The Project Gutenberg eBook of Missions au Sahara, tome 2

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Title: Missions au Sahara, tome 2

Sahara soudanais

Author: René Chudeau

Release date: July 22, 2024 [eBook #74093]

Language: French

Original publication: Paris: Armand Colin

Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by Bibliothèque de Sorbonne Université/SorbonNum)

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On peut cliquer sur les cartes et les figures pour les agrandir.

Table des figures et planchesTable des matières

MISSIONS AU SAHARA


SAHARA SOUDANAIS


LIBRAIRIE ARMAND COLIN


MISSIONS AU SAHARA, par E.-F. GAUTIER et R. CHUDEAU

TOME I : Sahara Algérien, par E.-F. Gautier, chargé de cours à l’École supérieure des Lettres d’Alger. Un volume in-8o raisin, 65 figures et cartes dans le texte et hors texte, dont 2 cartes en couleur, et 96 phototypies hors texte, broché15 fr.

Onomastique. — Les Oueds et les dunes. — Ethnographie saharienne. — La Zousfana. — Régions de la Saoura. — Gourara et Touat. — Tidikelt et Mouidir-Ahnet. — Appendices.

TOME II : Sahara Soudanais, par R. Chudeau, chargé de mission en Afrique Occidentale Française. Un volume in-8o raisin, 83 figures et cartes dans le texte et hors texte, dont 1 carte en couleur, 72 phototypies et 2 photogravures hors texte, br.15 fr.


1396-08. — Coulommiers. Imp. Paul BRODARD. — 4-09.


MISSIONS AU SAHARA
par
E.-F. GAUTIER et R. CHUDEAU


TOME II

SAHARA SOUDANAIS

PAR
R. CHUDEAU
Chargé de mission en Afrique Occidentale Française


83 figures et cartes dans le texte et hors texte, dont 1 carte en couleur,
72 phototypies et 2 photogravures hors texte

PARIS
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
5, RUE DE MÉZIÈRES, 5


1909
Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.


[i]PRÉFACE


Au début du premier volume de cet ouvrage, E.-F. Gautier a indiqué à l’appui de quelles personnalités nous avions dû de pouvoir réunir les subventions nécessaires à notre voyage à travers le Sahara ; nous avons pu nous mettre en route grâce à MM. Paul Bourde, Le Châtelier, Étienne, le regretté Dr Hamy, MM. Levasseur et Michel Lévy.

En cours de route, nous avons trouvé partout et auprès de tous le meilleur accueil. Dans le territoire des Oasis, je dois des remerciements particuliers au colonel Laperrine à qui la connaissance du Sahara est redevable de tant de progrès, ainsi qu’au commandant Dinaux qui fut mon compagnon de route depuis l’Ahnet jusqu’à Iférouane. Le père de Foucauld, qui a toutes les indulgences, me pardonnera de le nommer parmi ceux de qui la conversation m’a été le plus profitable.

Dès que la nouvelle de mon arrivée en Afrique Occidentale fut parvenue à Dakar, M. le Gouverneur général Roume voulut bien donner les ordres nécessaires pour que mon voyage soit rendu facile ; je lui en suis profondément reconnaissant. Je dois remercier aussi M. le Gouverneur général Ponty qui a bien voulu, en me confiant de nouvelles missions en Afrique, me permettre de continuer les études entreprises.

Grâce à l’obligeance des officiers et des administrateurs que j’ai rencontrés au hasard de mon itinéraire, j’ai pu recueillir dans[ii] tous les postes du Soudan où je suis passé, de nombreux renseignements ; je suis particulièrement l’obligé du commandant Gadel et du commandant Lefébvre qui sont venus me chercher à Iférouane, allongeant ainsi de plus de 500 kilomètres la tournée qu’ils avaient projetée. J’ai beaucoup appris au cours des longues conversations que j’ai pu avoir avec eux, pendant plusieurs semaines d’étapes faites en commun et pendant mes séjours à Zinder, où j’ai été leur hôte.

Conformément au plan que Gautier et moi avions adopté, je me suis chargé, dans ce second volume, de rédiger les résultats relatifs aux régions que je connaissais le moins mal ; ces monographies de pays font l’objet des deux premiers chapitres.

Dans les chapitres suivants, j’ai cherché au contraire à exposer quelques questions relatives à l’ensemble du Sahara ; l’état encore très lacunaire de nos connaissances sur cette partie de l’Afrique, malgré les gros efforts et les rapports précis[1] des officiers des Oasis et du Soudan, a obligé à systématiser, outre mesure, les faits connus d’une manière positive ; on a dû trop souvent extrapoler. Cette méthode, malgré ses dangers, a paru la seule convenable pour poser nettement les problèmes. Elle présente encore un autre avantage : bien des gens qui, sans cela, garderaient le silence, se feront un plaisir de corriger des erreurs ;[iii] grâce à leur concours, bien des détails seront précisés, les cartes seront rectifiées et les hypothèses pourront serrer de plus près la réalité.

La division du Sahara que nous avons adoptée, Sahara algérien et Sahara soudanais, résulte des itinéraires que des circonstances parfois imprévues nous ont permis de suivre chacun de notre côté ; il se trouve qu’elle est partiellement justifiée au point de vue géologique, comme au point de vue humain.

Dans le Sahara algérien, l’arabe est la langue dominante ; dans le Sahara soudanais (auquel il conviendrait de joindre le Mouidir-Ahnet), les langues et les usages berbères ont mieux résisté aux diverses poussées de l’Islam. Ces faits, d’ordre historique, ne peuvent pas être complètement indépendants de la géographie.

Des terrains sédimentaires récents, horizontaux en général, d’altitude peu élevée, jouent le premier rôle dans le Nord ; les importants massifs de dunes qui les recouvrent y assurent des pâturages presque continus, qui rendent assez faciles les relations entre les diverses palmeraies.

Les roches cristallines anciennes, habituellement verticales, qui constituent le massif central du Sahara sont le plus souvent d’une stérilité désolante. L’altitude en est trop élevée pour que le sable ait pu y donner naissance à des ergs importants ; les tanezroufts, à peine indiqués plus au Nord, y occupent une place considérable. Seuls, pour des causes en quelque sorte accidentelles, quelques districts se prêtent un peu à la vie des hommes. Entre ces parties presque habitables du Sahara touareg les communications sont difficiles : cet isolement, qu’imposent la météorologie et l’architecture du sol, a vraisemblablement facilité la conservation, au milieu du Sahara, d’une société berbère.

Enfin, au sud du désert, existe une longue bande qui reproduit à peu près les conditions géologiques du Sahara algérien : peu importe en effet que les strates horizontales y soient un peu plus jeunes et les dunes un peu plus vieilles. Mais cette bande n’appartient plus au désert ; elle a une saison des pluies insuffisante[iv] mais régulière. Cette zone sahélienne forme véritablement, au point de vue humain, comme Barth l’a indiqué autrefois, la transition entre le Sahara et le Soudan. Les Touaregs y sont actuellement les maîtres, mais les souverains noirs de Gao et du Bornou y ont longtemps commandé.

Vers l’ouest, cette zone sahélienne se relie à la Mauritanie et par suite au Maroc ; elle a permis à la langue arabe de tourner le Sahara central et de s’avancer dans la vallée du Niger jusqu’au Télemsi.

J’aurais voulu pouvoir donner une illustration homogène ; j’avais pris, en cours de route, de nombreuses photographies, mais la durée de mon voyage a été trop longue et, à mon arrivée en France, aucun de mes clichés n’était utilisable ; quelques croquis, pris au hasard des stations, ne pouvaient suppléer que d’une façon insuffisante à cette grave lacune. Mais j’ai eu, pour certaines régions tout au moins, la bonne fortune de trouver d’intéressantes photographies que leurs auteurs ont bien voulu mettre complètement à ma disposition. Je dois au colonel Laperrine quelques clichés relatifs à l’Ahaggar et à l’Adr’ar’ des Ifor’as. Les capitaines Pasquier et Posth m’ont prêté de belles séries provenant surtout des terrains de parcours des Oulimminden et de l’Aïr ; le capitaine Cauvin m’a permis de donner quelques vues de l’Azaouad et de Taoudenni.

Grâce à leur obligeance, j’ai pu remplacer largement les documents qui me faisaient défaut.

Je dois aussi remercier mon vieil ami A. Dereims qui a bien voulu revoir de près toutes les épreuves.

[1]En dehors des notes citées au cours du volume, j’ai largement utilisé quelques-unes de mes publications antérieures, notamment les suivantes :

R. Chudeau, Sur la géologie du Sahara, in C. R. Acad. Sc., CXLI, 1905, p. 566-567. — Nouvelles observations sur la Géologie du Sahara, id., CXLII, 1906, p. 241-243. — D’Iférouane à Zinder, id., CXLII, 1906, p. 530-531. — De Zinder au Tchad, id., CXLIII, 1906, p. 193-195. — Le Lutétien au Sahara et au Soudan, id., CXLIV, 1907, p. 811-813. — La Géologie du Sahara Central, id., CXLIV, 1907, p. 1385-1387. — Sur les roches alcalines de l’Afrique occidentale, id., CXLV, 1907, p. 82-85. — D’Alger à Tombouctou, par l’Ahaggar, l’Aïr et le Tchad, in La Géographie, XV, 1907, p. 261-270. — L’Aïr et la région de Zinder, id., XV, 5, 1907, p. 321-336, pl. IV (carte géologique au 1250000e). — D’In Zize à In Azaoua, id., XV, 6, 1907, p. 401-420, pl. V (carte géologique au 1250000e). — Le commerce du Sahara, id., XVI, 5, 1907, p. 325-329. — Excursion géologique au Sahara et au Soudan, in Bull. Soc. Géologique de France [4] VII, 1907, p. 319-347, pl. XI (coupes géologiques). — Géologie du Sahara central, Ass. française Av. des Sciences, 36, Reims, 1907, p. 380-389. — Phénomènes actuels et phénomènes récents au Sahara, id., p. 389-400. — Études sur le Sahara et le Soudan, in Annales de Géographie, XVIII, 1908, p. 34-55, pl. I.

J’ai puisé aussi, sans toujours le citer, dans plusieurs notes de Gautier :

E.-F. Gautier, A travers le Sahara français, in La Géographie, XV, 1 et 2, 1907, p. 1-29 et p. 103-120, pl. I (carte géologique au 1250000e). — Études sahariennes, in Annales de Géographie, XVI, 1906, p. 46-69 et p. 117-138.


[1]SAHARA SOUDANAIS


CHAPITRE I

LA PÉNÉPLAINE CENTRALE DU SAHARA

I. Constitution géologique. — Archéen. — Silurien. — Dévonien. — Carbonifère. — Extension des terrains anciens vers le Sud. Rebroussement des plis.

II. Les Régions. — Les Tanezrouft. Leurs points d’eau. — L’Ahaggar : Orographie. Hydrographie. Les villages. Les nomades. — L’Adr’ar’ des Ifor’as : Orographie. Hydrographie. Les villages. Les Ifor’as. — Adr’ar’ Tiguirit. — L’Aïr : Orographie. Hydrographie. Les villages. Histoire. Les habitants.

I. — CONSTITUTION GÉOLOGIQUE

La majeure partie du Sahara central est formée de terrains anciens, le plus souvent cristallins. Ces terrains ont été énergiquement plissés avant le dépôt des grès dévoniens, qui constituent les Tassili du nord. A cette époque reculée, ils formaient un massif montagneux qui, par son âge, se rapproche de celui dont les débris se retrouvent en Scandinavie et en Écosse et que, pour cette raison, on a appelé la chaîne calédonienne. Il est intéressant de constater la symétrie avec laquelle se sont groupés les grands accidents tectoniques de part et d’autre de la Méditerranée. Au nord les Alpes avec leurs annexes, au sud les plissements de l’Afrique mineure, datant du Tertiaire, la bordent immédiatement. A une distance un peu plus grande, la Bretagne, le Plateau Central, le Plateau Rhénan, la Bohême jalonnent les traces de la chaîne hercynienne, qui date de la fin des temps primaires : Flamand avait signalé, et Gautier a décrit (t. I) les plissements du même âge que l’on peut suivre du Tidikelt jusqu’au Maroc et au Sud-Algérien. Plus extérieure encore et enveloppant la précédente, se retrouve en Europe comme en Afrique les traces d’une chaîne de montagnes, datant de la fin du Silurien.

[2]Malgré cette symétrie, il y a peut-être quelqu’inconvénient à donner un même nom, d’origine géographique, à des plissements aussi éloignés les uns des autres que ceux de l’Écosse et du Sahara : rien ne prouve jusqu’à présent qu’ils se raccordent.

On peut même observer[2] que, tandis que, au nord de la Méditerranée, la chaîne hercynienne et la chaîne calédonienne accusent, au moins sur une partie de leurs parcours, un certain parallélisme, il y a, dans le Sahara central, croisement plutôt que juxtaposition des plis antédévoniens et des plis carbonifères.

La région où les deux systèmes de plissements se rencontrent, au sud du Tidikelt et à l’ouest de la Saoura [t. I, p. 241 et p. 232], paraît singulièrement compliquée. Si l’on ajoute que la stratigraphie du Sahara est encore trop mal connue pour que l’on puisse affirmer que les plis antédévoniens sont bien du même âge, au nord et au sud de la Méditerranée, on comprendra facilement que M. E. Suess (in litteris) soit d’avis d’employer, pour la région qui nous occupe, au lieu de système calédonien, le terme de plissements sahariens (ou saharides) qui a au moins l’avantage de ne rien préjuger.

Il est assez difficile de fixer l’âge de ces terrains cristallins d’une manière rigoureuse : de l’Ahnet au tassili des Azdjer, ils sont recouverts en discordance par les grès, restés horizontaux, du Dévonien inférieur. Plus au sud ils présentent les mêmes relations avec les plateaux gréseux, à peu près certainement dévoniens, qui s’étendent d’Achourat jusqu’au voisinage d’In Azaoua. Les seuls fossiles siluriens que l’on connaisse au Sahara sont des Graptolithes (Silurien supérieur) qui ont été trouvés en deux points[3], au Tindesset sur le versant S. du Tassili des Azdjer et à Hassi El Kheneg entre In Salah et le Mouidir. Malheureusement on ne sait rien de précis sur les conditions de gisement de ces fossiles ; leurs relations avec les terrains voisins sont inconnues.

Au point de vue géographique toutefois, le plus important dans l’espèce, on peut distinguer nettement deux termes dans les terrains antédévoniens du Sahara.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. I.

Cliché Laperrine

1. — CHAOS GRANITIQUE. ADR’AR’ DES IFOR’AS.

A gauche, un dôme archéen. — L’homme en sentinelle indique l’échelle.

Cliché Posth

2. — GRANITE PORPHYROÏDE A IFÉROUANE (Aïr).

A droite, auprès de la case du kébir, El Hadj Mohammed, des charges de chameau.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. II.

Cliché Pasquier

3. — ADR’AR’ DES IFOR’AS. TERRAIN ARCHÉEN.

Méharistes soudanais et sahariens à Timiaouin (28-30 avril 1907).

Cliché Chudeau

4. — ADR’AR’ DES IFOR’AS. LE PLI COUCHÉ DE L’OUED TESAMAK.

Au premier plan, quartzites cannelées.

Archéen. — Des massifs de granite et de gneiss granitoïde qui se présentent par grandes masses, couvrent des districts parfois accidentés de dômes hauts de 50 à 300 mètres. Ces dômes correspondent aux parties de la roche qui ont le mieux résisté aux agents[3] d’érosion et ne présentent aucun alignement net ; il n’y a pas de directions privilégiées dans ces massifs. Ce n’est certainement pas le lieu de discuter ici la genèse de ces formations granitiques dont l’origine, dans les pays les mieux connus, est encore obscure ; on peut les désigner, provisoirement tout au moins, sous le nom d’Archéen[4], en restreignant ce terme aux seuls noyaux granitiques et en excluant formellement les micaschistes et les roches analogues.

Les terrains archéens forment quelques affleurements importants : El Eglab, à l’ouest du Touat, a été vu par Lenz et plus récemment par Mussel ; le volcan d’In Zize repose sur un socle de granite. L’Adr’ar’ des Ifor’as, les contreforts sud-ouest de la Coudia appartiennent en partie à la même formation. Vers l’est, du moins entre l’Ahaggar et l’Aïr, l’Archéen ne joue plus qu’un rôle subordonné et ne forme plus que des îlots peu étendus. Le sergent Lacombe a envoyé tout récemment au Muséum, des environs de Fachi (région de Bilma), des granites qui montrent que la pénéplaine ancienne, parfois recouverte par des sédiments récents, se continue vers le Tibesti. Dans la carte géologique, je n’ai pu marquer que peu d’Archéen en dehors de ma route : les descriptions d’itinéraire, quelque précises qu’elles soient à d’autres points de vue, ne permettent que bien rarement de pouvoir séparer l’Archéen du Silurien métamorphique.

Fig. 1. — Blocs de granite porphyroïde près du cimetière d’Iférouane (Aïr).

Fig. 2. — Archéen. Massif granitique sur la rive gauche de l’oued Tyout (nord de l’Aïr).

[4]Quel que soit le pays où on les rencontre, les régions granitiques ont partout le même aspect (fig. 1 et 2) : elles sont semées d’énormes blocs arrondis, souvent entassés en grand nombre : c’est ce qu’on appelle en France des « Chaos » et au Sahara des « Erouakib » (Nieger). (Pl. I, phot. 1 et 2). La présence des dômes y est aussi fréquente (Pl. IV, phot. 8).

On a souvent observé, en Bretagne par exemple, que ces paysages granitiques font une impression de hautes montagnes, fût-ce au niveau de la mer ; l’illusion est peut-être encore plus forte au Sahara : en France il y a presque toujours un peu de terre entre les blocs et la végétation masque partiellement la roche ; au désert tout cela est à nu, les points de repère font défaut qui permettraient d’estimer les distances ; le mirage, presque journalier, surélève le moindre objet ; aussi, quoique partout les massifs archéens forment des mamelons bas et diffus dont les points culminants se dégagent à peine, la plupart sont appelés des Adr’ar’, comme s’ils étaient de véritables montagnes.

Silurien. — Entre ces massifs archéens, des terrains dont l’origine sédimentaire ne peut être contestée sont constitués par des strates le plus souvent verticales, bien parallèles, épaisses de quelques mètres, parfois de quelques décimètres.

On y trouve, en bandes alternantes et indéfiniment récurrentes, des gneiss, des micaschistes, des phyllades, plus rarement des quartzites, des cipolins et parfois des poudingues. J’ai observé à plusieurs reprises, dans les quartzites, des ripple-marks et des traces d’annélides (des tubes plus ou moins en U), notamment dans l’Adr’ar’ Ahnet et au sud de l’Aïr, près de Bidei. Toutes ces assises sont injectées de nombreuses roches éruptives.

Cet ensemble, qui joue un rôle très considérable au Sahara, m’a paru bien homogène ; tout au plus peut-on remarquer que, vers le nord, dans le Bled El Mass et l’Adr’ar’ Ahnet, le caractère cristallin est moins accentué que dans la majeure partie du désert ; autour des massifs archéens, les cipolins et les quartzites, rares ailleurs, deviennent abondants : les récifs à polypiers et les grès, forme première des cipolins et des quartzites, ne prennent naissance qu’à peu de distance des rivages et la distribution de ces sédiments est probablement une preuve que l’Archéen formait déjà un continent ou des îlots lors de leurs dépôts ; il y aurait discordance entre les deux terrains.

Malgré ces différences de détail, il est impossible, pour le moment, d’établir une coupure dans cet ensemble que l’on peut désigner provisoirement[5] sous le nom de Silurien, tout en admettant qu’il y aura lieu sans doute, lorsqu’il sera mieux connu, de distinguer à la base un étage précambrien. Cette distinction serait actuellement prématurée.

Le fait que, en bien des points du tassili du nord, l’Éodévonien repose en discordance sur les strates siluriennes redressées et arasées, indique une lacune entre les deux formations ; au Bled El Mass notamment le Silurien formait une pénéplaine avant le dépôt du Dévonien ; dans l’oued Amdja, la table d’Adafar repose aussi sur des schistes cristallins complètement nivelés ; les relations stratigraphiques sont analogues (fig. 15) dans les tassili du sud (Timissao, oued Tagrira).

Il faut donc admettre que, pendant le Silurien supérieur, la mer où se sont déposées les couches à Graptolithes, n’existait qu’au nord du tassili, et que, dans la majeure partie du Sahara, le Silurien n’est représenté que par ses termes inférieurs.

Dans une note récente[5], à propos des terrains que Voinot a observés entre le Mouidir et l’Anahef, Flamand, qui a eu tous les échantillons entre les mains, rapporte tout ce massif au Cristallophyllien que, en aucun point, ne viendraient pas interrompre des dépôts paléozoïques. Les descriptions si claires de Voinot, celles un peu plus anciennes de Guilho Lohan, ne permettent pas de douter de l’identité des formations géologiques, à l’est et à l’ouest de la Coudia ; Foureau a signalé les mêmes terrains dans le sud-est de l’Anahef. Je ne crois pas que le mot Cristallophyllien puisse être conservé autrement que pour désigner des terrains sédimentaires, d’âge très variable, modifiés par métamorphisme. C’est un terme qui ne nous renseigne que sur l’aspect pétrographique d’un échantillon et qu’il n’y a avantage à conserver que lorsque l’âge est complètement indéterminé. Au Sahara il est possible de préciser davantage : le Cristallophyllien y est antérieur au Dévonien ; il est donc certainement d’âge paléozoïque.

Le Silurien, bien que formé de roches très métamorphiques et le plus souvent aussi cristallines que des granites, donne naissance à des régions qui se distinguent au premier coup d’œil des régions archéennes : formé de bandes de duretés différentes et naturellement parallèles comme il convient à des roches sédimentaires, il donne naissance à une série de crêtes et de collines dont la direction est celle même des assises, le plus souvent nord-sud ; cette direction subméridienne dont Flamand a signalé l’importance au Tidikelt, est[6] de beaucoup la plus fréquente au Sahara et semble dominer dans toute l’Afrique. Les crêtes les plus élevées, qui dominent souvent de plus de cent mètres la pénéplaine voisine, sont formées habituellement de quartzites, la roche la plus dure et la moins altérable de la série (fig. 3).

La direction des affleurements et par suite celle des rangées de collines est en général déviée autour des noyaux archéens : au S. d’In Zize elle est est-ouest ; dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, l’Adr’ar’ Tidjem dessine une cuvette synclinale très nette ; la même disposition se retrouve entre Tit et Abalessa. Cette allure particulière des plissements est peut-être encore une preuve d’une discordance entre les deux terrains, et, quoiqu’il soit possible de l’interpréter autrement, il convient de la rapprocher de l’abondance relative des cipolins et des quartzites autour des massifs granitiques.

Les plissements qui ont redressé les couches siluriennes ont été fort énergiques et reproduisent les traits que l’on est accoutumé à observer dans les régions montagneuses. Dans le nord de l’Adr’ar’ des Ifor’as, une colline qui domine la rive gauche de l’oued Tesamak montre sur son flanc oriental des bancs de quartzites presque verticaux, et dont la surface couverte de cannelures (Pl. II, phot. 4) porte des traces incontestables de charriage ; au sommet de la colline les mêmes quartzites sont horizontales et un peu plus à l’ouest on en trouve des lambeaux épars reposant sur l’Archéèn. Nous aurions donc la racine d’un pli couché et déversé vers l’ouest.

Fig. 3. — Crêtes siluriennes (quartzites) à direction subméridienne. Rive droite de l’oued Takaraft (nord de l’Aïr).

La colline qui présente ce phénomène est l’extrémité nord d’une série de crêtes orientées suivant le méridien et dont la principale (Raz Taoundart) est un des points les plus élevés de l’Adr’ar’ ; toutes ces crêtes sont des quartzites et jalonnent un contact entre l’Archéen et le Silurien. Je n’ai malheureusement pu les voir de près que dans l’oued Tesamak.

Le contact du Silurien et du massif éruptif de l’Adr’ar’ Igherran, près de Timiaouin, est aussi anormal ; il y a des traces de charriage.

J’ai pu noter en outre dans la vallée de l’oued Aflisés, au voisinage[7] de l’Adr’ar’ Denat, entre In Ouzel et Tin Zaouaten, un pli couché que j’ai pu suivre pendant six à sept kilomètres.

Il ne saurait être question, au cours d’une marche rapide comme celle que l’on est obligé de faire au Sahara, et surtout en l’absence de cartes topographiques détaillées, de chercher à débrouiller des accidents tectoniques aussi compliqués ; la chose serait sans intérêt pour le moment.

Il est bon toutefois de remarquer que le régime tabulaire qui, l’Atlas mis à part, semble être la règle en Afrique, n’y a pas toujours dominé, et que des plissements très nets ont autrefois donné naissance à une véritable chaîne de montagnes, en bordure du massif archéen africano-brésilien.

Ces schistes cristallins ont une grande extension dans le Sahara central et la carte (hors texte) montrera que, à part une courte interruption causée par les tassili du sud, le Silurien forme la majeure partie des terrains qui, depuis le Mouidir et l’Ahnet, s’étendent jusqu’à 17° de latitude.

Ils sont également bien développés dans le Rio de Oro, entre l’Atlantique et la sebkha d’Idjil (fig. 4).

Fig. 4. — Coupe géologique du Rio de Oro, de Villa Cisneros à la sebkha d’Idjil (370 km.). — D’après Quiroga, Revista de Geografia comercial, 15 déc. 1886, p. 77.

1, Granite formant des pénéplaines avec dômes de 40 m. à 50 m. ; 2, Gneiss, plaine à peine accidentée ; 3, Schistes cristallins (Micaschistes, amphibolites et granulites) ; 4, Paléozoïque (Quartzites, Schistes et Calcaires) ; 5, Tertiaire (en partie Miocène, d’après Font y Sagué) ; 6, Quaternaire (100 m.) (Calcaires argileux et grès à Hélix ; F, faille).

Dévonien. — On a décrit en détail, dans le Sahara Algérien, les plateaux de grès dévoniens qui constituent l’Ahnet et le Mouidir (I, p. 292-298). De nombreux fossiles y ont été rencontrés et leur âge est rigoureusement fixé.

Au sud de la Coudia, des plateaux très comparables, encore assez mal connus sauf en quelques points, commencent un peu à l’est d’In Azaoua et s’étendent vers l’ouest jusqu’au nord de Tombouctou.

Dans la région de Timissao (tassili Tan Adr’ar’), ils sont constitués par des grès de couleur claire à patine foncée, que l’érosion a souvent découpés en colonnes et en obélisques (Pl. III) ; leur puissance est[8] d’une centaine de mètres, beaucoup moindre que dans l’Ahnet où l’Éodévonien a 300 mètres d’épaisseur. De plus le niveau argileux qui, intercalé au milieu des grès joue un rôle assez considérable dans le plateau du Nord, n’a ici aucun représentant, sauf peut-être à l’oued El R’essour. Quelques Bilobites à l’entrée de la gorge de Timissao et d’autres beaucoup plus à l’est, près d’Assiou (Foureau), sont des documents paléontologiques un peu maigres pour affirmer l’âge dévonien de toute cette formation ; ils confirment cependant l’impression que donne l’identité d’aspect avec les grès de l’Ahnet. De plus, au cours de la tournée à Taoudenni qui a suivi longtemps la bordure nord de ces plateaux, Mussel[6] a trouvé à Bekati El Bess, près de Sounfat, quelques fossiles (Productus, Rhynchonella, Spirifer) que Flamand considère comme dévoniens. L’âge de ces grès peut donc être considéré comme assez bien établi.

Fig. 5. — Gours dévoniens, dans le Tiniri, au sud d’In Azaoua.

Ces tassili forment une longue bande, limitée vers le nord par une falaise ; elle est interrompue et découpée en plusieurs plateaux (Timissao-Tirek-In Ameggui-Tin Ghaor) autour de l’Adr’ar’ des Ifor’as qui, grâce à son altitude élevée (1000 mètres) a été un centre hydrographique important : l’érosion fluviale explique la formation des témoins que nous venons d’indiquer.

La bordure méridionale de ce très long plateau est encore mal connue : dans la région d’In Azaoua, il n’y a pas de falaise continue, mais une série de gours isolés (fig. 5). Foureau [Doc. Sc., I, 191, et Cartes, Pl. III] a figuré des paysages identiques dans le Tagharba, au nord d’In Azaoua. De Timiaouin jusqu’au Timetrin, le capitaine Cauvin me signale une série de plateaux gréseux qui, vers le Nord, vont rejoindre ceux qu’a vus le colonel Laperrine.

Les grès dévoniens qui constituent ces plateaux sont horizontaux dans l’ensemble, avec quelques dérangements locaux, comme dans le tassili du nord dont ils reproduisent l’allure stratigraphique.

[9]L’un des plus nets se trouve à une journée de marche au sud de Timissao : deux failles parallèles, orientées presque exactement est-ouest et distantes d’un kilomètre à peine, ont surélevé un lambeau de Silurien, dont le sommet a été porté à hauteur du tassili. Ce Silurien est surmonté de quelques aiguilles de grès bien visibles au sud des r’edir de Tin Azaoua, r’edir dont il est la condition.

C’est une dénivellation d’une cinquantaine de mètres au moins. L’oued Tichek a profité de ces failles pour creuser sa vallée et il a mis a nu de belles surfaces de grès dévoniens parfois polies comme un miroir, plus souvent cannelées ou striées. Sur le plateau, en amont de l’oued Tichek, la faille est bien jalonnée par une brèche de friction, large de quelques décimètres [Cf. Bull. S. Géol. de Fr., VII, 1907, p. 325].

Ces failles se prolongent à l’ouest de l’oued En Nefis où l’on voit une gara dévonienne portée par un socle silurien en saillie notable.

Le tassili de Timissao est limité presque partout par une falaise à pic formée de couches horizontales ; cependant au point où la piste de Tin Azaoua à Silet descend du plateau, pendant une centaine de mètres, le Dévonien plonge de 45° vers l’ouest : grâce à ce petit accident la descente de la falaise est singulièrement facilitée ; presque partout ailleurs elle forme une haute muraille infranchissable qu’il faut contourner ; les petits oueds qui en descendent l’ont à peine entaillée et leurs rives ne sont pas praticables ; le petit lac de Tamada, situé dans l’un d’eux, est d’un abord difficile pour les chameaux.

Dans le tassili de l’oued Tagrira, les failles et les diaclases sont particulièrement abondantes et ce plateau est une véritable chebka ; il y a eu aussi bossellement de la surface, et l’aguelman de l’oued El R’essour occupe le centre d’une cuvette synclinale ; les plongements ne dépassent pas d’ailleurs quelques degrés.

On retrouve les mêmes caractères tectoniques dans les tassili du nord.

Vers l’est, d’après les indications de Nachtigal [Sahara et Soudan, p. 283], le Dévonien du tassili des Azdjer se prolongerait jusqu’au Tibesti et au Kaouar.

Le commandant Gadel[7] donne quelques détails sur le plateau qui, à quelque distance à l’est, domine d’une centaine de mètres l’oasis de Bilma (Kaouar). La muraille qui la limite serait formée de grès et de schistes ; entre les blocs éboulés se trouvent de nombreuses cavernes qui, en cas d’alerte, servent de refuge aux habitants de l’oasis.

[10]Ces renseignements ne permettent sûrement pas d’affirmer que l’on a bien affaire à du Dévonien ; j’ai cependant maintenu l’indication du Dévonien sur la carte auprès de Bilma, ne serait-ce que pour rappeler l’existence de ce plateau et les questions qu’il soulève. Parmi les échantillons que le sergent Lacombe a, tout récemment, envoyés au Muséum, quelques grès blancs à ciment siliceux, provenant des hauteurs voisines de Fachi, rappellent, par leur aspect, les roches éodévoniennes.

Beaucoup plus à l’ouest le Dévonien est connu. Dans son exploration en Mauritanie, Dereims, d’après les renseignements oraux qu’il a bien voulu me donner, l’a rencontré dans l’Adr’ar’ Tmar dont l’oasis d’Atar occupe le centre. Ce Dévonien est fossilifère : Dereims y avait recueilli des Spirifères, que la fin malheureuse de l’expédition l’a empêché de rapporter en Europe. Il est constitué comme celui de Timissao par des grès légèrement ferrugineux ; les sections fraîches sont de couleur claire, rougeâtre, mais la roche en place est couverte d’une patine noire. Lorsque l’on vient de l’Ouest, on quitte les terrains quaternaires vers Touizikt, à 150 kilomètres du littoral atlantique. La marche se poursuit pendant 200 kilomètres sur des gneiss, des micaschistes, des phyllades, des quartzites et de rares cipolins, d’affleurements nord-sud. Ces assises siluriennes, lardées de diabases, d’abord presque verticales, n’ont plus qu’un plongement assez faible vers l’est, au pied de la muraille d’Atar ; elles forment une pénéplaine qui ne diffère que par sa moindre altitude et son ensablement du tanezrouft d’In Zize et qui se prolonge vers le nord au moins jusqu’au Rio de Oro.

La muraille d’Atar est une falaise, haute d’au moins 120 mètres et qui, du nord au sud, se poursuit sur une très grande longueur ; on la retrouve peut-être plus au sud, dans le Tagant ; elle est constituée par les grès dévoniens. Dereims y signale quelques bancs plus schisteux et plusieurs niveaux calcaires.

Cette haute falaise franchie, on arrive sur un plateau formé de couches légèrement inclinées vers l’est, d’une quinzaine de degrés. Au point le plus bas se trouve l’oasis d’Atar. Un peu plus loin, une seconde falaise, due sans doute à une faille, délimite à l’ouest un second plateau sur lequel se dresse l’oasis de Chingueti.

Cette région d’Atar est bien encore une région tabulaire ; les plissements hercyniens ne s’y sont pas fait sentir.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. III.

Cliché Laperrine

5. — GRÈS DÉVONIENS A TIN GHAOR.

Cliché Laperrine

6. — GRÈS DÉVONIENS A TIN GHAOR.

Tassili du Sud.

Dans la région du Cap Blanc et dans le Rio de Oro, le Dévonien est inconnu ; le grès fondamental que Gruvel a signalé près de Port-Étienne,[11] est quaternaire ou pliocène ; d’autres grès sont miocènes (Font y Sagué). Il ne semble pas qu’il y en ait de plus anciens, près de l’Atlantique.

Carbonifère. — Entre l’Adr’ar’ Tmar et les tassili touaregs, il semble que le Dévonien fait défaut ; du moins entre Taoudenni et le Touat, le Carbonifère repose directement sur le Silurien.

Lenz avait signalé des calcaires paléozoïques dans la région de l’erg Chach. Au cours de la fructueuse tournée des méharistes à Taoudenni, Mussel a pu recueillir d’importants matériaux qui permettent de préciser les indications un peu trop vagues de Lenz.

Fig. 6. — Coupe schématique d’El Khenachiche à Taoudenni. — D’après Mussel, Renseignements coloniaux publiés par le Comité de l’Afrique Française, juin 1907, p. 151 et 152. Les altitudes sont mal connues.

1, Schistes cristallins et Quartzites ; 2, Calcaires gris fossilifères ; 3, Calcaires rosés non fossilifères (15 à 18 m.) ; 4, Calcaires bleuâtres ou violacés, fossilifères au sommet (13 m.) ; 5, Argiles gypsifères (Infracrétacé ?) ; 6, Grès rouges (Infracrétacé ?) ; 7, Conglomérats siliceux ; 8, Atterrissements quaternaires, sebkha.

D’El Eglab où elles s’appuient sur l’Archéen, jusqu’au voisinage de la falaise d’El Khenachiche, des couches très plissées, que Mussel rapproche des assises siluriennes du Bled El Mass (au nord de l’Ahnet), forment partout le sous-sol ; dans l’Aoukarr qui est une véritable chebka, ces schistes cristallins et ces quartzites ne sont guère recouverts que par des dunes ou des atterrissements récents. Mais plus au sud ils sont surmontés d’un plateau calcaire, de structure tabulaire, la hammada El Haricha (fig. 6). Ces couches presque horizontales débutent par des calcaires gris de puissance mal déterminée, parfois légèrement gréseux et contenant Productus semi-reticulatus Mart, Pr. aff. Flemingi Sow., Spirifer aff. cuspidatus Mart. Au-dessus, 15 à 18 mètres de calcaires, verts et 10 mètres de calcaires violets n’ont fourni aucun fossile. Ces couches stériles sont surmontées de 3 mètres de calcaires violacés que termine parfois un niveau siliceux (0,60). Flamand y signale les formes suivantes :

[12]Productus aff. africanus Stoch.

Lithostrotion irregulare Ph.

L. »  Martini. M. Edw. et Haime.

C’est donc incontestablement du Carbonifère ; mais le nombre des fossiles est trop restreint, leur état de conservation trop médiocre pour qu’il soit possible de préciser davantage le niveau.

En tout cas, il importe de bien mettre en évidence que la hammada El Haricha repose directement sur les schistes siluriens et que rien ne semble représenter le Dévonien ; cette transgression du Carbonifère, qui manque dans la majeure partie du Sahara soudanais, est un fait important.

Les calcaires d’El Biar et de Taoudenni supportent, en discordance, quelques zones gréseuses (Crétacé inférieur ?) ; ils forment un dôme anticlinal peu marqué : du côté de Taoudenni les couches plongent de 5° vers l’ouest ; le pendage ne dépasse pas 10° vers le sud-est, entre El Biar et El Khenachiche.

Extension des terrains anciens vers le sud. — A hauteur du 17° de latitude nord, ces formations primaires disparaissent sous des sédiments beaucoup plus récents, horizontaux, du Crétacé et du Tertiaire (fig. 68). Cette interruption est de courte durée.

Elles réapparaissent sur le Niger à Tosaye, d’où le capitaine Aymard, d’après les renseignements inédits qu’il a bien voulu me communiquer, a pu les suivre vers le Sud jusqu’à la mare de Doro ; Aymard mentionne, le long de l’itinéraire, des lignes de collines, de gneiss ou de schistes, émergeant du sable et note à chaque instant la présence de quartz ; les cipolins et les serpentines que l’on exploite près de Hombori, à Dakoa, pour la confection des bracelets, ne diffèrent pas des roches siluriennes qui, dans tout le Sahara, sont employées au même usage ; Desplagnes [Le Plateau Central Nigérien, Pl. XIV] figure une exploitation semblable à Belia.

La continuité de cette arête silurienne entre Tosaye et Hombori n’est donc pas douteuse.

On retrouve avec une grande netteté, entre Ansongo et Say, le Silurien dans le lit du Niger, où il est la cause de nombreux rapides. Comme partout ailleurs, ce Silurien est injecté de nombreuses roches éruptives.

Plus à l’ouest, Desplagnes a recueilli des quartzites auprès de Sumpi ; il a rapporté, de la région du Faguibine, des arkoses qui prouvent la proximité de roches feldspathiques et font pressentir que les roches cristallines sont à peu de distance. La carte de Lenz[13] [Petermann’s Mitt., 1882, I] indique le Silurien à mi-chemin entre Taoudenni et le Niger.

A l’est enfin, le massif de Zinder est en partie constitué par des bancs verticaux de quartzites et de micaschistes, à affleurement subméridien, qui appartiennent au même ensemble.

Au sud de ces régions du nord du Soudan, où les roches anciennes ne se montrent que dans d’étroites boutonnières, l’Archéen et le Silurien reprennent un rôle considérable. Desplagnes[8] mentionne, au sud de Bammako, dans la région aurifère des sources du Bakoy, des micaschistes et des schistes cristallins ainsi que des diabases.

Fig. 7. — Profil de Tobré à Boubon.

q, Quaternaire ; 3, Grès du Niger ; 2, Grès du Gourma ; 1, Quartzites siluriennes ; M, Micaschistes ; γ, Gneiss granitoïdes.

(D’après Hubert, La Géographie, XVII, 1908, Pl. 4.)

Chautard[9] signale, sous des grès horizontaux, des terrains sédimentaires plissés, très métamorphiques (quartzites et schistes amphiboliques) en Guinée et dans le Fouta Djalon ; des roches éruptives, des diabases surtout, les accompagnent. Quelques régions, comme le massif de Dinguiraye, sont constituées par des granites qui se présentent le plus souvent sous forme de dômes ou d’affleurements lenticulaires au milieu des sables. Chevalier[10] indique des formations semblables à la Côte d’Ivoire. Dans le gros travail qu’il vient de consacrer au Dahomey, Hubert[11] a décrit des formations bien analogues : « le village de Tchetti (un peu au sud du 8° de latitude nord) est au milieu d’un groupe de dômes sans orientation générale précise et dont les cinq plus importants ont une hauteur de commandement variant de 40 à 100 mètres. Ils sont constitués par un granit à grain assez fin. De Tchetti à Bassila (vers le 9° de latitude) et même au delà, on trouve, abondamment répartis dans tout le pays, des dômes isolés, analogues comme aspect à ceux déjà signalés » (p. 308).[14] Hubert rapporte provisoirement au Silurien un important massif de quartzites que, à travers le Togo, on peut suivre, sur 800 kilomètres, depuis Akkra (Gold Coast) jusqu’au Niger, où leur présence a conditionné la formation d’un double coude, le W, en aval de Say. Il me semble cependant difficile d’admettre la nomenclature de Hubert : la dépendance étroite de ces quartzites de l’Atacora, très métamorphisées et riches en minéraux de fumerolles, et des schistes cristallins en concordance avec eux, est signalée à plusieurs reprises : en l’absence de fossiles, rien ne justifie donc, au point de vue stratigraphique, la séparation de ces deux roches ; la réunion du granite et du gneiss fondamental, dont l’origine est douteuse, avec les gneiss et les micaschistes certainement sédimentaires est bien contestable. Malgré ces divergences dans la nomenclature, il est aisé de reconnaître les grandes analogies que présentent les terrains cristallins du Dahomey avec ceux du Sahara. On trouvera dans Hubert d’assez nombreux détails sur les régions voisines de celle qu’il a étudiée, et sur la bibliographie.

Fig. 8. — Coupe schématique N.-S. vers 16° 30′ de Long. E., de Fort de Possel à Boli.

(Par Courtet.)

Fig. 9. — Les Grès du Gourma à Tambarga.

(D’après Hubert, Thèse, Pl. VIII, p. 160.)

Au sud du Tchad, Courtet[12] mentionne dans le pays de N’dellé notamment, de rares micaschistes et des quartzites abondantes, en couches verticales ; ces quartzites contiennent souvent du disthène qui leur donne une coloration bleue ; un peu plus au nord, les affleurements granitiques sont fréquents. De la région de Fort Crampel, déjà vue par la mission Chevalier, Bruel[13] a rapporté avec des granites, des gneiss, des micaschistes et des quartzites. La coupe inédite ci-jointe (fig. 8) que je dois à l’obligeance de Courtet, donnera une idée de la constitution géologique des terrains qui s’étendent de l’Oubangui à l’Ouadai ainsi que du peu d’importance des reliefs. — Barrat [Sur la Géologie du Congo Français, Annales des[15] Mines, VII, 1895] et Cornet [Les dislocations du bassin du Congo, Annales de la Soc. Géol. de Belgique, XXXII, 1904-1905] ont montré la grande extension de ces formations anciennes, vers le Sud.

Complétant l’analogie avec ce que l’on observe dans le Nord, des grès horizontaux, reposant en discordance sur les terrains cristallins, forment d’importantes séries de plateaux.

Fig. 10. — Grès de Hombori. Pic de Botha (20 km. N.-E. de Douentza).

(D’après Desplagnes, Le Plateau Nigérien, p. 8.)

Un premier groupe, qui semble très homogène, s’étend du Gourma jusqu’à Hombori et Bandiagara, en passant par le nord de la Gold Coast. Les grès qui les forment sont à ciment siliceux, souvent recouverts d’une patine foncée ; leur puissance peut atteindre 500 à 600 mètres. Bien qu’horizontaux dans l’ensemble, ils ont subi quelques accidents tectoniques et sont parfois, localement, presque verticaux. L’érosion les a profondément découpés et Barth a dès longtemps figuré quelques-uns des aspects les plus pittoresques qu’ils présentent ; les croquis ci-joints (fig. 9, 10 et 11), empruntés à Desplagnes et à Hubert, donnent une idée de leur allure, en même temps qu’ils préciseront l’identité des paysages dans le Gourma et le Hombori.

Dans le bassin du Chari, Lœffler, Bruel et Courtet[14] ont rencontré[16] des grès turriformes en général horizontaux, à peine métamorphiques et qui semblent bien analogues à ceux du Gourma et de Bandiagara.

La coupe ci-jointe (fig. 12) que Courtet a relevée aux environs de N’dellé, et qu’il a bien voulu me communiquer, précise assez bien leur allure. Les parties basses du pays forment une pénéplaine où l’on trouve des granites et des gneiss glanduleux, dessinant une chaîne de mamelons peu élevés, nord-ouest sud-est ; sur l’un d’entre eux est établi le fort français ; puis viennent des quartzites souvent micacées passant parfois aux micaschistes. Ces quartzites sont presque verticales ; elles semblent appartenir à un pli en éventail.

Fig. 11. — Mont Tombori, près Douentza.

(D’après Desplagnes, p. 6.)

Elles supportent en discordance des grès horizontaux, puissants d’une soixantaine de mètres. Ces grès de couleur claire, jaunâtres, ou rougeâtres, sont à grain extrêmement variable ; ils sont d’ordinaire à grain fin, mais ils passent souvent à de véritables poudingues contenant des galets de quartzite de 20 centimètres de long. Vers la base de ces grès, Courtet a noté un banc d’argile puissant de 0 m. 15 ; les conditions qui ont présidé à la formation de ces assises ont donc été très variables. Le plateau auquel ils donnent naissance, et qui porte la ville de N’dellé, est fréquemment couvert de formations ferrugineuses d’origine continentale et qui sont si communes à cette latitude.

Ces grès s’étendent très loin vers le Sud et, le long de la rivière Kotto, on peut les suivre pendant 400 kilomètres du Nord au Sud jusqu’à l’Oubangui. Leur limite orientale est inconnue.

Fig. 12. — Coupe près de N’Dellé, vers 8° 30′ Lat, 18° 20′ Long., par Courtet.

5, Alluvions actuelles ; 4, Grès ferrugineux superficiels (latérite) ; 3, Grès horizontaux et Poudingues ; 2, Quartzites redressées, en éventail ; 1, Granite et Gneiss.

Bien que les détails précis fassent encore défaut, il est à peu près certain que des grès semblables se rencontrent en d’autres points[17] du bassin du Chari ; le capitaine Lœffler décrit en particulier [l. c., p. 240] la région rocheuse de Bouar, dans la haute Sanga (vers 13° longitude est, 6° latitude nord), comme formée d’énormes amas de rochers qui forment de multiples cavernes, refuge à peu près inviolable des populations du pays. Des cavernes semblables existent dans tous les grès anciens du Soudan ; il y en a à N’dellé, à Bilma et dans le Hombori. Cette indication ne suffirait certainement pas à affirmer l’identité des deux formations, mais Courtet a pu causer avec le capitaine Lœffler, et les éclaircissements complémentaires qu’il a ainsi obtenus lui paraissent amplement justifier le rapprochement qu’il m’a indiqué.

Dans l’Ennedi, des grès, curieusement découpés, affectant aussi un faciès ruiniforme, ont été vus récemment par le Cte Bordeaux[15] ; leur coloration va du blanc au noir, en passant par toute la gamme des bleus, des rouges et des violets. Les détails donnés ne permettent cependant pas d’affirmer qu’ils appartiennent au même groupe.

Il est assez difficile pour le moment d’attribuer un âge à ces grès ; les plissements qu’ils ont subis par place, permettent de croire qu’ils sont anciens. On les a souvent classés dans le Trias par analogie avec une formation semblable, mais bien éloignée, celle du Karoo dans l’Afrique australe. Il vaudrait mieux, ce semble, les rapprocher des grès des tassili du Sahara dont ils reproduisent l’allure tectonique. La distance qui sépare, géographiquement, les grès dévoniens de Timissao et de l’oued Tagrira, des plateaux du Gourma et de Bandiagara, est encore bien considérable, même si l’on attribue au Dévonien la bande de grès, plongeant de 45° vers le sud, que Gautier a vue au sud de l’Adr’ar’ des Ifor’as entre les terrains cristallins et le Crétacé, les grès horizontaux injectés de filons de quartz qui reposent sur le Silurien à Tosaye, et les schistes, interstratifiés de grès, que j’ai signalés dans le lit du Niger, à Labezzanga, où ils dessinent un synclinal à axe est-ouest.

Les analogies d’aspect et cette demi-continuité géographique ne permettent guère, cependant, d’affirmer l’âge dévonien des grès horizontaux anciens du Soudan. Les indices paléontologiques, les seuls valables, sont encore bien rares : ils se réduisent, je crois, à une affirmation unique ; le Dr Boussenot[16] signale, dans la région de Dori, une empreinte de trilobite dans les strates gréseuses, et parle de Dévonien. Cette affirmation aurait besoin d’être précisée, mais en[18] tout cas elle est précieuse parce qu’elle prouve que, au moins par place, les grès du Gourma sont fossilifères.

D’autres grès ont été signalés dans la région de Goundam ; ils semblent se relier à ceux de Bammako et de Guinée et sont probablement beaucoup plus jeunes que ceux dont il vient d’être question ; nous aurons à revenir plus tard (chap. II) sur ce point.

Rebroussement des plis. — Il a déjà été indiqué à propos du Silurien que, dans la majeure partie du Sahara, les affleurements étaient orientés nord-sud, et cette direction sub-méridienne paraît jouer en Afrique un rôle considérable : la mer Rouge et le long chapelet des lacs de l’Afrique orientale sont dus à des cassures de même orientation. Remarquons cependant que l’Atacora[17], la bande de Tosaye, et les schistes du Bakoy affleurent suivant des lignes dirigées à peu près nord-est, sud-ouest. Au nord de l’Atacora, Hubert fait observer que les axes des plis font un angle de plus en plus ouvert avec le méridien. Ceci est exact et dans certains cas même, comme à Labbezzanga, la direction est franchement est-ouest ; il y a donc trace d’un rebroussement des plis, qui coïncide justement avec la zone, parallèle à l’équateur, que devaient envahir beaucoup plus tard les mers du Crétacé supérieur et du Tertiaire. Encore une question que l’imperfection de nos connaissances ne permet pas d’approfondir (V. fig. 68, p. 225).

II. — LES RÉGIONS

Si nous revenons maintenant au Sahara, les deux formations cristallines qui y dominent, Archéen et Silurien, ont un défaut grave, particulièrement au désert : elles sont imperméables ; l’eau des rares orages qui éclatent au Sahara ne peut que ruisseler à leur surface où le soleil a tôt fait de l’évaporer. Elles correspondent donc en général à des régions particulièrement désolées et stériles, les tiniri et les tanezrouft que les caravanes traversent à marche forcée ; l’eau y manque d’une façon absolue, et il est de toute nécessité de gagner rapidement les points où des roches perméables (grès dévonien des tassili, roches volcaniques d’In Zize) ont permis à l’eau de s’accumuler à l’abri de l’évaporation. Dans les tanezrouft ce n’est que de[19] loin en loin et accidentellement, à la suite d’un orage, que l’on trouve de maigres pâturages ; il faut souvent, pour les traverser, emporter des fourrages pour les chameaux et le peu de bois que nécessite la cuisine sommaire du Sahara.

Heureusement que ce n’est pas impunément qu’un pays est aussi vieux ; la pénéplaine du Sahara central est antérieure au Dévonien ; elle a dû subir le contre-coup des mouvements hercyniens, bien qu’il soit difficile, dans l’état encore si lacunaire de nos connaissances, de dire ce qui, dans la structure actuelle, revient aux mouvements de la fin du Primaire.

Fig. 13. — Croquis hypsométrique de l’Afrique septentrionale et centrale.

A coup sûr l’important effort orogénique qui, en Europe, achevait la construction des Alpes, s’est fait sentir jusque dans l’Afrique centrale ; il en est résulté un rajeunissement du relief dont les effets sont encore bien visibles. Certains compartiments ont été surélevés et par les cassures qui résultaient de ces mouvements, pénétraient de nombreuses roches éruptives : ces volcans en même temps qu’ils augmentaient le relief, favorable à la pluie, accroissaient le manteau de roches perméables et permettaient la mise en réserve d’une plus grande quantité d’eau.

Trois importants massifs surtout, d’altitude élevée, forment ainsi au Sahara des districts moins stériles ; au centre, l’Ahaggar doit à ses montagnes, dont quelques-unes dépassent certainement 2000 mètres, de recevoir accidentellement des pluies en toutes saisons. L’Adr’ar’[20] des Ifor’as (1000 m.) et l’Aïr (1700 m.) sont aux confins de la zone des pluies tropicales ; leur relief est assez élevé pour que quelques tornades y éclatent régulièrement chaque année pendant l’hivernage.

Dans la pénéplaine cristalline, qui forme le Sahara central, les régions naturelles, dont la définition doit tenir grand compte des conditions d’habitabilité humaine, seront donc caractérisées par leur altitude, plutôt que par la nature lithologique ou géologique de leur sol.

Les Tanezrouft.

Les Tanezrouft. — Les hautes régions mises à part, tout le reste du Sahara Central est d’une sécheresse extrême et rentre dans cette catégorie de régions que les Touaregs appellent des Tanezrouft. Leur langue, le Tamahek, semble avoir une nomenclature géographique très riche, richesse nécessaire d’ailleurs puisque la connaissance exacte et précise de grandes étendues de pays est pour les nomades, quelle que soit leur langue, qui habitent ces régions déshéritées une question vitale ; cette nomenclature parait basée sur deux ordres de considérations ; les unes, topographiques, permettent de désigner clairement, par un seul mot, un accident de terrain ; aucun terme, par exemple, ne peut traduire montagne ou colline dans leur sens général ; le dictionnaire[18] de Motylinski énumère une quinzaine d’expressions, dont chacune s’applique à une sorte de hauteur caractérisée par sa forme, la nature de son sol, sa couleur, etc. ; en Mauritanie, il y a au moins une dizaine de mots pour désigner les différents aspects des dunes. Avec une nomenclature aussi étendue, il devient facile de décrire un itinéraire avec précision et de fournir tous les renseignements désirables.

Les autres expressions, plus utilitaires, se rapportent aux conditions de la vie habituelle aux nomades : toute une série de termes par exemple permettent de définir, d’un seul mot, la nature et la richesse d’un pâturage.

Tanez’rouft[19] rentre dans cette seconde catégorie ; c’est bien un nom commun ; Motylinski indique son pluriel, tinez’raft. Tanezrouft désigne, quelle que soit la structure de leur sol, les parties du Sahara vraiment stériles, celles où les caravanes ne rencontrent, pendant au moins trois ou quatre jours, ni eau ni pâturage ; c’est le désert au[21] sens le plus rigoureux du mot : le fond de chott desséché, la sebkha de l’oued Botha, qui isole le Tidikelt du Mouidir et de l’Ahnet, est un tanezrouft, qui avec les mêmes caractères se continue vers l’ouest (Azzelmati), probablement jusqu’au voisinage de Taoudenni.

Tiniri n’est pas un synonyme ; ce mot veut dire la plaine ; le tanezrouft d’In Azaoua est un tiniri parce que la marche des caravanes y est facile ; il n’y a aucun ravin à franchir, aucune falaise à escalader.

Ces parties stériles du Sahara, ces tanezrouft commencent à être assez bien délimités ; ils jouent un rôle insignifiant dans le Sahara algérien où la prédominance des ergs assure presque partout quelques pâturages ; dans le Sahara soudanais, au contraire, ils forment une bande ininterrompue qui, de l’est à l’ouest, s’étend sur une grande longueur au nord de la zone sahélienne (cf. fig. 58), et que l’on pourra sans doute suivre du voisinage de l’Atlantique jusqu’aux confins de l’Égypte ; cette bande est singulièrement large au sud de l’Ahaggar ; seules les inflexions qu’imposent, vers le nord, à la limite des pluies tropicales, l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’Aïr, en facilitent heureusement la traversée.

Fig. 14. — Zone inhabitée du Sahara central.

Cette bande aride, déserte et désolée n’est pas homogène et la structure de son sol paraît très variable ; le seul caractère constant des tanezrouft est un caractère climatique, l’absence ou, tout au moins, la très grande rareté et la très grande irrégularité des pluies, qui peuvent manquer complètement pendant de longues années.

Le tanezrouft de l’Ahnet est une pénéplaine silurienne, avec quelques massifs archéens ; on lui donne habituellement pour limite In Zize et Timissao (190 km.), mais en réalité, le parcours est très pénible, après quelques années de sécheresse, entre l’oued Amdja qui contient les derniers pâturages de l’Ahnet, et In Ouzel, le premier puits de l’Adr’ar’ des Ifor’as. C’est une traversée de 500 kilomètres, pendant laquelle on ne rencontre que quelques pâturages insignifiants. Le détachement du capitaine Dinaux a pu cependant effectuer ce voyage en onze étapes avec un convoi assez lourd, au milieu de[22] juin 1905, pendant le mois le plus chaud[20], à une époque où les caravanes touaregs ne le tentent jamais ; les pertes furent insignifiantes : sur 170 chameaux que comportait le détachement, deux seulement, fatigués au départ, succombèrent.

Vers l’ouest, le tanezrouft s’élargit : d’Ouallen à Tombouctou (21 étapes) la route directe est très dure et les points d’eau douteux[21] : Hassi Azenazen (4e étape) cesse d’avoir de l’eau sept ans après la pluie ; on ne peut guère compter sur les puits de Tin Diodin et de Tin Daksen (7e et 8e étapes), qui sont à sec au bout de deux ou trois ans ; le dixième jour seulement, on arrive à un puits permanent (Hassi Achourat), situé à la limite nord des tassili méridionaux. Ce tanezrouft, à la limite méridionale duquel abondent des atterrissements quaternaires riches en Melanies (?), n’est probablement, d’après les renseignements indigènes, que la continuation d’Azz el matti. Ce serait une région sans relief où dominent les sebkhas quaternaires coupées de quelques bras d’ergs.

Ces renseignements sont assez vraisemblables : entre In Zize et Timissao, le reg qui correspond aux vallées des oueds Takouiat et Seheb El Arneb, a une cinquantaine de kilomètres de largeur ; un peu plus à l’ouest, ce reg s’élargit encore et s’étend presque d’In Zize jusqu’à hauteur de Timissao ; un pareil épanouissement des vallées, et la réunion de leurs alluvions en un tout continu, semble bien indiquer que l’on est tout à fait au voisinage des embouchures des fleuves qui descendaient naguère d’In Zize et de l’Ahaggar. Le tanezrouft d’Ouallen serait le fond du lac ou du marais où ils se déversaient autrefois.

De Taoudenni au Touat[22], le rapport du colonel Laperrine indique fort peu de pâturages malgré l’abondance des dunes ; il n’y a que trois puits sérieux pour 550 kilomètres. Encore l’eau de l’un d’eux, Tin Haïa, est-elle toxique.

Mais pour la partie nord de cette route tout au moins, celle qui traverse l’erg Chache, il semble que les difficultés rencontrées tiennent à des causes accidentelles. Il n’y a que dix-huit jours de marche de caravane entre le Touat et Taoudenni, et cette piste a été autrefois très fréquentée par des marchands ; l’erg Chache était habité par des nomades, les Ouled Moulat, qui leur servaient de guides. A la suite de difficultés avec les Kountah et les Berabiche de[23] l’Azaouad, une harka, commandée par Abidin El Kounti, parvint à surprendre vers 1885, les campements de l’erg Chache. Les quelques survivants qui échappèrent à ce désastre se réfugièrent au Maroc ; depuis, il n’y a plus de guides connaissant le pays et c’est presque par hasard que le colonel Laperrine put en rencontrer un, assez sûr de la route pour le ramener directement à Adr’ar’ (Touat).

L’erg Chache doit encore contenir de beaux pâturages et les puits y sont probablement nombreux ; le pays est sillonné de pistes, mais en l’absence de guides, la reconnaissance du pays devient difficile et dangereuse ; elle nécessitera un grand effort.

La route que le capitaine Cauvin[23] a suivie entre Taoudenni et Tombouctou, est également des plus pénibles, au moins jusqu’à Araouan qui semble à la limite méridionale du tanezrouft : il y a 350 kilomètres entre Araouan et le puits d’Ounan, qui est parfois à sec ; il en reste 150 pour arriver aux salines, où l’on est certain de trouver de l’eau et des vivres. Pendant cette longue marche de 500 kilomètres, on ne trouve aucun bon pâturage.

A l’est de l’itinéraire Ahnet-In Ouzel, le tanezrouft, sur lequel empiètent les contreforts de l’Ahaggar, n’est pas trop large de Timissao à Silet ; les r’edir de Tin Azaoua, l’aguelman Tamada, récemment reconnu sur la lisière est du tassili de Timissao, rendent plus facile encore cette traversée ; le tassili de Tin Ghaor fournit aussi, par une route différente, assez d’eau pour une caravane peu nombreuse.

Au sud de l’Ahaggar, le tanezrouft s’élargit à nouveau et sa limite méridionale se place sur le 18° latitude, aux confins de l’Adr’ar’ Tiguerrit. Sa traversée de l’est à l’ouest est pénible : entre Tin Zaouaten (Adr’ar’ des Ifor’as) et Aguellal (Aïr) les renseignements indiquent une route de cinq étapes avec un seul point d’eau sérieux à In Guezza, que Duveyrier avait déjà signalé. D’après les indigènes qu’a pu interroger le capitaine Pasquier, « In Guezza est un puits, profond de 4 mètres, situé au pied d’une grande montagne ; la région où il se trouve est une région de montagnes élevées, isolées, rapprochées les unes des autres[24] ». Cette description, un peu vague, peut s’appliquer à une région de dômes volcaniques, comme l’Aïr, ou à une région de dômes archéens, comme il en existe tant au Sahara.

Adoptant l’opinion de Duveyrier, j’avais pensé que l’abondance de[24] l’eau à In Guezza était une preuve que l’oued Taffassasset, le plus important de la région, y passait, d’où le tracé indiqué pour ce fleuve sur la carte hypsométrique (carte hors texte). Des renseignements plus récents, recueillis par les officiers du poste d’Agadez, indiquent que, en aval d’In Azaoua, le Taffassasset se dirige directement vers le sud et vient passer tout contre l’Aïr, à la plaine de Talak, renommée dans tout le Sahara pour sa richesse en pâturages. Ce tracé, probablement plus correct, est indiqué sur la carte géologique (Pl. II).

L’indication qu’avait recueillie Villate[25], que l’oued Tin Zaouaten aboutissait à la plaine de Talak, est peut-être exacte ; c’est à tort qu’elle m’avait paru impossible dans une note antérieure.

Dans toute sa partie ouest, au moins jusqu’à l’Adr’ar’ Tiguérit, ce tanezrouft est en majeure partie une pénéplaine cristalline ; sur sa partie orientale les renseignements font défaut ; il semble cependant que le long de l’Aïr, les terrains crétacés et tertiaires remontent assez haut vers le nord : la plaine de Talak correspondrait peut-être à une fosse d’effondrement subméridienne, aujourd’hui partiellement comblée.

Le tanezrouft s’étend très loin vers l’est de l’Ahaggar ; la piste que nous avons suivie entre Tamanr’asset et Iférouane, piste sur laquelle Barth[26] avait déjà donné des renseignements très précis, contient des points d’eau nombreux et toujours sûrs (oued Zazir, oued Tagrira, In Azaoua[27], Zelim ou Tar’azi), mais le pays change complètement d’aspect à partir du tassili de l’oued El Guessour. Au lieu d’une pénéplaine moyennement accidentée, constituée par l’Archéen et le Silurien, tous deux imperméables, cette nouvelle partie du tanezrouft se montre formée de grès horizontaux d’âges divers, en majeure partie dévoniens autour d’In Azaoua, beaucoup plus jeunes probablement entre l’Aïr et Bilma.

La haute plaine que forment ces grès est très unie ; la marche y est facile et les Touaregs complètent la définition de cette partie du tanezrouft, en disant qu’elle est un Tiniri. Je n’en ai vu qu’un fragment restreint et les itinéraires de Barth, de von Bary et de Foureau sont, autour d’In Azaoua, trop voisins du mien pour permettre d’étendre sur des descriptions positives cette plaine jusqu’au Kaouar ;[25] mais les itinéraires par renseignements, la continuité qu’ils accusent avec la haute plaine du Tegama, le nom d’une des rivières, qui de l’Aïr se dirige vers Bilma (Kori de Ténéré), ne laissent guère douter que cette région soit constituée par des grès horizontaux ; Barth et de Bary ont d’ailleurs mentionné expressément, à la lisière orientale de l’Aïr, des plateaux gréseux dont quelques-uns sont recouverts de coulées volcaniques. A l’est de Bilma, le pays devient plus accidenté et il semble qu’une série de plateaux et de hauteurs préparent le Tibesti. Même un mamelon granitique, le mont Fosso, est signalé entre Fachi et Bilma, tout contre la première oasis.

Malgré la perméabilité du sol, peut-être vaut-il mieux dire à cause d’elle, les points d’eau y sont plus rares encore que dans le tanezrouft de l’ouest : l’eau ne reste pas à la surface et forme probablement une nappe profonde que l’outillage rudimentaire du pays ne permet pas d’atteindre ; on ne peut songer à attaquer avec des pioches de fer (l’acier est inconnu des Sahariens) que des roches très tendres ou des nappes d’alluvion.

Nulle part, dans ce tiniri, des accidents de relief ne viennent faciliter la recherche de l’eau. C’est un des déserts les plus abominables que l’on puisse rencontrer, un de ceux où il est le plus nécessaire d’emporter du bois et des fourrages. De l’oued Tiser’irin, où il y a une douzaine de talah (Acacia), jusqu’à In Azaoua, pendant au moins une centaine de kilomètres, il n’y a absolument aucune végétation : le sol est partout rigoureusement dénudé ; on ne voit que du sable et des grès.

Les routes qui, de l’Aïr, conduisent vers Bilma, sont aussi mauvaises. Celle qui part d’Agadez comporte, de Beurkot à Fachi, quatre grands jours de marche, de dix-huit à vingt heures chacun, pendant lesquels on ne trouve rien ; les routes d’Affassez et de Tafidet ne sont pas meilleures. Aussi n’est-ce que pendant l’hiver, que les Kel Oui vont chercher le sel du Kaouar ; leurs caravanes sont organisées longtemps à l’avance et, dès le mois d’octobre, on peut voir dans toutes les vallées de l’Aïr les bottes de foin, soigneusement faites, qui sont nécessaires pour effectuer, sans trop de risques, cette dangereuse traversée au bout de laquelle les Touaregs ont souvent trouvé une bataille avec les Tebbous.

Malgré leur aridité, tanezrouft et tiniri n’opposent pas un obstacle bien sérieux aux relations entre humains ; les profondes encoches qu’y font l’Aïr et l’Adr’ar’ des Ifor’as en facilitent le passage, que les chameaux peuvent, à la rigueur, faire en toute saison ; le désert n’est une barrière ni pour les caravanes de marchands, ni[26] pour les rezzou : presque chaque année, des pillards venus du sud marocain arrivent à Taoudenni.

Pendant l’hiver même, les moutons et les bœufs peuvent franchir ces mauvais pays : les caravanes d’Ifor’as qui affluent en février et en mars au Touat et au Tidikelt y amènent plusieurs milliers de chèvres et de moutons, qu’elles échangent contre des étoffes et des dattes. Chèvres et moutons qui, pendant l’automne, ont pu se bien nourrir dans les pâturages de l’Adr’ar’, sont à ce moment en belle forme et peuvent rester, pendant le voyage, cinq à six jours sans boire ni manger.

Les bœufs sont dans le même cas ; un troupeau de dix têtes, acheté dans l’Adr’ar’, est arrivé en mars 1905 à In Salah sans aucun déchet [Dinaux, l. c., p. 108]. Les Kel-Ahaggar renouvellent leurs troupeaux dans l’Aïr : les bœufs passent facilement de la plaine de Talak à Tarahaouthaout, au sud de la Coudia.

Points d’eau. — Ces traversées sont d’ailleurs facilitées par un certain nombre de points d’eau. Les plus nombreux se trouvent dans les grès dévoniens.

Le tassili du sud ou des Ahaggar « est un plateau rocheux, sans eau, sans végétation, presque inconnu des indigènes eux-mêmes tant il est inhospitalier ». Cette indication de Duveyrier [Les Touaregs du Nord, p. 17] a besoin d’être réformée.

Le tassili du sud est bien connu maintenant au nord de l’Adr’ar’ des Ifor’as, où il comprend plusieurs plateaux isolés. Une échancrure du plus grand contient le puits de Timissao, un des meilleurs du désert. Les environs de ce puits ont été autrefois habités comme en témoignent de nombreuses inscriptions, dont l’une, mentionnée par Duveyrier, serait bien écrite en caractères koufiques d’après M. Benhazera[28].

Sur le même plateau, à une journée au sud-est de Timissao, se trouvent les r’edir de Tin Azaoua, qui contiennent toujours assez d’eau pour une troupe de quelques chameaux et qui, après une tornade heureuse, suffisent à de fortes caravanes. Un peu plus au sud, le petit lac, l’aguelman de Tamada, d’accès assez difficile, est un point d’eau très sûr ; il est entouré d’un très beau pâturage, où l’on peut séjourner en toute saison. Ce n’est qu’en 1907 que ce point a été reconnu et son importance exceptionnelle explique que les Touaregs nous l’aient caché aussi longtemps qu’ils ont pu[29].

[27]Les autres plateaux situés au nord ou à l’est de l’Adr’ar’ (Tirek, In Ameggui, Tin Ghaor[30]) sont de médiocre surface et ne contiennent que des points d’eau secondaires. On ne connaît, des plateaux qui s’étendent à l’ouest de l’Adr’ar’, presque jusqu’au méridien de Tombouctou, que des noms (Timetr’in, etc.) ; seuls quelques points d’eau à la périphérie (puits d’Achourat, Ksar Mabrouka) ont été vus par des Européens.

A l’extrémité orientale de la même bande dévonienne, le tassili de l’oued Tagrira est nettement limité vers le nord par une falaise haute d’une soixantaine de mètres ; vers le sud, sa limite est moins marquée. Le puits d’In Abeggui est, paraît-il, très sûr ; les r’edir, assez nombreux en septembre 1905, ne sont pas tout à fait permanents. Il y a quelques pâturages dans la gorge de l’oued el R’essour, à son entrée dans le plateau ; l’oued Tagrira, où se trouvent quelques dunes basses, est couvert de graminées (drinn) assez abondantes pour permettre aux caravanes qui vont à In Azaoua, d’emporter les fourrages nécessaires à cette mauvaise traversée. Un groupe de méharistes du Tidikelt a pu y séjourner en juillet 1908.

Fig. 15. — Coupe du tassili Tan Tagrira, suivant la vallée de l’oued El R’essour. Il y a une dizaine de km. de A à l’aguelman.

A, Granite porphyroïde ; B, Granulite rose ; 1, Silurien métamorphique ; 2, Grès (40m) en partie masqués par les éboulis ; 3, Grès grossiers et Psammites à ciment ferrugineux, en bancs bien lités (20m) ; 4, Grès fins, blanchâtres, formant des aiguilles (15m).

Ce tassili, toujours étroit (20 à 25 km.), se prolonge vers l’ouest avec quelques aguelman, jusqu’à la région de Tin Ghaor et de Timissao. On ne sait pas encore si les oueds qui le traversent, Igharghar, Zazir, le franchissent tous par d’étroits cañons comme l’oued El R’essour qui, de loin, ne semble pas interrompre la continuité de la falaise, ou par des vallées plus larges, découpant le plateau en plusieurs tronçons, comme au nord de l’Adr’ar’.

En tous cas, quelques-uns de ces oueds sont alimentés, largement[28] pour le Sahara, par les orages qui tombent sur les contreforts de l’Ahaggar ; il est possible, paraît-il, de suivre, à travers le tanezrouft, l’oued Zazir jusque chez les Oulimminden.

Le puits d’In Azaoua, un des nœuds de routes les plus importants du désert, se trouve à l’extrémité orientale de ce même plateau ; mais il est probable que l’eau que l’on y trouve en abondance vient de plus loin, du haut pays des Azdjer et de l’Anahef où prennent leur source le Taffassasset et ses principaux affluents.

De ces tassili dévoniens, dont les principaux fournissent des points d’eau au tanezrouft, on peut, au point de vue de la Géographie humaine, rapprocher le massif d’In Zize. Son sommet, élevé de 300 mètres au-dessus de la pénéplaine, son grand diamètre qui dépasse 30 kilomètres, le font reconnaître de très loin et il est difficile, même à un guide médiocre, de manquer l’aguelman qui a rendu In Zize célèbre au Sahara.

On comprend que sur ce massif élevé (800 m.) les orages soient moins rares que dans le tanezrouft voisin (500 m.).

Il y a plusieurs points d’eau dans ce massif montagneux ; nous en avons vu deux. Le premier est au pied d’une cascade : il est nettement une marmite de géants. Le second, l’aguelman permanent d’In Zize (Pl. XXXV, p. 258), à quelques kilomètres en amont du premier, a bien probablement la même origine ; en tout cas, s’il est une diatrème, un cratère d’explosion, il n’est qu’un appareil adventif de faible importance ; le cratère principal du volcan doit être cherché beaucoup plus à l’est, entre In Zize et Tihimati.

Cet aguelman est alimenté surtout par les eaux souterraines qui circulent à travers les laves ; Gautier a vu deux fois In Zize, en 1903 et en 1905 : à son premier voyage les acacias, dans l’oued, étaient desséchés et l’aguelman d’aval était vide. En 1905, l’oued avait reverdi, mais le niveau de l’eau dans l’aguelman principal avait baissé de deux mètres, preuve qu’il n’est pas alimenté directement par l’eau des orages ruisselant à la surface, eau qui avait revivifié les talah, mais par une nappe plus profonde.

Tout à côté, l’Adrar Nahlet possède aussi un aguelman, complété par une source à faible débit. Je n’ai vu ce massif que de nuit ; son relief est trop marqué pour qu’il soit bien vieux, et sa silhouette rappelle In Zize.

Dans toutes les parties où il est formé de roches cristallines imperméables, le tanezrouft paraît incurable : des travaux de sondage n’y donneraient rien. Tout au plus peut-on songer à améliorer les voies d’accès à certains points d’eau, et à mieux aménager quelques[29] puits : ce travail a été commencé par la compagnie du Tidikelt.

Les tanezrouft formés de hautes plaines gréseuses, perméables, ceux que les Touaregs appellent des tiniri, semblent au contraire pouvoir être améliorés ; des forages y donneraient probablement des résultats ; mais l’entretien, en plein désert, d’un chantier suffisant pour creuser un puits profond, serait une très forte dépense, peu en rapport avec l’utilité de quelques points d’eau de plus, dont les caravanes n’ont nullement besoin.

L’Ahaggar.

Orographie. — La partie culminante de massif touareg (Atakor n’Ahaggar, Coudia) n’a été vue jusqu’à présent de près que par un petit nombre d’Européens. De Taourirt, de Tit ou de Tamanr’asset, elle se présente sous des aspects analogues (fig. 17) : un plateau en saillie de quelques cents mètres sur les régions voisines ; ce plateau est surmonté de quelques aiguilles granitiques dont la plus célèbre est l’Ilamane et de masses tabulaires comme le Tahat, dont le profil fait songer à un plateau basaltique. L’existence de roches volcaniques n’est d’ailleurs pas douteuse sur la Coudia ; Guilho-Lohan a ramassé au pied de l’Ilamane un basalte et Motylinski [Bull. du Com. de l’Af. Française, oct. 1907] a noté et figuré sur ses carnets, à maintes reprises, des colonnades basaltiques.

Vers l’est, l’aspect est le même : au sud de la Tifedest, d’après Voinot, la Coudia s’élève par gradins jusqu’à son sommet, en forme de plateau. Du sud, entre Aïtoklane et Tarahaouthaout, on la voit s’étager en replats successifs, entre lesquelles la transition se fait sans trop de brusquerie. Cette apparence est pleinement confirmée par les indications de Motylinski qui a traversé l’Atakor de l’ouest à l’est, à la hauteur de l’Ilamane ; pour arriver sur le plateau, en partant de Tamanr’asset, on fait une longue marche en montée pénible, à travers la montagne ; la descente, à la chaîne de Tanget, est donnée, elle aussi, comme difficile ; Voinot[31] note, qu’au sud d’Idelés, on s’élève rapidement, de 700 mètres, jusqu’au premier gradin.

Une fois arrivé sur le plateau, la marche entre les gours est en général facile ; les vallées y sont le plus souvent assez larges ; il y a cependant à noter quelques ravins étroits dont la traversée demande des précautions : il faut mettre pied à terre. D’après Voinot, entre Tazerouk et Aïtoklane, le dessus du plateau est extrêmement tourmenté ;[30] c’est une véritable chebka où les sentiers, peu nombreux, sont d’un abord difficile.

Le plateau de la Coudia est assez dénudé ; en tous cas les arbres y sont très rares ; Motylinski mentionne près d’In Djeran le premier arbre, un djedari (Rhus oxyacanta ?), qu’il ait vu depuis l’Ilamane, situé à une trentaine de kilomètres à l’ouest.

Fig. 16. — Essai de schéma du Massif Central saharien.

Duveyrier avait déjà indiqué l’existence d’eau courante sur la Coudia ; Motylinski confirme cette indication, et mentionne une cascade ;[31] la haute vallée de l’Igharghar contient également quelques ruisseaux et Voinot y signale même un marécage difficilement abordable à Inikeren [l. c., p. 112].

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. IV.

Cliché Laperrine

7. — AHAGGAR. UN CONFLUENT PRÈS D’IN AMDJEL.

Prairie de diss. Quelques arbres dans le lit des oueds.

Cliché Laperrine

8. — AHAGGAR, VILLAGE DE TIT.

Au fond, le Tinesi, dôme granitique (60 mètres).

L’altitude du Plateau Central saharien est mal connue ; elle dépasse certainement 2000 mètres. Les observations barométriques sont encore rares, mais elles sont nettement confirmées par les indications du thermomètre ; sur la Coudia, Motylinski a noté les températures suivantes : le 20 août 1906, 5° à six heures du matin, 20° à six heures du soir, le 21, 8° au matin, 18° à six heures du soir ; le père de Foucauld notait les mêmes jours, à Tamanr’asset, le 20, minimum 15°, maximum 35°, à six heures du soir 29° ; le 21, minimum 15°, maximum 36°, et à six heures du soir 30°. Voinot, à l’abankor de Tazzeit, près d’Idelès, a noté le 15 mars 1906, minimum de la nuit 11°,8, à une heure de l’après-midi 23°,6 ; le 18 mars, à Tazerouk, le minimum était de 1°,6 ; à une heure, la température atteignait seulement 18°,2. Il y a donc une différence d’une dizaine de degrés entre les températures de la Coudia et celles de Tamanr’asset et d’Idelès qui sont, l’un et l’autre, au voisinage de 1300 mètres. On s’explique facilement que les Touaregs nobles aient choisi la région de Tazerouk comme station estivale. Le haut plateau est d’ailleurs peu étendu et atteint à peine 70 kilomètres dans ses plus grandes dimensions ; Tazerouk (2000 m.) n’est pas encore sur le gradin le plus élevé, que la route directe de Tazerouk à Tarahaouthaout laisse à une trentaine de kilomètres au nord. Il est vrai que les contreforts de la Coudia, vers l’est, sont bien plus élevés que ceux de l’ouest, quoique leur relief au-dessus des oueds soit assez faible.

Fig. 17. — Ahaggar. La Coudia, vue de l’oued Sirsouf, près Tamanr’asset. L’Eisekran et l’Ikaraguen sont des plateaux basaltiques.

Les contreforts de ce haut massif ont des limites assez indécises[32] (Pl. III, profils III et IV) : du pied du plateau de Timissao (550 m.), à Tit (1120 m.), il y a un peu moins de 300 kilomètres ; la pente est d’environ 21000. Jusqu’aux environs de Silet surtout (760 m.), on monte très doucement : dans le tanezrouft, les pentes des oueds Tamanr’asset et Silet sont voisines de 11000. Entre Silet et Abalessa, les restes de volcan qui constituent l’Adr’ar’ Ouan R’elachem, obligent à passer par un col à l’altitude de 900 mètres ; les sommets voisins s’élèvent à 1000 mètres. A l’ouest d’Abalessa (880 m.) l’Adr’ar’ Aberaghetan, formé de quartzites siluriennes et non de roches volcaniques, comme il est indiqué sur un croquis publié dans La Géographie [XIII, 1906, p. 53], atteint une altitude supérieure (1700 m.) ; cette chaîne étroite se prolonge vers le nord jusqu’au massif de Taourirt. D’Abalessa à Tit (30 km.), on suit la lisière sud d’une cuvette silurienne ; l’oued Tit, avec une pente d’environ 81000, est nettement torrentiel. De Tit à Tamanr’asset (1300m.), on franchit plusieurs vallées ; la pente moyenne n’a pas de signification. Dans ces deux derniers tronçons, la piste traverse une région de basses montagnes ou plutôt une pénéplaine encore accidentée.

De Tamanr’asset vers In Azaoua, la descente est assez rapide jusqu’au tassili de l’oued Tagrira (41000). La route, coupant toutes les rivières sous un angle marqué, ne suit cependant pas la ligne de plus grande pente. Jusqu’à l’oued Igharghar tout au moins, le pays reste très accidenté : le paysage doit son aspect particulier à des plateaux basaltiques comme l’Adjellela (fig. 72) ou le Debenat, ou à des filons de roches éruptives formant muraille, comme l’Adr’ar’ Arigan (fig. 18).

Vers le nord, un contrefort important, la Tifedest, est un massif vraiment montagneux et d’un relief moyen de plus de 1000 mètres ; c’est une chaîne d’accès difficile, où les cols sont rares et que traversent fort peu de sentiers.

A l’extrémité septentrionale de la Tifedest, avec des contours plus flous et séparé de la chaîne principale par un col qu’utilise une piste, se dresse le massif d’Oudan[32] presque impraticable. Il se termine par un plateau célèbre au Sahara :

« A la pointe nord de l’Oudan, se dresse la célèbre Garet el[33] Djenoun, royaume des génies, interdit aux humains. Il est certain que la table plate du sommet, d’un relief voisin de 1300 mètres et bordée de tous côtés par des parois à pic, n’est pas accessible avec les moyens dont on dispose au Sahara... L’Oudan ne paraît pas être un ancien volcan, ainsi que l’avaient fait supposer à Duveyrier des renseignements indigènes. » Cette description, due à Voinot, semble cependant indiquer un plateau basaltique, analogue à l’Adjellela.

La Tifedest se continue sur la rive gauche de l’Igharghar, jusqu’à hauteur du Mouidir, par une série de massifs isolés dont le plus important est l’Edjelé, qui se dresse à une altitude notable au milieu du reg.

Fig. 18. — L’Adr’ar’ Arigan, dyke éruptif dans les contreforts méridionaux de l’Ahaggar.

Du point d’eau de l’oued Zazir.

Sur la rive droite de l’Igharghar, au nord de la Tifedest, l’Edjéré (ou Eguéré) arrive au voisinage du tassili des Azdjer ; c’est un massif de grande étendue qui, de loin, figure vaguement un cône très aplati. Son point culminant, le Toufriq, atteint 1560 mètres. Sa structure est analogue à celle de la Coudia ; comme elle, l’Edjéré est un plateau surmonté de formations volcaniques ; les cratères ébréchés y sont nombreux, et les bombes volcaniques y abondent.

Les vallées étroites de ce massif sont, certaines années, couvertes de beaux pâturages, où se réunissent parfois les Azdjer et les Ahaggar ; les points d’eau y sont assez espacés, mais de fort débit et peu profonds ; les puits ne dépassent pas 4 mètres.

Ce massif se prolonge vers le sud par la petite chaîne de Torha[34] qui n’est séparée de la Tifedest que par la vallée de l’Ighargar ; vers l’est, le massif de Torha se termine brusquement au-dessus de la haute plaine d’Amadr’or.

L’Anahef est un plateau très semblable à la Coudia, qu’il prolonge vers l’est ; comme elle, il est surmonté de gours, derniers témoins d’un étage disparu et d’aiguilles granitiques dont la plus remarquable semble être le Tihi n’Kalan. L’Anahef, que traversent quelques pistes allant de l’Ahaggar à R’at, paraît d’un accès peu facile ; les points d’eau, situés au pied de la montagne, sont peu nombreux ; Voinot en mentionne seulement quatre, sur le versant Atlantique.

La partie sud de l’Anahef qu’a explorée Foureau [Doc. Sc., p. 345 et 614] lorsqu’il a été reconnaître le point où est mort Flatters, ne semble pas différente de celle qu’a vue Voinot.

A son extrémité orientale, l’Anahef se relie à une série de hauteurs qui, se dirigeant vers le nord, viennent à peu de distance de Tir’ammar et du tassili des Azdjer. Elles se terminent par les deux massifs importants d’Adr’ar’ (1700) et d’Admar (1400).

Le tassili des Azdjer est formé de grès horizontaux, d’âge dévonien, et reproduit exactement les formes de terrain de l’Ahnet ou du Mouidir, dont il est la suite.

Entre ce tassili et les massifs anciens qui dépendent de l’Ahaggar, il existe, au moins depuis l’Igharghar jusqu’à l’Admar, une zone en général assez déprimée, qui offre des communications faciles entre l’est et l’ouest ; la piste qui y passe est souvent suivie par les rezzou.

Au centre du paquet montagneux que forme la Coudia et ses annexes s’étend une immense plaine dont l’origine est assez ambiguë. La haute plaine d’Amadr’or n’est pas une sebkha, mais bien un immense reg, long d’environ 120 kilomètres du nord au sud et d’une largeur moyenne de 60 kilomètres. Cette plaine peut être considérée comme horizontale ; la différence d’altitude atteint à peine 100 mètres entre le nord et le sud ; quelques gours isolés et insignifiants de granite rose font seuls saillie sur le reg. La végétation y fait en général défaut et il n’y existe aucun point d’eau. Le cours de l’oued Amadr’or et de ses affluents n’est plus indiqué que par quelques cuvettes à peine perceptibles et qui, depuis longtemps, ont cessé de communiquer entre elles ; quelques-unes sont marquées par une très maigre végétation d’éthels et de guétaf. Au cours d’un orage qui a duré deux jours, Voinot a pu voir toute l’eau tombée se rassembler en flaques stagnantes dont chacune correspondait à l’un de ces bas-fonds ; ce n’est que plus au nord, grâce à l’Edjéré, que l’oued Amadr’or,[35] sous le nom d’oued Tidjert, reprend un peu de vie et redevient continu.

Il existe bien du sel dans la plaine d’Amadr’or, mais il est localisé en un point unique : la sebkha d’Amadr’or se réduit à une petite dépression, située à 5 kilomètres au nord de Tissint.

Le sel, qui s’y présente en cristaux cubiques, est facile à extraire ; pour le purifier tout à fait, on souffle légèrement dessus et ce vannage rudimentaire suffit à obtenir un produit d’un beau blanc et d’excellente qualité, qui a grande réputation au Soudan : on l’exporte jusqu’à Zinder, où il a une haute valeur.

Cette petite sebkha d’Amadr’or n’est pas loin de l’extrémité méridionale de l’Edjéré ; près d’elle se dresse une gara basaltique et tout le reg qui l’avoisine est jonché de débris de laves. Le sel provient probablement du lavage des roches volcaniques.

A part le reg d’Amadr’or, toutes les parties du Massif Central saharien se ressemblent. On prendra une idée moins incomplète des aspects du pays en consultant, outre les photographies, et les croquis joints à ce volume, ceux qu’ont donné le commandant Dinaux, le capitaine Arnaud et le lieutenant Cortier[33]. Mais le soleil leur fait défaut : « Ces vues du massif de la Coudia, déchiqueté et fantastique, donnent l’impression d’un pays noir et lugubre.

« Au contraire, l’ensemble des paysages reste clair ; ce sont des pastels délicats, des jeux variés de lumière sur les blocs de granite rose, les plateaux de grès (?) pâles, les coulées grises des laves ; une richesse de tons, une délicatesse de nuances, exagérées encore par la limpidité et la profondeur de l’atmosphère.

« La Coudia est un massif informe, sans harmonie et sans ligne ; c’est un squelette décharné, mais les couleurs le transforment en décor féérique. » (Dinaux). C’est le soir et le matin surtout, que les couleurs sont merveilleuses ; dans l’après-midi, la lumière du soleil est trop écrasante, les nuances perdent toute délicatesse ; toutes les couleurs deviennent des gris.

Hydrographie. — Ce haut massif a été un centre hydrographique important. Naissant près d’Idélès, l’Igharghar, accru d’assez nombreux affluents, traversait le tassili des Azdjer près d’Amguid et allait aboutir au chott Melr’ir. Ce fleuve important et son affluent principal, l’oued Mia, descendu du Tadmaït, fertilisent encore les principales oasis du Sud constantinois. Duveyrier le premier avait[36] pu mettre en évidence l’importance de ce bassin dont les recherches patientes de Foureau ont bien fait connaître les parties moyennes ; les officiers de Tidikelt nous en ont fait, plus récemment, connaître le bassin supérieur.

Vers l’ouest, un grand nombre de ruisseaux, descendus de la Coudia et de la Tifédest, se réunissent en deux troncs principaux, l’oued Takouiat et l’oued Tamanr’asset, que coupe le medjebed d’In Zize à Timissao. On sait que ces deux fleuves coulent encore parfois assez loin et que leurs crues se font sentir jusqu’au méridien de Timissao. Ces crues doivent être violentes, puisqu’elles suffisent à entraîner des scories basaltiques au nord du tassili Tan Adr’ar’.

Le Tamanr’asset et le Takouiat n’ont pas été suivis bien loin vers l’ouest ; on ne sait pas comment ils vont se perdre dans le tanezrouft qui relie Azzelmatti à Sounfat ; on ignore quelles relations exactes ils ont avec Taoudenni et les oueds qui descendent du nord de l’Adr’ar’ des Ifor’as ou du Timetr’in, et dont l’oued Ilok semble être le principal collecteur.

Au sud, l’oued Zazir, l’Igharghar[34], l’oued Tagrira, le Tin Tarabin vont se joindre presque certainement au Taffassasset, qui se rattache actuellement au bassin du Niger. Les cours supérieurs de ces rivières sont seuls connus ; il subsiste entre l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’Aïr un blanc considérable ; mais elles ne peuvent aboutir qu’au Niger, ou à un bassin fermé inconnu, dont rien d’ailleurs ne permet de prévoir l’existence (V. carte géologique hors texte).

Les rivières qui descendent de l’est de la Coudia ou de ses contreforts ont une histoire plus obscure. Il n’y a pas de doute pour l’oued Tadent qui est sûrement un affluent du Tin Tarabin. Les origines du Taffassasset sont moins claires. L’oued Falezlez, ou Afahlehle, a été coupé par Barth et par von Bary vers le 7° longitude est ; en ce point il se dirige vers le sud-est et von Bary indique, d’après ses informateurs indigènes, qu’il aboutit à Bilma. Barth et plus tard Duveyrier ont cru au contraire que le Falezlez était la tête du Taffassasset ; une carte récente[35] du Sahara a adopté cette opinion. Il en résulte, pour le tracé du fleuve, un coude bizarre que rien jusqu’à présent ne vient justifier, sauf peut-être l’importance du Taffassasset à In Azaoua qui permet de supposer un vaste bassin. En tous cas, toutes les rivières qui, au sud de Tadent, se dirigent vers l’est et qui ont été reconnues par Barth, vont aboutir au Taffassasset.[37] Foureau [Doc. Sc., p. 247] a donné un schéma de ce bassin hydrographique.

Les villages. — La pluie n’est pas très rare sur la Coudia, et les rivières qui en descendent présentent une structure qui permet à l’eau de se conserver assez longtemps dans certaines vallées.

Les rivières des contreforts de l’Ahaggar sont, en effet, d’ordinaire encaissées et assez indépendantes de la direction des affleurements de roches imperméables, au milieu desquels elles ont creusé leur lit ; la vallée, souvent assez large, se rétrécit toutes les fois qu’elle rencontre un seuil rocheux plus résistant, quartzite silurienne ou filon éruptif : si ces rivières coulaient, elles présenteraient des rapides. Cette structure en chapelet est très nette presque partout.

Entre deux barrages successifs, chaque bief présente une pente notable et l’eau tend à s’accumuler contre le seuil d’aval, de sorte que la nappe aquifère est d’autant moins profonde que l’on se rapproche de ce seuil ; aussi les pâturages, situés à l’amont des barrages, sont fréquents et permettent souvent l’élevage de troupeaux assez nombreux.

De plus, l’eau, arrêtée à chaque barrage, est à un niveau un peu plus élevé que le bief suivant de la vallée ; cette particularité des oueds a été le plus souvent utilisée pour la création des petits centres de culture qui caractérisent les contreforts de l’Ahaggar.

Dans certains cas, les plus fréquents, on va chercher, par des foggaras longues de 5 à 6 kilomètres, l’eau en amont d’un barrage ; des seguias surélevées permettent une irrigation facile dans les parties plus basses ; c’est ce procédé qui est employé à Tamanr’asset, à Tit et à Tin Amensar, toutes les fois que les alluvions humides, véritables mines d’eau, sont dans une vallée trop étroite pour permettre facilement l’établissement de jardins, toutes les fois surtout que des crues violentes sont à craindre, qui enlèveraient toutes les cultures.

Parfois, dans le haut pays, il y a des ruisseaux permanents ; les foggaras deviennent alors inutiles et de simples seguias suffisent à assurer l’irrigation.

Quant aux jardins, ils sont établis dans les vallées les plus larges, dans celles où le lit de l’oued est creusé au milieu d’une plaine d’alluvion : on les cultive sur le lit majeur de l’oued quaternaire ; en général, dans ces vallées élargies, la nappe aquifère est profonde et c’est pour cette cause que l’on va chercher l’eau dans un bief supérieur.

[38]Plus rarement la vallée est large, l’eau abondante à fleur de sol ; c’est ce qui arrive à Abalessa. Tous les oueds qui descendent du versant occidental de la Coudia coulent d’abord dans une région déprimée, une cuvette synclinale, que limite à l’ouest la chaîne élevée de l’Adr’ar’ Aberaghettan. Cette haute sierra, formée de quartzites, a résisté à l’érosion qui n’a pu réussir à y creuser que quelques gorges resserrées, quelques brèches exiguës ; la plus importante livre un étroit passage à l’oued Endid, formé de la réunion d’une dizaine d’oueds ou de ruisseaux dont les plus notables, l’oued Outoul, l’oued Tit et l’oued Ir’eli, viennent tous converger à Abalessa.

La brèche qui donne passage à tous ces oueds arrête les eaux et, à ses abords immédiats, pendant quelques cents mètres, se trouve un véritable fourré où dominent les tamarix ; c’est, comme arbres, un des plus beaux coins de l’Ahaggar.

Lorsque, venant de Silet, on a traversé la région chauve et dénudée de l’Adr’ar’ Ouan R’elachem, au sommet du dernier col, la vue d’une telle profusion de ferzig et d’ethel est une joyeuse surprise. Les arbres sont accompagnés de nombreux arbustes et de nombreuses graminées ; il y a même quelques fleurs. Plusieurs hectares sont réellement couverts d’une véritable verdure : pareil spectacle est vraiment rare au Sahara.

L’Adr’ar’ Aberaghettan, barrant un ensemble de vallées, ne fait que reproduire en plus grand la disposition des seuils transversaux qui, dans chaque oued de l’Ahaggar, accroissent, vers l’aval du bief, l’humidité des alluvions, et dont l’effet se traduit habituellement par un accroissement des pâturages et l’apparition d’arbres plus serrés.

Rarement cette structure est autant marquée qu’à Abalessa, et peu de villages sont aussi riches.

A Abalessa, on a pu creuser, dans chaque jardin, des puits peu profonds (2 à 3 m.). Ce sont souvent des puits à bascule, type classique dans les oasis, comme aussi en Anjou ; parfois l’outre à manche et à double corde, tirée par un âne, comme dans le M’zab ou à Iférouane, vient simplifier le travail du haratin. Il y a de plus quelques foggaras et, en fait, dans la plupart des ar’érem, les deux systèmes, puits et foggaras, coexistent : tout l’effort des cultivateurs a porté sur l’exploitation de l’eau, et la meilleure façon de l’avoir en abondance.

Parfois d’autres causes sont intervenues, qui rendent possible l’établissement de jardins ; à Silet, par exemple, la vallée est largement ouverte : une coulée de basalte, descendue de l’Adr’ar’ Ouan[39] R’elachem recouvre les alluvions de l’oued Ir’ir’i ; la vallée de l’oued Silet est, en amont du ksar, probablement elle aussi dans le même cas [Villatte, loc. cit., p. 221] ; l’eau, protégée contre l’évaporation, est très abondante et pendant plusieurs kilomètres, en aval du front de la coulée, il suffit de creuser légèrement (0 m. 20-0 m. 30) dans l’oued, pour trouver le niveau aquifère. La vallée est couverte d’une très belle végétation ; les Salvadora persica forment un véritable taillis qui s’étend à plusieurs kilomètres de Tibegehin.

Silet et Tibegehin sont les plus belles palmeraies de l’Ahaggar. Malheureusement, malgré leur richesse en eau et leur abondance en dattiers, les deux villages jumeaux ont du être abandonnés : on se contente de venir y cueillir les dattes, lorsqu’elles sont mûres, dans la première quinzaine du mois d’août. Le reste du temps tout est à l’abandon ; on ne coupe jamais les palmes desséchées et les hautes tiges des dattiers sont couvertes d’un manchon de djerids jaunes et desséchées qui pendent misérablement vers le sol ; ces palmes forment, il est vrai, avec leurs épines, un obstacle difficile à franchir et protègent les régimes contre le vol d’un passant.

Il ne reste à Silet que les ruines d’un ksar et des traces de seguia, longues de 300 mètres, qui partent de la coulée de basalte. Malgré les facilités de culture, Silet était mal placée. Située à la limite de l’Ahaggar, à la porte du tanezrouft, Silet ne pouvait savoir ce qui se passait dans l’ouest : les pâturages font défaut dans le tanezrouft, et nul berger ne pouvait assurer la couverture du village : les rezzou y tombaient à l’improviste ; l’insécurité trop grande a causé son abandon. On peut espérer que le calme relatif que nous imposons au Sahara permettra à ce petit centre de renaître et de se développer.

Les villages de culture de l’Ahaggar, assez nombreux, sont peu importants ; Motylinski en dénombre trente-cinq. L’expression d’oasis, qui évoque toujours l’idée d’une palmeraie, ne leur convient pas : la culture des dattiers manque dans la plupart d’entre eux ; elle est insignifiante dans les autres. La première place appartient aux céréales. Aussi vaut-il mieux conserver à ces centres de jardinage du pays Touareg, leur nom berbère de ar’érem ; l’orthographe en a été longtemps douteuse (arrem, agherim) ; on trouve même une variante qui a longtemps servi à désigner, à l’ouest de Bilma, les jardins de Fachi qui, depuis Barth, sont souvent appelés Oasis Agram, même sur des cartes récentes.

Ces villages se ressemblent tous : ils sont formés de quelques huttes rondes ou carrées, construites en terre ou en diss, mélangeant les formes soudanaises aux formes des ksour ; les plus peuplés ont à[40] peine cent habitants. Le tableau suivant, emprunté surtout à Voinot, permettra de se rendre compte du peu d’importance de la plupart des ar’érem.

HECTARES NOMBRE DE JARDINS HOMMES FEMMES ENFANTS HABITANTS
In Amdjel 120
Idélés 6 à 8 45 112 palmiers. Quelques figuiers. 3 pieds de vigne.
Tazerouk 30 38 29 16 83

140 hectares d’anciennes cultures abandonnées entre Tazerouk et Tebirbirt.
Tebirbirt 3-4
Aïtoklane 3 1/2 ? abandonné depuis 1902.
Tin Tarabin 11 20 17 4 41
Tarahaouthaout 34 39 29 22 90 2 figuiers, 4 bœufs.
Tamanr’asset 15 24 24 15 3 42 5 foggaras, la nappe d’eau à 1m,50 ou 2 m. Motylinski indique 52 habitants.
Tin Ghellet 8 11 6 6 23
Outoul 2 3 3 3 2 8
Tahert 2 3 2 2 4 8
Saliski 3,5 5 5
Tarhananet 2 3 1 2 6
Tit 16 23 23 17 10 50 1 palmier, 13 figuiers. Raisin.
Tin Amensar 21 18 11


Amont 6 16
Centre 13 6 11
Aval 7 23
Endid 94 palmiers (abandonné).
Abalessa 18 26 25 29 10 64 40 palmiers, 12 figuiers, 8 bœufs, 1 pied de vigne.
Tefaghiz 6 17 8 6 31 4 bœufs.
Iguelen 7 10 9 ? 19 2 bœufs.
Tifert 5 1/2 5 5 2 12
Silet-Tibegehin 300 palmiers.
188 697

Toutes les tribus importantes possèdent quelques-uns de ces jardins ; le plus grand nombre semble appartenir aux Kel R’ela et aux Dag R’ali. On trouvera le détail dans Motylinski et surtout dans Benhazera.

Malgré leur état misérable, les ar’érem impriment cependant à l’Ahaggar un cachet particulier : la vie sédentaire est possible dans les hautes régions du Sahara.

Tout incomplet qu’il soit, ce tableau nous donne quelques renseignements intéressants ; il confirme l’état misérable des cultures ; il nous apprend que chaque jardin, cultivé par un chef de case, a une[41] surface restreinte, variant d’un demi-hectare à un hectare ; il nous montre enfin combien la population en est anormale : les hommes sont de beaucoup les plus nombreux (46,2 p. 100) ; il y a peu de femmes (35,4 p. 100) et à peine d’enfants (17,5 p. 100).

Ces villages sont de création récente ; ils n’existaient pas, il y a un siècle, d’après les renseignements recueillis par le capitaine Dinaux [Bull. Com. Afr. fr., mars 1907, p. 65] ; ils ont été établis avec le concours, souvent involontaire, des haratins du Tidikelt et du Touat et la collaboration, toujours forcée, des esclaves achetés ou razziés au Soudan. Les cultivateurs n’ont aucune racine dans le pays ; ce sont des immigrés de date récente à peine installés dans l’Ahaggar.

Leur situation n’est cependant pas très mauvaise ; le terrain appartient aux Touaregs, qui assurent tant bien que mal la sécurité. En principe, chacun peut cultiver toute terre inoccupée en payant une légère redevance au maître du sol. Dans la pratique il n’y a que des fermiers : il faut un propriétaire pour conserver les provisions et faire des avances aux haratins, incapables par eux-mêmes de la moindre prévoyance.

Les conditions faites au fermier sont habituellement les suivantes : pour sa nourriture, il touche annuellement une charge en hiver (180 litres) et une demi-charge en été moitié en dattes, moitié en grains (bechna de l’Aïr) et dix taz’ioua (environ trente litres) des mêmes denrées à chaque labour. L’établissement d’un nouveau puits, les grosses réparations aux foggaras donnent lieu aussi à une rétribution. Le maître fournit de plus aux haratins les outils de jardinage et le bétail (âne ou bœuf) nécessaires pour tirer l’eau des puits ; il donne tous les ans la semence. Le haratin a encore pour lui tout ce qu’il peut planter dans les séguias, autour du bassin d’arrosage et dans neuf plate-bandes qui lui sont réservées ; ces plate-bandes (agemoun) ont chacune la dimension d’une planche moyenne d’un potager français.

Le reste du jardin est planté en blé et en petit mil (bechna) ; on sème habituellement dans chaque jardin (70 ares en moyenne d’après Voinot), 12 mesures de blé (36 litres) et 2 de bechna (6 litres). Si l’arrosage est suffisant, le blé rapporte au moins 20 fois et le bechna 60 fois ou même 80 fois la semence. Dans les oasis, le blé rapporte beaucoup moins : 4 à 5 fois la semence à Sali ; 8 à 9, à Tit (Tidikelt) ; aussi y est-il peu cultivé et la première place revient-elle à l’orge qui ne joue qu’un rôle insignifiant dans les ar’érem de l’Ahaggar. Quant au bechna, son rendement est médiocre sur la Coudia ; au Soudan, il rapporte jusqu’à 400 fois la semence ; il est vrai que le bechna de[42] l’Ahaggar est de qualité supérieure et s’échange à volume égal contre le blé ; le mil est ici à la limite altitudinale extrême de son habitat et dans les villages élevés de l’Ahaggar, à Taz’erouk par exemple (2000 m.), on fait deux récoltes successives de blé, sans alternance de mil. Le blé est semé fin novembre à Tamanr’asset (1300 m.) et récolté en mai ; en juin, on sème le bechna qui est mûr en octobre.

Les principaux légumes cultivés sont des courges (pastèques et plusieurs variétés à cuire), les tomates, oignons, carottes, choux, lentilles, fèves et quelques autres légumineuses, enfin la menthe, qui sert à préparer des infusions ; elle remplace ou complète le thé. — Tous ces légumes reviennent aux haratins.

Les arbres fruitiers sont quelques dattiers, les figuiers et la vigne, cette dernière surtout à Tit. Le raisin mûrit au commencement d’août ; c’est une petite clairette ronde à peau fine, plus proche des raisins de France que de ceux d’Algérie ; cette vigne pousse à l’état sauvage dans les fourrés de roseaux et de tamarix qui couvrent l’oued Tit et l’on ne s’en occupe qu’au moment de la récolte. Les Touaregs n’ont pas le souvenir qu’elle ait été plantée. La vigne est un vieil habitant du bassin de la Méditerranée, où on la connaît dans les tufs quaternaires et pliocènes ; elle pourrait être spontanée dans l’Ahaggar, comme elle semble l’être au sud du Caucase.

Les procédés de culture sont les mêmes qu’aux oasis : la houe et un panier suffisent à tous les travaux. Le plus souvent, dans les ar’érem importants, un champ est partagé entre six haratins ; ce nombre est imposé par le mode de distribution de l’eau : chaque chef de case a droit, pour la portion qu’il cultive, à l’eau pendant un jour et une nuit par semaine ; ce groupement par six existe certainement à Tamanr’asset où les foggaras sont très développées ; à Abalessa, où les puits sont abondants, les jardins sont plus isolés et le partage de l’eau est peut-être différent.

Il est visible, pour qui connaît le pays, que les cultures de l’Ahaggar pourraient être beaucoup plus étendues qu’elles ne le sont, malgré les périodes de sécheresse qui ne deviennent dangereuses que lorsqu’elles dépassent trois années ; de nombreux symptômes font espérer un accroissement rapide. Les haratins semblent s’intéresser aux plantes que nous cherchons à introduire ; lors de la tournée Laperrine en 1904, des graines leur avaient été distribuées ; la betterave surtout les avait enchantés, et, en 1905, ils en redemandaient des graines dont le P. de Foucauld avait une bonne provision.

Les Touaregs, qui, comme tous les pasteurs, voyaient dans les jardins, placés toujours dans les oueds les plus fertiles, un obstacle, une[43] entrave au libre parcours de leurs troupeaux, se rendent compte que l’ère des rezzou sera bientôt close complètement ; les bénéfices qu’assuraient les expéditions au Soudan et dans l’Aïr font dès maintenant défaut. Aussi songent-ils à reprendre les jardins abandonnés et à étendre les cultures.

L’aménokal Moussa a déjà fait creuser quelques foggaras nouvelles et commence d’importantes constructions à Tamanr’asset.

En particulier le dattier semble ne pas occuper, dans les ar’érem de l’Ahaggar, une place suffisante. Les quelques palmiers qui y existent déjà, malgré l’absence d’entretien, donnent un produit de qualité acceptable ; il y a, au peu de développement de cette culture si importante pour les nomades, une double cause. Lorsque des dattiers existent dans un jardin, tous leurs produits reviennent entièrement aux propriétaires du sol ; les fermiers n’ont aucun intérêt à planter de nouveaux arbres ni à soigner les anciens ; il est facile de modifier cette fâcheuse coutume. La datte est au Tidikelt un des principaux articles d’exportation et donne lieu chaque année à des échanges importants avec le bétail touareg ; les Ahl Azzi et tous les Ksouriens des oasis ont toujours cherché à persuader aux Kel Ahaggar que le climat de leurs montagnes ne convenait pas au développement du palmier. L’expérience montre cependant qu’il n’en est rien.

Fig. 19. — Ahaggar. Le volcan démantelé de l’Haggar’en avec son point culminant, le Tin Hamor. — Le plateau basaltique (rhyolithe œgyrinique) d’Hadrian, entaillé par la brèche d’Élias. — De Tamanr’asset.

Quoiqu’il en soit des accroissements possibles, les bénéfices actuels paraissent suffire aux jardiniers, qui y ajoutent la récolte de quelques plantes sauvages. La plupart semblent satisfaits de leur sort ; fort peu ont demandé, depuis l’occupation française, à retourner au Tidikelt. On ne voit pas d’ailleurs chez eux ces poitrines décharnées, ces exemples de maigreur excessive et de profonde misère physiologique, qui sont si fréquents au Touat et au Gourara.

L’industrie de l’Ahaggar est encore plus misérable que la culture ;[44] partout on travaille le bois pour faire des écuelles et quelques ustensiles aussi simples ; le bois de tamarix, peu dur, paraît le plus employé ; la confection des nattes et des paniers en tiges de graminées ou en feuilles de palmier, la préparation du cuir sont familières à tous, sédentaires ou nomades. On fait un peu de poterie à Abalessa. Des forgerons vivent au milieu des principaux groupements touaregs ; ils forment une caste à part ; ce sont des noirs qui ne comptent dans aucun tribu ; ils se marient entre eux et dédaignent les esclaves et les haratins. Ces forgerons ne font guère que de menues réparations et, parfois, un peu de bijouterie.

Les objets un peu compliqués (selles de méhari, sabres, lances) viennent du Soudan par l’intermédiaire de l’Aïr ; les instruments de culture dont se servent les haratins sont achetés aux oasis.

Les Nomades. — Les maîtres du pays, les Touaregs, sont exclusivement des éleveurs ; leur nombre est peu considérable.

Les Kel Ahaggar se partagent en trois groupes, placés chacun sous l’autorité d’une tribu noble, dont le chef a pour insigne de commandement un tambour, un « tobol » qui sert, en théorie du moins, à donner le signal d’alarme.

La tribu des Taïtok habite l’Ahnet et a été étudiée par Gautier [V. t. I, p. 330] ; des descendants de Tin Hinan, l’ancêtre marocaine ; des Kel Ahaggar, il ne reste dans l’Ahaggar que les Kel R’ela et les Tedjéhé Mellet. Les indications de Benhazera permettent d’établir les statistiques suivantes :

Tobol des Kel R’ela.

TENTES GUERRIERS CHAMEAUX MOUTONS ET CHÈVRES BŒUFS[36]
Kel R’ela 55 à 60 50 1000-1200 2500 30
Dag R’ali 40-50 60 1000 2000
Adjouh n’Taheli 40-50 60 800 1800
Aït Loaïn 25 50 400 1200
R’elaïddine 25 30 400 1500
Kel In R’ar 30 50 800 1500
Kel Amdjid 20 30 250 1000
Kel Tifedest 15 20 200 600
Kel Tazoulet 35 50 600 1500
Yheaouen Hadn 20 30 400 600
335 430 5050 14200 30

[45]Quelques tribus, appartenant au même tobol, nomadisent dans le Mouidir ; ce sont les suivantes :

TENTES GUERRIERS CHAMEAUX MOUTONS ET CHÈVRES
Kel Immidir 35-40 50 300 1200
Isselamaten 12-15 40 400
Ireguenaten 50 ? ?
47-55 100 340 1600

Enfin, les Ibottenaten, qui peuvent mettre sur pied une centaine d’hommes, habitent d’ordinaire l’Adr’ar’ des Ifor’as.

Tobol des Tedjehé Mellet.

TENTES GUERRIERS CHAMEAUX MOUTONS ET CHÈVRES
Tedjéhé Mellet 20 ? 450 800
Kel Ohat 30 40 400 6 à 700
Kel Terourirt 15 25 300 800
65 1150 2200-2300

Les Kel Terourirt nomadisent habituellement dans le tassili des Azdjer.

Quelques fractions du tobol des Taïtok habitent d’ordinaire l’Ahaggar ; les Ikechammaden, une quinzaine d’hommes à peu près, vivent avec le Dag R’ali ; les palmiers de Silet leur appartiennent. Les Tedjehé n’Efis sont plus disséminés ; un tiers, à peu près une dizaine de tentes, nomadisent aux environs de Tamanr’asset ; le reste habite l’Aïr et l’Adr’ar’ des Ifor’as.

Benhazera [l. c., p. 140-143] donne, pour 54 tentes des Kel R’ela, une statistique détaillée, nominative. Si j’ai bien compté, il y a 39 hommes, 42 femmes et 82 enfants (41 fils, 41 filles) ; une veuve, Tazza oult Doua, a 8 enfants ; 4 familles en ont 5 ; 5 ménages sont sans enfants.

Les fortunes sont restreintes ; on cite les Touaregs, nobles ou imr’ad, qui ont une centaine de chameaux ; Moussa ag Amastane, en a possédé 200. Sidi ag Keradji, l’ancien chef de l’Ahnet, un des guerriers les plus célèbres du Sahara, ne vit guère que de mendicité.

On trouvera de nombreux détails dans Benhazera sur l’organisation et les mœurs de ces tribus et sur les impôts que les imr’ad paient aux nobles.

Malgré tous ces chiffres précis, il est difficile de fixer la population[46] de l’Ahaggar. La liste des Kel R’ela donne à peu près 3 habitants par tente ; il y aurait donc environ 1350 Touaregs, hommes, femmes et enfants dans tout l’Ahaggar ; ce chiffre est d’accord avec ce qu’indique le combat de Tit (avril 1902) : les Touaregs, dont la mobilisation avait été aussi complète que possible, avaient pu rassembler environ 300 guerriers. Il ne faut pas oublier que les Kel Ahaggar sont la confédération la plus importante des Touaregs du nord.

Les haratins sont moins d’un millier ; il faudrait y joindre les nègres et les négresses qui vivent avec les nomades et qui sont probablement plus nombreux que leurs maîtres ; pour ces serviteurs, les chiffres font totalement défaut. Malgré cette incertitude, il est douteux que la population totale de l’Ahaggar et de ses annexes dépasse 5 ou 6000 habitants pour une superficie grande comme le quart de la France.

Un fait assez surprenant est que les Touaregs sont peu nomades de tempérament ; pendant son voyage de l’Adr’ar’ à Gao, Gautier avait été frappé par leurs instincts casaniers. Tout confirme cette impression qui n’est paradoxale qu’à première vue.

Chez eux la transhumance n’existe pas ; ils ne font pas de voyages réguliers, fixés par les saisons, comme les pâtres d’Espagne ou du midi de la France ; leurs terrains de parcours sont limités à quelques vallées, d’où ils ne s’éloignent habituellement pas ; dans la majeure partie de l’Ahaggar, les coups de main sont peu à craindre et les troupeaux paissent sans gardiens ; le maître fait de temps à autre une tournée pour savoir où sont ses bêtes ; il est d’ailleurs renseigné sur elles par tous les passants.

Aussi beaucoup de Touaregs ne connaissent-ils que les quelques vallées qu’ils parcourent habituellement ; sur le reste du pays ils ne savent que ce qu’ils ont appris par ouï dire. Pour une expédition un peu lointaine, il est difficile de trouver un guide, sauf pour quelques pistes que suivent habituellement les rezzou.

En somme, chez les Touaregs, la stabilité est la règle ; elle seule convient à leur caractère ; tous aiment se réunir ; il y a chez eux des nécessités en quelque sorte mondaines ; les soirées musicales, l’ahal, sont journalières et sont toujours fréquentées. Ce besoin de relation de voisinage est difficilement compatible avec une vie errante.

Aussi n’est-ce que contraints et forcés que les Kel Ahaggar, comme les Kel Ahnet, se décident à se déplacer ; la cause la plus habituelle de ces migrations est la sécheresse ; quand, pendant plusieurs années, la pluie a manqué au Sahara, les pâturages habituels disparaissent et tout le monde se déplace en bloc. On est parfois obligé d’aller fort loin chercher des régions plus favorisées.

[47]A la suite d’une longue période sans pluie et des ravages des sauterelles (1906), tous les habitants de l’Ahnet ont dû se réfugier dans l’Adr’ar’ ; plus récemment (1908), toutes les tribus de l’Ahaggar ont été forcées, pour le même motif, d’abandonner leurs montagnes et d’aller installer leur troupeau entre l’Aïr et l’Adr’ar’.

L’Adr’ar’ des Ifor’as.

A peine connu il y a quelques années, l’Adr’ar’ des Ifor’as[37] est maintenant une des parties les mieux étudiées du Sahara.

Il y a à cela d’excellentes raisons. L’Adr’ar’ est, sur la route d’In Salah à Gao, c’est-à-dire de l’Algérie au Niger, la seule région où l’on soit certain de rencontrer, en toute saison, des pâturages suffisants. En cas de sécheresses prolongées, les Touaregs de l’Ahaggar et de l’Ahnet viennent s’y réfugier avec leurs troupeaux. Les mêmes causes géographiques ont obligé à plusieurs reprises les méharistes du Tidikelt, au cours de leurs longues randonnées sahariennes, à y séjourner pour refaire leurs animaux. Cette nécessité leur a permis de faire œuvre politique utile, puisqu’ils ont toujours trouvé dans l’Adr’ar’ des tentes dépendant des tribus soumises à leur commandement ; elle leur a permis aussi d’y rencontrer, à plusieurs reprises, les troupes du Soudan de qui relève l’Adr’ar’, et qui, elles aussi, y nomadisent volontiers. Ces jonctions fréquentes, qui montrent à tous l’accord complet d’Alger et de Dakar, sont du meilleur effet sur l’esprit des nomades.

Ces séjours de détachements, venus du nord et du sud, ont été l’occasion de nombreux itinéraires, tous levés avec soin ; un canevas d’observations astronomiques assez serré est venu accroître leur précision ; la carte que vient de donner de ce pays le lieutenant Cortier peut être considérée comme définitive ; il n’y manque plus que quelques indications hypsométriques.

Personnellement je n’ai vu que le nord-est du pays, en suivant le contour du triangle In Ouzel, Timiaouin, Tin Zaouaten ; ce qui suit sera surtout un résumé des notes de Gautier[38], qui a traversé l’Adr’ar’ d’In Ouzel à la vallée du Telemsi, du rapport de Dinaux et de l’ouvrage de Cortier[39] qui, pendant plus d’un mois, a parcouru la région[48] sans autre préoccupation que des études géographiques et astronomiques. La bonne monographie de Cortier rend inutile un long chapitre.

A l’ouest, comme au sud, les limites de l’Adr’ar’ sont très nettes ; elles sont marquées par une bande de calcaires fossilifères (Crétacé supérieur, Éocène), que jalonnent des puits profonds ; grâce à la perméabilité du sol, les eaux ne séjournent pas à la surface de ces calcaires ; elles disparaissent en profondeur dans des miniatures d’aven, des entonnoirs de quelques centimètres de diamètre ; cette bande est, aux dimensions près, un karst. Les Touaregs sont très conscients de la stérilité de cette zone et de ses causes ; ils distinguent nettement, des territoires avoisinants, cette plaine aride qu’ils appellent l’Adjouz. On peut la suivre au moins jusqu’au Mabrouka, au sud du Timetr’in ; elle borde l’Adr’ar’ à l’ouest et au sud, et s’étend très loin vers l’est (cf. carte géologique hors texte).

Cet Adjouz est une région déshéritée, où l’extrême perméabilité du sol annihile l’influence heureuse d’une saison de pluies régulières ; elle sépare par sa stérilité les pâturages de l’Adr’ar’ des hautes plaines argilo-gréseuses du bassin du Niger, où nomadisent les Kountah et les Oulimminden.

L’Adr’ar’ des Ifor’as n’est pas très différent, au point de vue géologique, des régions qui l’avoisinent au nord et à l’est. Comme le tanezrouft d’In Zize, il est essentiellement constitué par les terrains silurien et archéen ; il y a tout au plus à remarquer que l’Archéen qui, dans le tanezrouft, n’occupe qu’une assez faible surface et joue un rôle subordonné, prend la première place dans l’Adr’ar’, surtout dans sa partie occidentale. Il en résulte, pour l’ensemble du pays, un aspect plus massif et plus confus.

Malgré ces analogies géologiques, l’individualité de l’Adr’ar’ des Ifor’as est cependant bien tranchée ; par sa latitude, il devrait être un tanezrouft ; son relief, récemment rajeuni, lui assure une saison des pluies régulières, qui le rattache à la zone fertile de la brousse à mimosées ; les pâturages y sont permanents, et les habitants presque sédentaires. Ses limites sont très précises ; à part la large route fertile de la vallée du Tilemsi, qui le relie au Niger, l’Adr’ar’ est entouré sur toutes ses faces par le désert ; au nord et à l’est, le redouté tanezrouft le sépare de l’Ahnet et de l’Ahaggar ; à l’ouest et au sud, l’Adjouz aux puits profonds l’isole de la zone sahélienne.

Orographie. — L’Adr’ar’ est, dans l’ensemble, un plateau dont l’altitude est voisine de 800 mètres ; quelques paquets granitiques, à[49] structure massive, atteignent un millier de mètres. Ces reliefs montagneux à contours arrondis, surmontés parfois de coupoles en dômes, se pressent surtout à l’ouest du plateau où ils forment une bande presque continue de Tessalit à Es-Souk, bande dont l’Adr’ar’ Terrarar occupe le centre ; ils sont beaucoup plus espacés dans le reste de l’Adr’ar’. Il résulte de cette disposition une certaine dyssymétrie : la pente générale du plateau est vers le sud-ouest et les plus hauts massifs sont à l’ouest ; tandis que par ses trois faces nord, est et sud, l’Adr’ar’ se relie sans rupture de pente aux pays voisins, il est limité à l’ouest par une dénivellation assez brusque.

Des hauteurs qui, d’une centaine de mètres, dominent Tessalit, on découvre à l’est et vers le sud un plateau élevé, à structure informe, où nul sommet ne se détache nettement. Vers l’ouest, à 500 mètres tout au plus, l’Adr’ar’ cesse brusquement : à perte de vue, s’étend une immense plaine couverte de maigres pâturages et d’où n’émergent aucune colline, aucun rocher. Toute la frontière occidentale de l’Adr’ar’ est partout aussi clairement définie.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. V.

Cliché Pasquier

9. — ADR’AR’ DES IFOR’AS.

Un col au sud de Timiaouin.

Cliché Laperrine

10. — UN OUED DE L’ADR’AR’ DES IFOR’AS.

Hydrographie. — De cette structure hétérogène de l’Adr’ar’ résultent pour les oueds deux aspects très différents : dans la montagne, les oueds sont encaissés et serpentent parfois dans de véritables gorges ; la pente est d’ordinaire assez forte et les crues violentes. Le lit est tapissé de gravier, souvent coupé de roches, et la végétation arborescente seule à pu s’y développer. Dans ces vallées étroites, il y a quelques aguelmans et parfois des puits permanents profonds d’une dizaine de mètres au plus. Combemorel a donné [l. c.] des détails précis sur ces oueds encaissés.

Sur le plateau, au contraire, les oueds ont une tout autre allure ; Gautier a vu l’oued Etambar couler le 23 juillet 1905 et l’a traversé pendant la crue ; le lit, avec des ramifications très compliquées, avait plusieurs kilomètres d’un bord à l’autre, et il a fallu, à la petite caravane, patauger pendant plus d’une heure dans une étendue indéfinie d’eau sans profondeur ; l’énorme masse liquide était animée d’un mouvement de translation insensible : c’était une pellicule d’eau n’ayant nulle part les allures vives d’une rivière. Deux jours après, l’oued Etambar était à sec.

Cet état de l’oued, pendant la crue, aide à comprendre l’aspect de l’oued à sec, dans son état normal.

L’oued normal est une plaine alluviale plantée d’une savane, et il n’est que cela. Dans cette plaine, il existe en certains points des ravinements nettement circonscrits, sans continuité ; ce sont les traces de[50] remous ou de tourbillons locaux le plus souvent en relation avec quelque saillie granitique. Nulle part l’oued n’est encadré entre des berges, il n’a même pas de rives ; ses limites sont tout à fait incertaines et on se trouve l’avoir quitté sans s’en apercevoir.

L’oued ainsi défini est démesurément large ; il s’étale sur plusieurs centaines de mètres et souvent dépasse le kilomètre. Les alluvions sont très fines, sans galets ni cailloutis ; l’ensemble est limoneux. La surface est très horizontale et très lisse ; elle contraste singulièrement avec les oueds sahariens où la végétation et le sable se livrent un combat désordonné, oueds encombrés de dunes en miniature qui montent à l’assaut des moindres touffes : dans l’Adr’ar’, les alluvions, pendant les neuf mois de la saison sèche, restent assez imbibées d’eau pour n’offrir aucune prise aux actions éoliennes. Pendant la saison des pluies, après un trajet assez bref dans les ravins de la montagne, les eaux des orages se trouvent réunies dans une immense plaine bien nivelée et s’y présentent sous la forme d’une nappe mince, presque pelliculaire, cheminant à peine (0 m. 25 par minute) et bien vite absorbée par la masse des alluvions. Jamais l’ensemble de ce réseau ne coule, jamais une crue ne cheminera pendant des centaines de kilomètres comme il arrive au Sahara : l’Adr’ar’ garde toutes ses pluies pour sa consommation personnelle.

Cette structure anormale du réseau hydrographique tient à la dyssymétrie du relief de l’Adr’ar’ ; presque tous les oueds ont leur source vers l’est ; ils s’épandent d’abord largement sur le plateau d’où ils ne peuvent s’échapper qu’en franchissant les massifs granitiques, accumulés surtout vers l’ouest de la pénéplaine : ils reprennent alors pour un moment leur allure de cours d’eau de montagnes. Cette discontinuité dans la pente des rivières prouve aussi la jeunesse du relief de l’Adr’ar’.

Tout cela fait à l’Adr’ar’ une physionomie géographique facile à schématiser : de grandes plaines d’alluvions fertiles, couvertes de graminées et de quelques arbres, autour desquelles s’élèvent quelques blocs de roches dénudées, d’aspect franchement saharien.

Les massifs rocheux appartiennent encore au désert : granite, porphyres et gneiss sont couverts d’un vernis noir et luisant qui est la marque des climats secs ; les oueds qui les traversent ne contiennent que quelques arbres assez maigres, des acacias, des asabay ; ils ne diffèrent pas, à première vue, des ravins d’In Zize.

Quant aux plaines d’alluvions, elles doivent leur richesse à une graminée spéciale, non encore déterminée, l’alemouz. Elle lève quelques semaines après les premières tornades ; pendant la saison sèche, elle[51] persiste, sous forme de chaume haut de vingt à trente centimètres, jusqu’à la saison des pluies suivantes : la première crue en détruit les derniers restes. Les arbres qui font de ces plaines d’alluvions des savanes sont ceux de la zone sahélienne ; quelques lianes les accompagnent.

Les points d’eau de l’Adr’ar’ sont de plusieurs types : dans la montagne les r’edirs abondent ; leur accès est souvent difficile et fort peu sont permanents.

Les puits véritables, les « anou », ne dépassent jamais une douzaine de mètres de profondeur ; ils se rencontrent en général sur la berge de l’oued, hors des atteintes de la crue, près du débouché de l’oued dans les plaines d’alluvions, au pied des massifs montagneux ; leur débit est d’ordinaire assez bon et permet d’alimenter au moins une quinzaine de chameaux à l’heure (un chameau boit de 70 à 80 litres, parfois davantage). Ces puits sont à large orifice et l’eau y est puisée au moyen d’un simple seau, d’un simple délou [t. I, pl. VII] : nulle part, on ne se sert de poulies, ni on n’utilise la traction animale.

Pendant la saison des pluies, toutes les plaines d’alluvion sont semées d’eau stagnante : ce sont le plus souvent de simples flaques de quelques mètres carrés de superficie, mais qui, pendant plusieurs mois, suffisent aux besoins des troupeaux et des indigènes.

Comparé à l’Ahaggar, l’Adr’ar’ est un pays riche ; l’élevage du bœuf à bosse, du zébu, s’y fait en grand et les bêtes y sont bien nourries toute l’année ; des zébus abattus en juillet, pour le ravitaillement de la colonne Dinaux, quelques semaines seulement après les premières pluies, étaient en excellent état, ce qui laisse à supposer qu’ils n’avaient pas trop souffert de la saison sèche.

La plupart des habitants de l’Adr’ar’ donnent l’impression de gens qui mangent habituellement à leur faim ; ce signe de richesse ne manque pas d’impressionner quand on vient du nord, non plus que le développement de poitrine des femmes Ifor’as, chez qui l’on trouve souvent le type de nos nourrices. Moins sveltes et moins adroites que les targuiates de l’Ahaggar, moins entraînées aussi à une vie active, les femmes de l’Adr’ar’, sauf deux ou trois, ont renoncé au méhari ; et, dans leurs déplacements, qui sont rarement plus longs qu’une demi-journée, elles usent d’une monture moins noble et se contentent de l’âne. Elles n’ont pas cependant l’embonpoint prodigieux des femmes de la boucle du Niger qui, à force de graisse, deviennent presque impotentes et qu’il faut, en cas de déplacement, charger comme des colis sur de robustes bœufs.

Le cheptel de l’Adr’ar’ est abondant ; on rencontre en route de[52] nombreux troupeaux ; et, à défaut de statistique, le bas prix du bétail prouve combien il est commun : une chèvre vaut 3 fr. 15, une vache de 35 à 50 francs ; dans l’Ahaggar, les bœufs sont introuvables et une chèvre vaut de 7 à 12 francs[40].

Villages. — Comme dans l’Ahaggar, il existe, dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, quelques jardins, mais encore plus exigus ; Cortier en énumère six.

A Tessalit, il y a près de 200 palmiers qu’il n’est pas nécessaire d’arroser, la nappe d’eau étant peu profonde ; ils produisent au plus 40 charges de dattes de qualité médiocre ; presque tous appartiennent au marabout Baï qui a en plus, dans l’ar’erem, une case carrée en pierres et six ou sept gourbis où habitent ses haratins. Baï n’est pas seul propriétaire de Tessalit : Mohammed Illi, amr’ar des Ifor’ass, y possède quelques palmiers et un nègre chargé de les surveiller. Les puits de Tessalit ont de 5 à 6 mètres de profondeur et permettent de cultiver, à l’ombre des dattiers, des oignons, du tabac, etc.

Teleyet ou Telia a été pendant longtemps ce que l’on pourrait appeler le centre religieux de l’Adr’ar’ : Sidi Amer, marabout kounta, acheta aux Tara Mellet l’oued Telia et ses puits au prix de 15 chèvres ; il y fonda une kasbah et y installa sa zaouïa. Son fils aîné, Sidi Mohammed, lui succéda et à sa mort (1895) fut remplacé par Baï son frère qui, secondé par d’autres frères et des neveux, prit la direction de la zaouïa.

Depuis la venue des Français à Teleyet (colonne Théveniaux, 1904), Baï a abandonné sa kasbah et vit maintenant sous la tente, mais sans jamais s’éloigner beaucoup de son ancienne résidence.

Baï est un homme d’une quarantaine d’années qui a une grande réputation de sainteté et de science : sa bibliothèque est célèbre au Sahara ; elle représente, dit-on, la charge de trois ou quatre chameaux.

L’influence de Baï est considérable et il l’a toujours employée à faire régner la paix ; son élève le plus marquant est Moussa ag Amastane, Aménokal des Kel Ahaggar ; c’est en suivant les conseils pieux de son maître que Moussa s’est acquis un grand renom de sagesse et de bonté chez les Touaregs ; c’est aussi d’après les avis du marabout qu’il a poussé ses compagnons d’armes à se soumettre à nous après le combat de Tit (avril 1902).

Malgré le grand rôle que Baï a joué dans la pacification du Sahara,[53] il a toujours évité, jusqu’à présent, d’entrer en relations directes avec nous, comme d’ailleurs avec tous les étrangers au pays, même musulmans.

En dehors de son importance politique, Teleyet est un village insignifiant ; on y cultive un peu de blé, d’orge et de mil, des oignons et du tabac ; il y a une vingtaine de doums, hauts de 8 à 15 m. et un seul dattier. Il y a à Téleyet une demi-douzaine de puits dont les plus profonds ont 7 mètres ; quelques-uns d’entre eux, en mars 1904, contenaient plus de 1 mètre d’eau.

In Tebdoq est un peu moins pauvre ; il appartient à Mohammed Illi : une vingtaine de dattiers à peine donnent, annuellement, trois ou quatre charges de mauvaises dattes ; on y cultive du blé, du mil, du tabac, des piments et des oignons. Il y aurait quatre maisons et six gourbis. Malgré le nom du village, le coton (tebdoq) n’y est pas cultivé, d’après Cortier ; Combemorel (1904) y mentionne cependant quelques plants de coton.

Ir’acher, avec quelques dattiers, qui produisent annuellement 15 à 20 charges ; Ararebba, où il n’y a que des jardins maraîchers, que suffisent à arroser deux puits, sont encore habités.

Kidal, où l’eau est abondante, est en ruines ; les palmiers y sont assez nombreux et les dattes de Kidal passent pour les meilleures de l’Adr’ar’.

Les Ifor’as. — A traverser le pays, on a l’impression que la population y est plus dense que dans l’Ahaggar ; mais les chiffres précis font défaut. Cortier énumère 7 tribus nobles qui, à elles toutes, comptent 56 tentes notables. Au moment de son passage, les tribus imr’ads, dont il énumère une dizaine, avaient presque toutes émigré vers le sud. D’autres tribus ont leurs campements habituels vers l’ouest, dans les plateaux gréseux qui, vers le Timetr’in, prolongent le tassili de Timissao. Il est pour le moment impossible de chercher à dresser une statistique.

Malgré sa proximité du Soudan, l’Adr’ar’ est, ou du moins, a été au point de vue politique une dépendance de l’Ahaggar ; on se rend facilement compte des liens d’intérêt qui rattachent les Ifor’as aux Touaregs du nord. Le climat du Mouidir-Ahnet et de l’Ahaggar est encore bien mal connu, mais on sait cependant que les pluies y sont irrégulières et que la sécheresse oblige fréquemment les nomades à de grands déplacements : à ce point de vue, les Kel Ahaggar ont impérieusement besoin de l’Adr’ar’ pour sauver leurs troupeaux pendant les mauvaises années.

[54]D’autre part, les Ifor’as ont avec le nord à peu près toutes leurs relations économiques ; leurs caravanes fréquentent les marchés du Touat et du Tidikelt où elles achètent des dattes et vendent des moutons ; les Ifor’as ne possèdent pas de chevaux ; ce sont des méharistes, outillés pour le désert, non pour les bords du Niger où en certaines saisons le chameau ne peut vivre. Le seul article d’échange important que possèdent les Ifor’as est le bétail, et ils ne peuvent songer à le vendre vers le sud : les rives du Niger sont largement peuplées de tribus qui se livrent à l’élevage. Les 300 kilomètres qui les séparent du fleuve rendront toujours aux Ifor’as la concurrence impossible.

Enfin ils sont séparés du fleuve par les Maures Kountah, différents de langue, de mentalité, peut-être de race, et leurs ennemis de longue date. La limite ouest de l’Adr’ar’ est une frontière sanglante ; c’est de là que viennent les dangers possibles, contre lesquels la protection des Touaregs du nord peut être indispensable ; on se rend compte ainsi que les Ifor’as aient accepté assez volontiers la suprématie de l’Ahaggar et consenti à payer l’impôt à l’amenokal du nord, malgré le tanezrouft qui est une sérieuse barrière naturelle entre les deux pays.

Le peu que l’on sait de l’histoire du pays confirme la nécessité de cette alliance. Pendant de longs siècles l’Adr’ar’ a été disputé entre les Touaregs, les Maures et l’empire noir Sonr’ai. Les traditions des indigènes, toujours suspectes, sont confirmées par l’existence de plusieurs villes en ruines ; on en cite une dizaine, dont la plus importante est Es Souk ; R. Arnaud croit cette orthographe mauvaise et inventée par les Arabes, voulant interpréter le nom (Es Souk = Le Marché) ; il faudrait écrire Assouk, qui serait à rapprocher d’Azaouak, nom d’une région voisine. Cependant Gautier indique Tademka comme nom berbère d’Es Souk.

Des renseignements assez confus et contradictoires recueillis par Gautier, Arnaud et Cortier[41], il semble qu’Es Souk, créée peut-être par les Sonr’ai qui en ont été les maîtres à plusieurs reprises, a été aussi en la possession des Berbères et d’une tribu maraboutique, les Kel Essouk, qui se donne comme d’origine arabe : elle descendrait d’un disciple de Sidi Okba. Ces Kel Essouk, habituellement instruits, sont actuellement disséminés dans un grand nombre de campements, chez les Oulimminden surtout ; ils apprennent à lire aux enfants.

Les ruines d’Es Souk sont assez importantes ; elles indiquent une[55] ville ouverte, bâtie en pierres sèches, pouvant avoir contenu 2 à 3000 habitants ; on y voit les restes de trois mosquées et d’un marché dont le nom, la Koceilata, rappelle le vieux héros de l’indépendance berbère.

Le nom des Ifor’as figure déjà dans Duveyrier, mais sa signification est encore assez obscure.

Il est porté par une petite tribu qui nomadise au voisinage d’Ansongo, sur le Niger, au sud de Gao, et dont les liens de parenté avec les Ifor’as de l’Adr’ar’ ne sont pas clairs. On le retrouve dans l’Aïr, où une tribu d’Ifor’as dépend du chef des Kel Férouan ; ces Ifor’as de l’Aïr sont assez nombreux, 400 environ ; ils campent habituellement dans le nord du Damergou. On les répute, en Aïr, comme des hommes nobles, mais pauvres et déconsidérés : ils seraient issus de la tribu des Kel Antassar (Touaregs de la région de Tombouctou) et seraient venus, il y a une cinquantaine d’années seulement[42], s’installer sur les terres du sultan d’Agadez.

Enfin chez les Azdjer, il existe des tribus Ifor’as (une centaine de tentes) qui y passent aussi pour étrangères. D’après Duveyrier [l. c., p. 359] elles seraient originaires d’Es Souk.

Aucun de ces groupes d’Ifor’as, sauf peut-être le dernier, ne semble se rattacher de bien près à ceux de l’Adr’ar’.

Les Ifor’as de l’Adr’ar’ ne seraient pas de vrais nobles ; leur pays appartiendrait en droit aux Oulimminden qui l’ont habité longtemps et à qui les Ifor’as payaient tribut.

Le départ des Oulimminden pour le sud aurait rendu les Ifor’as maîtres du pays ; tout ceci est peu clair, car, jusqu’en ces dernières années, jusqu’à l’occupation française, les Ifor’as étaient tributaires des Kel Ahaggar et leur payaient l’impôt.

Adr’ar’ Tiguirirt. — A une assez grande distance de l’Adr’ar’ des Ifor’as (125 kilomètres au sud-est) et séparé de lui par un tanezrouft de roches cristallines, se trouve un autre paquet montagneux, l’Adr’ar’ Tiguirirt, que le capitaine Pasquier a eu l’occasion de traverser. Sa constitution paraît analogue à celle de l’Adr’ar’ des Ifor’as ; les roches cristallines y jouent un grand rôle et l’abondance du mica y est remarquable, d’après les renseignements que Pasquier a bien voulu me communiquer.

[56]L’Aïr.

Pour les habitants du pays, l’Aïr[43] est extrêmement vaste ; il désigne tous les territoires qui dépendent du sultan d’Agadez ; il comprend tous les terrains de parcours des Kel Gress et s’étend jusqu’au voisinage de Sokoto.

Les géographes européens ont pris l’habitude de réserver ce nom à la région montagneuse qui s’étend d’Agadez à Iférouane et c’est cet usage que nous suivrons. Le mot Aïr (ou Ahir) est employé par les Arabes et les Touaregs ; il a un synonyme haoussa : Asbin.

Orographie. — L’Aïr est contigu au sud, et probablement à l’est, à une haute plaine formée de grès et d’argile appartenant probablement au Crétacé inférieur (argiles et grès du Tegama). A l’ouest, une région déprimée, la plaine de Talak qui dans sa partie méridionale contient quelques lambeaux éocènes, lui fournit une limite assez précise ; vers le nord il se relie au tanezrouft : une pénéplaine silurienne, avec de rares îlots archéens, commence à une cinquantaine de kilomètres au sud d’In Azaoua ; les collines basses qui la recouvrent sont alignées d’ordinaire suivant une direction méridienne. Entre Assodé et Aoudéras, cette pénéplaine atteint une altitude voisine de 800 mètres ; elle s’abaisse au voisinage de 500 au nord comme au sud.

Sur cette pénéplaine sont venus se greffer des accidents volcaniques importants qui donnent à l’Aïr sa physionomie si spéciale, et justifient presque le nom d’« Alpes Sahariennes » qui lui a été parfois attribué.

Il y a une assez grande analogie entre l’Aïr et l’Adr’ar’ : tous deux qui, par leur latitude, devraient être des tanezrouft, forment, grâce à leur altitude, en plein désert, des sortes de péninsules demi-fertiles ; ils appartiennent, par leur climat et leur végétation, à la zone sahélienne.

Dès le 20° de latitude, les deux massifs jumeaux de Tar’azi et de Zelim annoncent l’Aïr ; l’un et l’autre se dressent, assez à l’improviste, au milieu de la pénéplaine qu’ils dépassent de 500 mètres. Tous deux contiennent des points d’eau permanents, des r’edirs analogues à celui d’In Zize, mais leur caractère volcanique reste à démontrer.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. VI.

Cliché Posth

11. — KORI TIN TEBOIRAK (SAISON D’HIVERNAGE).

25 km. à l’Est d’Agadez.

Cliché Posth

12. — UNE CASCADE PRÈS D’AOUDÉRAS.

Après un orage.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. VII.

Cliché Posth

13. — LE KORI D’AOUDÉRAS, APRÈS L’ORAGE

Cliché Posth

14. — PRÈS D’AOUDÉRAS (AÏR).

Au premier plan, une repousse de C. thebaïca, simulant un palmier-nain.

Au fond, le massif d’Aoudéras.

Ces deux massifs sont assez accidentés, ils contiennent des pâturages[57] suffisants pour quelques montures, et sont le repaire habituel de Tebbous ou d’Azdjer, coupeurs de route, qui enlèvent souvent quelques chameaux aux caravanes mal gardées. D’après le kébir d’Iférouane, El Hadj Mohammed, une tente touareg y était installée presque à demeure, tout au moins ces années dernières, et prélevait ouvertement un droit de passage sur les marchands de R’at qui descendaient à Zinder et à Kano.

Les massifs volcaniques sont nombreux et pressés surtout entre l’oued Sersou et Aoudéras. Beaucoup de sommets dépassent 1000 mètres ; quelques-uns atteignent 1400 et le pic majeur du Timgué s’élève à environ 1700, dominant de près de 1000 mètres la vallée d’Iférouane.

Cette surimposition, à une vieille pénéplaine usée, de massifs éruptifs jeunes, donne à l’Aïr un aspect surprenant, presque paradoxal : les vallées sont des vallées de plaine, souvent larges, parfois bordées de prairies, à pente assez faible ; le travail de l’érosion y est insignifiant ; leur fond est tapissé de sable, les galets y sont rares : les sommets qui, d’un seul jet, s’élèvent à 5 ou 600 mètres au-dessus des rivières, font songer à un pays de montagnes et de ravins : on s’étonne de ne pas voir des lits de torrents descendus des hauteurs ; on cherche, au pied des escarpements, les cônes de déjection.

Fig. 20. — L’Adr’ar’ Adesnou, vu de la gorge de l’oued Kadamellet.

Cet aspect singulier est dû à la juxtaposition de deux formations que l’érosion n’a pas eu le temps de raccorder. Les parois des dômes sont trop dures, trop abruptes et trop jeunes pour que, dans un pays où la pluie est rare, le ruissellement ait pu y créer un bassin de réception. Les orages coulent en nappe sur leurs flancs ; nulle part les eaux ne se réunissent en masses assez considérables pour pouvoir remanier sérieusement les parties basses, les lambeaux, non recouverts par les laves, de la pénéplaine restée presque horizontale, lambeaux qui[58] forment entre les massifs volcaniques comme un réseau de couloirs où les caravanes passent aisément.

L’Aïr fournit d’excellents exemples de ces montagnes créées par une accumulation de matériaux, accumulation assez rapide pour que la part de l’érosion dans la production de ces formes de terrain soit négligeable. Ces montagnes que l’eau n’a pas sculptées, n’ont jamais formé de chaînes ; elles ont toujours été isolées les unes des autres.

La sécheresse du climat est évidemment pour beaucoup dans le rôle insignifiant qu’il convient d’attribuer à l’érosion ; mais il faut aussi faire sa part au facteur géologique : la plupart des masses éruptives de l’Aïr rentrent dans la catégorie des cumulo-volcans et des dômes que l’éruption de Giorgios, en 1866, à Santorin, avait permis à Fouqué d’entrevoir et que, tout récemment, les dernières éruptions de la Martinique nous ont appris à mieux connaître[44] : des crêtes, comme l’Adr’ar’ Ohrsane (fig. 74) sont inexplicables par l’érosion ; on ne peut les comprendre que formées par la juxtaposition d’aiguilles, analogues à celles de la montagne Pelée : elles sont le résultat à peu près inchangé d’un phénomène de construction.

Parfois cependant, dans l’Aïr, les éruptions ont été d’un type plus banal ; à Aoudéras, de belles coulées de basaltes sont accompagnées de projections et de bombes volcaniques ; un bassin de réception a pu se créer dans les cinérites (fig. 73) et la rivière qui en sort s’est creusé, dans le plateau d’alluvions qui porte le village d’Aoudéras, un lit qui est en contre-bas de 5 ou 6 mètres.

La plupart des montagnes de l’Aïr sont de couleur foncée comme celles de l’Adr’ar’ ; ce vernis du désert qui couvre d’une pellicule noire la plupart des roches, quelle que soit leur couleur propre, est extrêmement brillant ; à certaines heures, les massifs d’Asbin ont presque l’éclat métallique. La présence de cette patine foncée n’est pas constante : l’Ohrsane est rose et jette une teinte claire sur le paysage ; jusqu’au sud de l’Aïr, les tons de quelques rochers restent assez variés et ces taches de couleur vive contrastent assez gaiement avec les montagnes sombres qui forment les masses principales. Malheureusement, le ciel est souvent brumeux et l’on ne voit que rarement dans l’Aïr ces jeux de lumière éclatants qui font le charme de l’Ahaggar. Parfois cependant, après une averse qui a nettoyé l’atmosphère, le spectacle devient magnifique ; le 22 septembre 1905, du campement de l’oued Kadamellet, au coucher du soleil, l’Adr’ar’ Adesnou (fig. 20) semblait une masse de bronze qui se détachait puissamment sur un[59] ciel lie de vin, la teinte sensible des physiciens ; quelques nuages bleu indigo ajoutaient, à la magie de la couleur, une nuance imprévue.

La pénéplaine silurienne et archéenne qui sert de socle à l’Aïr se relie très graduellement au tanezrouft qui lui fait suite au nord ; les massifs de Timgué (1700), d’Aguellal, (1100) d’Akelamellen (1200) et d’Agalac (1400) reposent sur cette partie basse de la pénéplaine. Entre les puits d’Agalac et d’Aourarène la piste est obligée de franchir une falaise d’une quarantaine de mètres, orientée est-ouest, au nord du volcan d’Aggatane ; on accède ainsi à un plateau qui porte le Bilat (1400), le Tchemia, le Baghazan (1400) et le massif d’Aoudéras (1400). Sur la route d’Aoudéras à Agadez la descente est à peu près continue, sauf quelques marches de 3 à 4 mètres, et je n’avais pas d’abord attribué à ce plateau du sud de l’Aïr une importance suffisante. Des renseignements nouveaux, dus à l’amabilité du capitaine Posth, qui a bien voulu mettre à ma disposition ses levés d’itinéraires (fig. 22) et de nombreux documents manuscrits, montrent que ce plateau d’Aoudéras est un trait tout à fait important dans la structure de l’Aïr. La région montagneuse s’étend beaucoup plus au sud que ne l’indiquent les cartes les plus récentes ; les Alpes Sahariennes descendent jusqu’à la latitude d’Agadez ; leur limite est assez nette et peut être tracée avec précision ; le rebord méridional de ce plateau est indiqué non pas par une falaise continue, mais par une série de mamelons, hauts de 10 à 20 mètres, que l’on peut suivre pendant longtemps au nord d’une importante vallée qui le sépare du Tegama. Ces premiers contreforts de l’Aïr avaient été aperçus, de loin, dès 1902, par Cauvin qui avait escorté, jusqu’à 50 km. à l’est d’Agadez, une forte caravane.

Fig. 21. — Aïr. L’Adr’ar’ Timgué ou de l’oued Tidek.

Iférouane est au pied du dernier piton au S.W.

Sur la partie méridionale de ce plateau, qui serait à peu près à 600 mètres, se dressent un certain nombre de massifs montagneux ; le plus important est le Taraouadji qui contient dans sa partie nord quelques sommets dont l’altitude varie de 800 à 900 mètres ; quelques-uns[61] approchent de 1000 mètres ; la montagne de Tassamakal et celle de Tsilefin atteignent 800 ou 900 mètres.

Tous ces massifs paraissent en majeure partie granitiques, autant que l’on en peut juger par les photographies du capitaine Posth et les échantillons qu’il a rapportés, et qui sont à l’étude au Muséum. Il est vrai que le pourtour seul des Taraouadji a été parcouru ; d’après les renseignements des guides, ce massif ne forme pas une masse compacte ; il est coupé par un grand nombre de vallées souvent assez larges, du type habituel aux koris de l’Aïr. Les Taraouadji sont donc très habitables ; en fait, ils ont souvent servi, en cas de surprise, de refuge aux nomades de la région d’Agadez, et l’on comprend le peu d’empressement que les gens du pays aient eu à nous faire connaître leur citadelle.

RÉGION MÉRIDIONALE
DE L’AÏR

Fig. 22. — Région méridionale de l’Aïr, d’après les itinéraires et les renseignements du capitaine Posth.

Hydrographie. — Ce haut massif de l’Aïr qui, de l’Ohrsane au Kori d’Idelioua, se développe sur environ 260 kilomètres avec une largeur qui en atteint parfois 75, donne naissance à de nombreuses rivières qui, toutes, coulent trois ou quatre fois par an. Les Haoussa les appellent des koris[45], le nom est peut-être bon à conserver : elles sont beaucoup plus vivantes que les oueds sahariens ; dans quelques-uns de ces koris la végétation est presque forestière, au sens qu’a ce mot en Europe ; le plus souvent, le kori est couvert d’un tapis de graminées avec quelques arbres isolés. Dans l’Adr’ar’, comme dans l’Aïr, la formation végétale qui domine dans les vallées se rattache à la savane ou à la brousse à mimosées ; les hauteurs dénudées appartiennent au type saharien ; mais à côté de cette ressemblance générale il y a des différences nombreuses ; les larges plaines d’alluvions argileuses sur lesquelles s’épandent en couches minces les eaux de l’Adr’ar’, n’ont pas d’équivalents dans l’Aïr ; les vallées sont plus étroites, plus resserrées entre les massifs montagneux ; leur fond est occupé par des arènes granitiques ou du sable assez grossier ; il y a parfois des galets ; assez fréquemment on peut distinguer un lit mineur avec des berges de quelques décimètres et qui se continue sur tout le parcours de la rivière ; la pente des vallées, plus forte dans l’Aïr que dans l’Adr’ar’, explique suffisamment ces divergences.

Les crues doivent être parfois très violentes : dans le haut Teloua,[62] qui est encaissé, des graminées et des branches charriées par la crue étaient accrochées à des arbres à 3 mètres du sol.

J’ai vu l’Ir’azar couler à Iférouane, le 7 octobre 1905 ; il avait plu dans la nuit sur le Timgué ; au matin il y avait dans le ruisseau, large d’une dizaine de mètres, 0 m. 25 d’eau qui coulait rapidement : on en entendait le bruit à 100 mètres ; à neuf heures et demie, il restait quelques flaques isolées, qui disparurent avant midi. L’Adrar Timgué est imperméable, d’où le peu de durée de la crue.

A Aoudéras, la montagne est formée de coulées de basalte et de cinérites ; aussi, quand il a plu, le très mince filet d’eau courante qui passe au pied du village persiste plus longtemps ; nous l’avons vu le 23 octobre ; il avait à peine 1 mètre de large et 2 ou 3 centimètres de profondeur : les habitants d’Aoudéras comptaient qu’il ne serait à sec qu’une quinzaine de jours après la tornade. Il y aurait même sur le Baghazam un ruisseau presque permanent.

Fig. 23. — Aïr. Extrémité nord du massif d’Akelamellen. — Du puits d’Agalac.

La plupart des belles photographies que Posth a rapportées d’Aïr ont été prises après des orages. Les ruisseaux et les cascades qu’elles figurent, donnent du pays une représentation qui n’est que très accidentellement exacte.

Je n’ai pas vu de r’edir, mais il y en a sûrement dans la montagne ; ils sont d’accès difficile et les puits sont assez fréquents, assez peu profonds (18 mètres au plus) pour que l’on puisse négliger les autres ressources.

A part deux ou trois koris, connus seulement par renseignements, K. de Tafidet, de Ténéré, qui se dirigent vers l’est et appartiennent au bassin de Bilma, toutes les eaux de l’Aïr aboutissent, théoriquement au moins, au bassin du Niger ; il est douteux qu’une seule goutte d’eau tombée en Asbin arrive aussi loin, mais l’ancien cours de l’Ir’azar d’Agadez est jalonné par une série de puits peu profonds, dont quelques-uns sont comblés aujourd’hui ; celui d’Assaouas[63] (10 m.), à 50 kilomètres d’Agadez, est encore bien vivant ; à Teguidda n’Adrar, il y a plusieurs mares, alimentées par des sources qui donnent naissance à de courts ruisseaux. Les puits suivants : Sekkaret (7 à 8 m.), Tamat Tédret (2 m.), Tamayeur (1-2 m.), Inerider (4 m.), Manetass (4-6 m.), Gessao (1-2 m.) se succèdent assez régulièrement vers l’ouest. A Tenekart, le fleuve, qui a pris le nom d’Azaouak, est bien marqué ; la vallée, nettement encaissée, a 6 ou 7 kilomètres de large. A ce point, l’Azaouak change de direction et va tout droit vers le sud en passant par Filingué, Sandiré ; dans cette dernière partie de son cours, il devient le Dallol Bosso, affluent du Niger[46].

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. VIII.

Cliché Posth

15. — CASES DU VILLAGE D’AGUELLAL (AÏR)

Cliché Posth

16. — LE MASSIF ET LE VILLAGE D’AOUDÉRAS (AÏR).

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. IX.

Cliché Posth

17. — LE PUITS DE TINCHAMANE, A AGADEZ.

Remarquer l’outre à manche et la double corde.

Cliché Posth

18. — LES “ DOUM ” (CUCIFERA THEBAÏCA DEL.) DANS UN KORI D’AÏR.

De Tenekart à Assaouas tous les puits mentionnés se trouvent sur la route de Gao à Agadez, route qui a été suivie par d’importantes caravanes au temps de la splendeur de l’empire Sonr’aï.

Pratiquement la masse principale des eaux s’arrête beaucoup plus près de l’Aïr. Presque toutes les rivières qui prennent naissance dans la partie méridionale du massif montagneux, dans les Taraouadji notamment, se dirigent vers le sud et aboutissent à une région déprimée, allongée de l’est à l’ouest, comprise entre le rebord du plateau d’Aoudéras et la falaise de Tigueddi ; le long du cours du kori d’Abrik qui recueille les eaux de cette dépression, se trouvent plusieurs mares d’hivernage importantes, et des pâturages permanents, assez fréquentés ; le kori d’Abrik vient rejoindre, à Assaouas, l’Ir’azar d’Agadez.

Mais la grande majorité des rivières de l’Aïr le traversent de l’est à l’ouest et vont rejoindre l’Ir’azar d’Iférouane qui, à deux jours de marche des montagnes, s’épand en une vaste plaine, la plaine de Talak[47], très riche en eau et en pâturages ; d’après les derniers renseignements que j’ai pu avoir sur ces régions, le Taffassasset viendrait lui aussi passer dans cette région du Talak.

Cette plaine de Talak serait un vaste cirque entouré de hauteurs, surtout vers l’est ; l’eau de source y est abondante et excellente. Les pâturages y sont beaux ; on parle même d’une forêt vierge, impénétrable par place. En tous cas, cette région de Talak semble jouer un rôle très important dans la vie des nomades de l’Aïr ; les villages de la partie montagneuse, simples entrepôts commerciaux, ne vivent que de produits achetés au dehors ; dans l’Aïr même, les vallées se dessèchent parfois et les troupeaux ne trouvent pas toujours à y paître ; dans la plaine de Talak, au contraire, l’élevage est toujours possible ; les tentes y sont souvent rassemblées.

[64]Ces deux dépressions recueillent, en somme, presque toutes les eaux des montagnes de l’Aïr, qu’elles limitent très nettement à l’ouest et au sud ; ce sont parfois, à la saison des pluies, de véritables fleuves qui coulent pendant quelques heures. Ces fleuves se réunissent ou plutôt se réunissaient autrefois, lorsqu’il pleuvait au Sahara, vers l’ouest, au delà des Teguidda, à Tamat Tédret et contribuaient tous deux à former l’Azaouak.

Les villages. — Comme l’Ahaggar et l’Adr’ar’ des Ifor’as, l’Aïr est habité par des nomades et par des sédentaires.

Mais la plupart des villages y ont un caractère commercial très particulier : l’Aïr s’est trouvé de tout temps sur le passage obligé des caravanes qui, de Tripolitaine ou de l’Ahaggar, vont commercer dans les territoires plus riches de Kano et de Zinder. Aussi tous les villages de l’Aïr sont-ils surtout des relais pour les chameaux, des entrepôts pour les marchandises ; il n’existe de jardins, de cultures, que dans un très petit nombre d’entre eux. Depuis que la traite a été supprimée dans les possessions européennes, les grands convois d’esclaves ont disparu ; n’ayant plus à échanger contre les produits de la Méditerranée que quelques plumes d’autruche et des peaux de filali, les chefs noirs ont dû singulièrement restreindre leurs achats et le commerce est tombé presque à rien. Aussi tous les centres de l’Aïr sont en pleine décadence, et tous donnent une fâcheuse impression de ruine et de misère.

La capitale, Agadez, avait 7000 habitants vers 1850, d’après l’évaluation de Barth ; c’est aujourd’hui une ville bien déchue : l’étendue de ses ruines, l’importance de ses cimetières, la hauteur de son minaret dénotent un centre autrefois florissant. Ce minaret (Pl. XI) est une pyramide élevée de 20 à 25 mètres, au sommet de laquelle on accède par un plan incliné en colimaçon ; c’est certainement une belle construction en terre sèche, qui, d’après la légende, aurait neuf cent quatre-vingts ans d’âge et daterait d’Almou Bari, second sultan d’Aïr, à qui les Kel Gress l’auraient offerte. Il ne reste plus aujourd’hui à Agadez que 200 chefs de cases : tous ont été réunis un jour, pour un palabre, dans une des pièces du poste militaire ; il a été facile de les compter. Cela fait tout au plus 1500 habitants pour la ville.

Une certaine industrie existe dans la ville ; on y fait de fort belles sparteries, d’un travail soigné : la matière première est fournie par les palmiers doums dont les feuilles, coupées en lanières fines, sont bouillies dans l’eau pour en accroître la souplesse. Ces lanières sont[65] teintes en jaune avec de l’ocre ; en rouge acajou avec des feuilles de mil ; pour les teindre en noir, on les fait rouir dans certaines mares dans lesquelles on jette des scories de forge ; le tannin est fourni par les feuilles. Ces trois couleurs, jointes à la teinte paille des feuilles séchées, permettent d’obtenir des dessins géométriques d’une réelle élégance.

Comme les fabricants de nattes, les bijoutiers d’Agadez ont une certaine réputation au Soudan ; ils savent ciseler l’argent avec quelque finesse et le couvrir d’ornements de bon goût. — L’industrie de la poterie est également développée.

A Agadez même, la culture est insignifiante : les puits sont éloignés et profonds, celui du poste français (Tinchamane) est à 1500 mètres d’Agadez et dépasse 21 mètres ; à Agadez même les puits, dont l’eau est mauvaise, ont un débit insignifiant. Dans ces conditions, l’irrigation est pénible, presqu’impossible. Mais à quelques kilomètres au nord, dans la vallée du Téloua, à Alar’sess, l’eau est à fleur de sol ; les puits à bascule vont chercher l’eau dans de simples tilmas. La culture y est assez développée, quoique peu soignée ; les seguias sont mal entretenues et les planches des potagers, où tout est semé un peu pêle-mêle, n’ont pas la belle ordonnance des jardins des Oasis ou de l’Ahaggar où la culture est aussi correcte que chez nos maraîchers parisiens. Cependant, depuis la décadence du commerce et la gêne qui en résulte pour les habitants, la culture tend à se développer. C’est un symptôme heureux qui est assez général au Sahara.

A Alar’sess on cultive fort peu de céréales (mil, maïs, etc.), mais surtout des légumes qui sont les mêmes que dans l’Ahaggar (courges, tomates, etc.). Les principales cultures sont l’oignon et la carotte ; cette dernière plante serait d’introduction récente dans l’Aïr ; les premières graines auraient été données aux jardiniers par Foureau (1900) [Jean, l. c., p. 145].

Les animaux domestiques sont peu nombreux ; les chevaux, les zébus, les moutons existent à peine. Les chèvres sont assez communes ; beaucoup d’habitants ont des poules, des pintades et des pigeons ; quelques autruches domestiques sont élevées dans les cases. Il y a quelques chiens et, en 1905, le sultan possédait un chat.

Aoudéras (200 habit.) a, au plus, une soixantaine de cases en terre et en paille, et quelques tentes en sparterie. Le tissage des nattes y paraît assez développé. Des puits à bascule permettent d’irriguer quelques jardins ; l’abondance des coulées de basalte au voisinage,[66] entretient l’humidité des alluvions et, le long de l’oued, il y a environ 850 dattiers et autant de doums.

Beaucoup de caravanes passent à Aoudéras ; la plupart des tribus nomades de l’Aïr y ont une maison où elles déposent leurs provisions de céréales et leurs objets de valeur, confiés à la garde de quelques bellah.

Assodé est historiquement la capitale de l’Aïr montagneux, la patrie du chef des Kel Oui, l’anastafidet Yato. Il y a actuellement 69 maisons habitées et peut-être 200 habitants[48]. Gadel y a compté 337 maisons démolies ; la plupart étaient bâties en pierres et de forme carrée. Un minaret, comparable peut-être autrefois à celui d’Agadez, est en ruines aujourd’hui ; il aurait été construit il y a un millier d’années d’après les informations indigènes et se serait écroulé il y a 4 siècles.

Ceci n’est guère d’accord avec les indications de Barth, qui place en 1420 la fondation d’Assodé.

Assodé est aujourd’hui en pleine décadence ; l’anastafidet y a toujours sa demeure officielle, mais il y vient à peine passer quelques jours par an et réside habituellement dans le Damergou.

Il n’y a pas de cultures à Assodé.

Aguellal mérite à peine d’être cité ; il n’y a que quelques cases et huttes, des greniers à mil, et une mosquée sans apparence ; les jardins font défaut. Aguellal est cependant le centre religieux le plus important de l’Asbin ; le marabout, El Hadj Sliman, y aurait une centaine d’élèves ; sa bibliothèque, la plus riche du pays, est évaluée à un millier de volumes. Il appartient à la confrérie des Quâdria, la seule importante en Aïr, où les Senoussistes ont peu d’influence.

Iférouane, plus connu dans le pays sous le nom d’Ir’azar, est, à qui vient du nord, le premier village du Soudan ; il y existe quelques cases carrées en terre, mais les paillottes rondes à toit conique y dominent déjà ; elles existent seules dans quelques hameaux de bergers, voisins d’Iférouane, dont ils ne sont que les faubourgs. Chaque case, qu’elle soit de terre ou de paille, est habituellement accompagnée de constructions auxiliaires dont la plus fréquente est une sorte de vérandah, simple toit posé sur quatre pieux à deux mètres du sol et que l’on retrouve dans tout le Soudan. Toutes les constructions qui appartiennent à un même chef de familles ont encloses d’une palissade commune formée le plus souvent de branches de korunka. Tout cela est bien nègre.

[67]Les cultures d’Iférouane ont un développement moyen ; une maigre palmeraie (4250 palmiers) s’y meurt (Pl. XI, phot. 21). Les céréales, le mil, le blé, un peu d’orge et de maïs, n’y donnent de récolte que les années humides. Seuls, quelques légumes (tomates, oignons, concombres, pastèques et menthe, etc.) y sont d’un produit assuré. Les puits ont une dizaine de mètres de profondeur et l’eau en est tirée dans des outres à manche, auxquelles sont attelés des zébus.

Iférouane est surtout un marché, quelque chose comme un centre d’affaires ; les notables y ont seulement un pied à terre ; ils n’y viennent qu’en passant, pour assurer le trafic ; leur vraie résidence est le village de Tintar’odé qui est situé dans la montagne, à une quinzaine de kilomètres au sud-est, et où sont déposées leurs réserves. La population stable serait d’une centaine d’habitants.

Fig. 24. — L’Adr’ar’ Timgué, vu d’Iférouane.

Il existe dans le sud de l’Aïr, dans le Baghazam, des villages peu importants comme nombre de cases[49] (Elnoulli, Akari, Tassassat) où se fait un peu de culture maraîchère. Mais la raison d’être de ces villages est différente ; situés en dehors des routes commerciales, en des points d’accès difficile, ils servent, en cas d’attaque, de dernier refuge : la légende raconte que les Kel Aïr y résistèrent, pendant trois ans, à un puissant sultan du Bornou, qui dut finalement lever le siège, et regagna à grand’peine ses États. Bien à l’abri des rezzou, ils servent surtout d’entrepôts, et l’on y trouve toujours des provisions considérables de mil, de dattes et de sel.

Il est probable que le cas du Baghazam et de Tintar’odé n’est pas isolé et qu’à côté des villages de commerce, situés sur les routes caravanières, il existe de nombreuses retraites dans la montagne ; c’est une nécessité que la peur a inspirée aussi bien à l’Aïr qu’à l’Adr’ar’ et à l’Ahaggar.

[68]On pourrait allonger cette liste de quelques noms de villages encore habités ; on trouvera dans Jean une nomenclature plus complète. Beaucoup de points sont complètement délaissés, qui ont été importants : d’Agalac, il reste un cimetière et les débris de quelques cases ; Tin Telloust, où Barth a résidé, est abandonné de même que Tafidet. Tin Telloust et Tafidet étaient à la lisière orientale de l’Aïr, sans protection contre les Tebbous ; cette insécurité a causé leur ruine : même les pasteurs hésitent à profiter des beaux pâturages de cette partie de l’Aïr.

In Gall. — Bien qu’il soit en dehors de l’Aïr proprement dit, il convient de mentionner ici, parce qu’il dépend du sultan, le petit ksar d’In Gall, situé à l’extrémité occidentale de la falaise de Tigueddi, dans l’Azaouak, à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Agadez. In Gall aurait été fondé au commencement du XVIIIe siècle par les Icherifan (Posth)[50].

C’est un marché important pour le commerce du sel, qui provient de Teguidda n’Tecum, situé à 80 kilomètres au N. Les Kel Gress et les Oulimminden le fréquentent ; il est sur la route directe de Tahoua à Agadez. L’eau d’In Gall est très bonne, et il y a une assez belle palmeraie (4000 palmiers).

On a cru longtemps que les dattes d’In Gall étaient de qualité inférieure, car, par crainte de pillage, les propriétaires les cueillaient dès qu’elles commençaient à mûrir ; depuis que la présence de tirailleurs permet d’attendre la maturité, on a pu s’assurer que les dattes étaient bonnes. En 1907, le grain ayant manqué, la récolte a été assez abondante pour nourrir la population pendant trois mois (Posth).

Cette localité, plus petite qu’Agadez, n’est pas délabrée comme elle ; les maisons y ont leurs façades et leurs terrasses ornées de motifs d’architecture d’assez bon goût ; elles voisinent avec de bonnes paillottes, à toit conique surmonté d’œufs d’autruches, du type habituel aux villages noirs.

D’après Gadel, il y aurait une centaine de maisons et 300 habitants à In Gall ; 800, d’après Posth. Un poste de tirailleurs y a été installé pendant quelques mois en 1904 ; il a été rétabli en 1907.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. X.

Cliché Posth

19. — UN PUITS A BASCULE DANS LA PALMERAIE D’AOUDÉRAS.

Soir d’orage.

Cliché Posth

20. — UN KORI D’AÏR

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XI.

Cliché Posth

21. — LA PALMERAIE D’IFÉROUANE (AÏR)

Il n’y a pas de culture sous les dattiers.

Cliché Posth

22. — LA MOSQUÉE D’AGADEZ.

Le minaret a une vingtaine de mètres.

[69]Histoire. — L’Aïr est beaucoup plus peuplé que l’Ahaggar et l’Adr’ar’ des Ifor’as ; sa population est aussi moins homogène, et l’organisation politique y est très compliquée. Quelques renseignements historiques (?) sont nécessaires pour l’éclaircir un peu.

Quelques tribus nomades, Kel Fédé, Kel Gress, Kel Ferouan, Kel R’arous, Hoggar, etc., sont blanches et appartiennent aux races méditerranéennes ; mais la plupart des Touaregs de l’Aïr sont des noirs ou des mûlatres, apparentés de près aux Haoussas qui auraient été les premiers habitants du pays.

La langue haoussa est très répandue dans tout l’Aïr ; elle est comprise généralement de tous et paraît employée dans les villages de préférence au tamachek. On la retrouve dans les noms propres où « dan », fils, en haoussa, tient la place du « ben » des Arabes ou du « ag » des Berbères : Yato dan Kasseri est le nom d’un des principaux chefs du pays, l’anastafidet.

Agadez et In Gall ont été des colonies de Gao au temps de sa splendeur et la langue sonr’ai y est encore parlée ou tout au moins comprise (Lt Jean). Quant aux conquêtes bornouannes, dont la légende a conservé le souvenir, elles paraissent avoir été sans influence sur le pays.

Avant notre installation, toute récente[51], dans l’Aïr, le sultan d’Agadez, le serki n’Asbin des Haoussas, commandait, théoriquement au moins, aux Kel Gress et aux Kel Oui ainsi qu’à une fraction des Oulimminden.

Le lieutenant Jean a recueilli, avec grand soin, les traditions historiques des Asbinaoua ; les Kel Gress et les Kel Oui auraient quitté, vers le VIIIe siècle, le Fezzan devenu trop peuplé (?) ; ils se seraient installés dans l’Aïr, les premiers à l’ouest, les seconds à l’est de la route d’Iférouane à Agadez. Les Kel Gress restèrent peu de temps au contact des Kel Oui ; ils continuèrent leur migration vers le sud et s’étendirent jusqu’au Sokoto, où ils seraient arrivés à la fin du XVIIIe siècle.

Quant au sultan, il serait d’origine étrangère : naguère, las des luttes incessantes qui déchiraient les tribus, les plus sages des Touaregs décidèrent d’aller demander à Constantinople un chef qui pût les mettre d’accord. La députation qui partit comprenait surtout des Itessehen, appartenant au groupe des Kel Gress et actuellement fixés[70] dans le Sokoto ; pour cette raison, jusqu’à notre établissement dans le pays, les chefs des Itessehen sont restés les grands électeurs du sultan.

Le Commandeur des Croyants leur donna un de ses fils, Ihounés, né d’une femme captive, qui partit accompagné de quelques esclaves, ancêtres de tous les ministres actuels. Dès le début, l’intervention de six sœurs, sultanes imenanes, provenant d’une tribu de l’Ahaggar, amena la séparation des Kel Oui en deux fractions principales : trois d’entre elles, les plus jeunes, restèrent à Agadez et furent les mères des tribus qui dépendent directement du sultan ; les trois aînées retournèrent à Iférouane et eurent pour descendants les Kel Oui proprement dits, qui dépendent de l’anastafidet, le véritable chef de l’Aïr et son intermédiaire auprès du sultan. Tout ceci est évidemment en partie légendaire, mais il est intéressant de retrouver les Imenan, qui sont des Cheurfa, descendants probables des premiers missionnaires musulmans qui vinrent en pays touareg, jouer un rôle en Aïr ; chez les Touaregs du nord, ils ont été longtemps les chefs de toute la confédération et ont eu une très grande importance ; ils ont provoqué récemment les guerres qui ont mis aux prises les Ahaggar d’Aïtar’el et les Azdjer d’Ikhenoukhen, l’ami de Duveyrier, guerres qui auraient amené, à la demande d’Ikhenoukhen, l’installation d’une garnison turque à R’at (1877 ?) [Benhazera, Six mois chez les Touaregs, p. 101-122].

De l’ambassade à Constantinople et de la démarche des six sultanes, est résulté un protocole extrêmement précis et très compliqué qui se manifeste à l’élection de chaque sultan et, tous les ans, à la réunion des chefs, à la « sansanié », où, sous la présidence du serki, la justice est rendue. On trouvera le détail de ces cérémonies dans Gadel et dans Jean : l’étiquette y est très ridicule, très stricte et aurait certainement satisfait la Palatine, juge difficile et sévère.

Il est peu aisé de fixer une date à l’établissement de la dynastie d’Agadez ; on connaît le nom d’une centaine de sultans et, d’après les marabouts instruits d’Aïr, le premier serait arrivé à Agadez vers 1420, la prise de Constantinople par les Turcs est de 1453[52] ; il y a donc contradiction flagrante entre la date indiquée et la légende d’Ihounés qui paraît cependant reposer sur des faits positifs.

Les habitants. — Les habitants de l’Aïr se partagent en un certain nombre de castes, analogues à celles que l’on trouve chez les Touaregs du nord.

[71]Il y a d’abord des tribus nobles, les Imajeran, puis les Ifor’as, récemment venus en Aïr, et dont la noblesse n’est pas certaine ; les Imr’ad, qui sont analogues à ceux de l’Ahaggar, comme eux libres, mais vassaux des Imajeran.

Les Irraouellan sont des affranchis ou des descendants d’anciens captifs ; les enfants d’un Touareg libre et d’une esclave sont de droit Irraouellan, en même temps que la mère est affranchie. Ces affranchis (bouzou, pluriel bougajié en haoussa) sont extrêmement nombreux ; quelques-uns sont établis dans le Haoussa où ils se livrent à la culture et à l’élevage ; jusqu’à notre arrivée, ils payaient un léger tribut à leurs anciens maîtres. D’autres sont restés en Aïr et vivent surtout du commerce et des caravanes ; ils seraient 4 ou 5000.

Enfin les captifs (bellah en haoussa, iklan en tamachek), dont quelques-uns vivent auprès de leurs maîtres, tandis que le plus grand nombre gardent au loin les troupeaux et sont en fait à peu près libres, forment la dernière caste.

Beaucoup de ces esclaves sont très attachés à leurs patrons et ne veulent pas être libérés ; captifs, ils n’ont pas à se préoccuper de leur nourriture ; la sécurité et le repos d’esprit qui en résultent pour eux compensent largement l’absence de liberté : un usage très humain de l’Asbin autorise les marabouts à s’opposer à l’affranchissement d’un esclave lorsqu’il est infirme ou âgé, ou bien, pour une cause quelconque, hors d’état de gagner sa vie. Ce manque d’enthousiasme pour une vaine liberté s’observe dans les États noirs aussi bien qu’en Aïr.

Les données de Jean permettent d’établir les statistiques suivantes :

Tribus dépendant directement du Sultan.

NOMBRE DE TRIBUS TOUAREGS POPULATION TOTALE CHAMEAUX CHEVAUX BŒUFS ÂNES CHÈVRES ET MOUTONS
Immakitane 7 95 460 400 19 20 100 2000
Kel Tadek 3 100 470 300 5 30 20 1800
Amazegzel 3 30 125 0 50 0 30 500
Kel Ferouan 14 685 4320 3000 120 1100 900 11000
Tribus non groupées 13 520 2830 4500 90 450 600 9000
40 1430 8205 8200 284 1600 1650 24300

Les Kel Ferouan seraient arrivés en Asbin avec le sultan Ihounés, qui, à la demande d’une jeune fille noble de la tribu (Ibouzahil ou[72] Izoubahil, Isabelle ?), aurait consenti à installer les Kel Ferouan autour d’Agadez et à faire de leurs guerriers sa garde particulière, garde d’une indépendance souvent dangereuse. Les Kel Ferouan ont toujours conservé une grande liberté ; leur chef entretient à Agadez, auprès du sultan, une sorte d’ambassadeur, le Rastamala (Pl XXXI, phot. 59).

Tribus Kel Oui dépendant de l’anastafidet.

NOMBRE DE TRIBUS TOUAREGS POPULATION TOTALE CHAMEAUX CHEVAUX BŒUFS ÂNES CHÈVRES ET MOUTONS
Kel Oui 13 312 1795 1800 30 170 250 4000
Kel Tafidet 8 305 2555 1350 40 300 160 6000
Azanières 6 160 1080 1800 30 100 140 2000
Ikaskazan[53] 15 480 3170 7000 160 320 640 6000
42 1257 8600 11950 260 890 1190 18000

Il y aurait d’après cela, en Aïr, environ 20000 habitants dont 3000 guerriers. Leur fortune en troupeau serait, en chiffre rond, de 20000 chameaux, 600 chevaux, 3000 ânes, 2600 bœufs et 45000 chèvres ou moutons.

Un rapport manuscrit du capitaine Posth permet de préciser ou de rectifier quelques points ; il confirme le chiffre de 20000 habitants, mais augmente sensiblement le nombre des tribus ; chez les nobles surtout, la pulvérisation est poussée à l’extrême et certaines fractions ne comptent que trois ou quatre tentes ; l’une d’entre elles même, celle des Kel Taguei, du groupe des Ikaskazan, n’a plus qu’un seul représentant (en 1907).

Les 20000 habitants comprendraient 8 à 10000 Touaregs (Imajeran, Ifor’as et Imr’ad) ; 4 à 5000 Iraouellen ; 2500 à 3000 sédentaires (Agadez et région des Teguidda) et 2 à 3000 captifs.

J’avais noté, à Agadez, que les guerriers comprenaient 2149 hommes libres et 827 bellah.

Tous ces renseignements sont assez concordants, de sorte que le chiffre de la population peut être considéré comme exact.

Quant au bétail, Posth l’estime beaucoup plus nombreux que les statistiques de Jean ; 400000 chèvres et moutons, et 60000 chameaux.

Les Kel Gress qui nomadisent surtout entre In Gall, Sokoto et Kano ne sont pas compris dans les statistiques précédentes. Ils[73] tendent de plus en plus à s’installer avec leurs nombreux troupeaux dans le Tessaoua et le Gober ; ils ne paraissent plus à Agadez que pour les fêtes officielles ; ils y passent aussi pour aller chercher du sel et des dattes à Bilma.

Ils compteraient 46 tribus ; leur nombre serait d’environ 20000.

Quant aux Oulimminden de l’est, ce ne serait que depuis le XIVe ou le XVe siècle qu’ils auraient eu des rapports avec l’Aïr, rapports très lâches d’ailleurs et très intermittents. 7 à 8000 individus, partagés entre une dizaine de tribus qui nomadisent dans la région de Tahoua, payaient seuls l’impôt à Agadez ; l’autre fraction des Oulimminden forme une confédération indépendante qui habite surtout l’est de Gao et fréquente la région des mares de Menaka et de l’Azaouak, sous la direction de l’amenokal Fihroun ; Pasquier, dans un rapport resté inédit, donne la statistique suivante pour les Touaregs qui dépendant de Fihroun : Imochar (nobles), 350 tentes ; Imrad, 600 ; bellah, 900. Soit à peine 2000 hommes ; les Oulimminden, dépendant d’Agadez, formeraient à peu près la moitié du groupe.

Par sa position géographique et la pointe qu’il fait vers le nord au milieu des tanezrouft, l’Aïr a toujours eu une grande importance : les routes qui vont des États haoussas à la Méditerranée sont obligées d’y passer. Relativement au bassin du Niger, l’Adr’ar’ a une fonction analogue. L’originalité humaine de l’Aïr tient à une autre cause : les Touaregs qui l’habitent ne sont pas tous de vrais Touaregs ; la plupart des Kel Oui ne sont pas des Méditerranéens, mais des Haoussas. L’Aïr est probablement la région la plus septentrionale d’Afrique où vive actuellement, en liberté, à l’état spontané, un rameau des races noires.

Ces Touaregs blancs et ces Touaregs noirs sont d’ailleurs extrêmement mélangés ; toutefois les blancs se trouvent surtout dans les tribus qui dépendent du Sultan et qui vivent presque constamment dans l’Aïr, les noirs dominent dans les tribus de l’anastafidet qui sont en relations très suivies avec les États haoussas.

Cette dualité de races explique sans doute les guerres incessantes dont l’Aïr a été le théâtre ; elle explique aussi les demandes d’intervention qui se sont manifestées à maintes reprises à Zinder : c’est à la demande formelle des tribus noires et du sultan qu’Agadez a été occupé.

Les Touaregs blancs, les véritables nomades de l’Asbin, sont des éleveurs qui, vivant surtout de laitage, peuvent se passer de relations régulières et suivies avec les pays producteurs de mil. Leurs qualités guerrières leur permettaient d’ailleurs, en cas de disette, de[74] trouver, par la force, dans le sud, le complément nécessaire.

Les Kel Oui, au contraire, sont peu guerriers ; on prétend dans l’Ahaggar que, pour aller chez eux, il suffit d’être armé d’un bâton : le guide qui nous avait amenés à Iférouane, en 1905, a profité de son passage dans ce village pour s’approvisionner de beaucoup de choses utiles ; la terreur que le nom de sa tribu inspirait à tous, lui a fait donner tout ce dont il avait besoin ; et, par crainte de représailles venant de lui ou de ses contribules, ce n’est que plusieurs jours après son départ, que j’ai été avisé de ses manœuvres. Les Kel Oui vivent surtout de commerce ; ils assurent le passage des caravanes jusqu’à Zinder et à Kano ; ils leur vendent des céréales et entreposent leurs marchandises. Pour eux, les bonnes relations avec le sud et la sécurité des routes sont des conditions nécessaires : on comprend qu’ils soient venus rapidement à nous ; la soumission des vrais Touaregs, qui ne gagnaient rien d’immédiat, a été plus difficile à obtenir.

[2]Haug, C. R. Ac. Sciences, 7 août 1905.

[3]Haug, in Foureau, Documents scientifiques, 1905, p. 753 ; Flamand, C. R. Ac. Sc., 3 avril 1905.

[4]Ce terme d’Archéen ne serait tout à fait correct que s’il était établi que les noyaux granitiques sont antérieurs au Silurien. Quelques faits rendent cette antériorité probable, mais, jusqu’à présent, les preuves positives font défaut.

[5]Voinot, Bull. Comité Afr. fr., mars, avril, août, sept., oct., 1908, p. 218.

[6]Rens. col. Comité Afr. fr., juin 1907, p. 142-155.

[7]Revue coloniale, 1907, p. 361-386.

[8]La Géographie, XVI, 1907, p. 225.

[9]Études sur la Géographie physique et la Géologie de Fouta Djalon. — Thèse, 1905.

[10]La Géographie, XVII, 1908, p. 201.

[11]Contribution à l’étude de la Géographie physique du Dahomey, thèse, 1908.

[12]In Chevalier, L’Afrique centrale française, 1908, p. 646.

[13]Gentil et Lemoine, Bull. du Comité de l’Afr. française, Rens. col., avril 1908, p. 98-100.

[14]Bruel, Renseignements coloniaux du Comité de l’Afrique française, avril 1908, p. 98, — Lœffler, ibid., sept. 1907, p. 224. — Lancrenon, Bull. du Comité de l’Afr. française, janvier 1908, p. 18 ; Rens. col., Id., p. 38.

[15]La Géographie, XVIII, 1908, p. 219.

[16]Notice géologique sur la région de Dori, Rev. des troupes coloniales, 1904, p. 228.

[17]Quelques-uns des détails donnés par Hubert sur les quartzites de l’Atacora, semblent indiquer des surfaces de charriage et des plis couchés. L’analogie avec le Jura paraît bien contestable.

[18]Motylinski et Basset, Grammaire, Dialogues et Dictionnaire Touaregs, Alger, 1908.

[19]L’alphabet tifinar’ a deux z ; j’indique ici, d’après Motylinski, l’orthographe exacte de Tanez’rouft, quitte à la négliger dans le reste de l’ouvrage.

[20]Tous les après-midis, le thermomètre a dépassé 45° ; ces hautes températures n’interrompaient pas la marche.

[21]Mussel, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., mars 1907, p. 57.

[22]Rens. col. Comité de l’Afr. fr., avril 1907, p. 90. — Nieger, La Géographie, XVI, déc. 1907.

[23]Cortier, De Tombouctou à Taoudenni, La Géographie, XIX, 1906, p. 317. — Cauvin, Société de Géographie commerciale de Paris, XXX, août-sept. 1908.

[24]R. Arnaud, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., XVII, mai 1907, p. 123.

[25]La Géographie, XII, octobre 1905, p. 218.

[26]Barth, Reisen, I, p. 333. Les noms sont bien reconnaissables : Tarhadjit : Tar’azi ; Ne-ssua : In Azaoua ; Tagerèra : Tagrira ; El Arh-ssul : El R’essour ; vallée d’Erararem ; Od Igharghar ; Serser : Zazir ; Temârhasset : Tamanr’asset ; Utul : Outoul. Les distances indiquées sont bonnes : de l’oued Outoul à In Salah, il y a quelques confusions.

[27]Le lieutenant Halphen a récemment reconnu le point d’eau d’Ilifek, au S.W. d’In Azaoua. Les renseignements détaillés font encore défaut.

[28]Six mois chez les Touaregs du Ahaggar, Alger, 1908, p. 205-208.

[29]Dinaux, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., mars 1908, p. 80. — Cortier, D’une rive à l’autre du Sahara, Paris, 1908, p. 129.

[30]Laperrine, Nieger, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., février 1905. — Villate, La Géographie, XII, octobre 1905.

[31]Voinot, Bull. du Com. de l’Afr. fr., mars, avril, août, sept., oct. 1908.

[32]Sur la carte hypsométrique (Pl. I), l’Oudan a été marqué par inadvertance à l’est de l’Igharghar.

[33]Dinaux, Rens. col. Comité de l’Afr. fr., 1908, p. 76-85. — Arnaud et Cortier, Nos confins Sahariens, Paris, 1908.

[34]Ce nom d’Igharghar se trouve ainsi deux fois, au nord et au sud de la Coudia. Il est sans doute une simple variante du nom commun ir’azar, synonyme berbère de oued.

[35]Esquisse du Sahara Algérien, à 1/2500000 (Gouvernement général. Alger, 1907).

[36]Les bœufs sont certainement un peu plus nombreux que ne l’indique ce tableau : Motylinski en a compté 37 dans un seul troupeau. Il y a une douzaine de chevaux dans l’Ahaggar. Les ânes sont très nombreux.

[37]Les Touaregs du nord prononcent et écrivent Ad’ar’ (Benhazera, l. c., p. 191). Mais, les habitants du pays et les Touaregs du sud en général, écrivent Adr’ar’ (Cortier, l. c., p. 253). Motylinski admet cette dernière orthographe.

[38]E.-F. Gautier, La Géographie, XV, 1, 1907, p. 1-28.

[39]Cortier, La Géographie, XVII, 1908, p. 265-280. — D’une rive à l’autre du Sahara, Paris, 1908. — Dinaux, Renseignements coloniaux publiés par le Comité de l’Afrique française, mars 1908. — Combemorel, id., janvier 1909.

[40]La valeur de l’argent dans ces pays sera à peu près fixée par les salaires ; à l’Ahaggar, la journée de travail d’un jardinier lui est payée au plus 0 fr. 625.

[41]Gautier, l. c. p. 26. — R. Arnaud, Renseignements coloniaux publiés par le Comité de l’Afr. fr., avril 1907, p. 93-94. — Cortier, D’une rive à l’autre..., p. 203-210 et 378-381.

[42]D’après Jean. Posth indique plus d’un siècle pour leur arrivée en Asbin.

[43]Jean, Les Touaregs du Sud-Est. L’Aïr. Paris, 1908.

[44]Fouqué, Santorin et ses éruptions, 1879, p. 41. — Lacroix, La Montagne Pelée et ses éruptions, 1904.

[45]Du verbe koré, conduire. Le mot goulbi s’applique aux grandes vallées ou aux grandes masses d’eau, il est l’équivalent de l’arabe beh’ar. Ir’azar ou ar’azar (dialecte d’Aïr) est le synonyme Tamachek de oued ; il devient Ir’ahar dans l’Ahaggar, et Ir’achar dans l’Adr’ar’.

[46]Pasquier, in R. Arnaud, Rens. col. du Comité Afr. fr., mai 1907, p. 123.

[47]Talak veut dire argile en Tamachek.

[48]Gadel, Notes sur l’Aïr, Bull. de la Soc. de Géogr. de l’A. O. F., t. I, Dakar, 1907.

[49]150 cases en tout. — Il y aurait des citronniers dans ces villages. Jean, l. c., p. 132, 133.

[50]Près de Takaredei, à 25 km. N.W. d’Agadez, un cimetière important serait la dernière trace d’une ville occupée jadis par les Icherifan et les Iberkoran. A la suite d’un combat malheureux contre les Kel Gress, les Iberkoran se seraient réfugiés chez les Oulimminden, les Icherifan à In Gall. D’après les renseignements que j’avais recueillis, ces faits remonteraient à l’époque des premiers sultans d’Agadez, à une date beaucoup plus ancienne que celle qui est indiquée par Posth, qui donne les Icherifan comme de nouveaux venus en Aïr.

[51]Ce n’est que depuis 1906, qu’une garnison est installée définitivement à Agadez. Les années précédentes, depuis 1904, les tirailleurs n’y avaient fait que des séjours de quelques semaines ou de quelques mois (Jean, l. c. — Cauvin. Bull. de la Soc. de Géogr. commerciale, 1908).

[52]D’après Barth, Agadez aurait été fondé en 1460.

[53]Une tribu des Ikaskazan, les Taraouaza, a pour chef une femme nommée Tekeloui.


[75]CHAPITRE II

LES HAUTES PLAINES DU SOUDAN

I. Structure géologique. — Crétacé inférieur. — Crétacé supérieur. — Éocène. — Miocène. — Extension géographique.

II. Les Pays. — Nomades. — Adr’ar’ de Tahoua (Djerma). — Tessaoua. — Demagherim. — Damergou. — Mounio. — Koutous. — Alakhos. — Manga. — Kaouar. — Fachi. — Les îles du Tchad.

I. — STRUCTURE GÉOLOGIQUE

Intercalée entre les deux pénéplaines cristallines étudiées dans le chapitre précédent, se trouve une haute plaine qui se développe, sans interruptions notables, depuis Koulikoro jusqu’au voisinage de l’Ouadaï.

Il est commode de la subdiviser de la façon suivante :

1o Entre l’Aïr et Zinder, le Tegama forme une région bien nette à laquelle il convient de rattacher, au moins provisoirement, les pays encore mal connus qui s’étendent vers Bilma et le Tchad. Les terrains crétacés y jouent le principal rôle.

Le Damergou, le Mounio, etc., ne sont que des enclaves de cette grande région.

2o Entre la coupure du Niger à Tosaye et le sultanat de Tessaoua, la région des Dallols et le bassin d’Ansongo forment un groupe dont le caractère commun est d’être recouvert d’un manteau d’argiles, de grès ou de calcaires éocènes.

3o Enfin à l’est de Tosaye, le bassin de Tombouctou semble caractérisé par des formations quaternaires marines.

Toutes ces régions ont un trait géologique commun : au nord comme au sud, dominent des formations anciennes, le plus souvent en strates redressées, dont la fréquence en Afrique a fait croire longtemps que, depuis les temps primaires, la mer avait définitivement[76] abandonné le continent noir. Des découvertes récentes ont montré qu’il n’en était rien. A la fin des temps secondaires et correspondant peut-être à la zone de rebroussement des plis calédoniens qui, vers le 15° de longitude nord, quittent leur direction subméridienne pour se diriger de l’ouest à l’est, un affaissement s’est produit, permettant à la mer d’envahir l’Afrique centrale et d’y laisser des traces incontestables du Crétacé supérieur et du Tertiaire inférieur, tout au moins. Ces assises plus jeunes, restées horizontales, caractérisent les hautes plaines du Soudan.

Crétacé inférieur. — La région qui s’étend entre l’Aïr et Zinder est constituée par des grès et des argiles en couches horizontales. Ces assises débutent à 6 kilomètres au nord d’Agadez, auprès du village d’Alar’sess, par un poudingue que j’ai pu suivre assez longtemps vers l’ouest. Dans la région où je l’ai vu, ce poudingue repose sur les couches siluriennes verticales, à affleurements subméridiens ; le littoral était de type atlantique. Posth a retrouvé les mêmes poudingues auprès de Tin Taboirak, au contact des terrains anciens des Taraouadji.

Jusqu’à une soixantaine de kilomètres au sud d’Agadez, on voit assez mal le sol qui est souvent masqué par des dunes, ou bien, comme dans la région des mares de Teguidda n’Adrar et de Teguidda n’Taguei, par une formation récente, reste probable d’un lac tertiaire. Ces dépôts lacustres contiennent quelques traces de fossiles indéterminables ; on y trouve des grès à ciment calcaire, riches en débris volcaniques prouvant qu’ils sont postérieurs aux volcans d’Aïr ; ces grès abondent près du puits d’Assaouas notamment ; mais les roches dominantes sont siliceuses : des jaspes et une meulière violette ou brun chocolat y sont le type le plus commun. L’examen microscopique montre que cette roche, qui est presque une quartzite, résulte de la transformation de bancs calcaires (Cayeux). Elle est un très bel exemple de l’enrichissement en silice des roches superficielles sous l’influence d’un climat désertique. Ces meulières sont, par places, couvertes de dunes dont la couleur brune ou violette indique que les éléments qui les constituent ont été pris sur place (fig. 25).

Malgré cette couverture, éolienne ou lacustre, on peut s’assurer cependant que le terrain dominant est formé surtout de grès, qui sont bien visibles en nombre de points et qui se montrent sur une dizaine de mètres à la falaise d’érosion sur laquelle est bâtie Agadez, et d’argiles violettes qui, dans les vallées des affluents du Teloua, occupent de grandes surfaces ; ces affluents ont une pente très faible ;[77] leurs berges sont à peines indiquées ; les parties argileuses de leurs bassins forment, à la saison des pluies, de véritables fondrières dont la traversée est difficile ; les chameaux y laissent des empreintes de pas, profondes souvent d’une vingtaine de centimètres, qui confirment pleinement les renseignements des guides. Les puits d’Agadez, profonds de 20 mètres (Pl. IX, phot. 17), sont entièrement creusés dans ces argiles et ces grès.

L’architecture du sol se voit mieux à la falaise de Tigueddi. Cette falaise, haute d’une soixantaine de mètres, constitue un des traits les plus remarquables de la structure des hautes plaines soudanaises ; elle débute auprès d’In Gall et décrit, vers l’est, un arc de cercle long de près de 200 kilomètres. Je ne sais comment elle se termine ; les renseignements très précis que je dois au capitaine Posth, permettent toutefois de compléter ou de rectifier les indications de la carte au 1250000e que j’ai données dans La Géographie [XV, 1907, Pl. 2]. A une vingtaine de kilomètres à l’est d’Agadez, au puits de Tin Taboirak, commencent à se montrer des roches cristallines qui prolongent vers le sud le massif ancien de l’Aïr (Pl. VI, phot. 11). Un peu plus loin, à 60 kilomètres d’Agadez, le massif de schistes et de granite de Taraouaji est le dernier refuge, en cas de surprise, des Touaregs de la région. Ces roches anciennes affleurent d’une manière continue, à part quelques interruptions dues à des laves récentes, jusqu’à Bidei et Aoudéras. Au delà de ce massif de Taraouadji, la falaise de Tigueddi semble se continuer ; du moins Barth indique-t-il quelque chose d’analogue sur son itinéraire (fig. 22).

Fig. 25. — Bassin lacustre des Teguidda.

1, Grès blancs à patine noire (Infracrétacé ?) ; 2, Jaspes et meulières violettes ; A, B, C, D, Diaclases. Les sources de Teguidda n’Taguei sont sur la diaclase D. Les dunes (en pointillé) sont violettes.

Quant au massif de Toureyet, il n’a encore été vu par aucun Européen ; on sait seulement qu’au sud des Taraouadji se trouve une région déprimée, où viennent se réunir de nombreux koris en une[78] rivière unique (K. d’Abrik ?) qui présente sur son parcours quelques mares d’hivernage.

Les Toureyet formeraient, au sud de cette dépression, un petit massif élevé, simple témoin gréseux détaché du Tegama, ou dernier contrefort des terrains cristallins d’Aïr. A coup sûr, le puits de Toureyet est important ; il est situé sur une des grandes routes qui, de Zinder, vont en Asbin et qui est fréquentée par les Ikaskazan ; les alentours renferment des pâturages permanents et il y a toujours des campements au voisinage.

L’origine de cette longue falaise est encore obscure ; elle est peut-être une falaise d’érosion ; mais son importance, son allure curviligne rendent plus probable une faille, en relation avec les éruptions récentes de l’Aïr : de pareils effondrements circulaires abondent, en effet, dans les régions volcaniques.

Quoi qu’il en soit de cette question, j’ai pu relever la coupe suivante, prise au cap que forme la falaise, à l’est des puits de Marandet (fig. 26) :

6. Grès jaunâtres à stratification oblique. Ce sont des grès grossiers contenant des grains dont le diamètre varie de 1 millimètre à 1 centimètre. Leur puissance est d’environ 3 mètres, mais il n’en reste ici que des lambeaux ; cette assise augmente rapidement d’importance vers le sud.

5. Grès blancs de même type que les précédents, 5 mètres.

4. Argiles violettes (0 m. 25). Les bois silicifiés abondent dans cette assise. J’ai trouvé, éboulés dans les ravins, des troncs de près de 1 mètre de diamètre. Ces arbres sont certainement des conifères, mais leur très médiocre état de conservation n’a pas permis à M. Fliche de les déterminer avec certitude. On peut hésiter entre trois genres, Araucaryoxylon et surtout Cedroxylon ou Cupressoxylon ; ces deux derniers genres ne sont pas connus avant l’Infracrétacé.

3. Bancs alternant d’argiles violettes et vertes, 10 mètres. Ces argiles contiennent de nombreux débris de Dinosauriens. Le peu de temps que j’ai pu consacrer à l’étude de ce gisement, ne m’a pas permis de trouver de pièces déterminables. Celles que j’ai rapportées, suffisent, en tout cas, à prouver l’âge secondaire des argiles et des grès.

2. Marnes blanches (0 m. 25).

1. Marnes violettes et vertes visibles sur 10 mètres. La base est masquée par les éboulis.

A quelque distance au nord, on retrouve dans la plaine (A. fig. 26) des argiles et des grès analogues à ceux qui constituent la falaise de[79] Tigueddi. Malheureusement des dépôts quaternaires et des dunes masquent pendant quelques kilomètres, les relations entre la falaise et la plaine.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XII.

Cliché Posth

23. — LA FALAISE DE TIGUEDDI.

Limite nord du Tegama.

Cliché Posth

24. — LE VILLAGE DE DOGON DOUTCHI.

Dallol Maouri, en aval de Matankari.

Foureau a coupé deux fois cette falaise, à Irhayenne et à Tigueddi ; les détails qu’il donne indiquent que partout la coupe est la même ; il a noté aussi de nombreux débris de bois silicifié[54]. Il y a toutefois à noter à Tigueddi, comme à Irhayenne, l’existence d’un calcaire travertineux dont les conditions de gisements, lorsqu’elles seront mieux connues, permettront peut-être de décider si la falaise de Tigueddi est due à une faille ou à l’érosion [Foureau, Doc. Sc., p. 647-649].

Fig. 26. — Coupe de la falaise de Tigueddi à Marandet.

1, Argiles violettes et vertes visibles sur 10m ; 2, Marnes blanches (0m25) ; 3, Argiles violettes et vertes (10m), Reptiles ; 4, Marnes violettes (0,25), Bois silicifiés ; 5, Grès blancs à stratification oblique (5m) ; 6, Grès jaunes à stratification oblique (3m) ; q, Quaternaire ; 7, Graviers blancs visibles sur 0m20 ; 8, Graviers et argiles rouges (1m), Sépultures musulmanes ; 9, Argiles et Graviers avec débris de charbon (1m), entraînés de A, par ruissellement ; A, Plaine de l’Azaouak (Grès et Argiles) ; C, Vallée quaternaire ; B, Tilmas et puits de Marandet.

Cette falaise délimite au nord, avec beaucoup de précision, la haute plaine du Tegama (Pl. XII, phot. 23). Ce sont les grès, visibles au sommet de la falaise, qui en forment le sol ; leur épaisseur s’accroît vers le sud, autant du moins que l’on en peut juger par l’examen des puits : le puits de Tiou Mousgou a 33 mètres de profondeur ; les deux premiers mètres sont creusés dans des alluvions que soutient un coffrage en bois ; les 10 mètres suivants traversent des grès de couleur claire, à grain moyen, avec quelques intercalations de lits de graviers ; malgré la largeur du puits, je n’ai pas pu voir plus profondément, mais les déblais ne montrent non plus que des grès ;[80] l’eau de Tiou Mousgou est restée très limpide pendant toute la corvée d’abreuvoir, ce qui ne s’expliquerait pas s’il y avait des argiles au fond du puits. Un peu plus à l’est, Foureau a vu le puits de Tédalaka (37 m.) et les détails qu’il donne [Doc. sc., p. 650], indiquent la même structure géologique.

A 3 kilomètres au nord de la mare de Tarka, qui est dans un creux marqué, quelques ravins, profonds de 3 à 4 mètres, sont creusés dans des grès tendres, blancs ou noirs avec quelques veinules d’argile. Au-dessus des grès se montrent quelques blocs de latérite, la plupart roulés, et qu’il faut rattacher, je pense, au Crétacé supérieur du Damergou.

Partout, en somme, où on peut voir les terrains qui constituent le Tegama, on retrouve toujours ces mêmes grès tendres horizontaux. La surface de la haute plaine est bien horizontale aussi ; il y a quelques ondulations à grands rayons, mais le modelé du sol indique constamment un terrain perméable ; le sol partout est formé de grès tendres, qui dans les sentiers s’est effrité et transformé en sable.

Les quelques rares mamelons, hauts de 5 à 6 mètres, qui émergent de la surface, surtout dans la partie méridionale du Tegama, sont bien probablement des dunes fossiles, fixées par la végétation.

Il paraît légitime de conclure que dans son ensemble le Tegama a, en tous ses points, la même structure géologique et qu’il est formé partout de grès horizontaux qui prolongent, vers le sud, ceux que l’on observe à la falaise de Tigueddi.

Au sud du Damergou on retrouve la même plaine jusqu’au voisinage d’Ouamè ; les matériaux de déblais des puits sont, à Achaoudden tout au moins, des grès tendres de couleur claire.

Reste à fixer l’âge des grès du Tegama ; nous avons une limite supérieure bien nette : dans le Damergou ils sont recouverts, en concordance, par des assises fossilifères qui appartiennent au Turonien, probablement même au Turonien inférieur.

Leur sommet, tout au moins, est donc du Crétacé et bien que rien ne s’oppose d’une manière absolue à ce que, en quelques points, ces assises aient commencé à se déposer au Trias ou au Jurassique, leur puissance assez faible ne permet guère de croire qu’ils puissent représenter de bien longues périodes.

Il semble assez logique, et, en tout cas commode, de les rattacher au Crétacé inférieur.

Ces puits profonds, si fréquents dans le Tegama, sont extrêmement remarquables : la tradition les attribue à une race éteinte ou tout au[81] moins émigrée, les Goberaoua[55] ; ils n’ont, en tous cas, pu être creusés qu’à une époque de grande tranquillité et par des sédentaires.

Les indigènes ne connaissent que les outils en fer, de qualité médiocre, car l’acier manque au Soudan, comme au Sahara ; ils ne peuvent creuser des puits que dans des roches assez tendres ; il faut de plus que ces roches aient un peu de tenue et ne soient pas ébouleuses.

La réunion de ces différents caractères porte à croire que la plupart des puits profonds que l’on connaît au nord du Soudan, ont été creusés dans des terrains très analogues entre eux comme constitution lithologique. Cette remarque nous permettra de suivre assez loin ces grès vraisemblablement infracrétacés.

D’Alar’sess au voisinage de Zinder, sur plus de 300 kilomètres, cette formation est facile à observer ; elle est à peine masquée pendant une vingtaine de kilomètres par le Turonien du Damergou.

Vers l’est, on la suit facilement jusqu’à l’Alakhos et au Koutous.

Les puits ordinairement très profonds de ces deux pays sont creusés dans un terrain identique à celui du Tegama : le puits de Guesket a 65 mètres ; les déblais forment, autour de son orifice, un talus haut de près de 5 mètres : ces déblais sont presque uniquement des grès ; il y a cependant un peu d’argile. Le talus seul est soutenu par un coffrage de bois.

Au nord du Koutous, la ligne des puits de Tassr, Boulloum, Dalguian, semble jalonner une vallée en contre-bas du plateau d’une trentaine de mètres. Cette vallée est d’ailleurs très ensablée et couverte de dunes ; les puits y ont une quinzaine de mètres, soit 45 mètres depuis le plateau ; l’aspect du sol, lorsqu’il apparaît entre les dunes, est bien celui du Tegama.

A l’est de l’Aïr, Barth et von Bary ont signalé des grès formant des plateaux horizontaux, dont quelques-uns recouverts d’une nappe de basalte. Les itinéraires par renseignements entre Agadez et Fachi n’indiquent qu’une immense plaine.

Près de Fachi, on signale un mamelon rocheux (granitique) et des plateaux gréseux à patine noire (sergent Lacombe) et à l’est du Kaouar, des grès peut-être dévoniens. Mais, au sud de Bilma, le Crétacé supérieur marin est connu et autorise, sans trop d’invraisemblance, à étendre les grès du Tegama jusqu’au voisinage de Bilma.

Au sud du Koutous, les grès du Tegama se prolongent jusqu’au[82] Mounio dont ils entourent au moins la partie nord : ce point est important parce qu’il donne une indication précise sur l’âge des granites alcalins de Gouré.

A peu de distance à l’est de Gouré, commence un erg qui s’étend jusqu’auprès de Chirmalek : entre Chirmalek et le Tchad, comme dans la région des mares à natron de Gourselik (Manga), on retrouve une plaine dont la surface rappelle singulièrement le Tegama ; à l’est du lac, le Kanem reproduit les mêmes traits. J’ai déjà indiqué ailleurs que tout le bassin du Tchad était probablement infracrétacé, tout en signalant des divergences notables entre le Tegama et la région du Tchad.

La végétation n’est plus exactement la même ; le Kalgo (Bauhinia reticulata) et quelques autres arbres disparaissent à l’est de Gouré ; le Salvadora persica, absent du Tegama, s’y montre abondant. Les termitières disparaissent en même temps que le Kalgo ; elles manquent aussi dans le Kanem et le Chittati : on ne les retrouve que dans la partie méridionale du Tchad. Leur absence est complète, ce qui permet aux indigènes de conserver leur mil dans des silos, procédé inapplicable dès que se montre le dangereux insecte. Il ne semble pas que le climat puisse expliquer ces quelques faits, qui tiennent probablement à une particularité de la nature du sol.

Dans le Tegama, il existe un réseau hydrographique mal dessiné, mais reconnaissable ; les lits des rivières, à berges peu ou pas marquées, sont jalonnés par des mares d’hivernage, en chapelet, qui, lorsque la pluie a été suffisante, se déversent les unes dans les autres. Dans la région du Manga, à l’est, comme à l’ouest du Tchad, il n’y a rien de semblable : on y rencontre fréquemment des cavités à fond plat, profondes d’une dizaine de mètres et d’un diamètre moyen de 7 à 800 mètres. Les bords sont probablement abrupts, mais toujours ensablés ; je n’ai pu les voir nulle part. Dans toutes ces cuvettes, l’ensablement indique que les vents dominants venaient de l’est ou du nord-est. La falaise orientale est parfois surmontée d’une dune, haute de 2 à 3 mètres tout au plus ; la falaise occidentale est affleurée par une pente douce de sable (fig. 27). Quelques-unes de ces dépressions ont des affluents que l’on peut suivre sur quelques kilomètres ; on ne connaît d’effluent à aucune d’entres elles. Parfois, comme entre Gourselik et Bornoyazu, ces creux ont une tendance à s’aligner, bien que la liaison ne soit pas évidente entre eux. Freydenberg[56] a décrit avec soin des accidents semblables, notamment dans le Chittati [l. c.,[83] p. 56]. Les cuvettes sont parfois plus profondes et la falaise qui les limite atteindrait jusqu’à 50 ou 60 mètres. Malgré cette divergence, l’identité des deux régions n’est pas douteuse : Freydenberg, qui a vu les cuvettes à l’est et à l’ouest du Tchad, est très affirmatif sur ce point.

Un fait encore semble bien établi : le fond de toutes ces cuvettes est occupé par des dépôts blanchâtres, identiques à ceux du Tintoumma et de certains bahr du Tchad. Toutes ces cuvettes auraient, à une époque indéterminée, été occupées par des eaux ayant donné naissance à des sédiments identiques.

Freydenberg va plus loin et il suppose qu’il s’agit d’un lac unique, et que, à l’époque de sa plus grande extension, le Tchad aurait couvert une immense surface : vers l’ouest sa limite serait indiquée par Kakara à 200 kilomètres du Tchad, vers le nord par N’Gourti, à 100 kilomètres de N’Guigmi. Les limons blancs de toutes les cuvettes seraient, dans cette hypothèse, des dépôts d’un même lac, en continuité les uns avec les autres. Le plateau qui les isole serait d’origine éolienne et représenterait une série de dunes très anciennes, que je ne sais quel agent aurait exactement nivelées. « Le Chittati a été probablement le premier pays asséché ; les dunes y sont plus anciennes qu’au Kanem (profil plus doux) et des dunes transversales ont eu le temps de se former, bouchant les vallées dunaires » [c’est-à-dire, je pense, la dépression qui sépare deux dunes] « et donnent à cette région son aspect de plateau sablonneux, percé d’une quantité de cuvettes » [l. c., p. 63]. Ces cuvettes seraient tout simplement les points non encore ensablés.

Il est bien certain que le Tchad a été autrefois beaucoup plus étendu qu’il ne l’est actuellement : les sédiments, amenés par le Chari et la Komadougou le comblent peu à peu : toutes les terres qui bordent le sud et l’est du lac, toutes les îles du Tchad font partie du delta du fleuve. Mais les limites qu’il convient de donner à l’ancienne extension de la nappe lacustre sont sans doute beaucoup plus restreintes que ne l’indique Freydenberg ; j’ai trouvé à mes deux passages (11 février et 12 mars 1906) que le fond de la cuvette de Myrrh était à une cinquantaine de mètres au-dessus du Tchad : on ne peut cependant attacher grande importance à ces indications ; les nivellements que donne un anéroïde que l’absence d’observations voisines empêche de corriger étant toujours suspects.

La grosse objection que l’on pourra faire à l’hypothèse de Freydenberg est, en dehors de l’hypsométrie, la difficulté d’expliquer comment le nivellement d’un erg peut être assez parfait pour donner[84] l’illusion d’un plateau. Ni le ruissellement, ni l’érosion éolienne ne peuvent amener ce résultat et il semble difficile d’admettre une crue du Tchad assez forte pour avoir récemment inondé tout le pays.

Freydenberg fait observer que tous les puits de la région sont creusés dans le même sol ; mais tous les puits sont dans des dépressions et celui qui a été creusé à Lilloa [l. c. p. 69], sur la pente de l’oued, est beaucoup trop près du fond de la dépression pour que l’on en puisse tirer une conclusion ferme.

Il me semble qu’un plateau aussi parfait que celui du Manga ne peut être formé que de couches horizontales. L’absence de réseau hydrographique prouve que ces couches sont très perméables[57] comme celles du Tegama : la différence entre les deux pays tient à leur altitude ; le Tegama, voisin de 500 mètres, reçoit un peu plus de pluie que le Tchad (moins de 300 m.) qui occupe évidemment le centre d’une dépression. Grâce à cette moindre sécheresse, des vallées rudimentaires ont pu se former sur le premier.

Fig. 27. — Coupe schématique d’une cuvette du Manga.

F, Failles hypothétiques ; a, Limon noir ; b, Limon gris, 3 m. ; c, limon blanc, 2 m.

Quant aux innombrables cuvettes que l’on rencontre dans le Manga et les régions voisines, il semble qu’un effondrement, dû à la dissolution de roches solubles, en soit l’explication la plus simple. L’abondance des mares à natron et des mares salées est à l’appui de cette hypothèse. Pour la renverser il aurait fallu creuser un puits non pas en un point tel que A (fig. 27), mais beaucoup plus loin, à quelques cents mètres des bords du plateau.

Vers l’ouest, les assises du Tegama disparaissent sous le Crétacé supérieur et le Tertiaire ; cependant dans la région de Sokoto, au sud de l’Éocène de Tahoua, le pays est formé de plaines sableuses où seuls des puits profonds assurent de l’eau en toute saison ; quelques-uns atteignent 400 pieds (120 m.[58]).

[85]Les puits de Filingué (50 m.) dans le dallol Bosso, et de Lehem (70 m.) permettent de suivre cette zone vers le nord.

Gautier a signalé, entre l’Adr’ar’ des Ifor’as et Gao, des puits profonds dont l’orifice est au niveau des calcaires du Crétacé supérieur[59]. Il a dû choisir, pour y boire, le puits de Tabankort (35 m.) parce qu’il était, au dire des guides, moins profond que d’autres. On en cite de 100 mètres, et s’il ne faut accepter que sous bénéfice d’inventaire des chiffres ronds fournis par ouï-dire, du moins est-il certain que quelques puits atteignent de grandes profondeurs, dépassant de plusieurs dizaines de mètres celle de Tabankort, déjà respectable. Par son grand diamètre (6-7 m.), comme par sa profondeur, ce puits rappelle ceux du Tegama. Il en diffère cependant par un caractère important ; il serait taillé en plein calcaire : je ne pense pas que ceci puisse s’entendre de toute la profondeur, mais seulement de l’orifice ; les calcaires sont bien durs pour les outils des Soudanais. Il faut cependant se méfier : les puits de Ghardaïa, profonds de 70 mètres, ont été creusés dans les calcaires compacts du Crétacé supérieur : malgré les rapports constants des Mozabites avec la Méditerranée, il n’est pas certain que leur outillage ait été moins imparfait que celui des Soudanais.

Quoi qu’il en soit de cette difficulté, les puits profonds se retrouvent tout le long de la bordure ouest de l’Adr’ar’ où ils jalonnent, à partir de Teleyet et de Tessalit, une grande plaine stérile, l’Adjouz, où les calcaires de Tabankort se retrouvent avec des fossiles, à Asselar’, Mabrouk, El Houz.

Plus à l’ouest encore, jusqu’au méridien de Tombouctou tout au moins, cette zone des puits profonds est bien indiquée : El Adjou aurait 70 mètres et Inalaye 90 mètres. La ligne dite des puits, entre Tombouctou et Ormaïort (210 km.), au nord du Niger, suit un plateau coupé de quelques dunes ; elle est jalonnée par des puits situés à un ou deux jours de marche les uns des autres. Ces puits profonds de 30 à 40 mètres ont un débit important[60].

Ce n’est évidemment que par une induction, peut-être un peu trop audacieuse, que le sous-sol de ces différentes régions, dont le seul caractère commun est l’éloignement de la surface de leur nappe d’eau permanente, peut être rattaché aux grès du Tegama, c’est-à-dire à l’Infracrétacé.

[86]Il semble cependant que les observations géologiques faites au cours du raid à Taoudenni du colonel Laperrine, par le lieutenant Mussel[61], apportent un appui sérieux à cette hypothèse.

Partant du Touat où des grès à sphéroïdes et des argiles gypsifères multicolores, recouvertes par les calcaires fossilifères crétacés supérieurs du Tadmaït, représentent l’Infracrétacé, Mussel a pu suivre de proche en proche cette formation ; il l’a vue former entre Adr’ar’ (Touat) et Tin Haïa, une série de gours, de témoins isolés. A El Biar, à Taoudenni, les mêmes couches bariolées que Lenz avait déjà signalées (grès rouges) forment quelques mamelons qui témoignent de la continuité de cette formation (fig. 6, p. 11).

Fig. 28. — Falaise d’El Khenachiche.

D’après Mussel (Renseign. colon., 1907, p. 151).

1, Argile rouge avec veines de gypse ; 2, Gypse et Calcaire, 0 m. 50 ; 3, Argiles schisteuses avec gypse, 4 m. ; 4, Conglomérat quartzeux, 1 m.

Ce même Infracrétacé se montre nettement à la falaise d’El Khenachiche[62] qui laisse voir des couches horizontales d’argiles bariolées gypsifères passant parfois à des grès rouges.

Cette haute falaise, que l’on coupe à 100 kilomètres au sud de Taoudenni, limite vers le sud la dépression au centre de laquelle se trouvent les salines d’Agorgott ; elle a été coupée sur la route d’Ounan à Taoudenni par le capitaine Cauvin[63] et 100 kilomètres plus à l’est par le colonel Laperrine ; d’après les indigènes, les routes de Taoudenni à Oualata et à l’Adr’ar’ Tmar ont à la franchir ; vers l’est elle se rapproche un instant de la hammada El Haricha (Carbonifère), puis se redressant vers le nord-est, se développe pendant des centaines de kilomètres à travers le tanezrouft.

Quelle que soit l’exagération toujours possible des données des guides, il n’en est pas moins acquis que la falaise d’El Khenachiche est un des traits les plus remarquables de la région de Taoudenni, où elle joue un rôle à tout le moins comparable à la falaise de Tigueddi, au sud de l’Aïr.

Cette haute falaise franchie, on ne trouve plus jusqu’au Niger aucun relief ; quelques dunes mises à part, les pistes se déroulent sur une haute plaine où se trouvent les puits profonds déjà signalés et[87] qui, vers l’est, va se perdre sous les calcaires crétacés de Mabrouka et de Tabankort.

Tout cela est, en somme, assez concordant : autour du massif ancien du Sahara central, une série d’assises détritiques de grès et d’argiles, restées franchement horizontales, forment une ceinture presque continue ; elles reposent, en discordance, sur les terrains primaires, Silurien à Alar’sess, Dévonien à l’Aougueroutt, Carbonifère près de Taoudenni. Les grès à sphéroïdes du Touat, comme les grès du Tegama, ne présentent presqu’aucun accident tectonique ; ils sont donc beaucoup plus jeunes que le Dévonien ou le Carbonifère qui, dans le Sahara du Nord, dans la zone hercynienne, sont nettement plissés et qui, plus au sud, dans les régions de structure tabulaire, sont affectés de plis à grands rayons et de dénivellations brusques, dus à des diaclases ou à des failles.

Ces grès, dans un grand nombre de points (Tadmaït, Mabrouka, Tabankort, Damergou, Bilma) sont en relation avec des assises fossilifères, toutes de la fin des temps secondaires. La zone d’affaissement où ils se sont déposés pendant l’Infracrétacé a été occupée, un peu plus tard, par les mers du Crétacé supérieur [cf. t. I, 234].

Il est digne de remarque que, dans l’archipel touatien, cette région affaissée coïncide avec la région où voisinent les plissements hercyniens et calédoniens, voisinage qui entraîne une assez grande complication de la tectonique, et que, au sud, elle paraisse masquer, à Labezzanga, au nord de Niamey, une zone de rebroussement des plis calédoniens.

Dans des notes antérieures, j’ai qualifié les grès de Tegama de formation continentale ; je regrette d’avoir usé de cette expression équivoque qui devrait être réservée aux dunes, à la latérite et à quelques autres roches dans la genèse desquelles l’atmosphère sèche ou humide est le principal facteur.

Les grès du Tegama sont certainement des dépôts qui se sont formés dans l’eau et même dans la mer ; leur stratification régulière sur d’immenses surfaces ne saurait laisser aucun doute. La disposition oblique de certains lits de sables et de graviers prouve seulement que cette mer était le siège de courants rapides. Il est bien clair qu’un affaissement, de l’importance de celui dont il s’agit, amène nécessairement de profonds changements dans le régime de tous les cours d’eau de la région qui, à la faveur du déplacement de leur niveau de base, sont obligés de remanier leur profil ; ils prennent une allure de torrent et tendent à combler rapidement la dépression nouvellement formée : les grès souvent grossiers du Tegama indiquent tout[88] simplement le début d’un cycle de sédimentation. Pour que des lacs comme le Nyassa ou le Tanganika n’aient pas été comblés au fur et à mesure que jouait la fracture qui leur a donné naissance, il a fallu des conditions très spéciales. Penck[64] admet qu’ils n’ont pu se former que dans une région déserte, où les rivières étaient des oueds coulant aussi peu que ceux du Sahara.

Après que les fleuves qui se jetaient dans cette zone déprimée ont eu rectifié leur lit, les courants ont diminué d’importance et il a pu se déposer des marnes et des calcaires plus favorables que les grès à la conservation des fossiles.

Il s’agit donc bien d’une formation marine, et l’épithète malencontreuse que j’ai employée voulait indiquer seulement qu’il s’agissait d’une aire continentale et que toute trace de géosynclinal, même de mer moyennement profonde, faisait défaut.

Crétacé supérieur. — Au-dessus des grès et argiles du Tegama, on trouve dans le Damergou une série de collines hautes d’une trentaine de mètres et constituées par le Crétacé supérieur avec fossiles marins.

Fig. 29. — Crétacé supérieur du Damergou. — Près de Danmeli.

1, Grès rouge avec lumachelle à huîtres ; 2, Argiles blanc-verdâtre avec gypse (3 m.) ; 3, Latérite.

La base en est formée par des grès rouges contenant quelques bancs d’une lumachelle à huîtres. Ce niveau est bien visible dans le flanc d’une vallée à l’ouest de Danmeli, où il est nettement surmonté par des argiles gypsifères, qui, grâce à la sécheresse, forment une petite falaise très nette.

Ce niveau inférieur de grès rouges se retrouve tout autour du poste de Djadjidouna qui semble occuper le centre d’un petit bombement anticlinal, mais il est beaucoup moins nettement visible qu’à Danmeli et son existence n’est prouvée que par les nombreux débris de grès rouge et de lumachelle que l’on trouve dans les champs de mil et le long des sentiers.

Les assises suivantes sont au contraire mieux visibles autour de Djadjidouna qu’auprès de Danmeli, où les argiles gypsifères n’ont que 3 mètres de puissance. La falaise de Béréré montre les mêmes argiles sur une vingtaine de mètres avec intercalation, vers leur milieu, de plusieurs bancs de calcaires de 0,10 à 0,20 de puissance.

[89]Ces bancs sont très fossilifères ; les ammonites y abondent[65] et la forme la plus commune est très voisine de Vascoceras Durandi Thomas et Peron, du Turonien inférieur de Tunisie. Les huîtres, très fréquentes elles aussi, appartiennent aux groupes de O. Columba, de O. Rollandi Coquand et de O. Olissiponensis Sharpe[66] ; cette dernière espèce a été longtemps considérée comme cénomanienne ; les recherches récentes de Choffat montrent qu’au Portugal elle est turonienne et que, dans l’Angola, elle existait encore au Sénonien[67]. On retrouve, à quelques kilomètres autour du poste de Djadjidouna, le même niveau fossilifère en un grand nombre de points, surtout vers l’ouest.

Les argiles gypsifères sont partout recouvertes d’un manteau de latérite de puissance variable. Les débris de ce manteau recouvrent le flanc de la plupart des collines du Damergou, de sorte que, vues de loin, elles donnent bien l’illusion « d’ondulation rocheuses uniformément recouvertes de latérites ferrugineuses rouges ». [Foureau, Doc. Sc., II, p. 551.]

Fig. 30. — Damergou. Coupe de Djadjidouna à Béréré.

1, Grès rouge ; 2, Argiles gypsifères ; 3, Calcaires à huîtres et ammonites ; 4, Argiles gypsifères ; 5, Latérite ; q, Vallée d’un petit affluent du Goulbi n’Kaba ; d, Dunes mortes.

L’une de ces collines, située au nord de Sabankafi, a un relief plus marqué que les autres ; il est possible qu’elle contienne des niveaux plus élevés. Je n’ai pu la voir que de loin.

L’existence, au nord de la mare de Tarka, de nombreux débris de latérite permet de suivre avec quelque certitude vers l’ouest l’ancienne extension du Turonien. Parmi ces latérites de Tarka se trouvent de véritables minerais de fer, constitués par des oolithes de limonite avec ciment de sidérose (carbonate de fer), identiques à ceux qu’exploitent encore maintenant les forgerons du Damergou.

Pour une raison purement stratigraphique, j’ai rattaché au Crétacé supérieur des niveaux gréseux qui forment les plateaux du Koutous[90] et de l’Alakhos, au nord de Gouré, plateaux superposés au Tegama comme le sont les collines d’argile du Damergou (Planche de coupes hors texte, fig. VI).

Ces grès, puissants d’une centaine de mètres, sont parfois gris, plus souvent roses ou violets ; ils sont habituellement de grain assez fin, quoique partout on y trouve intercalés quelques bancs de graviers ou de galets. La stratification y est souvent entrecroisée, témoignant ainsi de courants rapides. Tous sont tendres et mal cimentés.

Ces grès, suivant la région où on les examine, présentent quelques différences de détail ; dans le sud, du côté de Kellé surtout, ils sont plus grossiers ; les débris de quartz et de quartzite, de la grosseur d’une noix, n’y sont pas rares, non plus que les poudingues à galets parfois gros comme le poing. J’ai pu examiner d’assez près un assez grand nombre de ces galets, qui disparaissent vers le nord : tous proviennent de l’Archéen ou du Silurien, aucun ne m’a paru attribuable aux granites alcalins de Zinder ou du Mounio, ce qui donne une indication sur l’âge de ces derniers, et rend probable l’existence de massifs anciens, analogues à celui d’Alberkaram, à proximité du Koutous. Le grand développement des ergs de la région cache presque partout le véritable sol et empêche de bien voir.

Fig. 31. — Bord du massif d’Alberkaram. 30 kilomètres au nord de Zinder.

A, Quartzites ; B, Roche très altérée, feldspathique ; C, Grès tendre. Continuation de la plaine du Tegama ; 1, Arkose et poudingues à galets de 4 à 5 cm. ; 2, Grès fins en bancs bien lités ; 3, Grès fins.

Des lambeaux de la même formation se trouvent au nord de Zinder, à Ouamé (fig. 31) et à l’ouest, vers Tirminy ; entre Tirminy et l’Adr’ar’ de Tahoua (250 km.) les mêmes grès semblent jouer un rôle très important ; ils sont bien visibles dans une vallée très encaissée, entre Kongoumè et Maïjirgui (fig. 32).

Cette vallée, d’abord orientée de l’est vers l’ouest, prend bientôt une direction méridienne ; Barth l’a rencontrée sur son itinéraire.

En dehors de cette coupure, le pays est en général très ensablé ;[91] mais rien à la surface, ni dans l’aspect de la végétation, n’indique de changement dans la nature du sol ; tout le long de la route les puits sont nombreux et les matériaux de déblais, accumulés à leur orifice, ne montrent jamais que des grès. Ce n’est qu’au voisinage de Gueydoum que des débris latéritiques indiquent l’approche d’une région différente.

Fig. 32. — Vallée entre Kongoumé et Maïjirgui.

1, Grès gris compact ; 2, Grès tendre jaune, très découpé (Crétacé supérieur ?) ; 3, Grès superficiel ferrugineux (latérite) ; 4, Dunes mortes.

Dans la région de Bilma, le Crétacé supérieur existe aussi d’une manière authentique ; Rohlf avait signalé, il y a longtemps, au sud de Bilma des grès riches en fossiles, notamment en empreintes d’ammonites ; et, auprès d’Agadem, des calcaires, diversement colorés, très fossilifères ; aucun exemplaire n’était parvenu en Europe ; dans sa belle traversée du Sahara (1892), le colonel Monteil a recueilli, à Zau Saghaïr, un oursin qui a été étudié par V. Gauthier ; le Noetlingia Monteili est voisin d’une forme du Maestrichtien du Beloutchistan[68]. Bien que, depuis, la route du Tchad à Bilma ait été parcourue à plusieurs reprises, aucun nouveau fossile n’a été rapporté ; les matériaux que le lieutenant Ayasse a recueillis et qui ont été étudiés par Freydenberg[69] montrent cependant qu’à côté de roches éruptives variées, il existe des roches sédimentaires, les unes peut-être anciennes (quartzites), d’autres certainement récentes : des grès à ciment argileux avec taches rouges ou violettes ont été trouvés en plusieurs points. Ils sont accompagnés de formations latéritiques et la petite collection de Ayasse, que j’ai pu voir à la Sorbonne, indique d’assez grandes analogies avec la région de Zinder. Les derniers envois du sergent Lacombe au Muséum confirment bien cette complexité de la région Fachi-Bilma ; il y a des roches granitiques, des quartzites (Silurien ?) des grès peut-être dévoniens ; les roches dominantes cependant (grès tendre bariolé, latérite, etc.), semblent se rapporter au Crétacé ou au Tertiaire.

On connaît encore des terrains du même âge à l’ouest et au sud de l’Adr’ar’ des Ifor’as. M. Théveniaux a rapporté de Mabrouka le Cardita Beaumonti ; MM. Combemorel, Desplagnes, E. Gautier et Cortier ont trouvé, dans la vallée du Telemsi, la même forme accompagnée[92] de nombreuses huîtres (O. Pomeli Coq., O. Nicaisei Coq., O. Bourguignati Coq.), caractéristiques du Crétacé supérieur d’Algérie.

MM. Arnaud et Pasquier ont rencontré les mêmes huîtres un peu plus à l’est ; un lamellibranche, probablement le Roudairia Drui Mun-Chalmas, forme commune dans le Crétacé supérieur algérien, était représenté dans leur envoi par deux moules assez médiocres. Ces Roudairia, qui sont connues depuis le Gabon jusqu’aux Pyrénées, semblent indiquer des communications faciles à travers le continent africain, entre la Méditerranée et l’Atlantique.

Cette bande de calcaires fossilifères a été recoupée par la plupart des itinéraires qui sont maintenant assez nombreux dans cette région ; Cortier a pu indiquer sa position avec assez de certitude sur une carte manuscrite qu’il a eu l’obligeance de me communiquer. Mais elle n’est pas uniquement crétacée et, dans la plupart des gisements, des fossiles éocènes ont été recueillis en même temps que les formes secondaires. Dans la majeure partie de son parcours, cette bande voisine avec les terrains archéens et primaires, mais les relations du Crétacé avec ces formations anciennes sont encore énigmatiques ; Lemoine [in Cortier, D’une rive à l’autre..., p. 409] serait disposé à admettre l’existence d’une faille, perpendiculaire aux plissements anciens. La chose est possible quoique l’allure de la bande calcaire soit bien peu rectiligne, mais il reste à l’établir.

Cette zone calcaire, qui est parfois limitée au nord par une falaise peu élevée, ne s’étend pas vers l’ouest jusqu’au méridien de Tombouctou ; du moins n’a-t-elle pas été rencontrée par les reconnaissances qui ont poussé jusqu’à Taoudenni. Elle commence à l’ouest de Mabrouka et, au sud du Timétr’in, s’étend d’abord de l’ouest vers l’est ; elle s’infléchit vers le sud au voisinage de l’Adr’ar’, constituant la plaine désolée de l’Adjouz, puis vers Tabankort reprend sa direction ouest-est.

A l’ouest de l’Adr’ar’ des Ifor’as, elle est doublée par une seconde bande calcaire qui vient mourir au voisinage de Bemba ; près des puits d’In Killa et d’In Akaoual, ces calcaires sont très fossilifères ; ils contiennent surtout de petits « cérithes » ? et cette indication semble se rapporter plutôt à des calcaires éocènes qu’à des couches crétacées ; ils s’agit probablement de turritelles, fossiles communs dans l’Éocène de l’Afrique centrale, et dont le capitaine Cauvin a rapporté des échantillons provenant de régions voisines.

La bande crétacée se poursuit depuis Mabrouka sur plus de 1000 kilomètres ; elle est connue à l’est de Gao, à Azigui et au nord du puits de Tiguirirt jusqu’au voisinage de 3° de long. orientale, plus[93] près d’Agadez que du Niger, au centre des terrains de parcours des Oulimminden.

De Mabrouka jusqu’à l’Adr’ar’ Tiguirirt, ces calcaires restent au voisinage des terrains anciens ; mais au delà de cet Adr’ar’, vers leur extrémité orientale, d’après une obligeante communication du capitaine Pasquier, on trouve, au nord des calcaires fossilifères, des affleurements de latérite. A cette latitude, la véritable latérite, produit d’altérations des roches éruptives, fait défaut, comme en témoignent l’Aïr et l’Adr’ar’ des Ifor’as ; les grès ferrugineux qui sont le résultat de la cimentation des dunes semblent eux aussi un peu plus méridionaux. La latérite du capitaine Pasquier, par la latitude où elle se rencontre, est plutôt analogue, autant qu’on peut juger sans échantillons, à celles du Damergou ou de l’Adr’ar’ de Tahoua qui résultent de l’altération, de la décalcification surtout des roches sédimentaires : la mer du Crétacé supérieur aurait pénétré assez loin dans la vallée du Taffassasset où l’on connaît, d’une manière authentique, l’Éocène jusqu’au voisinage du 18° de latitude nord, à Tafadek et à Tamalarkat.

Dans les lignes précédentes je n’ai pas cherché à préciser de niveaux stratigraphiques ; la chose serait prématurée. Les divers fossiles recueillis semblent indiquer que, depuis le Turonien, les mers du Crétacé ont occupé, d’une manière continue, le centre africain qu’elles n’ont abandonné qu’après l’Éocène ; mais les gisements fossilifères connus sont souvent fort loin les uns des autres, et sans liens entre eux ; les renseignements stratigraphiques font défaut sur la plupart des gisements et il est nécessaire d’attendre de nouvelles recherches sur le terrain avant de pouvoir systématiser nos connaissances sur le Crétacé de la région de Gao et de Zinder.

La mer qui, pendant le Crétacé supérieur, recouvrait le centre africain, se reliait certainement par la basse Égypte et le désert libyque à celle qui, passant par la Palestine et la Perse, s’étendait jusqu’au Beloutchistan ; les affinités avec l’Algérie et la Tunisie sont, elles aussi, bien marquées ; un bras de mer est peut-être indiqué à l’ouest de l’Aïr (fig. 68, p. 225).

Un autre bras de mer plus méridional, reliant le Damergou à l’Atlantique, est bien jalonné entre les roches anciennes du sud du Tchad et les massifs cristallins de Kano, de Sokoto et du Dahomey ; vers Gongola (11° latitude nord, 9° longitude est) des ammonites turoniennes ont été recueillies ; dans le Cameroun, Solger[70] a décrit[94] une faune du même âge, dont les espèces présentent les plus grandes analogies avec celles de l’Inde et de la Tunisie.

Enfin au cap Lopez, comme au voisinage de Libreville, les dépôts du Crétacé supérieur forment, le long du littoral, une bande parfois assez large.

Éocène. — La première mention de l’Éocène dans le centre africain date déjà de quelques années : le commandant Gadel avait recueilli à Tamaské un nautile et quatre oursins[71]. L’année suivante, pendant la mission de délimitation du Sokoto, le capitaine Moll et le commandant Lelean rapportaient des mêmes régions une série plus nombreuse qui confirmait les premières indications.

La stratigraphie de l’Adr’ar’ de Tahoua paraît assez simple : dans son ensemble, la région est un plateau dont les assises horizontales sont profondément entaillées par des vallées importantes, les dallols.

Fig. 33. — Coupe de la falaise de Bouza. — Adr’ar’ de Tahoua.

1, Argiles blanches visibles sur 10 m. ; 2, Banc d’oolithes ferrugineuses (0,25) ; 3, Argiles blanches, maculées de lie de vin (10 m.) ; 4, Roche latéritique (1 m.) manquant sur une partie du premier plateau ; 5, Argiles feuilletées avec gypse (12 m.) ; 6, Banc calcaire très fossilifère (0,10) ; 7, Argiles feuilletées avec gypse (3 m.) ; 8, Roche latéritique (0,50).

J’ai pu relever quelques coupes avec détail.

Près de Bouza, le long de la falaise à laquelle est adossé le poste[72], on rencontre successivement, de bas en haut, les niveaux suivants (fig. 33) :

1o Argiles blanches visibles sur une dizaine de mètres, elles contiennent des traces de grands bivalves.

2o Un banc d’oolithes ferrugineuses, 0,25.

[95]3o Argiles blanches, se maculant de rouge et de lie de vin surtout vers le sommet (10 m.) Ces argiles contiennent de nombreux grains de sable quartzeux.

Formations latéritiques (2 m.) ; formation assez complexe ; certaines veines sont formées d’oolithes ferrugineuses, indiquant un produit de décalcification ; d’autres, à grain plus fin, contiennent des empreintes de roseaux.

Cette couche résistante forme le couronnement d’un premier plateau qui porte le village de Bouza ; elle disparaît rapidement vers l’est avant la seconde falaise qui se montre à quelques kilomètres.

5o Argiles feuilletées bleuâtres avec gypse (15 m.). Ces argiles reposent directement sur 3.

6o Banc calcaire (0,10) très fossilifère. Les fossiles sont surtout des moules de bivalves et de gastéropodes de petite taille (Cardium, Turritella, Ostrea, etc.) ; un foraminifère, Operculina canalifera d’Arch., très caractéristique de l’Éocène moyen du Soudan, y est rare ; il y a aussi des dents de poissons, déterminées par Priem [B. S. G. F., VII, 1907, p. 334] qui y a reconnu Scyllium, Aprionodon, Cimolichthys ?

Fig. 34. — Falaise limitant un dallol près Bouza. — Adr’ar’ de Tahoua.

Les flancs de la falaise sont formées des couches 1-4 de la figure 33.

7o Argiles bleuâtres avec gypse, 2 m.

8o Latérite et grès ferrugineux, 0,50.

A quelques kilomètres au nord, à Gamé, le commandant Moll a rencontré un banc calcaire avec de nombreux fossiles, que j’ai pu voir au Muséum (Nautile, Oursins, Polypiers) ; les relations de ce niveau avec ceux de Bouza sont inconnues.

Au sud-est de Keita une falaise, haute d’une centaine de mètres montre les couches suivantes :

1o Grès à ciment ferrugineux, 0,20.

2o Argiles grises, 10 m.

[96]3o Calcaires blancs, se débitant en rognons, 20 m.

4o Marnes (1 m.). Les oursins (Linthia, Plesiolampas) sont abondants à ce niveau.

5o Calcaires blancs (20 m.) Les moules de grandes bivalves (Lucina ?) y abondent. Ces moules, dont la détermination précise est impossible, sont très répandus dans l’Éocène de l’Afrique centrale ; ils ont une valeur stratigraphique locale.

6o Argiles feuilletées blanches (20 m.) contenant des débris de grands bivalves.

7o Formations latéritiques (3-4 m.). Oolithique ferrugineuse et grès ferrugineux.

Cette falaise, que je n’ai pu voir qu’en passant, est l’une des plus hautes de la région ; elle mériterait un examen approfondi.

A Tamaské, la coupe est beaucoup moins complète, et seules les assises 5, 6 et 7 ne sont pas masquées par les éboulis ; notons toutefois qu’à mi-chemin entre Keita et Tamaské, on voit affleurer les argiles maculées de Bouza. Sans qu’il soit nécessaire d’insister davantage sur le détail des observations, l’Éocène de la région de Tahoua comprendrait essentiellement les deux termes suivants : à la base, des argiles blanches maculées de taches rouges ou lie de vin et qui n’ont fourni jusqu’à présent que des traces de fossiles indéterminables ; au sommet, des assises souvent calcaires, d’ordinaire très fossilifères et que l’ensemble de leur faune rattache nettement à l’Éocène moyen (Lutétien).

Fig. 35. — Coupe de l’Adr’ar’ de Tahoua.

Il y a environ 110 km. de Tahoua à Bouza. Le trait épais indique les plateaux couverts de formations latéritiques.

Miocène. — On a signalé[73], au sud de Bouza, vers Boutoutou, une roche ferrugineuse où abondent les empreintes fossiles ;[97] M. Douvillé y a reconnu une forme voisine du Protho rotifera du Miocène français. Au-dessus de ce gisement un schiste sableux, brun jaunâtre, contient des débris végétaux où M. Zeiller a signalé des fougères voisines de la Scolopendre et du Polypodium, des Scitaminées et des Dicotylédones. Ces schistes à végétaux sont surmontés d’une lumachelle où se rencontrent des Cardita, qui rappellent une forme du Miocène supérieur du Cotentin. La collection Moll, au Muséum, contient quelques troncs silicifiés provenant de la partie supérieure du plateau de Bouza. J’ai recueilli, près de Korema-Alba (50 km. à l’est de Bouza), des latérites formées d’oolithes de limonite et qui, d’après Cayeux, semblent provenir de la décalcification d’un calcaire lacustre. Ces limonites sont probablement au-dessus du Lutétien.

La présence de gypse à plusieurs niveaux, la flore de Boutoutou permettent de croire que des épisodes lagunaires et lacustres se sont intercalés à plusieurs reprises au milieu de formations marines[74], mais il semble acquis que la mer n’a quitté définitivement l’Afrique centrale que depuis la fin du Miocène.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XIII.

Cliché Posth

25. — LE NIGER A NIAMEY.

Ile granitique au milieu du fleuve. Falaise de grès du Niger, recouverts d’éboulis latéritiques.

Cliché Posth

26. — LE PUITS DU VILLAGE D’YENI.

Dallol Bosso, au sud de Sandiré.

Extension géographique. — Il est possible de suivre au loin une partie de ces formations.

Le Lutétien fossilifère se rencontre encore un peu au sud de l’itinéraire que j’ai suivi : les fossiles recueillis par le capitaine Lelean proviennent de Garadoumi. Vers le nord, son extension est très considérable : le capitaine Allouard m’a signalé deux gisements fossilifères (avec nautiles) à moitié route entre In Gall et Tahoua ; le lieutenant Jean a remis à la Sorbonne, où j’ai pu les étudier, quelques blocs calcaires recueillis au nord-ouest d’Agadez, à Tamalarkat et à Tafadek ; ces blocs sont riches en Operculina ammonea. M. R. Arnaud, le capitaine Pasquier et plus récemment le lieutenant Théral ont recueilli, au voisinage de l’Azaouak, de beaux fossiles éocènes qui sont déposés au Muséum.

Combemorel, E.-F. Gautier et le lieutenant Cortier ont rapporté du haut Telemsi toute une faune de même âge, que le capitaine Cauvin a retrouvée à l’ouest de l’Adr’ar’ des Ifor’ass, ainsi qu’entre Mabrouka et Bemba ; les gisements fossilifères commencent à 20 kilomètres au nord de ce poste. Antérieurement, de Lapparent avait signalé les fossiles éocènes que le lieutenant Desplagnes avait ramassés dans la région de Bourem.

[98]A Ansongo, parmi les galets des alluvions anciennes sur lesquelles est bâti le poste, à 7 mètres au-dessus du Niger, et qui sont surtout formés de quartz et de roches cristallines, se trouvent des silex jaunâtres, à peine roulés, sur lesquels on peut distinguer quelques traces de fossiles, notamment des empreintes de turritelles qui ne paraissent pas différentes de celles que l’on connaît dans les gisements typiques de la région. Ces silex sont évidemment le dernier reste d’assises calcaires importantes.

Fig. 36. — Village de Kaouara (40 km. à l’est de Matankari).

Le campement est sur la dune fixée, au premier plan.

Fig. 37. — Matankari ; au nord du poste. Au dernier plan, entre les plateaux, le col où passe la piste de Tougana.

Matankari est à quelques kilomètres en amont de Dogon Doutchi sur le dallol Maouri.

Cet Éocène moyen fossilifère de l’Afrique centrale est dès main tenant bien connu dans ses grandes lignes ; toute sa faune, par son caractère littoral, indique une mer peu profonde et cette considération bathymétrique explique l’absence de nummulites, absence qui ne présente aucune sorte de gravité ; les relations de cette mer avec les mers éocènes voisines sont plus obscures. La faune indique des affinités profondes avec le bassin de la Méditerranée ; il est bien vraisemblable aussi que les communications qui, pendant le Crétacé[99] supérieur, reliaient cette mer à celle du Cameroun, persistaient encore à l’époque lutétienne. Mais la trace précise de ces bras de mer nous fait jusqu’à présent défaut : j’ai indiqué antérieurement que, au nord-ouest d’In Azaoua, sur les grès dévoniens du tassili Tan Tagrira, se trouvaient des grès d’aspect beaucoup plus jeune et qui pourraient être crétacés ou tertiaires ; les documents manquent pour suivre cette voie encore hypothétique vers le nord. Les calcaires à silex, sans fossiles, qui surtout vers l’est couronnent le Tadmaït, sont attribués par Rolland et Flamand à l’Éocène ; toutefois ce n’est que beaucoup plus au nord que l’Éocène est connu d’une manière authentique. Vers l’est, par Bilma, une communication avec le désert lybique est probable, de même que vers le sud avec le Cameroun et l’Atlantique par Gongola ; mais jusqu’à présent à Bilma comme à Gongola, le Crétacé seul est connu. Une communication vers l’ouest avec le Nummulitique du Sénégal est possible ; c’est une question qui sera mieux à sa place dans un chapitre ultérieur.

Fig. 38. — Grès du Niger.

Le Tondibi, sur la rive gauche du fleuve.

Les argiles bariolées qui, dans l’Adr’ar’ de Tahoua, sont recouvertes par les couches lutétiennes, ont, elles aussi, une grande extension ; mais l’absence de fossiles ne permet pas de les suivre avec autant de sécurité que les assises qui les surmontent.

Ces argiles se prolongent à l’ouest de Tahoua ; et, jusqu’à Niamey, on les voit à chaque étape, toutes les fois que l’érosion a fait disparaître le manteau latéritique qui couvre la haute plaine du Djerma : les figures consacrées à Kaouara, Dinkim, Matankari (fig. 36, 37, 41), les photographies (Pl. XII, XIV) de Dogon Doutchi et d’Yéni montrent avec quelle netteté on peut suivre cette assise ; jusqu’au dallol Bosso (Sandiré-Yéni), on ne la perd pas de vue.

Une marche de 90 kilomètres sur un plateau couvert de latérites, parfois ensablé, mais en tout semblable à celui que l’on suit depuis Tahoua, permet de retrouver à Niamey une formation analogue. Lorsque l’on remonte le Niger, on voit très fréquemment sur les deux rives, au moins jusqu’à Bourem, des plateaux, hauts d’une[100] trentaine de mètres au plus, couverts d’une nappe de latérite, et dont les flancs montrent des formations sédimentaires horizontales d’aspect jeune, formées d’ordinaire d’assises de couleurs claires souvent maculées de rouge. Les croquis (fig. 38 et 39) montreront leur allure au Tondibi et au Kennadji. La photographie (Pl. XIII), prise à Niamey, permettra de voir quelques détails.

Un plateau tout semblable, le mont Asserarbhou de la carte au 2000000e du ministère des Colonies, justifie mal cette dénomination pompeuse : ce plateau a tout au plus 20 mètres de haut. Depuis le Niger jusqu’à mi-hauteur se montrent des argiles gréseuses blanches et violettes, surmontées de grès roses. Sur le couronnement, d’origine latéritique, s’élève le poste de Bourem. A quelques kilomètres au nord du poste, d’après les renseignements du lieutenant Barbeyrac, les calcaires à Linthia apparaissent à la surface du sol, au-dessus des argiles bariolées que l’on ne peut observer que dans les puits. Les relations stratigraphiques sont donc les mêmes que dans la région de Tahoua et cette similitude donne une certaine importance aux fossiles mal conservés que j’ai signalés à Ansongo.

Fig. 39. — Le plateau de Kennadji (grès du Niger) sur la rive droite du fleuve.

Au premier plan, une île basse, couverte de végétation ; des porphyres y affleurent. — Sous les grès du Niger, mamelons granitiques.

Ces grès du Niger forment donc, au point de vue géographique, un ensemble très homogène de Tahoua à Niamey et à Bourem. Leurs caractères lithologiques varient peu : à Bouza ce sont des argiles avec quelques grains de quartz, à Dinkim de véritables grès à ciment argileux ; au voisinage des roches éruptives, comme à Niamey, des arkoses[75] ; des modifications aussi légères n’enlèvent rien à l’homogénéité de cette assise : dans les deux seuls points où son âge[101] peut être fixé, elle est recouverte par l’Éocène moyen. On doit donc la rattacher à l’Éocène inférieur.

Plus au sud, à Bossia, Hubert signale [l. c., p. 365] un certain nombre de montagnes tabulaires, assez élevées (100 m.), formées de grès argileux où l’on peut distinguer de nombreuses assises ; il serait intéressant de les étudier de près et de voir si leur partie supérieure n’appartiendrait pas à l’Éocène moyen ou au Miocène.

La limite de cette formation vers l’ouest est inconnue ; cependant Boussenot [Revue des troupes coloniales, 1904, p. 243] signale auprès de Dori, reposant sur les granites et les schistes cristallins, des argiles et des sables gréseux qui sont peut-être la suite des grès du Niger ; les très rares renseignements que j’ai pu recueillir sur la région des mares qui s’étend au nord de Dori, indiquent une plaine recouverte de formations ferrugineuses, qui semble la continuation de ce que l’on observe sur la rive droite de Niger. Au delà des collines cristallines qui relient Tosaye à Hombori, on ne signale plus rien de semblable.

Dans toute cette région voisine du Niger, les grès et argiles bariolées reposent directement sur les terrains anciens et non plus, comme à l’est de l’Adr’ar’ de Tahoua, sur le Crétacé. Il y a donc une transgression marquée vers le début des temps tertiaires ou peut-être à la fin du Crétacé.

A une grande distance à l’ouest, contrastant nettement avec les grès anciens du plateau de Bandiagara, des grès rigoureusement horizontaux, reposant souvent sur le Silurien, se rencontrent sur les bords du Niger, entre Bammako et Koulikoro ; le chemin de fer de Kayes au Niger permet de les suivre assez loin vers l’ouest ; vers le nord ils forment tout le Bélédougou ; on les retrouve entre Mopti et Kabarah ; ils sont bien visibles au lac Débo ; les collines qui avoisinent Goundam et le Faguibine paraissent appartenir au même ensemble. Ce sont des grès de dureté variable, passant parfois à des arkoses (Goundam) à grain souvent assez fin, mais contenant des bancs de graviers ; la stratification y est souvent entrecroisée et leur couleur varie du blanc au rouge. Jusqu’à présent, un seul fossile y a été signalé, entre Bammako et Koulikoro ; il ne présente malheureusement aucune signification stratigraphique[76].

Chautard a rencontré en Guinée des formations semblables ; au Sénégal, au cap Rouge, des grès bien voisins d’aspect reposent sur les calcaires de Rufisque à Physaster inflatus.

[102]Cette analogie permettrait d’attribuer provisoirement à ces grès un âge crétacé supérieur ou éocène : sur le littoral d’Angola[77], la mer du Crétacé supérieur a laissé, dans des grès, des fossiles assez nombreux. Mais il y a encore beaucoup trop de lacunes entre ces diverses formations pour que l’on soit autorisé à conclure, et à identifier les grès de Bammako et ceux du Niger.

Les fossiles recueillis dans l’Éocène de l’Afrique centrale sont surtout des moules internes de gastéropodes ou de lamellibranches d’une détermination souvent douteuse[78]. Quelques-uns, cependant, mieux conservés, permettent de ne pas hésiter sur l’âge de cette formation ; les suivants méritent d’être signalés.

Un nautile, du groupe du N. Lamarcki Deshayes, a été trouvé en plusieurs points de l’Adr’ar’ de Tahoua et dans le Telemsi ; il semble se rapporter assez exactement à Nautilus Deluci d’Archiac, du Nummulitique de l’Inde.

Un grand ovule, du sous-genre Gisortia, est voisin de O. depressa Sow. Le capitaine Arnaud l’a recueilli dans le Telemsi et le capitaine Pasquier, beaucoup plus à l’est, dans la région de l’Azaouak. On connaît O. depressa en Asie Mineure et dans l’Inde.

Les moules de Velates, Natica, Rostellaria, Cypræa semblent se rapporter aussi à des formes de l’Inde et de la Méditerranée. Une turritelle, au moins très voisine de Mesalia fasciata, se rencontre dans la région de Tahoua et à Tenekart ; le capitaine Cauvin l’a rencontrée à l’ouest de l’Adr’ar’ des Ifor’ass, en allant de Bemba à Timiaouin ; elle se retrouve probablement sur les silex d’Ansongo.

Parmi les lamellibranches il n’y a guère de vraiment déterminable qu’une huître, récoltée par R. Arnaud et Pasquier entre Gao et Menaka ; elle est très voisine de l’Ostrea elegans Deshayes, et ressemble surtout à des formes de cette espèce recueillies autrefois par Lemesle dans le Sud tunisien et que M. Douvillé m’a montrées à l’École des Mines. Une autre huître du même gisement peut être rapportée à O. punica Thomas.

Le moule d’une grande lucine, de la taille de L. gigantea du bassin de Paris, mais beaucoup trop épais pour que l’on puisse le rapprocher de cette espèce, est extrêmement commun ; il permet de suivre facilement au loin certains niveaux de l’Adr’ar’ de Tahoua.

Les oursins sont en général très bien représentés dans toutes les[103] récoltes ; les deux espèces que Bather[79] a décrites de Garadoumi (Hemiaster sudanensis, Plesiolampas Saharæ) ont été souvent recueillies ; Lambert a distingué Plesiolampus Paquieri provenant de l’est de Gao, et il se peut que les matériaux assez nombreux qui sont actuellement à l’étude permettent d’accroître un peu cette liste[80].

Parmi les foraminifères, une espèce seule semble jusqu’à présent importante. L’Operculina canalifera d’Archiac est abondante à Tamaské et se retrouve, aux confins de l’Aïr, à Tamalarkat et à Tafadek (lieutenant Jean). C’est une forme du Lutétien de l’Inde et d’Égypte que l’on connaît aussi de l’Est africain allemand où elle accompagne Nummulites Ramondi Defr., N. cf. lævigata Lam, N. perforata Mont., Assilina granulosa d’Arch., A. spira de Roissy[81].

Les vertébrés n’ont fourni jusqu’à présent que peu de débris. R. Arnaud et Pasquier ont recueilli une vertèbre de Crocodilien qui peut être du Crétacé supérieur ou du Tertiaire inférieur ; la mission Moll a rapporté de la région de Tamaské des plaques de tortues. Priem a bien voulu examiner quelques dents de poissons trouvées près de Bouza ; il y a reconnu Scyllium, Aprionodon et Cimolichthys (?), espèces qui indiquent certainement le Tertiaire et probablement l’Éocène moyen[82].

Les affinités de cette faune, que l’étude non encore achevée des nombreux matériaux qui se trouvent à Paris permettra de préciser, sont très nettes avec l’Inde, l’Asie Mineure, l’Égypte et le Sud tunisien.

Les autres gisements éocènes des régions voisines, le Cameroun et le Sénégal[83], bien que présentant des analogies manifestes avec la même zone méditerranéenne, sont assez distincts des gisements de Tahoua ; ces divergences entre pays aussi rapprochés tiennent sans doute à des différences d’âge entre les niveaux fossilifères explorés ; d’après Oppenheim[84], les fossiles du Cameroun seraient paléocènes. Cet étage est représenté probablement à Tahoua par les grès du Niger qui, comme presque tous les grès, sont pauvres en débris[104] organiques ; des recherches suivies seront nécessaires pour en connaître la faune.

Nulle part on n’a pu encore relever de coupes continues ; mais tous les indices portent à croire que depuis le Turonien inférieur jusqu’à la fin de l’Éocène au moins, la mer n’a pas abandonné ces régions ; la série doit être complète dans le centre du bassin.

II. — LES PAYS

Dans toute cette zone des hautes plaines sédimentaires du Soudan vit une population assez nombreuse, malgré les ravages qu’y a faits jusqu’en ces dernières années la traite des esclaves.

Presque partout deux demi-civilisations coexistent ; des villages, habités par des populations noires, vivent surtout de la culture ; entre les villages nomadisent des pasteurs sans liens anthropologiques ou ethniques avec les sédentaires.

Au cours de luttes interminables entre les innombrables sultans noirs, les villages ont souvent changé de maîtres et fait partie des groupements les plus divers. Leur longue histoire, sans grand intérêt probablement, ne pourra guère être débrouillée, et seulement pour une courte période, que par des gens résidant longtemps dans le pays.

Le travail a été commencé ; et, aux traditions soigneusement recueillies par Barth, sont venues s’ajouter quelques monographies excellentes comme celle que le commandant Gadel a consacrée à Zinder.

Il est encore impossible cependant de chercher à faire une synthèse de tous ces renseignements. Il faudra se borner à mettre en évidence quelques groupements naturels qui ont été imposés par des conditions géographiques ou géologiques.

Dans l’ensemble, la région de hautes plaines dont nous venons de chercher à définir la structure géologique, forme d’une manière très graduelle la transition entre le Sahara où il ne pleut pas et la région équatoriale où il pleut beaucoup. Dans leurs parties septentrionales, les plus proches du désert, ces hautes plaines se prêtent mal à la vie des hommes ; à mesure que l’on va vers le sud, l’eau devient moins rare et la vie plus aisée ; les villages apparaissent, localisés surtout, d’abord, dans quelques districts où des reliefs insignifiants suffisent cependant à accroître les précipitations atmosphériques et fournissent de bonnes positions de défense. Plus que la certitude d’avoir de l’eau facilement, la préoccupation de la sécurité[105] a déterminé le choix de l’emplacement des villages, non seulement en Afrique, mais dans le monde entier, comme en témoignent encore tant de vieux villages français, juchés sur des collines d’accès difficile.

Nomades. — A part ces régions favorisées, la zone qui s’étend du Tchad au Sénégal est habitée surtout par des nomades de différentes races, qui se pénètrent peu.

A l’est, les Tebbous, fort mal connus, ont leur centre dans le Tibesti ; depuis des siècles, jusqu’à notre arrivée, ils étaient en lutte avec les gens de l’Aïr pour la possession de Bilma ; leurs campements les plus éloignés vers l’ouest sont au nord du Koutous, à Garagoa ; on les retrouve entre Chirmalek et le Tchad ; le poste de Mirrh a été établi pour les surveiller. Ils ne vont que peu au sud de cette ligne, qui forme à peu près la limite commune à leurs parcours et à ceux des Peuhls.

Entre le Tchad et le Borkou, ils ont été refoulés par une tribu arabe, les Ouled Sliman venus du Fezzan il y a un petit nombre d’années ; tribu sur laquelle Nachtigal, et plus récemment Mangin [La Géographie, XV, 1907], ont donné d’assez nombreux détails.

Le domaine des Touaregs commence à l’Aïr ; plus au sud, ils s’étendent davantage à l’est et campent dans l’Alakhos ; leurs dernières tentes dans cette région sont à Zéno. On les retrouve vers l’ouest, après quelques interruptions entre le Télemsi et Tombouctou, jusqu’à la région du Faguibine. Leur limite méridionale paraît compliquée et semble décrire de nombreux crochets : les Kel Gress pénètrent jusqu’à Sokoto ; à l’est et à l’ouest de l’Adr’ar’ de Tahoua, où les nomades sont Touaregs, les Peuhls au contraire remontent assez loin vers le nord : on les rencontre tout au moins à Kankara et à Amashi, comme autour de Matankari. Je n’ai pas de documents suffisants pour préciser la limite des deux races ; il semble en tous cas qu’elles ne nomadisent pas ensemble. De la vallée du Télemsi à Tombouctou, la plaine au nord du Niger et jusqu’au Timetrin est occupée par des nomades de langue arabe, Kountah et Berabiches qui séparent les Oulimminden et les Ifor’as, des Touaregs de Tombouctou (Kel Antassar, etc.[85]).

Parfois les habitats de ces différents peuples correspondent visiblement à des régions naturelles : l’Adr’ar’ des Ifor’as arrête les[106] Kountah. Vers l’ouest, le Djouf semble être la limite extrême des Touaregs ; mais le plus souvent les limites sont indécises et ne semblent correspondre à aucun accident géographique notable. Chaque peuplade nomade a quelques districts montagneux où elle est solidement installée et qui lui servent de citadelle ; elle s’étend plus ou moins dans la plaine suivant le hasard des combats : les oasis du Kaouar ont de tout temps été l’objet de luttes entre les Tebbous du Tibesti et les Touaregs de l’Aïr. Les premiers y étaient les maîtres au moment du passage de Nachtigal (1870) ; lors de notre installation à Bilma (1906), les salines dépendaient des Kel Aïr.

A quelque race qu’ils appartiennent, la vie de tous les nomades est la même : du Sud algérien aux falaises de Hombori, les nomades sont à la recherche de bons pâturages pour leurs troupeaux ; ils ajoutent, aux bénéfices un peu aléatoires de l’élevage, l’escorte et au besoin le pillage des caravanes et quand ils sont en contact avec des sédentaires, ils leur imposent une protection onéreuse : l’histoire du Damergou ou de Tahoua reproduit celle des Oasis, et cette manière de faire, qui est pour les peuples pasteurs presque une nécessité, n’est pas spéciale aux bergers africains.

Quant au choix des animaux qui constituent le cheptel, il est une affaire de météorologie et non pas de race humaine. Partout l’élevage du mouton et de la chèvre est important ; dans les pays les plus secs on y ajoute le chameau ; quand la pluie devient moins rare, le bœuf apparaît à côté du chameau ; un peu plus loin du désert, en Algérie comme au Soudan, le cheval devient possible et le dromadaire disparaît d’abord comme monture, puis comme animal porteur. Ces substitutions progressives se font chez les Tebbous tout comme chez les Arabes et les Touaregs. Seuls les Peuhls, qui ne touchent nulle part au Sahara, n’élèvent, comme animaux de bât ou de selle, que le cheval et le bœuf.

Ce n’est pas le lieu de discuter ici sérieusement la question controversée de savoir si la vie, nomade ou sédentaire, est un caractère de race ; les caractères anthropologiques des Africains sont encore trop mal connus pour qu’ils puissent servir d’appui à une semblable discussion. Il semble toutefois que les conditions de milieu ont, plus que les caractères anatomiques, une influence sur le mode d’existence que chaque groupement humain adopte. Malgré leur nom, les Kel Oui sont des Haoussas et ils vivent de la vie des Touaregs ; sur les rives du Niger, il y a des villages de Peuhls. Quant aux Touaregs véritables, ils sont apparentés de bien près à des populations sédentaires d’Europe ou d’Afrique mineure.

[107]Adr’ar’ de Tahoua. — Tahoua est le chef-lieu d’une région bien caractérisée, l’Adr’ar’ de Tahoua, appelé parfois l’Adr’ar’ Doutchi. Cette expression bizarre est formée du mot tamachek adr’ar’ et d’un mot haoussa « doutchi » qui veut dire caillou, rocher ou colline pierreuse. Cet Adr’ar’ est un plateau de calcaires et d’argiles éocènes (fig. 35, p. 96), protégé le plus souvent par un manteau latéritique ; il est entaillé par de profondes vallées, les « dallols », souvenir d’un état hydrographique antérieur. Ces vallées, larges souvent de 5 à 6 kilomètres, sont flanquées de falaises élevées, hautes parfois de plus de 100 mètres ; ce sont certainement des vallées d’érosion, creusées naguère par des fleuves venus de l’Aïr et de l’Ahaggar, fleuves aujourd’hui décapités (fig. 68, p. 225).

Le fond des dallols a conservé des alluvions, mais le vent y a fait cependant son œuvre et des dunes nombreuses interrompent la pente de la vallée ; ces barrages ont favorisé l’établissement de grands étangs ; celui de Keita (Pl. XX) est presque un lac.

Fig. 40. — Dallols près de Labat.

Adr’ar’ de Tahoua.

La majorité des villages, pour des raisons défensives, est établie au bord du plateau, souvent assez loin des puits dont la plupart, profonds d’une dizaine de mètres, sont creusés dans les alluvions, vers le milieu des dallols. Quelques villages cependant, comme Kalfou (Pl. XXVII, phot. 52), sont installés au milieu des plateaux, dans des cuvettes synclinales où ils ont pu trouver de l’eau.

La culture du mil est la seule importante ; on le sème dans la première quinzaine de juin et il est mûr quatre mois après ; il y a aussi quelques champs de coton.

Les sédentaires sont naturellement des noirs, mais le pays est sous la domination des Touaregs, les Kel Gress vers l’est et surtout lès Oulimminden, dont la région de parcours est au nord de l’Adr’ar’ et s’étend jusqu’à Gao. D’après les traditions locales cette domination remonterait à trois ou quatre siècles ; elle est vraisemblablement[108] beaucoup plus ancienne ; les redjems, surtout des basinas, identiques à ceux du Sahara, sont abondants dans l’Adr’ar’ de Tahoua, comme dans tous les pays occupés actuellement par les populations berbères[86]. Quoique aucun d’eux n’ait été fouillé, il semble impossible de les confondre avec les autres types de sépulture décrits par Desplagnes [Le Plateau Central Nigérien] et qui sont attribuables à d’autres races.

L’influence targuie est en tous cas bien marquée, même chez les sédentaires ; habituellement, chez les noirs, ce sont les femmes qui font toutes les corvées ; dans la région de Tahoua, les hommes prennent une part active au travail.

La limite orientale de l’Adr’ar’ de Tahoua est très précise : un peu à l’est de Guidambado commencent les plateaux éocènes qui débutent par une falaise, au-dessus des grès du Crétacé supérieur. La plaine que forment ces grès au contact de l’Adr’ar’ (désert des Mousgou, Gober) est à peine habitée.

Djerma. — Vers l’ouest les limites sont beaucoup plus indécises. Les grès bariolés qui sont à la base de l’Éocène se continuent jusqu’au Niger, constituant la région du Djerma[87], région qu’habitent des populations de langue sonr’ai.

Fig. 41. — Matankari, sur le dallol Maouri.

Au premier plan, place du marché.

Quelques bandes de terrain, très allongées du nord au sud, et larges de l’est à l’ouest de 70 à 80 kilomètres, manquent d’eau ; elles[109] sont désignées sur plusieurs cartes par le nom d’Azaoua. On trouve pour d’autres régions désertes ou tout au moins privées d’eau, les noms d’Azaouad, d’Azaouak, d’Ahaouak. La langue touareg présente au moins quatre dialectes, celui des Kel Ahaggar, celui des Kel Oui, celui des Ifor’as et celui des Oulimminden ; le premier seul est bien connu. Dans le dialecte des Kel Ahaggar, Azaoua est le nom d’un arbre, le tamarix, qui, sauf dans la région du Tchad, manque au Soudan. Il est donc possible que le mot Azaoua soit inexact : ce serait plutôt Azaouad ou Azaouak, dont le sens précis est inconnu, qui conviendrait. Quoi qu’il en soit de cette question philologique, les puits et par suite les villages sont localisés dans les grandes vallées (dallols Bosso, Maouri). Il semble que ces bandes désertes ont servi de barrière à l’extension des langues sonr’ai et haoussa, mais il y a eu, je crois, quelques pénétrations réciproques : la distribution géographique de ces deux langues, au voisinage de leur frontière, serait à préciser sur place.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XIV.

Cliché Posth

27. — LE DALLOL BUSSO, A YENI.

Cliché Pasquier

28. — LES RUINES DE LA MOSQUÉE DE GAO.

Les bœufs sont au milieu du cimetière musulman.

Tessaoua. — La plupart des pays où les villages sont rapprochés, sont des régions de collines ou de plateaux bien marqués ; le petit sultanat de Tessaoua fait exception à cette règle ; il correspond au point où une vallée importante, affluent du Goulbi n’Sokoto, reçoit plusieurs rivières. Toutes ces vallées (fig. 32, p. 91), encaissées de quelques mètres, sont creusées dans des grès ; à Kongoumé, les falaises, orientées est-ouest, dans la direction des vents dominants, sont à peine ensablées ; auprès de Tessaoua, le Goulbi, large de plusieurs kilomètres, coulerait, s’il y avait de l’eau, du sud au nord, de sorte que les falaises gréseuses ont à peu près complètement disparu sous un amoncellement de sable ; l’ensemble de la région forme à peine des collines surbaissées et d’accès facile ; ce sont de mauvaises conditions de défense, mais le pays est fertile : à la culture du mil, du coton et de l’indigo s’ajoutent les cultures maraîchères (oignon, manioc, arachide, etc.). Le tabac vient également fort bien ; sa préparation est très soignée et le tabac de Tessaoua, célèbre au loin, est un des meilleurs que l’on puisse fumer au Soudan.

Cette richesse du sol, qui tient uniquement à l’abondance de l’eau, a permis à la population de se réunir dans de gros villages (Maijirgui, 1000 h. — Kanambakachy, 1500 h., etc.), tous protégés par de fortes palissades. Ces villages sont rapprochés les uns des autres et les zones débroussaillées qui les entourent, d’un diamètre de 5 à 6 kilomètres, se rejoignent : on ne voit partout que des cultures autour de Tessaoua. Habituellement vers le 14° de latitude nord, les villages[110] sont beaucoup plus éloignés les uns des autres et leurs champs sont séparés par d’épais massifs de savane ou de brousse à mimosées.

Grâce à sa densité, la population du Tessaoua a pu résister aux Peuhls qui font paître leurs troupeaux de bœufs vers le sud et aux Touaregs qui élèvent leurs chameaux vers le nord [Barth, Reisen, II, p. 13 et 10]. Le sultanat de Tessaoua a une soixantaine de kilomètres du nord au sud, une vingtaine de l’est à l’ouest ; sa population serait d’environ 70000 habitants.

Depuis notre occupation, la sécurité est devenue plus grande ; à Tessaoua et dans les gros villages, beaucoup de cases demeurent inoccupées, les cultivateurs préférant habiter de petits hameaux au milieu de leurs champs ; cet heureux symptôme de calme et de prospérité est d’ailleurs assez général au Soudan.

Le Tessaoua est séparé de l’Adr’ar’ de Tahoua par le désert du Gober ou des Mousgou[88]. Quelques villages seuls, Guidam Moussa (500 hab.), Kornaka (400 hab.), jalonnent la route d’étapes ; au nord il n’y a que des nomades et vers le sud, les premiers villages de la Nigeria sont à plus de 50 kilomètres. Malgré cet isolement on a pu créer à Amonkay Ouroua, à 23 kilomètres de Kornaka, un petit village : 4 ou 5 familles de noirs ont osé s’y installer, tentées par un sol assez fertile et un puits peu profond (8 m.). Vers l’ouest, les premiers villages de la région de Tahoua sont séparés d’Amonkay par une soixantaine de kilomètres où nomadisent des Peuhls.

Je crois qu’il est difficile de trouver un meilleur exemple de la confiance que les officiers du troisième territoire ont su imposer à leurs administrés.

Demagherim. — Les crêtes siluriennes, flanquées de mamelons granitiques, qui constituent les massifs d’Alberkaram et de Zinder, forment une région naturelle, le Demagherim, où la population sédentaire, de langue haoussa, est assez dense[89].

Les crêtes siluriennes sont constituées par des quartzites perméables à affleurements nord-sud entre lesquels, formant le fond de cuvettes ensablées, se trouvent des micaschistes et des roches éruptives. L’eau se conserve bien dans ces dépressions ; les mares temporaires sont fréquentes et les puits alimentés par des pluies régulières sont peu profonds : à la fin de la saison sèche, on trouve l’eau à une douzaine de mètres au plus.

[111]Dans la plupart des dépressions, il y a des mares d’hivernage où la végétation arborescente devient fort belle (Daganou-Mazammi) ; certains arbres, en particulier les gao (Tamarindus) y atteignent une vingtaine de mètres.

Ce massif d’Alberkaram est d’un accès particulièrement difficile ; les cols sont rares dans les crêtes de quartzites ; aussi la population, les Kardas, a pu vivre assez isolée et est restée en majeure partie fétichiste.

Les districts granitiques qui bordent à l’est et à l’ouest ce massif silurien sont d’un accès plus facile : les hauteurs sont des mamelons isolés ; toutes les parties basses sont envahies par des dunes mortes qui, recouvrant des terrains imperméables, conservent d’abondantes réserves d’eau.

A Merria, l’ancienne capitale, il y a même une source, la seule du pays, qui donne naissance à un ruisseau permanent. Ce ruisseau qui coule pendant 5 ou 600 mètres est employé à l’irrigation. La culture maraîchère (légumes, citrons), très développée à Merria, alimente Zinder. Le marché hebdomadaire qui s’y tient a l’importance des marchés d’un chef-lieu de canton de France.

La structure mamelonnée des régions granitiques se prête admirablement à l’établissement de mares ; quelques-unes sont de véritables lacs. L’un des plus beaux est à Gidi-Mouni ; il a plusieurs kilomètres de long et est bordé de dômes granitiques.

Barth [Reisen, IV, p. 73] en donne une bonne représentation sous un nom inexact (Bada-Muni). Sur les bords du lac et dans les canaux qui en dérivent, la végétation est fort belle, et la culture très développée ; il y a quelques dattiers et les baobabs, plus rares au nord, sont abondants.

Dans tout le Demagherim, les villages sont nombreux et rapprochés ; beaucoup sont importants. Cependant, seule la capitale actuelle, Zinder, mérite le nom de ville. Zinder est le nom arabe, à peine connu des indigènes qui désignent l’enceinte fortifiée où résidait le sultan[90] sous son nom haoussa de Damangara ; à 1500 mètres au nord, le faubourg où résident les marchands et où s’arrêtent les caravaniers est Zengou.

Zinder est une ville récente qui a remplacé Merria comme capitale vers 1820 ; elle a été fondée et fortifiée, au commencement du XIXe siècle, par un chef de bande, d’origine kardas, qui en a fait surtout une place forte, une citadelle d’où il pouvait facilement aller[112] piller ses voisins. Les sultans de Zinder ont reçu longtemps l’investiture du Bornou ; Ahmadou I (1893-1899) est le premier qui se soit déclaré indépendant.

Cette origine artificielle explique que Zinder se soit peu développée : l’emplacement a été choisi uniquement au point de vue du brigandage ; sa population, 10000 habitants, est la même en 1902 (Gadel) qu’en 1852 (Barth).

L’industrie y est à peu près nulle, le commerce médiocre ; les chances d’avenir paraissent assez faibles. Kano, beaucoup mieux située, est une concurrente redoutable, à moins de 100 kilomètres. Il n’y a pas place pour deux villes importantes dans la même région.

Damergou. — Le Damergou forme au milieu du Tegama une région bien délimitée ; ses dimensions n’excèdent pas 100 kilomètres de l’est à l’ouest et une trentaine du nord au sud. Cette région doit son existence aux argiles turoniennes qui forment à sa surface une série de collines ; malgré leur peu de hauteur, une trentaine de mètres, ces mamelons suffisent à accroître légèrement les chances de pluie ; les argiles, entraînées par le ruissellement, viennent colmater les fonds où abondent les mares d’hivernage. Peu de ces mares sont permanentes, mais le sol reste assez longtemps humide pour que la culture puisse donner de bons résultats ; le petit mil vient fort bien et donne lieu à une exportation importante vers Agadez et l’Aïr, plus de 10000 charges par an. Le coton y pousse bien et la culture maraîchère est assez développée.

Jusqu’à ces dernières années, malgré la protection des Ikazkazan, les sédentaires du Damergou, qui est un pays ouvert, étaient pillés régulièrement au cours des luttes entre les Touaregs de l’Aïr[91] ; aussi les habitants cherchaient-ils à se grouper dans un petit nombre de gros villages vaguement fortifiés. Depuis l’occupation française, la sécurité plus grande leur a permis de se disséminer davantage et de créer de petits hameaux au voisinage des terrains favorables à la culture.

Le commerce est important ; les grandes caravanes transsahariennes s’arrêtent dans le Damergou et plusieurs marchands de Tripolitaine y ont, à demeure, des représentants ; en plus de ce mouvement de transit, les gros villages (Djadjidouna, Sabankafi, Danmeli, etc.) ont, chaque semaine, leur marché où l’on vend surtout[113] des céréales, du bétail, des nattes, des poteries et du savon, ces derniers articles fabriqués sur place.

Les puits sont malheureusement assez médiocres, et la profondeur de la nappe aquifère empêche de les multiplier ; mais les habitants savent se contenter de peu : à Achaouadden par exemple, il y a, près du village, une petite mare qui contient de l’eau pendant deux mois ; le reste de l’année, il faut aller à des puits dont le plus proche est à 7 kilomètres. Le village est cependant assez prospère.

Mounio. — Le Mounio est formé d’une série de massifs granitiques qui, à une époque récente (Tertiaire ?) ont été injectés dans les grès du Tegama. Le relief est médiocre ; les principaux sommets ne semblent pas dépasser 600 mètres et le chiffre qu’indique Barth pour le mont Guediyo, 950 m., à l’extrémité nord-ouest du Mounio, est probablement beaucoup trop fort ; les dépressions sont au voisinage de 400 mètres.

Fig. 42. — Mamelons de microgranites alcalins du Mounio, partiellement ensablés.

Du poste de Gouré. — Horizon sud.

Le pays est assez pittoresque ; les mamelons granitiques sont enfouis jusqu’à mi-hauteur dans du sable qui, sûrement, a été amené par le vent ; j’ai pu vérifier à plusieurs reprises que c’est bien du sable siliceux assez pur et non un amas de minéraux divers, provenant de la décomposition sur place des granites. Les fonds sont occupés le plus souvent par des mares habituellement éphémères, mais qui suffisent à faire croître de grands arbres parmi lesquels dominent les acacias et les doums, accompagnés parfois de dattiers. Sur les pentes sableuses, la végétation est assez dense et les sommets rocheux eux-mêmes sont couverts presque partout d’euphorbes et d’aderas ; dans les parties dénudées, le granite est rose ou gris bleu et l’ensemble fait un paysage en somme agréable (fig. 61, p. 151).

Le Mounio a un aspect jeune ; il est à peine entamé par l’érosion ; vers la périphérie, on peut suivre les lits de quelques rivières ; aucune n’a remonté sa source au cœur du pays ; les différentes cuvettes sont sans lien entre elles et c’est là une circonstance fâcheuse ; chaque cuvette ne peut conserver que la pluie qui est[114] tombée sur le petit bassin dont elle occupe le centre ; nulle part, l’eau ne peut s’accumuler en quantité assez considérable pour qu’il y ait des puits tout à fait permanents. Chaque village est à la merci des averses qui, chaque année, tombent dans son voisinage ; les puits sont peu profonds (5-10 m.), et la nature imperméable du sous-sol granitique ne permet pas de croire qu’en les creusant davantage ils auraient un débit moins inconstant.

Aussi les villages sont-ils d’importance très variable ; la population est obligée à de fréquents déplacements. Vers 1850, Barth a évalué la population de Gouré à 9000 habitants ; les cases ruinées sont assez nombreuses pour confirmer ce chiffre. Vers 1900, Gouré était presque complètement abandonné ; en 1906, c’était un village de 600 habitants.

Malgré ces conditions défavorables, le Mounio est toujours resté assez peuplé ; son relief est trop accentué pour qu’il ne soit pas facile à défendre ; il est traversé par la grande route, assez fréquentée, qui, du Tchad et du Bornou, va au Niger, en sorte que le commerce y a une certaine importance.

Fig. 43. — Mamelons de microgranites alcalins du Mounio, partiellement ensablés.

Du poste de Gouré. — Horizon ouest.

Koutous. — Le Koutous est essentiellement un plateau gréseux dont les dimensions n’excèdent pas une cinquantaine de kilomètres ; son altitude s’abaisse progressivement de l’ouest vers l’est. Auprès de Guesket, la cote du plateau est voisine de 650 ; elle n’est plus que de 500 mètres à Guirbo ; plus à l’est, le Koutous disparaît sous l’erg. Quelques vallées pour la plupart ensablées, presque des cañons, entaillent profondément le plateau et en font une chebka ; vers l’ouest leur sol se raccorde avec celui de la haute plaine voisine et contiguë du Tegama. Les flancs de ces vallées sont toujours envahis par le sable qui, vers l’ouest, à Guesket, masque à peine le pied de la falaise ; à mesure que l’on s’avance vers l’est, on voit le sable arriver à mi-hauteur, comme à Kellé, et enfin au sommet du plateau comme à Guirbo ; la distance verticale entre le sommet de la falaise et l’orifice des puits met bien ce fait en évidence : cette distance est de 120 mètres à Guesket, de 60 à Laraba et de 20 seulement à Guirbo (Planche de coupes hors texte, coupe VI).

[115]Les puits, creusés dans les grès du Tegama, sont très profonds surtout vers l’ouest. Sur une carte manuscrite que j’ai pu consulter à Gouré, le lieutenant Paquette donne les chiffres suivants :

Bilakora 70 mètres Laraba 58 mètres.
Boultoum 20 Magadji 46
Dallacori 54 Malammi 80
Guesket 65 Marthium 40
Guirbo 28 Mondoa 18
Kaokilloum 24 Tiokodda 60
Kellé 18

J’ai pu vérifier l’exactitude de quelques-uns de ces nombres[92].

Ces puits ont un diamètre de deux à trois mètres ; tous les matériaux de déblais sont accumulés autour de l’orifice qui se trouve ainsi au milieu d’un monticule haut de quelques mètres ; l’eau en est protégée contre les impuretés ; un coffrage de bois, formé de pieux enfoncés radialement, protège les parties ébouleuses du puits. Pour tirer l’eau, on se sert d’un seau de cuir contenant une quarantaine de litres au moins ; la corde de traction tirée par un bœuf est le plus souvent en cuir et passe sur un tronc d’arbre à peine dégrossi que deux fourches soutiennent à un mètre du sol et qui tient lieu de poulie ; le seau, sorti du puits, est descendu à bras d’homme au pied du monticule de déblais et l’eau est versée dans des auges de bois. L’outre à manche qui se vide toute seule et les canalisations semblent inconnues dans le Koutous.

Fig. 44. — Les plateaux du Koutous. Du village de Kellé.

Le fond de la vallée, couvert d’une haute brousse (dasi), est indiqué en hachures fines.

La principale occupation des habitants est l’extraction de l’eau nécessaire à leurs nombreux troupeaux ; jour et nuit, sans aucun[116] arrêt, on travaille aux puits pour abreuver les zébus, les chèvres et les moutons qui sont nombreux et en très bel état.

Les pâturages du Koutous sont permanents et toujours bons ; pendant la saison sèche les troupeaux de chameaux y affluent en grand nombre ; il en vient de loin, même de la région de Zinder.

La culture du mil réussit assez bien, sans irrigation, de sorte que, malgré la profondeur de ses puits, le Koutous est un pays moyennement riche ; mais il a un mauvais voisinage ; au nord et à l’est, les Tebbous, à l’ouest, les Touaregs le menacent constamment. Aussi les villages sont-ils presque tous éloignés des puits et établis au voisinage immédiat du plateau qui, en cas de danger, fournit une bonne position défensive : les pierres qui le recouvrent donnent en abondance des munitions qui ont, à maintes reprises, permis aux habitants du Koutous de repousser de puissants ennemis et de rester à peu près indépendants. Pour plus de sécurité, les magasins à mil et à niébé sont établis dans les recoins des falaises, où des réserves d’eau sont installées en cas de nouvelles alarmantes.

Fig. 45. — Grès du Koutous.

Du puits de Laraba. Le village dont la place est indiquée est Guéréré. La falaise a une vingtaine de mètres.

Dans le Koutous et le Mounio réunis, il y aurait environ 20000 habitants (capitaine Chambert), qui font partie du groupe bornouan et parlent des dialectes béri-béri.

Alakhos. — L’Alakhos n’est que la partie occidentale du Koutous ; l’érosion y est plus avancée et au lieu qu’il soit un plateau entaillé de vallées, il est constitué par une plaine parsemée de quelques étroits plateaux, derniers témoins des grès du Koutous. Les villages assez nombreux de ce district sont tous adossés à l’un de ces témoins, le plus souvent à mi-côte, au sommet de la partie ensablée (fig. 60, p. 150) ; ils sont donc assez souvent éloignés des puits qui sont habituellement profonds, comme dans toute la zone infracrétacée. Les habitants, une population noire, de langue béri-béri[93],[117] sont apparentés à ceux du Koutous. Mais les villages de l’Alakhos, isolés les uns des autres, n’ont pas pu, comme leurs voisins de l’est, résister à l’invasion des nomades ; ils sont sous la domination des Touaregs qui font paître leurs troupeaux dans la plaine entre les gours. Cette conquête, par une tribu des Ikaskazan, daterait de la fin du XVIIIe siècle.

Le Manga. — Contrastant avec ces différents districts qui presque tous vivent essentiellement de culture, entre le Mounio et le Tchad, au nord de la Komadougou-Yobé, s’étend, au milieu de la brousse à mimosées, une région, le Manga, essentiellement industrielle ou plutôt minière. Le Manga est dans l’ensemble une plaine, caractérisée par des dépressions, des cuvettes à contour elliptique, à parois abruptes taillées comme à l’emporte-pièce. Au nord, le long de la ligne Gouré, Mirrh, Woudi, les pluies sont rares ; elles ne suffisent pas pour ramener, de la profondeur, le sel à la surface du sol. Plus au sud, elles deviennent plus abondantes ; quelques dépressions sont occupées par des mares permanentes, d’autres, plus nombreuses, par des mares temporaires dont la dessiccation laisse, comme résidu, une croûte saline. Quelques autres ne s’assèchent qu’à moitié et l’eau y arrive à saturation ; il se forme à leur surface une couche de sel, scintillant au beau soleil du Soudan et qui donne l’illusion d’un étang glacé sous un ciel de feu.

Bien que le pays ne présente que de mauvaises dispositions défensives, que l’eau douce y soit rare et la culture difficile, il s’est établi dans le Manga un certain nombre de gros villages qui ont un caractère industriel marqué, comme Garankawa ou Gourselik ; les exploitations sont loin d’occuper tous les bas-fonds où elles seraient possibles ; il semble toutefois que leur nombre tend à s’accroître ; en 1905 un nouveau village, Garé, venait de s’établir près d’une mare jusqu’alors dédaignée.

Une richesse minérale a permis à des sédentaires de vivre dans un pays qui convient surtout à l’élevage et où les Peulhs ont de nombreux troupeaux.

Kaouar. — A une grande distance vers le nord, se trouvent les oasis du Kaouar ; les conditions géologiques qui ont permis leur création sont encore mal connues. On sait que les terrains crétacés arrivent[118] au voisinage ; on sait aussi que les roches anciennes s’y rencontrent. Le sergent Lacombe a rapporté des granites du mont Fosso, et le Dévonien se trouve probablement à peu de distance à l’est de Bilma et de Fachi. Il est donc vraisemblable qu’autour de l’oasis les terrains cristallins (Archéen et Silurien), imperméables, sont recouverts par un manteau peu épais de grès crétacé et que l’eau, provenant du Tibesti où, grâce à l’altitude, il pleut tous les ans, comme dans l’Aïr, se trouve à une profondeur médiocre ; au centre du bassin, dans sa partie la plus déprimée, l’eau est à fleur de sol et les oasis du Kaouar ont pu s’y établir. Ces oasis s’étendent, du nord au sud, sur environ 80 kilomètres ; la largeur de la bande fertile est peu considérable ; Nachtigal lui attribuait 8 à 10 kilomètres ; d’après Gadel elle ne serait que de 4 à 5.

Elle contient une dizaine de villages habités par 2500 Tebbous et Béribéris (dont 500 captifs) ; le cheptel est négligeable ; il se réduit à 540 chameaux, 43 chevaux, 252 ânes et 980 chèvres et moutons. Il y a environ 100000 palmiers, à l’ombre desquels on cultive des céréales, surtout du blé.

Les habitants ont heureusement pour vivre d’autres ressources que celle de la culture ; la plus importante est le commerce du sel, qu’ils peuvent échanger contre du mil. Ils exportent annuellement peut-être 40000 charges qui, prises sur place, ont une bien faible valeur ; d’ailleurs les Kel Aïr, qui, ces dernières années, étaient les maîtres du pays, prétendaient, en cette qualité, ne rien payer en enlevant le sel.

En dehors du commerce du sel, Bilma a été un point de transit important ; l’oasis est une halte forcée sur la route de Tripolitaine au Tchad et aux états Bornouans. Cette route était suivie, il y a peu d’années encore, par de nombreuses caravanes. Les attaques trop fréquentes des Tebbous et des Ouled Sliman l’on fait abandonner. Ce délaissement de la plupart des routes caravanières par suite de l’insécurité est un fait constant ; il semble facile d’en indiquer la cause. Au beau temps du commerce des esclaves, les caravanes étaient nombreuses ; les droits qu’elles payaient pour s’assurer la protection des nomades, les chameaux qu’elles leur louaient, procuraient à tous des ressources suffisantes pour vivre ; ils savaient en général s’en contenter.

Depuis que la traite des noirs est devenue plus difficile, ou même impossible, ces ressources ont diminué ; la misère s’est accentuée ; le pourcentage que les nomades touchaient ne les a plus contentés et ils ont pris le tout. La même cause a produit dans tout le Sahara les[119] mêmes effets : Flye Sainte-Marie[94] a mis ce phénomène en évidence pour les routes de l’Iguidi.

A Taoudenni même, la situation est devenue particulièrement grave. En 1905 et en 1906, les r’ezzou marocains qui jusqu’alors s’étaient contentés de piller les caravanes venues du sud et de leur enlever des chameaux, trouvant que leurs prises devenaient insuffisantes, s’attaquèrent aux commerçants du ksar. L’un d’eux qui avait vécu en bonne amitié avec les habitants, acceptant chaque jour la diffa, enleva tous les captifs qui travaillaient aux salines et ne les rendit à leurs propriétaires que contre une forte rançon. Ce fait, sans précédents dans l’histoire de la saline, contraire à toutes les bonnes traditions du désert, scandalisa fort les commerçants de Taoudenni[95].

L’insécurité au Sahara a été fille de la civilisation ; tout semble indiquer qu’elle ne sera que passagère.

A Bilma, la raréfaction des caravanes a obligé les habitants à travailler un peu plus et déjà, au moment du passage d’Ayasse (1905), beaucoup d’entre eux se rendaient compte de la nécessité qu’il y avait pour eux à développer les cultures.

Il semble que, depuis fort longtemps, la région de Bilma a formé un centre ethnique distinct : parmi les outils néolithiques que Ayasse a rapportés, à côté des types que l’on trouve à l’ouest et au sud de Bilma, se trouvent quelques pièces très spéciales ; l’une d’elles est très curieuse ; elle a la forme d’une hache étroite et épaisse, mais au lieu d’un tranchant, elle présente à son extrémité la plus large une pointe formée par une sorte de pyramide triangulaire ; l’une des faces de cette pyramide, parallèle au plan sagittal de la pièce, est large, les deux autres beaucoup plus étroites. Jusqu’à présent, on ne connaît aucun spécimen analogue à cette espèce de gouge.

On peut donc penser que, à l’époque néolithique, « il s’était constitué en pays tebbou un centre industriel qui, tout en ayant fait des emprunts aux contrées septentrionales et méridionales, n’en avait pas moins conservé des caractères propres. Le fait mérite d’être vérifié, car il permettrait de supposer qu’il a vécu autrefois en ce point un îlot ethnique particulier qui avait cependant des relations avec les tribus du nord et avec celles du sud[96] ».

Fachi. — L’oasis de Fachi (oasis Agram) située à 150 kilomètres[120] à l’ouest de Bilma, est beaucoup moins importante ; elle couvre 14 kilomètres du nord au sud avec une largeur de 3 ou 4 kilomètres.

Sur toute sa longueur, elle est limitée à l’est par une chaîne rocheuse dont le point le plus élevé est le mont Fosso qui domine l’oasis d’une centaine de mètres. Entre cette chaîne granitique (?), surmontée de plateaux gréseux revêtus de la patine du désert, et l’Aïr, s’étend probablement une plaine formée par les grès du Tegama où vont se perdre les eaux de quelques koris d’Aïr (K. Ténéré, K. de Tafidet) ; il est vraisemblable que ce sont ces koris qui alimentent Fachi.

L’oasis a été vue pour la première fois par des Européens en octobre 1907 (commandant Mouret, capitaine Martin, sergent Lacombe).

Les îles du Tchad. — Les peuplades qui habitent les alentours du Tchad sont assez nombreuses ; au nord les Tebbous, à l’est les Ouled Sliman, au sud les Peuhls représentent les principaux éléments nomades. Les populations du lac sont plus intéressantes ; elles ont trouvé dans les îles du Tchad un refuge presque assuré contre les invasions ; même lorsque les eaux sont basses, il reste dans les bahrs trop de parties marécageuses pour que l’on puisse s’y aventurer sans risques.

Il semble que deux peuplades différentes au moins occupent ces îles : les archipels du sud sont occupés par les Kouris ou Kanembous, qui sont venus probablement du Kanem et se rattachent peut-être aux Tebbous. Tous sont musulmans. Ils ont de nombreux troupeaux, mais se déplacent peu ; chez eux l’agriculture est assez développée et ils sont en réalité sédentaires. D’après le colonel Destenave[97] ils seraient environ 25000. La population ne semble pas s’accroître rapidement et l’on a attribué ce fait à l’abus des mariages consanguins. Chevalier [L’Afrique centrale française, p. 406-410] donne quelques statistiques détaillées ; dans trois villages il y a en tout 764 habitants dont 292 enfants ; dans deux d’entre eux, le tiers des unions est stérile ; peu de familles ont plus de deux enfants.

Les îles du nord du Tchad sont habitées par les Boudoumas (25000) dont l’origine est obscure ; Destenave, d’après les traditions qu’il a recueillies, pense qu’ils avaient quitté le Sokoto il y a trois siècles ; pour Freydenberg[98], qui donne une longue suite de chefs, ils seraient[121] au contraire venus de l’est, du Chittati. Il est probable qu’ils doivent rentrer dans les groupes peuhls. Ce sont presque exclusivement des éleveurs, restés en général fétichistes et qui ont conservé quelques vieilles coutumes : les mariages entre gens de même clan sont interdits ; le lévirat, c’est-à-dire le mariage obligatoire de la veuve avec le frère aîné du défunt, se retrouve chez les Boudoumas.

Complètement à l’abri dans leurs îles, les habitants du Tchad ont longtemps profité de leur position presque inexpugnable pour razzier les caravanes qui passaient sur les bords du lac. Leurs pirogues en jonc, qui nous semblent cependant bien rudimentaires, leur permettaient d’aborder la rive bornouanne, ce qui nécessite deux jours de navigation.

[54]En Égypte et dans le désert Libyque, on connaît des grès d’âge albien (Infracrétacé) riches en bois silicifiés (Grès de Nubie).

[55]Le Gober est une région actuellement presque inhabitée qui s’étend à l’est de l’Adr’ar’ de Tahoua, au sud du 14° Lat. Barth, qui l’a traversé, donne quelques détails sur son histoire.

[56]Freydenberg, Le Tchad et le bassin de Chari. Thèse, 1908.

[57]Il n’est certainement pas question de couches calcaires, au moins superficielles (Chevalier).

[58]Capitaine Lelean, Geological Magazine, I, 1904, p. 290.

[59]Le puits de Tabrichat (30 m.), voisin de Tabankort, contenait 8 mètres d’eau en mars 1904 (Combemorel).

[60]Ormaïort est à une demi-journée au nord de Bémba. Combemorel, Rens. col. Bull. Comité Afr. fr., janvier 1909.

[61]Rens. col. Bull. Comité de l’Afr. fr., 1907.

[62]Cortier écrit Lernachiche.

[63]Cortier, La Géographie, 1906. — Cauvin. Bull. Soc. Géogr. commerciale, 1908.

[64]Amer. Journal of Sc., XIX, 1905, p. 171.

[65]Les premières ont été rapportées par le commandant Gadel. — De Lapparent, C. R. Ac. Sc., CXXXV, 1903, p. 1298. Le capitaine Cauvin en a donné quelques-unes au Muséum.

[66]M. Choffat (in litteris) n’ose pas affirmer que les échantillons que je lui ai soumis rentrent bien dans cette espèce. Il faudrait, pour être certain, des matériaux abondants.

[67]Nouvelles données sur la zone littorale d’Angola. Lisboa, 1905.

[68]De Lapparent, C. R. Ac. Sc., 1901, CXXXII, 388.

[69]La Géographie, XVII, 15 février 1908.

[70]Beiträge zur Geologie von Kamerun. Stuttgard, 1904, p. 85-241.

[71]De Lapparent, C. R. Ac. Sc., CXXXVI, 1903, p. 1118.

[72]Ce poste est habituellement désigné sous le nom de Guidambado, village situé à 3 kilomètres à l’est de Bouza.

[73]De Lapparent, C. R. Ac. Sc., 26 déc. 1904.

[74]Au sud de Tahoua, à Mogguer, une dépression importante est tapissée de concrétions ferrugineuses qui ont peut-être une origine lacustre.

[75]Cette observation de Hubert (Thèse, p. 10 et 376) est exacte, mais le fait a si peu d’importance que j’avais jugé inutile de le signaler. Le même auteur nie l’âge éocène des grès du Niger, sans fournir d’arguments sérieux.

[76]C’est un débris végétal informe. — Stanislas Meunier, C. R. Congrès des Sociétés Savantes, 1904, p. 156.

[77]Choffat, Nouvelles données sur la zone littorale d’Angola, Lisboa, 1905.

[78]Bullen Newton, Ann. and Magazine of Natural History, [7], XV, 1905, p. 83-91.

[79]Bather, Geological Magazine, [5], 1, 1904, p. 292. — Lambert, Bull. Soc. Géol. de France, [4], 6, 1906, p. 693 ; contrairement à la tendance générale, Lambert place les couches de Tahoua dans l’Éocène inférieur.

[80]Cottreau, Bull. Soc. Géol. de France, Séance du 21 déc. 1908.

[81]W. Wolff, in Bornhardt, Zur Oberflächengestaltung und Geologie Deutsch-Ostafrikas. Berlin, 1900, p. 572. Wolff fait une nouvelle espèce (Op. africana) qui ne me semble pas distincte de O. canalifera.

[82]Bull. Soc. Géol. de France, [4], VII, 1907, p. 334.

[83]Chautard, Bull. Soc. Géol. de France, [4], VI, 1906. — État actuel de nos connaissances sur les formations sédimentaires de l’Afrique occidentale Française, Dakar, 1906 (extrait du Journal officiel de l’A. O. F., 20 janvier). Bibliographie étendue.

[84]Beiträge zur Geologie von Kamerun, p. 245-285, et communication verbale.

[85]On a fort peu de renseignements sur les Touaregs de la rive droite du Niger, encore à peine soumis.

[86]Ces tombeaux se trouvent aussi au nord de Tahoua, dans la région des mares et dans l’Azaouak (Pasquier).

[87]Il faut probablement rapprocher ce mot de Garamante.

[88]Les Mousgou ou Kel Azoua sont une tribu des Oulimminden.

[89]Gadel, Notice sur la résidence de Zinder, Revue des troupes coloniales, 1903, 2e sem., p. 614.

[90]Le dernier sultan, à la suite d’un complot heureusement étouffé, a été déposé et banni en 1906.

[91]Jusqu’en 1906, d’importantes caravanes Kel Oui, de 5 à 6000 chameaux, ont été enlevées à quelques kilomètres du Damergou. Voir, pour les détails, Jean et Gadel.

[92]Ces puits sont la demeure de nombreuses chauves-souris ; le 18 avril 1906, à Marthium, un peu avant le coucher du soleil, elles ont mis près de dix minutes à sortir du puits, en vol serré.

[93]Le village de Moa, au sud de l’Alakhos, est encore de langue béribéri ; à l’ouest, commence le domaine du haoussa.

[94]Flye Sainte Marie, Le commerce et l’agriculture au Touat. Bull. Soc. Géogr. d’Oran, XXIV, 1904.

[95]Nieger, La Géographie, XVI, 1907, p. 375.

[96]Verneau, La Géographie, XVII, 1908, p. 116.

[97]Destenave, Revue Générale des Sciences, XIV, 1903, p. 717.

[98]Freydenberg, Le Tchad et le bassin de Chari, 1908, p. 155.


[122]CHAPITRE III

MÉTÉOROLOGIE

Le Climat. — La Brume.

I. — LE CLIMAT

Un chapitre sur la météorologie du Sahara central ne peut guère être qu’un constat de carence.

On possède seulement plusieurs séries d’observations, de trop courte durée en général, et de valeur souvent médiocre, pour quelques stations du pourtour du désert. Malgré le peu de sécurité qu’offrent la plupart de ces observations, elles mettent bien en évidence l’allure essentiellement différente des saisons, au nord et au sud du Sahara.

Fig. 46. — Moyennes des températures à Ghardaïa.

Les courbes indiquent les moyennes des maxima et des minima.

Dans la région algérienne ou tunisienne, les courbes thermiques présentent un seul maximum en juillet, parfois en août ; les différences[123] entre les moyennes des maxima et celles des minima sont considérables dans l’intérieur ; les chiffres relatifs à Ghardaïa sont suffisamment caractéristiques à cet égard ; la figure se rapporte à la moyenne de cinq années 1887-1892 ; les températures extrêmes observées pendant cette période ont été + 50° en juillet 1892 et − 1° en décembre 1889 et janvier 1891. Ghardaïa (32°,35′ Lat. N., 1°,20′ Lat. E.) est à 500 mètres d’altitude environ, au fond d’une large vallée, entourée de plateaux calcaires.

Fig. 47. — Tozeur.

Les courbes indiquent les moyennes des maxima et des minima.

Fig. 48. — Bizerte.

Lorsque l’on se rapproche du littoral, l’amplitude des variations diminue, mais conserve à peu près les mêmes caractères comme en témoignent les courbes de Tozeur (fig. 47) et de Bizerte (fig. 48) empruntées à Ginestous[99]. Les températures extrêmes observées à Bizerte ont été 0° et + 44°,8 ; à Tozeur − 4° et + 49°. A Paris, les[124] variations journalières sont beaucoup moins amples et beaucoup moins fixes : si on les calcule, comme dans les exemples précédents, sur la moyenne des maxima et des minima, on trouve 5°,4 en janvier et 11°,9 en juillet. A Ghardaïa l’amplitude est toujours supérieure à 20° et approche parfois de 30°.

Fig. 49. — Kayes.

Fig. 50. — Niamey.

Au sud du Sahara, les courbes de température présentent une allure toute différente. A Kayes par exemple (fig. 49) (14°,25′ Lat. N., 13°,54 Long. W., Alt. 60m.), la moyenne de quatre années (1902-1905) indique deux maxima, le premier en avril-mai, le second en octobre ; l’amplitude des variations moyennes passe, en chiffres ronds, de 10° en août à près de 20° pendant l’hiver ; les chiffres extrêmes observés ont été de 10° en janvier 1905 ; 47° en mai 1904. Les courbes de Niamey (fig. 50) (1906) et de Tombouctou (fig. 51) (1905-1906) sont[125] très analogues ; les quelques chiffres que l’on possède pour Zinder, Guidambado et le territoire du Tchad indiquent tous un minimum au mois d’août. Les maxima extrêmes observés, en mars et avril, sont compris entre 45° et 48° ; les minima de décembre et de janvier varient habituellement de 4° à 7°,5 ; Freydenberg a noté − 2° à Kouloa en 1906. La même courbe subsiste pour Porto-Novo (fig. 52), mais très adoucie par la proximité de la mer.

Fig. 51. — Tombouctou.

Le contraste très marqué que présentent les courbes thermiques des stations situées au nord et au sud du désert, s’explique facilement par les différences que présente le régime des pluies dans les deux régions (fig. 53).

Fig. 52. — Porto Novo.

Les courbes indiquent les moyennes des maxima et des minima.

Dans le bassin méditerranéen, il pleut surtout pendant l’hiver ; au Soudan, pendant l’été, d’où un abaissement de température marqué et une moindre amplitude des variations diurnes, l’air étant moins sec. Comme pour les températures, les chiffres relatifs à la pluie ne[127] portent en général que sur un petit nombre d’années d’observations ; les installations sont parfois médiocres ; les observateurs changent souvent et sont plus ou moins attentifs ; il serait illusoire de vouloir chercher à serrer d’un peu près l’étude du climat du Soudan. La géographie botanique permettra cependant de définir quelques zones, caractérisées, au fond, par l’abondance relative de la pluie. Cependant les différentes courbes sont assez d’accord entre elles, assez conformes à ce que font prévoir les théories météorologiques, pour que l’on puisse admettre quelles représentent en gros l’allure du climat du Soudan.

Fig. 53. — Régime des pluies au nord et au sud du Sahara.

Les hauteurs de pluie sont données en millimètres.

Dès maintenant il est établi qu’il y a de grandes variations dans les quantités de pluie que reçoit annuellement chaque station ; à Kayes on a recueilli 525 mm. 9 en 1902 et 1072 mm. 9 en 1905. A Tombouctou, d’après Yacouba, la pluie aurait varié depuis une dizaine d’années entre 150 et 300 millimètres ; les années 1905 avec 230 mm. 6 et 1906 avec 259 mm. 5 peuvent passer pour bonnes[100].

Fig. 54. — Moyennes des températures d’In Salah.

Les courbes indiquent les moyennes des maxima et des minima.

Au Sahara, on a de bonnes séries pour In Salah (27°,17′ Lat. N., 0°,7′ Long. E., Alt. 280 m.) encore un peu courtes malheureusement. La figure 54 donne la moyenne des minima et celle des maxima pour les années 1903, 1904 et 1905 ; les extrêmes observés ont été − 1°,4, le 19 janvier 1904 ; et 50°,2, le 4 juillet de la même année. C’est bien le même type qu’à Ghardaïa. Chaque année on a noté quelques jours de pluie (9 en 1903), mais la pluie n’a jamais été mesurable.

Il semble que dans toutes les parties basses du Sahara, le régime des pluies est le même qu’à In Salah : sur tous les itinéraires on[128] trouve mentionnés des puits qui cessent de contenir de l’eau deux ans, trois ans, sept ans, après le dernier orage. On parle même aux oasis de périodes de dix-huit ou vingt ans sans pluie. Les nomades, comme les sédentaires, ne tiennent compte dans ces affirmations que des pluies sérieuses ; celles qui ne mouillent pas le sol, qui ne sont pas mesurables, sont complètement négligées.

Il ne survient dans la majeure partie du Sahara que des orages accidentels, parfois très violents ; le printemps 1907 a été presque partout pluvieux ; le ksar de Noum en Nas, dans le Timmi (Touat) a été détruit par un torrent descendu du plateau voisin. Le 25 mars 1907[101], un orage de grêle a dévasté l’oasis de Brinken ; la direction suivie par l’orage était exactement sud-nord. Son action s’est fait sentir par bandes parallèles nettement délimitées ; chacune des bandes dévastées était large de 80 à 150 mètres, les bandes indemnes, où n’est pas tombé un seul grêlon, étaient plus étroites (15-60 m.).

Au cours de leur rezzou vers l’Ouest en 1906, les Taïtok, au voisinage des puits d’El Ksaïb, à quatre étapes au nord-ouest de Taoudenni, ont été sauvés de la soif par un orage qui leur a permis d’abreuver leurs chameaux et de remplir leurs outres.

Aux oasis ces orages accidentels sont considérés comme un malheur ; ils empêchent parfois la fécondation des dattiers et peuvent gravement compromettre la récolte ; ils ramènent, dans les parties basses, le sel de la profondeur à la surface du sol : après un orage, les jardins trop voisins d’une sebkha sont perdus pour plusieurs années ; il faut longtemps pour que l’eau des seguias puisse en laver la terre. Enfin dans les ksour les constructions en terre sèche, en « tin », avec leurs terrasses plates, supportent mal la pluie : chaque averse cause des ruines et nécessite des réparations. A Tombouctou, où malgré des pluies régulières on a conservé le type de construction des ksour, les maçons se chargent, à l’abonnement, de l’entretien des maisons. Chaque année, à Zinder, à Agadez, etc., il faut faire de grosses réparations au poste. Dans la zone vraiment pluvieuse, on ne trouve guère que des toits coniques ; les toits en terrasse disparaissent.

Sur les plateaux et les régions élevées, les pluies sont moins rares ; on n’a pas de renseignements sur les Eglab, mais les oueds qui en descendent sont humides et contiennent de nombreux points d’eau ; le Tadmaït arrose le Touat et le Tidikelt et contribue à la fertilité du[129] Gourara et des oasis du Sud constantinois ; il faut donc qu’il y pleuve assez régulièrement. Bien que le Tadmaït soit assez mal connu, on sait qu’il y existe des daïa, qui contiennent parfois de l’eau et sont plus souvent couvertes de pâturages.

Les pluies ne sont pas très rares sur la Coudia et dans son voisinage immédiat ; elles peuvent survenir en toutes saisons ; d’ordinaire, comme au Soudan, elles arrivent pendant l’été, ou bien parfois, comme dans le bassin méditerranéen, pendant l’hiver.

En avril 1880 Flatters a noté 7 jours de pluie.

Dans leurs contre-rezzou à l’Ahaggar, Cottenest (printemps 1902) et Guilho-Lohan (hiver 1902)[102] ont reçu des averses. Du 1er août au 11 septembre 1905, j’ai noté onze fois de la pluie et il y avait eu des orages dès le mois de juin. Malheureusement il y a des années de sécheresse (1903-1904) ; le pays n’en souffre que peu si la mauvaise série ne dépasse pas trois ans, mais elle en dure souvent quatre ou cinq.

En 1906, au cours de sa tournée dans l’Ahaggar, Voinot a eu deux journées entières de pluie (27 et 29 janvier) ; il est tombé quelques gouttes d’eau le 6, 7, 19 et 21 avril. En décembre 1905 il avait plu entre In Salah et Amgad et il est tombé quelques averses en mai 1906 dans l’Ahnet. Enfin Cortier mentionne, dans les contreforts ouest de la Coudia, une petite pluie le 30 mars 1907 et de fortes averses le 31 mars et le 3 avril.

Ces orages sont en général assez brusques et très localisés. Le 4 août 1905, dans l’oued Tit, à 15 kilomètres à l’ouest d’Abalessa, la matinée avait été belle et sans vent. A midi et demi, très légère brise du sud-ouest ; à deux heures, tonnerre vers l’est ; le vent, toujours faible, s’établit entre nord et nord-ouest ; le ciel est à moitié couvert et le vent, franchement nord, est devenu grand frais ; à trois heures, toutes nos tentes sont arrachées et l’orage commence à tomber par très grosses gouttes, le vent passe au nord-est ; à cinq heures quarante-cinq, la pluie cesse et il y a une légère brise de l’ouest. La température, au cours de cet orage, a présenté quelques sauts brusques :

Thermomètre sec. Thermomètre mouillé.
12h,30m 43°,5 22°,5
 2 , 43°,5 25°
 2 ,50m 32°,5 «
 3 ,15 27°,5 23°
 5 ,45 23°,5 21°,5
 6 ,45 31°,5 23°,5

[130]Le relèvement de température de six heures quarante-cinq, après le soleil couché, est remarquable. A Abalessa, il n’était tombé qu’une averse insignifiante, et cette localisation des tornades explique que de l’air plus chaud puisse être amené par le moindre coup de vent au point refroidi par l’orage.

Des observations plus suivies ont été faites à Tamanr’asset[103] ; elles portent sur une année.

Août 1905. Chaleur très modérée ; les températures moyennes pendant la seconde quinzaine ont été 20°,8 à six heures du matin ; 36°,2 à deux heures et demie ; 30°,5, à six heures du soir.

Cinq ou six forts coups de vent durant quelques heures. Deux ou trois fortes averses durant de une à quatre heures.

Septembre. Température moyenne. Très peu de vent. Un fort orage avec pluie pendant cinq ou six heures.

Octobre. Température moyenne. Très peu de vent, pas de pluie.

Novembre. Nuits fraîches, mais non froides ; journées tempérées. Très peu de vent, pas de pluie.

Décembre. Nuits fraîches, mais non froides, journées tempérées. Dans les premiers jours du mois deux ou trois pluies légères de trois à quatre heures chacune ; l’oued coule pendant deux jours à Tamanr’asset.

Janvier 1906. Assez froid la nuit, tempéré le jour. Très peu de vent, pas de pluie. Rosée. Ni glace ni gelée blanche.

Février. Froid la nuit, frais le jour. Très peu de vent ; deux fortes pluies d’environ douze heures chacune dans les premiers jours du mois. Rosée abondante, ni glace, ni gelée blanche. L’oued coule pendant quatre jours à Tamanr’asset.

Mars. Du 1er au 10. Froid la nuit, frais le jour. Très peu de vent. Pas de pluie.

A partir du 10. La température change brusquement et devient tempérée le jour ; les nuits, ni chaudes ni froides. Presque tous les jours grand vent venant du sud et amenant brume et chaleur. Pas de pluie.

Avril. Température moyenne. Presque tous les jours grand vent venant souvent du sud. Pas de pluie.

Mai. Du 1er au 20. Température modérée. De dix heures du matin au coucher du soleil, grand vent venant ordinairement de l’ouest ; le reste du temps pas de vent. Le 11, quelques gouttes de pluie ; le 12 quelques très légères averses.

[131]A partir du 20, la température change brusquement, les journées deviennent chaudes, les nuits restent tempérées et fraîches. De dix heures du matin au coucher du soleil, vent modéré venant souvent du sud ; le reste du temps, pas de vent. Une très petite averse le 30.

Juin. La moyenne des températures est 14° à cinq heures, 36° à midi, 30° à six heures. De dix heures du matin au coucher du soleil vent modéré, venant souvent du sud ; le reste du temps, pas de vent.

Les 8, 25 et 26, quelques gouttes de pluie. De minuit au lever du soleil, l’air est souvent humide.

Juillet. Moyenne des températures : cinq heures 15° ; midi 37° ; six heures 31°. De dix heures du matin au coucher du soleil vent modéré venant souvent de l’est ; le reste du temps, presque pas de vent. Ciel souvent couvert le jour, ordinairement découvert la nuit. Le 1er et le 2, quelques gouttes de pluie.

Pour la pluie, l’année 1905-1906 a été exceptionnelle ; d’ordinaire, il pleut en été plutôt qu’en hiver.

D’après Duveyrier, la neige serait assez fréquente sur la Coudia et tiendrait parfois trois mois sur l’Ilamane. Au cours de la période août 1905-juillet 1906, l’absence de neige est expressément mentionnée sur l’Ilamane qui, de Tamanr’asset, est très en vue. L’indication de Duveyrier est probablement erronée et tient à une faute de traduction : le tamahek n’a qu’un seul mot (ar’eris) pour désigner l’eau solide sous toutes ses formes (glace, grêle, neige, gelée blanche).

Le sol de l’Ahaggar est d’ordinaire imperméable, de sorte que toute l’eau tombée se rassemble rapidement dans les vallées et s’écoule parfois à de grandes distances : les crues de l’oued Tamanr’asset dépassent parfois Timissao.

Ces crues sont extrêmement brusques : le 5 août 1905, un orage survint vers trois heures de l’après-midi à notre campement près de l’oued Tit (15 km. est d’Abalessa) ; vers cinq heures, l’oued commence à couler avec une vitesse d’environ 2 mètres par seconde ; il contient 0 m. 25 d’eau ; vers sept heures, il n’en contient plus que 0,12 et sa vitesse n’est guère que de 1 mètre ; vers neuf heures il est à sec.

Cet exemple est insignifiant ; mais parfois l’eau est assez profonde pour noyer un homme ; on trouve souvent accrochés aux branches, à deux ou trois mètres du sol, des débris qui n’ont pu être amenés que par les crues. A la suite de ces orages, les alluvions sont largement mouillées et peuvent conserver d’importantes réserves d’humidité,[132] que la structure du pays rend assez facilement utilisables.

Plus au sud, les régions élevées comme l’Aïr ou l’Adr’ar’ des Ifor’as appartiennent, par leur climat, au Soudan et présentent une saison de pluies régulières.

A notre arrivée dans l’Adra’r’, à In Ouzel, le 23 juin 1905, il pleuvait depuis deux ou trois semaines ; l’état de la végétation herbeuse qui sortait du sol toute fraîche, confirmait les indications des indigènes ; jusqu’à la fin de notre séjour (28 juillet) il a été noté 10 jours de pluie.

En 1907[104], le 6 mai, un gros orage forme dans l’oued Tekakand de beaux aguelmans. Il est probable que cet orage isolé est exceptionnel et que la saison pluvieuse ne commence régulièrement qu’un peu plus tard. Voici, pour la première quinzaine de juin, les observations de Dinaux : le 30 mai, une heure de pluie violente à quatre heures du soir ; le 2 juin, trois heures de pluie torrentielle (entre trois heures et huit heures du soir) : l’oued Eferir est transformé en un marécage de deux kilomètres de large ; le 8 juin, une demi-heure de pluie violente (trois heures du soir) ; le 9 juin une heure d’averses intermittentes (quatre heures) ; le 12 juin, pluie torrentielle de trois à six heures du soir. L’Oued in Ouzel coula une partie de la nuit.

Le caractère particulier de ces crues a déjà été indiqué ; à cause de la largeur des vallées, elles ne sont jamais violentes ; la nappe d’eau n’a pas de profondeur et le courant n’est pas rapide, sauf peut-être dans quelques oueds de montagne.

Cette saison des pluies de juin, juillet, août paraît très régulière et chaque région de l’Adr’ar’ reçoit trois ou quatre grandes tornades chaque année, habituellement dans la soirée : c’est vers quatre ou cinq heures de l’après-midi que le ciel commence à se couvrir ; les nuages apparaissent souvent au sud-est.

Parfois cependant une seconde période pluvieuse se produit deux mois après la fin des orages réguliers. Les crues qui peuvent survenir ainsi à la fin d’octobre sont en général redoutées ; elles détruisent la végétation herbacée qui s’était établie dans les oueds et restreignent singulièrement les pâturages.

Les observations thermométriques sont encore peu nombreuses ; cependant, pendant la saison des pluies, les maxima sont relativement peu élevés ; pendant la première quinzaine de juin 1905, dans le tanezrouft d’In Zize, la température dépassait tous les jours 45° et[133] approchait parfois de 50° ; dans la seconde quinzaine de juin et de juillet, dans l’Adr’ar’, le thermomètre a rarement indiqué plus de 40° ; dix-huit fois sur trente-quatre, c’est-à-dire dans la majorité des cas, le maximum est resté inférieur à ce chiffre ; le 9 juillet, il a été de 31° ; la plus haute température observée (44°) a été notée une seule fois. A cinq heures du matin les lectures sont en général voisines de 25°.

Il est probable que, si l’on pouvait la construire, la courbe aurait une allure voisine de celle de Tombouctou ; mais on ne sait rien sur les températures de l’hiver dans l’Adr’ar’ ; il est vraisemblable que dans les mois de décembre, janvier et février, le thermomètre descend parfois au voisinage de 5° ou 6°, mais ce n’est là qu’une impression.

Dans l’Adr’ar’, comme dans toute la zone sahélienne, l’air est en général sec ; même pendant la saison des pluies, l’écart entre les deux thermomètres, sec et humide, atteint facilement 15° dans l’après-midi ; le matin cependant l’humidité est parfois sensible ; l’écart entre les deux thermomètres est souvent faible, 4° ou 5° ; il tombe rarement à 2°.

Le climat de l’Aïr est très comparable à celui de l’Adr’ar’ ; il présente aussi une saison de pluies régulières, mais plus tardive ; le Teloua, qui passe à Agadez, coule habituellement, d’après les renseignements qu’a bien voulu me donner Lefebvre, six à sept fois par an ; les années sèches, il ne présente que deux ou trois crues ; en 1905, qui a été une année particulièrement pluvieuse, il a coulé 19 fois. Du 17 septembre 1905, date d’arrivée à l’oued Tidek, jusqu’au 5 novembre, départ d’Agadez, j’ai noté neuf fois de la pluie.

Foureau pendant son séjour dans l’Aïr (mars-juillet 1899) a noté trente-trois jours de pluie ; pour la plupart des jours, il s’agit seulement de quelques gouttes d’eau et la Mission Saharienne n’a reçu que quatre averses sérieuses.

Les températures paraissent les mêmes que dans l’Adr’ar’ ; du 17 septembre au 5 novembre 1906, j’ai noté deux fois 40°, le 27 septembre dans l’oued Kadamellet et le 26 octobre à Alar’sess ; une seule fois 43°, le 14 octobre, près d’Iférouane. Les températures de 38° ou 39° ont été fréquentes. En septembre, les minima ont toujours été supérieurs à 20° ; en octobre, ils sont descendus quelquefois à 19°. Le 6 novembre, j’ai observé 13° à quelques kilomètres à l’ouest d’Agadez. Dans l’Aïr comme partout, un temps couvert s’oppose au rayonnement : le 7 octobre à Iférouane, après une nuit couverte qui avait amené la pluie sur le Timgué, il y avait 36° à six heures du matin ; 39° à deux heures et 36° à six heures du soir.

[134]L’état hygrométrique a été le même que dans l’Adr’ar’.

La région de Tombouctou, le Télemsi, le Tégama, le bassin du Tchad qui appartiennent eux aussi à la zone sahélienne, ne se distinguent guère, au point de vue climatérique, de l’Adr’ar’ ou de l’Aïr. Du 27 juillet ou 22 août 1905, de Tabankort à Tombouctou, Gautier a noté dix tornades dont deux d’une extrême violence ; à Bourem, d’après le lieutenant Barbeyrac, il tombe en moyenne 8 à 9 tornades par an ; il est très remarquable que ces tornades soient amenées par vent du nord-est ; l’humidité ne peut cependant provenir que de l’Atlantique. Pendant les reconnaissances qu’il a exécutées à l’intérieur de la partie nord du Tchad (juin-août 1905), le capitaine Freydenberg a observé dix tornades suivies de pluie, cinq venant du nord-est et cinq du sud-ouest. Un peu plus au sud, à Massakory, le lieutenant Deschamps a compté, du 19 mai au 26 septembre 1905, 269 heures de pluies. Du 1er mai au 12 août 1906, en allant de Zinder à Tombouctou, j’ai suivi jusqu’à Niamey la limite méridionale de la zone sahélienne ; j’ai reçu, pendant ce voyage, 28 averses ; à partir du 15 mai surtout, presque chaque jour on voyait une ou deux tornades à l’horizon. L’année 1906 a cependant été plutôt sèche, du moins au début de l’hivernage ; au moment de mon passage dans la région de Tahoua, pendant la première quinzaine de juin, on n’avait pas encore pu, faute de pluie, semer le mil ; les indigènes commençaient à être inquiets.

Il pleut d’ailleurs accidentellement, dans tout le Soudan, en dehors de la saison d’hivernage : en février 1906, on a recueilli à Tombouctou 2 mm. 3 d’eau ; Foureau, en janvier 1900, a noté trois ondées au Tchad.

Les tornades de l’été présentent les mêmes caractères dans toute la zone sahélienne, mais, dans l’Adr’ar’ et dans l’Aïr, l’horizon est toujours borné, de sorte qu’on voit mal l’ensemble des phénomènes. Dans les pays de plaine, on les voit au contraire fort bien ; de loin, les tornades sont nettement délimitées et on peut les embrasser d’un seul coup d’œil. Elles sont habituellement d’une violence extrême ; sur le fleuve, les chalands sont obligés de se mettre à l’abri et malgré cette précaution, ils sont violemment agités par la houle qui accompagne le coup de vent ; malgré l’abri que procurent les berges du fleuve, les vagues embarquent fréquemment. La tornade pousse le plus souvent devant elle une colonne de poussière que l’on voit s’avancer de loin comme un grand mur jaunâtre ou rougeâtre et qui semblé être l’origine des brumes du Soudan. Au-dessus de cette colonne, on aperçoit souvent un cumulo-nimbus.

[135]Parfois il n’y a pas autre chose et la tornade est sèche ; souvent aussi elle amène la pluie ; dès qu’il pleut, le vent change complètement de direction et diminue de vitesse.

Les cyclones (?) qui donnent naissance à ces tornades sont de très petit diamètre, aussi sont-ils en général sans influence sur le baromètre.

La plupart de ces tornades sont de courte durée ; elles sont accompagnées d’ordinaire d’éclairs et de tonnerre et apparaissent le plus souvent le soir ou la nuit ; parfois aussi elles commencent à minuit ou une heure du matin.

Ces perturbations violentes et brèves sont certainement les plus fréquentes dans la zone sahélienne ; cependant la pluie prend quelquefois un caractère différent. Le 22 juin 1906, à l’est de Matankari (13°,40′ Lat. N.) tout près de la limite des zones soudanaise et sahélienne, de huit heures et demie à huit heures trois quarts du matin, j’ai noté un fort orage, accompagné de grêle, par vent d’est ; à neuf heures le vent (3)[105] était passé au sud-est et une pluie fine, très continue et peu abondante, d’un type familier en Europe, commençait à tomber ; vers dix heures le vent devenait sud-ouest (2) ; la pluie cessa à onze heures ; pendant ces deux dernières heures, il n’y a eu ni éclair ni tonnerre.

Le 26 juin au soir, le vent était assez faible et soufflait du sud ; vers minuit il passait brusquement à l’ouest ; dès que la pluie, qui dura de minuit à onze heures du matin, le 27, commença à tomber, le vent assez faible s’établit à l’est ; à 11 heures, il était passé au sud-ouest (4) ; toute l’après-midi, il se maintenait à l’ouest (1).

Dans la majeure partie du Sahara, le vent dominant souffle du nord-est ; les dunes fournissent à cet égard un excellent enregistreur et il ne saurait y avoir de doute ; les dunes fossiles qui s’étendent du Sénégal au Tchad montrent qu’à une époque antérieure le régime était le même, comme il fallait s’y attendre puisque les causes qui déterminent les alizés sont permanentes.

Il y a cependant quelques exceptions. Les unes sont très locales et probablement négligeables : le bras d’erg qui borde à quelques cents mètres la falaise orientale du tassili Tan Adr’ar’ indique des vents d’ouest. D’autres sont plus importantes ; dans la région du Cap Blanc les vents viennent du nord d’une façon presque constante. La même direction domine entre Araouan et Taoudenni : les bras d’erg s’étendent de l’est à l’ouest sur 300 kilomètres et il ne peut être[136] question ici de remous locaux. Les dunes fossiles entre Araouan et Tombouctou indiquent au contraire des vents du sud ; l’asséchement du lac de Taoudenni n’est peut-être pas étranger à ce changement de régime.

D’ailleurs les dunes ne peuvent donner que la résultante du vent ; les quelques observations que l’on a montrent des variations saisonnières considérables. Tamanr’asset, d’après les observations relatées plus haut, en fournit un bon exemple. A In Salah, en 1905, on a noté 460 fois le vent du nord-est ; 194 fois du nord ; 84 fois du sud-ouest ; à Tombouctou, 215 fois du nord, 194 fois du nord-est, 188 fois du nord-ouest, 166 fois du sud-ouest et 146 fois de l’ouest ; les autres directions sont rares. La même année, à Zinder, le vent dominant a été est-nord-est de janvier à fin avril ; il a été sud-ouest en mai et juin, variable en juillet et août ; en septembre et octobre, le vent d’ouest a été le plus fréquent ; celui d’est, en novembre et décembre.

Ces changements sont évidemment liés à la saison des pluies ; il semble que l’Adr’ar’ est un centre de pressions basses pendant l’été, hautes pendant l’hiver. Gautier [cf. t. I, p. 52] a insisté sur le rôle possible des grands ergs, plus chauds en été et plus froids en hiver que les hammadas voisines, dans la distribution des pressions : les hammadas et les ergs constituent peut-être au Sahara, au point de vue météorologique, des entités aussi distinctes que, à la surface du globe, les mers et les continents.

Malgré les nombreux documents déjà connus, il semble qu’un essai de synthèse serait prématuré.

II. — LA BRUME

La brume est fréquente au Sahara où elle se présente sous deux aspects essentiellement différents. Par beau temps, le sol est surchauffé, la température du sable dépasse souvent 60°. Les couches d’air voisines du sol acquièrent une température élevée ; les filets d’air chaud qui s’élèvent à travers l’air plus froid ne s’y mélangent pas de suite. Les parties basses de l’atmosphère ne sont pas homogènes et perdent leur transparence ; les différences entre les indices de réfraction de l’air chaud et de l’air froid amènent des déformations des images qui sont le plus souvent très allongées dans le sens vertical ; une touffe d’herbe prend figure d’un arbre ; un méhariste simule un peuplier. Ce phénomène extrêmement fréquent se complique[137] souvent de mirage, dû lui aussi à des différences de température entre couches d’air voisines.

Cette brume de réfraction et le mirage sont visibles surtout pendant les heures chaudes de la journée ; un vent moyen ne fait disparaître ni l’un ni l’autre ; on les observe dans tout le Sahara et dans le nord du Soudan.

Dans les parties méridionales du Sahara, au sud d’In Zize comme au sud de l’oued Tagrira, ainsi que dans l’Ahaggar, une brume d’origine toute différente, et que l’on retrouve au Soudan, accompagne la saison des pluies tropicales. C’est une brume aussi opaque que n’importe quel brouillard septentrional, épaisse à ne pas voir un chameau à 5 mètres ; elle atténue considérablement l’éclat du soleil qui prend une couleur blanche et ressemble à la pleine lune ; parfois même la brume est assez épaisse pour masquer complètement le soleil ; en plein midi, on ne voit même pas où il est et il devient impossible de s’orienter sans boussole.

Cette brume est souvent presque journalière ; entre Timissao et In Ouzel, nous l’avons notée les 19, 20, 21 et 22 juin 1905. A cette dernière date, la caravane a passé au pied de la gara Tirek, sans pouvoir la distinguer ; des gazelles, habituellement plus farouches, ont marché quelque temps au milieu du convoi. Cette brume se manifeste fréquemment la nuit, ce qui montre son indépendance des phénomènes thermiques : dans la nuit du 23 au 24 juin, à In Ouzel, un coup de vent d’une violence extraordinaire amène une obscurité absolue ; on a l’impression de la cécité la plus complète ; jamais la nuit la plus sombre n’a donné une pareille sensation.

Cette brume n’a rien à voir avec le brouillard ; elle n’est pas humide ; le 19 juin, en pleine brume, les thermomètres, sec et humide, indiquent respectivement 27° et 14° ; le 30 juin, 32°,5 et 21° ; le 22 juin, 28° et 18° ; le 30 juillet, 42° et 24°,5. Elle est due à de fines particules argileuses en suspension dans l’atmosphère ; ces poussières très ténues sont impalpables ; elles ne décèlent leur présence que par un dépôt jaunâtre qu’elles laissent sur les vêtements et les cheveux. On les voit bien surtout lorsqu’il commence à pleuvoir : chaque goutte de pluie aussitôt évaporée laisse sur la peau une tache de boue.

Parfois la nuée argileuse est nettement visible et les deux observations suivantes permettront de saisir le mécanisme de sa formation.

Le 25 juillet 1905, dans la vallée de l’oued En Néfis, au sud de Timissao, la journée avait été assez belle ; la brume, légère le matin, avait disparu vers midi ; il y avait eu peu de vent, sauf une brise légère de l’ouest, vers trois heures.

[138]A six heures et demie un arc-en-ciel double était visible vers l’est ; vers le sud, il y avait une menace d’orage ; quelques minutes plus tard un nuage de poussière, couleur terre de Sienne, bien délimité, venait rapidement sur nous ; il suivait assez exactement la vallée, large en ce point de 3 km. 5 à peu près et bordée de falaises hautes d’une quarantaine de mètres. Ce nuage était amené par un fort coup de vent du sud qui dura une heure environ. Après une heure de calme, le vent se remettait à souffler du nord ; il était accompagné de pluie et il y eut plusieurs averses dans la nuit.

Le lendemain l’atmosphère était claire.

Le 8 août, à Tit, dans l’Ahaggar, la journée avait été belle ; depuis le lever du soleil jusqu’à midi, un peu de vent d’est avait atteint sa plus grande intensité vers neuf heures (petite brise). De midi à trois heures, le vent était venu du sud, pour repasser à l’est dans la soirée ; il était resté plus faible que le matin.

Fig. 55. — Un coup de brume, le 25 juillet 1905, dans la vallée de l’oued en Néfis.

A une demi-journée au sud de Timissao. Les falaises de grès dévonien qui limitent la vallée ont 40 mètres de hauteur.

Après le coucher du soleil, le vent s’établissait à nouveau au sud et devenait frais, 6 de l’échelle de Beaufort ; un nuage sombre, et très bas sur l’horizon, apparaissait au sud. Vers sept heures et demie, on en pouvait distinguer le détail (fig. 56) : la partie supérieure, vivement éclairée par la lune à son premier quartier, était blanche ; la partie inférieure était noire, et lançait vers le haut de nombreux tourbillons d’argile : quelques-uns, comme les trombes de sable, étaient simples et souvent épanouis en champignon à leur sommet, quelques autres étaient, ou paraissaient, bifurqués et parfois ramifiés. A neuf heures un quart le nuage atteignait le piton de Tit, le Tinési, et présentait la même apparence (fig. 57). Cinq minutes après, il couvrait le camp situé à un peu plus de 2 kilomètres au nord du piton. Pendant un quart d’heure, l’obscurité a été complète ; la lune[139] avait complètement disparu ; vers dix heures et demie ou onze heures, le vent tombe et le ciel redevient visible ; le lendemain, il y avait une brume légère, suffisante cependant pour masquer l’Ilamane situé à une trentaine de kilomètres de Tit. Il n’a pas plu la nuit.

Fig. 56. — Un coup de brume le 8 août 1905 à Tit (Ahaggar).

Aspect vers 7 h. 1/2. — Le piton de Tit a 60 mètres de haut.

Ces brumes paraissent avoir une influence marquée sur la variation diurne des températures ; quand le temps est clair, la température s’élève rapidement jusque vers neuf heures, croît ensuite plus lentement jusqu’à son maximum vers deux heures et demie, et décroît lentement jusqu’au lendemain matin. Le 30 juillet, dans le tanezrouft de Silet, une brume épaisse, qui s’était formée la veille au soir, nous a obligé à marcher à la boussole ; les températures observées ont été les suivantes : six heures, 32° ; sept heures et demie, 34°,5 ; huit heures, 35° ; neuf heures, 37° ; dix heures, 38° ; onze heures, 41° ; midi, 43° ; une heure, 42°, 5 ; deux heures, 42° ; trois heures et demie, 42° ; cinq heures, 41°,5 ; six heures, 40°. Le maximum a eu lieu à midi et la température a à peine varié jusqu’au soir ; le vent assez faible s’est tenu toute la matinée au sud ; il est tombé[140] dans l’après-midi. Ces observations de température ont été faites pendant la marche, mais dans une plaine très plate. Le déplacement du maximum semble d’ailleurs confirmé par quelques autres observations moins détaillées.

Fig. 57. — Le coup de brume du 8 août 1905 à Tit.

Aspect vers 8 h. 1/2. — Les collines du second plan sont masquées.

Les orages secs sont fréquents dans tout le Sahara, mais ce sont habituellement des orages de sable ; ils charrient de menus projectiles quartzeux dont le choc est parfaitement perceptible ; les tourbillons de sable, les djinn valseurs, sont également fréquents. Mais sous quelque forme qu’ils se présentent, les nuages de sable s’élèvent peu et disparaissent dès que le vent tombe ; au contraire, les poussières argileuses sont lentes à se disperser ; elles restent dans l’atmosphère où elles créent des brumes épaisses qui persistent tant que l’air n’a pas été lavé par la pluie.

Pour les Touaregs, l’apparition de ces brumes dans le Tanezrouft est un signe certain que la saison des pluies est commencée au Soudan ; la liaison entre les tornades et ces nuages de poussière soulevée par le vent paraît en effet évidente.

Il semble aussi facile de comprendre pourquoi ces brumes sont localisées dans la partie méridionale du Sahara : dans le désert, les alluvions ont depuis longtemps été remaniées par le vent ; toutes les fines poussières en ont été enlevées et elles sont allées tomber dans l’Atlantique ; le sable a édifié les dunes ; il ne reste plus dans les vallées, sur les regs, que du sable grossier et des cailloux. Si l’on creuse un peu, on trouve, à une dizaine de centimètres de profondeur, des alluvions plus normales avec des argiles, mais le manteau de graviers qui les couvre les met hors d’atteinte du vent. Les crues peuvent bien remanier ces alluvions, et ramener les poussières au jour ; mais, loin des régions montagneuses, les crues sont un accident bien rare et il n’y a guère à en tenir compte.

Dans l’Ad’rar’ des Ifor’as, dans l’Ahaggar, dans l’Aïr, les alluvions sont restées argileuses ; les oueds y coulent tous les ans ; la poussière qui a été enlevée de la surface de leurs vallées par les tornades, est sans cesse renouvelée par l’action des eaux dont les remous, à chaque crue, ramènent au jour les parties profondes des alluvions ; soumis à des alternatives de sécheresse et d’humidité, les feldspaths des roches cristallines, tous plus ou moins kaolinisés, s’effritent peu à peu, et préparent ainsi de nouveaux matériaux pour les brumes que provoquent les tornades.

La liaison entre la pluie et les brouillards secs est très nette et très profonde.

Les brumes sont fréquentes dans tout le Soudan, et en relation[141] aussi avec les tornades ; je ne crois pas qu’elles y atteignent jamais une intensité comparable à celles qu’elles présentent parfois au désert : on voit toujours assez clair pour se diriger et pour suivre le guide.

Les cultivateurs noirs ont la plus grande estime pour ces brouillards secs : « Quand ils ont été fréquents, la récolte est bonne », disent-ils. Cette croyance peut très bien ne pas être absurde ; les années très brumeuses sont sans doute aussi des années très pluvieuses ; la grande extension des incendies de brousse au Soudan rend probable que, à l’argile, s’ajoute un bon engrais, les cendres végétales, dans la formation des nuages de poussière.

[99]Ginestous, Études sur le climat de la Tunisie (Thèse). Paris, 1906.

[100]Marc, La répartition de la pluie au Soudan. Ann. de Géogr., 15 janvier 1909.

[101]Bull. du Comité de l’Afrique française, mai 1907, p. 179.

[102]R. de Caix, La Reconnaissance du lieutenant Cottenest chez les Hoggar, Bull. Comité Afr. fr., 1902, p. 307. — Guilho-Lohan, Renseignements coloniaux, sept.-octobre 1903.

[103]De Motylinski et Basset, Grammaire et dictionnaire français-touareg, Alger, 1908, p. 89-92.

[104]Dinaux, Rens. col. Bull. du Comité Afr. fr., avril 1908, p. 106.

[105]Échelle de Beaufort.


[142]CHAPITRE IV

CHOROLOGIE

I. Géographie botanique. — Les grandes zones. — Zone sahélienne. — Zone saharienne. — Les adaptations (les plantes grasses, les lianes, les graines, défense contre les animaux). — La culture (cultures irriguées). — Remarques sur quelques espèces.

II. Géographie zoologique. — Cœlentérés. — Insectes (termites, insectes des tanezrouft). — Crustacés. — Mollusques. — Reptiles et Batraciens. — Oiseaux (l’autruche). — Mammifères. — La chasse. — Les troupeaux (moutons et chèvres, bœufs, chevaux, ânes, chameaux). — Les hommes (les Touaregs, l’habitation).

I. — GÉOGRAPHIE BOTANIQUE

I. Les grandes zones. — Le désert, au point de vue climatique, est caractérisé par l’absence ou la rareté des pluies ; la végétation en est le plus souvent rare ou absente, et le Sahara forme une zone botanique qui peut être limitée avec une certaine précision.

Il confine au nord au domaine méditerranéen, domaine très étendu auquel appartiennent la Cyrénaïque et l’Afrique mineure. Les arbres et arbustes à feuillage toujours vert (olivier, bruyères arborescentes, chênes verts), de nombreuses conifères (une dizaine d’espèces, dont les plus notables sont le pin d’Alep, le cèdre, le callitris et les genèvriers) caractérisent le littoral et les régions accidentées de la Berbérie ; les steppes à alfa et à absinthe (chih) des Hauts Plateaux font partie du même domaine.

Bien qu’appartenant à la zone méditerranéenne, le littoral atlantique du Maroc présente quelques traits particuliers qui permettent de le mettre un peu à part : des Euphorbes cactoïdes et l’Arganier (Sideroxylon) sont parmi les espèces les plus caractéristiques.

Dès que, vers le sud, on a dépassé l’Atlas saharien, la végétation change assez brusquement ; une ligne de dénivellation sépare le Sahara de la Berbérie et en général il n’y a pas mélange entre les deux[143] flores. Cette limite est, en gros, jalonnée par Gafsa, Biskra, Laghouat, Figuig et le cap Noun.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XV.

Cliché Posth

29. — ZONE SAHELIENNE.

Région du Tegama.

Cliché Pasquier

30. — ZONE SAHELIENNE.

Région de Gao.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XVI.

Cliché Pasquier

31. — UNE HALTE DANS LA RÉGION DE GAO.

Zone sahelienne.

Cliché Laperrine

32. — UN “ TAMAT ” [ACACIA ARABICA, WILLD] — ADR’AR’ DES IFOR’AS.

Les branches sont mutilées pour la récolte des fruits, riches en tannin.

La frontière botanique méridionale du Sahara est moins nette et moins précise.

Au nord de la forêt tropicale, où des chutes de pluies supérieures à 1 m. 50 permettent le développement d’une riche végétation arborescente, où les arbres atteignent jusqu’à 50 mètres de haut, où les lianes abondent et rendent la circulation difficile, on peut, avec Chevalier[106], distinguer plusieurs zones, grossièrement parallèles entre elles ; leurs limites sont à peu près ouest-nord-ouest, est-sud-est et correspondent à des différences dans les quantités annuelles de pluie.

Dans la première, la zone guinéenne, la pluie varie de 0 m. 50 à 1 m. 15 ; le sol est le plus souvent formé de plateaux arides, domaine de la savane, c’est-à-dire de prairie accompagnée d’arbres ; mais dans les dépressions apparaissent des bouquets impénétrables de grands bois avec de nombreuses lianes. Dans les endroits les plus humides, au bord même du ruisseau, de nombreux palmiers (Elæis, Raphia), des dracæna, des pandanées attestent une grande analogie avec la sylve équatoriale ; ils forment, le long de la vallée, un rideau de grands arbres. Ainsi caractérisée par ses « galeries forestières » [on en trouvera un bon schéma dans Chevalier, l’Afrique Centrale française, p. 751], la zone guinéenne qui, au Dahomey, s’étend jusqu’à l’Atlantique, s’arrête vers le 12° Lat. N. au sud de Bammako et vers le 8° Lat. N. dans la région du Chari. Le manioc y est la principale culture vivrière ; on y trouve déjà le karité et les lianes à caoutchouc.

Au nord de la zone guinéenne, la zone soudanaise est formée surtout, dans le haut bassin du Niger, par un vaste plateau de grès couvert de latérite ; dans le bassin du Chari, les alluvions récentes dominent ; malgré ces différences lithologiques, sa constitution botanique est assez homogène ; elle est couverte, en général, par une haute savane où domine un petit nombre d’espèces de graminées (Imperata cylindrica Pal. Beauv., Ctenium elegans Kunth, plusieurs Andropogon, etc.). Les arbres les plus caractéristiques sont un palmier, le rônier (Borassus æthiopicus Mart.), les baobabs (Adansonia) et le fromager (Eriodendron anfractuosum D. C.). Le karité dépasse rarement cette zone, et les lianes à caoutchouc y atteignent leur limite nord. Cette zone s’arrête sur le Niger vers Mopti (14°,30 Lat. N. au[144] confluent du Bani) et vers Sansané Haoussa (14° Lat. N.). Plus à l’est, elle passe au voisinage de Zinder et coupe l’extrémité sud du Tchad. C’est la zone des grandes cultures soudanaises : le grand et le petit mil presque partout, le riz dans les régions plus humides, et l’arachide. Bien qu’on la rencontre jusqu’au Tchad, cette dernière plante n’est cultivée en grand qu’au Sénégal, la seule région de la zone qui, jusqu’à présent, puisse facilement exporter en Europe les produits de médiocre valeur.

Quoiqu’il en soit isolé par une bande de brousse aride, le Damergou peut être rattaché à la même province.

Le district levé du Fouta Djalon, qui dépasse souvent 1000 mètres d’altitude, présente des caractères spéciaux, assez nombreux pour qu’il soit nécessaire de le mettre à part : certains traits le rapprochent de l’Abyssinie, et il forme dans les zones guinéenne et soudanaise un îlot spécial, avec une flore subalpine.

La zone sahélienne est la bordure méridionale du désert ; le doum (Cucifera thebaïca Del.), rare dans la zone soudanaise, devient commun et, dans tous les points un peu humides, remplace le rônier. L’aderas (Balsamodendron africanum Arn.), l’afernane (Euphorbia balsaminifera Aït.), le tadane (Boscia senegalensis Lam.), le gommier (Acacia verek Guill.), l’Acacia arabica Willd., rares plus au sud, y forment des peuplements importants ; ils sont souvent accompagnés par le talah (Acacia tortilis Hayne), l’asabay (Leptadenia Spartum Wight) et quelques autres formes que l’on retrouve dans une bonne partie du désert. En revanche la plupart des plantes salées (had, etc.) caractéristiques du Sahara, manquent dans le Sahel, où il faut donner du sel aux chameaux.

La limite nord de cette zone, voisine du 18° Lat. N. vers l’Atlantique, s’abaisse dans la région du Tchad vers le 15° Lat. ; mais elle est loin d’être rectiligne et présente vers le nord quelques crochets dont deux correspondent à l’Adr’ar’ des Ifor’as et à l’Aïr à qui leur altitude assez élevée procure tous les ans quelques tornades ; d’après les renseignements de Nachtigal, le Tibesti semble appartenir lui aussi à cette zone sahélienne.

Cette limite paraît correspondre assez rigoureusement à celle des pluies tropicales régulières ; les précipitations annuelles y varient probablement entre 150 et 500 millimètres ; plus au nord, il n’y a plus que des orages accidentels et le désert commence.

Dans la zone sahélienne les pâturages sont abondants ; dans sa partie méridionale, elle convient fort bien à l’élevage. La culture n’y est possible que dans des conditions particulières ; elle nécessité[145] l’irrigation ; sous cette condition, le petit mil et le blé, et, dans la zone d’inondation du Niger, le riz, donnent de beaux produits.

Quant au Sahara, compris entre l’Afrique mineure et la zone sahélienne, il semble que l’on y peut distinguer par quelques caractères botaniques un Sahara soudanais et un Sahara algérien. Au-dessus de 1000 mètres, l’Ahaggar paraît y former une province alpestre assez nette.

Fig. 58. — Zones de végétation de l’Afrique occidentale.

+++ Limite du Karité ; I, Zone forestière équatoriale ; II, Zone guinéenne ; III, Zone soudanaise ; IV, Zone sahélienne ; V, VI, Zone saharienne ; VII, Zone méditerranéenne ; VIII, Région de l’Ahaggar ; IX, Région du Fouta Djalon.

Il convient d’ajouter, à ces zones parallèles à l’équateur et qui sont fonction de la latitude, et à celles que détermine l’hypsométrie (Fouta-Djalon, Ahaggar), la région littorale qui, comme partout, présente des caractères particuliers. Le cocotier, introduit il y a quelques siècles par les Portugais, pousse bien jusqu’à St-Louis. Le long du[146] littoral de Mauritanie viennent s’adjoindre, aux formes nettement sahariennes qui constituent le fond de la végétation, quelques espèces sénégalaises qui remontent plus haut en latitude sur les côtes de l’Atlantique que dans l’intérieur ; vers le cap Blanc, quelques formes canariennes sont à signaler. Enfin les tamarix forment presque des taillis en un grand nombre de points du littoral, surtout au sud de Nouakchott.

La zone sahélienne et le Sahara[107] méritent une étude un peu plus détaillée.

Zone sahélienne. — La haute plaine du Tegama appartient à cette zone et semble en présenter nettement les caractères moyens ; elle forme très nettement la transition entre le désert et les zones fertiles de l’Afrique centrale.

Lorsque l’on vient d’Agadez, jusqu’à Ekelfi (16° Lat.), à 40 kilomètres de la falaise de Tigueddi, le sol est souvent à nu pendant plusieurs kilomètres ; les arbres, des talah surtout, sont rares et rabougris ; seuls quelques oueds renferment des graminées. Au sud d’Ekelfi, les grandes clairières disparaissent ; il y a presque partout des arbres hauts de 2 à 4 mètres, une cinquantaine à l’hectare. Après Takado (80 kilomètres au sud d’Ekelfi) les graminées ne sont plus localisées dans les vallées et forment un tapis continu ; les arbres atteignent souvent 5 à 6 mètres et sont plus rapprochés ; les essences sont aussi plus variées et il y a parfois des clairières avec de véritables prairies (Pl. XIX, phot. 35).

Toute cette partie sud du Tegama constitue une excellente région d’élevage que l’insécurité du pays avait obligé à abandonner : avant notre arrivée, pendant la saison sèche, les nomades d’Agadez ne pouvaient utiliser ces très bons pâturages et étaient obligés d’envoyer leurs troupeaux jusqu’aux pays haoussa[107].

Plus au sud encore, vers la mare de Tarka (14°,30′ Lat.), comme entre le Damergou et Ouamé, la brousse devient assez serrée pour qu’il soit difficile de quitter les sentiers. A l’est de l’itinéraire que j’ai suivi, d’après les renseignements concordants de Barth et de Foureau, ainsi que du commandant Gadel, la transition se fait de la même façon ; il y a à noter toutefois que la zone dénudée du nord est plus large.

J’ai observé cet aspect en novembre 1905 ; quelques semaines[147] plus tôt, après la saison des pluies, la poussée des plantes annuelles doit apporter quelques changements à l’aspect du Tegama.

La transition entre le désert d’un côté et la forêt ou la prairie de l’autre, se fait très graduellement ; la steppe, qu’il est aussi classique qu’inexact de décrire comme entourant le désert, fait ici entièrement défaut.

Le Tegama est en somme un pays sec ; la nappe d’eau y est très profonde et a peu d’influence sur la végétation. Il y existe cependant quelques mares permanentes (tin Teborak, Tarka) où la végétation devient fort belle ; des arbres de haute taille, l’Acacia arabica surtout, poussent en grand nombre dans les parties régulièrement inondées, et donnent, à quelques hectares, l’aspect d’une véritable futaie. Autour de cette végétation forestière, on observe habituellement une ceinture, large d’une centaine de mètres, où abondent les teboraq, les jujubiers, les delga, qui manquent dans les parties plus sèches. Quelques sous-arbrisseaux à port de bruyère les accompagnent. Enfin, dans certaines mares tout au moins, comme à Tarka, les plantes aquatiques abondent : les nénuphars et les utriculaires couvrent de vastes espaces ; les Cyperus, accompagnés d’un grand volubilis à fleurs rouges (Ipomæa asarifolia ?), forment d’épais massifs dans les points où l’eau est peu profonde.

L’allure de la végétation dans le Tegama parait bien typique pour toutes les parties sèches de la zone sahélienne ; Nieger [La Géographie, XVI, p. 369] indique que, au nord du Timétr’in[108], les gommiers couvrent les thalwegs de certains oueds en fourrés assez épais pour que, de loin, on puisse croire à de véritables forêts ; les tribus touaregs, qui nomadisent dans cette région, exigent des caravanes qu’elles respectent leurs arbres ; E.-F. Gautier [La Géographie, XV, p. 110 et suiv.] insiste sur la continuité de la brousse à mimosées, tout le long de l’oued Tilemsi, continuité qui a également frappé Combemorel [Bull. Comité Afr. Française, déc. 1908]. La forêt de gommiers de Tombouctou, qui dessine trois bandes entre le Niger et Araouan, appartient à la même formation végétale qui s’étend jusqu’au voisinage de l’Atlantique où j’ai pu l’observer récemment entre Saint-Louis et Nouakchott ; vers l’est, de Zinder au Tchad, on retrouve le même aspect : les arbres n’ont disparu qu’autour de certaines mares à natron (Garamkawa, Gourselik) dont l’utilisation industrielle exige beaucoup de combustible.

J’ai déjà indiqué, à propos du Tegama, que les mares créaient des[148] stations botaniques bien caractérisées ; du Niger au Tchad, on observe le même fait ; mais parmi les arbres, le doum, qui manque à peu près complètement dans le Tegama, prend la première place. Lorsque le bas-fond humide est éloigné de tout village, les doums deviennent de beaux arbres ; dans le cas contraire, leurs troncs assez droits étant un des bois les plus utilisés pour la construction, l’on ne trouve plus que de jeunes pousses formant d’épais fourrés dont l’aspect rappelle les palmiers nains d’Algérie. Les postes militaires surtout, avec leurs constructions assez importantes, ont dû sacrifier de nombreux palmiers qu’il a souvent fallu aller chercher à une cinquantaine de kilomètres.

J’ai pu suivre en février 1906, à un moment où les eaux du lac s’étaient retirées, la rive nord du Tchad ; les arbres y sont rares, sauf sur les dunes, où l’Acacia tortilis et le Salvadora persica forment de nombreux buissons ; entre les dunes et le lac, s’étend un terrain plat où dominent les graminées : le mrokba, dans les points ensablés où il pousse sur des buttes de sable hautes d’un demi-mètre (nebka), et des graminées plus humbles qui forment une véritable prairie dans la régions où les argiles quaternaires sont à nu. Sur les bords mêmes du lac, le sommet de la berge est occupé par le Calotropis procera auquel se joignent quelques rares Leptadenia et Salvadora ; plus près de l’eau des roseaux (Arundo Phragmites) et de grands scirpes forment d’épais fourrés, au milieu desquels on trouve souvent des buissons de grandes composées et de grandes malvacées ; un acacia, remarquable par la légèreté de son bois, l’Ambadj (Hermineria elaphroxylon) y est assez commun.

Lors de mon passage, la sécheresse du sol, causée par le retrait du Tchad, avait amené en bien des points la mort, au moins apparente, des roseaux dont il ne subsistait plus que des tiges desséchées. Entre ces tiges, une végétation nouvelle cherchait à s’établir, où dominaient de jeunes Calotropis ; Chevalier [L’Afrique centrale, p. 416] a observé des faits bien analogues sur la lisière méridionale du lac, au voisinage de Hadjar El Hamis, où cependant la végétation est plus variée.

La zone d’inondation du Niger présente aussi quelques caractères spéciaux parmi lesquels le plus remarquable est l’existence de prairies aquatiques où domine le Panicum burgu A. Chev.[109].

Ces prairies, qui sont fréquentes surtout entre Segou et Ansongo, couvrent au moins 250000 hectares ; elles atteignent leur plus beau[149] développement dans la région du lac Débo ; mais on les trouve aussi dans les régions lacustres de la boucle du Niger et de Goundam ; le bourgou est encore répandu dans les mares des Daouna ; il manque à peu près complètement dans le Faguibine.

Ces grandes graminées, dont les chaumes atteignent 2 mètres de haut, fournissent un fourrage excellent, et, coupées jeunes, donnent un foin de bonne qualité. Les indigènes les utilisent en cas de disette pour leur propre nourriture ; en tout temps, ils en extraient le sucre qui y est abondant et l’emploient à la préparation de liqueurs fermentées. On a pu en extraire un alcool assez pur, produit qui dans ces régions où le bois est rare et où les combustibles minéraux manquent, peut être appelé, comme producteur d’énergie, à un grand avenir.

Il semble cependant que pour la fabrication de l’alcool au Soudan, il vaut mieux s’adresser aux céréales indigènes (riz, mil, etc.,) dont la culture, facile et bien connue des noirs, peut être considérablement accrue, et dont le rendement en alcool est certain.

Les mares à natron de la région de Manga montrent quelques particularités intéressantes ; les nénuphars et quelques autres plantes d’eau douce y font défaut et sur leurs bords il y a parfois des tamarix ; mais l’aderas n’y est pas rare, malgré l’humidité : on a souvent signalé des convergences analogues entre la flore des régions sèches et celle du bord de la mer.

Les dépressions salées, situées à l’est du Tchad, présentent les mêmes caractères.

Il existe, dans la zone sahélienne, quelques districts accidentés : le Koutous et l’Alakhos présentent quelques faits dignes de remarque (fig. 59 et 60). Dans ces deux régions, qui sont en somme des plateaux gréseux posés sur la haute plaine du Tegama, la nappe d’eau qui alimente les puits est trop profonde pour que la végétation puisse en profiter, aussi le fond de toutes les vallées est-il occupé par une brousse serrée où dominent les acacias et les aderas caractéristiques des parties les plus sèches du Tegama ; les plateaux gréseux et les dunes qui s’y appuient, très perméables, jouent le rôle d’éponge et emmagasinent l’eau qui tombe assez régulièrement sur ces régions un peu élevées, situées juste à la frontière des zones saharienne et sahélienne. Sur les dunes, des essences à feuillage moins maigre, le Balanites Ægyptiaca, le Bauhinia reticulata, le Salvadora persica, le Calotropis procera forment le fond de la végétation spontanée ; c’est également sur les mêmes dunes que sont établis les champs de mil et, en quelques points privilégiés, d’ordinaire au contact de la[150] dune et des grès, les cultures de coton ; sur le plateau reparaissent les talah et les aderas.

Fig. 59. — Fragment de topographie de l’Alakhos.

Il y a 12 kilomètres de Guidjamon à Ganadja ; le puits de Ganadja a 40 mètres ; les plateaux gréseux atteignent une centaine de mètres de hauteur.

Un peu plus au sud, le Mounio, situé lui aussi sur les confins de deux zones, présente quelques caractères spéciaux. Auprès de Gabana, par exemple (fig. 61), le fond de la cuvette (A) est occupé par des dattiers et des doums ; les sommets rocheux (C) portent quelques aderas et surtout des euphorbes ; pendant la saison sèche, ces arbustes sont dépourvus de feuilles : l’aspect est celui que présentent en hiver les maigres taillis des coteaux de la Mayenne ou de la coupure de la Meuse ; les pentes ensablées (B) présentent, en janvier, l’aspect d’un champ de chaume, où seraient plantés quelques arbres (Balanites, Bauhinia, Salvadora, Tamarindus, Ziziphus, Calotropis, Acacia) ; ils rappellent assez bien, après les moissons, certains champs de blé des collines du Perche avec leurs pommiers à cidre. Dans la partie méridionale du Mounio, les essences sont encore plus variées.

Fig. 60. — Profil de Guidjamon à Ganadja.

a, au contact des dunes et des plateaux gréseux, Balanites ægyptiaca. Culture médiocre de coton. b, Culture de petit mil. Arbres à feuilles larges (Bauhinia reticulata, etc.) ; d, Graminées. L’arbuste dominant est le Sabera ; d′, Graminées seulement, à cause de la proximité du village ; e, Sol du Tegama, Balsamodendron africanum (Aderas).

Les plateaux gréseux que Chevalier a décrits dans la région de[151] Goundam et du Faguibine paraissent se rapprocher beaucoup du Mounio ; l’Euphorbia balsaminifera y est abondant, et y atteint parfois une grande taille. Il est accompagné de Balsamodendron africana, haut parfois de 10 mètres, son compagnon habituel dans la région de Gouré.

Bien que, par sa latitude, il appartienne au désert, l’Aïr, que Barth, avec un peu d’exagération, a qualifié d’Alpes sahariennes, doit être rattaché à la zone sahélienne. C’est en effet à partir de l’oued Tyout que les pluies tropicales se font sentir tous les ans ; les pâturages y sont souvent fort beaux. Plus au nord, les tornades deviennent accidentelles et se produisent, comme partout au Sahara, à des saisons quelconques et à des périodes toujours éloignées les unes des autres. Au nord des derniers contreforts de l’Aïr, Tar’azit et Zélim, il avait plu, dans le Tiniri, peu de temps après le passage de Foureau (février 1899) ; quand j’ai traversé cette région avec Dinaux (septembre 1905), le développement des plantes annuelles, de l’acheb, prouvait quelques averses récentes ; d’après les renseignements indigènes, il n’avait pas plu dans l’intervalle des deux passages. Les averses de 1905 avaient d’ailleurs été très localisées, et à son retour par la route directe d’Aguellal à In Azaoua, Dinaux a dû faire à partir de l’oued R’arous (40 kilomètres au nord-ouest d’Iférouane) 250 kilomètres sans trouver de pâturages : ce ne fut guère qu’en arrivant à l’Ahaggar que les méharis purent brouter à leur aise.

Fig. 61. — Stations botaniques du Mounio. Du campement de Gabana, 17 janvier 1906.

A, Fond de cuvette. Dattiers et Doums. — B, Mamelons ensablés. Le sol est couvert de graminées desséchées, donnant l’aspect d’un champ de chaume. Balanites ægyptiaca est l’arbre dominant ; il est accompagné de Bauhinia reticulata, Salvadora persica, Calotropis procera, Euphorbia balsaminifera. Acacia et jujubier. — C, Mamelon rocheux à pente raide. Euphorbia balsaminifera et Balsamodendron africanum y forment un taillis clairsemé haut de 2 à 3 mètres ; en janvier toutes les feuilles sont tombées. Aspect d’hiver de quelques coteaux arides de la Mayenne ou de l’Ardenne. Le sommet de C est à 150 mètres au-dessus du fond de la cuvette A.

Dans l’oued Tidek, couvert, d’après la carte du service géographique[152] de l’armée, d’une végétation tropicale, apparaissent en effet de grands arbres : l’Acacia arabica Willd est surtout commun ; il porte souvent un beau parasite à fleurs rouges (Loranthus Chevalieri ?) commun d’ailleurs dans toute la zone sahélienne, où on le trouve, au moins accidentellement, sur presque tous les arbres[110].

Cette riche végétation ne quitte jamais les vallées : la section schématique du kori Teloua (fig. 63) à Salem-Salem (35 kilomètres au nord-est d’Agadez) montre d’abord le long de la berge de l’oued (en 1) quelques mousses et hépatiques, notamment des Riccia ; en 2, il y a surtout des graminées, des aristoloches, des Ipomæa et quelques Calotropis ; cette zone ne dépasse pas une largeur d’une dizaine de mètres. Puis vient, s’étendant sur une largeur qui atteint parfois 100 mètres, une véritable forêt où les grands arbres sont des doums et des Acacia arabica entre lesquels croissent des formes plus humbles (Boscia senegalensis, Salvadora persica, Balanites Ægyptiaca et des jujubiers ; des lianes herbacées (Cucurbitacées, Asclépiadées) grimpant jusqu’au faîte des palmiers, permettent de rapprocher ce rideau d’arbres des galeries forestières de la zone guinéenne.

Fig. 62. — Aïr. Extrémité nord de l’Adesnou, vue de l’oued Tidek.

Acacia arabica (10 m.). Ce sont les premiers arbres que l’on voit, en venant du Nord.

Au delà des alluvions humides, commencent les roches cristallines où le sol, le plus souvent dénudé, ne porte plus que quelques touffes de graminées et de loin en loin un talah (A. tortilis). Les parois abruptes des rochers qui s’élèvent parfois à 5 ou 600 mètres de haut sont presque toujours à découvert : dans les fentes de la roche, il pousse cependant quelques graminées et plus rarement une[153] asclépiadée à port de cactus (Boucerozia tombuctuensis A. Chev. ?). La belle végétation de l’Aïr est étroitement liée à l’humidité de ses koris.

Le Teloua est une des rivières les plus vivantes de l’Aïr ; à Salem-Salem, il a déjà reçu plusieurs affluents importants, aussi son lit est-il bien marqué. Dans un grand nombre d’autres koris, le lit est à peine creusé ; il n’y a qu’une plaine d’alluvions presque horizontale ; les zones sont alors moins nettes et les arbres, moins nombreux, sont plus disséminés ; la vallée est couverte de graminées avec quelques acacias de loin en loin. Ce n’est plus l’étroite galerie forestière, mais la savane.

Placé, comme l’Aïr, aux confins du désert et devant aussi à son altitude des pluies régulières, l’Adr’ar’ des Ifor’as, ne présente lui aussi de belles végétations que dans ses vallées.

Fig. 63. — Coupe demi-schématique d’une vallée d’Aïr : le K. Teloua à Salem-Salem (35 km. au nord-est d’Agadez).

A, Alluvions ; B, Gneiss et Micaschistes ; B′ Roches éruptives ; 1, berge du Kori. Mousses et hépatiques (Ricciées) ; 2, zone du Calotropis procera. Grandes graminées. Aristoloche. Ipomæa. Gazon de graminées avec nombreuses dicotylédones herbacées. La largeur très variable de cette zone ne dépasse pas 10 mètres ; 3, zone des Cucifera thebaica et Acacia arabica, atteignant 8 à 10 mètres de haut. Le sous-bois, très gazonné, contient des arbustes, Salvadora persica, Boscia senegalensis, Jujubier, etc. La largeur de cette galerie forestière varie de 10 m. à 50 m. ; 4, zone de l’Acacia tortilis (2 à 3 m. de haut). Quelques touffes isolées de Graminées, Cassia, etc. ; 5, Végétation presque nulle. Quelques graminées dans les fentes de la roche ; parfois, Boucerozia.

Mais ici les vallées d’alluvions sont parfois fort larges ; elles peuvent atteindre plusieurs kilomètres et forment à la saison des pluies de véritables prairies couvertes d’un gazon continu, parsemé de quelques arbres.

Ce qui domine en somme et de beaucoup, dans cette zone sahélienne, c’est la brousse à mimosées, variété de la forêt, mieux armée contre la sécheresse que la prairie ou la steppe. La savane ne s’y rencontre que très accidentellement dans quelques larges vallées où les alluvions restent toujours humides ; quant à la véritable prairie, elle est encore plus rare ; elle ne pousse que dans quelques bas-fonds inondés l’hiver, bas-fonds qui se couvrent, après les pluies, d’un gazon épais, haut d’un pied, et au milieu duquel se montrent quelques grandes fleurs comme dans les prairies de France.

[154]Dans l’étude de la zone sahélienne, un point important reste encore à élucider ; beaucoup d’espèces végétales connues au voisinage de l’Atlantique se retrouvent jusqu’en Nubie : sur les 49 espèces ligneuses que Chevalier énumère autour de Tombouctou, les quatre cinquièmes sont dans ce cas. Il y a donc une grande uniformité dans la végétation depuis le Sénégal jusqu’à la mer Rouge. L’Euphorbia balsaminifera cependant n’atteint pas le Tchad et dépasse peu le Mounio ; quelques autres espèces, qui s’étendent du bassin du Nil jusqu’à Tombouctou, ne sont pas connues plus à l’ouest. Il y a donc au moins des indices d’une subdivision de la zone sahélienne en longitude. Les faits connus avec précision ne sont malheureusement pas encore assez nombreux pour que l’on puisse chercher à définir ces régions botaniques, d’importance évidemment secondaire.

Zone saharienne. — Les deux types principaux de végétation, les forêts et les prairies, qui se partagent la terre exigent tous deux une certaine abondance d’eau ; le développement des forêts n’est pas entravé par de longues sécheresses de l’atmosphère, pourvu qu’il existe toujours, à portée des racines, une nappe aquifère suffisante. Au contraire, les prairies ont besoin de pluie pendant la période de végétation.

Forêts et prairies se développent à l’ordinaire sur de vastes surfaces, les causes climatiques qui les déterminent ne variant que lentement. La continuité de ces deux formations est parfois localement interrompue par des détails tenant au sol même (causes édaphiques[111]) ; par exemple, une coulée volcanique récente créera au milieu de la forêt de châtaigniers qui couvre les flancs de l’Etna une bande dépourvue de toute végétation ; au sud du Massif Central de France, les calcaires fissurés des Causses permettent à l’eau de descendre rapidement à de grandes profondeurs : la surface du plateau est presque un désert. De semblables particularités sont l’accident et les petits déserts édaphiques qui en résultent n’ont qu’une importance minime dans l’étude de la géographie botanique de l’Europe.

Au Sahara il en est tout autrement : la rareté des pluies, la haute température de l’été, les froids de l’hiver, la fréquence des vents desséchants sont autant de causes qui s’opposent au développement des plantes.

[155]Quelques points privilégiés comme les dunes, presque toujours humides en profondeur et où le peu de cohésion du sol permet aux racines de pousser rapidement, comme les vallées de l’Ahaggar où des seuils rocheux arrêtent de place en place l’eau qui imprègne les alluvions, se prêtent à la vie des végétaux. Au Sahara, le désert est climatique ; c’est l’absence de toute végétation qui est la règle. La vie ne reparaît que sur des points isolés ; elle est rendue possible par des causes édaphiques, causes variables d’un point à un autre et s’opposant à toute description vraiment générale des types de végétation.

Le désert diffère profondément des deux autres types de formation végétale dues au climat : il est hostile à toute végétation. La sécheresse, comme d’ailleurs le froid, atténue les différences qui séparent d’ordinaire la forêt de la prairie : sous le climat du désert, le sol est occupé de loin en loin par des végétaux, herbacés ou ligneux, qui sont adaptés à des conditions aussi défavorables. La forêt et la prairie sont des formations « complètes » : le sol est partout productif ; il n’y a pas de vides ; de nouveaux éléments ne peuvent s’y introduire que difficilement ; beaucoup de graines peuvent germer, mais la plupart des jeunes plantes sont étouffées par leurs voisines. Le désert au contraire est une formation « inachevée » : il y a toujours des places libres entre les touffes espacées et beaucoup de plantes meurent sans être remplacées. Les graines qui tombent sur le sol ne germent pas, ou bien les jeunes plantes succombent sous l’inclémence du climat. La lutte pour l’existence est dirigée contre des forces physiques et non plus biologiques.

Comme la zone sahélienne, le Sahara paraît, au point de vue botanique, en négligeant les quelques plantes venues du nord ou du sud, très homogène depuis la mer Rouge jusqu’à l’Atlantique : les 155 plantes du Sahara touareg, que M. Battandier a récemment étudiées, se décomposent à ce point de la façon suivante : 36 espèces à peu près cosmopolites ; 89 nettement sahariennes, dont 70 sont connues des rives de l’Atlantique jusqu’à l’Égypte ou l’Arabie.

Cette flore est d’ailleurs très pauvre et il est douteux qu’il y ait 1000 espèces phanérogames sur toute la surface du désert : seule, la flore polaire (800 espèces) peut lui être comparée, encore convient-il d’ajouter que les mousses et les lichens, qui existent à peine au désert, prennent une importance énorme, comme nombre d’individus et comme nombre d’espèces, dans les toundras du Nord. Dès qu’on arrive à des régions plus normales, le nombre des espèces s’accroît considérablement : le domaine méditerranéen, dont l’étendue[156] est moindre que celle du désert compte environ 7000 phanérogames ; il y en a 3000 en Algérie, dont près de 1500 se trouvent, dans un rayon de quelques kilomètres, autour de Constantine. En France (4500 espèces), il est peu de cantons, même dans les régions les plus homogènes, dont le catalogue n’énumère 7 à 800 espèces, à peu près autant que dans tout le Sahara.

Cette flore est d’ailleurs encore assez mal connue ; les ouvrages des botanistes français se réduisent à peu près, pour le Sahara proprement dit, à : Cosson, in Duveyrier, Les Touaregs du Nord, 1864, p. 148-216[112] ; — Battandier, Résultats botaniques de la mission Flamand, in Bull. Soc. Bot. de France, XLVII, 1900, p. 441 ; — Plantes du Hoggar, récoltées par M. le Prof. Chudeau en 1905, in Bull. Soc. Bot. de France, LIV, 1907, p. XIII-XXXIV ; — Bonnet, in Foureau, Documents scientifiques de la Mission Saharienne, 1905, I, pp. 401-413 (la plupart des plantes proviennent du Soudan) ; — Abbé Chevalier, Notes sur la flore du Sahara, in Bull. de l’herbier Boissier, II, 3, 1903, p. 669-684 et p. 756-779 ; — II, 5, 1905, p. 440-444 ; — Ascherson, in Rohlf, Kufra, 1881, p. 386-559, donne plusieurs listes de plantes recueillies au sud de la Tripolitaine. La liste bibliographique assez étendue qui se trouve p. 407-408 dans le même ouvrage, sera facile à compléter avec les indications de Schimper, Plant Geography upon a physiological basis, 1903, p. 649-650.

Malgré l’homogénéité de la flore saharienne, il semble que les arbres permettent, à première vue tout au moins, d’y distinguer trois régions. Le talah qui, d’ailleurs vers le sud, atteint la zone soudanaise, semble se rencontrer partout, de la Mauritanie à l’Arabie ; quoique plus fréquent dans le Sahara méridional, on le connaît cependant avec certitude dans le Sud tunisien. Les tamarix qui viennent du nord, traversent eux aussi tout le désert ; on les retrouve dans la région du Tchad ; ce n’est cependant que jusqu’à l’Ahaggar qu’ils sont fréquents, la région littorale mise à part, bien entendu.

La plupart des autres arbres ou arbustes sont plus étroitement localisés. Le betoum (Pistacia atlantica Desf.), arbre des plateaux algériens, se rencontre encore, entre Laghouat et le M’zab, dans la région des Daya ; il pénètre à peine dans le désert. Un peuplier à feuilles coriaces et persistantes, dernier représentant d’un groupe qui a été fort abondant dans le tertiaire européen, le Populus Euphratica Ol. se trouve encore en quelques points du domaine[157] méditerranéen (bords de l’Euphrate, Palestine, Constantine, etc.) ; on le connaît jusqu’au Tadmaït.

Quelques genêts (Retama Retem Webb., par exemple) qui se rattachent à des formes de la flore de la Méditerranée, jouent un grand rôle dans le Sahara algérien ; on les trouve dans le Grand Erg et ils se continuent dans l’Iguidi ; plus au sud, ils disparaissent.

Ces quelques exemples suffisent à expliquer pourquoi les botanistes qui ont étudié le nord du désert ont été amenés à dire que, « au point de vue de la composition de sa flore[113], le Sahara est actuellement une dépendance de la Méditerranée[114] ».

Le teborak (Balanites Ægyptiaca Del.), l’irak (Salvadora persica L.), l’asabai (Leptadenia Spartum Wight) et quelques autres, tous communs dans la zone sahélienne, remontent plus ou moins haut vers le nord ; ils s’arrêtent presque tous au tassili des Azdjer ou au Tidikelt. Ils permettraient d’affirmer, si on ne considérait qu’eux seuls, que dans sa partie méridionale, le Sahara est une dépendance du Soudan. On est donc amené par la considération des plantes en quelque sorte étrangères au désert, des plantes immigrées, à distinguer dans le Sahara deux zones, l’une algérienne au nord, l’autre soudanaise au sud.

La ligne qui les sépare vers le 26° Lat. N. du Tidikelt, se relève un peu vers l’est, contrairement à ce que l’on observe pour les limites des zones méridionales. Cosson[115] avait déjà fait remarquer que le Cucifera thebaïca qui remonte jusqu’au 29° Lat., en Égypte n’est noté par Barth que jusqu’au 21° Lat. ; le Cassia obovata (le séné) atteint le 30° Lat. au Caire et seulement le 25° Lat. à R’ât ; dans le sud de l’Ahnet, 24°,30′ Lat., il est commun.

En plein centre du Sahara, l’Ahaggar doit à sa haute altitude de former une région probablement très distincte. Quelques plantes, comme le câprier (Capparis spinosa L.), le tataït (Deverra fallax Batt.), un arbre à port d’olivier, l’oléou, encore indéterminé, et quelques autres ne se rencontrent qu’au-dessus de 1000 mètres. Un sedra, voisin du petit jujubier d’Algérie, le Zizyphus Saharæ Batt., paraît confiné dans l’Ahaggar et l’Adr’ar’ des Ifor’as. Quelques rosettes de larges feuilles, rappelant les grandes sauges d’Algérie, indiquent que, au cœur de l’Ahaggar, il y a quelques ruisseaux[158] permanents et des conditions climatiques plus voisines de celles du Tell.

Ces apparitions de plantes nouvelles ne sont pas le seul fait à noter ; l’asabai, le teborak, le korounka, l’irak, si abondants dans les contreforts de l’Ahaggar, deviennent rares ou disparaissent à une altitude plus élevée ; le froid probablement les arrête. Voinot mentionne expressément l’absence de pâturages à chameaux sur la Coudia, au voisinage d’Idélès, et l’aspect très particulier de la végétation.

D’après les renseignements de Duveyrier, et les recherches anatomiques de Tristam, Grisebach[116] a supposé que la Coudia portait deux ceintures de forêts dont la plus élevée serait une forêt de conifères. Il n’y a certainement pas de forêts sur l’Ahaggar ; il ne peut être question que de quelques bouquets d’arbres isolés comme dans le reste du désert : Motylinski est très affirmatif sur ce point et signale expressément la rareté des arbres, presque leur absence sur le haut plateau (cf. p. 30).

Les deux faits qui permettaient de croire à l’existence de conifères dans l’Ahaggar sont d’abord la présence affirmée à Duveyrier d’un arbre portant le nom d’arrar qui, en Algérie, s’applique à un thuya (Callitris articulata Desf.) et à un genévrier (Juniperus phœnicea L.), puis l’examen anatomique de quelques ustensiles en bois achetés à des Touaregs. Ces ustensiles étaient bien en bois de conifères ; il est impossible que Tristam se soit trompé sur ce point, mais la provenance exacte du bois est évidemment douteuse. L’absence des conifères en Afrique, la Barbarie et l’Abyssinie mises à part, donnerait à la confirmation de l’existence d’un genévrier sur la Coudia une grande importance.

Motylinski cependant ne mentionne rien de semblable et sa profonde connaissance du Sahara lui aurait bien probablement fait remarquer, s’il en avait vu, des formes végétales aussi tranchées.

Malgré le peu de précision de ces renseignements, on a l’impression très nette que l’Ahaggar s’écarte par un assez grand nombre de traits du reste du Sahara. Une exploration botanique sérieuse permettra seule de dire s’il doit être considéré comme une sous-région du désert, ou s’il doit former une province botanique plus autonome. Il suffit pour le moment d’attirer l’attention sur ce point.

Si nous revenons maintenant à l’ensemble du Sahara, je crois qu’il est impossible d’en faire une dépendance soit de la Méditerranée,[159] soit du Soudan. A côté de quelques plantes émigrées, et qui se rattachent aux domaines voisins, il existe toute une série de formes absolument spéciales au désert, et qui manquent à l’Afrique mineure comme au Soudan. Un très grand nombre sont vivaces ; beaucoup ont un aspect sec et rigide très particulier ; d’autres ont les tiges et les feuilles épaisses et sont des plantes grasses.

Beaucoup d’espèces et même beaucoup de genres sont spéciaux au désert et tout indique pour cette flore, à cachet si particulier, une ancienneté très reculée. Même, pour Schirmer, son existence serait la meilleure preuve de l’antiquité du Sahara. Mais comme l’a fait observer M. Battandier[117], cela prouve tout simplement que depuis fort longtemps il existait en Afrique des pays où ces plantes spéciales pouvaient vivre : elles ont pu habiter antérieurement la zone des ergs morts (cf. chap. VI, fig. 69) et émigrer en même temps que le désert lui-même ; il ne semble plus possible de douter qu’au début du quaternaire le Sahara ait été un pays relativement humide, trop humide certainement pour que les plantes qui l’occupent actuellement, aient pu y vivre : la concurrence vitale les aurait eu vite éliminées.

Dans les trois subdivisions botaniques du Sahara que nous venons de chercher à définir, il reste à préciser quelles sont les stations habituelles des plantes et quel est l’aspect de la végétation du pays.

Pour le Sahara algérien, les observations précises de Massart donnent toutes les indications nécessaires. Un premier point est mis en évidence : aux confins de l’Algérie, « le désert n’est pas vide, il est seulement monotone. C’est son uniformité qui donne à la flore saharienne son caractère propre » (p. 227). Dans les dunes du Souf, en quatre jours de marche, 27 espèces différentes seulement ont pu être notées : les dunes sont une des parties riches du désert.

Les stations du Sahara algérien sont en relation immédiate avec la nature du sol ; les caractères édaphiques sont très nets. On peut distinguer trois types principaux : les terrains salés, les dunes et les hammadas.

Dans les chotts et les sebkhas, lorsque le sel est trop abondant, la végétation fait complètement défaut ; mais parfois, sur le sel, s’établissent des buttes de sable qui se couvrent de végétation : à la base, tout contre le sel, des salsolacées à feuilles charnues (Suæda, Halocnemum etc.) ; un peu plus haut, un arbuste tout couvert de sécrétions salines, le zeita (Limoniastrum Guyonianum Coss. et Dur.), que ses[160] fleurs roses font reconnaître de loin, enfin tout au sommet de la butte, lorsqu’elle atteint quelques mètres, des tamarix.

Sur les sols argileux moins salés, domine le guétaf (Atriplex halimus L.), parfois l’harmel (Peganum harmala L.).

La localisation si précise de ces végétaux est déterminée par de bien faibles variations dans la salure et l’humidité du sol : chaque espèce reste strictement cantonnée dans sa zone. Lorsque les conditions de milieu ne varient pas, une seule espèce se développe : souvent au Sahara on marche quelques heures au milieu d’un pâturage, où une seule espèce de plante a pu pousser.

Dans le désert pierreux, sur les hammadas, qui, au Sahara algérien, sont calcaires, dominent de petits arbrisseaux à feuilles et à tiges velues. La végétation y est très clairsemée, très rabougrie ; son revêtement pileux lui donne la teinte grise des rochers sur lesquels elle pousse. A peu près seuls, le câprier (Capparis spinosa L.), d’ailleurs assez rare, et une ombellifère très commune au M’zab, le Deverra chlorantha Coss. et Dur., sont glabres ; la seconde est à peine verte ; quant au câprier, ses feuilles arrondies, de 4 à 5 centimètres de diamètre, le séparent nettement de presque toutes les plantes sahariennes dont les organes foliaires sont en général très réduits.

Les dunes sont les parties les plus riches du désert ; cette richesse est d’ailleurs toute relative et le botaniste n’y fait que de maigres récoltes. La plante peut-être la plus répandue dans l’erg est probablement le « drinn » (Aristida pungens P. B.) une graminée qui forme le fond de pâturages excellents. A part quelques différences dans l’inflorescence, le drinn rappelle assez bien l’oyat (Ammophila arenaria Rœm.) qui se trouve sur toutes les dunes maritimes de l’Europe, qu’il contribue à fixer : ces deux graminées poussent par touffes isolées, avec des feuilles assez serrées, raides et piquantes et d’un ton un peu glauque.

Les arbrisseaux sont représentés par des légumineuses dont les rameaux sans feuilles simulent le genêt d’Espagne ; l’une des plus répandues, le r’tem (Retama Retem Webb.) est couvert en mars et en avril de belles fleurs blanches ; l’alenda (Ephedra alata) et le harta (Calligonum comosum L’Her.), également dépourvus de feuilles, sont fréquents aussi dans l’erg.

Dans le Sahara arabe, où dominent les ergs presque toujours couverts de pâturages, il est rare que la végétation fasse longtemps défaut ; il n’y a pas, à proprement parler, de tanezrouft.

Au contraire, d’une manière générale, au Sahara touareg, de même que dans le nord de l’Adr’ar’ des Ifor’as et de l’Aïr, la végétation,[161] quand elle existe, est limitée aux oueds. Dans la pénéplaine cristalline, comme dans le Tiniri, cette limitation est stricte : quelques touffes d’arbrisseaux desséchés suffisent presque à prouver un thalweg ; dans l’Ahaggar, lorsque l’on examine d’un point élevé une région étendue, le réseau hydrographique est nettement dessiné par la végétation qui y est moins clairsemée que sur les collines voisines ; dans les petits oueds, dominent des stipées dont les panaches murs simulent un ruban de soie blanche ; dans les oueds plus larges, la végétation plus variée donne des tons le plus souvent d’un vert glauque, avec quelques taches vert franc.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XVII.

33. — 1. Mentha sylvestris L. (Demi-grandeur.)

d, forme saharienne.

t, forme des environs de Paris.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XVIII.

34. — 2. Veronica Anagallis L. — 3. Cynodon Dactylon Pers. (Demi-grandeur.)

d, forme saharienne.

t, forme des environs de Paris.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XIX.

Cliché Posth

35. — ZONE SAHELIENNE.

Une prairie de “ Kram-Kram ”, au nord de l’Adr’ar’ de Tahoua.

Cliché Pasquier

36. — UNE MARE CHEZ LES OULIMMINDEN.

A l’est de Gao.

J’ai déjà indiqué la disposition en chapelets de la plupart des vallées qui descendent de la Coudia ; en aval de chaque barrage, l’eau est loin de la surface et l’on n’y trouve guère que quelques talah et iatil, avec quelques touffes de mrokba ; à mesure que l’on s’approche du seuil inférieur, la nappe aquifère est moins profonde ; le Calotropis, puis plus bas encore le teborak (Balanites) se montrent d’une façon assez régulière. Les tamarix ne poussent non plus que dans les endroits humides, où ils forment parfois des fourrés assez épais (Abalessa, tin Gellet, oued Zazir à 500 mètres en amont du point d’eau). Ils manquent dans certains oueds ; peut-être la teneur en sel n’est-elle pas étrangère à leur répartition. Le guétaf les accompagne et forme le fond des pâturages.

Parfois un seuil est très étroit et la différence de niveau entre deux barrages successifs est suffisante pour que l’eau afflue constamment à la surface ; la végétation devient alors fort belle. J’ai noté, au point d’eau de l’oued Zazir, des typhas, des joncs, des scirpes, épilobe, menthe, véronique et de nombreuses graminées, avec quelques beaux arbres.

Dans certaines vallées larges de l’Ahaggar, il existe un lit mineur bordé de berges d’alluvions hautes parfois de 1 mètre ; les arbres et le mrokba sont localisés dans ce lit mineur ; le lit majeur est couvert de diss formant une véritable prairie, assez comparable aux prés bas des vallées d’alluvion de France (fig. 64).

La photographie (Pl. IV, 7) prise près d’In Amdjel donne une idée nette de cet aspect.

D’ailleurs le mot de prairie ne convient pas exactement aux formations de l’Ahaggar. En géographie botanique, les prairies sont caractérisées par un tapis végétal continu où dominent les graminées à feuilles molles ; le diss du massif touareg ne contient que des graminées à feuilles raides et dures, parmi lesquelles domine l’Eragrostis cynosuroïdes Retz. A cause de sa végétation sclérophylle, il[162] vaudrait peut-être mieux dire la steppe, bien que les graminées ne poussent pas par touffes et forment un véritable gazon.

Les coulées basaltiques sont partout des réserves d’eau importantes ; en général, à leur contact avec les terrains imperméables il s’établit une riche végétation de plantes hygrophiles, parfois à larges feuilles. J’ai noté près de Tit, au pied de la coulée qui couronne le plateau où se trouvent les belles tombes représentées dans le premier volume [p. 72, fig. 2, a] de grandes bourraches, à près de vingt mètres au dessus de l’oued.

Avec sa végétation variée, l’Ahaggar n’est qu’un demi-désert.

On en peut dire autant des tassili : la surface des plateaux est en général très dénudée, mais il suffit d’une cuvette en contre-bas de quelques mètres pour que quelques plantes s’y montrent ; les cañons qui découpent les tassili contiennent tous, dans leur fond, des pâturages assez variés et souvent riches ; mais leurs parois sont peu garnies ; elles portent à peine autant de plantes que celles des Causses ; à première vue on se croirait dans une région de plateaux calcaires, bien plutôt que dans des grès, qui par leur perméabilité retiennent facilement l’humidité et, dans nos climats, sont habituellement plus fertiles.

Fig. 64. — Contreforts méridionaux de l’Ahaggar vus des oueds Tilenfeda (une journée à l’ouest de l’Arigan).

A gauche, gazon de diss (Eragrostis) avec quelques talah. A droite, quelques teborak auprès du filon de porphyre qui barre partiellement la vallée. Dans le lit de l’oued, quelques touffes très rares de mrokba. Si, au lieu d’arbustes, il y avait des arbres, ce serait une végétation de parc.

Quant aux tanezrouft, leur caractère propre est la stérilité ; on n’y trouve rien, si ce n’est, de loin en loin, quelques talah et quelques herbes rabougries dans le lit d’un oued. L’oued Takamat qui avait coulé en 1898, sept ans avant notre passage, contenait encore un maigre pâturage.

Le plus souvent, pour traverser ces régions déshéritées, il faut[163] emporter des fourrages pour les chameaux et un peu de bois pour la cuisine.

Les adaptations. — Au Sahara, les végétaux n’ont guère à lutter que contre un seul ennemi, la sécheresse.

Ils y arrivent par de multiples procédés ; l’un des plus simples est purement physiologique : la plante, au lieu de s’astreindre à lutter péniblement contre la sécheresse, a pris le parti de vivre vite : profitant de la moindre averse, la graine germe rapidement, les fleurs s’épanouissent de suite et de nouvelles graines arrivent à maturité avant que le sol ait perdu ses dernières traces d’humidité.

Un certain nombre de plantes annuelles sont dans ce cas ; elles poussent partout, même en plein tanezrouft, au hasard d’un orage, et ne fournissent aucun caractère de zone botanique ; elles sont « hygrophiles » et leur structure anatomique est celle des plantes de nos climats.

Elles sont souvent en pleines fleurs avant que leurs cotylédons soient flétris. Cette végétation éphémére d’acheb et de n’si[118] ne semble guère varier de l’Algérie au Soudan ; dans l’Adr’ar’ des Ifor’as comme dans l’Aïr, on retrouve les mêmes espèces, ou tout au moins des formes très voisines, avec des dimensions plus grandes ; sauf les graminées, toutes ces plantes rampent sur le sol (elles n’ont pas le temps de lignifier leurs tissus) ; mais les cercles qu’elles couvrent de leurs rameaux, portant fleurs et fruits, varient de quelques centimètres de rayon, lorsque la pluie a été médiocre, à 1 m. 50 et plus lorsque l’humidité ne fait pas défaut. Ce sont des plantes éphémères, dont la vie ne dure que quelques semaines.

On peut rattacher à ce mode d’adaptation, le raccourcissement de la vie, l’exemple du Malcolmia Ægyptiaca Spr. et de l’Echinopsilon muricatum Moq. qui, habituellement vivaces dans le bassin de la Méditerranée, deviennent annuels dans les dunes du Souf (Massart).

On peut encore en rapprocher, comme dépendant immédiatement de la pluie, un petit nombre de plantes grasses telles que l’Aizoon canariense L., divers Mesembryanthemum, qui excellent à emmagasiner dans leurs tissus l’eau d’une averse, mais qui meurent dès que leurs réserves, qu’elles ne savent ou ne peuvent pas entretenir, sont épuisées.

Plus nombreuses et plus caractéristiques sont les plantes dont la[164] vie dépend des eaux souterraines[119]. Leurs racines s’enfoncent profondément dans le sol ; Volkens a souvent essayé d’arracher, avec toutes leurs racines, quelques plantes du Sahara ; il a toujours échoué même pour des herbes dont il suivait les racines à 1 ou 2 mètres de profondeur : un petit spécimen de Calligonum comosum L’Her. à peine haut comme la main avait, à 1 m. 50 de profondeur, des racines encore grosses comme le doigt. Lorsque l’on a creusé le canal de Suez, on a trouvé, dans le lit du canal, des racines qui provenaient d’arbres situés sur des mamelons assez éloignés des travaux.

Quelques plantes, comme la coloquinte, ne semblent avoir d’autre adaptation que le développement énorme de leur appareil souterrain.

La structure anatomique des plantes sahariennes présente un grand nombre de caractères de convergence, qui leur imprime à toutes un aspect analogue : le plus souvent, elle se présentent sous forme de touffes ligneuses que la sécheresse réduit à l’état de squelettes grisâtres. Ce sont des momies toujours prêtes à la résurrection et qui peuvent attendre fort longtemps le retour de l’humidité : sitôt après les pluies, après les crues ou un afflux d’eau souterrain, elles se couvrent rapidement de rameaux verts, en général succulents. Leurs puissantes racines, dont les vaisseaux sont relativement fort larges, leur permettent de profiter sans délais de la moindre humidité, en même temps qu’elles les fixent solidement au sol et empêchent le vent de les en arracher (Pl. XXIII).

Dans les parties aériennes, au contraire, les vaisseaux sont étroits ; tout l’épiderme, celui de la tige, comme celui des feuilles, est organisé pour restreindre l’évaporation ; il présente partout le même aspect ; le dessus et le dessous des feuilles sont souvent identiques. Cet épiderme est fréquemment revêtu d’une cuticule épaisse, parfois d’un manteau pileux, protection contre les grains de sable charriés par le vent, protection surtout contre les pertes d’eau. Cette épaisseur de la cuticule, qui masque la coloration verte de la chlorophylle, donne aux plantes du désert une teinte vert-grisâtre toute spéciale.

L’épiderme est peu perméable, il est de plus aussi restreint que possible : beaucoup de plantes sont aphylles ; lorsque les feuilles existent, elles sont habituellement petites et souvent charnues de façon à avoir un gros volume sous une faible surface. Dans les graminées, les feuilles sont en gouttière ou complètement enroulées. Il[165] n’y a guère que la coloquinte et le calotropis qui fassent exception à la règle.

Cette réduction de l’appareil foliaire existe même chez les plantes qui poussent dans les points les plus humides du Sahara, chez celles qui croissent dans les seguias d’irrigation des ar’erem. On sait combien ces plantes semi-aquatiques sont en général cosmopolites ; quelques-unes, qui sont communes dans les régions tempérées, se retrouvent au Sahara, mais dans le désert, leur aspect, leur port, est devenu tout différent. M. G. Bonnier a bien voulu mettre à ma disposition quelques échantillons de l’herbier de France de la Sorbonne, provenant des environs de Paris, pour les comparer à ceux que j’avais recueillis au Sahara : les figures des planches XVII (phot. 33) et XVIII (phot. 34) suffiront à préciser les résultats de cet examen comparatif. Dans Mentha sylvestris L. de l’Ahaggar, qui est probablement cultivée[120], les feuilles sont un peu plus courtes et beaucoup plus étroites que dans l’exemplaire parisien. La réduction de l’appareil foliaire est encore plus marquée chez Veronica Anagallis L. Quant au vulgaire chiendent (Cynodon Dactylon Pers.), les feuilles, plus petites, sont plus serrées, plus rapprochées dans l’exemplaire africain, où elles forment une sorte de paquet ; elles sont surtout enroulées et repliées sur elles-mêmes de façon à restreindre la surface d’évaporation.

La coloration, la nuance du vert, dans ces trois espèces, diffèrent franchement entre les formes du désert et celles des régions tempérées. Malheureusement la photographie ne peut donner aucune idée de ce caractère différentiel qui est très général.

Ces divergences si manifestes ne peuvent être attribuées au manque d’eau : toute la partie inférieure de la véronique (Pl. XVIII, phot. 2d) était immergée dans une seguia et couverte de racines adventives, bien visibles sur la photographie ; c’est donc à la sécheresse de l’air, peut-être à l’intensité de la lumière, que les trois espèces figurées doivent leur aspect si particulier.

Les sucs d’un grand nombre de plantes du désert sont fortement salés et ceci est encore une défense contre la sécheresse, les solutions ayant une tension de vapeur inférieure à celle de l’eau pure. L’existence de ces plantes salées (guetaf, had, etc.) est très caractéristique de tous les déserts ; elles disparaissent dans la zone sahélienne et leur absence est très sensible à l’élevage du chameau : dans l’Adr’ar’ comme dans l’Aïr, les nomades ont reconnu depuis longtemps[166] la nécessité de donner de temps à autre du sel à leurs animaux, de la terre d’ara’ en général ; dans le Tegama, on leur fait faire des cures aux teguiddas et ceci n’est pas sans amener une certaine gêne : quand un chameau a absorbé, d’un seul coup, une forte dose de sel, il ne peut se remettre en route sans danger ; il lui faut quelques semaines de repos ; cette observation des indigènes semble confirmée par la pratique du peloton monté de Zinder qui a toujours perdu des animaux après ses passages aux teguidda.

On a souvent fait ressortir d’assez grandes analogies d’aspect entre les plantes du désert et celles du littoral maritime : elles ont à lutter contre les mêmes facteurs : la fréquence du vent est un trait commun aux deux milieux ; le danger de la sécheresse est aussi redoutable aux bords de la mer qu’au Sahara : les plantes ne peuvent supporter qu’une dose limitée de sels ; au-dessus d’une certaine concentration, leurs sucs deviennent pour elles un poison.

Les plantes grasses. — Bien que, au Sahara, les espèces à feuilles et à tiges épaisses et charnues soient fréquentes, les plantes grasses les plus typiques, à forme de cactus, semblent exclues du désert.

Les agaves se sont fort bien acclimatés en Algérie où ils ont maintenant toutes les allures de végétaux indigènes ; les figuiers de Barbarie (Opuntia Cactus Indica) à cause de leurs fruits et surtout de la cochenille, dont ils sont le support habituel, ont été répandus, il y a quelques siècles, dans tout le bassin de la Méditerranée et aux Canaries ; ils y viennent fort bien, et se multiplient d’eux-mêmes comme une plante spontanée ; ils poussent aussi au Sénégal où ils ont assez chétive mine. Ni le figuier ni l’agave n’ont pénétré au Sahara.

Ce n’est que dans la zone sahélienne que des formes analogues se rencontrent ; dès l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’Aïr, deux asclépiadées cactoïdes sont assez communes. La plus remarquable, le Boucerozia tombuctuensis (A. Chev.), passe pour un poison violent ; elle pousse en touffes hautes parfois de 1 mètre, avec des tiges épaisses à section carrée, presqu’ailées, vert pâle, parfois violacées. Les fleurs forment des boules compactes, d’une dizaine de centimètres de diamètre, d’un noir pourpre et à odeur de charogne bien marquée. Le Boucerozia paraît commun dans tout le nord de la zone sahélienne, depuis le littoral mauritanien jusqu’au Koutous. Une espèce très voisine, probablement une simple race géographique, est connue en Oranie. Le Boucerozia fait donc le tour du Sahara, mais n’y pénètre nulle part, malgré ses graines que le vent transporte facilement.

Une autre asclépiadiée de même port, mais plus petite et à tige ronde, se trouve dans les mêmes régions ; elle est comestible et les[167] nomades la recherchent au commencement de la saison des pluies ; dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, comme en Mauritanie, elle porte le nom d’« Abouila ». Il m’a été jusqu’à présent impossible de la trouver en fleurs ou en fruits et par suite de la déterminer.

Au Maroc, comme au Sénégal et à Koulikoro, on trouve quelques euphorbes cactoïdes ; aucune d’entre elles ne pénètre au Sahara. On a cité une forme de ce groupe (E. crassa) à Rio de Oro où elle a pu être plantée ; je ne crois pas qu’il en existe sur le littoral de Mauritanie, du moins entre Saint-Louis et le cap Blanc.

Les plantes grasses ne se contentent pas d’emmagasiner l’eau, comme le fait une outre ; elles la conservent combinée chimiquement à divers produits organiques, tout au moins comme eau d’hydratation. Cette combinaison exige une assez grande dépense d’énergie qui suppose des périodes végétatives de quelque durée. Il est probable que, au Sahara, les conditions de la vie sont trop dures, et que le travail capable de donner naissance à de grands organismes, comme les Cereus mexicains, est impossible.

En tout cas, l’absence de ces formes de cactus au Sahara, leur peu d’importance dans la zone sahélienne contrastent singulièrement avec ce que l’on connaît des déserts du Sud africain et des déserts du Nouveau Monde où elles sont un des traits essentiels du paysage. Cela peut inspirer aussi quelques inquiétudes sur la réussite des figuiers de Barbarie que l’on a cherché à introduire en quelques points, en Aïr notamment. Peut-être, cependant, réussiront-ils à Agadez qui est dans la zone sahélienne.

Lianes. — Un fait assez surprenant est la présence au Sahara de lianes, type végétal qui caractérise habituellement les formations forestières. Les exemples les plus nets sont fournis par le Dœmia cordata R. Br., le Salvadora persica L. et quelques autres plantes dont les rameaux s’enroulent fréquemment les uns autour des autres ; peut-être la coloquinte, avec ses longues tiges rampantes et ses vrilles, doit-elle être rattachée à la même catégorie. On sait, depuis Schenk, qu’il y a parmi les lianes un certain nombre d’espèces qui sont en train de s’adapter à un nouveau mode d’existence et qui vivent dans un milieu découvert. Ces lianes, en régression, se trouvent surtout au voisinage de la forêt ou tout au moins de la galerie forestière, et l’on en peut conclure probablement que ces galeries, dont on trouve des traces jusque dans l’Aïr et l’Adr’ar’, se sont étendues naguère à travers le Sahara le long des oueds, lorsqu’ils étaient vivants. Ceci aiderait à comprendre la distribution de certains végétaux ; une véritable liane, le Cocculus Leæba D. C., une des formes les plus essentielles[168] de la zone sahélienne et du bassin du Nil, se retrouve dans le Tidikelt. On ne voit guère comment elle aurait pu y parvenir dans l’état actuel des choses.

Les graines. — Le mode de dissémination des plantes au Sahara mérite quelques remarques. Les plantes à fruit charnu ont habituellement leurs semences répandues par les oiseaux frugivores ; à part quelques vautours, il y a peu d’oiseaux au Sahara ; aussi les fruits comestibles sont-ils rares ; le Balanites ægyptiaca, le Salvadora persica ne se rencontrent guère que par hasard en dehors de la zone sahélienne ou de l’Ahaggar ; pratiquement ils font défaut dans le vrai désert.

Dans les pays où les mammifères sont abondants, nombre de végétaux ont des fruits accrochants qui se fixent à la fourrure des herbivores et sont disséminés par eux sur de larges surfaces. Il y a peu de mammifères au Sahara, partant peu de plantes qui usent de ce mode de transport et ceci nous fournit une bonne limite pour le désert ; dès que, remontant vers le nord, on arrive à la lisière des hauts plateaux, on constate qu’une infinité de graines se fixent après les vêtements ; au réveil, on trouve, accrochés à ses couvertures, des fruits d’ægilops, de daucus, de luzerne. Pareil ennui est inconnu au Sahara. Vers le sud, les choses sont tout aussi nettes ; aussitôt qu’on aborde la zone sahélienne les graines accrochantes se multiplient. La plus célèbre, et la plus odieuse aussi, est l’insupportable kram-kram des Européens, l’ouedja des Touaregs, le karenguia des Bambaras, l’initi des Maures : cette graminée (Cenchrus echinatus L., du moins dans la région de Tombouctou et en Mauritanie) forme des champs entiers, immenses et dont la traversée à pied quand, après la saison des pluies les graines sont mûres, est difficile, douloureuse même. Il est impossible de camper dans une prairie de karenguia, et les rares points de la brousse, dans le Tegama notamment, où manque ce végétal désagréable, sont repérés avec soin et sont les points d’arrêt obligés des caravanes. Une pince qui permet d’arracher les piquants crochus du fruit des Cenchrus, qui, quoiqu’on fasse, se fixent dans la peau, fait toujours partie de la trousse chirurgicale que tout Touareg du sud porte sans cesse sur lui, au milieu de ses amulettes.

Au Sahara, le vent est certainement le seul agent important de dissémination des graines ; il est d’ailleurs un agent fort actif : le 18 septembre 1906, après un fort coup de vent d’est, en plein tanezrouft, nous avons été gênés par un vol de moustiques dont les larves sont, comme on sait, aquatiques : le point d’eau le plus proche, In Azaoua, était à dix heures de marche ; par temps calme, ces[169] agaçantes bestioles ne s’éloignent jamais de plus de quelques cents mètres de leur lieu de naissance. Les graines, qui ont la vie plus dure, doivent être entraînées plus loin.

Aussi la plupart des graines du Sahara sont-elles munies d’organes qui favorisent l’action du vent ; ce sont des graines anémophiles. Chez les stipées (drinn-n’si), une longue arête plumeuse, le plus souvent à triple branche, couronne la semence ; dans les tamarix comme chez les asclépiadées, une aigrette plumeuse est attachée à chaque graine. Dans les Cassia (séné) la gousse, très aplatie, donne une bonne prise au vent ; les plantes qui, à la maturité de leurs graines, se dessèchent complètement et se laissent rouler au moindre souffle, ne sont pas rares non plus : elles reproduisent le cas, plutôt un peu aberrant en France, du chardon rolland (Eryngium). Dans ce dernier groupe de formes où la plante entière est le jouet du vent, les capsules qui contiennent les graines restent souvent closes tant qu’elles sont sèches : la moindre pluie les fait ouvrir et les graines, bien protégées jusqu’au moment favorable où elles sont mises en liberté, germent sitôt échappées du fruit. Les exemples classiques de ces adaptations désertiques sont la main de Fatma (Anastatica hierochuntica, L.) et la rose de Jéricho (Asteriscus pygmæus, Coss.).

Quant aux champignons[121], des gastéromycètes surtout, qui semblent avoir en général une aire de répartition très vaste au Sahara, la petitesse de leurs spores, qui ont seulement quelques millièmes de millimètre de diamètre, explique leur facile dissémination.

Bien que a priori, la chose paraisse peu vraisemblable, il semble qu’il faille attribuer un certain rôle, dans la distribution des plantes, aux eaux courantes ; à chaque crue, des graines sont entraînées au loin et ceci explique probablement l’importance que les Touaregs attribuent à l’examen botanique dans la reconnaissance des oueds. Lorsque nous avons traversé le tanezrouft de Tin Azaoua à l’Ahaggar, la brume nous a obligés à marcher assez longtemps à la boussole ; arrivés à un thalweg qui, d’après la direction suivie, ne pouvait être que l’oued Endid ou l’oued Silet, nos guides, que le peu de transparence de l’air empêchait de voir les hauteurs qui leur auraient permis de se repérer au premier coup d’œil, nous ont affirmé que nous étions dans l’oued Silet parce qu’il y avait quelques irak (Salvadora persica). Plus en[170] amont du même oued, près de Tibegehin, ce bel arbuste forme presque une forêt ; il manque à Abalessa et dans l’oued Tit dont l’oued Endid n’est que la prolongation.

Défense contre les animaux. — On a souvent supposé que, au Sahara, la lutte devait être particulièrement dure et acharnée entre les végétaux et les herbivores ; il ne semble pas qu’elle présente un caractère d’acuité particulièrement grave ; si la végétation est très clairsemée au désert, les animaux y sont encore plus rares.

On a voulu voir dans les épines une défense efficace contre la dent des mammifères ; en réalité les plantes épineuses ne sont pas beaucoup plus abondantes au Sahara qu’ailleurs. Les épines sont, en tous cas, une bien mauvaise défense, et les chameaux mangent avec grand plaisir les jeunes rameaux du talah : ils prennent la branche un peu haut et la font passer entre leurs dents comme dans une filière ; toutes les feuilles sont arrachées et les épines, que cette manœuvre couche le long de l’écorce, deviennent sans danger.

Il n’y a guère que les plantes vénéneuses qui semblent bien défendues : elles sont parfois très abondantes dans les points où passent de nombreuses caravanes ; Massart a fait remarquer que, autour des villes du M’zab, l’harmel (Peganum harmala L.) prenait une ampleur inusitée : toutes les plantes comestibles qui poussent à côté de lui sont impitoyablement mangées par les chameaux, et ce « sarclage, » constamment renouvelé, lui assure une victoire facile : à lui seul, il couvre le sol. En quelques points de la zone sahélienne, l’Ipomæa asarifolia fournit peut-être un exemple analogue. Il est difficile de savoir jusqu’à quel point ce mode de protection est efficace : le Calotropis procera a la réputation d’être toxique ; à Iférouane les chèvres et les bœufs ne le mangent guère, surtout quand il est sec. Le Dœmia cordata, une asclépiadée, est brouté sans danger en Mauritanie par tous les chameaux ; dans l’erg, les Chaambas le redoutent. Y a-t-il, dans certaines régions, accoutumance des chameaux à quelques poisons ou bien les plantes, comme on en connaît quelques exemples authentiques, ont-elles modifié la nature chimique de leurs sécrétions ? Il est difficile de répondre.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XX.

Cliché Posth

37. — L’ÉTANG PERMANENT DE KEITA.

Adr’ar’ de Tahoua.

Cliché Posth

38. — L’ÉTANG PERMANENT DE KEITA.

Adr’ar’ de Tahoua.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXI.

Cliché Posth

39. — MARE D’HIVERNAGE DANS LA ZONE SAHELIENNE.

Au nord de l’Adr’ar’ de Tahoua.

Cliché Posth

40. — MARE D’HIVERNAGE DANS LA ZONE SAHELIENNE.

Sud du Tegama.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXII.

Cliché Chudeau

41. — VÉGÉTATION D’“ AFERNANE ” (Euphorbia balsaminifera Aït.).

Littoral de Mauritanie. — Tivourvourt (17° 40′ Lat. N.).

Cliché Chudeau

42. — PATURAGE D’“ ASKAF ” (Traganum nudatum Del.).

Littoral de Mauritanie. — Bir El Guerb (20° 30′ Lat. N.).

Les cultures. — Dans toutes les régions où les pluies tropicales tombent en quantité suffisante (500 mm.) pour permettre la culture régulière des plantes alimentaires, les villages sont nombreux et chacun d’eux est entouré d’une zone débroussaillée de 4 à 5 kilomètres de rayon où l’on sème les céréales. Les noirs, avaient sans doute remarqué, dès longtemps, l’appoint apporté par les légumineuses[171] à la fertilité du sol : en tout cas, dans le débroussaillement, ils épargnent souvent certains acacias. La limite de cette zone des cultures régulières coïncide avec la limite nord de la zone soudanaise.

Dans la région du Tchad, le Dagana est la dernière contrée dont la production agricole suffise à peu près à la vie des habitants ; ce Dagana est traversé par un bras du Bahr El Ghazal, l’oued Massakory, où les puits ne dépassent pas la profondeur de 3 mètres : tous les habitants du pays, 11000 Arabes plus ou moins métissés et à demi sédentaires, se sont groupés sur les deux rives de cet oued.

Plus à l’ouest, cette limite passe auprès du poste de Chirmalek ; autour de ce tout petit village, que nous avons cherché à reconstituer pour permettre à des fantassins d’aller sans trop de peine de Gouré au Tchad, les ruines de villages fortifiés sont nombreuses : depuis quelques années, les habitants ont émigré vers le sud. Je ne crois pas qu’il faille voir dans ce fait la preuve d’une péjoration du climat : à la limite de la zone soudanaise, la pluie n’est pas tous les ans suffisante pour assurer la récolte ; le mil y produit toujours moins que dans les pays mieux arrosés. Mais le sédentaire a besoin avant tout de sécurité ; pour se l’assurer, il ne recule pas devant un surcroît d’effort, soit en bâtissant sa demeure sur des rochers souvent peu accessibles, soit en se fixant dans des régions même peu hospitalières, mais éloignées des bandes de pillards : Rabah avait rendu intenables les états bornouans et ce n’est que depuis la destruction de sa puissance à Koussri, le 22 avril 1900, que les villages voisins de Chirmalek, situés trop au nord, ont été délaissés.

La culture essentielle de ces régions du nord du Soudan est celle du petit mil (Bechna) ; le gros mil ou sorgho (Gafouli) n’a d’importance que plus au sud.

Les procédés de culture sont très simples et très primitifs : lorsque le sol est sablonneux, ce qui est le cas le plus fréquent à cause de l’abondance des ergs morts (fig. 69), le cultivateur se sert d’une sorte de houe dont le manche très long lui évite la peine de se baisser ; à chaque pas, il laisse retomber son léger instrument, creusant un trou de quelques centimètres de profondeur ; l’aide qui le suit, un enfant ou une femme, y jette quelques graines qu’il enterre avec le pied. Parfois, lorsque le sol devient argileux et par suite un peu plus résistant, comme dans les alluvions des dallols du Tahoua, on a recours à une sorte de ratissoire dont la lame est en croissant. Quelque soit le mode de culture employé, les noirs évitent avec le plus grand zèle toute possibilité de surmenage. J’ai traversé l’Adr’ar’[172] de Tahoua à l’époque des semis, en juin 1906. Dès la pointe du jour, vers six heures, on attend que le soleil ait acquis un peu de force ; il ne sied pas de travailler quand il fait froid. A sept heures, on se met à l’œuvre ; à huit heures du matin, le soleil est déjà haut, tout le monde cherche l’ombre d’un arbre pour faire la sieste qui dure jusque vers cinq heures du soir. A six heures, le jour tombe et il faut songer à rentrer dîner. A l’époque la plus chargée de l’année, maîtres et serviteurs travaillent à peu près deux heures par jour.

Lorsque le mil commence à lever, on fait un vague sarclage ; lorsque la céréale a pris un peu de force, elle pousse très vite et étouffe toute mauvaise herbe : il n’y a plus rien à faire.

Malgré le peu de soins apportés à cette culture, le rendement est superbe ; les diverses variétés de mil, lorsque les conditions sont favorables, donnent une vingtaine de tiges fertiles et rapportent jusqu’à quatre cents fois la semence. Avec nos procédés les plus scientifiquement étudiés, nous sommes très loin, pour le blé, d’une pareille multiplication.

Quoique le produit soit fort abondant, la moisson n’est pas trop pénible : en septembre et en octobre, on récolte chaque jour les épis les plus mûrs ; le gros travail, découpé en une soixantaine de petites tranches, est aisé à supporter.

La fréquence des termites oblige, pour conserver le grain, à quelques précautions : les épis, lorsqu’ils sont secs, sont placés dans de grands récipients, les « canaris », construits parfois en terre comme ceux que montre la planche XXVII. C’est un modèle assez répandu au Soudan, avec quelques variantes dans la forme : au Koutous par exemple, les « canaris » sont beaucoup plus petits ; leur plus grand diamètre, vers le sommet, ne dépasse pas 1 mètre ; leur hauteur est à peine de 2 mètres ; ils ressemblent à de gigantesques creusets de chimiste.

Souvent la matière employée change, et le grenier à mil est construit en nattes et en paillassons. C’est alors un grand panier facile à transporter quand le village se déplace. Ses parois seraient un obstacle facile à traverser pour les termites ; force est de l’éloigner du sol avec quelques branches et quelques grosses pierres qu’il faut balayer souvent pour empêcher l’ennemi d’y construire ses galeries.

Les silos sont quelquefois employés pour conserver les céréales, dans les régions où il n’y a pas de termites (Tchad) ; ils sont utilisés aussi plus au sud pour conserver les fruits de karité, mais ces fruits fermentent vite et l’atmosphère d’acide carbonique qu’ils créent autour d’eux leur est une défense suffisante : tous les insectes avec[173] leur riche appareil respiratoire sont particulièrement sensibles à l’asphyxie.

Cette culture du mil suffit largement à l’alimentation des états haoussa et bornouan ; elle permet même une assez large exportation vers le nord et l’on connaît, depuis Barth, l’importance du Damergou par l’alimentation d’Agadez et de l’Aïr. C’est une question qui sera précisée un peu plus loin (chap. VIII).

Au mil s’ajoutent presque partout quelques cultures accessoires : une sorte de haricot, le niébé (Vigna Catjang, Walp.) craint peu la sécheresse ; dans le Kanem, qui appartient à la zone sahélienne, on sème toujours du niébé avec le mil ; si la pluie est peu abondante le mil qui, les meilleures années, produit quatre ou cinq fois moins que plus au sud, ne donne rien, mais le niébé assure toujours une maigre récolte. Sa culture est aussi assez développée au Koutous.

Une médiocre variété de coton, à soie trop courte, mais cependant résistante, est très répandue dans tous les villages : j’en ai vu de forts beaux champs près de N’Guigmi et dans le Koutous ; un peu plus au sud, il en existe partout.

On a essayé l’introduction de variétés américaines : en 1906, une centaine de tonnes de ce produit meilleur a pu être expédiée en France ; c’était déjà un échantillon sérieux ; en 1907, de plus grandes surfaces ont été ensemencées ; Mademba, le fama, le roi de Sansanding, s’est particulièrement signalé par le zèle qu’il a montré dans ses tentatives : il a fait, presque en grand, la culture du coton.

Quelques difficultés, malheureusement, se sont présentées ; le coton indigène coûte, sur les marchés nègres, un prix élevé, plus élevé qu’on ne peut, paraît-il, payer les cotons américains destinés à l’exportation. Cette différence de prix, jointe à la routine chère à tous les paysans, explique le peu d’empressement qu’a rencontré la nouvelle culture.

Ce n’est qu’au voisinage de quelques centres, et pour faire plaisir aux administrateurs, que l’on a apporté un peu de soin à cette nouvelle culture.

Les maladies cryptogamiques ont causé dans les plantations de coton américain des ravages plus importants que dans les champs de coton indigène ; il semble assez facile de les éviter : le développement des champignons est lié à la pluie et il est douteux qu’ils soient à craindre dans les parties sèches du Sahel, au voisinage du Niger, entre Mopti et Tosaye, où les facilités d’irrigation assureraient la venue du précieux textile qui a surtout à craindre les années trop pluvieuses ou les sécheresses prématurées. M. Esnault Pelterie[174] [Assoc. Cotonnière, séance du 17 mars 1908] croit pouvoir assurer que si, comme en Égypte, on pouvait avoir recours à une irrigation rationnelle, la production serait au moins doublée.

Il ne faut pas d’ailleurs croire que ces essais puissent aboutir rapidement ; les États-Unis, qui fournissent actuellement au monde 75 p. 100 de la matière première, ont dû faire des écoles pendant cinquante ans (1734-1792) avait de pouvoir exporter 70 tonnes de coton ; en Égypte, les expériences ont duré vingt ans. L’Afrique occidentale anglaise vient de dépenser, en cinq ans, plus de 6 millions à des cultures expérimentales sur le coton ; en Afrique occidentale française, beaucoup plus vaste, on a dépensé à peine 1 million dans la même période. Il semble d’ailleurs que, partout en Afrique, on a été amené à renoncer aux variétés américaines et que l’on a enfin reconnu que la méthode plus longue de la sélection des espèces indigènes donnait des résultats meilleurs et plus certains. La pratique des éleveurs et des cultivateurs de tous les pays a toujours montré la supériorité de la méthode de sélection, et il est vraiment curieux que l’on hésite toujours à l’appliquer. On ne s’y résout que lorsque l’acclimatation a échoué.

Cultures irriguées. — A ces cultures de la zone riche du Soudan, succède la culture par irrigation, la seule qui ait quelque importance au Sahara et au Sahel. On en peut distinguer deux types.

I. Irrigations naturelles. — De Mopti à Ansongo (800 kilom.), le Niger traverse une région où les pluies sont rares ; mais, en amont de Tosaye surtout, à la faveur du manque de relief, le fleuve déborde chaque année largement et les terrains qu’il inonde, irrigués naturellement, se prêtent admirablement à la culture. Il est bien vrai, comme le fait observer Schirmer [Le Sahara, p. 411], que les parties riches se bornent aux bas-fonds périodiquement envahis par la crue, mais leur surface est considérable ; il y a plus de 800 kilomètres de Mopti à Ansongo, et aux rives immédiates du Niger on doit ajouter la région des lacs voisins de Tombouctou.

Malheureusement si les bords du fleuve sont régulièrement inondés, ce n’est que par les fortes crues que l’eau atteint le Faguibine et les dépressions voisines.

Depuis 1894, le Niger n’est pas monté assez haut pour irriguer les Daounas, et ce n’est que jusqu’en 1897 que les Daounas ont conservé assez d’humidité pour qu’il ait été possible de les ensemencer. Dans cette dernière année, relativement défavorable, il y a été récolté, d’après les renseignements de Villatte, environ 26000 quintaux de blé ; le mil et le riz avaient eux aussi donné de forts produits.[175] Il serait intéressant, par quelques travaux hydrauliques, de régulariser cette production.

Fig. 65. — Le moyen Niger.

Les plateaux de Bandiagara et de Hombori, d’après les indications du lieutenant Dulac.

La culture du blé est une exception dans la vallée du Niger et paraît localisée au nord-ouest de Tombouctou ; les principales céréales sont le mil, le riz et parfois le maïs. Ces cultures sont très loin d’avoir l’importance qu’elles peuvent atteindre. Le pays a été dépeuplé par les conquérants noirs et les ruines abondent partout. Les quelques Sonr’aï qui subsistent sur les bords du fleuve, abrutis par la longue insécurité du pays, sont d’une lâcheté et d’une paresse extraordinaires. Lors du rezzou des Ouled Djerir en 1904, les Sonr’aï voisins des postes ont refusé de se laisser armer, prétextant que les jambes avaient été données à l’homme pour fuir. Les années suivantes, ils avaient semé une quantité de riz insuffisante pour leur propre consommation, encore avait-il fallu leur fournir la semence. Pendant près de six mois, autour du poste de Bourem, les indigènes ont vécu de bourgou qui heureusement abonde le long du fleuve (lieutenant Barbeirac). Beaucoup de terres, qu’avant notre établissement les nomades les obligeaient, par la violence, à cultiver, sont abandonnées.[176] On peut cependant dès maintenant constater quelques symptômes de bon augure ; la population se refait, des villages razziés naguère se relèvent de leurs ruines ; surtout leur nombre augmente ; la sécurité plus grande que nous imposons au pays permet aux cultivateurs de vivre par petits hameaux, au voisinage des bonnes terres ; n’ayant plus d’attaques à craindre, ils ne sont pas obligés d’habiter tous de gros villages dont l’emplacement était choisi surtout pour la défense. Chez les noirs comme partout, l’appât du gain est un bon stimulant et depuis que le Mage, un vapeur de 200 tonnes, fait régulièrement la navette entre Mopti et Ansongo pendant trois mois, de décembre à février, le commerce des céréales s’accroît rapidement : dans le cercle de Gao, d’après une conversation du capitaine Pasquier, la production du riz a plus que doublé depuis un an.

Cette vallée du Niger a un magnifique avenir : les cultures vivrières (riz, mil, maïs, peut-être le blé) s’y développent toutes seules et permettent un accroissement considérable de la population. Les cultures industrielles[122] (coton) viendront ensuite et l’on peut prévoir dès maintenant que la batellerie existante sera bientôt insuffisante pour assurer les transports sur le fleuve.

Une difficulté subsiste encore ; la liaison avec l’Europe est défectueuse : le Sénégal n’est navigable pour les gros bateaux que deux mois par an. Lorsque, aux hautes eaux, les vapeurs peuvent remonter le fleuve jusqu’à Kayes, sans rompre charge, le frêt de Bordeaux à Kayes est d’une soixantaine de francs la tonne ; aux basses eaux, il s’élève à 200 francs. Cette nécessité de s’approvisionner, pour un an, de marchandises européennes et de ne pouvoir exporter plus d’une fois l’an les produits soudanais, crée de grosses difficultés commerciales ; cette intermittence dans les moyens de communication explique fort bien qu’aucune banque ne se soit établie dans ces régions, où les règlements à 90 jours sont impraticables. Le chemin de fer de Thiès à Kayes est poussé activement ; cette régularisation dans les moyens de transport permettra au commerce de se développer librement et dans des conditions financières plus normales [François, Bull. Comité Afr. fr., 1908, p. 404-408].

Il reste cependant une question grave à résoudre : à côté de la culture des sédentaires, l’élevage des nomades est une source importante[177] de richesse. Pendant la saison des pluies, les troupeaux trouvent partout des mares d’hivernage et se répandent dans tout le pays, au nord comme au sud du fleuve ; à la saison sèche, les mares permanentes étant rares, beaucoup de nomades sont obligés de se rapprocher du fleuve sur les bords duquel ils séjournent près de cinq mois, dans les régions les plus propices à la culture.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXIII.

Cliché Chudeau

43. — LA DUNE DE NOUAKCHOTT (MAURITANIE). — VERSANT EST.

Au premier plan, Euphorbes déchaussées par le vent.

Cliché Chudeau

44. — BIR EL AIOUDJ (MAURITANIE, 21° 20′ LAT. N.).

Groupe de “ Talah ” (Acacia tortilis Hayne).

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXIV.

Cliché Cauvin

45. — LE POSTE DE BEMBA.

Cliché Laperrine

46. — PALMIERS “ BOUR ”.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXV.

Cliché Cauvin

47. — ZONE SAHELIENNE.

Halte sous un “ Gao ” (Tamarindus) dans la région de Goundam.

Cliché Cauvin

48. — ZONE SAHELIENNE.

Bouquet d’arbres, sur les bords du Niger dans la région de Gao.

Le conflit ne paraît pas insoluble ; le péril n’est d’ailleurs pas immédiat et l’on est arrivé, en Algérie tout au moins, à établir un équilibre à peu près satisfaisant entre les besoins des agriculteurs et ceux des bergers.

II. Irrigations artificielles. — Ce second type exige une intervention active de l’homme, qui doit capter l’eau nécessaire aux cultures. Les principaux types d’oasis, peu nombreux, sont bien connus[123]. Parfois un oued est alimenté assez régulièrement en eau pour que ses alluvions restent humides à peu de distance de la surface ; dans ces oasis de rivière, dont Silet est un excellent exemple, les palmiers poussent sans aucun soin. Dans le Souf, les conditions sont analogues, quoique un peu moins bonnes : il faut choisir, entre les dunes, une profonde dépression, enlever le sable sec, traverser un banc imperméable de gypse épais parfois de un mètre, sous lequel se trouvent les alluvions humides : un jardin est une sorte de puits profond de 10 à 15 mètres. Les boutures de palmier n’ont besoin d’être arrosées que jusqu’à leur reprise ; le principal travail du cultivateur sera de défendre son jardin contre le sable qu’y amène chaque coup de vent et qui aurait tôt fait de combler l’excavation et d’ensevelir les arbres. Ces jardins du Souf sont forcément très exigus ; les plus grands contiennent une centaine de palmiers, les plus petits une demi-douzaine.

Habituellement les travaux nécessaires au captage de l’eau sont beaucoup plus considérables ; ils nécessitent des puits nombreux, ordinaires ou artésiens : c’est le type habituel du M’zab et des oasis du Sud constantinois et l’on sait combien, depuis l’occupation française, les procédés de forage perfectionnés ont permis d’accroître la richesse de Touggourt et d’Ouargla. La même technique a donné quelques résultats intéressants au Tidikelt ; il y a même un « lac » à Tit [Cortier, D’une rive à l’autre..., p. 63.]

Mais, dans l’archipel touatien, le procédé de captage est en général différent : de longues canalisations souterraines, les foggaras, vont chercher l’eau à plusieurs kilomètres en amont des jardins. Gautier a décrit en détail, dans le premier volume, ce travail considérable.

[178]Dans les maigres jardins de l’Ahaggar, on trouve encore quelques foggaras ; plus au sud elles semblent disparaître ; d’ailleurs en dehors du Sahara algérien, les dattiers, ne donnant plus que des produits médiocres, sont en petit nombre et la culture par irrigation devient insignifiante. Elle ne se développe un peu qu’auprès de certains centres de caractère spécial, où elle est surtout de la culture maraîchère.

C’est le cas d’Agadez, situé dans un demi-désert suffisant tout au plus à la vie de nomades, et où des nécessités commerciales ont réuni un millier d’habitants : les jardins d’Alar’sess leur fournissent des légumes. C’est aussi le cas de Gourselik, gros village qui vit de l’industrie du natron : le mil est acheté au dehors et l’on cultive surtout des patates, des oignons magnifiques, des tomates et du tabac. Une petite place est réservée au coton et au maïs, ainsi qu’au blé qui paraît fort négligé, en général, dans cette partie du Soudan.

Plantes sauvages. — Dans tout le Sahara, la récolte des plantes sauvages joue un rôle important : dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, au début de la saison des tornades (première quinzaine de juin) les pâturages sont maigres depuis longtemps et le lait devient rare. La plupart des Ifor’as sont à leur aise et possèdent assez de troupeaux pour ne pas trop souffrir de cette mauvaise période ; quelques pauvres cependant ne possèdent qu’un très petit nombre de chèvres, et ces miséreux vivent alors uniquement des fruits qui sont mûrs à cette saison.

Une orobanche, le dahnoun (Phelipæa lutea Desf.), souvent parasite sur le guétaf, est consommée dans tout le Sahara ; dans l’Ahaggar, la récolte en paraît assez régulière ; elle se fait en mars. Le dahnoun, réduit en farine et desséché, est conservé par les haratins ; c’est, d’après Voinot, un aliment amer et coriace dont seuls un targui ou un nègre peuvent se contenter. On ramasse en même temps et pour le même usage une sorte d’asperge, à tissu spongieux, blanc rosé à l’intérieur, rouge foncé à l’extérieur, l’aokal, qui est bien probablement le Cynomorium coccineum L.

Chez un grand nombre de nomades sahariens, la récolte des fruits de graminées sauvages est faite assez régulièrement. Pour la rendre plus aisée, certains oueds sont interdits : il est défendu d’y mener paître des troupeaux ; il n’est pas permis à une caravane de s’y arrêter même quelques heures. Dans les pays riches, comme l’Adr’ar’, cette interdiction est rare ; elle est fréquente à l’Ahaggar. Pour le drinn (toulloult en tamahek, Aristida pungens) la récolte a lieu de mai à juin ; pour le mrokba (afez’ou, Pennisetum dichotomum),[179] de juillet à septembre. Les graines ainsi recueillies sont conservées comme des céréales quelconques.

En cas d’urgence, les nomades les plus pauvres ont recours à un autre procédé ; ils fouillent certaines fourmilières et en tirent tout le grain qui y a été rassemblé. Cette pratique est très répandue dans le Tegama où quelques tribus, très miséreuses, n’ont même plus de troupeaux et sont obligées, lorsqu’elles déménagent, de traîner sur des branches d’arbres leur maigre matériel ; à chaque pas, on trouve des fourmilières éventrées et vidées.

Cet usage n’est pas spécial au Tegama et on le retrouve, au moins dans le folk-lore, chez des tribus moins pauvres.

Lorsque la noble ancêtre des Kel R’ela, des Taïtoq et des Tedjéhé Mellet, l’illustre Tin Hinan, vint du Tafilalet à l’Ahaggar, elle était accompagnée de Takamat, sa fidèle suivante. La route était longue, les vivres commençaient à manquer et la faim devenait pressante, quand Takamat aperçut une fourmilière. De suite, elle fit baraquer son méhari et alla prendre le grain que les fourmis avaient péniblement amassé ; elle partagea son butin avec sa maîtresse qui, comme il convient à une femme de haut rang, n’avait pas quitté son akhaoui[124]. Le souvenir de cet incident de voyage s’est conservé, et pour en célébrer la mémoire, les Dag R’ali et les Kel Ahnet, fils de Takamat, paient tous les ans, sans murmurer, l’impôt, la tioussé, aux Touaregs de race noble.

Remarques sur quelques espèces. — Duveyrier a écrit une phrase malheureuse : « J’ai scrupuleusement recueilli les noms indigènes, en langue arabe et en langue temâhaq, parce que je crois la connaissance de cette double synonymie nécessaire aux personnes auxquelles l’avenir réserve des voyages avec les caravanes. Cette synonymie n’a pas les défauts de celle des noms vulgaires assignés aux plantes par nos paysans en Europe ; chez les peuples pasteurs, chacun connaît exactement le nom, les stations et les propriétés de chaque plante, et les noms, quand les caractères distinctifs sont bien tranchés, ne varient pas d’une localité à une autre, mais se conservent tant que la même langue est parlée. Or comme la langue arabe est connue dans tout le monde musulman, et la langue berbère, dont le temahaq est un des dialectes, dans tout le nord du continent africain, il y a presque certitude d’être compris des indigènes en leur nommant[180] une plante dans l’une de ces deux langues. » [Les Touaregs du Nord, p. 147-148.]

Cette phrase, prise trop à la lettre, a été l’origine de travaux importants, dont le plus considérable est probablement l’ouvrage de Foureau[125] ; il est pénible de constater qu’un semblable catalogue, qui représente un très gros effort, soit à peu près inutilisable. Certains noms arabes ou berbères, relatifs à des formes très caractéristiques, semblent avoir une certaine valeur : le had paraît être toujours le Cornulaca monacantha Del ; le Calotropis procera R. Br. est le tourha des Ahaggar, le tourdja des Maures ; les Arabes du Sud algérien l’appellent korounka, et en Égypte, il devient l’oschur. Ces quatre noms s’appliquent bien à la même plante. Mais dès que l’on s’adresse à des formes moins nettement tranchées, la plus grande confusion règne : l’halfa des hauts plateaux d’Oranie est le Stipa (Macrochloa) tenacissima L. ; en Tripolitaine, et déjà dans l’Est algérien, ce nom s’applique au Lygæum Spartum L., une graminée toute différente, qui cependant donne lieu à la même exploitation. En Égypte, d’après Ascherson [in Rohlfs, Kufra, p. 496] tout au moins, l’halfa désigne l’Eragrostis cynosuroïdes Retz. Quant au Stipa tenacissima, il prend en Tripolitaine le nom de bechna qui, presque partout ailleurs, désigne une céréale, le petit mil.

Le diss du Tell est l’Ampelodesmos tenax Link, grande graminée poussant par touffes, à feuilles retombantes, très caractéristique des côteaux arides de l’Atlas méditerranéen au sud duquel elle disparaît. Le même nom s’applique à presque toutes les grandes graminées à feuilles dures que le bétail dédaigne en général ; quelques-unes poussent dans l’eau comme le cosmopolite Imperata cylindrica L. qui, à Koufra, prend le nom d’halfa (Ascherson, l. c., p. 503) ; dans les vallées à peine humides d’Abalessa, les Arabes m’ont désigné comme diss l’Eragrostis cynosuroïdes (halfa des Égyptiens) ; dans la haute plaine sèche et aride du Tegama, ils appliquent le même nom à divers Andropogon. D’après Ascherson le diss serait aussi parfois le Juncus maritimus Lam. [l. c., p. 506] ou le J. subulatus Forsk. [l. c., p. 543] d’une famille toute différente.

Le mrokba (oum rokba, bou rokba) n’est guère mieux défini ; ce nom s’applique à de nombreuses graminées (Panicum turgidum Forsk., Pennisetum dichotomum Forsk., etc.) à tiges d’ordinaire fasciculées et nettement genouillées aux nœuds : c’est sans doute à[181] cette particularité qu’elles doivent leur nom arabe[126] (rokba, genou).

Le doum est en Algérie le nom du palmier nain (Chamærops humilis), en Égypte et au Soudan du Cucifera thebaïca. En Syrie, le doum serait, paraît-il, le fruit d’un jujubier, le Zizyphus Spina Christi.

Il serait facile d’allonger indéfiniment cette liste, mais les quelques exemples donnés me paraissent suffisants pour montrer que, pas plus chez les nomades que chez les paysans d’Europe, les noms vulgaires n’ont un sens bien défini. Quelques plantes, comme chez nous le chêne ou le châtaignier, sont connues de tous et sous le même nom ; d’autres qui présentent, au point de vue utilitaire surtout, quelques caractères communs, sont désignées sous un nom unique : le mrokba est un bon pâturage, au contraire du diss dont l’âne seul consent à manger. Dans une description d’itinéraire, l’emploi de ces noms est sans inconvénient, et il a le gros avantage de définir assez exactement et en peu de mots la valeur alimentaire d’un oued ou d’une nebka. Mais cet emploi devient dangereux dès qu’à côté du nom vulgaire, on accolle, à coups de dictionnaire, un nom scientifique qui le plus souvent est choisi à faux, et fait croire que certaines espèces, très localisées, ont une extension géographique considérable ; il est impossible d’utiliser, pour des recherches précises, des indications qui ne reposent pas sur des déterminations faites au laboratoire par un spécialiste compétent.

L’emploi du nom technique, malgré sa forme souvent ridicule, est nécessaire et peut seul conduire à des conclusions rigoureuses à condition qu’il n’ait pas été donné au hasard.

Ceci justifiera, je pense, les quelques remarques[127] qui suivent sur diverses plantes du Sahara et du Sahel, remarques insuffisantes toutefois pour une étude précise.

Atil. — Une essence qui n’apparaît que vers R’at et dans la partie méridionale de l’Ahnet est l’iatil (atil, adjar). C’est un arbre de 4 à 5 mètres de haut à feuilles entières, à branches dressées, à écorce grise et lisse, qui, chez les Touaregs, a mauvaise réputation : demeure habituelle des djinns et des éfrits, il est dangereux la nuit de reposer à son voisinage à moins que quelques coups frappés violemment sur le tronc n’aient mis le génie en fuite ; presque tous[182] les iatils ont leur écorce tailladée de coups de sabre ; souvent, dans les régions sablonneuses, une grosse pierre, posée religieusement entre les branches de l’arbre, permet au passant désarmé de célébrer le rite et de dormir sans crainte. Cette même légende se retrouve au Soudan et en Mauritanie.

Ce nom s’applique au moins à deux arbres différents, appartenant tous deux à la même famille, et dont le fruit est comestible ; Mœrua rigida R. Br. et le Cadaba farinosa Forsk. Mœrua (20 espèces) est un genre de l’Afrique tropicale, de l’Arabie et de l’Inde ; Cadaba (14 espèces) se trouve dans les mêmes régions, et en plus dans l’Afrique australe.

Boscia senegalensis. — Un arbuste à port d’arbousier, à feuilles luisantes et assez grandes, le Boscia Senegalensis Lam. [tadan (tam.), berei (bambara), hauza (haoussa)] est commun dans toute la zone sahélienne ; dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, j’ai noté les premiers pieds à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’In Ouzel dans l’oued Tessamak ; dans l’Aïr, il est fréquent autour d’Iférouane. Je ne l’ai jamais vu plus au nord et je ne sais ce que vaut l’indication de Foureau qui le signale [Doc. Sc., I, p. 498] près de Tadent (23° Lat. N.).

Cet arbuste descend très loin vers le sud, jusqu’au voisinage du 9° de latitude. Son fruit est comestible ; les nomades le récoltent avec soin et on le vend sur le marché de Tombouctou.

Au genre Boscia, appartiennent 3 espèces de l’Afrique tropicale et australe. — Cadaba, Mœrua et Boscia, comme le câprier, sont des Capparidées.

Baobàb[128]. — Ce genre comprend plusieurs espèces dont la mieux connue est l’Adansonia digitata B. Juss. Il est commun dans presque toute l’Afrique chaude. Il manque cependant dans les régions élevées (Fouta-Djalon, Ouganda, Abyssinie, etc.) et dans la forêt équatoriale ; il fait également défaut à l’est du Chari et ne reparaît que dans le Soudan égyptien. Il n’est vraiment abondant d’ailleurs qu’au voisinage du littoral où il forme souvent des peuplements très importants, comme autour de Thiès. Dans le bassin du Niger, on ne le trouve qu’auprès des villages et il est bien probable qu’il a été planté : les noirs font un large usage alimentaire de ses feuilles. Il existe peu dans la zone sahélienne : la ligne d’étapes de Zinder à Gouré suit à peu près la limite de son extension ; commun dans les villages situés au sud de cette ligne, il manque dans ceux qui sont au nord. Quelques pieds mal venus cependant existent à Tombouctou.[183] Récemment, le long du littoral de Mauritanie, à 6 ou 7 kilomètres de la côte, j’en ai compté au nord de Saint-Louis, sur un parcours de 250 kilomètres, une dizaine, dont le dernier à trois heures de marche au sud de Nouakchott. Ces baobabs n’ont que quelques mètres de haut et sont en dehors de leur habitat normal.

Le baobab est un des arbres les plus caractéristiques de la savane ; le volume de son tronc est extrêmement considérable relativement à l’ensemble des feuilles et lui permet d’emmagasiner des réserves d’eau importantes. Cette disproportion entre le bois et l’appareil foliaire est fréquente dans toutes les savanes du monde, mais elle est loin d’être la règle absolue et nombre d’arbres y ont assez exactement le port et l’aspect des essences européennes.

Balsamodendron africanum. — L’aderas (ar. et tam.) (Commiphora africana Engl. = Balsamodendron africanum Arn.) joue un grand rôle dans les parties les plus arides de la zone sahélienne ; son nom haoussa, daz’i ou dachi, désigne non seulement la plante, mais aussi la brousse où elle domine ; c’est un arbuste dont les feuilles rappellent celles de l’aubépine ; le fruit ressemble à une petite prunelle à noyau rouge.

Il s’en écoule une gomme résine, le « bdellium[129] », le mounas des Maures, que l’on fait brûler en guise d’encens et qui, chez les Haoussas tout au moins, remplace dans la correspondance la cire à cacheter.

Le genre Commiphora renferme une soixantaine d’espèces des régions sèches de l’Inde, de Madagascar, de l’Arabie et de l’Afrique tropicale et australe.

Jujubiers. — Les jujubiers (Zizyphus), [sedra (arabe), magaria, (haoussa), tabekat (tamahek)] font défaut dans le Sahara proprement dit ; ils ont de vraies feuilles, à faces dissemblables et ne sont pas adaptés à la sécheresse ; on ne les trouve que dans les parties élevées du massif central (Ahaggar, Ifetessen, etc.). Ils sont communs dans la zone sahélienne, dès le nord de l’Adr’a’r et de l’Aïr. Ils appartiennent à plusieurs espèces, les unes de petite taille et formant des buissons (Z. lotus Desf., Z. saharæ Batt., etc.), les autres plus élevées et vraiment arborescentes (Z. orthacantha D. C., etc.). Leurs fruits sont recueillis par les nomades et parfois vendus sur les marchés.

Le bois des grands Magaria est assez recherché ; il passe pour inattaquable par les termites.

Balanites Ægyptiaca. — Le Balanites Ægyptiaca Del., [teborak[184] (tamahek), soump (wolof), adoua (haoussa)] se rencontre dans la Sierra Leone et le Sénégal ; dans le bassin du Chari, il apparaît à Gosso (9°,30). Il est commun dans toute la zone sahélienne et s’avance assez loin dans le Sahara : sur la route de N’Guigmi à Bilma, il s’arrête au sud de Beduaram ; Foureau le signale par 27° Lat. N. (tassili des Azdjer) ; on le connaît en quelques points isolés du Tidikelt et il devient fréquent au sud du 23°. Dans l’Ahaggar, il ne paraît pas dépasser l’altitude 1000 mètres.

Son fruit, de la grosseur d’une datte, est comestible ; il arrive à maturité en novembre, dans le Tegama.

Les légumineuses. — L’Acacia arabica Willd. = A. Adansoni Guill. et Per. [tamat, pluriel timiouin (tamahek), bagarua (haoussa)] est un bel arbre qui, en Afrique, paraît spécial à la zone sahélienne : il est commun dans l’Adr’ar’ des Ifor’as ; dans l’Aïr, on le trouve dès l’oued Tidek (fig. 62). Au sud du Tchad, sa limite méridionale est le lac Iro (10° Lat. N.) ; il est l’espèce dominante dans le Baguirmi, où on le trouve dans tous les bas fonds inondés à l’hivernage [Chevalier, Afr. centr. franç., p. 343]. En dehors de cette zone, il est souvent cultivé dans les oasis (Fezzan, Tripolitaine).

On ne le rencontre que dans les vallées humides et les mares ; à la mare de Tin Teboraq, les traces laissées sur le tronc par les crues étaient à un mètre du sol. C’est un bel arbre dont le tronc atteint 1 mètre de diamètre. Il est facile à distinguer du talah par ses fleurs qui sont d’un beau jaune d’or et, par son fruit, non en tire-bouchon, qui, à maturité, se découpe en articles contenant chacun une graine. Les fruits de l’A. arabica sont très riches en tanin (jusqu’à 45%) et les indigènes les emploient pour la préparation des peaux, en particulier des filali. Pour simplifier la récolte de ces fruits, les nomades coupent souvent les branches, ce qui donne à l’arbre un port tout particulier (Pl. XVI, phot. 32).

Le véritable gommier (Acacia verek Guil. et Per. = A. Senegal L.), bien reconnaissable à sa gousse plate, apparaît dans la zone sahélienne, dès l’Aïr, où il est rare ; il devient très commun plus au sud et forme le fond de la brousse entre le Mounio et le Tchad ; il est abondant dans le Kanem (Chevalier) ; il donne lieu, surtout à l’ouest de Tombouctou, au commerce important de la gomme. C’est le plus souvent un arbuste de 2 à 4 mètres de haut, qui en atteint exceptionnellement 7 à 8.

L’Acacia tortilis Hayne [talah, (ar.), abesar’, (tam.)], et peut-être d’autres espèces confondues sous ce nom, se trouve dans tout le désert, depuis le Sud marocain et tunisien jusqu’au Soudan. Il est[185] très résistant à la sécheresse et se rencontre dans presque tous les oueds. Souvent de petite taille, il atteint avec l’aide de l’humidité une taille d’une dizaine de mètres, et un tronc ’de 0 m. 50 à 0 m. 70 de diamètre.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXVI.

Cliché Cauvin

49. — PATURAGE DANS LA RÉGION D’ARAOUAN.

Cliché Cauvin

50. — PATURAGE DANS LA RÉGION D’ARAOUAN.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXVII.

Cliché Posth

51. — CANARIS A MIL. — ANSONGO (RIVE DROITE DU NIGER).

Au premier plan, les trous d’où on a extrait l’argile, pour les constructions du village.

Cliché Posth

52. — CANARIS A MIL. — KALFOU (ADR’AR’ DE TAHOUA).

Son fruit en tire-bouchon permet seul de le reconnaître avec certitude.

Au Sahara, malgré le vent, il affecte rarement la forme en parasol qui passe pour fréquente au désert. En réalité, au désert, les arbres, toujours rabougris, isolés, poussent comme ils peuvent : chacun d’eux a sa forme propre ; la forme en parasol n’est commune que dans la zone sahélienne, où les arbres croissent en bouquets : elle est certainement la plus répandue de beaucoup, entre Chirmalek et le Tchad, chez l’A. verek.

Sur le littoral de Mauritanie, à courte distance du rivage, les talah poussent en buissons elliptiques hauts de 1 mètre à 1 m. 50, et de 7 à 8 mètres de diamètre. Cette forme, en bouclier, a été observée partout au bord de la mer, chez divers végétaux.

Le genre Acacia renferme environ 450 espèces, des régions chaudes du globe, surtout en Afrique et en Australie.

Le Bauhinia rufescens Lam. [delga (haoussa), andar (maure)] est un bel arbuste, commun dès le sud de l’Aïr ; on le trouve dans tous les endroits frais ; il est abondant autour des mares du Tegama ; on le connaît à Tombouctou et en Mauritanie. Il est facile à reconnaître à ses belles grappes de fleurs blanches, rappelant celles de l’acacia d’Europe, à son écorce blanche et surtout à ses feuilles assez petites et échancrées au sommet. Cet arbre, au moins en pays touareg, est souvent mutilé : pour savoir quelle sera la durée de sa vie, le Touareg prend les deux rameaux qui terminent une branche de delga et cherche à les séparer ; si la branche se fend, sans rupture, jusqu’au tronc, la mort de l’opérateur est lointaine ; l’expérience, qui réussit facilement, est fréquente, si l’on en juge par l’aspect des arbres.

Le Bauhinia reticulata L. (kalgo en haoussa), un peu plus méridional que le précédent, se rencontre, du Nil au Sénégal, dans toutes les parties humides de la zone sahélienne qu’il dépasse largement vers le sud, jusqu’en Mozambique ; il forme des buissons, hauts de 3 à 4 mètres, avec des feuilles coriaces et luisantes, à nervures bien marquées, larges comme celles du lilas, mais en forme de cœur renversé, échancrées au sommet ; il apparaît dans le Tegama vers le 15° de Lat. N.

Le genre Bauhinia comprend environ 150 espèces des régions tropicales.

[186]Le genre Cassia renferme de nombreuses espèces (150 ?) surtout de l’Amérique chaude. Il est représenté au Sahara par quelques sous-arbrisseaux dont le plus répandu (C. obovata Col.) fournissait autrefois le séné, toujours usité par les Touaregs. J’ai déjà indiqué quelle était sa limite nord (p. 157).

Les Genets (Genista, dont Retama n’est qu’une section) sont représentés par 80 espèces environ qui sont répandues en Europe, dans le nord de l’Afrique et l’ouest de l’Asie ; vers le sud, ce genre, surtout méditerranéen, ne dépasse guère le Sahara algérien.

Tamarix. — Les tamarix, communs en Algérie et dans le Sahara arabe, sont encore fréquents dans l’Ahnet et les contreforts de l’Ahaggar ; plus au sud, ils deviennent très rares ; dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, il en existe quelques pieds à Tin Zaouaten ; vers l’est, ce genre se montre encore près de Tin Azaoua ; Foureau le signale dans l’Aïr ; je l’ai rencontré à Nava (100 km. à l’est de Gouré) ; Barth l’indique à Buné (sud du Mounio). On le connaît aussi à l’est du Tchad, dans les dépressions de l’Eguei et du Bodelé. Il forme de véritables forêts, hautes de trois à quatre mètres, sur le littoral de Mauritanie, au sud de Nouakchott (T. gallica L., T. passerinoïdes Del.).

Le genre tamarix compte une vingtaine d’espèces (d’aucuns disent cinquante) répandues surtout dans le bassin méditerranéen ; il s’étend fort loin en Asie où il occupe toute la zone des steppes, des steppes salées surtout ; il est représenté aussi dans l’Asie tropicale et, comme nous venons de le voir, envoie quelques représentants assez loin vers le sud en Afrique. Il est, au Sahara, le seul genre arborescent qui vienne actuellement du nord. Un tamarix caractériserait, paraît-il, les régions calcaires du désert ; je n’ai pas assez de documents pour confirmer cette indication. Les tamarix sont souvent des halophytes, des arbres de régions salées : les plus beaux peuplements que j’en aie vus sont dans l’oued Tit, près d’Abalessa, et dans l’oued Tamanr’asset, au pied du Tin Hamor ; dans l’oued Zazir, au sud de l’Adr’ar’ Aregan et dans l’oued Igharghar (celui du sud) les tamarix sont abondants ; il en est de même, d’après Voinot, dans les contreforts orientaux de la Coudia. Le long de ces différents oueds, on voit souvent des dépôts de sel provenant du lavage des roches volcaniques : le guétaf (Atriplex halimus L.) qui est une plante des alluvions légèrement salées, accompagne habituellement les tamarix.

L’étude de ce genre est très délicate ; Battandier[130] en indique 12 espèces en Algérie et dans son hinterland ; une treizième, le T.[187] senegalensis D. C., remonte assez haut sur le littoral de Mauritanie.

Une seule espèce, T. articulata Vahl, est facile à distinguer à ses feuilles très courtes, formant autour des rameaux une gaine complète. C’est un des arbres les plus caractéristiques du désert ; on le connaît depuis l’Inde et l’Arabie jusqu’au Sénégal. Il semble que le nom d’étel, ar., tabarekkat, tam., lui est habituellement appliqué, bien que Ascherson [l. c., p. 414, p. 465] indique aussi étel pour T. Gallica L. L’étel produit une galle très recherchée pour la teinture.

Toutes les autres espèces se ressemblent beaucoup et sont confondues sous les noms de tarfa, ferzig, ou aricha en arabe ; az’aoua ou taz’aouat en tamahek. Le bois des tamarix est tendre et facile à travailler : c’est ce bois qu’emploient les Touaregs pour la confection de leurs ustensiles culinaires (écuelles, cuillères), d’un travail habituellement très soigné et ornés à la pyrogravure d’élégants dessins géométriques. Le bois de talah ou de teborak, beaucoup plus dur, est réservé à la confection des r’ala, des selles de méharis.

Le plus beau tamarix de l’Ahaggar est sans doute celui de Tamanr’asset, qui est particulièrement protégé : une branche coupée entraîne une amende d’un âne (Voinot). Faut-il voir, dans cet usage, un souvenir des arbres fétiches du Soudan ?

Ombellifères. — La famille des ombellifères, répandue surtout dans les régions tempérées du globe, fournit aux hauts plateaux de l’Afrique mineure quelques grandes formes (Thapsia, etc.) qui donnent au paysage un élément caractéristique. Quelques-unes, une quinzaine, pénètrent dans le nord du Sahara algérien.

L’un des genres sahariens de cette famille appartient à une section, celle des carottes, dont les fruits sont d’ordinaire accrochants : par exception, les fruits d’Ammodaucus ont perdu cette particularité et le fait est à rapprocher des exemples fournis par le kram-kram et les Ægilops.

Les Deverra [guezzah (ar.), tataït (tam.)], ombellifères à odeur forte, sans feuilles et qui ressemblent à des joncs, ont quelques représentants dans le Tell ; ce genre devient fréquent dans le Sahara algérien (Mzab,) et une espèce (D. fallax Batt.) se trouve dans l’Ahaggar, au-dessus de 1000 mètres.

Plus au sud, cette famille disparaît ; elle manque dans la zone tropicale et se montre à nouveau dans l’Afrique australe.

Salvadora persica. — Le Salvadora persica L. [siouak, irak, tihak, tichak, abesgui] que l’on rencontre depuis le Sénégal jusqu’en Syrie, a une distribution assez irrégulière. Duveyrier le signale dans le tassili des Azdjer ; au sud du Touat, il apparaît dans l’Ahnet (près de[188] Taloak) et devient très commun dans l’Adr’ar’ des Ifor’as. Dans l’Ahaggar, il forme un très beau peuplement à Silet ; au-dessus de 1000 mètres, j’en ai vu un seul pied dans une vallée abritée à quelques kilomètres au sud de Tamanr’asset. Abondant dans l’Aïr et le Tibesti, il manque dans le Tegama, reste rare dans le Demagherim et redevient fréquent à nouveau autour du Tchad, où il joue un rôle industriel notable (préparation de sel par lessivage de ses cendres). Il fait défaut au sud du lac.

Salvadora est un genre tropical et, comme plusieurs autres plantes échappées de la zone forestière, S. Persica a certains traits des lianes : ses branches se tordent parfois ou s’enroulent les unes autour des autres ; lorsque par hasard il trouve un support, il profite de son aide pour quitter la forme de buisson et envoyer quelques rameaux à de grandes hauteurs, où ses grandes feuilles, d’un vert franc, le font distinguer de loin.

C’est un des rares arbres du Sahara qui donne vraiment de l’ombre. L’odeur de ses feuilles, très goûtées des chameaux, est assez forte. Les fruits, longtemps rouges, noircissent à maturité (vers juin-juillet). Ils forment des grappes ressemblant à de minuscule raisins, que les nomades pauvres recueillent et font sécher. Ses feuilles servent à préparer des infusions.

Asclépiadées. — Les asclépiadées, famille importante surtout dans la zone tropicale, doivent, à l’aigrette soyeuse qui couronne leurs graines, de s’être répandues en grand nombre au Sahara, où elles forment plus de 3 p. 100 de mes récoltes (Battandier).

En Algérie, les asclépiadées représentent à peu près 1/300 de la flore phanérogamique ; en France 1/1000.

Deux espèces surtout méritent une mention : le Calotropis procera R. Br. (korounka-oschur-tourha-tourdja) est un arbuste haut de 4 à 5 mètres ; ses grandes feuilles, rappelant celles du chou, ses fleurs blanches, bordées de violet, et son fruit énorme ont attiré l’attention de tous les voyageurs. Lorsqu’il est blessé, il laisse échapper un suc blanc, laiteux, qui passe pour très toxique ; cette particularité l’a fait souvent confondre avec les euphorbes et il est désigné sous ce nom très inexact dans un grand nombre de rapports relatifs au Soudan. On a signalé sa présence dès le sud de l’Algérie à Methlili [Duveyrier, l. c., p. 180].

Il est commun au Touat ; mais dans la région des Oasis, il ne sort pas des jardins et il n’est pas certain qu’il ne soit pas introduit : le charbon que l’on en tire passe pour le meilleur pour faire la poudre, et les indigènes attribuent quelque valeur thérapeutique à cet arbre.[189] Il est sûrement spontané dans le sud de l’Ahnet ; les puits de l’oued Amdja (Anou ouan Tourha) doivent leur nom à une vingtaine de Calotropis qui croissent au voisinage.

Très commun dans l’Adr’ar’ des Ifor’as et dans l’Aïr, où il forme, près d’Iférouane, un véritable taillis, il ne semble pas s’élever au delà de 1000 à 1100 mètres dans les contreforts de l’Ahaggar.

On le retrouve abondant autour du Tchad ; dans le bassin du Chari, Chevalier le mentionne à partir du Dékariré (11° Lat. N.). Il est commun autour de Tombouctou et en Mauritanie, jusqu’à l’Agneitiz ; vers l’est, on le connaît en Égypte, en Arabie et en Perse.

Il ne pousse que quand la nappe aquifère est peu profonde, aussi manque-t-il complètement dans le Tegama.

Les deux autres espèces de ce genre sont de l’Asie et de l’Afrique tropicale.

Le Leptadenia pyrotechnica Del. = L. Spartum Wight (asabai, ena, abesgui) ressemble absolument par son port au genêt d’Espagne ou au retem, dont il semble prendre la place à partir de l’Ahnet. Duveyrier [sub Genista, l. c., p. 161] le signale entre R’at et Mourzouk ; il ne dépasse pas, dans le sud de l’Ahaggar, l’altitude 1000. Leptadenia spartum est extrêmement répandu dans toute la zone sahélienne, du Sénégal à l’Arabie, sauf dans les régions trop sèches comme le Tegama ; il est très commun entre Mirrh et le Tchad où il atteint 4 ou 5 mètres de haut ; il est parfois aussi élevé dans l’Adr’ar’ des Ifor’as. Sur le littoral de Mauritanie, il n’est pas rare au sud de Nouakchott. Les pêcheurs indigènes le connaissent sous le nom de « titerek », et emploient ses fibres à la confection de leurs filets.

L’asabaï s’avance peu dans la zone soudanaise ; au sud du Tchad, Chevalier indique sa limite au lac Baro (13° Lat.).

Le genre Leptadenia contient une douzaine d’espèces des régions chaudes de l’ancien continent.

S’appuyant sur des renseignements indigènes, Chevalier [La végétation de la région de Tombouctou, p. 24] avait indiqué avec doute l’Henophyton deserti Coss. et Dur. au voisinage de Gao, où il est désigné sous le nom d’asabaï et de ana. Ces deux noms semblent montrer qu’il y a eu confusion avec le Leptadenia qui est commun partout sur la rive du Niger. Ce n’est que dans le nord, qu’ils s’appliquent à l’Henophyton.

Quelques détails ont été donnés, dans les pages précédentes, sur d’autres asclépiadées (Dœmia, Boucerozia).

Euphorbes. — Les euphorbes sont assez abondantes au Sahara ; dans le Sahara arabe, l’E. Guyoniana Bois. et R. est une herbe à[190] feuilles rares et couvertes d’un revêtement cireux ; dans le Sahel, l’espèce la plus notable est l’E. Balsaminifera Aït. [afernane (arabe), agoua (haoussa)]. Elle forme de gros buissons ligneux, parfois presque des arbres (pl. XXII) et se trouve depuis les Canaries jusqu’au voisinage du Tchad ; elle pourrait peut-être caractériser une province occidentale de la zone sahélienne.

A cause de l’âcreté de son lait, le bétail n’y touche pas et elle est souvent employée comme clôture ; elle est très facile à bouturer et il est possible que l’homme ait contribué à sa dissémination.

Les euphorbes cactoïdes n’existent qu’au voisinage du littoral, surtout vers le Maroc, et dans la zone soudanaise.

Palmiers. — Les palmiers sont surtout des arbres tropicaux et quatre d’entre eux seulement intéressent les régions qui nous occupent.

Le palmier nain (Chamærops humilis L.), le doum d’Algérie, appartient à la partie occidentale du domaine méditerranéen. Nulle part il ne pénètre au Sahara.

Le palmier d’Égypte, qui porte le même nom indigène (doum, kaba en haoussa) (Cucifera thebaïca Del., Hyphæna thebaïca L.), est facile à reconnaître à son tronc, haut de 5 à 8 mètres, plusieurs fois bifurqué. Lorsqu’il a été coupé, les repousses forment des buissons que l’on a parfois confondus avec le palmier nain. Le palmier d’Égypte est bien caractéristique de la zone sahélienne ; on le connaît dans l’Adr’ar’ des Ifor’as ; dans l’Aïr, il y en a quelques pieds à Iférouane (19° Lat. N.), et de vrais bouquets à partir d’Aoudéras (17° 40′ Lat. N.). Il existe dans le Tibesti ; sur la route de Mourzouk au Tchad, Nachtigal le signale à l’oasis de Yât (20°,30′ Lat. N.). Dans la vallée du Nil, il remonte jusqu’au 27° et atteint le 29° sur la côte orientale de la presqu’île du Sinaï.

Dans la zone sahélienne, on le trouve partout où l’eau est à une faible profondeur ; il fait cependant défaut au Tegama, même autour des mares permanentes. Il est commun dans les dallols, et plusieurs vallées importantes de la région du Zinder lui doivent leur nom (Goulbi n’Kaba). On le rencontre dans toutes les mares de la région du Manga ; l’indication de Monteil [De Saint-Louis à Tripoli par le lac Tchad, Paris, 1895, p. 200] qui donne ce palmier comme caractéristique des grandes vallées, est, par suite, inexacte.

Vers le sud, il pénètre parfois dans la zone soudanaise ; Chevalier signale sa première apparition dans le bassin du Chari, près du village de Palem (9°,30′ Lat. N.).

Son fruit, à peine gros comme le poing, presque sphérique, est[191] récolté, pour leur nourriture, par les indigènes pauvres ; on le vend sur le marché de Tombouctou.

Le rônier (Borassus Æthiopicus Mart.) est un bel arbre à tronc droit et jamais bifurqué ; il appartient à la zone soudanaise dont il sort rarement.

Ces trois palmiers (palmier-nain, doum, rônier) ont de larges feuilles en éventail, ce qui les distingue au premier coup d’œil du dattier (Phœnix dactylifera L.).

Il semble inutile d’insister sur l’importance de la culture du dattier dans les oasis et sur les nombreuses variétés que l’on y distingue.

Cosson, à une époque où l’on ne connaissait que le nord du désert, avait songé à définir le Sahara par la culture en grand du dattier. Cette idée n’est plus soutenable ; dès le sud du Tidikelt, dans l’Ahaggar, les dattes ne jouent plus qu’un rôle insignifiant : toutes les belles oasis sont localisées dans le Sahara algérien.

Dans la zone sahélienne (Adr’ar’ des Ifor’as, Aïr, Kanem, Borkou) les palmeraies sont en général d’une exiguïté ridicule ; elles ne produisent que des fruits peu estimés, tout juste comestibles ; la chair est sèche et à peine sucrée, le noyau démesurément gros. Les dattes d’In Gall, de Bilma, de Kidal, n’ont qu’une réputation locale. La quantité est aussi médiocre que la qualité : la moindre pluie suffit à entraver la fécondation et il pleut tous les ans au Sahel.

L’origine du dattier est inconnue[131] et tous ceux que l’on trouve au Sahara, ont été plantés ; son adaptation n’est pas réelle ; malgré les traînées de noyaux que laisse derrière elle chaque caravane, le dattier ne se propage pas en dehors des cultures ; il a besoin de soins pendant les premières années. Il est vrai que, devenu grand, il se défend mieux : les palmiers « bour » persistent longtemps après l’abandon d’une oasis (Pl. XXIV, phot. 46).

En dehors de son importance économique, le dattier a fourni aux météorologistes d’importantes données sur le climat ancien de la Méditerranée ; quatre siècles avant Jésus-Christ, à l’époque de Théophraste, comme de nos jours, le dattier pousse et fructifie à Athènes, mais ses fruits n’y mûrissent pas. Une température moyenne plus élevée de un degré permet la maturation des dattes ; avec un degré de moins, le dattier pousse mal et ne fructifie pas. Ce fait joint[192] à quelques autres analogues, établit nettement que depuis vingt-quatre siècles, la température de la Méditerranée est restée immuable ou tout au moins qu’elle a à peine varié.

II. — GÉOGRAPHIE ZOOLOGIQUE

Les animaux qui habitent le Sahara sont encore moins connus que les plantes ; il semble cependant que leur étude doive conduire à des conclusions analogues : aux formes particulières au désert, répandues de l’Arabie à l’Atlantique, viennent se joindre quelques immigrés provenant de la Méditerranée ou du Soudan.

Cœlentérés. — Les Méduses que l’on a cru longtemps essentiellement marines, ont été signalées dans quelques lacs de l’Est africain, en particulier dans le Tanganika. Il en existe aussi, et presque certainement la même espèce, Limnocnida tanganicæ Günther, dans le Niger jusqu’à Bamako.

La présence, assez insolite, d’une méduse dans les eaux douces africaines est une belle confirmation des rapports qui existent, ou ont existé, entre tous les bassins de l’Afrique tropicale ; elle vient à l’appui des observations de Pellegrin sur les poissons, et de Germain et Anthony sur les mollusques, qui, en gros tout au moins, sont les mêmes du Nil au Sénégal[132].

Insectes. — Parmi les insectes on trouve d’abord une série d’espèces spéciales au désert et ayant en général une large extension géographique. Les plus frappantes sont des scarabées noirs (Tenebrionides) : les indigènes les désignent sous les noms de khanfousa (pl. khanéfis) en arabe et de edjéré en tamahek ; ces différents mots sont fréquents dans la toponymie.

L’examen des quelques listes d’insectes déjà publiées[133] montre qu’à ces formes sahariennes viennent s’ajouter des espèces méditerranéennes et des espèces du Soudan : le Papilio Machaon L., nettement paléarctique, a été recueilli à Tamanr’asset (22°,47′ Lat. N.) ; le[193] Callidryas Florella F. qui habite toute l’Afrique tropicale, remonte jusqu’à l’oued El R’essour (vers 22° Lat. N.) ; le Scolia unifasciata Cyrill. de la Méditerranée se trouve encore au sud de l’Ahaggar et l’Eumenes Caffra L., qui habite toute l’Afrique chaude, a été capturé au nord de l’Aïr (Taghazi, oued Tidek).

Ces quelques faits, qu’il serait facile de multiplier, suffisent à montrer l’importance du Sahara comme barrière entre la faune européenne et la faune tropicale : le désert, en laissant de côté les espèces adaptées spécialement à ses rudes conditions climatiques, est une sorte de territoire contesté vers le milieu duquel viennent se joindre les émigrés du nord et les émigrés du sud. La désignation assez bizarre d’équateur zoologique, que Pucheran[134] avait donné naguère à la ceinture de déserts qui, vers le tropique du Cancer, fait le tour du globe, correspond bien à une ligne de démarcation de premier ordre.

Enfin un Méloïde, de type très spécial, capturé à Tamanr’asset, est peut-être à rapprocher, au point de vue géographique, des plantes caractéristiques des hauteurs de l’Ahaggar.

Termites. — Les termites constructeurs, à termitière monumentale, turriforme, font leur première apparition dans la zone sahélienne. Leur limite nord n’est connue qu’en quelques points ; ils dépassent le 18° Lat. N. sur le littoral atlantique ; dans le Télemsi, ils apparaissent au sud de Tarikent (17°,30′ Lat. N.) ; dans le Tegama, j’ai noté les premiers vers Tin Teborak (15°,30) ; plus à l’est, leur limite s’infléchit de plus en plus vers le sud : elle passe à peu de distance au nord du Koutous (14°,30), puis fait un brusque crochet vers le sud : on voit les derniers à mi-chemin entre Chirmalek et Kakara ; ils manquent tout autour de la partie nord du Tchad. Leur distribution dans la zone qu’ils occupent est assez singulière ; presque toujours ils abondent dans les bas-fonds et manquent dans les endroits secs ; ils évitent d’ordinaire les dômes granitiques : le poste de Zinder en est exempt bien qu’à quelques cents mètres ils deviennent communs ; cependant auprès de Gouré, dans le Mounio, quelques termitières sont établies au sommet des mamelons granitiques. Il y a certainement plusieurs espèces de ces termites constructeurs, mais leur étude reste à faire.

Quant aux termites souterrains, on les trouve dans tous les points habitables du Sahara ; autour de Tamanr’asset (1300 m.) leurs galeries abondent sur un grand nombre d’arbrisseaux.

[194]Insectes des tanezrouft. — Les insectes existent dans tout le Sahara ; ils sont relativement communs dans les pâturages, partout où il y a des arbres ou des herbes ; dans les tanezrouft ils sont naturellement plus rares, cependant ils ne font pas complètement défaut. En mai 1905, pendant les 60 kilomètres de traversée de la sebkha Mekergan, au nord de l’Achegrad, j’ai compté, du haut de mon méhari, onze Eromophila, genre voisin de la mante religieuse du sud de l’Europe, et essentiellement carnassier ; la marche s’est faite surtout de nuit et je ne pouvais voir, dans la journée, que les insectes qui partaient sous les pieds de mon chameau. Dans le tiniri d’In Azaoua, la densité des Eromophila est à peu près la même. Les végétaux manquent complètement dans la sebkha, comme dans le tiniri.

Pour que des insectes carnassiers puissent vivre dans de semblables conditions, il faut de toute nécessité qu’ils trouvent des victimes ; ils peuvent, par un coup de vent heureux, être ravitaillés en sauterelles arrachées à des pâturages éloignés, mais cette ressource est bien aléatoire et ils doivent trouver sur place, dans les Mélasomes, les Khanfousa des Arabes, une proie plus régulière. La présence assez fréquente de Lézards[135] (des agames et des geckos surtout) est une autre preuve de l’abondance relative des insectes.

Les Mélasomes sont des coléoptères lourds et sédentaires : ils meurent où ils sont nés. Ils ne peuvent guère se nourrir, dans ces régions où il ne pousse rien, que des graines que le vent dissémine partout ; c’est là un petit point de biologie qu’il serait intéressant d’élucider, si l’on pouvait séjourner dans le désert. On peut surtout se demander ce qu’ils boivent. Lameere, dans le voyage qu’il a fait au Sahara en compagnie de Massart[136], s’est préoccupé de cette question et semble en avoir donné une solution satisfaisante. Un premier point est bien clair : l’eau à l’état libre est l’exception au Sahara ; dans le tanezrouft, elle n’existe pas ; dans les pâturages, les plantes, par leurs longues racines, vont chercher l’eau en profondeur ; parfois aussi, les sels déliquescents qui couvrent leurs feuilles leur permettent de fixer pendant la nuit un peu de la vapeur d’eau atmosphérique ; en tous cas, elles contiennent de l’eau dont savent se contenter les herbivores sahariens, mammifères ou insectes. Cette ressource fait défaut aux tanezrouft ; les cadavres d’animaux qui viennent y mourir sont aussitôt momifiés ; la seule nourriture possible pour les insectes est une nourriture desséchée.

Les Mélasomes, mieux encore que la plupart des insectes, sont[195] armés pour lutter contre l’évaporation ; leurs téguments sont imperméables et leur permettent d’interrompre tout échange avec l’atmosphère : dans un flacon de cyanure, où meurent rapidement, en quelques minutes, la plupart des insectes, un Mélasome peut vivre plusieurs jours. J’ai observé un fait analogue pour un scorpion à Tamanr’asset : après un séjour de plusieurs heures dans une solution concentrée de sublimé, je le croyais mort : un bain de soleil de dix minutes a suffi pour le remettre sur pied. Cette imperméabilité réduit presque à rien la perte d’eau par évaporation, mais c’est tout ce qu’elle peut faire.

On est donc conduit à admettre, avec Lameere, que l’eau, qui forme une fraction notable du poids d’un Mélasome, est créée par l’insecte lui-même : toutes les graines sont riches en matières amylacées et albuminoïdes qui contiennent de l’hydrogène ; la respiration transforme cet hydrogène en eau et il faut que cette eau suffise aux hôtes du tanezrouft. Cette absorption intermoléculaire d’eau est assez analogue au procédé qu’emploient les microbes anaérobies pour respirer sans oxygène. Bien que cette hypothèse paraisse la seule vraisemblable, on aimerait pouvoir l’étayer sur quelque expérience de laboratoire ; on aimerait aussi à savoir comment ces animaux, de couleur foncée, peuvent se promener en plein soleil, sans être tués par la chaleur, sur un sol dont la température dépasse souvent 60°.

Les autres animaux luttent contre l’échauffement par une évaporation active ; pendant les mois de juin et de juillet, nous buvions tous une dizaine de litres d’eau par vingt-quatre heures, et c’était tout juste suffisant.

Il serait intéressant de savoir si les Mélasomes peuvent fabriquer assez d’eau pour se livrer à un pareil gaspillage.

Crustacés. — Pour ce groupe, il y a à noter seulement la fréquence des Apus dans les r’edir. Les œufs de ces curieux animaux ne se développent bien que lorsqu’ils ont été longtemps desséchés ; les mares de la région saharienne sont à cet égard dans d’excellentes conditions. Les Apus abondent dans les dayas, au sud de Laghouat. Mussel en a recueilli dans l’Iguidi. J’en ai rencontré près de Timissao, dans les r’edir de Tin Azaoua.

Mollusques. — Les Mollusques[137] ne présentent pas de formes[196] particulières au Sahara ; il faut se souvenir cependant que la Coudia n’a pas été étudiée à ce point de vue : les quelques ruisseaux permanents que l’on y signale nous réservent peut-être des surprises.

Les seules espèces connues dans le désert, encore en bien petit nombre, sont émigrées : descendant des bords de la Méditerranée, quelques escargots suivent assez loin vers le sud les plateaux calcaires qui s’étendent jusqu’au Tadmaït (Helix candidissima Drap. par ex.) ; le long du littoral Atlantique, l’Helix Duroï Hid. et une espèce apparentée au paléarctique H. Pisana Mull., pénètrent jusqu’au cap Blanc. Le Rumina decollata L., si abondant en Algérie, a été trouvé, subfossile il est vrai, à l’Ilamane dans l’Ahaggar [Flamand, Comité de l’Afrique française, 1903, p. 268] où Guilho-Lohan en a rencontré une variété naine ; j’ai recueilli la même variété dans l’Aouguerout, à Tiberkamine, également dans des tufs.

Les formes terrestres tropicales ne paraissent pas pénétrer dans le Sahara ; les Limicolaria qui remplacent les Helix, dont l’existence est au moins douteuse dans la majeure partie de l’Afrique chaude, n’ont pas été vus au nord du Damergou (15° Lat. N.) où ils sont peu abondants ; la rareté du calcaire et l’abondance du sable expliquent probablement le fait : les sables de Fontainebleau forment autour de Paris une barrière qui a arrêté plusieurs espèces.

Les formes d’eau douce sont plus intéressantes et plus nombreuses : le Planorbis salinarum Morelet, décrit de l’Angola, remonte jusqu’à l’Ahaggar (Abalessa) et au Touat ; le Melanopsis Maresi Bourguignat descend jusque dans l’Iguidi où il a été recueilli par le capitaine Mussel.

La facilité avec laquelle se fossilisent les mollusques permet dès maintenant d’entrevoir que leur étude donnera la solution de quelques questions hydrographiques importantes : le Melania tuberculata, Müller, est une espèce nettement tropicale que l’on connaît déjà dans le Pliocène d’Algérie : il est assez vraisemblable qu’elle y est venue par le Niger et la Saoura, autrefois affluents tous les deux de la mer de Taoudenni.

L’Aetheria elliptica Lam. avec ses nombreuses variétés[138], qui forme actuellement dans tous les fleuves de l’Afrique tropicale des bancs assez importants[139] pour qu’on les utilise à la fabrication de la chaux, paraît une nouvelle venue dans le Niger.

[197]On ne la connaît pas au nord de ce fleuve et l’on peut croire qu’elle n’a pu pénétrer, de la région du Nil, dans l’Afrique occidentale que depuis la capture du Niger à Tosaye : on la trouve en effet dans tous les affluents du Tchad, même le Bahr El Ghazal (Chevalier), et elle existe dans le Quaternaire égyptien.

Il est évidemment prématuré de tirer des conclusions fermes de ces quelques faits, mais la voie est bonne à suivre : toute récolte de mollusques, au Sahara ou dans la zone sahélienne, peut donner de très utiles renseignements.

Batraciens et reptiles. — Les batraciens anoures sont assez fréquents au Sahara ; il y a des grenouilles (?) à El Goléah, dans les oasis touatiens, dans les ar’rem de l’Ahaggar ; elles ne sont pas rares dans l’Aïr, ni dans les mares les moins salées des Teguidda. On sait combien ces animaux sont sensibles à la sécheresse ; on sait aussi que leurs œufs sont très délicats et ne peuvent pas être transportés accidentellement, par le vent ou les oiseaux. En règle générale, il n’y a pas de batraciens dans les îles océaniques.

Leur existence, en des points isolés comme El Goléah ou l’Ahaggar, est le témoignage d’un état hydrographique différent, d’une période où des cours d’eau continus reliaient ces différents points à d’autres bassins fluviaux. L’étude précise des différentes espèces pourra permettre d’affirmer des relations anciennes entre les divers bassins et apportera de nouveaux arguments, très solides, à la reconstitution des réseaux hydrographiques du Sahara. Cette étude est encore à faire entièrement.

Quant aux reptiles, il sont nombreux. Le groupe des lézards est abondamment représenté ; les espèces sont malheureusement encore indéterminées. Il y a surtout des agames, des geckos, des varans.

On a souvent insisté sur la coloration gris jaunâtre de beaucoup d’espèces sahariennes ; l’homochromie est en effet assez fréquente ; cependant, à l’époque de la pariade, beaucoup de lézards prennent des couleurs très brillantes ; en juillet et août, dans l’Adr’ar’ et l’Ahaggar, un agame à tête rouge, avec un corps vert et violet, se distingue de fort loin sur la patine noire des rochers, où il est d’un effet très décoratif.

Les uromastix (fouette-queues) se rencontrent depuis le Sud algérien[198] jusqu’à l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’Ahaggar. Ils deviennent presque noirs dans la région basaltique de Silet.

Les tortues sont assez communes dans la zone sahélienne où l’on en trouve fréquemment une forme voisine de la tortue d’Algérie, mais beaucoup plus grosse (elle dépasse souvent une longueur de 50 centimètres) et présentant trois ergots aux pattes postérieures.

Les serpents sont communs. Le plus souvent cité, la vipère à cornes (Cerastes), semble ne pas exister partout : très commune dans le Grand Erg et l’Iguidi, on la retrouve sur le littoral de Mauritanie ; vers le sud elle abonde dans les dunes de l’Ahnet, au delà duquel elle disparaît. On ne la trouve ni dans le tanezrouft d’In Zize, ni dans l’Ahaggar[140] : ses pistes sont tellement caractéristiques qu’il paraît difficile que sa présence puisse échapper.

Son existence est très douteuse dans l’Adr’ar’ des Ifor’ass ; on affirme sa présence dans les dunes qui bordent le Niger ; je n’ai pu avoir la confirmation de ce fait ni à Bourem ni à Bemba. Boulenger [Catalogue of the snakes in the British Museum, 1896] indique que les deux espèces du genre Cerastes ne se trouvent que dans la partie septentrionale du désert, de l’Arabie à l’Atlantique. Leur distribution géographique coïnciderait en gros avec celle des Ergs vivants (fig. 69, p. 245) [Cf. Mocquart, Revue coloniale, 1905].

Oiseaux. — Les oiseaux sont rares au Sahara ; quelques vautours, de couleur claire, suivent les caravanes ; les « ganga » se trouvent dans tous les pâturages ; les tourterelles (2 espèces au moins) et les pigeons sont communs autour de tous les points d’eau. Dès qu’on arrive à la zone sahélienne, ce monde des oiseaux est presque entièrement renouvelé et les formes soudanaises se montrent en grand nombre. J’ai noté les mange-mil, les moineaux du Soudan (famille des Viduinés)[141], à Timiaouin dans l’Adr’ar’ et à Iférouane dans l’Aïr. Les perroquets se montrent à Tin Teborak (15°,30′ Lat.), dans le Tegama. La corneille à plastron (Corvus scapulatus D.) abonde dans toute la zone sahélienne, du Tchad à l’Atlantique, de même que la grande outarde et la pintade.

La pintade est souvent domestique et l’on en rencontre dans tous les villages du pays haoussa. Comme il arrive à tous les animaux de basse-cour, son plumage devient très variable et prend souvent des[199] couleurs claires ou presque blanches ; c’est probablement, comme il l’avait pressenti, à ces variétés domestiques d’origine indigène, qu’appartenaient les pintades signalées par Maclaud comme provenant du haut Niger [l. c., p. 257].

L’autruche. — La distribution de l’autruche soulève au moins une question intéressante ; elle est toujours assez répandue dans la zone sahélienne à l’état sauvage ; dans un grand nombre de villages, en pays haoussa comme sur les bords du Niger, on élève des autruches qui sont assez domestiquées pour qu’on les laisse en liberté dans les champs voisins. Les autruches sont plumées vers le mois de juillet ; pendant quelques semaines, ces grandes bêtes, toutes nues, font un effet hideux dans le paysage. La plupart des plumes que l’on trouve sur le marché proviennent de cet élevage, que les noirs savent fort bien pratiquer.

On sait que l’autruche a été commune dans le Sud algérien d’où elle a disparu depuis quelques années. On a habituellement expliqué cette disparition par les chasses abusives des officiers des bureaux arabes. Il peut se faire que cette cause ait contribué à l’extinction des autruches, mais cette explication cesse d’être valable plus au sud ; elle est probablement fausse, ou tout au moins incomplète. Tous les nomades sont d’accord pour dire qu’il y a une cinquantaine d’années, les autruches étaient communes dans tout le Sahara ; Duveyrier mentionne expressément que, dans l’Ahaggar, on ne le chassait pas parce que leurs plumes, usées contre les rochers, n’avaient pas de valeur marchande, et que les Touaregs s’abstiennent de la chair des oiseaux.

Les témoignages unanimes des indigènes sont confirmés par la grande abondance des œufs que l’on trouve souvent, presque intacts, à la surface du sol, dans toutes les parties du Sahara ; ces œufs se trouvent aussi bien dans les feidjs entre les dunes que dans les grands regs du tanezrouft, toujours loin des oasis : on a souvent dit, et l’on trouve encore dans des manuels récents, que l’autruche n’habitait pas le désert, qu’elle ne faisait que le traverser, allant d’oasis en oasis, comme les grands voiliers de l’Océan vont d’île en île ; ceci est tout à fait inexact et l’autruche n’a jamais été signalée que loin des centres habités ; les oasis sont d’ailleurs occupés entièrement par des jardins soigneusement enclos et nul animal sauvage de forte taille n’y peut pénétrer. L’autruche a presque disparu de tout le Sahara ; pendant son beau raid dans l’Iguidi, Flye Sainte-Marie, en a vu une seule piste ; Voinot a aperçu deux ou trois autruches dans l’Amadr’or ; les rapports de tous les officiers des oasis permettraient[200] peut-être d’augmenter ce chiffre de quelques unités et l’on sait quel nombre colossal de kilomètres ils ont couvert.

Au désert, ce n’est certes pas la chasse que l’on peut invoquer pour expliquer cette raréfaction. Un changement de climat est invraisemblable, qui aurait supprimé les points d’eau : notre guide nous affirmait avoir souvent vu, dans son enfance, des autruches entre l’Ahaggar et l’Aïr ; la piste n’a pas changé ; la description que, par renseignements il est vrai, Barth avait recueillie en 1850 est encore parfaitement exacte : ce sont les mêmes puits, et les mêmes pâturages ; les gazelles et les mohors ne sont pas rares le long de cette piste et tous ceux que nous avons tués étaient en fort bon état, preuve qu’ils vivaient largement. Une épidémie, ou ce qui revient au même, une épizootie, ne se comprend guère dans une population aussi disséminée que celle du désert et sous le soleil purificateur du Sahara.

De semblables extinctions, totalement inexpliquées, ont souvent été signalées en paléontologie : un groupe donné d’animaux n’aurait qu’une vie limitée, comme chacun des êtres qui le composent ; il y aurait une mort de l’espèce, comme il y a une mort de l’individu. Cette explication est peu claire, mais les faits dont elle prétend rendre compte paraissent indéniables. L’autruche est certainement un type vieux, un véritable anachronisme ; malgré l’apparence, elle n’est pas un véritable oiseau ; elle n’a avec les oiseaux que des rapports de cousinage éloigné ; elle est un des derniers représentants des grands reptiles, des grands dinosauriens de l’ère secondaire.

Mais il ne suffit pas qu’un type animal soit vieux pour qu’il disparaisse ; encore faut-il une cause, autrement il n’y aurait plus de déterminisme, plus de loi naturelle. Cette disparition de l’autruche du Sahara prend ainsi une certaine importance ; son explication permettrait peut-être d’apporter un peu de lumière dans un des problèmes les plus obscurs de la paléontologie.

Mammifères. — L’étude des petits mammifères (gerboises, lièvres, daman, hérisson, civettes, lynx, etc.) est à peine ébauchée et l’on ne peut rien dire de certain.

Parmi les grosses espèces, un petit nombre se trouvent un peu partout dans le Sahara : la gazelle (G. dorcas L.), avec de multiples variétés encore mal débrouillées, est dans ce cas ; le mohor (Gazella mohr Bennet) que l’on signale jusqu’au Tafilalet, ne devient commun qu’au sud de l’Ahaggar ; dans le nord de la zone sahélienne on le voit plus souvent que la gazelle.

[201]Des fœtus de mohor à terme, provenant de femelles tuées à N’Guigmi dans la seconde quinzaine de février, avaient la robe complètement fauve ; on pouvait à peine distinguer une origine de balsane. Des jeunes de la même espèce, observés en novembre dans le poste de Djadjidouna (Damergou) et ayant par suite huit à neuf mois, avaient à peu près exactement la robe de la gazelle commune ; chez l’adulte, le blanc s’accroît beaucoup, le dos seul reste fauve.

Un peu plus au sud, au voisinage du Tchad et des bords du Niger, de nombreuses antilopes et la girafe apparaissent ; toutes ces espèces sont soudanaises ; elles ne s’éloignent jamais beaucoup ni des mares, ni du fleuve.

L’adax [v. t. I, p. 197], assez commune aux confins de l’Algérie, devient rare dans le Sahara méridional. Elle existe cependant dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, au moins dans sa partie nord.

Le fenek (Canis Zerda Zim.) est également très répandu ; nous en avons pris un jeune, dans son terrier, à mi-chemin entre In Ouzel et Timissao, à 100 km. de tout point d’eau. Les chacals et les hyènes[142] ne s’éloignent pas autant des puits. Le guépard (Cynailurus jubatus Zim.) existe probablement dans l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’Ahaggar.

Le mouflon (Ovis tragelaphus Desm., ou une race de cette espèce) se trouve dans toutes les régions montagneuses de l’Afrique septentrionale ; vers le sud, il ne paraît pas dépasser l’Aïr (nous en avons vu près d’Iférouane) et l’Adr’ar’ des Ifor’as : il en a été tué un vieux mâle dans l’Adra’r’ Denat ; Nachtigal le signale dans le Tibesti. Ceci permet de reporter vers le 18° de latitude la limite méridionale de cette espèce, que le catalogue de Trouessart[143] fixait au 24° Lat.

Pendant la saison des pluies, le lion remonte jusqu’à l’Adr’ar’ des Ifor’as ; il habite toute l’année l’Aïr[144], manque, pendant la saison sèche, dans le Tegama où les puits sont profonds, et devient commun dès que l’on arrive à la région des mares.

Les phacochères (P. africanus Gm.) existent dans toute la zone sahélienne ; on les trouve d’ailleurs jusqu’au Zambèze. Une espèce[202] de ce genre a été signalée dans le Quaternaire algérien et figurée par Pomel. J’en ai vu pour ma part, et mangé, dès Teguidda n’Taguei.

Les singes ont été signalés depuis longtemps dans l’Aïr, et Cortier en a aperçu et tiré un dans le sud du pays des Ifor’as [La Géographie, avril 1908, p. 278].

Par ses mammifères comme par ses plantes, la zone sahélienne est bien distincte du Sahara et se rattache au Soudan.

Quelques points méritent encore d’être signalés : on s’étonne de trouver des hippopotames dans des mares de moyenne étendue, comme celles de la région de Gourselik. Ce fait, déjà signalé par Barth, n’est pas douteux ; j’en ai vu des ossements, et les captures sont, paraît-il, assez fréquentes. Il pourrait être intéressant de voir si l’exiguité des mares qu’il habite n’a pas entraîné une modification de la taille de l’hippopotame. — Les rhinocéros, qui sont surtout de l’Afrique orientale, paraissent bien décidément venir jusqu’au Tchad ; le colonel Destenave est très affirmatif ; les indigènes des bords du lac craignent beaucoup la rencontre de cet animal dangereux souvent caché, paraît-il, dans les fourrés de roseaux.

La chasse. — Dans la zone sahélienne, surtout dans sa partie méridionale, le gros gibier est abondant et quelques tribus vivent de la chasse : les chasseurs forcent la girafe à cheval ; pour les antilopes et les mohor, ils sont assez patients pour ramper pendant des heures et les approcher d’assez près pour les tuer à la lance.

Au Sahara, les Touaregs forcent quelquefois l’adax à méhari ; mais la chasse existe à peine chez eux et est abandonnée aux plus pauvres. Vers la fin de la saison sèche, les plus miséreux distinguent une saison des pièges, pendant laquelle la seule ressource est, pour eux, la chasse à la gazelle.

Comme on ne peut songer à la forcer à la course, on emploie un piège formé d’une couronne tressée, à l’intérieur de laquelle sont fixées des tiges de bois dur : l’ensemble figure une sorte de roue sans moyeu ou plutôt d’entonnoir très surbaissé, d’une vingtaine de centimètres de diamètre. On pose ces pièges au-dessus d’un trou, la pointe en bas, aux points où fréquentent les gazelles, et si par hasard l’une d’elles pose le pied dessus, elle ne peut se débarrasser de cette couronne et est obligée de fuir en l’entraînant. Parfois un bâton, attaché au piège, le rend encore plus lourd. L’animal ainsi gêné dans sa course est facile à attraper.

Voinot a figuré un de ses pièges provenant d’Amdjid [Comité de[203] l’Afrique Française, 1908, Supplém., p. 86] ; j’en ai vu de semblables à Tamanr’asset et sur les bords du Tchad. Ces derniers, destinés à la capture de plus grosses antilopes, avaient une quarantaine de centimètres de diamètre.

Dans le Sahara arabe comme aux compagnies de méharistes, le fusil est trop répandu pour que l’on ait recours à ces modes primitifs de chasse. Le gibier est en général assez abondant pour fournir un appoint sérieux pendant les marches ; à El Goléah, la viande de gazelle coûte moins cher que celle du mouton.

Les troupeaux. — Il y a peu de choses à dire sur les animaux domestiques du Sahara[145].

Chèvres et moutons. — Les chèvres et les moutons forment partout la masse principale du cheptel ; leurs types sont peu variés et sont les mêmes que dans le Sud algérien. Cependant au damman (Ovis longipes) ou mouton à poil, vient s’ajouter parfois le mouton à laine ; il y en a quelques-uns dans l’Ahaggar et aussi dans l’Adr’ar’ mauritanien et le Rio de Oro ; en tous cas, au Sahara, il est la très rare exception et une peau de mouton d’Algérie a semblé, aux habitants d’Iférouane, la chose la plus extraordinaire que l’on puisse voir. Ce n’est qu’au sud du Niger qu’il prend une certaine importance. Il donne une laine de médiocre qualité, très jarreuse ; la sélection parviendra probablement à l’améliorer ; mais il y a peu de temps que la question est étudiée ; en 1906, à Segou-Sikoro ce commerce était tout à fait à ses débuts : dès 1907, le haut Sénégal et Niger a pu exporter 500 tonnes de laine. Il semble que la question de la laine au Soudan peut devenir rapidement intéressante.

Dans les troupeaux de chèvres, on observe assez souvent des individus à robe fauve, à cornes infléchies en avant et qui pourraient bien être des métis de gazelles. Il serait utile d’avoir des précisions sur ce point.

Les bœufs. — Les bœufs à bosse, les zébus, sont très répandus au Soudan, où ils sont souvent employés comme animaux de bât. On les retrouve dans l’Adr’ar’ des Ifor’as et dans l’Aïr, où, malgré la proximité des tanezrouft, ils vivent fort bien et se maintiennent en excellente forme. Dans l’Ahaggar, il n’y en a qu’un nombre insignifiant, une cinquantaine au plus, bien que pendant l’hiver la traversée du Sahara soit pour eux relativement facile : ils arrivent même au Tidikelt.

[204]Quelques autres races de bœufs, sans bosse, sont connues au Soudan ; la plupart sont de petite taille. L’une d’elles cependant, encore assez mal connue, atteint la taille de nos plus forts taureaux. Ces bœufs « kouri » ont une robe en général claire, assez souvent blanche, le mufle toujours noir. De face, la tête est assez étroite, comme d’ailleurs chez la plupart des zébus du Soudan, mais le chanfrein est nettement bombé, moutonné et les cornes sont véritablement énormes : chez les mâles, leur diamètre à la base dépasse 25 centimètres [Freydenberg, thèse, p. 148-149].

Ces bœufs ont d’abord été signalés dans les îles du Tchad où ils sont fort nombreux ; Destenave évalue leur nombre à 60000. Ce chiffre est très vraisemblable : les habitants du petit village de Kalogabé, près du poste de Kouloua, sont au nombre de 200 seulement et possèdent 4000 bœufs adultes.

Ces bœufs kouri ne sont pas spéciaux à la région du Tchad ; on les retrouve à plus de 300 kilomètres à l’ouest, chez les Tebbous dont les campements sont établis au nord du Koutous. Leur extension vers l’est est inconnue. Nachtigal [Le voyage... au Ouadai, Bull. du Com. de l’Afr. Fr., 1903] n’indique à l’Ouadai (p. 63) que des zébus.

Les chevaux. — Les chevaux[146] se rattachent tous, de plus ou moins près, aux races de Barbarie ; leur élevage se fait surtout dans le bassin moyen du Niger ; entre le fleuve et le Tchad ils deviennent moins nombreux. Vers le nord, le désert les arrête, et leur extension vers le sud est limitée par les trypanosomiases.

Les Touaregs de l’Aïr ont quelques chevaux, 600 environ, parmi lesquels quelques-uns atteignent une haute valeur, plusieurs milliers de francs. Ces chevaux « bagazam », ainsi nommés en souvenir d’un siège célèbre que soutinrent autrefois les Kel Aïr contre un sultan du Bornou, peuvent rester deux jours sans boire ; cette particularité, qui semble résulter plutôt d’un dressage spécial que d’un caractère de race, les rend singulièrement précieux dans le Tegama où les points d’eau sont rares, et explique leur prix élevé.

Les ânes. — L’âne, qui résiste bien à la soif et qui sait se débrouiller dans les plus maigres pâturages, se répand de plus en plus au Soudan : les convois officiels en ont égaré dans tous les villages, entre Niamey et Zinder, où ils deviennent très nombreux.

Dans toutes les régions habitables du Sahara il en existe des troupeaux ; c’est toujours un animal de petite taille, contrairement à l’indication de Duveyrier pour l’Ahaggar. Une autre affirmation de[205] l’illustre voyageur paraît aussi douteuse. Duveyrier croyait à l’existence d’ânes sauvages, d’onagres, sur la Coudia ; sur son autorité renforcée par celle de Flatters [Journal de route, p. 56], l’existence de l’Equus tæniopus d’Abyssinie a été admise à l’Ahaggar par tous les zoologistes. Il s’agit en réalité probablement d’ânes marrons et d’un élevage très spécial ; chaque troupeau a son propriétaire ; il est vrai que c’est une propriété assez vague ; il faut prendre les ânes au piège et la plupart du temps, si l’on n’a pas eu la chance de tomber sur un animal jeune, l’âne habitué à toute sa liberté est inutilisable. La question paraît d’ailleurs exiger quelques recherches : de Foucauld maintient, dans son dictionnaire, la distinction entre l’âne (eihedh) et l’onagre (ahoulil). Les zébrures sur les canons et les boulets, qui caractérisent l’Equus tæniopus, se trouvent assez fréquemment au Sahara jusque sur le littoral de Mauritanie, chez des ânes certainement domestiques.

Les chameaux. — Le chameau d’Afrique n’a qu’une bosse, il est toujours un dromadaire, mais personne n’emploie ce mot qui est réservé aux dictionnaires. Son étude zootechnique n’est pas faite ; il présente de nombreuses races bien distinctes : à première vue un nomade sait toujours de quel pays provient un chameau et, sans être du métier, on arrive vite à saisir des différences nettes entre les bêtes de différents élevages.

Les chameaux des hauts plateaux d’Algérie, lourds et robustes, avec leurs poils longs, fauves et souvent foncés, sont d’excellents animaux de bât dans leur pays ; dans le grand erg, on trouve des chameaux de forte taille, mais de différents types : les animaux du sud de la Tripolitaine à rein très long, ne ressemblent pas aux chameaux des Chaambas, beaucoup plus ramassés ; les mehara de Methlili, de taille médiocre, sont plus élancés et plus rapides que la plupart des chameaux de l’erg.

Les meilleurs animaux de selle proviennent de l’élevage touareg. Ce sont des bêtes à poil ras, à robe claire, souvent blanche, et d’une grande vitesse. Plus au sud, dans le Sahel, le profil est différent ; l’œil est souvent vairon ; les robes pies ne sont pas rares. En Mauritanie, on observe encore d’autres types.

Mais faute de chiffres précis et de photographies systématiques, il est difficile de débrouiller tous ces groupes ; on ne peut que signaler l’existence d’un grand nombre de races.

Quelques caractères cependant semblent en relations directes avec le milieu où a vécu l’animal. Les chameaux d’erg, habitués à marcher sur le sable, ont la sole assez sensible et se blessent dans les[206] montagnes du pays touareg ; cette différence se manifeste nettement sur les pistes : les chameaux de pays rocailleux ont une sole épaisse et crevassée ; qui laisse sur le sable une empreinte couverte d’un réseau à larges mailles, très marqué ; celle du chameau d’erg est lisse.

Les chameaux du Sahara proprement dit, chaamba ou touareg, ont une bosse nette, bien délimitée : dans toute le zone sahélienne, la bosse plus basse se raccorde, sans rupture de pente, au reste du dos ; on ne sait ni où elle commence ni où elle finit. Il est vraisemblable que, dans le nord du Soudan, où les chameaux trouvent tous les jours de quoi manger, cet organe de réserve perd de son importance et commence à s’atrophier. Les bâts, qui servent à charger les chameaux porteurs ont des formes très différentes au Sahara et au Soudan : dans le nord, la partie essentielle du bât, le kteb, est très courte ; elle prend place en avant de la bosse, qu’entoure un coussin en forme de couronne ; les Berabiches du Sahel, les Touaregs de l’Aïr utilisent, à quelques détails près, des haouias analogues.

Fig. 66. — Deux types de bât : à gauche, bât du chameau saharien ; à droite, bât du chameau sahélien.

Dans la région du Tchad, le bât se compose de deux arçons situés l’un en avant l’autre en arrière de la bosse, et reliés par quelques traverses : l’ensemble occupe tout le dos et ne laisse pas place pour une bosse bien nourrie ; il serait impossible de placer ce bât sur un chameau saharien. Nachtigal [Sahara et Soudan, p. 260] en a donné un croquis détaillé. Lorsqu’il a fallu reconduire à Niamey et au Sénégal les canons amenés jadis péniblement à Zinder, on a pu utiliser très facilement pour leur transport à dos de chameaux, les bâts de mulet réglementaires : il a suffi de modifier un peu le rembourrage ; aux Oasis, le transport des canons à dos de chameau est toujours difficile.

Le nombre des chameaux indiqué dans les recensements ne doit pas faire illusion sur les capacités de transport au Sahara. Il y a 20000 chameaux dans l’Aïr, 7000 dans l’Ahaggar : mais un petit nombre seulement est disponible. Ces chiffres comprennent les chamelles, les chamelons de trois ans, les bêtes réservées à la boucherie ;[207] ils comprennent aussi les montures personnelles des Touaregs et les chameaux employés aux petites caravanes, qui relient constamment les villages entre eux.

Un grand nombre d’animaux ont déjà un rôle bien défini et ne peuvent être employés à autre chose. A propos du télégraphe transsaharien, dont le matériel (fils, poteaux, etc.) représente environ 6000 charges, une enquête sérieuse a été faite dans l’Ahaggar pour savoir de combien de chameaux on pourrait disposer pour ce travail[147] : on peut compter que sur les 7000 animaux du Sahara central, 500 ou 600 tout au plus, moins du dixième, seraient utilisables, à moins de troubler profondément les conditions de la vie habituelle des nomades.

L’existence de races multiples, adaptées chacune à des régions déterminées, justifie la nécessité de relais pour les caravanes : les chameaux pourraient se déplacer à de grandes distances, dans le sens des latitudes, sans que pour eux les conditions de vie soient sensiblement changées ; mais, en fait, le mouvement commercial a lieu de la Méditerranée au Soudan, et pour aller du nord au sud il faut passer des régions de dunes de l’erg, aux régions caillouteuses de la pénéplaine cristalline ; en même temps que la nature du sol, la végétation se modifie et le chameau, gros mangeur, mais qui tient à choisir sa nourriture, et s’habitue difficilement à des plantes nouvelles, se nourrit mal dans des pâturages nouveaux. Dans la pratique, les chameaux du nord transportent les charges jusqu’au Tidikelt ou jusqu’à R’ât ; les chameaux des Ahaggar ou des Azdjer les remplacent jusqu’au nord de l’Aïr, jusqu’à Iférouane ; les troupeaux des Kel Oui achèvent la route jusqu’à Zinder ou Kano. Avec des animaux de choix et des soins constants, on pourrait faire autrement ; plusieurs longues tournées ont montré de quoi étaient capables des animaux bien entretenus : quelques mehara de la tournée Dinaux, ont pu rentrer d’Iférouane à In Salah (1338 km.) en vingt-neuf jours : ils étaient en route depuis six mois. Pour obtenir de pareils résultats, sans perte d’animaux, il faut des précautions incessantes, des soins presque affectueux ; il faut surtout ne jamais s’occuper de la commodité ou de la fatigue des hommes, et régler toutes les étapes à l’avantage du chameau ; on doit en route se résigner à être l’esclave de ses montures. On trouvera à ce sujet d’intéressants renseignements dans l’ouvrage du capitaine E. Arnaud et du lieutenant M. Cortier [Nos confins sahariens, Paris, 1908], qui résume tout ce qu’une[208] expérience déjà longue, complétant les renseignements indigènes, a suggéré aux officiers des compagnies de méharistes.

Le chameau est encore intéressant à un autre point de vue ; comme animal de bât, il est employé en Algérie et au Soudan ; comme animal de selle, son rôle est plus limité. Il est une monture excellente pour de longues étapes, surtout lorsque l’on est en troupes : le guide marche en tête et tous les mehara le suivent sans que l’on ait presque à s’en occuper. Pour de courtes promenades, surtout lorsque l’on est seul, le chameau est insupportable ; il est difficile à diriger. Aussi dès que la chose devient possible, dès que les points d’eau sont assez rapprochés, il est, comme animal de selle, remplacé par le cheval plus maniable et plus rapide sur les courtes distances. Cette substitution du cheval au mehari indique, au nord comme au sud, la limite du désert. Cette limite est évidemment un peu conventionnelle ; elle est d’ordre ethnographique plutôt que géographique ; si l’on voulait être strict, le désert, les régions inhabitées et inhabitables, se confondraient avec les tanezrouft. Mais si l’on y ajoute les régions à faible densité de population qui, jointes aux précédentes, forment l’ensemble du Sahara, l’existence du mehari, comme monture habituelle, est caractéristique. Les limites qu’elle donne coïncident d’une manière très satisfaisante avec celles qu’indiquent les zones végétales, zones qui sont en rapport immédiat avec les quantités de pluie.

Au surplus, même comme animal de bât, le chameau disparaît dans les pays fertiles ; l’humidité lui est néfaste ; il ne peut prospérer, disent les Kel Aïr, dans les pays où pousse bien le mil. Il manque dans le Tell ; sur les Hauts Plateaux, son élevage diminue d’importance. Au sud de la zone sahélienne, on ne le trouve plus qu’accidentellement ; il en existe cependant quelques-uns qui séjournent constamment dans le Djerma, mais ils sont malingres et une longue hérédité seule les a mis à peu près en état de résister aux trypanosomiases.

Les chameaux sont de nouveaux venus dans une partie de l’Afrique ; connus de tout temps en Tripolitaine, ils n’auraient été introduits en Algérie que vers le Ve siècle. Ils y existaient cependant à l’époque quaternaire[148].

L’histoire paléontologique de la famille des Camelidés est d’ailleurs encore obscure. Cette famille semble avoir pris naissance en Amérique[149][209] où elle est encore bien représentée par les lamas (Auchenia). La présence de ce groupe si spécial, en Amérique et dans la région méditerranéenne, est un des faits que l’on a invoqués, à tort sans doute, pour prouver l’existence, pendant les temps tertiaires, du continent africano-brésilien qui, occupant en partie la place de l’Atlantique sud, reliait L’Ancien et le Nouveau Monde.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXVIII.

Cliché Pasquier

53. — GROUPE DE TOUAREGS.

Région de Gao.

Cliché Pasquier

54. — UN LAMENTIN (MANATUS)

harponné près du poste de Gao.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXIX.

Cliché Posth

55. — FEMMES KEL AKARA.

Imr’ad des Kel Ferouan.

Cliché Posth

56. — UNE FILLE DE EL HADJ MOUSSA.

Tribu Afagourouel, groupe des Ikazkazan.

Les hommes. — Il semblera peut-être irrévérencieux de placer ici quelques mots sur les races humaines qui habitent le Sahara et sa frontière soudanaise. Cette inconvenance paraît nécessaire.

On oublie trop souvent que l’étude des races humaines n’est qu’un chapitre de la zoologie : les caractères anatomiques permettent seuls de définir les groupes fondamentaux de l’humanité. Nul ne songerait à tenir compte, dans l’étude des races de chevaux, de la forme de la selle ou du type de la bride ; la couleur du collier n’a jamais servi à distinguer un king-charles d’un levrier.

L’étude zoologique des races humaines est l’objet propre de l’anthropologie ; les peuplades et les nations que ces races ont formées par juxtaposition, n’ont pour caractères communs que des traits d’ordre psychique, des usages, des traditions et des légendes dont le classement est le domaine de l’ethnographie qui, par sa discipline, appartient aux sciences historiques. Parmi les caractères psychiques communs, l’un des plus faciles à saisir est le langage, qui sert encore trop souvent à la classification des groupements humains : tous les nègres des États-Unis parlent anglais et cet exemple devrait rendre prudent.

On admet aussi bien volontiers, sans discussion, que du contact de plusieurs races peuvent naître des populations métisses formant un groupement homogène dont les caractères seraient, en quelque sorte, la moyenne entre ceux des races dont il est dérivé. Rien n’est moins certain ; il semble établi que lorsque les races sont franchement différentes, les populations métisses doivent être renouvelées presque à chaque génération : les mulâtres ont disparu de quelques-unes des Antilles, en même temps que les blancs. Quand les races sont moins éloignées, la question devient plus douteuse : on a cependant la preuve que, dans l’Europe occidentale tout au moins, à partir de l’âge du fer, et, pour préciser, de l’âge de la Tène, les diverses races qui constituent la population actuelle occupent, à très peu de choses près, les mêmes territoires ; malgré ce long contact,[210] elles ne sont pas confondues ; il est possible à un observateur attentif de retrouver en France, à peine modifiés dans leurs caractères somatiques, les descendants des hommes qui ont habité, pendant le Quaternaire, nos différentes provinces. La vieille race du Néanderthal se rencontre encore dans quelques parties de la Haute-Vienne et de la Dordogne ; la race de Cro-Magnon habite toujours le Périgord. Il ne semble pas que les mensurations, si nombreuses et si précises, du Dr Collignon puissent laisser de doute sur la persistance, pendant un grand nombre de siècles, de ces races, malgré les possibilités, souvent réalisées sans doute, de mélanges entre elles et avec quelques autres.

Il est vrai que pour la race du Néanderthal, comme pour celle de Cro-Magnon, on a des repères précis ; les crânes et les débris de squelettes qui sont les types de ces races sont des objets bien définis, catalogués, dont les moulages authentiques se retrouvent dans toutes les collections ; tout naturaliste, lorsqu’il emploie ces mots, sait ce qu’il veut dire ; il n’ignore pas quelle pièce anatomique peut, en cas de doute, servir à ses comparaisons. On se reporte toujours à la même norme, au même étalon avec autant de certitude que s’il s’agissait du mètre et cette précision rend difficiles les à-peu-près et les bavardages.

En Afrique, nous sommes loin d’une pareille méthode ; aucune race n’est définie. On en est toujours, pour les populations noires tout au moins, à une vague classification linguistique. Les groupements basés sur les caractères du langage ne sont jamais homogènes même lorsque ce langage est bien connu ; au Soudan, ce caractère devient particulièrement inquiétant : les noirs n’ont pas de littérature écrite, et l’usage sur place des manuels et des vocabulaires les plus récents ne donne pas du tout la certitude que les auteurs qui les ont faits, connaissaient vraiment, dans leurs détails, la langue qu’ils ont essayé d’enseigner. Leurs ouvrages rendent certes de grands services au passant, mais il est douteux qu’ils permettent une étude du mécanisme grammatical et des radicaux, assez approfondie pour fixer les affinités des diverses langues de l’Afrique centrale ; dans la région de Zinder, les Européens arrivent assez vite à causer en haoussa avec les Touaregs et les Bellah : ce n’est la langue ni des uns ni des autres et le petit nègre est toujours intelligible ; avec les vrais Haoussas, qui doivent savoir leur langue, c’est une autre affaire et l’interprète devient indispensable.

On a souvent aussi relevé avec soin les différentes modes : la coiffure, les tatouages ont été décrits, avec grand détail, chez les[211] principales peuplades ; ils ont suggéré des rapprochements intéressants, et indiqué des influences manifestes de quelques religions. Les totems ont fait l’objet d’études étendues et Desplagnes a cherché, avec peut-être un peu trop d’audace, à en déduire une histoire générale du Soudan. Il serait absurde de dénier toute valeur à ces indications ; elles doivent être utilisées, avec prudence il est vrai, et plusieurs d’entre elles peuvent éclairer certains faits. Elles n’apportent malheureusement aucune lumière sur les races elles-mêmes. Avant de chercher à reconstituer l’histoire de ces races et de leurs migrations possibles, il semble indispensable de les définir d’abord elles-mêmes, avec précision. Les chiffres que l’on possède sont beaucoup trop peu nombreux pour permettre cette définition. D’après Deniker[150] l’indice céphalique des Haoussas serait 77,3 ; ce chiffre résulte de 13 mesures seulement pour une population de plusieurs centaines de mille, répandue sur de vastes surfaces. Pour les Peuhls qui nomadisent presque de l’Égypte à l’Atlantique, la série mesurée porte sur 37 individus. Depuis huit ans, les chiffres se sont multipliés, mais ce ne sont encore que des commencements d’enquêtes, d’où on ne peut déduire rien de certain. Cependant, tant que les races ne seront pas définies, on ne pourra rien faire de bien sérieux ; on ne pourra qu’ajouter de nouvelles pages à tout ce qui a déjà été écrit : l’énorme amas de documents que l’on possède est à peu près inutilisable parce que l’on ne sait jamais à qui les renseignements se rapportent.

Il semble qu’il y a, au Soudan, deux types humains principaux, distincts à première vue : l’un, massif et lourd, à cheveux crépus ; l’autre, plus fin, plus élancé, à cheveux très bouclés, mais ne formant pas toison (Soudaniens et Noubas-Haoussas[151] des Crania ethnica) ; il semble aussi, d’après les quelques crânes anciens que Desplagnes a rapportés du moyen Niger, et qui ont été étudiés par le docteur Hamy[152], que ces deux types coexistent, à de légères variantes près, depuis longtemps dans les régions où on les trouve aujourd’hui. Mais on ne sait rien sur les Tebbous (Pl. XXXI, phot. 59), sur les Bouddoumas du Tchad, sur les Somonos du Niger. Ces derniers, qui vivent de la pêche, paraissent former des groupements distincts des populations au milieu desquelles ils vivent ; à Ségou et ailleurs, ils habitent des quartiers spéciaux et ne se mélangent pas aux autres sédentaires.

[212]Force est donc de s’en tenir à des groupements linguistiques, tout provisoires, et dont la carte d’Afrique de G. Gerland [Berghaus, Physikalischer Atlas, no 71, 1892] indique suffisamment la répartition.

Les langues parlées par les diverses populations sédentaires entre Tombouctou et le Tchad, sont assez nombreuses : les langues du Bornou, assez mal connues, sont usitées dans le Mounio, le Koutous, l’Alakhos, et à Moa par les populations sédentaires ; à l’ouest commence le domaine du haoussa qui s’étend jusqu’à l’Adr’ar’ de Tahoua. C’est une des langues les plus importantes de l’Afrique : elle est parlée dans tous les villages de l’Aïr et comprise, comme langue commerciale, du Dahomey à la Méditerranée ; il a été possible au capitaine Leroux d’écrire, en Algérie, une grammaire et un dictionnaire haoussas, parfaitement utilisables à Zinder.

De Tahoua à Tombouctou domine la langue sonr’aï, plus répandue encore au temps de la splendeur de Gao ; elle a, paraît-il, laissé des traces très nettes jusqu’à Agadez.

Ces trois langues fondamentales se subdivisent en un grand nombre de dialectes, différents parfois d’un village à l’autre, et qui nécessitent souvent de nombreux interprètes.

Touaregs. — La société touareg a déjà fait l’objet de plusieurs monographies ; celle de Duveyrier est restée classique ; plus récemment Benhazera et Cortier ont donné des détails nombreux et précis sur les Kel Ahaggar et les Ifor’as de l’Adr’ar’[153]. Les Kel Oui viennent d’être étudiés par Jean ; parmi eux, les Haoussas dominent et ils sont, en partie au moins, très distincts des véritables Touaregs.

Les monographies des Azdjer, des Ahaggar et des Ifor’as de l’Adr’ar’, indiquent en général une quasi identité de mœurs ; il n’y a que des divergences de détail, sans grande portée. Les Kel Oui sont beaucoup plus différents, comme il fallait s’y attendre : chez eux, la polygamie est la règle, et ce seul trait suffit, indépendamment de leur couleur, à les mettre tout à fait à part.

Dans l’ensemble, la société touareg est franchement berbère ; le régime démocratique y est la règle et toutes les décisions importantes sont prises par le conseil des notables de la tribu, dont l’amr’ar n’est que le président.

Il y a cependant une nuance importante : chez les Touaregs, il existe une caste noble et un chef commun, un amenokal qui dirige[213] un grand nombre de tribus. Hanoteau et Letourneux[154] avaient déjà fait remarquer que cette forme « monarchique », anormale dans une société berbère, devait pouvoir s’expliquer par des causes extérieures.

L’épithète « monarchique » n’est pas tout à fait exacte ; il n’y a pas d’amenokal par droit héréditaire ; le chef est choisi dans certaines familles seulement, mais entre les compétiteurs possibles, l’élection prononce en dernier ressort : en 1903, Ismaguel avait été investi du commandement, chez les Oulimminden de l’est, par les autorités françaises, bien qu’il n’eût pas la majorité parmi ses électeurs ; cette méconnaissance des coutumes locales a réuni autour du tambari[155] Rézi, dont les partisans étaient plus nombreux, une foule de mécontents, dont les manœuvres furent longtemps une source de difficultés et d’inquiétudes pour nos administrateurs.

L’amenokal, pas plus que les autres chefs, n’est nommé à vie ; lorsqu’il est en désaccord avec ses électeurs, lorsqu’il a cessé de plaire, il est déposé et remplacé par un chef plus populaire [Cortier, D’une rive à l’autre, p. 282 ; Jean, Les Touaregs du S.-E., p. 159 et 162].

Il n’y a donc pas, à proprement parler, de royauté, mais il existe à coup sûr une sorte de régime féodal ; on trouve partout une caste guerrière de qui dépendent, à des degrés divers de servitude, tous les habitants des terrains de parcours de la tribu noble. Cette organisation semble être un résultat immédiat de la pauvreté du pays ; chez les Kabyles, les vallées sont vraiment fertiles, les villages, qui trouvent facilement de bonnes positions défensives à portée des cultures, sont assez peuplés pour n’avoir pas besoin de protection ; les Arabes des Hauts Plateaux, dont beaucoup sont Berbères, rencontrent presque partout des pâturages et leurs campements restent assez rapprochés pour qu’ils se puissent entr’aider. Les habitants du Sahara central n’ont à leur disposition que quelques oueds à maigre végétation et éloignés les uns des autres ; ils ne peuvent vivre que par petits groupes, et doivent profiter de toutes les aubaines. Lorsque par hasard, un oued du tanezrouft a coulé, ils n’hésitent pas à s’y installer et savent, lorsque le pâturage est vert, se passer d’eau pendant plusieurs semaines : une chamelle donne environ six litres de lait par jour et dans un bon pâturage peut rester plusieurs mois sans boire ; ce lait suffit à tous les besoins des pasteurs.

[214]Dans ces conditions, il est impossible aux Touaregs du nord, Ahaggar et Azdjer, de vivre rassemblés et de s’occuper à la fois de l’élevage et de la défense de leurs troupeaux. La sécurité du pays ne peut être assurée que par des forces de police toujours mobiles ; cette méthode est nécessaire, nous avons dû l’adopter pour nos confins sahariens ; elle justifie amplement l’existence d’une caste guerrière, toujours en route, chez les Touaregs du nord.

Parce qu’elle est d’accord avec les conditions géographiques, la suprématie des tribus nobles et les droits qu’elle entraîne ne sont guère discutés chez les Ahaggar. Dans les pâturages plus riches de la zone sahélienne, l’organisation féodale, qui est moins nécessaire, est supportée avec impatience ; les imr’ad et les bellah se détachent des nobles et ne veulent plus reconnaître pour chef que l’autorité française [R. Arnaud, Rens. col., Comité Afr. fr., 1907, p. 96].

Les caractères ethniques des Touaregs sont assez contradictoires ; leur genre de vie actuel les rapproche des primitifs, et Gautier [I, p. 333] les considère, au point de vue social, comme en pleine sauvagerie. C’est, je crois, une exagération. Leur respect de la femme, leur curiosité pour les choses nouvelles, même leur vague littérature indiquent un certain degré de culture et d’évolution.

Le matriarcat est commun chez beaucoup de peuples primitifs, mais il n’est pas certain que chez les Touaregs il ait le même caractère que chez les sauvages ; il est lié, chez eux, au mariage individuel et à la monogamie ; pour les héritages habituels, le partage se fait entre les enfants du mort. Ce n’est que pour les héritages politiques, pour le droit au commandement, que la parenté maternelle intervient nettement. Encore ceci n’est-il pas général : chez les Ifor’as de l’Adr’ar’, à la mort d’un amenokal, le choix se porte sur ses frères ou sur ses fils et non sur ses neveux [Cortier, l. c., p. 282]. Ce n’est que chez les Touaregs du nord que le droit au tobol est transmis uniquement par les femmes aux fils des sœurs ou des tantes, et cet usage paraît récent ; il ne remonterait qu’à six générations, d’après l’étude détaillée que Benhazera [l. c., p. 94] a faite de la question, confirmant ainsi une anecdote que Duveyrier a racontée longuement [Les Touaregs du Nord, p. 398].

Cette coexistence de faits qui rappellent les mœurs primitives avec d’autres qui indiquent une demi-civilisation peut sans doute s’expliquer par l’histoire. Des monuments, comme la tombe de Tin Hinan à Abalessa, comme les constructions funéraires de Tit, sont la preuve qu’une société berbère assez policée, assez riche, a vécu autrefois dans l’Ahaggar. Les puits souvent bien aménagés du Sahara, dont[215] l’établissement serait actuellement à peine possible, sont, eux aussi, un souvenir de ces temps plus heureux. Réduits à la misère par l’asséchement progressif de leurs vallées, les Touaregs se sont contentés de se maintenir vivants, ne conservant que quelques traits de leur ancienne civilisation ; en même temps que leur pays devenait moins habitable, leurs mœurs évoluaient, donnant l’exemple, assez rare en ethnographie, d’une civilisation régressive.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXX.

Cliché Posth

57. — FEMME KEL TADELÉ.

Imr’ad des Kel Ferouan.

Cliché Posth

58. — FEMMES HOGGAR.

Imr’ad des Kel R’arous.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXXI.

Cliché Posth

59. — LE RASTAMALA, REPRÉSENTANT DU CHEF DES KEL FEROUAN AUPRÈS DU SULTAN D’AÏR.

Natif d’Agadez. Se dit d’origine tebbou.

Cliché Posth

60. — FEMME D’OANELLA, CHEF DES HOGGAR.

Imr’ad des Kel R’arous (Groupe des Ikazkazan).

Probablement de race pure.

On peut espérer, d’ailleurs, que les légendes recueillies chez les différentes confédérations permettront de débrouiller un peu l’histoire de ces tribus ; un assez grand nombre de ces traditions ont déjà été publiées et fourniront probablement des recoupements intéressants, mais je crois que ce travail de contrôle ne peut être fait utilement que sur place ; trop d’éléments d’information font encore défaut pour qu’on puisse le tenter de loin.

Autant que l’on en peut juger sans mensurations précises, les Touaregs, Kel Oui mis à part, paraissent constituer une race très homogène et très pure. Les Taïtoq, les Kel Ahaggar, les Azdjer, les Ifor’as, les Oulimminden et les Kel Gress, et probablement aussi les Touaregs de Tombouctou, se ressemblent beaucoup entre eux et ressemblent beaucoup aussi à certaines races européennes ; on doit, provisoirement tout au moins, les rattacher aux populations dolichocéphales brunes, si fréquentes autour de la Méditerranée occidentale, populations que l’on rencontre en Aquitaine et en Espagne aussi bien qu’aux Canaries et qu’en Afrique mineure, où elles forment la majeure partie des tribus indigènes. Le nom de Berbère est d’ailleurs équivoque ; il ne définit qu’un groupe linguistique assez hétérogène au point de vue anthropologique ; en dehors du domaine de la philologie, ce mot n’a aucun sens précis.

La race à laquelle appartiennent les Touaregs dérive d’une race qui, à l’époque quaternaire, dès le milieu du Paléolithique, occupait le bassin de l’Aquitaine ; les crânes anciens de Laugerie et de Chancelade, ceux de Cro-Magnon sont les témoins authentiques de sa présence à cette époque lointaine. C’est la race de « Cro-Magnon » définie par Broca dès 1868, la race « méditerranéenne » de Houzé, la race « littorale » ou « atlanto-méditerranéenne » de Deniker.

J’aurais voulu, à l’appui de cette affirmation, apporter des arguments précis, et à défaut de mensurations, tout au moins des photographies ; malheureusement, je n’ai pu réunir que peu de documents ; je n’ai pas pu me procurer de photographie des Touaregs du nord. Pour l’Adr’ar’ des Ifor’as, Cortier [l. c., p. 218] donne celles de son guide, Fenna, et de quelques femmes.

[216]Le capitaine Pasquier m’a remis un groupe d’Oulimminden [Pl. XXVIII, phot. 53] ; malheureusement le voile, le litham, est bien gênant et ne permet guère de se rendre compte du type.

Le capitaine Posth m’a procuré une série provenant de l’Aïr [Pl. XXIX à XXXI]. Ces photographies, prises dans les tribus les plus blanches et par suite les plus pures, montreront combien le type est européen, quoique seule, la femme Hoggar de la planche XXXI (fig. 60) paraisse vraiment de race non mélangée. Toutes les autres femmes ont le bout du nez arrondi, et ceci est un trait soudanais et non caucasique.

On ne sait pas au juste à quelle époque cette race de Chancelade, franchissant la Méditerranée, est venue occuper le nord de l’Afrique, où elle paraît beaucoup plus récente qu’en Europe. On sait encore moins à quelle date elle s’est répandue dans le Sahara ; les traditions touaregs ne remontent pas à plus de quelques siècles ; depuis Tin Hinan, les Kel Ahaggar énumèrent péniblement une dizaine de générations ; Sidi ag Keradji affirme connaître quinze aïeux ; les sultans d’Agadez auraient été envoyés, il y a un millier d’années, par Constantinople, pour mettre un peu d’ordre dans les affaires des Touaregs qui étaient déjà en pleine anarchie.

Ces dates si rapprochées de nous ne peuvent évidemment pas être prises au sérieux, d’autant que les Touaregs renient toute parenté avec les constructeurs de chouchets, malgré l’identité évidente de ces tombes anciennes avec les tombes modernes [cf. t. I, chap. III].

De nombreuses traditions, relatives à l’origine des Touaregs, ont déjà été recueillies ; quelques-unes les font descendre des Philistins ou de la reine de Saba ; beaucoup de familles cherchent à se rattacher au Prophète ou à ses premiers disciples[156] : il y a peu à tenir compte de ces indications ; elles valent à peu près celles qui nous faisaient descendre de Francus, fils de Priam. D’autres traditions plus précises se rapportent au Fezzan (anciennement Targa) et au Sud marocain ; elles semblent d’accord avec les données anatomiques et méritent d’être prises au sérieux.

Elles sont confirmées par une observation très intéressante d’Ascherson, dont Grisebach [La Végétation du Globe, II, p. 135] a bien fait ressortir l’importance. Les mauvaises herbes des oasis du désert de Libye, ces plantes que l’homme cultive malgré lui, proviennent toutes de la Méditerranée ; elles différeraient de celles que l’on trouve dans la vallée du Nil. La migration aurait donc eu lieu du nord au[217] sud et jamais de l’est à l’ouest ; les routes caravanières suivent encore la même direction.

Quelques faits linguistiques indiquent aussi des relations avec le monde romain : pour les mois, il y a une double nomenclature ; celle qui se rapporte à l’année solaire est visiblement latine [Motylinski, Dictionnaire, p. 280] : février, mars, avril et mai, sont devenus fobraier, mars, ibrir, maio [I, p. 254]. Dans l’Adr’ar des Ifor’as, quelques mots semblent d’origine chrétienne [Cortier, l. c., p. 283].

L’habitation. — Les modèles d’habitation usités au Sahara et au Soudan sont suffisamment connus ; la case carrée (Pl. XXXVI, XXXVII) à toit en terrasse, des ksour et des oasis, se retrouve dans l’Ahaggar, à Arouan, à Tombouctou et chez les Bambaras ; la case ronde, la hutte soudanaise existe un peu dans l’Ahaggar ; dans l’Aïr, elle devient commune, et tend à supplanter la demeure carrée, fréquente surtout dans les ruines.

Ces huttes rondes varient un peu suivant les pays ; dans les villages stables la partie cylindrique est souvent en terre ; l’abondance ou la rareté du bois entraîne aussi quelques modifications de détail. Tout cela a été discuté et figuré cent fois ; on en retrouvera quelques reproductions dans les photogravures ; il est inutile de s’arrêter à un sujet aussi connu.

Il faut cependant consacrer quelques lignes aux cases très spéciales des campements tebbous du nord du Koutous ; elles sont d’un modèle inusité ailleurs (fig. 67). En plan, ce sont des rectangles longs de 7 à 8 mètres, larges de 3 ; la porte est dans un des angles, et une cloison, parallèle au petit côté, délimite une sorte de couloir, de vestibule qui met la chambre d’habitation à l’abri des indiscrets. Un foyer, constitué par trois pierres, se trouve au fond de la hutte. Une charpente soutient le faîte à 2 mètres du sol ; le tout est recouvert de paillassons grossiers faits en tiges de mil et de grandes graminées, comme ceux qu’emploient nos jardiniers. L’ensemble a un aspect arrondi, rappelant assez bien certaines serres.

Auprès de chaque case se trouvent quelques constructions analogues mais plus petites, servant de magasins ou de demeure aux captifs. Tout ce qui appartient à un même chef de famille est enclos d’une haie en branchages. Toutes les cases sont établies à mi-côte ou au sommet d’une dune, à faible distance, quelques cents mètres, du puits. Toutes les ouvertures, les portes, et, quand elles existent, les fenêtres, sont dirigées vers le puits pour faciliter la surveillance ; leur orientation varie d’un hameau à l’autre. Dans nombre de villages du Soudan, au contraire, autour du Tchad notamment, les huttes rondes[218] ont toutes leurs portes vers l’ouest pour se défendre du sable charrié par les vents d’est.

Auprès du puits, chaque chef de case à un abreuvoir particulier formé d’un bassin de 4 à 5 mètres carrés de surface, limité par un rebord d’argile. Ces abreuvoirs que l’on remplit à loisir, avant l’arrivée des troupeaux, sont séparés les uns des autres par des haies d’épines. Les Touaregs au contraire, en vrais nomades, se servent d’abreuvoirs portatifs en cuir.

Fig. 67. — Campement tebbou, au nord du Koutous.

Les hameaux ainsi construits sont assez nombreux au nord du Koutous ; j’en ai vu 5 (Garagoa, Dalguian, Boulloum, Boulakendo, Tassr), sur une longueur de 35 kilomètres. A Garagoa, il y a une soixantaine de chefs de cases, et Tassr m’a paru un peu plus important ; les trois autres villages étaient abandonnés au moment de mon passage (avril 1906).

Je ne sais quelle est l’extension géographique de ce type spécial d’habitation : Nachtigal [l. c., p. 190] a indiqué, dans le Tibesti, des paillottes rectangulaires, mais à toit plat, qui paraissent différentes.

Les Tebbous de Tassr et de Garagoa ne semblent pas former une[219] race homogène ; ils se donnent d’ailleurs, pour des raisons politiques probablement, comme des Azas ou Dazas, tout à faits différents des Tebbous véritables et ne pratiquant pas comme eux le vol des troupeaux de leurs voisins (?). Ils affirment même, quoique nous ayons eu la preuve du contraire, n’avoir pas de relations d’amitié avec eux.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXXII.

61. — TENTE TOUAREG.

Chez les Oulimminden.

Un bouclier est appuyé à la tente.

62. — CAMPEMENT DE BELLAH.

Bords du Niger.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXXIII.

Cliché Posth

63. — CAMPEMENT DE BELLAH.

Boucle du Niger.

Cliché Pasquier

64. — CAMPEMENT DE BELLAH.

Près de Gao.

Pour les tentes, il y a à signaler surtout la grande simplicité des installations touaregs ; la photographie (Pl. XXXII, phot. 61) montre à quoi elle se réduit en route ; le bouclier, appuyé contre la tente, et le méhari, indiquent suffisamment le peu de hauteur de ce logement qui ne sert qu’à donner de l’ombre. Lorsque le campement est installé pour quelques semaines, on conserve le toit de cuir, mais placé plus haut (2 m.), et on ferme les côtés au moyen de nattes ; la porte est habituellement au sud. L’installation reste cependant toujours assez primitive chez la plupart des Touaregs ; elle devient à peine un peu plus confortable dans la boucle du Niger, tout en se rattachant au même type (Pl. XXXIII).

[106]Chevalier, C. R. Ac. Sciences, 30 avril 1900. — La végétation de la région de Tombouctou, Actes du Congrès international de botanique, 1900, p. 248. — La Géographie, XVII, 3, 1908, p. 201-210, etc.

[107]On trouvera de bonnes reproductions des aspects de la végétation de ces diverses zônes dans Karsten et Schenk, Vegetationsbilder, Iena, 1906 et sv., en particulier, pour le Soudan, [4], Pl. 23 à 30 et, pour le Sahara algérien, [6], Pl. 19-24.

[108]Timetr’in est le pluriel du mot tamtek’, équivalent tamachek de r’aba, la forêt.

[109]A. Chevalier, Ass. française Av. Sc., Paris, 1900, p. 642-656.

[110]Ces beaux liserons forment, dans toutes les parties humides de la zone sahélienne, des fourrés très verts avec de grandes fleurs rouges, épanouies seulement le matin. C’est une plante toxique pour tous les troupeaux. Le poste d’Agadez l’a vérifié à ses dépens, ses chameaux, qui n’étaient pas du pays, ayant brouté ces liserons.

[111]ἔδαφος = sol. Schimper, Plant-Geography upon a physiological basis, Oxford, 1903, p. 3. — Ce néologisme s’applique aussi bien aux particularités botaniques qui dépendent de détails topographiques, qu’à celles qui ont pour cause la constitution physique ou chimique du sol.

[112]Cosson a donné, épars dans diverses autres notes, de nombreux renseignements sur la flore du Sahara.

[113]Un genre de Scrophulariées, Lafuentea, n’était connu que par une seule espèce d’Andalousie. Battandier a décrit récemment une seconde espèce de ce genre (L. ovalifolia) de l’Adr’ar’ des Ifor’as, qui est bien loin de la Méditerranée.

[114]Massart, Un voyage botanique au Sahara, Bull. de la Soc. Bot. de Belgique, XXXVII, 1898, p. 202-339, 7 planches.

[115]Le règne végétal en Algérie. Revue Scientifique, [2], XVI, 1879, p. 1205-1217.

[116]Grisebach, La Végétation du Globe, trad. Tchiatcheff, 1878, II, p. 111. — O. Drude, Manuel de Géographie botanique, trad. Poirault, 1897, p. 426.

[117]Battandier et Trabut, L’Algérie, Paris, 1898, p. 355.

[118]N’si, graminées de petite taille, du groupe des Stipées. — Acheb, toutes les autres plantes dont la venue est à la merci d’une averse.

[119]Maury, Assoc. franç. Av. Sciences, Toulouse, 1887. — Massart, l. c., et La Biologie de la végétation sur le littoral belge, Bull. Soc. Bot. de Belgique, XXXII, 1893.

[120]Mentha sylvestris est le na’na’ des Arabes qui joue un grand rôle dans la préparation du thé. Le mot tamahek, ennar’nar’ qui est visiblement le même, semble bien indiquer que la plante a été introduite.

[121]Les cryptogames du Sahara sont encore moins connus que les phanérogames ; on trouvera, dans le Bull. de la Soc. Mycologique de France, plusieurs notes de Patouillard sur les champignons du grand désert africain. Un pyrénomycète (Poronia) est connu en Nubie et sur le littoral atlantique.

[122]Je laisse complètement de côté ce qui a trait au karité et aux lianes à caoutchouc, dont l’aire d’habitat est plus méridionale. — Les cultures vivrières ont d’ailleurs un intérêt plus immédiat ; elles seules permettent un accroissement rapide de la population quand un pays est vraiment peuplé, tout le reste vient facilement.

[123]G. Rolland, Hydrologie du Sahara Algérien. — Mission A. Choisy, 1895, p. 7.

[124]Ou tekhaouit, selle de femme. On en trouvera un croquis et une description détaillée dans Benhazera (Six mois chez les Touaregs, p. 39).

[125]Foureau, Essai de catalogue des noms arabes et berbères de quelques plantes, arbustes et arbres algériens et sahariens, Paris, 1896.

[126]D’après Foureau (Cat., p. 29), mrokba ou merkeba désignerait aussi le Scabiosa camelorum Coss., plante du Sud algérien qui n’est pas connue au Sahara. Elle s’éloigne, par tous ses caractères, des graminées précédentes.

[127]En dehors des ouvrages relatifs au Sahara et au Soudan cités plus haut, j’ai pris quelques renseignements dans Bentham et Hooker, Genera plantarum, et dans Engler-Prantl, Pflanzen Familien.

[128]A. Chevalier, Bull. Soc. Bot. de France, IV, 6, 1906, p. 480-496.

[129]La véritable « myrrhe » provient d’une espèce voisine.

[130]Bull. Soc. Bot. de France, [IV], 7, 1907, p. 252-257.

[131]D’après Cosson, le dattier serait originaire des Canaries, où une sous-espèce, le Phœnix canariensis Hort, est considérée comme spontanée par Webb et Berthelot. La présence de quelques végétaux canariens au cap Blanc, les Helix fossiles des dépôts d’estuaire de Port Étienne, semblent en effet indiquer que, jusqu’au début du Quaternaire, l’archipel canarien était réuni à l’Afrique. Cependant de Saporta affirme reconnaître, parmi les Phœnix tertiaires de la Haute Italie, l’ancêtre direct du dattier.

[132]Gravier, Bulletin du Muséum, 1907, no 3, p. 218-224, une carte.

[133]Foureau, Doc. Scient. de la Mission Saharienne, t. II, p. 1055-1059 ; — De Joannis (Lépidoptères), Bull. de la Soc. entomologique de France, 1908, p. 82-83 ; — Van der Weele (Névroptères), id., 1908, p. 154 ; — Du Buysson (Hyménoptères), id., 1908, p. 131-135 ; — Lesne, Lyctus hipposideros nv. sp., Bull. du Muséum, 25 nov. 1908.

[134]Pucheran, Revue et Magazine de Zoologie, 1865.

[135]J’ai trouvé un beau varan, long de 0 m. 60, au milieu du tanezrouft de Timissao.

[136]Massart, l. c., 1898 ; — Travaux du laboratoire de Wimereux, t. VII, 1899, p. 446-451.

[137]La bibliographie des mollusques africains est déjà très riche. On trouvera l’indication des principaux mémoires dans L. Germain, Les Mollusques terrestres et fluviatiles de l’Afrique Centrale Française, in Chevalier, L’Afrique Centrale Française, 1908, p. 459-617. — Voir aussi Pallary, Mollusques tertiaires fluviatiles d’Algérie, Mém. Soc. Géol. Paléont., 1901.

[138]R. Anthony, Ann. de la Soc. royale Zoologique et Malacologique de Belgique, XLI, 1906, p. 322-430, pl. XI et XII.

[139]On les désigne très improprement au Soudan sous le nom de bancs d’huîtres. Les Ætheria appartiennent à la famille des Unionidæ, qui ne renferme que des formes d’eau douce, très éloignées par leurs caractères anatomiques des Huîtres qui, de plus, sont essentiellement marines.

[140]La grosse vipère de l’Ahaggar appartient à un genre voisin (Bitis). Elle est au moins très proche de la vipère du Gabon. Elle cause des accidents mortels même pendant les mois les plus froids (Guilho-Lohan).

[141]J’emprunte ces déterminations à Maclaud : Notes sur les Mammifères et les Oiseaux de l’Afrique Occidentale, Paris, 1906.

[142]Duveyrier signale à l’Ahaggar, d’après des renseignements indigènes, la taourit qu’il croit une sorte de loup. Je n’ai pu avoir aucune confirmation de l’existence d’un loup. Cortier [l. c. p. 362] pense que la taourirt est une hyène. — La seule rencontre dangereuse que l’on puisse faire dans l’Ahaggar est celle des hyènes qui, lorsqu’elles sont en bande, attaquent parfois des isolés. On ignore la limite nord de H. crocuta Erx. qui est, paraît-il, vraiment dangereuse.

[143]Catalogus mammalium tam viventium quam fossilium, Berlin, 1897-1899.

[144]Jean [l. c., p. 148] émet des doutes sur l’existence du lion en Aïr. Les indigènes sont très affirmatifs. Von Bary le mentionne expressément et indique qu’il a une crinière ; Foureau en a vu des traces (D’Alger au Congo, p. 344, 359).

[145]Pierre et Monteil, L’élevage au Soudan, Paris, 1905. — Dechambre, Rev. Col., 1905, p. 335 et 458.

[146]De Franco, Études sur l’élevage du cheval en Afrique occidentale, Gorée.

[147]Dinaux, Rens. coloniaux publiés par le Comité de l’Afrique française, 1907, p. 64.

[148]Pomel, Monographies des Vertébrés fossiles de l’Algérie, 2e fasc., 1893. — Flamand, De l’introduction du chameau dans l’Afrique du Nord, Paris, 1907.

[149]Leidy, Proc. of the Ac. of natural Science of Philadelphia, 1875.

[150]Les Races et les Peuples de la Terre, Paris, 1900, Appendice II, p. 667-674.

[151]Les Haoussas occupent l’Adr’ar’ de Tahoua, Zinder et s’étendent dans l’Aïr et dans la Nigeria ; ils sont très distincts, à première vue, des Bornouans et des Sonr’ai, entre lesquels ils sont enclavés. Leurs affinités sont plutôt avec les populations de l’Est africain.

[152]In Desplagnes, Le Plateau Central Nigérien, p. 87-94.

[153]Panet a publié une bonne étude sur les Touaregs du cercle de Dounzou (Revue des troupes coloniales, 1905, p. 418).

[154]La Kabylie et les coutumes kabyles, 3 vol., 1872-1873, II, p. 3.

[155]Tambari, synonyme méridional de amr’ar. Amr’ar veut dire au sens propre « quelqu’un de grand soit par la fonction sociale, soit par l’âge ». C’est l’équivalent du mot arabe cheikh (Motylinski, Dictionnaire, p. 110).

[156]Inutile de mentionner l’hypothèse fantaisiste d’après laquelle les guerriers touaregs seraient les descendants des croisés de saint Louis.


[220]CHAPITRE V

HYDROGRAPHIE ANCIENNE

Le Taffassasset. — Le bassin de Tombouctou et le moyen Niger. — Le bassin d’Ansongo. — Le Tchad et le Bahr El Ghazal.

L’hydrographie du Sahara dans son état actuel est récente ; les preuves abondent que d’importants remaniements dans le dessin des cours d’eau sont d’hier.

Malheureusement, les lacunes de la cartographie, l’absence complète d’hypsométrie précise, et l’ignorance où nous sommes de la classification du Pleistocène et du Quaternaire de l’Afrique centrale, obligent à faire une part, peut-être trop large, aux hypothèses, dans l’exposé de l’état ancien du réseau hydrographique. Il semble cependant qu’un essai de synthèse, même très audacieux, soit le seul moyen de grouper les faits acquis et de poser nettement les problèmes.

Dans le Sahara algérien, depuis Duveyrier, le bassin de l’oued Igharghar est bien connu dans ses grandes lignes ; les patientes explorations de Foureau en ont précisé de nombreux détails et les recherches toutes récentes de Voinot nous ont bien fait connaître ses parties hautes.

Gautier a montré l’extension du bassin de la Saoura qu’il a pu suivre jusqu’à Rezegallah ; les affluents de la rive gauche de ce fleuve sont bien connus et il ne reste plus à élucider que quelques questions de détail pour que l’histoire de ce fleuve soit définitivement éclaircie : on ne sait pas encore, par exemple, si la Daoura est un bassin fermé ou un affluent de la rive droite de la Saoura.

Ces deux fleuves, l’Igharghar et la Saoura, bien vivants naguère, ont succombé l’un et l’autre dans leur lutte contre l’ensablement, mais ils sont morts sur place ; s’ils revenaient à la vie, ils reprendraient leur ancien cours. Des accidents tectoniques récents, comme le rajeunissement[221] de la faille du Touat [Sahara algérien, p. 235], n’ont en rien modifié le dessin général des deux principaux bassins du Sahara du nord.

Le Taffassasset. — Dans le Sahara soudanais, les changements ont été plus profonds ; pendant le Pleistocène, un seul fleuve important aboutissait à l’Atlantique. Né dans les contreforts de l’Ahaggar, le Taffassasset, après avoir quitté In Azaoua, se dirigeait vers le sud en passant au voisinage de l’Aïr, dans la plaine de Talak. Un peu plus loin, les grandes vallées de l’Adr’ar’ de Tahoua, les « dallols »[157], indiquent nettement son cours et celui de quelques-uns de ses affluents ; plus au sud encore le Taffassasset se confondait avec ce qui est aujourd’hui le Bas Niger, en aval de la région du W (à la rencontre du fleuve et des quartzites de l’Atacora).

Les indications qui rendent cette reconstitution au moins vraisemblable sont nombreuses. Le dessin actuel du fleuve, tel qu’il résulte de la carte manuscrite où Cortier a résumé tous les itinéraires récents, présente deux angles presque droits : habituellement N.-S., le lit du fleuve se dirige de l’est à l’ouest, de Talak à l’Azaouak, pendant 500 kilomètres ; cette double inflexion dont l’existence paraît bien établie a besoin d’être justifiée (Carte géologique hors texte).

Les traces de changements récents dans le régime hydrographique se rencontrent à chaque pas ; au voisinage d’Agadez, le Teloua qui prend sa source dans le Baghazam, un des hauts sommets de l’Aïr, est encore assez vivant. Il a une pente notable : les observations barométriques faites à Agadez et à Assaoua donnent un chiffre voisin de 1/1000, chiffre que confirme l’état de ravinement du lit ; il s’agit donc d’un régime presque torrentiel pour la rivière principale de la plaine d’Agadez. Les affluents du Teloua, ceux de la rive gauche tout au moins, ont une pente presque nulle ; leurs lits sont à peine tracés ; à la saison des pluies, ils s’épandent en de véritables marais, transformant les parties argileuses de leur bassin en fondrières larges de plusieurs kilomètres, et dont la traversée peut devenir dangereuse. Ce n’est pas une allure normale, et d’ordinaire les affluents ont une pente plus forte que la rivière où ils se jettent.

Des exemples analogues ne sont pas rares, mais le fait qui paraît le plus décisif est à coup sûr l’existence des dallols. Le plateau calcaire et gréseux qui constitue l’Adr’ar’ de Tahoua, malgré le dur manteau de latérite qui le recouvre partout, est profondément entaillé[222] par des vallées fort nettes, larges parfois de 5 à 6 kilomètres ; ces vallées, ces dallols, sont limitées par des falaises toujours très bien marquées et dont la hauteur dépasse parfois 100 mètres, au voisinage de Keita par exemple. Leur caractère de vallée d’érosion n’est pas douteux, et elles servent encore de collecteur au peu de pluie qui tombe sur la région ; comme toutes les rivières habituellement inactives, elles ont mal su lutter contre le vent et des dunes encombrent leur lit ; ces barrages ont déterminé l’établissement d’un certain nombre de mares et d’étangs permanents ; celui de Keita, presque un lac, est un des plus célèbres (Pl. XX). On peut suivre les principaux dallols fort loin vers le sud ; le dallol Bosso se continue jusqu’au Niger. Vers l’amont ils ne viennent de nulle part : le Goulbi n’Sokoto, qui draine les eaux de la majeure partie du Tegama, passe au sud-est de l’Adr’ar’ ; toutes les eaux du nord du Tegama sont recueillies par le kori Tamago qui, se dirigeant vers l’ouest, passe très au nord de la région de Tahoua, et, vers l’Azaouak, va rejoindre l’Ir’azar d’Agadez, et le Taffassasset qui ont recueilli toutes les eaux de l’Aïr et de l’Ahaggar : tout passage vers le nord et vers l’est est actuellement coupé aux fleuves qui ont creusé les dallols. Ces vallées sont d’ailleurs trop importantes pour être attribuées à de simples ruisseaux ; au surplus, Tahoua est dans une région où les pluies sont actuellement peu importantes : la récolte du petit mil, pourtant peu exigeant, est parfois compromise par la sécheresse, bien que toutes les cultures soient dans les vallées ; tous les ergs morts, si abondants dans la région, et le vernis qui recouvre les latérites, prouvent cependant que, pendant le Quaternaire, ce pays était un vrai désert, où la pluie était plus rare qu’elle ne l’est maintenant. Il y a à ce point de vue amélioration du climat et non péjoration et cependant, malgré ce progrès, les ruisseaux de l’Adr’ar’ sont misérables et hors de proportion avec les grands dallols.

Il faut donc que les dallols aient été creusés par des fleuves venus de loin, de régions où il pleuvait pendant le Quaternaire, c’est-à-dire du Sahara, et ceci ne peut se concilier qu’avec de profonds changements dans le régime hydrographique.

Le bassin de Tombouctou et le moyen Niger. — En 1899, Chevalier[158], herborisant aux environs de Tombouctou, trouva sur le sable une coquille marine ; quelques jours après, les indigènes lui en apportèrent un grand nombre et lui apprirent qu’elles provenaient de[223] Kabarah où on les trouvait dans les carrières d’où était extraite l’argile qui sert à bâtir les maisons de la ville. Les coquilles seraient abondantes surtout dans une couche de sable, plus compact que celui des dunes et qui repose directement sur des argiles[159]. On a pensé d’abord que, comme aujourd’hui la caurie (Cypræa), ces coquilles avaient été apportées de la côte par les noirs et servaient de monnaie. Cette manière de voir ne paraît guère soutenable : le test est déjà modifié dans son aspect, et les coquilles de Tombouctou sont en voie de fossilisation ; elles sont loin d’avoir la fraîcheur de celles que l’on trouve en Mauritanie dans des dépôts de plage à quelques kilomètres de la côte ; Mabille avait observé que toutes sont de taille plus petite que les exemplaires originaires de l’Atlantique, dont le Muséum possède de riches séries. L’une d’elles (Marginella Egouen) mesure habituellement à l’île Gorée 9 lignes (20 mm.) d’après les indications d’Adanson [Histoire naturelle du Sénégal] ; un de mes exemplaires de Tombouctou n’a que 15 millimètres. Mais les échantillons plus nombreux qui sont, depuis, arrivés en Europe montrent à côté de formes naines des formes de taille très normale, de sorte que l’observation de Mabille perd une bonne partie de son importance. Au surplus l’abondance extrême de ces coquilles (on en trouve plusieurs dans chacune des briques de Tombouctou), ne paraît guère s’accorder avec l’idée d’un transport accidentel.

Il faut donc admettre que ces animaux ont vécu et se sont multipliés à la place où on les trouve aujourd’hui : au Quaternaire la mer a occupé le bassin de Tombouctou. Jusqu’à présent on ne connaît que peu d’espèces appartenant à cette faune. Ce sont :

Marginella marginata Born, = M. Egouen Adan.

M. pyrum Gronovius,

M. cingulata Dillwyn,

Columbella rustica Linné ;

la première seule est commune, mais toutes renferment à leur intérieur des débris indéterminables d’autres mollusques[160] (Cerithes et lamellibranches).

Les deux seuls gisements certains sont Kabarah et les berges du Faguibine, et ceci ne nous permet guère de juger quelle pouvait être l’étendue de cette mer. Heureusement quelques faits permettent tout au moins d’émettre des hypothèses vraisemblables, et d’indiquer de quel côté il faudra chercher la solution de ce problème. La petite[224] carte de la figure 68 montre que vers le sud les terrains cristallins, depuis Tidjika (Tagant) jusqu’à Tosaye, forment une ceinture ininterrompue, d’altitude souvent notable, parfois rehaussée de plateaux de grès (Hombori), ceinture qui donne bien probablement la limite méridionale extrême du bassin de Tombouctou. Vers le nord les renseignements sont encore bien vagues ; on sait cependant d’une manière certaine que les terrains cristallins dominent dans le Rio de Oro [Quiroga] (cf. ch. I, fig. 4), et qu’on les retrouve plus au sud où ils supportent les grès dévoniens de l’Adr’ar’ Tmar [Dereims] ; on sait aussi que l’on retrouve les mêmes terrains d’El Eglab à Taoudenni, où ils disparaissent sous les calcaires carbonifères de la hammada El Haricha [Mussel] (cf. ch. I, fig. 6) ; plus à l’est l’Adr’ar’ des Ifor’as, qui se relie à l’Ahaggar, se prolonge vers l’ouest par les plateaux dévoniens du Timétrin presque jusqu’au méridien de Tombouctou, laissant, entre ces plateaux et Taoudenni, un passage pour la vallée de la Saoura, passage où l’on a signalé des grès (Infracrétacé) et des dépôts de sebkha. La région circonscrite par ces terrains anciens correspond en gros au Djouf et à l’Azaouad.

Il est hors de doute que, pendant le Pleistocène, l’Atlantique empiétait largement sur la Mauritanie et qu’un golfe s’étendait au moins à 200 kilomètres dans l’intérieur des terres : des coquilles marines à peine fossiles (Senilia senilis ?) abondent jusqu’à Aleg ; il est possible que, passant entre l’Adr’ar’ Tmar et le Tagant, ce golfe ait été rejoindre la mer de Tombouctou. A défaut de preuves directes, que l’ignorance où nous sommes, même de la géographie de ces régions, empêche de donner, on peut remarquer que, si l’on connaît d’innombrables exemples de transport de mollusques par les oiseaux, ces exemples portent sur des formes d’eau douce qui vont ainsi d’une mare à l’autre, ou bien sur des formes de lagune, des formes d’eau saumâtre, comme le Cardium edule L. des chotts algériens, qui sont adaptées à des variations considérables dans la température et dans la composition chimique, dans la salure du milieu qu’ils habitent. Pour les espèces littorales, mais franchement marines, comme le sont les Marginelles, on a pu parfois, avec beaucoup de patience, habituer quelques-unes d’entre elles à vivre dans de l’eau un peu plus ou un peu moins salée que l’eau de mer ; mais elles ne s’y reproduisent pas. L’abondance des fossiles à Tombouctou semble donc indiquer que l’eau y avait la même composition et la même constance de température que dans l’Atlantique, ce qui ne peut guère s’expliquer que par une communication directe entre le Djouf et l’Océan.

[225]Tombouctou est à environ 250 mètres au-dessus de la mer, mais cette différence de niveau n’est pas une objection : près de Reggio, en Calabre, des assises marines du Quaternaire ancien sont à plus de 800 mètres d’altitude, et l’on connaît sur le littoral de l’Angola des sables à Senilia senilis, l’une des espèces les plus communes du golfe quaternaire de Mauritanie, qui forment le couronnement de falaises hautes de 200 mètres.

Fig. 68. — Les massifs anciens et les bassins de l’Afrique occidentale.

A ce golfe marin du Quaternaire ancien, peut-être partagé en deux lobes, dont l’un, Taoudenni, recevait la Saoura et l’autre, Faguibine, le Niger, a succédé au moins dans sa partie méridionale un lac de grande étendue.

Récemment en effet, Dupuis Yakouba a recueilli dans l’Azaouad où on les trouve partout répandus sur le sol, entre les dunes, une série de mollusques d’eau douce qui, d’après l’examen de L. Germain, rappellent de très près la faune des eaux stagnantes du Tchad ; les[226] affinités avec les espèces ou les variétés du Niger, pourtant tout proche, sont beaucoup moins marquées. Cette absence de formes d’eau courante est une bonne confirmation de l’existence d’un lac succédant à la mer à marginelles et dont le Faguibine et les lacs voisins sont le dernier reste.

En même temps que s’interrompaient les communications avec l’Atlantique, dans la partie nord de l’ancien golfe, mal alimentée par la Saoura, s’accumulait le sel qui est actuellement exploité dans les salines de Taoudenni et de Tichitt.

Tout ceci est encore évidemment bien hypothétique ; les faits positifs font défaut, le Djouf est inexploré. L’origine de la falaise d’El Khenachiche, qui semble un accident très important, est singulièrement obscure ; mais il fallait poser le problème.

L’existence de ce golfe quaternaire, si elle était démontrée, rendrait assez vraisemblable, pendant l’Éocène et peut être le Crétacé supérieur, une communication directe entre le bassin de Tahoua et le Sénégal (chap. II) : entre le Silurien de Tosaye et l’Adr’ar’ des Ifor’as passent en effet les calcaires à huîtres et à oursins que l’on peut suivre jusqu’à Mabrouka et jusqu’au voisinage de Bemba, en plein cœur du bassin de Tombouctou, semblant jalonner vers l’ouest une communication directe avec l’Atlantique.

Quoi qu’il en soit de ces dernières hypothèses dont la solution appartient à l’avenir, l’existence d’une mer quaternaire à Tombouctou à laquelle, à une époque plus récente, a succédé un lac, dont les régions lacustres sont les derniers témoins, paraît bien établie. La Saoura venant du nord, le Tamanr’asset descendu de la Coudia, et l’oued Ilock, qui prend sa source dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, y aboutissaient ; il n’est pas téméraire de penser qu’il en était de même du Niger.

Le cours moyen de ce fleuve, de Koulikoro à Tosaye, présente des particularités très remarquables.

En amont du Macina, le Niger a toutes les allures d’un vieux fleuve fidèle à sa vallée qu’il occupe depuis longtemps ; il est profondément encaissé ; au-dessus du lit actuel, on distingue toute une série d’anciennes terrasses qui racontent les progrès lents de l’érosion ; à côté de ces caractères d’ancienneté, les nombreux rapides qui, au sud de Koulikoro, entravent souvent la navigation sont un indice de rajeunissement. En aval de Tosaye et surtout d’Ansongo, le Niger a des berges fort nettes ; son cours présente d’innombrables rapides ; il est en plein travail et ceci est un signe de jeunesse ; des vallées suspendues, parfois à une vingtaine de mètres au-dessus du[227] fleuve, ne s’y raccordent pas et semblent appartenir à un autre âge et probablement à un autre réseau hydrographique.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXXIV.

Cliché Pasquier

65. — CHALANDS SUR LE NIGER. RÉGION DE GAO.

La rive droite, qui forme le fond, ne présente pas de relief.

Cliché Posth

66. — LA VALLÉE DU NIGER ET LE VILLAGE DES TIRAILLEURS, VUS DU POSTE DE BOUREM.

On voit nettement les divagations du fleuve.

Dans son cours moyen (fig. 65, p. 175), dans le bassin de Tombouctou, le fleuve semble ne pas avoir de passé ; c’est à peine même s’il a un présent. Il s’étale en marécages immenses et s’égare en d’innombrables marigots qui, dans la région lacustre surtout, forment un absurde réseau ; à certaines saisons, dans quelques-unes de ses branches, il lui arrive de refluer sur lui-même. Dans tout ce bief, long de plus de 800 kilomètres, la pente est nulle et l’eau s’écoule à peine. Au mois d’août, en pleine crue, sa vitesse ne dépasse pas 6 kilomètres à l’heure : c’est la vitesse du Rhône en temps ordinaire, vitesse qui est souvent triplée (18 km.) en temps de crue. Quelques photographies, en particulier celle de la planche XXXIV (phot. 66), montreront combien le cours du Niger est mal défini.

Le seuil de Tosaye, où le Niger quitte le bassin de Tombouctou, est d’une importance capitale ; au delà du seuil, le courant devient plus fort ; la rupture de pente est bien accusée. Cependant, en des pays moins plats, ce point serait à peine remarqué ; le pittoresque y est médiocre ; rien qui puisse être appelé une gorge, encore moins un défilé ; l’érosion n’a fait qu’échancrer l’arête cristalline, y creusant des falaises de quelques mètres ; le temps lui a manqué pour faire plus grand. L’eau n’y trouve encore qu’un écoulement difficile et lent et s’accumule en amont en masses énormes, surtout dans la région lacustre.

On a encore peu de renseignements sur les lacs qui s’étendent sur la rive droite du fleuve, entre le Niger et Hombori ; Desplagnes [Le Plateau central nigérien] en a donné une carte, mais sans explication ; ceux de la rive gauche (Faguibine, Horo) sont mieux connus[161].

Un fait assez imprévu, et qui semble bien établi par les mesures concordantes des lieutenants Figaret et Villatte, est que le Faguibine est en contre-bas d’une dizaine de mètres relativement au Niger. Malgré le sens de la pente, les crues du fleuve, qui varient de 5 à 8 mètres, ne suffisent pas à remplir chaque année cette importante dépression. Quelques barrages de médiocre importance s’y opposent, apportant une bonne confirmation à l’idée du desséchement en quelque sorte mécanique du Sahara [cf. t. I, ch. II].

Cette irrégularité dans les crues se traduit par de grandes variations dans l’état des lacs et dans la richesse du pays. Lenz, en 1880, ne mentionne que quelques étangs autour de Ras El Mâ ; il est possible[228] que ses guides l’aient trompé et lui aient soigneusement caché la nappe d’eau principale ; mais il est plus vraisemblable, et mieux d’accord avec les traditions indigènes, qu’il est passé dans la région à un moment de grande sécheresse. D’après le chef du village de Fatakara, ce n’est que trois ans après la venue du voyageur allemand que les Daounas, stériles depuis de longues années, purent être ensemencés. Pendant quelques années, les récoltes furent superbes.

En 1894, le Faguibine était un grand lac : Hourst y a vu une énorme nappe d’eau, sur laquelle il lui paraissait dangereux de naviguer dans une barque non pontée ; en 1905, son niveau avait baissé de 7 m. 50 et Ras El Mâ était à 30 kilomètres de la rive ; parfois même, assurent les indigènes, il ne reste du Faguibine que quelques débris dans les parages des rochers de Taguilem, où les fonds ont quelque profondeur.

Villatte pense qu’un canal de 8 kilomètres de long, reliant le Fati au Télé, permettrait aux eaux du Niger de pénétrer tous les ans jusqu’au Faguibine, assurant une fertilité régulière à d’immenses territoires ; il ne semble pas qu’au point de vue technique l’établissement de ce canal puisse présenter de difficultés.

Avant de l’entreprendre toutefois il sera prudent d’être mieux fixé sur les régions qui sont situées au nord et à l’ouest du Faguibine. La dépression du Djouf est en contre-bas d’au moins une centaine de mètres et il est à peu près certain que le Niger y a autrefois abouti [cf. t. I, p. 55]. Il ne faudrait pas oublier l’exemple qu’a donné récemment le Colorado qui, profitant d’un canal de dérivation, a failli abandonner le Pacifique pour créer un lac important dans le Salton Sink[162] ; il serait plaisant, sous prétexte d’irriguer les Daounas, de renvoyer le Niger dans son ancien lit et de ruiner une bonne partie de l’Afrique occidentale.

Les Maures affirment en effet qu’un chenal continu, partant de Ras El Mâ, relie la Faguibine à Oualata ; le service géographique des colonies (Carte au 2000000e, feuilles 1 et 2) a tenu compte de ce renseignement et figure le Dahar Oualata en falaise, qu’elle prolonge au nord-ouest jusqu’à Tichitt, en plein Djouf.

Diverses légendes confirment d’ailleurs cette ancienne direction du Niger ; on a conservé le souvenir d’une époque où le Niger, ou, pour mieux dire, un de ses bras, un marigot, se remplissait parfois jusqu’à Araouan ; des ruines sont connues dans le Djouf ; près d’Oualata, il existerait deux villes importantes aujourd’hui abandonnées ;[229] entre Araouan et Taoudenni, Ed Denader aurait été peuplé par les Kel Antasar. Cette précision relative semble indiquer qu’il s’agit d’une ruine récente ; le desséchement du pays serait d’hier.

Cependant une autre tradition, dont je dois l’indication à Gsell, permet de croire que depuis fort longtemps le Niger a cessé de couler du sud au nord. Hérodote [livre II, chapitre XXXII] raconte l’histoire de cinq jeunes gens de la tribu des Masamons qui, partis du littoral de la Grande Syrte, traversèrent, pendant de longs jours, le désert en marchant vers le couchant : ils arrivèrent ainsi dans un pays où il y avait des arbres et qu’habitaient des nains de couleur noire qui les firent prisonniers. Ces nains leur firent traverser, par de longues marches, des marécages et les conduisirent dans leur capitale, qu’arrosait un grand fleuve où se jouaient des crocodiles, et qui coulait de l’ouest vers l’est. On ne voit guère que le Niger qui corresponde à ces indications ; la présence de pygmées dans la partie occidentale du Soudan est d’accord avec les légendes que Desplagnes a recueillies [Le Plateau central nigérien, p. 69 et 71] ; leur souvenir est resté assez vivant dans le plateau nigérien d’où ils auraient été refoulés dans la grande forêt équatoriale à une époque assez récente.

Il serait dangereux d’attribuer à ce récit une grande importance, mais il serait puéril de le rejeter a priori.

Le phénomène de capture qui s’est produit à Tosaye n’est pas douteux ; il s’agit là probablement d’un événement géologiquement récent : le récit d’Hérodote est peu clair, les traditions indigènes sont plus nombreuses et plus précises ; elles sont d’accord avec la présence de ruines et avec les faits géographiques ; on peut donc admettre, avec quelque vraisemblance, que le changement de lit du Niger n’est pas très vieux et que l’archéologie permettra peut-être de dater avec quelque exactitude cette importante modification des conditions de la vie dans le bassin de Tombouctou. Elle serait, d’après Desplagnes, antérieure au Néolithique africain qui est sans doute bien récent.

Bassin d’Ansongo. — Que se passait-il entre le bassin du Niger et celui de Taffasasset, alors qu’ils étaient distincts ?

J’ai déjà mentionné précédemment l’existence de vallées suspendues le long du Niger entre Niamey et Gao. Ces vallées sont en général assez larges, bien encaissées dans des berges élevées parfois de 5 à 6 mètres (fig. 79, p. 275).

Leur hauteur au-dessus du Niger est très variable ; près de Gao, elles sont à 4 ou 5 mètres au-dessus du niveau du fleuve ; à Ansongo,[230] le poste est bâti sur des graviers à 7 mètres au-dessus du Niger ; il y a 80 kilomètres entre Gao et Ansongo et le fleuve ne présente pas de rapides.

Plus au sud, vers Niamey, les vallées suspendues dominent le fleuve d’une trentaine de mètres ; il y a entre Ansongo et Niamey 280 kilomètres et de très nombreux rapides. Les altitudes n’ont été déterminées qu’au baromètre ; elles accusent une cinquantaine de mètres de différence entre Gao et Niamey, au niveau du Niger. Il est impossible d’en conclure quoi que ce soit sur les niveaux relatifs des vallées suspendues et de savoir si celles de Niamey sont au-dessus ou au-dessous de celles de Gao. La cartographie de ces régions est encore trop sommaire pour que l’on puisse savoir si ces vallées suspendues s’arrêtent au Niger ou si elles le traversent et se continuent au delà du fleuve : j’en ai aperçu d’assez nombreuses sur chaque rive, mais ce n’est pas d’une pirogue que l’on peut les étudier sérieusement.

Plus au sud, Hubert a observé des faits analogues, sur lesquels il donne peu de détails.

Malgré ces incertitudes, ces vallées sont cependant la preuve d’un changement profond dans le régime des cours d’eau de la contrée, soit qu’elles n’aient jamais eu de rapport avec le Niger, soit qu’elles en soient d’anciens affluents.

Ce bassin, dont Ansongo occupe le centre, semble assez bien délimité vers l’ouest par l’arête cristalline qui va de Tosaye à Hombori ; partout ailleurs ses limites sont assez indécises : ce coin de la boucle du Niger a été encore à peine parcouru.

En tous cas ce bassin est mal modelé ; il est occupé par un grand nombre de mares, Merri, Doro, Gossi qui, d’après les renseignements qu’a bien voulu me donner le capitaine Aymard, sont, à la saison des pluies, de véritables lacs dont le périmètre dépasse 100 kilomètres ; à la fin de la saison sèche, elles n’ont plus que quelques lieues de tour. Le Telemsi est jusqu’à présent le moins mal connu des fleuves de ce bassin ; prenant sa source dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, il contient parfois de l’eau dans des mares, mais ne coule plus ; il se raccorde fort mal avec ceux de ses affluents de la rive droite qui prennent leur source au nord du Bourem ; Combemorel [Comité Af. française, janv. 1909] met bien en évidence ce caractère hétérogène du réseau.

Il est assez vraisemblable, sans qu’il soit possible pour le moment d’en donner la preuve positive, que ce bassin d’Ansongo a été un bassin fermé, intercalé entre le Niger et le Taffassasset.

[231]Comme agents du modelé, les bassins fermés sont des outils médiocres ; ils ne peuvent subsister que dans les régions où les pluies sont rares, et à cette cause d’infériorité manifeste, ils ajoutent encore leurs propres effets. Lorsqu’un fleuve se jette dans la mer, les sédiments qu’il y apporte ont un volume parfois considérable, mais à coup sûr négligeable devant le cube de l’Océan ; dans un bassin fermé, il n’en est plus de même et toutes les fois que le fleuve travaille, il surélève lui-même son niveau de base aux dépens des matériaux qu’il a arrachés aux parties les plus hautes de son bassin, deux actions dont les effets s’additionnent pour diminuer la pente du fleuve et restreindre sa puissance ; il est impossible aux affluents d’une mare de remonter leur tête bien loin et tous les phénomènes de capture ont chance de se faire à leurs dépens.

Le Taffassasset était bien placé pour sortir vainqueur de la lutte ; s’il faut en croire Hubert [Thèse, p. 155] les fleuves côtiers du Dahomey portent la trace d’un abaissement de 40 mètres de leur niveau de base, aussi tous présentent-ils, à leur sortie de la région cristalline, une rupture de pente très nette. Quoique l’invariabilité de niveau, affirmée par Hubert, de la plate-forme ancienne, depuis l’Éocène, soit peu vraisemblable, le rajeunissement de tous les cours d’eau du Dahomey paraît bien établi. L’embouchure du Taffassasset en était trop proche pour que le fleuve n’ait pas puisé dans ce mouvement négatif une nouvelle vigueur. L’un de ses affluents attaquant l’Atacora, créait le W et pénétrait au cœur du bassin d’Ansongo.

La masse d’eau qu’il y trouvait lui permettait de remonter rapidement sa source et de rejoindre à Tosaye le Niger, qui probablement déjà venait s’étaler paresseusement, à l’époque des crues, sur toute la surface du bassin de Tombouctou, vaste plaine sans relief où aucun obstacle ne pouvait l’arrêter.

Ce qui n’était d’abord qu’un petit affluent de l’ancien Taffassasset, devenait la branche maîtresse du réseau ; le dallol Bosso, profitant du nouvel état de choses, prenait une grosse importance et peut-être, dès la capture du bassin d’Ansongo, décapitait, au nord de Tahoua, le Taffassasset et obligeait tous les oueds descendus de l’Aïr ou de l’Ahaggar à abandonner les dallols de l’Adr’ar’ de Tahoua.

Pour agir ainsi, il fallait que tous ces fleuves soient encore bien vivants et ceci nous reporterait à l’époque où les oueds sahariens étaient encore de vrais cours d’eau, à l’époque du Néolithique africain. L’étude du Niger donne peut-être une date plus rapprochée, mais sa capture est postérieure à celle du bassin d’Ansongo. Peut-être n’est-il pas absurde de penser que la suppression des grands lacs du Djouf,[232] suppression qui a dû suivre la capture du Niger, a pu avoir une répercussion sur le climat du Sahara et diminuer de quelques tornades la quantité de pluie qui tombait sur l’Ahaggar. Le Taffassasset coule encore parfois jusqu’à In Azaoua où les puits sont peu profonds (7 m.). Peut-être faudrait-il peu de chose pour lui rendre la vie.

D’autres hypothèses sont possibles. Le lieutenant Dulac croit que, autrefois, le Niger passait au sud du plateau de Bandiagara ; il a pu suivre en tous cas une vallée bien tracée, se dirigeant vers l’est et qui pouvait avoir abouti vers Say ou Niamey ; il attribue ces changements hydrographiques à des mouvements tectoniques et aussi à des accidents volcaniques dont la région de Hombori présenterait, paraît-il, des traces (communication verbale).

Les mouvements tectoniques récents ne sont pas rares en Afrique ; la faille du Touat en est une preuve [cf. t. I, p. 236] ; les Senilia senilis de l’Angola forment une plage soulevée à 200 mètres. Nul doute qu’ils n’aient aidé certains phénomènes de capture et qu’ils n’en aient entravé d’autres.

Je n’ignore pas que cet essai de synthèse est trop hardi et dépasse largement ce que l’on peut légitimement déduire de quelques faits d’observation.

Il importait surtout de bien mettre en évidence l’ampleur des modifications que le réseau hydrographique a subies au Soudan ; il était nécessaire d’attirer l’attention des chercheurs sur ces questions si complexes, pour la solution desquelles les efforts d’un grand nombre ne seront pas inutiles.

Le Tchad et le Bahr El Ghazal. — Le bassin du Tchad n’est encore que partiellement connu ; le Chari et ses affluents, la Komadougou et le lac lui-même ont été relevés avec soin et l’on en peut dresser une carte d’ensemble avec une certitude suffisante. Au nord-est du Tchad les données sont beaucoup plus imprécises.

Avoisinant le lac à l’est, un plateau d’élévation moyenne assez faible, long de 200 kilomètres du nord-ouest au sud-est, et large de 150, porte différents noms correspondant à divers aspects topographiques : le Chittati, tout proche du Tchad, est caractérisé par des cuvettes fermées, en général elliptiques, en contre-bas du plateau ; la falaise atteint parfois 50 à 60 mètres. Dans le Kanem, les dépressions, longues de 6 à 7 kilomètres, sont généralement orientées nord-sud et voisines les unes des autres. Des dunes élevées, hautes parfois de 100 mètres et fixées maintenant par la végétation, donnent[233] au Manga son principal caractère [Freydenberg, Thèse, p. 56, 74].

Ce plateau tranche très nettement par la nature de son sol sur les dépôts d’alluvions, argileux et sableux, qui, à partir du 9° Lat. N., forment la plaine où, sans thalwegs bien définis, serpentent les principaux affluents du Tchad ; le Kanem est peut-être un témoin des grès et argiles du Tegama.

A l’est de ce plateau se trouvent quelques dépressions qui, jadis, ont été des lacs.

L’Egueï, large d’une trentaine de kilomètres, s’étend, du nord-ouest au sud-est, sur une longueur de 150 kilomètres ; un peu plus loin se rencontrent le Toro et le Bodelé, à contours encore mal précisés ; passant au sud du Kanem et de l’Egueï, un sillon, le Bahr El Ghazal, est creusé depuis le Tchad jusqu’au Bodelé qu’il vient rejoindre dans la région du Djourab.

Nachtigal, le premier, a vu ces régions ; il y a signalé des coquilles et des débris de poissons. Ces dernières années, l’Egueï et le Bodelé ont été étudiés à nouveau par Mangin ; les Melania et les vertèbres de poissons qu’il en a rapportées, montrent bien que ces dépressions étaient récemment encore occupées par d’importantes nappes d’eau douce et qu’elles faisaient partie d’un plus grand Tchad.

Toute cette zone de bas-fonds, d’anciens marais, paraît nettement limitée vers le nord ; une série de hauteurs, où plusieurs oueds, dont le moins mal connu est le Tin Toumma[163], prennent naissance, s’étend de Dibbela au Tibesti et sépare le bassin de Bilma de celui du Tchad ; vers le sud, le lac Fittri, alimenté par le Batha qui descendait de l’Ouadaï, et la dépression que Chevalier désigne sous le nom de lac Baro, ont été en relation évidente d’affluent avec le Tchad.

Vers le nord-est les choses sont beaucoup plus obscures ; le Tibesti, dont certains sommets atteignent 2700 mètres, forme un massif important de grès dévoniens (?) couronnés de formations volcaniques. Cette haute barrière s’approche vers le sud-est de l’Ennedi, région élevée qui semble se relier au Darfour. D’après les renseignements du capitaine Cornet, Freydenberg [Thèse, p. 78] indique que la partie occidentale de l’Ennedi, la seule connue, est un pays de plateaux formés d’assises gréseuses, bariolées et dures ; ces plateaux sont entaillés de profondes vallées qui se dirigent vers le Bahr El Ghazal.

Entre le Tibesti et l’Ennedi se place une région relativement basse,[234] riche en eau, le Borkou, où l’on compte quelques oasis. Les renseignements géologiques relatifs au Borkou sont peu nombreux et vagues ; on y a signalé des grès durs, analogues à ceux de l’Ennedi, (Dévonien ?) et des grès tendres, argileux, maculés d’oxyde de fer (Crétacé ? Éocène ?). Nachtigal mentionne expressément, au sud-ouest du Borkou, une arête abrupte haute d’une trentaine de mètres, l’Amanga. Contre l’Amanga s’appuient des formations calcaires riches en coquilles [l. c., p. 430].

Tout cela est bien flou et apporte peu de lumières sur une des questions les plus obscures encore de la géographie africaine.

On ne sait pas encore, d’une façon positive, si le Tchad est le centre d’un bassin fermé ou si, comme le pensait Nachtigal, le Bahr ne serait pas son émissaire.

Il ne s’agit pas, bien entendu, de savoir si actuellement le Bahr El Ghazal coule vraiment vers l’est, mais bien si la pente générale des vallées est vers l’est, et si ce ne sont pas des phénomènes de barrages du lit par des actions éoliennes, ou des phénomènes de capture en amont du Tchad, qui ont arrêté dans leur marche vers l’est les eaux du Chari et de la Komadougou. L’exemple du Faguibine montre nettement que, aux confins du désert, un fleuve peut abandonner son ancien lit, sans qu’il y ait inversion de la pente.

Un fait d’une importance capitale et qui avait déjà frappé Nachtigal est que les eaux du Tchad sont douces ; elles restent buvables même pendant les périodes de sécheresse. On ne peut invoquer l’absence de sel dans la région : les mares à natron abondent au voisinage et donnent lieu à d’importantes exploitations à Buné, à Gourselik, dans le Chittati, etc.

Les eaux de rivière contiennent toujours, en solution, des matières salines et si le Tchad est un bassin fermé, toutes celles qu’ont charriées, depuis des siècles, les divers affluents du lac, ne peuvent se trouver que dans le Tchad. Il est possible de se rendre compte de la rapidité avec laquelle peut s’accroître la salure du lac sous cette seule influence.

Toutes les observations recueillies, et les traditions indigènes citées par Freydenberg, sont d’accord pour montrer que si le Tchad présente d’une année à l’autre de grandes variations de niveau, il reprend cependant périodiquement les mêmes contours ; on peut donc admettre qu’en moyenne, il reçoit annuellement autant d’eau de ses affluents qu’il en perd par évaporation. Supposons en outre que les années où il est le plus bas, il conserve encore autant d’eau qu’il en perd par évaporation ; il est probable, d’après les données d’observation,[235] les sondages surtout, qu’il en conserve beaucoup moins, ce qui rendrait l’accroissement de la salure plus rapide encore.

Ceci nous permet de mettre le problème en équation ; appelons s la surface moyenne du lac, h la hauteur d’eau qui s’évapore chaque année ; sh sera le volume d’eau évaporé annuellement et aussi celui que les affluents amènent au lac ; 2 sh sera le volume moyen des eaux du lac.

A défaut d’analyse des eaux du Chari et de la Komadougou, nous savons que les eaux douces renferment en moyenne 18100000 de matières salines dissoutes ; le chiffre le plus élevé 66,5100000 est fourni par les eaux qui ont circulé sur des graviers ou des alluvions, le plus faible 5,94100000 par les eaux de sources, issues des granites et des gneiss. Si nous prenons ce dernier chiffre, la quantité de sel que chaque année ses affluents amènent au Tchad sera sh 5,94100000

L’eau de mer contient 351000 de matières dissoutes ; l’équation

sh 5,94100000 x = 2 sh 351000

nous donnera donc le nombre d’années, x, nécessaire pour que le Tchad soit aussi salé que l’Océan, si le double mécanisme de l’apport d’eau par les affluents et de son enlèvement par évaporation, était seul en jeu. On trouve ainsi une douzaine de siècles ; les eaux qui contiennent 61000 de sels sont réputées tout à fait inbuvables, même au Sahara : il suffirait de 200 ans pour arriver à cette salure.

Deux corrections, de même sens, allongeraient un peu ce délai ; il faudrait tenir compte de la petite quantité d’eau presque pure que la pluie tombant sur le lac apporte au Tchad : cette quantité est certainement inférieure à 0 m. 50 et l’évaporation enlève plus de 2 mètres d’eau. Sur les bords du lac, dans les parties desséchées, un peu de sel peut être entraîné au loin par les coups de vent, mais cette correction, difficile à calculer, est probablement négligeable.

Ces deux causes ne suffiraient probablement pas à doubler le nombre de siècles nécessaires pour transformer le Tchad en un lac salé.

[236]Ce nombre (deux siècles) est en somme assez faible, et le fait que les eaux du Tchad restent buvables, prouve qu’un mécanisme doit intervenir, qui empêche l’accumulation du sel dans le lac.

Le capitaine Dubois[164] suppose que le sel va se déposer sur les bords du Tchad dans des golfes souvent à sec : « le Tchad se dénatronise automatiquement par le seul jeu de ses crues et de ses décrues ». L’enseigne de vaisseau d’Huart a exprimé la même idée, en la précisant davantage : « Le fait que le Tchad crée autour de lui une série de mares littorales qui se séparent petit à petit de la masse principale par des cordons sablonneux, et qui ne s’alimentent plus qu’aux hautes eaux, jusqu’à leur isolement complet et définitif, explique à la fois et la création des nappes de natron et la douceur des eaux du lac. Le Tchad se dessale dans les mares qui, se trouvant à la périphérie, reçoivent toutes les matières lourdes en suspension entraînées par la masse des eaux[165] ».

Cette explication n’est peut-être pas suffisante ; les habitants des îles du Tchad, pour qui le natron est un objet d’échange important, le recherchent avec soin, souvent assez loin de la côte ; « un des points les plus importants où l’on en trouve, à Kelbouroum, est à deux jours de marche dans l’intérieur » du Kanem [Destenave, l. c.] ; Freydenberg [Thèse, p. 53] cite, entre le pays de Foli et le Tchad, au voisinage immédiat du lac, entre N’Gouri et Massakory, une région où les mares à natron sont abondantes et donnent lieu à une exploitation assez active : le grand marché de natron se tient à Wanda.

Combien de sel se dépose dans les mares de la périphérie du Tchad ? La superficie du lac est d’environ 20000 kilomètres carrés ; en admettant une évaporation de 1 mètre seulement par an, et, pour les matières salines amenées par les affluents 5,94100000, la quantité de sel apportée annuellement au lac serait, en tonnes

20000 × 1000[165] × 5,94100000

c’est-à-dire plus de un million.

Les chiffres de Nachtigal donneraient un tonnage plus élevé ; il avait calculé que le Tchad recevait annuellement 100 kilomètres cubes d’eau, dont 60 fournis par le seul Chari qui amènerait à lui seul plus de 3 millions de tonnes de matières salines dans le lac.

[237]Il est difficile de se faire une idée exacte de la quantité de sel retiré des eaux du Tchad par le commerce.

Il est douteux que le chiffre en soit important : d’après le commandant Gadel, les caravanes enlèvent annuellement de Bilma, qui est un marché considérable, environ 4000 tonnes de sel, dont une bonne partie est vendue au Bornou, sur les bords du lac ; le commerce de Taoudenni donne des chiffres analogues : il est vraisemblable que l’exportation du Tchad est aussi misérable, et cependant les produits naturels ne lui suffisent pas : tout autour du lac, des villages vivent de la fabrication du natron qu’ils préparent par lessivage des cendres du Salvadora persica ; le produit ainsi obtenu est plus riche en potasse que le natron des mares, mais les indigènes n’y regardent pas de si près et se dispenseraient de ce travail s’ils pouvaient l’éviter.

Le fait que le natron de Wanda, comme le sel du Kaouar, est vendu jusqu’au Bornou, est un indice certain de l’absence ou de l’extrême rareté de mares exploitables sur la rive occidentale du lac.

Il y a donc en somme quelques points des bords du Tchad où le sel se dépose ; le phénomène n’est pas général. Dans les régions où il se produit, il est insignifiant puisqu’il ne suffit pas à alimenter le commerce si réduit de l’Afrique centrale et qu’aux produits naturels du sol, il faut ajouter les fruits de l’industrie.

Que le mécanisme, indiqué par Dubois et d’Huart, enlève régulièrement un peu de sel au Tchad, cela n’est pas douteux, mais il n’en résulte pas que ce mécanisme soit suffisant pour maintenir douce l’eau du lac. Il y a trop de disproportion entre les chiffres du sel amené par les affluents et du sel enlevé par l’industrie ; ces chiffres ne sont pas du même ordre de grandeur.

Il faut donc admettre que le sel s’en va autrement et l’on ne voit guère d’autre solution possible que l’existence d’un émissaire du lac. Nachtigal avait attribué ce rôle au Bahr El Ghazal, et c’est en effet le seul fleuve dont le rôle soit discutable : tous les autres, morts ou vivants, sont certainement des affluents du lac.

Que la douceur des eaux du Tchad ne puisse bien s’expliquer que par l’existence d’un effluent, c’est déjà un argument d’un grand poids, mais l’étude du Barh El Ghazal lui-même peut seule être décisive.

Un premier point n’est pas douteux : pendant les grandes eaux du Tchad, le Bahr El Ghazal se remplit et les eaux gagnent vers le nord-est. Tahr, un chef du Dagana, racontait en 1823 à Denham que le lac s’écoulait bien autrefois par cette rivière qui allait se perdre dans un lac qui s’était desséché depuis peu ; Tahr ajoutait que les débordements[238] du lac diminuaient tous les ans d’importance ; les dires des indigènes recueillis par Freydenberg confirment ce point : vers 1830 le lac a été à sec, ce qui a permis aux Bouddoumas d’aller piller le Bornou. Vers 1851[166], à l’époque du passage de Barth et d’Overweg, le lac au contraire était très haut et envahissait le Bahr El Ghazal ; il en était de même en 1870 et les indigènes espéraient que le Bodélé allait être inondé (Nachtigal) et qu’on pourrait comme au milieu du XVIIIe siècle aller au Borkou en pirogue.

Il est inutile de multiplier ces exemples : toutes les fois qu’il y a une grande crue du lac, et ces crues sont périodiques, le trop-plein se déverse dans le Bahr El Ghazal, mais ceci ne prouve rien sur le sens de la pente : quand la Loire donne, ses affluents sont obligés de rebrousser chemin.

Les mesures d’altitude sont encore rares et aucune n’a été faite par des méthodes précises. Cependant Nachtigal et le capitaine Mangin ont trouvé tous les deux que la pente était vers le nord-est : le Toro et le Djourab seraient l’un et l’autre à une centaine de mètres au-dessous du Tchad. Malgré l’incertitude qui entache les indications des anéroïdes, incertitudes qu’aggravent encore l’absence d’observatoires fixes et par suite de corrections, il est impossible de négliger ces données. Freydenberg fait remarquer que le Tchad est entouré d’une ceinture de dunes ; l’observation est exacte, mais il a tort d’en conclure que le Tchad est un centre de basses pressions ; toutes les dunes que j’ai vues, de Woudi à Kouloua, près du rivage nord du lac, ont leur pente douce tournée vers le Tchad c’est-à-dire vers l’est à Woudi, vers l’ouest à Kouloua ; s’il en est ainsi partout, le Tchad serait un centre de divergence du vent, par suite un centre de hautes pressions ; si les observations de Mangin et de Nachtigal ont été faussées par cette cause, les différences d’altitude qu’ils ont trouvées seraient trop faibles, et la pente vers le nord-est serait encore plus marquée qu’ils ne l’ont indiqué.

Il convient d’ajouter toutefois que les dunes qui entourent le Tchad ont leurs sommets arrondis, qu’elles sont fixées par la végétation : ce sont des dunes mortes, témoins d’un régime antérieur. Si le Tchad a été autrefois un centre de hautes pressions, il n’est pas certain qu’il le soit encore ; les observations météorologiques anciennes de Barth et de Nachtigal, résumées par Schirmer, celles plus récentes de Foureau, sont d’accord avec les observations de Freydenberg et les miennes pour indiquer, dans la région du Tchad,[239] grande prédominance des vents du nord-est, prédominance qui est la règle dans la majeure partie du Sahara.

Le capitaine Mangin a recueilli, entre l’Egueï et le Toro, un certain nombre de cailloux roulés dont la position est indiquée avec précision sur une des cartes qu’a publiées Freydenberg[167]. Ces cailloux sont des grès et des calcédoines qui ne peuvent guère provenir que du Tibesti ; cela prouve que le Bahr El Ghazal recevait des affluents de ce massif montagneux ; je ne crois pas que l’on en puisse rien déduire sur le sens dans lequel coulait le Bahr El Ghazal.

Le commandant Bordeaux précise cet argument ; il note que le lit du Soro (Bahr el Ghazal) au voisinage du Tchad, est exclusivement argileux ; à mesure que l’on va vers le nord-est, on y rencontre du sable et même, dans l’Egueï et la dépression de Broulkoung, des cailloux roulés[168]. La remarque est intéressante, mais non décisive : à sa sortie du Léman, où les eaux se sont décantées, le Rhône ne charrie que du limon. Un peu plus loin, ses affluents, descendus des Alpes, lui apportent des graviers et des galets. Il faut attendre, pour se prononcer en toute certitude, un levé plus complet et plus détaillé du réseau hydrographique au nord-est du Tchad.

Il est impossible de conclure d’une manière ferme, mais l’idée que le Bahr El Ghazal est un affluent du Tchad, semble avoir pour elle deux arguments importants : les observations barométriques concordantes de Nachtigal et de Mangin, et la douceur relative des eaux du lac.

Si le raisonnement et les calculs qui ont conduit à attribuer une valeur capitale à l’absence, ou, tout au moins, à la rareté du sel sont corrects, on pourrait pousser plus loin l’induction, bien que la méthode soit dangereuse. Nulle part, entre le Tchad et le Borkou, on ne connaît de dépôts de sels assez considérables pour donner lieu à un grand commerce ; on cite seulement deux points, Dini et Arouellé, où le sel soit exploité dans l’Ennedi, au sud du cours probable du Bahr el Ghazal [Bordeaux, l. c., p. 220]. Les plantes signalées dans la région (irak, doum, hâd, tamarix) sont celles des terrains à peine salés. Au surplus, dans l’Egueï, les puits qui sont situés sur les bords de la dépression sont natronés et l’eau qu’ils contiennent est imbuvable ; ceux qui sont au milieu, dans la partie qui a été la mieux lavée, dans le thalweg, contiennent seuls de l’eau douce ; Mangin attribuait, à juste raison, une grande importance à cette remarque ;[240] elle tendrait à prouver que le sous-sol du pays contenait primitivement du sel, et que seul le temps a manqué au Chari et au Bahr El Ghazal pour l’entraîner plus loin. Les mares à natron du Manga peuvent conduire à une conclusion analogue qui n’est pas en désaccord avec le peu que l’on sait de la géologie de ces régions : la mer les a couvertes pendant le Crétacé et le Nummulitique, mais c’était une mer peu profonde, une mer continentale sur les bords de laquelle un régime lagunaire pouvait facilement s’établir. Ainsi donc, nous pouvons suivre le Bahr El Ghazal jusqu’au Borkou, sans trouver de points où ait été déposé le sel qu’il entraînait ; au delà c’est l’inconnu, mais Mangin avait appris de ses informateurs indigènes qu’une piste, jalonnée de nombreux points d’eau, allait du Borkou vers l’est ; la description semble indiquer le lit d’un oued qui, passant entre le Tibesti et l’Ennedi, prolongerait jusqu’au centre du désert libyen le Bahr el Ghazal. Il semble peu probable que ce fleuve soit arrivé au Nil ; il y a 1500 kilomètres du Borkou, dont l’altitude est de 200 mètres (au plus), à la première cataracte (97 m.). La pente, voisine de 1/25000, suffit pour permettre l’écoulement d’un fleuve, mais elle est trop faible pour qu’il puisse lutter contre l’ensablement ; de plus la rive gauche du Nil est bordée de plateaux, et l’on ne voit pas où aurait été le confluent.

La Méditerranée est encore plus loin que le Nil, la pente par suite plus faible ; rien n’indique qu’entre l’Égypte et Ben Ghazi se soit jamais jeté un fleuve important.

Il semble plus vraisemblable que le Bahr El Ghazal, s’il a jamais réussi à franchir la barrière du Tibesti et de l’Ennedi, ait déposé le sel dans quelque chott du désert de Libye, désert dont l’étude est encore à peine ébauchée.

Les causes qui ont arrêté les eaux du Chari dans leur marche vers le Borkou, sont celles que nous avons déjà trouvées pour la plupart des oueds du Sahara : les indigènes avaient affirmé à Barth que les communications entre le lac et le Bahr El Ghazal avaient été interrompues par une dune ; il est vraisemblable aussi que les alluvions amenées au lac et qui ont créé toutes les îles du Tchad n’ont pas été étrangères à l’obstruction de l’émissaire. L’état de choses actuel serait en grande partie attribuable à des causes mécaniques.

Une autre cause a pu intervenir et rendre le fleuve moins apte à lutter contre ses alluvions. Barth avait déjà indiqué que par le Toubouri, les eaux du Logone, le principal affluent du Chari, s’écoulaient parfois par le Bénoué et gagnaient ainsi l’Atlantique. Le Toubouri a été revu depuis par le capitaine Lœffler en 1900, par la[241] mission Lenfant et plus récemment par la mission Moll[169]. Il s’agit bien d’une dépression reliant les deux bassins hydrographiques ; à la saison sèche, les parties les plus basses sont occupées par une série de lacs, larges parfois de 3 à 4 kilomètres et dont la longueur peut atteindre 15 à 20 km.

A la saison des pluies, tous ces lacs se confondent en un seul qui, par la plaine d’Eré, est en relation avec le Logone ; le courant est en général dirigé vers le sud-est, vers le Bénoué ; il est parfois cependant inversé et le trop-plein se déverse dans le bassin du Tchad. Le résultat final de la lutte entre les deux fleuves n’est pas douteux ; le Mayo Kabbi, qui est le déversoir régulier du Toubouri, descend brusquement du plateau Laka par les chutes Gauthiot, et ce supplément d’énergie lui permettra certainement de décapiter le Logone. Bien que, au point de vue des ravitaillements, on ait singulièrement exagéré l’importance de cette communication, il est nettement acquis qu’une partie des eaux, qui jadis allaient au Tchad, se dirigent maintenant vers l’Atlantique ; cette fraction ne pourra que s’accroître.

Cette saignée n’a pu qu’affaiblir le Bahr El Ghazal : les crues du Tchad perdent de leur puissance et n’ont plus assez de vigueur pour chasser les obstacles qui barrent le cours de l’effluent.

Nous prenons là, en quelque sorte sur le fait, l’impuissance des bassins fermés à se défendre longtemps contre les phénomènes de capture.

Le capitaine Meynier, dans une très intéressante étude sur le régime hydrographique du Soudan [Rev. Col., V, 1905, p. 257-264], avait fait ressortir la fréquence des coudes en forme de crosses qui font revenir sur leurs pas un grand nombre de fleuves du Soudan ; l’exemple du Niger est typique ; le Sénégal coupe, entre Billy et Médine, les montagnes du Bambouk par une série de chutes dont l’origine paraît récente ; dans le territoire de Zinder, le Taffassasset, après avoir coulé du nord au sud, s’infléchit vers l’ouest, puis se rabat vers le sud ; plusieurs de ses affluents, comme le Goulbi n’Kaba, présentent à un moindre degré le même caractère.

Presque tous les fleuves soudanais, d’abord entraînés par la pente générale du terrain vers le nord, dans la région déprimée où ont pu pénétrer les mers du Crétacé et de l’Éocène, rebroussent chemin au contact du désert. Comme dans le Sahara algérien, le sable engorge les chenaux ; les sédiments amenés par le fleuve dans des bassins de petite étendue relèvent le niveau de base, diminuent[242] la pente et enlèvent au fleuve une partie de sa vigueur ; il se forme ainsi une série d’obstacles de plus en plus difficilement franchissables, et depuis le Macina nigérien jusqu’au Bahr El Ghazal nilotique, en passant par le Tchad, les eaux stagnent et forment une série de marais.

Mais par surcroît, un élément nouveau intervient au Soudan. En Algérie, les fleuves tributaires de la Méditerranée, mal alimentés par des pluies insuffisantes, ont un débit médiocre ; ils sont d’assez maigres outils d’érosion. Même, s’il faut en croire Grund[170], quelques-uns auraient succombé dans la lutte et auraient été décapités par des affluents des Chott.

Au Soudan, au contraire, la saison des pluies amène de violents orages ; l’érosion y acquiert une grande intensité, d’autant plus efficace qu’entre l’Atlantique et les hautes plaines de la zone sahélienne il n’existe aucune barrière montagneuse comparable à l’Atlas algérien (fig. 8, p. 14). Dans ce pays sans grand relief, les puissantes rivières méridionales, alimentées par les tornades tropicales qui, tombant sur un sol le plus souvent imperméable, déterminent des crues violentes, étendent fort loin leur bassin ; par une puissante érosion régressive, elles attaquent les derniers tributaires du Sahara et par de multiples captures tendent à les faire tous rentrer dans le bassin de l’Atlantique.

[157]On écrit aussi « Dalhol ». — Monteil [De Saint-Louis à Tripoli, p. 197] donne un croquis géographique qui montre bien l’importance de ces vallées.

[158]C. R. Ac. Sc., 15 avril 1901.

[159]Chevalier, Un voyage scientifique à travers l’Afrique occidentale, Annales de l’Institut colonial de Marseille, 1902, p. 104.

[160]Germain, in Chevalier, L’Afrique Centrale française, p. 462.

[161]Villate, La Géographie, XV, avril 1907, p. 253-260.

[162]La Géographie, XV, avril 1907, p. 299-302.

[163]Tin Toumma s’applique à la fois à une région du nord du Tchad et au fragment d’oued qui la traverse.

[164]Dubois, Annales de Géographie, XII, 1903, p. 353.

[165]D’après Cel Destenave, Revue générale des Sciences, XIV, 1903, p. 652.

[166]Barth, Reisen, 1857, IV, p. 437.

[167]La Géographie, XV, 1907, p. 163.

[168]Id., XVIII, 4, 1908, p. 224.

[169]Bull. Comité de l’Afr. fr., 1904, p. 186 ; — 1907 (Rens. col.), p. 224 ; — 1907, p. 387, etc.

[170]Die Probleme der Geomorphologie am Rande von Trockengebieten, Sitz., KK. A. W. Wien, XV, 1906, p. 525-543.


[243]CHAPITRE VI

LES DUNES FOSSILES

Les extensions du désert. — Les ergs morts. — Leur âge.

Les extensions du désert. — A lire la plupart des auteurs qui se sont occupés du Soudan, il semblerait établi que, depuis un petit nombre de siècles, le désert s’étend rapidement et gagne de plus en plus vers le sud. Ce serait, si elle était démontrée, une affirmation grave et qui enlèverait tout intérêt aux efforts considérables qui sont actuellement faits pour tirer partie de nos possessions soudanaises.

Heureusement, les faits invoqués semblent pouvoir donner lieu à une interprétation différente et moins fâcheuse pour l’avenir.

Les habitants de Zinder savent qu’il y a quelques années, une source existait auprès de leur village ; elle s’est tarie vers 1891. Gouré, dont Barth (1850) a vanté l’importance (9000 habitants) et la richesse en eau, n’est plus guère qu’un pauvre village (600 habitants en 1905) qui se meurt de soif. On sait que le climat de France et de la Méditerranée n’a pas varié au moins depuis l’époque romaine ; cependant des périodes plus sèches ou plus humides ont été mises en évidence : l’étude des changements de niveau de la Caspienne, celle des glaciers et de leurs crues ont été singulièrement fécondes à ce point de vue.

Les observations de Barth et les souvenirs des indigènes montrent peut-être tout simplement que, au Soudan comme en Europe, les premières années du XXe siècle ont été moins pluvieuses que le milieu du XIXe siècle. Les traditions indigènes, recueillies par Freydenberg, sur les oscillations du Tchad sont conformes, elles aussi, à la loi de Brückner, d’accord par suite avec ce que l’on connaît en Europe.

La décadence évidente de certaines villes de l’Aïr (Agadez, Asoday), l’abandon complet de certaines autres (Es Souk dans l’Adr’ar’, Takaredei dans l’Aïr) ne peuvent guère être attribués, en toute certitude,[244] à une aggravation séculaire de la sécheresse ; ces villes n’ont jamais été que des relais de caravanes et des entrepôts de marchandises ; leur ruine a suivi l’abandon de routes commerciales que l’insécurité du pays, variable avec des causes purement humaines, rendait trop dangereuses.

La ruine des villages qui, au temps de la splendeur du royaume sonr’ai, étaient nombreux à l’est de Gao, est due à l’invasion des pasteurs touaregs : la région qu’occupent actuellement les Oulimminden est très analogue au Mossi ; l’eau s’y trouve à peu de profondeur (de 2 à 20 m.) ; les terres cultivables y existent en grande quantité : elles conviendraient surtout à la culture du petit mil dont on trouve partout quelques pieds, poussés au hasard d’une graine échappée d’un sac : il ne manque à cette région, pour être encore fertile, que d’être habitée par des sédentaires [cap. Pasquier[171]].

Inversement on a opposé à plusieurs reprises [Schirmer, Le Sahara, p. 92 ; de Lapparent, Traité de Géologie, 5e édition, p. 142] l’état de sécheresse du Tin Toumma (au nord du Tchad) au moment du voyage de Barth (juin 1855), à l’aspect verdoyant que lui attribue Rohlfs (juillet 1866) ; le Tin Toumma est en dehors de la zone des pluies régulières qui au Tchad ne commencent qu’en juin ; il suffit d’ailleurs d’un orage accidentel pour amener un pareil changement, en deux ou trois semaines tout au plus, dans la végétation du pays[172].

Les ergs morts. — A côté de ces faits qui peuvent s’expliquer facilement par des oscillations à courte période du climat, il existe des preuves certaines qu’à une époque antérieure, et peut-être pas trop lointaine, la zone qui, vers le 15° de Lat. N., s’étend de la région du Tchad jusqu’au littoral de l’Atlantique, a été un véritable désert.

La plus décisive de ces preuves est l’existence d’un certain nombre d’ergs, comparables par la surface qu’ils recouvrent à ceux du Sud algérien et qui, depuis leur formation, ont été remaniés par la pluie, fixés par la végétation, de sorte que l’on peut les considérer comme des ergs morts, des ergs fossiles.

Les dunes qui entourent le Tchad, à l’ouest et au nord tout au moins, appartiennent à cette catégorie, de même que celle du Kanem et du Chittati [Freydenberg]. Plus à l’est, dans l’Egueï et le Bodelé,[245] il y a quelques dunes mobiles, mais Nachtigal a jugé que ce fait méritait d’être signalé expressément.

Un massif de sable important, assez compact, commence à Chirmalek ; sa limite méridionale est indiquée en gros par une ligne droite, allant de Chirmalek au sud du Mounio (100 km.). Vers le nord, il s’appuie sur le Koutous et peut être suivi au moins jusqu’aux campements tebbous de Tassr et de Dalguian (150 km.). Les dunes de cet erg, basses et assez espacées vers l’est, deviennent plus importantes vers l’ouest, au voisinage du Mounio, comme à Dalguian. J’ai compté six bras d’erg entre Boulloum et Dalguian (10 km.) dont les sommets, malgré les pertes qu’ils ont subies, ont encore 10 à 15 mètres de haut. Quelques dunes sont un peu plus élevées, comme celle qui, visible d’une quinzaine de kilomètres, signale les puits de Tassr. Toutes les dunes de cet erg indiquent qu’à l’époque où elles se sont formées, les vents dominants soufflaient, comme aujourd’hui, d’entre est et nord-est.

Fig. 69. — Répartition des Ergs.

Séparé du Mounio par la plaine de Nogo, un autre erg s’appuie à l’ouest sur les massifs d’Alberkaram et de Zinder ; sa superficie est à[246] peine moindre que celle du précédent, et il semble se relier, en passant au sud du massif ancien d’Alberkaram, à l’erg qui s’étend de Zinder à l’Adr’ar’ de Tahoua.

Les dunes existent, nombreuses aussi, dans les terrains de parcours des Oulimminden entre Gao et l’Azaouak, où Pasquier ne mentionne, comme relief, que des buttes de sable et des plateaux latéritiques.

Elles couvrent la majeure partie du bassin de Tombouctou où elles s’étendent au nord jusque vers Taoudenni. Cortier et Nieger ont décrit avec soin ces bras d’ergs qui s’étendent de l’est à l’ouest avec une grande régularité sur plus de 100 kilomètres. L’orientation de ces dunes, perpendiculaires à la plupart de celles que l’on observe au Sahara, est très remarquable ; elle le devient davantage encore par le fait que, au sud d’Araouan, toutes les dunes fossiles ont leur versant abrupt sur le nord ; entre Araouan et Taoudenni au contraire, les dunes vivantes ont leur versant abrupt vers le sud. Il n’est pas légitime d’en conclure, avec Cortier [La Géographie, XIV, 1906, p. 341], à l’existence d’un centre de dépression vers Araouan, puisque les deux ergs ne sont pas contemporains ; mais il est intéressant de constater qu’aux vents du sud, qui dominaient autrefois dans la région, se sont substitués des vents venant du nord.

Des ergs fossiles existent aussi en Mauritanie et au Sénégal ; dans cette dernière région, à la faveur de pluies plus abondantes, les formes sont devenues presque méconnaissables. Il a fallu les travaux de précision et les recherches attentives du capitaine Friry pour enlever toute hésitation : les amas de sable dont il m’a montré les coupes dans les tranchées toutes fraîches du chemin de fer, auprès de Thiès, ne peuvent être interprétés que comme des dunes fossiles, maintenant très étalées.

On sait que les dunes, dont la réunion constitue un erg, ne peuvent se former que dans des conditions bien déterminées : il faut d’abord du sable suffisamment fin qui, dans le Sahara tout au moins, semble toujours provenir des alluvions de fleuves aujourd’hui desséchés ; il faut de plus une sécheresse assez grande pour que les alluvions, devenues impropres à toute végétation, ne soient retenues par aucune racine. Le vent intervient alors ; il entraîne au loin, en les soulevant parfois à une grande hauteur, les fines poussières argileuses qui sont l’origine des brumes si fréquentes au Sahara méridional et au Soudan ; il laisse en place les cailloux et les graviers qui donnent naissance aux regs, si caractéristiques du désert, enfin il traîne le long du sol, sans le soulever de plus de quelques mètres, le sable, l’accumulant le long des obstacles où s’édifient des dunes ; ces dunes[247] sont fixes dans leur position, si l’obstacle qui leur a donné naissance est fixe lui-même, ce qui semble être le cas le plus fréquent pour les dunes continentales un peu hautes, qui ne sont le plus souvent que des collines ou des plateaux ensablés[173]. Mais si la dune est fixe, les matériaux qui la constituent, au moins à la surface, sont remaniés et renouvelés à chaque coup de vent : la forme est toujours rajeunie et les arêtes, les sifs, conservent toujours une grande netteté [cf. t. I, Pl. III et X].

On connaît aussi le profil habituel d’une dune : du côté du vent, une pente assez douce, sous le vent, une paroi presque verticale de quelques mètres, au pied de laquelle commence un talus de sable éboulé, incliné d’environ 45°. En plan, la forme théorique, en croissant (Barkane) semble très rare au Sahara, comme partout : jusqu’à présent, je ne l’ai vue bien développée que dans la région du cap Blanc où des barkanes typiques assez nombreuses atteignent une hauteur de 10 mètres, et sur des dunes insignifiantes, hautes de quelques centimètres, dans la vallée de l’oued Botha. Lorsque cette forme manque, la dissymétrie de la dune reste cependant toujours reconnaissable ; il n’y a d’ailleurs pas lieu d’insister sur des notions aussi classiques [Sokolow, Die Dünen, Berlin, 1894].

On sait moins comment les dunes se modifient, lorsque disparaissent, ou s’atténuent, les conditions qui leur ont donné naissance.

Les vraies dunes, les dunes vivantes, ont une surface et pour ainsi dire un épiderme parfaitement glabre et prodigieusement délicat. Les moindres caprices du vent s’y inscrivent au moyen de rides légères, et le passage des plus petits insectes, en menus caractères cunéiformes, couvrant le sable de jolies arabesques ; la fuite d’une gazelle détermine des éboulements sérieux et à la place d’une empreinte fine et délicate, chaque pas laisse une trace énorme, un entonnoir d’une dizaine de centimètres ; le passage d’un homme ou d’un méhari détermine de véritables effondrements qui rendent la marche dans l’erg singulièrement pénible. Surtout la crête, presque tranchante, qui forme le sommet de la dune est en équilibre particulièrement instable : lorsque par hasard, une caravane est obligée de la franchir, il suffit de quelques hommes pour l’abattre : quelques coups de pieds la font écrouler et permettent d’établir, sans gros effort, une piste accessible aux chameaux.

Cette crête ne peut évidemment subsister qu’à condition de se régénérer constamment.

[248]Lorsque, dans une région de dunes, un climat humide, même légèrement, envahit le désert, la pluie a plusieurs effets : agissant par érosion, elle tend à étaler le sable et à substituer au profil typique de la dune vivante (fig. 70) un profil plus flou et des formes plus adoucies. Si ce mécanisme était seul en jeu, les dunes disparaîtraient rapidement sans laisser aucune trace ; mais à côté de son œuvre de destruction, la pluie provoque deux sortes de phénomènes qui ont, l’un et l’autre, pour effet de consolider le sable : à chaque averse, l’eau de pluie, plus au moins chargée d’acide carbonique, dissout dans le sol le carbonate de chaux et d’une manière générale tous les sels solubles ; dès que le soleil se montre à nouveau, la surface tend à se dessécher ; de l’eau, chargée de sel, vient, par capillarité, remplacer sans cesse l’eau évaporée et abandonne à son tour le calcaire qu’elle tenait en dissolution, donnant ainsi naissance à un grès plus ou moins bien cimenté. Ce mode de fixation est bien connu en Europe : dans la Méditerranée orientale notamment, on exploite souvent un grès tendre, assez facile à travailler, le « poros », qui provient de dunes consolidées.

Pobéguin[174] a montré récemment, sur le littoral du Maroc, des exemples fort nets de cette fixation des dunes. Une observation précise, faite dans la cour du caïd Si Aissa ben Omar, montre que ce phénomène peut se produire rapidement : des silos, creusés depuis moins de dix ans, sont partiellement tapissés d’une croûte calcaire et portent quelques stalactites. Bien que, dans cet exemple, il ne soit pas question de dunes, les conclusions que l’on en peut tirer sont évidemment applicables à la vitesse de lapidification du sable.

Au Sahara, le calcaire est rare, mais dans certains cas tout au moins le fer peut le remplacer : beaucoup de grès ferrugineux superficiels (latérite), analogues à ceux que l’on connaît dans quelques dunes des côtes d’Europe, n’ont pas d’autre origine (cf. chap. VIII, II). Sur les bords du Niger, les preuves de ce fait abondent ; parfois même, comme entre Gao et le Tondibi, les concrétions ferrugineuses sont intercalées en plein sable.

Ces concrétions sont quelquefois le seul témoin qui reste d’une dune disparue : on peut les trouver sur n’importe quelle roche, argile ou granite même, qui n’ont pu leur donner naissance ; souvent la position où on les trouve exclut toute possibilité de transport par l’eau : Gautier a noté, dans le sud de l’Adr’ar’, un lambeau de ces grès latéritiques, niché au pied et à l’abri d’une protubérance[249] rocheuse sur les flancs de laquelle ils remontaient, dans une position qui eût admirablement convenu à une petite dune dont ils étaient sans doute le résidu, position qui rend inadmissible leur genèse par l’eau courante.

Même lorsque les éléments minéraux, nécessaires à la formation du ciment d’un grès, font défaut, la pluie fixe la dune en favorisant le développement de la végétation ; les beaux travaux qui, depuis Brémontier, ont permis d’arrêter les ravages des dunes sur les côtes d’Europe, permettent de ne pas insister sur l’efficacité de ce mode de fixage.

Dans toute la zone où les pluies tropicales se font régulièrement sentir, le sol, pendant la saison d’hivernage tout au moins, est complètement couvert d’herbe ; les arbres y persistent seuls en saison sèche et le sol, tassé par la pluie, fixé par l’entrelac des racines, est tout aussi résistant qu’un autre à la marche : il ne reprend sa mobilité que sur quelques pistes trop fréquentées, surtout sur celles que les Européens ont voulu perfectionner, en les rendant aussi nues qu’une grande route de France.

Malgré tous ces changements que la pluie a amenés avec elle dans les vieux ergs du Soudan, les dunes sont encore bien reconnaissables à la nature de leur substance qui est du sable pur, à la dissymétrie de leur relief, à l’incohérence des mamelons et des creux qui nulle part ne s’ordonnent en un système hydrographique défini ; les pistes y ont une allure toute particulière « en montagnes russes » et l’ensemble reproduit très exactement les formes topographiques des forêts de pins des Landes, bien que les arbres de la forêt de Tombouctou, ni d’aucune forêt du Soudan, ne soient comparables, ni comme grandeur ni comme densité, à ceux des pignadars.

Parfois la topographie devient très compliquée, surtout lorsque, aux dunes mortes anciennes, viennent se superposer des dunes plus récentes. Les exemples de ce fait ne sont pas très rares au Soudan et j’en ai noté de fort nets auprès de Bemba, mais les plus intéressants, ou tout au moins ceux que j’ai pu étudier de plus près, sont en Mauritanie.

Sur le littoral de l’Atlantique, de Saint-Louis jusqu’au delà de Nouakchott, la mer recule d’une façon constante depuis fort longtemps et les lignes de rivages successives sont marquées par des chaînes côtières parallèles entre elles et à la côte, et séparées par des plaines, les aftoutt, larges de quelques kilomètres. La dune littorale actuelle, le « sbar », est formée par les vents d’ouest, par la brise de mer, et il en a été de même des chaînes de l’intérieur, qui, lors de leur[250] naissance, étaient littorales. Mais dès que l’on s’éloigne un peu du rivage, les vents d’ouest perdent rapidement de leur intensité et le premier rôle passe au vent d’est ou du nord-est.

J’ai observé, auprès de Boguent, la disposition qui est schématisée figure 70, 2 et 3. En β, une dune ancienne, couverte d’euphorbes, appartient aux ergs fossiles ; elle dessine encore fort nettement un croissant à concavité tournée vers l’est. La dune α, de formation récente, lui est adossée ; son arête est très vive et aucune végétation n’y pousse. C’est dans l’angle sud de l’x, formé par les deux croissants, que se trouvent les puits de Boguent.

A Nouakchott (fig. 70, 4) les faits sont tout aussi nets, bien que les deux dunes soient moins distinctes : la dune nouvelle n’est encore qu’un appendice de l’ancienne : la photographie (Pl. XXIII, phot. 43) montre que le flanc oriental, celui qui est abrupt, est très attaqué par le vent d’est qui prend la dune à rebrousse-poils : les euphorbes sont déchaussées. Les exemples d’érosion éolienne sont rarement aussi manifestes ; peut-être le voisinage du poste et les nécessités de la cuisine ne sont-ils pas étrangers à cette ampleur inusitée de l’effet du vent, qu’arrête mal une végétation devenue trop clairsemée.

Fig. 70. — Ergs morts.

1, Transformation de la section d’une dune. — 2, 3, Dunes à Boguent (Mauritanie) ; 2, A l’ouest, dune actuelle, vivante ; à l’est, dune morte (environ 500 mètres d’une pointe à l’autre du croissant) ; 3, Section des deux dunes suivant αβ. La crête de la dune est à 15 mètres au-dessus de la plaine. 4. La dune de Nouakchott (Mauritanie). — Les hachures indiquent les dunes fossiles.

Les ergs morts du Soudan ont une importance moins considérable que les ergs vivants du Sahara. La surface qu’ils occupent paraît un peu plus restreinte et surtout les dunes sont moins hautes ; la plupart d’entre elles ont à peine 3 ou 5 mètres ; beaucoup sont encore plus basses et n’excèdent pas quelques décimètres. L’une des plus élevées, celle de Nouakchott, n’a pas 15 mètres ; l’on aurait vite épuisé la liste des dunes du Soudan qui atteignent[251] une semblable altitude. La dune de Tassr qui, de très loin, sert de signal, n’a pas 20 mètres ; elle se détache nettement sur tout l’erg environnant. Il est bien clair qu’il faut faire la part de l’érosion dans ce faible relief ; toutes les dunes du Soudan ont été évidemment plus hautes, peut-être du double, mais elles n’ont certes jamais atteint à la hauteur de celles du Sahara. Il semble qu’il y ait, de ce fait, une explication assez simple : les dunes continentales proviennent d’un remaniement, opéré presque sur place, des alluvions fluviales. Les grands ergs du Sahara correspondent aux bassins de fleuves puissants, l’Igharghar et la Saoura, qui n’ont pas d’équivalents dans le nord du Soudan, où, à part les dallols, les vallées quaternaires sont à peine indiquées. On sait quel rôle jouent au Sahara les regs, c’est-à-dire les sols alluvionnaires dépouillés par le vent de leurs matériaux les plus légers, le limon et le sable : dans le tanezrouft d’In Zize [cf. t. I, p. 4], le reg est particulièrement typique et l’évolution semble complète. A l’est de l’Ahaggar, le désert paraît plus jeune et le reg est moins dépouillé d’argile : au sud du tassili de l’oued Tagrira, on marche pendant quelques heures dans une vaste plaine d’alluvion dont la surface est couverte de graviers ; parfois même des traînées de galets, légèrement en relief, indiquent les places où les courants étaient rapides ; c’est en petit ce que l’on peut voir au nord de l’Ahnet où des levées de galets, en saillie parfois de près de 1 mètre, indiquent la place des cours d’eau qui traversaient le marais dont la sebkha Mekhergan est le dernier avatar. Mais dans l’oued Tagrira, comme dans l’oued El R’essour, sous la couche de graviers épaisse à peine de 1 à 2 centimètres, on trouve de suite le sable argileux qui, dans l’ouest, n’apparaît qu’à une dizaine de centimètres de profondeur. Nulle part, comme dans le Sahara d’In Zize, les alluvions n’ont été raclées à fond, laissant voir à nu le sous-sol géologique. Il est difficile de ne pas rapprocher de cette évolution incomplète du reg, l’absence ou du moins l’insignifiance des dunes dans le bassin de Taffassasset : entre l’Ahaggar et l’Aïr, il n’y a aucun erg important.

Dans la zone des ergs morts, les regs font à peu près complètement défaut : à l’ouest de Moa (100 kilomètres au nord-est de Zinder), on suit pendant quelques kilomètres une traînée de graviers, large d’une cinquantaine de mètres ; au nord de la mare de Tarka (à l’ouest du Damergou), quelques galets de latérite jalonnent peut-être un ancien cours d’eau. Au sud de l’Adr’ar’, dans la vallée du Télemsi, auprès de l’oued Idachi, quelques graviers de quartz et de quartzites indiquent un reg que recouvrent souvent les alluvions actuelles.

[252]Ainsi donc le contraste est profond entre le Sahara et sa bordure soudanaise : le réseau hydrographique du nord bien tracé, mais fossile, n’a pas son équivalent dans le sud : les alluvions ont fait défaut dans presque toute la région des ergs morts ; malgré la sécheresse, le vent ne trouvait nulle part les matériaux qui lui sont nécessaires pour construire une dune : le sable libre était trop rare pour que les ergs puissent acquérir l’ampleur qu’on leur connaît dans le Sahara algérien.

On a souvent constaté que les dunes étaient de bons enregistreurs météorologiques ; elles indiquent nettement la direction du vent dominant dans le pays où elle se sont formées ; mais cet enregistrement n’est valable que pour l’époque où elles ont pris naissance : les dunes de Mauritanie le montrent fort nettement.

L’étude des ergs fossiles ne peut nous donner aucun renseignement sur le régime actuel des vents au Soudan, mais bien sur le régime qui régnait lorsque ce pays était un désert ; elle nous apprend qu’autrefois, comme de nos jours, les vents dominants venaient de l’est et du nord-est ; elle nous montre que le Tchad était un centre de haute pression et que, dans l’Azaouad, les vents venaient du sud. Les renseignements précis sont encore trop clairsemés pour que l’on puisse pousser bien loin l’examen de cette météorologie fossile.

Âge des ergs morts. — L’âge de ces ergs morts est impossible à fixer avec précision et sans doute n’est-il pas unique.

Dans la région de Tombouctou, les dunes fossiles recouvrent les couches quaternaires à marginelles ; comme il était probable, elles ne sont pas très anciennes ; j’ai indiqué que, sur le littoral de Mauritanie, ces dunes fossiles tracent les étapes successives du recul de la mer ; elles ne sont pas contemporaines les unes des autres ; les plus anciennes sont voisines du Tegant, les plus jeunes de l’Atlantique.

Les tombeaux berbères ne sont rares ni dans la région de Gao ni dans celle de Tahoua ; ils ne sont jamais ensablés et plusieurs d’entre eux sont bâtis au sommet de dunes fixées.

Les dunes fossiles sont plus jeunes que le Quaternaire marin de Tombouctou ; elles sont plus anciennes que les tombeaux berbères. Ces limites sont évidemment assez vagues, mais il importerait surtout d’être fixé de manière précise sur les relations chronologiques qui existent entre les oueds du Sahara et les ergs du Soudan : a priori en effet deux hypothèses se présentent : la période de vie des fleuves du tanezrouft est antérieure à l’établissement du désert au Soudan[253] ou contemporaine de ce désert. Il serait probablement absurde de penser qu’elle a pu être postérieure.

Dans le premier cas, il faudrait admettre qu’après une période quaternaire humide, tout le nord de l’Afrique s’est desséché[175] et que le désert beaucoup plus étendu jadis que maintenant a perdu vers le sud tout le domaine des ergs morts : le Soudan aurait largement gagné sur le Sahara.

Dans la seconde hypothèse, nous aurions eu une simple migration du désert : au sud de la région qu’irriguaient l’Igharghar et la Saoura, région largement habitée dans les vallées par les néolithiques, s’étendait une zone sèche, le Sahara de l’époque.

Un fait important semble indiquer que cette seconde hypothèse est la vraie : un des caractères principaux des pays que couvrent les ergs morts est le caractère provisoire et inachevé de leur réseau hydrographique. Dans le Tegama, les vallées ne sont que des chapelets de mares ; entre Gouré et le Tchad on ne connaît que des dépressions fermées ; dans le bassin de Tombouctou, le Niger n’a pas de berges, et son lit est à peine marqué.

Seuls les dallols de la région de Tahoua sont des vallées bien dessinées et qui, par leur ampleur, témoignent de l’importance des fleuves qui les ont creusées. J’ai indiqué dans un chapitre antérieur (ch. V, I) que ces fleuves disparus de l’hydrographie actuelle ne pouvaient venir que du Nord : les dallols sont les vallées anciennes du Taffassasset et de quelques-uns de ses affluents, c’est-à-dire de fleuves descendus de l’Aïr, de l’Adr’ar’ des Ifor’as, et surtout de l’Ahaggar et de ses contreforts, tout comme l’Igharghar, le Tamanr’asset et l’oued Botha. Cette communauté d’origine permet de croire que tous ces fleuves ont vécu à la même époque : les dallols seraient contemporains des vallées sahariennes.

Les principales vallées que l’on connaisse vers le 15° de Lat. N. ont été creusées par des fleuves venus du nord, et à l’époque où le Sahara était vivant ; partout ailleurs l’érosion n’a pu qu’amorcer son œuvre : le temps lui a manqué pour raccorder les différents tronçons des vallées.

Il n’y aurait donc pas eu changement notable dans les dimensions du désert, mais une simple migration : à un certain moment, encore indéterminé, du Quaternaire, le Sahara aurait été plus méridional que maintenant.

Quelle que soit d’ailleurs l’hypothèse admise, plus grande extension[254] du Sahara ou migration du désert, le changement de climat est indéniable et il resterait à en chercher les causes.

Des modifications importantes du régime météorologique sont connues dès longtemps en Europe et dans l’Amérique du Nord ; les diverses périodes glaciaires en sont une des plus manifestes et l’on a souvent cherché à les expliquer par des causes astronomiques : la précession des équinoxes, les variations de l’excentricité de l’orbite terrestre ont été à maintes reprises invoquées. Il n’est pas niable que ces causes puissent avoir un effet sur le climat de la terre, mais des causes plus voisines, des modifications dans la distribution des mers et des continents interviennent d’une manière plus efficace dans la constitution des climats : en janvier, la température moyenne des îles Feroë dépasse de plus de 40° celle d’Iakoutsk, situé à la même latitude.

Il ne faut pas remonter bien loin dans l’histoire de la terre, pour rencontrer une cartographie bien différente de celle que nous connaissons actuellement : les effondrements qui ont donné naissance à la mer Rouge, à la Méditerranée, à l’Atlantique nord sont d’hier et l’homme a peut-être assisté à quelques-uns de ces phénomènes, comme semblent l’indiquer certaines légendes, dont l’Atlantide est la plus connue.

Au sud du Sahara, nous avons des preuves que dans la région de Tombouctou, la mer existait encore à une époque récente pendant le Quaternaire ; un lac qui lui a succédé, a dû subsister assez longtemps dans la région de Taoudenni ; la présence d’une grande nappe d’eau, dans ce qui est aujourd’hui un des tanezrouft les plus terribles du désert, modifiait certainement le régime des vents. Les lacs que les géologues d’Égypte signalent dans le Quaternaire ancien du désert de Libye, avaient un effet analogue.

Nous avons donc, à portée de la main, toute une série de changements géographiques qui nous donneront la clef des modifications survenues dans le climat de l’Afrique du Nord ; il serait prématuré de chercher à préciser ; la chronologie du Pleistocène et du Quaternaire est à peine établie en Europe ; elle n’existe pas pour l’Afrique. On ne pourrait que bâtir des hypothèses, jeu dangereux et sans portée, lorsqu’elles ne reposent pas sur des faits indiscutables.

Quelle que soit d’ailleurs l’hypothèse qui prévaudra pour justifier ces changements de climat, il semble établi qu’il n’y a pas aggravation continue des conditions météorologiques du Soudan ; il y a eu, au contraire, depuis le Pleistocène, une amélioration considérable puisque, au désert, s’est substituée une zone demi-fertile, la brousse à mimosées où l’élevage est partout possible.

[255]Les phénomènes de dessèchement que l’on observe localement à la limite nord des pluies tropicales, dans la zone sahélienne, tiennent sans doute à des oscillations à courte période, comme on en connaît partout ; elles ne prouvent pas une péjoration générale du climat. Les études précises sont encore trop jeunes au Soudan, pour confirmer pleinement les traditions indigènes, mais l’accord de ces traditions avec la loi de Brückner, loi basée sur l’observation, leur donne du poids et ne permet pas de les rejeter sans une discussion sérieuse, appuyée sur de nombreuses années d’observations.

[171]Rens. Col. Bull. Comité Afr. fr., mai 1907, p. 122.

[172]Lahache (Bull. Soc. Géogr. et d’études coloniales de Marseille, XXXI, 1907, p. 147-185) a donné un bon résumé critique des travaux parus sur le desséchement de l’Afrique française.

[173]C’est ce que Parran a proposé d’appeler des dunes de coteau. Bull. Soc. Géol. Fr. [3], XVIII, 1890, p. 245.

[174]Rens. Col. Bull. Com. Afr. Fr., XVIII., oct. 1907.

[175]L’hypothèse, souvent émise, d’un dessèchement général de la terre, paraît bien discutable.


[256]CHAPITRE VII

QUELQUES QUESTIONS TECHNIQUES

I. Roches. — Roches anciennes. — Roches éruptives récentes (In Zize ; — Ahaggar. — Air ; — Mounio ; — Zinder ; — Melfi ; — Fita). — Provinces pétrographiques à roches alcalines.

II. Latérites. — Latérites. — Grès ferrugineux. — Produits de décalcification.

III. Salines. — Taoudenni. — Bilma. — Les Teguiddas. — Terre d’Ara. — Manga. — Folé.

IV. Les agents désertiques. — Érosion éolienne. — Insolation.

I. — ROCHES[176]

Roches anciennes. — Les roches éruptives, abondent dans tous les terrains cristallins ; elles appartiennent principalement aux deux séries des roches granitiques et des gabbros.

Un granite porphyroïde dont les grands cristaux sont souvent des microclines a été signalé un peu partout, au Sahara, comme au Dahomey ; des pegmatites à pâte rose ou rouge sont abondantes, dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, comme dans l’Ahaggar ou l’Aïr.

Des roches de couleur plus foncée, diabases et gabbros, sont également très répandues. De même que les granites, elles sont accompagnées de types porphyriques.

Toutes celles de ces roches qui jusqu’à présent ont été étudiées, sont très semblables à celles que l’on rencontre en Europe dans les[257] formations de même âge (Archéen et Silurien surtout au Sahara), et sont de type banal.

Il y a lieu de noter toutefois que, jusqu’à présent, les filons ou les gîtes métallifères qui, ailleurs, accompagnent fréquemment les roches éruptives paraissent manquer dans une bonne partie de nos possessions africaines. Les minerais de cuivre et de plomb sont faciles à reconnaître et l’on s’explique mal que, si ces métaux existaient au Sahara, les indigènes n’aient su ni les découvrir ni les utiliser. La chose serait d’autant plus invraisemblable que dans la chaîne d’Ougarta [cf. t. I, p. 182] aussi bien que plus au sud, au Congo et dans l’Ouadaï par exemple, le cuivre a été ou est encore exploité par les indigènes. Presque partout d’ailleurs, le fer, dont les minerais attirent moins l’attention et dont la métallurgie est plus difficile, est connu des nègres, et dans tout le Sahara, il existe au milieu des nomades quelques familles de forgerons ; tout le cuivre qu’ils emploient, dans l’Aïr, comme dans l’Ahaggar, provient d’Europe.

Il est donc vraisemblable que cette rareté des filons est réelle et qu’elle ne tient pas aux lacunes de nos connaissances sur le pays.

Parmi les roches anciennes, deux encore méritent une courte mention. On a souvent insisté sur la grande rareté des calcaires en Afrique : le plus souvent, pour préparer de la chaux, on a recours à des coquilles de mollusques, les Ætheria qui, dans tous les cours d’eau de l’Afrique intertropicale, forment des bancs importants. Dans certaines parties du Sahara tout au moins, les calcaires cipolins sont fréquents dans le Silurien ; il y en a de belles lentilles au pied de l’Adr’ar’ Ahnet, dans l’Ahaggar, près de Tamanr’asset et surtout dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, notamment au Nord d’In Ouzel et dans l’Adrar Tidjem ; j’en ai vu quelques galets dans l’Aïr. Foureau a noté plusieurs fois des cipolins [Doc. Scientifiques, p. 740 et sv.] et l’itinéraire de Barth porte, en quelques points, la mention de marbre.

La serpentine est, elle aussi, assez répandue et donne lieu à de petites exploitations : les beaux morceaux servent à faire les bracelets de bras (abedj) que portent les Touaregs et un grand nombre de noirs. La carrière que Voinot a vue, est au nord-ouest du reg d’Amadr’or, dans les gours de Tin’Aloulagh ; elle consiste en de petites excavations de 1 mètre carré tout au plus et profondes d’une trentaine de centimètres. La roche est extraite avec une simple pioche ou tout simplement avec le fer de la lance. D’autres exploitations existent dans l’oued Aceksen (affluent de la rive gauche de l’Igharghar), dans l’oued Tin Belenbila, entre le Mouidir et l’Ahaggar, et dans l’Adr’ar’ des Ifor’as. Le capitaine Posth en a trouvé dans l’Aïr à Gofat, près[258] d’Agadez et les carrières de Hombori sont célèbres dans la boucle du Niger.

L’âge des roches éruptives anciennes est difficile à fixer d’une manière précise. Dans tout le Sahara central, elles semblent antérieures au Dévonien ; les grès que constituent les tassilis du nord, comme ceux du sud, ne sont coupés par aucun filon ; il n’y existe même pas de filonnets de quartz. Les régions où le Silurien paraît le plus jeune, l’Adr’ar’ Ahnet, le Bled El Mass, sont au contraire lardées de filons éruptifs. N’oublions pas toutefois que, sur les couches à graptolithes, les seules qui soient nettement datées, tout renseignement stratigraphique fait défaut.

Vers l’ouest, dans la région de Taoudenni, le Carbonifère est horizontal ; Mussel n’y signale pas de roches éruptives. Dereims n’en a pas vu non plus dans le plateau dévonien de l’Adr’ar’ Tmarr.

Vers le nord, dans le Touat, à Tazoult, une roche ophitique traverse le Carbonifère ; le Dévonien de la chaîne d’Ougarta est riche en filons de quartz et a été parfois minéralisé. Mais nous sommes ici dans la zone hercynienne et l’âge plus jeune des roches éruptives est d’accord avec l’âge plus jeune des plissements.

Au sud du Sahara la question devient bien douteuse : E.-F. Gautier a vu, dans les grès qui surmontent le Silurien à Tosaye, de nombreux filons de quartz ; j’en ai noté aussi dans les schistes interstratifiés de grès qui forment les rapides de Labezzanga. Ces grès et ces schistes, plongeant parfois de 45°, reposent en discordance sur le Silurien. Mais l’âge des roches de Tosaye, comme de celles de Labezzanga, n’est prouvé par rien et ce n’est que très provisoirement qu’on peut les rattacher au Dévonien. Plus au sud encore, ni dans les grès de Gourma, ni dans ceux de Hombori, d’âge indéterminé, peut-être dévonien, on n’a signalé de roches éruptives.

Roches éruptives récentes. — Les roches éruptives récentes présentent un intérêt plus considérable ; leur existence au Sahara est connue depuis longtemps ; Barth avait signalé des volcans et des laves dans l’Aïr, surtout dans sa partie méridionale ; von Bary et Foureau ont confirmé ces indications.

Duveyrier avait ramassé quelques échantillons de basaltes, et les renseignements qu’il avait recueillis lui faisaient croire à l’existence de volcans dans l’Ahaggar. La mission Flatters, celles de Foureau, le raid de Guilho-Lohan ont apporté de nombreuses confirmations à l’hypothèse de Duveyrier.

Il est possible de présenter, dès maintenant, un tableau des principaux[259] centres éruptifs du Sahara et de donner quelques détails sur quelques laves intéressantes.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXXV.

Cliché Laperrine

67. — IN ZIZE.

Le ravin qui conduit au point d’eau.

Cliché Laperrine

68. — IN ZIZE.

L’aguelman, creusé dans une coulée de rhyolite.

In Zize. — Un premier volcan, assez isolé, se trouve entre l’Ahnet et Timissao, au milieu du tanezrouft. Ce massif d’In Zize (In Zizaou-In Hihaou) est assez considérable ; il n’en reste qu’un cratère ébréché en fer à cheval dont Tihimati est la branche orientale, In Zize la branche occidentale ; au fond du fer à cheval on aperçoit un erg.

Malgré tout ce qui a été enlevé par érosion, ce qui reste du volcan a encore 35 kilomètres de diamètre ; peut-être davantage s’il y faut joindre l’Adr’ar’ Nahlet.

Ce pâté montagneux a été autrefois un centre habité, comme en témoignent de nombreux tombeaux ; parfois encore les oueds qui en descendent se couvrent de verdure et les tentes de l’Ahnet ont pu y passer l’hiver 1905-1906. Mais en général il est impossible d’y séjourner avec un troupeau, et ce n’est pas ce pâturage accidentel qui a rendu In Zize célèbre au Sahara.

L’altitude d’In Zize est assez considérable (800 m.) et il domine la pénéplaine voisine d’environ 300 mètres. Ce relief suffit pour y attirer quelques orages qui alimentent un point d’eau très constant, en même temps qu’il permet de reconnaître de loin la route : il est impossible, même à un mauvais guide, de manquer l’aguelman d’In Zize, qui se trouve sur la route la plus suivie de l’Ahnet, c’est-à-dire du Touat et du Tidikelt, à l’Adr’ar’ des Ifor’as.

Le caractère volcanique d’In Zize n’est pas douteux ; au nord du fer à cheval, la piste coupe une série de dykes verticaux convergents ; nous avons dû, malheureusement, passer très vite en ce point ; nos provisions d’eau, un peu courtes, ne nous permettaient aucun arrêt.

Quand on s’approche d’In Zize et qu’on double la pointe nord de ce massif, on a, de loin, l’impression d’une série de roches stratifiées plongeant vers l’ouest ; cette apparence est due aux coulées de rhyolithe, de couleur brun chocolat, dont la superposition forme la masse principale du volcan. Ces laves sont encore souvent recouvertes d’une gaine de scories qui prouvent qu’elles ont coulé ; elles affectent souvent la forme de colonnes prismatiques. Au microscope la roche est une rhyolite typique à grands cristaux de quartz et d’orthose ; la pâte contient du quartz globulaire avec amandes à larges sphérolites de feldspaths, passant parfois à la micropegmatite. M. Lacroix, avec sa complaisance habituelle, a bien voulu examiner les préparations de la roche d’In Zize, comme d’ailleurs toutes celles que j’ai fait faire de mes roches sahariennes ; on ne peut songer à une erreur de diagnostic.

[260]Le caractère de la roche confirme donc pleinement l’impression que donne l’aspect d’In Zize, dont Villate avait déjà affirmé le caractère volcanique. Je n’insisterais pas sur ce point s’il n’avait été contesté par Flamand ; bien que le savant pétrographe d’Alger n’ait pas vu In Zize, un désaccord aussi formel est de nature à alarmer. Flamand a été très frappé de l’absence de cendres et de cinérites, dans les nombreux échantillons rapportés d’In Zize. Une pareille lacune serait grave partout ailleurs qu’au Sahara ; elle est ici facilement explicable. On n’a jamais vu de près que l’aguelman et ses abords immédiats : cet aguelman est dans le lit d’un torrent à pente rapide : il n’y a sur le sol que de gros galets de roches dures ; on ne peut espérer trouver de blocs de cinérites dans un semblable milieu où ils seraient de suite pulvérisés (Pl. XXXVII, phot. 71, 72). Sur les flancs du ravin, on voit souvent deux coulées superposées, parfois séparées par des fentes de quelques mètres de long, et béantes de quelques centimètres dans leur partie la plus large : souvent, à l’Etna ou au Vésuve par exemple, il existe, entre deux coulées, des amas de cendres dont la forme rappelle singulièrement celle des fentes d’In Zize. La place de ces cavités et leur forme montrent qu’elles n’ont pas pu être creusées par l’eau ; elles ne paraissent guère explicables que comme dernière trace de couches de cendres dispersées depuis longtemps par le vent du désert ; ceci est d’accord avec les caractères généraux du tanezrouft, que le décapage éolien a privé depuis longtemps de ses éléments les plus mobiles. Les cendres, qui se trouvaient entre les coulées, ont eu le même sort que les argiles dans les alluvions ; le volcan d’In Zize a subi la même évolution qui, tout à côté, donnait naissance aux regs.

L’âge du volcan d’In Zize est difficile à fixer ; les seuls indices que l’on puisse invoquer sont tirés de l’état de l’érosion. In Zize repose sur un socle archéen que l’on voit nettement au nord de Tihimati et, au sud-ouest du volcan, à Foum Ilallen. En ce dernier point, à 500 mètres du volcan, quelques mamelons granitiques, hauts d’une quinzaine de mètres, portent à leurs sommets des coulées de rhyolite ; le ravin qui conduit à l’aguelman a creusé son lit dans les laves ; on voit par place, sur 40 ou 50 mètres de haut, les coulées superposées tranchées par l’érosion.

On ne peut évidemment pas conclure, en l’absence de données paléontologiques, mais il semble probable que le volcan d’In Zize date de la fin du Pliocène ou du début du Quaternaire : il est trop bien conservé dans son ensemble pour être très vieux et, dans le détail, il est trop érodé pour ne pas avoir subi l’action du ruissellement[261] à l’époque où il pleuvait au Sahara et où les grands oueds, morts aujourd’hui, creusaient leurs lits.

On a la preuve que, plus au nord, la faille du Touat a rejoué récemment ; toutes les rivières de l’Ahnet présentent des phénomènes de capture et des traces de remaniements profonds que confirme l’état jeune du relief. Il est difficile de ne pas établir un rapprochement entre ces accidents tectoniques et le volcan d’In Zize, qui se rattachent en somme à la même cause.

Ahaggar. — Dans l’Ahaggar les volcans sont nombreux et la période d’activité a duré longtemps.

Entre Silet et Abalessa, la route coupe le cratère encore assez bien conservé de l’Adrar Ouan R’elachem ; on met une heure et demie à le traverser ; les débris du cône forment une série de monticules, disposés en cercle, et dont les plus hauts atteignent 200 mètres ; au centre de ce cercle, la place de la cheminée est encore indiquée par du basalte en boules grosses comme la tête. L’activité de ce volcan n’a cessé qu’à une époque récente ; une coulée en descend le long de l’oued Ir’ir’i et s’arrête à environ 300 mètres au nord des ruines de la kasbah de Silet ; elle a été à peine entamée par l’érosion. La lave est un basalte à péridot.

Dans l’Edjéré, Roche[177] avait signalé des coulées de basalte aussi jeunes. Les recherches récentes de Voinot ont confirmé ces indications ; et Flamand a reconnu, parmi les échantillons rapportés, un basalte à péridot et une limburgite.

A Tit’, la vallée de l’oued est limitée au nord par un étroit plateau (400 à 500 m. de large) couvert d’une coulée de basalte que l’on peut suivre pendant une quinzaine de kilomètres, dominant la rivière de 20 mètres. Sa pente m’a paru être vers l’est. Sur les flancs du plateau on voit, par places, les débris d’une autre coulée certainement plus jeune.

L’oued Tit’ traverse ce plateau à 7 ou 8 kilomètres en amont du village ; plusieurs de ses affluents le coupent également.

Au voisinage du confluent des oueds Outoul et Adjennar, les coulées sont nombreuses, mais insignifiantes ; elles sont à peine à quelques mètres au-dessus des vallées ; elles paraissent converger vers un petit mamelon qui pourrait bien être un cratère.

Autour de Tamanr’asset, les phénomènes volcaniques ont laissé des traces nombreuses et importantes. L’Adr’ar’ Haggar’en (la Montagne Rouge), dont le point culminant, le Tin Hamor, a une altitude[262] voisine de 1800 mètres, est bien vraisemblablement le reste d’un volcan fortement démantelé dont il ne subsiste plus que les parties profondes, consolidées par de nombreux dykes verticaux (fig. 71). Une roche porphyrique rose forme la masse principale de la montagne. Tout autour, de puissantes coulées de laves couronnent les hauteurs, mais il n’en reste que des lambeaux formant le plus souvent des gours isolés (Har’en (le pilon), Tindi (le mortier), Télaouas) ; le lambeau le plus étendu forme le plateau d’Hadrian, qu’entaille la brèche d’Elias, œuvre de quelque Roland berbère (fig. 19, p. 43). Ce volcan est ancien : les coulées d’Hadrian superposées sur une grande épaisseur, atteignent souvent 30 mètres de puissance et dépassent parfois 70 mètres, au nord de la brèche d’Elias par exemple ; leurs parties les plus basses sont à environ 120 mètres au-dessus des vallées. Ces coulées reposent souvent sur des cinérites qui permettront sans doute de fixer leur âge. — A 20 kilomètres au sud de l’Hadrian, l’Adjellella (fig. 72) est un plateau de même type qui montre la grande étendue de la nappe de laves : en tous cas, la roche est la même, une rhyolithe ægyrinique de couleur grisâtre.

Fig. 71. — Le Tin Hamor et le Telaouas (Ahaggar). — De Tamanr’asset (cf. fig. 19).

A dix kilomètres au nord-ouest de Tamanr’asset, une coulée basaltique moins puissante, 5 à 6 mètres seulement, forme le plateau de Tideri, élevé de 150 mètres au-dessus de la vallée.

Fig. 72. — Coulée de rhyolithe ægyrinique, formant le plateau de l’Adjellela. Ahaggar.

Probablement la même coulée qu’au plateau d’Hadrian (fig. 19) et au Telaouas, à 25 kilomètres au nord.

[263]A quelques kilomètres au sud de Tamanr’asset, sur le piste qui conduit à l’Adjellela, quelques petits oueds, affluents de l’Ezerzi, ont une vallée assez encaissée ; on voit cependant par places des débris d’alluvions quaternaires qui, à partir du lit du ruisseau, donnent la coupe suivante (de bas en haut) :

1o Graviers et cailloux, 1 m. 60.

2o Tufs volcaniques, 1 mètre.

3o Éboulis des pentes.

La période d’activité volcanique a persisté longtemps autour de l’Haggar’en ; elle n’a cessé qu’assez récemment et il n’est peut-être pas déraisonnable de placer son début au Miocène.

Tous les itinéraires autour de l’Ahaggar mentionnent de nombreuses coulées de laves ; sur la Coudia, Guilho-Lohan et Motylinski en signalent à plusieurs reprises. Enfin beaucoup plus à l’est, Foureau a recueilli des téphrites et des limburgites provenant vraisemblablement du Télout[178] (cf. Esquisse géologique).

Fig. 73. — Montagne d’Aoudéras. Aïr.

Cinérites et coulées basaltiques. — Aoudéras est à la cote 800 mètres, le sommet de la montagne à la cote 1400.

Aïr. — On a déjà insisté sur le caractère volcanique des principaux massifs de l’Aïr, dont beaucoup sont des dômes[179]. Comme dans l’Ahaggar, la période active a persisté longtemps : quelques coulées ont été à peine entamées par l’érosion ; dans l’oued Tidek, au voisinage de l’Ohrsane, les laves sont au niveau des vallées ; dans la plaine de Tar’it, au nord d’Aoudéras, les coulées de basalte très étendues et provenant sans doute du Doghen, sont récentes : le petit r’edir d’Akara, creusé dans des granulites roses, est bordé à l’ouest par[264] des basaltes épais de 4 mètres dont la base est au niveau de l’eau. Cette impression de jeunesse est confirmée par l’existence à Tafadek (60 kilomètres au sud-ouest d’Aoudéras) d’une source chaude dont la température atteint, d’après le capitaine Posth, 48°.

D’autres coulés sont certainement beaucoup plus anciennes ; à une douzaine de kilomètres au nord-ouest d’Iférouane, l’oued Kadamellet traverse, par un défilé étroit, un plateau de gneiss et de micaschistes, dont la table est formée d’un basalte doléritique, à structure ophitique. La coulée, épaisse d’une dizaine de mètres, a sa base à 50 mètres au-dessus de l’oued.

Il est difficile de préciser le début de ces éruptions ; nous avons cependant pour l’Aïr quelques éléments d’informations qui jusqu’à présent font défaut dans l’Ahaggar. Le lieutenant Jean a remis au laboratoire de géologie de la Sorbonne quelques échantillons de calcaires provenant de Tafadek et d’un point situé un peu au nord, Tamalarkat. L’âge de ces calcaires n’est pas douteux ; outre quelques moules de mollusques, ils contiennent de nombreux échantillons d’Operculina canalifera d’Archiac, de l’Éocène moyen. Les renseignements stratigraphiques font défaut ; Jean [l. c., p. 141] signale seulement à Tafadek des calcaires, des ardoises et des pierres ponces ; mais l’examen de plusieurs plaques minces taillées dans les échantillons fossilifères n’y montre qu’un calcaire très franc, sans aucun élément attribuable aux volcans voisins. Les grès, les calcaires et les meulières lacustres d’Assaouas et de Teguidda n’Adr’ar’, situés à plus de 100 kilomètres au sud-ouest d’Aoudéras, renferment de nombreux minéraux éruptifs, surtout des feldspaths. Les échantillons ne contiennent malheureusement que des traces de fossiles indéterminables, qui ne permettent pas de fixer leur âge (p. 76).

Fig. 74. — Adr’ar’ Ohrsane (Nord de l’Aïr). Pris de l’oued Tidek.

L’Ohrsane est une muraille de syénite.

Tout incomplètes qu’elles soient, ces données prouvent cependant que les volcans d’Aïr sont postérieurs à l’Éocène, comme leur examen direct permettait d’ailleurs de le prévoir.

[265]D’autres roches d’épanchement ont été signalées dans des régions voisines : Nachtigal mentionne expressément des volcans dans le Tibesti et les détails qu’il donne (sources thermales, etc.), montrent que certains de ces volcans au moins sont récents. Sur la route de N’Guigmi à Bilma, Ayasse a recueilli, près de Béduaram et près d’Agadem, des basaltes[180] dont quelques-uns au moins sont assez anciens pour que leurs vacuoles aient pu se tapisser de minéraux secondaires (calcédoine).

Au sud du Tchad, les cinq pitons rocheux de Hadjar El Hamis (déformation par les noirs d’El Khémès) sont formés d’une rhyolithe alcaline verdâtre étudiée par Lacoin et Gentil et dont Courtet a pu rapporter de nouveaux échantillons. On trouvera dans Chevalier [L’Afrique Centrale française, p. 409] un croquis du piton principal, haut de 80 mètres environ.

Des rhyolithes à ægyrine, sont connues sur le Mayo Kæbbi, au pied des chutes Gauthiot, non loin du Toubouri[181].

J’ai donné peu de détails pétrographiques sur les roches volcaniques ; ils sont en général de petit intérêt géographique, et la plupart des laves donnent naissance à des formes topographiques analogues. Toutes, pendant leur refroidissement, se sont plus ou moins fendues ; ces fissures de retrait les ont débitées en blocs arrondis ou en dalles ; plus rarement, elles y ont découpé des colonnades prismatiques. Grâce à ces fentes, les coulées ont acquis une perméabilité marquée qui en a fait souvent des réservoirs d’eau importants ; ce fait, observable partout, prend une importance spéciale au Sahara.

Certaines roches, cependant, par leurs caractères particuliers méritent une courte mention. Leur composition chimique se singularise par une grande pauvreté en chaux et en magnésie et une certaine abondance en métaux alcalins (potasse et soude). Quelques minéraux spéciaux comme la népheline, l’ægyrine, la riébeckite se développent à la faveur de cette composition chimique et donnent aux roches qui les contiennent un cachet assez inaccoutumé. Ces roches, assez rares en Europe, sont au contraire abondantes au Sahara ; nous aurons à préciser leur répartition géographique, mais auparavant il importe de dire quelques mots de roches de profondeur, parfois franchement granitiques, probablement d’âge récent et qui, par leur composition se rattachent à la même famille que les roches d’épanchement alcalines, dont il vient d’être question.

Mounio. — Un premier groupe éruptif constitue le Mounio, massif[266] qui mesure du nord au sud une cinquantaine de kilomètres sur 25 de large ; on doit probablement lui rattacher les hauteurs qui avoisinent les villages de Mia et de Yamia. Les caractères géographiques et topographiques du Mounio ont déjà été indiqués. Les roches sont des granites, des microgranites et des rhyolites avec ægyrine et une amphibole sodique voisine de la riébeckite, roches dont la couleur varie du gris bleu au lie de vin.

A 200 mètres au nord du poste de Gouré, on peut observer le contact avec les roches sédimentaires (fig. 76).

Ces roches sont des argiles et des grès tendres en couches horizontales qui, à cause de leurs caractères lithologiques et de la continuité géographique, doivent être rattachés aux formations du Crétacé inférieur du Tegama. Sur une vingtaine de mètres à l’est du granite, ces grès et ces argiles ont été dérangés de leur horizontalité primitive ; ils ont été profondément métamorphisés et transformés en quartzites et en micaschistes ; quelques filons de quartz les traversent.

Fig. 75. — Mounio. Du poste de Gouré. Les premiers mamelons sont les microgranites m de la figure 76. Au fond à droite, les premiers plateaux du Koutous. — Le camp des tirailleurs est entre les balanites et les mamelons granitiques.

Freydenberg a observé des faits analogues à la frontière ouest du Mounio, près de Gabana.

Les granites alcalins de Gouré sont donc postérieurs à l’Infra-crétacé ; on ne trouve dans les poudingues, qui, à Kellé, forment la base des grès du Koutous, aucun élément qui puisse leur être attribué. On peut donc affirmer que les roches éruptives du Mounio ne sont pas plus anciennes que le Crétacé ; le caractère peu avancé de l’érosion dans le massif de Gouré et surtout les grandes analogies de ces roches avec celles de l’Aïr, certainement postlutétiennes, sont de fortes présomptions en faveur de l’âge tertiaire de ces granites et microgranites.

Zinder. — Le massif de quartzites verticales et probablement siluriennes de Zinder et d’Alberkaram est flanqué, à l’est comme à l’ouest, de roches analogues ; vers Dan Beda (30 km. ouest de Zinder)[267] ces granites sont en relation avec des grès tendres : il serait probablement facile de trouver en ce point une confirmation de l’âge récent des roches de Zinder, qu’il est difficile de ne pas rattacher de très près à celles du Mounio : la série est la même et va du granite franc à la rhyolite. Les deux massifs sont très voisins : il y a à peine 60 kilomètres de Gidi-Mouni à Gabana ; il y a moins encore de Karouaram au Mounio.

Melfi. — Au sud-est du Tchad, le poste de Melfi est au centre d’un cirque de collines granitiques, hautes parfois de 200 mètres, formées de roches assez variées dont le type le plus habituel est une syénite à amphibole sodique et à riébeckite, plus pauvre en silice et plus riche en chaux que les roches de Gouré et de Zinder [Freydenberg, Thèse, p. 107 et 180].

Fig. 76. — Coupe relevée à 200 mètres au nord du poste de Gouré (Mounio).

m, Microgranite alcalin (hauteur 10 mètres). — q, Filons de quartz. — 1, Argiles du Tegama disloquées et transformées en micaschistes. — 2, Grès ferrugineux superficiels. — La coupe a 50 mètres de long.

Ce massif éruptif se continue vers le sud et se relie aux granites alcalins de Miellim sur la rive gauche du Chari.

Fita. — Beaucoup plus à l’ouest, au Dahomey, Hubert [Thèse, p. 242], à signalé la chaîne de Fita, qui, un peu au sud du 8° Lat. N. s’étend sur une dizaine de kilomètres du nord au sud avec une largeur de 2 kilomètres au plus ; ses plus haut sommets dominent de 150 mètres la plaine voisine ; les roches [l. c., p. 466-467] sont des granites et des microgranites alcalins dont la riébeckite est l’élément[268] le plus caractéristique. D’après un renseignement oral, Hubert considère ces roches comme beaucoup plus jeunes que les gneiss des régions voisines.

Provinces pétrographiques à roches alcalines. — L’abondance de ces roches alcalines en Afrique est connue depuis longtemps ; Lacroix a montré qu’elles se rattachaient à deux provinces pétrographiques distinctes : la province occidentale comprend d’abord les îles atlantiques (Açores, Canaries, îles du cap Vert) ; les îles de Los, près de Konakry, contiennent des roches analogues. Chautard[182] a récemment montré qu’il fallait définitivement rattacher à la même province les roches de Dakar dont le trachyte du cap des Biches est le type le plus remarquable ; toutes ces roches de la presqu’île du Cap Vert sont nettement volcaniques ; au point de vue chronologique elles appartiennent à deux séries : entre Rufisque et Dakar les roches éruptives sont contemporaines du Crétacé supérieur ; plus tard, entre l’Éocène moyen et le Pleistocène, les épanchements se sont produits un peu plus au nord et s’ordonnent autour de l’appareil volcanique des Mamelles.

Dans l’intérieur, à Senoudébou (cercle de Bakel), un trachyte à noséane, recueilli dans un mur, a été étudié par Arsandaux ; le gisement d’origine de la pierre est à rechercher, mais il est douteux que l’on ait été chercher bien loin des matériaux de construction. Quiroga a trouvé dans le Rio de Oro, à Hassi Aussert, à moitié chemin entre le littoral et la sebkha d’Idjil, une syénite néphélinique. Dans le Sud marocain, les laves du Siroua, étudiées par Gentil [C. R. Ac. Sc., janvier 1908] sont des trachytes et des phonolites.

Cette province occidentale s’étend probablement jusqu’au voisinage d’Oran.

La province centrale, celle du Tchad, contient un grand nombre de gisements : le massif de l’Ahaggar avec les rhyolithes de l’Adjellela et les phonolithes à ægyrine de la Coudia lui appartient, mais semble marquer sa limite occidentale : la rhyolithe d’In Zize ne renferme aucun des minéraux qui caractérisent les roches alcalines ; immédiatement autour du tassili des Azdjer, le massif volcanique du Télout a émis une coulée de phonolithe à ægyrine, très voisin de la roche du Tekout (85 kilomètres au sud de Tripoli) recueillie autrefois par Overweg. L’abondance des roches alcalines dans l’Aïr, à Zinder et à Gouré, ainsi qu’autour du Tchad, a déjà été indiquée.

[269]Il est vraisemblable que, malgré leur éloignement, Fita et le Cameroun appartiennent à la même province.

Sa limite orientale est complètement inconnue ; on ne sait rien sur les roches éruptives du Tibesti ; le désert de Lybie est ignoré, même au point de vue géographique. On sait toutefois qu’à l’extrémité orientale de l’Afrique et, au delà de la mer Rouge, en Arabie, les roches alcalines sont fréquentes ; celles d’Abyssinie, certainement post-kimmeridgiennes et probablement beaucoup plus récentes, ont été étudiées de très près par Arsandaux[183]. Lacroix a donné des détails sur quelques autres.

Fig. 77. — Roches d’épanchement et roches alcalines de l’Afrique du Nord.

Il est actuellement impossible de savoir si cette province orientale est distincte de celle du Tchad ou si elle se relie avec elle.

Des analyses assez nombreuses de ces roches alcalines ont été publiées ; elles accusent des divergences de détail. Mais dans l’ensemble toutes ces roches semblent pouvoir être ramenées à un même magma alcalino-granitique. Suivant le mode d’éruption, qui modifie[270] les conditions de refroidissement et qui permet le départ plus ou moins rapide des éléments minéralisateurs, ce magma a donné naissance à diverses roches : les granites de Zinder et de Gouré sont les types de profondeur ; les microgranites se sont refroidis plus vite : dans le Mounio notamment, ils semblent former une zone de contact entre les granites et les roches sédimentaires. Les rhyolithes, les phonolithes et certains trachytes sont la forme d’épanchement, la forme vraiment volcanique du même magma.

On pourrait être tenté de rapprocher la pauvreté en chaux de ces roches alcalines de la rareté des calcaires dans le continent africain ; on sait que, par endomorphisme, un granite normal, traversant des assises calcaires, peut s’entourer d’une auréole de granite amphibolique. On a même émis l’hypothèse que dans les éruptions, la matière qui constitue la roche injectée dans les fentes des divers terrains ou épanchée à leur surface, provenait de la fusion sur place de roches assez superficielles, fusion déterminée par les phénomènes thermiques qui résultent de l’écrasement de l’écorce terrestre : il n’y aurait pas à proprement parler de magma éruptif profond, et la composition chimique des roches ignées résulterait immédiatement de la composition chimique des terrains au milieu desquels se manifestent les phénomènes éruptifs.

En fait il est douteux que la rareté en chaux des roches éruptives et des roches sédimentaires de l’Afrique soit autre chose qu’une simple coïncidence : l’exemple de Madagascar [Lacroix, Nouv. Arch. du Muséum, 1902, 1903], où les roches alcalines abondent au milieu de districts calcaires, doit rendre singulièrement prudent. Tout ce qui se rattache à la pyrosphère et à l’origine vraie des magmas éruptifs reste encore un des chapitres les plus obscurs de la géologie.

II. — LATÉRITES

Au sens strict du mot, la latérite est caractérisée par la présence de l’alumine qu’accompagnent toujours les hydrates de fer ; elle est à peine différente de la bauxite, le principal minerai d’aluminium.

Malheureusement, l’usage a prévalu d’appliquer ce mot à tous les sols superficiels des régions tropicales, pour peu qu’ils présentent une teinte rougeâtre, c’est-à-dire qu’ils contiennent un peu de fer. On est arrivé ainsi à englober sous un même nom les produits les plus différents.

Les véritables latérites, provenant de l’altération des roches éruptives, diffèrent des produits similaires de nos climats par deux caractères[271] principaux : en Europe, l’alumine reste d’ordinaire combinée à la silice sous forme d’argile ; l’hydrate de fer est le plus souvent de la limonite, de couleur jaunâtre. Dans les pays chauds, l’alumine se sépare de la silice, et les hydrates de fer sont souvent de la turgite, de couleur rouge. Les éléments alcalins (potasse, soude) et alcalino-terreux (chaux) disparaissent à la faveur de la solubilité de leurs sels, aussi bien dans les climats tempérés qu’entre les tropiques ; la teneur en oxygène et en eau augmente dans les deux cas. Le départ de la silice, qui manque parfois complètement, est le trait le plus original de cette transformation des roches éruptives en latérite.

L’analyse d’une diabase de Guinée (a) et de la latérite qui en provient (b), que j’emprunte à Chautard et Lemoine[184], permettra de préciser le sens de la transformation.

a b
TiO2 2,96 9,05
SiO2 48,51 5,52
Al2O3 14,18 34,1
Fe2O3 2,4 27,13
FeO 10,35 1,26
CaO 8 0
MgO 6,05 0,65
K2ONa2′O 5,18 0,51
Perte au feu 3,12 22,5

De plus, tandis que, dans les climats tempérés, la décomposition des roches se fait très progressivement sans déterminer dès l’abord une décomposition totale, dans les pays tropicaux humides, au contraire, la latérisation s’effectue tout d’une pièce, parfois sur une grande épaisseur, et la roche intacte succède assez brusquement à la roche entièrement décomposée.

Chautard[185] a observé en Guinée, dans le massif de Kakoulima, au kilomètre 52 de la voie ferrée de Konakry au Niger, un gabbro à gros éléments (labrador-diallage) qui présentait à partir de la roche non altérée : 1o une zone où les éléments feldspathiques ne sont attaqués qu’à leur périphérie, les éléments ferromagnésiens sont transformés en actinote, tous les cristaux conservant en général leurs formes granitiques ; 2o une zone où les feldspaths sont complètement altérés et où les cristaux de diallage, au même stade que dans la zone précédente, commencent à s’écraser mutuellement ; 3o une zone où tous les cristaux ont disparu : les feldspaths ne sont plus[272] indiqués que par des taches blanches, et les pyroxènes par des taches brunes d’oxyde de fer ; enfin 4o une zone où il ne reste plus qu’une roche homogène de coloration rouge brique.

Hubert [Thèse, p. 91-97] signale des phénomènes analogues au Dahomey, et Courtet mentionne dans le bassin du Chari des latérites qui entourent d’une auréole diverses roches éruptives [Niellim, etc., in Chevalier, L’Afrique Centrale, p. 631].

Souvent ce produit d’altération, au lieu de rester au contact de la roche qui lui a donné naissance, est repris par les agents d’érosion et ces latérites remaniées forment parfois dans les vallées des dépôts considérables.

On a beaucoup écrit sur l’origine de cette latérite. Walther et Passarge y voudraient voir un effet des orages de la zone tropicale. La pluie des tornades serait riche en acide azotique, par suite particulièrement oxydante ; son action serait d’autant plus décisive que dans la zone tropicale, les débris organiques, toujours réducteurs, font défaut dans le sol superficiel où les termites les détruisent. Cette manière de voir, que ne semble appuyer aucune expérience précise, rend mal compte de la localisation, parfois très marquée, de la décomposition des roches : des mamelons éruptifs voisins, soumis par suite aux mêmes conditions météorologiques, présentent souvent des différences notables dans leurs transformations.

Holland fait jouer à des facteurs biologiques un rôle très actif dans la genèse des latérites : ce serait un phénomène d’origine microbienne. On connaît déjà, d’une manière positive, le rôle des bactéries dans la nitrification : on sait établir des milieux de culture pour la préparation des azotates et l’on a songé à employer industriellement ce procédé. La production du minerai de fer des marais, la réduction des sulfates et leur transformation en soufre et en hydrogène sulfuré sont dues aussi à des algues microscopiques et ces analogies rendent acceptable la manière de voir de Holland. Malheureusement elle n’est confirmée par aucune recherche expérimentale ; le microbe de la latérite est inconnu et le meilleur argument que l’on puisse faire valoir en sa faveur, est l’irrégularité de ce mode de transformation, irrégularité qui est marquée surtout lorsque l’on s’éloigne de l’équateur ou des plaines pour arriver à des régions où les variations de température sont plus considérables, où surtout les minima sont plus bas, que ce changement soit dû à la latitude ou à l’altitude. Pareille allure est bien conforme à ce que l’on sait de la distribution géographique des animaux et des végétaux, à la limite de leur aire.

[273]Cette transformation des roches éruptives en véritable latérite ne se produit pas au Sahara non plus que dans le nord du Soudan : ce n’est qu’au sud du 11° de latitude qu’elle semble devenir générale.

Grès ferrugineux. — On désigne aussi, au Soudan, par le nom de latérite, de simples grès à ciments ferrugineux ; ils sont assez communs au nord du 11° : sur son itinéraire, E.-F. Gautier a noté les premiers au sud de l’Adr’ar’ des Ifor’as, mais ils ne deviennent abondants que dans le bas Telemsi ; le lieutenant Ayasse en a rencontré entre Bilma et le Tchad[186] ; j’en ai vu à plusieurs reprises entre l’Aïr et Zinder ; plus au sud ils sont fréquents ; Foureau[187] les mentionne à plusieurs reprises le long du Gribingui, dont les berges, hautes de 2 à 5 mètres, sont formées de bancs d’argile rouge alternant avec des assises horizontales de grès ou de conglomérats ferrugineux, dont les éléments sont le plus habituellement quartzeux.

Dans le haut Logone, Lancrenon a trouvé des latérites dans le fond des vallées, où elles sont recouvertes de plusieurs mètres d’alluvions[188] ; Courtet signale le même fait dans le Chari.

Cette formation de grès et de conglomérats paraît surtout en rapport avec des phénomènes d’évaporation ; le sable des dunes mortes ou les graviers des alluvions transformées en reg ont été cimentés par les sels solubles dissous par les eaux météoriques. Ce phénomène peut se produire partout ; il est peut-être permis de le rapprocher de la formation de l’alios dans les sables des Landes. Cet alios est un grès quartzeux, souvent ferrugineux, qui résulte de l’entraînement par dissolution des matières solubles de la surface et de leur concentration, qui s’opère pendant les chaleurs de l’été, par suite de l’évaporation à un niveau à peu près constant de la nappe d’infiltration. Les sables de la forêt de Fontainebleau présentent souvent des accidents analogues.

Il n’est pas certain cependant que cette comparaison des grès du Soudan et de l’alios des Landes soit correcte. Aucune analyse du ciment des grès africains n’a été faite ; le sesquioxyde de fer se présente sous cinq formes différentes, plus ou moins hydratées, qui peuvent introduire, entre les grès ferrugineux, des dissemblances notables ; de plus, l’alios se produit toujours à quelques décimètres de profondeur, tandis que, au Soudan, le grès ferrugineux est habituellement superficiel.

En tous cas, c’est bien au Sahara et dans la zone la plus sèche du[274] Soudan que des phénomènes analogues ont été le plus souvent signalés ; dans les oasis situées en bordure d’une sebkha, un orage est un désastre : l’eau de pluie est vite ramenée à la surface par évaporation ; elle revient accompagnée de sel et de gypse qu’elle dépose à la surface du sol, obligeant ainsi à abandonner, pour plusieurs années, un certain nombre de jardins. Dans la région du Manga, à Gourselick par exemple, le natron se renouvelle au fond de la cuvette par le même mécanisme. Enfin, le fameux vernis du désert ne semble pas avoir une origine différente : au Sahara, la plupart des roches sont recouvertes d’une pellicule mince de produits concrétionnés, luisants, qui tranchent souvent par leur couleur sur la roche qu’ils recouvrent [J. Walther] : les grès blancs des tassili, avec leur patine couleur de poix, en sont un exemple classique.

Fig. 78. — Les plateaux à l’est de Tamaské. — Adr’ar’ de Tahoua. (Vue prise du poste de Tamaské).

A, Plateaux calcaires, protégés par un manteau de roches latéritiques. B, Amas de roches latéritiques, dernier témoin des plateaux.

Produits de décalcification. — D’autres latérites enfin sont liées à des roches sédimentaires : elles recouvrent tous les mamelons crétacés du Damergou et leur extension vers l’ouest, au moins jusqu’à la mare de Tarka, indique probablement l’ancienne extension des calcaires à ammonites.

On retrouve des formations analogues au-dessus des dépôts éocènes qui recouvrent l’Adr’ar’ de Tahoua ; ces formations peuvent être suivies jusque sur les bords du Niger.

La plupart de ces produits sont dus à des phénomènes de décalcification ; les oolithes ferrugineuses de Korema Alba paraissent provenir d’un calcaire lacustre : Cayeux, qui les a examinées, les a trouvées identiques à certains minerais de France dont l’origine est certaine. Hubert n’admet pas cette manière de voir pour les latérites des bords du Niger « parce que les indices de la présence de calcaires dans ces régions sont nuls » [Thèse, p. 112]. Il oublie qu’un[275] caractère négatif, surtout dans une région aussi mal connue que le Soudan, a une bien faible valeur ; il ne tient pas compte de la grande extension des calcaires éocènes depuis Bemba jusqu’à Guidambado ; il néglige l’existence des silex éocènes d’Ansongo qui sont, au cœur de la région qui nous intéresse, la preuve décisive de l’existence d’un niveau calcaire.

Malgré leur composition, leur origine très spéciale et leur allure parfaitement horizontale qui montre leurs relations avec des roches sédimentaires, ces latérites différent peu par leur aspect des latérites d’origine éruptive.

Ces produits de décalcification, qui couvrent les grès du Niger et le calcaire de Tahoua, ne semblent pas être de formation actuelle ; une coupe, prise en aval de Gao (fig. 79), montre que la latérite en place (4) couvre un plateau peu élevé ; elle présente une structure parfois oolitique (les oolites ont 1 millimètre de diamètre) mais plus souvent rubannée et les zones que l’on y peut distinguer, sont, en gros, parallèles aux couches de grès du Niger.

Fig. 79. — Un plateau de grès du Niger, en aval de Gao.

1, Grès blancs, à stratification entrecroisée, 3 mètres ; — 2, Niveau ferrugineux (1 cm.) ; — 3, Grès blancs, à stratification entrecroisée, 2 mètres ; — 4, Formation latéritique souvent rubannée, 2 mètres (produit de décalcification) ; — 5, Brèche latéritique contenant des galets quartzeux de 4 à 5 centimètres et des blocs, à peine roulés, de la roche 4, de 15 à 20 centimètres de diamètre. Quelques galets sont des oolithes d’oxyde de fer. Ciment ferrugineux ; — 6, Brèche latéritique mal cimentée.

Depuis la formation de cette latérite, une vallée s’est formée dont le fond (5) est occupé par des graviers et des galets qui atteignent jusqu’à 15 à 20 centimètres de diamètre, galets formés aux dépens de la latérite (4), et cimentés par des produits ferrugineux.

A une époque plus récente, le niveau des vallées s’est un peu abaissé et dans le fond de ces vallées plus jeunes on trouve par place des débris de brèche latéritique (6), mal cimentés.

Il y aurait plusieurs stades à distinguer : la latérite s’est d’abord formée sur le plateau et son mode de formation suppose des pluies[276] assez abondantes ; la formation d’un conglomérat latéritique dans le fond de la vallée suspendue (5) est analogue à celle des grès ferrugineux et suppose, pour la formation du ciment, un climat plus sec ; dans les vallées plus jeunes (6), la cimentation des débris ne s’est pas produite. Postérieurement enfin, s’est creusé le lit actuel du Niger qui est sans doute plus jeune que les ergs morts de la région, mais probablement plus ancien que le Néolitique africain. Cette conclusion est du moins celle à laquelle l’étude de la répartition des tombeaux a amené Desplagnes.

Ces divers climats, que permet d’entrevoir l’étude de cette latérite, ne sont pas forcément quaternaires et ces épisodes ont pu commencer à se manifester dès la fin de l’Éocène. Il ne faut pas perdre de vue d’ailleurs que l’étude géologique du Soudan est à peine ébauchée ; on essaie ici de poser une question bien plutôt que de donner la solution d’un problème dont trop d’éléments sont encore mal connus.

Il est toutefois difficile de croire que la disparition du calcaire soit la seule cause de l’arrêt de la décalcification ; au nord, tout autour de l’Adr’ar’ des Ifor’as, à l’est, dans la région de Tahoua, les calcaires sont à découvert sur les flancs des vallées ; leur surface est restée de couleur claire ; parfois, comme à Bouza, ils forment des plateaux où la roche est restée absolument blanche (fig. 33, p. 94). L’érosion actuelle semble trop insignifiante pour avoir pu enlever un manteau de latérite. Une modification dans le climat paraît mieux rendre compte des faits.

Au Sénégal, « la latérite paraît avoir été formée avant l’invasion des sables, car, sous une épaisseur de 4 mètres de sable, nous avons trouvé de la latérite présentant à la surface le même faciès poli, que celle qui est actuellement à la surface du sol[189] ».

Dans le lit du Niger qui, à partir de Tosaye, est certainement jeune, affleurent souvent, entre Niamey et Ansongo des blocs de roches éruptives ; leur surface est peu altérée (fig. 80) : les parties immergées à toutes les crues (1-3) ont une patine noire ; plus haut, la patine est rouge. Ces diverses patines sont d’ailleurs très minces ; les écailles que détachent à la surface les variations de température, permettent de voir nettement la roche, kaolinisée sans doute, mais dont tous les éléments restent en somme bien reconnaissables. La séparation entre les différentes zones est accentuée par la présence, sur certaines d’entre elles, de mousses et d’hépatiques. Ces zones sont nettement distinctes et les lignes qui les séparent sont[277] trop horizontales pour ne pas être en rapport avec les différents niveaux du fleuve.

Comme l’étude des produits de décalcification, ces patines minces semblent prouver que, depuis que le Niger s’est creusé un nouveau lit dans ces régions, les phénomènes d’altération superficielle n’ont eu, dans la partie sèche du Soudan, qu’une médiocre intensité.

Fig. 80. — Un bloc de granite sur les bords du Niger, à Gari.

aa′, Niveau du Niger le 14 juillet 1906 ; — 1, Bande couverte d’une patine noire. Aucune végétation (0 m. 10) ; — 2, Patine noire. La roche est couverte d’hépatiques (1 m. 40) ; — 3, Patine noire. La roche est couverte de mousses et d’hépatiques (0 m. 50) ; — 4, Patine rouge. Aucune végétation. Quelques écailles, épaisses de 1 centimètre, détachées par insolation.

Toutes ces roches ferrugineuses présentent souvent à la surface une modification intéressante, dernier terme de l’altération latéritique : cette modification est due à l’évaporation rapide d’eau qui en profondeur s’est chargée de sels de fer ; c’est un mécanisme que j’ai déjà signalé plusieurs fois. Il se produit ainsi une roche souvent caverneuse, d’aspect scoriacé, parfois vernissée, en somme assez variable ; souvent elle englobe des galets, des fragments de roches, et dans ce cas seulement le nom de conglomérat ferrugineux [Hubert, Thèse, p. 103, Chautard, Thèse, p. 143], est justifié. Ce sont en réalité des roches concrétionnées que leur apparence a souvent fait prendre pour des laves ou des scories volcaniques, notamment dans la région de Tahoua.

Parfois, au lieu d’une remise en mouvement du fer, il s’est produit un enrichissement superficiel en silice. C’est un fait qui a été signalé dans tous les déserts : il est extrêmement net dans la région d’Assaouas, à l’ouest d’Agadez, où des calcaires lacustres ont été transformés en quartzites rougeâtres ; sur la côte de Mauritanie, dans le Tasiast, des calcaires du Quaternaire ancien reposent sur des grès tendres et forment le couronnement d’un certain nombre de plateaux. Leur enrichissement en silice est très marqué et leur dureté est devenue considérable.

Malgré son caractère technique, il a fallu insister un peu sur cette question : l’histoire de la latérite est en effet intéressante à de nombreux points de vue ; d’abord on ne sait pas au juste comment elle se forme et les hypothèses émises à propos de son origine, (bactéries, acide azotique) n’ont jamais été l’objet de vérifications expérimentales ; il y a d’ailleurs plusieurs latérites et certainement plusieurs modes de formation ; il y en a aussi de plusieurs âges. Il[278] est malheureusement difficile de serrer de près la question ; les rapports d’itinéraires n’indiquent que rarement s’il s’agit de vraies latérites, en place ou remaniées, de grès ferrugineux ou de produits de décalcification.

On connaît en Europe une roche très analogue à la vraie latérite, la bauxite, qui, depuis que s’est développée l’industrie de l’aluminium, a donné lieu à de très importantes exploitations : cette parenté de la latérite et de la bauxite permettra peut-être de préciser les conditions de climat qui ont présidé en France à la production encore très obscure de cet important minerai d’aluminium, en même temps qu’elle peut faire entrevoir pour l’Afrique occidentale une source de richesses qui peut devenir importante.

Il faut noter aussi que c’est parmi les latérites que se trouvent les seuls minerais de fer qui alimentent la sidérurgie indigène ; l’exploitation est très simple : le forgeron nègre, dans les points favorables, soupèse les blocs de latérite et choisit les plus denses.

Les minerais de manganèse que signale Desplagnes sur les bords du Niger [Plateau central nigérien, p. 11 et fig. 25 et 26] appartiennent à la même série de formations.

Certains gîtes aurifères enfin sont en relation évidente avec les produits d’altération superficielle et ne sont que des latérites au sens propre du mot.

La rareté des filons métallifères dans l’Afrique occidentale française est donc partiellement compensée par l’existence de ces latérites, où, sans compter l’or, on connaît trois métaux importants, le fer, le manganèse et l’aluminium. L’organisation des voies de transport qui se poursuit si activement permet de croire que plusieurs de ces gisements seront bientôt exploitables, et dès maintenant il est permis de les considérer comme une précieuse réserve pour l’avenir.

Enfin l’importance des divers modelés latéritiques dans les paysages soudanais, l’emploi constant de ce mot, mal défini, dans tous les rapports d’itinéraires feront excuser le développement donné à une question à première vue aussi spéciale.

III. — SALINES

Taoudenni. — Les mines de Taoudenni sont probablement les plus importantes du Sahara ; les renseignements qu’ont donnés sur elles Cortier, Mussel et Nieger sont très concordants et ils sont confirmés par les indications et les photographies de Cauvin.

[279]Les détails qui suivent sont empruntés presque textuellement à Nieger[190].

Taoudenni est en bordure septentrionale d’une immense sebkha limitée au nord par un dos d’âne rocheux sans gros relief[191], la hammada El Haricha (fig. 6, p. 11). Ce dos d’âne s’étend sur 300 kilomètres environ du sud-est au nord-ouest. Agorgott, centre d’exploitation des salines, est sur la sebkha au débouché d’un oued descendu du djebel El Haricha, l’oued Agorgott.

Les mines de sel se trouvent à environ 4 kilomètres au sud-ouest du ksar de Taoudenni. La majorité des nègres et haratins qui travaillent à l’exploitation se sont construit en ce point des gourbis en barres de sel dont l’ensemble est appellé aussi Agorgott.

La mine n’a pas de propriétaire. L’individu qui désire exploiter fait délimiter les surfaces à creuser, suivant le nombre de bras qui constituent ses ateliers (ces derniers se composent de trois à dix travailleurs). Les fouilles [cf. t. I, pl. XI] sont menées par couches sur toute la surface délimitée ; il y avait, en 1906, 100 à 150 fosses en exploitation. On rencontre de haut en bas :

1o Argile rouge (trab el hamra). La puissance de cette couche est d’environ 2 mètres ; travail facile dans de l’argile humide.

2o Argile verte (harma larma). Également humide, contient de petits cristaux de sel ; environ 30 centimètres d’épaisseur.

3o Argile verte (afarai el ouara) dure à creuser, environ 15 centimètres.

4o Sel mélangé à la terre (el ouara el foukania), contient de nombreuses impuretés, très difficile à entamer, épaisseur variant de 10 à 60 centimètres. Ce sel n’est pas exploité. On trouve, noyés au milieu de cette masse, des nodules de cristaux de sel (ainin el melah) d’une pureté et d’une limpidité remarquables. Ces nodules ont, pour la plupart, la grosseur d’un œuf de poule et au-dessus.

5o Argile verte (afarai zekkou), environ 15 centimètres d’épaisseur.

6o Argile verte (afarai el hammamia), environ 15 centimètres d’épaisseur.

7o Sel qui s’exploite (el hammamia) ; il était autrefois emporté en morceaux cassés à la pioche ; se débite actuellement, comme les suivants, en barres.

[280]8o Argile verte (afarai el bieda) environ 15 centimètres d’épaisseur.

9o et 10o Sel de première qualité (koukchat[192] el bieda, et el bieda). Ces deux couches, soudées l’une à l’autre, forment un banc de 0 m. 25 à 0 m. 30 et s’enlèvent du même coup.

11o Argile rouge. Quelques centimètres.

12o Sel de deuxième qualité (el bent, la fille).

13o Argile rouge. Quelques centimètres.

14o et 15o. Sel de première qualité (koukchat el kamra et el kamra). Même observation que pour les 9e et 10e couches.

16o Sel non exploité (el ouara tahtania).

17o On arrive à l’eau.

Jusqu’à la 7e couche (el hammamia), la première qui soit exploitée, la fosse est creusée sur toute l’étendue délimitée, et les matériaux sont jetés en dehors sur le terre-plein, ou dans une fosse voisine dont l’exploitation est terminée.

Sur la surface plane de la 7e couche, une série de petites rigoles parallèles sont creusées dans le sens de la largeur et celui de la longueur et tracées de telle façon que la fosse se trouve divisée en rectangles de cinq pieds et demi sur un et demi. Les rigoles sont approfondies jusqu’à ce que l’on puisse soulever à la pioche les barres provenant de ce morcellement.

On procède de la même façon pour les couches de sel inférieures, mais les koukchat sont enlevées avec les couches auxquelles elles sont soudées.

L’eau qui se trouve au-dessous d’« el ouara tahtania » (16e couche) est jaillissante. Au dire des ouvriers, il faut une certaine habitude pour enlever la dernière couche de sel exploité (el kamra).

En enfonçant la pioche un peu trop profondément au-dessous de cette dernière pour la décoller, il arrive fréquemment, aux inexpérimentés, de crever « el ouara tahtania » et l’eau, se précipitant par l’ouverture ainsi pratiquée, a assez de force pour briser la barre de sel sur laquelle on travaille. A l’air libre, si l’on perce « el ouara tahtania », l’eau jaillit et s’élève à un mètre environ. Cette abondance de l’eau, serait, au dire des principaux entrepreneurs, un des principaux obstacles à l’exploitation de la saline [cf. t. I, p. 56].

Une fois tout le sel enlevé dans la fosse, les ouvriers creusent au-dessous de la quatrième couche, « el ouara », de petites niches qu’ils transforment progressivement en galeries ; l’exploitation[281] du sel, jusqu’alors à ciel ouvert, se continue sous terre.

Souvent l’eau sourd dans ces galeries et empêche de les mener bien loin. Cependant, elles atteignent parfois 10 mètres de profondeur dans les terrains propices. Les galeries sont creusées sur chacune des faces de la fosse centrale ; on ménage entre elles des intervalles d’environ un mètre, qui remplissent l’office de piliers, de murs de soutien.

Les barres de sel débitées, les ouvriers les plus habiles séparent les koukchat du bied, et de la kamra, en frappant tout simplement à la pioche sur l’un des côtés de la barre, au point de jonction des couches superposées. Il est quelquefois nécessaire d’introduire le pic entre les deux et de faire levier avec le manche pour arriver au décollement complet. Le sel de la 12e couche, el bent, ne donne qu’une barre.

Les barres ainsi obtenues ont une épaisseur qui varie de 10 à 15 centimètres, leur surface rugueuse est tapissée d’impuretés. Elles sont dégrossies et polies avec une herminette et ramenées à des proportions mieux d’accord avec le mode de transport, 4 ou 5 centimètres d’épaisseur, 1 m. 10 à 1,20 de long et 0,40 à 0,50 de large. La barre de sel ainsi préparée, prête à être enlevée par les caravanes, pèse en moyenne 40 kilogrammes. Les poids extrêmes varient entre 28 et 47 kilogrammes (Cauvin) ; quatre barres font une charge de chameaux (120 à 150 kg.)

D’autres mines ont existé, dans la même région, notamment à Ter’azza, à 120 kilomètres au nord-ouest de Taoudenni. D’après la légende, Ter’azza, refusant de payer l’impôt, aurait été détruite par ordre du sultan marocain Moulaï-Sliman, il y a environ trois cents ans Taoudenni lui aurait succédé.

Ces renseignements détaillés sur les salines de Taoudenni, montrent bien qu’il s’agit de sel de sebkha, identique à celui de quelques chotts d’Algérie, comme la sebkha Melah, dans l’oued R’arbi, étudiée par Flamand, et aussi des sebkhas de la côte atlantique de Mauritanie, particulièrement à celle de N’Terert (100 km. au sud de Nouakchott) où, sous une couche de 0 m. 60 d’argiles verdâtres, se montrent des alternances de bancs de sel et d’argile.

Cette constitution ne permet pas de fixer l’âge de la saline d’Agorgott, qui est très vraisemblablement quaternaire. Lenz y a signalé des coquilles brisées ; Cortier a entendu dire aux indigènes que l’on y avait trouvé des débris d’hippopotames et de crocodiles, et même des traces humaines. Au surplus, l’âge quaternaire paraît bien d’accord avec le peu que l’on sait de l’hydrographie de la région.

[282]Bilma[193]. — Les salines de Bilma (cf. p. 117) sont au nord-ouest du village ; pour les exploiter, les indigènes creusent dans le sol de petites mares rectangulaires, de 5 à 15 mètres de longueur sur 2 de largeur ; leur profondeur est de un demi-mètre. Les déblais, rejetés autour des mares, atteignent parfois 10 mètres de hauteur.

On arrose le terrain ; l’eau salée se rassemble dans les mares, et, par évaporation, les sels dissous viennent cristalliser à la surface ; les indigènes brisent la croûte ainsi formée pour que les cristaux tombent au fond de l’eau, où on les ramasse.

Le sel ainsi obtenu est très blanc ; on le comprime fortement dans des moules de façon à obtenir des pains d’une dizaine de kilogrammes. D’autres produits, moins purs, sont mélangés à du sable argileux et moulés en pains d’une autre forme.

Le sel de première qualité est très pur :

Chlorure de sodium 82
Sulfate anhydre de sodium 9,8
Carbonate hydraté » 2,6
Quartz et matières organiques 5
99,4

l’absence de la chaux et de la magnésie est remarquable[194]. Il présente des particularités minéralogiques intéressantes. Les cristaux ne sont jamais groupés en trémies ; ils forment de petits cubes isolés qui dépassent rarement 2 millimètres de côté ; les faces du cube sont habituellement accompagnées des faces de l’octaèdre régulier, forme très rare dans la plupart des gisements de sel et qui semble en relation avec l’abondance du sulfate. On ne connaît guère cette forme, en dehors de Bilma, qu’en Égypte, dans les cristaux extraits des lacs Natron, et en Californie, à San Bernardino.

A Fachi, à 145 kilomètres à l’ouest de Bilma, on exploite le sel dans des conditions analogues. Le sel de Fachi passe pour être de qualité inférieure.

L’exploitation du sel, à Bilma et à Fachi, est considérable ; plus de 20000 charges (peut-être 40000) sont enlevées tous les ans par les Kel Aïr, et répandues surtout dans le Bornou, le territoire de Zinder, le Sokoto, l’Adr’ar’ de Tahoua, etc.

Les Teguiddas. — A l’ouest d’Agadez, se trouvent un certain[283] nombre de sources salées ; celles de Teguidda[195] n’Adrar et de Teguidda n’Taguei ont de l’eau presque douce ; elles ne sont pas exploitées : on se contente d’y mener les chameaux y faire de temps à autre une cure de sel. Dans ces deux stations, il y a un certain nombre de bassins, alignés sur des diaclases, qui intéressent des meulières tertiaires (chap. II, fig. 25). Quelques-uns sont assez bien alimentés pour donner naissance à des ruisseaux qui coulent pendant quelques cents mètres. L’eau d’une partie des sources est buvable ; à Teguidda n’Taguei, la source des Palmiers, il y a un cimetière important et les ruines d’une kasbah. J’ai vu, dans l’eau, un batracien anoure.

Le principal centre d’exploitation de cette région se trouve à 80 kilomètres au nord d’In Gall, à Teguidda n’Tecum, Teguidda les Salines ; les principales sources sont à Bourgoumouten. Chaque source appartient à une famille d’In Gall ; la rareté de l’eau douce rend le travail très pénible ; aussi chaque ouvrier, obligé de boire de l’eau contenant 41000 de sels, ne reste-t-il guère qu’un mois au chantier. Chaque source est captée au moyen de tuyaux, en bois ou en terre cuite, qui conduisent l’eau dans des bassins rectangulaires. Quand un bassin est plein, on bouche le tuyau qui lui correspond et on laisse agir l’évaporation, en ayant soin d’ajouter de l’argile à l’eau pour rendre plus solides les tablettes de sel. Dès qu’une première couche de sel est formée, on remplit à nouveau le bassin et l’on continue jusqu’à ce que la tablette ait 5 ou 6 centimètres d’épaisseur : il faut en moyenne remplir quatre fois le bassin ; chaque évaporation dure une journée. Le sel est découpé en dalles longues de 90 centimètres, larges de 40, du même type que celles de Taoudenni.

Il y aurait environ 200 ouvriers occupés à ce travail ; à cause de l’insécurité du pays, ils habitent des cases en argiles à entrée étroite, où il n’est possible de pénétrer qu’en rampant. Depuis que nous occupons Agadez, les pillages sont moins à craindre et l’exploitation devient plus importante.

Le sel de Teguidda, très estimé, est entreposé à In Gall ; les Kel Gress vont le vendre jusqu’au Sokoto[196].

Terre d’Ara. — Il existe dans l’Aïr quelques vallées sans écoulement où le sel s’est accumulé dans les alluvions. J’ai vu, entre Aoudéras et Bidei, un de ces gisements dont l’exploitation est restée très rudimentaire ; au moment de la saison des pluies on y creuse des trous profonds de 0 m. 50, avec un diamètre de 1 mètre. L’eau des[284] tornades, après avoir lavé les matériaux de déblais, s’y rassemble et par évaporation laisse au fond de la cavité un sel très chargé d’argiles, la terre d’Ara, ou Ahara, qui est réservée aux chameaux. On l’exporte jusqu’au Damergou.

Dans l’Adr’ar’ des Ifor’as, les gisements de terre salée sont assez abondants et donnent lieu à un certain commerce qui est surtout aux mains des Ibottenaten de la région de Tadhaq.

Manga. — La région du Manga, entre Gouré et le Tchad, contient au fond des cuvettes qui ont déjà été signalées (chap. II, p. 82 et 117) un grand nombre de mares salées ; fort peu sont permanentes et se recouvrent, à la fin de la saison sèche, d’une couche de cristaux. La plupart se dessèchent complètement et un petit nombre sont exploitées. Les deux principaux centres industriels étaient, ces dernières années, Garamgava et Gourselik.

Le natron qui est exploité à Gourselik doit être abondant en profondeur, mais on se contente d’exploiter celui que, chaque année, la saison des pluies ramène à la surface. On racle le fond de la cuvette ; le natron, mélangé de terre, est placé dans des paniers qui servent de filtres et où se fait l’épuisement. Cet épuisement est presque systématique et permet d’obtenir divers produits.

Lorsque les eaux de lavage sont saturées, on active l’évaporation au moyen de foyers.

Les fours sont la partie la plus curieuse de l’exploitation ; ignorant l’art de faire des briques régulières et des voûtes, et son prix élevé, rendant le fer impossible, les industriels ont dû tout bâtir en terre cuite. Un mur, haut de 0 m. 50, circonscrit un espace rectangulaire dont les côtés varient de 1 m. 50 à 4 mètres ; des portes, ménagées à la base de ce mur permettent d’introduire le bois qui sert de combustible et laissent pénétrer l’air. Pour soutenir au-dessus des foyers les vases de terre, les canaris, qui contiennent le liquide à évaporer, le four est garni de piquets en terre cuite, fichés verticalement dans le sol ; les têtes élargies de ces piquets, disposés à peu près en quinconce, à 15 ou 20 centimètres les uns des autres, supportent les récipients entre lesquels passe la flamme.

L’inconvénient du procédé est la grande quantité de combustible qu’il nécessite : le pays est dès maintenant complètement déboisé à grande distance des villages ; il est devenu une steppe.

Folé. — Dans la zone côtière orientale du Tchad, il existe aussi des mares à natron ; les unes sont permanentes et l’on se contente de recueillir le sel peu estimé qui cristallise à la surface. Les autres sont presque toujours à sec, mais leur fond est occupé par une vase noirâtre,[285] humide, où le jeu des saisons, sèche et pluvieuse, amène la formation de plaques cristallines épaisses de 5 à 10 centimètres et qui se trouvent à des profondeurs variant de 10 à 50 centimètres. Ces plaques forment des lentilles de dimensions assez faibles dont les indigènes déterminent l’emplacement au moyen de sondages ; on les extrait à la pioche et on les fait sécher à l’ombre, dans le sable : une dessiccation trop rapide les briserait. Le principal marché de ce natron est à Wanda d’où on l’emporte surtout, à travers le Tchad, vers le Bornou [Destenave, Revue gén. des Sc., 1903 ; — Freydenberg, Thèse, 1908].

Cette liste des points qui fournissent du sel ou du natron au Sahara et au Soudan n’a pas la prétention d’être complète ; il serait facile de la prolonger longuement, sans y trouver de nouveaux types de gisement ou de nouveaux modes d’exploitation. Jusqu’à présent, on ne connaît rien qui puisse être comparé aux rochers de sel du Trias d’Algérie, sauf peut-être dans le Guir [cf. t. I, p. 181].

Cependant à la suite de ces produits d’origine minérale, il convient d’ajouter un sel d’origine organique que l’on produit par lessivage des cendres végétales ; on obtient ainsi des sels surtout potassiques ; autour du Tchad cette industrie est assez développée et se fait au dépens des doums et des Salvadora persica : tous les ans, pendant quelques mois, une partie de la population de N’Guigmi va s’installer, par petits hameaux d’une douzaine de huttes, aux points où il y a de l’eau et des arbres, et se livre à cette fabrication.

Cette industrie est très répandue dans toute l’Afrique, au sud du Sahara, et d’assez nombreuses populations ont du s’accoutumer à ces sels de potasse.

IV. — LES AGENTS DÉSERTIQUES

Érosion éolienne. — On a, je crois, beaucoup exagéré l’influence du vent comme facteur d’érosion : il n’est évidemment pas douteux que les phénomènes de « corrasion » existent. On en connaît de nombreux exemples même en Europe et l’on sait que, industriellement, on dépolit le verre au moyen de sable projeté par un soufflet.

L’existence des « roches perchées » n’est pas niable, non plus que le rôle qu’a joué le vent dans leur modelé. Au désert, les calcaires et un grand nombre de roches sont polis par le passage du sable entraîné par le vent et leur surface est souvent sillonnée de vermiculures, profondes au plus de quelques millimètres, qui y dessinent[286] d’élégantes arabesques. Les roches éruptives n’échappent pas à cette action : auprès du poste de Gouré, on peut voir son effet sur les microgranites alcalins du Mounio ; les cristaux de quartz, plus durs, sont en saillie de 2 ou 3 millimètres sur le reste de la roche.

Tous ces faits sont bien connus ; ils ont été étudiés autrefois par Rolland ; plus récemment, Foureau [Doc. Sc., p. 217-221, et Pl. XVIII, XIX] leur a consacré tout un chapitre et plusieurs illustrations.

Mais il s’agit d’actions toutes superficielles ; je n’ai rien vu que l’on puisse comparer aux phénomènes qui ont été récemment décrits en Égypte : la dépression bordée de falaises, hautes d’une centaine de mètres au moins, où se trouve l’oasis de Baharia, a des dimensions considérables ; sa longueur est de 95 kilomètres, sa largeur varie de 4 à 30 kilomètres ; elle avait été longtemps attribuée à une faille circulaire, à un phénomène d’effondrement. Les recherches récentes, très précises, des géologues égyptiens montrent, sans ambiguïté possible, que cette explication doit être abandonnée. Le Baharia a été creusé par érosion et comme il semblait impossible de faire intervenir l’eau, on a été amené à attribuer cet important travail à l’action du vent. Ces démonstrations « par l’absurde » sont, en dehors de la géométrie où l’on est certain d’avoir épuisé toutes les hypothèses possibles, toujours un peu inquiétantes. Les observations que j’ai pu faire au Sahara ne confirment pas une action du vent aussi grandiose ; les Égyptiens y renoncent aussi[197].

On trouve souvent sur le sol des débris d’œufs d’autruche. J’en ai pu observer de nombreux, particulièrement entre l’Ahnet et In Zize,[287] où, aux dires des indigènes, l’autruche a disparu depuis cinquante ans. Beaucoup de ces débris, placés forcément au ras du sol, au point où l’action du sable charrié par le vent est le plus énergique, présentent des stries dont les plus profondes atteignent à peine un demi-millimètre. Malheureusement la disparition de l’autruche n’est pas totale ; dans l’Iguidi, Flye Sainte-Marie en a relevé une piste fraîche pendant l’hiver 1904-1905 ; Voinot en a vu quelques-unes dans le reg d’Amadr’or (1905-1906). L’usure des œufs d’autruche ne fournit donc qu’un argument assez maigre.

L’étude des inscriptions et des dessins qui abondent sur tous les rochers du Sahara [cf. t. I, p. 87-120] est plus décisive. Les roches qui portent ces dessins ont une surface lisse et luisante dont le poli peut être attribué en partie à l’usure éolienne, mais elles sont toutes protégées par une croûte d’origine chimique, une écorce brune, le vernis du désert. Cette croûte dont la couleur va du brun foncé (grès néocomiens) ou noir de jais (grès dévoniens) est dure et résistante ; on le remarque particulièrement à propos des grès crétacés, qui sont plutôt tendres et auxquels la croûte fait une carapace et une protection. Nul doute qu’il y ait là un obstacle à la puissance érosive du vent. Sur certaines collines du Colorado, W. Cross [Wind erosion in the Plateau Country, Bull. of the Geol. Soc. America, XIX, mars 1908] a observé que la roche, des grès tendres, était creusée par le vent partout où la couche protectrice, le vernis du désert, faisait défaut ; il se forme ainsi parfois de véritables grottes.

C’est peut-être à cette patine résistante que beaucoup de gravures rupestres doivent leur conservation. Les régions désertiques et sèches sont par excellence leur domaine ; elles sont rares dans le Tell, sans être tout à fait absentes. Cette exclusion peut s’expliquer, au moins partiellement, par des causes historiques ; mais, provisoirement tout au moins, on n’échappe pas à l’hypothèse que des causes climatiques aient pu jouer un rôle. Les gravures auraient été conservées en plus grande abondance là où les agents de destruction étaient le moins efficaces.

Les gravures préhistoriques, dans l’Afrique du Nord, sont plus difficiles à dater qu’en Europe, parce qu’une représentation d’éléphant, par exemple, n’offre pas en soi la même garantie d’âge reculé que la représentation d’un mammouth ou d’un renne. Il suffit en effet de remonter à Carthage pour retrouver l’éléphant dans la faune nord africaine. L’attribution de gravures sahariennes à l’âge quaternaire reste donc hypothétique ; il est improbable cependant que les plus anciennes d’entres elles soient postérieures à la période romaine. Il[288] en est certainement de très vieilles qui sont restées très nettes sous leur patine. Plusieurs milliers d’années d’érosion éolienne n’ont pas suffi à les effacer. Croit-on que ces égratignures auraient survécu pendant le même nombre de siècles à l’action de la pluie ? Leurs analogues d’Europe n’ont résisté qu’au fond des cavernes, sous le manteau protecteur des alluvions et des stalactites.

Au Sahara même, la presque totalité des gravures est sur des roches siliceuses, grès ou granite. Est-il vraisemblable que les indigènes se soient abstenus de parti pris de graver sur des calcaires ? Au surplus, on connaît au moins deux stations de gravures sur calcaire ; l’une dans le Tadmaït, a été signalé par Flamand, l’autre, connue sous le nom de Hadjra Mektouba, se trouve sur la rive droite de la Saoura, à hauteur du ksar d’El Ouata, entre le Gourara et le Touat [cf. t. I, p. 100-101]. Au premier abord, à Hadjra Mektouba, on ne voit qu’une multitude de graffiti libyco-berbères, plus ou moins récents. Mais à la regarder avec soin, en cherchant les incidences favorables, on y retrouve une multitude de très vieilles figures floues et indistinctes, cependant reconnaissables. En même temps qu’elles, on voit partout à la surface de la pierre, inscrite en cuvettes et en lapiez, l’action des eaux pluviales ; c’est la pluie qui, par son action chimique, a en partie effacé les vieilles images et non pas le vent. Ainsi donc, même dans les pays où il pleut tous les vingt ans, sur les roches calcaires tout au moins, l’action des eaux météoriques est plus efficace et reste mieux marquée que celle du vent. Ces Hadjra Mektouba sont horizontales, au ras du sol, nullement à l’abri, dans les conditions les plus favorables à l’action éolienne et malgré cela le vent, aidé du sable, n’a pas pu, en une vingtaine de siècles au moins, effacer des traits dont la profondeur ne dépassait guère 1 centimètre. Sous nos climats, les hiéroglyphes d’Égypte auraient disparu depuis longtemps et l’on ne peut songer à mettre en parallèle, au point de vue de l’intensité de leurs actions, l’érosion pluviale et l’érosion éolienne.

Comme les hiéroglyphes, les dessins rupestres sont gravés en creux dans la roche ; une usure un peu profonde est nécessaire pour les effacer. D’autres vestiges anciens sont plus superficiels et semblent incapables de résister à la moindre érosion.

Certaines inscriptions sont peintes à l’ocre et l’une d’elles au moins peut être datée avec quelque précision : à Timissao, près du puits, existe une grotte ou plutôt un abri sous roche. Au plafond de cette grotte se trouve une inscription célèbre dans tout le Sahara, et dont Duveyrier avait déjà entendu parler ; elle est peinte à l’ocre[289] et encadrée d’un rectangle de 1 mètre de long sur 0 m. 80 de large ; les lettres ont une dizaine de centimètres. M. Benhazera [Six mois chez les Touaregs, p. 205 et suiv.] a pu en copier la moitié.

Cette inscription serait bien écrite en caractères koufiques qui, comme on sait, furent abandonnés peu de temps après l’hégire ; sa signification semble bien indiquer qu’elle émane des premiers missionnaires qui aient cherché à convertir le pays à l’Islamisme ; s’appuyant en outre sur quelques données historiques, Benhazera fixe au VIIe ou VIIIe siècle de l’ère chrétienne la date de cette inscription.

Située à 5 mètres au-dessus du sol, dans une vallée étroite où le vent s’engouffre avec force, cette inscription n’a pas pu être effacée par l’érosion éolienne, en plus d’un millier d’années[198].

Les talus de sable qui, dans le Manga, forment la bordure des cuvettes sont souvent attaqués par de véritables « torrents éoliens ». Profitant d’une brèche, ouverte dans cette petite dune, le vent y entraîne lorsqu’il est violent, de grandes masses de sable qui creusent un véritable ravin, au fond duquel se trouve parfois, sur la face orientale de la cuvette, une sorte de cône de déjection. Le phénomène est fréquent entre Mirrh et le Tchad ; Freydenberg a pu l’observer à l’est du lac et il a noté, près de Mao, un affouillement de 60 à 80 centimètres, creusé en une heure [l. c., p. 57-58].

Mais il s’agit de sable de dune non cimenté, d’un sol extrêmement meuble, incapable de résister au moindre agent d’érosion.

De semblables phénomènes sont fréquents dans les dunes où le moindre ébranlement, quelle que soit sa cause, peut produire des éboulements considérables ; on connaît leurs analogues dans les champs de neige et dans les cendres volcaniques, où des avalanches sèches produisent souvent des érosions autrement considérables.

Il semble donc que la puissance érosive du vent et du sable qu’il entraîne est extrêmement faible ; le rôle du vent se borne à enlever tous les matériaux meubles que la sécheresse lui a livrés ; la genèse des regs [cf. t. I, p. 3] en est un excellent exemple ; le vent excelle aussi à dépouiller toutes les hauteurs de la terre végétale, laissant partout la roche à nu ; il en résulte dans le paysage des lignes très heurtées, des formes presque géométriques qui, à première vue, font croire à une érosion formidable ; tous les reliefs du Sahara sont réduits à leur squelette. Un aspect aussi décharné ne nous est familier, en[290] Europe, que sur les hautes montagnes ou au bord de la mer et nous sommes portés à l’attribuer, au désert comme chez nous, à une érosion puissante : il s’agit d’un simple époussetage.

Insolation. — Grâce à la sécheresse de l’air au Sahara, les variations de température de la surface des roches sont considérables ; elles peuvent atteindre en vingt-quatre heures une soixantaine de degrés. A cause de leur mauvaise conductibilité, la plupart des roches supportent mal un pareil régime ; il se produit une desquamation, un décollement des parties superficielles, auquel sont le plus souvent attribuables les menues esquilles qui, à la surface des hammadas calcaires et des tassilis gréseux, jonchent le sol et rendent la marche pénible sur ces surfaces horizontales. La protection que ces éclats assurent, contre l’insolation et le rayonnement, aux roches qu’ils recouvrent, empêche le phénomène de se manifester profondément.

Sous l’influence du même phénomène, beaucoup de blocs éruptifs s’ouvrent « en roses » ; les écailles qui se détachent par ce mécanisme sont en général assez minces (quelques centimètres au plus), mais elles peuvent atteindre plusieurs décimètres carrés de surface. Ces écailles granitiques ont souvent été utilisées dans la construction des tombeaux.

Beaucoup se séparent complètement et tombent sur le sol au pied du bloc dont elles proviennent ; il semble donc que cette desquamation puisse se continuer indéfiniment ; mais, en fait, l’abondance des dessins et des inscriptions tifinar’s, vieux au moins de plusieurs siècles, sur un grand nombre de blocs de granite, met bien en évidence la lenteur de leur destruction et le peu d’importance de ce mécanisme ; même au Sahara, l’insolation, pas plus d’ailleurs que l’érosion éolienne, ne paraît capable de modifier sérieusement le modelé acquis ; la réunion de ces deux facteurs, dont on a visiblement exagéré l’importance, est incapable d’expliquer la genèse des éléments sableux qui ont servi à l’édification des dunes.

D’ailleurs dès qu’un éclat est assez petit pour que ses différentes parties puissent se mettre rapidement en équilibre thermique, le soleil ne peut plus rien sur lui et il ne semble pas que l’insolation soit capable de réduire une roche à l’état de sable.

Nous sommes donc ramenés, par une voie indirecte, à chercher ailleurs l’origine des éléments qui ont servi à la construction des ergs ; il faut admettre que ces éléments sont antérieurs au désert ; ils ont été formés par ruissellement et par érosion fluviale à une époque où les oueds du Sahara étaient de vrais fleuves ; les dunes proviennent[291] d’un remaniement par le vent des alluvions quaternaires [cf. t. I, chap. II].

On a parfois attribué à l’insolation la formation de squames épaisses de 2 mètres, et de grandes dimensions superficielles ; je ne crois pas que cette manière de voir soit justifiée : en Europe, où le phénomène a été bien étudié, les variations de la température du sol s’amortissent très vite avec la profondeur ; à 1 mètre, elles ne sont plus que de quelques centièmes de degré. Cette loi de décroissance, conforme d’ailleurs aux données expérimentales de la physique, est certainement applicable aux roches des pays chauds.[199] où il est douteux que, à 2 mètres de profondeur, les variations diurnes de la température dépassent quelques dixièmes de degré ; les dilatations qui en résultent sont bien faibles pour expliquer une rupture, d’autant plus qu’elles se produisent lentement.

Cette desquamation par insolation ne peut porter que sur des plaques peu épaisses, à cause des conditions physiques qu’elle nécessite.

[176]On trouvera de nombreux renseignements techniques et des indications bibliographiques sur les roches africaines dans les publications suivantes :

Lacroix, Résultats minéralogiques de récentes explorations dans l’Afrique occidentale française et dans la région du Tchad, La Revue Coloniale, 1905, p. 129-139, 205-223. — Gentil, Pétrographie, in Foureau, Documents scientifiques de la Mission Saharienne, 1905, p. 697-749. — A. de Romeu, Sur les roches éruptives rapportées par le capitaine Théveniaut de l’Adr’ar’, Bull. du Muséum, 1907, p. 179-181. — Chudeau, C. R. Ac. Sc., 1907, CXLV, p. 82-85. — Courtet, in Chevalier, L’Afrique Centrale Française, 1908, p. 670-690. — Hubert, Contribution à l’étude de la Géographie physique du Dahomey, Thèse, 1908, p. 459-501. — Freydenberg, Le Tchad et le bassin du Chari, Thèse, 1908, p. 171-187.

[177]D’après Rolland, Géologie du Sahara Algérien (Mission Choisy), 1890, p. 247.

[178]Dans des notes antérieures, Gautier et moi, avions indiqué qu’il y avait peut-être des roches d’épanchement dans l’Adr’ar’ des Ifor’as. Jusqu’à présent, l’examen pétrographique n’a pas confirmé cette impression.

[179]Lacroix, Contributions à l’étude des brèches et des conglomérats volcaniques, in Bull. Soc. Géol. Fr., [4], VI, 1906, p. 635-685.

[180]Freydenberg, La Géographie, XVII, 1908, p. 111.

[181]Hubert, C. R. Ac. Sc., 1er août 1904.

[182]Bull. Soc. Géol. Fr., 4e s., VII, 1907, p. 427-440.

[183]Arsandaux, Contribution à l’étude des roches alcalines de l’Est africain, Thèse, Paris, 1906. — Lacroix, C. R. Ac. Sc., CXXX, 1900, p. 1208.

[184]Bull. Soc. Géol. Fr., 4e s., VIII, 1908, p. 35. — Des mêmes auteurs, une note plus détaillée, avec bibliographie, La latérisation, in Bull. Soc. de l’Industrie Minérale, [4], IX, 1908.

[185]Thèse, Paris, 1905, p. 132.

[186]La Géographie, XV, 1907, p. 107. — Id., XVII, 1908, p. 111.

[187]Doc. Sc., t. II, p. 672 et suiv.

[188]Lemoine, Bull. du Comité de l’Afr. fr., janvier 1908, p. 38-40.

[189]Capitaine Friry, Note sur la Géologie du Sénégal, p. 292, in Bull. du Muséum, 1908, no 6, p. 285-300.

[190]Rens. col. Bull. du Comité de l’Afr. fr., juillet 1907, p. 173. — La Géographie, XVI, 1907, p. 376.

[191]Les observations barométriques ont donné une différence de niveau de 150 mètres entre la ligne de faîte du plateau et la sebkha de Taoudenni.

[192]Koukchat = enveloppe, écorce.

[193]Lacroix, Bull. Soc. Française de Minéralogie, 1908. — Gadel, Revue Coloniale, 1907, p. 351. — J’ai pris aussi quelques renseignements dans une lettre du lieutenant F. de Jonquières, et dans une note manuscrite du sergent Lacombe.

[194]Peut-être y a-t-il un rapprochement à faire, au point de vue clinique, entre le sel de Bilma et les roches éruptives alcalines du centre africain ?

[195]Teguidda voudrait dire source, d’après Jean, Les Touaregs du S.-E., p. 135.

[196]Gadel, Notes sur l’Aïr, p. 51. — Jean, l. c., p. 136-137. — Rapport inédit de Posth.

[197]Toutes les oasis du désert libyque (Fayoum, Baharia, Farafra, Kharga) auraient une origine analogue. Par suite de l’érosion, depuis l’Éocène, les calcaires à operculines, assez résistants, ont disparu de toutes les parties hautes des accidents anticlinaux, laissant à nu les terrains crétacés, formés de roches tendres. Pendant la fin des temps tertiaires et le début du Quaternaire, les roches, mises ainsi à découvert et déjà disloquées par les actions tectoniques, auraient disparu sous l’influence du ruissellement et, à l’époque actuelle, du sable traîné par le vent. Ce dernier produirait maintenant les effets les plus remarquables. Dans les cuvettes ainsi creusées se sont établies les oasis.

Cette manière de voir, nettement indiquée à propos de Baharia, qui est une dépression sans issue, [Beadnell, Découvertes géologiques récentes dans la vallée du Nil et le désert Libyen, in VIIIe Congrès géologique, Paris, 1900, p. 857] est encore reprise par J. Ball [Kharga Oasis : its topography and geology, Cairo, 1900, p. 100 et 101] ; cependant l’existence de galets et de tufs, avec feuilles de Quercus Ilex, au fond de la dépression, est donnée comme une preuve que l’érosion fluviale a commencé le travail ; le vent n’a fait qu’agrandir la cuvette ; un peu plus tard, Ball et Beadnell [Baharia Oasis, etc., Cairo, 1903, p. 72] reconnaissent qu’un lac a joué un certain rôle dans l’affaire. Enfin Beadnell [The topography and geology of the Fayum province of Egypt, Cairo, 1905] donne (fig. 6, p. 67) la carte d’une rivière qui, pendant l’Éocène supérieur et l’Oligocène, aboutissait au Fayoum. Cette rivière passait à Baharia où elle s’épandait en lac. Il semble donc que le gros travail a été fait par l’eau ; le vent se serait chargé de déblayer les matériaux meubles et de parachever la sculpture des falaises. Davis arrive à des conclusions analogues pour les déserts américains [Bull. Mus. Comp. Zoology, XXXVIII, 1901, p. 187-192 et XLII, 1903, p. 34].

[198]L’âge koufique de cette inscription a, paraît-il, été contesté ; elle serait récente. En tous cas, dès 1860, elle était célèbre au Sahara et déjà considérée comme ancienne. Croit-on qu’en France, un graffiti, tracé à l’ocre, resterait pleinement lisible pendant plus d’un demi-siècle ?

[199]Dans les dunes du Sahara où les variations de la température superficielle sont considérables, il suffit de creuser un trou de quelques centimètres pour trouver une température sensiblement constante.


[292]CHAPITRE VIII

LE COMMERCE

Le commerce transsaharien. — Le commerce saharien. — L’avenir.

Le commerce transsaharien. — Il a été de mode, pendant longtemps, de considérer le commerce transsaharien soit comme très riche et assez important pour justifier l’établissement d’un chemin de fer, soit au contraire comme très pauvre et parfaitement négligeable. Les études de ces dernières années permettent, sinon de mettre la question tout à fait au point, du moins de croire que les échanges qui se font par caravanes à travers le désert ont une importance suffisante pour justifier une étude attentive et pour attirer l’attention du commerce français.

Autrefois le trafic saharien était très simple : la traite des noirs en faisait la base ; les plumes d’autruche, l’or[200] étaient l’objet de transactions insignifiantes et déjà Duveyrier savait que la sécurité plus grande que le général Faidherbe avait assurée à la voie du Sénégal, permettait à ces matières riches de s’écouler par Saint-Louis.

La suppression de la traite qui ne subsiste plus guère qu’au sud du Maroc et, beaucoup plus à l’est, entre l’Ouadaï et Ben Ghazi, a depuis une trentaine d’années modifié complètement les conditions du transit saharien.

Au commencement du XIXe siècle, le Niger était fréquenté par les caravanes du Gourara qui fournissaient d’esclaves l’Algérie et le Maroc.

Le Tidikelt commerçait avec l’Aïr et Kano ; le fait que de nombreuses tribus de la région sont bilingues [cf. t. I, p. 307] facilitait[293] singulièrement les relations entre les Arabes du Sud algérien et les Berbères du Soudan. Chaque année, les ksour seuls d’In Salah envoyaient vers Kano une caravane de 500 chameaux portant des étoffes algériennes. Ils ramenaient de 500 à 1000 esclaves qui, payés 25 francs au Soudan, se vendaient 150 à In Salah. Les vieillards du Tidikelt ont conservé le souvenir d’affaires encore plus fructueuses : en 1853, un cheval, acheté 315 francs au Tidikelt, fut échangé à Kano contre 40 négresses. Le voyage complet durait six mois.

A cette époque, le Tidikelt avait de nombreux chameaux ; cependant il devait parfois en louer au Touaregs de l’Ahaggar : le prix était de 20 metkals d’or (125 fr.) jusqu’à Zinder ; c’est encore à peu près le prix actuel[201].

Presque tous les ans, partant du Tafilala ou de l’oued Draa, des rezzou vont encore jusqu’à Taoudenni enlever des esclaves ; ils atteignent parfois le Timetrin ou l’Adr’ar’ des Ifor’as et l’un d’eux a récemment menacé Tombouctou et Bemba. La reconnaissance de l’Iguidi, celles des pistes qui, du Touat, mènent au Djouf et de Taoudenni au Niger[202], permettent d’espérer que ces actes de brigandage déjà peu fructueux deviendront de plus en plus hasardeux et que les pillards, menacés d’avoir leur retraite coupée, renonceront à ces coups de main dont la rémunération ne serait plus suffisante. Il convient cependant de remarquer qu’au voisinage de l’Atlantique les fusils à pierre font place à des armes plus perfectionnées : le rezzou[203] que les Taïtoq de l’Ahnet avaient lancé à la fin de 1906 contre les tribus du Sahel a été presque entièrement détruit par les fusils à tir rapide des Maures, qui, cette année même (1908), nous ont fait éprouver des pertes cruelles.

Il semble par contre que, entre la Tripolitaine et l’Ouadaï[204], l’antique commerce des esclaves a conservé toute son importance : les noirs sont échangés contre des armes et des munitions de guerre,[294] destinées en majeure partie à l’Ouadaï et au Darfour ; si nous n’y veillons, la situation peut devenir dangereuse pour l’Angleterre comme pour nous[205].

Le commerce de Benghazi avec l’Ouadaï[206] et les régions voisines de l’Afrique centrale est en progrès depuis quelques années ; en 1905, les caravanes avaient transporté dans l’Ouadaï 300 charges de chameaux[207], consistant surtout en objets manufacturés d’origine anglaise, en thé et en sucre ; leur valeur était de 218000 francs. En 1906, les statistiques des consuls ont compté 500 charges valant 363000 francs. On a de plus constaté, officiellement, l’arrivée de 8000 fusils et revolvers à Benghazi en 1905, et de 9000, en 1906 ; ces chiffres sont évidemment un minimum, la contrebande de guerre ne se faisant pas habituellement au grand jour. La plupart de ces armes sont dirigées sur l’Afrique centrale. Sur une route différente, une caravane de 200 chameaux, chargée d’armes et de munitions, était passée à Iférouane peu de temps avant mon arrivée dans l’Aïr (sept. 1905). La contre-partie de ces importations est formée surtout par le commerce des esclaves.

Entre ces deux voies extrêmes qui échappent encore, au moins en partie, à notre contrôle, il existe quelques autres pistes.

Celle de Mourzouk au Tchad par Bilma, très pénible, est délaissée depuis quelques années : le pillage du Bornou par Rabah avait appauvri son terminus et les fréquentes attaques des Tebbous et des Ouled Sliman la rendaient trop peu sûre ; elle est si peu fréquentée que le lieutenant Ayasse[208], pour sa reconnaissance du Kaouar, (20 déc. 1904-4 février 1905), n’a pu trouver aucun guide connaissant la piste de N’Guigmi à Bilma. L’occupation de Bilma (1906) rendra à cette route une sécurité suffisante, mais il est douteux que cette occupation puisse être maintenue ; l’absence complète de pâturages dans la région y rend trop onéreux l’entretien d’un peloton de méharistes, la seule arme que l’on puisse utiliser dans le Tiniri.

Les échanges entre le Tidikelt et la région de Tombouctou sont depuis quelques années peu importants.

Ils ont eu cependant leur période de prospérité pendant une vingtaine d’années : vers 1840, la conquête de l’Algérie avait partiellement fermé ce marché au commerce des esclaves. Les caravaniers[295] d’In Salah, renonçant à Kano, se tournèrent alors vers R’adamés et agirent comme simples commanditaires de négociants tripolitains dont ils transportaient les marchandises à Tombouctou : ils touchaient 100 metkals d’or (625 fr.) pour le transport de trois charges de R’adamés au Niger.

La prise de Tombouctou par El Hadj Omar et ses Toucouleurs (1861), l’hostilité des Touaregs obligèrent les habitants du Tidikelt à renoncer à ce commerce ; à cause des facilités de transport par le Sénégal, le chemin de fer de Kayes à Koulikoro et le Niger, facilités qu’accroîtra la ligne bientôt achevée de Thiès à Kayes, il est douteux que la paix française puisse le faire revivre.

Une caravane de 68 chameaux, partie du Tidikelt, a fait une tentative en 1904 ; elle a trouvé le marché de Tombouctou encombré de marchandises venues par le fleuve.

Mabroucka, fondée il y a environ deux siècles par les Arabes d’Araouan, a servi longtemps d’entrepôt aux caravanes de Tombouctou au Touat ; elle a pu avoir une population d’un millier d’habitants. Ce ksar a été détruit et pillé il y a une dizaine d’années et comme il n’a plus de raison d’être, il ne s’est pas relevé de ses ruines. Cauvin[209] qui l’a vu en mai 1907, n’y a trouvé qu’un seul habitant, un vieux marabout qui n’avait jamais voulu le quitter.

Restent les pistes qui, passant par l’Aïr, aboutissent aux États haoussas (Zinder-Kano). Elles ont été récemment étudiées sur place et les notes (Gadel, Dinaux, Métois) dont elles ont été l’objet aboutissent aux mêmes conclusions, qui sont bien d’accord avec les renseignements et les impressions que j’ai pu recueillir dans l’Ahaggar, l’Aïr et à Zinder.

La plupart des caravanes qui aboutissent à Zinder et à Kano partent de Tripoli où elles s’approvisionnent de produits anglais dont Malte est le principal entrepôt[210]. Elles passent ensuite par R’ât où les Turcs tiennent garnison. La neutralisation injustifiée de Djanet, que le capitaine Touchard avait occupé en 1905, nous rendra difficile la surveillance de cette voie qui est importante. Du 1er janvier à la fin d’avril 1904, il est passé à Djadjidouna (Damergou) 700000 francs de marchandises à destination de Kano ; 300000 francs, de Zinder. Cette statistique, arrêtée trop tôt, ne porte à peu près que sur le quart des caravanes qui passent annuellement à Djadjidouna.

Une partie des marchandises (couvertures, burnous, etc.) provenait de Tripolitaine ; les articles européens de qualité médiocre (papiers,[296] cotonnades, sucres, quincailleries, etc.) étaient de fabrication anglaise, allemande ou italienne. La France n’était représentée que par une centaine de francs de bougies [Jean, Les Touaregs du S.-E., p. 47-48].

Pendant mon séjour à Iférouane (21 septembre-14 octobre 1905), j’y ai vu passer chaque jour de petites caravanes d’une vingtaine de chameaux. Le commandant Gadel, qui a pu faire, soit à Agadès, soit à Zinder, des observations plus longues et contrôlées par les statistiques des postes, donne les chiffres suivants : les Arabes apportent environ 1300 charges[211] à Zinder et une centaine à Tessaoua ; les articles principaux sont des cotonnades, les allumettes, les bougies, le papier, quelques parfums, etc., le tout de provenance anglaise. De Zinder il part annuellement, vers le nord, 1000 charges de filali[212], 15 d’ivoire et autant de plumes d’autruche ; de Tessaoua, 150 charges de filali.

Les chiffres indiqués sont évidemment faibles ; ils suffiraient à peine à assurer chaque année la charge d’un train de marchandises : un chemin de fer transsaharien ne saurait être envisagé autrement que comme instrument impérial. Malgré son peu d’importance, ce trafic représente largement trois millions sur lesquels les bénéfices sont considérables ; il ne peut que s’accroître : depuis que nous assurons la paix à ces malheureuses régions que ravageaient, il y a quelques années encore, les conquérants noirs (Rabah a été vaincu et tué à Koussri le 22 avril 1900), la population se refait rapidement, les cultures se développent et le commerce ne peut que suivre la même marche.

Le commerce saharien. — A côté de ce trafic direct entre la Méditerranée et le Soudan, il existe à l’intérieur du Sahara un commerce assez considérable.

Les Touaregs de l’Ahaggar sont obligés d’acheter au dehors des dattes et des céréales que leur pays ne produit pas en quantité suffisante. Chaque année, à l’automne, ils vont au Tidikelt chercher des dattes qu’ils échangent contre du bétail (chameaux, ânes et chèvres) ; ils achètent en même temps des cotonnades qui leur servent surtout dans leur commerce avec le Soudan. D’autres caravanes, à la même époque, vont dans l’Aïr et le Damergou, parfois jusqu’au Zinder, acheter du mil qu’ils troquent contre le sel d’Amadr’or et les cotonnades[297] du Tidikelt. Ce commerce annuel est le plus important, mais il n’est pas le seul. Presque chaque mois, quelques Arabes du Tidikelt, des Ahl Azzi surtout, passent à l’Ahaggar avec quelques chameaux : la cotonnade est toujours le fond du chargement ; le sucre, un peu de verroterie et de quincaillerie ne sont que des accessoires ; ils échangent d’abord presque toutes leurs marchandises, dans les ar’erem, contre des céréales, puis ils vont de campements en campements vendre leur grain et leur pacotille contre des chèvres qu’ils ramènent à In Salah.

Depuis que les tournées fréquentes des troupes du Tidikelt ont rendu l’argent moins rare à l’Ahaggar, beaucoup de ces Ahl Azzi préfèrent être payés en pièces de cinq francs.

Régulièrement aussi quelques Touaregs, appartenant surtout aux tribus Isak’k’amaren, circulent entre l’Ahaggar, le Tidikelt, R’ât et l’Aïr. Leur commerce porte surtout sur les produits de l’industrie du Soudan : selles de méhari, filali, peaux de bouc, vêtements brodés, et quelques objets de luxe achetés à R’ât.

Enfin quelques caravaniers vont jusqu’à l’Adr’ar’ des Ifor’as, où, en dehors du bétail, ils trouvent du riz du Niger.

Plus au sud, il ne subsiste plus qu’une seule marchandise, le sel, donnant lieu à des transactions importantes. En 1906, la grande caravane du mois de mai, l’azalai, a apporté sur le marché de Tombouctou 48000 barres de sel de Taoudenni (la barre pèse 40 kg.)[213] soit 12000 charges ; ce chiffre n’est qu’un minimum, l’impôt de 10 p. 100 que prélève le fisc sur ce produit rendant la contrebande fructueuse dans un pays dont la surveillance est difficile. De Bilma, l’exportation est peut-être encore plus considérable : d’après Gadel, les Kel Oui dirigeraient 15000 charges de sel sur Zinder, 1500 sur Guidambado et 800 sur Tessaoua ; il y a encore d’autres lignes et de Jonquières évalue à 40000 le nombre des chameaux qui viennent annuellement dans le Kaouar chercher le sel. Pour les Teguiddas et l’Amadr’or, les chiffres font défaut, mais doivent être assez importants.

La contre-partie est fournie par les cotonnades du Soudan, mais surtout par les céréales qui donnent parfois lieu à des transactions très avantageuses : une mesure de beau sel d’Amadr’or s’échange contre 6 ou 7 mesures de mil dans l’Aïr, et jusqu’à 30 ou 40 dans le Damergou suivant Benhazera ; d’après une note manuscrite du sergent Lacombe, un pain de sel de Bilma de 10 kilogrammes vaut sur place 0 fr. 10 et se vend à Zinder de 10 à 12 francs. La barre de[298] sel de Taoudenni vaut 10 à 12 francs à Tombouctou ; sur place, elle est échangée contre 1 franc en riz ou en mil ; cela fait une trentaine de francs de bénéfice par charge.

Cette prédominance du commerce du sel dans les confins sahariens est inquiétante : les nomades ont dû, depuis quelques années, renoncer au commerce des esclaves qui était pour eux une source de gros revenus ; malgré l’infériorité probable de certains noirs, il n’y a évidemment pas lieu de regretter la suppression de ce trafic. Mais le Sahara est à peine remis de la perturbation économique qu’a amenée l’interdiction de la traite. Le commerce du sel est menacé d’une révolution analogue : à mesure que se perfectionnent les voies d’accès au Niger, les articles européens deviennent d’un transport de plus en plus facile ; déjà, de Dakar ou de Saint-Louis, le sel commence à pénétrer jusqu’au grand fleuve ; les noirs hésitent encore un peu à acheter un produit qui ne se présente pas sous l’aspect traditionnel, mais la différence de prix assurera rapidement le triomphe du sel sénégalais et d’ici quelques années, les grandes caravanes de Taoudenni ne seront plus qu’un souvenir.

Il ne faut pas d’ailleurs s’exagérer l’importance de ce ksar ; sur la foi des racontars indigènes, on lui attribuait 2000 habitants. D’après Cauvin [l. c., 553], Taoudenni est un village assez misérable, entouré d’un mur d’enceinte rectangulaire (120 m. sur 80 m.) en mauvais état, que ne défendent plus deux canons hors d’usage (Pl. XXXVII, phot. 71, 72) ; il n’y aurait que 150 à 200 habitants, 45 à 50 chefs de cases. Cortier [La Géographie, XIV, 1906, p. 327] donne un plan de Taoudenni.

Bou Djebeha (Pl. XXXVI, phot. 69) n’a que 40 cases ; il n’y a aucune culture, malgré 29 puits de profondeur médiocre. Araouan (Pl. XXXVI, phot. 70) paraît plus important (1000 h. ?) Ce serait une très vieille ville, antérieure à Tombouctou[214]. Ces trois ksour ne vivent que du commerce du sel et paraissent appeler à une prompte disparition dont les causes seront purement économiques.

Bilma, à cause de son éloignement, est moins rapidement menacé que Taoudenni, mais perdra cependant une partie de sa clientèle : la région de Tahoua est trop près du Niger pour ne pas lui échapper.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXXVI.

Cliché Cauvin

69. — LE KSAR DE BOU DJEBIHA.

Cliché Cauvin

70. — LE KSAR D’ARAOUAN.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXXVII.

Cliché Cauvin

71. — VUE D’ENSEMBLE DU KSAR DE TAOUDENNI.

Cliché Cauvin

72. — UNE PLACE, A TAOUDENNI.

R. Chudeau. — Sahara Soudanais. Pl. XXXVIII.

Cliché Cauvin

73. — LE VILLAGE D’AGORGOTT, PRÈS TAOUDENNI.

Cliché Posth

74. — UNE CARAVANE APPORTANT LE MIL DANS LE POSTE DE TINCHAMANE.

Au fond, le minaret d’Agadez.

L’avenir. — Évidemment les choses humaines finissent toujours[299] par se tasser, mais la crise sera dure, et toute cause d’appauvrissement de peuplades naturellement turbulentes constitue un danger pour la paix.

Sur les bords du Niger, l’agriculture se développe très rapidement et il faudra encore de longues années pour que tous les terrains exploitables soient mis en valeur ; l’avenir de l’élevage est aussi assuré dans ces régions.

Plus au nord, de même qu’entre le Niger et le Tchad, la situation se présente moins bien ; les cultures de l’Adr’ar’ des Ifor’as, celles de l’Ahaggar et aussi celles de l’Aïr peuvent devenir plus étendues, mais l’extension possible semble assez limitée ; les oasis de l’archipel touatien peuvent, en utilisant mieux leurs foggaras, en améliorant leurs procédés de cultures, en introduisant peut-être quelques plantes nouvelles, accroître légèrement leurs ressources. Il leur est dès maintenant difficile de mettre en valeur de nouvelles surfaces.

Il semble douteux que le Sahara central puisse jamais vivre sans les ressources étrangères qu’il puisait autrefois dans les pillages et dans la location de ses chameaux aux caravanes. Cette seconde ressource est la seule à encourager ; pendant quelques années encore, la voie du désert sera la moins coûteuse pour la région de Zinder et du Tchad, et il est à souhaiter que l’on arrive à détourner vers Gabès ou l’Algérie le trafic qui part actuellement de Malte et de Tripoli.

Ce trafic n’est pas considérable, mais il mérite cependant d’attirer l’attention.

Cette route de la Méditerranée au Centre africain par R’at et l’Aïr est encore assez vivante, et pour détourner une partie de son trafic vers l’Algérie et la Tunisie, le Tidikelt n’aurait qu’à reprendre ses anciennes traditions ; ce n’est que depuis le milieu du siècle dernier qu’il a abandonné cette route aux Azdjer.

L’abandon n’a d’ailleurs jamais été complet, et, chaque année, quelques indigènes du Tidikelt vont encore dans l’Aïr : mais le trafic est insignifiant et il ne passait guère qu’une dizaine de chameaux par an, ces années dernières. Il y avait encore, en 1905, dans le Damergou, à Djadjidouna, un habitant d’In Salah qui leur servait de dépositaire.

Il serait intéressant, maintenant que notre domination assure aux routes de l’Ahaggar une grande sécurité, de chercher à rendre un peu de vie à ces régions. Le regretté Dr Decorse, qui connaissait bien le Soudan, a posé nettement la question et le capitaine Dinaux en a fait une étude précise.

De Tripoli à Iférouane, il y a 1900 kilomètres ; R’at, situé à moitié[300] route, fréquenté par les Azdjer, est un bon centre de ravitaillement où l’on est sûr de trouver des chameaux à louer.

Comme point de départ, Gabès paraît aussi bien situé que Tripoli ; la ligne Gabès, Ouargla, In Salah, fréquentée par les Chaambas et les nomades du Tidikelt, est suffisamment riche en eau, pour des caravanes même importantes ; d’In Salah à l’Aïr, les chameaux des Touaregs de l’Ahaggar pourraient facilement assurer le transport ; il y a malheureusement par cette voie 2500 kilomètres de la Méditerranée à Iférouane et il n’est pas certain que la plus grande sécurité de la route compense suffisamment cette différence de 600 kilomètres. La chose mérite toutefois d’être tentée.

Il est d’ailleurs possible, en évitant le crochet d’In Azaoua, d’abréger un peu ce trajet ; il existe une route directe entre l’Ahaggar et Agadez par Izilek et la plaine de Talak. Izilek, qui a été reconnu récemment par le lieutenant Halphen, est un carrefour important ; une route, venant de Tîn Zaouaten (Adr’ar’ des Ifor’as), y passe et s’y bifurque sur In Azaoua et sur Iférouane. C’est d’ailleurs cette route directe de Tarahaouthaout à Talak que suivent les troupeaux de bœufs qui vont de l’Aïr à l’Ahaggar.

Une expérience intéressante a déjà été faite en avril 1905. Le poste d’Agadez a reçu à cette époque, par l’intermédiaire d’In Salah, du Sud algérien, 180 kilogrammes de marchandises. Le prix du transport d’Europe à la capitale de l’Aïr, a été inférieur à 125 francs les 100 kilogrammes ; d’Agadez à Zinder il faut compter une trentaine de francs en plus. Par la voie du Sénégal et du Niger, le prix du transport de France à Niamey d’un quintal était de 131 francs ; de Niamey à Zinder il reste encore 800 kilomètres de voie de terre, soit une soixantaine de francs.

Malgré les meilleures conditions que les voyages du Mage à Ansongo assurent sur le Niger, il est bien probable que les transports pour Zinder par le Sahara sont un peu moins coûteux que par le Sénégal. Pour l’Aïr et Agadez, l’économie n’est pas douteuse et la voie est plus rapide.

Ces expériences ont d’ailleurs été continuées, et dans le but de chercher à renouer les anciennes relations commerciales avec le Soudan, des facilités avaient été consenties à quelques indigènes du Tidikelt. Les premiers d’entre eux sont rentrés à In Salah en août 1908, très satisfaits de leur voyage.

Tous les caravaniers interrogés à Zinder ou à Agadez, aussi bien qu’au Tidikelt, les commerçants indigènes de R’adamés comme ceux du Sud tunisien et les Européens, déjà assez nombreux, qui connaissent[301] le pays sont d’accord sur un point important : seuls les méharistes français peuvent actuellement assurer au Sahara et aux voies caravanières une sécurité satisfaisante ; tous les nomades préfèrent circuler, avec leurs marchandises, en territoires français. Les Tadjakant de Taoudenni ont déjà demandé que l’action de nos colonnes soit plus énergique dans le Sahara occidental.

Cette unanimité s’est déjà traduite par des faits ; depuis quelque temps, il est arrivé chaque mois à Gabès pour 30000 ou 40000 francs de marchandises soudanaises, consistant surtout en peaux de filali, fort prisées en Afrique mineure, et en plumes d’autruches et ivoire qui intéressent le commerce européen. C’est là un symptôme de bon augure pour l’avenir de Gabès : les marchandises qui transitent par l’Aïr représentent annuellement 5 ou 6 millions, chiffre négligeable peut-être pour l’ensemble du commerce de la Tunisie, mais à coup sûr intéressant pour le port du sud de la Régence.

Il y a malheureusement encore un point noir ; les caravaniers ont trouvé à Gabès à peu près tous les produits européens dont ils avaient besoin et le plus souvent de marques françaises ; ils ont été moins heureux comme vendeurs. Ils ont eu quelque peine à écouler les produits du Soudan ; il ne semble pas que cette difficulté soit insoluble et l’on peut espérer que quelques Tunisiens, colons ou indigènes, au besoin même, quelques Français de la métropole, feront preuve d’une initiative égale à celle des nomades sahariens.

Il semble bien que la chose en vaille la peine ; les négociants anglais de Tripoli ont jugé ce commerce assez important pour organiser des transports maritimes directs de Tripoli à Lagos ; des entraves douanières cherchaient en même temps à restreindre les transports par le Sahara, au profit des cargo-boats.

Malgré tout, l’avenir du commerce saharien est extrêmement grêle ; dès maintenant on peut affirmer que les caravanes entre la Méditerranée et le bassin du Niger sont mortes ; l’achèvement de la ligne de Thiès à Kayes, en assurant en toutes saisons les transports entre l’Europe et le grand fleuve du Soudan, rendra toute tentative de résurrection impossible. Taoudenni n’a plus que quelques années à vivre, et les villages commerciaux qui, comme Araouan ou Bou Djebiha, ne sont que des relais sur la route de Tombouctou aux salines, subiront le même sort. Un projet de voie ferrée, d’Algérie au Niger, ne mérite même plus d’être discuté.

Les seules voies caravanières qui aient quelque chance de durée, et peut-être même d’accroissement, sont celles qui aboutissent aux régions de Zinder et du Tchad. Elles font actuellement environ[302] 5 ou 6 millions d’affaires ; ce n’est pas un chiffre colossal, et il ne semble pas que son accroissement puisse jamais devenir bien considérable ; les chemins de fer qui, du fond du golfe de Guinée, pénètrent de plus en plus dans les États haoussas leur feront une concurrence sévère.

Du Niger vers le Tchad, les transports se font à dos de chameaux ou à dos de bœufs ; déjà cependant, jusqu’à Matankari, on a pu employer des voitures et malgré le poids trop considérable des modèles officiels, ce mode de transport s’est montré moins coûteux. La traversée de l’Adr’ar’ de Tahoua arrête les charrettes ; il y aurait quelques travaux, assez sérieux, à faire pour permettre à des voitures de franchir les falaises des dallols ; mais depuis Guidambado jusqu’au Tchad et jusqu’au Kanem, sur plus de 800 kilomètres, la plaine est carrossable. Les animaux de trait ne manquent pas ; si les chevaux sont peu nombreux encore et un peu faibles, les chameaux et les bœufs abondent et l’expérience a montré qu’il était facile de les atteler.

Il semble donc que la concurrence des chemins de fer venant du sud, celle des charrois venant du Niger restreindront de plus eu plus le domaine, déjà limité, qui reste aux caravanes. L’Aïr avec 20000 habitants, Bilma avec 3000, l’Ahaggar avec 6000, échapperont longtemps encore aux autres modes de transport, mais cela est misérable. Quant au reste du Sahara, il est vide et sans avenir.

Quant à un chemin de fer transsaharien aboutissant aux États haoussas ou bornouans, son utilité économique paraît bien douteuse, à moins, peut-être, que l’on n’y voit qu’un premier tronçon d’un transafricain, entrant en lutte avec la voie du Cap au Caire qui est probablement un peu trop excentrique. Un projet aussi gigantesque pourra être intéressant dans un avenir lointain.

[200]L’extraction de l’or est plus active dans l’Afrique occidentale française que ne l’indiquent les statistiques ; une partie de ce produit, facile à dissimuler, sort en contrebande.

[201]Flye Sainte-Marie, Bull. Soc. Géogr. d’Oran, XXIV, 1904. — Ct Gadel, Notes sur l’Aïr, in Bull. de la Soc. de Géog. de l’A. O. F., p. 28-52, Dakar, 1907. — Cne Dinaux, Rapport de tournée. Renseignements coloniaux et documents publiés par le Comité de l’Afrique française, XVII, p. 65-69, 1907. — Cne Métois, Aïn-Salah et ses dépendances, in Annales de Géographie, 15 juillet 1907.

[202]Flye Sainte-Marie, Bull. Afrique française, Renseignements coloniaux et documents, XV, 1905, p. 381-406. — Laperrine, id., XVII, p. 77-90. — Cortier, La Géographie, XIV, 15 déc. 1906. — Nieger, La Géographie, XVI, déc. 1907.

[203]Ce rezzou, qui s’est heurté à un fort parti de Reguibat à 23 jours à l’ouest de Tombouctou, est un bel exemple, malgré sa fin malheureuse, de ce que peut donner une troupe de méharistes professionnels. On en trouvera le détail dans Dinaux [Renseignements publiés par le Comité de l’Afrique française, avril 1908, p. 108] et Cortier [D’une rive..., 1908, p. 112].

[204]Mangin, La Géographie, XV, 1907 ; — La Dépêche Coloniale, 8 avril 1907.

[205]Les engagements importants qui ont eu lieu ces derniers mois à l’Ouadaï, permettent d’espérer que cette irritante question sera bientôt liquidée (Bull. du Comité de l’Afrique française, nov. 1908, p. 380).

[206]Rabot, La Géographie, XVI, 1908, p. 407.

[207]La charge est de 150 kg. environ.

[208]Ayasse, Revue des troupes coloniales, juin 1907, p. 553.

[209]Cauvin, Bull. Soc. Géogr. Comm., XXX, 1908, p. 567.

[210]Les cotonnades européennes sont connues au Sahara sous le nom de malti.

[211]Ce nombre de charges est un minimum ; quelques-unes vont directement à Tahoua ; quelques autres, peut-être assez nombreuses, passent en contrebande.

[212]Le filali est une peau de mouton teinte en rouge Bordeaux par les fruits d’Acacia arabica ; l’industrie européenne n’arrive pas encore à produire cet article.

[213]Cauvin, Journal officiel du Haut-Sénégal et Niger, 1er mai 1907, Bull. Soc. Géogr. Com., XXX, sept., 1908,p. 555.

[214]Pichon, qui a visité Araouan et Bou Djebeha dès 1900, signale l’abondance des pâturages à Bou Djebeha qui aurait été fondé il y a cinquante ans. Quant à Araouan, ce n’est qu’un relai de caravanes ; ses nombreux puits (une centaine) donnent une eau très médiocre ; les pâturages manquent autour du ksar qui, d’après Pichon, n’aurait que deux siècles d’existence.


APPENDICES

[305]APPENDICE I

LA CARTOGRAPHIE DU SAHARA

Les cartes que l’on peut établir du Sahara ont encore un caractère provisoire. Les observations astronomiques sont encore clairsemées, surtout dans le Sahara soudanais : du nord au sud, elles forment trois bandes principales. Du Tidikelt et du Touat au Niger, on possède de bonnes séries de position dues à Villate [La Géographie, XII, 1905, p. 229, et XIII, 1906, p. 446], E.-F. Gautier [cf. t. I, p. 339], Cortier [D’une rive à l’autre du Sahara, p. 399] et Nieger [La Géographie, XVI, 1907, p. 364]. La route de la Méditerranée vers Zinder, par l’Aïr, a été repérée avec soin par Foureau [Doc. Sc., p. 45, 65]. Entre le Tchad, Bilma et la Tripolitaine, nous avons les observations de Monteil [De Saint-Louis à Tripoli par le Tchad]. De l’ouest à l’est, le cours du Niger a été relevé méthodiquement par diverses missions hydrographiques (Hourst, Mazeran, Le Blévec).

Entre le Niger et le Tchad, plusieurs commissions de délimitation [Moll, Tilho ; La Géographie, XIII, 1906, p. 214] ont fixé la position des principaux points.

Il subsiste cependant quelques divergences inadmissibles ; la longitude de Gao est 2°,5′ W. d’après Hourst et 2°,27′,33″ d’après Cortier : une erreur matérielle peut seule expliquer une semblable divergence.

Malgré ces quelques incertitudes, on peut considérer que, dans l’ensemble, assez de points sont déterminés avec précision pour que les itinéraires qui viennent s’y appuyer soient valables. Le réseau de ces itinéraires est à mailles encore larges, mais qui se resserrent rapidement.

L’hypsométrie est encore bien indécise. Elle repose sur des observations d’anéroïdes, plus rarement d’hypsomètres.

Les observations de Foureau [l. c., p. 157], dont le calcul a été fait par Angot, laissent une incertitude de ± 30 mètres [p. 97]. Les itinéraires de Voinot contiennent de nombreuses indications d’altitude qui peuvent inspirer une certaine confiance.

Dans l’esquisse hypsométrique, les courbes de 500 mètres et de 1000 mètres sont probablement à peu près exactes ; celle de 200 mètres est beaucoup plus douteuse.

La très grande activité déployée en ces dernières années par les officiers du Soudan et par ceux des Oasis est la cause des divergences, parfois[306] notables, qui existent entre les deux cartes que l’on trouvera à la fin de ce volume.

L’esquisse hypsométrique a été établie à la fin de 1907 ; l’esquisse géologique à la fin de 1908. Dans l’intervalle, de nombreux itinéraires ont été levés ou sont parvenus en Europe. Ces données nouvelles ont permis à Cortier de dresser au 1000000e une carte du Sahara méridional. Cette carte est encore inédite ; on en trouvera une réduction dans l’Année Cartographique [18me année, 1908] au 5000000e. Grâce à l’obligeance de Cortier et du Service Géographique du Ministère des Colonies, j’ai pu profiter largement de ce travail pour le dessin de l’esquisse géologique qui, j’espère, donnera, au point de vue hydrographique surtout, des renseignements exacts : entre Gao et l’Aïr surtout, il a fallu modifier profondément le tracé des cours d’eau.

Pour placer les teintes géologiques, j’ai dû recourir à des indications de valeur très inégale. Les itinéraires de Gautier et les miens m’ont naturellement servi de base ; les profils géologiques de la planche hors texte indiqueront suffisamment quelles routes nous avons suivies. J’ai puisé de nombreux renseignements dans Foureau [Doc. Sc., p. 576-696 et Pl. XI] qui, de Tir’ammar à Zinder, a saisi en gros le 6° Long. E. et de Zinder au Tchad, le 14° de Lat. N. — Mussel [Rens. Col. publiés par le Comité Afr. Fr., juin 1907] a fait le tour du tanezrouft d’Ouallen (In Zize, Guernen, Sounfat, Achourat, Taoudenni, Tin Haïa, Touat). Son travail m’a été d’autant plus utile que j’avais eu le plaisir de l’avoir pour compagnon de route dans l’Ahnet et que nous avions ainsi des points de comparaison communs.

Pour la région du Tchad, je dois beaucoup à Freydenberg et à Courtet qui, outre les renseignements que j’ai puisés dans leurs ouvrages, m’ont fourni de nombreuses indications verbales. J’ai emprunté à Hubert les tracés de l’Atacora et du plateau du Gourma.

A ces différents renseignements, qui ont permis de tracer un réseau à très larges mailles, sont venus s’ajouter ceux que l’on peut déduire des échantillons parvenus en Europe. Thévenin [Les fossiles de l’Afrique Centrale, Revue Coloniale, 1905, p. 655-667] et Lacroix [Résultats minéralogiques, etc., id., p. 129-139 et 205-223] ont résumé ce qui était connu il y a trois ans ; depuis les envois ont continué et j’ai pu, je crois, avoir connaissance de tout ce qui est arrivé du Soudan à l’École des Mines, au Muséum ou à la Sorbonne. J’en ai donné le détail dans le texte et les gîtes fossilifères ont été indiqués sur la carte.

Il aurait évidemment été prudent de ne mettre de couleur que le long des itinéraires et aux points d’où provenaient les fossiles. J’ai pensé toutefois que les rapports d’itinéraires, parfois même les renseignements indigènes, pouvaient permettre d’étendre les teintes de façon à donner une carte plus parlante et mettant mieux en évidence certains ensembles qui paraissent vraiment homogènes. Il sera facile, d’après ce qui vient d’être dit, de faire la part des faits positifs et des indications douteuses.

La question de l’orthographe des noms géographiques est partout difficile ; au Sahara et au Soudan, elle semble insoluble. Les Touaregs ont[307] bien une écriture, mais la langue est mal fixée et chacun écrit à sa fantaisie [Motylinski, Dictionnaire, p. 7]. Pour les langues du Soudan, il faut se fier à l’oreille et l’on sait quelles erreurs on commet ainsi. Quelques Haoussas et quelques Bornouans se servent de l’alphabet arabe, mais ils sont peu nombreux et ont de plus modifié la valeur de certaines lettres.

J’ai essayé, dans le texte, d’écrire toujours de la même façon les mêmes noms, en adoptant autant que possible l’orthographe de Motylinski, ou celle de Cortier, qui a pu être guidé par de Foucauld dans cette tâche difficile. On trouvera quelques divergences entre le texte et les cartes ; aucune d’entre elles n’est assez marquée pour rendre le nom méconnaissable.


[308]APPENDICE II

NOTES COMPLÉMENTAIRES SE RAPPORTANT AU TOME II, « SAHARA SOUDANAIS »

I

P. 213. — D’après R. Arnaud [Précis de politique musulmane, Alger, 1906, p. 88], en Mauritanie, le pouvoir serait détenu chez les hassanes (guerriers) par un cheick héréditaire, assisté d’une djmaa (conseil des notables) ; une des plus nobles familles a la garde héréditaire du tambour de guerre. Les notes inédites de Paul Blanchet et de A. Dereims montrent que ceci n’est pas général : chez certaines tribus, dans tout l’Adr’ar’ Tmar, tout au moins, le chef est, comme chez les Touaregs, élu par les notables qui doivent seulement le choisir dans une famille déterminée.

II

P. 228. — Voici, copiés sur le carnet de Dereims, les renseignements relatifs à ces ruines, renseignements donnés par Amar, vieux serviteur de Bou El Mogdad,

« A une distance de Oualata égale à celle de Jaïrinié[215] à Amzeggag (?), il y a deux villes en ruines ; elles sont bâties en pierres blanches, avec sculptures de grande taille. Autour de ces villes, il y a des tumuli que les fils d’Adam viennent visiter. — Il y aurait en cet endroit du sable blanc, du sable noir et du sable rouge que l’on tirerait de puits différents. »

[215]Jaïrinié est sur le littoral de Mauritanie, vers 17°,40′ Lat. N. Amzeggag n’est porté sur aucune carte, mais, d’après les indications complémentaires de A. Dereims, il s’agit d’une très courte distance.


[309]APPENDICE III

NOUVELLES NOTES COMPLÉMENTAIRES SE RAPPORTANT AU TOME I, « SAHARA ALGÉRIEN ».

I

P. 160. — A propos du « Sultan noir » qui aurait pris Béchar au XIIe s., M. Basset me communique une intéressante rectification : « Le Sultan noir est un héros légendaire qu’on personnifie tantôt dans un Almohade, tantôt dans un Mérinide, tantôt dans un Chérif. Ici ce serait Mouley ed Dehebi, qui n’a pu prendre Béchar au XIIe siècle puisqu’il vivait à la fin du XVIe. » Pour plus de détails voir : R. Basset, Nédromah et les Traras, 1901, appendice IV.

Nous saisissons sur le fait, une fois de plus, l’extrême incertitude des souvenirs indigènes.

II

P. 163. — A propos du mot ar’rem, M. Basset me fait observer qu’il est d’un usage courant dans le M’zab et à Ouargla, avec le sens de ksar. Il n’y a même qu’un synonyme, le mot taourirt, qui correspond d’ailleurs à une nuance peu différente de sens (Kalaa, ksar juché sur une éminence).

III

P. 164. — Au sujet de Sidi Beyazid el Bistami (alias de la ville de Bezdama), M. Basset, professeur d’arabe à l’école des Lettres d’Alger, me communique les observations suivantes :

Sur Beyazid el Bistami, on trouvera des renseignements détaillés dans :

Tadhkirat u’l Awliyá (commémoration des Saints), texte persan publié par Nicholson. T. I, Londres, 1905, in-8o, p. 134-179 ;

Djami, Nefahat el Ous (notice par de Sacy, Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, t. XII, Paris, 1831, p. 404) ;

Nicholson, an historical inquiry concerning the origine and developments of Sufism (Journal of the Royal Asiatic Society, 1906, 2e trimestre).

[310]Beyazid a vécu au IIIe siècle de l’hégire en Orient ; il n’est jamais venu au Maghreb. Il faut noter, d’autre part, que Ibn Khaldoun ne prononce pas son nom à propos des Beni Goumi, dont il parle longuement.

Il est donc évident que les Beni Goumi, se plaçant sous l’invocation de ce saint, ont voulu se rattacher à lui par une légende inventée de toutes pièces. Et il est probable que les origines de cette légende remontent aux environs du XVIe siècle, à l’époque des prédications maraboutiques.

E. F. G.

IV

P. 262-264. — Fr. Coello [Conocimientos que se tenian del Sahara occidental antes de la expedicion (de Cervera et de Quiroga), Rev. de Geografia comercial, 15 déc. 1886, p. 70] a indiqué que l’influence des Maures chassés d’Espagne s’était fait sentir jusqu’à Chinguetti, où les études littéraires étaient encore en grand honneur. Les traditions recueillies en 1900 par Paul Blanchet et A. Dereims pendant leur séjour à Atar confirment pleinement l’indication de Coello. Beaucoup d’habitants de Chinguetti conservent encore la clef de la maison que leurs ancêtres possédaient à Grenade ; ils sont en état de fournir des détails sur les principaux monuments et la topographie de la ville qu’ils ont perdue.

Blanchet, qui savait bien l’arabe, avait été frappé de la pureté de la langue qu’emploient les Maures des bonnes familles d’Atar.

R. Chudeau.


[311]INDEX DES TOMES I ET II


Les chiffres romains renvoient au tome (I : Sahara algérien ; II : Sahara soudanais).