The Project Gutenberg eBook of La nouvelle cuisinière bourgeoise: Plaisirs de la table et soucis du ménage

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Title: La nouvelle cuisinière bourgeoise: Plaisirs de la table et soucis du ménage

Author: Franc-Nohain

Release date: November 30, 2021 [eBook #66852]
Most recently updated: October 18, 2024

Language: French

Credits: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/American Libraries.)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA NOUVELLE CUISINIÈRE BOURGEOISE: PLAISIRS DE LA TABLE ET SOUCIS DU MÉNAGE ***

FRANC-NOHAIN

LA NOUVELLE
CUISINIÈRE
BOURGEOISE

Plaisirs de la table
ET
Soucis du Ménage

PARIS
ÉDITIONS DE LA REVUE BLANCHE
23, BOULEVARD DES ITALIENS, 23
1900

Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays, y compris les scandinaves.

DU MÊME AUTEUR :

En préparation :

Il a été tiré à part quinze exemplaires sur Hollande, numérotés à la presse.

JUSTIFICATION DU TIRAGE :

A

B. L. J.

Souvenir de C.

T. 18…

AVANT-PROPOS

En intitulant ce livre la Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, je tiens à déclarer que je n’ai obéi ni à la soif irréfléchie du scandale, ni à un appétit immodéré de l’actualité : j’ai intitulé ce livre la Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, parce que c’est vraiment une Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, — et non par coquetterie, par calcul, par badinage, ou pour le plaisir.

J’ai dit Cuisinière :

Et ceci, en effet, est bien le livre de la cuisine. Qu’on y prenne garde, cependant : il ne s’agit pas d’un manuel, et l’amateur ou le professionnel y chercheraient en vain un ragoût spécial, une recette inédite, une formule particulière. Ainsi s’explique aussi que, pour l’étonnement de quelques esprits superficiels, j’aie cru devoir faire suivre d’un rapide aperçu des soucis du ménage, l’humble contribution que j’avais apportée à l’étude des plaisirs de la table : j’ai vu dans les misères de l’un une contre-partie nécessaire, un complément logique et immédiat aux satisfactions de l’autre.

Car s’il est vrai qu’un appartement de garçon, en plus de deux pièces et d’une entrée, comporte également une cuisine, le célibat du locataire n’en voue pas moins cette dernière, cathédrale désaffectée, à des hospitalités sans relations avec le titre dont elle s’honore et se décore : bicyclette, ou matériel photographique, tub parfois, vieilles chaussures, — et les malles où s’affirme, en étiquettes répétées et multicolores, petite patrie dans la grande, la province des vieux parents qu’on va embrasser aux vacances : un jour leur rêve cher s’exaucera sans doute, à ces vieux parents, et, de cette province, la jeune épouse sera ramenée ; — et alors, pour une vie nouvelle, une nouvelle cuisine, rétablie en splendeur, et répudiant les compromis, flamboiera de tous ses cuivres : la Cuisine, base des ménages, pierre angulaire de la famille.

Mais c’est ici qu’apparaît l’intention moralisatrice de ce livre, et qu’un enseignement s’en dégage : Scylla matrimonial près du Charybde gastralgique, vous que guidèrent seuls à l’autel la lassitude des tables d’hôte et l’écœurement des restaurants, — voici les soucis du ménage : mais sur ton estomac ragaillardi par le bouilli de la famille, peut-être ces soucis pèseront-ils moins lourd !

J’ai dit Bourgeoise :

A distance égale des bas-fonds où tel psychologue, intrépide scaphandrier du vice, cueille les perles de ses observations, et de ces salons de haute aristocratie, dont tel autre écrivain, le stick de gentleman emmanchant sa plume d’or, se complaira à décrire le confort britannique, le luxe cosmopolite et raffiné, notre inspiration s’est toujours attardée plus volontiers en ces milieux de saine et moyenne bourgeoisie, Chambre de commerce, Succursale de la Banque de France, Cercle de l’Agriculture, Cabinet du sous-préfet : auprès de vous, fonctionnaires républicains, honorables gens de négoce, représentants modestes des grandes carrières libérales, petits propriétaires terriens : vous tous, en un mot, dont les filles ont quarante mille francs de dot, et dont les fils se préparent à l’École Polytechnique ; — n’est-ce pas là, en effet, le vrai cœur de la France, la moelle de l’esprit français ?

J’ai dit Nouvelle :

Lorsqu’une Cuisinière Bourgeoise vient à paraître, elle est toujours la Nouvelle, ou la Véritable. De ces deux épithètes, si la première arrêta mon choix, je supplie que l’on n’y voie nulle prétention à l’originalité exclusive, nul dédain non plus d’une parfaite sincérité. Simplement ai-je cru remarquer qu’un point de vue particulier, une forme différente, m’autorisaient, parmi les brillantes publications similaires, à nommer la mienne : la nouvelle. Mais peut-être restera-t-il à expliquer pourquoi ce point de vue et pourquoi cette forme, et qui m’incita à écrire cette nouvelle cuisinière bourgeoise, alors que rien dans ma vie, dans mes goûts, ni dans mes habitudes, ne décèlent l’homme accablé par les siens, moins encore à l’affût des nourritures fines ?

Les personnes qui me font l’honneur de me suivre l’ont déjà deviné : j’ai parlé en ces termes de la cuisine et du ménage, comme j’aurais parlé d’autre chose, comme je parlerai de toutes choses, — parce qu’il faudra bien que je parle de toutes les choses. Esclave de la mission impérieuse que je me suis fixée, je continue patiemment mon petit travail, m’efforçant à exprimer le maximum de lyrisme, que peut contenir notre ambiance quotidienne. Il arrive ce qui arrive : ici le rythme régulier se précipitera plus nombreux, des rimes plus riches éclateront parmi les assonances ; je n’ai pas de parti pris ; je continue, dis-je, je continuerai aussi longtemps qu’il le faudra ; d’autres bons esprits m’aideront dans cette œuvre, certains ont déjà commencé ; j’ai la satisfaction intime et profonde de constater que ça se gagne : ainsi du moins, par mes soins ou par ceux des autres, quand tout y aura passé, — enfin pourra-t-on écrire tranquillement en prose.

J’offre au public cette Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, parce que c’est vraiment une Nouvelle Cuisinière Bourgeoise, — et non par coquetterie, par calcul, par badinage, ou pour le plaisir.

F.-N.

LIVRE I
LES PLAISIRS DE LA TABLE

Il était un’ dame Tartine,
Dans un beau palais
De beurr’ frais…

LES PLAISIRS DE LA TABLE

PARABOLE DU MOUTON

La petite Muse est venue à moi, tenant par la main,
Un blanc mouton au bout d’une ficelle :
— Quoi ! tu chantes l’amour des belles,
Tu t’attardes encore aux roses du chemin,
Et autres menues bagatelles ? —
(Dit-elle ;
Et sa couronne était de laurier et de thym,
Qui fleurait aussi la cannelle ;)
Puis, moqueuse, a continué :
— Moutons de Daphnis et Chloé, —
Ohé ! ohé ! —
Où sont Hycante et Cléomène, —
Et les beaux vêtements qu’on fit de votre laine,
Combien tristes et démodés !
Tout passe, tout change,
Hormis ceci, que l’on vous mange ;
Les bergers n’ont plus de pipeaux,
Les bergères plus de houlettes :
On mange encor des côtelettes,
Et des gigots ! —
Dois-je noter que, durant ces propos,
Mélancolique, et de mine inquiète,
Dolentement le blanc mouton dodelinait la tête :
Mais sa présence ici n’avait d’autre raison
Que cette démonstration ;
Et il n’en sera plus question.
Maintenant la Muse termine,
Mutine :
— Allons, Poète, à table, à table !
Si le cœur alors crie famine,
Que diable !
On fait du pied à sa voisine ;
On peut même dire des vers
Au dessert ;
Mais, à table, Poète, à table :
Car, c’est là-dessus que l’on table,
La seule chose incontestable,
Inéluctable,
Comme le nom l’indique : table !
A table !
Et parmi les cuisinières robustes,
Parmi les marmitons allègres,
Le Poète est passé, la flûte
Aux lèvres,
Qu’entraîne et guide au milieu des cuisines,
Dernier refuge, ultime abri,
Où Jules Lemaître la réduit,
La petite Muse latine ; —
Et nous ferons des chansons sur
La nourriture :
Poétisons les comestibles.

COUPLETS DU JALOUX ET DE LA PRÉCAUTION FAVORABLE

I

Jeannot, Jeannette, d’amour tendre
S’aimaient, comme on s’aime aux beaux jours ;
Voici que le jaloux Clitandre
Voulut traverser leurs amours :
Gagnant le valet à leurs gages,
Il obtient du maître fripon
Qu’une spéciale boisson
Soit mélangée à leur breuvage ;
Holà, ho ! maroufle, maraud,
Quel est le philtre, quelle est l’eau
Que tu leur verses en cachette ?
D’ l’hunyadi-janos
A Jeannette,
D’ l’hunyadi-janos
A Jeannot !

II

Les deux amants, sans défiance.
Burent ce qu’on leur présenta ;
Quant à vous, sans peine, je pense,
Vous devinez le résultat ;
Mais sachez bien que l’avantage
Revint ensuite aux amoureux :
Ils s’en aimèrent beaucoup mieux,
Car ils mangèrent davantage.
Libre estomac, cœur sans défaut ;
Et Clitandre n’était qu’un sot.
Qui leur enseigna la recette :
D’ l’hunyadi-janos,
O Jeannette,
D’ l’hunyadi-janos,
O Jeannot !

SYMPHONIE DES POTAGES

Aujourd’hui, chers lecteurs, j’aurai cet avantage
De vous entretenir simplement des potages,
Des potages, pas davantage,
Et, comme on dit, pour tout potage.

I. — Prélude-Gavotte.

En silence,
En cadence,
Sans parler,
Sans souffler,
L’appétit,
Qui fait rage,
Engloutit
Le potage,
Allons, houp !
Le temps presse,
Que la soupe
Disparaisse,
Qu’on s’applique
Aux curées
Des purées
Symboliques.
En cadence,
En silence,
Sans souffler,
Sans parler.

[Les quelques vers qui précèdent doivent être répétés onze fois de suite, d’abord très doucement, puis crescendo, puis en diminuant, comme des voix qui s’éloignent y pour produire un effet analogue à celui de la Marche Turque. Au dernier vers, tout le monde pose sa cuiller en frappant bruyamment sur l’assiette.]

II. — Andantino.

(a.

Le potage a le dédain des assiettes plates ;
Par grâce, ne conviez pas,
Quand il figure à vos repas,
Des femmes dénuées d’appâts,
Des gens dont les pensées ne soient pas délicates ;
Bannissons tout ce qui est plat :
(Ah ! ah !
Aviez-vous prévu celle-là ?) —
Le potage a le dédain des assiettes plates.

(b.

Le potage, inquiet, nerveux,
Le potage n’est pas heureux,
Il se désole et s’effarouche,
Honteux
De sentir se plonger jusques en son milieu,
Potage aux grands yeux, aux doux yeux,
Une louche…

(c.

La nature des potages est d’être chauve.

III. — Pastorale.

Queues d’écrevisses,
De vous trouver ici, étrange est ma surprise.
Calmes hôtesses des ruisseaux,
Parmi les pierres moussues, les grosses pierres
Qu’entourait en murmurant l’eau vive et claire,
A l’ombre des saules et des bouleaux, —
Comme vous devez avoir chaud
Dans cette soupière !
Mais avec votre manie singulière
De marcher toujours à reculons,
Vous serez tombées dans ce bouillon,
Sans seulement faire attention
Que votre tête restait en arrière ;
Et maintenant, vous paraissez toutes désorientées,
Il est bien temps ! Queues sans idée !
Vous vous tournez, vous regardez, vous demandez,
Aux quatre coins de cette table,
Où votre tête, queues d’écrevisses ? —
Pareilles à un saint Denis ou un saint Aphrodise,
D’une étourderie inconcevable !

IV. — Cavatine.

Chantez, ô pâtes d’Italie,
Un gai refrain napolitain,
Chantez, puisqu’on attend à vous voir refroidies,
Chantez le chant du cygne, et vive la folie !
Qui sait où vous serez demain ?

Première pâte

Le ciel de printemps s’auréole,
L’amour enlève son bandeau ;
Viens, ma douce, viens au Lido,
Au bercement de ma gondole.
Santa Lucia !
Traderidera !
C’est le printemps, belle odalisque !
Le printemps partout vient régner :
Et le potage bisque, bisque
De n’être pas printanier !

Toutes les pâtes

Bisque, bisque, bisque, bisque,
De n’être pas printanier !

(On les mange.)

MIEUX VAUT DOUCEUR

— Prenez, mettez, coupez, lavez,
Hachez, dépouillez, enlevez…
Brutalité de ces formules impératives !
En entendant un tel langage,
Comment ne perdraient point courage
Les filles timides, qui arrivent,
Ignorantes, de leur village ?
— Plumez, flambez, videz, bridez,
Otez, placez, laissez, gardez…
Sans compter que tout cela, c’est facile à dire,
Et vous vous en lavez les mains :
Vous parlez, vous parlez, mais vous ne faites rien,
Et, s’il fallait prêcher d’exemple, peut-être bien,
Que ce serait fini de rire…
— Préparez, remuez, versez,
Battez, farinez, arrosez…
Et puis, ce n’est pas toujours drôle,
Ce que vous commandez là, ni très ragoûtant,
Et mériterait bien, pourtant,
Le cordial réconfortant
De quelques bonnes et amicales paroles…
— Enveloppez, pelez, chauffez,
Grillez, tournez, dressez, servez…
Au lieu de cela, ordres brefs, façons discourtoises,
Vous bousculez, vous démoralisez ces pauvres filles :
Et vous vous prétendez cuisinière bourgeoise,
Véritable cuisine de la famille !…
Vous la traitez bien, votre famille !
Elle est jolie la bourgeoisie française,
Vite oublieuse de 89 (ou quatre-vingt-treize ?).
Rayez bourgeoise, rayez famille de votre titre,
Vous qui faites, pour votre honte,
Si bon marché du libre arbitre !…
Ça coûte donc bien cher d’être poli avec le monde ?

QUELQUES SAUCES

Et voici que, des casseroles,
Montaient des cris joyeux de sonores paroles,
C’était,
C’était les sauces qui chantaient :
— Oui, c’est une habitude qu’elles ont prise,
M’expliqua mon guide, depuis quelque temps ;
Les chansons, ont-elles pensé, bercent, charment, grisent :
Des pauvres victuailles qui cuisent,
Les sauces, bonnes filles, en chantant,
Cherchent à adoucir les suprêmes instants ;
Les sauces ont une âme exquise ;
Écoutez, écoutez ces rondes, ces romances,
Et les vieux lieds de leur pays :
Ainsi
Viandes, légumes, poissons, sont cuits,
Et puis mangés, sans qu’ils y pensent :
N’est-ce pas là de la meilleure philanthropie ? —

LA SAUCE FINANCIÈRE

Le veau d’or est toujours debout,
On encense
Sa puissance
D’un bout du monde à l’autre bout.

(Bruit d’or dans la coulisse.)

D’un bout du monde à l’autre bout !

LA SAUCE TARTARE

Mazeppa ! Mazeppa !
Ah ! ah ! ah ! sur ma cavale,
Au galop, au trot, au pas,
Par les steppes, les pampas,
Malgré les balles,
Et les rafales,
Mazeppa ! Mazeppa !
J’emporterai ma rivale,
Ah ! ah ! ah !
Mazeppa !
( — Mais, fis-je observer, timide,
A mon guide,
Mais cela n’a aucun rapport…
— Qu’importe ? êtes-vous donc insensible au folklore ?
Écoutez, écoutez encore : — )

LA SAUCE BÉARNAISE

C’est au pays
Du roi Henri,
Qu’on met la poule au pot,
A Pau,
Qu’on met la poule au pot…
( — Ça n’est pas très spirituel, je dois le dire,
Intervint le guide, mais ça les fait toujours rire… — )

LE ROUX

File, belle fille,
De tes doigts agiles,
Le lin moins soyeux
Que tes blonds cheveux, —
Plus blonds que le blé
Que le faucheur coupe,
D’or comme la coupe
Du roi de Thulé, —
File, belle fille !…
( — Ce sont là des propos, on ne le saurait feindre,
Moins de roux que de rouet,
Mais on y est habitué,
C’était plus poétique, et musical, et distingué,
Et
Et puis qui est-ce qui songerait à s’en plaindre ?… — )

RAVIGOTE ET RÉMOLADE

La ravigote,
Qui la dégote ?
C’est la rémolade !
Qui nous rend fade
La rémolade ?
C’est la ravigote !
Estomac malade,
Qui te ravigote ?
C’est la ravigote,
C’est la rémolade !
Va, prépare la ravigote,
Margotte,
Et la rémolade, à gogo,
Margot !
Et j’entendis encor la sauce Béchamel
Faire, c’était classique et vous y songiez bien,
Des imitations de la sonnette présidentielle
Du récent académicien ;
Seule, au milieu de ces musiques douces,
Une casserole restait sans voix,
Et, comme je demandais pourquoi :
— Ici, l’on a d’autres ressources ;
Fi des chanteurs, des beaux parleurs,
Et, pour nous faire oublier l’heure,
Le jeu procurera des jouissances plus âpres :
C’est un vieux morceau de cheval de courses,
Les consolations de la musique, il les repousse, —
Il préfère jouer à pair et impair avec les câpres.

LÉGENDE DE LA BOUCHÈRE ET DE L’AMOUR ADULTÉRIN

Emprisonnée au fond d’une cage de verre,
Voyez, vous qui passez : c’est l’épouse adultère.
Des membres sanglants, pantelants,
Sont suspendus autour, à des crochets de fer :
Ne sont-ce pas ceux du galant,
Que l’époux, à une heure inopinée, rentrant,
A surpris, et, au même instant,
A dépecé dans sa juste colère ?
Vraiment, s’il en était ainsi !…
Affreuse pensée qui la hante :
— O épouvante
De la viande !
O épouviande
De la vente… —
(Elle ne sait plus ce qu’elle dit !)
S’enfuir ? il n’y faut pas compter :
Des sbires sont là, que le mari dut apposter,
Les bras menaçants hors des vestes,
Avecque une dague au côté,
Et surveillant ses moindres gestes ;
Leur dague !… et puis aussi le dogue,
De ceux qu’on nomme chiens de boucher,
Qui, dans un coin, sourdement grogne :
Je ne vous conseille pas d’approcher !
Et cependant aux petites bonnes,
Qui s’en viennent pour les provisions,
On remet le foie, les rognons,
Enveloppés d’un fort papier de couleur jaune ;
(Comme c’est fin, cette allusion ;
De couleur jaune !…)
La prisonnière affecte un air indifférent,
Et, comme s’il ne s’était passé rien d’anormal,
Il faut qu’elle marque le sou du franc,
Et, sur des cahiers
Quadrillés,
Qu’elle fasse des calculs avec des décimales…
Ah ! grâce pour la pauvre martyre !
Grâce !
Elle si fraîche, et rose, et grasse,
Bien sûr, ils vont la faire maigrir !
Pour moi, loin des sbires, des dogues,
Et de la malheureuse, écartant mon chemin,
Brr ! je sais bien que, ce matin,
Je ne mangerai que des légumes de mon jardin
Et des œufs à la coque !

LE BŒUF PARLE

— Ah ! les modes anglaises, les modes anglaises !
Une table
De chez Maple,
Et des étoffes Liberty :
Pardi !
J’ai donné là-dedans, moi aussi,
Ces fariboles, ces fadaises !…
Vous comprenez, nous autres bœufs, confiants, naïfs,
En voyant que l’on nous baptise
Beefsteak, rumpsteak, roastbeef,
Nous nous croyons nés pour le chic
Britannique,
Et nous rêvons de la Tamise :
Dans un grill-room, servi par de petites misses
Rousses ou blondes,
Aller se faire manger à Londres !
Et, comme de jeunes fous,
On part au pays de Malbrough,
— Miroton, miroton, mirotaine, —
Eh ! bien oui, c’était bien la peine
De traverser ainsi la Manche,
Pour la façon dont ils nous mangent,
Et nos parrains et nos marraines…
Dans les bons vieux hôtels de France, tables d’hôte
Où des commis-voyageurs,
(Vrais blagueurs),
En savourant leur entrecôte.
Racontent des histoires à se tenir les côtes !
Et, entre chaque bouchée, c’en est une autre !
Et toi, calme vie de famille,
Dont le bouilli
Du samedi
Sera confident de tous les espoirs, tous les soucis :
— Quand marierons-nous notre fille ? —
A la muette, dare-dare,
Comme dans un buffet de gare,
Là-bas c’est le bar,
Où tous, sans égards,
Te baffrent, te briffent !
Tranche de rosbif…

(Le bœuf doit prononcer les six vers qui précèdent avec une grande animation, et en imitant autant que possible l’accent anglais.)

Et puis, Seigneur ! de quels breuvages,
Ils nous arrosent, les sauvages !
Thé, soda, limonade, bière !
Faudra-t-il que nous acceptions,
Albion,
De telles compromissions ?
Où es-tu, Suresnes Première ?
Aussi, lorsque j’ai vu de quoi il retournait,
Je n’ai
Eu trêve que de repartir :
Au lieu de figurer, digne, dans un repas,
Être mangé dans ces conditions-là,
Vraiment, il n’y aurait pas de plaisir…
Or, voici qu’une Anglaise, faisant son menu,
Sur moi jette son dévolu ;
C’était la femme d’un pasteur, à ce que j’ai cru,
Car elle était avec ses filles qui étaient neuf :
(Ah ! que ton mari n’est-il veuf !…) —
Sur leurs vingt pouces, mangé, sans plus,
Sans jus. —
Dans ce péril extrême, j’eus
Recours à un expédient, peut-être pas très neuf,
Mais il fallait agir, d’abord :
Pour conjurer ce mauvais sort,
Je me mis à crier très fort :
— Je suis la culotte du bœuf ! —
(En appuyant, bien entendu, sur le mot culotte.)
Et, pudiques, les dix femmes ont pris la porte…

LES HUITRES

Grâce au hasard béni des villégiatures,
Je viens d’élucider enfin ce point obscur,
Par qui fut mon esprit longtemps à la torture :
Les huîtres, compagnes fidèles
Des débauches et des festins,
— Ohé ! ohé ! les soupers fins
Avec des demoiselles ! —
Dès l’approche des hirondelles,
Les huîtres, compagnes fidèles,
Nous ont quittés : où s’en vont-elles ?
— Les montagnes, la Suisse, ont pour nous peu d’attrait, —
Voulut bien s’en ouvrir à moi, de fort bon gré,
L’huître que le hasard m’avait fait rencontrer
Dans les environs de Pourville :
— Quand nous fuyons la grande ville,
C’est toujours au bord de la mer
Que nous allons nous mettre au vert :
Ah ! la mer, la mer !… On pourrait
Rester devant elle, immobile.
Des heures, sans penser, sans nul rêve futile,
Et l’on ne s’ennuierait jamais…
Puis nous avons là presque toute notre famille.
— Est-ce que vous prenez des bains ?
— Non, cela nous énerve trop.
— Et vous allez au casino ?
— Oh !
Vous voulez rire, c’est certain ;
Nous ne voyons personne et vivons en recluses,
Ce qu’il nous faut,
C’est du repos :
Nous en avons assez, et trop,
Des endroits de plaisir, du monde où l’on s’amuse ;
Nous arrivons ici l’esprit, le corps fourbus,
L’estomac délabré, enfin n’en pouvant plus,
Résultat naturel d’excès de toutes sortes :
Car
A quel rendez-vous de fêtards
Ne nous vit-on, pendant l’hiver, battant le quart,
Toute la nuit, devant la porte ?
Vous comprenez, nous payons ça plus tard.
Ah ! ce satané boulevard !
C’est pourquoi, dès mai, nous partons,
Devançant d’un mois la saison,
Sans quoi nous ne pourrions tenir ;
N’empêche qu’aussitôt d’aplomb,
On n’en a pas plus de raison,
On ne songe qu’à revenir.
Croiriez-vous que la nostalgie
Commence à s’emparer de nous ?
Lorsqu’arrive la fin d’août,
Nous repartons, pas assagies,
Prêtes à recommencer l’orgie !… —
— A tant de hâte, dis-je, d’un ton léger,
Peut-être cet espoir n’est-il pas étranger,
De retrouver la gentille écaillère
Brune avec un foulard noué dans les cheveux,
Qui saura vous ouvrir de si dextre manière ? —
L’huître murmure : — Ouvrir… — elle ferme les yeux,
Un long frémissement nerveux
Voluptueusement a secoué son être ;
Puis, sans plus rien laisser paraître,
Elle reprend d’un ton plus doux :
— Parlons d’autre chose, voulez-vous ?… —

VERTE RÉPONSE DU ROTISSEUR A LA FRUITIÈRE PUDIBONDE

LA FRUITIÈRE

Vraiment, la police est mal faite,
Qui permet, monsieur mon voisin,
Qu’à ta porte, aux yeux des fillettes,
Des fillettes et des gamins,
La peau, de plumes dépouillée,
Et poulets et poules soient vus,
Comme soldats à la feuillée,
Alignant leurs derrières nus…

LE ROTISSEUR

Toi qui les derrières dénombres
A ma porte, fleur de vertu,
A la tienne, que laisses-tu
L’ostentation des concombres ?

COQUILLES SAINT-JACQUES

Les coquilles Saint-Jacques ont vainement cherché
A s’informer auprès des domestiques
Si on allait les servir chez
Des personnes suffisamment aristocratiques ;
Quand, au manteau des pèlerins,
Vos aïeux eurent ce destin
De vaincre en pays palestin
Pour la gloire du Saint-Sépulcre,
Saurait-on, sans amer chagrin,
Penser figurer au festin
D’un manant, d’un bourgeois enrichi par le lucre,
De tout autre que prince ou duc ?
Donc, dès leur entrée dans la salle,
Elles jettent, sans en avoir l’air,
Un petit regard circulaire :
— Pas mal ! pas mal ! —
Certe, à défaut du féodal,
Ce style Henri II n’est pas pour leur déplaire ;
Des sièges en cuir de Cordoue
Sont, à leurs regards, les plus doux ;
L’amphitryon n’est pas un de ces fous
Qui se meublent de laqué vert :
Aux croisés de Jérusalem
On épargne du moins cette angoisse suprême :
Une salle à manger qui viendrait d’Angleterre.
De la présence des coquilles,
Les châtelains sont avertis ;
Mais, voyons, à quoi songent-ils ?
(On était plus exact, dans les vieilles familles ;)
Il est déjà passé midi :
Et les coquilles, pour patienter durant le retard, —
Car
Il est au moins midi et quart, —
Et tromper une attente qui les refroidit,
Fredonnent des chœurs de la Jérusalem de Verdi,
Et la romance de Richard…
Bon, voici nos gens qui arrivent,
Ils s’installent ; mais quels convives,
Sang du Calvaire ! ah ! vos aïeux !
Coquilles des pèlerins pieux,
Votre indignation est vive !
Vraiment ce n’est pas sans sujet
Que vous mettez à vous laisser manger
Tant de mauvaise volonté :
Aucun n’a prononcé le bénédicité !

HÉROIQUE JACTANCE D’UN LAPIN

Aux mains cruelles des gâte-sauces,
(Ils sont deux, trois, quatre petits),
Pauvre lapin, te voilà pris ;
Et les méchants gamins se gaussent
De sa situation fausse,
Et se font un barbare jeu
De tirer ses longues oreilles,
Soyeuses au poil blanc et feu,
(Car on sait que le lapin bleu
Est un animal fabuleux
Que seuls, dans leurs galantes veilles,
Ont pu rêver les amoureux) :
Notre lapin est blanc et feu.
A la cuisinière on l’apporte :
— Sautez, sautez, les gibelottes ! —
Près des fourneaux, parmi les cuivres et les broches,
La cuisinière se dresse, imposante et grave,
Mais le lapin, à son approche,
Soutient son regard, et la brave.
L’autre l’a saisi par les pattes ;
Toutes quatre
S’agitent en nerveuses saccades :
— Tu trembles ? dit la farouche, d’un ton narquois. —
— Moi ?
Si je tremble, c’est donc de froid !
Vraiment, tu ne me connais guère :
Sache que mes aïeux entraînaient à la guerre
En battant du tambour les héros de naguère ;
Ils étaient à la Grande Armée,
Ils ont, sur les champs de bataille,
Récolté toutes les médailles
Et d’Italie, et de Crimée.
Avec la croix qu’un jour leur remit, à cheval,
De la main à la main, le Petit Caporal !
Et bonnement, tu t’imagines,
Moi, le descendant de ces preux,
Qui furent décorés au feu,
M’impressionner avec ton cordon bleu,
Et ta batterie de cuisine ?

LE VEAU ET LA SALADE

En l’honneur des vrais principes démocratiques,
Des gens sont réunis qui, pour un prix modique,
S’apprêtent à manger le veau et la salade
Jusques à s’en rendre malades :
— Crevons s’il faut en crever, camarades,
Mais Vive la République ! —
Le veau, contre son habitude,
Donne des signes d’inquiétude,
Que le président du banquet
Ne tarde pas à remarquer,
Et il l’invite à s’expliquer ; —
D’un geste,
Le veau s’excuse ; il n’est pas orateur ;
— (Parlez ! parlez !) — Messieurs, j’ai tenu à honneur
D’apporter aujourd’hui mon contingent modeste
A cette fête des travailleurs :
La salade fera le reste ;
Mais, c’est ici que je proteste :
Avons-nous donc, messieurs, fait si peu de chemin
Que nous soyons encor caudataires du pape ?
Les cléricaux doivent rire sous cape :
Avec moi, de moitié, admettre en vos agapes
Une barbe-de-capucin ! —
Ces mots ont fait, dans l’assistance,
Courir un long frémissement,
Dont le président un moment,
Vainement,
Veut atténuer l’importance,
— A l’incident, dit-il, donnons sa juste suite ;
Non, tu n’es plus, salade que voilà,
Barbe-de-capucin ; messieurs, baptisons-la :
C’est de la
Vieille-barbe-de-quarante-huit. —

POIVRE ET SEL

A la bonne heure, des salières,
Rustiques salières de verre,
Où, côte à côte, poivre et sel
Mêlent,
Sel marin, poivre de Cayenne,
En grains, en graines,
Mêmes joies et communes peines,
Leur existence mitoyenne.
Mais, un beau jour, fatal présent,
Ce sont les salières d’argent,
Où, pour une arbitraire mode,
On supprime le côte à côte :
Le poivre habite, maintenant,
A un bout de table, et le sel à un autre ;
Plus moyen même qu’on se cause :
Coquille minuscule ou bien feuille de rose,
Chacune est tenue à l’écart :
— Salières en argent,
Mariage d’argent, —
Sel et poivre dorénavant
Font complètement lit à part.
Parfois on les rapproche encore ;
Mais c’est qu’ils vont périr d’une commune mort ;
Alors, avec quelle mélancolie ils se regardent :
Au fond du buffet, quand on se retrouvait le soir !…
Il leur resta un dernier espoir :
Recommencer la vie à deux, dans une barbe…

LE POT-AU-FEU

Par tous les temps, sur la plage, la pauvre vieille,
Avec son cabas et son châle,
Nous l’avons vue sous la rafale,
Et sous la pluie, et sous la grêle,
La pauvre vieille,
Silencieuse et les yeux vagues,
Qui regardait monter les vagues ;
Et comme nous nous moquions d’elle,
Quand le flot, à marée haute, qui déferle
Puis vient mourir sur les galets,
Mouillait ses souliers éculés,
Et la tristesse de ses mollets
Grêles, si grêles !
Mais la vieille agitait seulement son cabas
Pour des gestes qu’alors nous ne comprenions pas.
Oh ! les quolibets et les rondes,
Dont l’entouraient, armés de pelles,
Tous les petits enfants cruels,
Bourreaux, bourrelles
A boucles blondes !…
Maintenant je sais le mystère,
Et maintenant je ne ris plus :
Je sais le petit-fils perdu,
Et la folie de la grand’mère ;
Chaque dimanche, il fut un temps où, pour son fieu,
Elle mettait le pot-au-feu :
Ah ! le bon régal tous les deux,
Et les belles histoires près du grand pot qui fume :
— Hume !
Hume-moi ça, mon fieu, et ne te brûle pas ;
Vois s’il est bien salé à ton goût, n’est-ce pas,
Et pas trop maigre, et pas trop gras,
Et si l’on sent bien la légume… —
Et, avec précaution, écartant l’écume
Elle tendait une cuillerée au petit gars,
Grand ordonnateur du repas,
Qui, connaisseur et grave en ces cas délicats,
Faisait claquer la langue et fronçait les narines ; —
Mais un beau jour il est parti dans la marine,
Le petit gars,
Dans la marine de l’État ;
Un beau jour, adieu la cuisine !
Lors ensemble, un dernier dimanche,
On a mangé le pot-au-feu :
— Voyons, ne pleure plus, grand’maman, sacrebleu !
Et prépare-m’en un fameux
Pour quand je reviendrai, des galons plein les manches !
La vieille branlait la tête, sous sa coiffe blanche,
Sans rien dire, et d’un coin de son tablier bleu,
Tristement essuyait ses yeux,
La grand’mère et le petit-fils, un dernier dimanche…
Des mois, des mois, — voilà qu’un papier est venu,
Avec de gros cachets dessus :
Le petit ne reviendra plus.
Et quand elle a fini de lire,
La pauvre vieille se met à trembler, — puis à rire ;
Du fond de l’armoire, elle tire son beau corsage,
Et son châle de mariage,
Dit aux commères du voisinage :
— C’est mon gars qui va revenir ! —
Dit, et puis se prend à courir,
En grande hâte, vers la plage,
Et s’efforce de découvrir
Les gros bateaux, là-bas, au large…
Tout le jour, elle reste là ;
Elle emporte, dans son cabas,
Un peu de sel, une cuillère,
— Hume-moi ça, et goûte un peu,
C’est le pot-au-feu pour mon fieu ! —
Et sale et écume la mer,
Vieille folle, pauvre grand’mère…

DIALOGUE DES POMMES ET DES POISSONS

Les pommes ont dit aux poissons :
— Assez longtemps le langage des hommes
A prétendu que vous, Poissons, pour nous les Pommes,
Professiez un mépris aveugle et sans raison ;
On répète : s’en ficher comme
Se fiche un poisson d’une pomme ;
Pourquoi ? comment avons-nous mérité,
A vos yeux, cet excès, Poissons, d’indignité ? —
Les poissons gardent le silence,
Comme c’est assez dans leurs habitudes ;
Mais le débat n’est pas de ceux que l’on élude,
Et les pommes reprennent avec insistance :
— Pardieu ! nous connaissons votre passé hautain,
Et qu’autour d’un turbot tout le Sénat latin
S’assemblait, plein de déférence ;
Nous savons qu’un des grands ministres de la France,
O soles, vous a seules laissées,
A la Colbert,
Dépositaires
De ses goûts et de ses pensées ;
Tout cela est glorieux, certes,
Mais, de là, faut-il qu’on nous traite
Avec ce dédain ? Car, enfin,
Nous aussi nous avons, Poissons, nos parchemins :
Mieux que ministre franc, ou sénateur latin,
Nous avons la pomme Reinette !… —
(Reinette s’écrit rainette, mais je suppose
Que les Pommes, sans l’ignorer,
Ont fait cet affront à Littré
Pour les besoins de la cause…)
— Reinette, petite Reine : comme Wilhelmine ! —
Mais, à ces mots, parmi les autres empressés,
Un petit poisson s’est avancé,
Devant qui tous, respectueux, s’inclinent :
— Et moi, je m’appelle la Loubine ! —

CONSERVES D’ALOUETTES

Alouette, au clair matin,
Qu’est devenue ta compagne
En bottes de maroquin.
Le chasseur, au clair matin,
Battait, alerte et malin,
Tous les buissons du chemin,
Et la plaine, et la montagne :
— Qu’est devenue ta compagne ?
Tant de perfides lacs, et le plomb meurtrier,
Et cette glu damnée :
Hélas, hélas, n’est-ce pas grand’pitié
De la gent empennée ?
Pour lisser une plume où se jouait le vent,
Ou pour donner à son aigrette
Un petit air plus conquérant,
Coquette,
Pour toi seul trop heureux et malheureux amant,
Elle a dû s’arrêter devant
Un de ces miroirs décevants,
Ta compagne, pauvre alouette !
Le triste oiseau, aux échos d’alentour,
Réclame vainement l’objet de son amour :
Il interroge les guérets,
Il sollicite les ramures,
Les guérets sont restés muets,
Et les ramures sans murmure…
— Ah ! morte, partager sa mort,
Mais du moins la revoir encor ! —
Et, comme en un vol de folie,
L’oiseau a franchi les prairies.
Et les grands bois, et les cités :
Au haut des toits, sur une patte, les cigognes
S’étonnent,
Et les petits coqs des clochers sont scandalisés :
Il vole, il vole, sans s’arrêter.
A tire d’aile, dans les airs,
Par delà les mouvantes mers,
N’en pouvant plus, il touche une rive étrangère.
Un homme est là qui le recueille,
Cet homme est plus noir que le deuil
D’un enfant qu’enleva la fièvre typhoïde :
Un faux-col en celluloïd
Le couvre seul, et quelques feuilles ;
Mais, souriant contre toute espérance,
Et, l’hospitalité illuminant son œil :
— Infortuné, va, ne crains rien de mon accueil, —
(A part.) C’est un oiseau qui vient de France ! —
L’oiseau ravi, et plein de confiance,
Se pose alors sur son épaule,
Et frôle
Les divers ornements de zinc
Qui composaient la parure succincte,
Dont se complaisent à se parer ces âmes simples.
Soudain, l’oiseau a tressailli :
Voici
Que rayonnaient, sur l’étincellement d’une épaulette,
(Chez les nègres, encor, c’est le goût général
De s’habiller en général ;
Cela ne nous fait aucun mal) ;
Donc ces mots rayonnaient sur ce qui, je répète,
Servait au nègre d’épaulette,
Vestige étincelant d’une boîte infernale,
Ces mots (il a bien lu !) : — Conserves d’alouettes !
— C’est donc cela ! dit l’alouette ;
Son hôte en vain insiste pour qu’il se repose,
Pour qu’il prenne au moins quelque chose :
L’oiseau ne veut rien entendre, et repart
A la recherche des barbares
Qui préparent
A ses pareils ces douloureuses métamorphoses…
A tire d’ailes, dans les airs,
Il a retraversé les mers,
Surprenant à nouveau, de sa course baroque,
Et les cigognes, et les coqs.
Il arrive, hors d’haleine, et s’introduit
Pendant l’horreur d’une profonde nuit,
Dans cet endroit où les marchands conservent,
— Bastilles,
Où gémissent des comestibles, —
Les sombres boîtes de conserves.
— Vlan ! —
A coups de bec dans le fer-blanc,
Les boîtes s’ouvrent, —
Délivrons tous ces pauvres bougres :
Des sardines sortent en tremblant,
La geôle les a rendues aveugles et sourdes ;
Qu’ont-ils fait de leur air badin,
Les petits pois, joie du jardin ?
Et comme ils sont piteux, et tristes se renfrognent,
Les truffes et les cèpes, ces cadets de Gascogne !
Mais quelle angoisse et quel effroi,
Des profondeurs sort une voix, —
Écoutez, cruels, écoutez :
— Je suis le Thon, j’ai trente-cinq ans de captivité ! —
Le courageux oiseau poursuit avec ardeur
Sa tâche de libérateur,
Sans relâche, sans qu’il se lasse,
De sa compagne cherchant les traces :
Quelque chose lui dit qu’il la retrouvera,
Oui, cette voix du sang qui ne nous trompe pas !
Une boîte résiste encor,
L’oiseau, en vain, sur le couvercle,
Par cent fois s’est brisé le bec :
Mais il en vient à bout, en un suprême effort ; —
Et c’est un horrible mélange
D’os et de chairs meurtris : avant qu’on ne vous mange,
Pauvres alouettes, voilà donc comme on vous arrange !
L’oiseau voudrait douter de son tragique sort :
Sa compagne, chère alouette,
Dans cet amas confus, comment la reconnaître ?
D’autres qu’elle sont là, peut-être :
Mais, hélas ! voici l’anneau d’or,
Qu’il lui avait donné, gage de sa foi, pour sa fête…
Un an après, jour pour jour,
Le fabricant de conserves alimentaires
Constatait, à son tour, d’analogue manière,
Le décès du charmant objet de son amour,
Dans un accident de chemin de fer.

BEIGNETS D’ACACIA

— Acacia, presque un nom de femme ; —
Élisa, ou Cynthia,
O femme,
Dont le désir m’émacia,
Pour que sur moi se posât ton regard de flamme,
Qu’un peu de volupté dans les yeux scintillât,
Cynthia,
Pour toi j’aurais damné mon âme ;
Et ton caprice réclame
Des beignets d’acacia, —
Dictame ?…
— Acacia, presque un nom de femme ; —
Et nous sommes partis par les sentiers ombreux,
Où les acacias merveilleux
Balançaient au ciel pur l’ostensoir de leurs grappes,
Et je me suis senti plus riche et plus heureux,
En serrant ton bras amoureux,
Que les émirs et les satrapes, —
Avec toi, Cynthia, par les sentiers ombreux.
Puis j’ai cueilli la moisson odorante,
Et les épines s’enfonçant
En cent endroits, et cent, et cent,
Dans la chair, m’ont piqué au sang, —
Pour toi mon sang, ô mon amante ! —
En cent endroits, ou cent cinquante ;
Et l’humble cantonnier, très vieux,
Qui, près de là, cassait des tas de pierres,
Souriait à tant de grâce de ta robe claire :
— Vous allez-t-y, vous allez-t-y en faire
Des bouquets, madame et monsieur,
Des beaux bouquets, bon Dieu de bon Dieu,
Sacré tonnerre ! —
Souriant à tant de grâce de ta robe claire.
Mais non, ce n’est pas, ô vieillard,
Pour que, d’un frais bouquet, son corsage se pare,
Que nous cueillons ainsi les fleurs au parfum tendre ;
Et non plus ne sont destinées
A figurer dans un vase sur la cheminée
Du salon, de la salle à manger, ou de la chambre :
Cette razzia
D’acacia,
Qu’elle emporte dans son ombrelle,
C’est pour le plat,
Qui, délicat,
Son fin palais émoustilla :
Les fleurs se mangent donc entre elles ?
Et maintenant que, dans la pâte,
Elle trempe ses bras d’albâtre,
Pétrit, de ses doigts fuselés,
Les œufs, la farine et le lait, —
Quand tu le voudras, ô la belle,
Pour qui déjà ma chair et mon cœur ont saigné,
Au lieu d’acacia tu feras tes beignets
Avec le peu qui reste encor de ma cervelle… —
( — Voilà bien ce que je craignais,
Dit-elle.) —
Cynthia, impassible, au sourire cruel…

TROIS PETITES CHANSONS

I. — Le pique-assiette.

Du dîner, comme d’un tournoi, sonne la cloche ;
La fourchette en arrêt, les voici qui s’approchent,
Les chevaliers tapeurs et vide-poches :
Pique, pique, picador !
Pique, pique, pique-assiette !
N’en reste-t-il mie ou miette,
De ce veau que je regrette ?
— Mais moi, Carmen, je l’aime encor… —
Pique, pique, picador !
Pique, pique, pique-assiette !

[La bouche pleine, mais les yeux avides, ils tournent autour de la table en fredonnant des rondes enfantines :]

Une poule sur un mur,
Qui picote du pain dur,
Pique-assiette, picota,
Mange un œuf et puis s’en va…

[Mais ils ne s’en vont pas, et ils continuent à tourner, au rythme de paroles seulement plus mystérieuses :]

Ams’, stram’, gram’,
Pique, pique, commedram’,
Bourre, bourre, ratatam’.
— (J’ai encor, je le proclame,
Maigri de cinquante grammes !) —
Pique, pique, commedram’,
Mis’, stram’, — dram’!
Bonsoir, Monsieur et Madame !

(Les voix s’éloignent dans la nuit.)

II. — Le vol-au-vent.

Marmiton,
Vole, vole, vole !
Prends tes jambes à ton col :
Où t’envoya ton patron,
Marmiton,
Vole, vole donc !
Le vol-au-vent sur la tête,
Vole, vole, marmiton, —
Vol-au-vent aux champignons,
Aux quenelles et aux crêtes, —
On t’attend, l’âme inquiète,
On t’espère à la fenêtre ;
Vole, et que rien ne t’arrête,
Marmiton,
Vole, vole donc !
Marmiton,
Vole, vole, vole !
Fuis la conversation
Des petits trottins frivoles,
Et, pas de saute-mouton
Avec les méchants garçons
Qui ne vont pas à l’école :
— Que non ! —
Que non, jeunes polissons !
Que nenni, mesdemoiselles !
Que non ! que nenni ! — (Quenelles…) —
Si le vol-au-vent, narquois,
Allait s’envoler sans toi !
Marmiton,
Vole, vole donc !

III. — L’anse du panier.

« Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous assouplis sous les doigts du vannier ! »
Pour les soldats de la France,
Fantassin et cavalier,
Artilleur, chasseur à pied,
Sapeur-pompier,
Pour les soldats de la France,
Danse
L’anse,
Danse l’anse du panier !
« Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous assouplis sous les doigts du vannier ! »
Tant de danses a dansées,
Que la pauvre anse est cassée,
Délaissée
Par toute l’armée française :
— Nuit et jour, à tout venant,
Je dansais, ne vous déplaise…
— Vous dansiez, j’en suis fort aise,
Eh ! bien, chantez maintenant ! —
« Brins d’osier, brins d’osier,
Courbez-vous assouplis sous les doigts du vannier ! »

SUIVIES DE LA ROMANCE DU BAIN-MARIE

Sous ton vocable, ô Marie,
Sous ton vocable placé,
Daigne écouter, attendrie,
Mon placet !
Marie, qu’il a de peine,
Ton bain, hélas ! bain-marie,
Lui dont l’ambition vaine
Envie
Ceux de la Samaritaine :
Voir s’ébattre dans nos flots
Des corps gracieux et beaux !
Ah ! pourquoi la cuisinière,
Son corsage retroussant
D’une excitante manière,
Nous va-t-elle provoquant
De son bras rouge et troublant ?
Oui, ses bras : mais, davantage,
Du flan !
Car nous n’avons en partage,
Dedans nos flots, et nos flancs,
Que les crèmes et les flans…

La Vierge-Marie (parlé).

Et c’est à moi que vous venez raconter cela ? Vous en avez de bonnes !

LAIT DE CHÈVRE

— Tirelirelo, lirelo,
La flûte aux lèvres,
Qui veut du lait, le bon lolo
Des chèvres ? —
Et par les rues de la grand’ville, les chèvres passent,
Et longent, mélancoliques, les trottoirs
Bordés de maisons hautes et noires :
Ah ! revoir
Les cimes, le ciel pur, l’espace…
Pyrénées, Pyrénées
De leurs jeunes années,
Où les chèvres allaient, grimpant
Au son de la flûte de Pan !
(Il n’y a plus de Pyrénées…)
Et comme ils sonnent tristement ces airs de flûte,
Perdus
Parmi les rumeurs de la rue,
Et le fracas des omnibus !
Là-bas, là-bas, au pays,
D’autres omnibus passaient, jadis,
Aussi,
Des touristes, avec des guides,
Et pour les voir passer, rapides,
Sur une roche,
A leur approche,
On s’arrêtait, — des messieurs en culotte, de jeunes dames
Toutes roses de s’être levées si matin,
Souriaient, — des grelots tintaient, au son argentin,
Et l’omnibus disparaissait dans le lointain,
Laissant les chèvres seules, avec le grand calme…
Et maintenant ce roulement perpétuel et comme infernal,
Sur le pavé,
Des omnibus et des tramways :
Si, au moins, les chèvres pouvaient
Se distraire à escalader les impériales…
Mais en sifflant ses sons stridents,
Le chevrier attire les pratiques,
La petite ouvrière chlorotique,
L’aïeule qui n’a plus de dents :
— C’est l’homme aux chèvres et sa flûte :
Psst ! hé ! on vous a appelé !… —
Et l’on presse leur pis gonflé,
Et les chèvres doivent donner leur lait
A des inconnus, comme ça, à toute minute…
Et puis elles reprendront leur route,
Non sans se boucher les narines,
En rencontrant tant d’imbéciles et de coquines,
Qui, par des parfumeries abjectes, contaminent
La chaude et saine et naturelle odeur de bouc…
Leur sera-t-il jamais permis,
En revanche,
D’aller, en matinée, un dimanche,
A l’Opéra-Comique, quand, pour la Dame Blanche,
Les Montagnards sont réunis ; —
(Les Mon-on-tagnards,
Les Mon-on-tagnards,
Les Mon-on-tagnards sont réunis !) —
Évocation du pays,
Ces chers refrains, à les ouïr,
Elles auraient tant de plaisir !
A-t-on seulement songé à les y conduire !
Pourtant, une distraction
Demeure pour leur plaire :
Tous ces trous qu’à profusion,
Sans doute à leur intention,
Opère
L’administration propice ;
A chaque pas, dans chaque rue, des précipices !
Aussitôt, les chèvres bondissent,
Le troupeau s’arrête devant,
Levant
Les barbiches, humant le vent,
Et tout en haut se tient,
Et rêve,
Et rêve et se souvient :
Les édiles parisiens
Doivent adorer le lait de chèvre.

PAIN BÉNIT

La petite église où, touriste égaré,
La petite église où je suis entré,
Était si fraîche, et sombre, et calme ;
Pas de bedeau, pas de curé ;
Dans leur niche, des beaux messieurs de bois doré,
Des belles dames,
Me faisaient signe gentiment, avec leur palme…
Au dossier des chaises et des prie-Dieu,
Où la paille le cède au velours vert et bleu,
J’ai déchiffré le nom des pieuses demoiselles,
Que la cloche appelle, fidèles,
Chaque matin en ce saint lieu :
Berthe Gadou, Blanche Pélissier, Marie Andrieu,
Agathe, et Sophie et Adèle, —
Une larme monte à mes yeux ;
Car je les vois là-bas, les saintes filles,
Dans leur chambre claire et propre, près de la fenêtre,
Qui travaillent, — le bon vieux prêtre,
En traversant la rue tranquille,
Les a saluées de la tête :
Pourvu qu’il n’ait pas vu le surplis qu’en cachette,
Surplis, surprise, on veut lui broder pour sa fête ;
Et plus vite, et plus alerte, reprend l’aiguille.
Être un membre de leur famille !
Elles nous recevraient joyeuses : le voici,
Le méchant cousin de Paris !
Elles nous feraient goûter leurs confitures
Et leur cassis,
Et prieraient tant pour nous gagner le paradis,
Que nous irions tout droit, bien sûr !
Ah ! pourquoi faut-il que je sois
Celui qui passe, et va, et vient,
Sans s’arrêter ni croire à rien ;
Heureux les sages qui s’assoient,
Respectables et paisibles fabriciens,
A ce banc d’œuvre, avec un gros paroissien
Et une calotte de soie !
Comme il fait bon errer au sanctuaire
Silencieux et désert ;
Ma main indiscrète a ouvert
L’harmonium qui se lamente et dit sa peine :
Hélas ! quand partira la jeune châtelaine
Qui voudrait l’accommoder au Tannhauser, —
Oh ! ce Wagner ! —
Hélas ! quand reviendra l’hiver,
L’institutrice et ses mitaines,
Et qui ne joue que la Valse des Roses :
Entre chacun des chants sacrés,
Avant l’élévation, pendant, après,
Au rythme d’un accompagnement sobre et discret,
C’est toujours cette valse et ses métamorphoses ;
La brave fille ne sait pas autre chose, —
Le bon Dieu ne lui en aura que plus de gré. —
Aux sons d’une musique comme cela,
Je voudrais que l’on m’enterrât
Dans cette église :
Le bon sommeil qu’on ferait là,
Sous une de ces dalles grises !
Or, voici que mon œil avise,
Cherchant à terre
L’épitaphe de quelque abbé commendataire,
Sur une des dalles, soudain,
Un petit morceau de pain.
— Monsieur, murmure-t-il, écoutez ma prière,
Ne me trahissez pas auprès de la chaisière,
Car aussitôt elle viendrait me balayer,
Méticuleuse et sans pitié,
Et ce serait fini de ma joie la première ;
Si vous saviez, si vous saviez…
Dans la splendeur des moissons blondes,
Épi dressé parmi les gerbes,
J’ai chanté mon hymne superbe
Au divin Créateur du monde ;
Puis je rêvais, fleur de farine,
Qu’en grande pompe on m’apportait en dîme
Au prieur vénéré de l’abbaye voisine ;
Espoir extrahumain,
Ambition ultime,
Libre de tout levain,
Ah ! devenir du pain
Azyme !
Hélas ! il en fallait rabattre ;
Le boulanger qui fabriqua ma pâte
N’est pas une mauvaise pâte ;
Mais, au Conseil municipal,
Il représente la fraction anticléricale.
Songez alors, songez donc combien j’ai souffert,
Pour les principes religieux qui m’étaient chers :
Un beau dimanche, pendant l’office,
Gravement escorté du suisse
Vêtu en amiral suisse,
Dans la corbeille, aux mains d’un jeune clerc,
Jamais je ne serais offert,
Et nul, en me prenant, ne dirait un Pater.
Petit garçon, Dieu te bénisse,
Qui, du moins, au parvis sacré me fis tomber,
Goûter inachevé, lorsque monsieur l’abbé
Te gourmandait, en retard pour le catéchisme ;
Maintenant, maintenant, du temple du Seigneur,
Vous ne me ferez pas chasser, bon voyageur,
Par le balai irréfléchi de cette femme ;
Vous me laisserez dans mon coin,
Paisiblement songer aux soins
De mon âme, —
Et de la vôtre aussi, s’il vous en est besoin. —
— Sans doute, remerciai-je, sans doute ;
Heureux ceux dont la foi est forte,
Et que laisse en repos le doute ;
Va, ta vie est meilleure à vivre de la sorte,
Croûte de pain derrière la porte,
Et cela vaut mieux, somme toute,
Que toutes
Nos courses vers un but vain que le vent emporte, —
L’avenir fait de mort, le passé lettre morte, —
Que toutes nos courses frivoles…
Mie, adieu ; Dieu te garde, croûte !… —
Et, touriste égaré, je fuyais par les routes
Sur ma voiturette à pétrole.

BISCUIT DE SOLDAT

«  — Zim, balaboum, tap’moi sur la bedaine,
» V’là l’ maréchal Bazaine !…
» Zim, balaboum, tap’moi sur le bedon,
» V’là l’ maréchal Mac-Mahon !… —  »
Par le vallon et par la plaine,
Par la plaine et par le vallon,
Ainsi nos gais troupiers égrènent
Leurs refrains martiaux, leur vaillante chanson :
— Zim, balaboum, tap’moi sur la bedaine !…
Zim, balaboum, tap’moi sur le bedon !… —
On ne peut pas toujours chanter du Déroulède…
C’est l’arrivée dans le village pour l’étape,
Au soir, avec les gamins et les belles filles ;
Le régiment défile en files,
Sonne, sonne, clairon agile,
Fier tapin, sur ton tambour tape !
Dans un coin de la grange, le sac est posé,
Le sac dur et lourd où pesaient
Conserves, biscuits et cartouches,
Étranges provisions de bouche ; —
Et maintenant, assez causé,
Voyons à voir, qu’on se débrouille :
Il faut que la marmite bouille,
Et qu’autre chose soit dedans
Que des cailloux, casseurs de dents ! —
Les feux des escouades, sur les places, au crépuscule…
Les petits rentiers ridicules
S’arrêtent, qui ont passé par là,
Et, connaisseurs, s’informent du rata,
Ou, plaisamment, parlent de Jules…
Les feux des escouades, sur les places, au crépuscule…
Mais comme phalène aux bougies,
Les feux ont attiré les servantes hardies
Qui se tiennent à distance, mais provocantes,
Bras dessus, bras dessous, ou le poing sur la hanche,
Roses avec leurs corsages roses des dimanches,
Et rient,
— Ohé ! Margot, ohé ! Marie ! —
De tout l’éclat de leurs dents blanches…
Les marmots, plus osés, s’approchent :
— Ah !
Avoir du biscuit de soldat !… —
Et les soldats sourient aux mioches,
Et, diplomates, interrogent :
— Tu as une sœur ? bon, dis-lui
Qu’on dansera, après la soupe, jusqu’à la nuit,
Et que c’est pour elle le biscuit
Que je t’ai fourré dans la poche !… —
Cependant, le jeune lieutenant, bien corseté,
Explique aux demoiselles du château, ou du notaire :
— Ce biscuit de nos militaires,
On en fait d’excellentes tartines pour le thé :
Détrempé, puis grillé, avec un peu de sel,
Un peu de beurre, et vous m’en direz des nouvelles ;
Mais je vous en ferai goûter,
Mesdemoiselles ! —
Biscuit, entremetteur d’amour,
Pour le flirt ou pour la fleurette,
Mauvais soldat, sot, qui regrette
Que tu rendes nos sacs trop lourds !
Puis il paraît qu’on en mangerait en temps de guerre.

TARTE A LA CRÈME

Tarte à la crème, tarte à la crème, — les potaches,
Douloureux, ont repris leur tâche ;
En vain les doux professeurs tâchent
D’égayer leurs esprits d’un peu de Molière :
— Tarte à la crème ! — Ils n’y parviennent guère…
Ah ! oui, les crèmes et les tartes,
Et la cousine aux longues nattes,
Cousine
Qui les initiait à d’exquises cuisines !

(Les jeunes filles ne se doutent pas du bon effet que cela produit quand on annonce que tels ou tels gâteaux présentés sur la table ont été confectionnés par elles. Cela indique chez elles un souci des soins de l’intérieur.)

Marmelades et charlottes,
Diplomates et compotes,
Œufs à la neige,
(Ses bras de neige !)
Soufflés et flans,
(Ses yeux troublants !) —
Dans le verger, quand on allait cueillir des fruits,
Hélas ! ne lui avoir rien dit !…
Près du four, pour la frangipane,
Son tablier à bavolets,
Les crêpes qu’elle offrait de ses doigts fuselés,
Être resté là comme un âne…
Tarte à la crème ! les jolies choses
Qui, maintenant, nous viennent en tête :
Les externes nous apporteront du papier à lettres
Ou mauve, ou rose,
De l’encre d’or, ou violette…
Chers souvenirs des tartes et des crèmes,
Vous inspirerez nos poèmes ;
Et nous mangerons sans dépit
Le haricot banal, qui fait si réjouis
Les présidents des distributions de prix :
Pour leur verve badine, inépuisable thème !
Tarte à la crème ! tarte à la crème !
Ce n’est pas la crème qu’il aime,
Café, vanille, ou chocolat :
C’est Babet qu’adore Colas !
Mais d’abord il faut, et quand même,
Passer son baccalauréat :
Hélas ! hélas !
Tarte à la crème !…

COUPLETS DU DIABÈTE OU DES TROIS AGES

Du s-
Ucre,
Du sucre,
Toujours du sucre !

I

Gamin fripon, fillette gourmande,
En cachette, dans le sucrier d’argent,
— Allons donc, abîmer nos dents,
C’est des inventions de parents,
Je vous demande un peu, je vous le demande !… —
Fillette friponne, gamin gourmand,
Le bon sucre, oubli des taloches,
Dont nous avons rempli nos poches !
Fébriles, comme nous t’attendions,
Petit canard de digestion
Dans la soucoupe avunculaire,
O sucre, et comme ta venue
Nous rendait celle plus légère
De la fatidique cuillère
Pleine d’huile de foie de morue !…
Du s-
Ucre,
Du sucre,
En avons-nous mangé du sucre !

II

Maintenant, c’est la vie plus grave,
Avec ses angoisses, ses luttes,
Et l’avide besoin de lucre :
Vraiment il s’agit bien de sucre,
Ou de canne, ou de betterave !
Et l’on ferraille,
L’envie fait rage,
Et d’horribles combats se livrent ;
Il faut qu’on vive,
Qu’on arrive, —
Nous ou les autres ; nous plutôt !
Struggle for life, guerre au couteau,
Et gare au dos
De nos rivaux !
Du s-
Ucre,
Du sucre,
En avons-nous cassé du sucre !

III

Mais alors que le combat cesse,
Quelle atmosphère lourde, épaisse,
Qui nous entête et nous oppresse !…
Tous les vaincus de la tourmente,
Qui se traînent et se lamentent,
Même aux vainqueurs,
Une rancœur
Et du dégoût gonflent le cœur !
C’est la misère
Et ses ulcères,
C’est l’ambulance et le charnier :
Que de miasmes à balayer !
A pleins poumons, ah ! respirer
Un air pur et sain, le premier, —
Cet air enfiévré,
Changer d’air !…
Du s-
Ucre,
Du sucre,
Faudra-t-il en brûler du sucre !
Mangeons, cassons, brûlons du sucre…

LA VANITÉ DES RINCE-BOUCHE

Quand elles ont vu les rince-bouche
Sur la table, les victuailles ont pris la mouche :
— Qu’est-ce que vous venez fiche ici,
Tas de feignants, ont-elles dit ?
On ne vous mange, on ne vous boit,
Alors, quoi ?
A quelle heure est-ce qu’on vous couche ?
Vous avez un joli métier ;
Ah ! oui, on peut vous conseiller
De faire les crânes, bien sûr,
Avec votre rond
De citron,
Qui ressemble à une tonsure…
Et ça vous prend des airs jésuites,
Ça invite
Les gens à faire de petites
Malpropretés,
Sous prétexte d’hygiène, de santé,
— C’est colossal ! —
Comme si nous avions la gale !
Vous ne vous êtes donc pas regardés ?… —
Et, pour mieux marquer leurs mépris,
Hors du plat qu’on n’avait pas encor desservi,
(C’étaient des escargots farcis),
Près des rince-bouche s’approchant,
Vlan ! —
Les escargots ont craché dedans. —

INTERMEZZO

J’aime par-dessus tout les longues causeries,
La joie des coudes sur la table,
Et, quand je vais dîner dans les maisons amies,
Jeux imprévus, spectacle improvisé, fines saillies,
C’est vous, surtout, qui me rendez l’âme ravie,
Le menu vraiment délectable.
Oui, je fais peu de cas des repas à la pose,
Où l’on n’ose,
On n’ose seulement bouger ;
Il faut se taire, immobile, et manger,
Boire et manger, sans nulle cesse,
Des vins de choix, des mets exquis,
Oui :
Mais si l’on remue une chaise
L’hôtesse
Aussitôt s’en offusque et la trouve mauvaise ;
Ah ! zut, à la fin, zut et zut !
Nous n’aimons pas manger comme des brutes ;
Sont-ce donc là les traditions françaises !
Comme je te préfère, aimable amphitryon,
Gai luron,
Dont l’esprit avisé, l’adresse sans pareille,
Pour me distraire font merveille :
Qui saura comme toi, du liège des bouchons,
Façonner un bateau, une tête, un poisson,
Un cochon, —
Qui, jongler avec les bouteilles ?
J’aime ta verve industrieuse,
Qui ne reste jamais à court :
Qu’importe la noix creuse, et la poire véreuse,
Et, pourris, les pruneaux de Tours ?
Qu’il n’y ait pas de petits fours ?
Nulle tourte ne vaut tes tours :
Ta femme à tes côtés coulera de beaux jours,
Tes enfants connaîtront une jeunesse heureuse.
Chez les gens de ton caractère,
Cher amphitryon débonnaire,
On n’a point souci de la chère :
La chère, allons donc, belle affaire !
Hardi ! que les assiettes tournent au bout des cannes,
En cadence frappons les verres
Avec les couteaux à dessert,
Et que la mie de pain s’envole dans les airs,
Au souffle de nos sarbacanes :
Le voilà bien, le voilà bien,
Le vrai souper athénien !
Et ça vaut autant que de faire venir des tziganes.

RONDEAU DES PLAISIRS DE LA TABLE

I

Nourrices morvandelles,
Et de Bretagne aussi,
Qui montrez vos mamelles,
Sans nul souci ;
Et mamelles normandes,
Auxquelles se suspendent
Tant de lèvres gourmandes,
Et sans merci ;
Pressant votre corsage,
Le nourrisson volage,
En son gai babillage
S’exprime ainsi :
— Voilà, voilà, les plaisirs de la table,
Voilà les plaisirs de la ta-a-ble !

II

Le cruel cannibale,
Sous les grands catalpas,
Prit le Visage Pâle,
Et le scalpa ;
Par les soins du barbare,
La broche se prépare,
L’Européen s’effare,
Et dit : papa !
Déjà ses membres cuisent ;
Brandissant une cuisse,
L’anthropophage esquisse
Un petit pas :
— Voilà, voilà les plaisirs de la table,
Voilà les plaisirs de la ta-a-ble !

III

Lassé d’un long voyage,
Lorsque le pélican,
Enfin, dans son ménage,
Vient, rappliquant,
Retrouve sa famille,
Voit ses fils et ses filles :
De faim leurs yeux pétillent,
Les becs claquant ;
Alors l’excellent type,
Pour ses enfants extirpe
De son ventre les tripes
Comme de Caen :
— Voilà, voilà les plaisirs de la table,
Voilà les plaisirs de la ta-a-ble !

CHANSON FRANÇAISE

Faisons ripaille et largesses,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Vive la France aux Français,
Bouillabaisse et Cassoulet !
France, ô pays d’allégresse,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Chaque province a son mets,
Bouillabaisse et Cassoulet !
A nous, poulardes de Bresse,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Et pâtés de Pithiviers,
Bouillabaisse et Cassoulet !
Dans nos prés les gigots paissent,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Et les boudins guillerets,
Bouillabaisse et Cassoulet !
Sous les ramures épaisses,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Voyez courir les civets,
Bouillabaisse et Cassoulet !
Pour la pêche, que l’on tresse,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Miraculeux, des filets,
Bouillabaisse et Cassoulet !
Les arbres fruitiers se baissent,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Et se cassent sous le faix,
Bouillabaisse et Cassoulet !
Les noisettes et les fraises,
Cassoulet et Bouillabaisse,
S’offrent au coin des forêts,
Bouillabaisse et Cassoulet !
Et dans les champs, sous les herses,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Jaillit la vigueur des blés,
Bouillabaisse et Cassoulet !
O Paradis des abbesses,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Et des prieurs grassouillets,
Bouillabaisse et Cassoulet !
Les ventres se gonflent d’aise,
Cassoulet et Bouillabaisse,
Le panache est un plumet,
Bouillabaisse et Cassoulet !
Notre chair est en liesse
Cassoulet et Bouillabaisse,
Notre esprit est en gaîté,
Bouillabaisse et Cassoulet :
Faisons ripaille et largesses,
Cassoulet et Bouillabaisse
Vive la France aux Français,
Bouillabaisse et Cassoulet !

EN DÉCOR

Préparons
Les petites boîtes de pilules au goudron,
Les pepto-fer et les peptones,
Qui ne doivent rien à personne ;
Préparons
Les fioles où, des hôpitaux ancien interne,
Un praticien habile, et fertile en kolas,
Colla
L’avis impératif du seul usage interne.
Fi ! comme les gens nous dégoûtent,
Qui, dans leur verre, ne versent rien au pèse-gouttes,
Et qui, sans avoir pris aucun cachet, ni sels,
Se jettent sur le vermicelle !
On se gausse d’eux à l’office :
A quoi bon soigner les services,
Pour des estomacs si novices ?
Nous, au contraire, à nous voir aussi délabrés,
Un grand respect envahira les valets glabres.
Tant de précautions préalables
Dont nous nous sommes entourés,
Tant de fioles sur la table :
Le maître d’hôtel le plus rogue
S’attendrira devant nos drogues ;
Ce n’est pas
La hâte irréfléchie et brutale des ogres :
— Oh ! que,
Oh ! que de vins il dut absorber, que de plats,
Que de sauces goûter pour en arriver là !
Rien des cuisines ne lui dut rester étranger ;
A la bonne heure,
Voilà un homme qui sait manger,
Un véritable amateur ! —
Honneur donc, honneur au convive
Qui, près de son couvert, installe,
Parmi l’argenterie, la porcelaine et le cristal,
Une petite pharmacie portative !
Et qu’à la lueur des bougies,
En auréole de féerie,
Les carafes de chablis et de bordeaux
L’irradient de mille feux, comme les bocaux
D’une véritable pharmacie !

RONDE DES RONDS DE SERVIETTE

C’est le Juif-Errant qu’a cinq ronds,
Cinq ronds, pas quatre, ou six, ou sept,
Cinq ronds pour faire ses emplettes,
Cinq ronds, cinq ronds, dans sa pochette
De redingote ou de jaquette,
De gilet ou de pantalon,
Cinq ronds, —
Tournez, garçons, virez, fillettes, —
Cinq ronds, —
Il n’a pas de rond de serviette !
Tournons, virons. —
*
*  *
A tant de tables d’hôte il s’est assis,
Et à onze heures, et à six !
Combien de serviettes froissées,
De toile écrue ou damassée,
Qu’en éventail ou en bonnet carré,
— Lui en a-t-il su aucun gré ? —
L’hôtelière ingénieuse avait disposées !…
Il tournait un regard d’envie
Vers la table des pensionnaires,
Fonctionnaires
De la Magistrature ou bien de la Régie,
La petite table, à côté,
Où sont les ronds numérotés :
Numéro Un, rond de serviette
Du vieux caissier de la Recette ;
Rond numéro Deux, celui du
Substitut ;
Ronds des Contributions directes,
Et ronds aussi des indirectes ;
Du vérificateur des Poids et des Mesures,
Des Messieurs de la Préfecture ;
Comme l’on soigne le service
De tous les employés du fisc !
Et comme le garçon s’empresse au coup de timbre
Du directeur des domaines et du timbre !
— Entrecôte du procureur !
— Côtelette du directeur !
— Pas trop cuit pour Monsieur le Juge suppléant !
— Pour Monsieur l’inspecteur, saignant ! —
Passé, présent et avenir,
Rond de serviette et rond de cuir,
Où toute une vie peut tenir !
Au confortable hôtel d’une calme cité
Connaître la félicité
D’avoir son rond numéroté !
Ou c’eût été, en famille, le rond d’ivoire,
Voire
De vieil argent, orné d’initiales,
Pour quelque anniversaire gage d’affection,
Souvenir de la première communion,
Ou d’une station
Thermale ;
Et rond plus simple, évocateur des années passées
Au lycée, —
En ruolz, avec le couvert et la timbale…
Juif-Errant, éternel bohème,
Perpétuel agent voyer
Sans foyer,
Toi qu’on ne voit jamais plier
Ta serviette, hélas ! après le café-crème,
Juif-Errant, ignorant des douceurs du retour,
De ta route reprends le cours ;
A d’autres cette joie suprême,
Avoir un tour,
Et se fabriquer son rond de serviette à soi-même.
*
*  *
C’est le Juif-Errant qu’a cinq ronds,
Cinq ronds, pas quatre, ou six, ou sept,
Cinq ronds pour faire ses emplettes,
Cinq ronds, cinq ronds, dans sa pochette
De redingote ou de jaquette,
De gilet ou de pantalon,
Cinq ronds, —
Tournez garçons, virez, fillettes, —
Cinq ronds, —
Il n’a pas de rond de serviette !
Tournons, virons.

(Cette ronde se chante à table, principalement le soir à la campagne, ou dans les dîners de chasse. Chaque fois que le mot rond revient dans le poème, tous les convives doivent quitter leur place et faire, en courant, le tour de la table, et chaque fois le dernier arrivé paiera cinq sous ; à la fin, on se partagera la somme ainsi versée ; mais il est de bon ton que chaque convive abandonne sa part aux maîtres de la maison.)

MENUS

Le poème exquis du menu
Est mal à l’aise, confondu
Dans la typographie banale
D’un almanach ou d’un journal,
— Paris à table, — menu du… —
Perdu
Parmi les logogriphes et les mots en diagonale…
Avec ses noms de grandes villes,
De généraux fameux, de ministres subtils,
Le menu peut au moins prétendre
Ou au Japon impérial, ou au Hollande ;
Le vieil employé sourd et nul,
Mais doué d’une main que je vous recommande,
L’employé tirera la langue
Sur ses majuscules,
Pendant douze heures de pendule ;
A moins que la demoiselle de la maison,
A le copier s’évertue,
Pour affirmer son écriture haute et pointue,
Signe de la belle éducation ;
Et sans doute un petit cousin,
Qui excelle
Aux menus, abat-jour, écrans et tambourins
Le rehaussera d’aquarelle :
Un marmiton, ou une rose,
Ou bien les deux, ou autre chose…
Au lieu de finir, misérable,
Taché de sauce et de vin, au coin de la table,
On emporte alors le menu,
Soigneusement, dans la poche de son pardessus,
Et, rentré chez soi, on le place,
En bonne place, contre la glace,
Dans la rainure,
Près de l’invitation au bal de la Préfecture.
Mais tels menus se désespèrent,
Qu’orna pourtant (peste, ma chère !),
L’ingénieux pinceau de madame Lemaire,
Et proclament :
— Nous n’aimons que la peinture de Chavannes. —
On ne peut contenter tout le monde et son père.

DANS LES FILETS

Petit marché pimpant, tout gai, de ma province,
Mon estomac te salue, et mon cœur :
Cuisine de famille et crus réparateurs,
O temps où j’ignorais les ruses du traiteur
A un franc trente et un franc quinze !
Voici la place avec les acacias malingres,
Et le monument des combattants de soixante-dix,
— (Mourir ou vaincre,
Gloria victis !) —
Voici la place avec les acacias malingres,
C’est là que la cité, une fois la semaine,
Confiante mais sans ostentation vaine,
Étale
Son ventre sous-préfectoral.
Dès le frais matin, les carrioles sont arrivées
Des maraîchers et des laitières,
Brimbalant devant, derrière,
Mais chargées et toutes fières
Du produit savoureux de toute la contrée.
Et les femmes se sont rangées, le panier au bras,
Où sont les œufs, et le beurre et les bons légumes,
Poulets, lapins, canards, fort étonnés, oui-da,
D’avoir quitté la ferme et de se trouver là, —
( — Et avec ça, chère madame, et avec ça,
Qu’est-ce que vous prendrez pour votre rhume ?) —
De groupe en groupe, sur la place,
Les bonnes ménagères vont, passent et repassent,
Accueillant d’un rire narquois
Le prix des haricots verts et des petits pois,
— J’aimerais mieux ne plus en manger de ma vie ! —
Leur voix se teinte d’ironie ;
Et puis, pour terminer, un colloque aigre-doux :
— Allons, prenez, il faut bien que ce soit pour vous ! —
Écoute ces leçons de sage économie,
O cigale, cigale ma mie !
Cependant, on s’est écarté plein de déférence :
Voici la commandante avec son ordonnance,
— Vive la France ! —
Qui suit à la juste distance.
Car faire son marché soi-même
Est la distraction suprême ;
Et même,
Vous pensez bien que les lieutenants de la garnison,
Et les surnuméraires des domaines,
Qui, sur le marché, se promènent,
Ne sont pas là pour savoir le prix des melons, —
Et qu’un peu de flirt s’en mêle :
Auprès d’idylliques salades,
Ah ! que d’assassines œillades !
O dame qui vous en allez
Avec, à la main, un filet,
Non pour le papillon volage,
Mais pour les denrées du ménage,
Aux mailles du filet, peut-être,
Le cœur de quelque petit maître
Viendra se prendre un jour pour l’amoureuse cause,
Et tout émue,
Et toute rose,
Vous le rapporterez, caché sous des laitues
Et des bottes de radis roses…

AMICALES

Annuelles ou mensuelles,
Dans quelque coin du vieux Palais-Royal,
Les agapes sont amicales,
Amicales et fraternelles.
C’est là qu’on va vous taper sur le ventre,
En vous le remplissant pour vos six francs cinquante ;
— Eh ! bien, mon brave !
Vous dit le bon géant barbu :
Comment ! tu ne me reconnais plus ?
Rappelle-toi, — le petit Gustave !…
Le temps passé que l’on regrette,
En bien, en mal, comme il nous a changés !…
— As-tu mangé le saumon sauce verte ? —
— Je l’ai mangé ! —
Chaude et cordiale atmosphère,
Au milieu de tous ces gens qui
Ont beaucoup connu votre père,
Ou même vous prennent pour lui !…
Et il se peut que l’on entende
Un ministre faire, en patois,
Une allocution semée de traits grivois,
Et puis boire, en enflant la voix,
A la petite patrie au sein de la grande !
En tout cas, serons-nous pas aises,
D’avoir, à l’œil, une audition
De la Grève des Forgerons,
Par un ancien acteur de l’Odéon,
Ou un pensionnaire de la Comédie-Française ?
En avant, couteaux et fourchettes,
Fermez le ban ! chantons du Béranger !
— As-tu mangé le saumon sauce verte ? —
— Je l’ai mangé ! —
Et maintenant, inutile de suivre à la sortie
La grande et la petite patrie :
Les vieillards qui s’accrochent à vous, et qui se disent
Les vieux amis de votre famille
Uniquement pour qu’on les conduise
Chez des filles :
D’autres, rapides et discrets,
Vous ont quitté, — et que l’on retrouve après :
Mais, à coup sûr, par pur hasard,
Le temps de fumer un cigare…
Des lanternes numérotées, rouges ou vertes,
Servent de phare aux vieux Messieurs rangés :
— As-tu mangé le saumon sauce verte ? —
— Je l’ai mangé ! —

SUSPENSIONS

Dans le soir hostile et froid lorsque nous passons,
Mélancoliques, hâtant le pas vers des pensions
De famille,
Derrière les vitres embuées, comme elles brillent,
Calmes, oscillent
Et nous fascinent,
Les suspensions
De la famille !
Ah ! la bonne vie qui est là,
La table ronde, la soupe fumante ;
Attentive aux soins du repas,
Grasse et charmante,
L’épouse aimante…
Ah ! belle et tranquille allégresse,
— Après que, grave
Et sans paresse,
(Car c’est un soin qu’à nul autre il ne laisse)
Y étant descendu, il revint de la cave, —
De l’époux chauve qui lit la Presse,
Ah ! belle et tranquille allégresse !
En pantoufles, les pieds au sec,
Le cœur au chaud sous le veston de cheviotte,
Avec,
Si bon lui semble, une calotte
Ornée d’un gland, selon le mode grec…
Vieux garçon sans foyer, jusqu’à ton dernier souffle
L’ignoreras-tu donc, ce dîner en pantoufles ?
Par un éclat révélateur,
Suspensions, votre lueur
Trouble étrangement notre cœur ;
Et nous nous arrêtons, indiscrets spectateurs :
Félicité d’autrui, gage du vrai bonheur,
Prendre un dîner réparateur
Dans son cher petit intérieur,
Vêtu d’un complet d’intérieur !
Et nous songeons, avec moins de colère,
Aux demoiselles également célibataires,
A qui, dans les bals, comme par hasard, en grand mystère,
Nous présentèrent
De vieilles tantes ou des notaires.
Ainsi, les lampes suspendues au milieu des salles
A manger
Viennent donner à nos projets
Un tour nettement conjugal.
Pour cela ont-elles des chaînes,
Symbole des chaînes d’hymène,
Et éclairent ceux qui ont faim,
Symbole des flambeaux d’hymen.

FIVE O’CLOCK

Quand mon petit garçon aura déjà neuf ans,
J’irai l’attendre, à cinq heures, à son collège ;
— Vite, petit père, dépêche :
Nous composons demain en allemand ;
Et moi qui n’ai pas fait ma guerre de Cent Ans,
Et ma carte de la Norwège !… —
(Ah ! Seigneur, nos pauvres enfants,
Leur en fourre-t-on dans la tête !…)
Mais je serai un mauvais père, pas sérieux :
— Vas-tu pas t’effrayer, mon Dieu !
La belle affaire !
Va, moi je t’aiderai pour ta carte, et ta guerre ; —
(Je crois que je me flatte un peu,
Car de tout ça je ne me souviens guère.)
Et bras dessus, bras dessous, nous irons tous deux
Chez une dame pâtissière ;
— Qu’est-ce qu’il prend, qu’est-ce qu’il veut,
Votre joli petit monsieur ? —
Débauches
De babas,
Brioches
Pour papa,
Des tartes, des tartes !…
Cela vaut-il pas mieux que la guerre et la carte ?
Et puis nous nous arrêterons
Près du vieux marchand de marrons,
Et nous en remplirons nos poches :
— Un beau jeune homme, monsieur, que vous avez là,
Et qui a l’air bien intelligent avec ça,
Et ça doit pas être souvent que son papa,
Ou son maître d’école, qu’ils le reprochent !… —
Alors, nous rentrerons goûter à la maison ;
— Maman n’est pas là ? dira mon petit garçon
Pourquoi, quand nous rentrons, elle est toujours sortie ?
Il faut lui garder des marrons,
Aussi de la pâtisserie…
Elle aime mieux prendre du thé et des gâteaux secs,
Sans doute, dans les salons, avec
Des belles dames, ses amies ?
Elle m’emmènera quand je serai grand, dis ?
Et toi, est-ce que tu voudras venir aussi ?… —
D’abord, j’aurai pleuré, en l’entendant ainsi ;
Maintenant mes yeux seront secs,
Et mes mains trembleront à peine :
Mais je l’embrasserai très fort, sans qu’il comprenne…
Five o’clock… dans dix ans, c’est lui,
Mon petit,
Qui aura sa garçonnière rue de Berne,
Et, en tendant le petit pot de crème,
Il dira à sa belle amie aux cheveux d’or :
— Ma mère est très jolie encor ;
Mon père était une vieille baderne… —
Son père… depuis si longtemps je serai mort !

PALAIS-ROYAL

Je songe avec attendrissement
Que, d’une lointaine localité départementale,
D’un chef-lieu de canton ou d’arrondissement,
Un homme, l’on ne sait comment,
Serait venu pour s’offrir un régal
Sous vos lambris dorés, Palais Royal !
Et l’homme arpenterait, conquérant et grivois,
Votre galerie de Valois,
Et voudrait satisfaire à des goûts dépensiers
Dans la seule galerie Montpensier.
Car il aurait vidé son bas de laine,
D’or et d’écus rempli ses poches ;
Nargue à la mort qui tôt nous fauche :
Tant qu’un peu de sang chaud coule encor dans nos veines,
Palais-Royal, palais des royales débauches,
A nous l’orgie et que l’on mène,
Une heure, un jour, une semaine,
La grande vie parisienne !
Bonne cuisine
Et parties fines :
Palais-Royal, palais de la débauche !
De galerie en galerie il irait donc,
Fidèle aux vieilles traditions ;
Sur les dalles, son pas qui sonne…
Et, naturellement, il ne rencontrerait personne.
Où sont les grandes courtisanes,
Les lionnes, Léa, Liane,
Et les lions ?
Où sont toutes les célébrités contemporaines
Se peut-il qu’en tel endroit règne
Aussi peu d’animation ?
Si ce n’est pas là qu’on la mène,
La grande vie parisienne,
Où la mène-t-on ?
Pourtant, des musiciens militaires,
D’un régiment de ligne ornés du numéro,
Rangés en rond, joueraient une série de numéros,
Commençant et finissant par un allegro,
— Au trot ! au trot !
Militaire ;
Mais seule, une vieille, s’approchant avec politesse,
Viendrait alors chercher les deux sous de sa chaise ;
Et déjà, sur le pas des portes, inquisiteurs,
Des joailliers le considéraient non sans frayeur,
Pensant : — Pour qu’un passant longe ainsi nos demeures,
Ce ne peut-être évidemment qu’un cambrioleur ! —
Notre homme un peu déçu, comme on se le figure,
Dirait : — Je vais me rattraper sur la nourriture ! —
Et aussitôt, dans un restaurant du premier étage,
On lui ferait connaître qu’il a droit
A un hors-d’œuvre (ou bien potage),
Deux plats au choix,
Dessert, fromage,
— Pouvait-il rêver davantage ? —
Sans oublier le flacon de breuvage.
Près du comptoir, rangés en file,
Desserts, hors-d’œuvre, pleins d’abandon,
Comme tous le regarderaient avec émotion,
Le thon,
Les filets de hareng et le beurre en coquilles,
Les jumelles sardines à l’huile,
Attentifs, empressés, serviles, —
Et les radis seraient plus roses d’émotion :
— Il y a si longtemps que nous vous attendions ! —
Mais lui aurait un geste de surprise désagréable,
A la solitude des salons ;
Cela manque de compagnons,
De joyeux compagnons de table ;
Et il voudrait se retirer presque aussitôt,
Malgré toute l’insistance des amandes sèches,
Des petits pots de crème fraîche,
Le gros œil larmoyant des compotes de pêche,
Et les reproches des pruneaux…
Un convive, caché jusqu’alors à sa vue,
Apparaîtrait soudain, la main tendue,
Et essuyant sa barbe en pointe :
— D’un départ qui me désappointe,
Épargnez-moi cette amère déconvenue ;
J’aime tant la société,
Je veux boire à votre santé ;
Je suis seul depuis si longtemps, — je vous en prie !
M’abandonner serait un crime ;
Paris, hélas ! ingrat Paris,
Où les garçons oublient Véry,
Où les dames vont chez Maxim !… —
(L’autre, d’ailleurs, n’aurait le traître mot compris,
A ces allusions très fines,
A la Dame de chez Maxim
Et au Garçon de chez Véry) ;
Mais, séduit par la bonne mine
D’un aimable interlocuteur :
— Pourquoi n’allez-vous pas ailleurs,
Si l’isolement vous chagrine ?
N’est-il donc qu’ici où l’on dîne ?
Vous aussi, allez chez Maxim !
Mais le premier convive aurait un haut-le-corps :
— Monsieur ignore,
Monsieur ignore qui je suis :
Aller ailleurs, je ne le puis,
Je ne le peux,
Je ne le veux. —
Et, pivotant, un éclair dans les yeux,
Sur ses souliers Molière, ou plutôt Richelieu :
— Je suis, monsieur, le cardinal de Richelieu. —

SCRIPTA VOLANT…

Je voudrais inventer un plat,
Un plat subtil et délicat,
Avec des sauces singulières :
Pont-aux-ânes des cuisinières,
— Coup d’œil, science et tour de main, —
Langouste ou simplement veau à la Franc-Nohain :
C’est ma mère qui serait fière !
Dans des repas considérables on le servirait,
Où seraient des femmes d’ambassadeurs, et des ministres ;
Et, en faisant claquer sa langue, chacun dirait,
Très allumé, tout guilleret :
— Fichtre de fichtre !
Franc-Nohain, Franc-Nohain, — pas encor décoré ?
Roujon, Roujon,
Que fais-tu donc ?
Ah çà ! aux Beaux-Arts, qu’est-ce qu’ils fichent ? —
Et dans dix ans, et dans vingt ans, et dans cinquante,
C’est mon nom qu’à l’oreille et d’un air entendu,
Chuchoteraient aux gigolos et aux vieux repus,
Aux fabricants du Nord, aux éleveurs du Centre,
En partie fine, bien entendu,
Les gras maîtres d’hôtel, éducateurs des ventres.
Et comme, en ce temps-là, je ne saurais prétendre
(Pourquoi, pourquoi vous en défendre ?)
Que l’on se souvînt de mes vers, —
On dirait du moins, je l’espère,
On dirait : — Franc-Nohain ? Un type dans le genre
De Lucullus, de Béchamel et de Colbert.

LE MEILLEUR DÉJEUNER

Adieu, notre petite table,
L’heure a sonné d’autres plaisirs :
Nous finirions par devenir
D’une obésité regrettable,
A table ainsi, toujours à table ; —
Puis je crois que ça doit suffire
A tant de lecteurs et de lectrices estimables,
Qui étaient seulement trop polis pour me le dire ; —
Adieu, notre petite table,
L’heure a sonné d’autres plaisirs !
Que nul mets ne me sollicite,
Dorénavant je passerai,
Les yeux vagues, le nez distrait,
Devant les marchandes de frites,
Devant les marchands de marrons,
Devant ceux des quatre-saisons :
Non, non,
Je n’entendrai plus leur invite,
Et, dédaigneux, passerai vite,
Sans nul mets qui me sollicite.
C’est en vain, bouchère robuste,
Que tu feras saillir ton buste,
En jersey noir, à ton comptoir ;
En vain, ô pâtissière rousse,
Près des tartes d’amande douce,
Tu souriras, plaisante à voir ;
Et, charcutière folichonne,
Tes cervelas et ta personne,
C’est tout cela que j’abandonne ;
Oui, peu m’importe qu’Augustine,
Cuisinière improbe, destine
Mon vin à des sapeurs-pompiers,
Je ne veux plus, dans ma cuisine,
Je n’y veux plus mettre les pieds.
C’est assez de mangeaille, assez de nourriture,
De comestibles de toute nature :
Ailleurs, de notre esprit, exerçons la culture.
Votre distinction ne me troublera plus,
Maîtres d’hôtel pansus des restaurants cossus,
Dont tant je redoutais l’obligeance hautaine,
Quand vous m’aidiez à remettre mon pardessus :
— Mais non, mais non, ne vous donnez donc pas la peine…
Et je ne m’attarderai guère
A contempler, comme naguère,
A travers les volets volontiers entr’ouverts
Le couvert,
La table dressée et servie,
Fleurs, cristaux et argenterie,
Les petits pains dorés, auprès,
Tout prêts, tout frais, —
Et les cure-dents ironiques,
Aux pauvres diables faisant la nique,
Et la carte des vins, faussement débonnaire…
Petite table, qui grelottes,
Solitaire, devant la porte
Du marchand de vins et liqueurs,
Non plus auprès de moi convient-il que ton cœur
En protestations s’épanche :
— Cela a-t-il une raison,
De me faire en cette saison,
Sortir encor, le soir, en nappe blanche ?… —
Tout cela, voyez-vous, tout cela m’est égal :
Plus de festins, plus de régal ; —
Seulement des baisers, ma belle, tes baisers,
Dont il me reste à apaiser,
Lèvres inassouvies, l’appétit, la fringale !
Oui, belle, à ta beauté, c’est là que je m’attable,
— L’amour passe avec le printemps,
Nous n’aurons pas toujours vingt ans,
Adieu notre petite table… —
Ta bouche fraîche
Comme une pêche,
Comme une pêche d’Argenteuil,
Et l’eau profonde de ton œil,
Tes cheveux blonds,
Souples et longs,
En fous frisons
Près de l’oreille,
Toute la fleur de ta beauté jeune et vermeille,
Voilà le menu sans pareil :
Cueillons la fleur,
Et cueillons l’heure, —
Cueillons l’heure et le jour, belle, cueillons, cueillons, —
Car l’ultime repas dont nous nous repaîtrons,
C’est un déjeuner de soleil.

FIN DES PLAISIRS DE LA TABLE

LIVRE II
LES SOUCIS DU MÉNAGE

Cinq sous, cinq sous
Pour monter notre ménage !…

LES SOUCIS DU MÉNAGE

INTRODUCTION A LA VIE RANGÉE

Voilà un quart d’heure que je cherche mon papier buvard
Et mes plumes d’oie familières ;
Le buvard, chose singulière,
N’est plus dans la boîte à cigares ;
Et vous, plumes, sans crier gare,
Regagnâtes-vous des volières ?…
Voilà un quart d’heure que je cherche mon crayon bleu,
Qui, d’ordinaire, voisinait avec ma pipe :
Je ne peux pas retrouver mon crayon bleu ;
C’est peut-être ce qui explique
Que je ne puisse, que je ne peux,
Je ne peux pas non plus retrouver ma pipe…
Voilà un quart d’heure que je cherche mon coupe-papier
En imitation d’ivoire :
Il traînait toujours sous mes pieds,
Là, près du panier
A papier :
C’est à n’y pas croire !
Tout cela me serait égal,
Mais où est ma carte, où ma carte du Transvaal ?
Alors, j’ai tout flanqué par terre ;
Vlan ! à grands coups de mes talons ferrés,
Tous les tiroirs sont éventrés :
— Tonnerre !
Tonnerre ! où les a-t-on fourrés,
Mon buvard, tonnerre sacré !
Et mes plumes d’oie familières ;
Où ma carte, ma pipe, avec mon crayon bleu,
Sacré tonnerre,
Tonnerre de Dieu !… —
Mais le bureau familial, et de vieux chêne,
Mon vieux bureau, qui en a bien vu d’autres,
Craque et m’apaise : — Tu t’emportes,
Eh ! là, eh ! là, mon Maître, quelle scène !…
Colère vaine !
Querelles sottes !
Oublies-tu donc, hier encor célibataire,
Que maintenant la bonne fée est au logis,
Qui tiendra tout en ordre ici :
Car le souhait est accompli,
Que tant de fois, le soir, pour toi j’entendais faire
Et à ta sainte mère, et à ton digne père ;
Oui, l’épouse fidèle a passé là, cher ange
Qui range,
De sa main diligente, habile auxiliaire,
Qui range maintenant tes petites affaires.

BARBE-BLEUE
(2e version)

— Belle-maman, belle-maman,
Voici, sur ce plateau d’argent,
Voici les clefs de tout l’appartement ;
Ici nous mettons les mouchoirs,
Ici nous mettons les chaussures :
Un petit coup d’œil, ça rassure,
Oui, belle-maman, il faut voir !
Ce sont des factures du Louvre,
Et puis d’autres du Bon Marché :
Certainement, ce tiroir s’ouvre,
Belle-maman, rien de caché !
C’est ça, comptons l’argenterie !
Mais, comment donc ! une manie ?
Puisque c’est moi qui vous en prie !
Belle-maman, belle-maman,
Voici les clefs de tout l’appartement.
Chapeaux, sortez de vos cartons,
Étalez vos plis, pantalons,
Hors donc, flanelles, caleçons :
C’est moi, mais c’est moi, comment donc !
Qui dois vous demander pardon !
Si la paillasse est faite avec,
Normale curiosité,
Avec du crin ou du varech ?
Belle-maman, il faut tâter.
Mais, où diable avais-je la tête ?
Pour que la fête soit complète,
N’ai-je montré les ustensiles de toilette ?
Belle-maman, belle-maman,
Voici les clefs de tout l’appartement.
Mais, je vois, une clef vous brûle,
Une petite clef, je vois,
Vous brûle le bout de vos doigts :
Belle-maman, pas de scrupule :
C’est la clef de ce grand placard,
Vous plaît-il jeter un regard ?
Hésiter à vous satisfaire !…
Mais faites donc comme chez vous :
Il y a là six belles-mères
Que j’ai étranglées avant vous.

LE PETIT NID

Il convient que nous dégustions
Les joies de l’installation.
Nous avions dit : — Le principal
N’est pas des lambris d’or, des tentures de soie :
Le principal est que ce soit
Un petit intérieur où l’on soit bien chez soi,
— Et pas banal !
On se meuble avec rien du tout,
Pourvu qu’on ait un peu de goût.
Et nous avons, dans la maison,
Introduit, sans plus de façons,
Un bon tapissier à façon.
En des alexandrins d’une coupe ternaire,
Quelque jour, empruntant ses éclats au tonnerre,
Je dirai (et ça ne sera pas ordinaire !)
O tapissiers, votre âme fourbe et mercenaire ;
Pour le moment, j’ai mieux à faire :
Car c’est le temps où nous étions
Tout entiers aux joies neuves de l’installation.
Et d’abord ce furent les papiers peints et les cretonnes
Avec des fleurs et des bêtes d’apocalypse,
Que festonnent
Des cercles, et des triangles, et des ellipses :
Il faut bien égayer les murs ;
Ce furent,
Ce furent d’abord les papiers peints et les cretonnes…?
( — Chère, vous souvient-il de ce papier chamois,
Qui fut l’objet charmant d’une courte dispute :
L’espiègle insistance et l’amoureux émoi
Que vous y mîtes, chère, eut tôt raison de moi,
Et ce papier chamois, vous l’eûtes :
Mais combien il vous dégoûtait au bout d’un mois !
Et pourtant, chère, que de fois
Vous m’en redemandez, de tels papiers chamois… — )
Alors que de trocs,
Hélas ! que de craques,
De brique et de broque,
Dans les bric-à-brac !
En découvris-je, alors, des armoires normandes,
Armoires qui, certainement,
N’avaient jamais connu le beau pays normand ;
Était-ce même de vraies armoires, je me le demande ?
Et le vénérable antiquaire,
Devant moi, amateur énigmatique et fier,
Restait stupéfait de mon flair…
Hôtel des Ventes, hôtel des Ventes,
Témoin jadis de mes batailles émouvantes ;
— On a dit trente ; — Ici, trente-neuf ; — Et quarante ! —
— A vous, monsieur ? — A moi, et je m’en vante ! —
Hôtel des Ventes,
Je ne saurais longer tes murs sans épouvante !
Fausse créance
En des crédences,
Et confiance
En des faïences :
Et tous ces lots
De bibelots,
Et tapisseries, et tableaux,
Et panoplies aussi : des lances,
Des épées et des javelots,
Chassepots :
Car, pour orner dignement nos
Salles à manger, rien ne vaut
Cet attirail guerrier de notre vieille France !
Et puis, grimpé sur une échelle,
Le soin n’en fut laissé à nul autre que moi,
J’accrochais, je clouais, parfois
Me flanquant de grands coups de marteau sur les doigts :
— Les beaux garçons sont maladroits !… —
Souriait-elle…
Et des oiseaux qui passaient près de la fenêtre,
En confrères, donnaient leur avis :
Cet avis général était que notre nid
N’était, il le faut reconnaître,
Pas d’un style assez uni :
— Pour nous, disaient les hirondelles,
De la mode, toujours, respectant la puissance,
Cette année, nous bâtirons surtout dans les tourelles
Henri II et les croisillons Renaissance. —
— Et nous, disaient les passereaux,
Nous sommes pour l’art Renouveau !… —
(Ce qui faisait rire les hirondelles, par complaisance…)
Puis quand tout fut cloué, planté,
Et décroché, et replanté,
Cent fois pendu, et dépendu,
Et rependu,
Satisfaits de notre œuvre et jaloux qu’on l’admire,
Gaîment nous nous plaisions à dire :
— Notre temps, nos efforts ne furent point perdus :
Un petit nid coquet, cossu…
Le shah de Perse peut venir !… —
Ce sont les mites et les huissiers qui sont venus.

LES PETITES COMMISSIONS

Les épaules des maris doivent être larges,
Leurs bras de fer, leurs mains habiles aux fardeaux :
Tant à la main, que sous leur bras, ou sur leur dos,
Il faut
Rapporter au logis les quotidiennes charges,
Dont l’épouse, avec soin, prévoyante les charge ;
Il faut
Que le bras du mari soit fort, l’épaule large.
La Providence en ses décrets se dut complaire
A arranger ainsi les choses, au mieux possible,
Qui mit précisément notre marchand de comestibles
Sur le chemin du Ministère ;
Pour la modiste et pour la couturière,
Il n’y a qu’un crochet à faire,
Pas une affaire,
Un petit crochet peu pénible :
La Providence combine tout au mieux possible.
Engeance des garçons livreurs,
Jamais à l’heure,
Insouciants et incivils,
Nous ne laisserons plus galvauder par la ville
Les objets les plus délicats,
Qui sortaient de vos mains brutales, en quel état, —
Fragiles !
Nous ne connaîtrons plus cette angoisse fébrile :
Le vol-au-vent qui n’arrive pas !
A la fenêtre, ou sur le pas
De la porte,
Vigilante, la maîtresse de maison plus ne perdra
Son temps à guetter de la sorte :
Aussitôt acheté, et tout aussitôt là, —
Car c’est le mari qui rapporte.
Mais toi, fine canne de jaspe,
Toi, dont le fier pommeau simule quelque casque,
Et dont le bout sonnait sur le pavé des rues,
Du porte-parapluie connaissant le marasme,
Canne, tu ne sortiras plus,
Canne de jaspe,
Tes appels tentateurs et désolés sont vains : —
Vois, amie, je n’ai que deux mains.
Accomplissons, d’humeur égale,
Le coltinage conjugal !
Puis, quand l’époux s’en reviendra à la maison,
Portant dans un filet les fruits de la saison,
Sans préjudice aussi, comme il est de raison,
Sans préjudice
Du carton à chapeau laissé chez la modiste,
De la pendule qui marquait toujours moins dix,
Avec la paire de chaussures
Pour laquelle on s’était trompé comme pointure,
De la charcuterie, et quelque venaison, —
L’époux rentrant à la maison,
Tristement, l’épouse murmure :
— Voilà bien, voilà les époux !
Je pensais : il n’est pas besoin de le lui dire,
Il va me rapporter une gerbe de houx ;
Vaine illusion, espoir fou !
Bah ! aussitôt dehors, ils se moquent de nous ;
Ma sainte mère avait bien raison de me prévenir,
Et de me crier casse-cou ;
Songeront-ils jamais à nous faire plaisir ! —
Les épaules des maris doivent être larges.

LÉGENDE DU CHAPEAU DE DAME OU DE L’ÉPOUSE DU GUILLOTINÉ

Chœur du public impatient.

C’est un spectacle fort goûté
Dans la bonne société
Que d’aller voir exécuter ;
Ah ! l’ingénieuse machine
Que la machine-guillotine :
On fait jouer un déclic,
Clic, clac, — couic !
En moins d’un quart de minute
La sentence s’exécute,
Et le patient culbute :
C’est un spectacle fort goûté !

Le procureur, au condamné.

Avez-vous quelque chose à demander ?

Le condamné.

Je voudrais simplement, ô juge, que, premier
Que ma tête roulât au funeste panier,
Ma femme fût mandée, ainsi qu’aux jours de fête,
De mettre son chapeau sur la sienne, sa tête :
Et que nous attendions ici « qu’elle fût prête ».

Le procureur, qui est marié.

Vous ne vous embêtez pas !

Reprise du chœur.

BONNES

J’évoquerai d’abord ton image, ô servante !
Vieille servante du bon vieux temps,
Qui restais dans les familles, des trente ans,
Trente ans, et jusqu’à des quarante !
Tu nous avais vus tout petits,
(Ton dévoûment quand nous eûmes la scarlatine !…)
Nuit et jour, près de notre lit,
La blancheur de ta coiffe berrichonne ou poitevine ;
Et quand la faillite ennemie
Menaçait le commerce, hélas ! de tes bons maîtres,
Si simplement tu te plaisais à leur remettre
Tes petites économies…

a) Adèle.

La saleté de notre bonne Adèle
Dépassa de très loin les limites normales :
Je doute assurément qu’on puisse être aussi sale ;
On ne peut, en tout cas, l’avoir été plus qu’elle ;
Au demeurant, pas méchante fille,
Sa saleté était de tout repos, tranquille :
Lui montrait-on des toiles d’araignée,
Avec un franc et large rire,
Adèle se bornait à dire,
Pas le moins du monde étonnée :
— Araignée de midi, plaisir !…
Et, quand elle apportait des verres encor gras,
Elle vous répondait si calme,
Ne pouvant comprendre le blâme :
— Mais ne vous frappez donc pas,
Monsieur, madame,
C’est sans doute un petit reste de malaga… —
La saleté de notre bonne Adèle
Dépassa de très loin les bornes naturelles.
Quand la bonne Adèle partit,
Tant de choses que, sous les lits,
On découvrit,
Sous le buffet, sous les armoires,
Que, dans un but du reste méritoire,
Tout ce qui n’est pas bon à voir,
Elle poussait d’un balai furtif ou bien du pied :
Jusqu’à des objets de toilette dépareillés.
La seule fois où elle épousseta, plumeau fantasque,
Elle creva un tambour de Basque,
Et émietta notre petit berger en saxe…
Et, pourtant, Adèle avait bien ses qualités.

b) Félicité.

Félicité fut une fille de débauche :
Les garçons épiciers, les garçons charcutiers,
Bref, tous les garçons du quartier,
Bien avant nous en surent quelque chose :
Félicité fut une fille de débauche.
Comme le charbonnier restait longtemps à la cuisine
Quand il apportait le charbon !
Comme c’était long, comme c’était long
Pour que le petit marmiton
Reprît simplement sa terrine…
Ah ! coquette Félicité : à telle enseigne
Que, pour fêter Amour, et ses jeux, et ses ris,
Plus d’une fois on la surprit
Mettant notre poudre de riz,
Se coiffant avec notre peigne…
Mais, avec nous ne voulant demeurer en reste,
Au sixième, elle répandait le bruit, par politesse,
Qu’elle était ma folle maîtresse.
Félicité, d’ailleurs, avait ses qualités.

c) Victoire.

Victoire avait le vin triste, et l’alcool aussi,
En dépit
De son nom claironnant : Victoire ! —
(Avec de galants caporaux
Aller sabler des champoreaux !…) —
C’est seule qu’elle aimait à boire.
Le concierge et son vulnéraire
N’arrivaient à la satisfaire ;
Sans doute, elle buvait bien, puisqu’il le faut,
De ci, de là, un peu de mon triple-zéro,
Ou finissait les vieux fonds de bordeaux,
Voire même l’eau
De Bottot, —
Mais simplement pour se maintenir en haleine.
Ce qu’il fallait, c’était, un bel après-midi,
Une bouteille de trois-six,
Qu’elle absorberait toute pleine ;
Et, quand la bouteille était vide,
Victoire avait alors des idées de suicide
Ou l’étrange tentation
De mettre le feu à la maison…
Et, pourtant, Victoire avait bien ses qualités.

Moralité

Nous avons eu déjà sept bonnes en dix mois,
Nous en sommes à huit, — et bientôt neuf, je crois.
A dix, nous ferons une croix.

LE PARAPLUIE

— Traînant l’épouse, pauvre dupe,
Que vous importe un temps mauvais,
Et la pluie battant le pavé ?
Vous n’avez pas à relever
De jupe… —
Et, sous prétexte qu’il n’a pas à relever de jupe,
L’époux devra tenir le parapluie : c’est juste ;
Et, comme on ne peut jamais savoir,
Comme il peut tout d’un coup, par surprise, pleuvoir,
Et que les plumes d’un chapeau
Craignent, par-dessus tout, la moindre goutte d’eau,
Plus de canne, futilité,
O mari, c’est le parapluie,
C’est lui,
Que, prévenant et prévoyant, tu dois porter,
Oui, porte-parapluie à perpétuité !
Vainement ton esprit se berce
De ces deux autres hypothèses :
Allégeant le mari du devoir qu’il assume,
L’épouse sortirait en chapeau, mais sans plumes ;
Ou bien elle emporterait, elle aussi,
Un parapluie ?
Ah ! combien peu à la vieille galanterie
Française,
Ah ! combien peu conformes ces deux hypothèses !
Mettre un autre chapeau, porter un parapluie ?
Et l’épouse répond, sans feindre :
— Ce n’est point pour m’en parer quand je suis au lit,
Ou les faire couver pour avoir des petits,
Que j’achetai ces riches plumes de coq d’Inde ;
Quant à porter un parapluie, merci !
Mais regardez donc mon mari :
On a l’air trop dinde ! —
Ainsi l’épouse répond, sans feindre.
Ils vont donc, malgré la rafale,
D’un pas égal,
Sous ce kiosque matrimonial,
Bravant les autans et la pluie,
Et, à les voir marcher serrés
On dirait
De Paul avecque Virginie.
Mais, encor que la silésienne,
Chose puérile à nier,
De l’ondée nous soit gardienne,
Mieux que feuille de bananier,
Mais, en réalité, un parapluie pour deux,
Les épaules de chacun d’eux,
Qui la gauche ou la droite, abreuvées de gouttières,
C’est vraiment la bonne manière
Pour se trouver mouillés tous deux ;
Ils le sont en effet : j’indique
Que cela me paraît être fort symbolique ;
Ou bien, quand la pluie a cessé,
En voyant le mari passer,
Tenant le parapluie qui sèche,
Près de sa femme longue et sèche,
Un gamin ou quelque pimbêche,
Diront : — Le parapluie, le mari le portait,
As-tu vu le fourreau qui marchait à côté ?… —
(Cela, ça n’est pas symbolique,
Mais c’est désagréable tout de même).

ADIEU AUX JOURNAUX DU MATIN

Adieu, leader article,
Fantaisistes chroniques,
Et notes politiques,
Échos du cycle ;
Il nous faut faire notre deuil,
Dussions-nous en être chagrin,
De jamais jeter un coup d’œil
Sur une feuille du matin ;
Car l’épouse, à peine éveillée,
Ne peut déguster ses tartines
Grillées
Qu’avec un peu de Séverine,
(« Séverine » est là pour la rime),
Et veut étaler sur son pain,
Avec le beurre, un peu de Franc-Nohain ;
(Franc-Nohain est mis là dans un but qu’on devine :
C’est tellement, de ma part, tellement humain !)
Mais surtout le journal où vole son désir,
C’est toujours celui que nous allions commencer à lire…
Alors nous attendons, avec cette pensée
De lire un peu plus tard, à tête reposée ;
Mais, un peu plus tard, ô chère tête de linotte,
Le journal est brûlé à petits coups, du fer,
— Bon, bon, ce n’est pas une affaire ! —
Qui frisera vos papillotes :
Les maris, comme les journaux,
Portent
Les traces des fers conjugaux.

LES BIGOUDIS

Camisoles, bonnets de nuit,
Bigoudis, —
Bigoudis, bigoudis, refrain de chansonnette :
Bigoudino, bigoudinette, —
Bigoudis de la femme honnête !
Sous les bonnets, près des nocturnes camisoles,
Les bigoudis posent leur vol.
Petite fiancée aux cheveux fous,
N’importe comment, n’importe où,
Cheveux frisottant dans le cou,
O chevelures blondes, ou rousses, ou châtaines,
Que nous rêvions, turlutaine !
Sur des oreillers de dentelles,
Épandues comme des fontaines, —
Le noir bigoudi vous enchaîne.
Soit bigoudi, soit papillote,
Mots pimpants comme une gavotte,
Sautillants, très petits-marquis,
Ou papillote,
Ou bigoudi,
Ironie de ces noms exquis…
Mais observe,
S’il te plaît t’attarder aux mirages du verbe,
A ce propos observe et note
Que, couramment la cuisinière dit :
Côtelettes de veau en papillotes, —
En papillotes, jamais en bigoudis :
Ceci
Pour ne te point monter le cou
Sur les papillotes, papillotes de nos billets doux,
Ou
Du papier bleu, encre violette, où sont nos vers :
Vers le lit conjugal, et vers
Le front pur de l’épouse austère,
Le soir, voici ramper les bigoudis comme des vers…
Et voici qu’aussi m’est venue
Lorsque je les ai vus paraître,
Voici que l’idée m’est venue
Que tous ces bigoudis pourraient être, peut-être,
Peut-être bien des anciennes sangsues…
Ce seraient des sangsues de race singulière,
Comment dirai-je ? non carnassières,
Végétariennes, si vous aimez mieux,
Qui, répugnant à faire chère
Du sang cher à leurs congénères,
Se voudraient nourrir de cheveux,
Et, pour le motif que j’allègue,
Si maigres,
Mais d’un tempérament plus sec, et plus nerveux,
Après leurs festins capillaires…
Sangsues de notre Amour, sangsues de ta Beauté,
Après bestioles, les bigoudis ont emporté,
En s’en faisant leur nourriture,
Loin des jolis ébats que j’avais projetés,
Le charme de ta chevelure !
Mais combien plus maigres encor,
(Ce sera ma vengeance), pauvres !
Quand pour eux plus de cheveux d’or,
D’or fauve,
O belle amie, lorsque tu seras chauve…

LES BRETELLES

Elle m’a déclaré, sans autre préambule,
Qu’avec des bretelles j’avais l’air très ridicule,
Et qu’elle ne m’avait pas épousé, elle,
Pour voir un monsieur en bretelles…
Sa mère, à qui rien de ce qui me touche n’est indifférent,
Sa mère donc, à qui nous avons soumis le différend,
A estimé dans sa sagesse qu’il conviendrait
Qu’au moins je ne me rendisse point ridicule exprès.
A ces bretelles, que d’aucuns disent hygiéniques,
A ces bretelles maintenant voilà suspendu
Mon chancelant bonheur domestique :
Je songe que les temps sont révolus ;
Je songe que le temps n’est plus
Où l’épouse ouvrageait d’une main attendrie
Pour l’époux une paire de bretelles en tapisserie ;
Et la belle-mère n’ouvrage rien non plus ;
Elle continue.

NEUVAIN DU COIN DU FEU

Près de la cheminée d’albâtre,
Nous étions assis à droite, à gauche, au coin de l’âtre ;
La pincette est tombée avec un bruit d’enfer,
Et voici qu’aussitôt tombe la pelle à terre ;
Pourquoi lorsque la pelle s’abîme dans les flammes
Une force mystérieuse entraîne aussi
La pincette ? Et je réfléchis :
Pelle et pincette, qui est la femme ?
Qui le mari ?

Quatrain du même.

Je songe qu’un jour viendra peut-être,
Où, pour quelque bagatelle,
Ma femme prendra la pincette,
Et moi la pelle ?

Distique du même.

Je songe qu’un jour viendra où ma belle-mère, elle,
Prendra tout à la fois la pincette et la pelle ?

LES RELATIONS

Nous avons cessé de voir les Alfred,
Nous ne mettrons plus les pieds chez les Adrien ;
Elle ne peut pas souffrir ces Alfred ni ces Adrien, —
Pour rien, —
Mais m’a dit, soupçonneuse et raide :
— Qu’est-ce qu’ils ont donc fait, ces Adrien et ces Alfred ?
Qu’avez-vous bien pu faire avec eux autrefois,
Madame Alfred, sans doute, ou Adrien, je crois,
Oui, quoi,
Pour que vous les aimiez aujourd’hui plus que moi ? —
Moi, naturellement, je cède.
Nous avons coupé tous les liens
Qui m’attachaient aux Alfred et aux Adrien ;
C’est très bien.
Chers compagnons des anciennes manilles,
Du domino à quatre ou du piquet voleur,
Jadis, lorsque saignaient vos cœurs
De me voir entrer en famille,
— Chers compagnons séchez vos pleurs,
Protestais-je, consolateur :
Plutôt qu’en ce café, faussement prometteur
De Colonnes au nombre de Mille,
Loin des sourires protecteurs
Et des familiarités excessives du gérant Émile,
Sera-ce pas charmant, un petit intérieur,
Où je vous recevrai, chers amis de mon cœur,
En toute liberté, à toute heure,
Avec une petite femme avenante et gentille ! —
Et nous nous attendrissions ;
Bien entendu, ce serait sans façon,
On viendrait comme on serait, jaquette ou veston,
Et bien sûr qu’ils pourraient apporter leur pipe !
Piquet voleur et domino à quatre,
Oui, ma maison serait la maison de Socrate,
Sans Xanthippe…
Et comme elle joue du piano comme personne,
(Élève de Thomé, mon cher !)
Albert viendrait avec son saxophone :
Il pourrait s’en donner, de son sacré Wagner,
Hein ? qu’il serait à son affaire !…
Elle m’a déclaré trouver tout naturel
Que je reçusse ces gens-là, ou n’importe lesquels,
Si tel
Paraissait être mon plaisir,
Elle n’y voyait rien à redire ;
Mais, puisque ça ne l’amuserait pas, elle,
Il était non moins naturel
Que, lorsque ces gens seraient là,
Elle en profitât
Pour sortir.
Tout d’abord, dans mes amitiés,
Je m’en suis trouvé un peu vexé, et humilié ;
N’avais-je donc hanté, avant de la connaître,
Que gens tarés, et malappris, ou malhonnêtes ?
M’ayant tiré d’un tel milieu,
Sans doute valais-je à ses yeux,
Sans doute valais-je guère mieux ?
Alors on m’a montré cette querelle ingrate :
Que c’était le fait d’une épouse
Jalouse,
Jalouse du passé, et de tout, toutes, tous…
Maintenant ces gens-là c’est moi qui les écarte.
Tout mon passé je le repousse : —
Ça me flatte.

BALLADE DES ROBES ET MANTEAUX

Quelle statistique pourra permettre
D’établir au bout de quel laps, mois, jours, ou heures,
Nos épouses feront constater à notre candeur,
A notre stupeur
Qu’elles n’ont plus rien à se mettre ?
Bon gré, mal gré, il le faut reconnaître,
— Où le costume de drap gros vert,
La robe garnie de vieille berthe ? —
Printemps, été, automne, hiver.
Les épouses sont comme les vers,
Les simples vers,
Elles n’ont jamais rien à se mettre.
Elles nous diront cela sans y mettre,
D’acrimonie :
Très simplement, et sans dépit,
Mais de façon irréfutable et nette :
— Mon ami,
Mon ami, je n’ai absolument rien à me mettre.
Cela éclatera un beau jour,
Un jour où, sans songer à mal,
Bonnement, d’humeur joviale,
Nous leur aurons proposé d’aller faire un tour :
— Comme deux amoureux, un petit tour ensemble,
Histoire de se dégourdir les jambes ? —
— Je veux bien, mais ne puis, non plus,
Aller avec vous dans la rue,
Aller décemment toute nue :
Mon bon ami, que vous en semble ? —
Et, à partir de ce moment,
Nous leur offrirons vainement
L’opéra, ou la comédie,
L’Académie,
Une tasse de thé dans des maisons amies,
Un dîner fin au restaurant,
Vainement
Un tour de valse à l’ambassade de Russie,
Un voyage en pays flamand ;
(Quant à aller chez notre oncle de la rue Édouard —
Detaille,
Détail
Que je ne cite que pour mémoire ;)
Chaque fois, sans acrimonie,
Ainsi,
Ainsi que je l’ai déjà dit.
Sans acrimonie, mais de façon cinglante et nette,
Elles nous répondront : — Où avez-vous la tête ?
Si cela vous amuse, allez-y, mon ami.
Allez-y, vous êtes le maître ;
Mais souffrez que je reste ici :
On a beau n’être point coquette,
Pourtant, on ne peut pas non plus
Aller décemment toute nue ;
Et, à un autre point de vue,
Je ne veux pas que toutes ces grues,
(Ce que j’en dis, mon ami, est bien plus,
Bien plus pour vous que pour moi, certes,
Ne croyez pas que je regrette,
Je suis joliment au-dessus
De ces questions de toilette),
Mais, je répète,
Je ne veux pas que toutes ces grues, —
Vous ne vous en seriez pas seulement aperçu,
Les hommes n’ont pas de ces délicatesses, —
Se gaussent à vous voir, vous à peu près vêtu,
Me laisser sans rien pour me mettre. —
Donc, nous ne sommes pas sortis ;
Le même soir, la même nuit
(Ma parole,
Sait-on jamais, avec ces lampes à pétrole ?),
J’ai mis,
J’ai mis le feu à sa garde-robe :
Les robes
Ont brûlé trois jours et trois nuits ;
Elle a dit :
— C’est encore heureux que j’avais mis à part
Mon costume de bicyclette,
De tennis, et de dog-cart,
Mon corsage gris-fer, ma juge beige, ma robe verte,
Car,
Qu’est-ce qu’il me resterait, qu’est-ce
Qu’il me resterait à me mettre ?
Les épouses sont comme les vers,
Les simples vers.

SUITE DES ROBES ET MANTEAUX

I. — CHANSON

Que l’époux fasse seller
Son cheval gris pommelé ;
Ventre à terre, ventre à terre,
Qu’il galope, qu’il galope :
On attend la couturière
Qui n’apporte pas la robe.
Le groom, sur sa bicyclette,
Depuis une heure est parti ;
Partie aussi la soubrette :
Aujourd’hui, avant midi,
La couturière a promis ;
Et, délaissant œufs et bœuf,
La cuisinière, en teuf-teuf,
Vient de partir elle aussi.
Que l’époux fasse seller
Son cheval gris pommelé.
Madame sur sa tour monte,
Et compte
Les minutes, les secondes ;
Et, ne voyant rien venir,
Commence à s’évanouir.
Avec de blancs gâte-sauce,
Dans sa livrée vert-espoir,
Le groom, au coin du trottoir,
Se repose
Et, tranquille,
Joue aux billes,
Dans sa livrée vert-espoir.
Sous le porche d’une porte,
La femme de chambre accorte,
A un garçon épicier
Du quartier,
La femme de chambre accorde
Un tendre et furtif baiser.
La cuisinière, pratique,
En quelque arrière-boutique,
La cuisinière,
La cuisinière pratique
Le rhum et le vulnéraire.
Madame à sa tour ne voit,
Voit que le groom qui verdoie,
La soubrette qui rougeoie,
La cuisinière qui boit.
Mais l’époux a fait seller
Son cheval gris pommelé.
Madame reprend espoir,
Du plus loin qu’elle peut voir,
Elle agite son mouchoir.
Monsieur n’a fait qu’une trotte,
Il a crevé son cheval,
Il a perdu une botte,
Tout bancal,
Couvert d’écume et de crotte,
A bas de cheval il saute :
— La couturière a promis
Pour demain, avant midi,
Sans faute ! —

II. — DIALOGUE

a)
Les épouses.

Ce drap gros-vert est hors de prix ;
J’aurais aimé ce gris-souris,
Mais la nuance est un peu claire.

Les époux.

Oui, la nuance est un peu claire,
Ma chère.

Les épouses.

Pour faire un costume tailleur,
Ce drap beige paraît meilleur ;
Je m’y entends mieux que personne.

Les époux.

Tu t’y entends mieux que personne,
Ma bonne.

Les épouses.

Avec ce drap-là, tu verras
Comme ta femme se fera,
Pour toi, qu’elle se fera belle !

Les époux.

Oui, pour moi tu te feras belle,
Ma belle.

b)
Les épouses.

Ce costume beige est infect,
Mais vous le vouliez, c’est parfait,
Je ne vous cherche point querelle.

Les époux.

Tu ne me cherches point querelle,
Ma belle.

Les épouses.

D’ailleurs, il est dans vos idées
Que j’aille laide et fagotée,
Je ne sais pourquoi je m’étonne ?

Les époux.

Je ne sais pourquoi tu t’étonnes,
Ma bonne.

Les épouses.

Votre jalousie imbécile
Me rendra la vie impossible :
Je veux retourner chez ma mère !

Les époux.

Retournez donc chez votre mère,
Ma chère.

LE DÉJEUNER INTERROMPU

Je ne suis rentré qu’à une heure et demie ;
Depuis
Midi,
Le déjeuner était servi :
— Ma bonne, et douce, et chère amie,
Crois qu’il n’y a pas de ma faute !… —
Ma douce et chère amie riposte :
— Dis-je que ce fût votre faute,
L’ai-je dit ?… —
La servante sournoise et lente, à pas de loup,
Louche, et tourne autour des époux.
(Mais en quel état l’entrecôte,
En quel état les œufs cocottes !…)
Pour dérider son front d’âpre froideur empreint,
Je m’efforce à quelques plaisantes anecdotes ;
Mais en vain :
Silencieuse, elle émiette son pain,
Ou, de ses doigts industrieux, parvient
A figurer avec la mie, — elle n’a plus faim, —
De minuscules objets usuels, ou des cocottes :
Mes plus plaisantes anecdotes
Ne récoltent
Que le silence et le dédain.
(La servante sournoise et lente, à pas de loup,
Louche, et tourne autour des époux.)
— Ça t’amuse donc bien de rouler ces boulettes ? —
Mais ses doigts aussitôt dans leur labeur s’arrêtent.
— Bien ! à ton aise ! fais la tête ! —
Et, de ma poche, alors extraites
Avec fracas,
Je me mets, entre chaque plat,
A lire et froisser les gazettes ;
L’épouse ne sourcille pas.
— Tu es muette !
Te voilà muette, à présent ?
Charmant !
Autant de conversation
Qu’au restaurant, lorsque j’étais seul et garçon
Voilà un déjeuner dont je me souviendrai :
Mariez-vous donc, mariez-vous donc ! —
Et, pour accompagner ce refrain guilleret,
Je flanque mon assiette à terre,
Et ma serviette, et mon verre,
Et, blasphémant d’une voix forte,
Sors en faisant claquer la porte ;
La servante sournoise et lente, à pas de loup,
Louche, et tourne, et ramasse tout ;
L’épouse a repris ses cocottes.
Dans le café où je suis entré,
Affalé sur une banquette,
Je me jette
Sur les journaux illustrés ;
A mon esprit qui veut être distrait,
Rien ne reste étranger de nos grands quotidiens,
Annonces, cotes de la Bourse,
Et les pronostics pour les courses, —
Rien :
Mais malgré toutes ces ressources,
Le chagrin domestique entre les lignes rôde,
Qui mettra mon cœur en désordre,
Et puis ce mazagran est de tout dernier ordre.
Ah ! si je m’écoutais, à ce gérant, à la caissière,
Je viendrais raconter mes peines singulières,
Toute ma misère conjugale,
Et (bien que ça leur fût, probablement, égal,)
A ces gens je voudrais crier
Ma vie brisée, la débâcle de mon foyer,
Et cette épouse sans pitié
A qui, pourtant, je n’ai fait aucun mal…
— Je ne suis pas un homme de désordre,
J’étais un homme de foyer,
Voyez !… —
(Et puis ce mazagran est de tout dernier ordre.)
Mais le garçon est là, qui a,
( — Et un cigare, qui font quatorze… — )
Qui a
Une tête de magistrat !…
Et c’est la vision atroce
De l’audience en référé, pour le divorce…
Pâle, et tremblant de tous mes membres,
(Le divorce ? qui sait ? le suicide !)
Je rentre,
La bouche sèche, les yeux vides,
J’ai interrogé la servante :
— Vite,
Madame ? où est Madame ?…
— Madame est dans sa chambre,
Qui s’arrange
Son chapeau bleu, avec des brides… —

EN PROMENADE

Les maris vont toujours trop vite ou trop lentement :
Soit en avant,
Humant
Le vent,
Ou bien derrière
L’épouse altière,
Telle une bête familière :
Les maris vont toujours trop vite ou trop lentement,
Soit par devant, soit par derrière.
Ou s’il arrive que des époux
Très bourgeoisement se disposent,
Sans souci qu’un trottin s’en gausse,
A partir bras dessus, dessous,
Comme à la noce,
Sans tarder, les pieds du mari,
Pareils à quelque gros insecte aussitôt pris
A la toile de l’araignée industrieuse,
Les pieds se débattront parmi
Le maquis,
Le maquis des jupons et de la balayeuse.
Quel compositeur de génie
Composera la sonnerie,
— Taratata, taratata, —
Qui fera
Marcher les deux époux au pas ?
Les époux s’en iraient par les rues et les places,
Précédés d’un jeune garçon
Qui claironnerait du clairon,
Ou cornerait du cor de chasse :
Lors, plus d’épouse qui s’attarde
A la vitrine des bijoutiers ou des modistes ;
Lors, plus d’époux perdant la conjugale piste :
— Taratata ! — leur clamerait l’instrumentiste,
Et côte à côte, d’un pas rythmé, sans algarade,
Ils poursuivraient la délicieuse promenade.

LA JARRETELLE

Les passants ouvrent des prunelles
Grandes comme des portes cochères,
Cependant qu’à l’abri d’une porte cochère,
L’épouse répare le désordre de sa jarretelle ;
Et les maris font sentinelle,
Jaloux d’une jambe si chère :
Yeux des passants tournés vers la porte cochère,
Grands comme une porte cochère !
C’est une chose fantastique, —
Et pour la concevoir il faut que l’on pratique
L’existence matrimoniale et domestique, —
Que la fragilité extrême de ces élastiques.
La jarretelle n’est pas plus tôt
Fixée au haut,
Au haut d’un bas,
Qu’au premier pas,
Même sans faux
Pas,
Crac ! casse, et le bas est à bas :
Fragilité inconcevable de ces élastiques !
Je songe à Diane chasseresse :
Au magasin de quelle rue
Achetait-elle les bandelettes, dont les tresses
Enserraient, de leur force et de leur souplesse,
Ses jambes nerveuses et nues ?
Mais nul mari n’accompagnait Diane chasseresse.
Les maris auront dans leur poche,
Ou du moins feront bien d’avoir,
Une aiguillée de fil noir,
Et toujours une pelote
D’épingles : —
C’est même cela qui les distingue,
Qui, l’homme marié dénote,
Beaucoup mieux que l’anneau des noces :
Il convient que les maris offrent,
Pelote douloureuse, leur cœur à mille traits : —
Et une pelote d’épingles après.

LA DÉLICATE ATTENTION

Je m’étais demandé parfois,
Arrêté devant l’étalage des spécialistes,
Je m’étais demandé, dans mon âme simpliste,
Vers quelle île, à travers quel isthme,
Devait un jour cingler telle cravate à petits pois,
Brique, vert-pomme ou caca-d’oie,
Orgie, ou cauchemar, ou quoi ?
D’un chemisier dément ou symboliste :
Car il est de ces cravates surprenantes,
Qui nous laissent muets de stupeur,
Future cargaison de bateaux à vapeur,
Au Havre (pense-t-on) ou à Nantes,
Et qu’on imagine volontiers,
Unique vêtement de quelque vieux roi nègre,
Qui rendrait la justice, intègre,
Là-bas, sous un grand cocotier,
La cravate abricot enserrant son cou d’aigle…
Rêveur, où donc as-tu la tête,
O triple et quadruple poète !
Et tu n’as pas deviné la cravate,
Cette cravate
Qu’attentionnée et délicate
L’épouse dévouée offrira, le vingt-quatre,
A son mari, pour sa fête ?
Elle a choisi elle-même, et s’en flatte :
— Tu pourras la mettre longtemps,
Car c’est un tissu résistant,
Qui ne s’use qu’avec le temps ! —

LA DÉPLORABLE HABITUDE

L’épouse a proscrit sans pitié
La vieille pipe en merisier,
Compagne des rêveries anciennes et familières.
Je comprends maintenant : naguère,
Vieille pipe, quand je t’ai confié,
Au temps des fiançailles, mes beaux espoirs ensoleillés,
Voilà pourquoi tu ne m’écoutais guère, —
Et même tu crachais d’inquiétante manière :
La vieille pipe en merisier,
La vieille pipe se méfiait…
L’épouse a dit : — Fumer de gros cigares
En ma présence est un manque d’égards,
Car
Est-ce que j’en fume, est-ce que j’en fume, des cigares ?
Cette fumée, c’est notre argent que tu gaspilles !
Quand on n’a pas et des mille, et des cents,
Et encore moins des cent mille,
Est-ce un plaisir raisonnable et décent
Pour un sérieux père de famille ?
Les boîtes de cigares, ça finit par compter,
Sans compter
Ceux que tu dois offrir à des tas d’imbéciles !
Vaut-il pas mieux mettre ça de côté
Pour quelque chose, au moins, d’utile,
Dont, moi aussi, je puisse profiter :
Pour acheter,
Par exemple, une automobile ? —
L’épouse a dit : — Je ne sais rien d’abject
Comme cette manie de perpétuelles cigarettes !
D’abord, je commence à m’apercevoir
— Cela non plus n’a pas échappé à ma mère —
Que tu perds toute ta mémoire :
Hier,
Tu nous as fait chercher une heure, pour savoir
L’adresse de cette couturière…
Et puis, c’est dégoûtant : des bouts
De cigarette traînent partout,
J’ai honte quand quelqu’un regarde ;
Et puis,
C’est une odeur de tabagie,
Qui, d’abord, vous prend à la gorge,
Qui s’accroche
Aux rideaux, tentures, tapis :
On a beau secouer, aérer, ils la gardent ;
L’appartement a l’air d’un corps de garde !… —
Cédant à ces justes critiques,
Dorénavant l’époux n’exhibe
Cigarette, cigare ou pipe ;
Mais lors sournoisement il chique.

SON JOUR

C’est le jeudi ; mais pas, qu’on s’en souvienne,
Chaque jeudi : ce serait trop facile !
Première, seulement, et troisième semaine, —
Les obligations mondaines
Ont de ces nuances subtiles, —
(Encor, sans doute, faudra-t-il
Tenir compte de la lune, pleine ou pas pleine.
Et si l’année est bissextile) ; —
Le monde a sa mode, et son code :
Nos relations, amies, amis,
Sont prévenus qu’à part cela, c’est le jeudi :
C’est bien commode.
Donc, le matin de ce jour-là,
(Et d’abord, pas de chocolat,
La bonne a bien assez à faire,
A secouer toute la poussière,
Et à mettre tout en état,
Elle en a,
Elle en a la tête à l’envers),
Dès que l’aube commence à luire,
Debout, pour astiquer, frotter, faire reluire, —
Il faut que le salon fasse honneur à sa mère,
Pour que, si le bon vent la poussait à venir,
Elle n’y trouvât rien à redire ;
Il ne faut pas qu’elle soupire
Comme la dernière fois : — Ma chère,
Ma chère enfant, surveille ta torchère
Empire !
(Car enfin, on aura beau dire,
A la face du ciel, je suis encore ta mère ;)
Je viens, par curiosité,
Je viens d’en effleurer le dessous du coin droit :
Et vois mon doigt !
Ma petite enfant, souviens-toi,
En vérité je le proclame, en vérité,
Que, toute mariée qu’on soit,
Ce n’est pas un motif pour tolérer chez soi,
Pour tolérer de la saleté !
On doit
On doit sur son ménage exercer plus d’empire :
Surveille ta torchère Empire ! —
Puis, pour que le salon soit plus plaisant à l’œil,
Plus somptueux et plus séduisant son accueil,
On démeublera les autres pièces,
On trimballe mon vieux fauteuil,
A la force de mes biceps,
Le bahut Henri Deux, la commode Louis Seize :
— Toi qui as des tendances à devenir obèse,
Va, cela te rendra service :
Tu ne prends pas déjà tant d’exercice ! —
On a déjeuné sur le pouce,
L’époux de son côté, de son côté l’épouse :
Une toilette qu’on inaugure,
Il s’agit bien de s’attarder aux nourritures !
Surtout quand ce costume nouveau,
Chose plus grave,
S’agrafe sur le côté, ma chère, et dans le dos,
Et qu’il y a soixante-six agrafes !
— Et ce mari, calme et béat, qui bâfre !
Ah ! comme
Vous en avez, de la chance, vous les hommes ! —
Enfin, passé le coup de feu,
Vite un dernier regard ; on peut souffler un peu :
Ce n’est pas mal, ces fleurs rouges dans les grands vases,
Et sévères, ces plantes vertes ;
La « Nouvelle Revue » est ouverte,
Comme par hasard, en bonne place ;
La boîte à poudre, un éventail, la petite glace,
Négligemment ; et, sous la main,
Le face-à-main.
Que si du piano l’on s’approche,
Une partition s’affirme en triples croches, —
Ça va bien, ça va très bien.
Bref, l’épouse en grande toilette,
Le tralala au grand complet,
Des fleurs partout, le thé fumant, le pot au lait,
Des petits fours, des tartelettes,
Dès le premier coup de sonnette,
L’époux n’a plus qu’à s’en aller.
Cependant elle minaude aux gens qui viennent :
— Quelle bonne fortune est la mienne !
Figurez-vous, je rentre à peine !
Et, ma foi, j’ai encor failli,
(De vous manquer, quelle eût été ma peine !)
Abandonner mon jour, cette semaine.
Pour sortir avec mon mari. —

POLYCHROMIE

O Venise
Que de sottises
On commet au nom
De ton blond,
Et que de femmes, sans raison,
Qui vers toi seul, henné, hennissent !
Car nous ne savons, cher caprice,
Quand nous rentrons à la maison,
En quel ton nous retrouverons,
Ou pain d’épice,
Ou bien chaudron,
Notre compagne et son chignon :
O Venise !
Mais Dieu nous garde, sur notre âme,
D’en témoigner surprise ou blâme :
Aussitôt, sur le mode amer :
— Désolée, désolée, mon cher,
De déjouer vos petits calculs ;
Vous n’aimez pas le changement,
Probablement
Toutes vos maîtresses étaient brunes :
Et que si j’eus la fantaisie,
Moi, légitimement choisie,
D’interrompre cette série,
Le coup vous en semble trop rude ?
Tant pis !
A votre aise faites la grimace,
Il faut en prendre votre parti :
La rouge passe ! —
Si, d’autre part, nous nous taisons,
Alors c’est une autre chanson :
— Voilà ! mettez-vous donc en frais,
C’est bien la peine !
Comme si Monsieur regarderait
Jamais
Une femme qui est la sienne !
Je m’ingénie à trouver chaque jour
Quelque moyen nouveau de piquer son amour :
Bah ! que demain je me promène,
Des cheveux héliotrope épandus sur mon dos,
Il l’apprendra par les journaux…
C’est bien la peine ! —
Épouse, ô femme, impitoyable logicienne !
Et cependant, au mur, en un pastel ancien,
Voici l’aïeule figurée ;
Une neige prématurée
Fait ressortir les lys et les roses du teint ;
Petite aïeule en falbalas,
La frimousse friponne sous la poudre à frimas,
Au moins, pensé-je, avec la mode que voilà,
On savait toujours à quoi s’en tenir…
Pourtant, dans votre cadre ovale, n’est-ce pas
Qu’en me clignant de l’œil, vous vous prîtes à rire,
Mignonne aïeule, sous la poudre à frimas ?
Las ! en ce temps-là comme au nôtre,
Femme jamais se fit-elle faute,
En ses cheveux ou bien ailleurs,
De mettre sous nos yeux la gamme des couleurs ?
Toutes les couleurs, supposons-nous ? Erreur !
Nous en verrons encor bien d’autres !

MUSIQUE D’ENSEMBLE

L’épouse n’avait qu’un piano,
Rien qu’un piano,
Un seul piano :
Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do.
Mais qui donc prétendait qu’aussitôt mariées,
N, i, ni, — fini
Czerny,
Et les gammes tôt oubliées,
Do, ré,
Mi ?
Chère dilettante calomniée !…
Du frais matin saluant l’auréole,
Do, ré, mi, do, ré, mi, fa, sol,
Passant par le midi doré,
Do, ré,
Jusqu’au crépuscule lilas,
Do, ré, do, ré, mi, fa, sol, la,
— Ah ! comme on reconnaît bien là,
Tout de suite, la main d’une femme ! —
L’appartement s’emplit de gammes.
Mais aussi qui sera bien fier,
Qui se rengorgera devant les camarades,
Quand, dans les salons, cet hiver,
Sa femme jouera sa fantaisie de Chaminade ?
Qui sera fier, c’est le petit mari ! —
Do, ré, mi. —
Bannis cette mine chagrine,
Et, portant à la ville, ou bien à la campagne,
Sous ton bras, le glorieux rouleau de ta compagne,
Avec Chaminade, chemine !
Et qui sera un jour aimablement surpris,
— Chante voir un peu ?… — Mais si, mais si…
Voyons, mon rat !… — Voyons, ma poule !… —
Alors qu’on lui découvrira,
— Voyons, ma poule !… — Voyons, mon rat !… —
— Le cachotier, qui n’avait pas dit ça !… —
Bien sûr, pas la voix de Capoul,
Pas de ces grosses voix d’Opéra,
Rien qu’un filet de voix, rien qu’un brin, mais quel brin !
Si pur, si musical, de baryton Martin !…
— Mais si, mais si !… —
Oui, qui sera aimablement surpris ?
Les épouses ont de ces trouvailles.
Seulement, bien entendu, il faut qu’on travaille !
Quand le jour se lève,
Nous irons solfier
Tes Stances, Flégier,
Et Manon, quel rêve !…
— Et puis, ou je me trompe fort, ou je soupçonne,
Que tu jouerais aussi très bien du bigophone ? —
L’épouse n’avait qu’un piano,
Rien qu’un piano,
Un seul piano.

LES VOYAGES

Rêves du soir, projets
Qu’on fait, les pieds
Sur les chenêts,
Nos âmes sœurs vagabondent de compagnie,
Et mon cigare et son aiguille à tapisserie,
Et mon cigare et son aiguille communient :
— Ah ! bon ami… — Oui, douce amie… —
Accord parfait :
C’est l’heure exquise où, sans bouger,
Il est question de voyager.
Voyages pleins de fantaisie,
D’imprévu, et de poésie ;
Après dîner, les pieds au chaud,
Nous sommes très sentimentaux :
On partirait à l’aventure ;
Nature, nous avons besoin,
En ville, on s’aime mal, et moins,
De tes coins, jolis petits coins,
Nature !
Et nous irions loin, loin, si loin,
La poudre des chemins couvrirait nos chaussures…
Car pleins de dédain pour les railways et leurs lignes,
Au coin du feu, nous préconisons le footing !
Nous aspirons au charme des routes nationales,
Et des moyens de communication
Par les chemins de moyenne communication,
Ou les voies simplement rurales :
On s’assied à l’ombre, au pied d’une borne,
Pour manger, cueillir dans les haies,
Les baies
Dont se régale le rouge-gorge :
Et allez donc, elle est bien bonne !
Et l’arrivée dans le petit village,
A l’auberge du Cheval Blanc :
Le dîner sur le pouce, un morceau de fromage
Blanc,
Et un petit verre de vin blanc,
Le petit cru du voisinage, —
A l’auberge du Cheval Blanc, —
Puis la chambrette aux murs badigeonnés de blanc ;
Un mouchoir rouge et une chemise roulée dedans,
C’est tout le bagage :
Mais on ne s’en aime que davantage, —
A l’auberge du Cheval Blanc. —
Et dès l’aube éveillés par les coqs et les grives,
On cinglerait vers de nouvelles rives.
Mais maintenant, voici une autre idée qui trotte
En votre tête mignonne ; ne me dites rien,
Je devine, je devinerai bien :
Oui, ce serait, comme les bohémiens,
Voyager tous deux en roulotte ?
Hein !
C’est cela qui serait délicieux, une roulotte !…
C’est cela, c’est cela ! Et vous battez des mains,
Quelles idées charmantes sont les vôtres !…
Pourquoi faut-il que tous ces beaux projets
Ne puissent être que chimères,
Proses de la vie, fait-on jamais,
Hélas ! ce que l’on voudrait faire ?
Mais
Du moins, ne retournerons-nous pas, s’il vous plaît,
A cette plage de l’année dernière :
Vraiment, le Casino était
Bien trop petit et trop mauvais :
— Auberge du Cheval Blanc, chimères ! —
Et je revois notre départ l’année dernière :
— A neuf heures cinq du matin, —
(O grives et coqs du matin !…)
— Est-ce une heure pour prendre le train ?…
Tout cela, pour aller s’enterrer à la mer… —
Vos yeux de sommeil encor gros,
Et votre humeur singulière, —
Et moi, me débattant seul au milieu de nos
Quatre malles, dites chapelières,
Et de vos
Huit petits cartons à chapeaux.

RELIGION

Sa mère a dit : « Je te mets sur tes gardes,
Je n’ai pas de conseils à te donner, note bien :
Seulement, moi, je te préviens,
Ces hommes qui ne croient à Dieu, diable, ni rien,
Ces esprits forts, ces francs-maçons, tous ces païens,
Ces gens-là, rien ne les retient,
Rien ;
Mais, après tout, ça te regarde. »
Maintenant, pendant le repas,
Fourchette en l’air, de plat en plat,
Du potage jusqu’à la crème,
— Tarte à la crème ! —
Nous agitons les grands problèmes :
— Tu n’as pas besoin de le dire,
Va, je le vois assez sans que tu le proclames,
Alors tu ne crois pas à la vie à venir,
A l’immortalité de l’âme ? —
Et l’épouse accablée soupire :
— Mon pauvre bon, tu veux donc aller cuire,
Cuire en enfer, aux éternelles flammes ?
C’est ton salut, pourtant, que je réclame ;
Si tu aimais un peu ta femme,
Tu songerais davantage à lui faire plaisir ! —
Elle continue : — C’est si gentil,
Un mari
Qui accompagne sa femme à la messe,
Et porte son livre de messe !
Et tu sais, tu sais, mon chéri,
Il y en a de très bien, qui,
Des messieurs, qui vont à la messe,
Des messieurs du meilleur monde, de la noblesse,
Décorés,
Qui te valent, en somme, et qui ne se croiraient
Pas du tout déshonorés
D’être vus aussi à confesse…
Pourtant
Je ne t’en demanderais pas tant,
Si tu avais un peu de cœur et de tendresse… —
— Voyons, voyons, répond l’époux,
Voyons, mon chou !
Ces messieurs font, je le confesse,
Font très bien d’aller à la messe,
Si ces idées sont de leur goût :
Elles ne sont pas du mien, et voilà tout, —
Qu’on me laisse, comme je les laisse !… —
Mais ici l’épouse se dresse :
— Tes idées ! tes idées ! dirait-on pas, vraiment !…
Te voilà, avec tes idées,
Plus fort que l’Évangile et les Deux Testaments,
Plus malin, plus intelligent,
Que Monsieur François Coppée !…
Tout ça, veux-tu que je te dise ? —
Tout ça c’est un tas de sottises,
De balivernes, de bêtises,
Inventées par des gens qui n’ont ni foi ni loi,
Pour exploiter l’orgueil des gogos comme toi.
Mais, pensez donc, Monsieur, ça le flatte de faire,
— L’impiété,
C’est si bien porté ! —
De faire son petit Voltaire !
Voltaire, veux-tu bien te taire !…
Puis simples prétextes, au fond,
Pour se conduire comme des polissons : —
La fidélité conjugale,
La saine morale,
Allons donc !
Histoires de curé, fantaisies cléricales,
Et les curés, nous en mangeons ! —
Nous autres, honnêtes femmes, nous n’avons
Plus qu’à céder la place et à faire nos malles !… —
Querelle ancienne,
Antiennes
De la douce épouse chrétienne :
Elle reprendra la partie !
Il est bon
Qu’une femme ait de la religion ;
C’est toujours une garantie.

L’OPINION PUBLIQUE

J’ai pris ma tête entre mes mains,
Et maintenant je me souviens ;
Oui, maintenant je me rappelle
Tant d’anecdotes spirituelles,
Les réparties toujours nouvelles,
Où notre esprit jadis brillait
A propos des gens mariés ;
Maintenant je me les rappelle,
Je m’en souviens :
Comme c’est malin, comme c’était fin,
Crétins !
Lorsque nous irons au café,
Les gens prendront un air rusé :
— Eh ! bien, cette fois, ça y est,
Hé ! hé !
Alors vous êtes marié ?
Hé ! hé ! —
Ils nous taperont dans le dos :
— Parbleu ! des maris, il en faut !
Et comment va le conjungo ?
Oh ! oh !
Oh ! ces yeux-là en disent gros !
Oh ! oh ! —
— Mais ce n’est que le premier pas,
Hein ? heureux gaillard, hardi, là !
Hardi ! ne nous endormons pas,
Ha ! ha !
Vous n’êtes pas encor papa ?
Ha ! ha ! —
— Aussi bien, c’est le bon parti,
Croyez-moi, que vous avez pris !
Ne vous l’ai-je pas cent fois dit ?
Hi ! hi !
Votre tête était d’un mari,
Hi ! hi ! —
— Puis, quoi, vous n’êtes pas perdu :
Car en somme il n’y a pas plus
De raisons pour être cocu,
Hu ! hu !
En ménage qu’avec des grues…
Hu ! hu ! —
Et voilà, voilà la charmante perspective,
Voilà les bonnes plaisanteries, les joyeux mots,
Dont les délicieux échos
Jusques à mon oreille arrivent,
Et dont j’entends déjà les bribes :
Ah ! ah ! hé ! hé ! hi ! hi ! ho ! ho !
Chameaux !
Mais nous ferons bonne contenance,
Nous sourirons d’un air jaune, mais entendu ;
Hé ! hé ! hi ! hi ! ho ! ho ! hu ! hu !
Le ridicule tue
En France !
Nous ferons bonne contenance.
Et vous, chère, faites-vous belle,
Et ne craignez pas de montrer,
Jamais, jamais trop à mon gré,
Tout ce que vous pourrez
Montrer
De particulièrement sensationnel :
Car c’est là mon petit profit,
Par qui se pallient
Mes soucis,
Qui, lorsque nous serons ensemble, —
Comme je tendrai,
Guilleret,
Comme je tendrai le jarret ! —
Qui seul peut augmenter la beauté de ma jambe :
Il faut qu’en me voyant marcher à vos côtés,
Moi, le mari, reconnaissable
A ces façons de discrète fierté,
Qui sont la marque véritable
D’un sentiment rassis de la propriété, —
Puisse le peuple dire en son rude langage :
— Cré nom d’un chien ! Bon Dieu de santé !
Tu parles de quelqu’un qui doit pas s’embêter !… —
Et cet ingénieux hommage
A mon bonheur, à ta beauté,
Ne nous paiera-t-il pas des soucis du ménage ?

TABLE DES MATIÈRES

LIVRE I
Les plaisirs de la table.
 Pages.
Avant-propos
1
Parabole du mouton
3
Couplets du jaloux et de la précaution favorable
7
Symphonie des potages
10
Mieux vaut douceur
16
Quelques sauces
19
Légende de la bouchère et de l’amour adultérin
25
Le bœuf parle
28
Les huîtres
32
Verte réponse du rôtisseur à la fruitière pudibonde
36
Coquilles Saint-Jacques
38
Héroïque jactance d’un lapin
41
Le veau et la salade
44
Poivre et sel
46
Le pot-au-feu
48
Dialogue des pommes et des poissons
52
Conserves d’alouettes
55
Beignets d’acacia
62
Trois petites chansons
66
Lait de chèvre
73
Pain bénit
78
Biscuit de soldat
85
Tarte à la crème
84
Couplets du diabète ou des trois âges
92
La vanité des rince-bouche
96
Intermezzo
98
Rondeau des plaisirs de la table
101
Chanson française
108
En décor
109
Ronde des ronds de serviette
111
Menus
116
Dans les filets
119
Amicales
123
Suspensions
126
Five O’Clock
129
Palais-Royal
133
Scripta volant
139
Le meilleur déjeuner
141
LIVRE II
Les soucis du ménage.
Introduction à la vie rangée
149
Barbe Bleue
152
Le petit nid
155
Les petites commissions
160
Légende du chapeau de dame ou de l’épouse du guillotiné
164
Bonnes
166
Le parapluie
172
Adieu aux journaux du matin
176
Les bigoudis
178
Les bretelles
182
Neuvain du coin du feu
184
Les relations
186
Ballade des robes et manteaux
190
Suite des robes et manteaux
195
Le déjeuner interrompu
202
En promenade
207
La jarretelle
210
La délicate attention
213
La déplorable habitude
215
Son jour
218
Polychromie
223
Musique d’ensemble
227
Les voyages
231
Religion
236
L’opinion publique
241

Châteauroux. — Typ. et Stéréotyp. A. Mellottée.

ÉDITIONS DE LA REVUE BLANCHE
23, boulevard des Italiens, 23

Collection gr. in-18 à 3 fr. 50

Paul Adam Lettres de Malaisie, roman 1 vol.
Jean Ajalbert Les deux Justices 1 vol.
Alphonse Allais Pour cause de fin de bail 1 vol.
— 
L’Affaire Blaireau, roman 1 vol.
— 
Ne nous frappons pas 1 vol.
Jane Austen Catherine Morland, roman, traduit de l’anglais par Félix Fénéon 1 vol.
Julien Benda Dialogues à Byzance 1 vol.
Tristan Bernard Mémoires d’un Jeune homme rangé, roman 1 vol.
Marcel Boulenger Le Page, roman 1 vol.
René Boylesve Mademoiselle Cloque, roman 1 vol.
Romain Coolus Le Marquis de Carabas 1 vol.
Franc-Nohain Flûtes 1 vol.
— 
Les Chansons des Trains et des Gares 1 vol.
Urbain Gohier L’Armée contre la Nation 1 vol.
— 
Les Prétoriens et la Congrégation 1 vol.
Alfred Jarry Ubu enchaîné 1 vol.
Gustave Kahn Le Cirque Solaire, roman 1 vol.
Marcel Lami La Débandade 1 vol.
Paul Louis La Guerre économique 1 vol.
Maurice Maindron Saint-Cendre, roman 1 vol.
Gaston Moch L’Armée d’une Démocratie 1 vol.
François de Nion Les Façades, roman d’aventures mondaines 1 vol.
— 
La Peur de la Mort, roman 1 vol.
— 
L’Amoureuse de Mozart 1 vol.
— 
Les Derniers Trianons, roman 1 vol.
— 
Les histoires risquées des Dames de Moncontour 1 vol.
Jacques de Nittis Vénus Ennemie, roman 1 vol.
Hermann-Paul Deux cents dessins 1 vol.
Hugues Rebell La Câlineuse, roman 1 vol.
— 
La Camorra, roman d’aventures 1 vol.
J.-H. Rosny La Fauve, roman 1 vol.
— 
La Charpente, roman de mœurs 1 vol.
Camille de Ste-Croix Pantalonie, roman 1 vol.
Stendhal Napoléon, fragments inédits, notes et introduction par Jean de Mitty 1 vol.
Eugène Vernon La Demeure Enchantée, roman 1 vol.

Envoi franco contre mandat.

Imp. de la Revue Blanche