qui sont dans Lusignan. Et sur ce, etc.

Ce VIIe jour de janvier 1575.

354

CCCCXXVIIIe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Retards apportés à la négociation de la paix en France.—Démarches faites auprès de Mr de Méru par les protestans.—Mort du duc de Bouillon et du cardinal de Lorraine.—État de la négociation de la paix.

Au Roy.

Sire, avec les honnestes propos d'amityé que j'ay tirés des deux dépesches de Vostre Majesté, du Xe et XIIIIe du passé, qui me sont arryvées le quatriesme et sixiesme d'estui cy, j'ay mis peyne d'entretenir la Royne d'Angleterre, et ceulx qui guident ses dellibérations, en la meilleure disposition que j'ay peu; et ay, par là, assés faict suspendre les responces qu'aulcuns s'efforçoient d'avoyr d'elle sur les présentz affères qui se débatent en vostre royaulme; qui, avec bonnes parolles, les a remys jusques après que, par la procheyne légation que luy envoyerés, elle aura pu cognoistre comme vous entendez de vivre avec elle. Il est vray, Sire, que je sentz bien que, sur les difficultez que l'ambassadeur d'Angleterre a escript qui se trouvoient si grandes, en la paciffication de voz subjectz, que Vostre Majesté perdoit quasy l'espérance de ne les pouvoir plus réduyre sinon par la force, il a esté donné quelque parolle là dessus, qui a beaucoup contanté les poursuyvans. Et a l'on mis en avant je ne sçay encores bonnement quoy, sur la nouvelle qui est arryvée de la mort de Mr de Boillon[3], touchant ses deux places de Sedan et de Jamays.

355 Et le cinquiesme de ce moys est arryvé, en ceste ville, ung provençal, nommé Pierre Garnier, de Marseille, qui monstre estre assés habille homme et homme d'affères; lequel dict que, voyant la guerre en son pays, il avoit volontiers prins l'occasion de s'en esloigner, soubz prétexte de marchandise, et qu'il attandoit de bref ung navyre sien qui luy estoit de grande importance. Et incontinent est allé trouver Mr de Méru, feignant toutesfoys d'estre homme fort indifférent, et de n'avoyr poinct sceu que Mr de Méru fût icy, mais que, pour avoyr esté d'autresfoys fort cognu de Mr Dampville, il luy vouloit bien fère la révérance, et luy a faict les forces de son dict frère fort grandes, de vingt mille harquebusiers et troys mille chevaulx. Dont, bientost après, le dict sieur de Méru est allé à Ampthoncourt négocier quelque chose là dessus avec ceste princesse et avec ceulx de son conseil; et, encores depuis, il y est retourné, quand l'homme du docteur Dayl a esté arryvé, avec la dépesche de son maistre, du XXIXe du passé, par la quelle il assure que Mr le cardinal de Lorrayne estoit trespassé le jour de Noël, qui a esté une nouvelle à ceulx cy non mal agréable, à cause de la Royne d'Escosse, mais j'assure fort que je n'en ay poinct de confirmation. Et semble que le dict Sr de Méru se prépare pour retourner de bref en Allemaigne, et m'a l'on dict qu'il emmeyne avecques luy le jeune Montgommery, frère puyné de celluy qui s'en est retourné à la Rochelle avecques sa femme.

Le susdict ambassadeur d'Angleterre avoit desjà escript, icy, du deppart des depputez de Languedoc, en une certeyne façon qui faisoit assés doubter que vous desirissiés la paix; mais j'ay faict voyr que nul ne debvoit trouver estrange si aviez renvoyé les dictz depputez sans leur accorder 356 celle convoquation qu'ilz demandoient estre faicte à Nismes; car, oultre qu'elle tiroit les choses en longueur, vous leur avez proposé d'autres expédientz qu'ilz n'avoient poinct rejettez, lesquelz ilz estoient allez conférer avec ceulx qui les avoient depputez, en intention d'incontinent après vous venir retrouver, et que cepandant vous dellibériez, avec les depputez de Monsieur le Prince, lesquelz vous attendiez d'heure en heure, de disposer la matière pour la fère venir à quelque bonne conclusion. Ce qui a, de rechef, remis ceulx cy en l'opinyon de la paix. Et le mesmes ambassadeur leur a escript que, depuis la mort de Mr le cardinal de Lorrayne, l'on en avoit plus d'espérance. Et sur ce, etc. Ce XIIIe jour de janvier 1575.

CCCCXXIXe DÉPESCHE

—du XIXe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calays par Jehan Volet.)

Injonction faite à l'ambassadeur d'intercéder vivement auprès d'Élisabeth pour Marie Stuart.—Crainte qu'une pareille démarche ne soit inopportune.—Espoir que la reine d'Écosse est pour le moment hors de danger.—État de la négociation de la paix en France.—Promesses faites par Élisabeth aux protestans de France et d'Allemagne.—Armemens préparés secrètement à Londres.—Nouvelles de la Rochelle.—Négociation de la paix dans les Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, à ce premier chef de vostre dépesche, du XXe du passé, que j'ay receue le tréziesme d'estuy cy, par où Vostre Majesté me mande que je m'opose au transport de la Royne d'Escosse, je ne fauldray d'y satisfère, quand j'entendray, par elle, ou que je sentiray, icy, qu'il en sera besoing, bien 357 que nulle autre chose pourra estre prinse en pire part, ny plus mal interprétée de la Royne d'Angleterre et des siens, que l'instance que j'en pourray fère, parce qu'elle et eulx ne sont de rien au monde si jaloux que de tout ce qui, au nom de Vostre Majesté, vient estre dict ou faict en faveur de ceste princesse. Néantmoins je n'obmettray rien de tout ce qu'il vous plaist m'en commander avec la deue observance, toutesfoys, qu'y sera requise, pour n'altérer rien de voz affères par deçà. Dont je loue Dieu que, pour ceste heure, il n'y fault rien fère; car il est desjà pourveu, si plus grand accidant ne survient, qu'elle ne sera poinct changée de la garde du comte de Cherosbery.

Et pour l'autre segond chef de vostre dicte dépesche, j'ay mis peyne de fère voyr, icy, de quelle bénignité vous avez commancé de tretter avec les depputez du Prince de Condé, et combien vous desirez et avez bonne espérance de mettre de bref la paciffication en vostre royaulme. Qui vous promectz, Sire, que les aultres depputez des eslevez de Languedoc ne furent pas plus tost départis d'Avignon, sans avoyr rien faict, que les suppostz de la nouvelle religyon, qui sont icy, n'allassent incontinent à Ampthoncourt, devers la Royne d'Angleterre et devers ceulx de son conseil, y estant lors Mr de Méru, pour leur donner entendre que, sur des difficultez non petites, et sur certeyne forme d'articles qu'ilz leur monstreroient, toute l'espérance de la paix estoit rompue, et que les eslevez se trouvoient sy gaillards qu'ilz se mettroient bientost en campaigne; et que, dans peu de jours, le Prince de Condé seroit prest de descendre, avec de grandes forces, d'Allemaigne en France; dont supplyoient la dicte Dame de se vouloir, à ce coup, bien résoudre de leur donner, sinon ouvertement du secours 358 d'hommes, aulmoins celle faveur de son royaulme, par mer et par terre, que le temps et l'occasion leur pourroit admener d'en avoyr besoing.

A quoy j'entends qu'elle leur a respondu qu'elle estoit en bonne amityé et intelligence avec Vostre Majesté, et ne leur pouvoit, pour ceste heure, rien promettre à vostre préjudice, mais qu'elle se réservoit de leur fère une bien plus expresse responce dans bien peu de moys, qu'elle auroit veu comme vous dellibèreriez de demeurer avec elle, et comme vous entendriez de demeurer avec eulx; et que, si cepandant elle pouvoit estre moyen de quelque réconciliation entre Vostre Majesté et eulx, elle offroit de s'y employer de tout le pouvoir et moyen qu'elle en auroit. Et les a ainsy renvoyez.

Néantmoins il se poursuyt tousjours une secrette dellibération d'armer bon nombre de navyres, et de mettre jusques à huict mille hommes dessus, par apparance d'en vouloir secourir le Roy d'Espaigne, et Guoras s'en entremet aulcunement; mais ceulx qui considèrent l'affère de près jugent que c'est toute aultre chose qu'on couvre là dessoubz. Dont je mettray peyne d'y avoyr l'œil le plus ouvert qu'il me sera possible.

Deux jeunes hommes partys de la Rochelle le segond de ce moys sont arryvez, n'y a que troys jours, en ceste ville, avec quelque commission de passer en Ollande; et ont apporté diverses dépesches à plusieurs, expéciallement à Mr de Walsingam, lequel s'est retiré pour ung moys en ceste ville, affin de se fère panser de son accoustumée difficulté d'urine. Et j'entends qu'ilz rapportent que le Sr de La Noue estoit retourné à la Rochelle, le XXIXe du passé, et pareillement le baron de Miraubeau, et le lieutenant de 359 Poictiers en Brouage, ayantz fally à deux entreprinses, pour lesquelles ilz estoient partys: l'une, de Zainctes, où leurs eschelles pour estre trop chargées s'estoient rompues; et l'autre, de St Jehan d'Angely, où ceulx de dedans, qui estoient de leur intelligence, pour l'espérance procheyne de la paix n'avoient voulu interrompre leur repos, mais que, si la guerre continuoit, ilz faysoient estat de s'en rendre facillement maystres; et qu'ilz n'avoient, de plus près que Barbesieux, approché Lusignan, estantz hors d'espérance de le pouvoir secourir, de quoy ilz vouloient advertyr ceulx de dedans, affin de prendre party, lesquelz estoient en extrême nécessité de toutes aultres choses, ormis de bled et de farine qu'ilz en avoient encores pour longtemps. Et ont les dictz deux rochelloys assés déclaré que ceulx de leur ville et les aultres eslevez de tout ce quartier là inclineroient bien fort à la paix.

Me Wilson a escript, de Flandres, que les choses s'y tournoient fort disposées à la paix, s'estant le grand commandeur layssé entendre que le Roy, son Mestre, pourroit condescendre de retirer les Hespaignols, et laysser à ceulx de la nouvelle religyon la liberté de conscience sans exercisse, et de remettre toutz les anciens privilèges du pays, et confirmer le gouvernement de Ollande et Zélande au prince d'Orange, et de luy rendre son filz qui est en Espaigne; et qu'à cest effect il y avoit des depputés devers le dict prince tant de la part de l'Empereur, comme entreméteur, que ung du conseil d'estat du Pays Bas, pour en dresser des articles. Et sur ce, etc.

Ce XIXe jour de janvier 1575.

Je viens d'estre adverty que quelques cappitaynes et gentilzhommes angloys, où y a des françoys meslez, s'apprestent à grand 360 haste, comme de eulx mesmes, d'aller tanter quelque entreprinse par dellà la mer. Dont je supplye très humblement Vostre Majesté d'envoyer tout promptement refrayschir aulx cappitaynes et gouverneurs de la frontière de deçà qu'ilz ayent à se tenir sur leurs gardes.

CCCCXXXe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Continuation des armemens pour une entreprise secrète.—Vive recommandation de l'ambassadeur en faveur du comte d'Oxfort qui passe en France.—Bruit répandu à Londres d'une défaite essuyée par les catholiques dans le Dauphiné.—Nouvelles des Pays-Bas.—Saisie de lettres qui paraissent concerner Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, suyvant l'advertissement dont, au pied de ma dépesche du XIXe du présent, j'ay faict mencion à Vostre Majesté, comme aulcuns gentilshommes et cappitaynes angloys s'apprestoient, comme d'eux mesmes, de fère une entreprinse de par dellà la mer, j'ay mis peyne de le fère sçavoyr aulx gouverneurs plus voysins d'icy, qui ont la charge des places au long de la coste de deçà, lesquels j'espère que s'en tiendront plus apperceus. Et en confirmation de cella, je suis adverty que, toutes les nuictz, l'on tire secrettement des armes et des monitions de guerre de la Tour de Londres pour les envoyer ez portz, et les distribuer aulx cappitaynes et soldatz qui sont volontayres, et aulx vaysseaulx de l'entreprinse qui sont toutz de particulliers.

Il sembloit que le comte d'Oxfort deût estre le chef de la dicte entreprinse, mais il prend ung aultre chemin, 361 ayant tant faict qu'il a impétré de la Royne, sa Mestresse, son congé pour aller fère un voïage en Italye; et dellibère partir dans huict jours, et passer par France, faisant estat de séjourner ung moys à Paris; et monstre, Sire, d'estre grandement dévot à Vostre Majesté, ayant voulu suplyer la Royne, sa Mestresse, de trouver bon qu'il se peût offrir à vostre service, mais l'on l'a adverty que, parce qu'il est notoyrement réputé fort partial pour la Royne d'Escosse et nepveu du feu duc de Norfolc, qu'elle tiendroit cella pour trop suspect; néantmoins il dellibère de bayser très humblement les mains à Vostre Majesté, et ne refuser d'obéyr à ce qu'il vous plerra luy commander. Et parce qu'il est quasy le premier comte et grand chamberlan d'Angleterre, et comme le premier de la noblesse du pays, et le mieulx suivy et de trop plus d'espérance que nul aultre seigneur du royaulme, il vous plerra, Sire, commander qu'il luy soit faict quelque honneur et luy soit porté faveur et respect, en passant par vostre royaulme; car, oultre son mérite, toute l'Angleterre et ceste court mesmement s'en sentiront infiniement gratiffiez. Les partisans de Bourgoigne luy promettent qu'il aura charge au service du Roy d'Espaigne, aussytost qu'il arryvera en Italye, et le pressent d'aller trouver dom Johan d'Austria, ne luy manquant lettres de banque et crédict, et deniers contantz, pour fère une honneste despence par dellà; mais il monstre d'avoyr plus d'inclination à vostre service qu'à celluy du dict Roy d'Espaigne.

L'on a faict courir, icy, le bruict qu'il y avoit eu ung gros rencontre en Daulfiné, où avoit esté, de chascun costé, asprement combatu, avec si divers évènementz que les vostres avoient eu du pire; et néantmoins Monbrun 362 estoit demeuré prisonnyer. Ceulx de ceste court m'en ont envoyé demander des nouvelles, mais je leur ay respondu que je n'en avoys poinct.

Le ministre Feugré est depuis quatre jours retourné de Hollande, duquel je ne puis encores bien descouvrir qu'est ce qu'il rapporte de dellà, sinon qu'il assure que, succédant ou ne succédant poinct la paix en Flandres, ceulx de la Rochelle, premier que les gallères de Vostre Majesté sortent de la rivière de Nantes, auront des navyres, de Ollande et Zélande, assés pour suffire pour garder le hâvre de Brouage, et leur rade de Chef de Boys.

Mr de Méru continue de s'apprester pour retourner en Allemaigne; néantmoins quelques françoys qui le suyvent monstrent estre de l'entreprinse des Angloix. Le provençal Pierre Grenier, de Marseille, dont, cy devant, je vous ay faict de mencion, monstre de vouloir passer en Ollande, et n'attend plus que le vent. Je ne sçay si c'est pour y praticquer quelque chose ou pour y chercher son repoz; mais, quoyqu'il se monstre personnage fort composé, il a néantmoins négocyé avec ceulx qui s'entremettent des praticques.

J'entendz qu'il a esté surprinz à Barwyc des lettres en chiffre, qui venoient ou à la Royne d'Escoce ou à moy; de quoy il y a ung peu d'altération en ceste court: et a l'on prins quelques ungs en ceste ville qui sont réputez serviteurs secretz de la Royne d'Escosse, lesquelz l'on a mis dans la Tour. Je ne sçay si cella produyra quelque autre chose plus rigoureuse contre elle, mais je y pourvoyray du meilleur remède qu'il me sera possible. Sur ce, etc.

Ce XXIVe jour de janvier 1575.

363

CCCCXXXIe DÉPESCHE

—du XXIXe jour de janvyer 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Continuation des armemens.—Secours d'argent envoyé d'Angleterre aux protestans d'Allemagne.—Projets d'Élisabeth sur l'Écosse.—Réclamation faite par l'ambassadeur au roi, en faveur des réfugiés de Rouen, afin d'obtenir la restitution de leurs biens.—Instance auprès de la reine-mère pour l'engager à faire donner satisfaction à la reine d'Angleterre.

Au Roy.

Sire, j'ay receu, le XXIIIIe de ce moys, deux dépesches de Vostre Majesté, l'une du dernier du passé, et l'aultre du second d'estuy cy, par lesquelles j'ay eu assés de quoy esclarcyr les derniers bruictz qu'on faisoit courir du maulvais succez des choses de Languedoc, et du peu d'espérance de la paix; de quoy j'espère que, demain, je rendrai ceste princesse plus capable de la vérité de ce qui en est, et mieulx édiffyée de vostre intention vers elle, et de vostre desir à la tranquillité de voz subjectz, et repos universel de la Chrestienté, et encores de la particullarité de Mr de Dampville, qu'on ne s'est efforcé de le luy persuader; et n'obmettray de luy relever d'autant plus la réputation et bon progrès de voz affères qu'on met peyne de les luy représanter bien bas et en ung fort maulvais estat; et feray, en somme, tout ce qui me sera possible vers elle, que les dellibérations et apprestz, que je voy fère par les siens, demeureront interrompus, ou aulmoins que l'effaict n'en aille que le moins que fère se pourra contre le service de Voz Majestez.

L'armement, dont je vous ay cy devant escript, se continue 364 toujours sans aulcun doubte, et pareillement le transport des armes et des monitions vers les portz; et est advenu que, depuis quatre jours, sous colleur d'ung festin, l'on a mené essayer des armes dans la Tour de Londres à plus de deux centz gentilshommes, comme pour une soubdeyne et secrette entreprinse; de quoy j'ay prins ung peu d'allarme, et en envoye présentement donner aulx gouverneurs de voz places, qui sont plus voysins d'icy. Et d'ailleurs j'ay entendu qu'on dresse secrettement ung party, avec aulcuns marchands de ceste ville, pour fère remettre en Allemaigne trente mille angelotz en espèce; de quoy j'ay mis gens après pour approfondir à qui et comment le payement s'en fera. Et me vient on aussy d'advertyr que ceulx de ce conseil dellibèrent de proposer, avec invincibles argumentz, à leur Mestresse, qu'elle doibt effectuer les praticques qui souvent ont esté mises en termes: de conclurre une ligue avec les Escossoys et s'attribuer la protection du jeune Prince d'Escosse et de sa couronne, durant sa minorité, et luy procurer le mariage d'une des filles d'Espaigne, en le déclarant successeur de ce royaulme. Qui est cause, Sire, que je supplye très humblement Vostre Majesté de fère passer promptement en Escosse le gentilhomme qu'avez dellibéré d'y envoyer résider, affin qu'il n'y laysse rien passer qui soit au préjudice de vostre ancienne alliance de dellà. Et sur ce, etc. Ce XXIXe jour de janvier 1575.

Aulcuns de voz subjectz de Normandye, qui sont icy, me sont venus remonstrer que la cour du parlement de Roan, sans avoyr esgard à la réservation portée par voz lettres patentes du XXVIIe jour de décembre dernier, ny aulx attestations que, suyvant icelles, je leur ay baillées de leurs paysibles déportementz, elle leur a faict saysir leurs biens; et sur la main levée que leurs procureurs ont demandée, elle les a renvoyez à Vostre Majesté. Dont je vous supplye 365 très humblement, Sire, que, de tant qu'ilz ont la promesse de Vostre Majesté, et que voz lettres patantes contiennent nomméement leur réserve, qu'il vous playse mander, par seconde jussion, à vostre dict parlement de Roan, de ne leur saysir leurs biens, et, si saysis estoient, leur en fère la main levée. Et j'estime que cela reviendra au bien et réputation de vostre service.

A la Royne

Madame, attandant les aultres choses que je pourray recueillyr plus amples des propos que j'auray demain avec la Royne d'Angleterre, je mande cepandant à Voz Majestez celles qui me sont venues à notice, lesquelles je metz sommayrement en la lettre que j'escriptz au Roy, vostre filz. Et ne veulx rien adjouxter, icy, davantage sinon vous supplyer très humblement, Madame, que, sur la dépesche que mon secrettère vous a apportée, du XXVIIIe du passé, il vous playse m'y fère avoyr bientost quelque responce, par laquelle je puisse lever à ceste princesse toute la male satisfaction que les fascheux rapportz, qu'on s'est efforcé de luy fère de Voz Majestez, luy ont peu mettre en l'opinyon.

Et sur ce, etc. Ce XXIXe jour de janvier 1575.

366

CCCCXXXIIe DÉPESCHE

—du IIIIe jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusque à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Questions faites par Élisabeth sur l'état des affaires de France.—Assurance donnée par l'ambassadeur qu'il n'a point été livré de bataille en Languedoc.—Nouvelles du siège de Livron.—Persévérance du roi à desirer la paix.—Confiance que le prince de Condé partage ce desir.—Ignorance de l'ambassadeur sur la déclaration attribuée au maréchal de Danville.—Volonté du roi de conserver l'alliance avec Élisabeth.—Instances pour qu'elle refuse les secours qui lui sont demandés par les rebelles.—Sollicitations d'Élisabeth pour engager le roi à accorder la paix.—Offre de sa médiation.—Nouvelles de la prise de Lusignan par Mr de Montpensier, et de divers assauts donnés à Livron.—Avis à la reine-mère. Plaintes de l'ambassadeur sur le retard mis à lui envoyer de l'argent.

Au Roy.

Sire, il a esté facille, dimanche dernier, à Ampthoncourt, de juger que je y venois desiré de la Royne d'Angleterre pour luy compter des nouvelles de Vostre Majesté, et de celles de voz affères; car, de tout le moys passé, elle n'en avoit poinct ouy de bien vrayes, et le bruict en avoit semé de si incerteynes que, monstrant d'estre bien fort ayse qu'elle peût, à ceste heure, sçavoyr ce qui en estoit, après s'estre soigneusement enquise de vostre santé et du bon portement de la Royne, vostre mère, elle m'a incontinent demandé de ces combatz et rencontres qu'on disoit estre advenuz en Languedoc? Et des termes en quoy vous estiez de la paix? Et où estoit Mr le Prince de Condé? Et si les levées, qu'on bruyoit si fort qu'il avoit toutes prestes en Allemaigne, commançoient poinct de marcher? S'il estoit vray que le mareschal Dampville eût faict une déclaration qu'elle avoit 367 naguyères veue, ou bien si c'estoit chose supposée? Et si vous approchiez poinct en çà, pour venir à vostre couronnation et sacre? Se pleignant bien fort que son ambassadeur estoit paresseux, ou bien que ses dépesches demeuroient en quelque part arrestées, car elle ne pouvoit rien entendre de luy.

Je luy ay respondu que ce que j'avoys à luy dire, de la part de Vostre Majesté, estoit proprement la satisfaction des choses qu'elle venoit de me demander; et que, grâces à Dieu, Voz Majestez Très Chrestiennes estoient en bonne santé; et que de rencontre ny combat il n'y en avoit poinct eu, parce que les eslevez n'avoient poinct de forces en campaigne, ny de quoy y en mettre pour s'opposer aulx vostres; et seulement au siège de Livron, ayantz quelques gentilshommes de bonne volonté voulu recognoistre la bresche, il y en avoit eu de ceulx du dehors une vingtaine de blessez, mais beaucoup plus grand nombre de ceulx de dedans; que, touchant la paciffication, vous persévériez en ce qu'aviez faict cognoistre à voz subjectz, et l'aviez manifesté à toute la Chrestienté, que c'estoit la chose que plus vous desiriez en ce monde, luy particullarisant l'article, que me faisiez dans vostre lettre, des allées et venues des depputez, et que vous luy promettiez bien que vous condescendriez à de si bonnes et si honnestes condicions vers voz subjectz, pour le faict de leurs consciences et pour leur repos, et pour la seureté qu'ilz demandoient, qu'ilz ne les pourroient refuzer, sinon qu'ilz voulussent du tout renoncer au respect et révérance, et à la fidellité et subjection qu'ilz vous debvoient, sans qu'il fût besoing pour cella d'assembler voz Estatz, ainsy que les ministres, lesquelz ne cherchoient que d'alonger les matières, et d'esjamber tousjours quelque 368 chose sur l'authorité des princes, monstroient que, indiscrètement et contre tout ordre, ilz les vouloient requérir, car vous le feriez bien de vous mesmes;

Que Mr le Prince de Condé estoit à Basle, inclinant bien fort à la dicte paciffication, et ne hastoit guyères les levées ny les forces d'Allemaigne; desquelles je voulois dire librement à la dicte Dame que j'avoys opinyon qu'elles ne bougeroient nullement, si elle, ou son crédit ou ses deniers contantz, ne les faisoit marcher, comme je sçavoys qu'elle en estoit fort pressée et fort sollicitée toutz les jours, et que pourtant vous auriez occasion d'en imputer à elle tout le mal, si, d'avanture, elles descendoient en France;

Que je n'avoys poinct encores veue celle déclaration, dont elle m'avoit parlé, de Mr Dampville, laquelle pouvoit estre aussytost supposée que vraye; mais, quoy qu'elle eût ouy dire de l'occasion de son malcontantement, il estoit certein, et Vous, Sire, l'affirmiez ainsy sur vostre honneur, que ne luy aviez rien promis à Turin que ne luy eussiez depuis invyolablement tenu. Dont ay fait peser à la dicte Dame ce qu'il vous avoit pleu m'en escripre, et qu'en effect il n'y avoit, ny ez actions ny ez intentions de Vostre Majesté, rien que ce que convenoit d'avoyr à ung magnanime et très excellent prince, et autant orné de toute vertu qu'il y en eût jamays eu en France; et que Dieu vous avoit faict si généreulx que vous ne pouviez estre vaincu par force, et si clément qu'à peyne seriez vous jamays surmonté de bénignité. Dont estant tel, et que d'autrefoys vous luy aviez esté à elle dévot serviteur, et maintenant estiez devenu son frère, je la supplyois qu'elle voulût nourrir une bien bonne et germeyne amityé avecques vous, sellon que 369 vous luy en rendriez une semblable très constante et perdurable à jamays;

Et que desjà sur ce qu'elle m'avoit faict vous escripre, le troysiesme de décembre, de la sincérité et droicture dont elle dellibéroit de procéder vers vous, que vous veuillez tant honnorer sa parolle, et y defférer si grandement, que ne feriez difficulté de vous y commettre et vous y reposer sans escrupulle ny meffiance quelconque; et que désormays vous vous promettiez d'elle toutz les bons tours, de vrayement bonne seur et bonne amye, que vous proposiez de les luy rendre semblables de très bon frère et de très bon amy, et de ne deffallir d'aulcun bon et honnorable office que verriez pouvoir fère pour elle, qui fût digne de sa grandeur et non indigne de la vostre, ainsy qu'ung gentilhomme de bonne qualité que faysiez desjà préparer pour l'envoyer visiter, aussytost que seriez, pour vostre sacre et corronnation, arryvé à Reyms, envyron la my febvrier, le luy tesmoigneroit davantage. Qui ay bien voulu, Sire, luy fère ceste expression de vostre bonne intention vers elle, affin de m'oposer à ceulx qui s'efforçoient de luy préoccuper et engager la sienne contre vous.

A quoy elle m'a respondu qu'elle estoit de tant plus ayse d'entendre la bonne disposition de Voz Très Chrestiennes Majestez qu'on luy avoit rapporté que la Royne, vostre mère, estoit bien malade, dont elle prioit Dieu de bon cueur pour le bon portement de toutz deux; qu'elle avoit playsir que ceulx qui avoient publyé ces combatz et deffaictes de Languedoc fussent trouvez menteurs, et voudroit de bon cueur qu'il y eût desjà abstinence d'armes, affin que les nouvelles playes ne rendissent celles du passé incurables;

370 Que, de plus en plus, elle louoit et approuvoit vostre saincte dellibération de vouloir apayser les troubles de vostre royaulme par la voye de douceur, et qu'en cella sentoit elle de vous porter tant plus de bienvueillance par dessus toutz les aultres princes ny princesses de vostre alliance, que plus que nul d'eulx elle desiroit de bon cueur que, establissant très bien vostre règne, vous espargnissiez le sang et la vye et la désolation de ceulx qui, de l'un et de l'aultre costé; sont toutz vostres;

Que j'avoys tort de la vouloir tant sonder, comme je faisois, sur le secours que les pouvres protestantz cherchoyent d'avoyr de leurs frères d'Allemaigne, car elle ne me sondoit pas de celluy que vous y pourchassiez; et qu'elle ne vouloit nyer qu'elle n'y eût du crédict assez, mais que vous cognoistriez aussy bien qu'avoit faict le feu Roy, vostre frère, que jamays les Roys de France n'avoient trouvé tant d'amityé en la couronne d'Angleterre que quand elle l'avoit tenue; et que, de tant auriez vous plus grand preuve d'elle, qu'elle estoit à toute heure infinyement tentée et sollicitée contre vous;

Qu'elle ne doubtoit que les ministres ne demandassent la tenue des Estatz, et que, possible, ilz n'eussent supposé celle déclaration de Mr Dampville; car, puisqu'ilz s'eslevoient jusques à vouloir pénétrer ez secretz de Dieu au ciel et en ses jugementz, ilz s'atribuoient encores plus licentieusement de s'entremettre des trônes des princes en terre, mais qu'il n'y avoit poinct de besoing d'Estatz, là où vous mesmes pouviez bien pourvoir; et qu'elle tenoit le mareschal Dampville pour ung si gentil chevalier et si loyal serviteur, à l'exemple de ses prédécesseurs, à vostre couronne, et si expéciallement dévot à Vostre propre Majesté 371 qu'elle ne faysoit doubte qu'il ne se rengeast facillement à tout ce que luy commanderiez, pourveu que ne cherchissiez la ruyne de luy ny celle de ses frères.

Et puis est retournée aulx levées d'Allemaigne, et comme princesse fort pressée de fournir deniers, ou d'employer son crédict, ou de fère quelque aultre résolution, à son regret, contre Vostre Majesté, m'a dict que, pour Dieu, elle vous prioit de fère la paix, car aultrement vous ne pourriez éviter beaucoup de grands inconvénientz; et que, si aviés besoing de quelque prince estrangyer, de vostre alliance, qui s'en meslât, parce que maintesfoys les parties mesmes n'ozoient proposer tout ce qu'elles desiroient, qu'elle ne vouloit pas entreprendre de s'y offrir, mais que, si Vostre Majesté l'avoit agréable, c'estoit bien l'œuvre aujourdhuy de ce monde à quoy elle s'employeroit le plus volontiers, et pouviez estre très assuré qu'elle vous y considèreroit en tout et partout ainsy Roy et Maistre comme elle desiroit demeurer Royne et Mestresse sur ses subjectz; et que, sur ce que je luy avoys déduyt de vostre bonne et constante amityé vers elle, qui estoit ce qui l'avoit, plus que tout le reste, souveraynement contantée, qu'elle vous en remercyoit de tout son cueur, et sçavoit qu'entre les particulliers mesmes les loix de l'amityé estoient vénérables et dignes de grande observance, mais qu'elles l'estoient davantage sans comparayson entre les princes, parce que, des bons effectz qui en provenoient, ilz en demeuroient entre eulx très contantz, et si, leurs communs subjectz en sentoient de très grandes commodictez; et que, s'il estoit intervenu là dessus quelque première coulpe entre vous et elle, qu'elle ne l'avoit nullement commise, et que sans doubte ce ne seroit aussy elle qui commanceroit de 372 commettre la segonde; et qu'elle avoit grand plaisir que vous approchissiez à Reyms pour vostre coronnation et sacre, d'où celluy que luy envoyeriez seroit le très bien venu, et qu'elle mettroit peyne de le vous renvoyer contant.

Qui est en substance ce que, pour ceste foys, j'ay recueilly des propos de la dicte Dame, remettant ce qu'il y pourroit avoyr de surplus à la procheyne dépesche, parce que ceste cy est desjà trop longue. Et sur ce, etc.

Ce IVe jour de febvrier 1575.

Mr de Walsingam me vient de mander la reddition de Lusignan à Mr de Montpensier par composition, moyennant ostages qu'il a baillez pour la tenir; et qu'il a esté donné trois assautz à Livron qui ont esté bravement soustenuz, où le cappitayne de la place est mort, mais que soubdain il y en a esté subrogé ung autre, et que deux centz soldatz de la part des eslevez y sont entrez.

ADVIZ, A PART, A LA ROYNE MÈRE.

Parce que c'est icy le VIIIe moys que je n'ay receu nul argent, et que je vis sur le crédit que me faict le Sr Acerbo avec gros intérest, et que le Sr Sardiny luy a escript qu'il ne peut acquitter les mandementz dont Mr le trésorier de l'espargne m'a dressé sur luy, parce qu'il ne reçoit, ce dict il, rien des assignations que Voz Majestez luy ont bayllées, je suys sur le poinct d'estre habandonné du dict Sr Acerbo, et d'estre pressé de ce que desjà je luy doibs; et que je seray contrainct de cesser ma mayson, avec beaucoup de honte et avec détriment du service de Voz Majestez. Dont je vous supplye très humblement, Madame, commander au dict trésorier de l'espargne qu'il me vueille fère payer d'iceulx mandementz qu'il m'a desjà bayllés, ou m'en assigner de meilleurs, et qu'il mande que mes deniers ne soient plus retardez, car Vostre Majesté sçayt que je suis par trop pauvre pour pouvoir advancer. 373

CCCCXXXIIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Favorable disposition d'Élisabeth à l'égard de la France.—Conférence de l'ambassadeur avec Leicester.—Nécessité de faire en France quelque démonstration d'amitié.—Vive intercession pour qu'il soit satisfait à la plainte de Mr Warcop.—Bruits répandus par les protestans pour exciter Élisabeth à la guerre.—Nouvelles d'Écosse.—Mesures prises pour déchiffrer les lettres saisies, adressées à Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, les propos d'entre la Royne d'Angleterre et moy, desquelz j'ay donné compte à Vostre Majesté par ma dépesche du IIIIe du présent, ont esté de quelque moment à quiéter ung peu l'esprit de la dicte Dame contre la violence des malcontantz et passionnez qui s'efforçoient de l'agiter infinyement et de l'irriter contre vous: car, depuis ce temps, elle a tousjours montré qu'elle avoit reprins nouvelle confiance de vostre amityé, et qu'elle vouloit qu'il demeurât en elle d'incliner ou de n'incliner pas à leurs instances, jusques à ce qu'elle vît plus avant comme vous procèderiez vers elle. De quoy ceulx de son conseil ont esté fort esbahys, et aulcuns d'eux bien malcontantz; mais le comte de Lestre, qui monstre d'en avoyr plaisir, m'a dict que ce ne m'estoit chose fort difficile en l'endroit de la dicte Dame, laquelle avoit bonne opinyon de moy et croyoit que je ne négocyois nullement faulx avec elle, de luy persuader ce qu'elle desiroit le plus en ce monde: qui estoit de se réputer aymée et bien volue de Voz Majestez Très Chrestiennes; et que, par les mesmes raysons qu'elle avoit apprinses en cella de moy, elle s'estoit efforcée de vaincre 374 celles que son propre conseil luy avoit admenées au contrayre, et de surmonter les argumentz desquels les princes d'Allemaigne s'estoient efforcez de luy dessiller les yeulx sur les dangereuses dellibérations qu'ilz disoient estre de longtemps faictes, et se fère encores de présent, contre elle, en France, pour les exécuter, aussytost que Vostre Majesté aura ung peu desmellé ses affères; et qu'ilz luy reprochoyent que non seulement elle procédoit avec peu d'advis, mais avec quelque forme d'injustice contre le bien de sa couronne, de ne se prévaloyr du temps et de l'occasion, et des advantages, que Dieu luy offroit, qui estoient si évidentz que, quand Vous, Sire, seriez beaucoup plus fort, et elle moins puissante, que l'ung et l'autre n'estes, qu'encor vous pourroit elle maintenant assez nuyre; et que, voyant le dict comte que, nonobstant cella, elle se rendoit de plus en plus confidente et toute assurée de vostre amityé, qu'il vous supplioyt que volussiés adjouxter aulx bonnes parolles et promesses, que luy faisiez donner, quelques bons effectz, qui fussent semblables, affin que, par iceulx, luy et ceulx qui luy adhéroyent, en la dévotion et servitude qu'il vous porte, peussent confirmer la dicte Dame en sa bonne opinyon, et rabatre à aulcuns d'auprès d'elle celle qu'ilz avoient au contrayre;

Et que, pour le présent, il me vouloit ramantevoyr ce qu'elle mesmes m'avoit dict du faict de Me Warcop, gentilhomme singullièrement aymé et bien voulu d'elle, que, suyvant la promesse qu'en aviez faicte à milord de North, et l'ordonnance que le dict Warcop a devers luy, signée de vostre main, dez qu'estiez devant la Rochelle, il vous plaise luy fère avoyr rayson de ce navyre de bled qui luy fut lors prins pour avitayller vostre camp; chose, Sire, 375 qui, à la vérité, m'a esté aultant expressément recommandée de la dicte Dame que nulle aultre, depuis que je suis en ceste charge; et que je debvois considérer que ceulx qui luy remettoyent en avant l'intelligence du Roy d'Espaigne, pour la réfroidir de la vostre, avoient de quoy luy représanter, toutz les jours, quelque nouvelle gratiffication du grand commandeur de Castille vers elle et ses subjectz; et qu'il vous supplioyt aussy, Sire, la fère esclarcyr d'ung advis qu'on luy avoit donné qu'il y avoit mandement de Vostre Majesté, en Bretaigne, de fère tenir des navyres prestz pour trajetter bientost des forces en Escosse; et, au reste, que ne prolongissiez plus de l'envoyer visiter, car l'on en arguoyt desjà une fort froide et mal fondée amityé de vostre part.

Sur lesquelles choses j'ay mis peyne de rendre le dict comte bien édiffyé, et de le remplyr de toute bonne espérance de Vostre Majesté, s'estant nostre propos terminé par une fort expécialle recommandation, que je luy ay faicte, des affères de la Royne d'Escosse; en quoy je ne l'ay trouvé mal disposé. Et si, ay cognu qu'il n'y a pour le présent, en cest courte, rien de mal ordonné contre elle.

Or, ayant ainsy ramené la Royne d'Angleterre à meilleure disposition vers Vostre Majesté, et pareillement le dict comte, qui le lendemain est allé, pour dix jours, en sa maison de Quilingourt; et ayant, possible, par là, avec la nouvelle de la reddition de Lusignan, accroché les meilleures et les plus procheynes espérances de ceulx qui sont icy poursuyvantz, ilz se sont advisé de publier aussitost, affin de ralumer le cueur à la dicte Dame et à ceulx de son conseil, qu'on avoit descouvert que les propos de paix, du costé de Vostre Majesté, estoient simulez et pleins de fraude, et que Mr le 376 Prince de Condé armoit à furie pour entrer bientost en France avec douze mille chevaulx, et qu'après troys assautz soubstenus par ceulx de Livron, Vostre Majesté en avoit faict lever le siège pour admener toutes ses forces par deçà, et que deux cornettes de voz reytres s'estoient tournées du costé des eslevez: auxquelles choses, lesquelles j'estime pour la pluspart controuvées, je mettray peyne, par la première dépesche qui me viendra de Vostre Majesté, d'y oposer la vérité que m'en manderez.

Il est naguyères arryvé ung courrier d'Escosse, par lequel le comte de Morthon a envoyé certayne déposition, qu'il a tiré d'ung des gens de Mr de Glasgo et d'ung autre de Mr de Roz, avec les chiffres qu'il leur a surprins; et l'on a mis, icy, ung jeune homme, qui est réputé serviteur secret de la Royne d'Escosse, dans la Tour de Londres, pour le contraindre de les déchiffrer. Je ne sçay encores ce qui en résultera. Sur ce, etc.

Ce Xe jour de febvrier 1575.

CCCCXXXIVe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Annonce d'audience.—Instances des protestans d'Allemagne auprès d'Élisabeth.—Continuation des armemens.—Explications transmises à l'ambassadcur sur les propos rapportés par lord de North.

Au Roy.

Sire, demain, Dieu aydant, je verray la Royne d'Angleterre, à Richemont, pour luy fère bien entendre les particullaritez de l'honneste responce que Vostre Majesté, 377 par la dépesche du XXIIIIe du passé, m'a commandé de luy fère, touchant les fascheux rapportz de milord de North, qui pense bien qu'elle jugera que les choses n'eussent peu passer plus dignement de vostre costé, ny avec plus d'honneur pour elle, ainsy que la sage déduction et bien ordonnée de vostre lettre luy en manifestera la vraye vérité; et le tout y est si bien et si proprement comprins, que je n'auray à y rien adjouxter du mien, sinon que, possible, je y mette quelque mot, non pour plus grande satisfaction de la dicte Dame, mais pour en tirer encores quelqu'une d'elle pour Voz Très Chrestiennes Majestez. Et après que j'auray bien recueilly ce qu'elle m'aura dict là dessus et sur le propos que je luy tiendray davantage de voz présentz affères, je vous en feray, par mes premières, ung plus ample récit; ayant à vous dire cependant, Sire, que, du costé d'Allemaigne, et de la part des eslevez de vostre royaulme, se poursuyt, icy, avec plus vifve instance que jamays, une prompte provision pour continuer et maintenir la guerre. Et je sentz bien qu'on leur faict, peu à peu, filer les responces, sans leur accorder ny leur refuser aussy ce qu'ilz demandent, mais l'on les entretient en bonne espérance, et mesmes l'on leur propose comme présant, et qui se trouvera bien prest au besoing, la pluspart de ce qu'ilz pourchassent, attandant de voyr comme procèdera le propos de paix, après que les depputez auront esté, de rechef, devers Vostre Majesté, et ce qui résultera de la venue du gentilhomme qu'envoyerés pour visiter la dicte Dame. Cepandant ce que je vous ay cy devant mandé, de l'armement de deçà, se poursuyt tousjours avec la description des hommes; et a l'on faict venir aulcuns cappitaynes, qui estoient en Irlande, pour dresser, icy, des compagnyes 378 affin d'aller en ceste expédition, n'y ayant, à présent, au dict pays d'Irlande, depuis la réduction du comte d'Esmont, guyères de contradiction à l'obéyssance de ceste princesse; et mesmes que ung Artus Maurice, qu'on avoit suspect, a esté naguyères resserré, et luy faict on son procès.

Mr de Méru est encores icy, qui va quelquefoys en ceste court, et les ministres traictent ordinayrement avecques luy et il se tient prest pour retourner bientost en Allemaigne; mesmes il fût party plus d'ung moys a, sans quelque advertissement qui luy vint de France, sur le poinct de son partement, et aussy qu'il semble qu'il attande la responce que ceste princesse va ainsy temporisant pour l'aller apporter luy mesmes à Mr le Prince de Condé.

J'entendz que, depuis cinq ou six jours, l'admiral d'Angleterre a envoyé des officiers de la marine visiter les grands navyres de la dicte Dame, comme pour commancer de les apprester pour ce printemps. J'auray l'œil à ce qui s'y fera. Et persévérantz ceulx, qui portent, icy, le party de Bourgoigne, au renouvellement de l'amityé de ceste princesse avec le Roy d'Espaigne, ilz sont fort après à pourchasser que nouveaulx ambassadeurs soient envoyez pour résider près de l'ung et de l'aultre prince. Sur ce, etc.

Ce XVIIe jour de febvrier 1575.

A la Royne

Madame, je mettray peyne d'exprimer bien à la Royne d'Angleterre, et de ne luy obmettre ung tout seul poinct de ce que le Roy, vostre filz, et Vostre Majesté, par voz lettres du XXIIIIe du passé, me commandés de luy dire touchant les maulvais rapportz que milord de North luy a 379 faitz à son retour de France; et j'espère que la vérité du faict luy fera avoyr regret de s'estre trop tost esmeue du mensonge, et qu'elle se prendra à son ambassadeur de l'erreur qu'il a commis en matyère de si grande conséquence et entre si grandes princesses, comme sont Voz Majestez. Et encores, Madame, que n'ayez jugé d'estre aulcunement expédient d'escripre à la dicte Dame de vostre main, affin de n'user d'interprétation ny d'excuse, là où il n'en est besoing, si ne laysse la satisfaction que luy donnez par les lettres qu'il vous a pleu m'addresser, d'estre si ample, qu'elle aura occasion d'en avoyr tout contantement; et je feray tout ce qu'il me sera possible qu'elle viegne aussy, de son costé, à vous satisfère de ce qu'elle n'a mieulx examiné le faict, plus tost que de s'en courroucer. Et sur ce, etc.

Ce XVIIe jour de febvrier 1575.

CCCCXXXVe DÉPESCHE

—du XXIe jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Satisfaction d'Élisabeth sur les explications qui lui ont été données au sujet des propos rapportés par lord de North.—Menées des protestans sur lesquelles l'ambassadeur attend de nouveaux renseignemens.—Affaires d'Écosse.—Nécessité d'envoyer promptement un agent français dans ce pays.—Nouvelle du sacre et du mariage du roi.

Au Roy.

Sire, j'ay apporté de la satisfaction beaucoup de vostre lettre, du XXIIIIe du passé, à la Royne d'Angleterre, et en ay aussy rapporté beaucoup d'elle pour Voz Très Chrestiennes Majestez, ainsy que ce qui s'est passé entre elle et 380 moy vous le pourra tesmoigner par mes premières, ès quelles je vous en feray l'entier récit avec d'autres choses que j'ay ung peu esclarcyes, que je suis après à les recueillyr, sellon qu'il est expédiant qu'elles viennent à la notice de Vostre Majesté, affin que puissiez mieulx juger comme elles pourront, ou peu ou beaucoup, importer à vostre service. Et je feray cependant, comme j'ay faict tousjours, tout ce qu'il me sera possible pour traverser les affères de ceulx qui pourchassent, icy, les moyens de traverser les vostres. Et j'estime de les leur avoyr desjà beaucoup retardez; mais ilz y sentent je ne sçay quelle espérance (et je crains bien, si la paix ne succède, qu'elle ne leur sera vayne), qui les y faict instamment persévérer; dont les quatre ministres, qui sont préposez en ceste ville, pour le conseil d'estat de ceulx de la nouvelle religyon de France et de Flandres, ayant esté, par diverses foys, en ceste court, et conféré avec Mr de Walsingam et avec Me Randolphe et Me Quillegreu, et aultres de leur faction, sont, il y a six jours, depuis le matin jusques au soyr, tousjours après à dresser quatre grosses dépesches, qui sont, l'une pour France, l'autre pour Ollande, la troysiesme pour Allemaigne et la quatriesme, de quoy je suis fort esbahy, pour Escosse; et font tenir prestz des hommes d'affères et propres à négotier, pour les aller porter; lesquelz n'attandent plus, à ce que j'entendz, de partir, sinon que Mr de Méru, avec lequel les dictz ministres communicquent ordinayrement, ayt esté encores une foys devers ceste princesse, et soit de retour avec une plus entière responce qu'ilz n'ont eu encores d'elle; mais l'audience luy a esté desjà remise deux foys, et je ne sçay qu'est ce qu'il impètrera à la troysiesme.

381 Le filz ayné de milord de Sethon est venu trouver le comte de Lestre à Quilingourt avec des lettres de recommandation de son père, et d'aultres lettres bien fort favorables du comte de Morthon, et monstre qu'il veut suyvre quelque temps ceste court d'Angleterre; ce que je ne puis avoyr sinon beaucoup suspect, considéré mesmement que son père a tousjours esté tenu pour catholicque et très parcial serviteur de la Royne d'Escosse, sa Mestresse; dont faut dire qu'il y a quelque secrette praticque, qui se mène là dessoubs, depuis la mort du duc de Chastellerault, lequel est naguyères décédé, et que milord Glaude son filz se trouve à présent gendre du dict milord de Sethon. Ung messager qui avoit apporté de mes lettres aulx seigneurs de dellà est revenu sans me rapporter nulle responce par escript, mais il m'a dict, de bouche, ce que je réserve de vous mander bientost par ung des miens qui, de bouche aussy, le vous dira; car ilz me prient de ne le vous poinct escrire. Tant y a qu'il me tarde beaucoup de sçavoyr que le personnage qu'avez ordonné pour aller résider au dict pays y soit arryvé, car il pourra obvier à plusieurs inconvénientz que la longue absence de voz ambassadeurs y pourroit avoyr causez; estant, au reste, Sire, merveilleusement en peyne du bruict qu'on faict courir, icy, de vostre indisposition, laquelle ilz disent que vous a arresté en chemin et vous a retardé de venir à vostre sacre. Je fay bien dévote prière à Dieu qu'il en soit aultrement. Et sur ce, etc.

Ce XXIe jour de febvrier 1575.

Comme je fermoys la présente, l'on m'a adverty qu'ung courrier de Mr le docteur Dayl vient de passer vers Richemont, qui porte la nouvelle du sacre et couronnement, et du mariage de Vostre Majesté, de quoy je loue Dieu. Il y mesle je ne sçay quel rencontre en 382 Languedoc, où Mr d'Uzez a heu du pire. J'espère qu'il ne sera ainsy.

A la Royne

Madame, les choses n'eussent peu passer avec plus de satisfaction de la Royne d'Angleterre, ny dont vous en eussiez peu tirer plus largement d'elle, sur la faute que milord de North avoit commise entre Voz deux Majestez, ainsy qu'elles ont esté conduictes par l'ordre que m'avez commandé d'y tenir. Qui espère, Madame, que Vostre Majesté aura plésir d'en entendre le discours, lequel, parce qu'il contient des diversitez qui sont assez considérables, et qui conviennent avec d'autres choses que je suis après à tirer d'aylleurs, je réserve de vous mander le tout ensemble par mes premières, avec ung des miens qui vous en récitera ce qui seroit ou malaysé ou trop long de le vous mander par escript. Et cepandant je vivray en peyne du bruict qu'on faict courir icy de l'indisposition du Roy jusques à ce qu'il plerra à Dieu m'en fère ouyr de meilleures nouvelles, et aussy de quelque différant qu'on publye estre advenu entre le Roy de Navarre et Mr de Guyse, jusques avoyr mis la main a l'espée l'ung contre l'aultre; mais j'espère que ces nouvelles seront semblables à plusieurs aultres, yssues de mesme bouticque, qui se sont trouvées faulces, ainsy que j'en prie Dieu de bon cueur. Et sur ce, etc.

Ce XXIe jour de febvrier 1575.

Ceste lettre estoit escripte et signée quand le courrier est passé qui porte l'heureuse nouvelle du sacre et couronnement et mariage du Roy, vostre filz, dont je loue Dieu de bon cueur.

383

CCCCXXXVIe DÉPESCHE

—du dernier jour de febvrier 1575.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Détails de la précédente audience.—Déclaration du roi de la fausseté des propos rapportés par lord de North.—Satisfaction d'Élisabeth de cette déclaration.—Protestation de sa part qu'elle n'a voulu faire aucune offense à la reine.—Plainte d'Élisabeth du silence gardé par la reine-mère à ce sujet.—Communication de la lettre écrite par Catherine de Médicis à l'ambassadeur.—Explications données par Élisabeth.—Assurances qu'elle veut maintenir l'amitié avec la reine-mère et le roi.

Au Roy.

Sire, j'ay esté bénignement et fort bien ouy de la Royne d'Angleterre sur ce que je luy ay dict que jamays chose n'estoit tant venue hors l'opinyon, ny contre l'opinyon de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, que d'avoyr entendu que milord de North luy eût peu fère ung tout seul maulvais rapport de vous deux; car pensiez luy avoyr donné argument de luy en fère plusieurs bons de la droicte et cordialle amityé que luy portiez, et de ce que, plus que nuls aultres ses alliés, vous l'aviez, autant et possible plus en honneur et respect que nul aultre prince ny princesse de vostre alliance; et que cella vous avoit beaucoup troublez de voyr que voz bonnes euvres, voyre les meilleures et les plus pures et les plus courtoyses, dont vous estiez peu advizer vers son ambassadeur, pour honnorer la dicte Dame et honnorer la ligue et confédération qu'aviez avec elle, et la magniffyer devant tout le monde, avec, possible, la jalousye des aultres princes chrestiens, fussent non seulement tenues en peu de compte, mais eussent esté calompnyées et convertyes en une matière d'offance et de courroux; à quoy ne se pouvoit fère que n'eussiez beaucoup de regret, 384 et que ne vous pleignissiez à elle d'elle mesmes, d'avoyr voulu recepvoyr une si male impression de vous, voyre de l'avoyr escoutée, ou mesme d'avoyr souffert qu'elle luy eût esté rapportée; car, encor que toutz deux vouliez librement confesser que vous mériteriez mille et mille indignitez contre vous, si vous aviez faicte ceste cy, dont est question, contre elle, ny contre la mémoyre du feu Roy, son père, si debvoit elle avoyr ainsy jugé de Voz Majestez, comme de princes qui n'estiez ny si mal honnorables, ny si mal nays, ny si imprudentz, que d'avoyr jamays commis une telle erreur que celle là, qui eût esté par trop grande; et que ne sçaviez comme penser de l'amityé qu'elle vous avoit promise, car vous trouveriez très mal appuyez si elle s'esmouvoit ainsy de si légers rapportz, et qu'il faudroit bien qu'allissiez chercher ailleurs d'autres amityez qui fussent mieulx fondées et mieulx qualiffyées que la sienne; bien avois je mis peyne, en vous tesmoignant son courroux, de vous mander, par mesmes moyen, comme elle s'estoit modérée, et comme, enfin, elle mesmes avoit parlé pour vous et pour la Royne, vostre mère, et avoit faict là dessus une très honneste déclaration, qui m'avoit rendu le plus satisfaict gentilhomme du monde, de quoy pareillement Voz Majestez avoient receu de la satisfaction, et pourtant m'aviez commandé de luy en donner à elle une très entière de laquelle j'espéroys qu'elle se contanteroit; et faudroit aussy qu'après qu'elle auroit cognu que trop tost elle s'estoit esmeue contre Voz Majestez, qu'elle s'efforçât de vous donner de sa part quelque contantement.

La dicte Dame, avec un peu de colleur qui luy est montée au visage, m'a soubdain respondu que ce que je venois de luy dire luy faisoit craindre que, possible, j'auroys 385 adjouxté une nouvelle faulte à celle de milord de North, de vous avoyr représanté trop plus aigres les choses qu'elles n'estoient.

Je luy ay réplicqué que, si j'avoys erré, ce n'avoit esté que pour n'errer pas en une matière de si grande importance comme ceste cy, de ne laysser ulcérer son cueur de chose qui procédât de Voz Très Chrestiennes Majestez, ni pareillement les vostres de chose qui procédât d'elle, et qu'elle verroit, par le contenu de ce qu'il vous avoit pleu m'en escripre, que je n'avoys, de mon costé, rien gasté. Et luy ayant là dessus faict lecture de vostre lettre, elle a curieusement noté les particullaritez, qui y estoient, de l'honneste faveur et des advantages qu'aviez faict au dict de North, plus qu'à l'ambassadeur du Roy Catholicque, ny à celluy de l'Empereur. Et après avoyr bien comprins le tout, elle m'a dict qu'elle seroit par trop marrye, s'il vous restoit aulcune male satisfaction de chose qu'elle eût dicte; et qu'elle vous suplyoit de considérer qu'elle n'avoit peu fère de moins, sur le rapport que son ambassadeur luy avoit faict, duquel ceulx de son conseil et de sa court estoient participans, que de m'avoyr privéement déclaré ce qu'elle en avoit sur le cueur, non qu'elle se fût dès lors formée nulle mauvayse impression de Voz Majestez, mais pour l'oster à ceulx qui la pouvoient avoyr, et aussy pour ne monstrer qu'elle ne prînt à cueur ce qui touchoit l'honneur et mémoyre du feu Roy, son père; et qu'à ceste heure elle sentoit en son cueur une singullière consolation de voyr, par l'évident tesmoignage de vostre lettre, que vostre intention et celle de la Royne, vostre mère, et voz actions vers elle estoient ainsy nettes et pleynes d'une vraye et droicte amityé comme elle le pouvoit desirer, et comme elle vous prioit bien de croyre 386 que vous trouveriez les siennes vers vous toutes semblables, sans qu'il y eût jamays de manquement; et vous remercyoit, de tout son cueur, du soing qu'aviez eu de luy en mander ceste tant pleyne et entière satisfaction, sur laquelle elle desiroit que voulussiez demeurer ainsy bien persuadez d'elle, qu'il n'y avoit que l'extrême desir qu'elle a tousjours eu de se voyr bien aymée de toutz deux, et le regrect qu'elle avoit qu'elle ne le fût, qui l'avoient ainsy troublée et esmeue de ce fascheux rapport; et que néantmoins elle n'y avoit advancé ung mot ny entendu d'en dire ung autre qui peût tourner à vostre offance, car elle en seroit déplaysante jusques en l'âme, et qu'elle me promettoit bien qu'elle parleroit à bon escient à milord de North; m'ayant la dicte Dame, en toutes ses parolles et démonstrations, fort expressément monstré qu'elle ne vouloit entrer en aulcune mauvayse intelligence avec Voz Majestez Très Chrestiennes, si elle s'en pouvoit garder.

Dont je ne l'ay volue ny presser ny convaincre davantage de ce qui estoit advenu, et sommes passez à ce que Vostre Majesté trouvera déduict en la lettre que j'escriptz à la Royne. Et puis, je l'ay ainsy remercyé de l'offre qu'elle vous avoit faicte de s'employer à la paciffication de vostre royaulme, comme me le commandiez par le postscripta de vostre dernière lettre. Sur quoy elle m'a respondu ce que je vous supplye très humblement de vouloyr ouyr du Sr de Vassal, et vouloir bénignement entendre à la très humble requeste qu'il continuera de vous fère pour moy, à ce qu'il vous playse, et pour l'importance de vostre service, et pour mon indisposition et nécessité, accélérer le congé qu'il vous a desjà pleu m'octroyer. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour de febvrier 1575.

387

A la Royne

Madame, après avoyr faict lecture à la Royne d'Angleterre de la lettre du Roy, vostre filz, du XXIIIIe du passé, et après m'avoyr, elle, dict avec sa grande satisfaction qu'elle se sentoit fort atenue à luy de ce bon office qu'il faisoit entre Vostre Majesté, qui estiez sa mère; et elle qui estoit sa seur, et qui vous respondoit à fille, elle m'a prié de luy vouloir librement dire qu'est ce que Vostre Majesté particullièrement m'en mandoit.

Je luy ay respondu que, de tant que j'avoys addressé le récit du tout au Roy, vostre filz, que vous luy aviez layssé fère toute la responce, et que me commandiez d'en parler seullement sellon le contenu de sa lettre.

Elle m'a réplicqué que cella seroit ung argument, ou que vous seriez malcontante, ou que ne vous souciez pas beaucoup qu'elle le fût, et qu'elle se trouvoit bien empeschée que vous debvoir mander sur ce que le Roy luy faysoit dire, si je ne luy disoys aussy quelque chose de vostre part; et m'a, de rechef, fort conjuré que je ne luy voulusse rien dissimuler de ce que m'en escripviez.

J'ay tiré lors vostre lettre de ma pochète, et, après avoyr pryé la dicte Dame, si, d'avanture, elle y trouvoit quelque marque de vostre courroux, qu'elle voulût considérer que c'estoit l'offance que milord de North vous avoit trop indiscrètement faicte, et celle que depuis, elle mesmes, pour y avoyr trop tost creu, y avoit adjouxtée, qui vous avoient touché le cueur de deux justes dolleurs, desquelles vous demandiez avec rayson d'estre maintenant satisfaicte; dont failloit qu'elle prînt de bonne part tout ce qu'elle y verroit. Et la luy ayant ainsy tout franchement 388 présentée, elle l'a incontinent et bien fort curieusement toute leue jusques à la fin, ensemble l'addition qui estoit au bas. Puis m'a dict qu'elle n'y trouvoit rien qui ne fût en termes très honnorables, et desquels elle ne vouloit fallir de vous en rendre le plus exprès grand mercys qu'elle pouvoit, et qu'elle voyoit bien que la lettre du Roy et la vostre non seulement luy rendoient ung très certain tesmoignage de la grande sincérité de toutz deux vers elle, mais encores du grand soing que l'ung et l'aultre aviez qu'elle demeurât bien esclarcye de tout ce qui y pourroit fère survenir du doubte; et qu'elle ne se souvenoit pas bien si milord de North, en luy faysant le compte du feu Roy Henry, son père, luy avoit aussy parlé du feu grand Roy Françoys, mais que ce n'estoit pas aulmoins à elle, à qui il avoit mal interprété le faict des deux neynes, car ne luy eût layssé passer, ayant entendu qu'elles estoient fort jolyes et bien fort proprement habillées, et qu'elle eût desiré de les pouvoir voyr, et seroit chose qu'elle accepteroit, de bon cueur, s'il vous playsoit luy en fère présant d'une;

Et que, de l'article de Mr de Guyse elle avoit ouy dire jusques aujourdhuy que la coustume de France en estoit aultre, mais, comment que ce fût, si je n'avoys sur ce qu'elle m'avoit dict icy, ny son ambassadeur sur ce qu'elle luy avoit escript par dellà, bien représanté au Roy, et à Vostre Majesté, l'obligation qu'elle recognoissoit vous avoyr à toutz deux, pour la faveur et bon traictement qu'avez faict au dict de North, que de nouveau elle vous en remercyoit le plus grandement et du meilleur cueur qu'il luy estoit possible; et que, de toute la faulte qui pouvoit estre advenue, depuis son retour, elle s'en prendroit, ainsy qu'elle debvoit, entyèrement à luy; et que, pour 389 vostre satisfaction, elle vous prioit, Madame, de demeurer très fermement persuadée qu'elle n'avoit entendu ny entendoit avoyr dict, sinon qu'elle ne pouvoit estimer que fussiez si mal honnorable princesse que d'avoyr voulu mal honnorablement parler d'ung si honnorable prince comme estoit le feu Roy, son père; et que c'estoit le moins qu'elle avoit peu ny deu dire, pour l'honneur de son dict père, à celle qu'elle honnoroit comme sa mère, et de laquelle elle desiroit estre plus singullièrement aymée et bien volue que de princesse de tout le monde.

Et m'ayant fort prié de mesnager ainsy ce propos qu'il n'en peût rester rien d'offance en vostre cueur, comme il n'en restoit ung seul brin dans le sien, et après m'avoyr encores quelque temps entretenu d'aulcunes aultres choses, dont le Sr de Vassal vous rendra compte, elle m'a fort gracieusement licencyé. Et semble bien, Madame, que la grande expression, dont elle m'a uzé sur la déclaration du propos qu'elle avoit tenu de Vostre Majesté, monstre assés qu'elle ne se veut aulcunement despartyr, si elle peut, de celle privée amityé et honneste entretien dont avez de loing uzé l'une avec l'aultre. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIIe jour de febvrier 1575.

390

CCCCXXXVIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Audience.—Excuse pour le retard apporté à la communication du mariage du roi.—Méfiance inspirée à Élisabeth par l'alliance du roi à la maison de Lorraine.—Desir qu'elle témoigne de recourir à des alliances hostiles à la France.—Remontrances de l'ambassadeur.—Assurance que le roi veut renouveler solennellement le traité de la ligue.—Plaintes à l'occasion de réjouissances faites à Londres par les réfugiés pour célébrer une victoire remportée par le maréchal de Danville.

Au Roy.

Sire, affin que la Royne d'Angleterre ne peût penser que ne luy eussiez voulu communicquer le propos de vostre mariage, sinon après l'évènement, je luy ay dict que ce n'estoit nullement par vostre coulpe, ny de la Royne, vostre mère, mais par la négligence des courriers, qu'elle recepvoit maintenant beaucoup plus tard ceste nouvelle que Voz Très Chrestiennes Majestez ne l'eussent voulu, et qu'il n'estoit raysonnable qu'on la luy deût tant différer. De quoy elle ne vous en debvoit rien imputer, car n'aviez plus tost esté vaincu des sages persuasions et remonstrances de la Royne, vostre mère, à vous debvoir maryer, affin d'avoyr bientost lignée; et aulmoins n'aviez vous prins plus tost la résolution de le fère qu'incontinent, et devant le mander à nul aultre prince de la Chrestienté, Vostre Majesté m'avoit escript, estant encores en chemin, sur le retour d'Avignon, et deux journées devant qu'arriver à Reims, que je ne faillisse de le notiffier à la dicte Dame; et que, pour la grande et très bonne opinyon que vous aviez de la fille aynée de Mr de Vaudémont, de la mayson de 391 Lorrayne, princesse en toutes sortes bien née et de très illustre extraction, appartenant aulx plus grands princes de la Chrestienté, vous aviez bien voulu tant defférer à vostre propre jugement et à celluy de la Royne, vostre mère, qui l'aviez, l'ung et l'aultre, assez souvant veue et aviez soigneusement, et à loysir, considéré la personne et les belles et excellantes qualitez que Dieu avoit mis en elle, que de la préférer à toute aultre grandeur de party. De quoy vous espériez que la dicte Royne d'Angleterre, pour le debvoir de sa bonne et sincère amityé vers vous, prendroit en elle mesmes ung double plésir de ce bien heureux mariage: premièrement, pour le contantement que vous vous en promettiez; et puis, pour les successeurs qu'elle vous verroit bientost naystre, qui, de père en filz, et d'ayeul en petit filz, continueroient de luy estre, à elle, bons alliez et parantz, et tousjours très bons confédérés de sa couronne.

A quoy la dicte Dame m'a soubdain respondu qu'il y avoit desjà plusieurs jours qu'elle avoit eu, et, possible, plus tost que moy, quelque sentiment de ce propos, sur lequel l'on luy avoit donné de bien diverses interprétations, dont les aulcunes estoient bien fort subtilles, de l'occasion qui avoit meu la Royne, vostre mère, de se pourchasser une telle belle fille; et les aultres estoient des dellibérations que, en faveur de la Royne Très Chrestienne à présent vostre femme, vous entreprendriez d'exécuter ez isles de deçà, pour la restitution de la Royne d'Escosse, sa parante; et que néantmoins, tout ainsy qu'elle ne debvoit nullement, aussy ne vouloit elle parler sinon bien fort honnorablement de l'élection qu'il vous avoit pleu fère en cella, et la louer et approuver de tout son pouvoir, et vous 392 remercyer infinyement, comme elle faisoit, de la communicquation que luy en aviez faicte; et que, pour le regard des deux poinctz que je luy avoys touché, de vostre contantement et de la postérité qu'espériez bientost de ce mariage, que nul, soubz le ciel, en sentoit plus de playsir qu'elle, ny nul vous y souhaytoit plus de faveur et de bénédiction de Dieu, ny nul d'entre toutz voz alliez s'en conjouyroit jamays plus cordiallement, qu'elle faysoit, avec Vostre Majesté; bien me vouloit dire tout franchement, et sans dissimulation aulcune, qu'encor que toutes les plus excellantes et plus desirables perfections, qui se puissent souhayter en une grande Royne, soyent entièrement, et, possible, plus habondamment en la Royne Très Chrestienne qu'en nulle aultre princesse qui vive aujourdhuy au monde, sellon que vous ne l'eussiez aultrement choysie, si desireroit elle, de bon cueur, que vostre élection eust esté d'une aultre mayson, à elle moins ennemye que celle de Lorrayne, et non tant prochayne parante comme elle est de Messieurs de Guyse, lesquels avoient tousjours faict expresse profession de vous pousser, et les feux Roys, voz prédécesseurs, à la guerre contre elle et contre son royaulme; et que aulcuns personnages de bon sens luy avoyent, par de bien sages et bien vraysemblables considérations, évidemment monstré que ce mariage luy debvoit estre à elle très suspect, comme estant ung article du testament de feu Mr le cardinal de Lorrayne, où il ne l'avoit nullement nommée pour l'ung de ses exécuteurs; et qu'ilz la conseilloient que, tout ainsy que vous aviez faict ceste alliance, sans aulcun esgard à elle ny à son estat, qu'ainsy en pouvoit et debvoit elle fère maintenant, sans aulcun respect ny à vous ny au vostre.

393 A quoy je luy ay réplicqué que je l'estimois princesse de trop bon jugement pour croyre que nulle autre considération au monde vous eût meu, en cest endroict, que la seule persuasion de la Royne, vostre mère, et le beau et très desirable object de la Royne, vostre femme; et que, de tant plus debvoit elle trouver bon ce party que, en le prenant, vous vous estiez si bien senty et appuyé de l'amityé qu'elle vous avoit promise, que vous n'aviez tant regardé à une alliance forte et puissante comme à la fère très honneste et très honnorable; et que, auparavant aussy bien qu'à ceste heure, les troys maysons, de Lorrayne, de Vaudémont et de Guyse, estoient entièrement à vostre dévotion, dont n'estoit depuis advenu chose aulcune de nouveau, d'où elle se deût donner aulcun souspeçon; et qu'il avoit pleu à Dieu joindre, de longtemps, de si bonnes et naturelles forces à vostre couronne que vous n'aviez poinct besoing d'en aller mendier d'autres par vostre mariage; et ne pensois fère tort à nulle aultre grandeur de dire cella de la vostre, que tousjours les Roys de France avoient plus esté appuy et reffuge aulx aultres princes de la Chrestienté qu'ilz ne s'estoient appuyez ny fortiffiez d'eux; et quand à fère, elle, de son costé, sans aulcun respect de Vostre Majesté, quelque aultre alliance pour elle, que, si c'estoit par mariage, vous le luy desireriez tousjours très honnorable et plein de très heureux contantement, mais si c'estoit par ligue ou confédération, que j'espéroys que bientost vous envoyeriez renouveller et confirmer si estroictement celle que vous aviez avec elle, que je m'assurois qu'elle ne voudroit, comme elle ne sçauroit aussy, jamays en desirer de meilleure; et que j'ozois jurer que ceulx, qui avoient ainsy interprêté vostre mariage 394 pour dangereux à elle et à ses affères, n'estoient non plus vrays et purs angloix qu'ilz se monstroient très maulvays françoys.

Elle m'a respondu que voyrement estoient ce des partisans espaignols, qui avoient parlé à elle là dessus, lesquelz ne jugeoient ce qui estoit advenu de vostre mariage estre moins suspect au Roy d'Espaigne qu'ilz le remonstroient très suspect à elle; en quoy, possible, ilz passoyent vers toutz deux trop plus avant qu'ilz ne debvoient; et qu'elle, pour son regard, se reposeroit, pour ceste heure, sur ce que je luy venois de dire de vostre part, attandant que Vostre Majesté accomplyst par euvre ce que je luy avoys déduict de parolle.

Et m'estant là dessus plainct à elle des démonstrations et conjouyssances publicques que les ministres de l'églyse françoyse de Londres avoyent ozé fère d'une victoyre qu'ilz ont publyé que Mr Dampville avoit gaignée en Languedoc, où il avoit deffaict toutes les forces de pied et cheval que Vostre Majesté avoit au dict pays, et tué le général et emmeyné l'artillerye, elle m'a dict que c'estoit chose dont ilz ne luy avoient pas demandé congé de la fère, et qu'elle ne la trouvoit nullement bonne; et que, puisque je m'en pleignoys, elle leur en feroit fère une si bonne réprimande que, s'ilz ne se monstroient, dorsenavant, plus modérez, elle les chasseroit de son royaulme.

Et ayant ainsy layssé la dicte Dame bien contante, je me suys pour ceste foys retiré. Et sur ce, etc.

Ce VIIe jour de mars 1575.

395

CCCCXXXVIIIe DÉPESCHE

—du XIe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Désignation de Mr de La Châtre pour passer en Angleterre, afin de renouveler le traité d'alliance.—Refus du commandeur de Castille d'accepter le secours proposé par Élisabeth au roi d'Espagne contre les Turcs; demande que ce secours soit employé pour la guerre de Hollande.—Dispositions d'Élisabeth à l'égard de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, j'espère que la venue de Mr de La Chastre confirmera grandement ceste princesse vers Vostre Majesté, et la gardera d'obtempérer en beaucoup de choses aulx tant instantes persuasions et vifves poursuytes que luy renouvellent, à toute heure, ceulx qui s'efforcent de la bander contre voz affères. Je luy ay desjà bien fort loué ceste vostre élection comme très digne, et en toutes sortes très bien faicte, sans rien obmettre des honnestes et bien fort bonne qualitez de luy, qui espère qu'elle le recepvra avec toute faveur; et je mettray encores peyne que, d'elle et des siens, sa légation soit la plus honnorée, et qu'il en reviegne le plus d'utillité pour vostre service qu'il me sera possible. Cella est bien à propos qu'il sera icy plus tost que le conseiller de Flandres ny Me Wilson y arryvent, lesquelz, à ce que j'entendz, apportent beaucoup d'ouvertures pour remettre les anciennes entrecours et toutes aultres choses d'entre ces deux pays en plus estroicte intelligence que jamays.

Je ne sçay toutefoys à quel prétexte ceulx cy pourront, à ceste heure, poursuyvre davantage leur armement et appareil 396 de mer, veu que le commandeur de Castille a renvoyé le cappitayne, qui luy en estoit allé apporter l'offre, avec une responce laquelle ne satisfaict ceste princesse et encores moins ceulx de son conseil: car, en la remercyant de sa bonne volonté et de la bonne et prompte disposition de ses subjectz vers le Roy, son Mestre, et la priant et eulx d'y vouloir persévérer, il s'excuse que, de tant que l'offre est faicte pour la mer du Levant contre le Turc, où il n'a nulle charge, qu'il ne la peut accepter, mais qu'il la fera entendre au dict Roy, son Mestre, le plus tot qu'il luy sera possible, en quoy y pourra avoyr de la longueur, à cause que les chemins sont, à présent, interrompus en France; mais que, si c'estoit pour servir en la guerre des Pays Bas contre le prince d'Orange, qu'il l'accepteroit incontinent, et appoincteroit très bien les cappitaynes et soldatz et marinyers et vaysseaulx angloix, qui viendroient à ceste entreprinse, laquelle seroit trop plus agréable au Roy, son Mestre, et non moins honnorable et utille à la dicte Dame et aulx siens que si c'estoit contre le Turc. Sur laquelle responce j'entendz qu'elle et ceulx de son dict conseil se trouvent fort empeschez quelle dellibération y prendre; et néantmoins leur appareil va tousjours en avant.

Les deniers qui ont demeuré quelque temps ainsy dépositez, comme je vous ay mandé, devers ung marchand de ceste ville ont esté, depuis deux jours, apportez chez le grand trézoryer, montantz trente mille escus, en angelotz; je ne sçay encores quel chemin ilz prendront. J'entendz qu'on prépare une dépesche, icy, pour renvoyer Me Quillegreu en Escosse, et qu'il y doibt apporter ung duplicata de celle que les ministres ont esté plusieurs foys assemblez 397 pour la dresser, de laquelle ne se peult encores avoyr aulcune notice quelz chapitres elle contient.

J'ay eu ces jours passez à présenter à ceste princesse, de la part de la Royne d'Escosse, sa cousine, nonobstant la jalouzie que, sur vostre mariage, elle a nouvellement reprins d'elle, troys petites coyfures de nuict, ouvrées de sa main, avec une lettre fort gracieuse et aulcuns propos qu'elle m'a escript, à part, pour luy dire; qui n'a esté sans qu'il y ayt eu de la difficulté et de la contradiction beaucoup, car, après m'avoyr ouy et avoyr uzé de quelque excuse tout haut de ne les pouvoir accepter, elle m'a dict que je seroys trop esbahy, si je sçavoys ce qu'on avoit composé sur les aultres petitz présantz qu'elle avoit desjà receus d'elle par mes mains, et sur ce qu'elle avoit dellibéré de luy en envoyer ung de sa part, comme si desjà la Royne d'Escosse avoit tiré promesse d'elle qu'elle entreprendroit de la restituer par force, et qu'elles en baillassent ainsy de mutuels gages l'une de l'aultre; de quoy, encor qu'il n'en soit rien, l'on n'avoit layssé de luy en escripre des lettres bien expresses d'Escosse et qu'elle estoit en peyne comme en debvoir uzer.

Je luy ay réplicqué que ceulx qui luy escripvoient ainsy sellon leur naturel barbare et meschant, ne sçavoient considérer qu'elle estoit bonne et vertueuse et d'ung cueur si généreulx et royal qu'elle ne pouvoit avoyr à mespris une aultre Royne et princesse, sa parante, en quelle fortune qu'elle se trouvât, ny dédaigner les petitz ouvrages qu'elle luy avoit faictz de sa main, vrays tesmoings de sa sincère affection vers elle, qui n'en pouvoit estre offert de nulles meilleures mains qu'ilz partoient ny receus de meilleures qu'ilz alloient; et que les détracteurs de cella méritoyent 398 tout le mal qu'ilz creignoient leur en advenir et beaucoup davantage, sellon leurs démérites.

A quoy elle m'a dict que, véritablement, ilz parloient sellon eulx, mais qu'elle ne lairroit de fère sellon elle, et qu'elle acceptoit doncques son présent; mais me prioit de ramantevoyr à la Royne d'Escosse qu'elle avoit quelques ans plus qu'elle, et que celles qui advancoient en l'âge, volontiers prenoient à deux mains, et ne donnoient que d'ung doigt. Et ainsy je l'ay layssée assés bien disposée vers sa cousine. Et sur ce, etc.

Ce XIe jour de mars 1575.

CCCCXXXIXe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olivyer Champernon.)

Navires envoyés d'Angleterre pour recevoir Mr de La Châtre.—Méfiances inspirées à la reine contre sa légation.—Rapprochement entre Élisabeth et le roi d'Espagne.—Continuation des armemens.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, j'ay reçeu, le XIIe de ce moys, environ les quatre heures après midy, la dépesche de Vostre Majesté du XXVIIe du passé et celle du IIe d'estui cy, toutes deux, à la foys; et incontinent j'ay envoyé demander en ceste court ung des navyres de guerre de la Royne d'Angleterre pour aller prendre Mr de La Chastre à Bouloigne, affin de le passer plus seurement, et qu'il ne prînt mal sur la mer en venant par deçà. Dont l'on m'a libérallement accordé d'y envoyer deux vaysseaulx passagers de Douvre, les mieulx équippez, sellon le temps et la haste, que fère se pourra: 399 de quoy je fay présentement un mot de lettre au dict Sr de La Chastre affin qu'il temporise ung peu au dict lieu de Bouloigne, attandant les deux vayssaulx, sans se commettre à la discrétion de tant de pirates qui se tiennent ordinayrement en ce destroict. Et sur ce, je vous diray, Sire, qu'il n'a esté plus tost sceu, icy, que Vostre Majesté y dépeschoyt Mr de La Chastre qu'incontinent ceulx qui se veulent formaliser contre voz affères n'aient couru à la court, pour réfroydir ceste princesse et ceulx de son conseil de la bonne réception qu'ilz préparoyent de luy fère; et m'a l'on adverty qu'on y a faict de très maulvays offices contre luy, et qu'on n'a bien parlé de luy. Je remédieray à cella, le mieulx qu'il me sera possible, et, pour le moins, je m'efforceray d'honnorer, autant que je pourray, et luy et la commission, qu'il porte, de Vostre Majesté, et de fère qu'il vous rapporte le plus de satisfaction qui se pourra tirer, de la dicte Dame et des siens, sur les choses qu'il aura à leur dire et proposer de vostre part.

Il est certain que le conseiller de Bruxelles vient en la compagnye de Me Wilson, et dict on que c'est pour résider, à bon escient, ambassadeur, icy, pour le Roy d'Espaigne; ce qu'estant recherché de luy, avec la soubmission qu'il promet de fère prester par les bannys angloix à la dicte Dame, elle se laysse tirer assés de son costé, et s'esloigne d'autant du vostre; et mesmes qu'on luy faict, ainsy que j'en suys bien adverty, avoyr non moins suspect vostre mariage que s'il estoit directement contre tout ce qu'elle pouvoit espérer de paix et d'amityé de Vostre Majesté. L'on ne poursuyt plus, soubz celle colleur de donner secours au dict Roy d'Espaigne contre le Turc, cest armement qu'on avoit commancé, icy, depuis que le grand 400 commandeur a mandé sa response, mais l'on le continue avec aultre tiltre, d'entreprendre un voïage au Cathay, ce qui ne m'est moins suspect que le précédant; dont j'y auray l'œil le plus ouvert qu'il me sera possible.

Me Quillegreu est desjà tout prest pour aller en Escosse avec une dépesche de ce conseil, et bonne somme de deniers qu'il emporte avecques luy. Je ne puis encores descouvrir à quel effect ce peut estre. Il y apporte aussy une de ces quatre dépesches, que je vous ay desjà escript que les ministres ont avec grande curiosité et dilligence dressées: et me tarde beaucoup que le gentilhomme, qu'avez ordonné pour aller résider ambassadeur par dellà, y soit arryvé; car aultrement je crains bien fort qu'il ne s'y face quelque préjudice à l'ancienne alliance qu'avez avec la couronne d'Escosse. Et sur ce, etc.

Ce XIVe jour de mars 1575.

CCCCXLe DÉPESCHE

—du XXe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Efforts de l'ambassadeur pour dissiper les méfiances de la reine d'Angleterre.—Délibération des seigneurs du conseil sur les affaires d'Irlande.

Au Roy.

Sire, j'ay pourveu le mieulx qu'il m'a esté possible à ce que le réfroydissement, où l'on avoit voulu mettre ceste princesse et ceulx de son conseil vers la venue de Mr de La Chastre, n'ayt poinct duré, et m'a l'on desjà promis que le dict sieur sera bien et favorablement receu. Je l'attandz 401 à demain ou après demain, car il y a desjà six jours que je luy ay redépesché son homme, avec l'ordonnance de prendre deux vaysseaulx équippez en guerre à Douvre pour son passage; mais, de tant plus qu'on le sent approcher, plus l'on s'efforce de presser, en ceste court, les instances et sollicitations qui peuvent estre contrayres à sa légation, et ne puis encores bien juger ce qui en réuscyra.

Il est vray que, sellon qu'une chose qui est maintenant en dellibération dans ce conseil se déterminera, l'on pourra lors cognoistre si ceste princesse voudra proprement entendre à l'establissement de ses affères dans ses pays, ou bien si elle continuera de s'embrouyller aulx guerres et troubles de ses voysins; car le comte d'Essex luy a dépesché, d'Irlande, ung sien gentilhomme pour luy venir remonstrer qu'il a descouvert, en poursuyvant la guerre par dellà, des moyens propres pour y establyr l'authorité d'elle, qui sont beaucoup meilleurs et trop plus certains que ceulx qu'on y a tenus jusques icy, mais qu'il a besoing, à ce commancement, de plus grande provision de deniers et de plus grand nombre d'hommes qu'on ne luy a encores ordonné, affin de mettre la chose promptement et bien à entière exécution. Ce que ayant, en l'assemblée de plusieurs de ce dict conseil, esté fort vifvement débatu, la dicte Dame n'a obmis de leur mettre devant les yeulx que, par plusieurs foys et en maintes façons, ceste entreprinse d'Irlande avoit esté, avec de grands frays, mais tousjours en vain, diversement tantée; et qu'ilz examinassent, à ceste heure, de bien près, si ce que le comte d'Essex mettoit en avant avoit fondement ou non, et si la despence qu'il demandoit y estre faicte seroit bien employée, ou bien si l'on le révoqueroit 402 par deçà, puisque les choses ne luy avoient ainsy succédé au dict pays comme il l'espéroit, et luy ordonner, icy, des bienfaictz, pour le récompanser des frays et dommages qu'il avoit souffertz en son expédition. Sur quoy j'entendz que les opinyons ont esté contrayres, et mesmes qu'il y en a de bien fort préoccupées, tant pour la jalouzye particullière des conseillers, que pour ce, qu'aulcuns d'eux voudroient bien que, toutes aultres choses délayssées, la dicte Dame entendît, pour ceste heure, au seul secours des Protestantz comme à ceulx dont la victoyre, ainsy qu'ilz disent, luy establiroit entièrement son repos, et luy accommoderoit très bien ses affères, là où, aultrement elle ne pourra, ce leur semble, estre, en l'ung ny en l'autre, jamays bien assurée. Néantmoins il semble que l'advis des plus authorisez tend à l'entreprinse d'Irlande, dont, dans bien peu de jours, se sentira la résolution de l'ung ou de l'autre.

Et quand à ce que j'ay naguyères escript à Vostre Majesté, de la venue du conseiller de Flandres, l'on attand icy, à toute heure, son arryvée. Et, touchant l'armement, il se poursuyt tousjours; mais, quand au voïage de Me Quillegreu en Escosse, il est ung peu suspendu. Nous verrons comme les choses procèderont, et mettrons payne qu'en soyez promptement adverty. Et sur ce, etc.

Ce XXe jour de mars 1575.

403

CCCCXLIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Retard apporté au passage de Mr de La Châtre.—Nouvelles d'Ecosse.—Assurances de dévouement au roi données au nom des seigneurs écossais.—Recommandation pour les réfugiés de Rouen.

Au Roy.

Sire, les deux vaysseaulx de Douvre, que la Royne d'Angleterre avait faict ordonner pour Mr de La Chastre, ne fallirent de se rendre à Bouloigne, le XVIe de ce moys, pour le passer deçà, mais il jugea qu'ilz n'estoient suffisans ny assez bien équippés pour le saulver devant les pirates qui l'attandoyent pour le piller: dont il renvoya, le lendemain, ung sien gentilhomme, icy, pour obtenir d'aultres vaysseaulx mieulx armez et plus fortz, ou bien quelque meilleur ordre de ceste princesse pour assurer son passage. Sur quoy j'envoyay tout aussytost fère ung mot de remonstrance là dessus à la dicte Dame, et elle, sur l'heure mesmes, manda à milord Cobhan qu'il ne fallît de dépescher son frère, ou quelque aultre gentilhomme de bonne qualité, dellà la mer, avec les meilleurs vaysseaulx et les mieulx équippez qui, en ceste grande haste, se pourroient trouver, affin de conduyre, seurement et sans danger, le dict Sr de La Chastre et sa compagnye par deçà: ce qui a esté incontinent exécuté. Et j'estime que, de présent, toute la troupe ayt passé, et que, au plus tard, ilz arriveront demain en ceste ville, où la dicte Dame s'en vient aussy avec toute sa court pour y solenniser ces Pasques: ce qui fera que le dict Sr de La Chastre aura le moyen d'accomplir plus commodément 404 et plus tost sa commission; et j'espère qu'il vous rapportera tout contantement.

J'ay tant faict que le filz de milord de Sethon, qui est icy, lequel n'est pas l'ayné, comme on me l'avoit dict, ains est le segond, m'est venu trouver fort secrettement et de nuict, affin d'éviter souspeçon; et m'a assuré que son père et les principaulx seigneurs, et mesmes la pluspart de la noblesse d'Escosse, persévèreront constamment vers l'alliance de Vostre Majesté et en l'affection de bons subjectz vers la Royne, leur Mestresse, mais qu'ilz gardent ceste bonne volonté cachée dans leurs cueurs, pour ne l'ozer manifester que au besoing, et lorsqu'ilz verront que les choses seront en estat que, sans danger, ils se pourront déclarer; et que de sa part, il n'estoit venu, icy, sinon pour n'avoyr peu obtenir du comte de Morthon qu'il s'en peût retourner en France, et m'a donné parolle de gentilhomme qu'il vous demeurera tousjours très dévot serviteur. Milord de St Jehan, escossoys, lequel est depuis ung an en ceste ville, m'a faict aussy secrettement remonstrer que, ayant trop plus agréable, pour la malice du temps, d'estre hors de son pays que d'y habiter, et luy manquantz, par la mort et par l'absence des deux Roynes, ses Mestresses, les moyens qu'elles luy avoient donné en leur faysant service, il estoit maintenant en sa viellesse contrainct de chercher nouveau mestre et nouvelle protection; et que, pour la dévotion qu'il avoit tousjours eue en vostre couronne, et les faveurs et grâces que luy et sa nation en avoyent receu par le passé, il ne vouloit fallyr d'offrir sa bonne volonté et son fidelle service à Vostre Majesté, réputant à plus d'honneur la moindre faveur qu'il pourra recepvoir d'ung si grand Roy que tout aultre bien que nul autre prince luy pourroit fère; 405 en quoy j'entendz qu'il desireroit estre advoué pour vostre domestique serviteur, gentilhomme de vostre chambre, ce qui semble bien, Sire, qu'il est personnage pour mériter que daignez le gratiffyer de cella. Et sur ce, etc.

Ce XXIVe jour de mars 1575.

Ceulx de voz subjectz de la nouvelle religyon, qui vivent paysiblement icy, me viennent, tout maintenant, de prier que je rende très humbles grâces à Vostre Majesté pour les lettres qu'il vous a pleu escripre en leur faveur à vostre court du parlement de Roan; mais que, de tant que leurs parantz et procureurs, qu'ilz ont sur les lieux, leur ont mandé que la dicte court n'y veut avoyr esgard, parce que ne sont que lettres closes, qu'ilz supplyent très humblement Vostre Majesté de vouloir, par nouvelles lettres patantes, confirmer la première déclaration et octroy, qu'il vous a pleu leur fère, de ne poinct saysir leurs biens, en se déportant loyaulment vers vostre service. Sur quoy je vous supplye très humblement, Sire, de les fère jouyr de l'effaict de vostre promesse, sellon que ceulx, à qui j'ay donné mes certificatz, ont bon tesmoignage qu'ilz n'ont attempté ny attemptent par armes, par praticques ny par contribution, chose aulcune contre l'obéyssance et fidellité qu'ilz vous doibvent.

CCCCXLIIe DÉPESCHE

—du dernier jour de mars 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Arrivée de Mr de La Châtre à Londres.—Bonne réception qui lui est faite.—Arrivée de l'ambassadeur du roi d'Espagne.

Au Roy.

Sire, il n'eût esté bien à propos que Mr de La Chastre fût passé la mer plus tost qu'il a faict, car il eût trouvé, ici, des difficultez non petites, lesquelles je n'avoys peu encores vaincre, et de la froideur que je ne pouvoys encores reschauffer; 406 qui eussent, par advanture, desrogé assez à sa réception, et, possible, empesché le meilleur effect de son voyage. Dont je loue Dieu qu'il m'a enfin esté plus octroyé pour luy que je n'eusse ozé demander, car ayant la Royne commandé au frère de milord Coban et aultres gentilshommes anglois de l'aller quérir jusques à Callays, pour le passer deçà, elle l'a depuis faict fort honnorablement recepvoyr à Douvre et à Conturbery, et partout où il a passé, avec le concours de beaucoup de noblesse du pays; et a envoyé le jeune Houdson, son parant, le rencontrer à une journée d'icy, et ses propres barges le prendre à Gravesines pour le porter en ceste ville, où la réception luy a esté faicte encores plus grande et plus honnorable qu'aylleurs. Et luy, avec toute sa troupe, y sont bien logez et fort bien traictez aulx dépens de la dicte Dame, et visitez souvant par les seigneurs et gentilshommes de ceste court, lesquelz nous ont déjà conduictz une foys, avec ordre et cérymonie, vers elle; et elle, avec ordre et magnifficence, l'a fort favorablement receu, et luy a donné une bien bénigne audience, en laquelle elle a monstré qu'elle avoit la légation, et celluy qui la luy portoit, fort agréable. Qui vous puis aussy très certaynement assurer, Sire, que luy, de son costé a commancé, et qu'il poursuyt de l'accomplyr avec beaucoup d'honneur et de dignité, et avec tant de bonne façon qu'il ne s'y peut desirer rien de mieulx, et faict comporter bien modestement sa troupe, de sorte que toute ceste court en demeure bien édiffyée. Dont j'espère qu'avec beaucoup de sa réputation il rapportera beaucoup de contantement de son voïage à Vostre Majesté; et ne me reste qu'un seul escrupulle, c'est la traverse que nous pourra donner l'ambassadeur du Roy d'Espagne, lequel en dilligence est arryvé 407 icy dans bien peu d'heures après que Mr de La Chastre a esté descendu; mais nous n'obmettrons ung seul poinct du soing et dilligence que debvons à vostre service, ainsy que par luy mesmes qui pourra, dans quatre ou cinq jours, s'expédyer d'icy, aurez l'entière relation du tout. Et sur ce, etc. Ce XXXIe jour de mars 1575.

CCCCXLIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour d'apvril 1575.—

(Envoyée exprès par Mr de la Chastre.)

Heureux résultat de la mission de Mr de La Châtre.—Renouvellement de la ligue entre la France et l'Angleterre.—Assurance que la confiance est pleinement rétablie.—Instance pour que Mr de Mauvissière, successeur désigné de l'ambassadeur, se rende sans retard à Londres.

Au Roy.

Sire, la bonne et digne façon de laquelle Mr de La Chastre s'est conduict à fère la visite que luy avez commandé vers ceste princesse, et à luy présenter les lettres de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, (mesmement celles qui estoient escriptes de voz mains, lesquelles, avec l'acte d'acceptation de la ligue, qui a esté trouvé fort bien couché, ont esté de grand moment), et à luy bien explicquer les poinctz de sa créance, et singulièrement à luy ouvrir clèrement la droicte intention de Voz Très Chrestiennes Majestez, et aussy à luy admener de bien vifves raysons pour luy oster tout escrupulle qu'il y ayt aultre chose que toute sincérité, bien esloignée de faintise et de dissimulation, en l'amityé que luy promettez, ont faict que la confirmation de la dicte ligue, pour 408 laquelle principallement l'aviez dépesché par deçà, a heureusement succédé, ainsy que luy mesmes vous en fera le récit, et vous en délivrera l'acte et les lettres, que la dicte Dame vous en escript. Qui me semble, Sire, que les choses en sont venues à si bons termes que de meilleurs ny de plus honnorables, pour ce regard, n'en pourroient estre desirez pour Vostre Majesté. Et j'en loue Dieu de bon cueur, car, avec l'utillité de vostre service, je puis, à ceste heure, plus confidemment supplyer très humblement Vostre Majesté de m'effectuer la promesse de mon congé, sans craindre que le changement d'ambassadeur puisse rien altérer en la négociation de deçà, et commander de rechef à Mr de Mauvissyère de se rendre, icy, le XVe de ce moys, ou au plus tard à la fin d'icelluy, sellon que, par la dépesche du XVIIe du passé, j'ay veu que desjà il en avoit receu vostre commandement. Sur ce, etc.

Ce VIIe jour d'apvril 1575.

CCCCXLIVe DÉPESCHE

—du XVe jour d'apvril 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mousnyer.)

Audience.—Remerciemens de l'ambassadeur pour l'honorable accueil fait à Mr de La Châtre et le renouvellement de la ligue.—Demande d'Élisabeth que le roi prête serment pour la confirmation du traité.—Déclaration des armemens faits à Saint-Malo contre ceux de la Rochelle.—Adhésion de la reine à ces armemens qu'elle juge nécessaires pour réprimer les excès des protestans.—Affaires d'Irlande.—Réclamation de l'ambassadeur au sujet de son traitement.

Au Roy.

Sire, je viens de dire à la Royne d'Angleterre que, 409 quand il n'y eût eu aultre argument que celluy de l'obligation, que je luy avoys, de m'avoyr rendu si heureux qu'avant la fin de ma charge elle eût faict réuscyr très honnorable et pleyne de contantement la première légation que Vostre Majesté luy avoit envoyée, qu'encores n'avoys je, pour ce regard, voullu fallir de luy en venir très humblement bayser les mains, et la remercyer, d'abondant, de ce qu'elle avoit donné à Mr de La Chastre, et aulx gentilshommes françoys de sa compagnye, de quoy rapporter à Vostre Majesté que, en nulle aultre part du monde, ilz eussent peu estre mieulx veus ny plus caressez qu'ilz avoyent esté, icy, ny recepvoir tant d'honnestes gracieusetez qu'ilz avoient faict d'elle, comme d'une des plus vertueuses et courtoises princesses que le monde ayt, ny, possible, aura de longtemps; et que toutz ensemble avions loué Dieu du prompt et franc desir dont elle avoit très volontiers, et de bon cœur, accepté Vostre Majesté en la continuation de la ligue, que le feu Roy, vostre frère, avoit avec elle; et que le dict Sr de La Chastre la pryoit bien de croyre qu'il n'avoit layssé tomber ung seul mot de tant d'honnestes propos qu'elle nous avoit tenus de Vostre Majesté et de la Royne, vostre mère, et de toutz ceulx de vostre couronne, ny de toutes les responces qu'elle nous avoit faicte, ny des honnorables signiffications d'amityé qu'elle nous avoit monstré vous porter, ny encores des aultres tant habondantes et vrayement royalles faveurs que, pour l'honneur de vous, elle luy avoit faictes, et à luy et à sa compagnye, qu'il n'eût soigneusement recueilly le tout pour en pouvoir donner bon compte à Vostre Majesté; et qu'il desiroit que quelque chose de ce qu'il avoit de plus cher au monde, ou mesmes une partye de soy mesmes, se 410 peût convertyr en mercyement qui se trouvât digne de l'obligation qu'elle avoit gaignée sur luy, et aulmoins luy layssoit il par deçà une très dévote affection de luy fère, après Vostre Majesté et ce qu'il debvoit à vostre couronne, plus de service qu'à nul prince ny princesse de la Chrestienté;

Et que les aultres gentilhommes françoys, en leur disant adieu, m'avoient prié, toutz d'une voix, que, en leur nom, je luy voulusse aussy bayser ses royalles mains; et qu'ilz réputeroyent à grand heur que, quelques jours, avec le bon congé de Vostre Majesté, ilz peussent estre employez en chose qui fût pour l'honneur et service d'elle; car ilz n'y espargneroyent ny leurs vies ny leurs personnes; et que, en expécial, Mr de Beauvoys luy rendoit très humbles grâces de ce qu'elle avoit deigné privément l'enquérir de plusieurs particullaritez de Vostre Majesté et fort famylièrement l'en entretenir; et que celle grande faveur, dont une si excellente princesse l'avoit voulu fère digne, luy avoit réaulcé le cueur, pour espérer d'estre quelque chose de meilleur à l'advenir qu'il ne s'estoit encores jamays ozé promettre; et qu'il avoit faict un registre, en soy mesmes, de toutes les vertueuses parolles et honnestes démonstrations de la dicte Dame, et singullièrement de celle très expresse commission qu'elle luy avoit donné pour ne faillir d'en entretenir, bien au long et à loysir, Vostre Majesté.

Lesquelz propos je vous promectz, Sire, que la dicte Dame a eu souveraynement agréables, et, nonobstant la dilligence d'aulcuns, qui s'estoient cependant efforcez d'attiédyr nostre précédante négociation, elle, d'une démonstration de playsir et de contantement, plus que ordinayre, 411 m'a respondu que, quoyqu'on luy eût voulu dire, ny persuader de Vostre Majesté, elle avoit trouvé que, sur le voïage de Mr de La Chastre, aussy bien qu'en aultres choses, j'estoys plus véritable que ceulx qui en avoyent mal rapporté, et qu'elle ne se souvenoit d'estre jamays demeurée plus pleynement satisfaicte de nulle autre négociation qu'elle eût faict en sa vye, que de ceste cy; et que pourtant, si j'avoys jamays rien faict à sa pryère, que je voulusse, à ce coup, avec plus d'expression que jamays, infinyement remercyer Vostre Majesté de sa part, pour l'effect de ceste ambassade, laquelle vous luy aviez faicte fère en termes si honnorables qu'elle ne le sçauroit desirer davantage; et qui estoyent très signifficatifs de la droicte amityé que luy portés; et puis il sembloit que eussiez choysy l'ambassadeur, garny de toutes les qualitez dignes et propres pour l'honnorer beaucoup à elle et donner grand contantement à toutz les siens, et qu'elle avoit desjà envoyé à son ambassadeur par dellà ung pouvoir pour assister à vostre sèrement et requérir une plus ample confirmation; jouxte le XXXIXe article du traité, et la lettre de vostre main, affin de donner perfection à cest affère, duquel, si elle voyoit que les choses se continuassent sellon ce bon commancement, elle vous promettoit bien que vous auriez en elle une très loyalle et perpétuelle confédérée pour tout le temps de sa vye.

Sur quoy, Sire, je supplye très humblement Vostre Majesté de satisfère premièrement aulx deux premiers poinctz: du sèrement et confirmation, et en fère dellivrer l'acte au dict sieur ambassadeur; mais, quand au troysiesme, de la lettre de vostre main, il vous plerra me l'envoyer pour la dellivrer à la dicte Dame, affin d'avoyr argument de parler 412 bien à elle et de tirer d'elle une bien expresse déclaration là dessus.

J'entendz que la dellibération d'envoyer en Espaigne, et pareillement de dépescher en Escosse, demeurent en quelque suspens jusques après les prochaynes nouvelles qui viendront de France, après le retour de Mr de La Chastre. Cependant j'ay communicqué à la dicte Dame une lettre, que Mr de Boyllé m'a escripte, du XIIe de mars, touchant l'apprest que font ceulx de St Malo pour se revencher contre ceulx de la Rochelle; de quoy elle m'a dict qu'elle ne pourroit désormays prendre meffiance d'aulcun appareil qui se fît en vostre royaulme, et que les injures et larrecins, que font ces réformez, méritoient, à bon escient, qu'on les aille bien réprimer.

Il est survenu en Irlande une grande altération entre le comte d'Essex et Me Finguillien, présidant au dict pays, pour rayson de quoy l'ung et l'aultre ont dépesché en ceste court; et le conseil s'en est assemblé, par troys foys, devant la dicte Dame, laquelle, nonobstant qu'elle porte grand faveur au dict d'Essex, qui a espousé une sienne fort proche parante, si entendz je qu'elle ne l'a voulu supporter, et m'a l'on dict qu'il est révoqué de sa charge. Et sur ce, etc. Ce XVe jour d'apvril 1575.

J'entendz que Mr le trésorier de l'espargne me veut roigner la moictyé du présent quartier, où nous sommes, de l'estat d'ambassadeur, bien que méshuy je ne pourray arryver vers Vostre Majesté, non que me conduyre en ma mayzon, que ne soyons à la fin du dict quartier. Dont vous supplye très humblement, Sire, luy commander de ne m'y fère de diminution, car le tout me faict bien besoing pour sortir d'icy.

413

CCCCXLVe DÉPESCHE

—du XXIe jour d'apvril 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Olyvier Champernon.)

Emprunts et armemens faits par Élisabeth.—Confiance de l'ambassadeur qu'elle n'a aucun projet hostile contre la France.—Nouvelles d'Écosse.—État de la négociation de la paix dans les Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, je n'apperçoy encores, pour aulcun semblant de ceste princesse, qu'elle vueille, en l'endroict de Vostre Majesté, ny du présent estat de voz affères, suyvre aultre dellibération que celle bonne qu'elle nous a déclarée, quand Mr de La Chastre estoit icy. Et, bien que ceulx, à qui cella ne peut playre, n'obmettent aulcune dilligence pour l'en cuyder divertyr, si espérè je qu'avec les gracieulx termes, dont Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aurez desjà gratiffié à son ambassadeur les honnorables démonstrations qu'elle a uzé en la confirmation de la ligue, nous pourrons fère qu'elle se tiendra assez ferme contre les menées et instigations des poursuyvans; en quoy je ne faudray, à la première dépesche qui me viendra de Vostre Majesté, de l'aller encores, de plus en plus, confirmer en son bon propos. Il m'est bien venu, Sire, d'ung mesmes lieu, et en une mesme heure, deux et troys advis pour me fère assés doubter d'elle: l'ung est, qu'après une assemblée de son conseil, à laquelle ont concouru les ministres et aulcuns des plus apparantz suppostz de ceulx de la nouvelle religyon, la dicte Dame a soubdain mis sus ung emprunt de soixante mille livres esterlin, la moytié sur ceste ville de Londres, un sixiesme sur le clergé et les 414 aultres deux sixiesmes sur le commun du royaulme; qui sont deux centz mille escus en tout à estre payez, le plus tost que fère se pourra, par ses lettres qu'ilz appellent Privez Selz, lesquelz l'on dépesche en grand dilligence. Et l'autre advis porte que, en mesme temps, Mr de Méru a eu à dire à quelque personnage de ceste court, que, ayant chascung de ses deux frères bien pourveu, là où ilz sont, à leur faict, et que n'ayant luy moins heureusement négocié, icy, de sa part, il dellibéroit de s'en retourner, à ceste heure, en Allemaigne, puisque Mr de Turenne s'estoit desjà déclaré, affin de haster Mr le Prince de Condé aulx entreprinses qu'il a entre mains. Et le troysiesme advis est qu'on poursuyt, en ceste court, plus chaudement qu'on n'a encores faict, une description de cappitaynes et de soldatz, et ung apprest de navyres de guerre; ce que aulcuns veulent interpréter que tout cella se faict en faveur des eslevez de vostre royaulme.

De quoy, pour l'instabilité des Angloix et l'extrême passion qu'ilz ont à leur religyon, et la peur qui les tient tousjours, de laquelle ilz ne se peuvent jamays deffère, du faict de la Royne d'Escosse, je ne me veulx trop persuader qu'il n'eu puisse estre quelque chose. Mais je mezure bien aussy que tout cest appareil n'excède de guyères ce qui faict besoing à la dicte Dame pour son entreprinse d'Irlande, à laquelle elle est comme engagée, et faut qu'elle y pourvoye promptement pour ne rien perdre de la sayson de l'esté; car les aultres troys saysons de l'an sont inutiles à la guerre de delà. Et puis je veulx présumer qu'elle ne voudra si tost aller contre ce qu'elle vient tout freschement de vous promettre par la susdite confirmation de la ligue. Et, au pis aller, il faudra avoyr 415 l'œil bien ouvert sur ce qu'elle entreprendra, affin que rien ne s'en puisse addresser contre Vostre Majesté que n'en soyez auparavant apperceu. Et, pour le présent, je vous, diray, Sire, qu'il y a, à la vérité, deux navyres, de la dicte Dame dehors, lesquelz sont allez convoyer la flotte de Hembourg, et il s'en appreste quatre aultres, et puis il en doibt sortir promptement six des particulliers. Et j'entends que, en Ollande, l'on prépare à furie d'en mettre quelque nombre dehors; en quoy je crains bien que l'ambassadeur d'Angleterre, par le courrier qui est arryvé, icy, le XVIe de ce moys, ayt escript que Vostre Majesté a une secrette dellibération d'aller promptement assiéger par mer et par terre la Rochelle, et qu'il ayt donné une grande allarme de l'armement de Bretaigne. Dont, à toutes advantures, il sera bon, Sire, que faciez promptement advertyr voz cappitaynes, qui sont sur mer, et pareillement les gouverneurs, du long de la coste de deçà, qu'ilz se donnent garde de ces deux appareils de Ollande et d'icy.

L'on m'a dict aussy que la dicte Dame a eu des lettres d'ung sien serviteur secret, qui est en Escosse, lequel la mect en peyne des choses de dellà comme si la part françoyse y estoit plus relevée que jamays, et que le comte de Morthon soit pour s'y laysser ramener; ce que j'estime luy avoyr esté escript à poste par la praticque d'aulcuns d'auprès d'elle. Tant y a qu'elle a faict une prompte dépesche à Barwyc, par laquelle elle mande qu'on en examine bien le faict, affin d'envoyer, puis après, Me Quillegreu par dellà, s'il est cognu qu'il en soit besoing.

L'ung des principaulx entreméteurs de la paix des Pays Bas a escript à ung sien amy, en ceste ville, et j'ay veu la lettre, que, encor que les choses semblent estre accrochées 416 à des difficultez non petites, et mesmement au poinct de la religyon, et à la tenue des Estatz, et à fère sortyr les estrangers hors du pays, si voyoit il néantmoins qu'on en viendroit, à la fin, en accord. Et semble bien à ceulx cy que la nouvelle qu'ilz ont: comme l'Empereur s'en va conclurre le mariage du roy de Hongrye, son filz ayné, avec la fille du duc de Saxe, facilitera davantage le dict accord, et baillera ung grand moyen au dict roy de Hongrye de parvenir à l'élection du roy des Romains. Et sur ce, etc. Ce XXe jour d'apvril 1575.

CCCCXLVIe DÉPESCHE

—du XXVIe jour d'apvril 1575.—

(Envoyée jusques à Calais par le secrétère du président de Toulouze.)

État de la négociation de la paix en France.—Assurance que les préparatifs faits en Angleterre sont dirigés contre l'Irlande.—Conférence de l'ambassadeur avec l'envoyé du roi d'Espagne.

Au Roy.

Sire, à l'occasion du retour du Sr de Vassal et de la dépesche qu'il m'a apportée, de Vostre Majesté, du XIIIe de ce moys, j'ay estimé qu'il estoit expédient d'informer ung peu mieulx ceste princesse et les siens de voz nouvelles et de l'estat des choses de dellà, qu'il ne sembloit que leur ambassadeur les leur eût ainsy proprement escript comme elles sont: car ilz tenoient entre eulx que le traicté de paciffication en vostre royaulme ne prenoit aulcun bon commancement; et que Mr de Beauvoys La Nocle, qui estoit venu, jusques bien près de Paris, pour vous apporter les articles de la demande des eslevez, ayant eu advertissement 417 qu'on luy vouloit fère ung très maulvais tour, s'en estoit fouy en la plus grande haste qu'il avoit peu, et qu'encor qu'on s'efforçât de traicter avec les aultres depputez, et que l'on en corrompît quelques ungs, que néantmoins tout ce qu'ilz feroient n'auroit point d'aucthorité, et qu'il estoit tout apparant que, sans la liberté des deux mareschaulx et sans le consantement des aultres troys frères de Montmorency, l'accord ne succèderoit jamays; que cepandant la guerre continuoit tousjours, et qu'en la Guyenne au comte Martinengue avoit esté deffaictes quatre ou cinq compagnies d'arquebuziers, et luy contrainct se saulver dans ung prochain fort; et que Vous, Sire, sentiez plus et estiez beaucoup plus fasché que Mr de Turène eût prins les armes que de tout ce que Mr de Dampville, son oncle, avoit faict jusques icy; et que ceulx de la Rochelle avoient gaigné une victoyre sur mer contre les Bretons; que Vostre Majesté se trouvoit en une extrême nécessité d'argent, et que mesme la Royne Veufve, par faulte que ne luy en pouviez bailler, demeuroit d'aller voyr sa fille jusques à Bloys, avec d'aultres particullaritez qui n'estoient à l'advantage de voz affères.

A quoy, par le contenu de ce qu'il vous avoit pleu m'escripre, et de ce que le dict Sr de Vassal m'avoit rapporté de parolle, il y a esté satisfaict le mieulx que j'ay peu, de sorte que chascung demeure maintenant plus capable de la vérité. Et ne sentz poinct, Sire, que cella ayt faict, ny soit pour fère encores de mutation icy; ains j'espère que, venant bientost, icy, l'acte de vostre sèrement et de vostre plus ample confirmation du traicté de ligue, et la lettre de déclaration que ceste princesse attand de vostre main, qu'elle persévèrera plus constante que jamays vers Vostre Majesté, 418 se commançant desjà bien à cognoistre que l'emprunct des deniers et l'apprest qu'elle a commandé de fère, ainsy que par ma précédante je le vous ay escript, est principallement destiné pour l'Irlande.

J'ay, ces jours passez, pryé le docteur fiscal de Bruxelles à dîner en mon logis, et l'ay honnoré comme ambassadeur d'Espaigne. Néantmoins il m'a dict que ceste princesse, avec beaucoup de faveur, l'avoit bien receu, non à dire vray pour ambassadeur, mais pour agent, sur les lettres qu'il luy avoit apportées du Roy, son Mestre, par lesquelles il promettoit d'observer et tenir ce que desjà avoit esté, et seroit, après, négocyé par luy; et que, en attandant la détermination que le dict Roy, son Mestre, et elle prendroient sur la mutuelle résidence des ambassadeurs de l'ung auprès de l'autre (et qu'en cas qu'ilz s'en accordassent que seroit luy ou bien don Bernardin de Mendossa qui seroit ordonné en ceste place), il continueroit de mettre à effect les aultres bons accords, qui estoyent desjà comme arrestez entre ces deux pays pour leurs commerces et entrecours. Et en devisant avec luy, il m'a discouru ce qui s'estoit passé jusques icy au traicté de la paix de Flandres, et que, encor que les depputez se fussent retirez, et que le comte de Sualsembourg s'en fût retourné vers l'Empereur, ce n'estoit que pour en venir tant mieulx à une bonne conclusion; et que, ce matin mesmes, il venoit de recepvoyr des lettres de dellà qui le mettoient hors de tout doubte que la dicte paix ne deût bientost et bien heureusement succéder, parce qu'on l'advertissoit qu'ung bien honneste moyen de seureté avoit esté mis en avant, lequel le Roy Catholicque ne refuzeroit nullement de bayller; et que le prince d'Orange et les eslevez 419 s'en tiendroient pour bien contantz. Et sur ce, etc.

Ce XXVIe jour d'apvril 1575.

CCCCXLVIIe DÉPESCHE

—du dernier jour d'apvril 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Négociation de l'ambassadeur pour Marie Stuart.—Arrivée à Londres des députés de Bâle, chargés de solliciter des secours pour les protestans de France.—Élection du roi comme chevalier de l'ordre de la Jarretière.

Au Roy.

Sire, parce que la Royne d'Angleterre avoit monstré de ne prendre en bonne part la négociation que luy aviez faicte fère pour la Royne d'Escosse, affin de mieulx cognoistre si ce qu'elle nous en avoit respondu luy partoit, à bon esciant, de dedans du cueur, ou si c'estoit artiffice, je luy suis allé dire que j'avoys à luy fère ung peu de querelle de la rude responce, qu'elle vous avoit mandé, sur les honnestes propos que luy aviez faict tenir par Mr de La Chastre en faveur de ceste princesse.

A quoy soubdain, sans me laysser passer plus avant, elle m'a respondu que je serois tout esbahy, si je sçavois ce qu'elle avoit faict davantage, car, par la lettre qu'elle avoit escripte, de sa main, à la Royne, vostre mère, elle luy avoit mandé qu'elle ne luy layrroit passer ceste grande faute d'avoyr permis que Vostre Majesté fût entrée en renouvellement de ligue avec elle par ung si mal considéré commancement que celluy là; et mesmes s'estoit pleincte à elle que je ne m'estois monstré, icy, guyères moins ambassadeur de la Royne d'Escoce que le vostre.

420 A quoy aussy, en ryant, je luy ay dict que, en cuydant taxer d'erreur Voz Très Chrestiennes Majestez, elle ne prenoit pas garde qu'elle manifestoit proprement le sien de vous reprocher les honnestes offices que faisiez pour vostre belle seur et parante, et pour vostre principalle allyée; lesquels offices je sçavoys qu'elle mesmes jugeoit assez que, sans grand reproche, vous ne les pouviez obmettre, et qu'il failloit bien qu'elle pensât de ne vous avoyr jamays pour amy, si elle ne vous vouloit aymer avec toutes les circonstances de vostre honneur et dignité; et que, pour mon regard, je n'avoys jamays attainct de fère, à beaucoup près, pour la dicte Dame, tout ce que Vostre Majesté m'en avoit commandé, dont je ne creignoys d'estre blasmé de l'excez; et que, de tant que je sçavoys qu'à présent elle n'avoit aulcune matière d'offance ny de courroux contre elle, que je ne layrroys pourtant cella de luy communicquer une sienne lettre que j'avoys naguyères receue, laquelle luy feroit venir à regret que, pour son regard, elle ne vous eût plus agréablement satisfaict.

Et, la luy ayant baillée, elle l'a fort volontiers serrée dans sa pochette, et m'a pryé de la luy laysser pour la lyre à son loysir. Qui ay bien cognu depuis, Sire, qu'elle y avoit trouvé des particullaritez qui l'avoient contantée, dont elle a contanté aussy de quelques aultres la dicte Dame; et a permis que Me Jehan de Compiègne, son tailleur, avec plusieurs besoignes qu'il a apportées de Paris, la soit allé trouver.

Ceste difficulté n'a esté sitost vuydée qu'il s'en est présenté incontinent une aultre, plus grande, de troys gentilshommes, l'ung françoys, l'autre allemand et l'autre flammand, lesquelz, ayant esté naguyères dépeschés par 421 l'assemblée qui a esté tenue à Basle, sont venus incister à ceste princesse et au clergé de ce royaulme en des demandes bien grandes pour ceulx qui ont prins les armes en faveur et deffence de ceulx de la nouvelle religyon; lesquelles demandes je n'ay peu encores bien approfondyr, à la vérité, quelles elles sont; tant y a qu'il semble que les évesques d'icy y vont assez inclinant. Néantmoins il a esté si bien pourveu au reste, que je ne descouvre nullement que ceste princesse ny ceulx de son conseil ayent, pour encores, aulcune dellibération de leur rien accorder.

Et, au contrayre, il est advenu, contre ce qu'ilz espéroyent, et au regret de plusieurs aultres poursuyvantz en ceste court, que le jour de St Georges, et tenant le chapitre de l'ordre de la Jarretyère, à Grenvich, la dicte Dame a faict que Vostre Majesté y a esté esleu chevalyer du dict ordre; dont le comte de Lestre s'en est incontinent envoyé conjouyr avecques moy, avant qu'il en ayt esté rien divulgué. Et, le jour ensuyvant, elle a envoyé troys honnestes gentilshommes de sa court, du nombre de ses pensionnayres, dont l'ung est son parant, devers moy, pour me notiffyer la dicte élection, et comme elle n'avoit voulu permettre que ce chapitre se passât sans qu'elle se fît; et qu'aussytost qu'elle entendroit que Vostre Majesté l'auroit agréable, elle ne faudroit de vous dépescher ung personnage d'honneur et ung seigneur de qualité pour vous aller apporter le dict ordre. Je l'ay infinyement remercyée de ceste marque, et de l'évident tesmoignage qu'elle vous rend, en cella, de son indubitable amityé, et que je ne tarderoys de le vous fère bientost sçavoyr; luy osant desjà bien advancer cella, en vostre nom, qu'elle n'eût peu fère eschoyr ceste élection en l'endroict de nul autre 422 prince de la Chrestienté qui mît plus de peyne d'honnorer son ordre, et de l'accepter en très bon gré, que Vostre Majesté feroit: dont vous supplye très humblement, Sire, m'y fère promptement, et par voz premières, ung mot de responce. Sur ce, etc. Ce XXXe jour d'apvril 1575.

CCCCXLVIIIe DÉPESCHE

—du VIe jour de may 1575.—

(Envoyée à Callais expressément par le Sr Biscop.)

Vives instances des députés de Bâle à l'effet d'obtenir des secours pour les protestans de la Rochelle.—Réclamations des Anglais pour que justice leur soit rendue en France.—Nouvelles d'Écosse.—Plaintes de l'ambassadeur à raison du dénuement où il se trouve.

Au Roy.

Sire, comme ceste princesse estoit après à dellibérer, avec ceulx de son conseil, si elle debvoit, ou si elle ne debvoit pas, fère promptement mettre les douze navyres, dont je vous ay cy devant escript, (sçavoyr est: six des siens, et les six aultres des particulliers), en mer, il y en a qui sont expressément allez la persuader que, pour occasion du monde, elle ne voulût laysser de les fère sortir, attandu que, de Normandye et de Bretaigne, il y en avoit desjà ung bon nombre sur mer dehors. Et s'en est bien peu failly, à l'instance des depputez de Basle, et d'aulcuns venus de la Rochelle, lesquelz se sont tout à poinct présentez là dessus en ceste court, lorsque Mr de Méru y estoit, que la résolution n'en ayt esté prinse, et mesmes que aulcuns de ce conseil, qui inclinoyent à cella, opinoient que ce seroit chose fort à propos pour favoriser l'entreprinse 423 d'Irlande. Mais, quand j'ay eu, soubz main, remonstré qu'il ne pourroit estre que Vostre Majesté n'en prînt de la jalousye, attandu que vous aviez faict donner advis à la dicte Dame de tout ce que vous aviez sur mer, et de ce qu'entendiez y mettre davantage, ensemble de son armement; et que vous sçaviez assez que, pour l'Irlande, il ne luy faisoit besoing d'aultres vaysseaulx que de passagers pour y trajetter des hommes; et que je croy aussy que, en mesmes temps, le conseiller fiscal de Bruxelles, (lequel est après à renouveller les accords d'entre les pays du Roy d'Espaigne avec ce royaulme, d'autant que leur trefve, qui n'avoit esté prinse que pour deux ans, est expirée, à ce premier jour de may), a aussy remonstré que son Mestre auroit cella pour suspect; il a esté résolu que, pour ceste heure, cest armement ne passeroit plus oultre, et qu'il seroit remis jusques à ce que la dicte Dame vît si, pour quelque occasion qui luy peût cy après survenir, qui luy fût plus grande qu'elle n'en avoit à présent, elle seroit meue de le parachever.

Et sur cella j'entends qu'il luy est arryvé, de son ambassadeur, ung pacquet, lequel luy a donné assés de satisfaction du bon rapport qu'a faict d'elle et des choses de deçà Mr de La Chastre, et comme il vous a pleu commander à icelluy mesmes Sr de La Chastre, et à Mrs de Limoges et de Chiverny, d'aller apporter beaucoup d'honnestes et agréables mercyementz, de vostre part, à son dict ambassadeur; ce qui l'a grandement contantée. Mais il semble bien qu'il ne luy ayt donné guyères d'espérance que vueillés pourvoir aulx particullières demandes qu'elle vous a mandé fère pour aulcuns de ses subjectz. De quoy elle et ceulx de son conseil demeurent fort escandalizés, et disent 424 qu'il n'est pas possible que l'amityé se puisse conserver entre Voz deux Majestez, si la justice n'est mutuellement, là et icy, administrée à voz communs subjectz. Et pour ceste occasion, ilz m'ont faict tomber une lettre entre mains que Me Chambernon m'a escripte pour fère que, par la presse que cestuy faict de son affère, Vostre Majesté cognoisse combien ceste princesse est pressée, de plusieurs aultres des siens, de leur pourchasser quelque rayson et restitution en France.

J'ay faict recepvoyr en bonne part à milord de St Jehan, l'escossoys, la responce que m'aviez commandé de luy fère, lequel se contantera qu'il vous playse luy envoyer une vostre lettre de protection; car il proteste que ce n'a esté pour gain ny pour ambition qu'il s'est adressé à Vostre Majesté, ains pour la servitude qu'il vous porte, et pour la naturelle affection qu'il porte à vostre couronne, et qu'il espère bien de fère que ce tesmoignage de vostre faveur, que vous luy donrez maintenant, servira de beaucoup à establir l'authorité de vostre nom et celle de vostre alliance en Escosse, et qu'il vous y regaignera cinq centz, voyre mille gentilshommes pour fère entièrement ce que vous leur commanderez. L'on m'a dict que, au dict pays, la noblesse et le peuple sont après à déposer, toutz d'ung accord, le comte de Morthon de la régence pour la bailler à l'ung des enfans du feu duc de Chastelleraut, ou bien au comte de Honteley: qui seroit chose peu agréable en ceste court. Je mettray peyne d'en avoyr plus de certitude, affin de le vous mander par mes premières. Et sur ce, etc.

Ce VIe jour de may 1575.

425

Par postille à la lettre précédente.

Sire, vostre service souffre icy du détriment beaucoup, et moy de la honte bien grande et une nécessité insupportable, pour le tort, que le Sr Scipion Sardiny me faict, de ne me vouloir payer les assignations que Mr le trézorier de l'espargne m'a, dez l'année passée, baillée sur luy; qui vous supplye très humblement luy commander qu'il ayt à les acquitter tout promptement aulx Srs Macey et Cevany pour le Sr Acerbo Velutelly; lequel prétend de me fère mettre en arrest, pour troys mille escus qu'il m'a desjà advancez, et pour l'intérest des troys foyres que le dict Sardiny a layssé passer sans le vouloyr contanter.

CCCCXLIXe DÉPESCHE

—du XIIe jour de may 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Intrigues pour forcer Élisabeth à prendre le parti des protestans de France.—Négociation du roi d'Espagne avec l'Angleterre.—Affaires d'Écosse.—Nouveau danger de Marie Stuart.—Poursuites faites à raison de lettres qui lui ont été adressées.—État de la négociation de la paix en France.

Au Roy.

Sire, celluy secrettayre Wilx, angloys, qui accompaignoit le secrettayre de Mr de Méru, quand il fut prins à Bouloigne, est retourné, icy, depuis quatre ou cinq jours, avec plusieurs lettres et dépesches qu'il a apportées d'Allemaigne et de Basle à ceste princesse, et à ceulx de son conseil, et pareillement à Mr de Méru, et aulx ministres françoys et flammantz qui sont en ceste ville. Et soubdain, ceulx, qui sont superintendantz des affères de ceulx de la nouvelle religyon, se sont assemblez pour dellibérer du contenu des dictes dépesches; et, le lendemain, Mr de Méru, avec l'ung d'eux, est allé à Grenvich, où il a estroictement conféré avec troys de ce conseil: et y est convenu ung nommé 426 le Sr de Martinez, agent de Mr de Laval, et troys cappitaines ou gentilshommes françoys, de ceulx qui souloyent suyvre le feu comte de Montgommery. Dont j'entendz qu'il y a esté mis en avant beaucoup de propositions pour essayer de tirer d'icy, en une façon ou aultre, des deniers et des hommes et des vaysseaulx, et aultres moyens, en faveur des eslevez de vostre royaulme; et mesmes de fère que ceste princesse se voulût déclarer pour eulx en ce qui concerneroit la deffance de leur religyon, luy assurant le dict Wilx, oultre la teneur des lettres, que, pour chose très certayne, le Prince de Condé armoit bien grossement. Et celluy, que j'ay mis après pour descouvrir ce qui résulteroit de toutes ces dellibérations, m'a mandé qu'il n'estoit pas possible, pour encores, de le sçavoyr, parce que nulle chose au monde estoit menée plus secrettement ny plus à couvert que ceste cy; néantmoins, sellon qu'il le pouvoit comprendre pour la démonstration que faisoyent les plus passionnez, il sembloit bien qu'ilz ne peussent aysément mouvoyr la dicte Dame à leurs desirs, mais qu'il estoit bien à craindre qu'enfin ilz obtînsent d'elle qu'elle dissimuleroit ce que le clergé et les particulliers de ce royaulme voudroient fère en cest endroict. Sur quoy, Sire, au premier sentiment que j'auray de chose aulcune qui puisse, tant soit peu, manifester leurs dictes dellibérations, je ne faudray de vous en donner incontinent advis, vous voulant cependant bien assurer que la dicte Dame n'a envoyé aulcun nouveau mandement à ses navyres, et qu'elle a faict surçoyr, pour quelque temps, l'emprunct des deux centz mille escus dont je vous avoys faict mencion.

Les choses, que le docteur fiscal de Bruxelles avoit à négocyer en ceste court, ne sont si facillement venues à 427 conclusion comme il espéroit; et semble qu'elles vont en longueur. Néantmoins il se promect de fère que la mutuelle résidance des ambassadeurs sera accordée entre le Roy, son Mestre, et ceste princesse; par le moyen de quoy toutes les aultres difficultez seront bientost vuydées entre eulx; et il en est entré en plus d'espérance, depuis troys jours qu'il a eu à présenter à la dicte Dame une lettre, de la main de son dict Mestre, qui la remercye sans fin de l'honneste offre qu'elle luy avoit faicte de ses navyres et hommes contre le Turc; et y a adjouxté beaucoup de bonnes et expresses parolles d'amityé qui l'ont grandement contantée.

L'on a eu craincte, icy, de quelque altération vers le North, d'autant que d'Escosse l'on avoit transporté en la frontyère de deçà, ez mains de milord de Scrup, gardien d'icelle, une jeune hérityère, bien riche, contre le vouloyr du comte de Morthon, qui prétandoit d'en avoyr la garde noble, et de la maryer à quelqu'ung de ses parantz; mais la Royne d'Angleterre a mandé qu'on la luy rendît, dont cella n'a passé plus oultre.

Il se faict, icy, une grande recherche sur la Royne d'Escosse; et a l'on mis desjà cinq personnages de qualité dans la Tour, et examiné deux milords, et envoyé quérir troys serviteurs du comte de Cherosbery pour vériffyer par qui et commant ont esté conduictz les pacquetz et chiffres de la dicte Dame, et quelle négociation elle en a menée avec Guoaras; agent du Roy d'Espaigne. Je fay tout ce que je puis pour modérer cella, et ne discontinue poinct, pour toutes ces traverses, les gracieuses négociations; et de fère ordinayrement tenyr de petitz présentz et des lettres et aultres honnestes entretiens, de la part de la dicte Dame, 428 à la Royne, sa cousine, laquelle ne les a encore rejettez; mais je crains fort que ses ennemys parviendront enfin à ce qu'ilz prétandent: de la fère oster des mains du comte de Cherosbery. En quoy je feray bien tout ce qu'il me sera possible pour les en garder.

L'on m'a dict que les ministres françoys, qui sont icy, ont receu freschement une forme d'articles que les depputez, qui sont à Paris, leur ont envoyé, avec les responces de Vostre Majesté; et qu'ilz disent qu'ilz ne voyent pas, par là, que les choses aillent ainsy clères et nettes, comme il seroit requis pour parvenir à une bonne paciffication. Sur ce, etc. Ce XIIe jour de may 1575.

CCCCLe DÉPESCHE

—du XVIIIe jour de may 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Chevalyer.)

Résistance d'Élisabeth aux sollicitations des protestans de l'Allemagne et de la Suisse.—Négociation des Pays-Bas.—Poursuites à raison des lettres adressées à Marie Stuart.—Nouvelles d'Écosse.

Au Roy.

Sire, il a esté, à ce coup, bien difficile de résister à l'effort qu'avec les dépesches d'Allemaigne et de Basle, et l'instante sollicitation d'aulcuns, qui sont icy, l'on a faict à ceste princesse, pour la cuyder tirer au contrayre party de voz présentz affères; et me suys trouvé assez empesché comme y remédier, parce que je n'avoys de quoy luy aller ouvrir aulcun propos, qui vînt de vostre part, pour m'achemyner à ceulx qu'il y failloit oposer. Néantmoins il a pleu à Dieu ne me deffaillyr en cest endroict par la bonne inclination 429 que la dicte Dame a de vous garder la paix, et de ne rompre d'amityé avecques vous. J'entendz qu'elle a pryé aulcuns de ses plus expéciaulx conseillers d'adviser des expédientz honnestes comme la descharger elle, et se descharger à eulx, de ces tant grandes importunitez; et que, en quelle sorte que les choses puissent aller pour ceulx qui recherchent de la faveur et du secours de son royaulme, elle ne vouloit estre meslée avec eulx en rien qui luy peût susciter de l'altération avec Vostre Majesté ny avec le Roy d'Espaigne, jusques à ce qu'elle vît mieulx comme, l'ung et l'autre, vous déporteriez vers elle. Sur cella, l'on n'a pas ozé la presser davantage de l'armement de ses navyres, lesquelz demeurent en ung demy appareil; et si, s'est contantée, quand à l'emprunt de deux centz mil escuz, que ceulx de Londres luy en ayent presté contant, pour ung an, soixante six mille, affin de les employer en sa guerre d'Irlande.

Les négociations de Flandres ne s'advancent guyères, parce que le docteur de Bruxelles est ung peu malade; et ceulx cy ne veulent procéder à la publication contre les fuitifz des Pays Bas que le plus tard qu'ilz pourront. Néantmoins aulcuns des principaulx de ceste court monstrent de prendre bien à cueur que les choses demeurent imparfaictes avec le Roy d'Espaigne.

L'examen se poursuyt vifvement et sans intermission contre ceulx qu'on a mis dans la Tour par souspeçon de la Royne d'Escosse. L'on m'a dict qu'on ne tire encores que choses légères et de peu de moment de leur audition; néantmoins l'on est à dellibérer, dans ce conseil, si la dicte Dame sera eschangée des mains du comte de Cherosbery, ou bien si l'on luy ordonnera à luy de la fère observer de 430 plus près qu'il n'a faict jusques icy. Je ne sçay où en ira encores la résolution, tant y a que je incisteray, aultant qu'il me sera possible, qu'elle aille tousjours au mieulx.

Les choses d'Escosse se maintiennent encores assez paysibles, et a esté tenu à Lislebourg une forme d'Estatz, où les principaulx de la noblesse ont convenu, et s'en sont retournez assez contantz; et mesmes le comte d'Arguil a satisfaict, en présence des Estatz, aux bagues de la couronne, que le comte de Morthon demandoit à sa femme et en a emporté son acquict. Il n'y a esté, à ce que j'entendz, rien dict, faict, ny ordonné, au préjudice de vostre alliance; et Quillegreu, ny nul aultre, pour la part d'Angleterre, n'y a assisté. Il semble que, d'icy à quelques moys, l'on se doibt, de rechef, assembler au dict Lislebourg pour adviser s'il sera bon que le jeune Prince commance de prendre estat, et qu'il sorte d'Esterling, pour se monstrer au peuple, et qu'il aylle se promener par le pays; en quoy ne se sçayt encores comme l'on en dellibèrera, ny si l'on y peysera bien toutes les circonstances et inconvénientz qui en pourroient advenir.

J'attandz avec grand desir mon successeur, et attandz avec très grande dévotion de voz nouvelles, s'esbahyssant ceste princesse que, depuis le retour de Mr de La Chastre, il ne m'est arryvé ung seul mot de vostre part pour luy dire. Sur ce, etc. Ce XVIIIe jour de may 1575.

431

CCCCLIe DÉPESCHE

—du XXVIe jour de may 1575.—

(Envoyée exprès à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Remerciement de l'ambassadeur pour l'élection du roi comme chevalier de la Jarretière.—Serment prêté par le roi sur la confirmation de la ligue.—Demande afin qu'Élisabeth remplisse les nouvelles formalités auxquelles le roi s'est soumis.—Son refus de prêter un nouveau serment motivé sur ce qu'elle a déjà juré le traité.—Renvoi au conseil de cette difficulté.—Déclaration de la reine que, par suite du retard mis à acquitter en France une créance due à un anglais, il lui a été donné autorisation de se payer par lui-même sur les biens des Français.—Vives réclamations de l'ambassadeur contre cette résolution.—Délibération du conseil.—Instance pour que la reine déclare formellement à son ambassadeur auprès du roi, qu'elle desire la pacification en France.

Au Roy.

Sire, la veille de la Pantecoste, j'ay esté à Grenvich, où, d'arryvée, la Royne d'Angleterre m'a reproché que je l'avoys quasy oublyée; et je luy ay dict que je ne vouloys nullement excuser ma faulte d'avoyr esté plus longtemps que je ne debvoys à l'aller trouver, et que je cognoissoys très bien que ce que, depuis deux moys en çà, elle avoit faict vers Vostre Majesté, aultant honnorablement qu'il se pouvoit dire ny desirer au monde, méritoit bien que je luy usasse de plus grand debvoir, mais que j'avoys différé de venir à elle pour attandre qu'il me vînt quelqu'une de voz dépesches, après le retour de Mr de La Chastre; et vous aviez si continuellement esté occupé à ouyr les depputez de voz subjectz, que ne m'en aviez peu fère pas une, jusques à celle de maintenant.

De laquelle, premier que de traicter rien de ce qu'elle contenoit, je la vouloys bien fort humblement remercyer 432 du soing qu'elle avoit eu, au dernier chapitre de son ordre, de vous fère eslire ung des chevalyers de la Jarretyère; qui estoit une suyte de ses bonnes démonstrations vers vous, par lesquelles elle faisoyt foy, à toute la Chrestienté, qu'elle vouloit avoyr beaucoup d'amityé et de bonne intelligence avecques Vostre Majesté; et que les troys gentilshommes, qu'elle m'avoit envoyez pour me le signiffier, n'avoyent rien, obmis de ce qui pouvoit servir à l'ornement de ce propos, et de m'assurer qu'aussytost qu'elle pourroit sçavoyr que vous l'auriez agréable, qu'elle vous dépescheroit ung seigneur de qualité pour vous aller apporter le dict ordre, ce que je vous avoys tout aussytost mandé; qu'elle ne sçauroit avoyr faict eschoyr ceste élection sur prince de la Chrestienté qui mette plus de peyne, que vous ferez, d'honnorer son dict ordre, et de l'accepter de très bon cueur.

Elle m'a respondu que, voyrement, avoit elle voulu fère cecy pour ung acte patant à ung chascung de la confirmation d'amityé et de plus estroicte intelligence qu'elle avoit avec Vostre Majesté; et que, si elle eût eu quelque aultre chose de plus présant et de plus grand en sa puissance, elle eût mis peyne de vous en honnorer; et que elle espéroit qu'ainsy que les feus Roys, voz bisayeul, ayeul, père et frère, ne l'avoyent refuzé de la main des prédécesseurs Roys de ceste couronne, qu'aussy Vostre Majesté ne dédaigneroit de l'accepter maintenant de la sienne.

J'ay suivy à luy dire que vous me commandiez, par ceste vostre dernière dépesche, de luy bien tesmoigner l'ayse et grand plésir qu'aviez eu d'entendre, par Mr de La Chastre, qu'elle avoit bien et agréablement receu la première négociation que luy aviez envoyée, avec toutz les poinctz qu'elle contenoit, comme elle avoit grandement 433 caressé et bien traicté vostre ambassadeur et toutz les gentilshommes françoys qui estoyent avecques luy; de quoy vous la vouliez, de tout vostre cueur, infinyement remercyer, ensemble de la bonne et prompte volonté dont elle vous avoit, sans excuse ny difficulté, ny sans remise aulcune, accepté en la ligue commancée avec le feu Roy, vostre frère, et de vous en avoyr expédyé ung acte en termes de grande amityé et qui vous attribuoyent beaucoup d'honneur et de louange; et aussy que, en beaucoup de sortes, et par plusieurs de ses propos, elle vous avoit clèrement signiffyé son intention et la bonne affection qu'elle vous portoit; mesmes, lorsque, voyant retirer ung dogue mort d'entre les pattes de l'ours, elle avoit souhayté qu'ainsy fussent toutz les ennemys de Vostre Majesté. Qui estoyent toutes démonstrations qui vous avoyent extrêmement contanté, et vous la vouliez bien pryer de croyre qu'elle les avoit colloquées en l'endroict du meilleur et plus certain de ses amys, et du plus recognoissant prince, d'entre toutz ceulx de son alliance; et que à nulle aultre promesse, que vous eussiez jamays faicte, vous n'aviez plus allègrement ny plus volontiers obligé vostre foy et sèrement, qu'à celle de son amityé et de la confédération que vous aviez avec elle; et que, tout ainsy que vous la luy aviez sollennellement jurée, qu'ainsy la luy garderiez vous très sainctement et de bonne foy; et n'y auroit occasion du monde, ny persuasion de personne vivante, qui vous en peût destourner. En confirmation de quoy, vous luy envoyez la lettre, de vostre main, qu'elle avoit demandée.

La dicte Dame, avec beaucoup de plésir, a soubdein prins, et leu, et releu, fort curieusement, la dicte lettre, ensemble la soubscription et la suscription d'icelle; et 434 l'ayant trouvée entièrement sellon son desir, elle m'a dict qu'elle avoit à se louer beaucoup de Mr de La Chastre et de moy, des bons et honnorables raportz qu'elle cognoissoit bien que nous avions faict et escript d'elle, et mesmes de ne vous avoyr cellé la particullarité de l'ours, qui estoit ung compte qu'elle me vouloit confirmer, de rechef, qui n'avoit nullement esté feinct, ny prins d'aylleurs que de la vraye affection de son cueur; et qu'il vous avoit pleu, de vostre costé, si parfaictement accomplyr tout ce à quoy le traicté vous obligeoyt vers elle, qu'elle restoit, à ceste heure, très estroictement obligée vers vous; de quoy elle avoit plus de playsir que de nulle aultre bien qu'elle eût en ce monde, et mettroit peyne de le conserver soigneusement, tant qu'elle vivroit, et de vous donner occasion que n'en sentissiez moindre bien ny moins de contantement de vostre part.

J'ay continué de luy dire que, oultre les quatre choses que vous aviez très libérallement accomplies en cest endroict, s'il en restoit encores quelqu'une à fère, de vostre costé, pour la rendre davantage assurée de vous, que vous vous y offriez de bon cueur, et estiez prest de l'accomplyr; et que, de mesmes, vous la priez qu'elle ne se grevât de vous contanter de troys aultres choses qui estoyent bien raysonnables, et d'une mutuelle satisfaction entre vous: la première estoit de vous renouveller son sèrement; la segonde, de vous escripre ung mot de sa main, au mesmes sens que vous aviez escript à elle; et la troysiesme, de procéder à l'établissement du commerce entre voz deux royaulmes, sellon la teneur du traicté.

Elle m'a respondu qu'elle, de son costé, ne mettroit nulle difficulté en nulle de ces troys choses, mais on luy 435 avoit remonstré, quand aulx deux premières, que vous aviez desjà, devers vous, le sèrement qu'elle avoit faict et la lettre qu'elle avoit escripte au feu Roy, vostre frère, qui l'obligeoient tout de mesmes à vous qu'elle s'estoit obligée à luy, et l'obligeroyent encores vers toutz les successeurs de vostre couronne qui voudroyent continuer en la ligue avec elle, et, par ainsy, qu'il n'estoit besoing de renouveller rien de cella; et quand au commerce, qu'elle vouloit, de bon cueur, que les choses s'effectuassent sellon le traicté.

J'ay réplicqué qu'encor qu'elle eût bien devers elle le sèrement et la lettre du feu Roy, vous ne luy aviez pourtant dényé vostre propre sèrement et vostre lettre, bien que le traicté ne vous obligeât qu'à luy signiffier simplement vostre intention; et, que pour ne donner lieu à nul escrupulles, je la supplyois qu'elle ne se voulût rendre difficile vers vous de ces deux choses, parce que l'une et l'aultre ne luy estoyent d'aulcun intérest à elle, et qu'après avoyr, Vostre Majesté, ouy là dessus son ambassadeur, vous n'aviez layssé de me mander de luy en continuer à elle mesmes vostre instance. Et n'ay rien obmis, Sire, de ce que j'ay estymé la pouvoir mouvoyr à n'y fère poinct de refus.

Sur quoy elle m'a pryé que j'en volusse conférer avec ceulx de son conseil, lesquelz avoyent aussy à me parler d'ung aultre affère, duquel elle leur avoit commandé me fère part, affin que je ne l'interprétasse nullement mal à Vostre Majesté: c'estoit que, pour satisfère ung de ses marchandz d'une certayne somme, de laquelle il avoit l'ordonnance de vostre conseil et lettres de vostre grand sceau, et vostre mandement au trézorier de vostre espargne 436 pour en estre payé, et n'en ayant, après une longue poursuyte et beaucoup de frays, peu rien obtenir, elle luy avoit concédé de pouvoir arrester par deçà du bien de quelque françoys jusques à la concourrance de la dicte somme, en transportant son debte au dict françoys, qui en pourroit, puis après, aller poursuyvre son rembourcement vers Vostre Majesté.

J'ay soubdain fermement incisté au contrayre de cella, et l'ay fort conjurée de n'admettre telles ouvertes, et n'outrepasser les termes des anciens traictés; mais je n'ay peu impétrer d'elle que le dellay d'ung moys pour vous en advertyr, lequel passé, elle vous prioit de la tenir pour fort excusée.

Les seigneurs de son conseil, qui estoyent assemblez en bon nombre, m'ont, au partir d'elle, fort volontiers escouté sur les remonstrances que je leur ay déduictes touchant ce dessus. Et, après les avoyr débatues, ilz ont advisé, quant à celles de la ligue, qu'ilz les yroient résouldre avec la dicte Dame pour, puis après, m'en fère avoyr entière responce. Dont, depuis, Mr de Walsingam m'a adverty, par le Sr de Vassal, qu'ilz s'opinyastroient, quand au sèrement, de ne se debvoir poinct réytérer; et quand à la lettre, qu'ilz la consentiroyent; et quand au commerce, qu'ilz le desiroient plus que nous, néantmoins qu'il ne se pouvoit establyr parmy les armes, tant que noz troubles dureront. Mais, pour le regard du faict du marchand, ilz se sont toutz, en ma présence, escriez qu'il n'y avoit rayson aulcune qu'après les grandes dilligences et poursuytes qu'il avoit faictes, et après les promesses de Mr le mareschal de Retz et aultres seigneurs, qui avoyent esté par deçà, lesquelles estoyent toutes réuscyes vaynes, 437 j'eusse maintenant extorqué de la dicte Dame ung nouveau dellay contre luy; et que ny les démonstrations, ny les œuvres, dont on usoit en France vers leur Mestresse, ne correspondoyent en rien aulx bonnes parolles et persuasions dont je l'entretenoys icy, ordinayrement; et que leur ambassadeur, après avoyr, de temps en temps et de lieu en lieu, tousjours esté remis de toutes ses demandes jusques à ce qu'on seroit à Paris, ne pouvoit avoyr communicquation avec Mrs de Chiverny et de Bellyèvre, auxquelz Vostre Majesté l'avoit renvoyé; et le renouvellement de la ligue méritoit bien qu'on procédât d'une plus franche et meilleure affection avecques luy.

Je verray ce que je pourray fère de mieulx en ma première audience; mais, de tant que la dicte Dame, pour quelque souspeçon de peste, a deslogé, dès lendemain de Penthecoste, de Grenvich, et s'achemine desjà en son progrès, je vous supplye, Sire, commander bien estroictement à Mr de Mauvissière que, sans excuse ny dellay quelconque, il s'en vueille dilligemment venir, car, autrement, je vous ay bien expressément escript qu'il en viendroit faulte et manquement à vostre service. Et sur ce, etc.

Ce XXVIe jour de may 1575.

A la Royne

Madame, j'ay tesmoigné à ceste princesse le grand playsir qu'avez eu de la continuation de la ligue d'entre le Roy, vostre filz, et elle, et comme vous promettiez bien que vous la rendriez d'éternelle durée tant que vous vivrés, du costé de dellà, si elle la sçayt et veut maintenir bien droicte, du sien; qui a esté ung propos qu'elle a eu 438 fort agréable. Et m'a respondu qu'elle vouloit franchement recognoistre de Vostre Majesté la conservation de la paix et de l'amityé que, depuis son advènement à ceste couronne, elle avoit tousjours eue avec la couronne de France, et qu'elle vous supplioyt de ne vous lasser encores de ce commun bien, duquel elle mettroit peyne que ne demeurissiez moins bien satisfaict d'elle qu'elle espéroit de l'estre tousjours bien fort de Voz Très Chrestiennes Majestez.

J'ay suivy à luy dire que vous m'aviez commandé de la prier confidemment, de vostre part, que, par la première dépesche qu'elle feroit à son ambassadeur, elle luy voulût adjouxter ung mot de telle expression qu'il cognût évidemment qu'elle vouloit et desiroit, sans feincte ny simulation aulcune, que la paix succédât en France: car on vous avoit rapporté que, ez secrettes conférances d'entre les depputez et luy, il leur donnoit entendre le contrayre.

Elle m'a respondu qu'il ne se pouvoit fère qu'il eût commis ung si meschant acte que celluy là, car c'estoit contre ce qu'elle luy avoit commandé de fère, et qu'elle sçavoit bien que les depputés avoient cherché d'avoyr communicquation avecques luy, mais qu'il s'en estoit excusé, et estoit aulcunement souspeçonné d'estre papiste, et que c'estoit luy mesmes qui l'avoit incitée de procurer la paix par dellà, et de offrir à Voz Majestez ce qu'elle y pourroit fère, comme elle l'avoit desjà faict; et qu'elle eût bien pensé de pouvoir mener ceulx de la nouvelle religyon à se contanter de moins que, possible, ilz ne feront; et qu'il y a quelque temps que le Roy d'Espaigne luy avoit bien faict dire, soubz main, qu'il auroit grand playsir qu'elle se voulût employer à luy moyenner une bonne paix en ses Pays Bas, après toutesfoys qu'il auroit essayé de l'y fère luy 439 mesmes, et que, depuis, il l'avoit pourchassée, l'espace de deux ans, et si, ne l'avoit pas encores; ny l'Empereur, lequel il y avoit employé, ne l'avoit guyères advancée; et qu'elle ne vous pouvoit, pour ce regard, prier de prendre ung plus salutayre conseil que de fère, commant que ce soit, et le plus tost que pourrez, la paix, ny vous offrir rien de mieulx en cella que ce qu'elle vous avoit desjà offert, qu'elle vous offroit encores de bon cueur; et vous assurer, au reste, qu'elle n'oublyeroit nullement l'article que demandiez, en la première lettre qu'elle escriproit à son ambassadeur. Et sur ce, etc. Ce XXVIe jour de may 1575.

CCCCLIIe DÉPESCHE

—du IIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Guybon.)

Bruit répandu à Londres que la négociation de la paix est entièrement rompue en France.—Affaires d'Écosse.—Sollicitations de l'ambassadeur auprès d'Élisabeth en faveur de Marie Stuart.—Espoir qu'il pourra bientôt y avoir un rapprochement entre les deux reines.—Le comte de Killdare et sa famille conduits prisonniers à Londres.

Au Roy.

Sire, parce que, à ce soubdain délogement que la Royne d'Angleterre a faict, le lendemain de Panthecoste, de Grenvich, à cause de la peste, la pluspart des seigneurs de sa court et les principaulx de son conseil se sont escartez en divers lieux pour prendre l'ayr des champs, je ne puis, jusques à ce qu'ilz soyent rassemblez près d'elle, retirer la responce des choses que je luy proposay dernièrement; mais j'espère que, bientost, ilz y seront toutz de retour, et qu'incontinent après je la vous pourray mander, 440 n'estant sans quelque apparence que les suppostz de la nouvelle religyon, lesquels, ces jours passez, ont esté en court, se soyent cepandant efforcez de m'y susciter de la difficulté. Et mesmes sur ce que l'ambassadeur d'Angleterre a escript, du XXIe du passé, que le traicté que Vostre Majesté avoit commancé entre les depputez de ceulx de la nouvelle religyon estoit entyèrement rompu, et eulx toutz retirez, sans aulcun espoyr d'accord; et que, depuis ung moys, Vostre Majesté s'estoit fort réfroidye de la paix contre ce qu'elle avoit auparavant monstré d'infinyement la desirer, je ne cesseray pourtant de solliciter la responce que j'attandz de la dicte Dame, et de m'oposer aulx pratiques d'iceulx suppostz aultant qu'il me sera possible, attandant la venue de mon successeur, duquel la longueur n'est plus excusable pour vostre service.

J'entendz que, de nouveau, l'on remect en terme le voïage de Me Quillegreu; et semble que ce soit pour deux occasions: l'une, pour fère souscripre le comte de Morthon et le conseil de dellà à la ligue de la nouvelle religyon, laquelle on tâche à renforcer plus que jamays; et l'aultre, pour accommoder certein grand différent, que les ministres et toute ceste sorte de clergé d'Escosse ont contre le dict de Morthon, sur ce qu'il veut applicquer le tiers des bénéfices du royaulme au revenu de la couronne. Je ne sçay si le dict Quillegreu se déportera avec plus de modération vers le nom et l'alliance de Vostre Majesté par dellà qu'il n'a faict, les aultres foys qu'il y est allé.

Il a esté besoing, pour la trop curieuse et aspre inquisition, qu'on faisoit icy contre la Royne d'Escosse, de fère une honneste et gracieuse mencion d'elle à la Royne, sa seur, et luy tesmoigner que sa droicte et bonne intention 441 vers elle méritoit, en toutes sortes, qu'elle eût plus de respect à elle, et ne luy dényât le premier et meilleur lieu que justement elle desiroit avoyr en sa bonne grâce. En quoy m'a semblé qu'encor qu'elle m'ayt ramanteu aulcunes traverses et empeschementz, que le susdict comte de Morthon, avec ses adhérentz, s'efforçoit d'y mettre, néantmoins elle n'a tant couvert ny dissimulé son cueur qu'elle ne m'ayt donné à cognoistre qu'elle n'estoit mal disposée vers elle, et qu'encor que les ennemys puissent bien retarder aulcunes de ses bonnes démonstrations vers elle, qu'ilz ne pourront toutesfoys jamays tant rompre les liens, dont Dieu et nature les ont conjoinctes ensemble, qu'elle ne luy rende tousjours ung honneste et honnorable debvoir de bonne parante. De quoy j'ay mis peyne d'en resjouyr et consoler, par ung mot de lettre, la dicte Dame, et luy conseiller qu'elle ne vueille discontinuer vers elle ses honnestes escriptz et ses gracieulx présantz; et j'espère que ceste aigreur, aussy bien que les précédentes, se réduyra à modération. Et mesmes y en a qui pensent qu'elles se pourront voyr en ce progrès: sur quoy se faict de bonnes et maulvaises interprétations.

Le comte de Quildar a esté admené prisonnyer, d'Irlande, ensemble la comtesse sa femme et ses enfans, et sont desjà mis soubz diverses gardes en ceste ville, attandant qu'ilz soyent examinez. Je mettray peyne d'entendre davantage de leur faict, ensemble de l'estat du pays de dellà, pour vous en donner advis par mes premières. Et, sur ce, etc. Ce IIe jour de juing 1575.

442

CCCCLIIIe DÉPESCHE

—du VIIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Annonce d'une audience.—Négociation de Mr de Méru avec les seigneurs du conseil.—Affaires d'Irlande.—Nouvelles des Pays-Bas.

Au Roy.

Sire, sur l'occasion de vostre dépesche, du XXIIIe du passé, laquelle j'ay recue le deuxiesme d'estui cy, j'yray demain trouver la Royne d'Angleterre à Athfeild, à dix huict mille d'icy, pour luy fère bien particullièrement entendre tout ce qu'il vous plaist me commander de luy dyre; qui espère qu'elle en recevra du contantement beaucoup, et qu'elle cognoistra combien de plus en plus vous dellibérez de procéder sincèrement vers elle, pour mériter qu'elle uze aussy de toute sincérité vers vous. Et parce qu'il semble qu'on luy ayt donné diverses interprétations d'aulcunes choses de Vostre Majesté, et mesmement de celles ès quelles elle prétend d'avoyr quelque intérest, et aussy des aultres qu'avez à desmeller avec voz subjectz, je mettray peyne de luy toucher les principaulx poinctz des unes et des aultres, affin que, des réponses qu'elle m'y fera, je puisse tirer tout ce qu'il me sera possible de son intention pour vous en rendre, par mes premières, bien informé, et que ne soyez sans cognoistre à quoy il vous faudra préparer pour les dellibérations qu'elle y pourroit prendre.

Mr de Méru a esté luy bayser la main depuis troys jours, non sans avoyr eu de la communicquation longuement et privéement avec les seigneurs de son conseil sur les advertissementz qui sont venuz de l'ambassadeur d'Angleterre, 443 et sur ceulx que les depputez luy ont envoyé à luy mesmes, avant qu'ilz soyent partis de Paris, touchant les difficultez de la paix; desquelles il semble qu'ilz les raportent toutes à celles de la seureté. Le cappitayne La Porte et le cappitayne Chat ont esté aussy bayser les mains de la dicte Dame; et, bien que le dict Sr de Méru face semblant de ne bouger de ceste ville, je sentz bien que l'ung des aultres deux ou toutz les deux prétandent de fère bientost ung voïage en Allemaigne. Cepandant quelques cappitaynes font, icy, semblant d'armer, et de lever des soldatz, et équipper des vaysseaulx de guerre, se continuant la voix que c'est pour aller aulx Pays Bas, les uns trouver le commandeur, les aultres le prince d'Orange. Je feray curieusement observer s'il y a rien contre la France.

Le comte de Quildar a esté ouy, et creignent, ses amys, qu'il sera mis dans la Tour. L'on dict que, pour aultant qu'après qu'il a esté party, le présidant d'Irlande a mis la main sur vingt ou trente aultres des principaulx, qui habitent dans la Pallissade, le comte d'Esmond s'est mis, quand et quand, aulx champs, creignant qu'on ne s'adressât aussy, à la fin, à luy; dont les choses tournent se rebrouyller aulcunement par dellà.

Me Quillegreu est commandé de suyvre le progrès, et se tenir prest pour aller en Escosse. Je ne puis encores proprement descouvrir l'occasion de son voïage, sinon ce que je vous en ay mandé par mes précédantes; et, si j'en apprends davantage, je l'adjouxteray à mes premières. Le docteur de Bruxelles continue toujours sa négociation, et mesmement sur le poinct d'envoyer ses ambassadeurs près de l'ung et l'autre prince, et m'a l'on dict qu'il a donné entendre que le Roy d'Espaigne a nommé dom Loys de Sylva pour venir icy; 444 mais ceste princesse, encor qu'elle ait desjà nommé Me Henry Cobhan pour aller en Espaigne, elle ne se haste toutesfoys de le dépescher, et pense l'on que, d'icy à quelques jours, elle l'y pourra bien envoyer, mais non avec commission d'y résider, sinon après que le Roy d'Espaigne l'aura satisfaicte d'aulcuns poinctz qu'il aura charge, devant toutes aultres choses, de luy demander.

Je feray entendre à ceulx de voz subjectz, qui sont encores icy, la droicte et saincte intention que me mandez avoyr à la paix, et verray quel contentement leur auront donné les depputez touchant les bonnes responces que leur aviez faictes; et m'efforceray, au reste, en attandant l'arryvée de mon successeur, qui faict par trop le long, de pourvoir, le mieulx que je pourray, à ce qui surviendra, icy, pour vostre service. Sur ce, etc.

Ce VIIe jour de juing 1575.

CCCCLIVe DÉPESCHE

—du XIIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Audience.—Acceptation par le roi de l'ordre de la Jarretière.—Instance de l'ambassadeur pour que Leicester soit envoyé en France à cette occasion.—Excuse donnée par la reine.—Mécontentement qu'elle témoigne à l'égard de la France.—Demande qu'elle fait de la communication des articles proposés pour la pacification.—Sollicitations dont elle est entourée afin de la forcer de se prononcer en faveur des protestans de France.—Sa déclaration qu'elle a toute confiance dans le roi et la reine-mère.

Au Roy.

Sire, j'ay esté, ceste foys, assez favorablement receu de ceste princesse, en la mayson de milord trésorier, où elle a séjourné huict ou dix jours, et m'a faict invyter à ung 445 festin qui s'y est faict dimanche dernyer. Elle a esté fort contante de vostre acceptation de son ordre, et m'a pryé que je vous en fisse ung singullier mercyement de sa part, et que bientost elle vous dépeschera ung seigneur de bonne qualité pour le vous apporter; qui aura la mesmes bonne affection à l'entretènement de vostre mutuelle amityé que le comte de Lestre pourroit avoyr, lequel elle ne refuzeroit pas de le vous envoyer, si c'estoit pour occasion qui importât à vostre service; mais, parce que c'est luy qui a la principalle charge de son progrès, et qu'elle dellibère de l'aller fère bien loing vers le North, et mesmes passer, à l'aller et au retour, en la mayson du dict comte, à Quilingourt, elle vous supplye de l'excuser de ce voyage.

Je luy ay fort incisté qu'elle vous contantât de cella, et qu'il luy rapporteroit, à son retour, de quoy estre plus contante et plus joyeuse, et en plus de repos, toute sa vye; mais je ne l'ay peu impétrer. Je ne sçays encores si elle se ravisera; néantmoins, Sire, il est venu fort à propos que Vostre Majesté l'ayt ainsy demandé, car, sans cella, je me trouvoys fort confus sur quelques poinctz que la dicte Dame m'a touché, en passant, avec ung peu d'aygreur; desquels il est besoing que je cherche de descouvrir, au vray, quel en est le fondz, affin de le vous mander. Et je pense bien qu'une bonne partye a procédé de la dernière dépesche de son ambassadeur, et de la créance que me mandez que Jacomo, qui la luy a apportée, a eu à luy explicquer; dont bientost j'en auray quelque esclarcissement, et vous manderay, par mesmes moyen, Sire, ce qu'elle m'a discouru sur le faict de la paix, avecques voz subjectz. Qui ay bien cognu qu'elle n'avoit encores eu la relation de la vraye vérité de voz responces, dont m'a fort 446 pryé de luy vouloir bayller, par escript, le sommayre de ce que vous accordés à voz subjectz pour l'exercice de leur religyon; ce que je ne luy ay ozé promettre, et ne le luy ay pas refuzé, aussy, à cause du postscript de vostre lettre.

Néantmoins je supplye très humblement Vostre Majesté de donner tant de foy à ce que j'ay très soigneusement nothé, et bien curieusement recueilly, des propos et démonstrations de la dicte Dame, qu'elle desire, sans fiction ny ypochrisye quelconque, que puissiez mettre la paix en vostre royaulme; et se trouve assez en peyne comme se desmeller des violentes persuasions à quoy, de toutes partz, l'on la sollicite contre vous, en cest endroict. Qui veulx bien confesser, Sire, qu'elle ne m'a pas dissimulé que, pour aulcunes occasions, et mesmes pour quelque griefve matière d'offance, elle ne soit aulcunement provoquée à vous nuyre.

Mais, enfin, après luy avoyr admené des considérations qui sont venues tout à temps, (et ne failloit pas qu'elles tardassent davantage), elle m'a dict qu'elle ne deffaudra nullement à l'amityé qu'elle vous a promise, si vous ne luy manquez de la vostre; et qu'elle vous prye de ne donner légèrement foy aulx rapportz qu'on vous fera d'elle, comme aussy elle n'en donra poinct à ceulx qu'on luy fera de vous; mais que vous reportiez toutz deux aulx mutuelles actions l'ung de l'aultre, sellon qu'elle ne refuze poinct que vous examiniez bien les siennes; car elle examinera bien fort curieusement les vostres.

Et, pour ceste foys, Sire, je ne veulx mettre Vostre Majesté en allarme d'aulcune chose apparante de ce costé, mais l'on m'a bien dict qu'il s'y prépare quelques contributions 447 de deniers d'aulcuns particulliers protestantz pour envoyer en Allemaigne. Sur ce, etc.

Ce XIIe jour de juing 1575.

A la Royne

Madame, parce que, dès l'entrée des propos, où la Royne d'Angleterre et moy, après ceulx des honnestes complimentz, sommes ceste foys venus à ceulx de la négociation de deçà, j'ay bien cognu qu'elle estoit esmeue, et avoit le cueur pressé et son esprit en perplexité d'aulcunes choses de France, je l'ay temporisée longtemps sans luy rien contredyre. Et, après, je luy ay faict aulcunes remonstrances, en partye grâcieuses, et en partye avec quelque expression, pour la conduyre peu à peu à parler de Vostre Majesté. Et enfin luy ay dict qu'elle se pouvoit bien souvenir que vous aviez tousjours mis bon ordre que nulz de ses ennemys fussent ouys ny jamays bien venus en France, et qu'à présent ilz en estoient plus reboutez que jamays; dont le Roy et Vostre Majesté la vouliez bien prier que ceulx, qui vous estoyent malveillantz, ne fussent aussy ny bien receus d'elle, ny escoutez de ceulx de son conseil, et qu'elle ne leur voulût donner ny foy ny crédict contre vous.

A quoy elle, après plusieurs argumentz et réplicques, m'a enfin confessé qu'elle ne pouvoit ny vouloit nyer qu'elle ne vous eût plus d'obligations qu'à princesse de la Chrestienté, mais que vous cognoissyez aussy qu'elle n'en estoit ny ingrate ny mescognoissante, et que ses bons déportementz n'avoient esté moindres, ny de moins de prouffit à Voz Très Chrestiennes Majestez que les vostres vers elle; et qu'elle me prioit de vous saluer très cordiallement de 448 toutes ses meilleures recommandations, et de vous prier que voulussiez, à ceste heure, plus que jamays, avoyr ung honneste respect à elle et à son amityé, ainsy qu'elle en avoit tousjours eu, et vouloit de bon cueur avoyr, à vous et à la vostre, et au Roy, vostre filz, et à la sienne, et qu'elle ne m'en diroit pas, pour ce coup, davantage.

Je pense desjà avoyr comprins où cella va; dont par mes premières je le vous manderay, ensemble ce que j'auray plus avant apprins d'aultres choses. Et sur ce, etc.

Ce XIIe jour de juing 1575.

CCCCLVe DÉPESCHE

—du XVIIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Estienne Jumeau.)

Secours d'argent donné par les Anglais aux protestans d'Allemagne et de France.—Refroidissement entre Élisabeth et le prince d'Orange.—Incertitude sur quelque évènement nouveau survenu en Écosse.

Au Roy.

Sire, parce que j'attandz encores une responce de ceste princesse et des seigneurs de son conseil sur ce que j'ay dernyèrement négocyé avec elle et avec eulx, je remettray, jusques à mes premières, affin de fère de tout ung, de vous mander les principaulx poinctz des choses que je leur ay débatues, et de celles que, par aulcunes conjectures et de leurs parolles, je puis avoyr comprinses; lesquelles je mettray peyne, entre cy et là, d'approfondir davantage, affin de les vous escripre plus fondées, pour pouvoir mieulx asseoyr vostre bon jugement. Et vous diray cepandant, Sire, que Mr de Méru est retourné trouver la dicte 449 Dame et iceulx du conseil, le lendemain que j'en ay esté party, sur l'occasion, à mon advis, d'ung qui est freschement arryvé de Basle, qu'on dict estre le mèdecin du Prince de Condé. J'espère qu'il ne m'y aura, quand il s'en sera bien essayé, guyères peu altérer les choses; ny les aultres poursuivantz qui ont esté depuis luy; et ce que je sentz qu'il a plus advancé, icy, est que, par lettres de banque, et par le crédict qu'on luy donne de France et d'Allemaigne, et encores de Flandres, aulx marchandz de Londres, il pourra, avec la faveur d'aulcuns de ce dict conseil, trouver jusques à neuf ou dix mille livres d'esterling, qui est envyron trente mille escuz, à prester avec bon intérest. Et je sçay qu'il y a desjà dix mille angelotz, en espèces, devers certains personnages de ceste ville, que je crains y estre mis à cest effect; mais il n'y a ordre de l'empescher, car la chose va fort secrette et entre personnages de telle authorité et de tel commerce qu'elles peuvent facillement coulorer et couvrir plus grand chose que cella. J'entendz que ceulx de la Rochelle ont aussy faict quelque contract de sel avec ceulx de Hembourg, pour quarante mille escuz, qui doibvent estre fournis en Allemaigne; et disent les ministres que le Prince de Condé arrivera sans doubte, sinon qu'il soit pourveu de plus amples seuretez, et pour plus longtemps, aulx eslevez, que les responces de Vostre Majesté ne leur en donnent; et qu'à ce seul poinct tient toute la difficulté de la paix.

Le sire Philippes Sidney, nepveu et hérityer du comte de Lestre, est revenu, ces jours cy, d'Allemaigne, où il a demeuré envyron deux ans, en la court de l'Empereur, et aylleurs, pour voyr le pays; et a apporté lettres de créance d'aulcuns princes protestantz à ceste princesse. 450 Elle est sur le poinct de redépescher le secrettère Wilx par dellà; et seroit bon que Vostre Majesté fît observer par quelqu'ung, à Strasbourg, le Sr Sturmius; car il est à présent agent de ceste princesse en Allemaigne, depuis la mort du docteur Mont, qui se tenoit à Francfort: et dict on que le dict Sturmius est bien savant aulx lettres, mais qu'il est homme simple et peu entendu en affères d'estat, et que, près de luy, se pourroit descouvrir la pluspart de leurs dellibérations.

Le prince d'Orange est merveilleusement venu suspect aux Angloix depuis la nouvelle de son mariage avec madame de Jouare, et mesmes qu'il estoit desjà en quelque discord avec eulx sur ce qu'ilz l'avoyent sommé de leur laysser la navygation et le commerce libres en Anvers, non seulement des marchandises de ce royaulme et aultres à eulx appartenantz, mais de celles qu'ilz prendroyent, à conduyre, des Hespaignolz et Portugoys et des aultres qu'ilz voudroyent colorer et advouer pour ligues. A quoy le dict prince, nonobstant leurs bravades et menasses, n'a voulu condescendre, sinon seulement pour les marchandises proprement appartenant à iceulx Angloix et pour celles des marchandz advanturiers de Londres; dont y a desjà des lettres de marque expédiées sur quelque occasion contre ceulx de Fleximgues. Et par ce, aussy, que le dict sieur prince ne reçoit plus si volontiers comme il souloit les soldatz angloix à sa soulde, il s'en appreste ung nombre avec leurs cappitaynes pour aller au service du grand commandeur de Castille contre luy. Vray est qu'à ce que j'entendz, l'on propose d'envoyer bientost ung personnage de qualité de ceste court vers le dict prince, en Ollande, pour accommoder toutz ces différandz avecques luy.

451 Le voïage de Me Quillegreu en Escosse sembloit estre non seulement différé mais interrompu du tout jusques à ce que, depuis deux jours, l'on l'a contremandé en haste à la court, pour le dépescher par dellà, et pour mener avecques luy certain aultre personnage, qu'on nomme Me Davidson, qu'on estyme qui demeurera résidant près du comte de Morthon; ce qui monstre qu'il y doibt avoyr quelque nouveaulté suscitée au dict comte, ou qu'on commence de l'avoyr suspect. Et sur ce, etc.

Ce XVIIe jour de juing 1575.

CCCCLVIe DÉPESCHE

—du XXVIe jour de juing 1575.—

(Envoyée exprès jusques à la court par le Sr de Vassal.)

Détails de la précédente audience.—Motifs qui engagent Élisabeth à refuser de prêter un nouveau serment.—Instances au nom du roi pour qu'il ne soit donné aucun refuge en Angleterre à ses sujets rebelles.—Satisfaction d'Élisabeth à raison de l'acceptation que le roi a faite de son ordre.

Au Roy.

Sire, parmy les propos que j'ay dernièrement tenus à la Royne d'Angleterre, j'ay estimé, pour aulcunes bonnes occasions, qu'il estoit besoing de luy dire que Vostre Majesté se trouvoit de plus en plus très contante de la ligue, naguyères renouvellée avec elle; et que jamays, à quelconque aultre promesse qu'eussiez faicte en ce monde, vous n'aviez plus volontiers adjouxté vostre foy et sèrement qu'à celle de son amityé; et que, si elle desiroit encores quelque aultre chose, pour s'assurer davantage de vous en cest endroict, que vous la luy offriez de bon cueur et estiez 452 prest de l'effectuer; et que pareillement vous me commandiez de vous rendre responce des particullaritez qui touchoient à elle de vous accomplyr, sellon que j'en avoys baillé la nothe par escript à Mr de Walsingam, à qui j'avoys aussy communicqué le pouvoir que m'aviez envoyé pour assister à son sèrement; lequel sèrement je la pryois bien fort ne se grever de vous renouveller, encor que possible le traicté ne l'y obligeât, sellon que vous n'aviez différé de le luy prester à elle, oultre l'obligation du dict traicté, affin qu'il ne demeurât aucun escrupulle entre vous.

Elle m'a respondu qu'elle louoit Dieu de voyr que vostre contantement correspondoit au sien sur la continuation de la ligue, et vostre desir à celluy qu'elle avoit de la bien observer, chose qu'elle prioit Dieu, et l'a dict ung peu en collère, qu'il vous fît quelquefoys cognoistre combien elle vous estoit plus utille que vous ne le pensiez, et plus qu'on ne s'efforçoit de le vous persuader; et qu'elle ne vous voudroit pas différer son sèrement, n'estoit que ceulx de son conseil luy remonstroyent qu'il estoit impertinent de le fère, et que cella seroit remettre en doubte tout le passé, et que son ambassadeur luy avoit aussy mandé que Vostre Majesté demeuroit bien capable et satisfaicte de ce poinct; et qu'au reste je l'excusasse si elle ne vous avoit encores envoyé la lettre qu'elle vous debvoit escripre, de sa main, car, pour s'estre faict mal à un bras, en courant à la chasse, sur ung cheval d'Espaigne, elle n'y avoit peu encores vacquer, mais que, dans quatre ou cinq jours, je l'aurois sans aulcune difficulté.

J'ay suivy à luy dire que, pour ceste heure, doncques, je ne la presserois plus du sèrement, et me contanteroys de vous escrypre sa raison, et m'efforceroys, avec la lettre 453 de sa main et ses aultres honnestes responces, de vous donner le plus de satisfaction d'elle qu'il me seroit possible, et qu'elle se pouvoit vanter d'avoyr acquis en Vostre Majesté le plus grand et le meilleur de tous les amys qu'elle eût peu rencontrer en la Chrestienté, et le plus ferme confédéré que sa couronne ayt eu depuis qu'elle est establye, et que, dorsenavant, nul de ses ennemys, ny nul de ses rebelles, ny nul qui luy voulût mal, ne trouveroyent lieu ny place en France; et que de mesmes vous desiriés, Sire, que nul aussy, qui pourchassât de vous nuyre, en peût trouver près d'elle ny des seigneurs de son conseil, ny faveur aulcune contre vous en ce royaulme; et que de cella vous l'en priez très affectueusement comme chose très raysonnable, et sur laquelle les parolles que me commandiez de luy en dire n'estoient ny légères ny communes, ains d'une grande expression, qui déclaroyent bien que vous aviez une singullière bonne volonté de persévérer à jamays vers elle, et faisiez aussy estat qu'elle persévèreroit très constamment vers vous; et que de cella vous aviez prins une plus grande assurance par ce nouveau et très agréable tesmoignage, qu'elle vous donnoit, de vous avoyr esleu chevalyer de son ordre; de quoy, pour n'emprunpter rien hors de vostre lettre, de ce que me commandiez luy dyre du grand contantement qu'en aviez receu, et de l'infiny mercyement que luy en rendiez, et du debvoir où vous vous mettriez d'honnorer son ordre avec le plus de dignité qu'il vous seroit possible, et du playsir que vous auriez qu'elle le vous envoyât bientost, qui seroit redoublé si elle vouloit que ce fût par le comte de Lestre, je la supplyois qu'elle mesmes voulût lyre ce qu'il vous playsoit m'en escripre, et elle trouveroit que son ordre estoit très bien 454 employé en Vostre Majesté, et que vous sçaviez honnorer grandement ceulx qui vous honnoroyent et honnorer l'honneur qu'on s'efforçoit de vous fère.

Elle a distinctement leu tout l'article de vostre lettre, qui faisoit mencion de cella, et, après, comme toute resjouye et bien fort contante, m'a faict la responce que je vous ay sommayrement comptée en mes précédantes. Et, d'abondant, m'a dict qu'elle vous remercyoit, de tout son cueur, du grand et remarquable honneur que Vostre Majesté faisoit à elle et à son ordre de si favorablement l'accepter, et qu'elle le vous envoyeroit bientost par ung personnage d'authorité, bien incliné à vostre mutuelle amityé, que vous n'auriez moins agréable que le comte de Lestre; duquel elle me manderoit le nom, incontinent qu'elle en auroit faicte l'élection; et néantmoins qu'elle avoit grand plésir qu'eussiez demandé le dict comte, car elle cognoissoit par là que vous vouliez procéder de grande sincérité vers elle.

Dont de ce propos et d'aulcuns aultres que nous avons continué, l'espace de deux heures, Vostre Majesté en entendra davantage par le Sr de Vassal, présent porteur. Et n'adjouxteray rien plus icy, Sire, sinon qu'encor qu'on eût aulcunement altéré la dicte Dame contre vous, j'ay bien cognu qu'elle n'estoit preste, pour cella, de se destourner de vostre amityé s'il vous plaist continuer en la sienne. Je vous envoye la lettre de sa main et la responce que ceulx de son conseil m'ont faicte sur le reste de mes demandes. Et sur ce, etc. Ce XXVIe jour de juing 1575.

455

CCCCLVIIe DÉPESCHE

—du premier jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Convalescence du roi.—Mort du maréchal de Danville.—Départ de Mr de Méru pour l'Allemagne.—Efforts de l'ambassadeur afin d'empêcher Élisabeth de donner des secours sérieux aux protestans de France.—Assurance qu'elle a formé la résolution de s'en tenir avec eux à de simples promesses.

Au Roy.

Sire, l'on a parlé icy diversement de la qualité et de l'effect de vostre maladye, et je loue Dieu, de bon cueur, et le remercye, bien dévotement, qu'il vous en a bientost relevé, et qu'il n'a permis qu'elle ayt esté si violente ni sy dangereuse comme on le disoit. Je fay présentement ung mot de vostre parfaicte guérison à la Royne d'Angleterre, attandant que, sur l'occasion de quelque aultre vostre dépesche, je l'aille trouver pour m'en conjouyr davantage et plus expressément avec elle.

La mort de Mr de Dampville[4] estoit desjà publiée, icy, sur ung advertissement de l'ambassadeur d'Angleterre, premier que j'ay receu celluy de Vostre Majesté, et n'a esté petite l'émotion qu'on s'est donnée de cella, creignantz les ungs que le party duquel il estoit se doibve trouver, à présent, beaucoup affoybly et débilité par son manquement, et les aultres estiment que, de ce qu'il s'estoit joinct à la cause de la nouvelle relligyon, elle en estoit devenue plus foible, et en recepvoit quelque deffaveur vers aulcuns princes protestantz. Comment que ce soit, s'il estoit occasion 456 que ne peussiez donner la paix à voz subjectz ny la recepvoyr d'eux, Dieu, de qui les jugementz sont toujours très justes et sainctz, la luy vueille octroyer bonne par dellà.

Mr de Méru est desjà embarqué pour passer en Hemden ou bien en Hanbourg, affin d'aller trouver le Prince de Condé à Basle. J'entendz que ceste princesse, quand il a prins congé d'elle, luy a faict présant d'envyron troys mille escus; et m'a l'on dict que Wilx va avecques luy, dépesché par aulcuns particulliers de ce royaulme, avec VII mille Vc # d'esterling, qui sont vingt cinq mille escus, avec quelque chayne d'assés grand pris pour fère présent par dellà: dont quelqu'ung a comprins, de certain propos que le dict Sr de Méru a eu à tenir, que ce seroit pour fère marcher bientost deux milles reytres et quatre mille lansequenetz en France. Néantmoins il a faict démonstration, en mon endroict, à son partement, qu'il avoit desir et espérance de la paix; et a dict que, si son frère de Dampville estoit mort, ce qu'il ne vouloit encores croyre, la plus grande perte en seroit à Vostre Majesté, d'autant qu'il luy avoit naguyères escript qu'il ne se trouvoit tant en peyne de combatre contre ceulx contre qui il s'estoit mis, que de vaincre ceulx, avec qui il estoit, pour les retenir en vostre dévotion.

Je rencontre, par toutz mes advis, qu'il n'a poinct obtenu aulcune aultre provision de deniers, ny promesse d'hommes, ny de vaysseaulx, de ceste princesse; et pour le moins ne me trouvè je si veufflé d'elle que, quand aulx hommes et vaysseaulx, je n'aye faict que ouvertement elle a refuzé aulx ministres et aultres poursuyvantz, qui sont icy, d'en bailler; et, quand aulx deniers, si, d'avanture, elle consent, soubz main, à quelque crédict de ses marchandz, 457 ce ne peut estre de grand somme. Et si, luy ay je protesté, il y a plus de six moys, et le luy renouvelle toutz les jours, que vous vous plaindriez d'elle, si les Allemantz marchoient en France, parce qu'on sçayt assez que le Prince de Condé n'a de quoy les y fère marcher, si elle, de son argent ou crédict, ne leur faict des jambes et des pieds. Et je vous supplye, Sire, de ne donner trop de foy à ceulx qui vous cellèbrent la facilité de la dicte Dame à bailler son argent contre vous, ny à vous rompre le traicté; mais bien à ceulx qui la font libéralle de bonnes parolles et de promesses vers ung chascung. Sur ce, etc.

Ce Ier jour de juillet 1575.

CCCCLVIIIe DÉPESCHE

—du IIIIe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Mounyer.)

Prises faites sur les Anglais par les navires de St Malo.—Vives plaintes des Anglais, qui veulent considérer cet acte comme une déclaration de guerre.—Assurance de l'ambassadeur qu'il leur sera donné satisfaction.—Menace de guerre de la part d'Élisabeth contre ceux de Flessingue à raison de prises qu'ils ont faites.—Nouvelles des Pays-Bas.—Incertitude sur les affaires d'Écosse.—Instance de l'ambassadeur pour qu'il soit donné satisfaction relativement aux prises faites par ceux de St Malo.

Au Roy.

Sire, aulcuns particulliers de ce royaulme, qui favorisoient les pyrateries, entendantz que ceulx de St Malo s'estoient mis sur mer pour garder que ceulx de la Rochelle n'en peussent plus fère et n'empeschassent la navigation, avoyent secrettement entreprins d'armer dix ou douze grandz navyres de guerre, en divers portz de ce 458 royaulme, pour courre sus à ceulx de St Malo; de quoy, aussytost que j'en ay eu vent, j'ay faict cognoistre que j'avoys descouvert l'entreprinse. Dont la Royne d'Angleterre a incontinent mandé aulx justices du pays d'ung chascung endroict de fère incontinent cesser le dict apprest, et garder qu'aulcun navyre ne sorte que pour faict de marchandise; et si, d'avanture, il y en a quelqu'ung qui vueille sortyr armé, à cause des pirates, qu'il donne caution de ne rien attempter au préjudice des traités contre les amys et confédérez de ce royaulme. Mais il n'a guyères tardé, après cella, qu'ung advertissement est arryvé comme, depuis le XXe de may dernier, les dictz de St Malo ont prins troys navyres marchands angloix, venant, l'ung de la Rochelle, et les aultres deux d'Espaigne et du Portugal, lesquels, aussytost qu'ilz les ont eus amenez en leur port, les ont faict déclarer de bonne prinse et toute leur marchandise a esté dissipée: de quoy l'on m'a faict une extrême plaincte, et que l'on vouloit sçavoyr de moy si Vostre Majesté prétendoit par là d'ouvrir la guerre à ce royaulme, car n'avoyent entendu qu'il fût prohibé aulx Angloix de traffiquer avec ceulx de la Rochelle, ny aylleurs.

A quoy je leur ay respondu que c'estoit ung faict nouveau, sur lequel je ne leur pouvoys dire aultre chose, sinon que je les assuroys de vostre bonne et droicte intention vers la paix et amityé de ceste couronne, et que, d'ouverture de guerre, il n'en y avoit poinct; dont pourroyent fère leurs dilligences vers Vostre Majesté, et que je les accompaigneroys de mes lettres, et en escriproys aussy aulx gouverneurs de Bretaigne et de St Malo pour leur en fère avoyr rayson et justice; ce qui les a remis en quelque espérance de recouvrer leurs biens.

459 Néantmoins, parce qu'il y a une semblable querelle contre ceulx de Flexingues, lesquelz ont aussy naguyères prins des navyres angloix bien riches, et qu'à cause de cella ceste princesse les a envoyés sommer, par le docteur Roger de ceste ville, de fère entière restitution de tout ce que ses subjectz leur pourroyent duement vériffyer qu'ilz ont prins depuis troys ans en çà, aultrement qu'elle leur dénoncera la guerre; l'on est sur le poinct de dresser ung grand équippage de mer contre eulx. Il sera bon d'y avoyr l'œil et de fère, affin que cella ne s'addresse contre nous, que l'on sache au vrai, du premier jour, comme aura passé le faict de la prinse de St Malo et en donner quelque rayson par deçà.

Je croy bien que les nouvelles nopces du prince d'Orange, lesquelles leur sont fort suspectes, font qu'ilz prennent plus à cueur qu'ilz n'eussent pas faict les injures de ceulx de Flexingues. Et mesmes j'entendz qu'il y a mille Angloix, près de Bruges, qui se vont enroller au service du grand commandeur de Castille, et qu'il recouvrera dorsenavant beaucoup plus de marinyers de ce royaulme qu'ilz n'ont pas faict; et que Me Henry Cobhan partira bientost pour aller résider ambassadeur de ceste princesse en Hespaigne.

Me Quillegreu n'est encores party pour Escosse, mais on le faict suyvre pour le dépescher, d'heure en heure, et croy qu'on n'attand plus sinon les nouvelles de la paix de vostre royaulme, si elle succèdera ou non, pour le fère acheminer. Et sur ce, etc. Ce IVe jour de juillet 1575.

Il court bruict qu'il est survenu quelque nouveaulté au comte de Morthon en Escosse, et le faict on mort. J'en entendray davantage, affin de le vous mander par mes premières; mais il y doibt avoyr quelque chose, car l'on s'en esmeut assez.

460

A la Royne

Madame, il n'y a, à présent, icy, aultre chose digne de Voz Majestez, aulmoins qui soit encores venue à ma cognoissance, depuis mes précédentes dépesches, du XXVIe du passé, et premier d'estui cy, que ce qu'il vous plerra voyr en la lettre que j'escriptz, de ceste dathe, au Roy, vostre filz; en laquelle je luy touche ung faict duquel l'on m'est venu fère grande plaincte, et sur lequel j'estime, Madame, qu'il est expédient d'y fère bien regarder, affin que le cas n'en aylle à plus d'altération; et que, sur ce renouvellement de ligue, les subjectz de ces deux royaulmes, non seulement trouvent une mutuelle seureté, mais qu'ilz sentent beaucoup de faveur et de support les ungs des aultres en leurs communs traffics: aultrement le sèrement du Roy et celluy aussy que ceste princesse a faict seroyent violez, au grand mespris de Dieu, à qui ilz ont esté sollennellement jurés, et à l'offance des hommes, et mesmement des princes et gens de bien, qui en demeureroyent fort scandalisez. Ce que je m'assure que le Roy, ny Vous, Madame, ne voudriez pour aulcun pris que telle chose advînt. Et sur ce, etc.

Ce IVe jour de juillet 1575.

461

CCCCLIXe DÉPESCHE

—du VIIIe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calays par Estienne Jumeau.)

Conférence de l'ambassadeur avec Burleigh.—Ses plaintes au sujet des secours accordés en Angleterre aux protestans de France.—Ferme assurance donnée par Burleigh qu'Élisabeth veut maintenir le traité.—Nouvelles d'Écosse.—Révolte à Édimbourg contre le comte de Morton.

Au Roy.

Sire, premier que de recepvoyr vostre lettre, du XXIe du passé, j'avoys visité milord trézorier pour retirer de luy aulcuns accomplissementz qui restoient du traicté de la ligue, affin que je les vous peusse envoyer, comme depuis je l'ay faict. Et, par mesme moyen, j'estois entré bien avant avecques luy sur le peu d'observance, qu'on faysoit icy, du dict traicté, luy déclarant ouvertement que Vostre Majesté, par divers rencontres, trouvoit que la Royne, sa Mestresse, en lieu de se trouver amye et bonne confédérée en voz affères, portoit entièrement le party de ceulx qui estoient eslevez en vostre royaulme, comme si elle avoit ligue et confédération avec eulx; et que non seulement elle les admettoit favorablement à parler, icy, à elle, et à ceulx de son conseil, et de s'accomoder de deniers, de monitions et de beaucoup de moyens en son royaulme, mais que, jusques en Languedoc, à la Rochelle et aultres lieux, où la guerre se faysoit, et jusques à Basle, où le Prince de Condé estoit, et en Allemaigne, où il pourchassoit des forces, elle leur faisoit sentir son support et assistance; et que mesmes j'entendoys que Mr de Méru emportoit de l'argent, ou du crédict, d'icy, pour fère marcher 462 les reytres en France, aussytost qu'il seroit arryvé devers le Prince de Condé: ce qui arguoit grandement l'intégrité d'elle et des seigneurs de son conseil, et la rendoit et eulx inexcusables, devant Dieu et vers les princes et gens de bien de la Chrestienté, pour sa foy et sèrement violez; et mesmes qu'elle sçavoit bien que les responces qu'aviez faites à voz subjectz, pour l'exercice de leur religyon, et pour leurs seuretés, et pour tout aultre leur accomodement en vostre royaulme, estoient si bénignes et amples, que je ne pouvois penser à quel aultre tiltre, sinon de pure rébellion et infidellité, ilz vous pourroient plus continuer la guerre; et que si, d'avanture, elle n'estimoit beaucoup plus d'avoir une honneste et légitime confédération avec vous, que non une intelligence malhonneste et de pernicieulx exemple avec eulx, qu'elle le dict ardiment; car il vous seroit moins dommageable de l'avoyr ouverte que non pas secrette ennemye, ou que dissimulée amye.

Il m'a respondu que plusieurs choses du passé debvoient rendre bien advertye la Royne, sa Mestresse, comme se conduyre sur celles du présent, et comme pourvoyr à celles d'advenir, et que jamays princesse ne s'estoit plus franchement commise à l'amityé de nul prince qu'elle avoit faict à celle du feu Roy, vostre frère; duquel elle s'estoit proposée une très grande seureté et un grand repos, soubz la bonne opinyon qu'elle avoit de sa foy, et soubz la loyaulté qu'elle pensoit estre ez promesses qu'il avoit faictes à ceulx de la nouvelle religyon, avec lesquelz elle avoit sa propre tranquillité et celle de son estat comme conjoinctes; et Dieu estoit tesmoing de ce qui estoit depuis advenu, et en monstroit de grands jugementz, dont failloit qu'ilz fussent, à ceste heure, bien soigneulx de fère leurs 463 descouvertes; et que, touchant les responces à voz subjectz, il ne les vouloit débatre, car estimoit que les leur aviez rendues toutes honnorables; bien luy sembloit, à cause des accidantz passez, qu'elles seroient encores plus honnorables et plus utilles, si elles estoient moindres en concession des choses particullières, et plus amples en octroy des seuretez; néantmoins, comment que ce fût, la Royne, sa Mestresse, vous garderoit invyolablement l'amityé et confédération qu'elle vous avoit promise, si vous ne la rompiez de vostre costé; auquel cas Dieu luy avoit donné et luy donroit les moyens et forces pour se garder d'estre offancée, et mesme pour fère offance à ceulx qui la voudroient offancer; mais que vous ne debviez légièrement croyre les advis et maulvais rapportz qu'on vous feroit d'elle: car, parce que voz subjectz, qui estoient en armes, sçavoient qu'elle estoit de leur religyon, ilz se proposoyent plusieurs grands advantages d'elle, et se vantoyent d'avoyr souvant impétré beaucoup de ce qu'ilz n'avoyent rien, affin de tenir leurs affères en réputation, et tirer, par ce moyen, les plus seures et meilleures condicions de paix, qu'ils pourroyent, de Vostre Majesté; et qu'il ne pouvoit, ny debvoit me réveller les secrettes dellibérations de sa Mestresse, mais qu'il me promettoit bien qu'elle ne feroit, ny estoit pour fère chose aulcune contre l'honneur et la grandeur, ny au préjudice de Vostre Majesté. Et s'est mis là dessus à discourir de plusieurs choses, et comme il sembloit que vous en eussiez aulcunes, lesquelles ne vous touchoient guyères en plus de considération que celle de vostre propre bien et prouffit, et que, par nécessité, il failloit ou que prinsiez bien le poinct de ce temps, qui se offroit maintenant, et la présente occasion pour establir ung ordre et ung règlement 464 en voz affères, et pour recueillyr toutz voz subjectz et esteindre leurs partialitez et querelles, ou que fissiez estat de voyr vostre règne augmanter, de jour en jour, en plus de troubles et de dangers, et Vostre Majesté moins jouyssante, toute sa vye, de l'amplitude de son royaulme que nul de ses prédécesseurs.

A quoy je luy ay satisfaict, sellon ce que j'ay estimé convenir à vostre réputation et grandeur, et la bonne intention qu'avez vers voz subjectz, le mieulx qu'il m'a esté possible. Et par ce, Sire, que, dans ung jour ou deux, j'espère aller trouver ceste princesse pour noter davantage comme elle persévère vers Vostre Majesté, et pour luy toucher, avec le plus de discrétion que je pourray, les poinctz de voz deux dépesches du XIIe et XXIIe du passé, et aussy pour continuer vers elle une gracieuse négociation que je luy ay commancée pour la Royne d'Escosse, qui sont desjà aulcunement racoinctées ensemble, je remettray à vous mander, lors, tout ce que j'auray recueilly de ses propos.

Et adjouxteray seulement icy, Sire, que le bruict continue de la mort du comte de Morthon, et que c'est milord de Lentzay, prévost de Lillebourg, qui, avec la commune de la ville, offancée de l'oppression des impostz, luy a couru sus. Et sur ce, etc. Ce VIIIe jour de juillet 1575.

Depuis ce dessus, l'on me vient d'advertyr bien seurement que la commune de Lislebourg s'est véritablement eslevée contre le comte de Morthon à cause de la monoye, mais qu'il s'est saulvé dans le chasteau; et que ceste princesse, dans ung jour ou deux, faict acheminer Me Quillegreu par dellà. Je desireroys, de bon cueur, qu'il y eût quelqu'ung par dellà, de la part de Vostre Majesté.

465

CCCCLXe DÉPESCHE

—du XIIIe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Audience.—Communication de la réception faite en France à sir Jacques Fitz Maurice.—Déclaration du roi qu'il ne veut pas soutenir les catholiques d'Irlande.—Conseil donné par le roi à sir Jacques de solliciter sa rentrée en grâce.—Satisfaction d'Élisabeth.—Remontrances de l'ambassadeur sur ce que l'on se conduit en Angleterre comme si la guerre était résolue contre le roi.—Déclaration qu'il a été fait droit en France à toutes les plaintes des Anglais.—Assurance donnée par la reine qu'elle arrête les secours, et qu'elle a formellement refusé de faire passer de l'argent en Allemagne.—Même assurance confirmée par les seigneurs du conseil.—Départ de Me Quillegrey pour l'Écosse.—Proposition secrètement faite de reprendre la négociation du mariage d'Élisabeth avec le duc d'Alençon.

Au Roy.

Sire, m'estant approché, mardy dernier, à troys mille de ceste court, la Royne d'Angleterre m'a incontinent mandé, par ung de ses pensionnayres, que je la vînse trouver à la prochayne forest, où elle estoit desjà, dès le grand matin, à la chasse, et qu'elle ne me vouloit différer aylleurs, ny plus longtemps, mon audience, affin de pouvoir tant plus tost ouyr des nouvelles de Vostre Majesté, lesquelles elle espéroit et desiroit estre bonnes; et que, de là, elle me mèneroit disner chez ung gentilhomme, là auprès, qui luy faisoit ung festin, où elle vouloit que je mangeasse ce jour avec elle. A quoy ayant obéy, et ayant, la dicte Dame, aussytost que je l'ay rencontrée au boys, délayssé ung peu sa chasse pour s'enquérir soigneusement de vostre santé, et l'en ayant amplement satisfaicte, sellon le contenu de vostre lettre du XIIe du passé, de quoy 466 elle a monstré avoyr grand contantement, le surplus des propos ont esté remis jusques après la dicte chasse, et jusques après le dîner, qui a esté somptueux; durant lequel elle a tenu beaucoup de bien honnorables propos de Vostre Majesté et des troys Roynes Très Chrestiennes; et après qu'elle a esté hors de table, elle m'a retiré en ung coing de sale, où je luy ay dict:

Que j'estoys venu luy signiffyer deux vrays tesmoignages de l'indubitable affection que Vostre Majesté avoit de vivre en très bon frère et très parfaict confédéré avec elle; l'ung estoit celle communicquation, que je luy avoys desjà faicte, de vostre convalescence et de la bonne disposition où, grâces à Dieu, vous vous trouviez à présent, après ce petit sentiment de fiebvre qu'aviez eu, au commancement de juing dernier, qui estoit une singullière privaulté que vous luy communicquiez, et qui desiriez l'avoyr mutuelle avec elle, affin qu'ordinayrement elle vous fît aussy sçavoyr comme elle se portoit; et l'autre estoit touchant le sire Jacques Fitz Maurice, l'ung de ses fuitifz d'Irlande, lequel estant passé en France, Vostre Majesté ne luy avoit poinct aiguysé le cueur contre elle, et ne l'avoit animé à luy continuer la guerre ny luy troubler son estat, et ne luy aviez offert vaysseaulx, ny hommes, ny monitions, ny deniers pour le fère, ains l'aviez exorté de retourner à son debvoir de bon subject vers elle, et recourir à sa clémence et bonté, et se remettre, luy et ses partisans, en son obéyssance et bonne grâce; de quoy ne l'ayant trouvé aliéné, vous aviez bien voulu intercéder pour luy par voz propres lettres, lesquelles, avec celles que m'aviez escriptes là dessus, je luy apportoys, affin qu'elle vît comme, par ce bon office, qui ne pouvoit estre ny meilleur ny plus 467 cordial vers elle, ny vers le repos de ses affères, vous desiriez qu'elle peût tout de mesmes recueillyr ses subjectz, qui estoyent escartez, et leur oster l'espouvantement où ilz estoyent, comme vous le desiriez des vostres propres, ainsy que ce temps requéroit qu'on en uzât ainsy; et qu'elle sçavoit assez que mesmement ceulx de la noblesse ne cessoyent jamays, quand ilz estoient hors de leur pays, de praticquer tout ce qu'ilz pouvoient, et de remuer aultant de besoigne qu'il leur estoit possible, pour y estre remis; et quiconques le pensoit aultrement se trompoit bien fort, et que pourtant vous aviez grand plésir de luy fère regaigner ce gentilhomme avec ses partisans, aulx condicions qu'il demandoit, qui estoient beaucoup plus facilles que celles que vous offriez à voz propres subjectz.

La dicte Dame, avec une démonstration de grand ayse sur cest affère, duquel elle estoit assez en peyne, et n'en attandoit pas de si bonnes nouvelles comme celle cy, a tout incontinent prins sa lettre et la mienne et les a curieusement leues. Et puis m'a dict qu'elle vous avoit beaucoup d'obligations, pour l'honnorable déportement dont elle voyoit qu'aviez usé en ce faict, tout aultrement qu'on ne le luy avoit rapporté, et aultrement que le dict mesmes Fitz Maurice ne s'en estoit vanté, et qu'il l'avoit escript à ceulx de son party, en Irlande, par ses lettres de la fin de may dernier, où il les assuroit que Vostre Majesté luy avoit accordé huict vaysseaulx de guerre et deux mille harquebusiers, et luy avoit desjà donné troys mille escuz contantz; de quoy elle avoit maintenant très grand playsir qu'elle vous peût remercyer du contrayre, comme elle faysoit de bon cueur, et vouloit bien que, du discours qu'elle m'avoit faict du dict Fitz 468 Maurice, lequel seroit trop long, je vous disse ceste particullarité: qu'il s'estoit mis sur mer en intention d'aller trouver le Roy d'Espaigne, mais que l'ayant le vent jetté à St Malo, le cappitayne La Roche, qui est, à ce qu'elle dict, ung terrible gallant contre elle, l'avoit avec beaucoup de grandes espérances admené vers vous, où, grâces à Dieu, il avoit trouvé que la matière n'estoit sellon sa disposition; et bien que, jusques icy, il ayt monstré de ne vouloyr poinct de pardon, toutesfoys qu'elle feroit voyr, par son conseil, sur vostre lettre, les condicions auxquelles maintenant il le demandoit, et qu'elle me prioit de communicquer aulx comtes de Lestre et de Sussex, qui estoyent là présantz, ce qu'il vous avoit pleu m'en escripre.

J'ay suivy à luy dire que, le propre lendemain que Mr de Walsingam m'estoit venu parler, de la part d'elle, du dict Fitz Maurice, j'avoys receu ceste présente dépesche, et avoys esté infinyement ayse de voir qu'avant que je vous en eusse escript, ny que l'ambassadeur d'elle vous en eût rien touché par dellà, vous aviez desjà procédé de vous mesme en cest endroict, comme prince d'honneur et de vertus, et comme vray amy et bon confédéré d'elle, et que je ne voulois doubter qu'elle n'eût la pareille intention vers vous, si toutz ceulx qui estoyent auprès d'elle l'avoyent de mesmes, la priant de prendre de bonne part si je luy disoys aulcunes choses qui l'argueroyent devant Dieu et les hommes d'une grande coulpe, en vostre endroict, si, d'avanture, elle les sçavoyt, ou bien d'une grande négligence vers vostre amityé, si, d'avanture, elle en vouloit estre ignorante: c'estoit que, par divers rencontres et par plusieurs advertissementz de diverses partz, Vostre Majesté trouvoit que, du costé d'icy, en lieu de procéder droictement vers voz 469 affères sellon l'obligation de la ligue, c'estoyent les eslevez de vostre royaulme qui estoient favorablement admis à parler à elle et à ceulx de son conseil, et s'accomoder ordinayrement d'armes, de vaysseaulx, de monitions de guerre, et aultres leurs provisions; et que mesmes j'entendoys qu'il estoit freschement sorty quatre navyres de guerre, et s'en apprestoit aultres quatre pour sortyr, du premier jour, de divers portz de deçà, pour aller, en faveur des dictz eslevez; et que, jusques aulx propres lieux, où ilz faisoyent la guerre en France, et jusques en Allemaigne, où ilz procuroient d'avoyr des forces, ilz sentoyent l'apuy et assistance de l'Angleterre; et nommément, par aulcunes lettres, qui naguyères avoient esté surprinses, il vous apparoissoit que Mr de Méru, au partir d'icy, debvoit emporter des deniers contantz, ou bien du crédict, pour fère marcher les reytres en France, aussytost qu'il seroit arryvé devers le Prince de Condé; ce que, pour estre ces actes par trop ennemys en l'endroict mesmement d'un prince qui la cherchoit d'amityé, et par trop contrayres à la foy et promesse que vous aviez d'elle, et qu'il vous sembloit que ses conseillers n'oseroyent pas, de eulx mesmes, attempter telles choses contre l'honneur de sa parolle, et mesmement, à ceste heure, qu'ilz sçavoient combien vous aviez bénignement respondu à voz subjectz touchant l'exercice de leur religyon, et touchant leurs seuretez, et tout aultre accommodement en vostre royaulme, pour ne pouvoir à nul aultre tiltre désormays, que de pure rébellion et infidélité, vous continuer plus la guerre, vous ne vouliez si mal juger d'elle que cella, ains penser, selon qu'elle n'avoit le cueur bas, qu'elle vous déclareroit plustost la guerre tout ouvertement que de se porter ainsy couverte 470 ennemye ou dissimulée amye vers vous, et que pourtant vous attandriez quelle preuve vous auriez de ses effaictz, premier que d'adjouxter foy aulx lettres et rapportz de ceulx qui vous vouloyent mettre en deffiance d'elle; et que cepandant vous n'aviez layssé de fère pourvoyr, de vostre propre espargne, au marchand d'Ampthonne, dont elle m'avoit dernièrement parlé, et aviez mandé à vostre parlement de Paris d'expédyer favorablement les librayres de Londres, et donné charge à Mr de Chiverny de fère voyr toutes les aultres plainctes de son ambassadeur en vostre conseil, affin d'y satisfère sellon l'obligation des trettés; lesquelz vous vouliez que fussent droictement observez de vostre costé, et desiriez aussy qu'elle les fît mieulx observer du vostre, que jusques icy elle ne l'avoit pas faict.

La dicte Dame m'a respondu qu'elle vous remercyoit bien fort de ce que ne la vouliez légyèrement arguer de parjure, et qu'elle vous promettoit bien que l'intégrité de ses euvres vous rendroit assez manifeste le mensonge de ceulx qui ozoient calompnier la foy et promesse qu'elle vous avoit jurée, sans qu'elle se mît en peyne d'aultrement les convaincre, mais qu'elle ne sçavoit ce qui adviendroit, après le retour de Mr de Méru en Allemaigne, sinon qu'elle s'assuroit bien qu'il n'auroit à se vanter de rien d'elle contre vous, ny à vous fère douloir d'aulcune chose qu'elle eût uzée vers luy, non plus que vous vers elle, en l'endroict du Fitz Maurice; que vous sçaviez assez la résolution qui estoit prinse entre les Protestantz d'Allemaigne de ne manquer de secours à ceulx de leur religyon qui estoyent en armes en vostre royaulme, s'ilz ne pouvoyent avoyr la paix, et qu'elle sçavoyt bien que les forces estoyent prestes, et ne restoit, pour les fère marcher, que quelque argent, 471 en quoy ne me vouloit nyer qu'ung gentilhomme ne fût passé, depuis peu de temps, en ce royaulme pour avoyr l'accomodement de la somme en deniers contantz, ou bien par crédict; mais que, pour le respect de la ligue qui estoit entre vous, quoy qu'on luy représentât l'obligation de la religyon, et que ce n'estoit que pour contre cautionner aulcuns seigneurs françoys bien riches, qui estoyent les premiers et les principaulx obligez, elle ne l'avoit seulement volu ouyr; et, à dire vray, ny la faulte de moyens, ny la faulte d'occasions, ny la faulte de cueur, ne la retardoyent d'entreprendre contre vous, mais c'estoit sa foy et son sèrement et l'amityé qu'elle vous portoit, qui luy faisoyent sentyr qu'elle ne sçauroit, en honneur et conscience, employer son pouvoir, ny mesmes se laysser venir la volonté de vous nuyre, et qu'elle n'yroit jamays que de plein jour et ouvertement en voz affères, ainsy qu'elle desiroit la mesmes clarté de vous vers les siens; qu'elle estimoit que Mr de Méru se rendroit plus ministre de paix que de querelle, quand il seroit avec le Prince de Condé, et qu'elle voyoit bien que toute la difficulté resteroit aulx seuretez, lesquelles elle ne pouvoit cesser de vous supplyer que ne vous sentissiez grevé de les leur accorder bonnes; car ce vous seroit, puis après, ung soulagement incomparable, et qui ne pourroit estre assez prisé, en l'estat de vostre personne et en celluy de voz affères; qu'elle avoit grand plésir qu'eussiez commandé de pourvoyr aulx plainctes de ses subjectz, car c'estoit de là d'où l'on prenoit ordinayrement les plus fortz argumentz pour luy rendre suspecte vostre amityé, et pour bander tout ce royaulme contre voz affères; dont vous supplioyt de n'en laysser la chose sans effect, ainsy que, de ce costé, elle 472 donroit ordre que voz subjectz demeurassent bien satisfaictz et sans plaincte.

Au partyr de la dicte Dame, j'ay communicqué avec les comtes de Lestre et de Sussex, lesquelz monstrans d'avoyr grand contantement que les choses passassent bien, de vostre costé, vers leur Mestresse, m'ont juré toutz deux que, du costé d'elle, elles estoyent pures et nettes vers vous, et que les advis et rapportz qu'on vous avoit faict du contrayre estoyent faulx, et que, de ces huict navyres dont je leur avoys parlé, ilz me promettoyent, sur leur honneur, qu'il n'y avoit rien contre vous.

Me Quillegreu est party pour Escosse, à cause de ce tumulte de Lislebourg contre le comte de Morthon, ainsy que je le vous ay cy devant escript. Sur ce, etc.

Ce XIIIe jour de juillet 1575.

Le cappitayne Morguen, qui est des plus estimez de deçà se offre à vostre service, et dict qu'il fera, s'il vous plaist, que quelques entreprinses, où l'on le veut employer, soubz main, contre vous, seront converties si à propos à vostre prouffit que vous le réputerez à grand service, soit sur mer ou dans la Rochelle: dont vous plerra me mander comme j'auray à luy en respondre.

A la Royne

Madame, j'ay bien cognu que ceste princesse s'attendoit que je lui deusse maintenant apporter quelque response du propos[5] que je vous ay dernyèrement mandé par le Sr de Vassal; mais je luy ay touché, en passant, que le gentilhomme, que j'avoys dépesché à cest effect vers Voz Majestez, s'estoit, pour quelque accidant, retardé en chemin, et j'espéroys qu'il seroit bientost de retour, icy, avec 473 mon successeur; dont je l'yrois retrouver à Quilingourt, au plus tost et aulx meilleures journées que ma santé le pourroit permettre, affin de luy fère entendre le tout. Et croy, Madame, que sur cella, quand je luy ay demandé si elle avoit encores nommé le seigneur qu'elle dellibéroit d'envoyer en France, et quand il partiroit, qu'elle m'a respondu que, au dict Quilingourt, elle le nommeroit, et que, dans troys sepmaynes, elle le feroit partyr. Dont depuis, le comte de Lestre m'a dict que, si la response venoit bonne, il ne despéroit pas d'estre celluy qui feroit le voïage en France. Et sur ce, etc.

Ce XIIIe jour de juillet 1575.

CCCCLXIe DÉPESCHE

—du XIXe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Heureux effet produit sur les résolutions d'Élisabeth par la conduite du roi à l'égard de sir Jacques Fitz Maurice.—Arrêt mis sur tous les navires marchands armés en guerre.—Retard apporté au départ de sir Henri Coban désigné pour passer en Espagne.—Nouvelles transmises par l'ambassadeur d'Angleterre.—Confiance que l'on peut avoir dans les intentions d'Élisabeth.—Ses favorables dispositions à l'égard de Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, ceste princesse s'est trouvée si consolée des propos qu'il vous a pleu luy mander du Fitz Maurice, et d'autres que je luy ay tenus de vostre droicte intention vers le repoz de ses affères, que, depuis, elle a changé d'aulcunes dellibérations, à quoy sembloit qu'on l'eût desjà comme toute acheminée: de permettre à plusieurs gentilshommes angloix de sortyr en ceste mer estroicte, avec leurs vaysseaulx 474 armez, pour maistriser la navigation, et se revencher des prinses que les Françoys leur ont faictes, et, oultre cella, d'arrester les navyres et biens des Françoys ez portz et endroictz où il s'en pourroit trouver par deçà, y ayant encores là dessoubs d'aultres choses cachées, aulxquelles quelques ungs de ceste court vouloient, peu à peu, embarquer leur Mestresse, sans qu'elle en sentît quasy rien, pour vous remuer de la besoigne en France et en Escosse, en faveur des eslevez, si, d'avanture, ilz eussent esté creus; et sembloit qu'à cause de cella ilz la fissent temporiser ez envyrons de ceste ville, sans advancer son progrès, affin de donner chaleur à l'entreprinse; mais elle a mandé que nul vaysseau ayt à sortyr, sans donner caution de douze mille cinq centz escuz qu'il n'atemptera rien contre les amyz et alliez de ceste couronne, et que, s'il y a quelques navyres desjà prests, qu'ilz les envoyent en marchandise affin de ne perdre leur affret; et que le marchand d'Ampthonne aille recepvoyr le payement que Vostre Majesté luy a ordonné sans procéder, icy, à nul arrest: qui sont deux choses qui ont esté incontinent exécutées.

Et la dicte Dame a continué son progrès, faisant encores temporiser Me Henry Cobham sur la dépesche d'Espagne, bien qu'il faict tousjours achemyner ses besoignes à Plemmue, pour s'y aller embarquer; car dellibère de fère son voïage par mer, et croy qu'on luy fera encores attandre la prochayne responce qui doibt venir de dellà, pendant laquelle le docteur fescal de Bruxelles s'est allé promener vers la contrée, parce que toute sa négociation demeure en suspens.

Et sont, à présent, toutes choses, icy, si paysibles qu'il n'y apparoit mouvement ny nouveaulté aulcune, que ce que 475 les nouvelles de dellà la mer y apportent, qui semble que l'ambassadeur d'Angleterre y ayt escript que Mourevert a failly de tuer le Prince de Condé d'ung coup d'arquebouze et qu'il a esté prins; que Vostre Majesté dresse deux grandes armées par terre, et une troysiesme par mer; que, en ung rencontre en Daufiné Montbrun a eu du meilleur contre M. de Gorden; et que, le Ve du présent, il a cuydé avoyr ung gros tumulte à Paris contre les Italiens. Je ne sçay que pourra cella, ny les aultres particullaritez qu'il peut avoyr escriptes davantage, produyre de changement en ceste court; tant y a que j'espère qu'à l'arryvée de mon successeur, lequel j'attendz en très grande dévotion, nous retrouverons la dicte Dame, en quelle part qu'elle soit, tousjours bien persévérante vers Vostre Majesté, sans qu'elle se laysse attirer contre voz affères qu'aultant qu'elle ne le pourra dénier à sa religyon.

Elle est sur le poinct d'envoyer visiter, par ung de ses gentilshommes, la Royne d'Escosse, avec ung présent, de sa part, et luy fère parler de vouloyr elle mesmes fère la despence de sa table, et de ses serviteurs domesticques, du douayre qu'elle a de France. Je ne sçay comme elles s'en accorderont; néantmoins j'ay grand plésir de les voyr mieulx racoinctées qu'elles n'estoyent.

Je n'ay nulle nouvelle d'Escosse, depuis le partement de Me Quillegreu, mais j'attandz de brief, le retour d'ung homme qui me doibt apporter toutes nouvelles de dellà, et je ne fauldray tout incontinent de les vous mander. Et sur ce, etc. Ce XIXe jour de juillet 1575.

476

CCCCLXIIe DÉPESCHE

—du XXIIIIe jour de juillet 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par Jehan Volet.)

Demande présentée au nom d'Élisabeth d'une réparation à raison des prises faites par ceux de St-Malo.—Protestation de l'ambassadeur que la réparation sera accordée.—Prise faite par les Anglais d'un navire français.—Voyage de Me Quillegrey.—Entrée en Écosse de plusieurs seigneurs anglais.—Attaque faite contre eux par les Écossais.—Détails sur le séjour d'Élisabeth dans la maison de Leicester.

Au Roy.

Sire, le XXe de ce moys, le juge de l'admiraulté de ceste ville m'est venu communicquer une lettre, que la Royne, sa Mestresse, luy a escripte, par laquelle elle luy mande de me signiffier l'extrême plaincte que aulcuns de ses marchands luy ont faicte contre ceulx de St Malo, qui les ont assaillys en mer, et les ayant combattus, blessez et meurtris, les ont admenez, eulx, leurs vaysseaulx et marchandises, à St Malo, où ne leur a esté uzé d'aulcuns termes de rayson, ny de justice, ains procédé contre eulx comme contre ennemys, prins de bonne guerre. De quoy la dicte Dame se sent très griefvement offancée, ou bien de Vous, Sire, qui n'avez faict sçavoyr à voz subjectz la confédération qu'aviez avec elle, ou bien d'eulx qui, la sachant, ne la veulent observer; et que j'aye à remonstrer à Vostre Majesté que cella, après plusieurs aultres injures, ne peut demeurer sans réparation, et qu'il est expédient ou que Vostre Majesté la luy face fère par ceulx de St Malo, ou que ne trouve maulvais qu'elle la preigne, le mieulx qu'elle pourra, sur eulx.

J'ay respondu au dict juge que j'estoys marry, et sçavoys 477 que Vostre Majesté le seroit bien fort de quoy cest accidant estoit advenu, et qu'il ne failloit que sa Mestresse se mît en peyne de la réparation, car vous la luy feriez fère sans doubte, si ceulx de St Malo se trouvoyent en coulpe, car leur aviez bien permis d'armer contre ceulx de la Rochelle, affin d'assurer la navigation, et mesmes de se revancher d'aulcunes prinses et violences qu'ilz leur avoyent faictes, sellon que, de longtemps, j'avoys communicqué une lettre de Mr de Bouyllé là dessus à la dicte Dame, mais non de passer plus avant; en quoy, s'ilz avoyent excédé la permission contre quiconques eût paix et amityé avecques vous, non que contre les Angloix, qui, oultre d'estre amys, estoyent voz confédérez, que vous les en chastîriez bien; et que desjà, ayant eu le vent de ceste plaincte, je vous en avoys escript, et vous en escriproys, de rechef, sur la remonstrance de la Royne, sa Mestresse, avec le plus d'efficasse que je pourroys, pour fère avoyr rayson et restitution aulx dictz Angloix.

Le dict juge, se contantant assez de ma responce, m'a incontinant introduyt iceulx marchandz, et les patrons des navyres qui, avec beaucoup d'exclamations, m'ont bayllé leurs plainctes par escript. Et, le jour d'après, j'ay receu la dépesche de Vostre Majesté du Xe du présent, contenant une aultre plaincte d'ung navyre françoys qui venoit de Naples, lequel les Angloix ont prins, et l'ont mené en Irlande; dont je n'en agraveray moins à la dicte Dame le cas pour voz subjectz qu'elle a faict à vous celluy des siens; et me comporteray vers elle en toutz les aultres poinctz de la dépesche, sellon que Vostre Majesté me le commande;

Ayant à vous dire, Sire, que, sur ce que j'avoys adverty 478 voz partisans, en Escosse, de l'allée de Me Quillegreu par dellà, et qu'ilz l'observassent de bien près, car je sçavoys qu'on avoit envoyé dix mille escuz devant luy, à Barwyc, pour quelque entreprinse, il est advenu que le dict Quillegreu a temporisé, quelques jours, au dict Barwic; et ayant là receu les deniers, il a dépesché ung de ses gens en Escosse. Et incontinent le filz du comte de Béfort, avec d'aultres gentilshommes angloiz, est entré, comme par manière d'esbat, oultre les frontyères, dans le pays; et a l'on opinyon que c'estoit pour avoyr la personne du jeune Prince; mais j'entendz que quelques Escossoys luy ont couru sus, et à sa compagnye, et qu'ilz l'ont blessé, et mené prisonnyer. De quoy je ne sçay qui en adviendra, et mettray peyne de sçavoyr mieulx ce qui en est, affin de le vous mander; mais je vis ordinayrement en grand peyne des choses de dellà, parce qu'il n'y a nul, de vostre part, sur les lieux pour les conduyre, et je ne les puis bien remédyer d'icy en hors. Et sur ce, etc.

Ce XXIVe jour de juillet 1575.

A la Royne

Madame, en la lettre que j'escriptz présentement au Roy, vostre filz, Vostre Majesté trouvera tout ce qui me occourt de luy dire, pour ceste heure, des choses d'icy; et, après que j'auray veu ce qu'il vous a pleu à toutz deux me mander par vostre dépesche du Xe du présent, laquelle je viens de recevoyr, et que j'auray pourveu au plus hasté, je vous y feray plus ample responce. Et n'adjouxteray à la présente sinon ce mot de la continuation du progrès de ceste princesse: c'est qu'elle est arryvée le neufvième d'estui 479 cy à Quilingourt, où elle a esté fort honnorablement receue. Et le comte de Lestre l'a logé, elle et ses dames, et quatorze comtes, et dix sept aultres principaulx milords, toutz dans son chasteau, et deffrayé toute la court à cent soixante platz d'assiette, l'espace de douze jours, et despendu, entre aultres choses, sèze pièces de vin et quarante pièces de bierre et dix beufs, chascung jour, avec une si grande abondance de toutes aultres sortes de bons vivres et de fruictz et confitures, qu'on s'en est esbahy; et quatre centz serviteurs habillez à neuf de livrées, oultre les gentilzhommes, vestus de velours pour servir; et les chasses et playsirs des champs, et puis les commédyes et les danses au logis, ordonnées si à propos qu'on n'a veu, de longtemps, rien de plus magnifique en ce royaulme.

Sur quoy l'on faict de diverses interprétations; mais je croy que c'est pour recognoistre ung octroy, que la dicte Dame luy a faict, ceste année, de quelques vaquanz, qu'on estime valoyr plus de deux centz mille escus. Je me fusse trouvé là, ainsi que le dict sieur comte m'en avoit fort pryé, mais je ne me suys estimé avoyr assez de santé pour l'ozer employer, sinon là où l'exprès service de Voz Majestez le requerra; qui vous supplye très humblement, Madame, à ceste heure que Mr de Mauvissière s'est accommodé de ses affères, et qu'il m'a faict estendre ma paciance oultre mon extrémité, qu'il vous playse ne luy comporter plus une seulle heure de dellay, à me venir soulager et relever. Et sur ce, etc. Ce XXIVe jour de juillet 1575.

480

CCCCLXIIIe DÉPESCHE

—du premier jour d'aoust 1575.—

(Envoyée exprès à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Détails de la querelle survenue sur les frontières d'Écosse.—État des armemens faits en Angleterre.—Réclamations réciproques au sujet des prises.—Instances des protestans de France auprès d'Élisabeth.—Sa déclaration qu'elle ne peut accorder à sir Jacques Fitz Maurice rien de plus que ce qu'elle avait fait pour lui avant sa fuite.—Espoir que la paix sera bientôt conclue.—Projet attribué au prince d'Orange de vouloir pénétrer en France.—Assurance donnée par Leicester qu'il sera désigné pour se rendre auprès du roi si l'on reprend la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, le différent, dont je vous ay naguyères escript, d'entre les Angloix et les Escossoys, est advenu de ce que, en l'assemblée et convention des gardiens des deux frontyères, ayant les Escossoys demandé qu'ung gentilhomme des leurs, qui avoit esté admené par deçà, fût là représanté sellon l'ordre des dictes frontyères, les Angloix ont respondu qu'il estoit si malade qu'on ne l'y avoit peu admener, et de cella ont exibé incontinent des tesmoings, qui l'ont ainsy affermé; mais interpellés de l'assurer par sèrement, et y ayant faict difficulté, ilz sont venus en grosses parolles, et des parolles aulx mains et aulx armes: dont quatre Angloix ont esté tuez sur le lieu et plusieurs blessez, et entre aultres le filz du comte de Béfort, qu'on dict estre depuis mort. La Royne d'Angleterre a incontinent envoyé milord de Housdon sur le lieu, affin de pourvoyr, le mieulx qu'il lui seroit possible, à ce désordre. Il semble qu'il y eût, je ne sçay quoy, de caché là dessoubz, qu'aulcuns personnaiges d'honneur de ceste court ne 481 sont pas marrys qu'il ayt esté ainsy descouvert, à la confusion de ceulx qui l'avoient conseillé et de ceulx qui le vouloyent fère exécuter.

Me Quillegreu a passé oultre jusques à Lislebourg. J'espère que bientost j'auray quelque relation de ce qu'il faict par dellà. L'on dict que la fille de la comtesse de Mar, laquelle le comte de Morthon avoit faicte épouser au comte d'Angoux, son nepveu, est morte, et que le dict Morthon pourchasse de le remaryer avec une fille des Amelthons.

Quand à l'estat des choses d'icy, la Royne d'Angleterre est encore à Quilingourt; et vous puis assurer, Sire, que ces cinq grands navyres de guerre, dont l'on vous a parlé, ne sont poinct dehors. Il est vray qu'il s'en appreste troys pour sortyr bientost, et dict on que c'est pour aller contre les pirates françoys et flammantz, qui infestent ceste mer; mais j'entendz que c'est pour se pourvoyr de bonne heure contre les souspeçons, que ceulx cy se donnent, de l'armement que Vostre Majesté faict fère en Normandye et en Bretaigne.

J'ay envoyé représanter la plaincte du navyre françoys, nommé le Saulveur, qui a esté prins par les Angloix en revenant de Naples, à la dicte Dame, sellon l'article que m'en avez faict en une lettre du Xe du passé, et sellon une relation que ceulx de St Malo m'en ont envoyée, avec la justiffication de leurs derniers exploitz qu'ilz ont faict sur mer, lesquels je ne sçay comme je les pourray fère bien prendre à ceulx qui s'en pleignent icy fort amèrement. J'estime, Sire, qu'il est expédient de fère voyr cest affère à la justice, affin de conserver la paix et entretenir le commerce d'entre ces deux royaulmes.

Le voïage de Me Henry Cobhan pour Espaigne avoit 482 esté réfroidy, mais je viens de sçavoyr qu'il s'effectuera bientost, et qu'on l'a honnoré de quelque tiltre affin de luy fère tenir meilleur lieu par dellà. J'entendz que, le jour de la Madeleyne, un françoys, naguyères party de Basle, est arryvé en ceste ville, feignant qu'il y venoit chercher Mr de Méru, néantmoins il a incontinent passé oultre vers Mr de Walsingam, à la court. Je ne sçay qu'il y praticquera, et croy bien qu'il y trouvera assez de ceulx qui vouldroyent favoriser la guerre en vostre royaulme; mais j'espère qu'il n'impètrera, pour tout cella, ny les hommes, ny les vaysseaulx, ny tant d'argent de ceste princesse comme il voudroit; laquelle m'a faict prier, touchant ce que luy aviez escript pour James d'Esmont, dict Fitz Maurice, que je vous veuille mander comme elle, ayant cy devant envoyé au gouverneur de la province où il a commis la trahison contre elle, son pardon, et n'ayant, luy, voulu ny daigné aller vers le dict gouverneur pour le demander et l'accepter, elle ne peut, avec son honneur, luy en concéder ung aultre, et que de cella elle remect à Vostre Majesté d'en estre juge.

Je me resjouys infinyement du retour du Sr de Misery et de l'acheminement des depputez. Je croy qu'ilz ne viennent pas, sans apporter une modération de leurs premières demandes, et sans ung suffisant pouvoir d'accepter les bonnes responces que Vostre Majesté leur a desjà faictes, ou bien celles, si besoing est, que voudrez encores leur fère. Et depuis deux jours, est arryvé, icy, ung de la Rochelle, qui assure avoyr veu partyr les Srs de Mirambeau et de Bessons pour aller rencontrer les aultres depputés, portans bonne instruction de ceulx de ce quartier là à la paix. Néantmoins il court, icy, ung bruict sourd que, 483 en Ollande, a esté mis en dellibération, touchant la guerre de vostre royaulme, que, si le prince d'Orange veut entreprendre d'y marcher en faveur des eslevez, et passer en armes par le Brabant, Aynaut et Artoys, affin d'eslever ces peuples là, que iceulx de Ollande le secourront de deux centz mille florins contantz; mais parce que Vostre Majesté doibt avoyr notice de cella, s'il est vray, par une plus seure voye que la mienne, je n'en toucheray, icy, davantage. Sur ce, etc. Ce 1er jour d'aoust 1575.

A la Royne

Madame, estimant qu'il n'y a poinct de mal que ceulx cy soyent détenus en quelque suspens de ne pouvoir, du premier coup, descouvrir le fonds de l'intention de Voz Majestez Très Chrestiennes touchant le propos qu'ilz m'ont naguyères renouvellé, je leur allègue tousjours quelque occasion du juste retardement de vostre responce; qui seray bien ayse que je ne soys pressé de ne leur en dire rien davantage jusques à ce que Voz Majestez m'ayent ung peu plus expressément respondu aux particullaritez que je leur en ay depuis escripte, du XIIIe du passé, et mesmement sur ce que le comte de Lestre m'a fort considérément dict que, s'il venoit aulcune bonne response de dellà pour le dict propos, il n'estoit pas hors d'espérance qu'il ne fût celluy qui iroyt apporter la jarretyère au Roy, vostre filz. Et cependant je ne veulx obmettre, Madame, de très humblement vous remercyer pour la tant expresse déclaration, qu'il vous a pleu me fère, du contantement que Voz Majestez ont de mon service, et de l'assurance que me donnez de la venue de mon successeur, et de me fère avoyr quelque récompense: qui sont troys choses que Vostre Majesté adaptera à la nécessité 484 d'ung gentilhomme qui en a plus de besoing que nul aultre qu'ayez jamays employé au service du Roy ny au vostre, et qui, sans me confier par trop de mes mérites passez, desire encores de le mériter davantage par nouveaulx services que j'essayeray de vous fère à toutz deux, les meilleurs et avec le plus de soing et de dilligence que mon aage et ma santé le pourront porter, et tousjours avec une singullière fidellité: et par exprès, Madame, j'auray à jamays, pour l'effet que me ferez sentir de ces troys choses que j'ay dict cy dessus, une immortelle obligation à Vostre Majesté. Et sur ce, etc. Ce 1er jour d'aoust 1575.

CCCCLXIVe DÉPESCHE

—du VIe jour d'aoust 1575.—

(Envoyée jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Communication confidentielle, faite par l'un des seigneurs du conseil à l'ambassadeur, de la bonne disposition d'Élisabeth au sujet de son mariage avec le duc d'Alençon.—Nécessité de faire une nouvelle proposition de l'entrevue, si le roi desire que ce mariage s'effectue.—Résolution prise en Angleterre d'attendre une réponse du roi à cet égard, avant de désigner le seigneur qui portera au roi l'ordre de la Jarretière.

Au Roy.

Sire, par la dépesche que je vous ay faicte, du premier du présent, j'ay réytéré en la lettre de la Royne, vostre mère, à ce que, du tréziesme auparavant, je vous avoys escript, comme le comte de Lestre m'avoit ouvertement déclaré que, s'il venoit quelque bonne nouvelle de France, sur la reprinse du bon propos de sa Mestresse, qu'il espéroit estre celluy qui vous yroit apporter la jarretyère. Sur quoy attandant qu'il vous playse me mander ce que j'auray 485 à luy respondre, je ne m'advance pas de rendre encores l'autre responce que m'avez mandée du Xe auparavant, touchant le principal du dict propos, parce qu'il semble que voz présentz affères ne perdent rien de laysser cella en quelque suspens, et aussy que l'on ne me presse beaucoup d'y respondre. Néantmoins ung des premiers et fort principal personnage de ce royaulme m'a secrettement adverty que la Royne, sa Mestresse, ayant ung jour, à Quilingourt, faict appeller en sa chambre ceulx de son conseil pour, entre autres choses, fère l'élection de celluy qui vous apporteroit la dicte jarretyère, elle et eulx, par occasion, là dessus, avoyent ramené en mémoyre l'estat de tout l'autre principal propos, et que la matière en avoit esté si avant débatue qu'on avoit jugé expédient de ne nommer encores pas ung pour ceste légation, jusques à ce qu'on eût ung peu mieulx cognu de quelle intention Vostre Majesté seroit vers le dict bon propos, affin que, sellon cella, elle peût, de plusieurs seigneurs de sa court, eslyre lors celluy qu'ilz estimeroyent le plus propre pour bien négocyer cest affère; et qu'il me vouloit bien dire qu'il avoit fort profondément sondé le cueur de sa Mestresse en cest endroict, et qu'il trouvoit, en somme:

Qu'elle ne sçavoit à quoy bonnement se tenir de l'intention de Vostre Majesté; car, parce qu'elle m'avoit tousjours cognu d'une prompte et grande affection à l'entretènement de vostre mutuelle amityé, et à vouloyr, tout ainsy que Voz Majestez estoyent unis par la ligue, vous unyr encores davantage par alliance; et que, toutes les foys que le feu Roy, vostre frère, m'en avoit commandé quelque chose, je la luy avoys non seulement fort volontiers communicquée, mais luy avoys tousjours admené beaucoup de 486 raysons pour l'y persuader, voyant, à ceste heure, que je ne monstroys plus nulle challeur en cella, elle creignoit que Vostre Majesté n'en y eût poinct aussy; néantmoins qu'elle vouloit croyre fermement que le feu Roy, et la Royne, sa mère, avoient jusques icy, ainsy que je l'avoys tousjours assuré, procédé d'une fort droicte intention à vouloir, avec leur honneur et dignité, fère tout ce qu'ilz pourroyent pour conduyre l'affère à bonne fin, et qu'ilz avoient demandé ung saufconduict pour l'entreveue, lequel elle leur avoit une foys accordé, et depuis n'en avoit jamays faict de refus; dont restoit maintenant en Vostre Majesté d'y procéder sellon ces dernières erres, sinon que, pour aulcuns respectz et accidantz, il vous fût survenue nouvelle occasion de ne le vouloyr poinct;

Et que c'estoit tout ce qu'il avoit peu tirer de la dicte Dame, par où je pouvois voyr qu'elle estimoit avoyr bien accomply, de son costé, ce qui touchoit à cella, et qu'elle attandoit, à ceste heure, comme vous entendiez d'y cheminer, du vostre; et que, là dessus, il me vouloit privéement déclarer son opinyon, qui estoit: que, sans remémorer l'amplitude de l'estat ny les excellantes grâces de sa Mestresse, qui estoyent choses notoyres, ny la cognoissance que Vostre Majesté et la Royne, vostre mère, aviez que celluy qui se vouloit rendre possesseur d'une telle princesse, et posséder avec elle toute sa grandeur, la debvoit, avec beaucoup de soing et avec beaucoup de respectz, très dilligemment poursuyvre, il jugeoit nécessayre, puisque le poinct de l'affère estoit maintenant tout en vostre main, si d'avanture je pensoys que Vostre Majesté y eût encores de l'affection, que tout promptement je vous escripvisse de demander encores l'entreveue, comme chose avec laquelle 487 le bon effaict s'en pourroit facillement ensuyvre, et sans laquelle jamays ne s'ensuyvroit; et que, sellon la dilligence que je vous ferois mettre en cella, se pourroit cognoistre s'il restoit de la disposition, ou non, de vostre costé; car la prolongation ne servoit que de confirmer aulx ennemys les argumentz qu'ilz faisoient contre ce propos, et de mettre les amys en quelque doubte de vostre sincérité; et confessoit estre l'ung de ceulx qui avoient consulté la dicte Dame de ne nommer poinct le personnage qu'elle vouloit envoyer en France jusques à ce qu'elle sceût playnement le cueur de Vostre Majesté, affin de fère allors plus seurement l'élection; car jugeoit n'estre aulcunement raysonnable qu'elle fît partyr ung qui seroit pour résouldre cest affère, sinon à bien bonnes enseignes; et, si elle perdoit la présente occasion de la jarretyère, elle n'espéroit, de longtemps, d'en recouvrer une aultre si honnorable, ny qui peût estre si à propos; et que, quand luy et ceulx qui, comme luy, avoient grande dévotion à cest affère, pourroient avoyr quelque cognoissance de la vraye et certayne intention de Vostre Majesté, je ne fisse nul doubte qu'ilz n'y employassent lors tous les bons moyens et addresses qui s'y pourroient desirer; me priant d'uzer bien secrettement et avec discrétion, de cestuy sien conseil, qui estoit sans le sceu de nul aultre de la compagnye; et qu'il avoit congé d'aller estre quelques jours en sa maison, mais qu'il seroit tout à temps de retour à la court pour servir, aultant qu'il luy seroit possible, en cest endroict.

Voilà, Sire, la substance et les propres termes, en brief, de tout ce qu'il m'a plus au long escript; qui ay retenu l'original de sa lettre devers moy, et ne luy ay poinct faict de responce. Mesmes j'avoys une foys dellibéré de n'en rien 488 mander à Vostre Majesté, parce que celle vostre aultre responce, du Xe du passé, sembloit assez y satisfère; mais il ne faut rien tayre à son prince, comme je ne luy ay jamais faict, ny suis pour jamays le fère. Sur ce, etc.

Ce VIe jour d'aoust 1575.

A la Royne

Madame, ceste dépesche, que je fay présentement à Voz Majestez, est pour leur fère entendre le contenu d'une lettre qu'ung des premiers et principaulx milords de ce royaulme m'a escripte, à laquelle je ne luy ay rien respondu, et si, ay esté en doubte si je la debvoys entièrement réserver secrette devers moy, affin de ne remuer rien plus en ung affère qui a esté plusieurs foys en vain essayé, et lequel je ne sçay comme, à présent, il est agréable de vostre costé. Mais considérant qu'il fault révéler toutes choses à Voz Majestez, et elles, puis après, en ordonneront comme il leur plerra, et que d'ailleurs, le personnage qui m'a escript est de tel poix et gravité, et si retenu, qu'il ne dict rien à la volée ny sans bon fondement, j'ay enfin prins ceste résolution qu'il ne vous en seroit rien dissimulé. Et seulement je me suis abstenu de vous y adjouxter rien de mon adviz parce que Vostre Majesté void tout à cler ce qui est de dellà, et juge mieulx de ce qui est icy que je ne sçauroys fère; et ne diray que ce mot que ceulx cy temporizeront indubitablement d'envoyer l'ordre jusques à ce qu'ilz pourront avoyr eu quelque notice de l'intention de Voz Majestez en cest endroict. Et sur ce, etc.

Ce VIe jour d'aoust 1575.

489

CCCCLXVe DÉPESCHE

—du XIIIe jour d'aoust 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Nouveaux armemens faits en Angleterre.—Prochain départ de sir Henri Sidney pour l'Irlande.—Temporisation de Me Quillegrey à Barwich.—Maladie de sir Henri Coban.—Exécution à Londres de plusieurs Hollandais brûlés vifs pour cause d'hérésie.—Méfiance que doivent inspirer les nouveaux préparatifs des Anglais, et un envoi d'argent fait par Élisabeth en Allemagne.

Au Roy.

Sire, ayant sceu que l'admyral d'Angleterre et le gardien des cinq portz, avec les principaulx officiers de la marine, s'estoyent assemblés, la sepmayne passée, à Rochester, où sont les grands navyres de ceste princesse, comme pour y ordonner d'ung armement à fère quelque entreprinse, j'ay envoyé sçavoyr ce qui en estoit; et m'a l'on rapporté qu'on y avoit commandé de mettre promptement huict des grands navyres en estat pour estre prestz de sortir dans dix jours, toutes les foys que le commandement en seroit venu; mais qu'on n'avoit encores rien ordonné de l'advytayllement, et que seulement le dict admiral, estant au dict lieu, avoit envoyé surprendre, en l'embouchure de la Tamise, deux vaysseaulx, où y avoit sept ou huict gentilhommes de bonne qualité, angloix, qui pensoient se desrober de ce pays, lesquelz il a ramenez et sont réservez soubz quelque garde; et qu'il s'apprestoit bien envyron vingt quatre ou vingt cinq vaysseaulx, en demy équippage de guerre, dans ceste rivyère, par des particulliers, qui disoyent vouloir aller, les ungs en Hespaigne, les aultres en Portugal, et les aultres en Barbarye, pour 490 faict de marchandise; dont nous verrons, de jour à l'aultre, ce qui s'en fera. Il semble que, de ceste année, il n'y a pas grande flotte pour les vins à Bourdeaulx, parce que ceste princesse a très rigoureusement deffendu qu'on ne puisse vendre ny achapter en Angleterre, toutz frays et subsides payez, plus haut de dix livres d'esterling la tonne de vin, qui sont cent livres tournoys, là où, à présent, il se vent bien au double.

Le sire Henry Sidney s'en va, du premier jour, passer en Irlande, où l'on pense qu'il y réduyra les choses, et qu'il remettra facillement tout le pays en l'obéyssance de ceste couronne, et le comte d'Essex s'en retournera.

Me Quillegreu a temporisé, plus longtemps qu'on ne m'avoit dict, à Barwic, à cause de ce désordre naguyères survenu entre les gardiens des deux frontyères, et s'il n'en est party depuis dix jours, il y est encores. La Royne d'Escosse se porte bien et cuydoyent aulcuns que la Royne d'Angleterre, sa cousine, s'estant approchée à une journée et demye d'elle, la deût voyr; mais j'entendz que seulement elle l'a envoyée visiter. Me Henry Cobhan, en attandant, icy, sa dépesche pour Espaigne, est tombé malade; néantmoins il espère partyr, aussytost qu'il se portera ung peu bien, et dellibère de fère son chemin par France.

L'on a brullé, ces jours passez, en ceste ville, aulcuns Ollandoys pour cause d'hérésye, parce qu'ilz ne se sont voulus desdire, soubstenans, entre aultres erreurs, qu'il n'estoit loysible aulx Chrestiens d'exercer magistrat.

Je ne veulx pas, Sire, après tant de bonnes parolles et de bonnes démonstrations que j'ay naguyères eues de ceste princesse et des siens, sur la continuation de la ligue, les 491 souspeçonner légèrement; néantmoins ayant sceu que, de trente mille livres d'esterling, que la dicte Dame a dernyèrement empruntés de ceulx de Londres, en ayant receu contant vingt mille, et icelles ordonnées pour la guerre d'Irlande, je crains que des aultres dix mille, lesquelz elle a envoyé remettre en Hambourg, que, si elles ne sont distribuées aulx pensionnayres qu'elle a en Allemaigne, ou bien employées en l'acquit de quelque vieulx partis qu'elle doibt encores par dellà, qu'elles ne soyent convertyes à fère une levée de reytres en faveur des eslevez de vostre royaulme; et que ceste somme soit celle partye de deniers qu'on dict qu'elle est obligée de contribuer en la ligue des princes protestantz pour la deffance de leur religyon, sellon qu'on m'a assuré qu'il est convenu, par articles exprès, avec les dictz princes protestantz que, toutes les foys et pour aultant de vingt mille escus qu'on leur pourra fère fournir en deniers contantz, ilz seront tenus, dans certains jours après, de fère marcher autant de troys mille reytres ou en France ou en Flandres, là où le besoing en sera cognu plus grand; dont Vostre Majesté pourra, par quelqu'ung de ses serviteurs en Allemaigne, fère observer cella.

Je ne puis vériffyer que Mr de Méru ayt emporté plus grande somme de ceste court que les douze centz angelotz que cette princesse luy a donnez; et encores m'a l'on dict que le présent, à la fin, a esté restreinct à six centz angelotz.

Je parachevoys cest article quand la dépesche de Vostre Majesté, du XXIXe du passé, est arryvée, de laquelle j'uzeray en la façon qu'il vous plaist me le commander, la première foys que j'iray retrouver ceste princesse; et 492 incontinent après, je vous manderay ce qu'elle m'y aura respondu. Sur ce, etc. Ce XIIIe jour d'aoust 1575.

CCCCLXVIe DÉPESCHE

—du XXe jour d'aoust 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Calais par la voye du Sr Acerbo.)

Arrivée de Mr de Mauvissière en Angleterre.—Refus du roi d'accepter les offres faites par le capitaine Bathe d'une entreprise contre l'Angleterre.—Préparatifs des Anglais pour se tenir prêts à une expédition.—Réclamations réciproques à raison des prises.—Sollicitations de l'ambassadeur afin qu'il lui soit envoyé de l'argent.—Mission qui lui est donnée de se rendre auprès de Marie Stuart et de passer en Écosse.

Au Roy.

Sire, parce qu'il y a huict jours que je ne fay, d'heure à aultre, que regarder si Mr de Mauvissyère arryvera, pour le conduyre incontinent devers la Royne d'Angleterre, laquelle est encores bien loing en son progrès, je temporise d'aller parler à elle du contenu de la dépesche de Vostre Majesté, du XXIXe du passé, jusques à ce qu'il soit icy, affin de fère de tout ung; mais venant de sçavoyr par le Sr de Vassal, lequel ne faict que d'arryver, que le dict Sr de Mauvissyère est desjà en Angleterre, de quoy je loue Dieu de bon cueur, j'espère que, dans ung jour ou deux, nous yrons toutz deux trouver la dicte Dame.

Cependant je ne puis sinon bien fort approuver ce que la Royne, vostre mère, a prudemment advysé de rejetter les offres du cappitayne Bathe comme malhonnestes, et louer infinyement vostre vertu de les avoyr de mesmes mesprisées; car c'est sellon que voz promesses et l'obligation de vostre foy et de vostre sèrement le requièrent, et je mettray peyne de fère voyr à ceste princesse combien ces 493 deux honnorables actes, que luy avez uzé touchant le sire James Fitz Maurice et cestui cy, méritent qu'elle s'acquite de mesmes honnorablement vers Vostre Majesté. Et vous diray, Sire, que j'ay opinyon qu'il y avoit de l'artiffice beaucoup ez offres du dict Bathe, et qu'il cherchoit comme il pourroit trouver le moyen de provoquer sa Mestresse contre vous, et non pas comme il pourroit nuyre à elle, sellon qu'il y en a assez, en ceste court, qui luy en pouvoient avoyr bayllé l'instruction; car, après s'estre eschappé des mains du grand commandeur de Castille, qui l'avoit détenu dix huict moys en prison, à cause qu'il le souspeçonnoit d'estre passé en Flandres pour tuer, de guet à pens, le comte de Vesmerland, aussytost qu'il a esté de retour par deçà, l'on l'a receu et favorizé en ceste court, et ceulx qui manyent les affères ont persuadé à ceste princesse de luy ordonner une pencion de deux centz escuz, l'an, pour toute sa vye, et il ne venoit que de recepvoyr ce bienfaict d'elle quand il est passé en France, avec ce, que je ne pense poinct qu'il ayt eu communicquation avec le comte de Quildar, car l'on l'observe de trop près, ny le dict comte ne se fût jamays commis à luy, car il n'est nullement léger. Mais, quand au cappitayne Morguen, de tant que son offre ne tend à rien qui soit contre sa Mestresse ny contre son pays, ains d'exécuter quelque entreprinse qu'il dict estre d'importance, et laquelle il estime pouvoir conduyre à bon effect pour le service de Vostre Majesté contre ceulx de la Rochelle et les eslevez de vostre royaulme, elle semble avoyr plus d'apparance que l'autre.

Néantmoins luy et les autres cappitaynes angloix, qui sont icy, sont à présent retenus pour la guerre d'Irlande, de peur que le dict sire James Fitz Maurice n'y repasse 494 pour y brouyller les affères. Et puis il semble qu'encor que ceste princesse et les siens ne monstrent pas qu'ilz soyent beaucoup offancez de ce que les Escossoys ont faict en l'assemblée des gardiens de la frontyère du North, ilz en réservent néantmoins une vengeance dans le cueur contre eulx, et si, ont quelque opinyon qu'ilz ayent esté meus à uzer de ceste audace par quelque conseil de France; ce qui faict qu'ilz caressent davantage leurs cappitaynes et leurs soldatz, estimantz qu'ilz en auront bientost à fère. Et depuis troys jours, ilz ont faict sortir troys grands navyres de guerre, de ceulx que je vous ay mandé qu'on apprestoit, et ont envoyé revisiter les fortz qui sont le long de la coste d'Ouest, qui regarde la France, affin de les mettre promptement en deffance, et les garnyr d'artillerye et de monitions et de gens de guerre, ung peu mieulx que de l'ordinayre, sur quelque souspeçon qu'ilz ont que ce, que Vostre Majesté a commandé d'armer des vaysseaulx par dellà pour assurer la mer contre les pirates, ayt quelque aultre chose de caché là dessoubz; de quoy je les mettray bien hors de peyne sur l'assurance de l'amityé que leur avez jurée, si, d'avanture, ilz daignent m'en parler.

Mr de Walsingam me vient d'escripre, du XIIIe de ce moys, que je vueille refraischir à Vostre Majesté la plaincte des marchandz de Londres contre les habitans de St Malo, parce que la Royne, sa Mestresse, en est pressée; et que, quand à la plaincte du sire Lacheroy, de Roan, de laquelle Vostre Majesté m'a naguyères escript, il me mande que la dicte Dame a commandé à son ambassadeur par dellà d'y regarder, et d'en accommoder l'affère sellon que, par les preuves et vériffications du procez, il cognoistra qu'il se debvra fère.

495 Au surplus, Sire, je reste le plus confus gentilhomme de toutz ceulx qui sont à vostre service pour n'avoyr receu, par le Sr de Vassal, aulcune provision d'ung seul denier de Vostre Majesté, pour me désangager d'icy, qui suis en danger d'y souffrir une très grande honte au préjudice de la réputation de voz affères, par la rigueur que justement m'uzeront, à ceste heure, ceulx à qui je doibs; qui vous supplye très humblement, Sire, y vouloir pourvoyr, et avec ce qui en peut toucher à la dignité de vostre service, avoyr compassion de l'extrême nécessité de vostre serviteur.

Je feray bien tout ce qu'il me sera possible pour avoyr la permission d'aller visiter la Royne d'Escosse et Monsieur le Prince, son filz, de la part de Vostre Majesté, et vous y feray tout le service qu'il vous plaist me commander, sans y espargner ma santé ny mesmes ma vye, s'il est besoing; mais il n'est pas possible que, sans qu'il vous playse me fère envoyer de l'argent, je puisse frayer au voïage. Et sur ce, etc. Ce XXe jour d'aoust 1575.

CCCCLXVIIe DÉPESCHE

—du XXVIIe jour d'aoust 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Callays par la voye du Sr Acerbo.)

Nouvelle répandue à Londres de l'entrée en France du prince de Condé avec une armée.—Secours d'argent donné aux protestans de France et d'Allemagne par les églises d'Angleterre.—Incursion des Anglais sur les frontières d'Écosse.—Craintes pour Marie Stuart.

Au Roy.

Sire, depuis huict ou dix jours en çà, la Royne d'Angleterre n'a poinct arresté en lieu de séjour, où nous ayons 496 peu avoyr accez à elle, et n'en y aurons jusques à mardy prochain, trentiesme de ce moys, que nous l'yrons trouver à Wodstok, à cinquante mille d'icy, où j'espère qu'elle acceptera agréablement Mr de Mauvissière en ma place, ainsy que desjà il a bien cognu, par des démonstrations que mylord trésorier luy a faictes, qu'il sera receu avecques toute faveur d'elle et de ceulx de son conseil. Dont je juge bien que, sellon la dilligence qu'il mect de s'instruyre et de se bien informer de toutes choses d'icy, et pour la bonne affection qu'il monstre avoyr à vostre service, qu'il vous en fera de très bon et très fidelle; en quoy de tout ce que je sçay et que je cognoistray luy pouvoyr donner lumyère en ceste charge que luy avez commise, je vous supplye très humblement, Sire, de croire que je n'y manqueray nullement. Et après que nous aurons parlé à la dicte Dame, nous vous ferons incontinent sçavoyr ce que nous aurons apprins d'elle et des siens, sur les particullaritez que nous avez commandé leur proposer.

Et vous diray cependant, Sire, que la nouvelle, qui court icy, que le Prince de Condé est desjà entré en vostre royaulme avec ung nombre de reystres, donne quelque chaleur à des particulliers de ce royaulme de s'esmouvoyr; et est certain que, oultre les trois navires de ceste princesse, que je vous ay dernièrement escript qui estoient sortis en mer, il y en a cinq de Hacquens, de Thomas Cobhan, de Forbicher et de quelques aultres cappitaynes de mer, qui, dans trois ou quatre jours, doibvent sortir de ceste rivyère en équippage de guerre, et ne se sçayt encores où s'addresse leur entreprinse; néantmoins nous en donnons présentement advis aulx gouverneurs de dellà affin qu'ilz en demeurent apperceus.

497 Il a esté faicte une secrette ceuillette de deniers par les églyses de ce royaulme, qui monte envyron cinq mille livres esterling, c'est dix huict mille escus, qui doibvent estre prestz en angelotz ez mains d'ung marchant de ceste ville, le premier jour du moys prochain; et présument aulcuns que c'est pour secourir le prince d'Orange, lequel n'a renvoyé si malcontant le docteur Roger, naguyères envoyé d'icy devers luy, comme l'on le publioit; ains j'ay naguyères comprins de certains propos que le docteur fiscal de Bruxelles m'a tenus, lequel j'ay convyé à dîner avec Mr de Mauvissière, que le dict Roger avoit porté offre du dict prince de mettre des places de Hollande et Zélande ez mains de ceste princesse, si elle vouloit prendre la protection du pays, ou aultrement qu'il s'iroit getter ez mains de Vostre Majesté, parce qu'il ne pouvoit plus supporter la guerre; mais, de tant que je n'ay encores la certitude de ce faict, et que, s'il est vray, vous en avez assez de certitude d'aylleurs, je ne m'en estendrai davantage.

Et adjouxteray seulement, icy, que les Angloix sont entrés en armes dans la frontière d'Escoce, pour revencher l'injure que les Escossoys leur avoient faicte; dont, pour accommoder cella, j'entendz que le comte de Houtinthon, président du North d'Angleterre, et le comte de Morthon se doibvent bientost assembler, ce que j'ay grandement suspect pour la personne de la Royne d'Escosse; car ce sont les deux plus viollantz ennemys qu'elle ayt en ces deux royaulmes. Me Quillegreu a desjà veu le dict Morthon, et croy qu'il se trouvera à cest abouchement; et m'a l'on dict qu'il praticque une nouvelle levée d'Escossoys pour la fère passer du premier jour, en Hollande. Et sur ce, etc.

Ce XXVIIe jour d'aoust 1575.

498

CCCCLXVIIIe DÉPESCHE

—du Xe jour de septembre 1575, à Oxford.—

(Envoyée exprès jusques à Callays par Jehan Mounyer.)

Audience de présentation de Castelnau de Mauvissière.—Reprise de la négociation du mariage.

Au Roy.

Sire, le dernier du moys passé, j'ay présenté en ce lieu, de Vuodstok, Mr de Mauvissière à la Royne d'Angleterre, et luy ay dict que, m'ayant, Vostre Majesté, octroyé mon congé, vous l'aviez envoyé pour me succéder en ceste charge, et espériez que l'élection luy en playroit, sellon que vous l'aviez ainsy expressément faicte, affin qu'elle luy pleût en toutes sortes, et qu'elle cogneût que vous aviez bien voulu mettre ung ambassadeur prez d'elle, duquel, oultre l'estime que vous aviez de sa suffizance, pour estre ung gentilhomme de longtemps versé en affères d'estat, qui avoit eu de bien honnorables commissions, en paix et en guerre, et aulcunes vers elle, dont il s'estoit tousjours dignement acquité, et oultre, aussy, que vous le teniés pour très loyal serviteur, duquel vous aviez esprouvé le cueur estre bon et droict vers vostre service, et bien incliné aulx choses bonnes, voyre, à celles qui estoient meilleures, vous sçaviez qu'il estoit bien affectionné et dévot aux rares et excellantes vertus qu'il avoit cognues, et souvant publiées, de la dicte Dame; et que luy ayant, Vostre Majesté, fort expressément commandé de la révérer, et de luy complère en tout ce qu'il luy seroit possible, il estoit venu pour nullement n'y faillyr;

Que, de ma part, je m'en retourneroys, avec son bon 499 congé, retrouver Vostre Majesté, et que, si je ne m'estois rendu indigne des grâces et faveurs, dont elle m'avoit obligé, tout le temps que j'avoys résidé par deçà, je la supplioys d'y obliger davantage le dict Sr de Mauvissière.

Et là dessus, il luy a présenté voz lettres et recommandations, et luy a, d'une fort bonne et fort agréable façon, expliqué la créance qu'il avoit de Vostre Majesté pour la continuation de vostre commune amityé, et pour la confirmation d'icelle, par le bon propos de Monseigneur vostre frère, suyvant ce que la Royne, vostre mère, luy en escripvoit de sa main. Et luy a déduict plusieurs raysons fort considérables pour la mouvoir, et la rendre bien inclinée à vostre honneste desir.

A quoy, elle, après aulcunes parolles qu'il luy a pleu dire en quelque recommandation de ma négociation passée, lesquelles ne me siéroient bien de les escripre, elle en a dict plusieurs aultres bien bonnes du gré, qu'elle vous sçavoit, de luy avoyr envoyé Mr de Mauvissière, et qu'elle le recevoit aultant agréablement que gentilhomme qu'eussiez sceu mettre en ce lieu. Ce qu'elle a davantage tesmoigné par des caresses, faveurs et honnestes privautés, qu'elle luy a faictes.

Et sommes entrés en conférance des particullaritez du propos de Mon dict Seigneur, vostre frère, avec la dicte Dame et avec les seigneurs de son conseil; dont voicy la cinquiesme foys, aujourdhuy, que nous sommes assemblez là dessus, avec elle et avec eulx, non sans beaucoup d'oppositions et de difficultez qu'ilz nous font; lesquelles nous essayerons d'oster, aultant qu'il nous sera possible, affin que nous puissions tirer une bonne et aulmoins une clère résolution d'eux. Dont Mr de Mauvissière la vous escripra et 500 je la vous iray apporter; vous voulant bien assurer, Sire, qu'il a si bien et si heureusement commancé sa charge, et les choses d'icy monstrent de luy debvoir si bien succéder que Vostre Majesté en peut espérer beaucoup de bon service, et beaucoup de bon contantement; aydant le Créateur auquel, etc. Ce Xe jour de septembre 1575.

A la Royne

Madame, vous entendrés par les lettres de Mr de Mauvissière, et par celle que j'escriptz au Roy, les propos que nous avons eus avec ceste princesse, le jour que je l'ay présenté, et que j'ay commancé de prendre congé d'elle; qui, en substance, ont esté parolles de courtoysie et d'honnesteté, qu'elle m'a uzé pour signiffier sa satisfaction de ma négociation passée, et de quelque regrect de mon partement, et d'aultres parolles non moins courtoyses ny moins honnestes, ny de moindre faveur que celles là, à Mr de Mauvissière pour luy dire qu'il fût le bien venu, et qu'elle avoit grand contantement de l'élection que Voz Majestez ont faicte de luy; et que très agréablement elle le recevoit vostre ambassadeur pour résider prez d'elle. A quoy les principaulx seigneurs de ce conseil et toute ceste court ont concouru d'une bonne démonstration d'affection vers luy, et d'avoyr très bonne opinyon de luy. Il a expliqué fort honnorablement sa créance à la dicte Dame, et luy a renouvellé le propos de Monseigneur, vostre filz, aux plus exprès et approchans termes qu'il s'est peu souvenir de ceux que Vostre Majesté a uzé en la lettre qu'elle a escripte à la dicte Dame. Et elle les a prins de fort bonne part. Et desjà nous avons, par quatre ou cinq foys, esté 501 là dessus en conférance avec elle et avec ceulx de son conseil; qui, parmy des facillités, vous opposent tousjours des difficultez non petites, lesquelles néantmoins regardent plus à vouloir éviter qu'à vouloir fère le refus; et quand nous en aurons tiré quelque résolution, Mr de Mauvissière la vous escripra, et je la vous iray apporter. Et vous promectz, Madame, que je luy layrray l'entière instruction de ce qui m'a escléré icy, et qui m'a guidé de vous fère, en ce propos et aultres évènemens de deçà, le service dont monstrés avoyr contantement: duquel je loue et remercye Dieu et le prye, etc. Ce Xe jour de septembre 1575.

CCCCLXIXe DÉPESCHE

—du XXe jour de septembre 1575.—

(Envoyée exprès jusques à Callais par Jehan Vollet.)

Réponse d'Élisabeth sur la négociation du mariage.—Son refus de permettre à l'ambassadeur de visiter Marie Stuart et d'aller en Écosse.—Autorisation donnée aux neveux de La Mothe Fénélon de se rendre auprès de Marie Stuart.—Déclaration d'Élisabeth qu'elle n'a fourni aucun secours d'argent au prince de Condé.—Audience de congé accordée à l'ambassadeur.—Félicitations d'Élisabeth sur toutes les négociations dont il a été chargé.—Vif desir qu'ont les Anglais de recouvrer Calais, et de profiter des troubles de France pour s'en saisir.—État de la négociation du mariage qui peut être reprise pu abandonnée sans qu'il y ait à craindre une rupture avec l'Angleterre.

Au Roy.

Sire, pendant que nous estions à négocyer, à Vuodstok, avec ceste princesse et avec les seigneurs de son conseil, du propos de Monseigneur, vostre frère, et de la visite que desiriés estre faicte, de vostre part, à la Royne d'Escoce et au Prince, son filz, il nous est arryvé deux dépesches 502 de Vostre Majesté, l'une du XXe d'aoust, par l'ordinère, et l'aultre, du dernier du dict moys, par le Sr d'Assas, qui la nous a rendue le Xe d'estui cy. Et vous dirons, Sire, que nous trouvons avoyr procédé, en toutes choses, ainsy proprement que Vostre Majesté le desiroit; et avons enfin, au bout de dix sept jours, rapporté de ceste princesse des responces, lesquelles, encor que ne soient du tout telles que nous les demandions, elles ne layssent d'estre bien honnorables et bien conformes à l'amityé, que désirés continuer avec elle et ce royaulme; et si, vous mettent en chemin de pouvoir estreindre davantage ceste amityé par le propos de Monseigneur, si les choses sont bien prinses, et qu'on y aylle par les moyens qu'ung si excellent acte le requiert.

Celluy de nous, qui demeurera, vous escripra dans quatre ou cinq jours, bien au long, les termes où nous en sommes à présant; et l'autre vous les yra apporter, et mettra peyne de vous représanter ce que nous avons ensemblement veu et bien curieusement notté des parolles et démonstrations de ceste princesse et de tous les siens, pour y pouvoir, par Vostre Majesté, prendre une bien bonne et prompte résolution.

La visite de la Royne d'Escosse a esté entyèrement dényée d'estre faicte par vostre ambassadeur; mais il nous a esté octroyé que moy, La Mothe, puisse envoyer mes nepveus porter les lettres de Vostre Majesté, et satisfère en la meilleure et plus révérante façon qu'ilz pourront à cestuy vostre compliment vers elle; dont ilz y sont desjà allez, ensemble le Sr de Vassal, et ung des clercs de ce conseil qui leur a esté baillé pour adjoinct; mais, quand au voïage d'Escoce, après que nous l'avons eu aultant vifvement 503 débattu qu'il nous a esté possible, la dicte Dame nous a faict respondre qu'elle supplioit le Roy de le vouloir fère différer pour ung peu de temps, à cause des différents qui estoyent naguyères survenus en la frontyère, ezquels elle estoit sur le poinct d'y mettre quelque accomodement, là où, par ce dict voyage, ilz pourroient estre rendus plus difficiles. Néantmoins, dans ung moys ou six sepmaynes, elle octroyeroit de bon cueur le passeport pour tel gentilhomme qu'il playroit à Vostre Majesté y envoyer.

Et touchant la remonstrance, que nous luy avons faicte, sur l'advis qu'on vous avoit donné que le Prince de Condé commançoit de marcher par les moyens qu'il avoit eus d'elle en deniers contantz, ou en crédict, ce que vous ne pouviez ny vouliez si mal croyre de la foy et promesse d'une telle princesse, elle nous a respondu qu'elle ne pouvoit empescher qu'on ne feît courir tels bruictz, et qu'on ne se vantât de beaucoup de choses d'elle, en parolles, et pour authoriser les entreprinses qu'on faisoit là dessoubz, qui pourtant n'en estoit rien en effect; et qu'elle promettoit à Dieu, et juroit, en sa conscience, qu'elle n'avoit bayllé argent ny moyens, ny conseil aulcun, contre Vostre Majesté, et n'avoit volonté, ny intention, de le fère, tant que seriés en bonne intelligence et confédération avec elle; mais qu'elle vous vouloit bien advertyr que d'aultres moyens plus grands et meilleurs que les siens ne deffailloient à ceulx de la nouvelle relligyon pour continuer la guerre; et, si les choses ne venoient à la paix, que vous fissiez ardiment estat d'avoyr le plus grand et le plus pesant affère, qui fût aujourdhuy au monde, sur les bras, et qui estoit si appuyé en vostre propre royaulme, et ez aultres partz de la Chrestienté, qu'il seroit pour affoiblir et miner le propre 504 empire romain, s'il estoit encores en estat; et que pourtant elle ne pouvoit cesser de vous desirer la paix, et de vous prier qu'en la prenant bonne et utille pour vous, vous la voulussiés donner seure et stable à toute la Chrestienté, sellon qu'elle pensoit que vous le pouviez fère.

Sur quoy, ayantz respondu à ung mot que nous sçavions certeynement que Vostre Majesté n'avoit aulcun plus grand desir, en ce monde, qu'à la paix, ny n'estiés en rien plus résolu, si ne la pouviés avoyr bien honnorable, ny mieux préparé qu'à la guerre, nous avons couppé cella bien court.

Et nous ayant, la dicte Dame et tous les siens, uzé de nouveau à toutz deux beaucoup de courtoysie et bien honnestes faveurs pour la plus ample réception de l'ung et le congé de l'autre, nous nous sommes fort gracieusement licenciez d'elle. Et estans de retour en ce lieu, nous avons eu aulcunement suspect ung payement de vingt mille livres sterling, qui sont deux centz mille livres tournois, qu'on nous a advertys qui se doibvent fournyr par lettres d'eschange, sur le crédict de Me Grassen, facteur de ceste princesse, et d'aulcuns aultres principaulx marchands de Londres, le premier jour d'octobre prochain, en Anvers, ez mains d'ung Hervé, angloix; et creignons assés que cella aylle en Allemaigne pour le payement des levées du Prince de Condé, bien que aulcuns nous assurent que non, et que ces deniers vont à aultre effect, et qu'il ne y a rien contre Vostre Majesté, mais nous mettrons peyne de le mieux vériffier.

Il est bien vray que ceulx cy se monstrent, à ceste heure, sur ceste descente des reystres en vostre royaulme, plus esmeus et eschauffés à tenter quelque chose par 505 dellà, qu'ilz ne faisoient; et nous a l'on dict qu'ung des plus authorisés de ce conseil prétend de se signaler, à ce coup, par des entreprinses qu'il pense si bien conduyre au prouffit de ceste couronne que, pour le moins, Callays y demourera. Dont y a des vaysseaulx de ceste princesse et d'aultres particulliers en mer, mais nous n'estimons pas, attandu le petit et foible équippage en quoy ilz sont, qu'ilz puissent fère grand effort, ny ne voyons, pour encores, qu'il se prépare aulcun nouveau avitaillement de navyres pour les suyvre, bien qu'à dire vray les navyres sont, de toutes aultres choses, prestz. Néantmoins il sera tousjours bon que Vostre Majesté face advertyr au dict Callays et à Boulogne, et au long de la coste de dellà, qu'on s'y tienne bien sur ses gardes.

Tout le reste qu'aurions à vous escripre maintenant sera remis au retour de moy, La Mothe, qui partiray aussytost que mes nepveus seront de retour de devers la Royne d'Escoce, aydant le Créateur; auquel je prie, après avoyr très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, Sire, en parfaicte santé, très heureuse et très longue vie, et toute la grandeur et prospérité que vous desire.

Ce XXe jour de septembre 1575.

A la Royne

Madame, nous nous sommes conduictz en ceste négociation du propos de Monseigneur, vostre filz, avec ceste princesse, par le meilleur ordre et la plus grande pacience qu'il nous a esté possible; et avons esté bien ferme ez poinctz que nous aviez commandez, jusques avoyr mené la dicte Dame et ceulx de son conseil au fin bout de ceulx aulxquels ilz sont résolus de demeurer; et sur lesquels la 506 conclusion ou la ropture s'en prendra; qui avons esté contans, pour aulcuns bons respects, d'accepter les responces qu'elle mesme nous a faictes, qui sont bien fort honnorables, et lesquelles, si on les considère bien, sont pour vous apporter beaucoup de satisfaction et pour mettre en vostre main de quoy parfère ou bien de quoy laysser ceste poursuite, sans altération de l'amityé; ainsy que Vostre Majesté le verra par les lettres que, moy, de Mauvissière, vous escripray, et que moy, de La Mothe, vous iray apporter, et vous réciter toutes ces particullaritez par le menu, aussytost que ceulx qui sont allez devers la Royne d'Escosse seront de retour, qui sera bientost, Dieu aydant; auquel je prie, après avoyr très humblement baysé les mains de Vostre Majesté qu'il vous doinct, Madame, en parfaicte santé, très heureuse et très longue vie et tout le bien et prospérité que vous desire.

Ce XXe jour de septembre 1575.

FIN DU SIXIÈME VOLUME ET DERNIER DES DÉPÊCHES DE LA MOTHE FÉNÉLON.

507


NOTES:

[1] Voir le Supplément à la Correspondance Diplomatique de La Mothe Fénélon. Cette lettre est inédite, elle ne se trouve pas dans la collection publiée par Le Laboureur.

[2] Après une vive résistance, les protestans qui occupaient Fontenay-le-Comte capitulèrent le 16 septembre 1574; mais, pendant que l'on discutait les dernières conditions, les catholiques furent introduits dans la ville par surprise. Les articles, déjà accordés, ne furent pas exécutés.

[3] Henri Robert de La Mark, duc de Bouillon, mort le 2 décembre 1574.

[4] Cette nouvelle était fausse. Henri, maréchal de Danville, frère puîné du duc de Montmorenci, est mort à Agde, le 1er avril 1614, âgé de soixante-dix ans.

[5] Du mariage d'Élisabeth avec le duc d'Alençon.


TABLE DES MATIÈRES DU SIXIÈME VOLUME.

ANNÉE 1574.
  Pages
359e Dépêche.—5 janvier.—
AU ROI. 1
Audience. 1
Négociation du mariage d'Elisabeth avec le duc d'Alençon. 1
Avis d'une entreprise. 5
Nouvelles d'Ecosse. 5
Et d'Irlande. 6
360e Dépêche.—12 janvier.—
AU ROI. 5
Nouvelles de la Rochelle. 7
Négociation du mariage. 7
361e Dépêche.—18 janvier.—
AU ROI. 11
Mission du baron d'Aubigny. 11
Affaires d'Irlande. 11
Nouvelles de la Rochelle. 12
A LA REINE. 14
Négociation du mariage. 14
362e Dépêche.—26 janvier.—
AU ROI. 16
Audience. 14
Conférence avec l'agent de la Rochelle. 18
363e Dépêche.—3 février.—
AU ROI. 20
Audience. 20
Négociation du mariage, consentement d'Elisabeth à une entrevue secrète. 22
364e Dépêche.—9 février.—
AU ROI. 24
Audience. 25
Négociation sur l'entrevue. 25
A LA REINE. 29
État de la négociation du mariage. 29
365e Dépêche.—15 février.—
AU ROI. 31
Succès du prince d'Orange. 31
Affaires d'Ecosse. 32
Nouvelles de Marie Stuart. 34
366e Dépêche.—20 février.—
AU ROI. 34
Conférence avec Burleigh et Walsingham. 35
Affaires d'Irlande. 36
A LA REINE. 37
Négociation du mariage. 37
367e Dépêche.—26 février.—
AU ROI. 39
Conférence avec Leicester. 39
Discontinuation des armemens. 43
Dénonciation contre Marie Stuart. 44
368e Dépêche.—5 mars.—
AU ROI. 44
Conférence avec les députés de Flandre. 45
Et avec l'agent de la Rochelle. 46
Nouvelles d'Irlande. 48
369e Dépêche.—7 mars.—
AU ROI. 49
Reprise d'armes en France. 49
Avis d'une entreprise sur Calais. 51
370e Dépêche.—17 mars.—
AU ROI. 52
Audience. 52 508
Consentement du roi à l'entrevue. 53
Effet produit par la reprise d'armes en France. 57
Réponse d'Elisabeth sur l'entrevue. 57
371e Dépêche.—23 mars.—
AU ROI. 61
Troubles de France. 62
Craintes inspirées par Montgommery. 62
Affaires d'Ecosse. 63
Espoir pour Marie Stuart. 64
372e Dépêche.—28 mars.—
AU ROI. 61
Mésintelligences à la cour de France. 65
Soupçons contre Montgommery. 67
373e Dépêche.—2 avril.—
AU ROI. 68
Audience. 68
Descente de Montgommery en France. 69
Assurance d'amitié de la part d'Elisabeth. 71
374e Dépêche.—6 avril.—
AU ROI. 73
Protestation sur l'entreprise de Montgommery. 73
Armemens de Londres dirigés contre I'Espagne. 75
Nouvelles de Flandre et d'Ecosse. 75
Bonnes dispositions pour Marie Stuart. 76
375e Dépêche.—15 avril.—
AU ROI. 77
Prise de Carentan par Montgommery. 77
Négociation du mariage. 78
376e Dépêche.—19 avril.—
AU ROI. 80
Motifs de Montgommery. 80
Fuite du prince de Condé. 81
Négociation faite par La Noue. 81
Armemens des Anglais. 82
Arrestation du duc d'Alençon et du roi de Navarre. 83
377e Dépêche.—24 avril.—
AU ROI. 83
Audience. 84
Délibération du conseil. 90
A LA REINE. 91
Désir d'Elisabeth de voir la paix succéder en France. 91
Mémoire. Négociation de Montgommery et La Noue. 92
378e Dépêche.—30 avril.—
AU ROI. 94
Nouveaux détails d'audience. 94
Armemens faits à Londres. 95
Nouvelles d'Irlande. 96
379e Dépêche.—3 mai.—
AU ROI. 97
Audience. 97
Désignation du capitaine Leython pour passer en France. 99
A LA REINE. 101
Recommandation d'un bon accueil pour le capitaine Leython. 102
380e Dépêche.—10 mai.—
AU ROI. 103
Audience. 103
Complot de Saint-Germain, arrestation de Coconas et La Mole. 104
Arrestation de Mrs de Montmorenci et de Cossé. 109
381e Dépêche.—16 mai.—
AU ROI. 110
Changement d'Elisabeth. 110
Exécution de Coconas et La Mole. 111
Sollicitations de Montgommery. 112
Audience. 113
A LA REINE. 117
Négociation du mariage. 117
382e Dépêche.—23 mai.—
AU ROI. 119
Audience. 120
Continuation des armemens. 121
Instructions de Leython. 121
Nouvelles de Marie Stuart. 122 509
383e Dépêche.—29 mai.—
AU ROI. 124
Armemens contre l'Espagne. 124
Nouvelles d'Allemagne et d'Ecosse. 125
Expédition du capitaine Montdurant. 126
384e Dépêche.—4 juin.—
AU ROI. 127
Armemens de Me Grinvil. 127
Résolution des Anglais de combattre la flotte d'Espagne. 129
Avis d'un complot contre le roi. 130
385e Dépêche.—8 juin.—
AU ROI. 131
Audience. 131
Affaire de Coconas et La Mole. 133
A LA REINE. 138
Nouvelle de la mort du roi. 138
386e Dépêche.—13 juin.—
A LA REINE, RÉGENTE. 140
Retard d'audience. 140
Montgommery prisonnier. 142
Succès de Montdurant. 143
Reprise des armemens. 144
387e Dépêche.—18 juin.—
A LA REINE, RÉGENTE. 145
Hésitation des Anglais. 146
Nouvelles de France. 147
Projet des Espagnols de s'emparer du prince d'Ecosse. 149
388e Dépêche.—21 juin.—
A LA REINE, RÉGENTE. 150
Audience. 150
Communication de la mort du roi. 150
Projet sur Calais. 156
389e Dépêche.—27 juin.—
A LA REINE, RÉGENTE. 157
Nouveaux détails d'audience. 157
Mémoire. Changement dans la politique des Anglais. 160
390e Dépêche.—1er juillet.—
A LA REINE, RÉGENTE. 162
Proposition faite à Elisabeth de renouer l'alliance d'Espagne. 162
Mécontentement de Leicester. 164
Menaces de représailles sur mer. 166
Affaires d'Ecosse. 166
391e Dépêche.—3 juillet.—
A LA REINE, RÉGENTE. 167
Retour de Leython. 167
Prise de Saint-Lô. 167
Exécution de Montgommery. 167
Intelligence de Marie Stuart et du roi d'Espagne. 168
Plaintes des Anglais. 169
Déclaration du conseil. 170
392e Dépêche.—8 juillet.—
A LA REINE, RÉGENTE. 171
Séance du conseil. 171
Résolution d'user de représailles sur mer. 172
Réponse de l'ambassadeur. 175
393e Dépêche.—12 juillet.—
A LA REINE, RÉGENTE. 178
Reprise des armemens. 178
Intrigues des Espagnols. 179
Mémoire. Conférence avec Burleigh, Leicester et Walsingham. 181
394e Dépêche.—16 juillet.—
A LA REINE, RÉGENTE. 183
Suspension des armemens. 183
Affaires d'Ecosse. 185
Mémoire. Communication avec Leicester. 185
395e Dépêche.—23 juillet.—
AU ROI. 187
Félicitations sur le départ de Pologne. 187
Audience. 189
A LA REINE, RÉGENTE. 190
Nouveaux détails d'audience. 190
Réclamations sur les prises. 196
396e Dépêche.—28 juillet.—
A LA REINE, RÉGENTE. 197
Audience de Mendoce. 197
Plaintes contre les Anglais attachés à l'ambassade en France. 199 510
397e Dépêche.—3 août.—
A LA REINE, RÉGENTE. 201
Arrêt fait à Rouen. 202
Nouvelles d'Ecosse et de Marie Stuart. 204
398e Dépêche.—8 août.—
A LA REINE, RÉGENTE. 204
Plaintes sur les prises. 204
Voyage du roi en Italie. 206
Service en mémoire du feu roi. 206
399e Dépêche.—13 août.—
A LA REINE, RÉGENTE. 208
Irrésolution des Anglais. 208
Dispositions des réfugiés. 210
Nouvelles d'Ecosse. 211
Négociation des Pays-Bas. 211
400e Dépêche.—17 août.—
A LA REINE, RÉGENTE. 212
Préparatifs pour la Rochelle. 212
Négociation des Pays-Bas. 213
401e Dépêche.—24 août.—
AU ROI. 214
Retour du roi en France. 214
Demande de rappel. 216
Mémoire général. Détails de la négociation de Mendoce. 217
402e Dépêche.—28 août.—
A LA REINE, RÉGENTE. 225
Voyage de la reine-mère au-devant du roi. 225
Annonce d'audience. 226
Nouvelles d'Ecosse. 227
403e Dépêche.—10 septemb.—
AU ROI. 228
Audience. 228
Mémoire. Détails de l'audience.
—Etat des choses en France.
—Arrivée de Mr de Méru.
229
404e Dépêche.—15 septemb.—
A LA REINE, RÉGENTE. 235
Traité entre l'Angleterre et l'Espagne. 235
Nouvelles de la Rochelle. 237
Affaires d'Ecosse. 238
405e Dépêche.—19 septemb.—
A LA REINE, RÉGENTE. 238
Sollicitations des protestans. 239
Fabrique de fausse monnaie. 241
Nouvelles d'Ecosse. 242
406e Dépêche.—24 septemb.—
A LA REINE, RÉGENTE. 242
Crainte des Anglais d'une ligue formée par le roi. 244
Affaires d'Ecosse. 245
Nouvelles d'Irlande. 246
407e Dépêche.—29 septemb.—
A LA REINE, RÉGENTE. 246
Nouvelles d'Ecosse. 246
Négociations de Mr de Méru. 248
Arrivée du roi à Lyon. 250
408e Dépêche.—5 octobre.—
A LA REINE, RÉGENTE. 250
Bonnes dispositions d'Elisabeth. 251
Prochain départ de lord de North. 252
Pacification de l'Irlande. 253
Nouvelles d'Ecosse. 254
409e Dépêche.—10 octobre.—
A LA REINE, RÉGENTE. 255
Conférence avec lord de North. 255
Négociation des princes d'Allemagne. 257
410e Dépêche.—15 octobre.—
AU ROI. 258
Inquiétude des Anglais sur le passage du roi en Italie. 258
Leurs efforts pour renouer l'alliance d'Espagne. 260
Nouvelles d'Ecosse. 261
411e Dépêche.—20 octobre.—
AU ROI. 262
Instructions de lord de North. 263
Négociations avec l'Espagne. 263
Sollicitations des protestans. 264
412e Dépêche.—24 octobre.—
AU ROI. 266
Défiances d'Elisabeth contre le roi. 266
Conférence avec l'envoyé d'Espagne. 268
Avis à la reine. Conférence avec Mr de Méru. 269 511
413e Dépêche.—29 octobre.—
AU ROI. 270
Audience. 270
Désir d'Elisabeth de conserver l'alliance de France. 272
414e Dépêche.—3 novemb.—
AU ROI. 275
Déclaration de Burleigh et Leicester. 276
Affaires d'Ecosse. 278
Complots contre le roi. 279
415e Dépêche.—8 novemb.—
AU ROI. 281
Entreprises contre les ports de France. 281
Négociation de l'Espagne. 284
416e Dépêche.—13 novemb.—
AU ROI. 285
Conférence avec Leicester. 285
Affaires d'Ecosse. 287
Succès remportés par les protestans en France. 288
Avis à la reine. Détails de la conférence. 288
Phénomène maritime. 289
417e Dépêche.—18 novemb.—
AU ROI. 290
Conférence avec des seigneurs. 290
Nouvelles de la Rochelle. 292
Mécontentement d'Elisabeth contre la comtesse de Lennox. 293
Avis à la reine. Conférence avec Walsingham. 294
418e Dépêche.—22 novemb.—
AU ROI. 295
Lord de North en France. 295
Négociation de la paix. 297
Phénomènes atmosphériques. 298
419e Dépêche.—27 novemb.—
AU ROI. 299
Danger de Marie Stuart. 299
Menée des protestans. 301
Prise de Fontenay. 302
A LA REINE. 302
Changement de résolution des Anglais. 303
420e Dépêche.—3 décemb.—
A LA REINE. 304
Audience. 305
Mémoire. Détails de l'audience. 306
Conférence avec le conseil. 309
421e Dépêche.—7 décemb.—
A LA REINE. 310
Négociation avec Mr de Méru. 310
Nouvelles de Marie Stuart. 311
Retour de lord de North. 312
Mémoire. Détails de la négociation avec Mr de Méru. 312
422e Dépêche.—12 décemb.—
AU ROI. 316
Communication avec Walsingham. 316
Et avec l'agent de la Rochelle. 318
Avis à la reine. Nouvelles de Marie Stuart. 319
423e Dépêche.—18 décemb.—
AU ROI. 320
Audience. 320
Propos rapportés par lord de North. 321
Emportement d'Elisabeth. 322
A LA REINE. 325
Vive irritation d'Elisabeth après le retour de lord de North. 326
424e Dépêche.—24 décemb.—
AU ROI. 327
Efforts pour empêcher la guerre. 327
Nouvelles d'Allemagne et d'Espagne. 327
Mise en arrêt de la comtesse de Lennox. 328
425e Dépêche.—28 décemb.—
AU ROI.