The Project Gutenberg eBook of Histoire du Bas-Empire. Tome 04

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Title: Histoire du Bas-Empire. Tome 04

Author: Charles Le Beau

Release date: August 21, 2024 [eBook #74290]

Language: French

Original publication: Paris: F. Didot

Credits: Brian Wilson, MFR, Pierre Lacaze and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was produced from images made available by the HathiTrust Digital Library.)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU BAS-EMPIRE. TOME 04 ***

HISTOIRE
DU
BAS-EMPIRE.

TOME IV.


A PARIS,

CHEZ
FIRMIN DIDOT PÈRE ET FILS, Libraires, rue Jacob, nº 24;
LEQUIEN, Libraire, rue des Noyers, nº 45; BOSSANGE PÈRE, Libraire, rue de Richelieu, nº 60;
VERDIÈRE, Libraire, quai des Augustins, nº 25.


HISTOIRE
DU
BAS-EMPIRE,

PAR LEBEAU.

NOUVELLE ÉDITION

REVUE ENTIÈREMENT CORRIGÉE, ET AUGMENTÉE D'APRÈS LES HISTORIENS ORIENTAUX,

PAR M. DE SAINT-MARTIN,

MEMBRE DE L'INSTITUT (ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET ΒELLES-LETTRES).

TOME IV.

PARIS,

DE L'IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT,

IMPRIMEUR DU ROI ET DE L'INSTITUT, RUE JACOB, nº 24.

M. DCCC. XXIV.


[Pg 1]

HISTOIRE

DU

BAS-EMPIRE.


LIVRE XIX.

I. Complots formés contre Valens. II. Devins consultés pour savoir quel sera son successeur. III. Caractère de Théodore. IV. Découverte de cette intrigue. V. Théodore est arrêté. VI. Punition de quelques conjurés. VII. Interrogatoire de Théodore et des principaux complices. VIII. Leur supplice. IX. Funeste crédit de Palladius et d'Héliodore. X. Histoire d'Héliodore. XI. Innocents condamnés. XII. Funérailles d'Héliodore. XIII. Persécution excitée contre les philosophes. XIV. Cruautés de Festus. XV. Mort du philosophe Maxime. XVI. Para roi d'Arménie, attiré à Tarse. XVII. Para s'échappe. XVIII. Il regagne l'Arménie. XIX. Il est assassiné. XX. Négociations avec Sapor. [XXI. Varazdat est nommé roi d'Arménie par Valens.] XXII. Assassinat de Gabinius roi des Quades. XXIII. Les Quades vengent la mort de leur roi. XXIV. Le jeune Théodose repousse les Sarmates. XXV. Paix avec Macrianus. XXVI. Débordement du Tibre. XXVII. Lois de Valentinien. XXVIII. Saint-Ambroise évêque de Milan. XXIX. Valentinien marche en Pannonie. XXX. Il apprend les vexations de Probus. XXXI. Il ravage le pays des Quades. XXXII. Mort de Valentinien. XXXIII. Valentinien II empereur. XXXIV. Conduite de Gratien à l'égard de son frère. XXXV. Caractère de Gratien encore César. XXXVI. Qualités de Gratien empereur. XXXVII. Mort de Théodose. XXXVIII. Punition de Maximin.[Pg 2] XXXIX. Lois de Gratien. XL. Irruptions des Huns. XLI. Origine des Huns. XLII. Caractère et coutumes des Huns. XLIII. Idée générale de leur histoire. XLIV. Origine des Alains. XLV. Mœurs des Alains. XLVI. Les Huns passent en Europe. XLVII. Ils chassent les Ostrogoths. XLVIII. Défaite des Visigoths. XLIX. Les Goths s'assemblent sur les bords du Danube.

VALENTINIEN, VALENS, GRATIEN.

An 374.

I.

Complots formés contre Valens.

Amm. l. 29, c. 1.

Zon. l. 13, t. 2, p. 33.

La révolte de Firmus ne causait à Valentinien que de légères inquiétudes; il se reposait de la conservation de l'Afrique sur la capacité de Théodose. Mais son frère Valens vivait dans de perpétuelles alarmes: naturellement cruel et avare, il avait jusqu'alors forcé son caractère; enflé des médiocres avantages qu'il venait de remporter sur les Perses, il crut n'avoir plus besoin de se contraindre; ses courtisans avides, qu'il avait su retenir aussi-bien que ses vices, commencèrent à abuser de leur faveur pour ruiner les familles les plus opulentes. Ce prince environné de flatteurs qui fermaient tout accès aux plaintes et aux remontrances, plus obstiné dans sa colère lorsqu'elle était moins raisonnable, crédule aux rapports secrets, incapable par paresse d'examiner la vérité, et par orgueil de la reconnaître, ne lançait plus que des arrêts d'exil et de confiscation. Il se faisait un mérite d'être implacable, et il répétait souvent que quiconque s'apaise aisément s'écarte aisément de la justice. Plus de distinction entre l'innocent et le coupable; c'était par la sentence de condamnation que les objets de sa colère apprenaient[Pg 3] qu'ils étaient soupçonnés[1]; ils passaient en un instant, comme dans un songe, de l'opulence à la mendicité. Le trésor du prince engloutissait toutes les fortunes, pour les verser ensuite sur ses favoris; et ses largesses ne le rendaient pas moins odieux que ses rapines. Tant d'injustices excitèrent la haine; et la haine publique produisit les attentats. Il se formait sans cesse des conspirations contre Valens: un jour qu'il dormait tranquillement après son dîner, dans un de ses jardins entre Antioche et Séleucie, un de ses gardes, nommé Salluste, fut sur le point de le tuer; et ce prince ne fut sauvé de ce péril et de plusieurs autres, que par les décrets de la Providence qui l'avait condamné à périr de la main des Goths.

[1] Inexpiabile illud erat, quod regaliter turgidus, pari eodemque jure, nihil inter se distantibus meritis, nocentes innocentesque malignâ insectatione volucriter perurgebat: ut dum adhuc dubitaretur de crimine, imperatore non dubitante de pæna, damnatos se quidam priùs discerent quam suspectos. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

II.

Devins consultés pour savoir quel sera son successeur.

Amm. l. 29, c. 1 et 2.

Liban. or. 26, t. 2, p. 602.

Zos. l. 4, c. 13-15.

Greg. Naz. ep. 137, 138, t. 1, p. 864 et 865.

Chrysost. ad vid. Jun. t. 1. p. 343 et 344, et orat. 3 cont.

Anom. p. 470.

Socr. l. 4, c. 19.

Soz. l. 6, c. 35.

Philost. l. 9, c. 15.

Zon. l. 13, t. 2, p. 32.

Cedr. t. 1, p. 313.

La même impatience qui faisait naître contre lui tant de complots, excita quelques visionnaires à rechercher quel serait son successeur. Fidustius, Irénée et Pergamius, tous trois d'un rang distingué, s'adressèrent pour cet effet à deux devins célèbres, nommés Hilaire et Patricius[2]. Je n'exposerai pas ici les ridicules cérémonies que ces devins pratiquèrent[3], et dont on prétend qu'ils firent eux-mêmes le détail dans leur interrogatoire.[Pg 4] Il suffira de dire qu'ayant gravé autour d'un bassin les caractères de l'alphabet grec, ils suspendirent au-dessus un anneau enchanté, qui, par ses vibrations diverses, marqua les lettres, dont l'assemblage formait la réponse de l'oracle. Elle était conçue en vers héroïques, et signifiait que le successeur de Valens serait un prince accompli; que leur curiosité leur serait funeste; mais que leurs meurtriers éprouveraient eux-mêmes la vengeance des dieux, et périraient par le feu dans les plaines de Mimas[4]. Comme l'oracle ne s'était exprimé sur le prince futur qu'en des termes généraux, on demanda quel était son nom. Alors l'anneau ayant frappé successivement sur ces lettres THEOD, un des assistants s'écria que les dieux désignaient Théodore. Tous les autres furent du même avis; et la chose parut si évidente, qu'on s'en tint là sans pousser plus loin la recherche. Il faut avouer que si ce récit était vrai dans toutes ses circonstances, jamais l'art magique n'aurait enfanté une prédiction plus juste ni plus précise; c'est ce qui doit en faire douter. En effet, les auteurs ne s'accordent pas sur le moyen qui fut employé: les uns disent qu'on fit usage de la nécromancie; quelques-uns racontent qu'on traça sur la terre un grand cercle, autour duquel on marqua, à distances égales, les lettres de l'alphabet; qu'on les couvrit ensuite de blé, et qu'un coq placé au centre du cercle avec des cérémonies mystérieuses, alla choisir les grains de blé semés sur les lettres que nous venons de dire.

[2] On apprend de deux fragments d'Eunapius, insérés dans le lexique de Suidas, sous les noms de ces deux personnages, que le premier était Phrygien et le dernier Lydien. Zosime en dit autant, l. 4, c. 15. Le même auteur leur joint un certain Andronicus de Carie, qu'il qualifie aussi du nom de philosophe. Presque tous les philosophes de cette époque se mêlaient de magie et de divination.—S.-M.

[3] Ammien Marcellin en donne longuement le détail, l. 29, c. 1, d'après les dépositions d'un des accusés.—S.-M.

[4] Ces vers qui sont en grec, et qui paraissent bien avoir été supposés après coup, se trouvent dans Ammien Marcellin, l. 29, c. 1.—S.-M.

III.

Caractère de Théodore.

Ce Théodore en faveur duquel on était si fortement[Pg 5] prévenu, était né en Gaule, d'autres disent en Sicile, d'une famille ancienne et illustre. Une éducation brillante avait perfectionné ses talents naturels, et les graces de l'extérieur y ajoutaient un nouvel éclat: ferme et prudent, bienfaisant et judicieux, modeste et savant dans les lettres, il était chéri du peuple, respecté des grands, considéré de l'empereur; et quoiqu'il ne tînt que le second rang entre les secrétaires du prince, il était presque le seul qui fût assez courageux pour lui parler avec franchise, et assez habile pour s'en faire écouter. Eusérius, qui avait été vicaire d'Asie, et qui était dans le secret de la consultation, l'instruisit des prétendus desseins du ciel sur sa personne. Une tentation si délicate fit connaître que sa vertu n'était pas à l'épreuve de l'ambition. Théodore se sentit flatté, et aussitôt il devint criminel: il écrivit à Hilaire qu'il acceptait le présent des dieux, et qu'il n'attendait que l'occasion de remplir sa destinée.

IV.

Découverte de cette intrigue.

Il n'en eut pas le temps; la conspiration où l'on avait déja engagé un grand nombre de personnes considérables, fut découverte par un accident imprévu: Fortunatianus, intendant du domaine[5], poursuivait deux de ses commis[6], coupables d'avoir détourné les deniers du prince. Procope, ardent délateur, les accusa d'avoir voulu se tirer d'embarras, en faisant périr Fortunatianus, et de s'être adressés, pour cet effet, à un empoisonneur nommé Palladius, et à l'astrologue Héliodore[7]. L'intendant du domaine fit aussitôt saisir Héliodore et Palladius,[Pg 6] et les mit entre les mains de Modestus, préfet du prétoire. Dans les tourments de la question, ils s'écrièrent qu'on avait tort d'employer tant de rigueurs pour éclaircir un fait si peu important; que si on voulait les écouter, ils révéleraient des secrets d'une toute autre conséquence, et qui n'allaient à rien moins qu'au renversement général de l'état. A cette parole on suspendit les tourments, on leur ordonna de dire ce qu'ils savaient: ils étaient instruits de la conspiration, et ils en exposèrent toute l'histoire. On leur confronta Fidustius, qui avoua tout; Eusérius fut mis en prison. On informa le prince de cette découverte; les courtisans, et surtout Modestus, s'empressaient à l'envie d'exagérer le péril et d'enflammer la colère du souverain; et comme il paraissait dangereux de faire arrêter tant de personnes, dont plusieurs avaient un grand crédit, le préfet, flatteur outré et impudent, élevant sa voix: Et quel pouvoir, dit-il, peut résister à l'empereur? il pourrait, s'il l'avait entrepris, faire descendre les astres du ciel, et les obliger de comparaître à ses pieds[8]. Cette hyperbole insensée ne révolta nullement l'imbécile vanité de Valens.

[5] C'est-à-dire qu'il était Comes rerum privatarum ou Comes rei privatæ. Ce Fortunatianus avait été très-lié avec Libanius, comme on le voit par les lettres de ce dernier.—S.-M.

[6] C'étaient deux officiers du palais palatini, appelés Anatolius et Spudasius.—S.-M.

[7] Fatorum per genituras interpres. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

[8] Ad extollendam ejus vanitiem sidera quoque, si jussisset, exhiberi posse promittens. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

V.

Théodore est arrêté.

On envoya en diligence à Constantinople pour enlever Théodore, qu'une affaire particulière y avait rappelé. En attendant son retour, on passait les jours et les nuits à interroger les complices qui se trouvaient dans Antioche; et sur leurs dépositions, on dépêchait de toutes parts jusque dans les provinces les plus éloignées, pour saisir les coupables et les amener à la cour. Plusieurs d'entre eux étaient distingués par[Pg 7] leur noblesse et par leurs emplois. Les prisons publiques, et même les maisons particulières, étaient remplies de criminels, chargés de fers, tremblants pour eux-mêmes, et plus encore pour leurs parents et leurs amis dont ils ignoraient le sort. Théodore arriva: comme on appréhendait quelque violence de ses partisans, on le fit garder dans un château écarté sur le territoire d'Antioche. Sa disgrace avait du premier coup abattu son courage; et son ame qui avait paru si ferme à la cour, ne se trouva pas d'une trempe assez forte pour se soutenir à la vue d'une mort prochaine qu'il avait méritée.

VI.

Punition de quelques conjurés.

Valens forma un tribunal composé de grands officiers, auxquels présidaient le préfet du prétoire. On donnait alors la question aux criminels dans la salle même de l'audience, en présence de tous les juges. Quand les bourreaux eurent étalé à leurs yeux les instruments des diverses tortures, on fit entrer Pergamius. C'était un homme éloquent et hardi; mais sentant bien qu'il ne pouvait éviter la mort, au lieu de nier son crime et de désavouer ses complices, il prit une voie toute contraire; et soit pour effrayer Valens, soit pour prolonger sa vie, il n'attendit pas les interrogations des juges qui paraissaient embarrassés, et dénonça des milliers de complices, nommant avec une volubilité incroyable tout ce qu'il connaissait de Romains dans toute l'étendue de l'empire; il demandait qu'on les fît tous venir, et promettait de les convaincre. Une pareille déposition devenant inutile par l'impossibilité d'en éclaircir la vérité, on lui imposa silence pour lui prononcer son jugement, qui fut sur-le-champ exécuté. Après qu'on en eut fait mourir plusieurs[Pg 8] autres que l'histoire ne nomme pas, on envoya chercher dans la prison Salia, qui avait été peu de temps auparavant trésorier général de la Thrace[9]. Mais pendant que ses gardes le détachaient pour le faire sortir du cachot, frappé d'effroi comme d'un coup de foudre, il expira entre leurs bras. On introduisit ensuite Patricius et Hilaire; on leur ordonna de faire le détail de leur procédé magique: comme ils hésitaient d'abord, on leur fit sentir les ongles de fer, et on les força ainsi d'exposer toutes les circonstances de la consultation; ils ajoutèrent, par amitié pour Théodore, qu'il ignorait tout ce qui s'était passé. Ils furent mis à mort séparément.

[9] C'est-à-dire Receveur-général de la Thrace. Salia, thesaurorum paulo antè per Thracias Comes. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

VII.

Interrogatoire de Théodore et des principaux complices.

Ces supplices n'étaient que le prélude de la principale exécution. On fit enfin comparaître ensemble tous les conjurés distingués par des emplois et des titres d'honneur. A la tête des coupables étaient Théodore, portant sur son visage tous les signes d'une profonde douleur. Ayant obtenu la permission de parler, il en usa d'abord pour demander grace par les plus humbles supplications; le président l'interrompit, en lui disant qu'il était question de réponses précises, et non pas de prières. Théodore déclara qu'ayant appris d'Eusérius la prédiction qui faisait son crime, il avait plusieurs fois voulu en informer l'empereur; mais que le même Eusérius l'en avait toujours détourné, sous prétexte que cette prédiction n'annonçait qu'une destination innocente, et qu'il parviendrait à l'empire par l'effet d'un accident inévitable, auquel il n'aurait lui-même aucune part. Eusérius, appliqué à une question[Pg 9] cruelle, s'accordait parfaitement avec Théodore; mais la lettre écrite à Hilaire les démentait tous deux. Tous les autres, entre lesquels étaient Fidustius et Irénée, furent interrogés et convaincus. Eutrope, alors proconsul d'Asie, le même dont nous avons un abrégé de l'histoire romaine[10], et dont saint Grégoire de Nazianze parle avec éloge[11], quoiqu'il fût païen, avait été injustement confondu avec les conjurés. L'envie attachée au mérite avait saisi cette occasion de le perdre; il fut redevable de sa conservation au philosophe Pasiphile, qui résista constamment à toute la violence des tortures, par lesquelles on s'efforçait de lui arracher un faux témoignage. Un autre philosophe, nommé Simonide, signala sa hardiesse: il était encore fort jeune, mais déja célèbre par l'austérité de ses mœurs[12]. On l'accusait d'avoir été instruit de toute l'intrigue par Fidustius; il en convint, et ajouta qu'il savait mourir, mais qu'il ne savait pas trahir un secret. Fidélité louable, si elle n'eût pas été employée à favoriser un crime.

[10] Eutropius Asiam proconsulari tunc obtinens potestate. Amm. Marc. l. 29, c. 1. Festus qui avait tenté de le faire périr le remplaça dans sa magistrature (voyez ci-après, § 14, p. 16). Il fut préfet du prétoire en 380 et en 381, et consul en 387, sous le règne de Théodose-le-Grand.—S.-M.

[11] Ce saint personnage lui avait eu de grandes obligations pendant sa préfecture d'Asie; il nous reste deux lettres qu'il lui adressa et dans l'une desquelles il l'appelle le grand Eutrope, Εὐτρόπιος ὁ μέγας.—S.-M.

[12] Adolescens ille quidem, verum nostrâ memoriâ severissimus. Amm. Marc. l. 29, c. 1.—S.-M.

VIII.

Leur supplice.

Le tribunal ayant envoyé toutes les dépositions à l'empereur, le pria de prononcer sur la punition. Il condamna tous les accusés à perdre la tête; le seul Simonide, dont l'intrépidité lui parut une insulte, fut destiné à un supplice plus rigoureux; Valens ordonna qu'il fût brûlé vif. Ils furent tous exécutés dans la place publique d'Antioche, à la vue d'une multitude innombrable,[Pg 10] qui oublia leur crime pour s'attendrir sur leur supplice. La haine qu'on avait conçue contre l'empereur, leur tint lieu d'apologie; et le peuple voulut croire qu'entre ceux qui périrent alors, l'avarice du prince avait enveloppé un grand nombre d'innocents. La constance de Simonide rendit encore l'exécution plus odieuse: il se laissa dévorer par les flammes sans pousser aucun soupir, sans changer de contenance[13], et renouvela le spectacle de cette effrayante fermeté, dont le philosophe Pérégrinus avait fait volontairement parade sous le règne de Marc-Aurèle. La femme de Théodore, qui égalait son mari en noblesse, dépouillée de ses biens, fut réduite à vivre en servitude; n'ayant sur les femmes nées dans l'esclavage que le triste privilège de tirer des larmes à ceux qui, en la voyant, se rappelaient sa fortune passée.

[13] «Fuyant la vie comme une maîtresse furieuse, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 1, il mourut en riant». Qui vitam, ut dominam fugitans rabidam, ridens subitas momentorum ruinas, immobilis conflagravit. Il est bien difficile ici comme en beaucoup d'autres endroits de rendre exactement les expressions recherchées de l'auteur latin.—S.-M.

IX.

Funeste crédit de Palladius et d'Héliodore.

Les bons princes sont sévères par nécessité, et indulgents par caractère; leur penchant naturel les ramène promptement à ces sentiments de douceur, qui font autant leur félicité que celle de leurs sujets. Mais Valens ne se lassa point de punir; il ouvrit son cœur à tous les soupçons, ses oreilles à tous les délateurs; et pendant quatre années, il ne cessa de frapper, jusqu'à ce que les Goths, exécuteurs de la justice divine, l'appelérent lui-même au bruit de leurs armes, pour recevoir la punition de tant de cruautés. Palladius et Héliodore, qui n'avaient évité le supplice qu'en dénonçant les conjurés, s'autorisant du service qu'ils avaient rendu[Pg 11] à l'empereur, étaient devenus redoutables à tout l'empire: maîtres de la vie des plus grands seigneurs, ils les faisaient périr ou comme complices de la conjuration, ou comme coupables de magie, crime proscrit depuis long-temps, mais devenu irrémissible depuis qu'il avait donné naissance au dernier complot. Ils avaient imaginé un moyen infaillible de perdre ceux dont les richesses excitaient leur envie: après les avoir accusés, lorsqu'on allait par ordre du prince saisir leurs papiers, ils y faisaient glisser des pièces qui emportaient une condamnation inévitable. Ce cruel artifice fut répété tant de fois, et causa la perte de tant d'innocents, que plusieurs familles brûlèrent tout ce qu'elles avaient de papiers[14], aimant mieux perdre leurs titres que de s'exposer à périr avec eux.

[14] C'est principalement dans les provinces orientales que se firent ces recherches inquisitoriales. Inde factum est, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2, per Orientales provincias, ut omnes metu similium exurerent libraria omnia: tantus universos invaserat terror.—S.-M.

X.

Histoire d'Héliodore.

Héliodore était plus puissant et plus accrédité que Palladius, parce qu'il était encore plus fourbe et plus méchant[15]. Il avait été d'abord vendeur de marée[16]. Comme il passait par Corinthe, son hôte qui avait un procès, tomba malade, et le pria de se rendre pour lui à l'audience. Lorsqu'il eut entendu les avocats, il se persuada qu'il réussirait dans cette profession: il partagea son temps entre son commerce et l'étude des lois. La nature lui avait donné l'impudence, et ce talent suppléa à tous les autres. Il trouva assez de dupes pour faire une médiocre fortune. S'étant ensuite[Pg 12] adonné à l'astrologie[17], il s'attacha à la cour. Parvenu à la faveur du prince par la voie que nous avons racontée, les courtisans le comblaient de présents, et il les payait en accusations calomnieuses contre ceux qu'ils haïssaient. Sa table était somptueuse; il entretenait dans sa maison plusieurs concubines, auxquelles toutes les personnes en place se croyaient obligées de payer un tribut. Le grand-chambellan lui rendait de fréquentes visites de la part de l'empereur. Valens qui se piquait d'éloquence jusque dans ces cruelles sentences qu'il prononçait contre les innocents, s'adressait à Héliodore pour donner à son style le tour et les graces oratoires.

[15] Heliodorus, tartareus ille malorum omnium cum Palladio fabricator. Amm. Marc. l. 29, c. 2.—S.-M.

[16] Ἄνθρωπος δέ τις γάρου κάπηλος, καὶ τοῦτο ποιῶν διὰ τῆς θαλάττης, Ἡλιόδωρος ὄνομα αὐτῷ. Liban. or. 26, t. 2, p. 602.—S.-M.

[17] Il était ce que l'on appelait alors un mathématicien, mathematicus ut memorat vulgus, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2. Les mathématiciens de cette époque étaient des espèces de diseurs de bonne aventure.—S.-M.

XI.

Innocents condamnés.

Ces deux scélérats firent périr plus de noblesse, que n'en aurait détruit une maladie contagieuse. Diogène, ancien gouverneur de Bithynie, était noble[18], éloquent, chéri de tous par la douceur de ses mœurs, mais il était riche; il fut mis à mort. Alypius, autrefois vicaire des préfets dans la Grande-Bretagne, le même que Julien avait inutilement employé pour rebâtir le temple de Jérusalem[19], s'était retiré de la cour et des affaires. La calomnie vint l'arracher de sa retraite. On l'accusa de magie avec son fils Hiéroclès, dont la probité était connue. Le père fut condamné au bannissement et le fils à la mort. Comme on traînait celui-ci au supplice, tout le peuple d'Antioche courut au palais de l'empereur, et obtint par ses cris la grace de[Pg 13] ce jeune homme qui n'avait besoin que de justice. Bassianus, secrétaire de l'empereur[20], avait consulté les devins sur la grossesse de sa femme; on l'accusa d'avoir eu un objet de plus grande importance: les sollicitations empressées de ses parents lui sauvèrent la vie, mais ne purent lui conserver ses biens. Eusèbe et Hypatius, frères de l'impératrice Eusébia[21], et beaux-frères de Constance, n'avaient pas perdu depuis la mort de ce prince la considération qu'une si haute alliance leur avait procurée. Héliodore les accusa d'avoir porté leurs vues jusqu'à l'empire: il supposait une consultation de devins, et un voyage entrepris pour exciter une révolte: il prétendait même qu'Eusèbe s'était fait préparer les ornements impériaux. La colère de l'empereur s'alluma aussitôt, il ordonna l'information la plus rigoureuse; sur la requête d'Héliodore, il fit venir des provinces les plus éloignées une infinité de personnes. On mit en œuvre toutes les tortures; et quoiqu'une si dangereuse procédure n'eût servi qu'à faire éclater l'innocence d'Eusèbe et d'Hypatius, l'accusateur ne perdit rien de son crédit, et les accusés furent bannis. Il est vrai que cette injustice ne subsista pas long-temps. Ils regagnèrent Héliodore, et obtinrent leur rappel et la restitution de leurs biens.

[18] Vir nobili prosapiâ editus. Ammien Marcellin, l. 29, c. 1.—S.-M.

[19] Voyez t. 3. p. 46, note 2, liv. XIII, § 35.—S.-M.

[20] Notarius militans inter primos. Amm. Marc. l. 29, c. 2. Le même historien ajoute qu'il était d'une race illustre. Bassianus procerum genere natus. Ces mots ont fait croire qu'il pouvait être le fils de Bassianus César, beau-frère de Constantin. D'autres pensent qu'il était le même que Bassianus fils de Thalassius qui avait été préfet du prétoire d'Orient, et gendre d'Helpidius, qui obtint la même dignité. Cette dernière opinion est la plus vraisemblable.—S.-M.

[21] Ils avaient été consuls en 359. Voyez t. 2, p. 268, liv. X, § 45.—S.-M.

XII.

Funérailles d'Héliodore.

Peu de temps après, ce calomniateur, abhorré de tout l'empire, mais chéri de Valens, mourut de maladie,[Pg 14] ou peut-être par l'effet d'une vengeance secrète[22]. Valens inconsolable lui fit préparer de magnifiques funérailles. Il avait résolu de les honorer de sa présence; et il ne s'en dispensa que sur les prières réitérées de sa cour, qui sentait mieux que lui l'indécence de cette démarche: mais il voulut que les personnes titrées, et nommément les deux beaux-frères de Constance marchassent devant le convoi en habit de deuil, la tête et les pieds nus, les bras croisés sur la poitrine[23]. Cet avilissement de ce qu'il y avait de plus respectable dans l'empire déshonorait le prince, sans honorer la mémoire de cet indigne favori: mais c'était le caractère de Valens, ainsi que de toutes les ames faibles, de se livrer sans réserve à ceux qu'il aimait, et de n'observer à leur égard aucune règle de bienséance et de justice. On en vit dans le même temps un autre exemple[24]. Un tribun, nommé Pollentianus, très-méchant, mais très-aimé du prince, avait ouvert le ventre à une femme enceinte et vivante, pour évoquer les ombres des morts, et les consulter sur le successeur de Valens. Le fait était avéré par la confession même du coupable. L'empereur, qui venait de punir si rigoureusement cette curiosité dans des circonstances beaucoup moins atroces, ne permit pas de condamner[Pg 15] le tribun; et, malgré l'indignation des juges, il le laissa dans la possession paisible de ses biens et de son rang.

[22] Heliodoro, dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2, incertum morbo an quadam excogitata vi mortuo. Nolim dicere, utinam nec ipsa res loqueretur?—S.-M.

[23] Funus ejus per vespillones elatum pullati præcedere honorati complures, inter quos et fratres jussi sunt consulares.... Inter quos omnes adolescentiâ et virtutum pulchritudine commendabilis noster Hypatius præminebat. Amm. Marc. l. 29, c. 2. Flavius Hypatius fut préfet du prétoire d'Italie, en 382 et 383. Il joignit à cette dignité la préfecture de Rome.—S.-M.

[24] Ammien Marcellin l'appelle par ironie une des belles actions de Valens. Accesserat hoc quoque eodem tempore ad Valentis cæteras laudes, l. 29, c. 2.—S.-M.

XIII.

Persécution excitée contre les philosophes.

Amm. l. 29, c. 1 et 2.

Themist. or. 7, p. 99.

Eunap. in Max. t. 1, p. 62 et 63, ed. Boiss.

Liban. vit. t. 2, p. 52, 56 et 57.

Zos. l. 4, c. 15.

Socr. l. 4, c. 19.

Soz. l. 6, c. 35.

Zon. l. 13, t. 2, p. 33.

Suid. in Φῆστος.

Socrate, et d'après lui Sozomène, rapportent que Valens ordonna de mettre à mort tous ceux dont le nom commençait par les deux syllabes THEOD, et que pour éviter cette proscription, quantité de personnes changèrent de nom. Cet ordre cruel aurait inondé de sang tous les états de Valens: rien n'était plus commun que cette dénomination dans les noms d'étymologie grecque. Aussi les auteurs les plus dignes de foi épargnent à Valens ce trait d'inhumanité. Mais ils conviennent qu'il fit brûler tous les livres de magie, et qu'il persécuta vivement les philosophes, dont la science n'était alors qu'une cabale. Il en fut des livres comme des hommes: on en condamna aux flammes un grand nombre d'innocents, et cet incendie fit périr beaucoup d'ouvrages de littérature, de physique et de jurisprudence[25]. Les délateurs poursuivaient sans relâche les philosophes, et les livraient aux magistrats, qui les condamnaient sans connaissance de cause. Il y en eut qui s'empoisonnèrent pour se soustraire aux supplices[26]. Libanius échappa à la haine de Valens; et si on veut l'en croire, ce fut à la magie même qu'il fut redevable de n'être pas convaincu de magie. Le nom de philosophe était devenu si funeste, qu'on en évitait avec soin jusqu'à la moindre ressemblance dans les[Pg 16] habits. Comme on faisait dans toutes les provinces d'exactes recherches, on trouva entre les papiers d'un particulier l'horoscope d'un nommé Valens: et quoique celui à qui ils appartenaient, alléguât pour sa défense qu'il avait eu un frère de ce nom, et qu'il était en état de prouver que cet horoscope était celui de son frère, on le fit mourir sans vouloir l'entendre. Ce qui n'était que folie et faiblesse d'esprit devint un crime d'état. L'usage de ces remèdes extravagants, qui consistent en certaines paroles et en pratiques bizarres et ridicules, fut puni de mort. Festus, proconsul d'Asie, fit périr dans les plus grands tourments Céranius, Égyptien, philosophe célèbre[27]; parce que dans une lettre latine écrite à sa femme, il avait inséré du grec, que Festus n'entendait pas.

[25] Deinde congesti innumeri codices, et acervi voluminum multi sub conspectu judicum concremati sunt, ex domibus eruti variis ut illiciti, ad leniendam cæsorum invidiam: cùm essent plerique liberalium disciplinarum indices variarum et juris. Ammian. Marcell. l. 29, c. 1.—S.-M.

[26] Selon Zonare, l. 13, t. 2, p. 33, ce fut un philosophe nommé Iamblique qui se donna ainsi la mort. Il est probable que ce Iamblique est celui auquel Julien adressa plusieurs lettres qui existent encore.—S.-M.

[27] Philosophum quemdam Cœranium, haud exilis meriti virum. Amm. Marc. l. 29, c. 2. Il est aussi question de ce philosophe dans un fragment d'Eunapius, rapporté par Suidas: il nous apprend que Céranius était Égyptien.—S.-M.

XIV.

Cruautés de Festus.

Ce proconsul[28] était né à Trente [Tridentinum], d'une fort basse extraction. Devenu avocat, il se lia d'une amitié étroite avec Maximin[29], qui exerçait alors la même profession. Pendant que celui-ci s'avançait par ses intrigues à la cour de Valentinien, Festus passa en Orient, et s'attacha au service de Valens. Il fut gouverneur de Syrie[30], et secrétaire du prince pour l'expédition des brevets[31]. Dans ces deux emplois, il se fit aimer par sa douceur, et mérita avec l'estime publique la charge de proconsul d'Asie. Il était le premier[Pg 17] à blâmer la conduite injuste et cruelle de son ancien ami: mais la fortune de Maximin le piqua de jalousie, et étouffa dans son cœur tout sentiment d'honneur et de vertu. Voyant que ce méchant homme s'était élevé à la préfecture du prétoire à force de répandre du sang, il crut devoir tenir la même route pour parvenir à la même dignité. Changeant tout à coup de caractère, il devint violent, injuste, inhumain; et tandis que l'Italie et la Gaule gémissaient sous le gouvernement de Maximin, Festus, rival de ce tyran, désolait l'Asie par ses cruautés et ses injustices. C'est à lui qu'on attribue un sommaire fort court de l'histoire romaine, dédié à l'empereur Valens, aussi-bien qu'une description de la ville de Rome[32].

[28] Il se nommait Sextus Rufus Festus.—S.-M.

[29] Il paraît, d'après ce que dit Ammien Marcellin, l. 29, c. 2, qu'il était son parent, in nexum germanitatis a Maximino dilectus, ut sodalis et contogatus.—S.-M.

[30] Il avait occupé cette place en l'an 368.—S.-M.

[31] Il était magister memoriæ ou secrétaire intime.—S.-M.

[32] Ces deux ouvrages, presque sans importance, ont été imprimés plusieurs fois dès le quinzième siècle. La meilleure édition est celle qui a été donnée à Hanovre en 1815, 1 vol. in-8º, par M. Guill. Muennich.—S.-M.

XV.

Mort du philosophe Maxime.

Entre les innocents qu'il fit mourir, on ne peut compter le fameux Maxime[33], dont la mort ne parut injuste qu'aux zélés partisans de l'idolâtrie. Dès le commencement du règne des deux empereurs, cet imposteur, après avoir couru risque de la vie, avait obtenu la permission de retourner en Asie. Quoiqu'il n'éprouvât que des disgraces, il ne prit point de part à la révolte de Procope, et il essuya même à ce sujet une nouvelle persécution de la part des rebelles. Ennuyé d'une vie si misérable, il pria sa femme de lui apporter du poison: elle obéit, mais l'ayant elle-même avalé en sa présence, elle expira entre ses bras. Il aurait succombé à tant de malheurs, si Cléarque, alors proconsul[Pg 18] d'Asie, imbu de sa doctrine, ne se fût hautement déclaré son protecteur. La faveur de ce magistrat lui rendit son repos et son ancienne fortune. Il revint à Constantinople. Soupçonné d'être entré dans le complot de Théodore, il avoua qu'il avait eu connaissance de l'oracle, mais qu'il aurait cru déshonorer la philosophie, s'il eût révélé le secret de ses amis. Il fut, par ordre de l'empereur, transféré à Éphèse, sa patrie[34], où Festus lui fit trancher la tête. Ainsi fut vengé le sang de tant de chrétiens, que ce fanatique avait fait couler sous le règne de Julien, son admirateur et son disciple. Mais la religion chrétienne, instruite à ne se venger de ses plus mortels ennemis que par des bienfaits, n'eut aucune part à ce supplice. Elle n'entrait pour rien dans les conseils de l'ambitieux Festus, qui cinq ans après, ayant embrassé l'idolâtrie sans qu'on en puisse deviner la raison, tomba mort en sortant d'un temple[35].

[33] Ammien Marcellin en parle dans les termes les plus honorables. Maximus, dit-il, ille philosophus, vir ingenti nomine doctrinarum, cujus ex uberrimis sermonibus ad scientiam copiosus Julianus exstitit imperator. l. 29, c. 1.—S.-M.

[34] Il avait été amené à Antioche pour y être jugé: ὁ Μάξιμος συνηρπάσθη μὲν, καὶ εἰς τὴν Ἀντιόχειαν ἦλθεν, dit Eunapius, t. 1, p. 63, edit. Boiss.—S.-M.

[35] C'était un temple des Euménides. Eunapius, qui rapporte ce fait, est bien tenté de le présenter, comme un effet de la vengeance des dieux, et le juste châtiment de la mort de Maxime. Festus avait été destitué par Théodose, peu de temps après son avènement à l'empire. Il avait alors contracté un mariage riche, γάμον τυραννίδι πρέποντα, qui avait peut-être eu de l'influence sur son changement de religion. Eunap. in Max. t. 1, p. 64.—S.-M.

XVI.

Para, roi d'Arménie attiré à Tarse.

Amm. l. 30, c. 1.

Les soupçons de Valens, qui mettaient en deuil tant de familles, ne furent pas moins funestes au roi d'Arménie[36]. On persuada à l'empereur que Para continuait d'entretenir des intelligences secrètes avec les Perses: on lui dépeignait ce jeune prince comme un ingrat et un perfide[37]. Ce rapport était du moins hasardé.[Pg 19] On avait lieu de croire que Para, qui ignorait l'art de feindre, après avoir été quelque temps séduit par les artifices de Sapor[38], était revenu de son erreur, et il paraissait rentré de bonne foi dans le parti des Romains. Mais il avait un ennemi mortel dans la personne de Térentius, qui résidait alors en Arménie de la part de l'empereur[39]. Térentius, dont les écrivains ecclésiastiques font l'éloge[40], parce qu'il était fort attaché à la foi catholique, était d'ailleurs un esprit sombre, dangereux, ardent à semer la discorde[41]. Appuyé du témoignage de quelques seigneurs Arméniens, qui voulaient perdre leur prince, parce qu'ils l'avaient offensé[42], il ne cessait d'écrire à la cour, et de remettre sous les yeux la mort de Cylacès et d'Artabannès[43]. Ces impressions malignes firent leur effet sur Valens. Il manda le jeune monarque pour conférer avec lui sur des affaires pressées et importantes[44]. Para était imprudent par caractère autant que par jeunesse,[Pg 20] et jamais ses malheurs passés ne purent l'instruire à la défiance. Il partit avec trois cents cavaliers, et étant arrivé à Tarse, il y fut retenu sous divers prétextes[45]. On lui rendait tous les honneurs dus à sa dignité[46]; mais l'éloignement de la cour, et le profond silence qu'on gardait sur des affaires, qu'on lui avait annoncées comme pressantes[47], commençaient à lui donner de l'inquiétude, lorsqu'il apprit, par des avis secrets, que Térentius sollicitait vivement l'empereur d'envoyer au plus tôt un autre roi en Arménie[48]. Ce général faisait entendre à Valens que la nation détestait Para, et que, dans la crainte de retomber entre ses mains, elle était prête à se donner aux Perses[49].

[36] Dirum in Oriente committitur facinus, Para Armeniorum rege clandestinis insidiis obtruncato. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[37] Consarcinabant inhunc etiamtum adultum crimina quædam apud Valentem exaggerantes malè sollertes homines, dispendiis sæpè communibus pasti. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[38] Voyez tom. 3, p. 431 et suiv., liv. XVIII, § 32.—S.-M.

[39] Il était, comme on s'exprimait alors, duc d'Arménie, dux Armeniæ.—S.-M.

[40] S. Basile l'appelle (ep. 215, t. 3, p. 323) un homme admirable θαυμασιωτάτος ἄνηρ, ou bien (ep. 216, t. 3, p. 324) un homme excellent en tout, τὸν πάντα ἄριστον ἄνδρα Τερέντιον. Nous avons encore deux lettres de ce saint (ep. 99, t. 3, p. 193, et ep. 214, t. 3, p. 320) adressées à ce général, et où il ne le traite pas avec moins de bienveillance. Il en est de même de Théodoret dans son Histoire ecclésiastique (l. 4, c. 32).—S.-M.

[41] Le portrait qu'Ammien Marcellin fait de Térentius, l. 30, c. 1, est loin d'être flatteur. Inter quos erat, dit-il, Terentius dux demissè ambulans, semperque submœstus, sed quoad vixerat, acer dissensionum instinctor.—S.-M.

[42] Qui adscitis in societatem gentilibus paucis, ob flagitia sua suspensis in metum. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[43] Scribendo ad comitatum assiduè Cylacis necem replicabat et Artabannis. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[44] Unde quasi futurus particeps suscipiendi tunc pro instantium rerum ratione tractatus. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[45] Apud Tarsum Ciliciæ obsequiorum specie custoditus. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[46] Para regaliter vocatus, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 1.—S.-M.

[47] Nec urgentis adventus causam scire cunctis reticentibus posset. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[48] Tandem secretiore indicio comperit, per litteras Romano rectori suadere Terentium, mittere propediem alterum Armeniæ regem. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Il serait possible que Térentius ait voulu, vers cette époque, placer sur le trône d'Arménie un prince arsacide nommé Varazdat, qui, selon les historiens arméniens, était venu dans ce royaume dans le temps même de la captivité d'Arsace. Ce qui peut appuyer cette conjecture c'est que ce Varazdat, qui était, à ce qu'il paraît, frère naturel de Para, fut déclaré roi d'Arménie, peu après l'assassinat de ce prince.—S.-M.

[49] Ne odio Paræ speque quod revertetur, natio nobis opportuna deficeret ad jura Persarum, eam rapere vi vel metu vel adulatione flagrantium. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

XVII.

Para s'échappe.

Le jeune roi ouvrit alors les yeux sur le péril qui le menaçait[50]. Il rassembla ses trois cents cavaliers[51], tous bien montés et pleins de courage; et se mettant à leur tête, il sortit hardiment[52] de la ville vers la[Pg 21] fin du jour. L'officier chargé de la garde des portes[53], courut après lui à toute bride, et l'ayant atteint à quelque distance, le conjura de revenir. Pour toute réponse, on le menaça de le tuer, s'il ne se retirait à l'instant. Peu de temps après, Para se voyant poursuivi par une grande troupe de cavaliers, revint sur eux avec les plus braves de ses gens, et fit si bonne contenance, qu'ils n'osèrent hasarder une action, et le laissèrent librement continuer sa route. Après avoir marché deux jours et deux nuits par des chemins rudes et difficiles, sans prendre de repos, ils arrivèrent au bord de l'Euphrate. Comme ils ne trouvaient point de bateaux, et qu'ils ne pouvaient, sans s'exposer à une perte certaine, entreprendre de traverser à la nage un fleuve si large et si rapide[54], ils se crurent perdus sans ressource. Enfin on s'avisa d'un expédient. Ce pays était un vignoble; on y trouva quantité d'outres, dont on se servit pour soutenir des planches, sur lesquelles ils passèrent, tenant leurs chevaux par la bride. Quelques-uns traversèrent le fleuve sur leurs chevaux mêmes; et tous, avec un extrême danger, mais sans aucune perte, atteignirent l'autre bord. Ils s'y reposèrent quelques moments, et reprirent leur route avec encore plus de diligence.

[50] Quæ reputans, ille impendere sibi præsagiebat exitium grave. Ammien Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[51] Conglobatis trecentis comitibus secutis eum e patria. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[52] Audacter magis quàm consideratè. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[53] Ce n'est pas le gardien des portes de la ville, mais le gouverneur de la province qui courut après le roi, selon le récit d'Ammien Marcellin, l. 30, c. 1. Cumque eum provinciæ moderator, apparitoris qui portam tuebatur imparatus, festinato studio reperisset in suburbanis, ut remaneret enixius obsecrabat.—S.-M.

[54] Inopiâ navium voraginosum amnem vado transire non posset. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

XVIII.

Il regagne l'Arménie.

Valens, averti de l'évasion de Para, avait sur-le-champ dépêché le comte Daniel et Barzimer, tribun de la garde, avec mille hommes de cavalerie légère[55].[Pg 22] Comme le prince, ne connaissant pas le pays, perdait beaucoup de temps dans des détours inutiles[56], ceux-ci gagnèrent les devants par des routes abrégées. S'étant arrêtés dans un lieu où il n'y avait que deux passages éloignés d'une lieue l'un de l'autre[57], ils se partagèrent sur ces deux chemins chacun avec leur troupe. Un heureux hasard sauva le roi d'Arménie. Un voyageur ayant aperçu les cavaliers postés sur ces deux routes, passa pour les éviter au travers des buissons et des bruyères qui remplissaient l'intervalle, et rencontra les Arméniens. On le conduisit au roi, qu'il instruisit en secret de ce qu'il avait vu. Para le retint pour servir de guide; et sans faire connaître à ses gens le danger où ils étaient, il envoya séparément deux cavaliers, l'un à droite et l'autre à gauche, pour préparer sur les deux chemins des logements et des vivres. Un moment après il partit lui-même, guidé par le voyageur; et ayant fait passer ses gens à la file par un sentier étroit et fourré, il laissa l'embuscade derrière lui. Les Romains s'étant saisis des deux cavaliers, l'attendirent inutilement aux deux passages tout le reste du jour. Il eut le temps de gagner du pays, et arriva dans ses états, où il fut reçu avec une extrême joie[58]. Daniel et Barzimer retournèrent à Antioche, couverts de confusion[59]; et pour se défendre des railleries dont on les accablait, ils publièrent que Para était un enchanteur,[Pg 23] et qu'il s'était rendu invisible lui et sa troupe[60]. Ce conte absurde trouva croyance à la cour, entêtée pour lors de magie et de sortiléges.

[55] Le premier était comte et le second tribun des Scutaires. Cum sagittariis mille succinctis et levibus Danielum mittit et Barzimerem revocaturos eum, comitem unum, alterum Scutariorum tribunum. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[56] Ut peregrinus et insuetus mæandros faciebat et gyros. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[57] Vias proximas duas trium millium distinctas. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[58] Ille regno incolumis restitutus, et cum gaudio popularium summo susceptus. Amm. Marc. l. 30, c. 3.—S.-M.

[59] Pour se venger de la honte et du mépris que leur attira cette mésaventure, Daniel et Barzimer ne cessèrent de calomnier Para dans l'esprit de l'empereur, pour tâcher de le perdre. On pourrait donc croire d'après ce qu'en dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 1, qu'ils contribuèrent à décider l'empereur à ordonner le lâche assassinat, que l'on commit bientôt sur la personne du jeune roi d'Arménie. Ut hebetatæ, dit-il, primo appetitu venenatæ serpentes, ora exacuere letalia, cum primum potuissent, elapso pro virium copia nocituri. Et leniendi causâ flagitii sui, vel fraudis quam meliore consilio pertulerunt, apud imperatoris aures rumorum omnium tenacissimas incessebant falsis criminibus Param....—S.-M.

[60] Ammien Marcellin donne quelques détails, qui sont loin d'être clairs, sur la prétendue puissance magique du roi d'Arménie. Selon lui, Daniel et Barzimer accusaient ce prince de savoir, par des enchantements semblables à ceux de Circé, affaiblir et changer les corps d'une manière extraordinaire; ils ajoutaient que c'était en usant de semblables moyens qu'il leur avait échappé, en s'enveloppant d'un nuage et en prenant d'autres formes encore, et qu'il était à craindre qu'il ne causât d'autres maux, si on ne faisait aucune attention à son évasion. Apud imperatoris aures rumorum omnium tenacissimas incessebant falsis criminibus Param, incentiones Circeas in vertendis debilitandisque corporibus miris modis eum callere fingentes: addentesque quod hujusmodi artibus offusâ sibi caligine mutatus, vasorumque formâ transgressus, tristes sollicitudines, si huic irrisioni superfuerit, excitabit. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Il est difficile de se faire une idée juste de ce que cet auteur entend par les mots vasorum formâ transgressus; doit-on penser qu'il veut dire par là, que le roi d'Arménie avait échappé à ses ennemis sous la forme de vases, ou qu'à la faveur d'un nuage factice, on avait pu le prendre lui et les siens pour des bagages? Quoi qu'il en soit sur ce point, qui n'importe guère, on ne sera pas peu surpris de retrouver des récits à peu près semblables, et les mêmes imputations dans l'historien arménien Faustus de Byzance qui était contemporain (l. 4, c. 44, et l. 5, c. 22). Cet auteur prétend que c'était là un effet de la conduite criminelle de la reine Pharandsem, qui avait dévoué aux démons son fils naissant. Aussi, selon lui, ces démons agissaient-ils dans ce prince, et le dirigeaient-ils dans toutes ses actions. Il ajoute même qu'ils étaient visibles, et qu'ils sortaient des épaules de ce roi, lui environnant le cou de manière à épouvanter ceux qui étaient en sa présence, mais qu'ils disparaissaient aussitôt que le patriarche Nersès se montrait. Il en fut ainsi pendant toute la vie de Para; et c'est à cette obsession qu'il faut attribuer selon Faustus de Byzance toutes les mauvaises actions du jeune roi d'Arménie. Ces récits fabuleux, qui décèlent un ennemi de Para, et qui montrent que l'historien arménien était un fauteur secret des généraux romains qui tramaient la perte de Para, font cependant voir, en les rapprochant de ce que rapporte Ammien Marcellin, que ces bruits absurdes étaient réellement répandus à cette époque dans l'Arménie et dans l'empire.—S.-M.

[Pg 24]

XIX.

Il est assassiné.

[Amm. l. 30, c. 1.

Faust. Byz. l. 5, c. 32.

Mos. Chor. l. 3, c. 39.

Theod. l. 4, c. 32.]

Le roi d'Arménie, naturellement doux et paisible[61], dévora sans se plaindre l'injure qu'il avait reçue. Il demeurait fidèle aux Romains[62]. Mais Valens ne pouvait lui pardonner de s'être affranchi d'un indigne esclavage. Il se vengea par une horrible perfidie du mauvais succès de la première[63]. Le comte Trajan avait[Pg 25] succédé à Térentius. Celui-ci, à son retour d'Arménie[64], fit une action qui serait digne d'un héros du christianisme, et qui montre entre mille exemples que la méchanceté du caractère n'altère pas toujours la pureté de la croyance. Valens content des services de Térentius, l'invita à lui demander telle récompense qu'il désirerait. Le comte lui présenta une requête, par laquelle il ne demandait ni or, ni argent, ni aucune dignité, mais seulement une église pour les Catholiques. L'empereur irrité la mit en pièces. Demandez-moi toute autre chose, lui dit-il; celle-ci est la seule que je ne puisse vous accorder. Alors Térentius ramassant les morceaux de sa requête: Prince, répondit-il, je me tiens pour récompensé; celui qui juge les cœurs me tiendra compte de mon intention. Valens, par des dépêches secrètes, chargea le comte Trajan[65], qui avait succédé à Térentius, de le défaire d'un prince dont la patience augmentait sa honte. C'était à force de crimes vouloir étouffer les remords. Trajan se prêta sans scrupule à ce détestable ministère. Il fit sa cour au jeune prince: il entrait dans ses parties de plaisir; il lui remettait souvent des lettres de l'empereur, par lesquelles il paraissait que tous les nuages de défiance étaient dissipés[66]. [Le roi habitait alors un[Pg 26] lieu nommé Khou, dans le canton de Pakrévant[67], non loin du camp des Romains, où se trouvait Trajan, qui] l'invita enfin à un festin. Le prince s'y rendit[68]. Tout respirait le plaisir et la joie. [Para, traité en apparence avec tous les égards que l'on doit à un roi, était à la place d'honneur. Une garde nombreuse, armée de haches et de boucliers, était placée à l'extérieur, tandis qu'un détachement se rangeait dans l'intérieur autour de la tente où on faisait le festin. Le roi crut que c'était une attention du général; mais bientôt il fut détrompé. Au milieu du repas[69], pendant qu'on servait des mets délicats, que la salle retentissait du bruit des chants et des instrumens, et que le vin échauffait les convives,] Trajan sortit et en sa place on vit entrer un Barbare[70], d'un regard effrayant, tenant en main une épée nue. Les convives, les uns glacés d'effroi, les autres complices de l'assassinat, demeurèrent immobiles, ou prirent la fuite. Para, ayant tiré son poignard, disputa quelque temps sa vie, et tomba percé de coups[71]. [Gnel, prince des Andsévatsiens[72], se fit tuer sur le corps de son souverain.][Pg 27] Ainsi périt ce prince trop crédule[73]. [De sa femme Zarmandokht, dont l'origine nous est inconnue, Para laissait deux enfans en bas âge, et hors d'état de faire valoir leurs droits à la couronne. Ils se nommaient Arsace et Valarsace. Il en sera question par la suite.] Ce meurtre, plus affreux dans ses circonstances, que n'avait été celui de Vithicabius, acheva de convaincre les nations étrangères, que les Romains n'avaient plus de caractère propre; et que sous un méchant prince, ils ne respectaient ni la foi des alliances, ni la majesté des rois, ni les droits sacrés de l'hospitalité[74].

[61] Faustus de Byzance représente au contraire le roi d'Arménie comme très-méchant et surtout très-corrompu; il n'est aucune débauche, aucune infamie, dont il ne le suppose capable (Faust. Byz. l. 4, c. 44 et l. 5, c. 22).—S.-M.

[62] Au contraire, selon Faustus de Byzance, l. 5, c. 32, le roi d'Arménie aurait voulu faire alliance avec le roi de Perse; il lui envoyait des ambassadeurs pour en obtenir des secours contre l'empereur. Il assure que poussé par un orgueil insupportable, ou plutôt par un accès de folie, il prétendait que l'empereur lui cédât Césarée de Cappadoce et dix autres villes, ainsi qu'Édesse qui, disait-il, avait été fondée par ses ancêtres; sans quoi, il saurait bien s'en rendre maître. Le connétable Mouschegh et les autres princes, ajoute-t-il, ne purent empêcher les démarches inconséquentes de leur souverain. Quoiqu'il soit bien évident que toutes ces allégations viennent d'un ennemi, il ne serait pas étonnant qu'elles eussent quelques fondements. Il est assez clair en effet que, tout en blâmant la conduite que l'empereur et ses officiers tinrent avec le roi d'Arménie, Ammien Marcellin regarde comme constant que Para entretenait des relations avec le roi de Perse. Quoiqu'il en rejette la faute sur l'inexpérience et la jeunesse du prince, il établit involontairement le fait, mieux attesté encore par les regrets que témoigna Sapor en apprenant la mort de Para, dont il avait fait périr le père et la mère: Sapor, dit-il, l. 30, c. 2, comperto interitu Paræ, mærore gravi perculsus. Il paraît donc que malgré les secours que les Romains avaient fournis à Para, pour le rétablir sur le trône de son père, ce prince avait prêté l'oreille aux partisans des Perses. La crainte d'être sacrifié et abandonné comme Arsace, si les Romains éprouvaient des revers dans l'Orient, l'avait peut-être porté à chercher les moyens de se préserver des mêmes malheurs. Il paraît, d'après ce que raconte Faustus de Byzance, que Gnel prince des Andsévatsiens, était le principal guide de Para, et qu'il était en Arménie le chef du parti persan.—S.-M.

[63] Hinc in illum inexplicabile auctum principis odium, et doli struebantur in dies, ut per vim ei vel clam vita adimeretur. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[64] Ἀπὸ τῆς Ἀρμενίας Τερέντιος τρόπαια στήσας. Theod. l. 4, c. 32.—S.-M.

[65] Agenti tunc in Armenia Trajano, et rem militarem curanti, id secretis committitur scriptis. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Faustus de Byzance rapporte, l. 5, c. 32, que Térentius et Arinthée étaient encore en Arménie. Les détails circonstanciés donnés par Ammien Marcellin, font voir que l'auteur arménien n'a pas été bien informé de ce qui concerne la catastrophe de son souverain. J'en dirai autant de Moïse de Khoren, qui attribue aussi (l. 3, c. 39) à Térentius la mort du jeune Para.—S.-M.

[66] Qui inlecebrosis regem insidiis ambiens, et modò serenæ mentis Valentis indices litteras tradens, modò ipse sese ejus conviviis ingerens. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[67] Voy. t. 2, p. 224, note 1, liv. X, § 11.—S.-M.

[68] Ad ultimum compositâ fraude ad prandium verecundius invitavit: qui (rex) nihil adversum metuens venit, concessoque honoratiore discubuit loco. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[69] Cumque apponerentur exquisitæ cuppediæ, et ædes amplæ nervorum et articulato flatilique sonitu resultarent, jam vino incalescente; ipso convivii domino per simulationem naturalis cujusdam urgentis egresso, etc. Amm. Marc. l. 30, c. 1.—S.-M.

[70] Il était, selon Ammien Marcellin, l. 30, c. 1, du nombre de ceux qu'on appelle Supræ. Quidam barbarus asper, ex his quos Supras appellant.—S.-M.

[71] Quo viso regulus fortè prominens ultra torum, expedito dolone adsurgens, ut vitam omni ratione defenderet, perforato pectore deformis procubuit victima, ictibus multiplicatis fædè concisa. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Faustus de Byzance raconte, l. 5, c. 32, précisément de la même façon le meurtre de Para.—S.-M.

[72] On peut voir au sujet de ce personnage ce que j'ai dit, t. 3, p. 432 et 433, liv. XVIII, § 32, et ci-devant p. 24, note 2.—S.-M.

[73] Para ou Bab avait régné sept ans, ainsi que l'atteste Moïse de Khoren, l. 3, c. 39, et tous les autres écrivains arméniens. Les détails que donne Ammien Marcellin font voir que Para fut assassiné en l'an 374, ce qui fait remonter son avénement en l'année 367, précisément celle dans laquelle son père Arsace fut détrôné.—S.-M.

[74] Moïse de Khoren raconte tout autrement, l. 3, c. 39, la mort de Para, il est facile de voir que son récit est trop favorable aux Romains pour qu'il ne vienne pas originairement d'un de leurs partisans. Il suppose que cet événement arriva sous le règne de Théodose, ce qui est impossible puisqu'Ammien Marcellin nous atteste de la manière la plus formelle, qu'il arriva sous Valentinien et Valens, par les ordres duquel le meurtre fut exécuté en l'an 374. Selon Moïse de Khoren, le roi d'Arménie, profitant de la sédition de Thessalonique en 390, chassa Térentius et son armée: mais celui-ci revint bientôt, attaqua Para, qui fut vaincu; et il tua de sa main Gnel prince des Andsévatsiens, que Para avait créé général de l'armée d'Orient. Para fut pris et envoyé à Théodose, qui lui fit trancher la tête. Il est impossible d'imaginer comment Gibbon a pu faire, t. 5, p. 109, note 1, pour confondre l'infortuné roi d'Arménie avec Tiridate, frère du roi Arsace, dont j'ai raconté la mort, t. 2, p. 223, liv. X, § 10. Ce Tiridate était le père de Gnel, premier mari de Pharandsem, mère de Para. On peut voir ses aventures tragiques ci-devant t. 2, p. 223-231. Je le répète encore: tous les renseignements que l'historien anglais a empruntés à Moïse de Khoren, ont été toujours entendus et employés par lui de la manière la plus contraire à la vérité. Selon Mesrob, dans sa Vie de S. Nersès, ch. 10, l'empereur n'aurait fait mettre à mort le roi d'Arménie, que pour le punir de l'empoisonnement du patriarche Nersès.—S.-M.

XX.

Négociations avec Sapor.

Amm. l. 30, c. 2.

Zos. l. 4, c. 21.

Eunap. excerpt. leg. p. 21.

Sapor, accoutumé lui-même aux grands crimes, fut moins indigné de la mort de Para, qu'affligé de ce[Pg 28] qu'elle détruisait ses espérances. Il travaillait alors à regagner le roi d'Arménie[75]. Il menaça d'abord de le venger: mais fatigué de tant de guerres, il prit la voie de la négociation, et [envoya Arrhacès[76]] proposer à l'empereur de ruiner entièrement l'Arménie, qui n'était pour les deux nations qu'un sujet éternel de querelle et de discorde[77]. Si ce projet n'était pas accepté, il demandait que Sauromacès et les garnisons romaines sortissent de l'Ibérie, et qu'Aspacurès, qu'il avait établi roi de ce pays, en demeurât seul possesseur[78]. Valens répondit qu'il ne changerait rien aux dispositions précédentes, et qu'il était bien résolu de maintenir les deux royaumes dans l'état où ils se trouvaient alors. Le roi de Perse récrivit[79] que le seul moyen de terminer toutes les disputes, était de s'en tenir au traité de Jovien, et que pour en bien assurer les conditions, il fallait rassembler, en présence des deux princes, tous les officiers qui en avaient été garants de part et d'autre[80]. Sapor ne cherchait qu'à fatiguer Valens par des chicanes: il n'ignorait pas qu'il proposait l'impossible, et que la plupart de ceux qui avaient signé le traité[Pg 29] étaient morts depuis ce temps-là. L'empereur, pour mettre fin à toutes ces répliques, envoya en Perse le comte Victor, général de la cavalerie, et Urbicius, duc de la Mésopotamie[81]; avec une dernière réponse, dont il déclarait qu'il ne se départirait pas; elle contenait en substance: Que Sapor, qui se vantait de justice et de désintéressement, manifestait son ambition et son injustice par les desseins qu'il formait sur l'Arménie, après avoir protesté aux Arméniens qu'il ne les troublerait jamais dans l'usage de leur liberté et de leurs lois[82]: que l'empereur allait retirer ses troupes de l'Ibérie, mais qu'il n'abandonnerait pas la défense de Sauromacès; et que si Sapor inquiétait ce prince, Valens saurait bien le forcer à respecter la protection de l'empire[83]. Cette déclaration était conforme à l'équité et à la majesté impériale. Mais les envoyés passèrent leur pouvoir; et sans y être autorisés par l'empereur, ils acceptèrent en son nom la cession de quelques cantons de l'Arménie, que les seigneurs du pays abandonnèrent aux Romains[84]. Valens[Pg 30] ne jugea pas à propos de désavouer ses députés. Peu après leur retour à Antioche, arriva Suréna, qui offrait au nom du roi de Perse de laisser à Valens la libre possession de ces contrées[85], pourvu qu'il renonçât à la défense de l'Ibérie et du reste de l'Arménie. Cet ambassadeur fut reçu avec magnificence, mais sa proposition fut rejetée, et l'on se prépara à la guerre. Ces négociations avaient duré deux ans[86]. Valens devait entrer en Perse au commencement du printemps[87], avec trois armées: il prenait à sa solde des troupes auxiliaires des Goths[88]. Sapor, plus irrité que jamais,[Pg 31] donna ordre à son général Suréna de reconquérir les contrées de l'Arménie, dont Victor et Urbicius s'étaient emparés, et d'attaquer vivement Sauromacès, dont les états étaient pour lors dépourvus de troupes romaines[89]. Un furieux orage menaçait l'Asie, lorsque les mouvemens des Goths rappelèrent Valens dans la Thrace, et le forcèrent de conclure avec Sapor une paix[90] dont on ignore les conditions[91].

[75] Sapor post suorum pristinam cladem comperto interitu Paræ, quem sociare sibi impendio conabatur, mærore gravi perculsus. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[76] Cet ambassadeur est nommé Arsace dans quelques manuscrits d'Ammien Marcellin.—S.-M.

[77] Arrace legato ad principem misso, perpetuam ærumnarum causam deleri penitus suadebat Armeniam. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[78] Si id displicuisset, aliud poscens, ut Iberiæ divisione cessante, remotisque inde partis Romanæ præsidiis, Aspacures solus regnare permitteretur, quem ipse præfecerat genti. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[79] C'était à la fin de l'hiver, sans doute celui de l'an 374. Contrariæ regis litteræ hieme jam extremâ perlatæ sunt, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 2.—S.-M.

[80] Il faut que le traité conclu avec Jovien ait été rédigé en des termes bien ambigus, puisqu'on eut besoin du témoignage et des explications des officiers qui y avaient pris part des deux côtés.—S.-M.

[81] Victorem magistrum equitum et Urbicium Mesopotamiæ ducem ire properè jussit in Persas, responsum absolutum... Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[82] Quod rex justus et suo contentis, ut jactitabat, scelestè concupiscat Armeniam, ad arbitrium suum vivere cultoribus ejus permissis. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[83] Valens lui disait dans son message, que s'il tentait d'arrêter les troupes, qui, comme on en était convenu, devaient partir au commencement de l'année suivante, il saurait le contraindre à observer les conventions. Sed ni Sauromaci præsidia militum impertita principio sequentis anni ut dispositum est inpræpedita reverterint, invitus ea complebit, quæ sponte suâ facere supersedit. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[84] Absque mandatis oblatas sibi regiones in eadem Armenia suscepit exiguas. Amm. Marc. l. 30, c. 2. Il paraît que long-temps avant le partage et la destruction du royaume d'Arménie, plusieurs cantons et diverses petites principautés situées vers les frontières de la Mésopotamie, sur les bords du Tigre et de l'Euphrate, avaient été réunies à l'empire. Rien n'empêche de croire que ces empiétements ne remontent effectivement à l'époque de la mort de Para. Je crois que le pays envahi alors est celui que les Arméniens désignent par le nom de Quatrième Arménie. Cette dénomination semble indiquer en effet que ce pays fut soumis au régime administratif des Romains. Pour connaître la situation et les divisions de cette province, il faut consulter ce que j'en ai dit dans mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, pages 91-98. Les dynastes compris dans l'étendue de ce pays conservèrent leurs possessions; seulement au lieu d'être vassaux du roi d'Arménie, ils le furent de l'empire. On trouve dans le Code Théodosien une loi de Théodose-le-Grand, datée du 14 juin 387, et adressée à Gaddanès, satrape ou seigneur de la Sophène ou Sophanène, Gaddanæ satrapæ Sofanenæ. Cette même loi fait voir aussi que les autres seigneurs de ce pays reconnaissaient comme lui la suzeraineté de l'empire. Il y est question des couronnes que ces seigneurs devaient fournir d'après un ancien usage, comme une marque de leur soumission à l'empire. Aurum coronarium his reddi restituique decernimus, quibus inlicitè videtur ablatum, ut, secundùm consuetudinem moris antiqui, omnes satrapæ, pro devotione quæ Romano debetur imperio, coronam ex propriis facultatibus facient serenitati nostræ solemniter offerendam.—S.-M.

[85] Quâ regressâ, advenit Surena potestatis secundæ post regem, has easdem imperatori offerens partes, quas audacter nostri sumpsere legati. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[86] Pendant les années 374 et 375. Valens avait passé tout ce temps à Antioche ou dans les environs. Il resta plus de cinq années dans ces régions. Ses lois nous font voir qu'il résida pendant environ trois mois à Hiérapolis à la fin de l'an 373. Nous avons trois lois de lui, datées d'Antioche, pour l'an 374, le 16 février, 11 mars et 21 mai. Deux lois, du 2 juin et du 5 décembre 375, sont aussi d'Antioche. Il était encore dans cette ville le 30 mai 376, se préparant à aller faire la guerre aux Perses.—S.-M.

[87] De l'année 376.—S.-M.

[88] Parabantur magna instrumenta bellorum, ut mollitâ hieme Imperatore trinis agminibus perrupturo Persidem, ideoque Scytharum auxilia festina celeritate mercante. Amm. Marc. l. 30, c. 2.—S.-M.

[89] Iram ejus conculcans Surenæ dedit negotium, ut ea quæ Victor comes susceperat et Urbicius, armis repeteret si quisquam repugnaret, et milites Sauromacis præsidio destinati malis affligerentur extremis. Amm. Marc. l. 30, c. 1. Il paraît que l'entreprise de Suréna, eut un plein succès, car Ammien Marcellin rapporte qu'elle fut si promptement exécutée, qu'on ne put ni la réparer, ni la venger. Hæc ut statuerat maturata confestim: nec emendari potuerunt nec vindicari. La guerre des Goths tourna alors toutes les pensées de l'empereur vers l'Occident, et l'empêcha de poursuivre ses projets contre les Perses.—S.-M.

[90] C'était, dit Eunapius (excerpt. de leg. p. 21), une paix nécessaire, πρὸς μὲν τοὺς Πέρσας ἀναγκαίαν εἰρήνην συνθέμενος. Il s'arrangea avec les Perses comme il le put, dit Zosime, l. 4, c. 21, ὁ δὲ τὰ πρὸς Πέρσας ὠς ἐνῆν διαθέμενος.—S.-M.

[91] Sans nous dire quelles furent ces conditions, les auteurs arméniens nous font voir, comme on aura bientôt occasion de le remarquer, que les affaires de l'Arménie furent laissées à la discrétion du roi de Perse, qui y fit peu après déclarer rois les enfants de l'infortuné Para.—S.-M.

XXI.

[Varazdat est nommé roi d'Arménie par Valens.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 33 et 34.

Mos. Chor. l. 3, c. 40.]

[Le meurtre de Para avait jeté la désolation dans l'Arménie. Ce crime aussi lâche qu'impolitique, pouvait ramener dans ce malheureux royaume toutes les calamités dont il était à peine délivré. En excitant l'indignation du peuple et des nobles, il allait peut-être produire ce que Valens avait voulu empêcher, et livrer l'Arménie au roi de Perse, qui était parvenu à y recouvrer quelque influence, en inspirant de la confiance au jeune roi que l'on venait d'immoler. Les troupes romaines cantonnées au centre du pays, et la présence de Valens sur les frontières de la Perse, n'auraient pu contenir[Pg 32] les Arméniens, s'ils eussent voulu venger leur souverain et se réunir aux Perses. Étonnés d'un tel événement, tous les seigneurs vinrent trouver le connétable Mouschegh et le grand-intendant, pour aviser aux mesures qu'il fallait prendre dans ces conjonctures, pour le salut du royaume. Ils ne déguisèrent pas la haine qui les animait contre les Romains, et le désir qu'ils avaient de tirer vengeance du sanglant outrage qu'ils venaient d'éprouver; mais leur attachement pour la religion chrétienne modéra les élans d'une indignation aussi légitime. L'alliance avec les Perses présentait trop de honte et trop de dangers. Les maux qu'ils avaient causés à chacun d'eux et à l'Arménie étaient trop récents, pour qu'ils en eussent perdu le souvenir, et d'ailleurs qui pouvait les assurer de la sincérité des intentions de Sapor? ils résolurent donc, quoique bien à regret, de rester attachés au parti des Romains et de laisser à la décision de Valens le sort de l'Arménie. L'empereur n'avait fait périr Para, dont il se défiait, et qui s'était montré peu docile à ses volontés, que pour placer sur le trône un roi qui lui fût plus dévoué. Aussitôt après la mort de Para, et sans consulter les grands, il s'était empressé de disposer de la couronne d'Arménie, comme avaient fait autrefois plusieurs de ses prédécesseurs. Un jeune Prince, issu de la race des Arsacides[92], distingué par son courage, et qui se nommait[Pg 33] Varazdat[93], fut proclamé roi. Élevé chez les Romains[94], il s'y était rendu fameux par sa force et son adresse dans les jeux et les combats athlétiques de la Grèce[95]. Il avait aussi, disait-on, acquis[96] une gloire[Pg 34] plus noble et plus réelle dans une guerre contre les Lombards[97]; enfin depuis quelques années[98], il était de retour dans sa patrie. Il y avait signalé sa valeur contre les brigands qui infestaient le canton de Taranaghi[99], situé sur les bords de l'Euphrate. On raconte que dans une de ses expéditions, ceux-ci poursuivis de trop près par le jeune guerrier, coupèrent un petit pont, pour mettre ce fleuve entre eux et leur redoutable adversaire.[Pg 35] Un tel obstacle ne put arrêter Varazdat, il franchit d'un saut[100] l'Euphrate encore faible et peu éloigné de sa source, fond sur ces brigands et les contraint de se rendre. Les Arméniens accueillirent avec joie le nouveau roi, et Mouschegh continua d'exercer sous son règne l'influence qu'il avait eue du temps de Para, et il prit, de concert avec les généraux romains, toutes les mesures nécessaires pour défendre l'Arménie. On y fit donc construire une grande forteresse destinée à servir de place d'armes aux Romains[101]; et des châteaux, protégés par une double enceinte de murs, furent disposés par échelons jusqu'à Gandsak-Schahastan, sur la frontière orientale du royaume; les troupes et les seigneurs Arméniens reçurent une solde de l'empereur; rien ne fut négligé pour s'assurer de ce royaume et le mettre à l'abri des attaques des Perses. Ces soins durent être la principale occupation de Valens[102], pendant le séjour de cinq années qu'il fit à Antioche; et peut-être en aurait-il retiré le fruit dans la guerre qu'il méditait contre les Perses, si les affaires de l'Occident[Pg 36] et la mauvaise tournure que prit la guerre contre les Goths, n'étaient venus le troubler dans l'exécution de ses desseins, et le contraindre en retirant ses troupes de l'Arménie, de laisser ce royaume exposé aux entreprises de Sapor.]—S.-M.

[92] Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, ne dit pas autre chose sur l'origine de Varazdat. Il vaut mieux s'en tenir à ce qui résulte du récit de Faustus de Byzance. Le prêtre Mesrob, historien de S. Nersès, dont j'ai déja parlé, t. 3, p. 275, not. 3, liv. XVII, § 4, dit cependant, dans le 11e chapitre de son ouvrage, que Varazdat était neveu du roi Bab ou Para. Dans l'argument de ce chapitre, il donne le nom d'Anob au père de Varazdat, mais ce nom ne se reproduit pas dans le texte. Le peu de confiance que mérite cet auteur, m'empêche d'admettre cette indication, qui d'ailleurs ne s'accorde pas avec le reste de l'histoire d'Arménie. La reine Pharandsem, n'ayant pas eu du roi Arsace d'autre fils que Bab ou Para, et Olympias n'ayant pas eu d'enfant à ce qu'il paraît, il faudrait que le père de Varazdat, s'il était né d'Arsace, eût été un fils naturel. Le fait peut avoir été ainsi, mais il aurait besoin d'un autre garant que l'historien Mesrob. Faustus de Byzance parle, l. 5, c. 34, de Varazdat, comme Moïse de Khoren: «Après la mort de Bab, roi des Arméniens, dit-il, le monarque grec fit roi un certain Varazdat, de la race des Arsacides.» Mais, dans un autre endroit, l. 5, c. 37, il s'exprime, ou plutôt Varazdat lui-même s'énonce comme s'il était frère de Bab ou Para. Répondant à Manuel, prince des Mamigoniens, pour se justifier de la mort de Mouschegh, frère de ce général, il dit: «Si je n'étais pas Arsacide, aurais-je pris la couronne des Arsacides mes ancêtres; j'ai occupé le pays de mes aïeux, et j'ai tiré vengeance sur ton méchant frère Mouschegh, de la mort de mon frère paternel Bab.» Il est assez clair d'après cela que Varazdat était réellement frère de Para. On voit seulement par la lettre de Manuel, rapportée par le même auteur, l. 5, c. 37, qu'il n'était pas fils légitime d'Arsace. «Non, lui dit Manuel, tu n'es pas un Arsacide, mais tu es le fils de l'adultère.»—S.-M.

[93] Aucun auteur ancien, grec ou latin, ne nous a conservé le nom de ce roi d'Arménie; ces écrivains nous laissent dans la plus profonde ignorance sur les événements qui arrivèrent en Arménie, après la mort de Para. La seule mention de Varazdat, qui se trouve dans un auteur grec, existe dans un petit ouvrage, composé au huitième siècle par un écrivain anonyme, mais arménien de naissance; il a été inséré par le P. Combéfis dans le 2e volume de son Supplément à la Bibliothèque des Pères, p. 271-291. J'ai déjà parlé de cet ouvrage t. 3, p. 443, not. 2, liv. XVIII, § 40. Cet auteur, en écrivant en grec, ou bien ses copistes ont étrangement altéré le nom de Varazdat; il l'appelle Varistirtak, ὁ Βαριστιρτάκ.—S.-M.

[94] Selon Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, Varazdat avait été contraint de fuir l'Arménie dans son enfance pour éviter la cruauté de Sapor. Cette indication semblerait devoir se rapporter à l'époque de la mort d'Arsace et de l'envahissement de l'Arménie, qui suivit de près cet événement. Elle serait alors en contradiction avec ce que le même auteur dit du retour de Varazdat dans sa patrie, qui coïncide précisément avec l'époque de cette catastrophe. Il est plus probable que Varazdat avait été élevé à la cour des empereurs, comme un ôtage envoyé par le roi d'Arménie, ainsi que c'était l'usage alors. L'historien Moïse de Khoren en fournit lui-même plusieurs exemples.—S.-M.

[95] Moïse de Khoren dit, l. 3, c. 40, qu'il se signala à Pise et dans les jeux Olympiques.—S.-M.

[96] Moïse de Khoren compare, l. 3 c. 40, les exploits de Varazdat, à ceux du grand Tiridate.—S.-M.

[97] C'est Moïse de Khoren qui rapporte encore, l. 3, c. 40, cette circonstance intéressante, parce qu'elle nous offre un des plus anciens renseignements qui existent sur la nation des Lombards. Ce peuple, bien connu au temps de Tacite qui en fait plusieurs fois mention (Ann. l. 2, c. 45, et l. 11, c. 17, et Germ. c. 40), est aussi rappelé dans Strabon, l. 7, p. 290, dans Velléius Paterculus, l. 2, c. 106, et dans Ptolémée, l. 2, c. 11. Le témoignage de ces écrivains fait voir que durant le premier siècle de notre ère et sans doute long-temps avant, ce peuple habitait la partie de la Germanie, située au-delà de l'Elbe, en allant vers la mer Baltique. Leur nom disparaît ensuite et ne se trouve plus qu'à la fin du 4e siècle. Prosper rapporte alors dans sa continuation de la Chronique d'Eusèbe, sous l'an 379, que les Lombards, sortis de l'extrémité de la Germanie, des rivages de l'Océan et de l'île de Scandie, pour chercher de nouvelles demeures, vainquirent d'abord les Vandales, sous les ordres d'Iboréa et d'Aïon. Longobardi ab extremis Germaniæ finibus, Oceanique protinus littore, Scandiaque insula magna egressi, et novarum sedium avidi, Iborea et Aïone ducibus, Vandalos primum vicerunt. Tous ces événements sont racontés avec de plus grands détails dans l'histoire des Lombards, écrite au huitième siècle par Paul Diacre. Le témoignage de Moïse de Khoren vient donc appuyer celui de Prosper, et attester la présence des Lombards dans la Germanie, pendant la durée du 4e siècle, et à peu près dans les mêmes régions où ils avaient été connus par les auteurs plus anciens. Tacite et presque tous les écrivains anciens les appellent Longobardi: Moïse de Khoren les nomme à peu près de la même façon Langovard.—S.-M.

[98] Moïse de Khoren rapporte que Varazdat était revenu en Arménie, dans la 55e année de Sapor, roi de Perse, qui correspondait aux années 365 et 366 de J. C. c'est-à-dire à la fin de la guerre malheureuse qu'Arsace soutint contre les Perses. Il paraît que, depuis cette époque, Varazdat resta en Arménie, où il est probable qu'il se distingua dans les guerres contre les Perses, lorsque les Romains rétablirent Para sur le trône. Il est à croire qu'il dut à la célébrité qu'il acquit alors l'honneur d'être choisi par Valens pour remplacer Para.—S.-M.

[99] Voyez au sujet de ce pays, t. 3, p. 376, not. 4, l. XVII, § 64.—S.-M.

[100] Moïse de Khoren le compare en cette occasion, l. 3, c. 40, à Achille franchissant, dans Homère, le lit du Scamandre.—S.-M.

[101] Faustus de Byzance, qui rapporte ces faits, l. 5, c. 34, n'indique pas le lieu où était située cette forteresse.—S.-M.

[102] Selon Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, Varazdat fut créé roi d'Arménie par Théodose. Il est évident qu'il se trompe, puisque le témoignage irrécusable d'Ammien Marcellin nous apprend que le meurtre de Para fut exécuté sous le règne de Valens et par les ordres de ce prince. Comme Varazdat fut nommé presque aussitôt roi d'Arménie, il dut l'être par Valens. Le récit de Faustus de Byzance ne contient pas le nom du souverain qui lui donna la couronne; il se contente de l'appeler le roi des Grecs, c'est-à-dire l'empereur romain. Moïse de Khoren ajoute que Varazdat fut déclaré roi en la vingtième année de Théodose, qu'on sait n'avoir régné que seize années non accomplies. En général, je dois le remarquer, la chronologie de l'historien arménien présente une multitude de difficultés et d'erreurs de détail, qui n'altèrent en rien la vérité des faits qu'il rapporte, mais qui en rendent l'usage très-difficile.—S.-M.

XXII.

Assassinat de Gabinius, roi des Quades.

Amm. l. 29, c. 6.

Zos. l. 4, c. 16.

Cod. Th. l. 15, tit. 1, leg. 18.

Tandis que le meurtre du roi d'Arménie excitait l'horreur de tout l'Orient, l'Occident fut témoin d'un forfait pareil dans toutes ses circonstances. Le roi des Quades fut assassiné, parce qu'il avait sujet de se plaindre; et l'on reconnut, par un nouvel exemple, que la table, dont les droits sont sacrés jusque chez les nations sauvages, et qui fut toujours regardée comme le centre de la confiance et de la sûreté, est pour cette raison même le théâtre le plus souvent choisi par la perfidie. Valentinien après avoir passé l'hiver à Milan, était revenu à Trèves[103]. Il s'occupait depuis long-temps à garnir de forteresses la frontière de la Gaule, du côté de la Germanie, et à réparer les fortifications des villes aux dépens de la province. Emporté par un trop grand désir d'étendre les limites de l'empire, il ordonna de construire un fort au-delà du Danube, sur un terrain qui appartenait aux Quades[104]. Ces peuples alarmés de cette entreprise, députèrent à Valentinien, et obtinrent d'Équitius, commandant d'Illyrie, et actuellement consul, que l'ouvrage demeurât suspendu jusqu'à la[Pg 37] décision de l'empereur. Le préfet Maximin, qui pouvait tout à la cour, blâma fort cette condescendance d'Équitius, qu'il traitait de faiblesse: il disait hautement que son fils Marcellianus, tout jeune qu'il était, soutiendrait mieux l'honneur et l'intérêt de l'empire, et qu'il saurait bien achever la forteresse en dépit des Barbares. Il fut écouté: son fils fut envoyé avec le titre de duc de la Valérie; et ce jeune homme, que le crédit de son père rendait hautain et insolent, sans daigner rassurer les Quades, fit continuer les travaux. Gabinius, roi de la nation, vint lui représenter avec douceur l'injustice de cette usurpation. Marcellianus feignit de se rendre à ses remontrances; et l'ayant invité à un repas, il le fit massacrer au sortir de la table[105]. C'était la troisième tête couronnée qui tombait sous les coups de la trahison, depuis le commencement du règne des deux empereurs.

[103] C'est l'hiver de l'an 373 que Valentinien avait passé en Italie. Ce fut sans doute à Milan qu'il séjourna. Une loi nous fait voir qu'il était encore dans cette ville le 5 février 374. Il retourna ensuite dans les Gaules, et il était à Trèves le 21 mai et le 20 juin 374.—S.-M.

[104] Ammien Marcellin remarque, l. 29, c. 6, que cette nation était peu redoutable à cette époque, parum nunc formidanda, mais qu'elle avait été antérieurement, c'est-à-dire au temps de Marc-Aurèle, très-guerrière et très-puissante, sed immensum quantum antehac bellatrix et potens. On peut voir dans l'Histoire des Empereurs de Crévier, le récit de leur grande irruption sous le règne de ce prince.—S.-M.

[105] Zosime donne, l. 4, c. 16, le nom de Célestius à l'assassin de Gabinius. C'était peut-être un des noms de Marcellianus.—S.-M.

XXIII.

Les Quades vengent la mort de leur roi.

Cette insigne perfidie mit les Quades en fureur[106]. Versant des larmes de douleur et de rage, ils passent le Danube, égorgent les paysans occupés alors aux travaux de la moisson, et portent de toutes parts le ravage et le massacre. La province était dégarnie de troupes; on en avait envoyé la plus grande partie en Afrique avec Théodose. Il ne s'en fallut que d'un moment qu'ils n'enlevassent la fille de Constance, qui traversait l'Illyrie pour aller épouser Gratien dans la Gaule[107]. Messala,[Pg 38] gouverneur de la province, sauva ce déshonneur à l'empire, et transporta promptement la princesse à Sirmium, éloigné de près de dix lieues[108]. Probus, préfet du prétoire, était pour lors dans cette ville. Ce magistrat, peu accoutumé aux alarmes, prit d'abord l'épouvante; il se préparait à s'enfuir pendant la nuit. Mais étant averti que tous les habitants se disposaient à le suivre, et que la ville resterait déserte et ouverte aux ennemis, il eut honte de sa lâcheté; et s'étant rassuré, il fit nettoyer les fossés, relever les murs abattus en plusieurs endroits, et construire les ouvrages nécessaires. Quantité de matériaux, qu'on avait amassés pour bâtir un théâtre, lui servirent à cet usage. Il rassembla les troupes dispersées dans les postes voisins, et mit la ville en état de défense. Les Barbares peu instruits dans l'art d'attaquer les places, et embarrassés de leur butin, n'osèrent entreprendre un siége. Ils changèrent de route, et prirent celle de la Valérie, pour y aller chercher Équitius, auquel ils attribuaient le massacre de leur prince, parce qu'ils ne connaissaient pas Marcellianus. Deux légions vinrent à leur rencontre, celle de Pannonie et celle de Mésie[109]. Elles étaient en état de vaincre, si elles se fussent réunies: mais la jalousie du premier rang qu'elles se disputaient, les tint séparées. Les Barbares profitèrent de cette mésintelligence: ils tombèrent d'abord sur la légion de Mésie; et lui ayant passé sur le ventre avant quelle eût eu le temps de prendre les armes, ils attaquèrent celle de[Pg 39] la Pannonie; elle fut taillée en pièces, et il ne s'en sauva qu'un petit nombre de soldats.

[106] Ammien Marcellin y ajoute, l. 29, c. 6, les nations voisines. Quados, dit-il, et gentes circumsitas efferavit. On voit par la suite de sa narration que ces nations étaient les Sarmates, qui prirent part aux ravages que les Quades commirent dans les provinces romaines.—S.-M.

[107] Elle s'était arrêtée dans un lieu public, pour y prendre son repas, selon Ammien Marcellin, l. 29, c. 6, cibum sumens in publica villa: ce lieu s'appelait Pistrensis: quam appellant Pistrensem; il n'en est question dans aucun autre auteur.—S.-M.

[108] Ou plutôt à vingt-six milles, ad Sirmium vicesimo sexto lapide. Am. Marc. l. 29, c. 6.—S.-M.

[109] C'étaient les deux légions connues sous les noms de Pannonica et de Mœsiaca.—S.-M.

XXIV.

Le jeune Théodose repousse les Sarmates.

Amm. l. 29, c. 6.

Zos. l. 4, c. 16.

Them. or. 14, p. 182.

Théodose, fils de celui qui poursuivait Firmus en Afrique, et de Thermantia, illustre Espagnole, commandait dans la Mésie. Il était âgé de vingt-huit ans[110]. Déjà connu par la valeur qu'il avait montrée en plusieurs guerres sous le commandement de son père[111], il se fit alors cette haute réputation qui l'éleva dans la suite à la dignité impériale. Les Sarmates[112], animés par les Quades leurs voisins, se jetèrent en Mésie: Théodose à la tête d'une poignée de nouvelles levées, n'ayant de ressource réelle que dans sa bonne conduite et dans son courage, défit les ennemis autant de fois qu'il put les joindre. Tantôt courant à leur rencontre jusqu'aux bords du Danube, il servit lui-même de barrière à l'empire: tantôt les attendant à des passages dangereux et dans les forêts, il en fit un grand carnage. Les Sarmates découragés par tant de pertes, eurent recours à la clémence du vainqueur, et obtinrent la paix, qu'ils gardèrent tant qu'ils se souvinrent de leurs défaites. Les Quades se retirèrent aussi, lorsqu'ils apprirent qu'il arrivait des troupes de la Gaule pour défendre l'Illyrie.

[110] Il était né en l'an 346. Selon Zosime, l. 4, c. 24, Théodose était né à Cauca, ville de la Gallice, ἐκ τῆς ἐν Ἰβηρίᾳ Καλλεγίας, πόλεως δὲ Καύκας ὁρμώμενον.—S.-M.

[111] On apprend de Zosime, l. 4, c. 35, qu'il servit alors en Angleterre avec Maxime, qui fut dans la suite l'assassin de Gratien et qui était, à ce qu'on croit, Espagnol comme Théodose.—S.-M.

[112] Ammien Marcellin les appelle Sarmates libres, pour les distinguer de leurs esclaves plus connus sous le nom de Limigantes. Sarmatas liberos ad discretionem servorum rebellium appellatos, dit-il, l. 29, c. 6. On a vu, t. 1, p. 337, liv. V, § 27, comment ces Limigantes se révoltèrent contre leurs maîtres, et comment, après avoir fait la guerre aux Romains, et avoir été vaincus, ils furent dispersés sur le territoire de l'empire.—S.-M.

XV.

Paix avec Macrianus.

Amm. l. 30, c. 3.

Alsat. illust. p. 181 et 419.

God. ad Cod. Theod. l. 8, tit. 5. leg. 33.

Valentinien, après avoir ravagé quelques cantons[Pg 40] de l'Allemagne, bâtissait sur le Rhin un fort, que les habitants appelèrent ensuite Robur[113], et dont le terrain est aujourd'hui renfermé dans la ville de Bâle. Dès qu'il apprit, par une lettre de Probus, l'invasion des Quades en Illyrie, il dépêcha le secrétaire Paternianus pour s'instruire de tout sur les lieux; et en ayant reçu des nouvelles certaines, il voulait aller sur-le-champ châtier l'audace de ces Barbares. Comme on était à la fin de l'automne[114], on lui représenta qu'on ne trouverait ni vivres, ni fourrages, et que les princes allemans, et surtout Macrianus, le plus redoutable de tous, profiteraient de son éloignement pour attaquer la Gaule. Il se rendit à ces raisons, et résolut d'attendre le printemps. Mais afin de ne laisser derrière lui aucun sujet d'inquiétude, il voulut s'assurer de Macrianus par un traité de paix, et l'invita à une entrevue près de Mayence [Mogontiacum]. Le roi alleman, glorieux de se voir recherché, se rendit au bord du Rhin, et parut dans une contenance fière à la tête de ses bataillons, qui faisaient retentir leurs boucliers, en les frappant de leurs épées. L'empereur en cette occasion sacrifia au désir de la paix la prééminence de la majesté impériale: il rassembla un grand nombre de bateaux, et traversant le fleuve avec ses soldats rangés sous leurs enseignes, il s'approcha de Macrianus qui l'attendait[Pg 41] sur l'autre bord. Lorsqu'ils furent à portée de s'entendre, et que les Barbares eurent fait silence, les deux princes entrèrent en conférence. Ils convinrent des articles de la paix, et la confirmèrent par leur serment. Macrianus, jusqu'alors si inquiet et si turbulent, devint de ce moment un allié fidèle, et ne cessa jusqu'à sa mort de donner des preuves de son attachement aux Romains. Quelques années après, s'étant engagé trop avant dans le pays des Francs qu'il ravageait, il fut surpris et tué dans une embuscade que lui dressa Mellobaudès[115], prince guerrier, qui régnait alors sur cette nation. Après la conclusion du traité, Valentinien se retira à Trèves, où il passa l'hiver[116].

[113] Prope Basiliam, quod appellant accolæ Robur. Amm. Marcel. l. 30, c. 3. Sans Ammien Marcellin, on ignorerait la position de ce fort, qui est encore connu par une loi que Valentinien y rendit le 15 juillet 374; sans doute à l'époque où il était occupé de sa fondation. On peut voir dans l'Alsatia illustrata du savant Schoepflin, p. 181, les raisons qu'il a de mettre ce château sur une partie de l'emplacement occupé actuellement par la ville de Bâle, qui en était séparée autrefois par le ruisseau appelé Birsius, au point où il se jette dans le Rhin.—S.-M.

[114] Abeunte autumno, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 3.—S.-M.

[115] Periit in Francia postea. Amm. Marc. l. 30, c. 3.—S.-M.

[116] Il était déja dans cette ville, le 3 décembre de l'an 374.—S.-M.

XXVI.

Débordement du Tibre.

Amm. l. 29, c. 6 et ibi Vales.

Sur la fin de cette année les pluies continuelles firent déborder le Tibre. Rome fut long-temps inondée. Il fallut porter en bateau des vivres aux habitants réfugiés dans les lieux les plus élevés de leurs maisons. Claude, alors préfet, pourvut à tous leurs besoins avec une activité infatigable, et maintint la tranquillité dans ce peuple mutin et séditieux même au milieu de l'abondance. Ce magistrat fit construire un superbe portique près des bains d'Agrippa; il le nomma le portique du Bon Succès, Boni Eventûs, à cause d'un temple voisin qui portait ce nom. Les payens adoraient sous ce titre la divinité qui faisait prospérer les fruits de la terre.

XXVII.

Lois de Valentinien.

Cod. Th. l. 4, tit. 17, leg. 1; l. 9, tit. 24, leg. 3; l. 13, tit. 4, leg. 4.

Cod. Jus. l. 7, tit. 44, leg. 2.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 1, c. 20.

Valentinien fit vers ce temps-là plusieurs lois utiles. Pour soutenir les arts qui s'affaiblissaient en même proportion que la gloire de l'empire, il accorda aux peintres de grands priviléges. Il décida qu'en matière[Pg 42] de rapt, après cinq ans écoulés, on ne serait plus reçu à poursuivre le crime, ni à contester la légitimité du mariage, ou celle des enfants qui en seraient sortis. Il avait déjà ordonné que les juges ne prononceraient leurs sentences qu'après les avoir écrites; il ajouta que les sentences qui seraient prononcées de mémoire, sans avoir été mises par écrit, n'auraient aucune autorité et seraient censées nulles, sans qu'il fût besoin d'en suspendre l'effet par un appel. Il condamna au bannissement tous ceux qui, au mépris de la religion, formeraient des assemblées illicites: il déclara que ceux qui auraient été condamnés par le jugement des évêques catholiques, ne pourraient s'adresser à l'empereur pour la révision de leur procès. Florent, évêque de Pouzzoles, avait donné occasion à ce rescrit: ayant été déposé à Rome par le pape et les évêques, il eut recours à l'empereur; mais il n'en obtint d'autre réponse, sinon qu'après une condamnation si canonique, il n'était plus permis à Florent de poursuivre sa justification devant aucun tribunal.

XXVIII.

S. Ambroise, évêque de Milan.

Paulin. vit. Ambros. § 5 et 6.

Basil. ep. 197 t. 3, p. 287.

Hier. chron. Socr. l. 4, c. 30.

Theod. l. 4, c. 6 et 7.

Soz. l. 4, c. 24, Pagi, in Bar. an. 369.

Herm. vie de S. Ambr. l. 1, c. 2, 3 et l. 2, c. 1.

Fleury, Hist. ecclés. l. c. 20 16.

Auxentius, le principal soutien de l'arianisme en Italie, se maintint jusqu'à sa mort dans le siége de Milan, quoiqu'il eût été deux ans auparavant excommunié dans un concile de quatre-vingt-treize évêques, tenu à Rome en conséquence d'un rescrit de l'empereur. Mais dès qu'il fut mort, Valentinien qui était pour lors à Trèves, écrivit en ces termes aux évêques assemblés à Milan: Choisissez un prélat, qui par sa vertu et par sa doctrine mérite que nous le respections nous-mêmes et que nous recevions ses salutaires corrections. Car étant, comme nous le sommes, de faibles mortels, nous ne pouvons éviter de[Pg 43] faire des fautes. Les évêques prièrent l'empereur de désigner lui-même celui qu'il croyait le plus capable; il leur répondit que ce choix était au-dessus de ses lumières; et qu'il n'appartenait qu'à des hommes éclairés de la grâce divine. Milan était rempli de troubles: la cabale arienne faisait les derniers efforts pour placer sur le siége d'Auxentius un prélat imbu des mêmes erreurs. Ambroise, aussi distingué par la beauté de son génie et par la pureté de ses mœurs que par sa noblesse et ses richesses, gouvernait alors la Ligurie et l'Émilie. Instruit dans les lettres humaines, il avait d'abord exercé à Rome la profession d'avocat, et était devenu assesseur de Probus, préfet d'Italie. Lorsqu'il avait été chargé du gouvernement de la province dont Milan était capitale, ce préfet, en lui faisant ses adieux, lui avait dit: Gouvernez, non pas en magistrat, mais en évêque. Cette parole devint une prophétie. La contestation sur le choix de l'évêque s'échauffant de plus en plus, faisait craindre une sédition. Ambroise, obligé par le devoir de sa charge de maintenir le bon ordre, vint à l'église, et fit usage de son éloquence pour calmer les esprits et les engager à choisir avec discernement et sans tumulte celui qui devait être pour eux un ange de lumière et de paix. Il parlait encore, lorsque tous d'une commune voix, Catholiques et Ariens, s'écrièrent qu'ils demandaient Ambroise pour évêque. Ambroise saisi d'effroi prit la fuite, et il n'oublia rien pour résister au désir du peuple. Les évêques qui approuvaient ce choix s'adressèrent à l'empereur, parce que les lois défendaient de recevoir dans le clergé ceux qui étaient engagés dans des emplois civils. Valentinien fut flatté d'apprendre que[Pg 44] les magistrats qu'il choisissait fussent jugés dignes de l'épiscopat; et dans le transport de sa joie: Seigneur, s'écria-t-il, grâces vous soient rendues de ce que vous voulez bien commettre le salut des âmes à celui à qui je n'avais confié que le soin des corps. L'autorité du prince, jointe aux instances des prélats et à la persévérance du peuple, força enfin la modestie d'Ambroise. Il fut baptisé, car il n'était encore que catéchumène, quoiqu'âgé d'environ trente-cinq ans. Il reçut l'onction épiscopale le 7 de décembre; et par le crédit que lui procura auprès des empereurs l'élévation de son ame, soutenue d'une éminente sainteté, son élection fut un événement aussi avantageux pour l'État que pour l'Église. Dès les premiers jours de son épiscopat, on vit un heureux présage de la généreuse liberté dont il ferait usage avec les princes, et des égards que les princes auraient pour ses avis. Il se plaignit à l'empereur de quelques abus qui s'étaient glissés dans la magistrature. Valentinien lui répondit: Je connaissais votre franchise; elle ne m'a pas empêché de vous donner mon suffrage. Continuez, comme la loi divine vous l'ordonne, de nous avertir de nos erreurs.

An 375.

XXIX.

Valentinien marche en Pannonie.

Amm. l. 30, c. 5.

Zos. l. 4, c. 17.

Idat. chron.

Hier. chron.

Reines. insc. cl. 20, nº 432.

L'année suivante se passa toute entière sans élection de nouveaux consuls. Elle n'est désignée dans les fastes que par ces termes: Après le troisième consulat de Gratien, ayant pour collègue Equitius. Il vaut mieux dire qu'on en ignore la raison, que de l'attribuer aux occupations de Valentinien qui se préparait à tirer vengeance des Quades et des Sarmates. Le printemps étant déjà avancé[117], le prince partit de Trèves. Il marchait[Pg 45] en diligence vers la Pannonie, lorsqu'il rencontra des députés des Sarmates, qui, se prosternant à ses pieds, le supplièrent d'épargner leur nation, lui protestant qu'il ne la trouverait ni coupable ni complice des excès dont il avait à se plaindre. Il leur répondit qu'il s'éclaircirait de la vérité des faits sur les lieux mêmes, et que les infracteurs des traités ne lui échapperaient pas. Il arriva bientôt à Carnuntum, ville de la haute Pannonie, alors déserte et presque ruinée, mais située avantageusement pour arrêter les incursions des Barbares[118]. On croit que c'est aujourd'hui Pétronel sur le Danube, entre Vienne et Hainbourg[119]. Il y demeura trois mois[120] à réparer les dommages que la province avait soufferts, et à faire les dispositions nécessaires pour aller attaquer les ennemis dans leur pays. On attendait de sa sévérité naturelle qu'il informât de la trahison faite à Gabinius, et de la perfidie ou de la lâcheté des officiers chargés de garder la frontière, qui avaient ouvert aux Barbares l'entrée de la province. Mais selon sa coutume de traiter avec dureté les soldats, et de pardonner tout à leurs commandants, il ne fit aucune recherche sur ces deux objets.

[117] Pubescente jam vere, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 5. Valentinien était encore à Trèves, le 9 avril.—S.-M.

[118] Carnuntum, Illyriorum oppidum, desertum quidem nunc et squalens, sed ductori exercitûs perquam opportunum, ubi fors copiam dedisset aut ratio, â statione proxime reprimebat barbaricos adpetitus. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[119] D'Anville pense (Géogr. abrég. t. 1, p. 155) qu'elle pourrait bien être Altenbourg, situé sur un bras du Danube, entre Raab et Presbourg.—S.-M.

[120] On voit par une loi de Valentinien adressée à Laodicéus, gouverneur de Sardaigne, qu'il se trouvait dans cette ville le 12 août.—S.-M.

XXX.

Il apprend les vexations de Probus.

Il ne put cependant fermer les yeux sur le mauvais gouvernement de Probus. Ce préfet du prétoire, jaloux de se conserver dans cette suprême magistrature, suivait une politique tout-à-fait indigne de sa haute[Pg 46] naissance[121]. Connaissant l'avidité du prince, au lieu de le ramener à des sentiments d'humanité et de justice, il ne s'étudiait qu'à servir sa passion pour l'argent. Financier impitoyable, il imaginait tous les jours de nouvelles impositions. Ses vexations allèrent si loin, qu'entre les principaux habitants des provinces de sa juridiction, plusieurs abandonnèrent le pays; la plupart déjà épuisés et toujours poursuivis, n'eurent plus d'autre séjour que les prisons: quelques-uns se pendirent de désespoir. Cette tyrannie excitait les murmures de tout l'Occident. Valentinien était le seul qui n'en fût pas instruit: content de l'argent qu'il recevait, il se mettait peu en peine des moyens employés pour le recueillir. Cependant des injustices si criantes le révoltèrent lui-même, lorsque les gémissements des peuples furent enfin parvenus jusqu'à ses oreilles. Les provinces avaient coutume d'envoyer au prince des députés pour rendre témoignage de la bonne conduite des gouverneurs. Probus ayant forcé la province d'Épire de se conformer à cet usage, elle députa à l'empereur, lorsqu'il était à Carnuntum, un philosophe cynique nommé Iphiclès, autrefois ami de Julien. Il se défendit d'abord d'accepter cette commission; mais on l'obligea de partir. Il était connu de l'empereur, qui, après l'avoir entendu, lui demanda si les louanges que la province donnait au préfet étaient bien sincères: Prince, répondit-il, entre les extorsions qui nous font gémir, l'éloge que Probus nous arrache, n'est pas celle qui nous coûte le moins[122]. Cette parole pénétra jusque dans le cœur de[Pg 47] Valentinien[123]. Il continua d'interroger Iphiclès, et lui demanda des nouvelles de tous les Épirotes distingués qu'il connaissait. Apprenant que les uns étaient allés chercher un domicile au-delà des mers, que les autres s'étaient donné la mort, il entra dans une violente colère. Léon, maître des offices, qui aspirait lui-même à la préfecture, et qui, s'il y fût jamais parvenu, aurait fait regretter tous ses prédécesseurs, n'oubliait pas d'aigrir le prince. Probus, qui se trouvait alors à la cour, essuya les plus terribles menaces, et il ne devait s'attendre qu'à en ressentir les effets, si Valentinien fût revenu de cette expédition. Le préfet voulut regagner les bonnes grâces de l'empereur par de nouvelles iniquités, couvertes d'une apparence de zèle. Le secrétaire[124] Faustinus, neveu de Juventius[125], ancien préfet de la Gaule, fut cité au tribunal de Probus pour cause de magie[126]. Il s'en justifiait par des preuves du moins aussi fortes que les charges. Pour achever de le peindre, on alléguait qu'un certain Nigrinus le priant de lui procurer un emploi dans le secrétariat, il lui avait répondu: Faites-moi empereur, et je vous ferai secrétaire[127]. La malignité sut donner un si mauvais tour à cette plaisanterie innocente, qu'elle coûta la vie à Faustinus et à Nigrinus.

[121] Non ut prosapiæ suæ claritudo monebat. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[122] Ammien Marcellin dit simplement, l. 30, c. 5, quærente curatius principe, si hi qui misere, ex animo bene sentiunt de præfecto; Gementes, inquit, et inviti.—S.-M.

[123] Quo ille verbo tamquam telo perculsus. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[124] Notarius militans. Amm. Marc. l. 30, c. 5. C'était une espèce d'intendant militaire, ou de commissaire des guerres.—S.-M.

[125] On croit qu'il se nommait encore Viventius, et on place sa préfecture en 369 et en 371.—S.-M.

[126] Il avait tué un âne. Quod asinum occidisse dicebatur ad usum artium secretarum. Amm. Marc. l. 30, c. 5. On employait de préférence cet animal dans les opérations magiques.—S.-M.

[127] Fac me imperatorem, si id volueris impetrare. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

XXXI.

Il ravage le pays des Quades.

Amm. l. 30, c. 5 et 8.

Zos. l. 4, c. 17 et 18.

Tout étant prêt pour entrer sur les terres des Quades,[Pg 48] l'empereur fit partir Mérobaudès et le comte Sébastien avec un détachement d'infanterie. Ils avaient ordre de mettre tout à feu et à sang[128]. Pour lui, afin d'embrasser une plus grande étendue de pays, il alla passer le Danube sur un pont de bateaux à Acincum, aujourd'hui Bude, capitale de la Hongrie. Ce prince était brave de sa personne, et ne méprisait rien tant que les lâches et les timides. Cependant, par une bizarrerie de tempérament, il ne pouvait s'empêcher de pâlir toutes les fois qu'il voyait ou croyait voir l'ennemi. C'était même un moyen dont ses courtisans se servaient dans l'occasion pour arrêter les emportements de colère auxquels il était sujet. Dès qu'il entendait dire que les ennemis approchaient, il changeait de couleur et se calmait aussitôt. Il n'en était pas moins hardi à affronter le péril, et il s'attendait à trouver dans le pays des Quades de quoi signaler sa valeur. Mais ils s'étaient retirés avec leurs familles sur les montagnes, d'où ils considéraient avec frayeur les troupes romaines qui portaient de toutes parts le ravage et l'incendie. On traversa le pays; on égorgea, sans distinction d'âge ni de sexe, tous ceux qui n'avaient pas eu la précaution de gagner les hauteurs; on brûla les habitations, et l'empereur revint à Acincum sans avoir perdu un seul homme[129]. On approchait de l'hiver. Il choisit, comme le lieu le plus commode pour y passer cette saison, la ville de Sabaria[130], nommée à présent Sarvar, sur le Raab. Mais avant que de s'y retirer, il remonta[Pg 49] le Danube, et fit élever des redoutes, qu'il garnit de soldats pour assurer ses quartiers et défendre le passage du fleuve. S'étant arrêté à Brégétio, qu'on croit être une ville nommée aujourd'hui Pannonie, sur le Danube[131], au-dessus de Strigonie, il y passa quelques jours, pendant lesquels, s'il en faut croire l'histoire superstitieuse de ce temps-là, plusieurs prodiges lui annoncèrent une mort prochaine. Le jour qu'il mourut, comme il sortait de grand matin, l'esprit occupé d'un songe qu'il croyait funeste, son cheval s'étant cabré en sorte qu'il ne put le monter, il s'emporta contre son écuyer, et donna ordre de lui couper la main droite. Mais Céréalis chargé de cette cruelle exécution, la différa avec beaucoup de risque pour lui-même, et la mort de l'empereur les sauva tous deux. On ne manqua pas de regarder encore comme un pronostic de la mort de Valentinien, les tremblements de terre qui s'étaient fait sentir cette année dans l'île de Crète, et dans toute la Grèce, où l'Attique seule en fut exempte.

[128] Ad vastandos cremandosque barbaricos pagos. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[129] Itidemque apud Acincum moratus autumno præcipiti. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[130] Cette ville était alors mal fortifiée et presque ruinée par les attaques qu'elle avait souffertes. Invalidam eo tempore assiduisque malis adflictam. Amm. Marc. l. 30, c. 5.—S.-M.

[131] C'est ce que dit D'Anville dans sa Géographie ancienne abrégée, t. 1, p. 155. Il n'indique pas d'une manière assez précise les cartes sur lesquelles il prétend avoir vu le nom de Pannonie, donné à cet endroit sur le Danube. Ce sont peut-être des cartes latines, faites d'après les conjectures de quelques érudits. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on ne trouve à présent aucun lieu de ce nom sur les bords du Danube, dans la position indiquée; il est même fort douteux qu'il y ait jamais existé rien de pareil. Tout ce qu'on sait de certain sur ce point, c'est que Bregetio était sur le Danube, à trente milles à l'est d'Arrabona, à présent Raab.—S.-M.

XXXII.

Mort de Valentinien.

Amm. l. 30, c. 6 et 10.

Vict. epit. p. 229 et 230.

Zos. l. 4, c. 17.

Hier. chron.

Socr. l. 4, c. 3r.

Soz. l. 6, c. 36.

Mar. Chron.

Les campagnes, déja couvertes de glaces, ne fournissaient plus de subsistances, et l'armée était sur le point de prendre ses quartiers, lorsqu'on vit arriver une troupe de Barbares mal vêtus, et dont l'extérieur n'avait rien que de méprisable: c'était une députation des Quades. Equitius les ayant introduits devant le prince, ils y[Pg 50] parurent en tremblant et dans la contenance la plus humiliée. Ils demandaient le pardon du passé, et la paix, protestant, avec serment, que les chefs de la nation n'avaient point eu de part aux ravages dont l'empereur poursuivait la vengeance; que les paysans voisins du Danube, voyant bâtir sur leurs terres une forteresse, avaient pris l'alarme, et s'étaient joints aux Sarmates pour arrêter cette injuste entreprise. Valentinien, choqué de ce reproche, leur demanda, avec mépris, qui ils étaient, et si les Quades n'avaient pas d'autres députés à lui envoyer. Ils répondirent: qu'ils étaient les premiers de la nation; et qu'elle n'avait pu lui témoigner plus de respect qu'en les députant eux-mêmes. Alors ce prince fier et emporté: Quel malheur pour l'empire, s'écria-t-il, de m'avoir choisi pour souverain, puisque sous mon règne il devait être déshonoré par les insultes d'un peuple si misérable! Il prononça ces paroles avec un si violent effort, qu'il se rompit l'artère pulmonaire. Saisi d'une sueur mortelle, et vomissant le sang en abondance, on le porta sur son lit. Ses chambellans, pour n'être pas soupçonnés d'avoir accéléré sa mort, mandèrent promptement les officiers de l'armée. On fut long-temps à trouver un de ses chirurgiens, parce qu'ils s'étaient dispersés par son ordre pour panser les soldats attaqués d'une maladie épidémique. Enfin on lui ouvrit la veine, dont on ne put tirer une goutte de sang. Le prince, respirant à peine, mais plein de connaissance, sentant approcher son dernier moment, témoignait, par le mouvement de ses lèvres, par des sons forcés et inarticulés, et par l'agitation de ses bras, qu'il voulait parler; mais il ne put former aucune parole: ses yeux enflammés s'éteignirent; des[Pg 51] taches livides se répandirent sur son visage; et après une longue et violente agonie, il expira, le 17 de novembre, dans la cinquante-cinquième année de son âge, après avoir régné douze ans moins cent jours[132]. Il fut la dernière victime de cette fougueuse colère qui avait coûté la vie à un grand nombre de ses sujets: prince guerrier, politique, religieux; mais violent, hautain, avare, sanguinaire; et trop loué peut-être par les auteurs chrétiens, qui, par l'effet d'une prévention trop ordinaire, lui ont pardonné tous ses défauts pour une seule vertu qui leur était favorable. On embauma son corps; il fut porté à Constantinople l'année suivante[133]; mais il ne fut déposé que six ans après dans la sépulture des empereurs. Outre Gratien, né de Sévéra sa première femme, il laissait quatre enfants qu'il avait eus de Justine: un fils du même nom que lui, et trois filles, Justa, Grata et Galla; les deux premières ne furent pas mariées; Galla fut la seconde femme de l'empereur Théodose.

[132] Animam diu colluctatam efflavit ætatis quinquagesimo anno et quinto; imperii, minùs centum dies, secundo et decimo. Amm. Marc. l. 30, c. 6. Valentinianus imperavit annos duodecim minus diebus centum. Aur. Vict. ep. p. 229. Valentinien avait été déclaré empereur, le 26 février 364. Ainsi le calcul de ces historiens est juste.—S.-M.

[133] Le corps de Valentinien fut reçu à Constantinople, le 28 décembre de l'an 376, mais il ne fut déposé dans le tombeau préparé pour lui, que le 21 février 382, par les ordres de Théodose.—S.-M.

XXXIII.

Valentinien II empereur.

Amm. l. 30, c. 10.

Zos. l. 4, c. 19.

Idat. chron.

Vict. epit. p. 230.

Auson. grat. act.

Socr. l. 4, c. 31.

Philost. l. 9, c. 16.

Chron. Alex. vel Pasch. p. 303.

God. chron. p. 95, 101.

Till. Grat. art. 2, et not. 3 et Valent. n. 30.

L'armée assemblée dans la ville d'Acincum craignait que les soldats gaulois, naturellement audacieux et turbulents, qui s'étaient plus d'une fois rendus arbitres de l'empire, ne se hâtassent de nommer un empereur étranger à la famille impériale. Ils étaient encore au-delà du Danube, bien avant dans le pays des Quades, sous les ordres de Mérobaudès et de Sébastien. On prit[Pg 52] donc le parti de rompre le pont qui communiquait aux terres des Quades, et de mander Mérobaudès de la part de l'empereur, comme si ce prince eût encore été vivant. Mérobaudès, dont le nom fait croire qu'il tirait son origine des Francs, était affectionné et même allié par un mariage à la famille de Valentinien. Se doutant de la vérité, ou peut-être en étant instruit par le courrier, il publia que l'empereur lui donnait ordre de renvoyer les soldats gaulois avec le comte Sébastien, pour veiller à la défense des bords du Rhin, menacés par les Allemans. Il était de la prudence d'éloigner Sébastien, avant qu'on apprît la nouvelle de la mort de l'empereur, non pas que ce comte donnât par lui-même aucun soupçon; mais il était estimé et chéri des troupes. Après avoir pris ces précautions, Mérobaudès, s'étant promptement rendu à Acincum, proposa, de concert avec le comte Equitius, de conférer le titre d'Auguste à Valentinien, âgé de quatre ans, qui se trouvait alors à trente lieues[134] de l'armée avec sa mère Justine. Les esprits y étaient déja disposés. Ainsi Céréalis, oncle maternel du jeune prince, partit sur l'heure, et l'amena au camp. Ces démarches se firent avec une si extrême diligence, que le 27 de novembre, dix jours après le décès de l'empereur[135], son second fils fut proclamé Auguste selon les formes ordinaires. Tous[Pg 53] les auteurs, excepté la chronique d'Alexandrie, abrègent encore de cinq jours cet intervalle, et placent la proclamation de Valentinien II, au 22 de novembre; ce qui me paraît incroyable. On peut conjecturer par quelques traces légères, à peine marquées dans l'histoire, que l'armée romaine ne quitta ce pays qu'après avoir remporté sur les Quades et les Sarmates un nouvel avantage, et qu'on accorda la paix à ces peuples.

[134] A cent milles de distance, selon Ammien Marcellin, l. 30, c. 10, dans une maison de campagne, appelée Murocincta. Centesimo lapide disparatus, dit-il, degensque cum Justina matre in villa quam Murocinctam appellant.—S.-M.

[135] Ce fut le sixième jour après la mort de Valentinien, selon Ammien Marcellin, l. 30, c. 10. Sextoque die post parentis obitum imperator legitimè declaratus, Augustus nuncupatur more solemni. Je ne vois aucune bonne raison de rejeter le témoignage de cet auteur et de lui préférer, comme le fait Lebeau, celui de la Chronique d'Alexandrie.—S.-M.

XXXIV.

Conduite de Gratien à l'égard de son frère.

On s'attendait bien que Gratien aurait d'abord quelque mécontentement qu'on lui eût donné un collègue sans le consulter; mais on comptait sur la bonté de son cœur, et l'on ne fut pas trompé. Il aima tendrement son frère, qu'il regarda comme son fils, et prit soin de son éducation. Il le nomma consul pour l'année suivante, et ce jeune prince fut collègue de Valens, qui prit le consulat pour la cinquième fois. Quelques historiens disent que l'Occident fut alors partagé entre les deux frères, et que Gratien laissa à Valentinien l'Italie, l'Illyrie et l'Afrique; se réservant à lui-même la Gaule, l'Espagne et la Grande-Bretagne. D'autres prétendent que ce partage ne se fit qu'après la mort de Valens; mais selon l'opinion la mieux fondée, Gratien gouverna seul tout l'Occident jusqu'à sa mort, qui arriva lorsque le jeune Valentinien n'avait pas encore douze ans accomplis. Il ne partagea donc avec son frère que le titre et les honneurs du commandement, et non pas les provinces de l'empire.

XXXV.

Caractère de Gratien encore César.

Auson. in Grat. act.

Themist. or. 9, p. 125, or. 13, p. 161, or. 15, p. 187.

Idat. chron.

Vict. epit. p. 231.

Chron. Alex. p. 293.

Sulp. Sev. l. 2, c. 63.

La jeunesse de Gratien pouvait donner de l'inquiétude, si ses bonnes qualités n'eussent rassuré les esprits. Il était né à Sirmium le 18 d'avril de l'an 359[136]. Ainsi il n'était âgé que de seize ans et demi dans le temps de[Pg 54] la mort de son père. Marié depuis un an à Constantia, fille de Constance, il n'avait nul penchant à la débauche, et jamais il ne connut d'autre femme que la sienne. Ausone, le meilleur poète de ce temps-là, avait été chargé de son éducation; et le jeune prince, dès-lors honoré du titre d'Auguste, ne s'était distingué des enfants ordinaires que par une soumission plus respectueuse. Son génie heureux et docile avait aisément pris le goût des lettres; plus vertueux que son maître, il n'avait appris de lui qu'à tourner agréablement des vers, à s'exprimer avec grace, à composer des discours. Bien fait de sa personne, il s'était adonné aux exercices du corps, il s'y était même livré avec passion. Il surpassait ceux de son âge à la course, à la lutte, à tirer de l'arc, à lancer le javelot avec force et avec adresse; personne ne savait mieux manier un cheval. Sobre, frugal, dormant peu, c'était dans les exercices qu'il mettait tout son plaisir; mais il y mit aussi toute sa gloire; et l'on reproche à ses instituteurs de ne s'être pas appliqués à le former de bonne heure aux affaires de l'état, et à lui inspirer le goût des études politiques qui conviennent à un souverain.

[136] Selon la Chronique d'Alexandrie, ce fut le 23 du même mois.—S.-M.

XXXVI.

Qualités de Gratien empereur.

L'usage de la puissance absolue ne changea rien dans son caractère. Il commençait toutes ses journées par la prière, et sa piété ne fut jamais équivoque. Sa démarche était modeste, sa contenance réservée, ses habits décents, mais sans luxe. Dans son conseil il montrait de l'intelligence et une prudence naturelle; il ne manquait que de lumières. Il était prompt à exécuter. Son éloquence avait de la force et de la douceur. Il avait trouvé le palais plein d'alarmes et de terreur, il en fit un séjour aimable: on n'y entendit plus de gémissement;[Pg 55] on n'y vit plus d'instruments de tortures. Il rappela sa mère et un grand nombre d'exilés, il ouvrit les prisons à ceux que la calomnie y tenait enfermés; il rendit les biens confisqués injustement, et fit oublier la dureté du gouvernement de son père. Il remit ce qui restait à payer pour les impositions des années précédentes, faisant publiquement brûler les cédules des redevances. Il rendait à ses amis tous les devoirs de l'amitié la plus tendre. Traitant ses soldats comme ses enfants: il allait visiter les blessés, assistait à leurs pansements, faisait charger ses mulets de leurs bagages, leur prêtait ses propres chevaux, les dédommageait de leurs pertes. Toujours accessible, écoutant avec patience, rassurant par sa bonté ceux que sa majesté intimidait, interrogeant lui-même ceux qui venaient lui porter leurs plaintes, il faisait consister son bonheur à répandre des graces et à pardonner. Il n'eut que trop d'indulgence, et il ne vécut pas assez long-temps pour apprendre qu'il est aussi nuisible aux états de ne pas châtier les crimes, que de ne pas récompenser les services. Il s'attacha à saint Ambroise; mais tous ceux qui approchèrent de sa personne, n'eurent pas les sentiments de cette ame élevée et généreuse; et l'empire, sous un prince juste, humain, libéral, ressentit encore quelquefois les tristes effets de l'iniquité, de la cruauté et de l'avarice.

An 376.

XXXVII.

Mort de Théodose.

Hier. chron.

Ambr. or. in fun. Theod. § 53. t. 2, p. 1213.

Symm. l. 10, ep. 1 et 32.

Theod. l. 5, c. 5.

Oros. l. 7, c. 33.

Jorn. de regn. succ. ap. Murat. t. 1, p. 238.

Grut. inscr. p. 402, nº 3.

Reines. class. 3, nº 62.

Fléchier, vie de Theod. l. 1, c. 44.

Till. Grat. not. 5.

La première action de son règne fut la plus blâmable de toutes. Pour en effacer l'horreur, il aurait fallu à Gratien une vie plus longue, et des vertus plus éclatantes. Théodose avait été, sous le règne de Valentinien, l'honneur et le soutien de l'état. Sa valeur venait de conserver l'Afrique, et sa sagesse y avait rétabli la[Pg 56] paix et le bon ordre. Tout l'empire célébrait ses exploits. Lui seul n'en était pas ébloui; l'habitude des grandes actions lui en cachait le prix; et quoiqu'il fût sur tout autre sujet fort éloquent, rien n'était plus simple ni plus succinct que le compte qu'il rendait de ses victoires. Il semblait ne mériter que des triomphes, lorsqu'il reçut son arrêt de mort. La postérité ignore la cause d'un si étrange événement, et c'en est assez pour faire trembler les sujets lorsqu'ils voient monter sur le trône un prince encore jeune et sans expérience, quoiqu'avec les plus excellentes qualités. Tout ce que l'histoire nous apprend, c'est que ce guerrier invincible succomba sous une intrigue de cour, et sous les coups meurtriers d'une cruelle jalousie. Il fut exécuté à Carthage. Accoutumé à braver la mort, il la vit approcher sans effroi, et la rendit, par sa fermeté, aussi glorieuse sur l'échafaud, qu'elle l'eût été sur un champ de bataille. Après avoir demandé et reçu le baptême, pour s'ouvrir l'entrée d'une vie immortelle, il présenta lui-même sa tête à l'exécuteur. L'empire le pleura; on lui érigea dans la suite des statues à Rome et dans les provinces; les payens l'honorèrent du titre de Divus; et Gratien lui-même semble n'avoir pas différé de ressentir une douleur amère d'une si noire ingratitude. Le choix qu'il fit peu de temps après de Théodose le fils, pour l'associer à l'empire, prouve autant ses regrets, qu'il justifie la mémoire du père. Le jeune Théodose qui brillait déja d'une gloire personnelle, se déroba pour lors aux traits de l'envie: il se retira en Espagne où il avait pris naissance. Quelques auteurs épargnent à Gratien une si atroce injustice; ils en chargent Valens:[Pg 57] ce prince, disent-ils, sacrifia Théodose à ses craintes: il le fit mourir avec tous ceux dont le nom commençait par les quatre lettres fatales; mais outre qu'il est au moins incertain que Valens ait fait périr personne pour une cause si frivole, Théodose ne fut mis à mort que deux ans après cet oracle prétendu dont nous avons parlé; et ce qui est encore plus fort, il n'était pas sujet de Valens. Carthage, où s'exécuta cette funeste tragédie, faisait partie de l'empire de Gratien; et le jeune empereur n'était pas assez uni avec Valens pour se prêter, par une si criminelle condescendance, aux alarmes chimériques de son oncle.

XXXVIII.

Punition de Maximin.

Amm. l. 28, c. 1, et ibi Vales.

Symm. l. 10, ep. 2.

Cod. Th. l. 9, tit. 1, l. 13; tit. 6, leg. 1, 2; tit. 35, leg. 3.

Till. Grat. not. 4.

Il est plus probable que ce fut le dernier effet de la méchanceté de Maximin: ce barbare, teint du sang de tant de familles illustres, après avoir déshonoré le règne de Valentinien par des cruautés sans nombre, espérait noircir des mêmes horreurs celui de Gratien. La jeunesse du prince augmentait encore sa hardiesse et son insolence. Gratien ne tarda pas à le connaître, et bientôt il désarma sa fureur. Les esclaves et les affranchis étaient les instruments les plus ordinaires que Maximin mettait en œuvre. Gratien ordonna que ceux qui oseraient accuser leurs maîtres de tout autre crime que de celui de lèse-majesté, seraient, sans être entendus, brûlés vifs avec leurs libelles de dénonciation. Bientôt après Maximin lui-même, convaincu de plusieurs crimes, eut la tête tranchée. Simplicius subit la même peine en Illyrie; et Doryphorianus, autre ministre de Maximin, après avoir été renfermé dans la prison de Rome, en fut tiré par le conseil de la mère de l'empereur, pour expirer dans les plus rigoureuses tortures. Après la punition de ces hommes sanguinaires,[Pg 58] Gratien songea à rassurer le sénat qu'ils avaient tenu si long-temps dans des alarmes continuelles. Il adressa à cette compagnie une lettre qui fut reçue avec joie: elle contenait plusieurs réglements favorables; et dès le commencement de l'année suivante il renouvela, par une loi expresse, un ancien privilège des sénateurs, que Maximin n'avait jamais respecté; c'était qu'ils fussent exempts des tourments de la question.

XXXIX.

Lois de Gratien.

Cod. Th. l. 10, tit. 19, leg. 8; l. 13, tit. 3, leg. 11; l. 15, tit. 1, leg. 19; l. 16, tit. 2, leg. 23, 24; tit. 5, leg. 4, 5, et ibi God. tit. 6, leg. 2.

God. chron.

Hier. ep. 107, t. 1, p. 672.

Symm. l. 9, ep. 83.

Grut. inscr. p. 192, nº 3, et p. 1087, nº 4.

Le jeune prince, naturellement pieux, était entretenu dans cette heureuse disposition par les conseils de Gracchus, qu'il honorait de sa confiance, et qu'il éleva à la dignité de préfet de Rome vers la fin de cette année. On dit que Gracchus descendait de l'ancienne et illustre famille Sempronia, dont il portait le surnom[137]. Plein de zèle pour le christianisme, il profita de l'autorité que lui donnait sa charge pour affaiblir l'idolâtrie; il détruisit un grand nombre d'idoles, mais sans user de violence, et sans donner ouvertement atteinte à la liberté de culte dont les payens jouissaient encore[138]. L'empereur fit, dès cette année, et la suivante, plusieurs lois avantageuses à l'église. Il ordonna que les contestations qui auraient pour objet les affaires de la religion, seraient décidées par l'évêque ou par le synode de la province, mais que les juges ordinaires demeureraient saisis des causes civiles ou criminelles. Il exempta des charges personnelles les prêtres et les ministres inférieurs. Les Donatistes[Pg 59] avaient signalé leur zèle en faveur de Firmus: ils furent aussi les premiers hérétiques que l'empereur s'efforça de réprimer; il leur ôta leurs églises; il déclara que les lieux où ils tiendraient leurs assemblées, seraient saisis au profit du fisc[139]. Il étendit dans la suite cette loi sur tous les hérétiques. Cependant après la mort de Valens, étant à Sirmium, il leur rendit la liberté de s'assembler, exceptant seulement les sectateurs de Manès, d'Eunomius et de Photinus; mais cette permission fut bientôt révoquée. L'instruction publique a un rapport direct à la religion: aussi Gratien s'occupait-il dans le même temps à soutenir l'une et l'autre. L'étude des belles-lettres fleurissait alors dans la Gaule: il chargea le préfet d'établir dans toutes les principales cités des maîtres de rhétorique et de grammaire latine et grecque, et d'avoir soin qu'on fît choix pour ces emplois des personnes les plus capables. Il leur assigna, sur le trésor des villes, des appointements considérables, qu'il voulut régler lui-même, ne s'en rapportant pas sur ce point à la générosité des habitants: et comme Trèves était alors la ville impériale, il y établit de plus fortes pensions pour les professeurs[140]. La décadence des arts se faisait sentir de plus en plus; les Romains commençaient ce que les Goths devaient bientôt achever: ils détruisaient ou déshonoraient les magnifiques monuments de l'ancienne architecture, pour élever ou embellir des édifices de mauvais goût; et Rome perdait tous les jours de son antique majesté.[Pg 60] Gratien ordonna aux magistrats de cette ville d'entretenir les ouvrages de leurs ancêtres; et afin qu'ils eussent la facilité d'en construire de nouveaux sans dégrader les anciens, il abolit en faveur des sénateurs les droits imposés sur le transport et l'entrée des marbres, qu'on tirait des carrières de Macédoine et d'Illyrie.

[137] Gracchus nobilitatem patriciam nomine sonans, dit S. Jérôme, dans sa lettre à Léta, t. 1, p. 672.—S.-M.

[138] On cite quelques inscriptions de l'an 376, qui offrent le nom de Turcius Secundus Asterius, de Servilius Ædesius et d'Aurelius Victor Augentius, qui furent décorés de pontificats païens, ou qui célébrèrent alors des fêtes, selon les rites de l'ancienne croyance.—S.-M.

[139] Ce fut en vertu d'une loi dont le texte est perdu, mais qui est souvent citée dans le code Théodosien. Elle était adressée à un certain Nitentius dont la qualité nous est inconnue, et elle fut rendue en l'an 376.—S.-M.

[140] Ces mesures furent prises en vertu d'une loi rendue à Trèves, le 23 mai 376.—S.-M.

XL.

Irruption des Huns.

Zos. l. 4, c. 20.

S. Ambros. comment. in Luc. l. 10, c. 10, t. 1, p. 1506.

L'Occident était en paix, et la négociation entamée avec Sapor suspendait en Orient les hostilités, sans faire cesser les inquiétudes. La Lycie et la Pamphylie étaient les seules provinces qui ne jouissaient pas du repos. Les Isauriens y ravageaient les campagnes, et, à l'approche des troupes romaines, ils se retiraient à l'ordinaire avec leur butin dans leurs montagnes inaccessibles; mais un peuple plus féroce que les Barbares connus jusqu'alors, portant l'effroi et le carnage, vint annoncer de nouveaux malheurs. Les Huns, sortant des Palus Méotides, poussèrent devant eux les nations qui habitaient au nord du Danube; et ces fugitifs renversés les uns sur les autres, se répandirent sur les provinces romaines, et changèrent la face de l'empire[141]. C'est un des points les plus importants de notre histoire, de faire connaître ce peuple redoutable, que la main de Dieu conduisit d'une extrémité du monde à l'autre, pour châtier les crimes de la terre. Son origine cachée dans les immenses forêts de la Tartarie asiatique, est demeurée inconnue jusqu'à nos jours. M. de Guignes, très-versé dans la littérature orientale, a découvert dans les historiens chinois tout le détail de l'histoire des Huns[142]. Guidés par ses recherches, nous allons tracer[Pg 61] une idée de cette nation fameuse, et recueillir après[Pg 62] lui dans les auteurs grecs et latins les traits qui la caractérisent.

[Pg 63]

[141] Chunni in Alanos, Alani in Gothos, Gothi in Taïfalos et Sarmatas insurrexerunt. Nosquoque in Illyrico exsules patriæ Gothorum exsilia fecerunt, et nondum est finis. Ambr. Exp. in Ev. Luc. l. 10, c. 10.—S.-M.

[142] Deguignes est le premier savant qui ait tenté de dissiper la profonde obscurité répandue sur l'origine de la puissante nation des Huns, qui apparut à la fin du 4e siècle sur les frontières de l'empire romain, qu'elle menaça d'une entière destruction. Les recherches qu'il fit dans ce but furent immenses; il en a consigné le résultat dans son Histoire générale des Huns, Turks, etc. qu'il publia en cinq volumes in-4º. en 1756. Ce travail considérable méritait certainement les éloges qu'on lui a prodigués, surtout à l'époque où il parut. L'idée de faire connaître les Annales de la Chine, et d'y chercher des renseignements sur l'origine des peuples qui soumirent ce pays à diverses époques, et qui se répandirent dans d'autres régions, était heureuse. Le rapprochement de tous ces faits avec ceux qui se trouvent dans les anciens et dans nos historiens européens devait amener quelques résultats importants. C'est dans ce nombre qu'il faut placer la pensée de comparer les détails que fournissent les Chinois sur les Hioung-nou, peuple célèbre parmi eux, et long-temps dominateur des régions intérieures de l'Asie, avec ce que les Grecs et les Latins nous apprennent des Huns sujets d'Attila. Tout en rendant justice à cette idée lumineuse, on ne peut cependant s'empêcher de reconnaître que Deguignes en a poussé trop loin les conséquences. Ce ne serait pas la première fois qu'une observation juste aurait donné lieu à de fausses applications, pour n'avoir pas eu égard à beaucoup de considérations accessoires, mais non moins importantes, par leur influence sur des déductions plus éloignées. L'un des premiers inconvénients du système de Deguignes a été d'étendre le nom des Hioung-nou ou Huns, à toutes les tribus barbares de l'Asie centrale. En les réunissant ainsi sous une dénomination commune, qui a pu leur convenir à certaines époques, et sous certaines conditions, il a considérablement affaibli son hypothèse. Effectivement il est difficile de reconnaître dans son ouvrage à qui appartenait réellement le nom de Huns, qu'il donne aux Turks, aux Mongols, aux Mandchous et à beaucoup d'autres peuples encore, dont la différence d'origine est démontrée par les langues dont ils se servent. A quelle branche de ces peuples faut-il donc appliquer plus particulièrement la dénomination dont il s'agit? Deguignes ne le décide pas et peut-être est-il vrai de dire qu'elle ne convient parfaitement à aucun d'eux. Les historiens occidentaux et ceux de l'Arménie, nous montrent les Huns anciennement établis sur les rives du Volga et dans presque tous les pays à l'orient du Borysthène, qui forment actuellement l'empire de Russie. Tous les peuples soit anciens, soit modernes, qui paraissent tirer leur origine de ces barbares, nous font voir par les langues dont ils se servent encore, que les Huns durent former un peuple bien distinct et qu'il ne faut pas confondre avec les Turks, les Mongols et les Mandchous, quoique son nom, sa puissance et sa langue peut-être, se soient étendus autrefois jusque dans des pays très-éloignés et occupés à présent par les trois nations dont je viens de parler. Tous les peuples répandus dans les monts Ourals et dans diverses parties de la Russie, et qui paraissent descendre des anciens Huns, sont appelés actuellement Finnois, du nom de la Finlande, région située sur la mer Baltique et habitée par des hommes de la même race et de la même langue. Cette dénomination doit également s'appliquer aux Hongrois on Madjars, qui vinrent au neuvième siècle des bords du Volga, sur ceux du Danube. Leurs souvenirs historiques les rattachent aux anciens Huns, et leur langue prouve qu'ils sont Finnois. Ce dernier rapprochement ne ferait-il pas voir aussi qu'il s'agit sous deux formes peu différentes d'un seul et même nom. La fréquente permutation de l'H en F, dans une multitude d'idiomes est trop connue et trop commune pour qu'il soit nécessaire de s'y arrêter. Il n'est donc pas douteux à ce que je pense que le nom de Hunn diversement orthographié, ne soit le même que celui de Finn, et qu'il s'applique à une même race. Il est à remarquer que tous les renseignements qui le font connaître par la mer Noire et la mer Caspienne donnent la première orthographe, tandis que la dernière ne se rencontre que dans les relations venues par le nord et par la mer Baltique. Ainsi dès le commencement du deuxième siècle, Tacite avait connu les Finnois par la Germanie. Cette indication prouve que dès lors, et sans doute long-temps avant, les Huns ou Finnois s'étaient étendus jusqu'à la mer Baltique. Ce rapprochement montre encore que dans l'antiquité, comme à des époques plus récentes, les peuples de cette race étaient répandus sur tous les pays qui forment l'empire de Russie, dont il est à croire qu'ils furent les premiers habitants, avant l'arrivée des tribus gothiques et slaves, qui les soumirent plus d'une fois à leur empire en tout ou en partie. Si les Huns sont les indigènes des monts Ourals et des rives du Volga, rien ne s'oppose à ce qu'à des époques très-anciennes leur race ne se soit portée très-loin vers l'Orient, de manière à s'avancer jusqu'aux frontières de la Chine, comme plus tard ils se répandirent sur l'Europe. En soumettant à leurs lois les diverses tribus turques, mongoles ou mandchoues établies dans la Sibérie et dans l'Asie centrale, ils leur ont donné leur nom, qui s'est alors propagé jusque chez les Chinois, qui le font remonter jusqu'à des temps très-reculés. Rien n'empêche même de croire que des tribus, en tout semblables à celles des Finnois, n'aient pénétré jusque dans l'intérieur de l'Asie. L'un des résultats de l'établissement d'une aussi vaste puissance, a été de faire confondre les Huns, avec plusieurs des peuples qui, en devenant leurs sujets, partagèrent leur nom. C'est ainsi que les Turks primitifs ont été confondus avec eux. Tous les mots de la langue des anciens Hioung-nou conservés par les auteurs chinois étant Turks, on en a conclu que ces Hioung-nou étaient des Turks. Cette considération a fait douter à quelques personnes de l'identité des Huns, qui sont certainement Finnois, avec les Hioung-nou, identité proposée par Deguignes, qui ne balance pas à admettre la commune origine des deux peuples. Sans pousser si loin les conséquences de son système, ne serait-il pas plus naturel de croire, en admettant l'identité des deux noms, soit qu'ils aient pris naissance dans le sein de la race turque ou dans la race finnoise, qu'ils furent propres d'abord à une tribu particulière qui le communiqua ensuite à tous les peuples d'origines diverses qu'elle soumit à son empire? J'en dis autant du nom de Turk qu'il est difficile d'assigner originairement à l'une plutôt qu'à l'autre race. On conçoit alors comment le nom de Huns peut convenir aux anciens Turks et aux Finnois. On en trouve une preuve assez claire dans un passage de Théophylacte Simocatta, l. 3, c. 6, qui rapporte que les Perses sont dans l'usage d'appeler Turks les Huns qui habitent du côté du nord-est. Τῶν Οὔννων τοιγαροῦν τῶν πρὸς τῷ βοῤῥᾷ τῆς ἕω, οὕς Τούρκους ἔθος Πέρσαις ἀποκαλεῖν. Il serait facile d'en citer d'autres exemples. Les Hongrois actuels, dont le nom national est celui de Madjar, étaient appelés Turks, lorsqu'ils vinrent s'établir sur les bords du Danube au neuvième siècle de notre ère. Les écrivains de Constantinople donnèrent alors à la Hongrie le nom de Turquie Τούρκιας. Il est certain cependant que ces peuples qui se regardent comme les descendants des Huns d'Attila, sont Finnois, et leur langue qui le prouve présente très-peu de rapports avec le turk. Ces nouveaux Huns devaient donc à des circonstances particulières un nom qui semble appartenir à une race différente. De même, quand au treizième siècle les fils de Tchinghiz-Khan répandirent sur presque toute l'Asie et dans une grande partie de l'Europe la terreur et la puissance des Mongols, leurs soldats portaient tous ce nom redouté, qui cependant n'appartenait réellement qu'aux chefs et à une petite partie d'entre eux. Presque tous ces conquérants étaient Turks; et parmi ceux de leurs descendants qui existent en Russie, il n'en est aucun qu'on puisse rapporter à la race des Mongols. Il serait donc possible que, par suite d'un mélange de la même espèce, le nom de Hioung-nou ou Huns, le même que celui des Finnois, porté d'abord par une nation turque, se fût introduit à une époque très-reculée chez les Finnois, qui l'auraient seuls gardé et perpétué jusqu'à nous.—S.-M.

XLI.

Origine des Huns.

Deguignes, Hist. des Huns, descr. de la grande Tartarie, c. 1, art. 8, § 9, et c. 2, art. 4, et l. 1, p. 13, 15, 21, 34, 69 et 123.

Amm. l. 31, c. 2.

Claud. in Ruf. l. 1, v. 323-333.

Agathias, l. 5, p. 154.

Proc. bel. Pers. l. 1, c. 10.

Soz. l. 6, c. 37.

Philost. l. 9, c. 17.

Jornand. de reb. Get. c. 24.

Ptol. geogr. l. 6, c. 16.

L'Occident ne commença à connaître les Huns qu'au moment qu'ils se firent voir en Europe, après avoir passé le Tanaïs[143]. On n'a pas suivi plus loin la trace[Pg 64] de leur origine; et la plupart des auteurs placent leur première demeure à l'orient des Palus Méotides[144]. C'est pour cette raison que Procope les confond avec les Scythes et les Massagètes, dont il y avait des peuplades établies en-deçà comme au-delà de la mer[Pg 65] Caspienne[145]. Jornandès raconte sérieusement que les Huns naquirent du commerce des diables avec des sorcières, que les Goths avaient reléguées dans les déserts de la Scythie[146]. Les Chinois, mieux instruits[Pg 66] de l'histoire de ce peuple, avec lequel ils ont presque toujours été en guerre, nous apprennent qu'il habitait au nord de la Chine[147]. Ce sont les Annibi de[Pg 67] Ptolémée[148]. Ils s'étendaient d'occident en orient dans l'espace de cinq cents lieues, depuis le fleuve Irtisch jusqu'au pays des Tartares nommés aujourd'hui Mantcheous[149]. Ils occupaient trois cents lieues de pays, du septentrion au midi, étant bornés d'un côté par les monts Altaï, de l'autre par la grande muraille de la Chine et les montagnes du Thibet.

[143] Ce fait n'est pas certain. Ammien Marcellin, le premier et le plus exact des auteurs qui ont parlé de l'apparition des Huns, se contente de dire, l. 31, c. 2, que c'était une nation peu connue des anciens. Hunnorum gens, monumentis veteribus leviter nota. Ce n'est pas là dire qu'il s'agit d'une nation tout-à-fait inconnue. J'ai déjà observé, tom. 3, p. 277, note 3, liv. XVII, § 5, que les auteurs arméniens en parlent de manière à faire voir, que les Huns étaient bien connus dans leur pays, au quatrième siècle de notre ère. Ce qu'ils en disent montre, qu'ils étaient alors les plus puissants des peuples établis entre la mer Noire et la mer Caspienne, sur les bords du Volga et du Tanaïs. Mais, long-temps avant cette époque, les Huns s'étaient avancés jusqu'au Borysthène. Ils paraissent dans Ptolémée, l. 3, c. 5, sous le nom de Chuni, et ce géographe les place entre les Bastarnes et les Roxolans, μεταξὺ βαστέρνων καὶ Ῥωξολάνων Χοῦνοι. La forte aspiration qui commence le nom des Huns dans Ptolémée, se retrouve souvent dans les auteurs latins du 5e et du 6e siècle. On a pu déjà, en voir un exemple dans le passage de S. Ambroise, cité p. 60, note 1. Il serait facile d'en citer beaucoup d'autres. Les auteurs arméniens donnent aussi une aspiration à ce nom, mais moins forte; les écrivains du Nord, qui connurent les Huns par les invasions qu'ils firent dans la Scandinavie, ne manquent pas non plus de placer une aspiration devant leur nom. Ils appellent presque tout le pays, qui forme actuellement la Russie Européenne, Chunigard, c'est-à-dire, la demeure des Huns. La lettre initiale du nom des Finnois y représente aussi l'aspiration de celui des Huns. Denys le Périégète, v. 730, donne une autre mention des Huns, presque aussi ancienne que celle de Ptolémée. Il les place sur les bords de la mer Caspienne, dans le voisinage des Albaniens, précisément au lieu où les mettaient les Arméniens. C'est pour cette raison que ceux-ci appelaient le défilé de Derbend le rempart des Huns. Ces autorités font voir bien clairement que, dès avant le deuxième siècle de notre ère, les Huns étaient établis sur les bords de la mer Caspienne, sur les rives du Volga et du Tanaïs, et même sur ceux du Borysthène. Si on admet, comme on n'a guère au reste de raison pour s'y refuser, si on admet, dis-je, l'identité de ce peuple avec les Finnois, on le retrouvera dans Tacite, et dans Ptolémée, l. 3, c. 5, comme bornant du côté de l'orient les nations sarmates et germaniques, de manière à occuper tout l'espace compris entre la mer Noire et la mer Baltique, s'étendant jusqu'à l'océan glacé. La chose résulte assez clairement de ce que Tacite dit (German. c. 46.) au sujet des Fenni. Si les Huns ne furent pas connus d'une manière éclatante avant le 4e siècle, ce n'est pas qu'ils occupassent alors des régions très-éloignées, c'est qu'ils n'avaient pas encore vaincu les Goths, dont ils étaient probablement sujets, et qui les séparaient des terres de l'empire. Il est évident, après ces détails, qu'il y a de l'exagération dans Sozomène, quand il dit, l. 6, c. 27, que les Huns étaient inconnus aux Thraces du Danube et aux Goths eux-mêmes. Τοῦτο δὲ τὸ ἔθνος, ῶς φασὶν, ἄγνωστον ἦν προτοῦ Θρᾳξὶ τοῖς παρὰ τὸν Ἴστρον, καὶ Γότθοις αὐτοῖς.—S.-M.

[144] Ammien Marcellin dit, l. 31, c. 2, qu'ils habitaient au-delà des Palus Méotides, s'étendant jusqu'à la mer Glaciale, ultra Paludes Mæoticas, Glacialem Oceanum accolens; ce qui indique clairement qu'ils occupaient dès lors tout le pays, où on retrouve les hommes de race finnoise. Ce témoignage est tout-à-fait d'accord avec celui de Claudien, qui dit que les Huns étaient la plus célèbre des nations du septentrion, et qu'ils habitaient au-delà des glaces du Tanaïs, vers l'orient, contr. Ruf. l. 1, v. 323 et seq.

Est genus extremos Scythiæ vergentis in ortus
Trans gelidum Tanain, quo non famosius ullum
Arctos alit.

S. Jérôme en dit autant, ep. 77, t. 1, p. 460. Tous les auteurs s'accordent à leur donner pour habitation les vastes plaines qui s'étendent au nord du mont Caucase, entre les deux mers, se prolongeant fort au loin vers la mer Glaciale et l'orient. Agathias dit de plus, l. 5, p. 154, que la nation des Huns, οἱ Οὖννοι τὸ γένος, habitait autrefois sur les bords du marais Méotis, τὸ μὲν παλαιὸν κατώκουν τῆς Μαιώτιδος λίμνης, du côté du nord-est, τὰ πρὸς ἀπηλιώτην ἄνεμον, et qu'ils étaient bien au nord du Tanaïs, καὶ ἦσαν τοῦ Τανάῖδος ποταμοῦ ἀρκτικώτεροι. On voit que tous ces auteurs sont d'accord et que leur témoignage est conforme à ce que j'ai dit dans les notes précédentes. Quant à ce que rapportent Zosime, l. 4, c. 20, et Philostorge, l. 9, l. 17, que les Huns étaient, selon le premier, les mêmes que les Scythes royaux d'Hérodote, et, selon le second, les Neures du même auteur, ce sont des assertions qui ne méritent ni confiance, ni discussion.—S.-M.

[145] Les Alains, comme on le verra bientôt d'après le témoignage d'Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, étaient les mêmes que les anciens Massagètes. Comme les Huns avaient vaincu les Alains et s'étaient emparés du pays qu'ils occupaient, il n'est pas étonnant que Procope, de Bell. Goth. l. 2, c. 1, les ait regardés comme le même peuple. Ceci doit faire voir que les rapprochements établis par les auteurs grecs et latins entre deux peuples anciens n'indiquent pas toujours que ces deux nations appartiennent à la même race; ils montrent seulement qu'elles se sont succédées dans les mêmes régions. C'est par la même raison que les Huns portent souvent aussi le nom de Scythes, avec lesquels on ne peut les confondre, puisque ceux-ci étaient les mêmes que les Gètes ou Goths, qui furent chassés par les Huns des pays qu'ils possédaient entre le Danube et le Tanaïs. Il est évident qu'on n'a pu les confondre que parce qu'ils ont occupé les mêmes contrées. Il en doit être de même de la confusion des Huns avec les Massagètes.—S.-M.

[146] Ces sorcières, selon l'historien goth, étaient appelées Aliorumnæ; elles furent chassées, à ce qu'il dit, par les Goths, sous le règne de Filimer, fils du grand Gandaric, le cinquième de leurs rois, après leur sortie de la Scandinavie. Repperit, dit-il, in populo suo quasdam magas mulieres, quas patrio sermone Aliorumnas is ipse cognominat, easque habens suspectas de medio sui proturbat, longeque ab exercitu suo fugatas in solitudinem coegit terræ. Quas spiritus immundi per eremum vagantes dum vidissent, et earum se complexibus in coitu miscuissent, genus hoc ferocissimum edidere; quod fuit primum inter paludes minutum, tetrum atque exile, quasi hominum genus, nec alia voce notum, nisi quæ humani sermonis imaginem assignabat. Tali ergo Hunni stirpe creati, Gothorum finibus advenere. Tous les peuples ont inventé des fables pareilles contre les Barbares leurs voisins qu'ils détestaient; ces fables ne sont que des témoignages de leur haine.—S.-M.

[147] Voici ce que dit M. Abel-Rémusat, dans ses Recherches sur les langues Tartares, t. 1, p. 327, sur l'étendue de l'ancienne puissance des Hioung-nou ou Huns. «Les Hioung-nou avaient à l'orient les barbares appelés Toung-hou ou barbares orientaux; dénomination vague, sous laquelle nous avons vu que probablement les Mongols et les Tongous avaient été confondus. Au sud-est, ils touchaient aux provinces chinoises du Chan-si et du Chen-si, dans lesquelles beaucoup de leurs tribus se sont répandues plus tard, et ont fondé des principautés. Au sud, était établie, deux siècles avant notre ère, la nation des Youeï-chi, chassée ensuite vers l'occident par les Hioung-nou; au sud-ouest, les Saï, dont les écrivains chinois font une race distincte, habitant primitivement au nord-est de la mer Caspienne, repoussée par les Youeï-chi vers le midi, entre Khasigar et Samarkand; à l'ouest des Hioung-nou, étaient les Ou-sun, grande et puissante nation, qui différait, par les traits du visage et par la langue, de tous les autres peuples de la haute Asie. Les hommes étaient remarquables par la couleur bleue de leurs yeux et par leurs cheveux rouges. C'est d'eux que tirent leur origine tous ceux des Tartares, qui, dans différentes tribus, offrent ces traits caractéristiques. Ils avaient d'abord été soumis aux Hioung-nou; mais leur puissance s'étant augmentée, ils devinrent indépendants, et s'emparèrent même du pays des Saï, jusqu'aux villes, c'est-à-dire jusqu'à la Boukharie. Il n'est pas difficile de reconnaître, dans toute cette description, un peuple gothique, opposant, depuis qu'il était devenu indépendant, une limite à l'extension des Turks du côté de l'occident. Plus au nord, étaient les Ting-ling, peuple de même origine que le précédent, et qui vivait mêlé avec les Kirgis. Enfin, du côté du septentrion, jusqu'à la mer Glaciale, étaient beaucoup de petites nations, dont le nombre augmenta encore, à mesure que les tribus turkes se détachèrent de la monarchie des Hioung-nou, et prirent des noms particuliers.» Le peuple gothique, qui bornait les Hioung-nou du côté de l'occident, n'était autre que les Alains, et la description qu'en donnent les auteurs chinois, est tout-à-fait conforme à celle d'Ammien Marcellin, l. 31, c. 2. Quant au nom d'Ou-sun, qu'ils portent dans les auteurs chinois, c'est celui d'Asiani, qu'on trouve dans Strabon et dans quelques autres auteurs, et qui s'est conservé chez les descendants des Alains, qui habitent encore au milieu du Caucase, où on les connaît sous le nom d'Ossi. Pour les Saï des Chinois, ce sont les Saces des anciens, c'est-à-dire la portion de la nation des Scythes, qui habitait sur la frontière nord-est de la Perse. Ils avaient même dès long-temps fait des établissements dans ce pays, où ils avaient donné leur nom à une province limitrophe de l'Inde, qui fut appelée Sacastan, Sedjestan et Saïstan; ce dernier nom prouve bien l'identité des Saï avec les Saces. C'est à cause d'eux que les anciens Persans donnaient le nom de Saces à tous les Scythes.—S.-M.

[148] Il est difficile d'imaginer les raisons qui ont pu porter Deguignes à confondre les Huns avec les Annibi de Ptolémée, une de ces nombreuses tribus tout-à-fait inconnues d'ailleurs, qui ont été accumulées assez confusément par ce géographe dans la partie nord-est de l'Asie. Ptolémée se contente de dire que les Annibi étaient dans le voisinage des anthropophages, et qu'ils avaient à l'orient un peuple également inconnu qu'il appelle les Garinæi. Il est possible que l'on doive comprendre les Annibi dans les Hioung-nou des Chinois, mais on ne doit pas assimiler, comme l'a fait Deguignes, un aussi petit peuple avec une aussi grande puissance.—S.-M.

[149] C'est-à-dire des Mandchoux, qui sont les maîtres de la Chine depuis environ deux siècles.—S.-M.

XLII.

Caractère et coutumes des Huns.

Deguignes, l. 1, p. 14, 15, 16, l. 4, p. 293.

Amm. l. 31, c. 2.

Zos. l. 4, c. 20.

Jornand. c. 24, Proc. bel.

Goth. l. 2, c. 1, l. 4, c. 3, et Vandal. l, 1, c. 12 et 18.

Agath. l. 5, p. 156.

Sidon. Apoll. carm. 2, v. 243-272.

Salv. de gubern. Dei, l. 4, c. 14.

Les Huns étaient de tous les barbares les plus affreux à voir[150]. Ce n'était qu'une masse informe, et[Pg 68] les Romains les comparaient à une pièce de bois à peine dégrossie[151]. Ils avaient la taille courte et ramassée, le cou épais et rentrant dans les épaules[152], le dos courbé, la tête grosse et ronde, le teint noir, les yeux petits et enfoncés, mais le regard vif et perçant[153]. Ils s'étudiaient encore à augmenter leur difformité naturelle. Dès que les enfants mâles venaient au monde, les mères leur écrasaient le nez, afin que le casque pût[Pg 69] s'appliquer plus juste à leur visage[154]; et les pères leur tailladaient les joues, afin d'empêcher la barbe de croître. Cette opération cruelle rendait leur visage défiguré de coutures et de cicatrices[155]. Leur façon de vivre n'était pas moins sauvage que leur figure. Ils ne mangeaient rien de cuit, et ne connaissaient nulle espèce d'assaisonnement. Ils vivaient de racines crues ou de la chair des animaux un peu mortifiée entre la selle et le dos de leurs chevaux[156]. Jamais ils ne maniaient la charrue[157]: les prisonniers qu'ils faisaient à la guerre cultivaient la terre, et prenaient soin des troupeaux. Ils n'habitaient ni maisons ni cabanes; toute enceinte de murailles leur paraissait un sépulcre[158]; ils ne se croyaient pas en sûreté sous un toit[159]. Accoutumés dès l'enfance à souffrir le froid, la faim, la soif[160], ils changeaient[Pg 70] fréquemment de demeure, ou, pour mieux dire, ils n'en avaient aucune; errants dans les montagnes et dans les forêts, suivis de leurs nombreux troupeaux, transportant avec eux toute leur famille dans des chariots traînés par des bœufs. C'était là que leurs femmes renfermées s'occupaient à filer ou à coudre des vêtements pour leurs maris, et à nourrir leurs enfants[161]. Ils s'habillaient de toile ou de peaux de martres qu'ils laissaient pourrir sur leur corps, sans jamais s'en dépouiller[162]. Ils portaient un casque, des bottines de peau de bouc, et une chaussure si informe et si grossière, qu'elle les empêchait de marcher librement; aussi n'étaient-ils pas propres à combattre à pied[163]. Ils ne quittaient presque jamais leurs chevaux, qui étaient petits et hideux, mais légers et infatigables[164]. Ils y passaient les jours et les nuits, tantôt montés en cavaliers,[Pg 71] tantôt assis à la manière des femmes[165]. Ils n'en descendaient ni pour manger, ni pour boire; et lorsqu'ils étaient pris de sommeil, se laissant aller sur le cou de leur monture, ils y dormaient profondément[166]. Ils tenaient à cheval le conseil de la nation[167]. Toutes les troupes de leur empire étaient commandées par vingt-quatre officiers, qui étaient à la tête chacun de dix mille cavaliers; ces corps se divisaient en escadrons de mille, de cent et de dix hommes; mais dans les combats ils n'observaient aucun ordre. Poussant des cris affreux, ils s'abandonnaient sur l'ennemi[168]: s'ils trouvaient trop de résistance, ils se dispersaient bientôt,[Pg 72] et revenaient à la charge avec la vitesse des aigles et la fureur des lions, enfonçant et renversant tout ce qui se rencontrait sur leur passage. Leurs flèches étaient armées d'os pointus, aussi durs et aussi meurtriers que le fer[169]; ils les lançaient avec autant d'adresse que de force, en courant à toute bride et même en fuyant. Pour combattre de près, ils portaient d'une main un cimeterre et de l'autre un filet, dont ils tâchaient d'envelopper l'ennemi[170]. Une de leurs familles avait le glorieux privilége de porter le premier coup dans les batailles; il n'était permis à personne de frapper l'ennemi, qu'un cavalier de cette famille n'en eût donné l'exemple[171]. Leurs femmes ne craignaient ni les blessures ni la mort; et souvent après une défaite, on en trouva parmi les morts et les blessés. Dès que leurs enfants pouvaient faire usage de leurs bras, on les armait d'un arc proportionné à leur force; assis sur des[Pg 73] moutons, ils allaient tirer des oiseaux et faisaient la guerre aux petits animaux. A mesure qu'ils avançaient en âge, ils s'accoutumaient de plus en plus aux fatigues et aux périls de la chasse; enfin, lorsqu'ils se sentaient assez forts, ils allaient dans les combats repaître de sang et de carnage leur férocité naturelle. La guerre était pour eux l'unique moyen de se signaler: les vieillards languissaient dans le mépris; la considération était attachée à l'usage actuel des armes[172]. Ces Barbares, tout grossiers qu'ils étaient, ne manquaient ni de pénétration, ni de finesse. Leur bonne foi était connue: ils ignoraient l'art d'écrire; mais en traitant avec eux, on n'avait pas besoin d'autre sûreté que de leur parole[173]; d'ailleurs, ils avaient au souverain degré tous les vices de la barbarie[174]: cruels, avides de l'or[175], quoiqu'il leur fût inutile; impudiques, prenant autant de femmes qu'ils en pouvaient entretenir, sans aucun égard aux degrés d'alliance ni de parenté[176], le fils épousait les femmes de son père[177]; adonnés à l'ivrognerie, avant[Pg 74] même qu'ils eussent connu l'usage du vin, ils s'enivraient d'un certain breuvage composé de lait de jument qu'ils laissaient aigrir. Les Romains ont cru qu'ils n'avaient aucune religion[178], parce qu'on ne voyait aucune idole qui fût l'objet de leur culte; mais, selon les auteurs Chinois, ils adoraient le ciel, la terre, les esprits et les ancêtres.

[150] Voici le portrait que Claudien fait des Huns, dans le Ier livre de ses Invectives contre Rufin, v. 325 et seq.

........... Turpes habitus; obscœnaque visu
Corpora; mens duro nunquam cessura labori;
Præda cibus, vitanda Ceres, frontemque secari
Ludus, et occisos pulchrum jurare parentes.
Nec plus nubigenas duplex natura biformes
Cognatis aptavit equis: acerrima nullo
Ordine mobilitas, insperatique recursus.

Tacite ne parle pas d'une manière plus avantageuse des Finnois, Germ. c. 46. Fennis, dit-il, mira feritas, fœda paupertas.—S.-M.

[151] Prodigiosæ formæ et pandi, ut bipedes existimes bestias, vel quales in commarginandis pontibus effigiati stipites dolantur incomptè. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[152] Compactis omnes firmisque membris, et opimis cervicibus. Am. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[153] La laideur et l'étrangeté du visage des Huns, pourraient donner lieu de croire, comme quelques savants l'ont pensé, que ce peuple appartenait à la race des Mongols. Effectivement les descriptions que l'on donne de leur constitution physique, si elles n'ont pas été outrées, comme il y a lieu de le croire, par la terreur que les Huns inspiraient, ne pourraient s'appliquer à des Turks ou à des Finnois. Voici comment Sidonius Apollinaris les dépeint, carm. 2, v. 245-252.

Gens animis membrisque minax: ita vultibus ipsis
Infantum suus horror inest. Consurgit in arctum
Massa rotunda caput: geminis sub fronte cavernis
Visus adest oculis absentibus: acta cerebri
In cameram vix ad refugos lux pervenit orbes,
Non tamen et clausos. Nam fornice non spatioso,
Magna vident spatia, et majoris luminis usum
Perspicua in puteis compensant puncta profundis.

On voit que les anciens et les modernes se sont attachés à rendre leur portrait le plus hideux possible. Cependant en lisant avec soin ce que disent les anciens auteurs, on ne trouve aucune raison suffisante pour faire croire que les Huns puissent être rangés parmi les nations qui appartiennent à la race calmuke ou mongole. Tout ce qu'on dit de leur configuration s'explique fort bien par leurs usages, sans qu'il soit besoin de recourir à des interprétations plus scientifiques. A l'exception de la difformité de leur visage, qui leur venait plutôt, comme on le voit, de leurs habitudes que de la nature, les Huns, dit plus loin Sidonius Apollinaris, carm. 2, v. 258, étaient de beaux hommes, d'une taille bien prise, et doués d'une vaste poitrine et de larges épaules.

Cetera pars est pulchra viris. Stant pectora vasta,
Insignes humeri, succincta sub ilibus alvus.
Forma quidem pediti media est, procera sed extat
Si cernas equites, sic longi sæpe putantur,
Si sedeant.

—S.-M.

[154] Cette circonstance est encore empruntée à Sidonius Apollinaris, carm. 2, v. 253-257.

Tum ne per malas excrescat fistula duplex,
Obtundit teneras circumdata fascia nares,
Ut galeis cedant. Sic propter prælia natos
Maternus deformat amor, quia tensa genarum
Non interjecto fit latior area naso.
—S.-M.

[155] Ubi quoniam ab ipsis nascendi primitiis infantium ferro sulcantur altiùs genæ, ut pilorum vigor tempestivus emergens corrugatis cicatricibus hebetetur, senescunt imberbes absque ulla venustate, spadonibus similes. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[156] In hominum autem figura licet insuavi ita visi sunt asperi, ut neque igni, neque saporatis indigeant cibis, sed radicibus herbarum agrestium et semicruda cujusvis pecoris carne vescantur, quam inter femora sua et equorum terga subsertam, fotu calefaciunt brevi. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[157] Nemo apud eos arat, nec stivam aliquando contingit. Amm. Marcel. ibid.—S.-M.

[158] Ædificiis nullis unquam tecti; sed hæc velut ab usu communi discreta sepulcra declinant. Nec enim apud eos vel arundine fastigatum reperiri tugurium potest. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[159] Peregrè tecta nisi adigente maxima necessitate non subeunt: nec enim apud eos securos existimant esse sub tectis. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[160] Sed vagi montes peragrantes et silvas, pruinas, famem, sitimque perferre ab incunabulis assuescunt. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[161] Omnes enim sine sedibus fixis, absque lare vel lege aut ritu stabili dispalantur, semper fugientium similes, cum carpentis in quibus habitant: ubi conjuges tetra illis vestimenta contexunt, et coeunt cum maritis, et pariunt, et adusque pubertatem nutriunt pueros. Am. Marc. ibid. Aucun d'eux, ajoute le même historien, n'aurait pu indiquer le lieu de sa naissance. Conçus dans un endroit, nés dans un autre, ils étaient élevés bien loin de là. Nullus apud eos interrogatus, respondere unde oritur potest, alibi conceptus, natusque procul, et longius educatus.—S.-M.

[162] Indumentis operiuntur linteis, vel ex pellibus silvestrium murium consarcinatis; nec alia illis domestica vestis est, alia forensis. Sed semel obsoleti coloris tunica collo inserta non antè deponitur aut mutatur, quam diuturna carie in pannulos defluxerit defrustata. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[163] Galeris incurvis capita tegunt; hirsuta crura coriis munientes hædinis: eorumque calcei formulis nullis aptati, vetant incedere gressibus liberis. Quâ causâ ad pedestres parum accommodati sunt pugnas. Amm. Marc. l. 31, c. 2. C'est pour cette raison que les Huns étaient souvent appelés par les Grecs ἄποδες, sans pieds, ou ἀκροσφαλεῖς, c'est-à-dire, chancelants dans leur marche.—S.-M.

[164] Ils semblaient, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, cloués sur leurs robustes, mais vilains chevaux, equis propè affixi duris quidem, sed deformibus. Les poètes disent également qu'ils étaient semblables à des centaures, et qu'il était difficile de séparer le cheval du cavalier.

Nec plus nubigenas duplex natura biformes
Cognatis aptavit equis.

dit Claudien in Rufin. l. 1, v. 352. Selon Sidonius Apollinaris, carm. 2, v. 262, les Huns, encore enfants, étaient placés sur le dos des coursiers, et dès lors ils n'avaient plus d'autre habitation.

Vix matre carens ut constitit infans,
Mox præbet dorsum sonipes: cognata reare
Membra viris, ita semper equo ceu fixus adhæret
Rector. Cornipedum tergo gens altera fertur,
Hæc habitat.

—S.-M.

[165] Et muliebriter iisdem nonnumquam insidentes, funguntur muneribus consuetis. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[166] Ex ipsis quivis in hac natione pernox et perdius emit et vendit, cibumque sumit et potum, et inclinatus cervici angustæ jumenti, in altum soporem adusque varietatem effunditur somniorum. Amm. Marc. ibid. Zosime dit également, l. 4, c. 20, que ces hommes ne savaient point se tenir à pied, et qu'ils passaient les jours et les nuits sur leurs chevaux, οἱ μήτε εἰς γῆν πῆξαι τοὺς πόδας οἷοί τε ὄντες ἑδραίως, ἀλλ' ἐπὶ τῶν ἵππων καί διαιτώμενοι καὶ καθεύδοντες.—S.-M.

[167] Et deliberatione super rebus proposita seriis, hoc habitu omnes in commune consultant. Amm. Marc. l. 31, c. 2. Selon le même historien, ils n'étaient point soumis à une autorité royale, mais ils suivaient, dans leurs entreprises, les impulsions de différents chefs. Aguntur nulla severitate regali, sed tumultuario optimatum ductu contenti, perrumpunt quidquid inciderit. Cette indication est d'accord avec ce que les historiens rapportent des Huns avant Attila.—S.-M.

[168] Pugnant nonnumquam lacessiti, sed ineuntes prœlia cuneatim vocibus sonantibus torvum. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[169] Eoque omnium acerrimos facilè dixeris bellatores, quod procul missilibus telis, acutis ossibus pro spiculorum acumine arte mira coagmentatis, sed distinctis. Amm. Marc. ibid. Tacite rapporte (Germ. c. 46) que les Finnois armaient leurs flèches de la même façon. Sola in sagittis spes, dit-il, quasi inopia ferri ossibus asperant.—S.-M.

[170] Comminus ferro sine sui respectu confligunt, hostesque dum mucronum noxias observant contortis laciniis illigant ut laqueatis resistentium membris equitandi vel gravandi adimant facultatem. Amm. Marc. l. 31, c. 2. Plusieurs auteurs anciens font mention de cet usage qu'ils attribuent généralement aux Scythes, aux Sarmates, aux Alains et aux Parthes. Les poètes persans en parlent souvent aussi en racontant les exploits des anciens héros de la Perse. Cette manière de combattre leur était familière. Il en est aussi question dans les Argonautiques de Valérius Flaccus, l. 6, v. 144, en parlant du peuple scythe qu'il appelle Auchates.

Doctus et Auchates patulo vaga vincula gyro
Spargere, et extremas laqueis adducere turmas.

—S.-M.

[171] Procope cite un exemple de cet usage, de Bell. Vand. l. 1, c. 18. Pendant la guerre des Romains contre les Vandales, sous le commandement de Bélisaire, un guerrier hun ou massagète usa de ce privilège.—S.-M.

[172] Tous ces détails sont tirés des écrivains chinois.—S.-M.

[173] Ce sont les Chinois qui parlent de la loyauté des Hioung-nou. Ammien Marcellin ne donne pas une idée aussi avantageuse des Huns, qu'il taxe au contraire de perfidie et d'inconstance. Per inducias, dit-il, infidi, inconstantes ad omnem auram incidentis spei novæ perquam mobiles, totum furori incitatissimo tribuentes. l. 31, c. 2.—S.-M.

[174] Hunnorum gens omni ferocitate atrocior. Jornand. de reb. Get. l. 24. Omnem modum feritatis excedit, dit Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[175] Auri cupidine immensa flagrantes. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[176] Inconsultorum animalium ritu, quid honestum inhonestumve sit penitus ignorantes. Amm. Marc. ibid. Salvien parle aussi, de gubern. Dei, l. 4, c. 14, de l'impudicité des Huns, qu'il prétend cependant être moins grande que celle des Romains. Numquid tam criminosa est Chunorum impudicitia quam nostra.—S.-M.

[177] Cet usage existait chez toutes les nations de l'Asie centrale. On le retrouve chez les Mongols au treizième siècle. Les veuves d'un prince passaient à son fils et tenaient alors le premier rang entre ses femmes. On voit même dans l'histoire des Mongols que ces sortes de femmes jouissaient de beaucoup de considération et d'une grande influence politique.—S.-M.

[178] Nullius religionis vel superstitionis reverentiâ aliquando districti, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, c'est-à-dire, que comme tous les autres Barbares nomades de l'Asie intérieure, les Huns n'avaient ni temples, ni statues ou simulacres révérés, ce qui n'aurait guère été compatible avec leurs mœurs errantes. Quand les Turks se répandirent vers l'Occident au onzième siècle, ils étaient encore dans le même état, n'adorant que le ciel matériel, qu'ils appelaient le Dieu bleu, Kouk Tangri. On voit par le témoignage de Théophylacte Simocatta, l. 7, c. 8, qu'aux sixième et septième siècles, les Turks voisins de la Perse vers l'orient n'avaient non plus d'autres dieux que l'air, le feu, l'eau, le ciel et la terre. Voyez à ce sujet les Recherches sur les langues tartares, de M. Abel-Rémusat, t. 1, p. 297.—S.-M.

XLIII.

Idée générale de leur histoire.

Deguignes, l. 1. pass.

L'ancienneté de cette nation remonte aussi haut que l'empire Chinois. Elle était connue plus de deux mille ans avant J.-C.[179]. Huit cents ans après, on la voit gouvernée par des princes, dont la succession est ignorée jusque vers l'an 210 avant l'ère chrétienne[180]. C'est à cette époque que l'histoire commence à donner la suite des Tanjou; ce nom qui, dans la langue des Huns signifiait[Pg 75] fils du ciel, était le titre commun de leurs monarques[181]. Les Huns, divisés en diverses hordes, qui avaient chacune son chef, mais réunis sous les ordres d'un même souverain, ne cessaient de faire des courses sur les terres de leurs voisins. La Chine, pays riche et fertile, était surtout exposée à leurs ravages. Ce fut pour les arrêter, que les monarques Chinois firent construire cette fameuse muraille, qui couvre la frontière septentrionale de leurs états dans l'espace de près de quatre cents lieues. On retrouve dans l'ancienne histoire des Huns tout ce qui a servi à établir et à étendre les plus puissants empires, de grandes vertus et de plus grands crimes. Les vertus y sont brutes et sauvages; les crimes sont plus étudiés et plus réfléchis. Mété, le second de leurs monarques connus, s'étant rendu redoutable par des forfaits, porta ses conquêtes depuis la Corée et la mer du Japon jusqu'à la mer Caspienne. La grande Bukharie[182] et la Tartarie occidentale obéissaient à ses lois. Il avait[Pg 76] assujetti vingt-six royaumes; il fit plier la fierté Chinoise, et à force d'injustices et de violences, il réduisit l'empereur de la Chine à lui accorder la paix, et à faire l'éloge de son humanité et de sa justice. Ses successeurs régnèrent avec gloire pendant près de trois cents ans. La gloire de cette nation consistait dans le succès de ses brigandages; enfin, la discorde s'étant mise entre les Huns, ceux du Midi, étant soutenus par les Chinois et par les Tartares orientaux, forcèrent ceux du Nord d'abandonner leurs anciennes demeures. Les vaincus se retirèrent du côté de l'occident; et vers le commencement du second siècle de l'ère chrétienne[183], ils vinrent s'établir près des sources du Jaïk, dans le pays des Baskirs, que plusieurs historiens ont nommé la Grande-Hongrie, parce qu'ils ont cru que les Huns en étaient originaires[184]. Là ils se réunirent à d'autres peuplades de leur nation, que les révolutions précédentes avaient déja portées vers la Sibérie.

[179] Les Chinois connaissent les Huns depuis une époque très-reculée, sous les dénominations de Hiun-yu, Hian-yun, et Hioung-nou. Ce ne sont là que trois transcriptions diverses d'un seul et même nom, que les Chinois traduisaient par esclaves méprisables. Les Huns étaient déja connus en Chine, par leurs fréquentes invasions avant la dynastie des Hia qui remonte à l'an 2207 avant J.-C. Ils ne cessèrent depuis de désoler la Chine par leurs courses jusque vers le deuxième siècle avant notre ère, époque à laquelle ils prirent un nouveau degré d'accroissement.—S.-M.

[180] C'est alors que vivait Théouman, le premier des souverains Hioung-nou, connus dans l'histoire chinoise; il était le successeur d'une longue série de rois qui faisaient remonter leur origine jusqu'à un prince chinois nommé Chun-hoai, issu de la dynastie impériale des Hia, qui s'était retiré dans l'intérieur de l'Asie, après la chute de cette dynastie en l'an 1122 avant J.-C.—S.-M.

[181] Le titre national des souverains Hioung-nou n'était pas Tan-jou, comme le dit Deguignes, mais Tchhen-yu; l'historien des Huns a mal lu les deux caractères chinois qui forment ce nom. Le nom de Tchhen-yu ne signifiait pas non plus fils du ciel, comme Deguignes l'a cru aussi (l. 1, p. 25), mais on ajoutait ce titre dont le sens est inconnu, à celui de Tangri-koutou qui voulait dire fils du ciel. Le mot Tangri qui signifie ciel, se retrouve dans la langue turque, dans laquelle il avait autrefois ce sens, tandis qu'à présent il veut dire Dieu. Il est probable qu'originairement il avait les deux sens. La qualification de fils du ciel que prenaient les chefs des Hioung-nou était équivalente à celle d'empereur. C'était une imitation de ce qui se pratiquait à la Chine, dont les souverains se désignent par l'appellation de Thian-tseu, qui a le même sens.—S.-M.

[182] Cette expression tout-à-fait impropre, selon moi, sert à désigner la partie de la Transoxiane où se trouve la ville de Boukhara. On donne le nom de petite Boukharie à toute la partie de l'Asie centrale qui s'étend à l'orient de la Transoxiane, entre ce pays et la Chine. C'est de cette ville, très-voisine de la Perse que vient cette dénomination qui a reçu fort mal-à-propos une extension si disproportionnée. Les marchands sortis de Boukhara, et qui parcourent toutes ces régions, où ils ont répandu l'usage de la langue persane, en ont été la cause.—S.-M.

[183] Les historiens chinois placent en l'an 93 de notre ère, l'époque de la destruction de l'empire des Hioung-nou du nord, qui était déja affaibli depuis long-temps. On voit bien dans les récits de ces auteurs, que les restes de cette nation et de la race royale se retirèrent vers les monts Ourals, mais il n'est pas possible d'établir positivement leur identité avec les Huns, qui plus tard furent gouvernés par Attila. Il y a tout lieu de croire que le nom de Huns étant le même que celui de Finns, ceux-ci habitaient déja les pays où nous les connaissons actuellement.—S.-M.

[184] Les Baschkirs dont le nombre est peu considérable maintenant, sont une des nombreuses tribus d'origine turque, dispersées dans l'empire de Russie. On les trouve vers les bords du Wolga et dans les monts Ourals, qui sont à l'orient de ce fleuve. Ils y sont établis depuis fort long-temps; les récits des voyageurs du treizième siècle et les témoignages des auteurs arabes et persans en sont la preuve. Les premiers les appellent Pascatyr et les autres Baschgard, c'est le nom au reste qu'ils se donnent eux-mêmes. Ils furent soumis au treizième siècle par les princes mongols de la postérité de Tchinghiz-Khan, et ils firent alors partie du grand empire de Kaptchak. Les premiers voyageurs du treizième siècle les ont regardés comme les ancêtres des Hongrois ou Madjars établis en Europe; cependant les langues parlées par ces deux nations suffisent pour faire voir qu'ils appartiennent à des races différentes. Ce qui a pu donner naissance à cette opinion et faire qu'elle soit vraie en un certain sens, c'est que les Hongrois sont effectivement originaires des régions où se trouvent les Baschkirs. Thwrocz, qui a compilé au quatorzième siècle, en latin, les traditions nationales des Hongrois, a bien soin de distinguer les Madjars des Baschkirs, quoiqu'il en fasse deux divisions de la nation des Huns, ce qui pourrait être arrivé par suite du mélange intime des nations finnoises et turques. L'historien hongrois appelle, l. 1, c. 5, Bascardia, le pays des Baschkirs. Il est donc bien possible que des individus de cette nation soient passés sur les bords du Danube, avec les Madjars, ce qui pourrait servir à justifier le nom de Turks que les auteurs grecs du dixième siècle donnent aux Hongrois.—S.-M.

[Pg 77]

XLIV.

Origine des Alains.

Deguignes, l. 4, p. 279, 280 et 281.

Amm. l. 31, c. 2.

Luc. Phars. l. 8 et 10.

Proc. bel. Goth. l. 4, c. 3. et Vand. l. 1, c. 3.

Ces pays avaient été anciennement occupés par les Alains: et cette nation qui contribua à la destruction de l'empire Romain, mérite aussi d'être connue. Les Alains tirent leur nom du mot alin, qui en langue tartare signifie montagne[185], parce qu'ils habitaient les montagnes situées au nord de la Sarmatie asiatique. C'était un peuple nomade, ainsi que les autres Tartares[186]. Environ quarante ans avant J.-C., ils furent[Pg 78] obligés de céder les contrées du nord à une colonie de Huns révoltés, qui s'étaient séparés du corps de la nation, et de se retirer vers les Palus Méotides[187]. Ils s'étaient depuis long-temps rendus formidables[188]. Tous[Pg 79] les peuples barbares, jusqu'aux sources du Gange, furent[Pg 80] soumis aux Alains, et prirent leur nom. Procope les appelle une nation gothique[189]; les Chinois les[Pg 81] confondent avec les Huns: en effet, par l'étendue de leurs conquêtes, ils approchaient fort près des sources de l'Irtisch, et les diverses hordes qui se détachaient de temps en temps de la nation des Huns, se portant toujours du côté de l'occident, il devait se former un mélange des deux peuples[190]; cependant la figure des Alains annonçait une autre origine. Ils étaient connus des Romains dès le temps de Pompée[191]. On les vit plusieurs fois sous les premiers empereurs franchir les défilés du Caucase, et faire des irruptions dans la Médie, dans l'Arménie, dans la Cappadoce, d'où Arrien les chassa sous le règne d'Hadrien[192]. Du temps de Gordien, ils pénétrèrent jusque dans la Macédoine, et ce prince éprouva leur valeur dans les campagnes de Philippes[193].

[185] Il est vrai que le mot Alin signifie montagne dans la langue des Mandchous; mais comment supposer que ce soit là l'origine du nom d'une nation séparée des Mandchous, par toute la largeur de l'Asie, et avec laquelle elle ne paraît jamais avoir eu de rapport. S'il en était réellement ainsi, ce serait sans doute une coïncidence fortuite qu'il faudrait rapporter au hasard seul, car on doit expliquer d'une toute autre façon l'origine du nom des Alains. On s'est trompé en interprétant le passage d'Ammien Marcellin, où il est question de cette origine, il doit se traduire d'une manière différente. Cet historien s'exprime ainsi, l. 31, c. 2, Alani, ex montium appellatione cognominati. Ce passage dit qu'ils tiraient leur nom des montagnes qu'ils habitaient, mais non pas d'un mot qui signifie montagne. Eustathe dit effectivement, dans son commentaire sur Denys le Periégète, que ce nom venait d'une montagne de Sarmatie appelée Alanus. Ὀτι Ἀλανὸς ὄρος Σαρματίας ἀφ' οὖ τὸ ἔθνος οἱ Ἀλανοὶ ἔοικεν ὀνομάζεται. Ce texte fait bien voir qu'on a mal compris Ammien Marcellin.—S.-M.

[186] L'expression de Tartare quoique assez vague de sa nature est fort bonne pour désigner la totalité des nations nomades, qui depuis plusieurs siècles parcourent les régions de l'Asie centrale. Elle appartient originairement à l'une des grandes divisions de la nation mongole, et c'est par les conquêtes de Tchinghiz-khan et des princes de sa race, qu'elle se répandit dans toute l'Asie et même jusque dans l'Europe. On conçoit qu'une telle expression doit par cette raison être tout-à-fait impropre pour désigner les tribus nomades qui, neuf siècles avant, se jetèrent sur l'empire romain; c'est une de ces expressions abusives que Lebeau a eu le tort d'emprunter à Deguignes. Le nom de Scythe aussi vague que celui de Tartare, convenait mieux.—S.-M.

[187] Il est fort probable que les contrées voisines de l'Altaï ou des montagnes appelées Alanniques par Ptolémée, l. 6, c. 14, furent les premières que les Alains abandonnèrent aux Huns.—S.-M.

[188] Ammien Marcellin, cet historien si exact et si bien instruit de tout ce qui concerne les Barbares qui renversèrent l'empire romain, nous apprend qu'à l'époque où les Alains furent attaqués pour la première fois par les Huns, la puissance de ces peuples s'étendait sur tous les pays compris entre le Pont Euxin et la mer Caspienne, se prolongeant à une grande distance vers le nord et vers l'est, de manière à parvenir jusqu'à l'Indus et même, dit-il, jusqu'au Gange. In immensum extentas Scythiæ solitudines Alani inhabitant, dit-il, l. 31, c. 2, et plus loin, prope Amazonum sedes Alani sunt orienti adclines, diffusi per populosas gentes et amplas, Asiaticos vergentes in tractus, quas dilatari adusque Gangem accepi fluvium, intersecantem terras Indorum, mareque inundantem australe. On doit bien penser que tous les individus répandus sur un espace aussi considérable n'étaient pas réellement des Alains, mais comme Ammien Marcellin le remarque avec raison, les victoires et la célébrité des Alains, avaient communiqué leur nom aux nations qu'ils avaient soumises, ce qui était aussi arrivé aux Perses. Paulatimque nationes conterminas crebritate victoriarum attritas ad gentilitatem sui vocabuli traxerunt ut Persæ. Les Alains répandus parmi des nations grandes et populeuses, diffusi per populosas gentes et amplas, au milieu desquelles ils occupaient de vastes cantons où ils vivaient en nomades, dirempti spatiis longis, per pagos, ut nomades, vagantur immensos, avaient fini par se confondre avec elles, et elles avaient toutes été réunies sous la dénomination du peuple dominateur. C'est encore une remarque d'Ammien Marcellin: ævi tamen progressu, dit-il, ad unum concessere vocabulum, et summatim omnes Alani cognominantur. Il existe d'autres autorités qui font voir que cette extension extraordinaire donnée au nom et à la puissance des Alains n'a rien d'imaginaire, et que ce fut bien là leur état pendant les quatre premiers siècles de notre ère. Du temps de Ptolémée (Geogr., l. 6, c. 14), il se trouvait des Alains dans la partie nord-est de l'Asie, et ils donnaient le nom d'Alanniques aux montagnes qui se prolongeaient fort loin dans l'intérieur de l'Asie, dans une direction qui semblerait faire croire qu'elles répondent à la chaîne des monts Altaï. Les Chinois font voir que le nom des Alains leur était bien connu. Les A-lan-na sont, selon eux, des peuples remarquables par leur chevelure blonde, leurs yeux bleus, leur haute taille, et tout-à-fait semblables aux Alains décrits par Ammien Marcellin. Proceri autem Alani pæne sunt omnes et pulchri, crinibus mediocriter flavis. Les Chinois les mettent au nord et à l'orient de la mer Caspienne, vivant à la façon des nomades et étendant plus ou moins leur puissance, selon les chances de la fortune et de la guerre. Les mêmes auteurs, dont l'autorité est d'ailleurs confirmée par les écrivains arabes du 10e siècle, nous apprennent que des branches de la nation Alane portèrent leur nom dans l'Inde jusque vers les bouches de l'Indus et qu'ils s'y perpétuèrent jusque vers le quatorzième siècle. A cette époque les géographes arabes donnaient à la mer qui sépare l'Arabie de la presqu'île de Guzarate, le nom de mer des Alains. Du côté de l'occident, il semble que le cours du Tanaïs marque au 4e siècle le terme de la domination des Alains, ce fleuve les séparait des Ostrogoths ou Gruthonges. Cependant le nom des Rhoxolans, qui dès le temps de Mithridate-le-Grand, c'est-à-dire un siècle avant notre ère, étaient répandus dans toutes les régions comprises entre le Tanaïs et le Borysthène, semble être un indice que les Alains s'étaient déja avancés vers l'occident au-delà du Tanaïs. Les auteurs grecs, latins et arméniens, s'accordent à nous apprendre que durant les quatre premiers siècles de notre ère, les Alains furent le peuple dominateur, dans les vastes plaines qui s'étendent au nord du Caucase, entre la mer Noire et la mer Caspienne, et qu'ils portaient leurs pillages dans toutes les directions, vers les Palus Méotides, le Bosphore Cimmérien, passant même le Caucase, pour aller ravager la Médie et l'Arménie. Latrocinando et venando adusque Mæotica stagna et Cimmerium Bosporon, itidemque Armenios discurrentes et Mediam, Am. Marc., l. 31, c. 2. L'histoire romaine et celle des Arméniens font également connaître leurs invasions fréquentes au midi du mont Caucase. J'ai déja eu occasion d'en parler, tom. 3, p. 277, not. 4, liv. XVII, § 5. Après que les Huns eurent détruit le vaste empire des Alains, une grande partie de la nation s'enfuit au-delà du Tanaïs, tandis que l'autre devenait l'auxiliaire forcée des Huns dans leur marche vers l'occident. Beaucoup se réfugièrent dans les gorges et sur les hauts sommets du Caucase, où ils trouvèrent un asile contre leurs ennemis. Ce nouveau séjour était vers le grand défilé caucasien, lieu de leur passage ordinaire, quand ils voulaient descendre en Asie. Il avait reçu d'eux le nom de porte des Alains, qu'il conserva jusqu'à une époque très-moderne. Cette portion de la nation, toujours connue des Arméniens, des Géorgiens, des Grecs et des Arabes, sous le nom des Alains, s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Elle a conservé au milieu des peuples caucasiens une langue dont presque tous les mots se retrouvent avec peu de changement dans les dialectes persans et allemands, ce qui est la preuve incontestable de leur origine. Ces descendants des anciens Alains, compris au milieu des possessions russes, sont connus actuellement sous le nom d'Ossi, ou d'Ossètes qu'ils se donnent eux-mêmes. On le retrouve dans les écrivains orientaux sous la forme As. Cette indication fait voir que les Ases si célèbres dans les auteurs du Nord, les Asi et les Asianiens que Ptolémée et Strabon placent dans les régions situées à l'orient de la mer Caspienne, que les A-si et les Ou-sioun des Chinois sont un seul et même peuple avec les A-lan-na, dont le nom fut diversement prononcé à des époques diverses, et dans différents dialectes. Il est bon de remarquer que les Chinois placent ces dernières nations dans les lieux habités par les Alains, et qu'ils ont soin de remarquer que ces dénominations variées s'appliquent à un même peuple. Ces indications, en confirmant ce que j'ai déja dit de la grande extension de la puissance des Alains, contribuent à les mieux faire connaître pour les époques anciennes, et elles font voir que dès le premier siècle avant notre ère ils étaient maîtres de toutes les régions qui s'étendent fort loin au nord et à l'orient de la mer Caspienne, comme nous avons vu qu'ils étaient vers la même époque au nord du Caucase et sur les bords de la mer Noire. Il serait possible de pousser plus loin les conséquences de ces rapprochements et de retrouver le nom des Ases ou des Alains, sous des formes peu différentes et à des époques bien plus anciennes; mais il faudrait entrer dans des détails d'une nature toute particulière et très-étrangers à l'histoire du Bas-empire. Je dois me borner à faire bien connaître les Barbares qui furent en contact avec les Romains à l'époque de la chute de l'empire. Je me contenterai donc d'une dernière observation qui, en faisant remonter de cinq siècles l'histoire des Alains, contribuera à les mieux faire connaître en les rattachant à d'autres nations célèbres dans l'antiquité. Je ne m'y arrête que parce que c'est le judicieux Ammien Marcellin, qui fournit ce renseignement. Cet auteur rapporte en deux endroits de son ouvrage, que les Alains sont les mêmes que les anciens Massagètes, Massagetas, quos Alanos nunc appellamus, dit-il, l. 23, c. 5, et adusque Alanos pervenit veteres Massagetas, l. 31, c. 2. On sait qu'au temps d'Hérodote les Massagètes habitaient de toute antiquité les contrées limitrophes de la Perse à l'orient de la mer Caspienne. On peut entrevoir toutes les conséquences de ce rapprochement, qui est de la plus grande importance, pour retrouver ou pour poursuivre dans la haute antiquité l'origine première des peuples qui renversèrent l'empire romain. Tout ce qu'Ammien Marcellin raconte des mœurs des Alains est conforme à ce qu'on sait des usages des Massagètes. On aura bientôt encore occasion d'en faire la remarque.—S.-M.

[189] C'est ce que dit Procope, de bell. Vand., l. 1, c. 3, Ἀλανοὺς γοτθικὸν ἔθνος. La langue des Ossètes, descendants bien connus des Alains, montre la justesse de l'observation faite par Procope. Elle est aussi une preuve de l'identité des Alains avec les anciens Massagètes, attestée par Ammien Marcellin.—S.-M.

[190] Les Alains comme le dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 2, ayant communiqué leur nom à tous les peuples qu'ils avaient soumis, ou au milieu desquels ils vivaient, il n'est pas étonnant qu'on ait pu les assimiler quelquefois avec les Huns, quoiqu'ils eussent une origine bien différente. Il est certain, qu'il y avait parmi eux des tribus finnoises, qui durent partager leur nom, pendant le temps de leur domination; c'en est assez pour justifier tout ce qu'on a dit de leur affinité; c'est même une remarque qu'il ne faut pas perdre de vue, car on trouve souvent l'occasion d'en faire de semblables, quand on s'occupe de l'histoire et de la migration des peuples. C'est par suite de la confusion si naturelle des Alains avec les Huns que ceux-ci à leur tour ont été confondus par Procope avec les Massagètes; voyez ci-devant, § 43, p. 72, note 3.—S.-M.

[191] Ils devaient l'être bien avant cette époque si, comme tout porte à le croire, ils étaient les mêmes que les Rhoxolans ou Rhoxalans. Il en est question dans la Pharsale de Lucain, VIII, 223 et X, 454.—S.-M.

[192] Le célèbre historien de Nicomédie avait écrit des Alaniques, qui renfermaient le récit de cette invasion, et des opérations militaires exécutées sous ses ordres, pour expulser ces Barbares des terres de l'empire et de l'Arménie qu'ils ravageaient continuellement. Cet ouvrage, qui paraît avoir été considérable, contenait en outre des détails sur l'histoire des Alains. Il nous en reste un fragment intéressant, où se trouve un ordre de bataille, dressé par Arrien, pour une des affaires qui eurent lieu dans cette campagne.—S.-M.

[193] Spartien l'indique en termes assez confus dans sa vie de Gordien. Voyez Till. Gord., art. 4.—S.-M.

XLV.

Mœurs des Alains.

Les Alains étaient de haute stature et d'une belle[Pg 82] physionomie. Ils avaient les cheveux blonds, le regard plus fier que farouche[194]. Quoique légèrement armés et fort agiles, ils étaient toujours à cheval, et tenaient à déshonneur de marcher à pied[195]. Leur façon de vivre tenait beaucoup de celle des Huns; mais ils étaient moins sauvages[196]. Errants par troupes dans les déserts de la Tartarie[197], ils ne connaissaient d'autre habitation que leurs chariots couverts d'écorces d'arbres[198]. Ils s'arrêtaient dans les lieux où ils trouvaient des pâturages pour leurs troupeaux: rangeant leurs chariots en cercle, ils formaient une vaste enceinte; c'était là leur ville; ils la transportaient ailleurs quand les pâturages étaient consumés[199]. Toujours les armes à la main, ils faisaient leur occupation de la chasse, et leur divertissement de la guerre: ils y apportaient plus d'intelligence et de discipline que les autres Barbares[200]. Mourir dans une bataille, c'était le sort le plus digne d'envie: on méprisait comme des lâches, et on chargeait d'opprobres ceux qui mouraient de vieillesse ou de[Pg 83] maladie[201]. L'action la plus glorieuse était de tuer un ennemi; ils lui enlevaient la peau avec la tête, et en faisaient une housse pour leurs chevaux[202]. Ils adoraient le dieu Mars, qu'ils représentaient par une épée plantée en terre[203]. Ils prétendaient connaître l'avenir par le moyen de certaines baguettes enchantées[204]. Tous étaient nobles; ils n'avaient aucune idée de l'esclavage[205]. Leurs chefs portaient le nom de juges: on déférait cet honneur aux guerriers les plus expérimentés[206].

[194] Proceri autem Alani pæne sunt omnes et pulchri, crinibus mediocriter flavis, oculorum temperata torvitate terribiles. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[195] Juventus verò equitandi usu a prima pueritia coalescens, incedere pedibus existimat vile. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[196] Hunnis per omnia suppares, verùm victu mitiores et cultu. Amm. Marc. ibid. Alanos quoque pugna sibi pares, sed humanitatis victu, formaque dissimiles... subjugavere. Jorn. c. 24.—S.-M.

[197] Voyez ci-devant, § 44, p. 77, not. 2.—S.-M.

[198] Plaustris supersidentes, quæ operimentis curvatis corticum per solitudines conferunt. Amm. Marc. l. 31, c. 2.—S.-M.

[199] Cum ad graminea venerint, in orbiculatam figuram locatis sarracis ferino ritu vescuntur: absumptisque pabulis, velut carpentis civitates impositas vehunt. Amm. Marc. ibid. C'est sur ces chariots qu'ils naissent et qu'ils sont élevés; c'est leur demeure perpétuelle, et leur patrie est partout où ils arrivent; maresque supra cum fœminis coeunt, et nascuntur in his et educantur infantes; et habitacula sunt hæc illis perpetua; et quocumque ierint, illic genuinum existimant larem.—S.-M.

[200] Multiplici disciplina prudentes sunt bellatores. Amm. Marcel. l. 31, c. 2.—S.-M.

[201] Utque hominibus quietis et placidis otium est voluptabile; ita illos pericula juvant et bella. Judicatur ibi beatus, qui in prælio profuderit animam: senescentes enim et fortuitis mortibus mundo digressos, ut degeneres et ignavos convicis atrociibus insectantur. Amm. Marc. l. 31, c. 2. Strabon en dit autant des mœurs des Massagètes. Il est facile de reconnaître dans ces détails, les habitudes guerrières des Scandinaves, et leur farouche mépris de la mort.—S.-M.

[202] Necquidquam est quod elatiùs jactent, quam homine quolibet occiso; proque exuviis gloriosis, interfectorum avulsis capitibus detractas pelles pro phaleris jumentis accommodant bellatoriis. Amm. l. 31, c. 2. Hérodote décrit avec détail, IV, 64, les mœurs des Scythes, et il en rapporte des traits d'une atrocité non moins révoltante.—S.-M.

[203] Nec templum apud eos visitur, aut delubrum, ne tugurium quidem culmo tectum cerni usquam potest: sed gladius barbarico ritu humi figitur nudus, eumque ut Martem, regionum quas circumcircant præsulem verecundius colunt. Amm. Marc. ibid. Les mentions du culte que les Scythes rendaient à une épée sont trop fréquentes dans les auteurs de la haute, moyenne et basse antiquité, et ils sont trop connus, pour qu'il soit nécessaire d'en alléguer ici aucun.—S.-M.

[204] Futura miro præsagiunt modo: nam rectiores virgas vimineas colligentes, easque cum incantamentis quibusdam secretis præstituto tempore discernentes, apertè quid portendatur norunt. Amm. l. 31, c. 2.—S.-M.

[205] Servitus quid sit ignorabant, omnes generoso semine procreati. Amm. Marc. ibid. Il en était des Alains, comme de toutes les nations nomades: il n'y avait parmi eux d'autres esclaves, que les hommes pris à la guerre ou leurs descendants. C'est de là que vient l'usage si commun chez les nations barbares de cette époque, de se désigner par des noms, qui signifient tous nobles, libres, braves, héros, etc.—S.-M.

[206] Judices etiam nunc eligunt, diuturno bellandi usu spectatos. Amm. Marc. ibid. Il paraît que la plupart de ces barbares n'avaient pas d'autres chefs que des juges; on l'a déja vu pour les Goths, t. 3, p. 332, not. 3, liv. XVII, § 32.—S.-M.

XLVI.

Les Huns passent en Europe.

Deguignes, l. 4, p. 289, et 290.

Amm. l. 31, c. 3.

Zos. l. 4, c. 20.

Agath. l. 5, p. 152 et 153.

Soz. l. 6, c. 37.

Jornand. de reb. Get. c. 24.

Les Huns établis dans le pays des Baskirs, pressés[Pg 84] eux-mêmes par de nouvelles peuplades qui venaient inonder la Tartarie occidentale, descendirent vers le midi, traversèrent le Volga, et vinrent attaquer les Alains[207]. Après plusieurs sanglantes batailles, ceux-ci furent forcés d'abandonner le pays. Les uns s'enfoncèrent dans les montagnes de la Circassie, où leur postérité subsiste encore aujourd'hui[208]: une partie passa le Tanaïs; et quelques-uns s'arrêtèrent sur le bord occidental de ce fleuve; d'autres, après avoir erré quelque temps, se fixèrent aux environs du Danube. Les Huns couvrirent de leurs tentes les vastes plaines entre le Volga et le Tanaïs; et si l'on s'en rapporte à Jornandès, bornés par les Palus Méotides, ils ignoraient même qu'il y eût au-delà aucune terre. Quelques-uns de leurs chasseurs poursuivant une biche, traversèrent après elle les Palus, et furent étonnés de trouver un gué qui les conduisit à l'autre bord. La vue d'un beau pays qu'ils découvrirent au-delà, les surprit encore davantage; et le rapport qu'ils en firent à la nation, lui fit prendre la même route. Selon d'autres auteurs, ce fut un bœuf piqué par un taon, qui leur servit de guide. Zosime dit que le limon charrié par le Tanaïs, avait formé un banc au travers du Bosphore Cimmérien, mais l'auteur de l'histoire des Huns rejette avec raison ces traditions fabuleuses. Les Huns ne furent[Pg 85] guidés que par la passion des conquêtes qui leur était naturelle: ils passèrent le Tanaïs[209], comme ils avaient passé le Volga, selon l'usage des peuples Tartares, qui traversent les plus grands fleuves à la nage, en tenant la queue de leurs chevaux, ou sur des ballons qu'ils forment avec leur bagage.

[207] Les Alains, que les Huns attaquèrent, étaient, comme le rapporte Ammien Marcellin, l. 31, c. 3, ceux qu'on appelait Tanaïtes et qui étaient voisins des Gruthunges ou Ostrogoths. Après les avoir vaincus et dépouillés, les Huns firent alliance avec ceux qui étaient échappés. Igitur Hunni pervasis Alanorum regionibus, quos Greuthungis confines Tanaitas consuetudo nominavit, interfectisque multis et spoliatis, reliquos sibi concordandi fide pacta junxerunt. Ces Alains, devenus alliés des Huns, les suivirent dans toutes leurs expéditions en Europe. Il y en avait beaucoup avec Attila.—S.-M.

[208] Il s'agit ici des Ossètes, dont j'ai parlé ci-dessus, § 44, p. 78, not. 2.—S.-M.

[209] Les premières tribus des Huns, qui passèrent le Tanaïs, sont nommées par Jornandès, Alipzures, Alcidzures, Ithamares, Tuncasses et Boïsces. Mox, dit-il, c. 24, ingentem illam paludem transiere, illico Alipzuros, Alcidzuros, Itamaros, Tuncassos et Boiscos, qui ripæ istius Scythiæ insidebant.—S.-M.

XLVII.

Ils chassent les Ostrogoths.

Les Alains et les autres Barbares voisins du Tanaïs furent les premiers qui éprouvèrent la fureur des Huns. Ceux qui échappèrent au massacre, se joignirent au vainqueur; et cette innombrable cavalerie vint, sous les ordres d'un chef nommé Balamir, fondre sur les Ostrogoths[210]. Hermanaric, de la race des Amales[211], régnait alors avec gloire[212]. Les Goths le comparaient au grand Alexandre; il avait étendu ses conquêtes du Pont-Euxin à la mer Baltique; et une grande partie de la Scythie[Pg 86] et de la Germanie était soumise à sa domination[213]. Agé de cent dix ans, il ne manquait encore ni de force, ni de courage. Mais il n'eut pas l'honneur de mourir en défendant sa couronne. Un seigneur du pays des Rhoxolans, nation sujette à Hermanaric[214], s'étant joint aux Huns, le prince, outré de colère, fit attacher la femme[215] de ce déserteur à la queue d'un cheval indompté qui la mit en pièces. Un frère[216] de cette femme la vengea, en perçant Hermanaric d'un coup d'épée. Sa blessure le mettant hors d'état de combattre les Barbares, il se tua de désespoir[217]. Vithimir, son successeur,[Pg 87] résista quelque temps[218]; enfin il fut défait et tué dans une bataille. Il laissait un fils encore enfant, nommé Vidéric, sous la tutelle d'Alathée et de Saphrax, guerriers intrépides et expérimentés[219]. Cependant pressés par les vainqueurs, ils prirent le parti de passer le Borysthène, et de se retirer au-delà du Dniester[220]. Les Huns firent un horrible carnage; ils n'épargnèrent ni les femmes ni les enfants; et tout ce qui n'avait pu se dérober à leur fureur par une fuite précipitée, périt sous le tranchant de leurs cimeterres[221].

[210] Jornandès est le seul auteur qui ait jamais parlé de ce chef des Huns.—S.-M.

[211] Post temporis aliquod, Ermanaricus nobilissimus Amalorum in regno successit,....... Quem meritò nonnulli Alexandro magno comparavere majores. Jorn. c. 23. Il est nommé un peu plus loin, c. 24, le triomphateur d'une multitude de nations, Ermanaricus rex Gothorum, multarum gentium triumphator. On peut, au sujet de la race des Amales, voir ce que j'ai dit, t. 3, p. 332, not. 1, liv. XVII, § 32.—S.-M.

[212] Multas et bellicosissimas arctoas gentes perdomuit, suisque parere legibus fecit. Jornand. c. 23. Le même auteur donne en ces termes la liste des nations qui avaient été subjuguées par Hermanaric. Habebat siquidem quos domuerat, Gothos, Scythas, Thuidos in Aunxis, Vasinabroncas, Merens, Mordensimnis, Caris, Rocas, Tadzans, Athual, Navego, Bubegentas, Coldas. Il est impossible d'indiquer avec exactitude les pays qui furent occupés par toutes ces nations. Il en est plusieurs, dont les noms, sans doute fort altérés, ne se retrouvent nulle part ailleurs. On voit seulement que la domination d'Hermanaric dut s'étendre sur presque toute la Russie méridionale, la Lithuanie, la Courlande, et tous les pays compris entre le Pont-Euxin et la mer Baltique, depuis l'embouchure du Borysthène jusqu'au golfe de Finlande. Il paraît que toutes ces provinces, qui formèrent depuis le royaume de Pologne, et même une partie de l'Allemagne, furent aussi soumises à son empire. Il vainquit aussi la nation des Hérules, commandée alors par un prince, nommé Alaric, et la plus guerrière de toutes ces tribus. Il attaqua ensuite, selon Jornandès, c. 23, les Vénètes (c'est-à-dire les Vendes) peu habiles aux armes, mais très-nombreux: ils opposèrent d'abord de la résistance, mais leur nombre causa leur perte, et ils furent obligés de se soumettre au vainqueur de tant de nations. Post Hærulorum cædem, idem Ermanaricus in Venetos arma commovit; qui quamvis armis disperiti, sed numerositate pollentes, primo resistere conabantur; sed nihil valet multitudo in bello, præsertim ubi et multitudo armata advenerit. Hermanaric subjugua ensuite les Esthiens, qui paraissent avoir occupé les côtes orientales de la mer Baltique, qui longissima ripa Oceani germanici insident. Ainsi, dit Jornandès, c. 23, Hermanaric ne dut qu'à ses seuls exploits son empire sur les nations de la Scythie et de la Germanie, omnibusque Scythiæ, et Germaniæ nationibus ac si propriis laboribus imperavit.—S.-M.

[213] Ammien Marcellin ne parle pas avec moins d'éloges d'Hermanaric, qu'il appelle Ermeneric. Il dit, l. 31, c. 3, que c'était un prince très-belliqueux et redouté de toutes les nations voisines, pour ses grandes et belles actions, bellicosissimus rex, et per multa variaque fortiter facta vicinis nationibus formidatus.—S.-M.

[214] Roxolanorum gens infida, quæ tunc inter alias illi famulatum exhibebat. Jornand. c. 24.—S.-M.

[215] Jornandès donne, c. 24, à cette femme le nom de Sanielh.—S.-M.

[216] Jornandès rapporte que ce furent les deux frères de cette femme, qui blessèrent Hermanaric. Ils se nommaient Sarus et Ammius. Fratres ejus, dit-il, cap. 24, Sarus, et Ammius germanæ obitum vindicantes, Ermanarici latus ferro petierunt.—S.-M.

[217] Inter hæc Ermanaricus tam vulneris dolorem, quam etiam incursiones Hunnorum non ferens, grandævus et plenus dierum, centesimo decimo anno vitæ suæ defunctus est. Jornand. c. 24. Ammien Marcellin fait aussi mention, l. 31, c. 3, de la mort volontaire d'Hermanaric, qui, s'exagérant les forces des Huns, après avoir tenté de leur résister, se porta à cet acte de désespoir. Qui vi subitæ procellæ perculsus, quamvis manere fundatus et stabilis diu conatus est, impendentium tamen diritatem augente vulgatius fama, magnorum discriminum metum voluntaria morte sedavit.—S.-M.

[218] Ce Vithimir, que les Ostrogoths avaient créé roi, après la mort d'Hermanaric, avait pris à sa solde les Alains et quelques tribus de Huns; mais, malgré ce secours, il avait été défait dans un grand nombre de rencontres, et il avait perdu la vie dans un dernier combat. Cujus (Ermenrichi) post obitum rex Vithimiris creatus restitit aliquantisper, Alanis, Hunnis aliis fretus, quos mercede sociaverat partibus suis. Verum post multas quas pertulit clades, animam effudit in prælio, vi superatus armorum. Amm. l. 31, c. 3.—S.-M.

[219] Cujus parvi filii Viderichi nomine curam susceptam Alatheus tuebatur et Saphrax, duces exerciti et firmitate pectorum noti. Am. Marc. l. 31, c. 3.—S.-M.

[220] Qui cum tempore arto præventi abjecissent fiduciam repugnandi, cautius discedentes ad amnem Danastum pervenerunt, inter Istrum et Borysthenem per camporum ampla spatia diffluentem. Amm. Marc. l. 31, c. 3. Je crois qu'il faut lire Danastrum, dans le texte d'Ammien Marcellin. L'antique nom de ce fleuve s'est perpétué jusqu'à nous, car il est le même que le Dniester, appelé Danastrus dans Jornandès, c. 5, et Δάναστριι, dans Constantin Porphyrogénète; de adm. Imp. c. 8. C'est le Tyras des anciens Grecs.—S.-M.

[221] Après la mort d'Hermanaric, tous ceux des Ostrogoths, qui n'avaient pas succombé dans la lutte contre les Huns, ou qui n'avaient pas traversé le Borysthène avec leurs princes, se soumirent aux vainqueurs et restèrent dans leur pays, comme le rapporte Jornandès, c. 48. Ostrogothæ Ermanarici regis sui decessione a Vesegothis divisi, Hunnorum subditi ditioni, in eadem patria remorati sunt. Un nommé Winithar, de la race des Amales, fut leur chef, Winithario tamen Amalo principatus sui insignia retinente. Ce prince releva les forces de sa nation, s'étendit aux dépens de plusieurs peuples voisins, et tenta de s'affranchir de la domination des Huns. Balamber, qu'on croit être le même que Balamir, voulut mettre un terme aux entreprises de Winithar; soutenu par un grand nombre de Goths, il lui fit la guerre. Ses alliés furent défaits en deux batailles; mais, dans le troisième combat, livré sur le bord du fleuve Erac, dont on ignore la position, Winithar fut tué d'un coup de flèche par Balamber. Les Ostrogoths furent obligés de se soumettre, mais ils conservèrent un chef de leur nation; ita tamen, ut genti Gothorum semper unus proprius regulus, quamvis Hunnorum consilio, imperaret. Jornand. de reb. Get., c. 48. Balamber épousa Waladamarca, nièce de Winithar, et donna la royauté des Ostrogoths à son allié Hunimund, fils d'Hermanaric, qui la transmit à ses descendants.—S.-M.

[Pg 88]

XLVIII.

Défaite des Visigoths.

Athanaric, prince des Visigoths, était trop brave pour prendre l'épouvante[222]. Il résolut de les attendre de pied ferme; et s'étant retranché avantageusement sur le bord du Niester[223], il envoya Munderic[224] avec plusieurs autres capitaines, jusqu'à vingt milles de son camp[225], pour observer les mouvements des ennemis, et lui en apporter des nouvelles. Pendant ce temps-là il fit les dispositions de la bataille. Ses précautions furent inutiles. Les Huns, ayant aperçu les cavaliers, jugèrent qu'il y avait plus loin un corps plus considérable: ils attendirent la nuit; et laissant à côté Munderic, qui se reposait avec sa troupe, comme si l'ennemi eût été fort éloigné, ils gagnèrent le fleuve à la faveur de la lune, le passèrent à gué, et tombèrent brusquement sur Athanaric, avant le retour de ses coureurs. Le prince surpris de cette attaque imprévue, n'eut que le temps[Pg 89] de se sauver sur des montagnes de difficile accès, et laissa sur la place une partie de ses soldats. Instruit par cette épreuve de ce qu'il avait à craindre d'un ennemi si impétueux, il se cantonna entre le Danube et le Hiérassus, nommé aujourd'hui le Pruth[226], et il s'enferma d'une muraille, qui traversait d'un fleuve à l'autre[227]. Les Huns, dont la marche était ralentie par le butin dont ils s'étaient chargés, lui laissèrent le temps d'achever cet ouvrage.

[222] Ammien Marcellin l'appelle juge des Thervinges. Hoc ita præter spem, dit-il, l. 31, c. 3, accidisse doctus Athanaricus, Thervingorum judex, stare gradu fixo tentabat, surrecturus in vires, si ipse quoque lacesseretur ut cæteri.—S.-M.

[223] Ammien Marcellin désigne le lieu où Athanaric attendit les Huns, mais il est impossible d'en indiquer la position. Castris prope Danasti margines ac Greuthungorum vallem longiùs opportunè metatis.—S.-M.

[224] Ce Munderic passa dans la suite au service des Romains, et devint duc de la frontière d'Arabie, comme le dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 3. Munderichum ducem postea limitis per Arabiam.—S.-M.

[225] Cum Lagarimano et optimatibus aliis adusque vicesimum lapidem misit. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[226] Ce fleuve est appelé Gerasus par Ammien Marcellin, l. 31, c. 3. C'est dans Ptolémée, liv. 3, c. 8, qu'on trouve le nom d'Hiérasus. Les Grecs, selon Hérodote, l. IV, c. 8, l'appelaient Pyretus, et les Scythes Porata, et c'est le nom qui, sans beaucoup de changements, s'est perpétué jusqu'à nous.—S.-M.

[227] Ammien Marcellin indique, l. 31, c. 3, d'une manière précise, le lieu de la retraite d'Athanaric; A superciliis, dit-il, Gerasi fluminis adusque Danubium Taifalorum terras præstringens, muros altius erigebat. On sait par Eutrope, l. 7, que ces Taïfales, que je regarde comme le reste des anciens Daces, occupaient alors avec les Victophales et les Thervinges, c'est-à-dire les Visigoths, la plus grande partie du pays situé au nord du Danube, qui forme actuellement les deux principautés de Moldavie et de Valachie, avec la Transylvanie. Provincia trans Danubium facta, dit Eutrope, en parlant des conquêtes de Trajan, in his agris, quos nunc Thaïphali tenent, et Victophali et Thervingi habent. Malgré ces renseignements, ce n'en est pas assez pour pouvoir fixer, avec quelque précision, la position du lieu où Athanaric et les siens se retirèrent pour se défendre contre les Huns.—S.-M.

XLIX.

Les Goths s'assemblent sur les bords du Danube.

Amm. l. 31, c. 3.

Isidor. chron. Goth.

Theoph. p. 55.

Socr. l. 4, c. 33.

Eunap. excerpt. leg. p. 19.

La terreur s'était répandue dans toute la nation des Goths. L'extérieur affreux des Huns n'imprimait pas moins de frayeur que la cruauté de leurs ravages. On publiait au loin que des monstres sortis des lacs et des déserts de la Scythie, venaient dévorer les peuples de l'Europe, et qu'ils désolaient tout sur leur passage[228]. Une discorde civile tenait alors les Visigoths divisés.[Pg 90] Une partie de la nation s'était séparée d'Athanaric, et avait choisi pour chefs Alavivus et Fritigerne. Il s'était livré des combats, dans lesquels ces deux capitaines, aidés de quelques secours des Romains, avaient remporté l'avantage[229]. La disette où se trouvait Athanaric resserré entre deux fleuves, détacha encore de lui un grand nombre de ses sujets. Quantité d'autres, que la crainte rassemblait de toutes parts, se joignirent à eux; et tous s'étant réunis, ils convinrent ensemble de se soustraire à la barbarie de leurs nouveaux ennemis[230]. La Thrace semblait leur offrir une retraite sûre et commode. C'était un pays fertile, que le Danube, bordé de places fortes, défendait contre les incursions étrangères. Ils se rendirent au bord de ce fleuve, sous la conduite d'Alavivus et de Fritigerne, au nombre de près de deux cent mille hommes, propres à la guerre, résolus d'abandonner les demeures où ils étaient établis depuis cent cinquante ans[231].

[228] Fama tamen latè serpente per Gothorum reliquas gentes, quod inusitatum antehac hominum genuis modo ruens ut turbo montibus celsis, ex abdito sinu coortum apposita quæque convellit et corrumpit. Amm. Marc. l. 31, c. 3.—S.-M.

[229] Ces détails se trouvent dans Socrate, l. 4, c. 33. Selon lui, le parti d'Athanaric prévalut sur celui de Fritigerne, qui, obligé de se réfugier chez les Romains, en obtint des secours, avec lesquels il repassa le Danube et triompha d'Athanaric. Les choses en étaient là quand les Huns survinrent. Sozomène, qui parle aussi, l. 6, c. 37, de ces divisions, les met contre toute vraisemblance après le passage du Danube par les Goths; ce qui est impossible. Du reste les détails qu'il donne sont les mêmes que ceux de Socrate.—S.-M.

[230] Populi pars major, quæ Athenaricum attenuata necessariorum penuria deseruerat, quæritabat domicilium remotum ab omni notitia Barbarorum. Amm. l. 31, c. 3.—S.-M.

[231] Les Goths étaient depuis long-temps fixés dans ces régions. Voyez à ce sujet la note que j'ai placée, t. 3, p. 324, n. 1, liv. XVII, § 29.—S.-M.

FIN DU LIVRE DIX-NEUVIÈME.


[Pg 91]

LIVRE XX.

I. Les Visigoths obtiennent la permission de passer en Thrace. II. Ils passent le Danube. III. Mauvaise conduite des Romains. IV. L'arianisme s'établit chez les Goths. V. Les Ostrogoths demandent le passage qui leur est refusé. VI. Avarice des Romains. VII. Révolte des Visigoths. VIII. Horribles ravages en Thrace. IX. Siége d'Andrinople. X. Valens et Gratien y envoient des secours. XI. Les deux armées se préparent au combat. XII. Bataille de Salices. XIII. Suites de la bataille. XIV. Ravages par toute la Thrace. XV. Succès de Frigérid. XVI. Préparatifs de Valens. XVII. Irruption des Allemans dans la Gaule. XVIII. Bataille d'Argentaria. XIX. Gratien réduit les Allemans Lentiens. XX. Il se met en marche pour aller joindre Valens. XXI. Valens à Constantinople. XXII. Sébastien général. XXIII. Il taille en pièces un grand parti de Goths. XXIV. Valens marche aux ennemis. XXV. Ruse de Fritigerne. XXVI. Valens range son armée en bataille. XXVII. Nouvelle ruse de Fritigerne. XXVIII. Bataille d'Andrinople. XXIX. Fuite des Romains. XXX. Mort de Valens. XXXI. Perte des Romains. XXXII. Divers traits du caractère de Valens. XXXIII. Les Goths attaquent Andrinople. XXXIV. Belle défense des assiégés. XXXV. Les Goths marchent à Périnthe. XXXVI. Ils sont repoussés de devant Constantinople. XXXVII. Massacre des Goths en Asie. XXXVIII. Ravages des Goths. XXXIX. Théodose rappelé. XL. Victoire de Théodose. XLI. Gratien rétablit en Orient les affaires de l'Église. XLII. Ausone consul. [XLIII. État de l'Arménie sous le règne de Varazdat. XLIV. Assassinat du connétable Mouschegh. XLV. Manuel son frère se révolte contre Varazdat. XLVI. Varazdat est détrôné. XLVII. Manuel est maître de l'Arménie. XLVIII.[Pg 92] Alliance des Arméniens avec la Perse.] XLIX. Théodose empereur. L. Partage de l'empire.

VALENS, GRATIEN, VALENTINIEN II.

I.

Les Visigoths obtiennent la permission de passer en Thrace.

Amm. l. 31, c. 4.

Hier. chron.

Zos. l. 4, c. 20.

Idat. chron.

Eunap. excerpt. leg. p. 19 et 20.

Socr. l. 4, c. 34.

Soz. l. 6, c. 37.

Oros. l. 7, c. 33.

Jorn. de reb. Get. c. 25.

Lupicinus, comte de la Thrace, était en cette qualité général de toutes les troupes de la province, et Maxime, avec le titre de duc, commandait les garnisons de la frontière. A la nouvelle d'un mouvement si extraordinaire, ils s'avancèrent au bord du Danube pour en défendre le passage. Ils virent sur la rive opposée une multitude innombrable qui leur tendait les bras en posture de suppliants, et poussait de grands cris. Les principaux de la nation des Visigoths[232], s'étant jetés dans une barque, vinrent exposer leurs désastres, conjurant les Romains de leur accorder un asile[233], et protestant qu'ils se consacreraient au service de l'empire avec une fidélité inviolable[234]. On leur répondit qu'il fallait attendre les ordres de l'empereur. On dépêcha[Pg 93] aussitôt des courriers à Antioche, et les députés des Visigoths partirent avec eux[235]. Les avis furent d'abord partagés dans le conseil. Mais dès qu'on sentit que Valens était flatté d'acquérir en un moment tant de nouveaux sujets, on s'empressa de seconder sa vanité: C'était, disait-on, la fortune du prince qui lui amenait des troupes assez nombreuses pour former une armée invincible: qu'au lieu des recrues qu'il tirait tous les ans des provinces, il en tirerait de l'or; que cet accroissement de forces allait donner à l'empire d'Orient une supériorité décidée: qu'on ne devait rien craindre d'un peuple ignorant et grossier; que ce n'était qu'une multitude de bras, dont l'empereur réglerait les mouvements à son gré, et que la politique Romaine saurait profiter du service de ces Barbares, tant qu'ils seraient fidèles, et les détruire dès qu'ils deviendraient suspects. Ces mauvaises raisons suffisaient dans une occasion où il n'en fallait aucune, parce que l'empereur avait pris son parti. Il accorda aux Visigoths le passage et un établissement en Thrace[236], à condition qu'ils remettraient auparavant leurs armes entre les mains des officiers Romains. Pour avoir des gages de leur fidélité, il ordonna que les plus jeunes seraient transportés en Asie; et il chargea le comte Jules de veiller à leur entretien.

[232] C'est-à-dire des Thervinges. Primates eorum et duces, qui regum vice illis præerant. Jornand. c. 26. Les premiers chefs de cette nation qui descendirent sur le territoire romain, étaient Alavivus et Fritigerne, qui sont souvent appelés rois. Fritigerne est qualifié de regulus Gothorum par Jornandès, c. 26.—S.-M.

[233] Selon Jornandès, c. 25, les Goths demandaient qu'on leur cédât une partie de la Thrace ou de la Mésie pour la cultiver et y vivre selon leurs lois; ut partem Thraciæ, sive Mæsiæ si illis traderet ad colendum, ejus legibus viverent. Ceci est confirmé par ce que dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 4, des vivres et des terres données par l'empereur à Fritigerne, à Alavivus, et aux Goths qui les suivaient. Et primus cum Alavivo suscipitur Fritigernus, quibus et alimenta pro tempore et subigendos agros tribui statuerat imperator.—S.-M.

[234] Jornandès ajoute, c. 25, qu'ils promettaient de se faire chrétiens, pourvu qu'on leur donnât des catéchistes qui sussent leur langue, promittunt se, si doctores linguæ suæ donaverit, fieri christianos. On pourra voir ci-après, soit dans le texte, soit dans les notes du § 4, que les Goths étaient déja pour la plupart chrétiens. Il ne s'agit sans doute ici que de l'adoption de l'arianisme, professé par Valens, et qui fit alors des progrès très-rapides parmi les Goths, qui l'embrassèrent presque tous.—S.-M.

[235] Selon Sozomène, l. 6, c. 37, le chef de cette ambassade était le célèbre évêque des Goths, Ulfilas. Voy. ci-après, § 4, p. 102. Philostorge en dit autant, l. 2, c. 5.—S.-M.

[236] Il en fit, dit Jornandès, de reb. Get. c. 25, comme un mur contre les autres Barbares. Susceptosque in Mœsiæ partibus Getas, quasi murum regni sui contra cæteras gentes statuit.—S.-M.

[Pg 94]

II.

Ils passent le Danube.

Pendant le cours de la négociation, quelques Goths plus fougueux et plus hardis que les autres, s'ennuyant d'attendre la réponse de l'empereur, entreprirent de forcer le passage. Ils abordèrent, mais ils furent taillés en pièces. La nation envoya sur-le-champ porter ses plaintes à Valens, qui, regardant déjà les Goths comme ses sujets, cassa les officiers qui avaient fait leur devoir: peu s'en fallut même qu'il ne les condamnât à mort. Enfin la permission de l'empereur arriva, et les conditions qu'il exigeait furent acceptées. Lupicinus fit passer sur la rive où les Goths étaient assemblés, des officiers et des soldats[237], avec ordre de n'en laisser embarquer aucun qui n'eût rendu ses armes. On prépara en diligence des barques, des bateaux plats, des canots[238]. Les Visigoths s'y jetaient en foule, mais tous n'atteignirent pas l'autre bord. Quelques-uns furent emportés et engloutis par la rapidité du fleuve que les pluies avaient grossi depuis peu. D'autres coulèrent à fond avec les bateaux trop chargés, ou qui se brisaient en se heurtant mutuellement. Il y en eut d'assez téméraires pour se jeter à la nage: ils se noyèrent. On employa plusieurs jours et plusieurs nuits à ce passage. Les Barbares abordaient avec tant de confusion, qu'on entreprit inutilement de les compter[239].

[237] On envoya même, selon Ammien Marcellin, l. 31, c. 4, des personnes qui pénétrèrent dans l'intérieur du pays, pour amener des Goths sur des voitures. Hacque spe mittuntur diversi, qui cum vehiculis plebem transferant truculentam. On en eut le plus grand soin; on n'en abandonna aucun, pas même ceux qui étaient attaqués de maladies mortelles. Et navabatur opera diligens, ne qui Romanam rem eversurus derelinqueretur, vel quassatus morbo lethali.—S.-M.

[238] Transfretabantur in dies et noctes, navibus ratibusque et cavatis arborum alveis agminatim impositi. Amm. Marc. l. 31, c. 4.—S.-M.

[239] Illud sanè neque obscurum est neque incertum, infaustos transvehendi barbaram plebem ministros, numerum ejus comprehendere calculo sæpe tentantes, conquievisse frustratos. Amm. Marc. l. 31, c. 4.—S.-M.

[Pg 95]

III.

Mauvaise conduite des Romains.

La plupart gardèrent leurs armes. Ceux qui étaient chargés de les désarmer, songèrent bien plutôt à satisfaire leur avarice et d'autres passions encore plus honteuses. Ils enlevaient dans la jeunesse des deux sexes tout ce qui plaisait à leurs yeux; ils ravissaient les filles à leurs mères, les femmes à leurs maris; ils saisissaient les troupeaux et les bagages de quelque valeur. Les Goths abandonnaient tout, n'étant occupés que du soin de leurs armes; ils achetaient même à grand prix la permission de les conserver, persuadés que leurs javelots et leurs épées leur rendraient bientôt plus qu'ils ne perdaient. Ainsi se préparait la révolution qui allait éclater; et l'on peut dire qu'en cette occasion les Romains firent le rôle des Barbares, les Barbares celui qui convenait à des Romains. Les Visigoths, contents d'avoir échappé à la fureur des Huns, s'étendirent le long du Danube, dans les plaines et sur les montagnes de la Mésie et de la Thrace. Ils se consolaient de leur infortune, qui leur faisait trouver un climat plus doux et un pays plus riche et plus fertile[240].

[240] En échange des déserts de la Scythie et d'un abîme, dit Eunapius, excerpt. leg., p. 20, ils obtinrent l'empire romain. Οἵγε ἀντὶ τῆς Σκυθῶν ἐρημίας, καὶ τοῦ βαράθρου, τὴν Ῥωμαϊκὴν ἀρχὴν ὑπελάμβανον.—S.-M.

IV.

L'Arianisme s'établit chez les Goths.

Hier. chron.

S. Aug. de Civ. l. 18, c. 52, t. 7, p. 535.

Socr. l. 4, c. 33.

Theod. l. 4, c. 37.

Soz. l. 6, c. 37.

Oros. l. 7, c. 32 et 33.

Jorn. de reb. Get. c. 25.

Isidor. chron. Goth.

Vulcanius de litteris et lingua Goth.

Till. Arian. art. 132 et 133.

Fleury, Hist. Eccl. l. 16, c. 42, l. 17, c. 36.

Ce fut alors que l'arianisme jeta chez les Goths de plus profondes racines. Il y avait environ un siècle que la religion chrétienne s'était introduite parmi eux[241]. Leur évêque Théophile avait assisté au concile de[Pg 96] Nicée[242]: mais la croyance orthodoxe commençait à s'altérer depuis quelque temps. Ils avaient pour évêque Ulphilas, Cappadocien d'origine[243], prélat plus zélé qu'éclairé sur les matières alors contestées dans l'Église. Il avait converti un grand nombre d'idolâtres: car l'idolâtrie était encore parmi les Goths la religion dominante, et Athanaric persécutait même les chrétiens avec violence[244]. Ulphilas encourageait les fidèles[245]; il contribua aussi par ses sages avis à adoucir les mœurs de la nation: ses paroles étaient respectées comme des lois[246].[Pg 97] Les auteurs anciens lui attribuent l'honneur d'avoir inventé l'alphabet gothique, et communiqué aux Goths la connaissance des lettres[247]. Cependant il paraît, par[Pg 98] les caractères runiques gravés sur les rochers de la Suède, et qu'on croit antérieurs à la migration des Goths, que ce peuple avait l'usage de l'écriture avant que de quitter le pays de son origine[248]. La langue gothique[Pg 99] en traversant la Germanie et la Scythie, dut se charger de plusieurs termes étrangers[249]; elle dut aussi contracter quelque teinture de la langue grecque, par le voisinage des colonies grecques établies sur le bord du Pont-Euxin[250]. En effet on aperçoit plusieurs caractères[Pg 100] grecs dans l'alphabet attribué à Ulphilas[251]. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il traduisit la Bible en langue du pays[252], à l'exception des livres des Rois, qu'il ne voulut pas mettre sous les yeux des Goths, de peur[Pg 101] que la lecture de tant de guerres n'enflammât encore la passion que ce peuple avait pour les combats[253]. Mais il ne fut pas en garde contre les artifices des Ariens: il se laissa corrompre, et corrompit ensuite sa nation[254]. Il s'était trouvé en 360 au concile de Constantinople, où les Anoméens l'avaient engagé à signer le formulaire de Rimini[255]. Fritigerne ayant ensuite embrassé l'arianisme en reconnaissance des secours que Valens lui[Pg 102] avait prêtés contre Athanaric[256], l'erreur s'était peu à peu répandue[257]. Enfin lorsque les Goths demandèrent à Valens la permission de passer en Thrace, Ulphilas étant le chef de la députation, les évêques Ariens qui se trouvaient à la cour, profitèrent de l'occasion pour achever de le pervertir. Ils lui firent entendre qu'il ne s'agissait entre les deux partis que d'une dispute de mots, et l'appuyèrent de leur crédit auprès de l'empereur, à condition qu'il prêcherait leur doctrine. Valens fit partir avec lui[258] des évêques ariens[259]. Ainsi les Visigoths infectés de l'hérésie, la communiquèrent aux Ostrogoths, aux Gépides[260], aux Vandales, aux Bourguignons.[Pg 103] Tous ces peuples la portèrent avec eux dans leurs conquêtes, et y demeurèrent opiniâtrement attachés.

[241] Le christianisme avait été introduit chez les Goths par les esclaves qu'ils avaient amenés de l'Asie-Mineure, et particulièrement de la Cappadoce, lors des expéditions qu'ils y entreprirent, pendant les troubles qui agitèrent l'empire sous le règne de Gallien. On peut voir à ce sujet le récit de Philostorge, l. 2, c. 5. Les auteurs arméniens font aussi souvent mention des captifs de Cappadoce, qui portèrent la religion chrétienne chez les Goths.—S.-M.

[242] On doit la connaissance de ce fait important à l'historien Socrate, l. 2, c. 41. Selon le P. Lequien (Oriens Christ. p. 1241), Théophile serait le même qu'Ulfilas. Cette opinion est peu vraisemblable; l'intervalle de temps est trop considérable.—S.-M.

[243] Cet évêque que Philostorge, l. 2, c. 5, appelle Ourphilas, descendait de ces captifs amenés de Cappadoce. Ses ancêtres avaient habité dans ce pays le bourg de Sadagolthina, situé près d'une ville de Parnassus dont on ignore la position. Oἱ Οὐρφίλα πρόγονοί, Καππαδόκαι μὲν γένος, πόλεως δὲ πλησίον Παρνασσοῦ, ἐκ κώμης δὲ Σαδαγολθινὰ καλουμένης.—S.-M.

[244] Socrate, l. 4, c. 33, et particulièrement Sozomène, l. 6, c. 37, donnent des détails circonstanciés sur les persécutions que les chrétiens de la Gothie eurent à souffrir de la part d'Athanaric, fort zélé pour l'ancien culte de sa patrie. Orose en parle en ces termes, l. 7, c. 32: Athanaricus, rex Gothorum, christianos in gente sua crudelissime persecutus, plurimos barbarorum ob fidem interfectos, ad coronam martyrii sublimavit, quorum tamen plurimi in romanum solum non trepidi, velut ad hostes, sed certi, quod ad fratres, pro Christi confessione, fugerunt.—S.-M.

[245] Selon Philostorge, l. 2, c. 5, Ulfilas avait été ordonné évêque des Goths, ou plutôt des chrétiens de la Gothie, τῶν ἐν τῇ Γετικῇ χριστιανιζόντων par l'arien Eusèbe de Nicomédie et par les prélats de son parti. Il fut, selon Socrate, l. 4, c. 33, le directeur spirituel de tous les Visigoths, non-seulement de ceux qui obéissaient à Fritigerne, mais encore de ceux qui reconnaissaient la souveraineté d'Athanaric. Ἐπειδὴ δὲ Οὐλφίλας οὐ μόνον τοὺς ὑπὸ Φριτιγέρνην, ἀλλὰ καὶ τούς ὑπὸ Ἀθανάριχον ταττομένους βαρβάρους τὸν χριστιανισμὸν ἐξεδίδασκεν.—S.-M.

[246] Τοὺς ἐκείνου λόγους ἀκινήτους ὑπελάμβανον νόμους. Theod., l. 4, c. 37. Gibbon a remarqué, t. 5, p. 175, que le comte Du Buat avait eu (hist. des anc. peup. de l'Eur., t. 6, p. 407) la singulière idée de croire que l'évêque Ulfilas était le même qu'Alavivus prince des Visigoths, dont Ammien Marcellin parle si souvent dans son récit de la guerre de Valens contre les Goths. M. Graberg de Hemso, dans son Essai sur les Scaldes (Saggio sugli Scaldi, p. 131), a émis au sujet du même personnage une opinion non moins extraordinaire. Il a pensé qu'il était le même que le roi de Suède Gylfe, qui, selon les récits historiques du Nord, fut détrôné par Odin. Il imagine que Gylfe se retira alors sur les bords du Danube, où il se fit chrétien et devint évêque, sans qu'il fasse aucune mention, sans qu'il paraisse se rappeler de ce que Philostorge raconte, l. 2, c. 5, de l'origine cappadocienne d'Ulfilas.—S.-M.

[247] Socrate, l. 4, c. 33, Sozomène, l. 6, c. 37, et Philostorge, l. 2, c. 5, s'accordent sur ce point. «Ulfilas, évêque des Goths, dit Socrate, imagina les lettres des Goths.» Οὐλφίλας, ὁ τῶν Γότθων ἐπίσκοπος, γράμματα ἐφεῦρε Γοτθικὰ· «Il donna aux Goths, dit Philostorge, des lettres qui leur furent propres», καὶ γραμμάτων αὐτοῖς οἰκείων εὑρετὴς καταστὰς. Selon Sozomène, il fut chez eux le premier inventeur des lettres, πρῶτος δὲ γραμμάτων εὑρετὴς αὐτοῖς ἐγένετο. Voilà donc un fait qui paraît hors de doute. Il en est aussi question dans Jornandès, c. 51, qui donne aux Goths, régis par Ulfilas, le surnom de petits. Erant siquidem, dit-il, et alii Gothi, qui dicuntur minores, populus immensus, cum suo pontifice, ipsoque primate Ulfila, qui eis dicitur et litteras instituisse; hodieque sunt in Mæsia regione incolentes Nicopolitanam. On voit que Jornandès désigne les Goths qui existaient encore de son temps sur les bords du Danube où ils étaient restés, n'ayant pris aucune part aux entreprises des Ostrogoths et des Visigoths dans l'Occident. L'alphabet inventé par Ulfilas, est celui que nous connaissons sous le nom de Méso-gothique, parce qu'il fut en usage chez les Goths établis dans la Mésie, sur les bords du Danube, où il fut destiné à écrire la langue gothique qui porte aussi par la même raison le nom de Méso-gothique. Il est impossible en jetant les yeux sur les lettres méso-gothiques, de ne pas reconnaître tout de suite, les rapports qu'elles présentent avec l'alphabet grec, de manière à confirmer ce que les auteurs racontent de leur origine. Il ne doit, ce me semble, y avoir aucune incertitude sur ce point. Mais doit-on penser que les Goths n'eussent jamais connu l'usage des lettres avant Ulfilas? c'est un fait que je ne crois pas possible. Pour s'en convaincre il suffit de jeter les yeux sur la version gothique du Nouveau Testament, pour reconnaître que la langue qu'elle nous retrace, était une langue cultivée et écrite depuis long-temps. Jornandès rapporte, c. 5, que l'étude de la sagesse, avait fait de grands progrès parmi les anciens Goths, et il s'appuie de l'autorité de Dion Cassius, qui avait lui-même écrit une histoire de ce peuple. Le même Jornandès parle, c. 11, des ouvrages composés par Dicénéus le législateur des Gètes et qui existaient encore de son temps. Quand on n'admettrait pas à la lettre ce qu'il rapporte des connaissances des Goths, il est impossible en comparant son récit avec ceux de plusieurs autres auteurs de ces temps, de ne pas se convaincre que les Goths n'étaient plus alors des Barbares. Jornandès et le géographe anonyme de Ravenne, citent des historiens et des géographes goths appelés Ablabius, Athanarid, Edelvald et Marcomir, ce qui est une forte présomption pour croire que ce peuple connaissait depuis long-temps l'écriture. L'alphabet méso-gothique semble en fournir lui-même la preuve; car, indépendamment des lettres grecques et latines qu'il contient, il en renferme quelques-unes qui sont destinées à exprimer des articulations propres à la langue gothique. La lettre TH qui existe dans toutes les langues gothiques ou germaniques, est d'une forme presque semblable à celle qu'elle a dans tous les alphabets runiques ou saxons, ce qui en supposant leur identité, établit leur haute antiquité. Je ne crois pas qu'on puisse douter qu'au quatrième siècle de notre ère, au temps d'Ulfilas, il y avait déja long-temps que l'écriture était établie chez toutes les divisions de la nation gothique.—S.-M.

[248] Ceci est une suite de l'opinion adoptée par Lebeau sur l'origine des Goths (voy. t. 3, p. 324, l. XVII, § 29). Parce qu'il les distingue mal à propos des Gètes, et qu'il les fait venir en corps de nation de la Scandinavie, il a cru qu'ils ont dû nécessairement se servir de l'écriture propre à cette région. La chose pourrait être, sans qu'on fût obligé de l'expliquer ainsi. Les Goths auraient pu se servir de runes avant l'alphabet d'Ulfilas, sans qu'on dût supposer qu'ils vinssent de la Scandinavie. Il est à croire en effet que les lettres runiques ont été en usage chez tous les peuples scythiques et si on les retrouve dans la Scandinavie, c'est que des colonies scythiques y ont porté la connaissance de ces lettres, et qu'elles s'y conservèrent jusqu'à l'établissement du christianisme et même long-temps après. Déja quelques savants ont remarqué que ces caractères sont peu appropriés aux sons des langues scandinaves et qu'ils s'adaptent mieux à ceux des idiomes germaniques; ce qui semblerait indiquer qu'ils appartiennent originairement aux nations du midi de la Baltique. Partout où l'on se servait des runes, on était dans l'habitude de les tracer sur des baguettes ou des bâtons. Cette manière d'écrire s'est conservée jusqu'à une époque très-récente, dans les régions où les Goths avaient autrefois habité. On apprend de l'historien hongrois Thwrocz, que les Szekels ou Sicules, ancien peuple de la Transylvanie, avait conservé jusqu'à son temps cette manière d'écrire inséparable des runes, comme nous en avons un témoignage incontestable dans le poète Vénance Fortunat, carm. VII, v. 18, qui était évêque de Poitiers au milieu du sixième siècle:

Barbara fraxineis pingatur runa tabellis
Quodque papyrus egit, virgula planè valet.

Ce passage atteste non-seulement l'usage dont je viens de parler, mais encore il démontre l'antiquité des runes, chez les Francs et par conséquent chez les nations germaniques. On sait aussi que les Anglo-Saxons, se servaient des mêmes lettres avant qu'ils fussent chrétiens. Rhaban Maur atteste que de son temps, c'est-à-dire au huitième siècle, tous ceux des Nordmani, un des peuples qui occupaient les bords de l'Elbe, qui étaient restés païens, qui adhuc paganis ritibus involvuntur, pratiquaient encore l'usage des runes. Il est bon de faire observer que partout où les runes existent, elles disparaissent avec le christianisme. On en conçoit sans peine la cause. L'usage de ces lettres dont le nom signifie mystères, était intimément lié avec toutes les pratiques superstitieuses de l'idolâtrie; il n'est donc pas étonnant qu'elles aient été proscrites par les missionnaires chrétiens, qui devaient les regarder comme indignes d'exprimer les vérités évangéliques. Il a dû en résulter, que partout ils leur substituèrent les lettres latines; c'est ainsi qu'ils en agirent en Allemagne, en Angleterre et dans le Nord, et il est probable qu'Ulfilas en avait fait autant avant eux dans la Mésie et au nord du Danube.—S.-M.

[249] La langue des Goths, telle qu'on la connaît par ce qui reste de la version d'Ulfilas, présente un idiome arrivé à un haut degré de perfection, sous le rapport grammatical. Tout le fond de la langue, soit pour les mots, soit pour la grammaire, soit pour la syntaxe est identique avec l'allemand, surtout avec les anciens dialectes teutoniques. Les mots qu'on sait être communs à l'allemand et au persan, et qui sont en si grand nombre, se retrouvent aussi dans le méso-gothique, avec une orthographe qui les rapproche davantage de la manière d'écrire usitée dans les anciens dialectes du persan. C'est un fait très-remarquable et qui peut fournir de nouvelles lumières pour expliquer l'origine des langues répandues dans presque toute l'Europe et en Asie. On remarque de plus que le méso-gothique a un certain nombre d'expressions qui semblent avoir été empruntées au grec, au latin, et au slavon, et qui sont très-propres à faire reconnaître une langue qui a dû se parler sur les rives du Danube, à la proximité des Grecs et des Romains et au milieu de nations qui devaient appartenir à la race des Slaves.—S.-M.

[250] Les Goths étant les mêmes que les anciens Scythes établis depuis le Danube jusqu'au Tanaïs et même au-delà, il est impossible que les fréquentes relations politiques et commerciales qu'ils eurent avec les nombreuses colonies grecques établies sur les côtes de la mer Noire, n'aient pas exercé une très-grande influence sur la langue, et même sur les mœurs et les opinions de ces nations. On voit par les récits d'Hérodote, que cette influence s'exerçait depuis long-temps.—S.-M.

[251] L'alphabet méso-gothique contient vingt-cinq lettres, dont quinze sont évidemment prises dans l'alphabet grec, huit appartiennent à celui des latins; pour les deux autres, le th et le hw, comme ils expriment des sons que les lettres grecques et latines ne pouvaient rendre exactement, ils furent pris ailleurs. Ce sont sans doute d'anciens caractères dont on conserva l'usage. L'une d'elles, le th, est tout-à-fait semblable à la lettre runique qui a la même valeur. On voit que les éléments d'origine grecque prédominent dans l'alphabet d'Ulphilas, et il devait en être ainsi, à cause du voisinage et des fréquentes relations des Goths avec Constantinople et les pays où se parlait la langue grecque.—S.-M.

[252] Nous avons encore sur ce point l'autorité réunie des trois historiens Socrate, l. 4, c. 33, Sozomène, l. 6, c. 37, et Philostorge, l. 2, c. 5. «Il traduisit les livres saints dans leur langue nationale, dit Sozomène, Καὶ εἰς τὴν οἰκείαν φωνὴν μετέφρασε τὰς ἱερὰς βίβλους.» En traduisant «les saintes écritures dans la langue des Goths, il rendit les Barbares capables de comprendre les préceptes divins», dit Socrate, Καὶ τὰς θείας γραφὰς εἰς τὴν Γότθων μεταβαλὼν, τοὺς βαρβάρους μανθάνειν τὰ θεῖα λόγια παρεσκεύασεν. Beaucoup de faits viennent à l'appui de ces paroles de Socrate, et font voir qu'effectivement la vérité évangélique fit de grands progrès parmi les Goths. Théodoret donne de grands détails à ce sujet, l. 5, c. 30 et 31. Les lettres de S. Jérôme nous attestent que plusieurs Goths correspondaient avec lui, dans le but de comparer les versions gothique, grecque et latine, avec la vérité hébraïque. Quis hoc crederet, dit-il, ut barbara Getarum lingua hebraicam quæreret veritatem; et dormitantibus, immo contendentibus Græcis, ipsa Germania Spiritus Sancti eloquia scrutaretur? Epist. 106, t. 1, p. 635. Ce saint père, qui devait être bon juge des travaux entrepris dans le but d'interpréter l'Écriture, place les ouvrages des Goths bien au-dessus de ceux des Grecs. On croit qu'Ulfilas avait été secondé dans son travail par Sélénas, qui fut après lui évêque des Goths et qui était son secrétaire ὑπογραφὲυς (Socrate, l. 5, c. 23, Soz., l. 7, c. 17). Ce Sélénas était né d'un père goth et d'une mère phrygienne. Il nous reste une portion considérable de la traduction gothique d'Ulfilas. Un manuscrit très-célèbre connu sous le nom de manuscrit d'argent, codex argenteus, qui fut trouvé au seizième siècle à Wenden auprès de Cologne, et qui se garde actuellement à Upsal, contient les quatre évangiles presqu'en totalité. Il est écrit en lettres d'argent sur parchemin pourpre. Il en existe un grand nombre d'éditions. La dernière et la plus estimée a été donnée à Weissenfels en Saxe, en 1805, par J. Christ. Zahn, un volume grand in-4º. En 1762, Fr. Ant. Knittel, découvrit, dans un manuscrit palimpseste de Wolfenbuttel, cinq chapitres de la version gothique de l'épître de saint Paul aux Romains, qui furent publiés en la même année à Brunswick et réimprimés à Upsal en 1763. Depuis cette époque, le célèbre abbé Maï, a retrouvé dans un manuscrit palimpseste de Milan, une portion très-considérable de la version d'Ulfilas avec plusieurs autres fragments qui appartiennent à la littérature gothique. Il en a publié une portion en 1819 en un petit volume in-4º, sous ce titre Ulphilæ partium ineditarum in Ambrosianis palimpsestis ab Ang. Maïo repertarum specimen. Ce volume contient un fragment du 2e chapitre d'Esdras, plusieurs versets des chapitres 5, 6, et 7 de Néhémie, des morceaux de l'évangile de saint Mathieu qui manquent dans le manuscrit d'argent, et des fragments assez considérables des épîtres de saint Paul aux Philippiens, à Titus et à Philémon. Ce volume contient en outre des portions d'une homélie et d'un calendrier, aussi en langue gothique.—S.-M.

[253] C'est Philostorge qui nous instruit de cette omission. «Il traduisit en leur langue, dit-il, l. 2, c. 5, toutes les écritures excepté les livres des Rois, etc. Μετέφρασεν εἰς τὴν αὐτῶν φωνὴν τὰς γραφὰς ἁπάσας, πλὴν γε δὴ τῶν βασιλειῶν, κ. τ. λ.—S.-M.

[254] On apprend de S. Epiphanes que l'hérésie des Audiens s'était aussi répandue parmi les Goths, et il nomme deux évêques de ces sectaires établis au-delà du Danube. C'étaient Uranius et Silvanus. Epiph. hæres. 70, t. 1, p. 823 et 824.—S.-M.

[255] Les Pères de l'église n'en jugeaient pas tous, ni toujours ainsi; on pourrait même croire qu'Ulfilas n'avait pas complètement embrassé l'hérésie d'Arius, ou que cette hérésie n'avait pas fait de grands progrès chez les Goths, car S. Basile (ep. 164, t. 3, p. 254), S. Ambroise (in Luc. l. 2, c. 26), et S. Augustin (de Civ. Dei, l. 18, c. 52, t. 7, p. 535), ne doutent pas que les martyrs de la Gothie ne fussent orthodoxes. Ceci est confirmé par le passage déja cité de S. Épiphanes, dans lequel il n'est question que de Goths catholiques et de ceux qui partageaient les opinions des Audiens. Saint Jérôme (Chron.) et Orose, l. 7, c. 32, en parlant des Goths morts pour la foi, ne paraissent pas douter de leur orthodoxie: il n'y a donc aucune raison de croire que l'hérésie d'Arius se fût répandue chez les Goths, avant qu'ils eussent passé le Danube, pour venir s'établir sur les terres de l'empire.—S.-M.

[256] Isidore se trompe en rapportant que les secours de Valens furent accordés à Athanaric, qui triompha de Fritigerne, et répandit l'arianisme chez les Goths. Fridigernum Athanaricus Valentis imperatoris auxilio superans, hujus rei gratia cum omni gente Gothorum in Arianam hæresim devolutus est. Isid. Chron. Goth. Il est évident que ce fut précisément le contraire.—S.-M.

[257] Il est possible que Fritigerne et quelques autres Goths de son parti aient embrassé l'arianisme, mais il paraît constant que cette hérésie ne fit pas de grands progrès parmi eux, avant le passage du Danube. Voyez à ce sujet une savante note de Tillemont, dans son Histoire ecclésiastique, t. VI, Arianisme, note 97.—S.-M.

[258] Valens faisait une si grande estime d'Ulfilas, qu'il l'appelait, selon Philostorge, l. 2, c. 5, le Moïse de son temps, ὁ ἐφ' ἡμῶν Μωσῆς λέγειν περὶ αὐτοῦ. Le zèle de Valens pour l'arianisme est trop connu, on doit donc en conclure que de tels éloges s'adressaient à un évêque arien. Il est bien probable en effet qu'Ulfilas et les chefs des Goths avaient adopté l'arianisme, pour se concilier la bienveillance de Valens.—S.-M.

[259] C'est ce que dit Jornandès, c. 25. Et quia tunc Valens imperator Arianorum perfidia saucius, nostrarum partium omnes ecclesias obturasset, suæ partis fautores ad illos dirigit prædicatores, qui venientibus rudibus et ignaris, illicò perfidiæ suæ virus defundunt. Ce passage est tout-à-fait propre à confirmer l'opinion que j'ai émise dans les notes précédentes, sur l'époque vraisemblable de l'introduction de l'arianisme parmi les Goths.—S.-M.

[260] Sic quoque Vesegothœ a Valente imperatore Ariani potius, quam Christiani effecti. De cætero tam Ostrogothis, quam Gepidis parentibus suis per affectionis gratiam evangelizantes, hujus perfidiæ culturam edocentes, omnem ubique linguæ hujus nationem ad culturam hujus sectæ invitavere. Jornand. c. 25.—S.-M.

An 377.

V.

Les Ostrogoths demandent le passage qui leur est refusé.

Amm. l. 31 c. 4.

Les Ostrogoths[261], campés au bord du Dniester [Danastris], y passèrent l'hiver dans de continuelles alarmes, appréhendant sans cesse d'être forcés dans leurs retranchements, et foulés aux pieds par la cavalerie innombrable des Huns. Au retour du printemps, Gratien étant consul pour la quatrième fois, avec Mérobaudès, Alathée et Saphrax, tuteurs de Vidéric[262], s'approchèrent du Danube, et envoyèrent demander à Valens la même grâce qu'il avait déjà accordée à leurs compatriotes. On s'aperçut enfin qu'on ne pouvait sans un danger évident recevoir tant de Barbares dans le sein de l'empire. On leur refusa le passage. Ce refus ôta toute espérance à Athanaric, qui se souvenait d'ailleurs que huit ans auparavant il s'était lui-même fermé cet asile, lorsque, pour se dispenser de se rendre auprès de Valens, il avait allégué un serment qu'il avait fait de ne jamais entrer sur les terres des Romains[263]. Il prit donc alors le parti de se retirer dans un lieu nommé Caucalande[264], environné de hautes forêts et de[Pg 104] montagnes inaccessibles, dont il chassa les Sarmates[265].

[261] C'est-à-dire les Greuthunges, comme les appelle Ammien Marcellin.—S.-M.

[262] Ammien Marcellin y joint un autre seigneur, nommé Farnobius.—S.-M.

[263] Voyez t. 3, p. 353, l. XVII, § 52.—S.-M.

[264] Ad Caucalandensem locum altitudine silvarum inaccessum et montium cum suis omnibus declinavit, Sarmatis inde extrusis. Am. Marc. l. 31, c. 4. Les savants ont beaucoup différé d'opinion sur la position de ce pays, dont le nom par sa forme extérieure semble être tout-à-fait germanique ou gothique. On y reconnaît à la fin le mot land, qui signifie terre, pays. L'opinion émise par M. Malte-Brun, dans son Précis de Géographie universelle, t. 1, p. 325, me paraît la plus vraisemblable de toutes. Il pense que le pays de Caucaland est le territoire des Cacoenses, placé par Ptolémée, l. 3, c. 8, vers les monts Carpathes, du côté de la Transylvanie actuelle, et qui doit être le canton de Cacawa; situé au sud d'Hermanstadt, capitale de cette principauté. Il est évident que Caucaland est la forme gothique de ces différents noms. La Transylvanie est tout-à-fait propre, et par son nom et par sa constitution montagneuse, à rendre raison des expressions employées par Ammien Marcellin, locum altitudine silvarum inaccessum et montium. M. Graberg de Hemso a pensé (Scandinavie vengée, p. 91, 95 et 158), que ce pays devait être plus éloigné, parce que, selon Ammien Marcellin, il était habité par des Sarmates; comme si, à cette époque, les Sarmates n'étaient pas répandus dans toute la partie de la Hongrie, qui s'étendait du Danube aux monts Crapacks, depuis l'embouchure de la Save, de sorte que la Transylvanie a dû nécessairement faire partie du territoire qu'ils occupaient. Trompé par un passage d'Ammien Marcellin qu'il ne paraît pas avoir bien compris, ce savant a cru qu'Athanaric s'était retiré dans une région bien éloignée. Ce passage s'applique au contraire à la portion des sujets d'Athanaric, qui s'étaient séparés de leur souverain, c'est-à-dire les Goths de Fritigerne et d'Alavivus, qui avaient passé le Danube, pour chercher une habitation éloignée des Barbares, qui leur causaient tant de terreur. Populi, major pars quæ Athanaricum deseruerat, quæritabat domicilium remotum ab omni notitia Barbarorum. Am. Marc. l. 31, c. 3. Ce texte ne présente aucune difficulté, et ne peut s'appliquer au pays de Caucaland, mais au territoire de l'empire. Il faut donc renoncer à toutes les conséquences que M. Graberg s'est cru en droit de tirer de ces rapprochements.—S.-M.

[265] Nous verrons bientôt, l. XXI, § 21, ci-après pag. 195, qu'Athanaric fut chassé de cet asile par de nouveaux ennemis, et qu'il fut obligé de se réfugier à Constantinople, auprès du grand Théodose, et qu'il y mourut bientôt après. Aucun des auteurs contemporains ou des écrivains originaux, qui ont raconté l'histoire des Goths, n'a douté de la parfaite identité du roi des Goths Athanaric, célèbre par les guerres qu'il soutint contre Valens, et de celui qui mourut auprès de Théodose, en l'an 381. Il semble qu'il ne peut y avoir de discussion sur un point d'histoire aussi clair et aussi bien constaté. Cependant M. Graberg de Hemso a tenté de le révoquer en doute et d'établir que cet Athanaric, réfugié dans le pays de Caucaland, était différent de celui qui mourut à Constantinople, et il a supposé que ce prince s'était retiré avec les siens dans la Scandinavie, et qu'il était le même que Sigge, fils de Fridulf, plus connu sous le nom d'Odin, et dont on place ordinairement l'existence au premier siècle avant notre ère. Quand il serait vrai qu'il fallût beaucoup rapprocher de nous l'âge de ce fameux conquérant et le faire descendre jusqu'au quatrième siècle, ce ne serait pas au moins par les raisons qui ont été alléguées par M. Graberg en faveur de son opinion (Scandinavie vengée, pag. 88, 91, 150 et 158). S'il pouvait rester des doutes sur ce point, le témoignage d'Isidore, dans sa Chronique des Goths, suffirait pour les lever. On sait, à n'en pouvoir douter, qu'Athanaric devint roi des Goths, durant la guerre que cette nation soutenait contre Valens. On était alors en la 5e année de ce prince, c'est-à-dire en l'an 368. En nous apprenant que, depuis cette époque, il régna treize ans, ce qui porte sa mort en l'an 381, Isidore nous fait voir que l'Athanaric dont il parle, est bien celui qui mourut en la même année à Constantinople. Anno Valentis quinto, dit-il, Gothorum gentis administrationem Athanaricus accepit, regnans annos tredecim. Le même auteur place la mort de cet Athanaric en la troisième année de Théodose, c'est-à-dire en l'an 381. Anno imperii Theodosii Hispani tertio, Athanaricus cum Theodosio jus amicitiæ disponens, mox Constantinopolim pergit: ibique XV die ex quo fuerat a Theodosio favorabiliter susceptus, interiit. Tout démontre donc la solidité d'un fait qui n'a jamais été contesté que par le savant que j'ai cité.—S.-M.

VI.

Avarice des Romains.

Amm. l. 31, c. 4, 5 et 6.

Hier. chron.

Oros. l. 7, c. 33.

Idat. chron.

Jorn. de reb. Get. c. 26.

Isidor. chron. Goth.

Toute la prudence humaine eût été nécessaire pour contenir cette nation turbulente et indocile. Mais il[Pg 105] semblait que Valens avait rassemblé autour des Visigoths tout ce que l'empire avait alors d'officiers injustes, violents, ravisseurs. Lupicinus et Maxime, les chefs et les plus avares de tous, s'acharnèrent sur ces nouveaux hôtes comme sur une proie; et après les avoir dépouillés, ils les abandonnaient encore à l'avidité de leurs subalternes[266]. Au lieu de leur fournir des subsistances, on ferma les magasins. On leur fit acheter bien cher les plus misérables nourritures; ils furent réduits à manger des chiens[267]; on leur vendait un chien[Pg 106] pour un esclave; et ces malheureux, après s'être défaits de tout ce qu'ils possédaient, furent réduits à livrer leurs propres enfans, auxquels ils ne pouvaient conserver la vie qu'au prix de leur liberté. Les principaux même de la nation ne furent pas exempts de cette nécessité déplorable[268]. Ils n'avaient plus de ressource que dans le désespoir; et il allait éclater, lorsque Lupicinus, prévoyant l'orage, les fit presser par ses soldats d'abandonner les bords du Danube, et d'avancer dans l'intérieur du pays, où il espérait les affaiblir, ou les détruire en les séparant les uns des autres. Pendant que les troupes romaines, qui gardaient le passage du fleuve, s'en éloignaient pour escorter les Barbares, Alathée et Saphrax ne voyant plus d'obstacles, traversèrent le Danube en diligence à la tête des Ostrogoths, et suivirent la trace de Fritigerne[269].

[266] On les laissait errer sur les bords du fleuve, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 5. At vero, Thervingi jamdudum transire permissi, prope ripas etiamtum vagabantur.—S.-M.

[267] Jornandès décrit ainsi, c. 26, les vexations et les maux que l'avarice des généraux romains fit éprouver aux Goths. Cæperunt duces avaritia compellente, non solum ovium, boumque carnes, verum etiam canum, et immundorum animalium morticina eis pro magno contradere: adeo ut quodlibet mancipium in unum panem, aut decem libras in unam carnem mercarentur. Sed jam mancipiis, et supellectili deficientibus, filios eorum avarus mercator victûs necessitate exposcit. Haud enim secus parentes faciunt, salutem suorum pignorum providentes, satius deliberant ingenuitatem perire, quam vitam; dam misericorditer alendus quis venditur, quam moriturus servatur.—S.-M.

[268] Cum traducti Barbari victûs inopiâ vexarentur, turpe commercium duces invisissimi cogitarunt; et quantos undique insatiabilitas colligere potuit canes, pro singulis dederant mancipiis, inter quæ et filii ducti sunt optimatum. Amm. Marc. l. 31, c. 4.—S.-M.

[269] Ils passèrent sur des radeaux faits à la hâte et vinrent se camper fort loin de Fritigerne, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 5; id tempus opportunum nacti Greuthungi, cum alibi militibus occupatis... ratibus transiere malè contextis, castraque a Fritigerno locavere longissimè.—S.-M.

VII.

Révolte des Visigoths.

Ce général prudent et avisé, instruit de ce qui se passait derrière lui, continua sa marche, mais avec lenteur, pour leur donner le temps de le joindre[270]. On arriva à Marcianopolis[271]; et ce fut en ce lieu que la[Pg 107] guerre s'alluma[272]. Lupicinus ayant invité à un repas Alavivus et Fritigerne, avec un petit nombre des principaux seigneurs de la nation, plaça des gardes aux portes de la ville, pour en interdire l'entrée aux Barbares. Ceux-ci demandant avec instance la permission d'entrer pour acheter des vivres, la querelle s'échauffa; on en vint aux mains; les Goths animés par la faim et par la fureur, se jetèrent sur les soldats romains, les massacrèrent et se saisirent de leurs armes. Lupicinus plongé dans les excès de la débauche et déjà plein de vin, étant informé de ce désordre, l'augmenta par un trait de perfidie: il fit égorger la garde d'Alavivus et de Fritigerne. Cet ordre cruel ne put être si secrètement exécuté, que les cris des mourants ne pénétrassent jusque dans la salle du festin; et dans le même moment la nouvelle s'en étant répandue hors de la ville, les Goths persuadés qu'on en voulait à leurs capitaines, accoururent en foule, poussant des cris horribles, et menaçant de la plus terrible vengeance. Fritigerne qui avait l'esprit présent et l'ame intrépide, voulant s'échapper des mains de Lupicinus, et sauver avec lui les seigneurs qui l'avaient accompagné, se lève, s'écrie que tout est perdu, si on ne les laisse sortir pour se montrer à la nation qui les croit égorgés; que leur présence peut seule rétablir le calme. En même temps il met l'épée à la main, et sort de la ville avec ses camarades[273]. Il est reçu avec des acclamations de[Pg 108] joie: Alathée et Saphrax venaient d'arriver. Toute la nation monte à cheval; on déploie les étendards[274]; les Goths marchent, et avec eux le carnage et l'incendie. Lupicinus rassemble à la hâte tout ce qu'il a de troupes, les poursuit avec plus de hardiesse que de prudence, et les atteint à trois lieues[275] de Marcianopolis. A la vue des Romains la rage des Barbares s'allume; ils fondent sur les bataillons les plus épais, ils percent, ils massacrent, ils taillent en pièces tout ce qu'ils rencontrent. Ceux mêmes qui sont désarmés, se jettent à corps perdu sur l'ennemi, ils lui arrachent ses armes; ils enlèvent les enseignes: presque tous les Romains périssent avec leurs tribuns. Lupicinus, épouvanté d'une si étrange furie, prit la fuite dès le commencement du combat, et regagna à toute bride Marcianopolis. Les vainqueurs s'emparèrent des armes des vaincus, et ne trouvant plus de résistance, ils portèrent au loin tous les désastres d'une guerre sanglante.

[270] Il marchait lentement, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 5, pour obéir à l'empereur et pour se joindre à des rois puissants, ut et imperiis obediret et regibus validis jungeretur, incedens segnius. Ces rois puissants, reges validi, sont Alathée et Saphrax, tuteurs du roi Vidéric.—S.-M.

[271] Cette ville dont on ignore le nom moderne, était dans la partie septentrionale de la Thrace, voisine de la mer noire, sur les frontières de la Mésie.—S.-M.

[272] Ubi aliud accessit atrocius, quod arsuras in commune exitium faces furiales accendit. Amm. Marc. l. 31, c. 5.—S.-M.

[273] Jornandès, qui parle de ce festin, c. 26, et de la perfidie du général romain, ne relate pas cette ruse de Fritigerne; il rapporte qu'il se fraya jusqu'aux siens un chemin l'épée à la main. Fridigernus, dit-il, evaginato gladio in convivio, non sine magna temeritate, velocitateque egreditur, suosque socios ab imminenti morte ereptos ad necem Romanorum instigat.—S.-M.

[274] Selon l'usage de la nation, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 5, et ils font retentir l'air du son lugubre de leurs instruments de guerre; vexillis de more sublatis, auditisque triste sonantibus classicis.—S.-M.

[275] A neuf milles, in nono ab urbe milliario stetit. Amm. Marc. l. 31, c. 5.—S.-M.

VIII.

Horribles ravages de la Thrace.

La prudence de Fritigerne, soutenue d'une éclatante valeur, lui attirait la confiance de la nation, et ses avis n'étaient jamais contredits. Il répandit les Goths dans toutes les parties de la Thrace, mais avec ordre. Leurs différents corps se donnaient la main les uns aux autres, et avaient tous un point de réunion. Les gens du pays qui se rendaient à eux, ou qu'ils faisaient prisonniers, leur servaient de guides pour les conduire dans les cantons les plus riches et les mieux pourvus de vivres.[Pg 109] Leurs compatriotes enlevés autrefois par les pirates de Galatie[276], et vendus en Thrace, ceux que la famine les avait eux-mêmes obligés de vendre quelques jours auparavant, venaient en foule les rejoindre. Les ouvriers employés au travail des mines, et qui étaient surchargés d'impôts, accouraient aussi se jeter entre leurs bras: ceux-ci leur furent d'un grand secours pour déterrer les magasins, et pour découvrir les souterrains où les habitants se cachaient eux-mêmes avec leurs richesses. Toute la Thrace fut bouleversée; rien n'échappa à leurs recherches que ce qui était inaccessible: et tandis qu'on fouillait les entrailles de cette terre malheureuse, sa surface était couverte de sang et de flammes. On massacrait les enfants entre les bras de leurs mères, on brûlait les vieillards dans leurs cabanes; les jeunes hommes et les jeunes femmes étaient seuls réservés pour un esclavage plus cruel que la mort même.

[276] J'ai déja fait voir, t. 2, p. 403, note 1, l. XII, § 10, que les Galates étaient alors des marchands d'esclaves, mais que la situation continentale de leur pays ne leur permettait pas d'y joindre le métier de pirates. Ammien Marcellin dit seulement, l. 31, c. 6, a mercatoribus venum dati.—S.-M.

IX.

Siége d'Andrinople.

Amm. l. 31, c. 6.

Les Visigoths et les Ostrogoths réunis composaient une armée innombrable: il y avait outre ceux-là un troisième corps commandé par Suéridus et Colias. C'étaient des Visigoths, indépendants de Fritigerne, arrivés en Thrace avant l'irruption des Huns[277]. Valens, qui n'espérait pas un grand succès de la négociation entamée avec Sapor, les avait pris à la solde de l'empire, et les tenait campés auprès d'Andrinople [Hadrianopolis],[Pg 110] à dessein de les faire passer en Asie, et de les joindre aux troupes d'Orient, dès que la guerre serait déclarée. Ils ne prirent d'abord aucune part au soulèvement de la nation: contents de la paie qu'ils recevaient de l'empereur, ils demeuraient simples spectateurs des hostilités de leurs compatriotes. Valens leur ayant donné ordre de passer l'Hellespont, ils témoignèrent qu'ils étaient prêts d'obéir; ils demandaient seulement le paiement de leur solde, des vivres, et deux jours de délai pour préparer leurs équipages. Le magistrat d'Andrinople, irrité de quelque dégât qu'ils avaient fait dans une terre qui lui appartenait, reçut fort mal leur demande; pour toute réponse, il fit armer la bourgeoisie[278], et signifia aux Goths que s'ils ne partaient sur-le-champ, il allait les faire charger[279]. Les Goths plus étonnés qu'alarmés de cette bravade, ne s'en mirent pas fort en peine: tant qu'on s'en tint aux injures, ils les reçurent sans s'émouvoir. Mais quand ils virent leur camp attaqué, et les traits pleuvoir sur eux, ils tombèrent à grands coups d'épée sur cette populace téméraire; en tuèrent une partie, repoussèrent le reste dans la ville; et comme Fritigerne n'était pas éloigné, ils allèrent se joindre à lui, et revinrent ensemble mettre le siége devant Andrinople. S'il n'eût été besoin que de valeur, Andrinople était prise. Les Goths bravaient la mort avec une audace intrépide: les flèches, les javelots, les pierres lancées des machines en abattaient un grand[Pg 111] nombre, sans ralentir le courage des autres. Mais Fritigerne voyant que, faute d'entendre l'art des siéges, le sang de tant de braves gens coulait en pure perte, laissa devant la ville un détachement pour la tenir bloquée, et décampa avec le reste de ses troupes, disant qu'il ne faisait pas la guerre aux murailles[280], et que les Goths trouveraient dans les campagnes de la Thrace beaucoup plus de profit et moins de péril.

[277] Rien ne prouve qu'ils fussent Visigoths, Ammien Marcellin se contente de dire que c'étaient des nobles Goths; Sueridus, dit-il, l. 31, c. 6, et Colias, Gothorum optimates, cum populis suis longè antè suscepti. Ils étaient en quartier d'hiver auprès d'Andrinople, apud Hadrianopolim hiberna dispositi.—S.-M.

[278] Ammien Marcellin dit, l. 31, c. 6, que c'était la populace et les ouvriers employés dans les fabriques d'armes. Plebem omnem cum fabricensibus, quorum illic ampla est multitudo. On apprend de la Notice de l'empire et de quelques autres ouvrages qu'il se trouvait effectivement à Andrinople une fameuse fabrique d'armes.—S.-M.

[279] Jussisque bellicum canere buccinis, ni abirent ocius ut statutum est, pericula omnibus minabatur extrema. Amm. Marc. l. 31, c. 6.—S.-M.

[280] Pacem sibi esse cum parietibus memorans. Amm. Marc. l. 31, c. 6.—S.-M.

X.

Valens et Gratien envoient des secours.

Amm. l. 31, c. 7.

Valens apprit avec douleur ces tristes nouvelles. Il se hâta de conclure la paix avec Sapor[281], et résolut d'aller à Constantinople[282]. Comme l'été était déjà fort avancé, et que la Thrace avait un besoin pressant de secours, il envoya d'avance Profuturus et Trajan[283], à la tête des légions qui revenaient d'Arménie. C'étaient des troupes d'une valeur éprouvée. A leur approche les Goths se retirèrent au-delà du mont Hœmus[284]. Les Romains s'emparèrent des passages, à dessein de leur fermer l'entrée de la Thrace, et d'attendre les secours que[Pg 112] Gratien envoyait à la prière de Valens[285]. Frigérid, excellent capitaine, amenait des troupes de la Gaule et de la Pannonie; et Richomer, comte des domestiques[286], marchait séparément avec un autre corps[287] tiré aussi de la Gaule, mais dont la plus grande partie déserta dans la route, et retourna sur ses pas. On soupçonna le consul Mérobaudès d'être l'auteur secret de cette désertion, parce qu'il craignait que la Gaule trop dégarnie ne demeurât exposée aux incursions des Allemans. Frigérid, attaqué de la goutte, fut obligé de s'arrêter en chemin; et l'envie ne manqua pas de publier que ce n'était qu'un prétexte pour couvrir sa timidité. Richomer s'étant donc chargé de la conduite des deux corps, joignit Profuturus et Trajan, lorsqu'ils marchaient à Salices[288], ville de la petite Scythie.

[281] Il envoya le général de la cavalerie Victor du côté de la Perse, pour arranger les affaires de l'Arménie, qui n'était pas tranquille à cette époque, comme on peut le voir par les détails que j'ai placé ci-après § 43-47. Confestim Victore magistro equitum misso ad Persas, ut super Armeniæ statu pro captu rerum componeret impendentium. Amm. Marc. l. 31, c. 7.—S.-M.

[282] Valens passa encore toute cette année à Antioche; ses lois font voir qu'il était dans cette ville le 4 avril, tandis que le 4 juillet et le 9 août suivants il se trouvait à Hiérapolis. Il était de retour à Antioche le 24 septembre, sans doute après l'époque à laquelle il fit partir Trajan et Profuturus, avec les troupes qu'il avait retirées de l'Arménie.—S.-M.

[283] C'étaient deux officiers ambitieux, dit Ammien Marcellin, mais peu capables, ambo rectores, anhelantes quidem altiùs, sed imbelles. C'est Trajan qui avait fait assassiner dans un repas le roi d'Arménie. Voyez ci-devant, p. 24 et suiv., l. XIX, § 19.—S.-M.

[284] Ce sont les Romains au contraire qui les repoussèrent au-delà du mont Hémus; truso hoste ultra Hæmi montis abscisos scopulos faucibus insedere prœruptis. Amm. Marc. l. 31, c. 7.—S.-M.

[285] Depuis le commencement de son règne, Gratien n'avait pas quitté Trèves, alors résidence impériale. On voit par les lois de l'an 377 qu'il était le 28 juillet de cette année à Mayence, à cause, à ce qu'on présume, d'une expédition contre les Allemans. De retour à Trèves le 17 septembre, il y resta jusqu'au commencement de l'année suivante.—S.-M.

[286] Richomeres domesticorum tunc comes. Ce général fut ensuite fait maître de la milice par Gratien, qui le mit bientôt après au service de Théodose. Il fut créé consul en l'an 384. Il paraît qu'il était païen, car Libanius (de Vita, t. 2, p. 67), l'appelle un homme dévoué au culte des Dieux. Ἱεροῖςτε καὶ θεοῖς προσκείμενος ἄνθρωπος. Il mourut avec le grade de maître de l'infanterie et de la cavalerie, magister peditum equitumque. On croit sans en citer des preuves bien évidentes qu'il était du sang royal des Francs.—S.-M.

[287] Il paraît que c'étaient de mauvaises troupes, car Ammien Marcellin dit, l. 31, c. 7, avec mépris, cohortes aliqua nomine tenus.—S.-M.

[288] Salices ou ad Salices, cette ville qui devait sans doute ce nom latin aux saules de son voisinage, est mentionnée dans l'Itinéraire d'Antonin (ed. Wessel, p. 227) qui la place non loin des bouches du Danube dans la mer Noire, à 43 milles de Halmyris et à 62 de Tomes, célèbre par l'exil d'Ovide.—S.-M.

XI.

Les deux armées se préparent au combat.

A quelque distance de cette ville campait un corps innombrable de Goths. Leurs chariots rangés en cercle autour d'eux, leur servaient de palissades. Les généraux[Pg 113] Romains, qui brûlaient d'envie de se signaler[289], se tenaient prêts à les attaquer au premier mouvement qu'ils feraient pour décamper; car ces Barbares changeaient souvent de position. Les Goths, instruits de ce dessein par les transfuges, prirent le parti de rester en place; et voyant que l'armée romaine se fortifiait tous les jours par de nouveaux renforts, ils rappelèrent[290] les détachements qui couraient la campagne. Toutes leurs forces s'étant réunies, la vue d'une si grande multitude resserrée dans l'enceinte de leurs chariots[291], embrasait leur courage: un murmure confus, mêlé au bruit de leurs armes, annonçait leur impatience; et pour les satisfaire, leurs généraux déclarèrent qu'ils livreraient la bataille le lendemain. Ils passèrent la nuit sans dormir, préparant leurs armes, et appelant à grands cris le jour qui semblait devoir leur apporter la victoire. Les Romains, qui entendaient ce tumulte, n'osèrent prendre du repos, craignant d'être attaqués dès la nuit même; et quoiqu'inférieurs en nombre, ils[Pg 114] espéraient tout de la protection du ciel et de leur bravoure.

[289] Ammien Marcellin blâme, l. 31, c. 7, la résolution des généraux romains, qui au lieu d'affaiblir l'ennemi par des escarmouches multipliées, prirent le funeste parti d'aller affronter, avec des troupes braves il est vrai, mais peu nombreuses, les forces bien plus considérables d'un ennemi qui couvrait les campagnes et les plaines de ses bataillons.—S.-M.

[290] Tessera data gentili. Amm. Marc. l. 31, c. 7. C'est-à-dire que les messagers chargés de porter des tessères ou baguettes, sur lesquelles étaient tracés des ordres de rappel, furent expédiés selon l'usage de la nation.—S.-M.

[291] Cette enceinte s'appelait Carrago, en leur langue; carraginem, quam ita ipsi appellant, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 7. C'était une espèce de camp retranché formé par des chariots. Il en est très-souvent question dans le récit des faits militaires, relatifs aux guerres contre les Barbares. Les Grecs du Bas-empire en adoptèrent l'usage et lui donnèrent le nom de καραγὸς. Claudien en donne la description, dans son 2e livre contre Rufin, v. 127 et suiv.

Tum duplicem fossam non exsuperabile vallum,
Asperat alternis su dibus, murique locata
In speciem cæsis obtendit plaustra juvencis.

—S.-M.

XII.

Bataille de Salices.

Aux premiers traits de la lumière, les trompettes sonnèrent dans les deux camps: on prit les armes; et les Barbares après avoir, selon leur usage, fait serment entre eux de vaincre ou de mourir[292], allèrent en courant s'emparer des éminences, pour se porter de là avec plus de force et de rapidité sur l'armée ennemie. Les Romains se rangèrent dans la plaine, chacun ferme dans son poste, sans qu'aucun sortît de la ligne. Les deux armées restèrent ainsi quelque temps immobiles, s'observant l'une l'autre, dans une contenance fière et menaçante. Les troupes de Valens s'animèrent par le cri accoutumé[293], et les Goths par des chansons guerrières sur les exploits de leurs ancêtres[294]. Le combat s'engagea par de légères escarmouches. Après les décharges de flèches et de javelots, ils s'approchèrent la pique baissée, et couverts de leurs boucliers, ils se choquèrent avec fureur. Les Goths plus dispos et plus agiles, se ralliaient plus aisément, lorsque leurs rangs étaient rompus. Une partie d'entre eux était armée de fortes massues d'un bois durci au feu, qu'ils maniaient avec beaucoup de dextérité. L'aile gauche des Romains pliait déjà, et allait se mettre en déroute, si elle n'eût[Pg 115] été soutenue par un grand corps qui se détacha du centre et repoussa les ennemis. Le carnage devint horrible; tout se mêla; on combattait, on fuyait de part et d'autre. Les cavaliers taillaient en pièces, à grands coups de sabre, les fantassins qui fuyaient; les fantassins coupant les jarrets des chevaux, abattaient les cavaliers, et les tuaient à terre. Le champ de bataille était jonché de morts, de mourants, de blessés. Cet affreux spectacle animait encore la rage des combattants; comme s'ils reprenaient de nouvelles forces dans le sang de leurs camarades, ils ne se lassaient ni de porter ni de recevoir des coups; et la fin du jour les surprit encore affamés de carnage. La nuit les sépara malgré eux; ils retournèrent dans leur camp, frémissant de fureur, et désespérés de laisser sur la place un si grand nombre de leurs plus braves soldats. Cette journée fut également funeste aux deux partis. La perte des Romains fut moindre à la vérité, mais beaucoup plus sensible que celle des Barbares, dont le nombre était fort supérieur. On enterra à la hâte les officiers les plus distingués; le reste fut abandonné sans sépulture; et après les ravages et les combats de cette guerre meurtrière, les plaines de Thrace dépouillées de culture et blanchies d'ossements, ne présentèrent pendant plusieurs années que les horreurs d'un vaste cimetière[295].

[292] Barbari inter eos ex more juratum est. Amm. Marc. l. 31, c. 7.—S.-M.

[293] Romani voce undique Martia concinentes, a minore solita ad majorem protolli, qua gentilitate appellant barritum. Amm. Marc. l. 31, c. 7.—S.-M.

[294] Barbari majorum laudes clamoribus stridebant inconditis. Amm. Marc. l. 31, c. 7. Jornandès parle plusieurs fois des chants nationaux des Goths, et plus particulièrement de ceux qui étaient consacrés à la gloire des héros Ethesmapar, Hanala, Fridigerne et Widicula. Cantu, dit-il, c. 5, majorum facta modulationibus, citharisque canebant, Ethesmaparæ, Hanalæ, Fridigerni, Widiculæ, et aliorum, quorum in hac gente magna opinio est, quales vix heroas fuisse miranda jactat antiquitas.—S.-M.

[295] Humatis denique pro locorum et temporis ratione honoratis quibusdam inter defunctos, reliqua peremptorum corpora diræ volucres consumpserunt, assuetæ illo tempore cadaveribus pasci, ut indicant nunc usque albentes ossibus campi. Amm. Marc. l. 31, c. 7.—S.-M.

XIII.

Suites de la bataille.

Amm. l. 31, c. 8.

Les Romains se retirèrent à Marcianopolis[296]; et les[Pg 116] Goths renfermés entre leurs chariots, n'osèrent en sortir pendant sept jours[297]. Ce délai donna aux Romains le temps de fermer les gorges du mont Hœmus, afin d'arrêter de nombreuses troupes de Barbares qui campaient encore entre les montagnes et le Danube[298]. On espérait que tous les grains et les fourrages ayant été transportés dans les places fortes, ces Barbares mourraient de faim dans les plaines désertes de la Mésie. Richomer retourna en Gaule pour y chercher de nouveaux secours[299]. Valens, ayant reçu la nouvelle d'une bataille si sanglante et si peu décisive, envoya Saturninus avec un grand corps de cavalerie, pour se joindre à Profuturus et à Trajan. Cependant les Barbares enfermés dans la Mésie, après avoir consumé tout ce qui pouvait servir à leur nourriture, pressés de la faim, tâchaient de forcer leurs barrières. Toujours arrêtés par la vigoureuse résistance des Romains, ils implorèrent le secours de ces féroces ennemis, qui les avaient chassés de leurs terres, et attirèrent par l'espérance du pillage un grand nombre de Huns et d'Alains[300]. Saturninus qui était déjà arrivé, craignant avec raison que ce torrent n'emportât par sa violence ceux qui défendaient les défilés[301], replia ses postes les uns sur les autres, et retira toutes les troupes.

[296] Cette retraite prouve assez que les Romains n'eurent pas tout l'avantage dans cette première bataille. Aussi Théodoret dit-il, l. 4, c. 33, que Trajan avait été vaincu par les Barbares, ἐπειδὴ δὲ ἡττηθεὶς ἐπανῆλθεν ἐκεῖνος.—S.-M.

[297] Gothi intra vehiculorum anfractus sponte sua contrusi, numquam exinde per dies septem egredi vel videri sunt ausi. Amm. Marc. l. 31, c. 8.—S.-M.

[298] Immensas alias barbarorum catervas inter Hæmimontanas angustias clauserunt aggerum objectu celsorum. Amm. Marc. Ibid.—S.-M.

[299] On était alors, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 8, au commencement de l'automne, sous le 4e consulat de Gratien, avec Merobaudès, hæc Gratiano quater et Merobaude consulibus agebantur, anno in autumnum vergente.—S.-M.

[300] Chunorum et Alanorum aliquos ad societatem spe prædarum ingentium adsciverunt. Amm. Marc. l. 31, c. 8.—S.-M.

[301] Ne subita multitudo, uti amnis impulsu undarum obicibus ruptis emissus, convelleret levi negoti cunctos. Amm. Marc. ibid.—S.-M.

[Pg 117]

XIV.

Ravages de toute la Thrace.

Les passages étant ouverts, les Barbares pénétrèrent par toutes les gorges des montagnes. Toute la Thrace, depuis le Danube jusqu'au mont Rhodope, et même à la Propontide[302], ne fut plus qu'un théâtre d'horreurs, de massacres, de rapines et des violences les plus brutales. Les habitants dépouillés, meurtris de coups, enchaînés à la selle des chevaux, suivaient les cavaliers barbares, et tombant de lassitude étaient traînés et déchirés en pièces. Les chemins étaient remplis de filles et de femmes qu'on chassait à coups de fouet comme des troupeaux; on n'épargnait pas les femmes enceintes, et leurs malheureux enfants, captifs avant que de naître, ne recevaient la vie que pour la perdre aussitôt, ou pour gémir long-temps de ne l'avoir pas perdue. La jeunesse, la pudeur, la noblesse étaient la proie du soldat ivre de sang et de débauche. Un grand corps de Barbares rencontra près de la ville de Deultum[303] le tribun Barzimer[304], qui campait avec plusieurs cohortes[305]. C'était un officier expérimenté; la multitude des ennemis lui ôtait l'espérance, sans lui ôter le courage. Il rangea en bataille sa petite troupe, et chargea lui-même[Pg 118] à la tête des plus braves. Après des prodiges de valeur, il succomba sous le nombre; mais la défaite de cette poignée de Romains coûta cher aux vainqueurs.

[302] Ou plutôt jusqu'au passage des Dardanelles ou l'Hellespont, qu'Ammien Marcellin appelle emphatiquement le détroit qui sépare d'immenses mers, fretum quod immensa disterminat maria.—S.-M.

[303] Oppidum nomine Dibaltum. Am. Marc. l. 31, c. 8. La ville de Dibaltum est appelée Debelcum dans l'Itinéraire d'Antonin, p. 229, Δεούελτον dans Ptolémée, l. 3, c. 11, Deultum dans Pline, l. 4, c. 11, et Δεβελτὸς, dans la Synecdème d'Hiéroclès. On voit que ce sont diverses orthographes d'un même nom. Elle était auprès d'un lac, non loin de la mer Noire, à 74 milles au sud de Marcianopolis.—S.-M.

[304] C'est celui qui avait laissé échapper le roi d'Arménie. Voyez ci-dev. p. 21 et suiv., l. XIX, § 18.—S.-M.

[305] Avec la cohorte des scutaires qu'il commandait, avec les Cornuti et d'autres troupes de pied. Obi tribunum Scutariorum Barzimerem inventum cum suis, Cornutisque et aliis peditum numeris. Amm. Marc. l. 31. c. 8.—S.-M.

XV.

Succès de Frigérid.

[Amm. l. 31, c. 9.]

Frigérid, rétabli de sa maladie, campait près de Bérhée, attendant l'occasion d'attaquer les Barbares avec avantage. Les Goths qui connaissaient sa prudence et sa capacité, le redoutaient comme le plus dangereux de leurs ennemis, et le cherchaient pour l'accabler avant qu'il eût réuni de plus grandes forces. Il fut averti de leur approche; et plus jaloux de la conservation de ses troupes que d'une fausse gloire, il se retira par les montagnes et les forêts, à dessein de regagner l'Illyrie. Sa valeur trouva dans cette retraite une occasion de se signaler. Il rencontra Farnobius, capitaine Goth[306], partisan redoutable, qui conduisait une troupe de Taïfales, et ravageait tout sur son passage. Les Taïfales, Scythes de nation, établis dans l'ancienne Dacie, au-delà du Danube[307], s'étaient depuis peu alliés avec les Goths, et ayant passé le fleuve, pillaient le pays abandonné par les Romains. Frigérid les enveloppa et les attaqua si[Pg 119] brusquement, qu'ayant tué Farnobius et fait un grand carnage, il n'en aurait pas laissé échapper un seul, si ces misérables n'eussent mis les armes bas, demandant la vie à mains jointes. Il les fit conduire en Italie aux environs de Modène [Mutina], de Reggio [Regium] et de Parme, pour y cultiver les terres qui manquaient d'habitants. Les Taïfales étaient alors en horreur à toutes les nations, à cause de leurs usages abominables. Un jeune homme ne pouvait s'affranchir de la plus infâme servitude, qu'après avoir seul, et sans aucun secours, tué un ours ou un sanglier[308].

[306] Gothorum optimatem Farnobium. Amm. Marc. l. 31. c. 9. C'était un Greuthunge ou Ostrogoth, venu avec Alathée et Saphrax. Voy. ci-dev. § 5, p. 103, not. 3.—S.-M.

[307] Les Taïfales, qui habitaient à cette époque une partie des pays qui forment actuellement la principauté de Valachie, étaient, selon moi, le dernier reste de la grande et puissante nation des Daces (Daci ou Dahæ), qui avait donné son nom à ces régions, sur lesquelles elle avait dominé pendant long-temps. Les Taïfales passèrent alors avec les Goths sur le territoire de l'empire. Un grand nombre d'entre eux se mirent par la suite au service des Romains, qui en cantonnèrent plusieurs corps dans diverses provinces. Ils sont mentionnés dans la Notice de l'empire. Il y en eut en particulier un corps considérable dans le pays des Pictavi, c'est-à-dire le Poitou. Ils y conservèrent pendant long-temps leurs mœurs et leur langue, et ils firent donner le nom de Theofalgicus pagus au canton qu'ils habitèrent. Deux endroits du département de la Vendée, Tiffauges et la Tiffardière, conservent encore des traces évidentes de cette dénomination.—S.-M.

[308] Hanc Taifalorum gentem turpem ac obscenæ vitæ flagitiis ita accepimus mersam; ut apud eos nefandi concubitus fædere copulentur maribus puberes; ætatis viriditatem in eorum pollutis usibus consumpturi. Porro si qui jam adultus aprum exceperit solus, vel interemerit ursum immanem, colluvione liberatur incesti. Amm. Marc. l. 31, c. 9.—S.-M.

An 378.

XVI.

Préparatifs de Valens.

Hier. chron. Oros. l. 7, c. 33.

Socr. l. 4, c. 34, 35 et 37.

Soz. l. 6, c. 37, et 39.

Jorn. de regn. succes.

L'année suivante commença avec le sixième consulat de Valens, et le second du jeune Valentinien. Les inquiétudes que tant de désastres causaient à Valens, rendirent le calme à l'Église Catholique. La persécution cessa dans tout l'Orient. On dit même que ce prince se repentit des maux dont il avait affligé les orthodoxes, et qu'il rappela les évêques et les prêtres exilés[309]. Pierre rentra dans Alexandrie avec des lettres du pape Damase qui confirmait son élection; et le peuple chassa Lucius, qui se retira à Constantinople. Plusieurs autres prélats revinrent dans leurs églises; soit par un ordre exprès de l'empereur, soit qu'occupé de soins plus pressants, il eût perdu de vue les intérêts de l'arianisme. Ce prince reconnaissait alors son imprudence. Il s'était flatté que les Goths seraient la garde perpétuelle de[Pg 120] l'empire, et qu'il n'aurait plus besoin de troupes romaines. En conséquence il avait congédié la plupart des vétérans, et taxé les villes et les villages à une somme d'argent, au lieu des soldats qu'ils devaient fournir. Trompé dans ces vaines espérances, il se vit obligé de lever à la hâte de nouvelles troupes, et se disposa à partir d'Antioche.

[309] Valens egressus de Antiochia: cum ultima infelicis belli sorte traheretur, sera peccati maximi pœnitentia stimulatus, episcopos cæterosque sanctos revocari de exiliis imperavit. Oros. l. 7. c. 33.—S.-M.

XVII.

Irruption des Allemans dans la Gaule.

Amm. l. 31, c. 10.

Gratien se préparait aussi à marcher au secours de son oncle, et il avait déjà fait prendre les devants à plusieurs cohortes[310], lorsqu'il se vit obligé lui-même de défendre ses États. L'exemple des Goths avait réveillé les Barbares voisins de la Gaule. Les Allemans nommés Lentiens, dont le pays s'étendait vers la Rhétie[311], rompant le traité fait avec eux sous le règne de Constance, commencèrent à ravager la frontière. Ils étaient attirés par un de leurs compatriotes, qui servait dans les gardes de Gratien; et croyant trouver la Gaule dégarnie de troupes, ils se divisèrent en plusieurs corps, passèrent le Rhin sur les glaces au mois de Février[312], et coururent au pillage. Deux légions[313] qui campaient dans le voisinage, tombèrent sur eux, et les forcèrent de repasser le fleuve avec une grande perte.

[310] Elles étaient déja arrivées en Pannonie, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 10—S.-M.

[311] Lentiensis Alamannicus populus, tractibus Rhætiarum confinis. Amm. Marc. l. 51, c. 10. La Rhétie répondait au pays des Grisons, et à une partie du Tyrol, de la Bavière, de la Souabe, du Voralberg et de la Suisse.—S.-M.

[312] Rhenum gelu pervium pruinis februario mense... Il se trouve après ces mots une lacune dans le texte d'Ammien Marcellin.—S.-M.

[313] C'étaient les Pétulans et les Celtes.—S.-M.

XVIII.

Bataille d'Argentaria.

Amm. l. 31, c. 10. et ibi Vales.

Hier. chron.

Oros. l. 7, c. 33.

Vict. epit. p. 231.

Till. Gratien. not. 10.

Alsat. illust. p. 193.

Tous les Lentiens prirent aussitôt les armes, et l'on vit rentrer en Gaule quarante mille combattants[314], qui[Pg 121] ne respiraient que vengeance. Gratien alarmé de cette irruption imprévue, rappela les cohortes qui étaient déja en Pannonie; et ayant rassemblé ce qui restait de troupes dans la Gaule, il en donna le commandement au comte Nanniénus[315], et à Mallobaud[316]. Celui-ci était un roi des Francs, qui s'était attaché au service de l'empire, et qui tenait à honneur de porter le titre de comte des domestiques. Nanniénus, naturellement circonspect, voulait différer le combat[317]; mais Mallobaud, dont le courage était ardent et impétueux, brûlait d'impatience d'en venir aux mains. Son avis l'emporta; on marcha aux Allemans, qui attendirent fièrement les Romains dans la plaine d'Argentaria[318]. Cette ville, alors une des principales de la première Germanie, n'est plus maintenant qu'un village nommé Horburg, sur la droite de la rivière d'Ill, vis-à-vis de Colmar[319]. Le combat était à peine engagé, que les Romains, frappés d'une terreur panique, se débandèrent, et se jetèrent à l'écart dans des sentiers étroits et couverts de bois. Ce désordre qui devait causer leur perte, leur procura le succès.[Pg 122] S'étant ralliés presque aussitôt, ils revinrent à la charge avec tant d'audace, que les Barbares s'imaginèrent que Gratien venait d'arriver avec des troupes fraîches[320]. La terreur passa de leur côté; ils se retirèrent, mais en bon ordre, s'arrêtant de temps en temps pour disputer la victoire qu'ils n'abandonnaient qu'à regret; et l'on peut dire qu'au lieu d'une bataille, cette journée vit plusieurs sanglants combats. Enfin les Allemans toujours vaincus et réduits au nombre de cinq mille, se sauvèrent à la faveur des bois[321]. Ils laissèrent trente mille morts, entre lesquels se trouva leur roi Priarius[322], qui mourut les armes à la main. Le reste fut fait prisonnier.

[314] Ou même au nombre de soixante-dix milles, ajoute Ammien Marcellin, l. 31, c. 10, comme l'ont dit quelques-uns par flatterie, pour augmenter la gloire de leur vainqueur. Cum quadraginta armatorum millibus, vel septuaginta, ut quidam laudes extollendo principis jactitarunt.—S.-M.

[315] Ce général était sans doute le même que le comte Nannenus ou Nanneius, dont il a déja été question à propos de la guerre contre les Saxons. Voyez t. 3, p. 409, l. XVIII, § 18. Ammien Marcellin en parle comme d'un officier également brave et prudent. Nannieno negotium dedit (Gratianus), dit-il, l. 31, c. 10, virtutis sobriæ duci.—S.-M.

[316] Eique junxit Mallobaudem pari potestate collegam, domesticorum comitem, regemque Francorum, virum bellicosum et fortem. Amm. Marc. l. 31, c. 10.—S.-M.

[317] Nannieno pensante fortunarum versabiles casus, ideoque cunctandum esse censente. Amm. Marc. l. 31, c. 10.—S.-M.

[318] La ville d'Argentaria, qui donnait son nom à cette plaine, a été appelée Argentovaria par plusieurs auteurs anciens, ce qui me paraît plus exact.—S.-M.

[319] Ce point de géographie ancienne me semble avoir été solidement établi par le savant Schoëpflin, dans son Alsatia illustrata, t. 1, pag. 193 et seq.—S.-M.

[320] Il semblerait par les termes dont se sert Ammien Marcellin, que les troupes de Gratien arrivèrent effectivement. Et splendore consimili, dit-il, proculque nitore fulgentes armorum, imperatorii adventus injecere Barbaris metum. Ce qui prouve qu'il faut entendre ainsi cet historien, c'est qu'il rapporte qu'aussitôt après la bataille, Gratien se mit en marche pour l'Orient. Hac læti successus fiduciâ Gratianus erectus, jamque ad partes tendens Eoas. Amm. Marc. l. 31, c. 10.—S.-M.

[321] Ex prædicto numero non plus quam quinque millia ut æstimabatur evaderent densitate nemorum tecta. Amm. Marc. l. 31, c. 10.—S.-M.

[322] Rege quoque Priario interfecto. Quelques savants ont cru qu'il fallait lire un peu autrement les manuscrits de l'historien latin et que ce roi devait s'appeler Priamus; ils se fondent sur ce qu'il est dit dans la Chronique de Prosper, qu'en la 4e année de Gratien, c'est-à-dire en l'an 379, un certain Priamus régna sur les Francs. IV Gratiani anno, Priamus quidam regnat in Francia, quantum altius colligere potuimus.—S.-M.

XIX.

Gratien réduit les Allemans Lentiens.

Gratien vint joindre son armée victorieuse[323], et passa le Rhin à dessein d'achever de détruire cette nation remuante et infidèle. A la nouvelle de son approche, les Lentiens affaiblis par leur défaite ne prirent cependant[Pg 123] pas encore le parti de se soumettre. Ils abandonnèrent leurs habitations, et se réfugièrent avec leurs femmes et leurs enfants sur des montagnes escarpées, résolus d'en disputer tous les rochers comme autant de forteresses, et de s'y défendre jusqu'à la mort. Pour les forcer dans ces postes avantageux, le nombre était inutile; il n'était besoin que de courage et d'agilité. Ainsi Gratien tira de chaque légion cinq cents hommes d'élite. Ceux-ci animés par l'exemple du jeune empereur, qui s'exposait lui-même, s'efforçaient de gagner le haut des rochers, bien assurés de battre les ennemis, s'ils pouvaient seulement les atteindre. Il en coûta beaucoup de sang de part et d'autre. Les Allemans qui osaient descendre à la rencontre des Romains, n'échappaient pas à leurs coups: les Romains accablés de pierres énormes, roulaient avec elles jusqu'en bas; et comme il était facile de reconnaître l'escorte de l'empereur, les pierres et les javelots pleuvaient surtout de ce côté-là, et toutes les armes de ses gardes furent brisées[324]. L'attaque continua sans relâche depuis midi jusqu'à la nuit. Gratien assembla le conseil. On convint que de s'obstiner à forcer les ennemis, c'était vouloir perdre toute l'armée: on jugea qu'il était plus à propos de les réduire par famine. Dans ce dessein on commençait déja à disposer les postes, lorsque les Allemans s'en étant aperçus, s'évadèrent par des sentiers inconnus, et gagnèrent d'autres montagnes encore plus élevées. On les suivit, et on se préparait à leur couper tous les passages. Enfin effrayés d'une poursuite si opiniâtre,[Pg 124] ils demandèrent grâce, et l'obtinrent à condition qu'ils donneraient leur plus vigoureuse jeunesse pour être incorporée aux troupes romaines[325]. Un exploit si difficile, exécuté avec tant de vivacité, retint dans le devoir tous les Barbares d'Occident, et Gratien fit connaître de quoi il eût été capable dans la guerre, s'il eût pu modérer sa passion pour la chasse et son goût pour les amusements frivoles. Le traître qui avait donné des avis aux ennemis, fut découvert et mis à mort.

[323] Gratien était encore à Trèves, le 22 avril 378. Selon Orose, l. 7, c. 33, il se trouva en personne à la bataille. Quoique avec des forces bien inférieures, dit-il, il se jeta au milieu des ennemis, longe impari militum numero sese in hostem dedit. Le texte d'Ammien Marcellin n'est pas assez précis pour qu'on sache positivement s'il est favorable ou contraire à cette assertion.—S.-M.

[324] Simul arma imperatorii comitatus auro colorumque micantia claritudine, jaculatione ponderum densa confringebantur. Amm. Marcel. l. 31, c. 10.—S.-M.

[325] Oblatâ, ut præceptum est, juventute valida nostris tirociniis permiscenda. Amm. Marc. l. 31, c. 10.—S.-M.

XX.

Il se met en marche pour aller joindre Valens.

Amm. l. 31, c. 10, 11 et 12.

Cellar. geog. antiq. l. 2, c. 3. § 42, et c. 7, § 42.

Après avoir fait les dispositions nécessaires pour la sûreté de la Gaule, Gratien prit sa route par la Rhétie. Il passa par Arbon [Arbor felix][326], au bord du lac de Constance, et arriva à Lauriacum, ville du Norique, célèbre en ce temps-là: c'est aujourd'hui le village de Lorch, sur le Danube, entre les rivières de Traun et d'Ens. Le jeune empereur fit alors une faute trop ordinaire aux souverains. Frigérid allait fermer le pas de Sucques, pour empêcher les Barbares de pénétrer en Occident. Ce général était habile, sage, d'un esprit solide, actif, mais plus occupé de projets utiles que d'entreprises brillantes, tel, en un mot, que dans de si fâcheuses conjonctures il aurait fallu le retenir au service, s'il eût voulu se retirer. Tandis qu'il travaillait avec zèle à servir l'État, les courtisans oisifs le ruinèrent dans l'esprit de Gratien; il l'éloigna, et envoya pour le remplacer le comte Maurus, fanfaron, étourdi, intéressé[327]: c'était le même qui avait mis son collier[Pg 125] sur la tête de Julien, lorsqu'on avait proclamé ce prince empereur, et qu'on lui cherchait un diadème[328]. Gratien ayant mandé à son oncle la victoire qu'il venait de remporter sur les Allemans, fit conduire ses bagages par terre, et s'étant embarqué sur le Danube avec son armée, il arriva à Bononia[329], et s'arrêta quatre jours à Sirmium[330]. Une fièvre intermittente ne l'empêcha pas de continuer sa marche jusqu'à une ville de Dacie, nommée le camp de Mars[331]. Il fut attaqué dans cette route par un grand corps d'Alains, qui lui tuèrent plusieurs soldats. De là il dépêcha à Valens le comte Richomer, pour l'avertir qu'il allait incessamment le joindre, et pour le prier de l'attendre et de ne pas s'exposer seul au péril d'une bataille qui devait décider du sort de l'empire.

[326] Ce lieu, peu considérable, situé au midi du lac de Constance, dans le canton de Thurgovie, est placé par les itinéraires romains à 20 milles au nord-ouest de Brigantia, actuellement Brégentz.—S.-M.

[327] Successor Maurus nomine mittitur comes, venalis ferociæ specie, et ad cuncta mobilis et incertus. Am. Marc. l. 31, c. 10.—S.-M.

[328] Voyez t. 2, pag. 326, liv. XI, § 9.—S.-M.

[329] Voyez au sujet de cet endroit t. 2, p. 366, not. 2, l. XI, § 38.—S.-M.

[330] Gratianus docto litteris patruo, quâ industriâ superaverit Alamannos, pedestri itinere præmissis impedimentis et sarcinis, ipse cum expeditiore militum manu permeato Danubio, delatus Bononiam, Sirmium introiit. Amm. Marc. l. 31, c. 11.—S.-M.

[331] Ce lieu, qui était dans la partie de la Mœsie appelée Dacia ripensis, à cause de sa position sur le bord du Danube, est encore mentionné dans le Synecdème d'Hiéroclès; mais on ignore sa véritable position. On apprend de Sozomène, l. 9, c. 5, que c'était un siége épiscopal. Procope parle aussi de cette place dans son traité des édifices de l'empereur Justinien, l. 4, c. 6; mais ce qu'il y a de singulier dans ce qu'il dit, c'est qu'il en marque la position, non pas sur le bord du Danube, mais loin du fleuve, οὐ παρὰ τοῦ ποταμοῦ κειμένων τὴν ὄχθην, ἀλλὰ κατὰ πολὺ ἄποθεν ὄντων, tandis qu'il semble résulter bien clairement des paroles d'Ammien Marcellin, per idem flumen ad Martis castra descendit, que ce fort était situé sur les bords du Danube.—S.-M.

XXI.

Valens à Constantinople.

Amm. l. 31, c. 11.

Eunap. excerpt. leg. p. 21.

Zos. l. 4, c. 21 et 22.

Idat. chron.

Socr. l. 4, c. 38.

Theod. l. 4, c. 33 et 34.

Hist. misc. l. 12, ap. Murat, t. 1, p. 84.

Theoph. p. 55 et 56.

Zon. l. 13, t. 2, p. 31 et 32.

Cedr. t. 1, p. 313.

Suid. in Μελαντιάς.

Valens était arrivé à Constantinople le trentième de Mai[332]. Il y trouva le peuple dans la consternation. Les Goths faisaient des courses jusqu'aux portes de la ville[333].[Pg 126] L'empereur amenait avec lui un corps nombreux de cavaliers sarrasins, que Mavia leur reine lui avait envoyés, lorsqu'il était parti d'Antioche. Il les employa avec succès à nettoyer la campagne de tous les partis[334]. Ces cavaliers courant avec la rapidité de l'éclair, chargeaient à leur avantage, et échappaient à toutes les poursuites, rapportant tous les jours un grand nombre de têtes d'ennemis[335]. Valens, mécontent du succès de la bataille de Salices, ôta à Trajan le commandement des troupes; et comme il l'accablait de reproches: Prince, lui répondit hardiment ce général, ce n'est pas nous que vous devez accuser. Quel succès pouviez-vous espérer dans un temps où vous faisiez la guerre à Dieu même, dont vous persécutiez les vrais adorateurs? Tout retentissait de murmures contre Valens; on lui reprochait d'avoir introduit les Goths dans l'empire, et de n'oser se montrer devant eux, ni leur livrer bataille. Le 11 de Juin, comme il assistait aux jeux du Cirque, tout le peuple s'écria: Qu'on nous donne des armes, et nous irons combattre[336]. L'empereur, outré de colère, partit aussitôt avec son armée, menaçant de ruiner la ville de fond en comble à son retour, et d'y faire passer la charrue, pour la punir de son insolence actuelle, et des attentats qu'elle[Pg 127] avait autrefois commis dans la révolte de Procope. Lorsqu'il sortait des portes, un solitaire nommé Isaac, saisissant la bride de son cheval: Prince, lui dit-il, où courez-vous? Le bras de Dieu est levé sur votre tête: vous avez affligé son Église; vous en avez banni les vrais pasteurs: rendez-les à leur troupeau, ou vous périrez avec votre armée. Je reviendrai, repartit Valens en colère, et je te ferai repentir de ta folle prédiction. En même temps il donna ordre de mettre aux fers ce fanatique, et de le garder jusqu'à son retour: J'y consens, s'écria le solitaire, ôtez-moi la vie, si vous conservez la vôtre. On voit par ce discours d'Isaac, que supposé que Valens eût permis aux évêques catholiques de retourner à leurs églises, cette permission n'était pas générale. Chargé de ces malédictions, il alla camper à six lieues de Constantinople, près du château de Mélanthias[337], qui appartenait aux empereurs.

[332] C'est Socrate, l. 4, c. 38, qui fournit cette date.—S.-M.

[333] Ils portaient d'un autre côté, selon Zosime, l. 4, c. 34, leurs ravages jusque dans la Macédoine et la Thessalie.—S.-M.

[334] Selon Zosime, ces Sarrasins inspiraient tant de terreur aux Goths, qu'ils auraient mieux aimé se livrer aux Huns, que de s'exposer aux atteintes de ces cavaliers. Καὶ σφᾶς ἐκδοῦναι τοῖς Οὔννοις μᾶλλον, ἤ ὑπὸ Σαῤῥακηνῶν πανωλεθρίᾳ διαφθαρῆναι. Zos. l. 4, c. 22.—S.-M.

[335] Les courses de ces cavaliers débarrassèrent le terrain, dit Zosime l. 4, c. 22, et donnèrent à l'empereur le moyen de faire avancer ses troupes: γέγονεν εὐρυχωρία τῷ βασιλεῖ παραγαγεῖν εἰς τὸ πρόσω τὸ στράτευμα.—S.-M.

[336] Ammien Marcellin dit même l. 31, c. 11. qu'il y eut une légère sédition. Moratus paucissimos dies seditioneque popularium levi pulsatus.—S.-M.

[337] Il était à 140 stades de Constantinople. C'était une maison de campagne impériale, villa cæsariana.—S.-M.

XXII.

Sébastien général.

Amm. l. 31, c. 11.

Zos. l. 4, c. 22 et 23.

Suid. in Σεβαστιανός.

Il y séjourna quelque temps, s'appliquant à gagner le cœur de ses soldats par de bons traitements et par des manières douces et familières. Les Goths, qui s'étaient avancés jusqu'aux bords de la Propontide, n'eurent pas plus tôt appris que l'empereur était sorti de Constantinople avec une nombreuse armée, qu'ils repassèrent le mont Rhodope et retournèrent vers Andrinople, dans le dessein d'y réunir leurs troupes, dont une partie était campée près de Bérhée et de Nicopolis. Valens instruit de ces mouvements, et craignant pour Andrinople, y envoya Sébastien, dont nous avons eu tant de fois occasion de parler. C'était le héros de ce temps-là;[Pg 128] et comme il était manichéen et grand ennemi des catholiques, les ariens et les païens même affectaient d'en faire beaucoup d'estime. Ammien Marcellin le représente comme un parfait capitaine: brave avec prudence, ménageant le sang de ses troupes plus que le sien propre, méprisant l'argent et toutes les commodités de la vie, aimant ses soldats, mais aussi attentif à punir leurs désordres qu'à récompenser leurs services. Il s'était attaché à Valentinien, et après la mort de ce prince on avait appréhendé, comme nous l'avons dit, que l'affection des troupes ne l'élevât sur le trône. Les calomnies des eunuques, trop puissants dans les deux cours d'Occident, et toujours ennemis du mérite, le déterminèrent à passer au service de Valens[338], qui le reçut à bras ouverts, et voulut mettre en œuvre ses talents. L'ayant revêtu de la charge de général de l'infanterie à la place de Trajan, il lui permit de prendre à son choix trois cents hommes dans chaque légion, pour les conduire au secours d'Andrinople. Sébastien voyant la mollesse et la lâcheté qui s'étaient introduites dans les troupes de Valens, choisit parmi les nouvelles levées les soldats les mieux faits et qui donnaient plus de signes de courage; persuadé qu'il était plus facile de discipliner des milices, que de ramener à la discipline des troupes qui s'en étaient écartées. Il les sépara du reste de l'armée, les formant par de fréquents exercices à toutes les évolutions, punissant sévèrement la désobéissance, et leur inspirant cette sensibilité[Pg 129] pour la louange qui produit de grandes actions, et qui en facilite la récompense.

[338] Il venait alors d'Italie, selon Ammien Marcellin, l. 31, c. 11, Sebastiano, dit-il, paulo ante ab Italia ut petierat misso, vigilantiæ notæ ductori pedestris exercitûs curâ commissâ, quem regebat antea Trajanus. Zosime se contente de dire, l. 4, c. 22, qu'il abandonnait l'Occident, καταλιπὼν Σεβαστιανὸς τὴν ἑσπέραν.—S.-M.

XXIII.

Il taille en pièces un grand parti de Goths.

Il paraît que la modestie n'était pas une des vertus de Sébastien. Il partit à la tête de son détachement[339], promettant à Valens qu'il apprendrait bientôt de ses nouvelles. A son approche d'Andrinople les habitants, craignant quelque surprise, fermèrent leurs portes, et se mirent en devoir de le repousser. Mais après l'avoir reconnu, ils le reçurent avec joie. Dès le lendemain il sortit sans bruit, et ayant appris de ses coureurs qu'on apercevait sur les bords de l'Hèbre un grand corps d'ennemis qui ravageaient la campagne, il attendit la nuit. Alors faisant filer ses troupes derrière des éminences et par des chemins fourrés, il surprit les Goths à la faveur des ténèbres, tomba sur eux avec furie, et n'en laissa échapper qu'un petit nombre. Il reprit en cette occasion une si prodigieuse quantité de butin, que la ville et les plaines d'alentour ne pouvaient le contenir. Fritigerne alarmé de cet échec rappela tous ses partis répandus dans la Thrace, et se retira près de la ville de Cabyle[340], dans des plaines fertiles et découvertes, où il n'avait à craindre ni la disette ni la surprise.

[339] Il était de deux mille hommes, selon Zosime, l. 4, c. 23.—S.-M.

[340] Cette ville située dans le centre de la Thrace était, selon l'Itinéraire d'Antonin, à 78 milles an nord d'Andrinople.—S.-M.

XXIV.

Valens marche aux ennemis.

Amm. l. 31. c. 12.

[Liban, vit. t. 2, p. 58.]

Zos. l. 4, c. 23 et 24.

Ce succès, et quelques autres encore, que Sébastien n'oubliait pas d'exagérer dans les lettres qu'il écrivait à Valens, relevaient le courage de ce prince; mais ce qui le piquait vivement, c'était la célèbre victoire de son neveu, dont il reçut alors la nouvelle. Il n'aimait pas Gratien ennemi de l'arianisme, et qui, sans le consulter, avait reconnu un nouvel empereur. Jaloux de[Pg 130] la gloire que ce jeune prince venait d'acquérir, Valens brûlait d'envie de l'effacer par un exploit éclatant[341]. Il se voyait à la tête d'une belle armée; les vétérans, qu'il avait imprudemment congédiés, étaient revenus joindre leurs drapeaux; tout ce qu'il y avait de bons officiers dans l'empire, marchaient à sa suite. Trajan même, quoique disgracié, n'avait pas voulu manquer à son prince dans une occasion si importante. L'empereur partit donc de Mélanthias; et étant averti que les ennemis, afin de lui couper le passage des vivres, se disposaient à se rendre maîtres des défilés du mont Rhodope, dès qu'il les aurait traversés, il y laissa un corps de cavalerie et d'infanterie. Trois jours après son départ, il apprit que les Barbares marchaient vers Nicée[342], et qu'ils étaient déja à quinze milles d'Andrinople. Sur un faux rapport de ses coureurs, qu'ils n'étaient qu'au nombre de dix mille hommes, il se hâta d'aller à leur rencontre. Il fut bientôt détrompé par des avis plus certains. Pendant qu'il se retranchait près d'Andrinople[343], arriva Richomer avec les lettres de Gratien, qui le priait de l'attendre. Valens assembla le conseil; Sébastien et la plupart des officiers opinaient à donner bataille sans aucun délai: ils disaient que l'empereur ne devait partager avec personne l'honneur d'une victoire assurée; que les Barbares, déjà vaincus[Pg 131] les jours précédents, n'étaient pas en état de la disputer. Victor, général de la cavalerie[344], plus sage et plus expérimenté que Sébastien, pensait au contraire, qu'il fallait profiter de la jonction des légions gauloises, pour faciliter la victoire; qu'il serait même plus prudent de ne rien hasarder contre une si grande multitude de barbares; de les affaiblir par des surprises et des attaques réitérées; de leur couper les vivres, et de les réduire par la famine à se rendre, ou à se retirer des terres de l'empire. Mais les conseils de Victor, autrefois si estimés de Julien, avaient moins de crédit auprès de Valens que les flatteries de ses courtisans. Son avis ne fut pas écouté, et la bataille fut décidée.

[341] E Melanthiade signa commovit, æquiparare facinore quodam egregio adolescentem properans filium fratris, cujus virtutibus urebatur. Amm. Marc., l. 31, c. 12.—S.-M.

[342] Cette ville qui faisait partie de la division de la Thrace, qu'on appelait Hémimont à cause de sa situation au pied du mont Hémus, était à 145 milles de Constantinople, non loin d'Andrinople. Cette ville est célèbre dans l'histoire ecclésiastique par le formulaire, que les Ariens y firent signer aux députés du concile de Rimini et à presque tous les évêques.—S.-M.

[343] Près du faubourg d'Andrinople, prope suburbanum Hadrianopoleos. Amm. Marc., l. 31, c. 12.—S.-M.

[344] Ammien Marcellin nous apprend à cette occasion, que cet habile général, dont il a été si souvent question sous le règne de Julien, n'était pas Romain, mais Sarmate. Victor, dit-il, nomine magister equitum, Sarmata. Ammien Marcellin, l. 31, c. 12.—S.-M.

XXV.

Ruse de Fritigerne.

Fritigerne, pour de meilleures raisons que Valens, désirait autant que lui de prévenir l'arrivée de Gratien; mais il attendait Alathée et Saphrax, qu'il avait mandés avec leurs troupes, et qui ne pouvaient arriver que le lendemain. Pour amuser l'empereur, il lui députa quelques-uns de ses moindres officiers, à la tête desquels était un prêtre chrétien[345]. Ils apportaient une lettre par laquelle les Goths s'engageaient à entretenir avec les Romains une paix éternelle, si l'on voulait leur abandonner la Thrace avec tout ce qui s'y trouvait de grains et de troupeaux[346]. Le prêtre était chargé d'une autre[Pg 132] lettre secrète de Fritigerne[347], qui témoignant un grand désir de mériter l'amitié de l'empereur, lui mandait qu'il avait affaire à une nation turbulente et inconsidérée; qu'elle demandait avec empressement un combat qui ne pouvait que lui être funeste; que pour l'amener à des conditions raisonnables, il fallait lui montrer les forces romaines dont elle n'avait nulle idée; que la vue de l'empereur et de son armée porterait dans le cœur des Goths une impression de respect et de crainte. Valens renvoya les députés sans réponse; mais cette négociation consuma la journée, et augmenta la vanité de Valens et l'ardeur qu'il avait de combattre. C'était tout ce que souhaitait Fritigerne.

[345] Christiani ritus presbyter, ut ipsi appellant. Amm. Marc., l. 31, c. 12. Il n'était pas seul; d'autres députés d'un rang moins élevé l'accompagnaient; missus a Fritigerno legatus cum aliis humilibus venit ad principis castra.—S.-M.

[346] Habitanda Thracia sola cum pecore omni concederetur et frugibus. Amm. Marc., ibid.—S.-M.

[347] Ammien Marcellin lui donne, l. 31, c. 12, le titre de Roi. Secretas alias ejusdem regis obtulit litteras.—S.-M.

XXVI.

Valens range son armée en bataille.

Amm. l. 31, c. 12.

Zos. l. 4. c. 24.

Idat. chron.

[Socr. l. 4, c. 38.]

Soz. l. 6, c. 40.

Le lendemain, 9 août, l'empereur, dès la pointe du jour, se mit en marche, laissant sous les murs d'Andrinople les bagages avec une garde suffisante. Le préfet du prétoire, la maison du prince, ses trésors et ses équipages furent mis en sûreté dans la ville[348]. La chaleur était excessive ce jour-là. Après une marche de huit milles, par des chemins rudes et difficiles, on aperçut le camp des Barbares bordé de leurs chariots, et l'on entendit leurs cris confus et menaçants. Valens n'avait dressé aucun plan de bataille; il ne connaissait ni le terrain ni les forces des ennemis; il rangea son armée au hasard. La cavalerie formait les deux ailes; l'aile droite fut placée en avant, et couvrit une grande partie de l'infanterie; l'aile gauche avait marché dans un tel désordre, que les cavaliers dispersés[Pg 133] çà et là par les chemins, arrivaient confusément, et prenaient leurs rangs avec peine. Fritigerne, déja rangé en bataille, sentait bien que c'était là le moment de charger l'ennemi; mais ce prudent capitaine, afin de ne point donner de jalousie aux Ostrogoths, ne voulait rien faire en l'absence d'Alathée et de Saphrax, qu'il attendait à chaque instant.

[348] Thesauri et principalis fortunæ insignia cætera, cum præfecto et consistorianis ambitu mænium tenebantur. Amm. Marc., l. 31, c. 12.—S.-M.

XXVII.

Nouvelle ruse de Fritigerne.

Pour leur laisser le temps de le joindre, il fit porter à Valens par quelques soldats de nouvelles propositions de paix. L'empereur demanda que pour traiter avec lui on envoyât des députés d'un caractère plus relevé[349]. Fritigerne traînait les choses en longueur, et cependant l'armée romaine, qui n'avait pris aucune nourriture, se consumait de faim, de soif et de chaleur. Outre les ardeurs du soleil, l'air était encore embrasé par la vapeur des flammes que les Goths allumaient à dessein, mettant le feu aux arbres, aux moissons, aux cabanes, dans toute l'étendue de la plaine; enfin, Fritigerne fit dire à Valens par un héraut, que s'il voulait lui envoyer en ôtage quelques personnes distinguées, il irait lui-même le trouver pour conclure la paix malgré l'ardeur et l'impatience de ses soldats. Cette proposition étant acceptée, on jeta les yeux sur le tribun Équitius, grand-maître du palais et parent de l'empereur[350]; mais comme il avait été fait prisonnier par les Barbares, et qu'il s'était échappé[351], il refusa de se remettre entre leurs mains, craignant d'en recevoir quelque mauvais[Pg 134] traitement. Richomer s'offrit de lui-même, persuadé qu'une telle commission était digne d'un homme de courage[352], et que tout service était honorable dès qu'il était périlleux.

[349] Optimates poscens, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 12.—S.-M.

[350] Tribunus Æquitius cui tunc erat cura palatii credita, Valentis propinquus, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 12.—S.-M.

[351] Il s'était échappé de Dibalte, lapsus a Dibalto, où on le tenait prisonnier. C'est la ville dont il a été question ci-devant sous le nom de Deultum. Voy. § 14, p. 117, note 2.—S.-M.

[352] Richomeres se sponte obtulit propria: ireque promiserat libens, pulchrum hoc quoque facinus et viro convenire existimans forti. Amm. Marc., l. 31, c. 12.—S.-M.

XXVIII.

Bataille d'Andrinople.

Amm. l. 31, c. 12 et 13.

Hier. chron.

[Socr. l. 4, c. 38.]

Soz. l. 6, c. 40.

Oros. l. 7, c. 33.

Avant qu'il se fût rendu auprès de Fritigerne, deux escadrons de la garde de l'empereur[353], emportés par une impatience téméraire, allèrent sans en avoir reçu l'ordre donner pique baissée sur les ennemis; et dans ce moment, Alathée et Saphrax arrivant avec leur cavalerie[354], fondirent sur eux, taillèrent en pièces tous ceux qu'ils purent atteindre, et repoussèrent le reste avec Richomer jusqu'au gros de l'armée romaine. La bataille devint générale; les deux armées s'ébranlèrent en lançant une grêle de flèches et de javelots; elles se choquèrent avec fureur, et se balancèrent quelque temps. Les cavaliers de l'aile gauche des Romains pénétrèrent jusqu'aux chariots qui formaient l'enceinte du camp des[Pg 135] Barbares; mais n'étant pas secondés, ils furent rompus et renversés par la multitude des ennemis. Alors, toute la cavalerie tourna le dos, et ce fut la principale cause de la défaite. L'infanterie qui demeurait à découvert, fut bientôt enveloppée, et tellement resserrée, que les soldats n'avaient le libre usage ni de leurs bras ni de leurs armes. Aveuglés par une nuée de poussière, ils ne pouvaient ni adresser leurs coups ni éviter ceux des Barbares, qui s'abandonnant sur eux, les écrasaient sous les pieds de leurs chevaux. Dans une épaisse obscurité, on n'entendait que le bruit des armes, le cri des combattants, les gémissements des mourants et des blessés. Le massacre ayant éclairci les rangs, les Romains, quoiqu'épuisés de fatigue, retrouvaient des forces dans la rage et le désespoir. La terre n'était plus couverte que de sang, de carnage, de morts couchés sous des mourants; enfin, ce qui restait de Romains, réunissant leurs efforts, ils s'ouvrirent un passage et prirent la fuite.

[353] C'étaient les archers de la garde et les scutaires, qui étaient commandés par l'Ibérien Bacurius et par Cassion. Sagittarii et Scutarii, quos Bacurius Iberus quidam tunc regebat et Cassio. Amm. Marcell., l. 31, c. 12. Ce Bacurius si renommé par son courage et sa franchise, et qui se distingua beaucoup sous le règne de Théodose, avait été roi de l'Ibérie; il avait préféré le service des Romains au joug des Perses, et depuis long-temps il était employé dans les troupes impériales. Sous Théodose il fut duc de la frontière de Palestine, et ensuite comte des Domestiques, ce qui était une très-haute dignité. Il existe dans le recueil des lettres de Libanius, publié par Wolf, quelques lettres qui lui sont adressées. Zosime rapporte, l. 4, c. 57, qu'il était Arménien de naissance. Βακούριος, dit-il, ἕλκων ἐξ Ἀρμενίας τὸ γένος. Il est évident qu'il se trompe, car tous les autres témoignages, et ils sont assez nombreux, le font Ibérien. Rufin qui l'avait connu personnellement en parle dans son Histoire ecclésiastique, l. 10, c. 10, comme d'un homme très-zélé pour la religion catholique.—S.-M.

[354] Ils étaient mêlés avec des Alains. Equitatus Gothorum cum Alatheo reversus et Safrace, Alanorum manu permista. Amm. Marc., l. 31, c. 12.—S.-M.

XXIX.

Fuite des Romains.

L'empereur, environné d'un monceau de cadavres, et abandonné de ses gardes, s'alla jeter au milieu de deux légions[355] qui se défendaient encore. Trajan, résolu de périr avec lui, s'écria que l'unique ressource était de rallier auprès du prince les débris de l'armée[356]. Aussitôt le comte Victor courut à l'endroit où l'on avait placé les Bataves pour servir de réserve; et ne les trouvant plus, il jugea que tout était perdu, et se retira avec Richomer et Saturninus. Cependant, les Barbares, altérés de sang, poursuivaient à toute bride les fuyards, les[Pg 136] uns épars dans la plaine, les autres ramassés en pelotons, se précipitant et se perçant mutuellement de leurs propres épées. Les Goths ne faisaient point de prisonniers. Les chemins étaient bouchés de cadavres d'hommes et de chevaux amoncelés. Le massacre ne cessa qu'à la nuit qui fut fort obscure.

[355] C'étaient les lancearii et les mattiarii.—S.-M.

[356] Eoque viso Trajanus exclamat, spem omnem absumptam, ni desertus ab armigeris princeps saltem adventicio tegeretur auxilio. Amm. Marc., l. 31, c. 13.—S.-M.

XXX.

Mort de Valens.

Amm. l. 31, c. 13 et 14.

Liban. or. de ulcisc. morte Jul. c. 3.

Hier. chron.

Eunap. vit. Max. t. 1, p. 63 et 64 ed. Boiss.

Vict. epit. p. 230.

Idat. chron.

Oros. l. 7, c. 33.

Chrysost. vid. iun. t. 1, p. 343 et ad Philip. hom. 15, t. 11, p. 318.

Socr. l. 4, c. 38.

Theod. l. 4, c. 36.

Soz. l. 6, c. 40.

Philost. l. 9, c. 17.

Zos. l. 4, c. 24.

[Theoph. p. 56.]

Zon. l. 13, t. 2, p. 31 et 32.

Cedren. t. 1, p. 314.

Valens ne parut plus depuis cette funeste journée. On ne retrouva pas même son corps. Personne n'osa pendant plusieurs jours approcher du champ de bataille, où les vainqueurs s'arrêtèrent pour dépouiller les morts. Toutes les circonstances de la mort de Valens, rapportées par les historiens, ne sont fondées que sur des bruits incertains[357]. Les uns disent qu'au commencement de la nuit, ce prince, ayant pris l'habit d'un simple soldat, et s'étant mêlé dans la foule des fuyards, fut tué d'un coup de flèche. Libanius le fait mourir en héros: il dit que ses officiers le conjurant de mettre sa personne en sûreté, et ses écuyers lui offrant d'excellents chevaux, il répondit: qu'il serait indigne de lui de survivre à tant de braves gens, et qu'il voulait s'ensevelir avec eux; qu'en même temps il se jeta dans le fort de la mêlée, et qu'il périt en combattant. L'opinion la plus généralement reçue, c'est que ce prince étant blessé, et ne pouvant plus se tenir à cheval, fut porté dans une cabane par quelques-uns de ses eunuques; là, tandis qu'on pansait ses blessures, survint une troupe d'ennemis, qui, trouvant de la résistance, et ne voulant pas s'arrêter devant cette chaumière, où ils ignoraient que fût l'empereur, y mirent le feu et la brûlèrent avec ceux qui s'y étaient renfermés; il n'en échappa qu'un seul,[Pg 137] et ce fut de lui que les Goths apprirent la fin tragique de Valens. Ils furent très-affligés d'avoir perdu l'honneur de tenir entre leurs mains le chef de l'empire[358]. On ajoute qu'après la retraite des Barbares, comme on cherchait entre les cendres de cette cabane les os de Valens, dont on ne put retrouver un seul, on découvrit un ancien tombeau avec cette inscription: Ici est enterré Mimas, capitaine macédonien[359]. Ce fait, s'il était véritable, serait l'accomplissement de l'oracle, que nous avons rapporté dans l'histoire de Théodore. Valens, naturellement timide, avait été si frappé de cette prédiction, que ne connaissant du nom de Mimas que la montagne voisine de la ville d'Erythres en Ionie, il ne pouvait, depuis ce temps-là, entendre sans trembler le nom de cette province[360]. Quelques auteurs rapportent qu'avant la bataille il avait consulté les devins pour savoir quel en serait le succès, et qu'il fut trompé, comme il était ordinaire, par des réponses équivoques.

[357] Neque enim vidisse se quisquam vel præsto fuisse adseveravit, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 13.—S.-M.

[358] C'est principalement dans le récit d'Ammien Marcellin, qu'ont été puisées toutes ces circonstances de la mort de Valens.—S.-M.

[359] Ἐνταῦθα κεῖται Μίμας Μακέδων στρατηγέτης.—S. M.

[360] Presque tous les auteurs originaux rapportent ces prédictions controuvées.—S.-M.

XXXI.

Perte des Romains.

Jamais une plaie si profonde n'avait affligé l'empire, et les historiens du temps ne trouvent dans les annales de Rome que la bataille de Cannes qui puisse être comparée à celle-ci. Les deux tiers de l'armée romaine restèrent sur la place[361] avec trente-cinq tribuns et commandants de cohortes[362]. Entre les capitaines distingués[Pg 138] qui y périrent, on nomme Trajan, Sébastien, Valérien grand-écuyer, Équitius maître du palais, Potentius tribun de la première compagnie des cavaliers[363]. Ce dernier était un jeune homme de grande espérance, déja aussi recommandable par son mérite, que par celui de son père Ursicin, dont l'injuste disgrâce, arrivée sous le règne de Constance, donnait du prix et de l'éclat aux vertus du fils. La nouvelle de cet événement funeste s'étant répandue, on se rappela quantité de circonstances, la plupart frivoles, dont on fit après coup autant de présages de la mort de Valens. Je n'en rapporterai qu'une seule. On se ressouvint que pendant le long séjour de ce prince dans la ville d'Antioche, il s'était rendu si odieux, que le peuple, voulant affirmer quelque chose, disait communément par forme d'imprécation: Qu'ainsi Valens puisse être brûlé vif.

[361] Constat vix tertiam evasisse exercitus partem, dit expressément Ammien Marc., l. 31, c. 13.—S.-M.

[362] Tant ceux qui étaient en activité de service, que ceux qui étaient en retraite, mais qui servirent dans cette occasion comme volontaires. De ce nombre était Trajan, qui avait été destitué par Valens, peu de temps avant la bataille, XXXV oppetivere, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 13, tribuni vacantes, et numerorum rectores.—S.-M.

[363] C'est-à-dire qu'il commandait le corps de cavalerie des Promoti. Promotorum tribunus, Potentius, cæcidit in primævo ætatis flore, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 13.—S.-M.

XXXII.

Divers traits du caractère de Valens.

Amm. l. 31, c. 14. Them. or. 8, p. 119 et 120.

Il avait régné quatorze ans, quatre mois et treize jours[364]. Ses actions, que nous avons racontées, suffisent pour donner une juste idée de son caractère. Il ne sera pourtant pas inutile d'y ajouter quelques traits, qui pourraient n'avoir pas été assez sentis dans le détail de son histoire. Il se déterminait lentement, soit à donner les charges, soit à les ôter. Il était ennemi des brigues formées pour les obtenir, et s'étudiait surtout à réprimer l'ambition de ses parents. Jamais l'empire d'Orient ne fut moins chargé d'impôts que sous son règne; son avarice n'osait s'attaquer qu'aux biens des particuliers;[Pg 139] mais il ménageait les provinces, modérant les tributs déjà établis, n'en imposant pas de nouveaux, exigeant sans rigueur les anciennes redevances, ne pardonnant jamais les concussions aux hommes en place. Il avait grand soin de s'instruire de l'état de ses finances. Ses prédécesseurs étaient dans l'usage d'abandonner à ceux qu'ils voulaient gratifier, les biens dévolus au fisc; ce qui redoublait l'avidité des courtisans. Valens permettait à chacun de défendre ses droits contre les entreprises du fisc; et quand les biens étaient déclarés caducs, il en partageait la donation entre trois ou quatre personnes, afin de diminuer l'empressement à poursuivre, en diminuant le profit qu'on pouvait retirer des poursuites. Il répétait souvent cette belle parole d'un ancien: que c'est aux pestes, aux tremblements de terre, et aux autres fléaux de la nature, à faire périr les hommes, mais aux princes à les conserver. Cette maxime ne fut jamais que dans sa bouche. L'histoire de son règne nous montre un prince sans lumières pour connaître ses devoirs, sans activité pour les remplir, injuste, sanguinaire, qui ne fit paraître de vigueur qu'à persécuter l'Église. Il ne laissa de sa femme Dominica que deux filles, Carosa et Anastasia. L'une des deux épousa Procope qui n'est guère connu que par le titre de gendre de Valens.

[364] Il était âgé d'environ cinquante ans, quinquagesimo anno contiguus, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 14.—S.-M.

XXXIII.

Les Goths assiègent Andrinople.

Amm. l. 31, c. 15.

Pendant la nuit qui suivit la bataille, les Romains échappés de la défaite se dispersèrent de toutes parts. Dès que le jour parut, la plus grande partie des Barbares marcha vers Andrinople; ils savaient par le rapport des transfuges, que les grands officiers de l'empire et les trésors de Valens y étaient renfermés. Ils y arrivèrent sur les neuf heures du matin, et environnèrent[Pg 140] la ville, résolus de braver tous les périls d'une attaque précipitée. Les habitants n'étaient pas moins déterminés à se bien défendre: le pied des murs était au dehors bordé d'une multitude de fantassins et de cavaliers, qu'on n'avait pas voulu recevoir dans la ville, et qui, écartant l'ennemi à coups de flèches et de pierres, défendirent pendant cinq heures l'approche du fossé, toujours en butte eux-mêmes à tous les traits de l'ennemi. Enfin, la plupart ayant perdu la vie, trois cents qui restaient encore, mirent bas les armes, et passèrent du côté des Barbares qui les égorgèrent sans miséricorde. Ce spectacle inspira tant d'horreur aux habitants, qu'ils résolurent de périr plutôt que de se rendre. Les Goths, s'avançant jusqu'au bord du fossé, faisaient pleuvoir sur la muraille une grêle de traits, lorsqu'un furieux orage, mêlé de tonnerres affreux, les obligea de se retirer à l'abri de leurs chariots. De là ils firent sommer les assiégés de se rendre sur-le-champ, leur promettant la vie sauve. Le porteur de cet ordre n'ayant pas été reçu dans la ville, ils y envoyèrent un prêtre chrétien[365]. La lettre fut lue et méprisée; on employa le reste du jour et une partie de la nuit suivante, à préparer tout ce qui était nécessaire pour une vigoureuse défense. On doubla les portes en dedans de gros quartiers de pierres; on fortifia les endroits les plus faibles; on dressa les batteries; on plaça de distance en distance des vases remplis d'eau, parce que la veille plusieurs soldats qui bordaient le haut de la muraille, étaient morts de soif.

[365] Ammien Marcellin dit seulement, l. 31, c. 15, que c'était un chrétien, per christianum quemdam portatis scriptis.—S.-M.

XXXIV.

Belle défense des assiégés.

Les Goths dépourvus de machines, et ne sachant[Pg 141] pas même faire les approches, n'imaginaient d'autre moyen que de tuer à coups de traits ceux qui paraissaient sur les murailles, et de monter ensuite à l'escalade; mais comme ils perdaient beaucoup plus de monde qu'ils n'en abattaient, ils eurent recours à un stratagème qui aurait réussi, s'il eût été mieux concerté. Ils engagèrent quelques déserteurs à retourner dans la ville, comme s'ils se fussent échappés des mains des assiégeants; ces traîtres devaient mettre secrètement le feu en divers endroits, pour faciliter l'escalade, tandis que les assiégés s'occuperaient à éteindre l'incendie. Sur le soir les déserteurs s'avancèrent au bord du fossé, tendant les bras et demandant avec instance d'être reçus dans la place. On leur ouvrit les portes; on les interrogea sur les desseins des ennemis: comme ils ne s'accordaient pas dans leurs réponses, on en conçut du soupçon; on les appliqua à la torture. Ils avouèrent leur trahison, et eurent la tête tranchée. Au milieu de la nuit, les Barbares ne voyant pas paraître de flammes, et se doutant que leur ruse était découverte, comblèrent le fossé, et vinrent en foule attaquer les portes, s'efforçant de les enfoncer ou de les rompre. Leurs principaux capitaines animaient leurs efforts, et s'exposaient eux-mêmes avec encore plus de hardiesse. Les habitants et les officiers du palais se joignant aux soldats de la garnison, opposaient la plus vigoureuse résistance. Aucun trait jeté même au hasard dans les ténèbres sur une si grande multitude, ne tombait en vain. Comme on remarqua que les Barbares faisaient à leur tour usage des flèches qu'on tirait sur eux, on ordonna aux archers de couper la corde qui tenait le fer fermement emmanché dans le bois; mais rien ne[Pg 142] causa plus d'effroi aux ennemis, que la vue d'une pierre énorme lancée d'une machine, et qui vint en bondissant rouler à leurs pieds. Ils en furent tellement épouvantés qu'ils allaient prendre la fuite, si leurs généraux, faisant sonner toutes les trompettes, ne se fussent avancés à leur tête, leur montrant la ville et leur criant: Voilà le magasin où sont enfermées les richesses que l'avarice de Valens vous a enlevées; voilà la prison de vos femmes et de vos filles arrachées de vos bras, et qui gémissent dans une honteuse captivité. Tous aussitôt courent tête baissée vers les murailles; ils plantent les échelles; chacun s'empresse de monter le premier: on décharge sur eux des quartiers de roche, des meules de moulin, des fragments de colonnes. Les échelles sont brisées, et avec elles tombent les uns sur les autres les soldats écrasés de ces masses foudroyantes, ou percés de javelots. D'autres succèdent, et sont encore renversés. Mais comme ils voient aussi un grand nombre d'habitants tomber du haut des murailles, ils s'encouragent, ils se pressent les uns les autres, ils plantent de nouveau leurs échelles sur des monceaux de carnage; et n'observant plus aucun ordre, ils montent et sont précipités par pelotons. Cette horrible attaque, où la rage des assiégeants et des assiégés était égale, dura depuis le milieu de la nuit jusqu'à la nuit suivante. Alors les Goths désespérés se retirèrent sous leurs tentes, la plupart sanglants et estropiés, s'accusant mutuellement de n'avoir pas écouté Fritigerne qui les avait voulu détourner de cette funeste entreprise.

XXXV.

Les Goths marchent à Périnthe.

Amm. l. 31, c. 16.

Au matin ils tinrent conseil, et se déterminèrent à prendre la route de Périnthe, qu'on nommait aussi[Pg 143] Héraclée. Les transfuges leur promettaient un riche butin. Ils marchèrent donc de ce côté-là sans se hâter, ne rencontrant ni ne craignant aucun obstacle. Lorsque les habitants d'Andrinople furent assurés de leur retraite, les soldats qui avaient si bien défendu la ville, n'étant pas instruits de la mort de Valens, et croyant qu'il s'était retiré du côté de l'Illyrie, résolurent d'aller en diligence rejoindre l'empereur. Ils partirent pendant la nuit avec tous les bagages, et prenant des chemins détournés et couverts de bois, dans l'incertitude où ils étaient, ils se partagèrent en deux divisions: les uns tournèrent vers Philippopolis et Sardique, les autres vers la Macédoine. Cependant les Goths ayant reçu un renfort considérable de Huns et d'Alains, que Fritigerne avait attirés[366], campèrent à la vue de Périnthe. Le mauvais succès de l'attaque d'Andrinople leur ôta l'envie d'approcher de la ville, mais ils désolèrent les vastes plaines d'alentour.

[366] At Gothi Hunnis Alanisque permisti nimium bellicosis et fortibus, rerumque asperarum difficultatibus induratis, quos miris præmiorum illecebris sibi sociarat solertia Fritigerni. Ammien Marcellin, l. 31, c. 16.—S.-M.

XXXVI.

Ils sont repoussés de devant Constantinople.

Amm. l. 31, c. 16.

Socr. l. 5, c. 1.

Soz. l. 7, c. 1.

L'avidité du pillage les conduisit à Constantinople. Ils en insultaient déja les faubourgs et couraient jusqu'aux portes. Dominica, veuve de Valens, sauva par son courage la capitale de l'empire: elle ranima les habitants consternés; elle leur distribua des armes; elle tira de grandes sommes du trésor pour les exciter par ses largesses à leur propre défense. La principale ressource de la ville consistait dans une troupe de cavaliers Sarrasins[367], qui sortirent sur les ennemis avec une audace déterminée, et donnèrent à grands coups de cimeterre[Pg 144] au travers de leurs escadrons. Pendant ce combat, qui fut sanglant et opiniâtre, un Sarrasin, nu jusqu'à la ceinture, portant une chevelure longue et flottante, poussant des sons lugubres et menaçants, armé seulement d'un poignard, vint se lancer au milieu des Goths; et au premier qu'il égorgea, il attacha sa bouche sur la plaie pour en sucer le sang[368]. La vue d'une férocité si brutale glaça d'effroi les ennemis; ils sonnèrent la retraite, et allèrent camper à quelque distance, n'osant plus approcher de trop près d'une ville, qui leur semblait être un repaire d'animaux farouches. Quelques jours après, lorsqu'ils eurent considéré à loisir la vaste étendue de Constantinople, la hauteur de ses tours et de ses palais qui ressemblaient à autant de forteresses, la multitude infinie de ses habitants, la commodité du Bosphore qui lui donnait une communication toujours libre avec l'Asie et les deux mers, ils désespérèrent de la réduire ni par la force, ni par la famine. Ayant donc détruit tous les travaux qu'ils avaient commencés pour un siége, après avoir, par les différentes sorties, perdu plus de soldats qu'ils n'en avaient tués, ils se retirèrent pour se répandre vers l'Illyrie.

[367] Saracenorum cuneus. Un escadron de Sarrasins. Amm. Marc. l. 31, c. 16.—S.-M.

[368] Ex ea enim crinitus quidam, nudus omnia præter pubem, subraucum et lugubre strepens, educto pugione agmini se medio Gothorum inseruit, et interfecti hostis jugulo labra admovit, effusumque cruorem exsuxit. Ammien Marcellin, l. 31, c. 16.—S.-M.

XXXVII.

Massacre des Goths en Asie.

Amm. l. 31, c. 16.

Zos. l. 4, c. 26.

L'Asie aurait peut-être éprouvé les mêmes désastres, si le comte Jule[369] n'eût pris une de ces résolutions extrêmes, que l'humanité déteste, que la politique prétend justifier par la nécessité, mais qui ne paraissent jamais vraiment nécessaires aux yeux de la bonne foi[Pg 145] et de la justice. Ce comte ayant, par ordre de Valens, conduit en Asie les plus jeunes d'entre les Goths, les avait dispersés en diverses villes au-delà du mont Taurus, dans la crainte que s'ils étaient réunis ils ne se portassent à quelque violence. Il fut averti que cette jeunesse fougueuse, instruite du traitement fait au reste de la nation, et de sa révolte, formait des complots secrets; et que par des messages mutuels, envoyés d'une ville à l'autre, elle prenait des mesures pour se rendre maîtresse des lieux où elle était établie, et pour venger ses parents et ses compatriotes. Sur cet avis il prend son parti: il écrit à tous les commandants des places. Conformément à ses ordres, on assemble les Goths dans chaque ville pour leur faire savoir: que l'empereur, désirant les incorporer à ses sujets, veut leur donner de l'argent et des terres; qu'ils aient donc à se rendre un tel jour à la métropole. Ces jeunes Barbares, ravis de joie, oublient leurs complots: ils attendent avec impatience le jour marqué, et se rendent à l'ordre. Tout était préparé pour les recevoir. Dès qu'ils sont assemblés dans la place publique de chaque capitale, les soldats cachés dans les maisons d'alentour se montrent aux fenêtres, et les accablent de pierres et de traits. On passe au fil de l'épée ceux qui prennent la fuite; et dans un seul jour, en diverses villes, comme par un même signal, un nombre infini de ces malheureux fut sacrifié à une défiance sanguinaire[370]. Ce massacre justifia les cruautés que leurs pères exerçaient alors en Occident.

[369] Il était maître de la milice au-delà du mont Taurus. Julius magister militiæ trans Taurum. Amm. Marc., ibid.—S.-M.

[370] Selon Zosime, l. 4, c. 26, ce massacre fut exécuté par les ordres du sénat de Constantinople.—S.-M.

XXXVIII.

Ravages des Goths.

Amm. l. 31, c. 16, et l. 20, c. 4

Greg. Naz. or. 14, t. 1 p. 214.

Hier. ep. 60, t. 1, p. 342.

Chrysost. ad vid. Jun. t. 1, p. 343,

Ambr. ep. 10. t. 2. p. 809.

Idat. chron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 2, c. 12, 14. et vie de S. Basil. l. 6, c. 10, 11. éclairciss.

Les autres Barbares d'au-delà du Danube, Sarmates,[Pg 146] Quades, Marcomans, vinrent se joindre aux Goths, aux Huns, aux Alains. Réunis par leur haine commune contre les Romains et par le désir du pillage, ils ravageaient, ils brûlaient, ils détruisaient la petite Scythie, la Thrace, la Macédoine, la Dardanie, la Dacie, la Mésie[371]. Leurs partis étendaient leurs courses jusque dans la Pannonie, la Dalmatie, l'Épire et l'Achaïe. Le comte Maurus, successeur de Frigérid, avait laissé forcer le Pas de Sucques. Le sang romain coulait depuis Constantinople jusqu'aux Alpes Juliennes[372]. Les femmes et les filles étaient violées; les prêtres, traînés en esclavage, ou tués avec les évêques; les églises, changées en écuries; les corps des martyrs, déterrés. Ce n'était dans toutes ces contrées que deuil, gémissements, triste et affreuse image de la mort. Mursa fut ruinée; Pettau [Petobio], livrée aux Barbares[373]; on soupçonna de cette trahison un certain Valens que les Ariens avaient inutilement voulu faire évêque de cette ville. Fritigerne, voyant que tout fuyait devant lui, disait: qu'il s'étonnait de l'impudence des Romains qui se prétendaient maîtres d'un pays qu'ils ne savaient pas défendre; qu'ils le possédaient sans doute au même titre que des troupeaux possèdent la prairie où ils paissent. On ne voyait de toutes parts que des prisonniers[Pg 147] exposés en vente. Les églises en rachetaient un grand nombre; et saint Ambroise signala en cette occasion sa charité inépuisable: il vendit les ornements du sanctuaire, il aurait vendu les vases sacrés, si les besoins l'eussent exigé. Quantité d'Illyriens abandonnèrent leur partie, et se retirèrent en Italie aux environs d'Imola, où il semble que Gratien leur donna des terres. Ils y portèrent l'hérésie d'Arius, qu'ils auraient répandue jusqu'à Milan, si le saint évêque n'en eût préservé le pays. Les Goths, dans le cours de leurs ravages, trouvèrent plusieurs catholiques de leur nation, qui pour se soustraire à la persécution d'Athanaric, s'étaient jetés entre les bras des Romains. Ils les invitèrent à se joindre à eux et à partager les dépouilles. Mais ces généreux fugitifs refusèrent de contribuer à détruire leur asile: ils aimèrent mieux, les uns se laisser égorger, les autres quitter leurs terres, et se retirer en des lieux forts d'assiette, pour conserver la pureté de leur foi et la fidélité qu'ils avaient promise à l'empire.

[371] Scythiam, Thraciam, Macedoniam, Dardaniam, Daciam, Thessaliam, Achaïam, Epiros, Dalmatiam, cunctasque Pannonias; Gothus, Sarmata, Quadus, Alanus, Hunni, Wandali, Marcomanni vastant, trahunt, rapiunt. S. Hieron., ep. 60, t. 1, p. 342, edit. Vallars.—S.-M.

[372] Les Romains, dit Eunapius, (excerpt. leg., p. 21) redoutaient autant le nom des Scythes (ou Goths), que ceux-ci le nom des Huns. Καὶ ΣκύΘας Οὔννων μὴ φέρειν ὄνομα, καὶ Ῥωμαίους Σκυθῶν.—S.-M.

[373] S. Ambroise donne à cette ville le nom de Patavio. Elle est appelée Παταβίων, par Priscus, excerpt. de leg., p. 57, v. ci-après t. 6, liv. XXXII, § 73.—S.-M.

XXXIX.

Théodose est rappelé.

Liban. de ulc. morte Jul. c. 1.

Them. or. 16, p. 205.

Pacat. paneg. c. 10.

Vict. epit. p. 232 et 233.

Idat. chron.

Marcell. chron.

Zos. l. 4, c. 24.

Joann. Ant. in excerptis Vales, p. 846.

Theod. l. 5, c. 5 et 6.

Zon. l. 13, t. 2. p. 33.

Till. Theod. art. 1, 2 et note 1, 2, 4.

Cellar. geog. ant. l. 2, c. 1, § 66.

Cependant le comte Victor, aussitôt après la défaite, était allé porter à Gratien cette triste nouvelle. Peu de temps après on fut informé de la mort de Valens; et ce fut pour l'empereur et pour tout l'empire un surcroît d'affliction. Gratien se rendit en diligence à Constantinople à travers mille périls: dans le désordre où il voyait les affaires, il se souvint de Théodose, qui après la mort de son père s'était retiré de la cour. Il sentit quel secours l'empire, sur le penchant de sa ruine, pourrait tirer de la valeur et de l'expérience de ce guerrier, et il résolut de le rappeler. Théodose vivoit depuis deux ans à Cauca[374] sa patrie, que les uns[Pg 148] placent en Galice, les autres dans le pays des Vaccéens, aujourd'hui la province de Béïra en Portugal. Quelques auteurs le font naître à Italica près de Séville, patrie de Trajan; ils prétendent même, sans beaucoup de fondement, qu'il était de la famille de cet empereur; mais ce fut un plus grand honneur à Théodose d'avoir les vertus de Trajan, que de lui appartenir par la naissance[375]. La gloire de son père et la sienne l'avaient suivi dans son exil volontaire. Soumis aux lois, sobre, laborieux, aussi libéral qu'il était riche, il faisait, sans le savoir, dans l'état de particulier le plus utile apprentissage de la souveraineté. Il secourait ses amis et ses compatriotes de ses conseils et de sa fortune: la misère des provinces, qu'il voyait de près, lui imprimait dès lors ces tendres sentiments, que la Providence devait bientôt rendre efficaces. Souvent il se retirait à la campagne, et trouvait un délassement innocent dans les travaux de l'agriculture. Il avait épousé Flaccilla[376], vraiment digne de lui par sa vertu et par sa noblesse: il en avait déja un fils nommé Arcadius[377], lorsqu'il reçut l'ordre de retourner auprès de l'empereur. Il quitta sa retraite en soupirant, sans désirer ni prévoir la haute fortune qui l'attendait à la cour.

[374] Ἐκ μὲν τῆς ἐν Ἰβηρίᾳ Καλλεγίας, πόλεως δὲ Καύκας ὁρμώμενον. Zos. lib. 4, cap. 24.—S.-M.

[375] Ulpia progenies, dit Claudien, in 4º consul. Honor. v. 19.—S.-M.

[376] Ælia Flaccilla était espagnole, et fille d'un Antoine qui fut fait consul en 382.—S.-M.

[377] Il était né en l'an 377.—S.-M.

XL.

Victoire de Théodose.

Dès qu'il fut arrivé, Gratien le mit à la tête des troupes qu'il avait rassemblées. Théodose marcha aussitôt contre une grande armée de Goths et de Sarmates, et leur livra bataille près du Danube. Les ennemis furent enfoncés du premier choc et mis en fuite. On les poursuivit avec ardeur; on en fit un grand carnage;[Pg 149] il ne s'en sauva qu'un petit nombre qui repassèrent le fleuve. Le vainqueur ayant mis ses troupes en sûreté dans les villes voisines, retourna à la cour, et alla lui-même porter à l'empereur la nouvelle de sa victoire. Une expédition si rapide[378] parut d'autant plus incroyable, que les défaites précédentes avaient laissé dans les esprits une vive impression de terreur. Les envieux de Théodose, plus désespérés que les ennemis vaincus, osaient l'accuser de mensonge; c'était, à les entendre, un imposteur qui avait pris la fuite après la défaite de son armée. L'empereur lui-même ne fut convaincu de la vérité, qu'après le retour des exprès qu'il envoya sur les lieux, pour s'instruire par leurs propres yeux et lui faire un rapport fidèle[379].

[378] Vix tecta hispana successeras, jam Sarmaticis tabernaculis tegebaris. Vix Iberum tuum videras, jam Istro prætendebas. Pac. pan., § 10.—S.-M.

[379] Il paraît que Gratien fit en personne quelques entreprises contre les Barbares, mais le souvenir vague ne s'en est conservé que dans quelques lignes d'Ausone, qui dit qu'en une seule année, il pacifia le Rhin et le Danube. Uno pacatus anno et Danubii limes et Rheni. Il semblerait aussi qu'il eut dans la même année vaincu et pardonné les Sarmates, ce qui aurait dû lui mériter les surnoms de Germanique, d'Alemannique et de Sarmatique. Vocarem Germanicum, deditione gentilitium; Alemannicum traductione captorum vincendo et ignoscendo Sarmaticum. Auson., grat. act. proconsul., p. 526 et 527.—S.-M.

XLI.

Gratien rétablit en Orient les affaires de l'Eglise.

Socr. l. 5, c. 2.

Theod. l. 5, c. 2.

Soz. l. 7. c. 1.

Joan. Ant. in excerpt. Val. p. 846.

Zon. l. 13, t. 2, p. 33.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 5, l. 11, tit. 39, leg. 7.

Cette victoire rassura Constantinople, et réprima l'audace des Barbares, en leur apprenant que la valeur romaine n'était pas entièrement éteinte. Gratien après avoir mis ordre aux affaires de l'Orient, retourna à Sirmium, où son premier soin fut de réparer les maux que son oncle avait faits à la religion. Valens, avant son départ d'Antioche, avait permis aux évêques exilés de revenir dans leurs églises. Mais la supériorité que conservait toujours le parti arien, avait rendu cette permission presque inutile. Gratien ordonna par un édit[Pg 150] que les prélats bannis rentreraient sans nul obstacle en possession de leurs siéges. Cependant comme en poussant à bout les Ariens qui dominaient dans la plupart des villes de l'Orient, il était à craindre qu'ils n'appelassent à leur secours les Goths protecteurs de la même hérésie, il accorda aux diverses communions, comme nous l'avons déja dit, la liberté de s'assembler, et la révoqua dès l'année suivante, lorsqu'il crut la tranquillité de l'empire mieux affermie. Il arrêta les nouvelles entreprises des sectateurs de l'anti-pape Ursinus; et sur la requête qui lui fut présentée de la part du pape Damase et d'un grand nombre d'évêques assemblés à Rome, il prescrivit les règles qu'on devait observer dans le jugement des évêques et des causes ecclésiastiques. Les accusations de magie avaient depuis quelque temps fait périr beaucoup d'innocents: dès le commencement de cette année, Gratien avait déclaré que l'accusateur serait obligé de prouver le crime en toute rigueur, sur peine d'être lui-même sévèrement puni.

XLII.

Ausone consul.

Auson. grat. act. et ad Syagr. et in epiced. patris.

Idat. chron.

Scalig. vit. Auson.

Till. Grat. art. 8, 21, 22 et not. 8, 9.

Mém. Acad. des Inscript. t. 15, p. 125, et suiv.

Le jeune prince ne se vit pas plutôt maître de nommer les deux consuls, qu'il voulut donner à son précepteur Ausone une marque éclatante de sa reconnaissance. Ausone[380], né à Bordeaux, avait d'abord suivi le barreau. Il le quitta pour prendre une chaire de Grammaire et ensuite de Rhétorique, qu'il enseigna long-temps dans sa patrie. Appelé à la Cour par Valentinien, il fut chargé de l'instruction de Gratien, déja[Pg 151] Auguste; et il l'accompagna dans l'expédition d'Allemagne en 368. Il en ramena une jeune captive, nommée Bissula, dont il devint bientôt l'esclave, et qui contribua à égayer sa Muse naturellement lascive et licencieuse. Il fut honoré du titre de questeur; et après la mort de Valentinien, Gratien le fit préfet du prétoire, d'abord d'Italie, ensuite des Gaules. Il était revêtu de cette dernière dignité, lorsqu'il fut élevé au consulat; et ce fut pour cette raison que Gratien lui donna le rang au-dessus d'Olybrius, son collègue, qui avait été préfet de Rome en 368, et les deux années suivantes. Ausone nous a conservé la lettre par laquelle l'empereur lui annonça sa promotion; elle était conçue en ces termes: Lorsque je délibérais sur le choix des consuls que je devais nommer pour l'année prochaine, je me suis adressé à Dieu pour consulter sa volonté, comme vous savez que je fais dans toutes mes entreprises, et comme vous souhaitez vous-même que je fasse. J'ai cru lui obéir en vous désignant premier consul. Je vous rends ce que je vous dois, et je ne suis pas encore quitte avec vous après vous l'avoir rendu. Quoique cette lettre semble former un préjugé favorable à la piété d'Ausone, la religion de ce poète n'en est pas moins problématique. Entre les critiques, les uns faisant attention à quelques pièces chrétiennes répandues dans ses écrits, soutiennent qu'il était chrétien; d'autres prétendent que ces pièces lui sont faussement attribuées, et que le paganisme qui respire dans ses véritables ouvrages, ne permet pas de douter qu'il fût païen. Ce qu'il y a de plus certain, c'est que l'extrême licence de ses poésies prouve que s'il était chrétien, il ne l'était que de nom.[Pg 152] La faveur s'étendit sur toute sa famille[381]: Jules Ausone, son père, qui était médecin, porta le titre de préfet d'Illyrie: Hespérius, son fils, fut vicaire de Macédoine[382], proconsul d'Afrique[383], enfin préfet du prétoire des Gaules, conjointement avec lui[384]; Thalassius, son gendre, fut aussi proconsul d'Afrique[385].

[380] Il se nommait Decimus Magnus Ausonius. On ignore l'époque précise de sa naissance; sa famille était honorable, non pœnitendam, dit-il. Son père Julius Ausonius était médecin et mourut en 377, âgé d'environ quatre-vingt-dix ans. Son fils avait obtenu pour lui de l'empereur, le rang de préfet honoraire de l'Illyrie.—S.-M.

[381] Ausone avait épousé Attusia Lucana Sabina, fille d'Attusius Lucanus Talisius, l'un des citoyens les plus distingués de Bordeaux. Elle mourut à l'âge de vingt-huit ans.—S.-M.

[382] C'est en l'an 376 qu'il était en Macédoine.—S.-M.

[383] Il occupa cette charge en 376 et 377 pendant dix-huit mois.—S.-M.

[384] C'est-à-dire dans les années 378, 379 et 380.—S.-M.

[385] En 378, sans doute après Hespérius. On cite plusieurs autres parents ou alliés d'Ausone, revêtus de hautes dignités, ou qui avaient rempli de grandes charges.—S.-M.

XLIII.

[Etat de l'Arménie sous le règne de Varazdat.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 35.

Mos. Chor. l. 3, c. 40.]

—[Les désastres que la mort de Valens et l'irruption des Goths causèrent à l'empire, contraignirent encore une fois les Romains d'abandonner à leur sort les états de l'Orient, toujours menacés par les entreprises des Perses, contenus depuis long-temps par la présence de l'empereur. Heureusement que la vieillesse et les revers qu'il avait éprouvés étaient venus mettre des bornes à l'ambition de Sapor. Arrivé au terme d'un règne aussi long que sa vie, le Roi de Perse ne songeait plus qu'à passer dans le repos les années qui lui restaient. Ses généraux inquiétaient bien les frontières de l'empire, mais ce n'était que des courses isolées, sans résultat intéressant. Ce fut un bonheur pour l'empire, qui semblait menacé alors d'une destruction totale. L'Arménie, grâce aux précautions prises par Valens pour s'en assurer l'occupation militaire, avait persisté dans l'alliance des Romains; elle était pour eux un boulevard et un poste avancé de la plus grande importance, où régnait un prince que la présence des lieutenants de l'empereur, réduisait à être[Pg 153] plutôt un sujet qu'un allié. Ce n'est pas que le roi placé par Valens sur le trône des Arsacides, fût plus affectionné qu'aucun de ses prédécesseurs; mais les Romains cantonnés sur toutes ses frontières et dans le centre de ses états, ne lui permettaient pas d'hésiter. Sa nouvelle position avait changé ses sentiments: son dévouement à la cause des Romains, qui lui avait mérité la couronne, avait fait place au désir de régner en monarque indépendant. Le joug lui pesait, et il ne songeait qu'à s'en délivrer. Son courage à toute épreuve, son habileté à la guerre, lui auraient fait tout oser; mais par malheur Varazdat était loin d'avoir assez de prudence et de capacité pour concevoir un plan et le mettre à exécution. Faible de caractère, il fut bientôt le jouet de ses courtisans, qui furent sous son nom les maîtres du royaume, qu'ils remplirent de troubles[386]. Tous les jeunes seigneurs qui avaient été les compagnons de son enfance, obtinrent un grand crédit sur son esprit; leur vanité présomptueuse flatta les idées d'indépendance qu'il nourrissait déjà. Le prince des Saharhouniens[387] Bad, qui l'avait élevé, et qui était ennemi de Mouschegh, dont il ambitionnait la place, acquit bientôt la plus grande influence dans ses conseils; et sans la crainte qu'inspiraient les troupes romaines et le connétable, qu'on savait être attaché au parti de l'empire, Varazdat se serait jeté dans les bras du roi de Perse, avec lequel il était secrètement en relation.[Pg 154] Celui-ci lui promettait, pour prix de sa défection, son alliance, ses soldats et la main de sa fille[388].]

[386] On a déja pu voir ci-devant, § 10, p. 111, note 2, que Valens, avant de quitter Antioche pour marcher contre les Goths, avait envoyé le général Victor, l'ancien compagnon de Julien, pour arranger les affaires de l'Arménie, alors agitée de troubles, ut super Armeniæ statu, dit Ammien Marcellin, l. 31, c. 7, pro capturerum componeret impendentium.—S.-M.

[387] La position du canton des Saharhouniens n'est pas connue. Il paraît cependant qu'il était dans la partie orientale de l'Arménie, vers les frontières de l'Albanie.—S.-M.

[388] Moïse de Khoren dit, l. 3, c. 40, que Varazdat avait envoyé à Sapor des députés chargés de lui offrir la soumission du royaume d'Arménie, s'il voulait consentir à lui donner une de ses filles pour épouse.—S.-M.

XLIV.

[Assassinat du connétable Mouschegh.]

[Amm. l. 31, c. 7.

Faust. Byz. l. 5, c. 35, 36 et 37.]

—[Cependant Varazdat accueillait avec empressement toutes les calomnies qu'on répandait contre le connétable. Les imputations odieuses déjà alléguées sous le règne de Para, se renouvelèrent[389]. Mouschegh avait, disait-on, favorisé Sapor, qu'il pouvait faire périr. On lui reprochait ses égards pour la femme du roi de Perse, qui avait été sa captive, et l'humanité qu'il avait montrée envers ses prisonniers persans. C'étaient là autant de trahisons. On lui faisait un crime d'avoir épargné le roi d'Albanie, qu'il pouvait immoler[390]; enfin on allait jusqu'à l'accuser de la mort de Para, qui avait été selon ses ennemis concertée entre lui et les généraux romains. Il ne réservait pas, ajoutait-on, un sort moins cruel à Varazdat. Il était évident, que si on ne se hâtait de le prévenir, après avoir égorgé son souverain, il livrerait l'Arménie aux Romains, et avec leur secours s'y ferait déclarer roi: ce qui était assez prouvé par le soin qu'il avait eu de remettre aux troupes impériales les places les plus fortes et les plus avantageusement situées. Ces accusations absurdes furent accueillies avec empressement par le roi; convaincu que Mouschegh était son plus implacable ennemi, il s'occupa secrètement des moyens de le faire périr; mais les Romains le gênaient. Il fut ainsi contraint d'ajourner ses desseins jusqu'à ce qu'il se présenta des circonstances plus favorables.[Pg 155] Elles ne tardèrent pas. Valens ayant été obligé de rappeler Trajan et toutes ses troupes, pour les envoyer sur le Danube repousser les Goths, Varazdat se trouva sans partage souverain maître de l'Arménie. Il ne perdit pas de temps pour mettre son projet à exécution, et s'assurer une pleine indépendance. Mouschegh était le principal obstacle à son accomplissement; il résolut donc de s'en défaire promptement. Appelé à un superbe festin, le connétable s'y rendit sans défiance; et au milieu de la fête, douze assassins apostés se précipitent sur lui et le traînent devant Varazdat, en lui reprochant la mort de Para, dont il était innocent. Le prince des Saharhouniens lui plonge alors son poignard dans le sein, et lui coupe la tête. Ainsi périt misérablement le guerrier généreux qui avait délivré l'Arménie du joug des Perses. La place de connétable fut donnée à son lâche assassin, et Vatché, son parent, fut déclaré prince des Mamigoniens. Mouschegh laissait un fils bien jeune encore, qui s'appelait Hamazasp, et fut père de Vartan, que les Arméniens placent au nombre des grands hommes qui ont illustré leur pays. Hamazasp fut conduit dans les possessions que sa famille avait dans la province de Daik[391], dans le nord du royaume.]

[389] Voyez t. 3, p. 379 et 381, l. XVII, § 65 et 66.—S.-M.

[390] Voyez t. 3, p. 381, l. XVII, § 66.—S.-M.

[391] Il est remarquable que Moïse de Khoren ne parle qu'une seule fois, l. 3, c. 37, de Mouschegh, et pour dire qu'il blessa le roi d'Albanie à la bataille de Dsirav. Voyez tom. 3, p. 381, liv. XVII, § 66. Du reste il passe entièrement sous silence les victoires de ce général et les services qu'il rendit à sa patrie. En parlant d'Hamazasp, qui épousa la fille du saint patriarche Sahag, et fut père de Vartan, il néglige également de rappeler qu'il était fils de Mouschegh. Il est difficile de rendre raison d'une pareille réticence. Moïse de Khoren ne parle pas davantage de Manuel, frère de Mouschegh, dont il va bientôt être question, et qui se rendit aussi célèbre en Arménie. L'histoire d'Arménie, composée par cet auteur, est adressée à un prince de la race des Pagratides. Est-ce à cause de cette famille puissante et rivale de celle des Mamigoniens, qu'il a passé sous silence les belles actions de ces derniers, ou Mouschegh et Manuel auraient-ils eu avec les Pagratides des démêlés actuellement inconnus, que l'auteur arménien n'osait rappeler au souvenir d'un Pagratide. Je suis d'autant plus porté à le croire, que la défaite totale de Méroujan, le fameux dévastateur de l'Arménie, est attribuée à Sempad le Pagratide dans Moïse de Khoren, l. 3, c. 37, tandis qu'il est constant par le récit de Faustus de Byzance, l. 5, c. 43, que cette défaite fut un des exploits de Manuel le Mamigonien.—S.-M.

[Pg 156]

XLV.

[Manuel son frère se révolte contre Varazdat.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 37.]

—[Lorsque le roi Arsace était tombé entre les mains des Perses, avec le connétable Vasag, père de Mouschegh, deux des enfants de ce général avaient partagé leur sort. Ils se nommaient Manuel et Gouen. A l'exemple de beaucoup d'autres Arméniens, ces deux princes s'étaient mis au service de Sapor, qui les avait employés dans ses guerres contre le grand roi des Arsacides qui dominait sur les peuples du Kouschan[392]. Manuel et son frère s'y comportèrent vaillamment; mais la campagne fut malheureuse, et ils perdirent les récompenses que leur courage aurait mérité. Les troupes persanes victorieuses dans une première affaire, éprouvèrent ensuite des revers, et l'armée de Sapor fut entièrement détruite dans une seconde bataille. Manuel, son fils Ardaschir et son frère furent presque les seuls qui échappèrent, après avoir glorieusement combattu. Le désastre de son armée rendit le roi de Perse injuste envers les guerriers Mamigoniens; il les accabla de reproches et d'outrages, les chassa ignominieusement de sa présence, et les renvoya dans leur pays, comme des lâches indignes de le servir. Ils furent obligés de continuer leur route à pied. Manuel était blessé, il ne pouvait marcher, et son frère fut contraint de le porter pendant[Pg 157] une partie du chemin, mais à la fin ils parvinrent à atteindre le pays de Daron, héritage des Mamigoniens[393]. A peine y furent-ils arrivés, que Vatché investi depuis peu de la souveraineté par Varazdat, se hâta de s'en démettre en faveur de Manuel, à qui elle appartenait légitimement, parce qu'il était l'aîné de la famille. Manuel n'attendit pas les ordres de Varazdat pour en prendre possession, et il ne tarda pas à lui écrire pour lui reprocher le meurtre de Mouschegh, et pour revendiquer la place de connétable donnée au prince des Saharhouniens. Depuis long-temps, lui disait-il, nos ancêtres se sont dévoués au service des Arsacides; nous nous sommes sacrifiés pour eux; mon père Vasag est mort pour Arsace; nous n'avons épargné ni nos biens, ni nos vies: les uns ont succombé sous le fer de vos ennemis, et ceux qui leur ont échappé ont péri par tes ordres: telle a été leur récompense. Le Vaillant Mouschegh, mon frère, qui dès son enfance a combattu pour l'Arménie, qui a vaincu et anéanti les ennemis de notre patrie, est tombé victime d'un lâche assassinat. Non, tu n'es pas du sang des Arsacides, tu n'es que le fils de l'adultère. Nous ne sommes pas vos serviteurs, mais vos alliés et même vos supérieurs; car nos aïeux étaient souverains de la Chine[394]. Des discordes de famille nous ont chassé de notre patrie; nous sommes[Pg 158] venus parmi vous; nous y avons trouvé le repos et nous nous y sommes fixés. Les premiers rois Arsacides savaient qui nous étions, et tu nous méconnais, parce que tu n'es pas de leur sang. Sors donc de l'Arménie, si tu ne veux mourir de mes mains. Varazdat qui croyait avoir puni dans Mouschegh l'assassin de son frère, ne répondit pas à cette lettre en des termes moins fiers et moins outrageants. La guerre civile menaça d'étendre alors ses ravages sur toute l'Arménie, et les deux adversaires se préparèrent à une lutte qui ne pouvait se terminer que par la ruine totale de l'un ou de l'autre.]

[392] Telles sont les expressions employées par Faustus de Byzance, l. 5, c. 37. On peut, au sujet de ce peuple et de cette branche de la race Arsacide, voir ce que j'ai dit, t. 3, p. 385-387, l. XVII, § 67, et p. 386, not. 2 et 4.—S.-M.

[393] Voyez t. 2, p. 211, liv. X, § 4.—S.-M.

[394] Il n'y a pas de doute que le pays, appelé Djénastan, et les peuples, nommés Djen, par les Arméniens, ne soient la Chine et les Chinois. Je crois avoir établi ce fait dans une dissertation sur l'origine de la famille chinoise des Orpéliens, établie en Géorgie; dissertation que j'ai insérée dans le t. 2, p. 15-55, de mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie. On peut voir aussi ce que j'ai dit t. 2, p. 212, liv. X, § 4, sur les événements qui amenèrent les Mamigoniens en Arménie—S.-M.

XLVI.

[Varazdat est détrôné.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 37.

Mos. Chor. l. 3, c. 40.]

—[Varazdat et Manuel se trouvèrent bientôt en présence; leurs armées se rencontrèrent dans le canton de Carin[395], et elles en vinrent aux mains. Les deux chefs se cherchèrent au fort de la mêlée, et un combat singulier s'engagea entre eux: le courage, l'adresse et l'habileté de Varazdat ne purent prévaloir contre le courage non moins grand de Manuel, tout couvert de fer[396] et doué d'ailleurs d'une taille et d'une force extraordinaires. Varazdat eut du désavantage, et fut contraint de prendre la fuite; les deux fils de Manuel, Hamazasp et Ardaschir s'attachèrent à sa poursuite, et ils l'eussent tué, si leur père, qui avait horreur de commettre un régicide,[Pg 159] ne les en eût empêchés. Il respecta la dignité royale dans le meurtrier de son frère, et le laissa échapper. La fuite de Varazdat acheva la défaite de son armée; les soldats de Manuel en firent un horrible massacre: des monceaux de cadavres couvrirent le champ de bataille. Un grand nombre de seigneurs y trouvèrent la mort; pour les autres ils évitèrent par une prompte retraite un pareil sort. Le prince des Rheschdouniens Garégin, le mari de l'infortunée Hamazaspouhi, qui avait éprouvé de la part de Sapor et de Méroujan[397] un si cruel traitement, combattit vaillamment pour Varazdat. Renversé au fort de la mêlée, il allait périr étouffé sous un amas de morts, quand il fut dégagé par le prince Mamigonien Hamazaspian, qui était uni avec lui par des liens de parenté. L'artisan de tous les malheurs de Varazdat, qui par ses perfides conseils avait causé la perte de Mouschegh, fut pris avec son fils. On les amena devant Manuel, qui fit égorger le fils d'abord: on trancha ensuite la tête au coupable Bad et à tous ceux qui avaient partagé ses crimes. Après un tel désastre, il ne resta plus aucun espoir à Varazdat de pouvoir se maintenir dans l'Arménie, dont il avait porté la couronne pendant quatre années[398]. Il fut bien malgré lui contraint de se retirer auprès des généraux romains postés sur les frontières du royaume, et qui avaient déjà informé l'empereur[399] de ses[Pg 160] liaisons criminelles avec les Perses. Varazdat espérait pouvoir se justifier auprès de ce prince; mais celui-ci, irrité au dernier point, refusa de l'admettre en sa présence, le fit charger de fers et l'envoya en exil à l'extrémité de l'empire, dans l'île de Thulé, à ce que disent les écrits arméniens[400].]

[395] Le canton de Carin, appelé Caranitis par les auteurs anciens, répond au territoire d'Arzroum, que les Arméniens appellent encore actuellement du nom de Carin ou Garin. Voyez mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 44 et 66.—S.-M.

[396] Il était, dit Faustus de Byzance, l. 5, c. 37, revêtu d'une forte armure de fer qui le couvrait de la tête aux pieds, monté sur un cheval robuste également armé. Comme les guerriers du moyen âge, les cavaliers arméniens se couvraient eux et leurs chevaux d'armures complètes, qui les mettaient à l'abri de toutes les atteintes de l'ennemi. Ammien Marcellin donne, l. 24, c. 4 et 6, et l. 25, c. 1, la description de leur costume de guerre. Voyez t. 3, p. 97, 114 et 131, not. 1.—S.-M.

[397] Voyez t. 3, p. 365, l. XVII, § 59.—S.-M.

[398] Le roi Bab ou Para avait été mis à mort en l'an 374; c'est donc en l'an 378 que tombe la fin du règne de Varazdat. Tous les écrivains arméniens lui donnent un règne de quatre ans.—S.-M.

[399] Il paraît que cet empereur était Théodose. Les Arméniens et Moïse de Khoren en particulier, l. 3, c. 40, le disent; il n'y a aucune raison valable pour ne pas admettre leur témoignage: cependant il serait possible aussi que ce fût Gratien, qui régnait alors. Mais, comme ainsi qu'on va le voir, Théodose monta sur le trône, peu après le 19 janvier 379, il se pourrait que l'exil de Varazdat, dont il sera question dans la note ci-après, ne se fût effectué que sous le règne de Théodose. On conçoit alors comment les Arméniens auront attribué à Théodose la destitution de Varazdat.—S.-M.

[400] Il l'envoya, dit Moïse de Khoren, l. 3, c. 40, à Thoulis, île de l'océan. On voit par ce que rapporte Procope, de bel. Goth. l. 2, c. 15, que les Romains et les Grecs de Constantinople donnaient alors le nom de Thulé à la Scandinavie, et qu'ils connaissaient fort bien cette presqu'île. Ces notions exactes leur venaient sans doute des Goths et des autres barbares, qui s'étaient établis sur le territoire de l'empire, et qui étaient eux-mêmes en relation avec ce pays éloigné, d'où quelques-uns d'entre eux tiraient leur origine. On est assez généralement d'accord de regarder l'attribution faite par Procope du nom de Thulé à la Scandinavie, comme l'emploi abusif d'une dénomination qui s'appliquait à une île située au nord dans l'océan Britannique, et rendue célèbre par les découvertes du fameux navigateur Pythéas de Marseille. Je connais toutes les opinions émises sur ce point difficile de géographie ancienne. Elles me semblent peu satisfaisantes, et je ne vois aucune solide raison qui puisse empêcher de croire que cette dénomination n'ait pu effectivement s'appliquer à toute la Scandinavie, connue seulement alors par les relations des navigateurs venus des îles Britanniques. Je ne vois pas pourquoi l'emploi de cette appellation ne serait qu'une hypothèse du seul Procope, lui qui pouvait peut-être encore consulter les écrits de Pythéas, ou au moins des ouvrages dans lesquels les découvertes du navigateur marseillais devaient être décrites avec plus de détails que dans les livres que nous possédons. Mais, quand on admettrait avec moi que le nom de Thulé doit s'appliquer ordinairement dans les auteurs anciens à la Scandinavie, ou quand il ne serait que la désignation vague de toute terre située le plus au nord au-delà de la Grande-Bretagne, il ne s'ensuivrait pas de là qu'on dût nécessairement croire que l'empereur romain eût exilé un roi d'Arménie dans une région si reculée, si éloignée des frontières de l'empire et hors des limites de sa domination: il est bien probable que Varazdat fut relégué dans une contrée lointaine, mais cependant soumise à sa puissance. Indépendamment de son application géographique, destinée à désigner la région la plus septentrionale du monde connu, ce nom s'employait aussi, d'une manière vague et indéterminée, pour indiquer, un pays très-reculé vers le nord et situé à la dernière extrémité du monde connu. Il pourrait donc se faire que les Romains eussent donné le nom de Thulé à la partie la plus reculée de l'empire vers le nord. Ce qui me porte à croire qu'il en fut effectivement ainsi, c'est un passage d'un écrivain latin de l'Angleterre, appelé Richard de Cirencester (Richardus Corinensis), qui vivait vers le 14e siècle, mais qui a pu puiser ses renseignements dans des auteurs plus anciens. Il est évident, au reste, qu'il en est ainsi pour divers faits qui nous sont bien connus, par des auteurs qui existent encore. Cet historien fait mention d'une province romaine qui exista autrefois dans les îles britanniques, et qu'il nomme Vespasiana. Cette province, dont il n'est question nulle part ailleurs, était formée d'une partie de l'Écosse septentrionale au nord du Forth et de la Clyde, au-delà du rempart élevé par les ordres d'Antonin le Pieux. Elle s'étendit, à ce qu'il paraît, jusqu'aux environs d'Inverness. Les détails que donne cet auteur paraissent mériter toute confiance; il y joint un itinéraire de cette partie de l'Écosse, semblable aux autres monuments de ce genre que les Romains nous ont transmis. Celui-ci ne paraît pas moins authentique. Cette province, selon cet écrivain, fut constituée du temps d'Antonin le Pieux, par suite des victoires de Lollius Urbicus, lieutenant de cet empereur, mentionné déja dans la vie d'Antonin par Jules Capitolin. Britannos, dit Richard de Cirencester, per Lollium Urbicum proprætorem, et Saturninum præfectum classis vicit. Cette province fut appelée Vespasiana, en l'honneur de la famille de Domitien, sous le règne duquel elle avait été conquise pour la première fois. En effet, c'est sous cet empereur que les victoires d'Agricola portèrent les armes romaines jusqu'à l'extrémité de l'île. Voici le texte de Richard. Hæc provincia dicta est in honorem familiæ Flaviæ, cui suam Domitianus imperator originem debuit, et sub quo expugnata, Vespasiana. Les vestiges de voie romaine et les inscriptions latines trouvées dans cette partie de l'Écosse, sont la preuve de l'existence de cette province. Richard de Cirencester ajoute que, sous les derniers empereurs, il croit quelle fut appelée Thulé; et, ni fallor, sub ultimis imperatoribus, nominata erat Thule, et il pense que c'est d'elle que Claudien a voulu parler, de qua Claudianus vates his versibus facit mentionem, dans ces vers (de 4º cons. Hon. v. 32,) où il dit que Thulé fut échauffée du sang des Pictes, et que la froide Ierne pleura des monceaux de Scots.

....... incaluit Pictorum sanguine Thule;
Scotorum cumulos flevit glacialis Ierne.

Comme Ierne est l'Irlande, habitée alors par les Scots, on ne peut guère douter que le poète n'ait voulu désigner par le nom de Thulé la terre occupée par les Pictes, c'est-à-dire l'Écosse septentrionale; ceci est d'autant plus vraisemblable, qu'il dit un peu avant, maduerunt Saxone fuso Orcades, ce qui fait voir que le nom de Thulé, ne peut s'appliquer aux Orcades. Ces vers se rapportent aux conquêtes de Théodose, père de l'empereur du même nom, qui poussa ses conquêtes jusqu'à l'extrémité de l'Écosse. C'est à ses victoires qu'on fut redevable de l'établissement de la province de Valentia, formée de la partie méridionale de l'Écosse, possédée autrefois et ensuite perdue par les Romains, ainsi que la Vespasiane. Il est à remarquer encore que la dénomination de la province fondée par Théodose, est tout-à-fait du même genre, se rapportant à Valentinien, sous le règne duquel elle fut érigée. Le général de ce prince pénétra alors dans l'ancienne Vespasiane, qui rentra en tout ou en partie, sous la domination de l'empire et put recevoir le nom de Thulé, comme étant située dans la partie la plus septentrionale et la plus reculée du monde romain. On conçoit alors que Théodose ait pu reléguer dans cette région lointaine et barbare un prince dont il avait à se plaindre. Les îles britanniques étaient un lieu d'exil rigoureux. On en voit plusieurs exemples dans l'histoire de l'empire, et on pourrait indiquer d'autres princes arméniens qui y avaient été envoyés.—S.-M.

[Pg 161]

XLVII.

[Manuel est maître de l'Arménie.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 37 et 42.]

—[La fuite de Varazdat laissa l'Arménie toute entière au pouvoir de Manuel, qui rassembla aussitôt les seigneurs du royaume, pour conférer avec eux sur[Pg 162] les mesures qu'il fallait prendre pour le salut du pays. Il fit venir la reine Zarmandokht, veuve de Para, et ses deux fils, Arsace et Valarsace[401], trop jeunes encore pour qu'ils pussent régner. Manuel les traita avec tous les égards dus à leur illustre naissance. Il les fit élever royalement, en attendant qu'il pût leur remettre un jour le rang suprême, puis du consentement de leur mère et des grands de l'état, il prit les rênes du gouvernement et administra le pays avec la plénitude du pouvoir souverain. Tout fut remis sur l'ancien pied; les seigneurs qui avaient été dépossédés de leurs principautés, y furent réintégrés, et bientôt la plus grande tranquillité régna dans toute l'Arménie. La famille de Siounie, qui avait tant souffert au milieu de ces révolutions, et qui avait été presque toute exterminée par Sapor[402], fut rétablie dans son ancien rang. Babik, Sam et Valinak en étaient les derniers rejetons. Babik fut déclaré prince de Siounie, et ses frères furent pourvus de charges honorables. Ces changements n'étaient cependant[Pg 163] pas de nature à satisfaire les Romains: Manuel le savait, et il songeait aux moyens de se mettre à l'abri du ressentiment de l'empereur. La position critique où étaient alors les affaires des Romains, dont toutes les forces étaient occupées dans la Thrace et sur les rives du Danube, les empêchèrent de se mêler des révolutions survenues en Arménie. Toutefois il n'était guère douteux que s'ils parvenaient à triompher des Barbares, ils ne cherchassent à rétablir leur autorité dans ce pays; c'est pour cette raison que Manuel songea à s'assurer contre eux de l'alliance des Persans.]

[401] Voy. t. 4, p. 27, liv. XIX, § 19.—S.-M.

[402] Voy. t. 3, p. 360, liv. XVII, § 58.—S.-M.

XLVIII.

[Alliance des Arméniens avec les Perses.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 38.]

—[De concert avec la reine, Manuel fit partir une nombreuse ambassade, à la tête de laquelle il plaça le prince Gardchouil Malkhaz, dynaste des Khorhkhorhouniens[403]. Il fut chargé de présenter à Sapor, de la part de Zarmandokht et du connétable, des présents magnifiques et des lettres, dans lesquelles ils offraient de soumettre l'Arménie à ses lois, en échange des secours qu'ils lui demandaient. Après tant de travaux, Sapor obtint sans aucune peine, et par le libre consentement des Arméniens, ce qui avait toujours été l'objet constant de ses désirs. Il fut ravi de joie, et il en donna d'éclatantes marques aux envoyés de Manuel, qui furent comblés de ses dons. Le général Suréna[404] et plusieurs autres seigneurs persans furent chargés de reconduire[Pg 164] les ambassadeurs arméniens, avec un corps de dix mille cavaliers armés de toutes pièces[405], destinés à défendre la reine Zarmandokht et ses enfants contre toutes les attaques de ses ennemis et des Romains. Suréna fut en outre chargé par son souverain d'offrir à la reine un diadème et des ornements royaux d'une magnificence extrême. Des présents semblables furent destinés pour les deux fils de Zarmandokht et pour Manuel. Les seigneurs ne furent pas traités avec des attentions moins flatteuses. Une telle conduite lui gagna tous les cœurs; les malheurs qu'il avait causés autrefois à l'Arménie furent oubliés; et, sous la protection des troupes persanes, la plus profonde paix régna dans ce pays. Suréna résida en Arménie avec le titre persan de Marzban, c'est-à-dire de commandant de frontière[406], dignité très-relevée, et qui conférait une grande puissance à celui qui en était revêtu. Les Arméniens profitèrent de la position difficile où se trouvait alors l'empire, pour seconder les opérations militaires des Persans. Tel fut le changement politique qui s'opéra dans l'Arménie, sous le gouvernement de Manuel.—S.-M.

[403] Le pays des Khorhkhorhouniens compris dans la grande province de Douroupéran, était situé au nord-ouest du lac de Van, et possédé par une famille issue de Haïk, premier roi de l'Arménie, par un nommé Khorh, qui avait fixé son séjour dans la région qui prit ensuite son nom. Cette famille fut appelée à une époque plus moderne Malkhazouni, à cause d'un certain Malkhaz, qui en était le chef au temps de Valarsace premier roi arsacide d'Arménie, au deuxième siècle avant notre ère. Voyez mes Mémoires historiques et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 100 et 247-249.—S.-M.

[404] Voy. t. 3, p. 79, note 2, l. XIV, § 15.—S.-M.

[405] C'est ce que les auteurs grecs et latins appellaient des cataphractaires.—S.-M.

[406] Voyez t. 1, p. 408, note 2, l. VI, § 14.—S.-M.

An 379.

XLIX.

Théodose empereur.

Greg. Naz. or. 4, t. 1, p. 214.

Pacat. paneg. c. 11 et 12.

Them. or. 14, p. 182, or. 16, p. 207.

Claud. de 4º cons. Hon. Aug. de civ. l. 5, c. 25, t. 7, p. 142.

Sidon. Apol. carm. 5, v. 106-110.

Zos. l. 4, c. 24.

Vict. epit. p. 232.

Socr. l. 5, c. 2.

Theod. l. 5, c. 6.

Soz. l. 7, c. 2

Idat. chron. et fast.

Prosper, chr.

Marc. Chr.

Chron. Alex. p. 303.

Zon. l. 13. t. 2. p. 34.

Till. Grat. art. 9.

L'empire ne s'était jamais vu si près de sa perte. Les Barbares septentrionaux, arrêtés jusqu'alors par le Danube, avaient franchi cette barrière. La Thrace, la Dacie, l'Illyrie n'étaient couvertes que de sang et de cendres. Les Francs, les Allemands, les Suèves, et les autres nations germaniques murmuraient au-delà du Rhin: ils se préparaient à s'emparer de la Gaule, qui[Pg 165] leur avait déjà coûté tant d'efforts, et dont la conquête irritait toujours leurs désirs[407]. Les Ibériens, les Arméniens[408], les Perses menaçaient les bords du Tigre et de l'Euphrate[409]. Il semblait que le moment était arrivé, où l'univers vaincu par les Romains allait rompre ses fers et enchaîner ses anciens maîtres. Gratien, âgé de vingt ans, ne pouvait trouver assez de ressources ni en lui-même, ni dans un enfant tel que son frère Valentinien, qui entrait dans sa huitième année. Il avait besoin d'un bras puissant, qui l'aidât à soutenir un fardeau prêt à l'accabler. Il eut assez de sagesse pour le sentir, et de force d'esprit pour le déclarer. Nul autre motif que l'intérêt public ne le détermina dans son choix. Il jeta les yeux sur Théodose, âgé pour lors de trente-trois ans, et qui joignait à la plus brillante valeur la prudence d'un âge avancé. C'était celui que tout l'empire aurait nommé, s'il eût été à son choix de se donner un maître. Le jeune empereur, s'il n'eût consulté qu'une politique jalouse et timide, aurait craint et les vertus et le ressentiment de Théodose, dont il avait sacrifié le père à une cruelle calomnie. Mais n'étant pas moins assuré de sa grandeur d'âme que de[Pg 166] sa capacité, il le fit venir à Sirmium; et comme il agissait avec franchise, et qu'il avait pris fermement son parti, il lui déclara, en présence de toute sa cour, qu'il voulait l'associer à l'empire. Théodose, instruit par les malheurs de sa famille, n'attendait qu'une disgrâce pour récompense de ses services. Lorsque le diadème lui fut présenté de la main de l'empereur, il n'en fut pas ébloui; il n'y vit que les pénibles devoirs et les dangers du pouvoir suprême; et plus effrayé de la déclaration de Gratien, qu'il ne l'eût été d'une sentence d'exil, il refusa avec une sincérité capable de convaincre les courtisans mêmes[410]. Il ne se rendit qu'avec beaucoup de peine aux ordres réitérés du prince, et n'accepta la souveraineté que par un dernier acte de soumission et d'obéissance. Il reçut le titre d'Auguste le 19 janvier de l'année 379.

[407] Nescis me tibi, tuisque decrescere? Quidquid atterit Gotthus, quidquid rapit Hunnus, quidquid aufert Alanus, id olim desiderabit Arcadius. Perdidi infortunata Pannonias; lugeo funus Illyrici; specto excidium Galliarum. Pacat. pan. c. 11.—S.-M.

[408] Les hostilités des Arméniens qui n'étaient connues jusqu'à présent, que par un passage assez vague de l'orateur Thémistius, qui sera rapporté dans la note ci-après, devront désormais être regardées comme des faits hors de doute après les détails que j'ai donnés, § 47 et 48, p. 161-164, et qui sont tous tirés des auteurs arméniens.—S.-M.

[409] Ἀλλὰ καὶ συνελθούσης ἐπὶ τοὺς βαρβάρους τὰ τελευταῖα σχεδὸν ἁπάσης γῆς καὶ θαλάττης, καὶ περιστάντων αὐτοὺς ἔνθεν καί ἔνθεν Κελτῶν, Ἀσσυρίων, Ἀρμενίων, Λιβύων, Ἰβήρων, ὅσοι Ῥωμαίων προβέβληνται, ἐξ ἐσχάτων εἰς ἔσχατα γῆς. Them., or. 16, p. 207.—S.-M.

[410]

Non generis dono, non ambitione potitus;
Digna legi virtus: ultro se purpura supplex
Obtulit, et solus meruit regnare rogatus.

Claudian. de 4º cons. Honor. v. 46, et seq.—S.-M.

L. Partage de l'empire.

Le choix du nouveau Trajan fut applaudi de tout l'empire. On comparait Gratien à l'empereur Nerva. Les envieux n'osèrent murmurer qu'en secret, et furent les plus empressés à témoigner leur joie. Gratien partagea les provinces avec son collègue; il lui donna tout ce qu'avait possédé Valens, c'est-à-dire, l'Orient et la Thrace; il lui céda même une grande partie de l'Illyrie, qui fut alors divisée en deux. La Pannonie, le Norique et la Dalmatie demeurèrent à l'empire d'Occident. La Dacie, la Mésie, la Dardanie, la Prévalitaine, la Macédoine, l'Épire, la Thessalie, l'Achaïe, c'est-à-dire toute l'ancienne Grèce, en y comprenant[Pg 167] le Péloponèse, la Crète, et toutes les îles, furent attachées à l'empire d'Orient. La plupart de ces provinces étaient occupées ou désolées par les Barbares; et ce n'était donner à Théodose qu'un accroissement de travaux et de périls. Thessalonique devint la capitale de l'Illyrie orientale, qui fut gouvernée par un préfet du prétoire particulier. Le gouvernement de l'Illyrie occidentale entra dans le département du préfet du prétoire d'Italie. Entre les généraux qui avaient jusqu'alors servi en Occident, Richomer et Majorien s'attachèrent à Théodose. Majorien avait succédé au comte Maurus dans l'emploi de général des troupes d'Illyrie: il fut l'aïeul maternel de l'empereur qui porta son nom dans la suite. Après ce partage, qui donnait à l'empire d'Orient une plus vaste étendue, Gratien s'arrêta encore quelque temps à Sirmium, et Théodose alla commencer à Thessalonique le cours d'un règne à jamais mémorable.

FIN DU LIVRE VINGTIÈME.


[Pg 168]

LIVRE XXI.

I. Théodose à Thessalonique. II. Belles qualités de Théodose. III. Calomnies de Zosime réfutées. IV. Fautes de Théodose. V. Caractère de Flaccilla. VI. Famille de Théodose. VII. Théodose délivre la Thrace. VIII. Exploit du général Modarius. IX. Gratien à Milan. X. Il retourne dans les Gaules. XI. Baptême de Théodose. XII. Lois de Théodose concernant la religion. XIII. Lois civiles. XIV. Théodose envoie en Égypte un grand nombre de Goths. XV. Division entre les Goths. XVI. Gratien se prépare à repousser les Goths. XVII. Avantages de Gratien et de Théodose sur les Goths. XVIII. Théodose à Constantinople. XIX. Loi contre les hérétiques. XX. Théodose se concilie l'amour des peuples. XXI. Athanaric vient à Constantinople. XXII. Intrigue de Maxime le Cynique. XXIII. Concile de Constantinople où saint Grégoire est confirmé dans l'épiscopat. XXIV. Troubles dans le concile au sujet du successeur de Mélétius. XXV. Saint Grégoire abdique l'épiscopat. XXVI. Il obtient le consentement de Théodose. XXVII. Élection de Nectarius. XXVIII. Décrets du concile. XXIX. Lois de Théodose contre les Hérétiques à l'occasion de ce concile. XXX. Lois en faveur des évêques. XXXI. Concile d'Aquilée. XXXII. Suite des intrigues de Maxime. XXXIII. Concile de Rome et de Constantinople. XXXIV. Troisième concile de Constantinople. XXXV. Loi sur les sacrifices. XXXVI. Exploits de cette année. XXXVII. Les Goths se soumettent à l'empire. XXXVIII. Divers effets de la clémence de Théodose. XXXIX. Famine à Antioche. XL. Lois de Théodose. XLI. Lois de Gratien. XLII. Saint Ambroise obtient la grace d'un criminel. XLIII. Gratien travaille à la destruction de l'idolâtrie. XLIV. Famine dans Rome. XLV. Discours d'Anicius Bassus. XLVI. Gratien se rend odieux. XLVII. Caractère de Maxime. XLVIII. Il est proclamé empereur.[Pg 169] XLIX. Il marche contre Gratien. L. Mort de Gratien. LI. Circonstances de sa mort.

GRATIEN, VALENTINIEN II, THÉODOSE.

An 379.

I.

Théodose à Thessalonique.

Themist. or. 14, p. 180 et seq.

Liban. de ulcisc. mort. Jul.

Zos. l. 4, c. 25.

Jornand. de reb. Get. c. 27.

La défaite de Valens semblait devoir entraîner la ruine de l'empire. A la vue de Théodose élevé sur le trône, l'audace des vainqueurs s'arrêta, et le courage revint aux vaincus: tous connaissaient sa capacité et sa valeur. Le nouvel empereur reçut à Thessalonique des députés de toutes les provinces orientales. Ils obtinrent pour leurs villes et pour eux-mêmes tout ce que la justice permettait de leur accorder. Thémistius, à la tête des principaux sénateurs de Constantinople, pria le prince de venir au plus tôt se montrer à sa capitale; il demanda pour la ville la confirmation de ses priviléges, et pour le sénat de nouveaux honneurs, qui pussent l'élever à la dignité du sénat romain, comme la nouvelle Rome égalait déja l'ancienne par la magnificence des édifices, des statues et des aquéducs. Libanius, toujours inconsolable de la perte de son crédit, tenta dans ces premiers moments de prévenir Théodose en faveur de l'idolâtrie; il lui adressa un discours pour l'exciter à venger la mort de Julien, attribuant à l'oubli de cette vengeance tous les malheurs de l'État; il prétendait que le silence des oracles était une marque sensible de la colère des dieux, qui ne daignaient plus donner de conseils aux hommes. Les vaines remontrances de ce fanatique ne produisirent d'autre effet que de le rendre méprisable.

[Pg 170]

II.

Belles qualités de Théodose.

Pacat. paneg. c. 14.

Vict. epit. p. 232 et 233.

Themist. or. 15, p. 190 et seq.

L'empereur ne s'occupait que des moyens de soulager les peuples et de relever l'honneur de l'empire. Le diadème qu'il n'avait pas désiré, n'altéra rien dans son caractère. Aussi chaste, aussi humain, aussi désintéressé qu'il l'avait été dans sa vie privée, il ne se permettait que ce que les lois lui avaient toujours permis. Sensible à l'amitié, ami des hommes vertueux, fidèle dans ses promesses, libéral et donnant avec grandeur, communicatif et d'un accès facile, il ne voyait, dans la souveraineté, que le pouvoir d'étendre ses bienfaits. Un jour qu'il commettait des juges à l'examen d'une conspiration qu'on prétendait formée contre sa personne, comme il les exhortait à procéder avec équité et avec douceur: Notre premier soin, dit un des commissaires, doit être de songer à la conservation du Prince. Songez plutôt à sa réputation, repartit Théodose: l'essentiel pour un prince n'est pas de vivre long-temps, mais de bien vivre. Son extérieur noble et majestueux attirait le respect; sa bonté inspirait la confiance. Prudent et circonspect dans le choix des magistrats, il eut, en arrivant à l'empire, le singulier bonheur d'en trouver en place un grand nombre, tels qu'il les aurait choisis. Il n'était pas savant; mais il avait un goût exquis pour tout ce qui regarde la littérature, et il aimait les gens de lettres, pourvu que l'usage qu'ils faisaient de leurs talents n'eût rien de dangereux. Il s'instruisait avec soin de l'histoire de ses prédécesseurs, et ne cessait de témoigner l'horreur que lui inspiraient l'orgueil, la cruauté, la tyrannie, et surtout la perfidie et l'ingratitude. Les actions lâches et indignes excitaient subitement sa colère; mais il s'apaisait aisément, et un court délai adoucissait la sévérité[Pg 171] de ses ordres. Il savait parler à chacun selon son rang, sa qualité, sa profession. Ses discours avaient en même temps de la grâce et de la dignité. Il pratiquait les exercices du corps, sans se livrer trop au plaisir, et sans se fatiguer. Il aimait surtout la promenade; mais le travail des affaires précédait toujours le délassement. Il n'employait d'autre régime pour conserver sa santé, qu'une vie sobre et frugale, ce qui ne l'empêchait pas de donner dans l'occasion des repas, où l'élégance et la gaîté brillaient plus que la dépense. Il diminua dès le commencement celle de sa table, et son exemple tint lieu de loi somptuaire; mais il conserva toujours dans le service de sa maison cet air de grandeur qui convient à un puissant prince.

III.

Calomnies de Zosime réfutées.

Zos. l. 4, c. 27, 28 et 29.

Vict. epit. p. 232 et 233.

Ce juste tempérament d'une noble économie a prêté également aux louanges de ses panégyristes et à la censure de ses ennemis. Zosime, déclaré contre tous les princes qui ont travaillé aux progrès du christianisme, reproche à Théodose le luxe de sa table, la multitude de ses eunuques, qui disposaient, dit-il, de tous les emplois, et gouvernaient l'empereur même. Il ne tient pas à lui qu'on ne croie que ce prince, plongé dans la mollesse, endormi dans le sein des plaisirs, livré à des bouffons et à des farceurs qui corrompaient sa cour, ne fit par lui-même rien de mémorable; qu'il dut tous ses succès à ses généraux; qu'il vendait au plus offrant les charges et les gouvernements; et que, sous son règne, les provinces accablées d'impôts, épuisées par l'avarice de leurs magistrats, faisaient des vœux pour changer de maître. A ces reproches, Zosime ne manque pas d'ajouter celui d'avoir aboli le culte des dieux. Ce dernier trait décèle le ressentiment[Pg 172] de l'auteur, et l'on sent que ses invectives ne sont que le cri de l'idolâtrie terrassée. Un autre historien, païen ainsi que Zosime, mais plus équitable, fait de Théodose un héros accompli; il remarque même, comme un exemple presque unique, que ce prince devint meilleur sur le trône, et que sa grandeur fit croître ses vertus. Il le compare à Trajan, dont il lui attribue toutes les belles qualités d'esprit et de corps, sans lui donner aucun de ses vices.

IV.

Fautes de Théodose.

Zos. l. 4, c. 27.

Il faut cependant convenir qu'entre les imputations de Zosime, il en est deux qui semblent avoir quelque fondement. Théodose multiplia les commandements; au lieu de deux généraux, l'un de la cavalerie, l'autre de l'infanterie, il en établit jusqu'à cinq, et peut-être encore plus. Il doubla le nombre des préfets, des tribuns, des capitaines. Les gages de ces officiers épuisaient le trésor, et leur avarice ruinait les soldats, sur lesquels ils s'établissaient des droits arbitraires. Il commit une autre faute d'une conséquence encore plus dangereuse. Les malheurs précédents ayant diminué le nombre des troupes, il reçut dans ses armées les Barbares qui venaient d'au-delà du Danube lui demander du service: c'était altérer la discipline des légions, et donner des armes et des leçons aux ennemis de l'empire.

V.

Caractère de Flaccilla.

Ducange, fam. Byz. p. 69.

Chron. Alex. p. 305.

Greg. Nyss. de Placilla, t. 3, p. 533.

Sa femme, Ælia Flaccilla, que les Grecs nomment souvent Placilla et quelquefois Placidie, contribua beaucoup à sa gloire et au bonheur de ses sujets. Elle était Espagnole, selon le sentiment le plus suivi, fille d'Antoine, consul en 382. Jamais union ne fut mieux assortie. Ils semblaient se disputer l'un à l'autre le prix de toutes les vertus. Flaccilla secondait Théodose lorsqu'il s'agissait de fermeté et de justice; elle le devançait dans[Pg 173] les actions de douceur et de bonté; c'était un modèle de piété, de chasteté, de tendresse conjugale. Elle savait allier la modestie avec une noble hardiesse, l'humilité avec la grandeur d'âme. Pleine de foi, de zèle pour l'église, de charité pour les pauvres, elle sanctifiait son mari par son exemple et par ses conseils; elle lui répétait souvent ces paroles: Ne perdez jamais de vue ce que avez été et ce que vous êtes. Lorsqu'elle quitta l'Espagne, elle était déja mère d'un fils et d'une fille. Arcadius doit être né en 377, et Pulchérie l'année suivante.

VI.

Famille de Théodose.

Vict. epit. p. 234.

Themist. or. 16, p. 203.

Zos. l. 5, c. 2.

Symm. l. 10, ep. 57.

Claud. de laud. Serenæ et in Fescenn. et de laud. Stilic. l. 3.

Till. Theod. art. 1, et Honor. art. 1.

Théodose avait un oncle qu'on croit être Euchérius, qui fut consul en 381. Devenu empereur, il continua de l'honorer comme un second père. On sait qu'il eut une sœur, dont le nom est ignoré; et plusieurs frères plus âgés que lui, desquels on ne connaît qu'Honorius, qui mourut avant 384. Il paraît qu'ils demeurèrent en Espagne, et qu'après la mort d'Honorius, Théodose fit venir à Constantinople ses deux filles, Thermantia et Séréna. Leur mère était une dame espagnole, nommée Marie. Théodose maria l'aînée à un général que l'histoire ne nomme pas; Séréna, la cadette, épousa Stilichon. Elle était adroite, insinuante, instruite par la lecture des poètes. L'empereur l'aima par prédilection[411]; elle charmait ses chagrins, elle savait apaiser sa colère; il lui confiait ses secrets[412]. Il paraît même qu'il l'adopta;[Pg 174] du moins les enfants de Stilichon et de Séréna sont-ils appelés par Claudien, petits-fils de l'empereur[413]. L'obscurité répandue sur les parents de Théodose fait honneur à ce prince; c'est une preuve qu'il ne leur permit pas d'abuser de sa puissance, et que l'amour qu'il avait pour sa famille ne l'emporta pas sur celui qu'il devait à ses sujets.

[411]

Defuncto genitore tuo sublimis adoptat
Te patruus, magnique animo solatia luctus
Restituens, propius, quam si genuisset, amavit
Defuncti fratris sobolem.

Claud. laus Seren. v. 104 et seq.—S.-M.

[412]

Et quoties, rerum moles ut publica cogit,
Tristior, aut ira tumidus flagrante redibat,
Cum patrem nati fugerent, atque ipsa timeret
Commotum Flaccilla virum, tu sola frementem
Frangere, tu blando poteras sermone mederi.

Claud. laus Seren. v. 134 et seq.—S.-M.

[413]

Dedit hæc exordia lucis
Eucherio, puerumque ferens hic regia mater
Augusto monstravit avo; lætatus at ille
Sustulit in Tyria reptantem veste nepotem.

Claud. de laud. Stilich. l. 3, v. 176 et seq.—S.-M.

VII.

Théodose délivre la Thrace.

Zos. l. 4, c. 25.

Themist. or. 14, p. 181.

Claud. in 6º Consul. Honor. et de laud. Serenæ.

Soz. l. 7, c. 4.

Oros. l. 7, c. 34.

Jornand. de reb. Get. c. 27.

Prosp. chron.

Idat. chron. et fast.

Marcel. chr.

Le premier soin de ce guerrier actif et vigilant, fut d'assembler des troupes pour chasser les Barbares hors de la Thrace[414]. Il en avait battu l'année précédente un corps très-nombreux; mais il en restait encore la plus grande partie, divisée en plusieurs détachements, qui continuaient de ravager la province. Théodose rappela les soldats dispersés après la défaite de Valens; et, par la sévérité de la discipline, qu'il sut tempérer de douceur et de largesses faites à propos, il fit renaître leur ancien courage. Il rassura les habitants des campagnes; et de timides fugitifs, il en fit des soldats qui ne respiraient que vengeance. Il enrôla surtout ceux qui travaillaient aux mines, gens endurcis aux plus rudes travaux. Cette armée, séparée en divers corps, donna la chasse aux Barbares, et les resserra vers les bords du Danube. Il se livra plusieurs sanglants combats, dont les écrivains du temps ne détaillent aucune circonstance[415]. Ils nous apprennent seulement que, le 17 de novembre,[Pg 175] on reçut à Constantinople la nouvelle d'une grande victoire remportée sur les Goths, les Huns et les Alains. Une partie de ces nations repassa le fleuve avec Fritigerne, Alathée et Saphrax; ceux qui restèrent en Thrace se soumirent à l'empire, et donnèrent des ôtages. Stilichon commença de se signaler dans cette guerre[416]. On croit que ce fut dans une des rencontres qui furent fréquentes pendant cette campagne, que le fameux Alaric, encore jeune alors, et chef d'un détachement de l'armée de Fritigerne, surprit Théodose et l'enferma sur les bords de l'Hèbre[417]; mais on ne dit point par quel moyen l'empereur se tira de ce péril.

[414] Les lois de cette année nous font voir que Théodose était encore à Thessalonique le 17 juin. On le trouve le 7 juillet à Scupi et le 10 août, dans un lieu dont la position est inconnue, mais qui s'appelait le bourg d'Auguste, Vicus Augusti.—S.-M.

[415] C'est une remarque qu'on ne doit pas perdre de vue en lisant ce qui concerne Théodose. Il ne reste aucun auteur original qui le fasse connaître. La grande lumière jetée par Ammien Marcellin sur l'histoire de l'empire romain, cesse au règne de Théodose. Il faut se contenter alors du témoignage suspect de Zosime, et des faibles indications de quelques obscurs annalistes.—S.-M.

[416]

Haud aliter Stilicho, fremuit cum Thracia belli
Tempestas, cunctis pariter cedentibus, unus
Eligitur ductor.......

Claud. laus Seren. v. 208 et seq.—S.-M.

[417]

Maurusius Atlas
Gildonis furias, Alaricum barbara Peuce
Nutrierat: qui sæpe tuum Sprevere profana
Mente patrem. Thracum venientem finibus alter
Hebri clausit aquis.

Claud. de 6º cons. Honor. v. 104 et seq.—S.-M.

VIII.

Exploit du général Modarius.

Zos. l. 4, c. 25.

Greg. Naz. ep. 135 et 136, t. 1, p. 863 et 864.

De tous ces exploits, celui du général Modarius[418] est le seul dont l'histoire nous ait laissé quelque détail. Modarius était du sang royal des Goths[419]. Un démêlé qu'il eut avec Fritigerne, dès le temps de Valens, l'avait fait passer au service de l'empire; il s'y était tellement distingué par sa fidélité et par sa valeur, que Théodose le mit à la tête d'un corps de troupes. Ce[Pg 176] général, sans être aperçu des ennemis, vint se poster sur une hauteur, qui commandait une vaste plaine où les Barbares s'étaient répandus pour le pillage. Ayant appris par ses coureurs, que les Goths, ensevelis dans le vin, étaient épars çà et là et couchés par terre, il ordonna à ses soldats de ne prendre que leurs épées et leurs boucliers, et de fondre sur eux. Il n'en coûta que la peine de les égorger, la plupart endormis, tous hors d'état de se défendre. Après avoir recueilli leurs dépouilles, on marcha vers leur camp fermé de quatre mille chariots. On y trouva leurs femmes, leurs enfants et leurs esclaves. Les Goths en conduisaient un si grand nombre que, dans leurs marches, les uns remplissaient les chariots, les autres suivaient à pied et y montaient à leur tour. Toute cette multitude fut emmenée prisonnière. Nous voyons par les lettres de saint Grégoire de Nazianze, que Modarius fut lié avec lui d'une étroite amitié. L'éloge que ce saint prélat fait de sa piété, et le secours qu'il lui demande pour apaiser les troubles de l'église, ne permettent pas de douter qu'en quittant les Goths, Modarius n'eût abandonné le parti de l'arianisme. Cette première campagne de Théodose annonçait un règne glorieux, et rendait le repos à la Thrace désolée depuis trois ans par les plus horribles ravages.

[418] Zosime lui donne, l. 4, c. 25, le nom de Modarès.—S.-M.

[419] Ἐκ τοῦ βασιλείου τῶν Σκυθῶν γένους. Zos. l. 4, c. 25.—S.-M.

IX.

Gratien à Milan.

Socr. l. 5, c. 6.

Auson. grat. act. p. 526 et 527.

Epist. Grat. ad Ambros.

Ambros. de fide, l. 1, c. 1, t. 2, p. 445, et de Spiritu sancto, l. 1. c. 1, t. 2, p. 599.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 5.

Paul. vit. Ambros.

Till. Grat. art. 10, et vie de S. Ambr. art. 19.

Fleury, hist. ecclés. l. 17, art. 44.

Gratien s'étant déchargé sur son nouveau collègue du soin de l'Orient, fit à Sirmium un séjour de quelques mois. Il remporta de son côté plusieurs avantages sur différents partis de Barbares qui s'étaient avancés jusqu'en Pannonie[420]. Il reprit ensuite le chemin de[Pg 177] la Gaule, en passant par Aquilée et par Milan, où il arriva vers la fin de Juillet. Les catholiques, dont il s'était déclaré le protecteur, accouraient sur son passage et faisaient des vœux pour la prospérité de son gouvernement. Pendant son séjour à Milan, il eut de fréquents entretiens avec saint Ambroise. Il avait pour ce saint évêque un respect mêlé de tendresse, et puisait dans cette source féconde la connaissance et l'amour de la vérité. Lorsqu'il était parti pour l'Illyrie, il avait prié saint Ambroise de lui composer quelque ouvrage, pour le confirmer dans la loi de la consubstantialité; et il en avait reçu deux livres intitulés: De la Foi. En partant de Sirmium, il lui écrivit pour le prier de confondre les sectateurs de Macédonius, qui niaient la divinité du Saint-Esprit. Il voulait même que le saint prélat le vînt trouver en diligence. Saint Ambroise s'en excusa; il attendit l'empereur à Milan, et se contenta pour lors d'ajouter trois autres livres aux deux premiers, dans lesquels il prouvait la divinité du Fils: il lui promit d'écrire dans la suite sur la divinité du Saint-Esprit, et s'acquitta de cette promesse deux ans après. Ce fut sans doute par le conseil de ce saint, que Gratien révoqua la loi qui permettait aux hérétiques de tenir leurs assemblées[421]. Le zèle d'Ambroise ne se renfermait pas dans les bornes de son diocèse: le siége de Sirmium étant vacant par la mort de l'arien Germinius, Justine, que Gratien avait laissée dans cette ville avec son fils Valentinien, entreprit d'y placer un évêque du même parti. Sur cette nouvelle, Ambroise vole à Sirmium; il s'oppose avec fermeté aux efforts de[Pg 178] l'impératrice, et vient à bout de faire nommer un évêque catholique; c'était Anémius. Ce coup de vigueur fut l'origine de la haine implacable, dont les éclats scandaleux déshonorèrent Justine, et augmentèrent la gloire de l'intrépide prélat.

[420] Voyez ci-devant, p. 149, note 2, liv. XX, § 40—S.-M.

[421] En vertu d'une loi rendue à Milan le 3 août 379.—S.-M.

X.

Il retourne dans les Gaules.

Zos. l. 4, c. 24.

Socr. l. 5, c. 6.

Soz. l. 7, c. 4.

Auson. grat. act. p. 553 et 554.

Cod. Th. l. 4, tit. 20, leg. 1, l. 13, tit. 3, leg. 12, 13, 14 et 15.

Les incursions des Allemands appelèrent Gratien dans la Gaule plus tôt qu'il n'aurait désiré[422]. Ils ne l'attendirent pas, et ce prince passa l'hiver à Trèves[423]. Il y publia plusieurs lois. Les débiteurs du fisc se mettaient à couvert des poursuites, en faisant cession de leurs biens, ce qui donnait occasion à des fraudes plus préjudiciables aux peuples qu'au prince même, puisque le prince ne perd jamais ce qui lui est dû, et qu'il sait se dédommager, aux dépens de ses sujets, de ce qui lui est enlevé par des mains infidèles. Gratien ordonna d'employer contre ces débiteurs la rigueur des supplices, à moins qu'ils ne prouvassent qu'ils avaient été ruinés par quelque accident involontaire. Il confirma les priviléges accordés aux médecins; Théodose en fit autant dans la suite. Ausone, en sortant du consulat, prononça en présence de l'empereur le discours de remercîment que nous avons encore, et qui peut servir à fixer une des époques du dépérissement de l'éloquence.

[422] Ausone décrit en ces termes, Grat. act. cons. p. 553, le rapide voyage de Gratien. Tu Gratiane, tot Romani imperii limites, tot flumina et lacus, tot veterum intersepta regnorum, ab usque Thraciam, per totum, quam longum est, latus Illyrici, Venetiam, Liguriamque, et Galliam veterem, insuperabilia Rhætiæ, Rheni aquosa, Sequanorum invia, porrecta Germaniæ, celeriore transcursu, quam est properatio nostri sermonis, evolvis, nulla requie otii, ne somni quidem, aut cibi munere liberali, ut Gallias tuas inopinatus illustres, ut consulem tuum, quamvis desideratus, anticipes.—S.-M.

[423] Il était dans cette ville le 14 septembre et sans doute long-temps avant. C'est au séjour que ce prince et son père avaient fait dans cette ville, qu'elle dut les nombreux monuments dont il reste encore des débris, et qu'elle acquit le haut rang qu'elle conserva jusqu'à la chute de l'empire.—S.-M.

[Pg 179]

An 380.

XI.

Baptême de Théodose.

Prosp. chron.

Socr. l. 5, c. 6.

Soz l. 7, c. 4.

Zos. l. 4, c. 34.

Jorn. de reb. Get. c. 27.

Ambr. ep. 15, t. 2, p. 819.

Aug. de civ. l. 5, c. 26, t. 7, p. 442.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 1.

Au commencement de l'année suivante, Théodose, consul avec Gratien, tomba malade à Thessalonique[424]. On désespérait de sa vie, et tout l'Orient craignit de voir éteindre cet astre naissant, qui promettait à tant de peuples des jours plus sereins et plus tranquilles. L'empereur, plus occupé du soin de son âme que de la guérison de son corps, désirait le baptême. Mais inviolablement attaché à la foi catholique, qu'il avait héritée de ses pères, il ne voulait être baptisé que par un orthodoxe. Il fit venir Ascolius, évêque de Thessalonique. Ce prélat, célèbre par sa vertu, mais renfermé dans les fonctions de son ministère, était encore inconnu à la cour. Lui seul avait servi de défense à la Macédoine dans le désastre de l'empire; et lorsque les Goths vainqueurs, pillant impunément la Thrace, et poussant au loin leurs partis, étaient venus attaquer Thessalonique, dépourvue de secours, Ascolius, sans autres armes que les prières qu'il adressait à Dieu, avait repoussé leurs efforts. Frappés de la peste et poursuivis par un bras invisible, les Goths avaient pris la fuite. Théodose l'interrogea sur sa croyance; il répondit: Qu'il n'en avait point d'autre que celle de Nicée; et que c'était la doctrine constante de toute la Macédoine, où les dogmes d'Arius n'avaient jamais eu le crédit de s'établir; plus heureuse en ce point que les provinces orientales et que la ville de Constantinople, où les sectes hérétiques déchiraient le sein de l'église. L'empereur, satisfait de cette profession de foi, reçut le baptême de la main d'Ascolius, avec plus de joie qu'il n'avait, un an auparavant, reçu de[Pg 180] Gratien la couronne impériale. Il conserva toujours un profond respect pour ce saint évêque; il se gouvernait par ses conseils dans ce qui concernait les affaires de l'église. La confiance d'un si grand prince, et l'éminente vertu du prélat relevèrent beaucoup l'éclat du siége de Thessalonique. Le pape Damase revêtit Ascolius et ses successeurs de la qualité de vicaires du saint siége pour l'Illyrie orientale; ils avaient l'autorité de juger en dernier ressort les causes ecclésiastiques dans ces provinces; ils y tenaient le premier rang entre les primats, sans préjudice des droits respectifs des églises. La guérison de Théodose suivit de près son baptême.

[424] On voit par ses lois qu'il fut dans cette ville durant l'année 380, au moins depuis le 15 janvier jusqu'au 14 juillet.—S.-M.

XII.

Lois de Théodose concernant la religion.

Soz. l. 7, c. 4.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 21 et 22.

Cod. Th. l. 16, tit. 1, leg. 3, tit. 2, leg. 25. l. 9, tit. 35, leg. 4, 5, tit. 38, leg. 6, 7, 8; l. 15, tit. 5, leg. 2; l. 2, tit. 8, leg. 2.

Append. Sirm. leg. 7. Baronius in ann. 385.

Sa convalescence fut longue: il ne put quitter Thessalonique avant le mois de Juillet. Il profita de ce temps de repos, pour remédier aux désordres de l'église et de l'état. Il traita d'abord les hérétiques avec douceur; et St. Grégoire de Nazianze paraît douter si cette tolérance venait d'un défaut de zèle, ou si c'était un effet de prudence, que ce saint ne peut s'empêcher d'approuver. Mais Théodose ne tarda pas à déclarer quelle était la doctrine à laquelle il souhaitait que tous ses sujets voulussent se conformer; et comme la ville de Constantinople était tout à la fois la capitale de son empire, d'où ses édits pouvaient plus aisément se répandre dans toute l'étendue de ses états, et le centre de l'hérésie qui s'y était affermie sous le règne de Constance et de Valens, ce fut au peuple de Constantinople que, dès le 28 de février, il adressa une loi célèbre, dont voici les termes: Nous voulons que tous les peuples de notre obéissance professent la religion qui, suivant une tradition constante, a été enseignée aux Romains par l'Apôtre saint Pierre,[Pg 181] qui est évidemment professée par le pontife Damase et par Pierre, évêque d'Alexandrie, prélat d'une sainteté apostolique; en sorte que, selon les instructions des Apôtres et la doctrine de l'Évangile, nous reconnaissions dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, une seule Divinité, avec une égale majesté et dans une adorable Trinité. Nous donnons le titre de Chrétiens Catholiques à ceux qui suivront cette loi; et, regardant les autres comme des insensés, nous voulons qu'ils portent le nom ignominieux d'hérétiques, et que leurs assemblées ne soient point honorées du titre d'Églises, en attendant qu'ils ressentent les effets de la vengeance de Dieu et de la nôtre, selon ce que la divine Providence daignera nous inspirer. Il déclare, par une autre loi datée du même jour, que ceux qui altèrent par leur ignorance, ou qui violent par leur négligence, la sainteté de la loi de Dieu, se rendent coupables de sacrilége. Au milieu du carême de cette année, il ordonna par une loi[425] de suspendre toute procédure criminelle durant les quarante jours qui précèdent la fête de Pâques; ce qu'il confirma neuf ans après par une seconde loi: Les juges, dit-il, ne doivent pas punir les criminels dans un temps, où ils attendent de Dieu la rémission de leurs propres crimes. Il suspendit aussi dans la suite les procédures, même civiles, durant la quinzaine de Pâques, et tous les Dimanches de l'année, pendant lesquels les spectacles furent interdits. Nous avons une loi sans date, par laquelle, à l'exemple de Valentinien, il fait grâce à tous les criminels[Pg 182] en faveur de la fête de Pâques; il en excepte aussi les crimes énormes, qui sont celui de lèse-majesté, l'homicide, l'adultère, le poison ou la magie, la fausse monnaie. Gratien, à l'occasion d'une pareille rémission, excepte encore le rapt et l'inceste; et il exclut de cette grâce ceux qui, après l'avoir déjà obtenue, sont retombés dans les mêmes crimes. Valentinien le jeune en fit une loi perpétuelle pour l'Occident; mais aux exceptions précédentes, il ajoute le sacrilége en général, et en particulier celui qui consistait à violer les sépultures. En l'année 387, comme Théodose dictait l'ordonnance de l'indulgence Paschale, plût à Dieu, dit-il, qu'il fût en mon pouvoir de ressusciter les morts. Dans une autre loi faite sur le même sujet, on lit cette belle maxime: Que c'est une perte pour l'Empereur de ne trouver personne à qui il puisse pardonner.

[425] Rendue le 27 mars 380 à Thessalonique.—S.-M.

XIII.

Lois civiles.

Cod. Th. l. 10, tit. 10 leg. 12, 13, 17, 18, 19. tit. 18, leg. 2, 3, l. 9, tit. 2, leg. 3, tit. 3, leg. 6, tit. 27, leg. 1, 2, 3, 4, 5, 6; l. 15, tit. 1, leg. 20, 21, 23, 24, 27, 29 et ibi God. p. 302, tit. 5, leg. 2. l. 8, tit. 15, l. 3, tit. 8; leg. 1, 2, tit. 11, leg. unic. leg. 12, tit. 1, leg. 80 usque ad 140, et ibi God. p. 431. tit. 12, leg. 7.

Cod. Just. l. 5, tit. 9, leg. 1. l. 6, tit. 55, leg. 4.

Liban. de Vetus descr. C. P.

Themist. or. 15, p. 194.

La faiblesse de Valens avait laissé un libre cours à plusieurs abus: Théodose se fit un devoir de les réformer. Il se déclara ennemi des délateurs; et, pour rendre ce pernicieux métier aussi rare qu'il est infâme, il prononça la peine capitale contre tout esclave qui accuserait son maître, même avec fondement; et contre tout délateur qui aurait réussi dans trois différentes dénonciations, la mort était le prix de sa troisième victoire. Il y eut toujours de ces hommes dangereux qui abusent de leur puissance et de leur crédit pour opprimer les faibles, et toujours ils ont trouvé des magistrats intéressés ou timides qui se sont prêtés à leurs injustices. Sur une plainte non avérée, on arrêtait les accusés; on les laissait languir dans des cachots étroits et incommodes, où ils ne pouvaient dormir que debout:[Pg 183] là, ces misérables, souvent innocents, étaient abandonnés à l'avarice des geôliers, qui leur vendaient bien cher les nécessités de la vie, et les traitaient cruellement lorsqu'ils n'avaient pas de quoi payer: ils y mouraient souvent de faim. Les magistrats, occupés de spectacles, de festins et d'amusements frivoles, ne trouvaient pas le temps de visiter les prisons. Théodose défendit de mettre aux fers quiconque ne serait pas convaincu: il voulut que l'accusateur fût détenu en prison, pour subir la peine du talion, s'il était reconnu calomniateur; que le procès fût promptement instruit et jugé, afin que le coupable ne tardât pas à recevoir son châtiment, et l'innocent sa délivrance. Il interdit aux geôliers leurs exactions inhumaines, et ordonna que tous les mois le garde des registres mettrait sous les yeux du juge, le rôle des prisonniers, avec la note de leur âge, de la qualité des crimes dont ils étaient accusés, et du temps de leur détention; que le juge négligent et paresseux, qui n'avait de sa charge que le titre, serait condamné à une amende de dix livres d'or et à l'exil. Six ans après, pour donner aux magistrats le loisir de s'acquitter de leurs devoirs, il leur défendit d'assister aux spectacles, excepté le jour de la naissance et du couronnement des empereurs. Il paraît, par un discours de Libanius, que ces lois furent plus faibles que les désordres: l'an 386 il adressa à Théodose, en faveur des prisonniers, une remontrance hardie, dans laquelle il ne craint pas de dire que le prince ne peut s'excuser sur ce qu'il ignore ces iniquités; que son devoir est de les connaître et de les punir. Jamais empereur ne prit tant de précautions pour arrêter les concussions des magistrats: il ordonna que les juges[Pg 184] convaincus de ce crime, seraient dépouillés de leur charge, déclarés incapables d'en posséder aucune; qu'en cas de mort, leurs héritiers seraient responsables de leurs larcins; que, pour les malversations dans les causes des particuliers, ils seraient assujettis aux peines du péculat: il invita ceux qui se trouveraient lésés, à poursuivre la vengeance, et leur promit justice et récompense. Natalis, commandant des troupes en Sardaigne, sous le règne de Valens, avait pillé la province: Théodose l'y fit reconduire sous bonne garde, pour y être convaincu sur les lieux, et le condamna à rendre le quadruple de ce qu'il avait pris injustement. Il défendit aux officiers qu'il envoyait dans les provinces, d'y faire aucune acquisition d'immeubles, d'y recevoir aucun présent ni pour eux ni pour leur famille, leurs conseillers, leurs domestiques; il permit aux habitants de répéter en justice ce qu'ils auraient ainsi donné. Si un gouverneur ou magistrat de province employait son autorité pour tirer une promesse de mariage, soit en sa faveur, soit en faveur de qui que ce fût, il déclarait la promesse nulle; et pour une simple tentative du magistrat, pour une simple proposition accompagnée de promesses ou de menaces, il le condamnait à payer dix livres d'or, et à perdre, après sa gestion, toutes les prérogatives que sa charge procurait; les personnes qu'il avait sollicitées étaient affranchies de sa jurisdiction, elles et leur famille, et avaient leurs causes commises par-devant d'autres juges. Pour entretenir cet esprit de vie qui, dans un grand empire, doit animer toutes les parties même les plus éloignées du centre, il maintint en vigueur l'ordre municipal des villes. Il nous reste de lui beaucoup de lois sur la nomination[Pg 185] de ces officiers, sur les moyens de conserver leur nombre, sur leurs exemptions et leurs priviléges. Flavianus, proconsul d'Asie, et un préfet d'Égypte, furent mis en prison pour avoir appliqué à la torture des officiers municipaux. Afin d'épargner aux villes les frais des nombreuses députations, il ordonna que, dans les occasions où elles auraient quelque demande à porter au prince, toutes celles d'une même province concerteraient ensemble, et se contenteraient d'envoyer trois députés pour la province entière. Il eut encore plus de soin d'entretenir les anciens édifices, que d'en construire de nouveaux, ce qui flattant davantage la vanité des princes ou des magistrats, apporte aux villes plus de dépense et souvent moins d'utilité. Il ne permit aux gouverneurs de faire de nouveaux ouvrages publics, qu'après qu'ils auraient réparé les anciens qui tombaient en ruine, et achevé ceux que leurs prédécesseurs avaient commencés. Il voulut que les entrepreneurs fussent pendant quinze ans, eux et leurs héritiers, responsables de la solidité des constructions. Cette attention ne l'empêcha pas de travailler à l'embellissement de Constantinople. Il y fit dans la suite construire un port, un aquéduc, des bains, des portiques, des académies, un palais, une place et une colonne qui portèrent son nom. Valentinien II suivit l'exemple de Théodose, et recommanda d'entretenir dans Rome les anciens monuments, plutôt que d'en entreprendre de nouveaux. Constantin avait décidé que, si quelqu'un trouvait un trésor, il le partagerait par moitié avec le fisc; Théodose le laissa tout entier à qui l'aurait découvert, à condition cependant que, s'il le trouvait sur le terrain d'autrui, il en céderait le quart au propriétaire[Pg 186] du terrain. Les lois romaines avaient borné le temps du deuil au terme de dix mois; Théodose l'étendit à l'année entière; il déclara infame la veuve qui, avant l'année révolue, convolerait à de secondes noces: telle était déjà la disposition des anciennes lois; mais il y ajouta la perte de tous les biens que la femme tiendrait du premier mari. Quant aux veuves qui se remariaient après le terme prescrit, il les obligea de conserver aux enfants du premier lit tous les biens venus de leur père, et il leur ôta la liberté de les aliéner. La plupart de ces lois sont adressées à Eutrope, alors préfet du prétoire d'Orient, et dont nous avons déjà parlé dans l'histoire de la conjuration de Théodore.

XIV.

Théodose envoie en Égypte un grand nombre de Goths.

Zos. l. 4, c. 30, 31 et 56.

Eunap. in excerpt. de leg. p. 21 et 22.

Dans le même temps que Théodose s'occupait à corriger les désordres, il songeait aussi à fortifier l'empire contre les attaques des Barbares. Il employa pour cet effet un moyen dangereux, ainsi qu'il a déjà été observé, et tout-à-fait contraire à la saine politique. Les malheurs précédents avaient affaibli les armées; il invita les Goths d'au-delà du Danube à prendre parti dans ses troupes, et il promit de les traiter comme ses sujets naturels. Il en vint une si grande multitude, qu'ils surpassèrent bientôt en nombre les soldats romains, et l'empereur craignit avec raison de n'être plus le maître de les contenir, s'ils venaient à former quelque entreprise. En effet, selon un auteur de ce temps-là, avant que de passer le fleuve, ils s'étaient secrètement engagés, par des serments exécrables, à faire aux Romains tous les maux qu'ils pourraient, soit par la force, soit par la ruse et la trahison, et à ne se donner de repos qu'après s'être rendus maîtres de tout l'empire. Quoique Théodose ignorât ce perfide complot,[Pg 187] cependant, par une sage précaution, il résolut de les mettre hors d'état de nuire en les divisant: il manda une partie des légions qu'il avait en Égypte, et envoya pour les remplacer un corps considérable de ces Barbares, sous la conduite d'Hormisdas, ce neveu de Sapor qui s'était signalé dans la révolte de Procope. Les deux détachements se rencontrèrent à Philadelphie. Celui des Goths était de beaucoup le plus nombreux: ils avaient traversé l'Asie, comme des brigands, en pillant tout sur leur passage. Réunis dans la même ville avec des troupes disciplinées, ils voulurent continuer les mêmes violences. Un habitant qui venait de vendre quelque denrée à un soldat goth, en reçut pour paiement un coup d'épée au travers du corps; un autre qui était accouru pour le défendre, ne fut pas mieux traité. On s'attroupa de part et d'autre. Les officiers venus d'Égypte s'efforcèrent en vain de faire entendre aux Barbares, que la discipline romaine qu'ils avaient embrassée, ne permettait pas ces emportements; on ne leur répondit qu'à grands coups d'épée. Alors les soldats romains, quoique fort inférieurs en nombre, se jetant sur les Goths, en massacrèrent plus de deux cents: plusieurs se sauvèrent dans les égouts de la ville, où ils périrent. On épargna les autres, qui après cette sanglante leçon, continuèrent leur voyage en observant une plus exacte discipline.

XV.

Division entre les Goths.

Ce mélange de Goths et de Romains introduisit le désordre dans les armées. On dit même que l'empereur, pour attirer à son service un plus grand nombre de ces Barbares, leur permettait de retourner dans leur pays en substituant un soldat en leur place, et de revenir reprendre leur rang lorsqu'ils le jugeraient à propos.[Pg 188] Malgré la haine qu'ils avaient jurée au nom romain, Théodose, à force de caresses et de libéralités, parvint à gagner le cœur de quelques-uns, et à les attacher sincèrement à l'intérêt de l'empire. C'était le plus faible parti, s'il n'avait eu pour chef un jeune homme plein de courage; il se nommait Fravita. Païen de religion, mais sincère, ennemi du déguisement et de l'artifice, il détestait les noirs desseins de ses compatriotes, et croyait faire pour eux plus encore qu'il ne devait, en ne les démasquant pas[426]. Il épousa même une Romaine, pour ne pas entretenir dans sa maison une secrète intelligence avec la trahison et la perfidie. A la tête de l'autre parti était Ériulphe[427], homme violent et emporté. Un jour qu'ils étaient tous deux à la table de l'empereur, qui pour adoucir l'humeur féroce de ces Barbares, les traitait souvent avec magnificence, le vin échauffant leurs esprits, ils se prirent de paroles. Dans les transports de leur colère, ils dévoilèrent le secret de la conspiration générale. Les convives prennent la fuite en tumulte: Fravita tire l'épée et tue Ériulphe: les gens de celui-ci accoururent pour venger leur maître; ils allaient mettre en pièces le meurtrier, si les gardes du prince ne se fussent jetés à la traverse et ne l'eussent tiré de leurs mains. Théodose, averti par cet événement du complot des Barbares, ne crut pas devoir employer la violence pour en prévenir les effets: il prit sans doute des mesures de prudence dont l'histoire ne rend aucun compte.

[426] Il fut consul en l'an 401. Il est appelé Φραόυστιος, par Zosime, l. 4, c. 56. D'autres auteurs l'appellent Φράβιθος.—S.-M.

[427] Ce chef Goth est nommé Prioulphe Πρίουλφος, par Zosime, l. 4, c. 56. C'est Eunapius qui le nomme Ἐρίουλφος.—S.-M.

[Pg 189]

XVI.

Gratien se prépare à repousser les Goths.

Zos. l. 4, c. 33 et 34.

Vict. epit. p. 231.

Till. vie de S. Ambr. art. 21.

Cod. Th. l. 11, tit. 16, leg. 12; l. 15, tit. 7, leg. 4, 5, 6, 9, 10, 11, 12 et ibi God.

Les Goths établis en Thrace, n'étaient pas mieux intentionnés que leurs compatriotes. Oubliant les ôtages qu'ils avaient donnés l'année précédente, ils envoyèrent des partis en Pannonie, et favorisèrent le passage d'Alathée et de Saphrax, qui, sans trouver aucun obstacle, vinrent encore avec Fritigerne se montrer en-deçà du Danube[428]. Vitalianus commandait en Pannonie. Gratien, ne comptant pas beaucoup sur la capacité de ce général, partit de Trèves[429] au mois de mars, après avoir ordonné des levées d'hommes, de chevaux et de vivres, et il alla attendre à Milan que ses troupes fussent assemblées. Justine qui s'y trouvait alors, toujours ardente à protéger l'hérésie, profita de ce séjour pour solliciter l'empereur d'accorder aux ariens une des églises de la ville. Elle obtint seulement par ses importunités, que cette église fût mise en séquestre. Mais bientôt Gratien, honteux d'une si faible complaisance, la rendit aux catholiques, sans attendre les remontrances de saint Ambroise. Ce fut sans doute par le conseil du saint prélat, que ce prince exempta les femmes chrétiennes de la nécessité de monter sur le théâtre, à moins qu'elles n'eussent démenti la sainteté de leur religion par les désordres de leur vie. Il imposa une amende de cinq livres d'or à quiconque retirerait dans sa maison une comédienne ou une danseuse. Théodose[Pg 190] animé des mêmes sentiments, entreprit dans les années suivantes de réformer la licence et le luxe des gens de théâtre: il défendit d'acheter, de vendre, d'instruire, et de produire dans les festins ou dans les spectacles, d'entretenir même dans son domestique, une chanteuse ou joueuse d'instruments; d'exposer dans les lieux publics où se trouvait l'image des princes, les portraits des pantomimes, des cochers du cirque, des histrions; il interdit aux comédiennes l'usage des pierreries et la magnificence des habits; aux femmes chrétiennes et à leurs enfants tout commerce avec les acteurs et les actrices.

[428] Jornandès qui rapporte, c. 27, cette nouvelle irruption des Goths, en donne un motif assez plausible, c'est la maladie de Théodose. Sed Theodosio, dit-il, principe pene tunc usque ad desperationem ægrotante, datur iterum Gothis audacia, divisoque exercitu, Fridigernus ad Thessaliam prædandam, Epiros, et Achaïam digressus est: Alatheus vero, et Safrach cum residuis copiis Pannoniam petierunt.—S.-M.

[429] L'empereur était à Trèves le 6 et le 15 février; à Aquilée le 14 mars et à Milan le 24 et le 27 avril. On le retrouve à Aquilée, le 27 juin. Ce voyage fut nécessité, à ce qu'il paraît, par la maladie de Théodose et par la nouvelle irruption des Goths.—S.-M.

XVII.

Avantages de Gratien et de Théodose sur les Goths.

Zos. l. 4, c. 32, 33 et 34.

Jorn. de reb. Get. c. 27.

Cod. Th. l. 7, tit. 13, leg. 8, 9, tit. 22, leg. 9, 10.

Idat. fast.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 20.

Philost. l. 9, c. 19.

Marcel. chr.

Oros. l. 7, c. 34.

Prosp. chr.

Gratien, étant parti de Milan au mois de juin, passa par Aquilée, et prit la route de la Pannonie. Il défit les partis des Goths qui ravageaient la province. Pour les détacher du reste de la nation, il entra en négociation avec eux et conclut un traité de paix[430], auquel Théodose crut devoir accéder[431]; mais ni Alathée, ni Saphrax, ni Fritigerne ne furent compris dans ce traité[432]. Celui-ci s'étant séparé des autres après le passage du Danube, prit sa route vers la Thessalie, dans le dessein de ravager la Grèce[433]. Théodose avait trop[Pg 191] de sujet de se défier des Goths, pour n'être pas sur ses gardes. Tout ce qu'il pouvait réunir de troupes romaines était depuis long-temps assemblé auprès de lui; il avait rappelé au service les fils des vétérans, qui prétendaient jouir des priviléges de leurs pères, sans en avoir supporté les fatigues. Quoiqu'il eût besoin de soldats, il avait cependant par une loi expresse, exclu du métier des armes, les esclaves, les eunuques, et toutes les professions qui travaillent pour la table, le luxe et la volupté. Au premier bruit de la marche de Fritigerne, il se mit en campagne. Tous les auteurs, à l'exception de Zosime, s'accordent à dire que ce prince remporta cette année plusieurs victoires, qu'il dompta les Goths, et qu'il entra triomphant dans Constantinople[434]; mais si l'on s'en rapporte à cet historien, l'empereur fut défait et revint couvert de honte. Son récit, qui ne se soutient pas lui-même, et qui est démenti par les autres écrivains et par la suite des événements, ne mérite aucune croyance. Fritigerne repassa le Danube avec les deux autres généraux, qui n'avaient pas eu plus de succès que lui.

[430] Nec tamen fretus (Gratianus) in armis, sed gratia eos muneribusque victurus, pacemque et victualia illis concedens, cum ipsis inito fædere fecit. Jornand. de reb. Get. c. 27.—S.-M.

[431] Ubi vero post hæc Theodosius convaluit imperator, reperitque Gratianum cum Gothis et Romanis pepegisse fœdus, quod ipse optaverat, admodum grato animo ferens, et in hac ipse pace consistit. Jornand. de reb. Get. c. 27.—S.-M.

[432] Zosime a commis, l. 4, c. 34, une assez singulière erreur au sujet de ces trois chefs goths. Il dit que deux des nations germaniques qui habitaient au-delà du Rhin, et qui étaient commandées, l'une par Fritigerne et l'autre par Allothus et Safracès firent alors une irruption chez les nations de la Gaule, τοῖς Κελτικοῖς ἔθνεσιν ἐπικείμεναι. Il est facile de reconnaître ici une confusion assez étrange. Il est évident que Zosime a pris les Germains pour les Goths, et le Rhin pour le Danube.—S.-M.

[433] Ils voulaient, dit Zosime, l. 4, c. 34, passer de la Pannonie en Épire, traverser le fleuve Achéloüs et attaquer les villes de la Grèce. Διαπλεύσαντες οὖν ἐπὶ τούτοις τὸν Ἴστρον, διανούμενοί τε διὰ Παιονίας ἐπὶ τὴν Ἤπειρον διαβῆναι, περαιωθῆναι δὲ τὸν Ἀχελῶον, καὶ τᾶις Ἑλληνικαῖς πόλεσιν ἐπιθέσθαι.—S.-M.

[434] Theodosius adflictam rempublicam ira dei reparandam credidit misericordia illius, omnem fiduciam sui ad opem Christi conferens, maximas illas Scythicas gentes, formidatasque cunctis majoribus, Alexandro quoque illi magno, sicut Pompeius Corneliusque testati sunt, evitatas, nunc autem, exstincto romano exercitu, Romanis equis armisque instructissimas, hoc est, Alanos, Hunnos et Gothos, incunctanter adgressus, magnis multisque præliis vicit. Urbem Constantinopolim victor intravit. Oros. l. 7, c. 34.—S.-M.

XVIII.

Théodose à Constantinople.

Zos. l. 4, c. 33.

Idat. chron. et fast.

Marcel. Chr.

Chron. Alex. p. 303.

Greg. Naz. or. 28, t. 1, p. 473-486, et or. 32, p. 516 et seq. et carm. de vita sua, t. 2, p. 20 et 21.

Socr. l. 5, c. 6 et 7.

Soz. l. 7, c. 5 et 6.

Philost. l. 9, c. 19.

Chron. Cod. Theod.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 9.

Fleury, hist, eccles. l. 17, art. 59.

Théodose ayant dissipé ce nouvel orage, alla conférer avec Gratien à Sirmium[435], où il paraît qu'il était le[Pg 192] 8 de septembre; mais il n'y demeura que peu de jours, puisque le 20 du même mois, il était de retour à Thessalonique. Il entra le 24 novembre à Constantinople, où il fut reçu avec beaucoup de joie, surtout de la part des catholiques. Il y avait quarante ans que l'arianisme dominait dans cette ville; depuis l'exil d'Evagrius choisi pour évêque par les catholiques en 370, et chassé par Valens, Démophile possédait seul toutes les églises. Valens étant mort, les catholiques avaient appelé Grégoire de Nazianze pour les soutenir contre les hérétiques. Grégoire, sans être attaché à aucun siége, était revêtu du caractère épiscopal: il avait été ordonné évêque de Sasima en Cappadoce, dont il n'avait jamais pris possession. Après la mort de son père, qu'il avait aidé dans les fonctions d'évêque de Nazianze sa patrie, il s'était retiré dans la solitude. Pressé par les instances de l'église de Constantinople, qui le priait de venir combattre les ennemis de la foi, il s'était rendu dans cette ville. Ce saint prélat, chéri et respecté des fidèles, persécuté sans cesse par les Ariens, avait par la sainteté de sa vie et la force de son éloquence, ranimé la foi prête à s'éteindre dans la capitale de l'empire. Un philosophe cynique, nommé Maxime, flétri de crimes et de châtiments, mais hypocrite effronté, était venu d'Alexandrie traverser les succès du saint évêque; et s'était fait secrètement ordonner et installer par une cabale sur le siége de Constantinople. Chassé aussitôt par les catholiques, il était allé trouver Théodose à Thessalonique pour implorer sa protection. L'empereur l'avait rebuté avec indignation; mais ce fourbe était soutenu par un puissant parti. Tel était l'état de l'église de Constantinople à l'arrivée de Théodose.[Pg 193] Ce prince, deux jours après, c'est-à-dire le 26 de novembre, fit demander à Démophile s'il voulait embrasser la foi de Nicée; et sur son refus, il lui ordonna d'abandonner toutes les églises de la ville. Le prélat hérétique préféra l'exil à l'abjuration de ses erreurs: il alla mourir à Berrhée en Thrace, dont il avait été autrefois évêque. Grégoire ne soupirait qu'après la retraite; accablé d'années et de travaux, il voulait se décharger du fardeau de l'épiscopat. L'empereur le retint malgré lui, le conduisit lui-même à la grande église, et le mit en possession de la maison épiscopale et de tous les revenus attachés au siége de Constantinople. Eunomius, le chef des Anoméens, dogmatisait alors à Chalcédoine. Comme il était hardi et subtil dans la dispute, il attirait à ses discours un grand nombre de personnes. Théodose lui-même témoigna quelque désir de l'entendre; mais l'impératrice Flaccilla l'en détourna, en lui représentant que ce serait accréditer l'erreur et autoriser une curiosité dangereuse.

[435] Il était à Andrinople, le 17 août de la même année.—S.-M.

An 381.

XIX.

Loi contre les hérétiques.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 6.

Theod. l. 5, c. 2.

Appendix Sirm. ad Cod. Th.

Till. Arian. art. 136 et vie de S. Melèce, art 14.

Après avoir dépouillé les ariens des églises de Constantinople, il déclara par une loi datée du 10 janvier[436], sous le consulat d'Euchérius et de Syagrius, qu'il ne serait permis à nulle secte hérétique, et nommément aux Photiniens, aux Ariens, aux Eunomiens, de tenir leurs assemblées dans l'enceinte d'aucune ville; qu'on n'aurait nul égard aux rescrits impériaux qu'ils pourraient surprendre en leur faveur; que la foi de Nicée serait seule publiquement professée; que les évêques orthodoxes seraient dans toute l'étendue de l'empire remis en possession des églises, et que si les hérétiques[Pg 194] formaient quelque entreprise séditieuse pour s'y maintenir, ils seraient eux-mêmes chassés des villes sans espérance de retour. Cette loi ne leur ôtait que les églises des villes. On voit en effet que dans ce même temps les Ariens obtinrent hors de Constantinople, l'église de Saint-Mocius, qui tombait en ruine: ils la réparèrent; elle tomba sept ans après, lorsqu'ils y étaient assemblés, et en écrasa un grand nombre. Elle ne fut rebâtie que sous Justinien. Sapor, un des plus illustres généraux de Théodose, fut chargé de faire exécuter cette loi dans toutes les provinces. Il n'eut pas de peine à y rétablir la paix, excepté dans Antioche. Il en chassa Vitalis, évêque des Apollinaristes, qui avaient formé une secte séparée en 376; mais le peuple catholique était lui-même divisé entre deux évêques orthodoxes, Paulin et Mélétius. Celui-ci, pour rétablir la concorde, offrait de partager l'épiscopat avec Paulin, à condition qu'on ne nommerait point de successeur à celui des deux qui mourrait le premier. Sur le refus que fit Paulin d'accepter une proposition si raisonnable, Sapor donna les églises à Mélétius, et n'en laissa qu'une seule à Paulin pour y célébrer les mystères avec ses partisans qu'on appelait Eustathiens. Ce triomphe de la foi, si long-temps opprimée, combla de joie les fidèles; et dans la suite plusieurs conciles en témoignèrent à Théodose une pieuse reconnaissance.

[436] Cette loi fut rendue à Constantinople.—S.-M.

XX.

Théodose se concilie l'amour des peuples.

Themist. or. 15, p. 192; 16, p. 212; 17, p. 216 et 221; 19, p. 227.

Cod. Th. l. 9, tit. 42, leg. 8, et 9; l. 10, tit. 24, leg. 2, et 3; l. 13, tit. 11. leg. 1, 2, 3 et 4.

L'Arianisme abattu n'osait faire éclater son ressentiment. Les vertus de Théodose rendaient impuissante la malignité naturelle à l'hérésie. Il était irréprochable; ses sujets l'aimaient avec tendresse; et jamais prince ne fut plus propre à régner sur les esprits, à la faveur de ce doux empire qu'il sut s'établir dans le cœur de ses[Pg 195] peuples. La douceur de ses regards, celle de sa voix, la sérénité qui brillait sur son visage, tempéraient en lui l'autorité souveraine. Grand observateur des lois, il savait cependant en adoucir la rigueur. Dans les trois premières années de son règne, il ne condamna personne à la mort. Il ne fit usage de son pouvoir que pour rappeler les exilés, faire grace aux coupables dont l'impunité ne tirait pas à conséquence, relever par ses libéralités les familles ruinées, remettre ce qui restait à payer des anciennes impositions. Il ne punissait pas les enfants des fautes de leurs pères par la confiscation de leurs biens: mais il ne pardonnait pas les fraudes qui tendaient à frustrer le prince des contributions légitimes: également attentif à arrêter deux excès, d'enrichir son trésor par des exactions odieuses, et de le laisser appauvrir par négligence. Ses sujets le regardaient comme leur père; ils entraient avec confiance dans son palais comme dans un asyle sacré. Ses ennemis mêmes, qui auparavant ne se fiant pas aux traités, ne se croyaient point en sûreté à la table des empereurs, venaient sans défiance se jeter entre ses bras; et ceux qu'on n'avait pu vaincre par les armes, se rendaient volontairement à sa bonne foi.

XXI.

Athanaric vient à C. P.

Zos. l. 4, c. 34.

Themist. or. 15, p. 190-192.

Socr. l. 5, c. 10.

Idat. fast. et chron.

Prosp. chr.

Marcel. chr.

Oros. l. 7, c. 34.

Jornand. de reb. Get. c. 28.

Isidor. Chr. Goth.

Amm. l. 27, c. 5.

Ambr. proœm. de Spir. Sancto, t. 2, p. 603.

On en vit un exemple éclatant dans la personne d'Athanaric. Ce fier monarque des Visigoths[437], qui avait traité d'égal à égal avec Valens, chassé par Fritigerne[438][Pg 196] du territoire où il s'était long-temps maintenu contre les Huns, n'eut d'autre ressource que la générosité de Théodose. Il oublia le serment qu'il avait fait autrefois de ne jamais mettre le pied sur les terres des Romains, et envoya demander à l'empereur une retraite pour lui et pour les Goths qui lui étaient demeurés fidèles. Théodose oublia de son côté les hostilités d'Athanaric; il tint à grand honneur que son palais devînt l'asyle des princes malheureux; il l'invita à venir à sa cour; il alla plusieurs milles au-devant de lui, et l'ayant embrassé avec tendresse, il le conduisit à Constantinople[439]. Athanaric y entra le 11 de janvier avec cet air de grandeur, que l'infortune ajoute encore aux princes qui savent s'élever au-dessus d'elle[440]. L'empereur lui fit les honneurs de sa capitale, et le roi barbare, qui n'avait vu jusqu'alors que les forêts et les cabanes des Goths, ne put considérer sans étonnement la situation de cette ville, la hauteur de ses murs, la beauté de ses édifices, ce nombre infini de vaisseaux qui remplissaient le port, l'affluence de tant de nations qui venaient y aborder de toutes les contrées de la terre, la belle ordonnance des troupes rangées en haie sur son passage. Il était païen, et avait même persécuté les chrétiens avec violence. Frappé de cette sorte d'admiration, qui agit plus fortement dans les ames les plus grossières, il s'écria: Certes, l'empereur est le dieu[Pg 197] de la terre; et quiconque ose lever le bras contre lui, court infailliblement à sa perte. La vue de la statue de son père, érigée par Constantin, lui tira des larmes[441]: il se crut établi dans le sein de sa famille; et le traitement honorable que lui fit Théodose, lui promettait les jours les plus heureux de sa vie, lorsqu'il fut frappé d'une maladie qui le conduisit au tombeau le quinzième jour après son arrivée[442]. L'empereur lui fit faire de magnifiques funérailles[443]; il y assista lui-même, marchant devant le cercueil. Les Goths qui étaient venus avec leur roi, charmés de la bonté de Théodose, lui vouèrent un attachement inviolable[444]. Les uns s'en retournèrent dans leur pays, publiant hautement les louanges de ce prince; les autres en plus grand nombre s'engagèrent dans ses troupes. Ils furent employés à garder les passages du Danube contre les entreprises de leurs compatriotes, et ils s'en acquittèrent avec fidélité[445]. Pendant le court intervalle qui[Pg 198] s'écoula entre l'arrivée et la mort d'Athanaric, Thémistius prononça dans le palais en présence de Théodose, un discours dans lequel, en faisant l'éloge de l'empereur, il montra que la justice, la bonté, la vigilance à maintenir l'ordre, sont les qualités essentielles de la souveraineté; que ce sont ces vertus qui forment la vraie grandeur du prince et le bonheur des sujets.

[437] Ἀθανάριχόν τε, παντὸς τοῦ βασιλείου τῶν Σκυθῶν ἄρχοντα γένους; κ. τ. λ. Zos. l. 4, c. 34.—S.-M.

[438] Ammien Marcellin rapporte, l. 27, c. 5, qu'Athanaric fut chassé par ses parents; il ne nomme pas Fritigerne, qui était sans doute de ce nombre. Postea, dit-il, Athanaricus proximorum factione genitalibus terris expulsus. Quoique la chose ne soit pas rapportée précisément de cette façon, par les auteurs anciens, qui sont fort obscurs sur ce point, et en particulier Zosime, l. 4, c. 34, il est certain qu'il faut l'entendre comme elle est présentée ici.—S.-M.

[439] Αὐτὸς ἀκονιτὶ ἐφειλκύσω τὸν Γέτην δυνάστην · καὶ ἥκει σοι ἐθελοντὴς, ὁ πάλαι σεμνὸς, καὶ ὑψηλογνώμων, ἱκέτης εἰς τὴν πόλιν τὴν βασιλίδα. Them. or. 15, p. 190.—S.-M.

[440] S. Ambroise s'exprime ainsi au sujet de l'arrivée d'Athanaric à Constantinople. Postea verò quam fidei exsules abdicavit, hostem ipsum, judicem regum, quem semper timere consueverat, deditum vidit, supplicem recepit, morientem obruit, sepultum possidet. Ambros. in proœm. de spir. sancto, t. 2, p. 603.—S.-M.

[441] Οὕ τὸν πατέρα ὁ μαμμεγέθης Κωνσταντῖνος εἰκόνι ἀπεμειλίσσετο, νῦν ἔτι ἀνακειμένῃ πρὸς τῷ ὀπισθοδόμῳ τοῦ βουλευτήριου. Them. or. 15, p. 191.—S.-M.

[442] On apprend d'Isidore de Séville, dans sa chronique des Goths, que le règne d'Athanaric avait été de treize ans. Voyez ci-devant, p. 104, not. 1. liv. XX, § 5.—S.-M.

[443] Fatali sorte decessit, dit Ammien Marcellin, l. 27, c. 5, et ambitiosis exsequiis ritu sepultus est nostro.—S.-M.

[444] Gothi autem proprio rege defuncto, aspicientes benignitatem Theodosii imperatoris, inito fædere, Romano se imperio tradiderunt. Isid. Chron. Goth. Ces paroles ne sont pas autre chose qu'une transcription de ce que dit Orose, l. 7, c. 34, sur le même sujet.—S.-M.

[445] Jornandès rapporte que les Goths d'Athanaric, restés au service de l'empire renouvelèrent le traité fait par leurs ancêtres avec Constantin; traité par lequel ils s'étaient engagés à fournir constamment un certain nombre d'hommes, destinés à se joindre aux armées impériales, avec le titre de fæderati ou alliés. Defuncto ergo Athanarico, cunctus exercitus in servitio Theodosii imperatoris perdurans, Romano se imperio subdens, cum milite velut unum corpus efficit, milliaque illa dudum sub Constantino principe fæderatorum renovata et ipsi dicti sunt Fæderati. Jorn. de reb. Get. c. 28.—S.-M.

XXII.

Intrigues de Maxime le cynique.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 16; et or. 32, t. 1, p. 516.

Pagi ad Baron.

Till. vie de S. Damase, art. 12.

La faveur que Théodose accordait à saint Grégoire et l'affection des catholiques ne mettaient ce prélat à couvert ni des attentats des hérétiques, ni des sourdes intrigues de Maxime. Cet hypocrite n'ayant pu séduire l'empereur, était retourné à Alexandrie. Loin de s'y tenir en repos, il força Pierre, évêque de cette ville, prélat bien intentionné, mais faible et timide, de lui donner des lettres de communion et de le reconnaître pour légitime évêque de Constantinople. Il menaçait de le déposséder lui-même. Le préfet d'Égypte craignant les suites d'une audace si déterminée, l'obligea de sortir de la province. Mais Maxime, muni du témoignage de Pierre, passa en Italie et vint à bout d'en imposer à tout l'Occident. Damase était lui-même alors vivement attaqué par les calomnies de l'anti-pape Ursinus, qui, relégué à Cologne, tâchait inutilement de s'accréditer auprès de Gratien. Le pape ne fut pas instruit par son propre exemple; il ne fit pas réflexion que la révolte de Maxime contre ce saint prélat ressemblait à celle d'Ursinus contre lui-même. Il se laissa tromper, et mit les évêques d'Occident dans les intérêts de l'imposteur. Grégoire avait encore d'autres assauts à soutenir dans Constantinople. Les hérétiques se vengeaient sur lui de leur disgrace; ils avaient porté la hardiesse jusqu'à lui jeter des pierres pendant qu'il[Pg 199] prêchait au peuple dans l'église des Saints-Apôtres. Sa pauvreté évangélique, la simplicité de ses habits, son visage mortifié et atténué par les jeûnes, son corps courbé d'austérités et de vieillesse, son extérieur peu avantageux, opposé au faste et à la magnificence des autres évêques, le rendaient un objet de mépris. Comme s'il eût été lui-même d'intelligence avec ses ennemis, il ne songeait qu'à quitter le siége épiscopal. Son dessein fut découvert: les catholiques alarmés s'assemblent aussitôt; on le supplie de ne pas abandonner son peuple; on le force d'en donner sa parole. Il promet de demeurer jusqu'à l'arrivée des prélats qui devaient incessamment tenir un concile à Constantinople, et qu'il espérait engager à nommer un autre évêque.

XXIII.

Concile de C. P. où S. Grégoire est confirmé dans l'épiscopat.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 30 et seq.

Socr. l. 5, c. 8.

Theod. l. 5, c. 8.

Prosp. chr.

Marcel. chr.

Chron. Alex. p. 304.

Zon. l. 13 t. 2, p. 36.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Grég. l. 9, c. 18.

Till. Arian. art. 137 et vie de S. Mélèce, art. 16.

Théodose résolu de faire tous ses efforts pour rétablir la paix dans l'église universelle, et en particulier dans celles d'Antioche et de Constantinople, avait convoqué pour le mois de mai de cette année, un concile de tout l'Orient. Cent cinquante évêques orthodoxes s'y rendirent des diverses provinces. Il y en vint aussi trente-six qui étaient attachés à l'hérésie de Macédonius. L'empereur espérant les ramener, les avait appelés au concile. Mais à peine y furent-ils arrivés, qu'ils se séparèrent, protestant qu'ils ne consentiraient jamais à reconnaître la consubstantialité. Les prélats catholiques commencèrent par examiner l'ordination de Maxime; elle fut déclarée nulle, et Grégoire, malgré ses larmes et sa résistance, fut confirmé dans la possession du siége de Constantinople.

XXIV.

Troubles dans le concile au sujet du successeur de Mélétius.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 24. et seq.

Greg. Nyss. in fun. Meletii, t. 3, p. 591 et 592.

Joan. Chrys. laus Meletii, t. 2, p. 518-523.

Socr. l. 5, c. 9.

Soz. l. 7, c. 10, et 11.

Till. vie de S. Mélèce, art. 9.

Vie de S. Ambr. art. 27.

Il n'y fut pas long-temps tranquille. Mélétius qui avait d'abord présidé au concile, mourut en peu de jours. L'empereur témoigna sa vénération pour la vertu[Pg 200] de ce saint évêque par la pompe des funérailles qu'il lui fit faire. Le corps de Mélétius fut porté à Antioche, et, contre la coutume des Romains, toutes les villes qui se trouvaient sur le passage, eurent ordre de le recevoir. Cette mort troubla la paix du concile. Les partisans de Mélétius et de Paulin étaient enfin depuis quelque temps convenus entre eux, qu'on ne donnerait point de successeur à celui des deux qui mourrait le premier, et que les deux partis se réuniraient sous l'autorité du survivant. Cet accord avait même été confirmé par un serment. Cependant, dès que Mélétius eut fermé les yeux, le concile se trouva partagé en deux avis. Saint Grégoire, à la tête des vieillards, demandait que la convention fût exécutée, il représentait que la bonne foi et la paix de l'église d'Antioche y étaient également intéressées; que Paulin avancé en âge, recommandable d'ailleurs par sa vertu et par la pureté de sa doctrine, méritait bien d'occuper une place qu'il laisserait bientôt vacante; que d'agir autrement, ce serait à la fois rendre la division éternelle, et mettre le bon droit dans le parti de Paulin, dont le rival ne pouvait devenir évêque, sans violer un pacte authentique. Ces motifs, quelque puissants qu'ils fussent, n'arrêtaient pas les nouveaux prélats, qui faute de meilleures raisons, s'écriaient que Paulin n'était en communion qu'avec les églises d'Occident, et que Jésus-Christ ayant honoré l'Orient de sa présence, la partie orientale ne devait pas céder à l'autre. La chaleur et l'activité de ces jeunes évêques entraîna enfin les vieillards. Flavien, prêtre d'Antioche, fut élu pour successeur de Mélétius. Le seul Grégoire refusa de consentir à cette élection; il prit de nouveau[Pg 201] le parti de renoncer à l'épiscopat, et ne fut retenu que par les instances de son peuple.

XXV.

S. Grégoire abdique l'épiscopat.

Greg. Naz. carm. de vita sua, t. 2, p. 25-28.

Theod. l. 5, c. 8.

Soz. l. 7, c. 7.

Pagi ad Baron.

Till. vie de S. Ambr. art. 21.

Cependant, on avait mandé aux évêques d'Égypte et de Macédoine de venir se joindre au concile, sous prétexte de contribuer au rétablissement de la paix. C'étaient sans doute les ennemis de saint Grégoire qui les y avaient appelés. Les évêques d'Occident étaient prévenus contre son ordination: Timothée frère et successeur de Pierre d'Alexandrie, mort depuis peu, et les autres évêques d'Égypte n'étaient pas mieux disposés. Ils réclamaient l'autorité des canons contre un prélat, qui déja évêque de deux siéges, disaient-ils, était venu s'emparer encore de celui de Constantinople. Saint Grégoire n'eût pas été embarrassé de se défendre, s'il eût souhaité de gagner sa cause; mais il embrassa avec empressement cette occasion de se soustraire à tant de cabales et de traverses; et après avoir déclaré que, pour calmer la tempête, il subirait avec joie le sort de Jonas, il abdiqua l'épiscopat en plein concile. Il y eut un petit nombre d'évêques qui sentirent la perte que faisait l'église de Constantinople, et qui pour n'avoir rien à se reprocher, sortirent de l'assemblée avec une profonde douleur. Les autres acceptèrent sans délibérer, la démission d'un prélat dont l'éloquence excitait leur jalousie et dont l'austérité condamnait leur luxe.

XXVI.

Il obtient le consentement de Théodose.

Greg. Naz. de vita sua, t. 2, p. 28, 29 et seq.

Il ne devait pas être si facile d'obtenir le consentement de Théodose. Grégoire alla au palais, et s'approchant de l'empereur, qu'il trouva environné d'une cour nombreuse et brillante: «Prince, lui dit-il, je viens vous demander une grâce; vous aimez à en accorder. Ce n'est pas de l'or pour mon usage, ni de riches ornements pour mon église; ce ne sont pas non[Pg 202] plus des gouvernements ni des emplois pour quelqu'un de mes proches. Je laisse ces faveurs à ceux qui recherchent ce qui n'est de nul prix. Mon ambition s'est toujours élevée au-dessus des choses de la terre. Je ne désire de votre bonté que la permission de céder à l'envie. Je respecte le trône épiscopal; mais je ne veux le voir que de loin. Je suis las de me rendre odieux à mes amis mêmes, parce que je ne cherche à plaire qu'à Dieu. Rétablissez entre les évêques cette concorde si précieuse; qu'ils terminent enfin leurs débats, si ce n'est par la crainte de la justice divine, du moins par complaisance pour l'empereur. Vainqueur des Barbares, remportez encore cette victoire sur l'ennemi de l'église. Vous voyez mes cheveux blancs et mes infirmités. J'ai épuisé au service de Dieu, ce qu'il m'avait donné de forces. Vous le savez, prince, c'est contre mon gré que vous m'avez chargé du fardeau sous lequel je succombe; permettez-moi de le mettre à vos pieds, et d'achever en liberté ce qui me reste d'une longue et pénible carrière.» Ces paroles affligèrent sensiblement l'empereur; mais la demande était aussi juste que sincère; il consentit à regret, et le saint prélat, après avoir dit adieu à son peuple par un discours plein d'une tendresse noble et chrétienne, qu'il prononça dans la grande église de Constantinople, en présence des évêques du concile, alla terminer le cours d'une vie pénitente et laborieuse dans sa chère solitude, après laquelle il n'avait cessé de soupirer.

XXVII.

Élection de Nectarius.

Socr. l. 5, c. 8.

Soz. l. 7, c. 7, 8 et 10.

Theod. l. 5. c. 8, 9.

Marcel. Chr.

Zon. l. 13, t. 2, p. 36.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 18 et 26.

On ne pouvait se flatter de donner à Grégoire un successeur d'un égal mérite. Théodose recommanda au concile de ne rien négliger pour trouver un pasteur[Pg 203] digne d'une place si importante: mais les vues de la plupart des prélats n'étaient pas si pures que celles du prince. Les intérêts d'amitié ou de parenté, déterminaient les suffrages. Il y avait alors à Constantinople un nommé Nectarius, né à Tarse, d'une famille sénatorienne, et actuellement préteur. Comme il était sur le point de retourner dans sa patrie, il alla rendre visite à Diodore évêque de Tarse, pour lui offrir de se charger de ses lettres. Diodore cherchait alors dans son esprit sur qui il ferait tomber son choix. La vue de Nectarius fixa son irrésolution. Les cheveux blancs du magistrat, sa physionomie noble et majestueuse, la douceur et la probité peintes sur son visage, le rendaient respectable. Le prélat, frappé de cette idée, le conduisit au nouvel évêque d'Antioche, qui avait beaucoup de crédit sur l'esprit de l'empereur; il lui demanda sa voix en faveur de Nectarius. Flavien reçut d'abord en riant la recommandation de Diodore; il trouvait quelque chose de bizarre à proposer un laïque presque inconnu, en concurrence avec les ecclésiastiques les plus distingués dans le clergé des églises d'Orient. Cependant, par complaisance pour son ami, il conseilla à Nectarius de différer son départ de quelques jours. Théodose, pour accélérer l'élection, pria les évêques de lui donner par écrit les noms de ceux que chacun d'eux avait en vue, se réservant la liberté de choisir. Flavien ayant composé la liste de ceux qu'il proposait sérieusement, voulut bien, pour ne pas désobliger Diodore, ajouter à la fin le nom de Nectarius. Ce fut à ce nom que s'arrêta la pensée de l'empereur; il connaissait ce magistrat; il estimait sa vertu. La vie de Nectarius n'avait pas toujours été fort réglée; mais[Pg 204] il avait corrigé dans la maturité de l'âge les désordres de sa jeunesse. Théodose, après avoir plusieurs fois relu la liste avec réflexion, se décida pour Nectarius. Ce choix surprit tous les évêques; on se demandait qui était ce Nectarius; on fut encore plus étonné d'apprendre qu'il ne fût pas encore baptisé, quoique déja avancé en âge. Ni cette circonstance, ni les représentations de plusieurs prélats ne firent changer d'avis à l'empereur. Nectarius fut baptisé; et, avant même que d'avoir quitté l'habit de néophyte, il reçut les ordres sacrés et fut, en présence du prince, installé sur le siége épiscopal avec le suffrage unanime des évêques, du clergé et du peuple de la ville. Ce fut un prélat médiocre, plus pieux que savant, plus capable de ménagement que de fermeté, plus versé dans les affaires politiques que dans les matières de la foi; mais Théodose fut heureux qu'un choix si hasardé n'eût pas des suites plus fâcheuses.

XXVIII.

Décrets du concile.

Socr. l. 5, c. 8.

Soz. l. 7, c. 9.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Greg. l. 9, c. 27.

L'agitation qui avait régné dans le concile, tant que les intérêts personnels avaient divisé les esprits, se calma par l'élection de Nectarius. Dans le silence des passions humaines, la foi parla seule, et son langage fut unanime. Toutes les hérésies contraires à la décision de Nicée, et à la doctrine orthodoxe sur la Trinité, furent frappées d'anathème. Pour confondre les Macédoniens, qui niaient la divinité du Saint-Esprit, on arrêta le symbole, tel qu'on le chante aujourd'hui à la messe, à l'exception de l'addition filioque, qui est plus récente. On fit plusieurs canons de discipline. Le plus fameux est celui qui donne à l'église de Constantinople le premier rang d'honneur après celle de Rome; et la raison qu'allègue le concile, c'est que Constantinople est la nouvelle Rome. Ce canon ne parlait que[Pg 205] du rang; on l'étendit depuis à la juridiction. Le concile de Chalcédoine attribua à l'église de Constantinople l'ordination des métropolitains de la Thrace, de l'Asie et du Pont. Ce nouveau patriarche eut la supériorité d'honneur sur ceux d'Alexandrie et d'Antioche; mais il n'en fut point un démembrement; parce que les trois diocèses dont il fut composé, ne dépendaient auparavant d'aucun patriarchat. Les évêques se séparèrent vers la fin de juillet, après que Théodose eut promis d'appuyer de son autorité l'exécution de leurs décrets. Ce concile n'était pas œcuménique dans son origine; mais il le devint ensuite pour ce qui regarde la foi, par l'accession du pape Damase et de tout l'Occident. Il tient le second rang entre les conciles généraux.

XXIX.

Lois de Théodose contre les hérétiques à l'occasion de ce concile.

Cod. Th. l. 16, tit. 7, leg. 1, 2, 3; tit. 5, leg. 7, usque ad 25.

Soz. l. 7, c. 12.

Imper. Orien. Band. t. 1, p. 92, t. 2, p. 491, 789.

Tandis que les évêques employaient les armes spirituelles pour abattre l'erreur, l'empereur armait contre elle l'autorité des lois. Dès les premiers jours du mois de mai, lorsque les prélats s'assemblaient, il donna le signal par deux lois[446] contre les apostats et les manichéens, qu'il déclara incapables de tester et de recevoir aucun héritage, aucune donation testamentaire. Gratien, deux ans après, suivit son exemple[447]. Pendant la tenue du concile, il défendit aux ariens de bâtir aucune église, ni dans les villes ni dans les campagnes, sous peine de confiscation du fonds sur lequel on aurait osé en construire. Pour mettre sous un seul point de vue toutes les lois de ce prince contre les hérétiques, je les rassemblerai ici en peu de mots. Il leur interdit toute assemblée, même dans les maisons particulières, et[Pg 206] s'ils contrevenaient à cette défense, il permit aux catholiques d'user de voies de fait pour les dissiper; cette permission pouvait être d'une dangereuse conséquence. Il leur défendit d'ordonner des prêtres ou des évêques; il commanda de rechercher leurs ministres et de les forcer de retourner dans leur pays natal, avec défense d'en sortir ni de demeurer à Constantinople sous quelque prétexte que ce fût. Il avait surtout en horreur les manichéens; ces hérétiques se divisaient en plusieurs sectes, dont quelques-unes avaient des pratiques aussi contraires à la pudeur qu'à la religion; il proscrivit ces sectes infames; il déclara punissables de mort ceux qui seraient convaincus d'y être engagés; il ordonna au préfet du prétoire d'en faire la recherche[448]. Il renouvela plusieurs fois ces lois; mais il est à remarquer que la dernière année de son règne, il rendit aux eunomiens la liberté de donner et de recevoir par testament. On apporte diverses raisons de cette variation; la plus vraisemblable à mon avis, c'est que l'empereur s'éloignant alors de Constantinople, où il laissait ses deux fils, voulut, par cette indulgence, adoucir l'aigreur de ces hérétiques, qui formaient un parti redoutable. Sozomène observe que les peines portées contre les hétérodoxes dans les lois de Théodose, n'étaient que comminatoires; qu'elles ne furent jamais mises à exécution, et que ce prince ne témoignait d'estime qu'à ceux qui revenaient à l'église par un mouvement libre de leur volonté. D'ailleurs, il s'étudia à couvrir de mépris les hérésiarques. Ce fut dans ce dessein qu'il fit poser dans la grande place les bustes[Pg 207] en marbre de Sabellius, d'Arius, de Macédonius et d'Eumonius. Ces bustes ne s'élevaient que de deux ou trois pieds au-dessus du terrain, et étaient exposés à toutes les insultes des passants.

[446] Ces lois données à Constantinople, sont datées des 2 et 8 mai 381.—S.-M.

[447] Comme on le voit par une loi datée de Padoue le 22 mai 383.—S.-M.

[448] Ce surcroît de rigueur contre les Manichéens fut prescrit par une loi donnée à Constantinople le 31 mars 382.—S.-M.

XXX.

Lois en faveur des évêques.

Cod. Th. l. 11, t. 39, leg. 8, 10. l. 16, tit. 1, leg. 3; l. 9, tit. 17; leg. 6, 7.

Socr. l. 5, c. 9.

Soz. l. 7, c. 10.

Aug. de opere Monach. c. 28. t. 6, p. 498.

Quelques-uns des évêques assemblés à Constantinople ne s'occupaient pas seulement des affaires de l'église, qui devaient être leur unique objet; ils se mêlaient dans les querelles séculières, et se laissaient traduire devant les tribunaux pour y servir de témoins. Théodose défendit d'y contraindre aucun évêque; il déclara qu'un évêque ne pouvait, sans déshonorer son caractère, se faire entendre publiquement en qualité de témoin. Il permit de citer les prêtres en témoignage; mais il les exempta de la question, qui était alors en usage dans les causes criminelles, pour assurer la vérité des dépositions, à condition qu'ils seraient sévèrement punis s'ils étaient convaincus de faux; car, dit-il, ceux qui abusent de nos respects pour couvrir la fraude et le mensonge, méritent les châtiments les plus rigoureux. Après la conclusion du concile, il renouvela l'ordre qu'il avait déja donné, de remettre toutes les églises entre les mains des évêques qui professaient la vraie foi sur le mystère de la Trinité; et pour les reconnaître à une marque sensible, il désigna nommément, dans toutes les provinces de l'empire, les prélats les plus orthodoxes, déclarant qu'il ne tiendrait pour catholiques, que ceux qui communiqueraient avec eux. Pour honorer encore le caractère épiscopal, il fit transférer d'Ancyre à Constantinople les reliques de Paul, évêque de cette dernière ville, que les ariens avaient fait mourir à Cucusus, sous le règne de Constance. Le corps fut déposé dans une église, qui porta dans[Pg 208] la suite le nom du saint; c'était celle que Macédonius son persécuteur avait fait bâtir, et cette translation fut regardée comme un triomphe que le martyr remportait après sa mort sur ses ennemis. A l'occasion de cette cérémonie, Théodose renouvela à l'égard de Constantinople, la loi ancienne qui défendait d'enterrer les corps ou les cendres des morts dans l'enceinte de Rome et des villes municipales; il n'excepta que les reliques des martyrs, et les corps des empereurs, qui avaient leur sépulture dans le vestibule de l'église des Saints-Apôtres, où l'on permit aussi d'inhumer les évêques de Constantinople. J'ajouterai ici une autre loi de Théodose, quoiqu'elle n'ait été faite que cinq ans après. Il s'introduisait dès-lors une sorte d'imposture, qui devint dans les siècles suivants beaucoup plus commune et plus scandaleuse. Des charlatans, qui, selon saint Augustin, étaient pour la plupart des moines hypocrites et vagabonds, abusaient de la simplicité des peuples; ils allaient de ville en ville, et vendaient de fausses reliques de martyrs. Théodose tâcha d'abolir ce honteux trafic, capable de décréditer les vrais objets de la vénération des fidèles; il défendit de transférer un corps hors de sa sépulture, de vendre, ni d'acheter des reliques.

XXXI.

Concile d'Aquilée.

Append. Sirm. ad Cod. Th.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 2, c. 18, 22, 23.

Till. Arian. art. 137 et vie de S. Flavien, art. 4.

Fleury, hist. eccles. l. 18, c. 10 et suiv.

La doctrine du concile de Constantinople fut reçue de tout l'Occident; c'était celle de l'église universelle; mais l'ordination de Nectarius et celle de Flavien ne trouvèrent pas la même approbation. Dès l'an 379, Palladius et Sécundianus, évêques d'Illyrie, zélés défenseurs de l'arianisme, avaient demandé à l'empereur Gratien un concile général; ils prétendaient s'y justifier des erreurs qu'on leur imputait; car, en défendant la[Pg 209] doctrine d'Arius, ils niaient qu'ils fussent ariens. Les prélats catholiques offraient de prendre l'empereur pour arbitre de cette dispute. Gratien refusa de se charger de ce jugement. Il indiqua d'abord un concile général à Aquilée; mais saint Ambroise lui ayant représenté qu'il n'était pas raisonnable de mettre en mouvement tout le monde chrétien, et d'obliger tous les évêques aux fatigues d'un long voyage pour une cause si peu importante, il consentit que le concile ne fût convoqué que des évêques du vicariat d'Italie et des députés des autres provinces. Ce concile se tint au mois de septembre, la même année que celui de Constantinople. Palladius et Sécundianus y furent convaincus d'arianisme et déposés. Les évêques écrivirent deux lettres à Gratien, l'une pour lui rendre compte de leur décision, l'autre pour le prier de réprimer les nouvelles entreprises de l'anti-pape Ursinus, et une troisième à Théodose, par laquelle ils paraissaient ne pas reconnaître Flavien pour légitime évêque d'Antioche, et demandaient un nouveau concile, afin d'apaiser les divisions qui troublaient l'église.

XXXII.

Suites des intrigues de Maxime le Cynique.

Append. Sirm. ad Cod. Th.

Baronius.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 6.

Till. vie de S. Ambr. art. 30, et suiv.

Fleury, hist. eccles. l. 18, art. 17.

L'ordination de Nectarius était encore plus odieuse aux yeux des évêques d'Occident. Ils reçurent à bras ouverts Maxime le cynique. Ce prélat, sans titre légitime, comme sans vertu, s'étant présenté au concile de Milan, fut admis à la communion. On écrivit en sa faveur à Théodose, et on le pria de concourir avec Gratien pour assembler à Rome un concile universel. Ce prince répondit aux évêques que leurs raisons n'étaient pas suffisantes pour cette convocation; que comme l'affaire de Nectarius et celle de Flavien s'étaient passées en Orient, et que toutes les parties y[Pg 210] étaient présentes, il n'était pas à propos de transférer la décision de ces deux causes en Occident, et de changer, par des innovations, les bornes que leurs pères avaient posées; que les évêques d'Orient avaient sujet de s'offenser de leur demande. Il les blâmait de témoigner un peu trop de chaleur contre les Orientaux, et d'ajouter foi trop légèrement à Maxime, dont il leur dévoilait les impostures.

XXXIII.

Concile de Rome et de C. P.

Theod. l. 5, 8, 9, 10 et 11.

Append. Sirm. ad Cod. Th.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 6.

Till. vie de S. Flavien, art. 4.

Fleury, hist. eccles. l. 18, art. 18, 19.

Cette réponse de Théodose trouva les évêques déja assemblés à Rome. Il avait lui-même fait revenir à Constantinople la plupart des prélats qui l'année précédente avaient assisté au concile général, afin de prendre avec eux les moyens de rétablir la concorde entre l'église d'Orient et celle d'Occident. Ces évêques reçurent une députation du concile de Rome, qui les invitait à se rendre en Italie. Ils s'en excusèrent sur la difficulté de s'éloigner de leurs églises, où l'hérésie nouvellement proscrite excitait encore de grands troubles. Ils se contentèrent de députer à Rome trois d'entre eux avec une lettre par laquelle ils justifiaient l'élection de Nectarius et de Flavien, et envoyaient leur profession de foi tout-à-fait conforme à la croyance des Occidentaux. Le pape Damase, à la tête du concile de Rome, répondit par une exposition de foi claire et détaillée sur le mystère de la Trinité: il déclara que les évêques d'Occident abandonnaient Maxime, reconnaissant qu'ils avaient été trompés par ses fourberies, et remerciant Théodose de leur avoir ouvert les yeux. Ce concile écrivit à Gratien pour le prier de réprimer l'insolence de la faction d'Ursinus qui, malgré les ordonnances de l'empereur, se soutenait en Italie. Gratien répondit par un rescrit adressé au vicaire Aquilinus,[Pg 211] dans lequel il le réprimandait de ce qu'il ne faisait pas exécuter ses ordres: il attribuait ces troubles à la négligence ou même à la collusion des magistrats, et les menaçait de punition, s'ils ne procuraient pas le repos à Damase. Il établissait de nouveau les règles des jugements ecclésiastiques.

XXXIV.

Troisième concile de C. P.

Socr. l. 5, c. 10, 20, 21.

Soz. l. 7, c. 6, 12, 17.

Theod. l. 5, c. 16.

Philost. l. 10, c. 6.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Greg. l. 10, c. 13.

Till. Arian. c. 138, 139.

La disgrâce des hérétiques, loin de les abattre, échauffait leur opiniâtreté et les accréditait parmi le peuple; leurs évêques chassés des autres villes, se réfugiaient dans la capitale de l'empire; ils y répandaient leur venin, et Constantinople retentissait de controverses. On s'assemblait dans les places publiques pour disputer sur l'essence de Dieu; les femmes, les artisans, les valets s'érigeaient en dogmatistes: c'était une frénésie épidémique. L'empereur voulut d'abord imposer silence; il défendit ces dangereuses contestations. Ses efforts furent inutiles. Il crut que, pour fermer la bouche à l'hérésie, le meilleur moyen était de la confondre. Il assembla encore un concile de tout l'Orient, et y manda les chefs de toutes les sectes. Ils s'y rendirent ainsi que les évêques orthodoxes. Ceux-ci n'approuvaient pas cette condescendance du prince; c'était à leur avis paraître chanceler dans la foi, que de remettre en question ce qui avait été décidé par tant de conciles. Un d'entre eux osa faire connaître à l'empereur le mécontentement général des catholiques. Théodose venait de déclarer Auguste son fils Arcadius; et ce jeune prince, âgé de six ans, assis à côté de son père, partageait avec lui les hommages des prélats, qui venaient saluer l'empereur à mesure qu'ils arrivaient à Constantinople. Amphilochius, évêque d'Iconium, était un vieillard aussi simple dans ses mœurs que célèbre pour[Pg 212] la sainteté de sa vie. S'étant présenté à Théodose, et l'ayant salué avec respect, il passa tout droit devant Arcadius, et se contenta de lui dire, en lui portant la main au visage, Dieu vous garde mon fils. L'empereur, offensé de cette familiarité indécente, ordonna aussitôt de faire retirer ce vieillard. Alors Amphilochius se tournant vers lui: Prince, s'écria-t-il, vous ne pouvez souffrir qu'on manque de respect à votre fils; pensez-vous que le Père céleste, le souverain des empereurs et des empires, pardonne à ceux qui blasphèment contre son fils unique, ou qui usent de ménagement et de condescendance envers ces blasphémateurs? Ces paroles firent une vive impression sur l'empereur; il embrassa le saint prélat, et conçut plus d'horreur que jamais contre les dogmes impies des ariens. Les conférences s'ouvrirent au mois de juin: ce qu'on en sait de certain, c'est qu'elles se terminèrent à l'avantage des orthodoxes, et que les hérétiques furent confondus. Eunomius, le plus redoutable de tous par sa subtilité et sa hardiesse, et qui avait corrompu plusieurs chambellans de l'empereur, fut envoyé en exil, où il mourut. Théodose épargna seulement les novatiens, qui témoignaient la même ardeur que les catholiques pour la défense de la doctrine orthodoxe sur la Trinité. Le zèle de l'empereur pour étouffer les hérésies, n'eut pas le succès qu'il désirait: privées d'honneurs et de crédit, elles subsistèrent pendant tout son règne, comme on le voit par les lois qu'il fut obligé de renouveller presque tous les ans. Ce dernier concile de Constantinople ne se tint qu'en 383: mais ce fut une suite du concile œcuménique assemblé en 381, et j'ai cru qu'il était à propos de[Pg 213] suivre sans interruption la conduite que Théodose a tenue à l'égard des ennemis de l'église catholique.

XXXV.

Lois sur les sacrifices.

Cod. Th. l. 16, tit. 10, leg. 7 et 8.

L'idolâtrie s'affaiblissait de jour en jour. Constantin lui avait porté les premiers coups: Gratien et Théodose se proposaient d'en achever la ruine. Une mort prématurée traversa le projet de Gratien; Théodose eut le temps d'y réussir, mais il ménagea ce dessein avec prudence; et, avant que d'abattre les temples, il voulut en miner les fondements par diverses ordonnances. Il se contenta cette année de bannir des temples les sacrifices et les cérémonies superstitieuses, par lesquelles on consultait les Dieux sur l'avenir. L'année suivante, il usa d'indulgence à l'égard des païens de l'Osrhoène[449]. Il y avait à Édesse un temple fameux, orné de magnifiques statues, et qui servait de lieu d'assemblée au peuple de la ville. On avait obtenu de l'empereur un ordre de le fermer, ce qui excitait les murmures de tout le pays. Théodose permit de le rouvrir, à condition qu'on n'abuserait pas de cette liberté pour y célébrer les sacrifices dont il avait interdit l'usage.

[449] Par une loi du 30 novembre 382, adressée à Palladius duc de l'Osrhoène.—S.-M.

XXXVI.

Exploits de cette année.

Zos. l. 4, c. 33 et 34.

Socr. l. 5, c. 24.

Oros. l. 7, c. 35.

Jornand. de reb. Get. c. 50.

Suid. in Ἀρβογάϛης.

Pendant que ce prince animait par sa présence les évêques assemblés à Constantinople[450], il se préparait à mettre ses troupes en campagne. Les Squires[451], qui[Pg 214] faisaient partie des Alains, joints aux Huns et aux[Pg 215] Carpodaces, avaient passé le Danube[452]. Les Carpodaces étaient un reste de la nation des Carpes, qui, chassés de leur pays par les Goths, s'étaient établis dans l'ancienne Dacie[453]. L'empereur marcha en personne contre ces barbares, les défit, et les obligea de repasser le fleuve. Dans le même temps, une armée de Goths traversait la Macédoine et marchait vers la Thessalie. Théodose se reposa du soin de les repousser, sur Bauton[454] et Arbogaste, que Gratien avait envoyés à son secours avec un grand corps de troupes. C'étaient deux capitaines Francs[455], qui s'étant attachés au service de l'empire, parvinrent aux premières dignités. Tous deux vaillants, désintéressés, et pleins de prudence: mais Bauton était plus fidèle, plus doux et plus modéré; il fut consul dans la suite[456], et se contenta des distinctions que lui procurait son mérite. Arbogaste, hardi, emporté, cruel, ambitieux au point de vouloir dominer ses maîtres, était d'ailleurs réglé dans ses mœurs, sobre et frugal, vivant comme un simple soldat. Ces deux généraux arrêtèrent les Goths à l'entrée de la Thessalie; et, par leur bravoure et leur sage conduite, ils leur[Pg 216] firent perdre l'espérance de pénétrer plus avant. Les Goths regagnèrent la Thrace, où ne se flattant pas de pouvoir se soutenir contre les forces de Théodose, ils prirent le parti de retourner au-delà du Danube.

[450] Théodose resta la plus grande partie de cette année à Constantinople. Il n'en sortit, à ce qu'il paraît, que vers le milieu de l'été, sans doute pour aller combattre les Barbares. On a de lui deux lois, du 21 juillet, datées d'Héraclée. Il était à Andrinople le 5 septembre, et on le retrouve à Constantinople le 28 du même mois. Il n'en sortit plus de cette année.—S.-M.

[451] C'est Jornandès qui nous apprend, c. 50, que les Scires faisaient partie des Alains. Sciri, dit-il, et Satagarii, et cæteri Alanorum. Pline est le premier auteur qui en ait parlé, l. 4, c. 27, il semble les placer du côté de la Vistule, vers la mer Baltique. Il les range parmi les Sarmates, mais, il faut l'avouer, ce qu'il en dit n'est pas assez clair, pour qu'on puisse se flatter de bien saisir sa pensée. Quidam hæc (insula Eningia), dit-il, habitari ad Vistulam usque fluvium, à Sarmatis, Venedis, Sciris, Hirris tradunt. Zosime les fait voir, l. 4, c. 34, à la fin du 4e siècle, avec les Goths et les autres Barbares, que la terreur des Huns forçaient à franchir le Danube, pour trouver un refuge et des établissements sur le territoire de l'empire. Une très-longue et très-belle inscription grecque trouvée récemment dans l'antique ville d'Olbiopolis, vers l'embouchure du Borysthène, fait mention des Scires, et elle en parle comme d'une des nations scythiques établies dans le voisinage de cette ville. Ce renseignement est tout-à-fait en harmonie avec ce que racontent Zosime et Jornandès sur le même peuple; on conçoit alors comment il pouvait être compris parmi les Alains. La date de cette inscription importante est fort incertaine. Plusieurs savants la font remonter jusqu'au milieu du 3e siècle avant notre ère, d'autres la rabaissent jusqu'au premier siècle avant cette même ère. Pour moi, je la crois plus moderne, et encore du deuxième siècle après J.-C. Voyez à ce sujet les Nouvelles annales des voyages de MM. Eyriès et Malte-Brun, t. XIX, p. 132, et le Journal asiatique, t. 3, p. 126. Quoi qu'il en soit, il paraît toujours constant, en rapprochant ce nouveau renseignement de ceux que nous possédions déja, que les Scires, fixés dès long-temps sur les rives du Borysthène, se dirigèrent vers le Danube, lorsque la puissance des Huns devint redoutable à tous les Barbares du Nord. Il paraît qu'ils avaient aussi obtenu de Théodose, des établissements au midi de ce fleuve, car Sozomène rapporte, l. 9, c. 5, qu'Uldès, roi des Huns, le passa au commencement du 5e siècle, comme allié des Romains, et qu'il attaqua les Scires, alors leurs ennemis, et il en fit un grand carnage. Avant cette calamité, dit l'historien grec, c'était une nation très-nombreuse, Ἔθνος δὲ τοῦτο βάρβαρον, ἱκανῶς πολυάνθρωπον, πρὶν τοιᾷδε περιπεσεῖν συμφορᾷ. On fit un grand nombre de prisonniers qui furent conduits à Constantinople et vendus à l'encan; tous ceux qui ne trouvèrent pas d'acquéreurs furent transportés en Asie, où on leur donna des terres à cultiver dans la Bithynie, auprès du mont Olympe. Après la mort d'Attila et le démembrement de son empire, les Scires obtinrent la possession de la petite Scythie et de la Mésie inférieure. Scythiam minorem, inferioremque Mæsiam accepere. Jorn. c. 50. Leur chef s'appelait alors Candax. Péria, père d'un certain Alanowamuthis, qui donna le jour à Jornandès, avait été secrétaire de ce prince. C'est une circonstance propre à inspirer une grande confiance dans l'exactitude des renseignements que l'historien des Goths nous a transmis sur ce peuple. Les Scires eurent aussi de grands démêlés avec les Ostrogoths qui les exterminèrent presque tous, ita sunt præliati, dit Jornandès, c. 53, ut penè de gente Scirorum, nisi qui nomen ipsum ferrent, et hic cum dedecore non remansissent, sic omnes extinxerunt. Les restes de cette nation s'attachèrent ensuite au service des Romains, ils passèrent en Italie où ils contribuèrent puissamment à la destruction de l'empire d'occident. Tout ce qui concerne cette partie de leurs annales, se retrouvera dans la suite de cette histoire.

[452] Σκύρους γὰρ καὶ Καρποδάκας Οὔννοις ἀναμεμιγμένους, ἠμύνατο. Zos. l. 4, c. 34.—S.-M.

[453] Les Carpes étaient, durant les trois premiers siècles de notre ère, un des plus puissants peuples qui habitaient les régions au nord du Danube. Ils y furent long-temps les adversaires des Romains. Ils tiraient leur nom des montagnes qui forment la limite septentrionale de la Hongrie et qui s'appellent encore Carpathes. Les Carpodaces dont parle Zosime, n'étaient que les débris des anciens Daces, réunis aux restes des anciens Carpes, pour former une de ces nombreuses tribus d'origine mélangée, souvent désignées par les anciens sous les noms collectifs de Sarmates et de Gètes, et qui passèrent le Danube en même temps que les Goths et les Alains.—S.-M.

[454] Il est appelé Baudon par Zosime l. 4, c. 33.—S.-M.

[455] Ἄμφω δὲ ἦσαν Φράγκοι τὸ γένος. Zos. l. 4, c. 33.—S.-M.

[456] Il fut consul en l'an 385. Sa fille Eudoxie épousa l'empereur Arcadius. On croit que Bauton était païen et qu'il mourut vers l'an 387.—S.-M.

An 382.

XXXVII.

Les Goths se soumettent à l'empire.

Themist. or. 16, p. 199-211; or. 18, p. 219; et or. 19, p. 229.

[Zos. l. 4, c. 33 et 34.]

Oros. l. 7, c. 34.

Idat. fast. et Chron.

Marcel. chr.

Synes. de regno. p. 25 et 26.

Ce n'était pas pour eux une retraite plus assurée. Le voisinage des Huns, qui les avait obligés sous le règne de Valens de quitter leurs demeures, les tenait dans de continuelles alarmes; et ce peuple malheureux, ne pouvant ni rester tranquillement dans son pays, ni en sortir impunément, courait risque d'être entièrement détruit. Théodose crut pouvoir profiter de leur embarras pour le bien de l'empire. La Thrace et la Mésie étaient tellement désolées que, sans une colonie étrangère, il fallait plusieurs siècles pour les repeupler. Les Goths étaient affaiblis; leurs défaites, leurs victoires mêmes leur avaient coûté une partie de leur nation; sans compter ceux qui, s'étant détachés de leurs compatriotes, s'étaient déjà donnés à l'empire. Théodose pensa qu'ils n'avaient plus assez de forces pour être de redoutables ennemis, mais qu'il leur en restait assez pour devenir des sujets utiles. Dans ces circonstances, il leur envoya Saturninus, au commencement de l'année dans laquelle Antoine était consul avec Syagrius. Différent de celui que nous avons vu dans le consulat l'année précédente, Saturninus était propre à cette négociation: parvenu par son mérite aux premiers emplois militaires, il ne pouvait manquer d'être agréable à une nation guerrière qui n'estimait que la valeur. Il connaissait les Goths, contre lesquels il avait servi dans toutes les guerres, et il en était connu. Il ne se pressa pas de terminer cette importante affaire. Il leur fit entendre à loisir que la clémence de l'empereur[Pg 217] leur tendait les bras; qu'il voulait bien oublier les violences passées; qu'il ne tenait qu'à eux de trouver un asile assuré dans le pays même qu'ils avaient d'abord ravagé, et ensuite inondé de leur propre sang, pourvu qu'ils se consacrassent sincèrement au service de l'empire: que s'ils étaient assez sages pour embrasser ce parti, ils auraient à se féliciter de leurs défaites, puisque le vainqueur leur accordait ce que n'avaient pu leur procurer des succès passagers, dont ils avaient été assez punis. Les Goths écoutèrent ces propositions. Leurs chefs suivirent Saturninus à Constantinople, où étant arrivés le 3 d'octobre, ils se prosternèrent devant l'empereur, lui demandèrent grâce, et lui promirent une inviolable fidélité. Théodose permit à toute la nation de s'établir dans la Thrace et dans la Mésie. Elle y répara les maux qu'elle y avait causés; les campagnes furent ensemencées et se couvrirent de moissons: les villages se relevèrent de leurs ruines, et les bords du Danube recouvrèrent leur ancienne fertilité. Un grand nombre de Goths prit des établissements à Constantinople, et du service dans les armées. Si l'on en juge par l'événement, cette politique de Théodose n'est pas exempte de censure. Il est vrai que les conjonctures n'étaient pas les mêmes que du temps de Valens: aussi, tant que Théodose vécut, les Goths se tinrent dans les bornes de la soumission; mais la faiblesse de ses successeurs réveilla leur haine qui n'était qu'assoupie. Théodose les laissa réunis dans le même pays; ceux qui servaient dans ses troupes formaient un corps à part sous des chefs de leur nation. Cette distinction les empêcha de s'incorporer aux autres sujets; bientôt ils s'en séparèrent et excitèrent de nouveaux[Pg 218] troubles. Théodose était sans doute assuré de les contenir tant qu'il vivrait; mais un prince bon et prudent porte ses vues au-delà des bornes de sa vie; il écarte les dangers les plus éloignés; il prépare des jours heureux à ses successeurs et à leurs sujets. C'est par les effets de cette prévoyance paternelle qu'on peut dire qu'il règne encore sur la postérité.

XXXVIII.

Divers effets de la clémence de Théodose.

Liban. or. 14, t. 2, p. 394 et 403; or. 15, p. 410.

Themist. or. 16, p. 212.

Les barbares établis depuis peu à Constantinople, avaient peine à se plier aux lois d'une police réglée. Un d'entre eux ayant commis quelque violence, le peuple se jeta sur lui, le massacra et traîna son corps dans la mer. La cruauté d'une telle vengeance pouvait causer le soulèvement de toute la nation. Pour le prévenir, Théodose se hâta de punir la ville; il retrancha le pain qu'on avait coutume de distribuer au peuple: mais il se laissa fléchir dès le même jour. Ce prince mettait son bonheur à pardonner. Il donna la vie à quelques Galates condamnés à mort, et fit grâce à une ville de Paphlagonie, que l'histoire ne nomme pas, non plus que le crime dont elle s'était rendue coupable.

XXXIX.

Famine à Antioche.

Liban. vit. t. 2, p. 64 et 65.

L'intempérie des saisons produisit en Orient la stérilité et la famine. Le pain manqua dans Antioche. Malgré les soins empressés des magistrats, le peuple s'en prenait à eux de sa misère: il menaçait d'égorger le Sénat. Philagrius, comte d'Orient, se contenta d'abord d'exhorter les boulangers à se relâcher sur le prix du pain; il craignait qu'ils ne prissent la fuite, s'il usait de rigueur à leur égard. Mais voyant que le peuple l'accusait de leur vendre sa protection, il voulut se justifier à leurs dépens. Il les fit arrêter et appliquer à la torture au milieu de la grande place, pour leur[Pg 219] faire dire s'il y avait quelque magistrat qui s'entendît avec eux. La populace impitoyable repaissait ses yeux du supplice de ces malheureux; elle était armée de bâtons et de pierres pour assommer le premier qui prendrait leur défense. Un si grand danger n'effraya point l'orateur Libanius. Il osa percer la foule, et ayant pénétré jusqu'au tribunal, il parla avec tant de force en faveur de ces innocents, qu'il calma la colère du peuple, et engagea Philagrius à faire cesser les tortures. Ce miracle de persuasion perd beaucoup de son autorité, parce qu'il n'est rapporté que par l'auteur même. Je soupçonnerais que quelque convoi de vivres survenu à propos, aida aux efforts de son éloquence.

XL.

Lois de Théodose.

Cod. Th. l. 1, tit. 2, leg. 6; l. 9, tit. 37, leg. 3; l. 10, tit. 21, leg. 2.

Les abus et les vices qui cherchent sans cesse à s'introduire dans un grand état, trouvaient un obstacle puissant dans la vigilance de Théodose. Il réprima le luxe, en défendant aux particuliers l'usage de l'or sur leurs habits; il ôta aux calomniateurs tout moyen d'excuse, toute espérance d'impunité. Comme il savait que la bonté du prince l'expose à la surprise, et que ceux qui, par leurs richesses et leur crédit, sont plus en état de payer les taxes publiques, sont d'ordinaire les seuls qui obtiennent des remises, il défendit aux officiers d'avoir égard sur cet article à ses propres rescrits.

XLI.

Lois de Gratien.

Cod. Th. l. 11, tit. 6, leg. unic. l. 14, tit. 8, leg. unic.

Ambr. offic. l. 2, c. 16, t. 2, p. 88.

Si Gratien n'avait pas les qualités brillantes de Théodose, il ne lui cédait pas en humanité, en attention sur la police de l'état, en zèle pour le progrès de la religion chrétienne. Des gouverneurs durs et avares prenaient quelquefois la liberté d'imposer des taxes extraordinaires, qu'ils faisaient autoriser par des lettres des préfets du prétoire. Il arrêta ces concussions, et défendit absolument de lever aucun impôt qui ne[Pg 220] fût établi par un édit du prince. Persuadé que les mendiants valides sont dans tout État un levain de sédition et de désordres, et que les moins dangereux sont en quelque sorte des frelons qui dévorent la subsistance des vrais pauvres, il proscrivit ce métier honteux[457]: il ordonna que les mendiants qu'on trouverait n'avoir d'autre titre à la compassion publique, que le libertinage et la paresse, seraient livrés à ceux qui les auraient dénoncés, à titre d'esclaves, s'ils étaient de condition servile, et de colons perpétuels, s'ils étaient libres[458].

[457] Par une loi rendue à Milan le 20 juin 382.—S.-M.

[458] Il paraît que la présence continuelle des Barbares, sur les frontières de la Pannonie, et sur les bords du Danube, avait forcé Gratien de séjourner pendant presque toute l'année 381, et même durant l'année 382, sur les frontières de l'Illyrie et de la partie septentrionale de l'Italie. Après son retour de Sirmium, où il était le 6 septembre 380, on le trouve à Milan le 29 mars 381, à Aquilée le 22 avril et le 8 mai. Il paraît qu'il fit alors un voyage dans la Gaule, et il était à Trèves le 14 octobre, mais il revint bientôt après en Italie, où on le retrouve à Aquilée le 26 décembre. Les lois de l'année suivante sont presque toutes datées de Milan, il n'en est qu'une seule datée de Viminacum et du mois de juillet. Il est bien probable qu'il fut alors obligé de quitter son séjour habituel, pour se porter vers le Danube et sans doute par la même cause, c'est-à-dire la crainte des Barbares, mais son absence fut courte, car bientôt après on le retrouve à Milan.—S.-M.

XLII.

S. Ambroise obtient la grace d'un criminel.

Soz. l. 7, c. 25. Till. vie de S. Ambr. art. 28.

L'évêque de Milan, où Gratien faisait alors sa résidence la plus ordinaire, profitait de la bonté naturelle de l'empereur, pour le porter à des actions de clémence. Mais plusieurs officiers du palais, qui ne cherchaient qu'à perdre leurs ennemis ou leurs rivaux, tâchaient d'éloigner de l'oreille du prince un prélat si opposé à leurs projets violents ou injustes. Un magistrat s'était échappé en discours injurieux contre l'empereur; il en fut convaincu et condamné à mort. Comme on le conduisait au supplice, Ambroise accourut[Pg 221] au palais pour intercéder en sa faveur. Les ennemis que cet infortuné avait à la cour, ayant bien prévu cette sollicitation, avaient engagé le prince à une partie de chasse dans son parc: et lorsque Ambroise vint demander audience, on lui répondit que l'empereur était à la chasse, et qu'il n'était permis à personne d'aller troubler ses plaisirs. L'évêque feignit de se retirer; mais il trouva moyen de s'introduire secrètement par une autre porte avec les valets qui menaient les chiens. Alors s'étant présenté à Gratien, il se fit écouter malgré les contradictions des courtisans, et ne quitta le prince qu'après avoir obtenu la grâce du coupable.

XLIII.

Gratien travaille à la destruction de l'idolâtrie.

Ambr. ep. 17, t. 2, p. 824 et 829.

Cod. Th. l. 16, tit. 10, leg. 20.

Zos. l. 4, c. 36.

Till. Grat. art. 14.

Vie de S. Damase, art. 13.

Vie de S. Ambr. art. 33.

Mem. Acad. Insc. et B. L. t. 15, p. 140.

Ce saint prélat soutint l'honneur de l'empereur et du christianisme dans une affaire plus éclatante. L'autel de la Victoire subsistait à Rome dans la salle du sénat, depuis que Julien l'avait rétabli. C'était un monument célèbre où l'idolâtrie semblait encore triompher, et que les sénateurs chrétiens ne pouvaient voir sans honte et sans douleur. Gratien fit cesser ce scandale; l'autel fut détruit. Il fit plus; il confisqua les revenus assignés à l'entretien des pontifes, et les terres dont la superstition avait fait donation aux temples. Il annula les priviléges et les immunités des prêtres et des vestales; il ordonna que les fonds qui leur seraient légués par testament, seraient dévolus au fisc, et il ne les laissa jouir que des legs mobiliaires. Jamais l'idolâtrie n'avait reçu de coup plus sensible. Attaquée dans son sanctuaire, elle anima à sa défense les sénateurs païens: ils dressèrent une requête pour demander la révocation de cet édit, et députèrent au nom du sénat entier Symmaque, à la tête du collége des[Pg 222] pontifes, qui tous étaient sénateurs. Ce Symmaque est celui dont nous avons dix livres de lettres. Il était recommandable par son mérite et par celui de son père, que nous avons vu préfet de Rome sous Valentinien[459]. Il avait été gouverneur de la Lucanie et du pays des Bruttiens[460], et proconsul d'Afrique[461]. La demande des païens ne pouvait être appuyée d'une plus grande autorité. Mais les sénateurs chrétiens, et c'était le parti le plus nombreux, désavouèrent hautement les députés; ils mirent entre les mains du pape Damase une requête toute contraire, par laquelle ils protestaient que, loin de demander le rétablissement de l'autel de la Victoire, ils étaient résolus de ne plus aller au sénat, s'il était rétabli. Damase fit tenir cette requête à saint Ambroise, pour la remettre à l'empereur. Gratien, prévenu par le prélat, renvoya les députés païens sans vouloir les entendre; il refusa même la robe de grand pontife, qu'ils avaient apportée pour la lui présenter à cette occasion, et rejeta ce titre, que Constantin et ses successeurs avaient jugé à propos de conserver. Il crut que, dans l'état de faiblesse où tant de coups redoublés avaient réduit le paganisme, il n'était plus besoin de ce ménagement politique. Depuis ce temps, le titre de grand pontife cessa d'être attaché à la dignité impériale; et Gratien conféra au préfet de Rome la jurisdiction dont avait été revêtu le chef de la religion païenne. Zosime raconte que le premier des pontifes, en recevant la robe que Gratien lui renvoyait, s'écria: S'il ne veut pas être grand pontife, Maxime le sera bientôt. La témérité de ces paroles est voilée dans[Pg 223] l'expression latine, sous une équivoque assez puérile[462]. Si le fait est véritable, il faut supposer qu'on avait déjà en Italie quelque pressentiment de la révolte de Maxime.

[459] En 364 et 365.—S.-M.

[460] Correcteur de la Lucanie et du Brutium en 365. Il s'appelait Q. Aurélius Symmachus.—S.-M.

[461] Ce proconsulat est de l'an 370 ou de l'an 373.—S.-M.

[462] Εἰ μὴ βούλεται Ποντίφιξ βασιλεὺς ὀναμάζεσθαι, τάχιστα γενήσεται Ποντίφιξ μάξιμος. Zos. l. 4, c. 36.—S.-M.

An 383.

XLIV.

Famine dans Rome.

Ambr. ep. 18, t. 2, p. 833; ep. 49, p. 991 et offic. l. 3, c. 7, p. 119.

Symm. l. 2, ep. 7, et l. 10, ep. 54.

Amm. l. 14, c. 6.

Themist. or. 18, p. 222.

Baronius.

Till. Grat. art. 16, et not. 23.

Suet. in Aug. c. 42.

L'année suivante, Mérobaudès étant consul pour la seconde fois avec Saturninus, les païens attribuèrent à la colère des Dieux, que Gratien méprisait, la famine dont Rome fut affligée[463]. La moisson avait manqué dans cette contrée de l'Italie, et les vents contraires avaient arrêté les vaisseaux qui apportaient le blé d'Afrique. Ce fut alors que Rome fit connaître la prodigieuse corruption où elle était parvenue depuis un peu plus de trois siècles, et que nous avons tracée d'avance dans l'histoire de Constantin. Auguste, dans une pareille extrémité, avait fait sortir de Rome les étrangers, excepté les médecins et ceux qui enseignaient les arts libéraux. Cette dureté, à laquelle la nécessité servait d'excuse, avait été trop souvent imitée. Dans l'occasion dont je parle, tous les étrangers eurent ordre de sortir de la ville; mais on y retint par privilége, les baladins et les danseuses, qui se trouvèrent au nombre de trois mille. Ces malheureux bannis, errans sans secours dans les campagnes desséchées et stériles, étaient réduits à se nourrir de glands, de racines et de fruits sauvages. Leur sort déplorable attendrissait ceux qui, dans leurs propres maux, conservaient encore quelque sensibilité du malheur des autres. Personne n'en fut[Pg 224] plus vivement touché que le préfet de la ville: on croit qu'il se nommait Anicius Bassus. C'était un vieillard ferme et généreux, rempli de cette charité que la religion chrétienne étend sur tous les hommes, et de cette confiance qu'elle inspire dans les plus rudes adversités.

[463] Les diverses lois de cette année font voir que Gratien résida encore en Italie, il en passa tout le commencement jusqu'au 2 mai à Milan. Il alla ensuite à Padoue, où il était les 22, 27 et 28 du même mois. On le retrouve à Vérone, le 17 juin.—S.-M.

XLV.

Discours d'Anicius Bassus.

Il assembla les plus riches citoyens. «Que faisons-nous? leur dit-il. Pour prolonger notre vie, nous faisons périr ceux qui travaillent à la soutenir. Ces étrangers que nous bannissons, ne font-ils pas une partie de l'État, précieuse et nécessaire? Ne sont-ils pas nos laboureurs, nos serviteurs, nos marchands, quelques-uns mêmes nos parents? Nous ne retranchons pas la nourriture à nos chiens, et nous la plaignons à des hommes! Que la crainte de la mort est aveugle, en même temps qu'elle est cruelle! Qui voudra désormais nous procurer, par un commerce utile, les nécessités de la vie? Qui voudra ensemencer nos terres? Qui nous fournira du pain, si nous en refusons à ceux par les mains desquels la Providence nous le donne? Quelle horreur les provinces vont-elles concevoir de Rome? Enverront-elles leurs enfants dans une ville homicide? Mais la faim qui va consumer ces innocentes victimes, fera-t-elle cesser la nôtre? Nous épargnons quelques morceaux de pain; nous achetons un répit de peu de jours au prix de la vie de tant d'infortunés; semblables à ces malheureux navigateurs qui, pour éloigner la mort de quelques moments, se dévorent les uns les autres. Sacrifions bien plutôt toutes nos fortunes; ce sera subsister à meilleur marché que par la perte d'un seul homme. Nous n'avons de secours à attendre que du ciel: il[Pg 225] sera d'airain pour nous, si nous sommes impitoyables pour nos frères: notre miséricorde méritera la sienne. Ouvrons les bras à ces misérables; contribuons tous à leur subsistance. Il ne nous en coûtera pas plus pour les nourrir, que pour en acquérir d'autres après les avoir perdus. Et où en trouverons-nous qui veuillent s'exposer à la mort en servant des maîtres inhumains?» Ce discours arracha des larmes aux plus insensibles. L'avarice même ouvrit ses trésors. On fit venir des blés de toutes parts; on permit l'entrée de la ville aux bannis, que la famine avait épargnés. Le superflu des riches versé sur les pauvres, procura à ceux-ci le nécessaire; et la charité d'un seul homme, assez féconde pour suppléer à la stérilité de la terre, sauva la vie à un peuple nombreux.

XLVI.

Gratien se rend odieux.

Cod. Th. l. 11, tit. 13, leg. unic. l. 13, tit. 10, leg. 8; l. 1, tit. 3, leg. 1.

Zos. l. 4, c. 35.

Vict. epit. p. 231.

Gratien avait de la bonté et de la justice; mais il manquait de prudence. Il venait de publier plusieurs lois qui tendaient à soulager ses peuples et à les affranchir des vexations que les officiers exerçaient dans les provinces, en supposant des ordres de l'empereur. S'apercevant que sa facilité naturelle avait tellement multiplié les exemptions, que ceux qui demeuraient assujettis aux charges publiques, en étaient écrasés, il révoqua toute immunité, tout privilége; et pour donner l'exemple, il se réduisit lui-même au droit commun, et voulut que sa propre maison partageât le fardeau des contributions[464]. Il défendit de faire exécuter aucun ordre du prince qui ne serait pas justifié par lettres patentes[465]. En un mot, il s'occupait à rendre ses sujets heureux; mais il ne songeait pas assez à ménager leurs esprits.[Pg 226] Franc et sans défiance, trop livré au plaisir de la chasse, et trop peu attentif aux murmures de sa cour, il prodiguait les distinctions à des barbares, et surtout à des Alains qu'il avait attirés à son service. Il leur donnait des emplois honorables dans les armées, il les approchait de sa personne, il prenait même plaisir à s'habiller à leur manière. Cette préférence excita d'abord la jalousie contre les nouveaux favoris, et bientôt une haine secrète contre le prince[466]. Les Romains comblés de ses bienfaits, les oublièrent dès qu'ils les virent partagés avec des étrangers. Ces mécontentements préparaient une révolution; il ne manquait plus qu'un chef pour la faire éclater.

[464] Par une loi rendue à Milan, le 19 janvier 383.—S.-M.

[465] Cette défense fut décrétée à Vérone le 17 juin 383.—S.-M.

[466] Nam dum exercitum negligeret, et paucos ex Alanis, quos ingenti auro ad se transtulerat, anteferret veteri ac romano militi, adeoque barbarorum comitatu et prope amicitia capitur, ut nonnumquam eodem habitu iterfaceret, odia contra se militum excitavit. Aur. Vict. epit. p. 231. Zosime donne, l. 4, c. 35, un pareil motif à la haine des soldats contre Gratien.—S.-M.

XLVII.

Caractère de Maxime.

Sulp. de vita Mart. c. 23. dial. 2, c. 7. dial. 3, c. 15.

Auson. in Aquileia. p. 216.

Oros. l. 7, c. 34.

Pacat. paneg. § 28 et seq.

Baronius.

Pagi ad Baron.

Il s'en trouva un à l'extrémité de l'empire, assez hardi pour lever l'étendard de la révolte, et assez habile pour faire croire qu'il y avait été forcé. Magnus Clemens Maximus tenait un rang considérable dans les légions romaines qui défendaient alors la Grande Bretagne contre les incursions des barbares du Nord. La naissance[467] et le caractère de cet usurpateur sont un[Pg 227] problème historique; et dans la contrariété des opinions, il est difficile d'asseoir un jugement assuré. Les poètes et les panégyristes, qui lui préparaient sans doute des éloges, s'il eût été heureux jusqu'à la fin, l'ont chargé d'opprobres après sa défaite. Selon eux, c'était un bâtard sorti de la poussière[468]; il fut dans sa jeunesse valet de Théodose[469], dont la protection lui[Pg 228] tint lieu de mérite, et lui procura de l'emploi dans les troupes[470]. D'un autre côté, Maxime se couvrit du masque de la religion; il honora les évêques; il fit mourir des hérétiques. Ce zèle sanguinaire, qui ne coûte rien à un prince sans humanité, et qui n'en imposa ni à saint Martin, ni à saint Ambroise, lui a cependant rendu favorables quelques auteurs ecclésiastiques, de ceux même qui ont désapprouvé sa cruauté. Par une bizarrerie très-commune, ils ont condamné l'action, et estimé la personne. A les entendre, Maxime sortait d'une illustre origine; il avait autant de vertu que de valeur; et, pour porter avec gloire le nom d'empereur, il ne lui manqua qu'un titre légitime[471]. Dans cette opposition de sentiments, je crois que le meilleur parti est de ne rien assurer touchant sa famille[472], et de juger de son génie par ses actions mêmes. On y verra un politique qui se joue de la religion; un ambitieux qui n'a point d'autre caractère: doux et cruel selon ses intérêts; brave lorsqu'il peut le paraître sans péril; timide[Pg 229] contre des ennemis courageux; adroit à colorer ses injustices; d'un génie assez vaste pour former de grands desseins, mais trop faible pour surmonter de grands obstacles.

[467] Il était Espagnol, selon Zosime l. 4, c. 35. Ἴβηρ τὸ γένος. Ausone l'appelle Rutupinus Latro, sans doute parce qu'il était parti de Rutupiæ, le port de l'Angleterre le plus voisin de la Gaule, dont il se rendit bientôt le maître. Les premiers auteurs qui ont écrit en latin l'histoire de l'Angleterre, regardent Maxime comme un Breton, ce qui semble appuyé par ce passage de Socrate, l. 5, c. 11, Μάξιμος ἐκ τῶν περὶ τὰς Βρεττανίας μερῶν. Ceci pourrait s'entendre cependant du lieu d'où il partit pour envahir l'empire. Quoi qu'il en soit, les auteurs et les généalogistes gallois, c'est-à-dire les descendants des indigènes de l'Angleterre, n'ont pas balancé à adopter cet usurpateur, dont ils font leur 79e monarque. Ils l'appellent Maxen Wledig ou Maxime l'illustre. Il existe en langue galloise, une antique histoire intitulée Breuddwydd Maxen Wledig ou la mort de l'illustre Maxime. Après sa mort son fils Owayn lui succéda. Il est actuellement bien difficile de démêler ce qu'il peut y avoir de vrai, au milieu de ces traditions qui semblent être très-altérées. Il pourrait se faire, malgré le témoignage isolé de Zosime, que Maxime eût été réellement Breton de naissance. Plusieurs passages du panégyrique de Pacatus et de quelques autres écrivains, font voir qu'il avait auprès de lui un grand nombre de Bretons. Comme il s'était conservé, à ce qu'il paraît, dans l'Angleterre plusieurs petites principautés dépendantes de l'empire, il serait possible à la rigueur que Maxime ait appartenu à la race de ces petits souverains; car, pour ce qui concerne la basse origine qu'on lui attribue, il est probable qu'on en eût parlé tout autrement s'il n'eût pas été vaincu par Théodose. Les paroles de Pacatus, c. 23, regali habitu exulem suum illi exules orbis induerent; paroles qui font allusion à ce vers si connu de Virgile: Toto divisos orbe Britannos, ne peuvent guère s'appliquer qu'à un homme né Breton: il en est de même de cet autre passage de Pacatus, où il appelle Maxime, orbis extorris, patriæque fugitivus. Tout indique que Pacatus regardait bien Maxime comme un Breton. Le vers dans lequel Claudien (4º cons. Hon. v. 73.), dit que Théodose a vaincu la sauvage Bretagne, sæva Britannia fudit, est aussi en rapport avec cette même idée. Elle ne peut s'entendre qu'en faisant de Maxime, un Breton de naissance.—S.-M.

[468] Pacatus oppose ainsi, c. 31, la naissance de Théodose avec celle de Maxime; non ipse sibi objecisset, dit-il, te esse triumphalis viri filium; se patris incertum? Il est à remarquer que les historiens gallois qui ont conservé le souvenir de Maxime, ne donnent pas le nom de son père. Pacatus dit ensuite, te hæredem nobilissimæ familiæ; se clientem. On ne doit pas conclure de ces paroles que Maxime fut un personnage aussi obscur. L'histoire romaine offre en effet plus d'un exemple d'étrangers d'extraction noble, qui s'attachaient comme clients à des hommes puissants. Des rapports de cette espèce, avaient pu exister entre Théodose et Maxime; celui-ci pouvait appartenir à une famille distinguée de l'Angleterre et s'être mis à un titre quelconque, au service de Théodose gouverneur ou chef suprême du pays.—S.-M.

[469] Pacatus, c. 31, le représente comme remplissant les fonctions les plus basses dans la maison de Théodose. Domus tuæ, dit-il, negligentissimus vernula, mensularumque servilium statarius lixa. Il est difficile de discerner ce qu'il peut y avoir de vrai, dans ces paroles outrageantes, que la haine et la flatterie dictent au panégyriste d'un vainqueur.—S.-M.

[470] Selon Zosime, l. 4, c. 35, il avait été compagnon de Théodose, dans les guerres qu'il avait faites en Angleterre avant d'avoir été élevé à l'empire. Θεοδοσίῳ τῷ βασιλεῖ κατὰ τὴν Βρεττανιάν συστρατευσάμενος.—S.-M.

[471] Maximus, vir quidem strenuus et probus, atque Augusto dignus, nisi contra sacramenti fidem per tyrannidem emersisset, in Britannia invitus propemodum ab exercitu imperator creatus, in Galliam transiit. Oros. l. 7, c. 34. Maximus imperator rempublicam gubernabat, vir omni vitæ merito prædicandus, si ei vel diadema non legitime, tumultuante milite, impositum repudiare, vel armis civilibus abstinere licuisset. Sulp. Sev. dial. 2, c. 7.—S.-M.

[472] Sulpice Sévère dans sa vie de S. Martin, fait mention d'un oncle paternel de Maxime, et Pacatus § 35, parle de son frère nommé Marcellin. Il fut tué dans un combat près de Pettau (Petavio).—S.-M.

XLVIII.

Il est proclamé empereur.

Zos. l. 4, c. 35.

Vict. epit. p. 231.

Pacat. paneg. c. 31.

Claud. de 4º Cons. Hon.

Socr. l. 5, c. 11.

Prosp. chr.

Il avait pris naissance en Espagne[473] dans la même contrée que Théodose, dont il se vantait d'être allié[474]. Il servit avec lui dans la Grande-Bretagne[475], lorsque Théodose y faisait ses premières armes sous les ordres de son père. Étant resté dans ce pays, il parvint aux premières dignités de la milice. Il ne put, sans jalousie, voir élevé sur le trône celui qu'il traitait d'ancien camarade de service, tandis que lui-même demeurait caché dans un coin obscur de l'empire[476]. La haine qu'il conçut contre Gratien, auteur de l'élévation de Théodose, le porta à corrompre les troupes, toujours plus séditieuses en ce pays, parce qu'elles étaient plus éloignées du souverain. Il sema des mécontentements et des murmures; mais il eut l'adresse de couvrir ses intrigues, et se ménagea le prétexte dont il sut souvent se prévaloir, d'avoir été malgré lui entraîné à la révolte. Les faveurs que l'empereur répandait sur les Barbares, achevèrent de soulever les esprits: les officiers et les soldats déclarèrent que puisque Gratien méconnaissait les Romains, ils ne le reconnaissaient plus pour empereur. On proclama Maxime Auguste, et, malgré sa feinte résistance, il fut revêtu de la pourpre.

[473] Zosime est le seul auteur qui lui attribue cette origine, voyez ci-devant, p. 226, note 2.—S.-M.

[474] Carnifici purpurato, tua se et affinitate et favore jactanti. Pacat. c. 24. On peut ce me semble rendre raison du terme affinitas, déja expliqué par celui de favor qui suit, par les considérations exposées ci-devant, p. 227, n. 1.—S.-M.

[475] Voyez ci-devant, p. 228, n. 1.—S.-M.

[476] Οὗτος δυσανασχετῶν ὅτι θεοδόσιος ἠξίωτο βασιλείας, αὐτὸς δὲ οὐδὲ εἰς ἀρχὴν ἔντιμον ἔτυχε προελθὼν. Zos. l. 4, c. 35.—S.-M.

[Pg 230]

XLIX.

Il marche contre Gratien.

Pacat. paneg. c. 28.

Vict. epit. p. 231.

Zos. l. 4, c. 35.

Ruf. l. 12, c. 14.

Oros. l. 7, c. 34.

Till. Gratien, art. 18.

Il s'embarqua aussitôt à la tête des soldats romains, et d'un grand nombre de Bretons qui accoururent au premier signal[477]. Pour autoriser sa rébellion, il fit courir le bruit qu'il agissait de concert avec Théodose. Étant abordé à l'embouchure du Rhin[478], il traversa comme un torrent la Gaule septentrionale, entraînant sur son passage les troupes du pays et une multitude de Gaulois qui le reconnurent pour maître. Il était déja près de Paris, lorsqu'il vit paraître l'armée de Gratien, qui marchait à sa rencontre[479]. Malgré les désertions, elle était encore assez nombreuse, et commandée, sous les ordres du prince, par deux généraux vaillants et fidèles, Mérobaudès, actuellement consul, et le comte Vallion[480]. Gratien présenta la bataille, que Maxime n'accepta pas. On resta campé en présence durant cinq jours, qui se passèrent en escarmouches. Dans cet intervalle, Maxime pratiqua les troupes de Gratien; il[Pg 231] en corrompit la plus grande partie. Le tyran répandait l'argent à pleines mains; et au contraire, les profusions précédentes du jeune empereur ayant épuisé ses finances, il ne lui restait plus de quoi retenir des ames vénales et sans foi. D'abord, toute la cavalerie maure passa du coté de Maxime: les autres corps suivirent successivement cet exemple; et Gratien se voyant trahi, se sauva à course de cheval, et prit le chemin des Alpes pour gagner l'Italie[481], avec trois cents cavaliers qu'il croyait fidèles.

[477] Les soldats bretons, d'après ce que dit Zosime, l. 4, c. 35, se distinguaient alors entre tous les autres par leur audace et leur arrogance, τῶν ἄλλων ἁπάντων πλέον αὐθαδείᾳ καὶ θύμῷ νίκωμένους.—S.-M.

[478] Ταῖς τοῦ Ῥήνου προσωρμίσθησαν ἐκβολαῖς. Zos. l. 4, c. 35. Les historiens de Bretagne ont cherché, assez mal à propos selon moi, à transporter dans leur pays, le lieu du débarquement de Maxime, sur le continent de la Gaule. Voyez Hist. de Bretagne de D. Morice, t. 1. Mémoires, ch. 1, § 15, et note 6.—S.-M.

[479] On apprend de Socrate, l. 5, c. 11, et de Sozomène, l. 7, c. 13, que Gratien soutenait alors la guerre contre les Allemans. Il paraît d'après une lettre de S. Ambroise, ep. 24, t. 2, p. 890, que c'était contre les Iuthonges qui vinrent piller la Rhétie vers cette époque. In medio Romani imperii sinu Iuthungi populabantur Rhetias.—S.-M.

[480] Maxime les fit périr dans la suite, en haine de l'attachement, qu'ils avaient montré jusqu'à la fin pour la cause de Gratien, dont ils avaient toute la confiance. Steterat enim uterque in acie Gratiani, et Gratianus utrumque dilexerat. Pacat. c. 28. Le même panégyriste donne à Vallion le surnom de triumphalis, à cause des nombreux triomphes dont il avait été honoré, et il appelle Mérobaudès trabeate, allusion à la pourpre consulaire dont il était alors revêtu, Vallio triumphalis, et trabeate Merobaudes recordetur interitum.—S.-M.

[481] Zosime rapporte, l. 4, c. 35, que Gratien s'enfuit en toute hâte vers les Alpes, ἔφυγε προτροπάδην ἐπὶ τὰς Ἄλπεις, mais que les trouvant sans défense, εὑρων δὲ ταύτας ἀφυλάκτους, il se dirigea vers la Rhétie, le Noricum, la Pannonie et la haute Mésie, ἐπὶ Ῥαιτίας ἐχώρει καὶ Νώρικον, Παιονίας τε καὶ τὴν ἄνω Μυσίαν. C'était peut-être le projet de Gratien, mais il est certain que ce prince ne passa pas les Alpes et qu'il mourut à Lyon. C'est donc une erreur de Zosime, mais elle est en rapport avec ce que cet auteur dit aussi du lieu où périt Gratien. Voy. ci-après, p. 232, n. 1.—S.-M.

L.

Mort de Gratien.

Pacat. paneg. c. 30.

Vict. epit. p. 231.

Zos. l. 4, c. 35.

Ambros. in Psalm. 61, t. 1, p. 961, et de obitu Valent. t. 2, p. 1173.

Aug. de civ. l. 5, c. 25, t. 7, p. 142.

Hieron. ep. 60, t. 1, p. 341.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Prosp. chr.

Ruf. l. 12, c. 14.

Oros. l. 7, c. 34.

Marc. chr.

Zon. l. 13, t. 2, p. 34.

Theoph. p. 57.

Baronius, p. 383.

Till. Grat. art. 18, not. 25.

Il en fut bientôt abandonné. Toutes les villes lui fermèrent leurs portes. Alors, errant çà et là, sans secours et sans espérance, poursuivi par un détachement de cavaliers ennemis, il quitta la robe impériale pour n'être pas reconnu. On rapporte diversement la manière dont il perdit la vie. Selon l'opinion la plus commune, Maxime envoya, pour le poursuivre, un de ses généraux nommé Andragathe, né sur les bords du Pont-Euxin[482], et en qui le tyran avait une singulière confiance. Ce barbare étant averti que le prince approchait de Lyon, se mit dans une litière; et dès qu'il aperçut Gratien sur l'autre bord du Rhône, il envoya lui dire que c'était sa femme Lœta qui venait le joindre pour partager ses malheurs. Gratien aimait tendrement cette princesse, qu'il avait depuis peu épousée.[Pg 232] Il passa le fleuve, et ne fut pas plutôt à terre, qu'Andragathe s'élança de sa litière, et le poignarda[483]. Ce récit aurait besoin d'un meilleur garant que Socrate, qui paraît en être le premier auteur. Il est beaucoup plus sûr de s'en rapporter à saint Ambroise, qui n'a pu ignorer la mort d'un prince qu'il chérissait, et dont il était chéri. Ce saint prélat, après avoir gémi sur la malignité des ennemis de Gratien, qui avaient osé répandre des calomnies sur sa chasteté, quoiqu'elle fût irrépréhensible, raconte qu'il fut trahi par un homme qui mangeait à sa table, et qu'il avait honoré de gouvernements et d'emplois distingués; que le prince, invité à un festin, refusa d'abord de s'y trouver; mais qu'il se laissa persuader par les serments que ce perfide lui fit sur les saints Évangiles; qu'on fit reprendre à Gratien ses habits impériaux; qu'on le traita avec honneur pendant le repas, et qu'il fut assassiné au sortir de la table. On ne sait quel est ce traître dont parle saint Ambroise. C'est sur une mauvaise leçon de la chronique de saint Prosper, que quelques auteurs ont attribué ce noir forfait au consul Mérobaudès[484]; sa mort, que nous raconterons dans la suite, le justifie assez d'un soupçon si injurieux. D'autres, avec aussi peu de fondement, imputent ce crime à Mellobaud, prince français. Il vaut mieux dire que l'auteur en est inconnu. Saint Jérôme dit que, quelques années après, on[Pg 233] voyait encore avec horreur, dans la ville de Lyon, les marques du sang de Gratien, sur les murailles de la chambre où il avait été massacré[485].

[482] Τὸν ἵππαρχον Ἀνδραγάθιον, ὁρμώμενον ἀπὸ τοῦ Εὐξείνου Πόντου. Zos. l. 4, c. 35.—S.-M.

[483] Zosime rapporte, l. 4, c. 35, que Gratien fut tué à Singidunum en Pannonie, au moment où il allait passer le pont de cette ville, καταλαβών τε διαβαίνειν ἐθέλοντα τὴν ἐν τῇ Σιγιδούνῷ γέφυραν, κατασφάζει. Cette erreur paraît venir, comme au reste on l'a déja remarqué, de la ressemblance que le nom de Singidunum présente avec celui de Lugdunum ou Lyon.—S.-M.

[484] Au lieu de Merobaudis magistri militum proditione superatus, il faut lire dans cette chronique Merobaude magistro militum proditione superatus.—S.-M.

[485] Gratianus ab exercitu suo proditus, et obviis ab urbibus non receptus, ludibrio hosti fuit, cruentæque manus vestigia parietes tui, Lugdune, testantur. Hieron. ep. 60, t. 1, p. 341, ed. Vallars.—S.-M.

LI.

Circonstances de sa mort.

Ambr. Serm. t. 2, de divers. t. 2, append. p. 439 et 441, et in Psal. 61, t. 1, p. 961.

Aug. de civ. l. 5, c. 25, t. 7, p. 142.

Oros. l. 7, c. 34.

Vict. epit. p. 231.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Philost. l. 10. c. 5.

Zos. l. 5, c. 39.

Marc. Chr.

Hist. misc. l. 12, ap. Murat, t. 1, p. 85.

Till. Grat. art. 19, not. 26.

Gratien témoigna en mourant la tendre confiance qu'il avait en saint Ambroise; il le nomma plusieurs fois pendant qu'il recevait les coups mortels; il avait encore son nom à la bouche lorsqu'il rendit les derniers soupirs; et le saint prélat, qui raconte le fait en versant des larmes, proteste qu'il n'oubliera jamais ce prince, et qu'il l'offrira sans cesse à Dieu dans ses prières et dans le saint sacrifice. Il fait en toute occasion l'éloge de sa piété et de ses autres vertus. Il est sans doute plus digne de foi que l'arien Philostorge, qui ose démentir l'histoire pour noircir la mémoire de ce bon prince, et qui le compare à Néron. Il mourut le 25 d'août, dans la vingt-cinquième année de sa vie[486], ayant régné depuis la mort de son père, sept ans, neuf mois et huit jours[487]. Il avait eu des enfants de sa femme Constantia[488]; mais ils moururent avant lui. On croit qu'il avait un fils, lorsqu'il éleva Théodose à l'empire[489], ce qui rendrait cette action plus noble et plus généreuse. Constantia était morte quelque temps avant la révolte de[Pg 234] Maxime, et son corps fut, cette année même, porté à Constantinople[490]. Dans les derniers mois de sa vie, il épousa Lœta, dont on ne connaît pas la famille; on sait seulement que sa mère se nommait Pissamène. Après la mort de Gratien, Théodose prit soin de les entretenir l'une et l'autre dans la splendeur qui convenait à leur fortune passée. Elles vivaient encore vingt-cinq ans après, et elles eurent assez de richesses et de charité pour soulager par d'abondantes aumônes les pauvres de Rome, lorsque cette ville fut assiégée par Alaric.

[486] Cette date se trouve dans la chronique du comte Marcellin.—S.-M.

[487] La ville de Grenoble, dont le nom gaulois était Cularo, s'appelle en latin Gratianopolis, c'est-à-dire ville de Gratien; il n'est pas douteux qu'elle ne doive cette dénomination au fils de Valentinien, mais on ignore quand et comment se fit ce changement. Quelques-uns le placent avec assez de vraisemblance en l'an 379, lorsque Gratien revint dans les Gaules après avoir associé Théodose à l'empire.—S.-M.

[488] Fille posthume de l'empereur Constance, qu'il avait épousée en 374 ou 375.—S.-M.

[489] C'est ce qui résulte de ce passage de S. Augustin, de Civit. Dei, l. 5, c. 25, cum parvulum haberet et fratrem.—S.-M.

[490] Il y arriva le 31 août, selon la chronique d'Alexandrie, ou le 12 septembre, selon celle d'Idatius. Elle fut inhumée le premier décembre, trois mois après la mort de son mari.—S.-M.

FIN DU LIVRE VINGT-UNIÈME.


[Pg 235]

LIVRE XXII.

I. Alarmes de Justine et de Valentinien. II. Saint Ambroise va trouver Maxime. III. Accommodement de Maxime et de Valentinien. IV. Maxime veut faire périr Bauton. V. Il ôte la vie à plusieurs officiers de Gratien. VI. Saint Martin à la cour de Maxime. VII. Honneurs que la femme de Maxime rend à saint Martin. VIII. Théodose reconnaît Maxime pour empereur. IX. Arcadius Auguste confié aux soins d'Arsène. X. Théodose donne à son fils des leçons de clémence. XI. Barbares vaincus en Orient. XII. Consuls. XIII. Thémistius préfet de Constantinople. XIV. Proculus et Icarius comtes d'Orient. XV. Nouveaux efforts de Théodose pour détruire l'idolâtrie. XVI. Il est trompé par les Lucifériens. XVII. Ambassade des Perses. XVIII. Stilicon envoyé en Perse. [XIX. Situation politique de l'Arménie. XX. Les Arméniens font la guerre aux Perses. XXI. Les Perses sont battus par les Arméniens. XXII. Mort de Méroujan. XXIII. Arsace fils de Para est déclaré roi d'Arménie. XXIV. Mort de Manuel, régent de l'Arménie.] XXV. Divers événements de cette année. XXVI. Loi qui défend les mariages entre cousins germains. XXVII. Sarmates vaincus. [XXVIII. Théodose prend l'Arménie sous sa protection.] XXIX. Mort de Prétextatus. XXX. Symmaque préfet de Rome. XXXI. Requête de Symmaque en faveur du paganisme. XXXII. Extrait de la requête. XXXIII. Elle est approuvée par le conseil. XXXIV. Combattue par saint Ambroise. XXXV. Rejetée par Valentinien. XXXVI. Vestale punie. XXXVII. Symmaque accusé de maltraiter les Chrétiens s'en justifie. XXXVIII. Sirice succède à Damase. XXXIX. Commencement des Priscillianistes. XL. Concile de Sarragosse. XLI. Rescrit de Gratien contre les Priscillianistes. XLII. Priscillianus obtient un décret contraire. XLIII. Concile de Bordeaux. XLIV. Saint Martin s'efforce[Pg 236] de sauver la vie aux hérétiques. XLV. Punition de Priscillianus et de ses sectateurs. XLVI. Lettre de Maxime au pape Sirice. XLVII. Toute l'église blâme le supplice des Priscillianistes. XLVIII. Saint Martin se sépare de communion d'avec les Ithaciens. XLIX. Le supplice des Priscillianistes étend leur hérésie. L. Consuls. LI. Justine favorise les Ariens. LII. Elle tente de leur donner une église à Milan. LIII. Entreprises contre saint Ambroise. LIV. Nouveaux efforts de Justine. LV. Résistance de saint Ambroise. LVI. L'empereur se désiste. LVII. Mort de Pulchérie et de Flaccilla. LVIII. Lois de Théodose.

VALENTINIEN II, THÉODOSE.

An 383.

I.

Alarmes de Justine et de Valentinien.

Ambr. ep. 24, t. 2, p. 890.

Pacat. paneg. c. 35.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 17.

Till. vie de S. Amb. art. 34.

Justine et son fils Valentinien attendaient à Milan la nouvelle de la défaite de Maxime, lorsqu'ils apprirent la mort cruelle de Gratien. Un si funeste événement les glaça d'effroi. L'Italie était dépourvue de troupes; Théodose était éloigné. Sans secours et presque sans conseil, au milieu d'une cour mal affectionnée, quel obstacle une femme et un enfant de douze ans pouvaient-ils opposer aux succès rapides de l'usurpateur? Ce qui redoublait leur crainte, c'est que Maxime s'était déja pratiqué des intelligences en Italie. Les païens, redoutables par leur nombre et l'esprit de vengeance qui les animait, se félicitaient secrètement de sa victoire. Quoiqu'il fût chrétien et qu'il eût une femme très-pieuse, il les avait gagnés par la flatteuse espérance de rendre à leur culte son ancienne splendeur. Son frère Marcellinus, qui s'était rendu à Milan avant même que la révolte fût déclarée, travaillait à former de sourdes[Pg 237] intrigues[491]. Dans cette extrémité, Justine donna ordre de fermer le passage des Alpes avec de grands abattis d'arbres. Se défiant de tous ses courtisans, elle eut recours à saint Ambroise qu'elle haïssait, mais dont elle connaissait la fidélité et le courage. Elle déposa son fils entre ses bras, lui recommandant avec larmes ce jeune prince et le salut de l'empire. Le généreux prélat embrassa tendrement Valentinien, et sans considérer le péril, il entreprit d'aller au-devant de l'ennemi et de s'opposer seul à ses progrès. Valentinien pouvait venger la mort de son frère sur Marcellinus, qu'il avait entre les mains; par le conseil de saint Ambroise, il le renvoya au tyran[492].

[491] Pacatus l'appelle, c. 35, la mégère de la guerre civile, belli civilis megæra.—S.-M.

[492] Adspice, dit S. Ambroise, illum quoque, qui tibi ad dexteram adsistit, quem Valentinianus, cum posset suum dolorem ulcisci, honoratum ad te redire fecit. Tenebat eum in suis terris, atque in ipso nuncio necis fraternæ frænavit impetus.... Ille tibi fratrem tuum viventem remisit, tu illi vel mortuum redde. Ambr. ep. 24, t. 2, p. 890.—S.-M.

II.

S. Ambroise va trouver Maxime.

Ambr. or. in fun. Valent. t. 2, p. 1173, et ep. 24, p. 888 et seq.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3. c. 17.

Till. vie de S. Ambr. art. 34.

Un guerrier plus actif que Maxime aurait profité de l'effroi que sa victoire avait répandu, pour se rendre maître de tout l'Occident; mais soit qu'il craignît d'attirer sur lui les armes de Théodose en s'approchant de ses États, soit qu'il voulût assurer ses conquêtes avant que de les étendre, il s'arrêta dans la Gaule, et fixa son séjour à Trèves. Ambroise, en passant par Mayence, y rencontra le comte Victor. Le tyran l'envoyait de son côté à Valentinien, pour engager ce prince à venir en Gaule, afin de concerter ensemble une paix solide et honorable aux deux partis; il lui promettait une entière sûreté. Le prélat étant arrivé à Trèves, ne put obtenir une audience particulière. Il se présenta donc devant le tyran au milieu du conseil, quoiqu'il lui parût que[Pg 238] cette démarche dérogeait à la dignité épiscopale[493]. Il exposa en peu de paroles l'objet de sa commission; c'était de demander la paix à des conditions raisonnables. Je ne la refuse point, dit Maxime; mais c'est à Valentinien à venir lui-même la proposer: qu'il me regarde comme son père; la défiance serait un outrage. Ambroise répartit, qu'on ne pouvait exiger d'un enfant et d'une mère veuve, qu'ils s'exposassent à passer les Alpes durant la rigueur de l'hiver; qu'au reste, il n'avait aucun ordre de rien promettre sur cet article; qu'il n'était chargé que de traiter de la paix. Maxime, sans vouloir s'expliquer davantage, ordonna au prélat d'attendre le retour de Victor. Ambroise, au milieu d'une cour ennemie, n'ayant pour lui que Dieu et son courage, osa se séparer de communion d'avec l'usurpateur; et sur la plainte que lui faisait Maxime: Vous ne pouvez, lui dit-il, participer à la communion des fidèles, qu'après avoir fait pénitence d'avoir versé le sang de l'empereur. Enfin, Victor arriva; il rapporta que Valentinien était prêt d'accepter la paix; mais qu'il refusait d'abandonner l'Italie pour venir en Gaule. Sur cette réponse, Maxime congédia saint Ambroise, qui, ayant pris sa route par la Gaule, rencontra à Valence, en Dauphiné, de nouveaux députés que Valentinien envoyait à Maxime. En traversant les Alpes, il en trouva tous les passages gardés par des troupes de l'un et de l'autre parti[494].

[493] Non esse hunc morem sacerdotalem, comme il le dit lui-même dans la lettre, où il rend compte à Valentinien le jeune, du succès de son ambassade auprès de Maxime. Ambr. ep. 24, t. 2, p. 888.—S.-M.

[494] Legati iterum missi ad Gallias, qui ejus (Valentiniani) adventum negarent, apud Valentiam Gallorum me repererunt: milites utriusque partis, qui custodirent juga montium, offendi revertens. Ambr. ibid. t. 2, p. 890.—S.-M.

[Pg 239]

III.

Accommodement de Maxime et de Valentinien.

Ambr. ep. 18, t. 2, p. 838.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Zos. l. 4, c. 47.

Vict. epit. p. 232.

Marc. Chr.

Baronius.

Pagi ad Baron.

Reines. insc. cl. 3, nº 63.

Till. Grat. art. 20, not. 27, et vie de S. Ambr. art. 34.

Après plusieurs députations réciproques, Valentinien consentit à reconnaître Maxime pour légitime empereur de la Gaule, de l'Espagne, et de la Grande-Bretagne; et Maxime lui assura la possession tranquille du reste de l'Occident. La crainte de Théodose, qui armait déja, contribua beaucoup à déterminer l'usurpateur à cet accommodement. Maxime associa à l'empire son fils Victor, encore enfant, et lui donna le nom de Flavius[495], que les empereurs portaient depuis Constantin; mais qu'il ne paraît, ni par les médailles, ni par les auteurs, qu'il ait pris pour lui-même[496]. La Grande-Bretagne, dépourvue de la jeunesse du pays et des troupes romaines, que Maxime avait prises à sa suite, demeura exposée aux ravages des Pictes et des Scots[497]. Les faibles secours que l'empire y envoya de temps en temps, ne servirent qu'à lui procurer quelques intervalles de repos, jusqu'à la conquête des Anglais et des Saxons, qui s'en rendirent maîtres au milieu du cinquième siècle. C'est à cette dernière invasion, et non pas au temps de Maxime, qu'il faut rapporter l'établissement des Bretons dans la partie de la Gaule[Pg 240] nommée alors Armorique, et aujourd'hui Bretagne[498].[Pg 241] Tout ce que les légendaires racontent ici de Conan, de[Pg 242] sainte Ursule et de ses onze mille vierges, est également fabuleux, et a été réfuté par les plus savants critiques[499].

[495] Les légendes des médailles du fils de Maxime sont ainsi conçues: D. N. FL. VICTOR. P. F. AVG. Pour celles de son père, elles sont ainsi: D. N. MAG. MAXIMVS. P. F. AVG.—S.-M.

[496] Une inscription antique fait connaître les noms et les titres de Maxime et de son fils.

DD. NN. MAG. CL. MAXIMO. ET.
FL. VICTORI. PIIS. FELICIBUS.
SEMPER. AVGVSTIS.
BONO. R. P. NATIS.

[497] C'est ce que rapporte l'historien Gildas, qui écrivait au commencement du sixième siècle. Ex in Britannia omni armato milite, militaribusque copiis, rectoribus linquitur immanibus, ingenti juventute spoliata, et omnis belli usus ignara penitus; duabus primum gentibus transmarinis vehementer sævis, Scotorum a circione, Pictorum ab aquilone calcabilis multos stupet gemetque per annos. De excid. Britann. c. 11. Ceci est répété dans l'Histoire ecclésiastique de Béde, l. 1, c. 12, et dans beaucoup d'auteurs plus modernes.—S.-M.

[498] L'origine du nom et des peuples de notre Bretagne est enveloppée d'une obscurité, que les travaux des savants n'ont pu encore dissiper, et qu'ils sont peut-être au contraire parvenus à augmenter. Tout le monde sait que dans trois des départements formés de l'ancienne Bretagne, la plus forte partie de la population se sert d'un idiome propre, et sans analogie avec le français ou les patois qui s'y rattachent. Cette partie est appelée Bretagne bretonnante, par opposition avec le reste du pays, c'est-à-dire les deux départements d'Ille-et-Vilaine et de la Loire inférieure, qui forment la Bretagne française, parce que les individus qui se servent de la langue bretonne, y sont en petit nombre. Il est permis de croire que cette langue, restreinte par la domination et l'influence française, fut autrefois en usage dans tout l'ancien duché de Bretagne. Il est reconnu aussi qu'elle présente la plus grande conformité avec l'idiome encore en usage dans la principauté de Galles en Angleterre, parmi les descendants des indigènes qui possédèrent la totalité de ce pays, avant les invasions successives des Saxons, des Danois et des Normands. Le gallois, renfermé à présent et même très-restreint dans la principauté de Galles, s'était conservé très-long-temps dans l'Écosse méridionale, dans le Cumberland, le Northumberland, et dans les comtés de l'Angleterre limitrophes de la Saverne. Il était aussi en usage dans le comté de Cornouailles; il n'y a même que fort peu de temps qu'il s'est complètement éteint dans cette dernière région. Tout prouve que ce fut dans l'antiquité la langue propre de la partie des Iles Britanniques, appelée Britannia par les Romains, et habitée par les Britones. Cette langue écrite et cultivée depuis long-temps, et dans laquelle il existe un grand nombre d'ouvrages, soit en prose soit en vers, ressemble tellement au langage usité parmi les Bretons de France, qu'on ne peut hésiter à les regarder comme deux dialectes d'un même idiome. Il ne reste plus qu'à expliquer l'origine de ces rapports. L'opinion qui a prévalu parmi nous dans ces derniers temps n'est pas celle qui semble réunir le plus d'autorités antiques en sa faveur; je ne sais même s'il existe un seul témoignage formel pour l'appuyer. Elle n'est fondée que sur des vraisemblances, qu'on pourrait adopter sans être pour cela obligé de rejeter le système admis autrefois, et qui était établi sur des autorités écrites. Un sentiment d'amour-propre national, assez mal entendu, a porté les descendants des Bretons établis dans les Gaules à soutenir qu'ils étaient les autochthones du pays qu'ils habitent encore, et que les Bretons de l'Angleterre, leurs descendants, partagent un nom, plus ancien sur le continent que dans l'île, où l'antiquité l'offre seul cependant. L'histoire en effet nous fait connaître comment les Bretons furent confinés peu à peu dans les montagnes du pays de Galles, et comment un grand nombre d'entre eux furent obligés d'abandonner leur patrie, par diverses nations saxonnes. C'est alors qu'ils passèrent la mer, pour s'établir dans la partie la plus occidentale de la Gaule, à laquelle ils donnèrent le nom de petite Bretagne, pour la distinguer de leur ancienne patrie. Ils y trouvèrent d'autres compatriotes qui y étaient déja venus par diverses causes, soit comme fugitifs, soit comme conquérants, ou bien encore comme stipendiés des Romains, qui leur avaient à ce titre concédé quelques territoires. Il n'existe, il est vrai, aucun témoignage contemporain, qui atteste clairement ces premières transmigrations, mais elles sont relatées dans tous les auteurs du moyen âge, et on voit, par les écrits de Gildas, de Nennius, de Béde et de quelques autres écrivains, que c'était une opinion reçue dès le sixième siècle, c'est-à-dire moins de deux cents ans après l'époque dont il s'agit. C'est une grande présomption en sa faveur. On ne trouve aucune autorité antérieure au quatrième siècle, qui puisse faire présumer que jamais aucun peuple ou aucune région, située de ce côté de la mer, ait pu porter le nom de Britones ou de Britannia, et on est certain, par l'autorité irrécusable de Sidonius Apollinaris, que les Bretons étaient déja puissants à la fin du cinquième siècle sur les bords de la Loire. Les auteurs ecclésiastiques et les légendaires qui écrivirent avant le dixième siècle, fournissent sur la Bretagne et les Bretons des détails très-circonstanciés et très-nombreux; il est impossible de croire, qu'ils soient tous controuvés, et il en résulte nécessairement qu'aux cinquième et sixième siècles, il existait de fréquents rapports entre les deux Bretagnes. On sait que vers la fin de leur empire les Romains étaient dans l'usage d'abandonner des territoires aux Barbares cantonnés dans les provinces, pour les garder et les défendre. Ces cessionnaires s'appelaient dans le langage du temps Læti. Il est à remarquer que les écrivains du moyen âge, donnent très-souvent à la Bretagne gauloise le nom de Lætavia, qui s'est conservé dans le gallois sous la forme Lydaw; elle dut sans doute ce nom au grand nombre de colons de cette espèce qui s'établirent dans cette région. Rien n'empêche de croire que les Bretons, avant d'y venir comme fugitifs, ne s'y fussent établis à ce titre. Il ne reste plus qu'à savoir si c'est à l'usurpation du tyran Maxime, qu'il faut faire remonter l'origine de cet établissement; Gildas et Béde disent tous deux que les Bretons emmenés par Maxime ne revinrent jamais dans leur patrie, quæ comitata vestigiis supradicti Tyranni, domum nusquam ultra rediit. Gild. de excid. Brit. c. 11. Totâ floridæ juventutis alacritate spoliatâ (Britanniâ), quæ tyrannorum temeritate abducta, nusquam ultrà domum rediit. Beda, l. 1, c. 12. Nennius dit positivement que Maxime leur donna des établissements, depuis un étang voisin du mont de Jupiter, qu'on croit les marais voisins du mont St.-Michel, sur la frontière de Bretagne, jusqu'à la ville de Contiguice, qu'on regarde comme Condivincum ou Nantes, et de là jusqu'au tertre occidental, qui peut être le cap Finistère. Maximus qui occidit Gratianum,... noluit dimittere domum milites, qui cum eo perrexerunt à Britannia;... sed dedit illis multas regiones, à stagno quod est super verticem montis Jovis, usque ad civitatem Contiguice. Ipsi sunt ad cumulum occidentalem, id est Crut occident. Hi sunt, ajoute-t-il, Britones Armorici, et nunquam reversi sunt ad proprium solum usque in hodiernum diem. Nennius, Hist. Brit. c. 23. Nennius écrivait au sixième siècle. Il me semble difficile de contester ou de révoquer en doute, les conséquences qu'on est en droit de tirer de ces autorités, qui sont appuyées d'ailleurs, par un passage très-remarquable du Code Théodosien, dans lequel on voit que le tyran Maxime avait effectivement concédé des terres à perpétuité, aux guerriers qui l'avaient accompagné. Voici ce passage, qui se trouve dans une loi d'Arcadius et d'Honorius, datée du 26 avril 395. Qui, tyranni Maximi secuti jussionem, fundos perpetui juris, non ab ordinariis judicibus, sed a rationalibus acceperunt, eorum amissione plectantur, etc. (Cod. Th. l. 15, tit. 14, leg. 11). Ce décret ne faisait qu'en confirmer d'autres du même genre, déja rendus contre les partisans de Maxime, le 22 septembre 388, le 10 octobre 388, le 19 janvier 389 et le 14 juin de la même année. Tout concourt donc à établir que le nom des Bretons s'introduisit dans les Gaules vers la fin du quatrième siècle et que ce fut une des conséquences de l'usurpation de Maxime. Ces établissements se firent dans la partie de la Gaule, qui était connue depuis long-temps sous le nom d'Armorique. Il est très-probable que les habitants de cette région, dont le nom se rapporte à la langue bretonne, avaient de grands rapports et une grande affinité avec les Bretons insulaires, ce qui aura contribué puissamment à répandre et leur nom et leur langue, et à détruire tous les changements que la domination romaine avait dû opérer dans cette partie de la Gaule. Quoique les peuples de la Gaule et ceux de la Grande-Bretagne puissent avoir eu dans la haute antiquité et aient sans doute une origine commune, il est certain que les langues des indigènes restés dans les deux pays, ne présenteraient pas des ressemblances si frappantes et qui semblent de si fraîche date, si pour les expliquer il fallait remonter à des temps très-éloignés. Je regarde donc comme constant ce que les auteurs rapportent sur les établissements faits dans la Gaule au 4e siècle par les Bretons insulaires.—S.-M.

[499] On peut voir dans le premier volume de l'histoire de Bretagne de D. Morice, toutes les raisons qu'il y a de regarder Conan comme le premier roi des Bretons dans la Gaule. Sans admettre toutes les raisons de cet auteur, je crois qu'il en dit assez cependant pour établir la certitude de son existence. Il paraîtrait aussi que ce Conan tirait son origine des chefs bretons, de la Bretagne septentrionale, des bords de la Clyde en Écosse, Britannia Alcluidensis. Il paraît qu'il mourut vers l'an 421. Les auteurs bretons l'appellent ordinairement Conan Mériadec, et sa postérité régna long-temps sur la Bretagne. Ces résultats, puisés dans les légendaires et les auteurs latins du moyen âge, sont conformes aux renseignements recueillis dans les annalistes gallois et réunis dans l'ouvrage intitulé: The Cambrian biography, or Historical notices of celebrated men among the ancient Britons, par Will. Owen, Londres, in-8º, un vol., 1803. Les écrivains gallois appellent le premier roi de la petite Bretagne, Cynan Meiriadog; ils disent aussi qu'il était fils d'un roi de la Bretagne septentrionale, qui régnait à Ystrad Clud c'est-à-dire, Stratclyde, ou Alclutha dans l'Écosse méridionale et qui s'appelait Eudav, altération galloise du nom d'Octavius. Ils rapportent que ce Cynan et sa sœur Hélène, émigrèrent et s'attachèrent au parti du rebelle Maxime, à cause des fréquentes invasions des Pictes dans les cantons de la Bretagne romaine qu'ils occupaient, ce qui leur faisait désirer des habitations plus tranquilles. Les poésies galloises appelées Triad font mention de ces deux personnages.—S.-M.

[Pg 243]

IV.

Maxime veut faire périr Bauton.

La paix conclue entre Maxime et Valentinien n'était sincère ni de part ni d'autre. Ils attendaient tous deux une occasion favorable, l'un pour arracher à l'usurpateur ce qu'il avait envahi, l'autre pour envahir le reste. Dans cette vue, Maxime travailla d'abord à priver Valentinien de ses meilleurs capitaines. Il entreprit de lui enlever le comte Bauton[500], dont la capacité pouvait faire échouer ses desseins. Il s'efforça de le rendre suspect, en l'accusant d'avoir voulu usurper l'empire, sous prétexte de défendre les États de son maître[501]. Pendant le cours des négociations, ce qui restait de soldats romains en Italie étant occupé à garder les passages des Alpes, les Juthonges avaient profité de la conjoncture pour venir piller la Rhétie. Bauton, au défaut de troupes romaines, appela au secours de l'empire, les Huns et les Alains, qui chassèrent de la Rhétie les Juthonges, et les poussèrent jusque sur la frontière de la Gaule[502]. Maxime s'étant plaint alors[Pg 244] qu'on attirait ces barbares, pour lui susciter une guerre, Valentinien, afin de lui ôter tout prétexte de rompre la négociation, les avait engagés, à force d'argent, à retourner dans leur pays[503]. La conduite que Bauton avait tenue en cette rencontre, étant parfaitement connue du jeune empereur, les calomnies de Maxime ne purent lui inspirer aucune défiance; il n'eut garde de se défaire d'un général qui lui devenait plus nécessaire que jamais.

[500] Ce comte Bauton, que S. Ambroise appelle transrhenanus genere, parce qu'il était Franc de naissance, est le même que le général de ce nom envoyé par Gratien à Théodose. Voyez ci-devant p. 215, not. 3 et 5, l. XXI, § 36.—S.-M.

[501] Me lusistis tu et ille Bauto, qui sibi regnum sub specie pueri vindicare voluit, qui etiam barbaros mihi immisit. Ambros., ep. 24, t. 2, p. 889.—S.-M.

[502] Tu flagitabas quod barbarorum stipatus agminibus Italiæ te infunderes: Valentinianus Hunnos atque Alanos appropinquantes Galliæ per Alemanniæ terras reflexit. Quid habet invidiæ, si Bauto barbaros cum barbaris fecit decernere? Quoniam dum tu militem Romanum occupas, dum is adversum se utrinque prætendit, in medio Romani imperii sinu Iuthungi populabantur Rhetias; et ideo adversus Iuthungum Hunnus accitus est. Ambr. ep. 24.—S.-M.

[503] Confer utriusque factum. Tu fecisti incursari Rhetias Valentinianus suo tibi auro pacem redemit. Ambros. ibid.—S.-M.

V.

Il ôte la vie à plusieurs officiers de Gratien.

Pacat. paneg. § 28.

Ambr. ep. 24, t. 2, p. 888.

Paul. vit. Ambr. § 19.

Till. Grat. art. 20.

Fleury, hist. ecclés. l. 18, art. 28.

Il venait d'en perdre deux autres, qu'il était difficile de remplacer. Dans le même temps que Gratien, abandonné de ses troupes, prit la fuite, le consul Mérobaudès et le comte Vallion qui commandaient l'armée, furent livrés par les traîtres entre les mains du tyran. Maxime les fit périr. Il força Mérobaudès à se tuer[504], et ordonna d'abord de conduire Vallion à Châlons-sur-Saône pour y être brûlé vif[505]; mais ensuite, craignant de s'attirer le reproche de cruauté, il le fit étrangler secrètement par des soldats bretons, et répandit le bruit que le prisonnier s'était lui-même ôté la vie[506]. Macédonius, maître des offices, méritait mieux le sort[Pg 245] qu'il éprouva. C'était une ame corrompue, qui n'avait jamais fait scrupule de vendre sa conscience, son honneur et son maître. Il fut massacré, par ordre de Maxime, à la porte d'une église, où il courait se réfugier; il vérifia, par cet événement, une prédiction de saint Ambroise. Un jour que Macédonius lui refusait l'entrée du palais, où il s'était rendu pour intercéder en faveur d'un malheureux: Tu viendras toi-même quelque jour à l'église, lui dit le prélat, et tu n'y pourras entrer[507].

[504] Alter (Merobaudes) post amplissimos magistratus, et purpuras consulares, et contractum intra unam domum quendam honorum senatum, vita sese abdicare compulsus est. Pacat. c. 28.—S.-M.

[505] Jusseram eum deduci Cabillonum et ibi vivum exuri... Quis autem sibi parcendum putaret, cum occisus sic bellator strenuus, miles fidelis, cornes utilis? Ambr. ibid.—S.-M.

[506] Alteri (Vallione) manibus satellitum Britannorum gula domi fracta, et inusta fæmineæ mortis infamia, ut scilicet maluisse vir ferri amantissimus videretur laqueo perire quam gladio. Pacat. c. 28.—S.-M.

[507] Maxime voulut encore faire mourir le comte Narsès et Leucadius gouverneur d'une province, tous zélés partisans de la cause de Gratien. Præter multas, quas evolvere longum est, has principales petitiones habebat; pro Narsete comite, et Leucadio præside, quorum ambo Gratiani partium fuerant, pertinacioribus studiis, quæ non est temporis explicare, iram victoris emeriti. Sulp. Sev. dial. 3, c. 15.—S.-M.

VI.

S. Martin à la cour de Maxime.

Sulp. Sev. vit. Mart, c. 23.

Till. vie de S. Martin, art. 7 et 8.

La tyrannie est un édifice fondé sur la cruauté et cimenté de sang, mais qui s'élève et parvient quelquefois jusqu'à s'embellir par la réputation de clémence. Maxime se proposa de faire oublier ses forfaits, dès qu'il n'eut plus intérêt d'en commettre. Connaissant le génie des courtisans, qui consentent volontiers à parler d'après le prince, pourvu qu'il veuille bien agir d'après eux, il répétait sans cesse, qu'il n'avait point désiré le diadème; que le ciel s'était servi des soldats pour le forcer à l'accepter; qu'il n'avait pris les armes que pour soutenir le choix de la Providence; que la facilité de sa victoire était une marque évidente de la protection divine, et qu'aucun de ses ennemis n'avait péri que dans la guerre. Les flatteurs outraient encore les éloges qu'il faisait de sa bonté. Les évêques mêmes se rendaient de toutes parts à la cour, et selon un auteur ecclésiastique de ces temps-là, ils prostituaient[Pg 246] leur dignité à la plus honteuse adulation. Saint Martin, alors évêque de Tours, fut le seul qui soutint l'honneur du ministère apostolique[508]. Il vint demander grace pour des proscrits, mais il la demanda sans s'avilir, et d'un ton qui imposait au tyran même. Son extérieur n'était rien moins qu'avantageux; il n'avait de grand que son ame et son caractère. Maxime l'ayant plusieurs fois invité avec instance à manger à sa table, il avait toujours répondu qu'il ne se croyait pas permis de s'asseoir à la table d'un homme qui, de ses deux maîtres, avait ôté à l'un la vie, à l'autre la moitié de ses états. Il se rendit cependant aux pressantes sollicitations de Maxime, qui en parut ravi de joie, et qui invita, comme pour une fête solennelle, les plus distingués de sa cour. Martin s'assit à côté du prince; un prêtre de l'église de Tours, dont il se faisait toujours accompagner, fut placé entre Marcellin et son oncle. Lorsque le repas fut commencé, l'échanson ayant présenté à boire à Maxime, celui-ci donna la coupe à saint Martin, voulant qu'il en bût le premier, et la recevoir ensuite de sa main; mais l'évêque, après avoir trempé ses lèvres, fit porter la coupe à son prêtre, comme à celui qui méritait la préférence d'honneur sur tous les convives. Cette liberté, qui trouverait aujourd'hui peu d'approbateurs, fut admirée de toute la cour: on louait hautement Martin d'avoir fait à l'égard de l'empereur, ce que tout autre évêque n'aurait osé faire à la table du dernier des magistrats. Maxime lui fit présent d'un vase[Pg 247] de porphyre, que le prélat consacra à l'usage de son église; et comme il pénétrait les plus secrètes pensées du tyran, et qu'il découvrait déja dans son cœur le dessein de détrôner Valentinien, il lui prédit que, s'il passait en Italie, il aurait d'abord quelque succès, mais qu'il y trouverait bientôt sa ruine.

[508] Fæda circa principem omnium adulatio notaretur, seque degeneri inconstantia regiæ clientelæ sacerdotalis dignitas subdidisset, in solo Martino apostolica auctoritas permanebat. Sulp. Sev. de Vita Mart. c. 23.—S.-M.

VII.

Honneurs que la femme de Maxime rend à S. Martin.

Sulp. Sever. dial. 2, c. 7.

Till. vie de S. Martin, art. 8.

Maxime le mandait souvent à la cour; il le traitait avec honneur; et soit par hypocrisie, soit par les accès passagers d'une piété superficielle et inconséquente, il aimait à s'entretenir avec lui de matières de religion; mais la femme de Maxime, dont le nom n'est pas venu jusqu'à nous, avait pour le saint prélat une vénération plus profonde et plus sincère. Elle l'écoutait avec docilité, elle lui rendait les devoirs les plus humbles et les plus assidus; et comme la piété prend quelquefois une forme singulière dans les femmes de la cour, elle voulut un jour, avec la permission de son mari, le servir à table. Elle apprêta elle-même les viandes; elle lui donna à laver, lui servit à boire, se tint debout derrière lui, et recueillit avec respect les restes de son repas. Saint Martin y consentit avec peine, en faveur de quelques prisonniers, dont il sollicitait l'élargissement.

VIII.

Théodose reconnaît Maxime pour empereur.

Zos. l. 4, c. 37.

Ambr. ep. 24, t. 2, p. 891.

Themist. or. 18, p. 217, 220 et 221; et or. 19, p. 227.

[Socr. l. 5, c. 12.]

L'accommodement du jeune empereur et du tyran ne pouvait subsister sans l'agrément de Théodose. La protection de ce prince était devenue nécessaire à Valentinien et à Justine, qui gouvernait sous le nom de son fils. C'était la crainte de Théodose, plus que la difficulté du passage des Alpes, qui retenait le tyran dans la Gaule. Maxime redoutait un guerrier habile et heureux, qui faisait de grands préparatifs pour venir jusque sur le Rhin lui arracher le fruit de son crime. Pour conjurer cette tempête, il envoya son grand[Pg 248] chambellan[509]. C'était un homme grave et avancé en âge, qui dès l'enfance de Maxime, avait été attaché à son service. Le député, sans entreprendre de justifier son maître au sujet de la mort de Gratien, exposa à Théodose l'état de l'Occident, le traité conclu et la foi donnée; il lui représenta qu'au lieu de désoler l'empire par une guerre civile, qui favoriserait les desseins des barbares toujours prêts à forcer leurs barrières, il était plus à propos de réunir contre eux les forces des deux États; qu'il trouverait dans Maxime un guerrier capable de couvrir les bords du Rhin, tandis qu'il défendrait lui-même ceux du Danube; il finissait par demander son amitié et son accession au traité des deux princes[510]. L'empereur ne se trouvait pas encore en état d'entreprendre une guerre si éloignée. Pour mieux assurer la vengeance qu'il devait à son collègue et à son bienfaiteur, il crut qu'il lui était permis de dissimuler et d'attendre une occasion que l'ambition de Maxime ne pouvait manquer de lui procurer. Il accepta les propositions du tyran, le reconnut pour empereur des pays qui lui avaient été cédés, et consentit que les statues de Maxime fussent placées à côté des siennes, de celles de Valentinien et de son fils Arcadius[511].

[509] Ὁ τοὺς βασιλικοὺς φυλάττειν ἐπιτεταγμένος κοιτῶνας. Zos. l. 4, c. 37.—S.-M.

[510] Il demandait, selon Zosime, l. 4, c. 37, un traité de paix, et une alliance contre tous les ennemis des Romains, σπονδὰς καὶ ὁμόνοιαν καὶ ὁμαιχμίαν κατὰ παντὸς πολεμίου Ῥωμαίοις.—S-M.

[511] Zosime rapporte, l. 4, c. 37, que Théodose ordonna au préfet du prétoire Cynégius, qu'il envoyait en Égypte, d'y faire proclamer Maxime et d'exposer ses images à Alexandrie, τὴν Μαξίμου εἰκόνα δεῖξαι τοῖς Ἀλεξανδρευσιν ἐπέταξεν.—S.-M.

IX. Arcadius Auguste est confié aux soins d'Arsène.

Idat. chron. fast.

Marcel. Chr.

Prosp. Chr.

Chron. Alex. p. 304.

Themist. or. 16, p. 200, 204 et 213; et or. 18, p. 224.

Socr. l. 5, c. 10.

Soz. l. 7, c. 12.

Theod. lect. l. 2, c. 63.

Zos. l. 4, c. 57.

Oros. l. 7, c. 34.

Hist. Miscell. l. 12, apud Murat, t. 1, p. 90.

Pagi ad Baron.

Till. vie de S. Arsène.

Ce fils était le seul qu'avait alors Théodose; et son père l'avait associé à l'empire et honoré du titre d'Auguste[Pg 249] dès le mois de Janvier de cette année[512]. Cette éclatante proclamation s'était faite dans la place de l'Hebdome. Arcadius était âgé de six ans, et Théodose songeait à lui donner un précepteur, auquel il pût confier un dépôt si précieux à l'empire. Thémistius, alors célèbre par son éloquence, désirait avec empressement cet emploi; il avait publiquement témoigné ce désir dans une harangue qu'il avait prononcée dans les premiers jours de cette année pour honorer le consulat de Saturninus. Il semble même que l'empereur avait en lui une confiance particulière; et lorsqu'il se disposait à partir pour l'Occident, il lui avait recommandé le jeune prince avec tendresse en présence du sénat. Mais quoiqu'il estimât les lumières et la probité de cet orateur païen, il cherchait un chrétien sage et éclairé pour former le cœur de son fils, et y jeter les pures semences de la véritable vertu. Il le trouva dans Arsène, distingué par sa noblesse, plus encore par l'intégrité de ses mœurs et par une parfaite connaissance des lettres et de toutes les sciences humaines. Lorsqu'Honorius, qui naquit l'année suivante, fut en âge de recevoir des leçons, il le joignit à son frère sous la direction d'Arsène. Cet habile instituteur ne manquait d'aucun des talents propres à former de grands princes, si dans ses élèves la nature ne se fût pas refusée à ses soins. Il eut l'honneur de lever des fonts baptismaux Arcadius et Honorius. Théodose lui donna sur eux l'autorité qu'il avait lui-même. Mais Arsène, après onze ans de travaux continuels, se dégoûta de la cour. Il vivait dans la pompe et la délicatesse; superbement vêtu et[Pg 250] meublé, servi par un grand nombre de domestiques, l'empereur lui entretenait une table somptueuse. A l'âge de quarante ans, vers l'an 394, il fit réflexion que tandis qu'il se livrait tout entier à l'éducation des deux princes, il ne travaillait pas à se réformer lui-même. Frappé de cette pensée, il se retira secrètement du palais, et s'étant dérobé à toutes les recherches de Théodose, il s'alla cacher dans le désert de Scéthé[513], où il vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-quinze ans dans la plus austère pénitence. Voilà ce que l'on peut adopter comme certain au sujet de l'éducation qu'Arsène fut chargé de donner aux enfants de Théodose. Les autres circonstances, que leur singularité n'a pas manqué d'accréditer, uniquement fondées sur le récit de Métaphraste, sont plus propres à embellir une légende romanesque, qu'à trouver place dans l'histoire.

[512] Les auteurs varient pour la date de cet événement, entre le 16, le 17, le 19 et le 20 janvier.—S.-M.

[513] Voyez tome 3, p. 455, n. 2, liv. XVIII, § 43.—S.-M.

X.

Théodose donne à son fils des leçons de clémence.

Themist. or. 19. p. 228.

Cod. Just. l. 9, tit. 7, leg. unic.

Théodose ne se reposait pas tellement sur le zèle et la vigilance d'Arsène, qu'il ne prît lui-même toutes les occasions d'inspirer à son fils les vertus nécessaires aux princes. Il l'accoutumait de bonne heure aux actions de bonté et de clémence. On conduisait un jour à la mort des criminels qui avaient outragé par leurs discours la majesté impériale. Flaccilla, toujours prompte à secourir les malheureux, en donna avis à son mari. Il se plaignit qu'on ne l'eût pas averti avant la condamnation, pour leur épargner même la vue du supplice, et leur envoya sur-le-champ leur grâce, après l'avoir fait signer par Arcadius. Théodose dont le caractère avait beaucoup de rapport à celui de Titus, lui ressemblait surtout par le mépris qu'il faisait des injures.[Pg 251] Rassuré par sa propre conscience, il n'en croyait pas mériter de véritables, et il avait l'âme trop élevée pour s'abaisser à écouter celles qui n'avaient aucun fondement. Il déclara quelques années après à tout l'empire ce sentiment généreux, par une loi dans laquelle il défend aux juges de punir les paroles qui n'attaquent que sa personne: Car, dit-il, si elles procèdent de légèreté, elles sont méprisables; si elles viennent de folie, elles ne méritent que notre pitié; si elles sont produites par le dessein de nous faire outrage, nous devons les pardonner. En conséquence, il lie les mains aux magistrats sur cet article, et leur ordonne de lui renvoyer la connaissance de ce crime, afin qu'il puisse juger par la qualité des personnes, si le délit mérite d'être éclairci ou d'être oublié.

XI.

Barbares vaincus en Orient.

Pacat. paneg. § 22.

Procop. bel. Pers. l. 1, c. 3.

Till. Théod. art. 14.

Deguignes, t. 1, part. 2, p. 325.

Il y eut cette année quelques expéditions peu considérables en Orient[514]. Théodose se contenta d'y employer ses généraux[515]. Les Sarrasins, au mépris des anciens traités, attaquèrent les terres de l'empire; ils furent punis de leur infidélité[516]. Une peuplade de Huns établis en Orient[517], firent des courses en Mésopotamie,[Pg 252] et vinrent assiéger Édesse, d'où ils furent repoussés[518]. Ils revinrent peu de temps après avec un renfort de Perses qui s'étaient joints à ces barbares; mais ils ne furent pas plus heureux[519]. Ces Huns étaient une portion de cette nation féroce, dont nous avons tracé l'histoire sous le règne de Valens. Tandis que leurs compatriotes filaient au nord de la mer Caspienne, ceux-ci s'arrêtèrent à l'orient de cette mer, le long de l'Oxus[520]. Le nom d'Euthalites ou d'Abthélites qu'ils[Pg 253] portaient, signifiait dans leur langue, qu'ils habitaient près d'un fleuve[521]. Les historiens grecs et latins les distinguent encore par le surnom de Blancs, parce que leur teint n'était pas basané comme celui des Huns du Nord[522]. Dans un climat doux et fertile, l'espace[Pg 254] d'environ trois siècles avait changé leurs mœurs et les traits de leur visage. Leur figure n'avait plus rien d'affreux ni de difforme, et leur manière de vivre ne retenait plus que quelques traces de la barbarie de leur origine[523]. Ils habitaient dans des villes dont la capitale était Korkandge[524], que les Grecs appellent Gorgo[525]. Ils avaient un roi, des lois, une police réglée. Ils étaient fidèles dans le commerce entre eux et avec leurs voisins. Les plus riches se formaient une petite cour d'une vingtaine de clients, qu'ils nourrissaient à leur table, et qu'ils entretenaient à leurs dépens. Ces subalternes attachaient inséparablement leur sort à celui de leur patron; et lorsqu'il venait à mourir, ils se faisaient enterrer avec lui. Telles étaient les mœurs de ces Huns Euthalites, dont il sera plusieurs fois parlé dans la suite de notre histoire[526].

[514] Non oceano Indus, non frigore Bosphoranus, non Arabis medio sole securus est; et quo vix pervenerat nomen ante Romanum, accedit imperium. Pacat. c. 22.—S.-M.

[515] Il paraît par les lois de cette année que Théodose ne quitta pas Constantinople. Tillemont prétend que ces guerres d'Orient sont celles dont parle le comte Marcellin dans sa Chronique sous l'an 385, en disant, Theodosius imperator aliquantas eoas nationes per legatos suo ut pote imperio subdidit. Ces faits sont indiqués avec tant de concision qu'il est bien difficile de dissiper l'obscurité qui les enveloppe. Tillemont prétend encore (Theod. art. 14) que le comte Richomer qui, selon Libanius (Vit. t. 2, p. 67), vint cette année à Antioche, était l'un de ces généraux. On sait effectivement qu'il remporta, en cette année, une victoire qui remplit de joie les habitants d'Antioche, mais on ignore contre quel ennemi.—S.-M.

[516] Dicam à rebellibus Saracenis pœnas polluti fæderis expetitas. Pacat. c. 22.—S.-M.

[517] Il est dit dans la Vie de saint Samonas, rédigée en latin par Surius, d'après le grec de Métaphraste, que ces Barbares étaient des Huns Ephthalites, nation qui habite au nord-est de la Perse. Hunni quidem Ephtalitœ Persarum finitimi et qui ad solem habitabant orientalem. Surius, t. VI, p. 342. Malgré cette indication, il est douteux qu'il s'agisse réellement ici des Huns connus sous le nom d'Ephthalites. La présence de ce nom dans ce texte, peut appartenir au rédacteur grec de la vie de ce Samonas. Il écrivait à une époque où les Huns d'Orient étaient effectivement appelés Ephthalites. Voyez ci-après p. 254, not. 3 et 4.—S.-M.

[518] L'auteur de la vie de S. Samonas, sans indiquer l'époque précise de cette invasion des Huns, remarque, § 27, qu'elle arriva sous Eulogius, évêque d'Édesse. La chronique syriaque de cette ville insérée dans la Bibliothèque d'Assémani, t. 1, p. 387-439, nous apprend qu'Eulogius fut investi de l'épiscopat, en l'année même de l'avènement de Théodose, en 379, ou en l'an 690 des Séleucides (378 et 379 de J.-C.), ce qui est d'accord avec ce que rapporte Théodoret, l. 4, c. 18. Cet évêque mourut le 23 avril de l'an 698 de l'ère des Séleucides (387 de J.-C.).—S.-M.

[519] Cette indication donne lieu de croire que les Perses étaient alors en guerre avec les Romains, et que ces Huns n'étaient sans doute que des auxiliaires qu'ils avaient amenés. L'histoire d'Arménie fait voir aussi que les Perses étaient alors en guerre avec l'empire.—S.-M.

[520] Rien ne prouve, comme je l'ai dit, que ces Huns appartinssent à la division de ces peuples connus sous le nom d'Ephthalites, tout semble indiquer au contraire qu'ils faisaient partie du corps principal de la nation, établie alors au nord du mont Caucase, entre la mer Noire et la mer Caspienne. Ils n'avaient encore envoyé que quelques détachements en Europe. Il n'est pas sûr non plus que dès cette époque, en l'an 384, il existât déja des Huns Ephthalites; il faut descendre jusqu'à des temps bien plus modernes, pour en trouver la première mention. Les auteurs arméniens parlent de plusieurs invasions des Huns, dans les pays et dans les régions situées au sud du mont Caucase. Voyez t. 3, p. 277, not. 3, liv. XVII, § 5. Mesrob, historien arménien qui a écrit au dixième siècle, la vie du patriarche Nersès, raconte dans cet ouvrage, dont j'ai déja parlé, t. 3, p. 275, note 3, liv. XVII, § 4, une grande invasion des Huns faite en Arménie de concert avec plusieurs autres peuplades Barbares, et en particulier avec les Albaniens. Je dois remarquer à cette occasion que dans le même passage, où le panégyriste Pacatus parle des succès remportés dans l'Orient sur les Sarrasins révoltés, il fait aussi mention des avantages que les généraux de Théodose avaient obtenus sur les Albaniens. Dicam interdictum Scythis Tanaim, et imbelles arcus etiam fugientis Albani? Cette indication me fait penser qu'il faut rapporter ce passage à la guerre contre les Huns. L'historien arménien raconte d'une manière fort confuse l'expédition des Huns, mais ce qu'il en dit, est en somme tout-à-fait conforme avec ce qu'on a tiré sur le même sujet des auteurs grecs. Il a confondu les circonstances de cette guerre avec ce que j'ai rapporté d'après Faustus de Byzance (t. 3, p. 379, liv. XVII, § 66), sur la bataille de Dsirav, dans laquelle les Romains, joints aux Arméniens conduits par le connétable Mouschegh, défirent les Perses unis aux Albaniens commandés par leur roi Ournaïr. Selon Mesrob, ce même Ournaïr prit part à l'irruption des Huns, qui traversèrent toute l'Arménie, prirent Nepherkerd, nommée depuis Martyropolis, dans la Sophène, ravagèrent tout le Vaspourakan, le pays de Daron et les cantons limitrophes, jusque dans les environs de Ninive. Le connétable d'Arménie qui était Mouschegh, selon l'historien, tandis que ce devait être Manuel frère de Mouschegh, se mit à la poursuite des Huns, à la tête des troupes arméniennes réunies aux Ibériens, amenés par leur prince; il poussa les barbares dans les gorges du mont Tmoris, où il les enferma et les défit complètement auprès d'un fort appelé Alki. Le défilé dans lequel ils furent vaincus, reçut à cause d'eux le nom de Honitourhn, c'est-à-dire porte des Huns. Il est fâcheux que Mesrob ait rapporté avec tant de confusion et d'erreurs ce qui concerne cette invasion, qu'il serait si intéressant de bien connaître, pour se faire une juste idée de l'état de l'empire en Orient à cette époque.—S.-M.

[521] Cette étymologie donnée par Deguignes (Hist. des Huns, t. 1, part. 2, p. 326) et qui paraît empruntée à la langue persane, dans laquelle le mot ab signifie eau, n'est pas justifiée par l'orthographe du nom des Ephthalites en Persan et en Arménien. Elle ne repose sur aucune base solide, elle doit donc être abandonnée.—S.-M.

[522] C'étaient, dit Procope, de bel. Pers. l. 1, c. 3, les seuls Huns qui fussent blancs de corps, μόνοι δὲ Οὔννων οὗτοι λευκοί τε τὰ σώματά.—S.-M.

[523] Selon Procope, de Bell. Pers. l. 1, c. 3, ils ne menaient pas une vie errante comme les autres Huns, mais depuis très-long-temps, ils habitaient un beau pays, ἀλλ' ἐπὶ χώρας ἀγαθῆς τινος ἐκ παλαιοῦ ἵδρυνται, et jamais ils n'avaient fait d'irruption dans l'empire romain, si ce n'est une fois de concert avec les Perses que cet auteur appelle Mèdes. Ταῦτά τοι οὐδέ τινα ἐσβολὴν πεποίηνται πώποτε ἐς Ῥωμαίων τὴν γὴν, ὅτι μὴ ξὺν τῷ Μήδων στρατῷ.—S.-M.

[524] Les auteurs orientaux distinguent deux villes de Korkandj, dans le Kharizm, situées à dix milles arabes l'une de l'autre. Elles étaient toutes deux sur la rive occidentale du Djyhoun, non loin de son embouchure dans le lac d'Aral; elles sont ruinées maintenant. Ce nom était persan; les Arabes les appellèrent Djordjaniah. On les distinguait par les surnoms de grande et de petite.—S.-M.

[525] Πόλις Γοργὼ ὄνομα πρὸς αὐτᾶις που ταῖς Περσῶν ἐσχατιαῖς ἐστιν. Proc. de Bell. Pers. l. 1, c. 3. Il est douteux que cette ville, placée par Procope sur les frontières de la Perse, ait été la même que Korkandj dans le Kharizm, mentionnée par les auteurs orientaux du moyen âge.—S.-M.

[526] Les auteurs orientaux donnent le nom d'Haïathelah ou Haïathélites, au peuple qui pendant la durée du cinquième et la moitié du sixième siècle fut du côté de l'Orient, le voisin et l'adversaire des rois de Perse de la dynastie des Sassanides, et qui furent soumis par les Turks vers l'an 550. Les Arméniens, qui font très-souvent mention des guerres que les Perses eurent à soutenir contre ces peuples, les appellent Hephthal. Ce nom est le même que celui des Ephthalites Ἐφθαλίται, qu'on trouve dans Procope, de Bell. Pers. l. 1, c. 3, et dans les autres écrivains byzantins. C'est par une erreur de copiste que quelques auteurs les appellent Nephthalites, Νεφθαλίται. Les Arméniens et les Grecs s'accordent à leur attribuer aussi la dénomination de Huns; mais pour les distinguer des Huns plus voisins de l'Europe et sujets d'Attila, les Grecs les désignaient par le surnom de blancs, comme on le voit dans Procope, de Bell. Pers. l. 1, c. 3, τό Οὔννων τῶν Ἐφθαλιτῶν ἔθνος, οὕσπερ λευκοὺς ὁνομάζουσι, et dans Théophanes, p. 105, τοὺς λεγομένους λευκοῦς Οὔννους, τοὺς λεγομένους Νεφθαλίτας. Leur civilisation plus avancée, la douceur de leurs mœurs et la blancheur de leur teint, leur avaient valu ce surnom. Il est difficile de déterminer précisément à quelle race appartenait cette nation; il est probable, comme son nom l'indique, qu'elle se rattachait à la race finnoise ou hunnique, qui fut toujours très-mêlée avec les branches de la race scythique, de sorte qu'elle a pu offrir un certain nombre de peuplades dignes de mériter, sous le rapport physique, les éloges des historiens de Byzance. La puissance des Haïathélites s'étendit selon les écrivains orientaux sur le Kharizm et toute la Transoxiane, l'Oxus les séparait de la Perse. On voit même par les géographes arabes, que leur territoire se prolongeait au sud jusqu'à l'Hindoustan; il comprenait même la ville de Badghiz dans le Khorasan. Cosmas Indicopleustes, qui écrivait au milieu du sixième siècle, donne le nom de Hunnie à tout le pays qui séparait de son temps la Chine, qu'il appelle Tzinitzas (le Tchinistan des Persans), de la Perse et de l'empire romain. On ignore comment s'éleva l'empire de ces Huns Ephthalites; il est probable qu'ils détruisirent le royaume des Arsacides établis à Balkh, qui subsistait encore à la fin du quatrième siècle, et dont j'ai parlé t. 3, p. 383, liv. XVII, § 67. Il serait fort intéressant de rechercher dans les auteurs chinois, si instruits en général de ce qui concerne les régions habitées par cette nation, sous quel nom les Ephthalites leur furent connus. Deguignes a bien prétendu qu'ils étaient les Turks Tie-le, mais ce qu'il dit à ce sujet n'est guère vraisemblable.—S.-M.

[Pg 255]

An 384.

XII.

Consuls.

[Liban. vit. t. 2, p. 67 et 68.

Symm. l. 3, ep. 59 et 61.]

Idat. fast.

Greg. Tur. hist. Franc. l. 2, c. 9.

Vales. rer. Franc. p. 61.

Richomer qui avait eu la plus grande part à leur défaite[527], fut, l'année suivante, revêtu du consulat avec Cléarque. Tous deux, quoique païens, étaient estimés de Théodose, et distingués, l'un par les emplois militaires, l'autre par les charges civiles. Richomer[528], Franc de naissance, et sorti du sang des rois, s'était attaché[Pg 256] à Valentinien premier. Il parvint à la dignité de comte des domestiques. Il avait été envoyé au secours de Valens dans la guerre des Goths, où il s'était signalé. Gratien l'avait donné à Théodose, qui fit usage de sa bravoure, et l'éleva au grade de général de la cavalerie et de l'infanterie[529]. On croit qu'il fut père de Théodémir, roi des Français avant Pharamond[530]. Il était lié d'amitié avec Symmaque; et Libanius composa en son honneur un panégyrique que nous n'avons plus. Cléarque, vicaire d'Asie[531], avait fidèlement servi Valens dans le temps de la révolte de Procope. Il en avait reçu, pour récompense, le proconsulat de la même province[532], et ensuite la préfecture de Constantinople[533]. D'abord, ardent idolâtre et protecteur déclaré du fanatique Maxime, il avait sans doute permis à son zèle de se modérer pour ne pas déplaire à Théodose, qui le nomma préfet de Constantinople une seconde fois[534].

[527] Voyez ci-devant p. 251, n. 2.—S.-M.

[528] Ce nom est écrit de diverses façons dans les auteurs anciens. On le trouve dans les premiers historiens de France sous la forme Richimer.—S.-M.

[529] Voyez ci-devant p. 112, n. 2, liv. XX, § 10.—S.-M.

[530] In consularibus legimus, dit Grégoire de Tours, l. 2, c. 9, Theodomerem Regem Francorum, filium Richimeris quondam, et Aschilam matrem ejus, gladio interfectos.—S.-M.

[531] En 364.—S.-M.

[532] En l'an 366—S.-M.

[533] Il occupa cette charge en l'an 372, sous Valens.—S.-M.

[534] Il était en exercice à la fin du mois d'août de l'an 384.—S.-M.

XIII.

Thémistius préfet de C. P.

Themist. or. 17, p. 215; 18, p. 217 et 224.

[Till. Théod. art. 15.]

Son successeur, dans cette dignité, fut Thémistius; l'empereur voulut peut-être le consoler de ce qu'il ne lui avait pas confié l'éducation d'Arcadius. Le nouveau préfet remercia le prince par un discours qu'il prononça devant le sénat. Théodose entendait avec plaisir cet orateur vertueux, et lui fournissait sans cesse une abondante matière d'éloges. Il diminua les impôts dans le temps même qu'il était obligé d'entretenir de nombreuses armées. Il veillait avec une attention paternelle[Pg 257] à la subsistance de Constantinople, y faisant venir des vivres par mer, même pendant l'hiver, et visitant en personne les magasins, qu'il regardait comme ses trésors les plus précieux. Il augmenta les distributions qu'on avait coutume de faire au peuple, et attira par cette libéralité un plus grand nombre d'habitants.

XIV.

Proculus et Icarius comtes d'Orient.

Liban. vit. t. 2, p. 66, 68 et 69; et or. 19, p. 455; or. 20, p. 460, 471 et 472.

Till. Théod. art. 16.

Antioche, plus éloignée des yeux du prince, ne jouissait pas d'un sort aussi heureux que la capitale de l'empire. Eumolpius, gouverneur de Syrie, était un magistrat sage et compatissant; mais il ne pouvait arrêter les violences tyranniques des comtes d'Orient. Proculus, revêtu de cette charge depuis deux ans, était en même temps libéral et cruel: ses largesses ne lui coûtaient que des injustices; il prodiguait aux uns ce qu'il ravissait aux autres. Il fit massacrer, sous je ne sais quel prétexte, un grand nombre de personnes dans le bourg de Daphné. Théodose, instruit enfin de ses forfaits, le déposa avec ignominie. Mais il fut encore trompé dans le choix de son successeur. Icarius, fils de ce Théodore qui avait été mis à mort sous le règne de Valens, fut envoyé à la place de Proculus. L'étude et l'amour des lettres par lesquels ce nouveau comte était parvenu aux honneurs, promettaient une conduite plus sage et plus modérée. En effet, il n'aimait ni l'argent ni les plaisirs; mais il était défiant, superbe, imprudent, aussi inhumain que son prédécesseur. La peste désolait Antioche et les autres villes de Syrie; elle cessa en peu de temps; mais elle fut suivie d'une longue famine. Antioche fut bientôt remplie d'une foule d'indigents, qui venaient y chercher du secours. On l'exhortait à les soulager: Laissons, dit-il,[Pg 258] périr ces misérables; les Dieux les condamnent, puisqu'ils les abandonnent. Ces paroles cruelles excitèrent une juste horreur. Il continua de se rendre odieux par les mauvais traitements dont il accabla les boulangers et les marchands de blé, et par les rapines qu'il tolérait dans les officiers de police. Le peuple se souleva; et l'on peut conjecturer par une invective de Libanius, que le comte fut dépouillé de sa charge. Mais l'histoire n'a pas laissé à la postérité, la satisfaction d'apprendre avec certitude, quelle fut la punition de ce barbare commandant.

XV.

Nouveaux efforts de Théodose pour détruire l'idolâtrie.

Ambr. de div. serm. 3, t. 2, append. p. 442 et ep. 17, t. 2, p. 824.

Liban. de templis.

Zos. l. 4, c. 37.

Idat. fast. et Chron.

Cod. Th. l. 9, tit. 1, leg. 15.

God. ad Cod. Th. t. 6, p. 267.

Till. Théod. art. 17.

Théodose ne perdait pas de vue le grand dessein qu'il avait conçu d'abattre entièrement l'idolâtrie. Après avoir défendu dès le commencement de son règne, les sacrifices par lesquels on cherchait à pénétrer dans l'avenir, il avait enfin interdit toute immolation de victimes. Il n'était plus permis aux païens que d'allumer du feu sur les autels, d'y brûler de l'encens, d'y répandre des libations, et d'y offrir les fruits de la terre. L'idolâtrie était revenue à son berceau; c'était avoir beaucoup avancé pour la détruire tout-à-fait. Il ne restait plus en Orient qu'Alexandrie, où l'on osât encore faire couler le sang dans les temples[535]. Libanius, toujours avocat des idoles, entreprit par un discours de fléchir Théodose en leur faveur[536]. Il employait toutes[Pg 259] les couleurs de sa rhétorique pour exagérer les insultes que les chrétiens faisaient aux dieux et à leurs adorateurs: il accusait surtout les moines[537]; il avançait que, secondés des officiers et des soldats, ils brisaient les statues, ils abattaient les édifices sacrés, ils égorgeaient les prêtres sur les ruines de leurs autels, et que, sous prétexte de saisir en faveur des églises, les fonds appartenant aux temples, ils s'emparaient des biens des particuliers, et dépouillaient de leurs terres les légitimes possesseurs. Il prétendait que les empereurs chrétiens justifiaient eux-mêmes le culte ancien, puisqu'ils le toléraient dans Rome et dans Alexandrie[538]; qu'ils laissaient subsister plusieurs temples; qu'ils n'excluaient pas les païens des plus éminentes dignités, et qu'ils recevaient le serment de fidélité fait au nom des dieux. Il finissait par ce trait de hardiesse: Les habitants des campagnes sauront bien défendre par les armes leurs divinités, si on les vient attaquer sans les ordres de l'empereur[539]. S'il est vrai que ce discours calomnieux soit parvenu jusqu'à Théodose, ce prince le reçut sans doute comme un avis de ce qui lui restait à faire pour fermer à jamais la bouche à l'idolâtrie, et lui ôter toute espérance. Il avait déjà envoyé en Égypte Cynégius, préfet du prétoire[540], avec ordre[Pg 260] d'abolir le culte des idoles dans cette province, et dans tout l'Orient. Il le chargea en même temps de porter à Alexandrie les images de Maxime, et de l'y faire reconnaître empereur, selon le traité qui venait d'être conclu entre les trois souverains[541]. Ce magistrat ferme et incorruptible, s'acquitta de sa commission, mais avec prudence. Il fit cesser en plusieurs endroits les sacrifices; il y ferma les temples. En arrachant aux peuples les objets de leur adoration, il sut prévenir leur révolte, et les consoler de la perte de leurs dieux, par un gouvernement équitable, qui a mérité des éloges publics de la part de Théodose dans une de ses lois. Ce témoignage est plus digne de foi que celui de Libanius. Le sophiste, irrité contre Cynégius qui venait de démolir un temple magnifique, qu'on croit être celui d'Édesse[542], dépeint le préfet comme un homme cruel, avare, sans mérite, abusant de sa fortune, esclave de sa femme[543] gouvernée par des moines[544]. Nous voyons par la suite de l'histoire, que Cynégius ne vint cependant pas à bout de ruiner entièrement le culte idolâtre, ni[Pg 261] dans l'Égypte, ni dans la Syrie. Ce fut alors que les païens oubliant leurs anciennes violences, commencèrent à se prévaloir de cette maxime, dont les fidèles avaient fait usage dans le temps des persécutions, et dont les vrais chrétiens ne s'écarteront jamais, que la religion doit s'établir par la persuasion et non par la contrainte.

[535] Et particulièrement le jour de la fête du Nil, dit Libanius, pro templ. p. 21. C'était sans doute aussi la grande fête du dieu Sérapis, qui n'était qu'une personnification du Nil. L'historien arménien Moïse de Khoren, qui vint en Égypte peu de temps après la destruction complète de l'idolâtrie, nous apprend, l. 3, c. 62, que cette fête se célébrait le 25 du mois égyptien de Tybi qui répondait au 20 janvier. Voyez à ce sujet, le Journal asiatique, t. 2, p. 330.—S.-M.

[536] Ce discours n'a été imprimé qu'une seule fois, sous ce titre Libanii Antiocheni pro templis gentilium non exscindendis ad Theodosium magnum imperatorem oratio, nunc primum edita a Iacobo Gothofredo. Paris, 1634, in-4º.—S.-M.

[537] Libanius, pro templ., p. 10, les appelle, des gens vêtus de noir, οἱ μελανειμονοῦντες οὗτοι.—S.-M.

[538] Libanius l'appelle la ville de Sérapis, grande, peuplée et remplie d'une multitude de temples. Οὐ τοίνυν τῇ Ῥώμῃ μόνον ἐφυλάχθη τὸ θύειν, ἀλλὰ καὶ τῇ τοῦ Σαράπιδος, τῇ πολλῇ τε καὶ μεγάλῃ, καὶ πλῆθος κεκτημένῃ νεῶν. Liban, pro templ. p. 21.—S.-M.

[539] Εἰ δ'οὐχὶ καὶ σοῦ δίδοντος, οἱ δὲ ἥξουσιν, ἣ ἐπὶ τὸ διαπεφευγὸς αὐτοὺς, ἤ διὰ τείχους ἀναστᾶν, ἴσθι τοὺς τῶν ἀγρῶν δεσπότας καὶ αὑτοῖς καὶ τῷ νόμῳ βοηθήσοντας. Liban. or. pro Templ. p. 32.—S.-M

[540] Ce magistrat, qui avait été intendant des largesses, Comes largitionum, en 381 et en 383, succéda à Posthumianus en l'an 384, dans la dignité de préfet du Prétoire, qu'il occupa jusqu'en l'an 388, dans laquelle il mourut étant consul. On croit qu'il était Espagnol.—S.-M.

[541] Voyez ci-dessus, p. 248, n. 3, liv. XXII, § 8.—S.-M.

[542] Ce temple était situé, selon Libanius, pro temp., p. 26, sur les frontières de la Perse, κεῖται μὲν γὰρ πρὸς τοῖς ὁρίοις Περσῶν νεὼς: il ne ressemblait à aucun autre, de l'aveu de tous ceux qui l'avaient vu, ὧ παραπλήσιον ὀυδὲν, ὡς ἐστιν ἁπαντων τῶν τεθεαμένων: il était d'une telle grandeur et d'une telle élévation qu'il semblait être une ville, ὅυτω μέγιστος ἐγεγόνει τοῖς λίθοις, τοσοῦτον ἐπέχον τῆς γῆς, ὁποσον καὶ ἡ πόλις. Tillemont pense (Théod. art. 15), que Libanius veut parler du temple du dieu Lunus à Carrhes dans la Mésopotamie; ce qui serait possible.—S.-M.

[543] Δουλεύοντος τῇ γυναικὶ, dit Libanius, p. 28. Cette femme est nommée Achantia par Idatius.—S.-M.

[544] De ces gens, dit Libanius, p. 28, qui affectent de vivre couverts de robes de deuil, ὧν τῆς ἀρετῆς ἀπόδειξις τὸ ζῆν ἐν ἱματίοις πενθούντων.—S.-M.

XVI.

Il est trompé par les Lucifériens.

Marcell. et Faust. libell.

Till. Theod. art. 19, et Arian. art. 140.

Théodose ne poursuivait que les erreurs capables de troubler l'ordre public. Il épargnait ces sectes pacifiques qui rampaient dans l'obscurité et le silence. C'est pour cette raison qu'il faisait grâce aux Novatiens. Les Lucifériens surprirent même sa bonté naturelle. Se plaignant d'être persécutés, parce qu'ils n'avaient pas assez de force pour être persécuteurs, deux de leurs prêtres, Marcellinus et Faustinus, lui présentèrent une requête. Ils imputaient faussement aux catholiques les violences les plus outrées. Le ton de piété, que l'hypocrisie emprunte aisément, trompa Théodose. Il les reçut comme des orthodoxes injustement outragés: il se déclara leur protecteur par un rescrit dans lequel il traite d'hérétiques leurs adversaires, reconnaissant néanmoins que c'est aux évêques qu'il appartient de décider les questions qui concernent la foi.

XVII.

Ambassade des Perses.

Pacat. paneg. § 22.

Liban. or. 14, t. 3, p. 403, or. 15, p. 419.

Themist. or. 16, p. 222.

Claud. de nupt. Honor. v. 240 et seq.

Vict. epit. p. 232.

Idat. Fast. et Chron.

Marcel. chr.

Oros. l. 7, c. 34.

Socr. l. 5, c. 12.

Agath. l. 4, p. 136.

Pet. Patric. in exc. leg.

Cod. Th. l. 12, tit. 13, leg. 6. et ibi God.

Chron. Alex. p. 304.

Hard. not. ad Themist. p. 484.

Cellar. geog. ant. l. 3. c. 15, art. 2.

Till. Theod. art. 21.

Valens n'avait conclu la paix avec le roi de Perse, que par la nécessité de tourner toutes ses forces contre les Goths. Il paraît que les conditions du traité ne furent pas avantageuses à l'empire, et qu'on fut obligé d'abandonner l'Arménie à Sapor[545]. Ce prince était[Pg 262] mort en 379[546], après avoir vécu et régné avec gloire soixante-dix ans[547]. Son fils Artaxer[548] n'avait occupé[Pg 263] le trône que quatre ans[549]. Sapor III, fils et successeur[Pg 264] d'Artaxer[550], craignait Théodose[551], qui entretenait une armée sur les bords du Tigre. Moins guerrier que son aïeul[552], il prit le parti de détourner l'orage par un nouveau traité[553]. Pour se concilier l'empereur romain,[Pg 265] il fit rendre à ses images les mêmes honneurs qu'on rendait à celles des rois du pays[554], et lui envoya à Constantinople une célèbre ambassade[555], avec de riches présents; c'était des pierreries, de la soie, et des éléphants pour traîner son char[556]. La négociation dura long-temps, et ne fut terminée que cinq ans après, en 389[557]. Mais il y a lieu de croire que Théodose fit[Pg 266] acheter cette suspension d'armes de la cession de quelques territoires. Du moins il est certain que, dès l'an 387, il exerçait les droits de la souveraineté sur la Sophanène et sur les satrapies voisines[558]. Cette province, située en-deçà du Tigre, au midi de l'Arménie et au septentrion de Nisibe et d'Amid, avait appartenu aux Perses, et quelques auteurs la nomment au nombre de celles que Jovien leur avait cédées. Ils la distinguent[Pg 267] de la Sophène, province d'Arménie, plus occidentale et plus voisine de l'Euphrate[559].

[545] Au sujet des négociations entamées entre Valens et les Perses, concernant l'Arménie, on peut voir ce qui a été dit ci-devant, p. 27 et 28, l. XIX, § 20, et les additions que j'ai placées p. 152, liv. XX, § 43. La guerre des Goths contraignit les Romains, non pas de céder l'Arménie aux Perses, mais de l'abandonner à leur influence. Ils y placèrent un roi, tandis que jusqu'alors les empereurs avaient disposé de la couronne de ce pays.—S.-M.

[546] C'est l'opinion de Tillemont, Hist. des Emp. t. V, Théod. art. 21, Hist. éccl. t. VII, S. Siméon, art. 1, not. 1. C'est au reste l'opinion commune admise avant et après lui, par presque tous les chronologistes. Je ne la crois pas fondée cependant. On en verra les raisons dans la note suivante. Ces savants ont placé trop tôt l'avènement de Sapor II.—S.-M.

[547] Tous les auteurs orientaux s'accordent à donner à Sapor ou Schahpour II, soixante et douze ans de règne et de vie; Abou'lfaradj est le seul qui s'écarte de cette opinion générale; il ne lui accorde, dans sa chronique syriaque (Vers. lat. p. 61), que soixante-neuf ans de règne. Agathias, qui devait tout ce qu'il raconte des rois de Perse de la race des Sassanides à un Syrien, interprète du grand roi Chosroès, et qui était attaché aux archives royales de Perse, Agathias, dis-je, assigne, l. 4, p. 136, un règne de soixante-dix ans à Sapor II. Ces deux opinions sont faciles à concilier, il suffit d'admettre que Sapor avait régné et vécu soixante-neuf ans accomplis, et qu'il est mort dans sa soixante-dixième année. Comme, d'après une date que j'ai rapportée, t. 1, p. 331, not. 1, liv. V, § 22, Sapor II a dû naître et devenir roi de Perse en l'an 311, sa première année royale a dû être comptée selon l'usage, du commencement de l'année civile des Perses, qui correspondait alors avec le 7 juin 311; ainsi sa soixante-dixième et dernière année, qui fut en même temps la première de son successeur, a dû commencer le 20 mai 380; c'est donc entre ce jour-là et le 20 mai 381, qu'il faut placer, selon toutes les vraisemblances, l'époque de la mort de Sapor.—S.-M.

[548] Il était son frère selon presque tous les auteurs. Le nom d'Artaxer, Ἀρταξὴρ, qui est dans Agathias, l. 4, p. 136, n'est qu'une altération du persan Ardeschir ou Ardaschir. Il est appelé de même dans la chronographie de Théophanes, p. 54. Ce nom se trouve dans les auteurs plus anciens sous la forme Artaxarès, qui est la même chose qu'Artaxerxès. Il existe dans les auteurs anciens et chez les divers peuples de l'orient sous des formes très-diverses. Quoiqu'il soit difficile de croire qu'un prince, parvenu à l'âge de soixante-dix ans et qui n'avait pas de frère moins âgé que lui, puisqu'il naquit posthume, ait pu avoir un frère pour successeur, il n'en est pas moins constant que tous les auteurs orientaux s'accordent à faire monter sur le trône de Perse, après la mort de Sapor II, un frère de ce prince. Il n'est pas impossible à la rigueur de croire qu'un homme, mort à soixante-dix ans, ait pu être remplacé par un frère plus âgé que lui; mais ce qu'il y a d'incompréhensible, c'est que les renseignements conservés par l'histoire ne nous laissent pas voir comment Sapor pouvait avoir un frère plus âgé que lui. Son père Hormisdas avait bien eu plusieurs enfants d'une première femme, mais on sait qu'ils avaient tous été exclus de la couronne, et ensuite emprisonnés, chassés ou mis à mort. On a déjà fait très-souvent mention dans cette histoire de l'un d'eux, qui se nommait Hormisdas comme son père, et s'était réfugié dans l'empire romain, où il avait obtenu du service et des honneurs. On avait préféré l'enfant encore à naître d'une autre femme d'Hormisdas; ce qui suppose naturellement que cette femme n'avait pas eu d'autres enfants du roi, et que ce prince n'en avait aucun autre. Cette femme comme le remarque Zonare, l. 13, t. 2, p. 12, était d'une naissance obscure, ἤν (Σαπώρης) υἱὸς, οὐ μέντοι ἐξ ἐπισήμον γυναικός. Les inclinations cruelles du fils aîné d'Hormisdas, firent choisir le rejeton d'une femme inconnue. Comment alors peut-il se faire qu'on retrouve ensuite un frère de Sapor nécessairement plus âgé que lui? On pourrait supposer qu'il était son frère utérin seulement, né d'un second mari, mais alors il n'aurait pas appartenu à la race des Sassanides, et il n'aurait pu monter sur le trône. On ne peut rejeter l'accord unanime des historiens orientaux, confirmé d'ailleurs par le témoignage d'Agathias, qui puisait aux sources les plus authentiques, et qui dit également que le successeur de Sapor II était son frère. Μετὰ γὰρ Σαβόρην Ἀρταξὴρ, ἀδελφὸς ὤν ἀυτῶ, καὶ μετασχὼν τῆς βασιλείας, Hist. l. 4, p. 136. Il n'est qu'un moyen de rendre raison d'une manière plausible de cette difficulté, c'est de supposer que le successeur de Sapor II, quoique né du même père et de la même mère, et étant par conséquent son aîné, n'avait reçu le jour qu'à une époque ou son père Hormisdas n'était pas encore roi. C'en était assez chez les Perses pour être inhabile à succéder à la couronne. L'Histoire ancienne nous apprend que le célèbre Xerxès, né de Darius fils d'Hystaspes, était redevable de la couronne à un usage semblable. L'exclusion, qui avait causé la mort ou la captivité des enfants d'Hormisdas nés d'une première femme, n'avait pu être aussi fatale au frère utérin de Sapor, parce qu'il avait pu être défendu par sa mère, qui devait donner le jour au futur héritier du trône. Ainsi, malgré la différence de sa naissance, comme il appartenait toujours à la race royale par son père, il a pu profiter de quelques circonstances favorables, et, quoique bien âgé, monter sur le trône après la mort de son frère. Le père de Sapor ayant régné sept ans et cinq mois, s'il en fut comme je le pense, Ardeschir devait avoir au moins soixante-dix-huit ans, quand il remplaça son frère sur le trône. Je dois remarquer cependant que, selon Abou'lfaradj, dans sa Chronique syriaque (Vers. lat. pag. 70), Ardeschir II, c'est-à-dire le successeur de Sapor II, était fils de ce prince; mais ce témoignage, contraire à tous les autres et si moderne, ne peut infirmer en rien ce que rapportent les autres auteurs.—S.-M.

[549] Artaxer, frère de Sapor II, régna quatre ans selon Agathias, l. 4, p. 136; ce qui s'accorde avec les renseignements chronologiques que fournissent les auteurs orientaux, qui sont unanimes sur ce point. On doit présumer que ce prince régna trois ans entiers et qu'il mourut dans la quatrième année de son règne. Nous avons vu que sa première année avait dû commencer le 20 mai 380; la quatrième et dernière avait alors commencé le 20 mai 383. Les Persans lui donnent le surnom de Nikoukiar, c'est-à-dire bienfaisant.—S.-M.

[550] Sapor III, successeur d'Artaxer ou Ardeschir, au préjudice duquel Ardeschir était monté sur le trône, n'était pas fils de ce prince, mais il était son neveu et fils de Sapor II. Il est difficile de concevoir comment le vieux Sapor, laissant un fils sans doute en âge de régner, avait été remplacé par un frère plus âgé que lui-même. Si nous connaissions mieux les détails intimes de l'histoire de Perse, il nous serait peut-être possible de rendre raison d'une chose, qui doit paraître si invraisemblable. Ce sont les paroles ambiguës d'Agathias, l. 4, p. 136, qui ont fait croire que Sapor III était fils d'Artaxer. Les auteurs orientaux ne nous laissent aucun doute sur ce point; ils le font tous fils de Sapor II. Eutychius est le seul qui, en le faisant comme les autres fils de Sapor II, ajoute qu'il était frère d'Ardeschir; ce qui ferait penser qu'Ardeschir était fils et non frère de Sapor II. Agathias, l. 4, p. 136, et Théophanes, qui, je ne sais par quelle raison, appelle ce prince Arsabel, lui donnent cinq ans de règne. Presque tous les auteurs orientaux s'accordent avec eux sur ce point; mais il en est quelques autres, plus exacts à ce qu'il me semble, et parmi lesquels il faut placer Abou'lféda, qui lui donnent un règne de cinq ans et quatre mois: ce qui fait voir qu'il régna cinq ans entiers, et qu'il mourut dans le quatrième mois de sa sixième année, qui fut aussi la première de son successeur. Comme son règne commença à compter du 20 mai 383, sa sixième année dut commencer le 18 mai 388.—S.-M.

[551] Persis ipsa, reipublicæ nostræ retro æmula, et multis Romanorum ducum famosa funeribus, quidquid unquam in principes nostros inclementius fecit, excusat obsequio. Pacat. c. 22.—S.-M.

[552] Gibbon, t. 5, p. 105, attribue le changement qu'on remarque dans la conduite politique des successeurs de Sapor II, à des divisions intestines et à une guerre qu'il appelle la guerre lointaine de Caramanie. Ce sont deux suppositions purement gratuites. Pour la première, on n'en trouve aucune indication dans l'histoire; pour l'autre, c'est une erreur. La Caramanie est une portion de l'Asie-Mineure, qui reçut ce nom au quatorzième siècle d'un prince turk. Ce n'est donc pas de ce pays qu'il est question. Il est probable que Gibbon a voulu parler du Kirman, pays voisin de la Perse, et qui portait déja ce nom à l'époque dont il s'agit, puisque Bahram IV, le successeur de Sapor III, fut surnommé Kirmanschah, c'est-à-dire roi du Kirman, parce que ce pays avait été son apanage avant qu'il régnât. Ce surnom se retrouve dans Agathias, l. 4, p. 136, sous la forme Cermasas, Κέρμασας. Rien n'indique qu'il y ait eu aucune guerre dans ce temps au sujet de ce pays; Gibbon s'est donc trompé dans ce qu'il en dit.—S.-M.

[553] Ce roi, qui auparavant dédaignait de s'avouer homme, dit Pacatus, c. 22, reconnaît sa terreur. Ipse ille rex ejus, dedignatus antea confiteri hominem, jam fatetur timorem. Tillemont (tom. V, Theod. art. 21) s'exprime ainsi, au sujet de ce passage de Pacatus: «Ce fut donc Sapor III, qui députa cette année à Théodose: et ainsi il faut dire que Pacatus confond ce prince avec Sapor II, son ayeul, ou l'entendre, non d'un homme en particulier, mais des rois de Perse en général, lorsqu'il dit que ce roi, qui auparavant dédaignait de se reconnaître pour homme [ce qui marque proprement Sapor II], confessait alors qu'il craignait Théodose.» Il n'y a là ni difficulté, ni confusion; Pacatus ne veut pas parler de Sapor II, mais bien de Sapor III, qui n'était pas petit-fils, mais fils de Sapor II; et ce qu'il dit se rapporte à tous les rois de Perse, qui, comme on le voit par leurs monuments, prenaient le titre de dieu, et qui se faisaient rendre les honneurs divins, comme Pacatus le dit lui-même aussitôt après.—S.-M.

[554] Et in his te colit templis, in quibus colitur. Pacat. c. 22.—S.-M.

[555] Legati Persarum Constantinopolim advenerunt, pacem a Theodosio principe postulantes. Marcel. Chron.—S.-M.

[556] Tum legatione mittenda, gemmis, sericoque præbendo, ad hoc triumphalibus belluis in tua esseda suggerendis. Orose s'exprime ainsi, en parlant de cette ambassade, l. 7, c. 34: Persæ, qui....... recentissimæ victoriæ satietatem cruda insultatione ructabant, ultro Constantinopolim ad Theodosium misere legatos, pacemque supplices poposcerunt. Tous les auteurs rapportent également que les Perses demandèrent la paix, cum Persis quoque petitus pacem pepigit, dit Aurélius Victor, p. 232. Claudien en a fait mention dans son poème destiné à célébrer le mariage d'Honorius avec l'impératrice Marie; il y parle v. 218 et seq. des superbes présents envoyés à cette époque par les Perses, en parlant des objets précieux conquis ou réunis par le père ou l'ayeul d'Honorius.

Illic exuvias omnes cumulate parentum,
.....................................
...............quodcunque Gelonus
Armeniusve dedit.................
.................................
Misit Achœmenio quidquid de Tigride Medus,
Quum supplex emeret Romanam Parthia pacem.

—S.-M.

[557] On voit par ces paroles de Pacatus, c. 22: Etsi adhuc non est fœderatus, jam tamen tuis cultibus tributarius est, que quoiqu'on fût en bonne intelligence avec les Perses, on n'avait pas encore conclu la paix avec eux. Les négociations furent longues; Stilicon encore fort jeune fut envoyé, comme on va le voir, pour cet objet à la cour du roi de Perse, où il séjourna long-temps. Libanius fait mention d'une autre ambassade qui fut envoyée à Antioche, en l'an 388 et en 389. Théodose reçut à Rome de nouveaux députés Persans. Il en est question dans le panégyrique composé par Claudien, à l'occasion du 6e consulat d'Honorius, v. 69 et seq. Il s'exprime ainsi en s'adressant à Honorius:

Te linguis variæ gentes, missique rogatum
Fœdera Persarum proceres, cum patre sedentem
Hac quondam videre domo, positoque tiaram
Submisere genu

Ce n'est qu'après ces longues négociations, que fut enfin conclue la paix durable, dont Orose parle en ces termes, l. 7, c. 34, ictumque tum fœdus est, quo universus oriens usque ad nunc tranquillissime fruitur. Le motif de toutes ces relations diplomatiques, qui paraissent avoir été si compliquées, était l'Arménie, restée dans une situation fort précaire depuis l'assassinat du roi Para; les auteurs grecs ou latins ne fournissent aucun renseignement qui puisse donner quelques notions sur ce royaume à l'époque dont il s'agit; il faut nécessairement recourir aux récits des auteurs arméniens. Les additions placées, ci-dev. p. 152-164, l. XX, § 43-48, et ci-après p. 269-274, liv. XXII, § 20-24, expliqueront ces faits si difficiles à discerner. On y verra que les négociations eurent pour résultat le partage politique de l'Arménie, qui fut, peu de temps après, divisée en deux royaumes, soumis l'un à la Perse, et l'autre à l'empire. Cet arrangement amena bientôt un partage réel, qui consomma à peu près la ruine de l'Arménie. Les deux royaumes furent supprimés, et envahis l'un par les Romains, l'autre par les Perses. Ces détails trouveront place dans la suite de cette histoire. Les savants modernes ont à peine entrevu que ces relations eurent l'Arménie pour objet; ils ont seulement remarqué qu'à dater de cette époque quelques cantons de la grande Arménie, la Sophanène par exemple, devint une dépendance de l'empire.—S.-M.

[558] Voyez ci-dev. pag. 29, not. 4, liv. XIX, § 20.—S.-M.

[559] Les Arméniens distinguèrent de même dans la Sophène deux parties. L'une s'appelait la grande, et l'autre la petite. Celle-ci s'appelait encore la Sophène royale, ou plutôt Sophène des Schahouniens. Je crois que c'est la Sophanène. Voyez mes Mémoires histor. et géographiques sur l'Arménie, t. 1, p. 92.—S.-M.

XVIII.

Stilichon envoyé en Perse.

Claud. de laud. Stilich. l. 1.

Stilichon fut député vers le roi de Perse. Il était encore dans la première jeunesse; mais il avait déjà fait connaître sa valeur et sa dextérité dans la conduite des affaires. Il tirait son origine de la nation des Vandales[560]. Son père avait commandé sous Valens les troupes auxiliaires de Germanie[561]. Il avait l'esprit élevé, plein de feu, capable de former de grands projets et d'en suivre l'exécution; éloquent, bien fait de sa personne, d'un teint vif et animé, noble dans son port et dans sa démarche, il s'attira l'estime des seigneurs de la Perse et du monarque. Les rois de Perse étaient passionnés pour la chasse: Stilichon se signala dans ce divertissement, et fit admirer son adresse à tirer de l'arc et à lancer le javelot: c'en fut assez pour faire écouter favorablement ses propositions. Retourné quelque temps après à la cour de Théodose, il fit conclure le traité de paix entre les deux souverains[562].

[560] S. Jérôme l'appelle, epist. 123, t. 1, p. 908, un demi-barbare. C'est Orose qui lui donne, l. 7, c. 38, une origine vandale. Comes Stilicho, dit-il, Vandalorum imbellis, avaræ, perfidæ et dolosæ gentis genere editus.—S.-M.

[561] C'est dans ces vers de Claudien, de laud. Stilich., l. 1, v. 35 et seq. qu'on trouve tout ce que nous savons sur le père de Stilichon.

.......................Quid facta revolvam
Militiamque patris? Cujus producere famam,
Si nihil egisset clarum, nec fida Valenti
Dextera duxisset rutilantes crinibus alas
Sufficeret natus Stilicho.

—S.-M.

[562] Cette ambassade n'est connue que par ce qu'en dit Claudien, dans le poème qu'il a consacré à la gloire de Stilichon, De laudibus Stilichonis, l. 1, v. 51 et seq. Je vais transcrire ici ces vers, qui ne sont pas sans mérite et qui contiennent des détails assez curieux sur les mœurs des Persans et sur leurs rites religieux.

Vix primævus, pacis quum mitteris auctor
Assyriæ: tanta fædus cum gente ferire
Commissum juveni! Tigrin transgressus, et altum
Euphraten, Babylona petis: stupuere severi
Parthorum proceres, et plebs pharetrata videndi
Flagravit studio, defixæque hospite pulchro
Persides arcanum suspiravere calorem.
Thuris odoratæ cumulis et messe Sabæa
Pacem conciliant aræ: penetralibus ignem
Sacratum rapuere adytis, rituque juvencos
Chaldæo stravere Magi: rex ipse micantem
Inclinat dextrâ pateram, secretaque Beli,
Et vaga testatur volventem sidera Mithram.
Si quando sociis tecum venatibus ibant,
Quis Stilichone prior ferro penetrare leones,
Cominus, aut longè virgatas figere tigres?
Flectenti faciles Medus tibi cessit habenas.
Torquebas refugum, Parthis mirantibus, arcum.

—S.-M.

[Pg 268]

XIX.

[Situation politique de l'Arménie.]

—[L'Arménie, éternel objet de division[563] entre les deux empires, était le sujet de ces négociations. Depuis qu'elle avait séparé sa cause de celle des Romains, pour s'unir aux Perses, les premiers cherchaient à recouvrer une influence qui leur avait été souvent utile; mais Manuel, qui gouvernait le royaume des Arsacides, penchait manifestement pour l'alliance des Perses. Il aimait mieux être en bonne intelligence avec un voisin redoutable, que d'être soutenu par un protecteur occupé trop loin et sur trop de points à la fois. Quelques différends s'étaient bien élevés entre les Arméniens et les Perses, et ils s'étaient comme à l'ordinaire terminés par la voie des armes, mais la paix avait bientôt été rétablie entre les deux états. Les événements survenus en Perse après la mort de Sapor, n'avaient pas permis à ses successeurs de songer à l'Arménie et de pousser vivement[Pg 269] les hostilités. L'Arménie, gouvernée par Manuel, était réellement indépendante. Une situation aussi avantageuse ne pouvait subsister long-temps; tout l'espoir du royaume résidait dans le connétable; car, que devait-on attendre d'une femme et des deux jeunes enfants que Para avait laissés? Il était évident que le bonheur dont on était redevable au connétable, ne pouvait guère durer plus que lui, et que le sort de l'Arménie allait encore une fois être abandonné à la discrétion des deux puissances qui s'en disputaient depuis si long-temps la possession.

[563] Perpetuam ærumnarum causam, dit Ammien Marcellin, l. 30, c. 2.—S.-M.

XX.

[Les Arméniens font la guerre aux Perses.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 38.]

—[Malgré toute l'habileté de Manuel, les intrigues de l'apostat Méroujan, qui avait déja causé tant de maux à l'Arménie, la mirent encore une fois aux prises avec la Perse. Le prince des Ardzrouniens était revenu dans son pays, où il avait été réintégré dans la tranquille possession de sa souveraineté; il était parvenu à gagner la confiance de Manuel, qui ayant servi comme lui le roi de Perse, n'avait pas, à ce qu'il paraît, pour la religion chrétienne, tout le zèle de son père et de son frère. Méroujan parvint à lui inspirer des doutes sur la sincérité du roi de Perse à son égard. Manuel refusait cependant d'y croire; mais le traître y revint si souvent, et il lui en donna des preuves en apparence si convaincantes, qu'il finit par lui persuader que le général Suréna avait l'ordre de le faire périr ou de s'emparer de sa personne, et de l'envoyer en Perse chargé de fers, pour réduire plus facilement l'Arménie. Manuel, convaincu de ce prétendu complot, prit ses mesures pour le faire avorter; des troupes furent mandées et réunies; elles cernèrent les Perses, sur lesquels elles tombèrent à l'improviste; ceux-ci, surpris sans[Pg 270] défenses, périrent tous; Manuel n'épargna que Suréna[564], avec lequel il avait des relations d'amitié. Il ne le rendit pas responsable des perfides desseins qu'il supposait à son souverain, et il le renvoya sain et sauf en Perse. Méroujan, satisfait d'avoir réussi à armer encore une fois les deux nations, quitta l'Arménie, pour aller animer la cour de Perse contre Manuel.

[564] Voyez ci-devant p. 163 et 164, l. XX, § 48.—S.-M.

XXI.

[Les Perses sont battus par les Arméniens.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 39-41.]

—[Une telle agression semblait devoir renouveller toutes les calamités de l'Arménie, en attirant sur elle la vengeance des Perses; mais heureusement les circonstances n'étaient plus les mêmes: Sapor avait cessé d'exister, après un règne aussi long que sa vie, et son frère, Ardeschir ou Artaxerxès[565], plus âgé que lui, n'était pas disposé à entreprendre une guerre aussi sérieuse. Les corps chargés de la garde des frontières firent bien quelques invasions dans l'Arménie; mais elles n'eurent ni suite ni succès. Goumand Schahpour fut défait et tué dans l'Atropatène. Varaz éprouva un sort pareil; il en fut de même de Mérikan, qui avait pénétré plus avant dans le centre de l'Arménie[566]. Surpris de nuit par Manuel, tout son camp fut passé au fil de l'épée. Les Perses ne firent plus, depuis, aucune tentative; ils abandonnèrent à son sort le traître Méroujan qui, retiré dans sa principauté, continua de faire la guerre pour son propre compte. On lui envoya bien de temps en temps quelques faibles détachements; mais ils n'agirent que comme ses auxiliaires. Leurs succès ou leurs revers étaient presque indifférents au roi de Perse.

[565] Voyez ci-devant, p. 262, not. 3, liv. XXII, § 17.—S.-M.

[566] Dans un lieu que Faustus de Byzance appelle, l. 5, c. 41, la plaine d'Ardangan et dont la position m'est inconnue.—S.-M.

XXII.

[Mort de Méroujan.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 42.]

—[Quoique presque réduit à ses seules forces, Méroujan[Pg 271] n'en continua pas la guerre avec moins de vigueur et d'acharnement; favorisé par la position difficile du pays qu'il possédait, situé au milieu des montagnes des Curdes, il portait impunément le ravage dans le centre de l'Arménie, où il inquiétait continuellement Manuel par ses brusques irruptions. Il se hasarda enfin à tenter une attaque plus sérieuse. Secondé par un corps de Persans qu'il venait de recevoir, il réunit toutes ses forces, tourne le lac de Van par l'Occident, et s'avance jusque dans le canton de Gok, non loin des sources de l'Euphrate[567]; il y apprit que Manuel était campé assez près de là, dans la province de Pagrévant, au milieu des ruines de Zaréhavan[568]. Ils n'étaient qu'à une petite distance l'un de l'autre, mais des montagnes presque impraticables les séparaient. Méroujan résolut de les franchir pour aller surprendre Manuel, quoique ses forces fussent très-inférieures. Sa femme Vartanouisch[569], s'opposa vainement à cette entreprise; le prince des Ardzrouniens voulut tenter la fortune. Il prit son chemin par des gorges inaccessibles, plutôt faites pour des chèvres sauvages[570] que pour des hommes, et il parvint assez près du camp de Manuel; mais des montagnards fidèles l'avaient[Pg 272] prévenu à temps de l'approche de l'ennemi; il était sur ses gardes, l'attendant de pied ferme. La reine, son fils et toutes les princesses furent envoyés au château de Varaz, qui était dans le voisinage; ils y furent en sûreté. Artavazd, fils de Vatché, parent de Manuel, encore enfant, y fut envoyé comme les autres par l'ordre du connétable; mais il parvint à se soustraire à ses surveillants; on lui procura secrètement des armes, et, malgré sa jeunesse, il se mêla aux combattants et il se distingua dans cette journée, qui fut sanglante. On se battit avec acharnement, et la perte des deux côtés fut considérable. Babik, prince de Siounie[571], Vatché Mamigonien[572], et Gardchoul Malkhazouni[573] y périrent; à la fin, les soldats de Méroujan et ses alliés prirent la fuite; on en fit un horrible carnage; lui-même fut tué, et sa tête coupée fut portée à la reine d'Arménie[574].

[567] Voyez t. 2, pag. 225, not. 1, liv. X, § 11.—S.-M.

[568] Cette ville avait été ruinée par les commandants des armées que Sapor II avait envoyés en Arménie en l'an 367. Voyez t. 3, p. 299, not. 4, liv. XVII, § 13.—S.-M.

[569] On a vu, t. 3, p. 281, not. 4, liv. XVII, § 6, et p. 363, § 59, que Sapor avait donné sa sœur Hormizdokht, pour épouse à Méroujan vers l'an 367. Il est probable qu'elle était morte alors, et qu'après sa mort Méroujan s'était remarié avec Vartanouisch, dont on ignore l'origine. A l'époque où Méroujan épousa la sœur de Sapor, cette princesse devait être fort avancée en âge; car il y avait alors plus de cinquante-sept ans que leur père était mort, et elle devait être plus âgée que Sapor qui était posthume.—S.-M.

[570] Ce canton portait, à cause des pics nombreux dont il était hérissé, le nom d'Eghdcher, c'est-à-dire les Cornes. Il le devait sans doute à l'élévation brusque des montagnes qui le couvrent.—S.-M.

[571] Voyez ci-devant p. 162, liv. XX, § 47.—S.-M.

[572] Ce personnage, fils d'Artavazd, avait été investi par Varazdat, de la souveraineté des Mamigoniens, qu'il avait rendue ensuite à Manuel à cause de son droit d'aînesse. Voyez ci-devant p. 155 et 157, liv. XX, § 44 et 45.—S.-M.

[573] Voyez ci-devant p. 163, note 1, liv. XX, § 48.—S.-M.

[574] Moïse de Khoren raconte d'une façon bien différente, l. 3, c. 37, la mort de Méroujan. Selon lui, il aurait péri dix ans avant, à la bataille de Dsirav, dans laquelle les Persans furent vaincus par Mouschegh, secondé par les Romains. Voyez tom. 3, p. 380, l. XVII, § 66. Selon lui, Méroujan aurait été pris en s'enfuyant après la bataille, par le prince Pagratide Sempad, fils de Pagarad, et celui-ci, pour insulter par une sanglante dérision à l'ambition de Méroujan, qui voulait devenir roi d'Arménie, aurait fait rougir au feu un morceau de fer, dont il aurait formé une couronne, qu'il lui aurait appliquée sur la tête, remplissant ainsi la charge de Thakatir, c'est-à-dire coronateur, qui appartenait à sa famille. Il est possible que quelque chose de pareil soit arrivé à l'époque de la mort de Méroujan; mais il n'est pas présumable qu'il ait péri à la bataille de Dsirav.—S.-M.

XXIII.

[Arsace fils de Para est déclaré roi d'Arménie.]

[Faust. Byz. l. 5. c. 42 et 44.]

—[La défaite et la mort de celui qui était depuis si long-temps l'artisan de tous les maux de l'Arménie,[Pg 273] rendit enfin le repos à ce pays, et Manuel le gouverna dans une paix profonde pendant plusieurs années. Accablé de travaux et de fatigues, affaibli par les infirmités qu'il devait aux blessures dont il était couvert, il prévit que sa fin serait prochaine, et il s'occupa des précautions qu'il était nécessaire de prendre pour la sûreté du royaume. Les seigneurs se réunirent par ses ordres dans le canton de Carin[575]. La reine et ses deux fils s'y trouvèrent, Manuel les déclara rois et les fit reconnaître, en cette qualité, par les princes et par la nation assemblés. Le premier rang fut assigné à Arsace, et Valarsace fut déclaré son second[576]. Manuel donna sa fille Vartandokht pour épouse à Arsace[577], et Valarsace fut marié avec la fille de Sahag, prince des Pagratides[578], dont la famille, souvent et depuis long-temps alliée avec les rois, était depuis plusieurs siècles en possession de couronner les souverains de l'Arménie à leur avènement au trône[579].

[575] Voyez ci-devant, p. 158, n. 1, liv. XX, § 46.—S.-M.

[576] Voyez ci-devant, t. 3, p. 79, n. 2, liv. XIV, § 15.—S.-M.

[577] Faustus de Byzance mentionne plusieurs fois la femme d'Arsace, en rapportant qu'elle était fille de Manuel. Selon Moïse de Khoren, l. 3, c. 41, elle était fille de Babik, prince de Siounie. Ce qu'on doit conclure de ces deux autorités, c'est qu'Arsace eut deux femmes, et qu'après la mort de la fille de Manuel, il épousa celle du prince de Siounie.—S.-M.

[578] Voyez tom. 3, p. 380, not. 2, liv. XVII, § 66.—S.-M.

[579] C'est la charge de Thakatir ou Coronateur, dont j'ai déja parlé ci-dessus, p. 272, note 2, et tom. 3, p. 79, n. 2, l. XIV, § 15. Indépendamment de cette dignité, Sahag, et en général tous les chefs de la race des Pagratides, portaient encore par droit d'hérédité le titre d'Asbied, c'est-à-dire Chevalier, qui leur avait été conféré par Valarsace, premier roi des Arsacides en Arménie, un siècle et demi avant notre ère.—S.-M.

XXIV.

[Mort de Manuel régent d'Arménie.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 44.]

—[La joie causée par cet arrangement fut bientôt troublée par un fâcheux événement; ce fut la mort de Manuel. Il y avait sept ans qu'il gouvernait l'Arménie, lorsqu'il tomba dangereusement malade. Il fit alors venir[Pg 274] auprès de lui son fils Ardaschir[580], et lui remit la charge de connétable, en lui recommandant de se dévouer pour les rois Arsacides, à l'exemple de ses ancêtres. Ce n'en était pas assez pour assurer l'avenir de l'Arménie; la grande jeunesse et l'inexpérience des deux rois inquiétaient Manuel: il voyait assez qu'ils ne pourraient conserver l'indépendance de leur couronne, et que l'Arménie était encore une fois menacée de redevenir le sanglant théâtre des démêlés de l'Occident et de l'Orient. Le roi de Perse, Ardeschir, venait de mourir[581], et son neveu, Sapor III, fils de l'ancien Sapor, qui l'avait remplacé, ne cachait pas l'intention où il était de renouveller les prétentions de ses aïeux sur l'Arménie. Manuel prévoyait bien que cette lutte trop inégale ne serait pas à l'avantage des Arméniens, il écrivit donc à l'empereur Théodose pour lui recommander les deux rois, et pour les mettre sous sa protection. Après toutes ces dispositions, ce guerrier dont le corps couvert de cinquante blessures[582], était sillonné de cicatrices, rendit l'ame en déplorant son malheur, de ce qu'exercé dès son enfance au milieu des combats, il n'avait pas perdu sur le champ de bataille une vie compromise dans tant de guerres.]—S.-M.

[580] Voyez ci-devant p. 156 et 158, l. XX, § 45 et 46.—S.-M.

[581] Ce prince cessa de vivre en l'an 384. Voyez ci-devant p. 263, n. 1, liv. XXII, § 17.—S.-M.

[582] Ces détails se trouvent dans l'histoire de Faustus de Byzance, l. 5, c. 44.—S.-M.

XXV.

Divers événements de cette année.

Idat. fast. et Chron.

Marc. chr.

Claud. de laud. Serenæ, v. 208.

Chron. Alex. p. 304.

Symm. l. 10, ep. 20, 21, 22, 57; et l. 4, ep. 8; et l. 3, ep. 55 et 82.

[Theoph. p. 57.]

Cod. Th. l. 6, tit. 4, leg. 25; l. 15, tit. 9, leg. 1.

Cod. Just. l. 1, tit. 16, leg. unic.

Hier. ep. 123, t. 1, p. 901.

Peu de temps après l'arrivée des ambassadeurs de Perse, le 9 septembre, il naquit un second fils à Théodose. L'empereur le nomma Honorius[583], en mémoire de[Pg 275] son frère, qu'il avait tendrement aimé. Il lui donna, dès sa naissance, le titre de Nobilissime, et le désigna consul pour l'année 386. Il n'y avait eu jusqu'alors que quatre préteurs à Constantinople: Théodose en doubla le nombre[584]; mais il ordonna en même temps que deux préteurs ensemble ne feraient, pour les jeux publics, que la même dépense, à laquelle un seul individu avait été auparavant obligé. Les magistrats se ruinaient souvent, soit par les largesses qu'il était d'usage de faire, et qu'ils portaient à l'excès; soit par la magnificence dont ils se piquaient dans les spectacles qu'il donnaient au peuple; l'empereur mit un frein à une vanité si nuisible aux familles, en réglant ces dépenses[585]. Valentinien venait d'en faire autant pour l'Occident; et les deux princes avaient, par ces lois, répondu aux désirs des deux sénats de Rome et de Constantinople, qui gémissant de ces abus auxquels leurs membres étaient forcés de s'assujettir, en avaient proposé la réforme; mais comme les plus sages réglements deviennent trop souvent inutiles par les dispenses que la faveur obtient pour y contrevenir, Théodose déclara par une loi[586], que quiconque demanderait au prince un rescrit pour avoir la liberté de violer un décret du sénat, serait noté d'infamie et puni par la confiscation du tiers de son patrimoine. Il étendit sa générosité jusque sur l'empire d'Occident. Il honorait Symmaque et le comblait de présents. Il fit conduire à Rome des chevaux et des éléphants pour les jeux du cirque. Le blé d'Afrique, n'ayant pu arriver à cause des vents contraires, Rome[Pg 276] était menacée de la famine, lorsqu'elle reçut avec une joie incroyable un grand convoi de blé que Théodose y envoyait de Macédoine. Le sénat lui marqua sa reconnaissance de tant de bienfaits, par une statue équestre qu'il fit dresser en l'honneur de Théodose le père. Rome, qui depuis long-temps avait perdu l'habitude de voir des triomphes, en vit un vers ce temps-là d'une espèce toute nouvelle, et aussi frivole que Rome elle-même l'était devenue en comparaison de ce qu'elle avait été autrefois. Un homme du peuple ayant déjà enterré vingt femmes, en épousa une qui avait rendu le même office à vingt-deux maris. On attendait avec impatience la fin de ce nouveau mariage, comme on attend l'issue d'un combat entre deux athlètes célèbres; enfin, la femme mourut, et le mari, la couronne sur la tête et une palme à la main, ainsi qu'un vainqueur, conduisit la pompe funèbre, au milieu des acclamations d'une populace innombrable. Saint Jérôme rapporte ce fait, dont il fut témoin oculaire.

[583]

.................... Nec carior olim
Mutua Ledœos devinxit cura Laconas.
Addidit et proprio germana vocabula nato;
Quaque datur, fratris speciem sibi reddit adempti.

Claud. de laud. Serenæ, v. 207 et seq.—S.-M.

[584] Par sa loi du 23 octobre 384. Les dépenses pour l'installation des deux premiers de ces préteurs furent fixées à mille livres d'argent.—S.-M.

[585] Par une loi du 25 juillet 384.—S.-M.

[586] Elle fut rendue le lendemain, 26 juillet.—S.-M.

XXVI.

Loi qui défend les mariages entre cousins germains.

Vict. epit. p. 233.

Ambr. ep. 60, t. 2, p. 1017.

Liban. or. de angariis, p. 36.

Symm. append. ep. 14.

Aug. de civ. l. 15, c. 16, t. 7, p. 397.

Cod. Th. l. 3, tit. 12, leg. 3, tit. 10, leg. 1 et ibi God. l. 7, tit. 1, leg. 12.

Cod. Just. l. 5, tit. 4, leg. 19; tit. 5, leg. 6.

Till. Theod. art. 20.

Constance avait déclaré incestueux les mariages des oncles avec leurs nièces; Théodose les défendit entre cousins germains, sous peine du feu et de la confiscation des biens. Ces alliances avaient été permises jusqu'alors; mais la pudeur naturelle, qui les rendait fort rares, lui parut une raison suffisante pour les interdire tout-à-fait[587]. Il laissa cependant la liberté de les contracter sous une dispense obtenue du prince. Arcadius modéra dans la suite la rigueur excessive de cette loi, en retranchant la peine du feu; mais il déclara ces mariages illégitimes, les enfants qui en naîtraient inhabiles à succéder et à recevoir aucune donation de[Pg 277] leurs pères, les femmes privées de leur dot, qui serait dévolue au fisc. Quelques années après, Arcadius abolit entièrement la loi de son père[588], que son frère Honorius continua de faire observer dans ses états. Justinien rétablit dans son Code l'ancien droit romain sur cet article, et permit dans tout l'empire les mariages des cousins germains; mais la discipline de l'Église a conservé la loi de Théodose; elle a toujours proscrit ces alliances comme illicites, à moins qu'il n'y eût dispense accordée pour les contracter. Le mélange des barbares faisait croître la licence parmi les troupes. Les officiers et les soldats s'écartaient de leurs quartiers pour piller leurs campagnes, et traitaient en ennemis les sujets de l'empire. Théodose enjoignit aux gouverneurs des provinces et aux défenseurs des villes, dont nous avons déja parlé, de l'instruire sur-le-champ du nom de ceux qui se rendraient coupables de ces désordres.

[587] Tantum pudori tribuens et continentiæ, ut consobrinarum nuptias vetuerit, tamquam sororum. Aur. Vict. epit. p. 233.—S.-M.

[588] Par une loi du 26 novembre 396.—S.-M.

XXVII.

Sarmates vaincus.

Symm. l. 10, ep. 26 et 68.

L'Orient était en paix[589]. Elle ne fut troublée en Occident que par une incursion des Sarmates; mais ils furent repoussés par les généraux de Valentinien[590]. Ce prince, qui passa cette année tantôt à Milan, tantôt à Aquilée[591], fit conduire à Rome un grand nombre de prisonniers. On les fit combattre dans l'arène les uns[Pg 278] contre les autres avec les armes de leur nation pour le divertissement du peuple.

[589] Théodose passa presque toute l'année 384 à Constantinople, ou bien il ne s'en éloigna pas beaucoup. On le trouve à Héraclée en Thrace au mois de juin et dans celui de juillet; le 31 août, il était à Berrhée dans le même pays. Le 22 septembre à Rege, endroit situé à trois ou quatre lieues de Constantinople. Toutes les autres lois de cette année le montrent dans cette ville.—S.-M.

[590] Cette guerre se fit, il paraît, dans la Pannonie. On apprend de Symmaque, l. 10, epist. 68, que le général qui la fit, reçut de grands éloges de Valentinien, sans doute à cause des succès qu'il y obtint.—S.-M.

[591] Il était à Milan, aux mois de mars et d'avril; à Aquilée, en septembre; on le retrouve à Milan pendant la fin d'octobre et le reste de l'année.—S.-M.

XXVIII.

[Théodose prend l'Arménie sous sa protection.]

[Faust. Byz. l. 5, c. 44 et l. 6, c. 1.

Mos. Chor. l. 3, c. 41.]

—[Théodose recouvrit dans la même année le pouvoir que ses prédécesseurs avaient eu en Arménie. Il s'était empressé d'accueillir la prière que Manuel lui avait adressée en mourant[592], et il avait accordé sa protection aux deux fils du roi Para, dans le temps même où les ambassadeurs persans qui étaient à Constantinople, le pressaient de conclure une paix durable entre les deux empires. Les Perses cherchaient alors à profiter de la mort de Manuel, et ils faisaient quelques entreprises sur les frontières de l'Arménie, pour tâcher de reconquérir ce royaume ou au moins pour le faire rentrer dans leur alliance. La démarche de Théodose ne fut pas propre à amener la conclusion des négociations. L'empereur crut qu'en laissant les deux frères sur le trône, il aurait une garantie plus forte de leur fidélité; il pensait qu'ils ne pourraient songer tous deux à la fois à se soustraire de son obéissance. Il garda cependant près de lui comme ôtage la reine leur mère, et il envoya en Arménie une armée commandée par des officiers d'une fidélité éprouvée; leur présence était nécessaire, car les seigneurs arméniens soutenaient contre les Perses une guerre sérieuse, qui cessa ou qui se ralentit lorsqu'on apprit l'arrivée des troupes impériales. Le trône d'Arménie ne fut pas long-temps partagé; Valarsace mourut au bout d'un an, laissant à son frère la totalité d'un empire,[Pg 279] dont la moitié était déja pour lui un fardeau trop pesant. Arsace perdit aussi son épouse Vartandokht, fille de son tuteur; et il ne tarda pas d'épouser la fille de Babik, prince de Siounie[593], qui était mort dans la bataille où l'apostat Méroujan avait perdu la vie. Cet état de choses se maintint pendant quelques années, mais la jeunesse, la faiblesse et l'inexpérience d'Arsace amenèrent bientôt, comme on le verra en son lieu, la ruine de l'Arménie.—S.-M.]

[592] Voyez ci-dev., § 24, p. 274. La régence de Manuel, qui fut de sept années selon le témoignage formel de Faustus de Byzance, auteur contemporain, a été entièrement passée sous silence par Moïse de Khoren, dans son Histoire d'Arménie. Cette omission jette une grande obscurité dans la narration de cet écrivain, et trouble toute sa chronologie, qui ne peut plus s'accorder avec les annales de l'empire.—S.-M.

[593] Voyez ci-dev. p. 162, liv. XX, § 47. et p. 272, l. XXII, § 22.—S.-M.

XXIX.

Mort de Prétextatus.

Symm. l. 1. ep. 40, 47; l. 2, ep. 36; l. 10, ep. 23, 24, 25, 34 et 37.

Macrob. sat. l. 1, c. 1, 2, 6, 7, 17.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Hieron. ep. 23, t. 1, p. 124.

Grut. inscr. p. 309; nº 2, 3 et 4, p. 310, nº 1; p. 486, nº 3, et p. 1102, nº 2.

Till. Theod. art. 22, not. 19 et 20.

Probus, alors préfet d'Illyrie, conservait sous Valentinien la considération que sa naissance et ses richesses lui avaient depuis long-temps procurée. Principal ministre du jeune prince, il était chargé du gouvernement civil. Prétextatus, dont nous avons déja parlé, partageait le crédit de Probus: c'était le héros du paganisme, auquel il faisait honneur par l'élévation de son ame et par l'intégrité de ses mœurs. Les chrétiens ne lui ont reproché que son zèle pour l'idolâtrie; les païens relèvent par les plus grands éloges sa modération dans la haute fortune, sa compassion envers les malheureux, sa sévérité pour lui-même, sa douceur pour les autres, sa vaste érudition. Il consacrait à l'étude de l'antiquité tout le loisir que lui laissaient ses emplois. C'est dans sa maison que Macrobe place la scène de ces conversations savantes qu'il a intitulées Saturnales. On admirait en lui ce juste tempérament de qualités opposées, qui le rendait complaisant sans bassesse, ferme sans hauteur. Riche, mais désintéressé, il n'accepta jamais les legs qu'on lui faisait par testament, préférant à ces avantages la satisfaction généreuse de les laisser aux parents du défunt. Ses voisins le prenaient pour arbitre des prétentions[Pg 280] qu'ils avaient sur ses terres. Cet homme si juste et si éclairé d'ailleurs, était aveugle et injuste sur le point le plus important de l'humanité. Ennemi de la religion chrétienne, il s'efforçait d'en retarder les progrès, et de conserver les restes de l'idolâtrie expirante. Il fuyait les honneurs, mais les honneurs le recherchaient: il avait été sept fois député par le sénat aux empereurs dans des conjonctures difficiles, il avait passé par toutes les charges, il était revêtu de tous les sacerdoces[594]. Préfet d'Italie, et désigné consul pour l'année suivante, il vint à Rome, et étant monté au Capitole au milieu des applaudissements de tous les citoyens, il exhorta, par deux discours éloquents, le sénat et le peuple à l'obéissance et à l'amour du gouvernement. Peu de jours après, la mort lui enleva toutes ses dignités[595]. Dès que la nouvelle s'en répandit dans Rome, le peuple qui était alors au théâtre, abandonna avec de grands gémissements les spectacles, pour lesquels il était passionné. La douleur fut si éclatante et si universelle que l'empereur aurait pu en être jaloux. On lui avait dressé des statues pendant sa vie, et le peuple dans un de ces caprices, qui[Pg 281] lui sont si ordinaires, les ayant un jour abattues avec des clameurs séditieuses, les avait presque aussitôt vu relever par ordre du prince avec d'aussi vives acclamations. Après sa mort, le sénat obtint de l'empereur la permission de lui en élever une nouvelle, dont l'inscription subsiste encore[596]. Les vestales lui en décernèrent une autre en leur propre nom, ce qui était sans exemple. Jamais ces vierges respectées n'avaient rendu le même honneur aux hommes les plus religieux. La chose fut cependant exécutée[597], malgré l'opposition de Symmaque, ami de Prétextatus, mais encore plus attaché aux bienséances et aux usages de sa religion[598]. La femme de Prétextatus, Fabia Aconia[Pg 282] Paulina, fille de Catulinus, consul en 349, décorée elle-même des titres les plus fastueux de la superstition païenne, honora la mémoire de son mari avec toute la pompe et la vanité de l'idolâtrie[599]. Elle fit son apothéose, et prétendit que son ame s'était établie dans la voie lactée, comme dans un palais semé d'étoiles[600].

[594] Une inscription antique qui se trouve à Rome fait connaître toutes les dignités et les fonctions qui avaient été exercées par Prétextatus ou réunies sur sa tête; cette inscription avait, à ce qu'il paraît, décoré jadis la base d'une de ses statues. Vettio Agorio Prætextato v. c. et inl. correctori Tusciæ et Umbriæ consulari Lusitaniæ proconsuli Achaiæ præf urb. præf. prætorii illyrici Italiæ et Africæ cons. designato legato amplissimi ordinis septies et ad impetrandum reb. arduis semper opposito parenti public. privatimque reverendo ut etiam statuæ ipsius domus honoraret insignia constitui locarique curavit. Gruter, p. 486, nº 3.—S.-M.

[595] O quanta rerum mutatio! Ille, quem ante paucos dies dignitatum omnium culmina præcedebant, qui, quasi de subjectis hostibus triumpharet, Capitolinas ascendit arces, quem plausu quodam et tripudio populus Romanus excepit, ad cujus interitum urbs universa commota est, nunc desolatus et nudus. Hieron. epist. 23, tom. 1, p. 125.—S.-M.

[596] Cette inscription, qui se trouve dans Gruter, pag. 1102, nº 2, fut faite le premier février sous le consulat de Valentinien III et d'Eutrope, ou en l'an 387, elle contient l'indication de toutes les charges religieuses et civiles de Prétextatus, disposées sur deux colonnes. Elle est conçue ainsi: Vettio Agorio Prætextato v. c. pontifici Vestæ, pontifici Soli, quindecim viro, auguri tauroboliato, curiali, neocoro, hierofantæ, patri sacrorum.

Quæstori candidato, prætori urbano, correctori Tusciæ et Umbriæ, consulari Lusitaniæ, proconsuli Achaiæ, præfecto urbi, præf. præt. II., Italiæ et Illyrici, consuli designato.

Dedicata kal. feb. D. n. Fl. Valentiniano Aug. III et Eutropio conss.—S.-M.

[597] On en a pour preuve une inscription trouvée à Rome, et faite par Fabia Paulina, femme de Prétextatus, en l'honneur de la vestale Cælia Concordia Maxima, qui avait contribué à faire décerner cet honneur à la mémoire de Prétextatus. Cette inscription curieuse est ainsi conçue: Cæliæ Concordiæ virgini vestali Maximæ Fabia Paulina c. f. statuam faciendam conlocandamque curavit cum propter egregiam ejus pudicitiam insignemque circa cultum divinum sanctitatem, tum quod hæc prior ejus viro Vettio Agorio Prætextato v. c. omnia singulari dignoque ejus ab hujusmodi virginibus et sacerdotibus coli statuam collocarat. Gruter, p. 310, nº 1.—S.-M.

[598] Prætextato nostro monumentum statuæ dicare destinant virgines sacri vestalis antistites. Consulti pontifices, priusquam reverentiam sublimis sacerdotii, aut longæ ætatis usum, vel conditionem temporis præsentis expenderent; absque paucis, qui me secuti sunt, ut ejus officium statuerent, adnuerunt. Ego, qui adverterem, neque honestati virginum talia in viros obsequia convenire, neque more fieri, quod Numa auctor, Metellus conservator religionum, omnesque pontifices Maximi numquam ante meruerunt. Symmach. lib. 2, ep. 36.—S.-M.

[599] Une inscription de Bénévent, presque entièrement conforme à une autre, qui existe à Rome dans l'église des Saints-Apôtres, fait connaître tous les titres de Prétextatus (Gruter. pag. 309, nos 2 et 3). Elles étaient destinées l'une et l'autre à orner la base des statues érigées en l'honneur de cette femme. Voici la dernière de ces inscriptions qui contient l'énumération la plus complète. Fabiæ Aconiæ Paulinæ. c. f. filiæ Aconii Catulini v. c. ex præf. et consulis ordin. uxori Vetti. Prætextati v. c. præf. et consulis designati sacratæ apud Eleusinam deo Baccho, Cereri et Coræ sacratæ apud Laernam, deo Libero et Cereri et Coræ sacratæ apud Æginam deabus taurobolitæ, isiacæ hierophantriæ deæ Hecatæ græco sacratæ deæ Cereris.—S.-M.

[600] Non in lacteo cœli palatio, ut uxor mentitur infelix, sed in sordentibus tenebris continetur (Prætextatus). Hieron. epist. 23, tom. 1. pag. 125 et 126.—S.-M.

XXX.

Symmaque préfet de Rome.

Symm. l. 4, ep. 8; l. 10, ep. 15, 16, 17, 21, 23, 27, et 47.

Olympiod. apud Phot. cod. 80.

Sidon. l. 2, ep. 10.

Cod. Just. l. 9, tit. 29, leg. 3.

Prétextatus laissait au paganisme, dans la personne de Q. Aurélius Symmachus, un défenseur encore plus ardent et aussi considérable par sa noblesse, par ses emplois et par ses éminentes qualités. Celui-ci était préfet de Rome depuis la fin de l'année précédente. Il posséda pendant trois ans cette dignité qu'il n'avait pas recherchée, et dont il demanda plusieurs fois d'être déchargé; il la devait à la recommandation de Théodose, dont il était estimé. Il passait pour l'homme le plus éloquent de son siècle. Sa femme, Rusticiana, fille d'Orfitus préfet de Rome sous Constance, secondait son amour pour l'étude, et l'on dit qu'elle lui tenait souvent le flambeau pendant qu'il lisait ou qu'il composait. Le père de Symmaque lui avait laissé une éclatante réputation à soutenir, mais une médiocre fortune. Quoiqu'il affectât de retracer l'ancienne simplicité[Pg 283] romaine, on aperçoit dans sa conduite un combat de modestie et de vanité, où l'une et l'autre ont tour-à-tour l'avantage. Il refusa de se servir d'un char superbe que Gratien avait destiné à l'usage des préfets de Rome, et il débita sur ce sujet à Valentinien les plus sages maximes: Que le faste ne relève pas les magistratures; que les mœurs du magistrat en font le plus bel ornement; que Rome toujours libre, quoique soumise à ses princes, n'a jamais su et ne sait pas encore respecter une pompe frivole, qui n'est à ses yeux de nulle ressource pour suppléer à la vertu. Mais dans la suite, ce Romain si modeste, voulant par sa magnificence faire briller son fils alors préteur, trouva fort mauvais qu'on prétendît lui faire observer la loi qu'il avait sollicitée lui-même pour borner la dépense des magistrats: il se donna beaucoup de mouvements pour en obtenir la dispense, et n'eut point de repos qu'il n'eût dépensé en cette occasion deux mille livres pesant d'or. Il donna plusieurs fois de bons conseils à Valentinien. Ce prince voulut imposer une taxe à certaines compagnies chargées des fournitures de la ville de Rome; Symmaque lui représenta, qu'un prince compromettait son autorité en commandant l'impossible; que d'une imposition trop onéreuse, il ne recueillait que des mécontentements et des murmures; qu'en épuisant ses sujets, il gagnait moins qu'il ne perdait, puisqu'il les mettait hors d'état de rendre les services attachés à leur condition; que la richesse du prince et celle des peuples étaient inséparables, et que toutes les deux prenaient leur source dans l'humanité du souverain. En entrant en charge, il trouva en place d'assez mauvais officiers[Pg 284] subalternes, qui avaient été nommés par l'empereur: il prit la liberté de lui mander, que la nature produisait toujours assez d'honnêtes gens pour remplir les postes de l'état; que pour les démêler dans la foule, il fallait d'abord écarter ceux qui demandaient; que ceux qui méritaient se trouveraient dans le reste. On peut aisément conjecturer que cette leçon ne plut pas au jeune prince: du moins je soupçonne qu'un rescrit adressé à Symmaque et qui se trouve entre les lois de Valentinien, servit de réponse à cette remontrance. En voici les termes: Il n'est pas permis de raisonner sur la décision du souverain; c'est offenser la majesté impériale que de douter du mérite d'un homme qu'elle a honoré de son choix. La date de ce rescrit tombe sur la fin de cette année, temps auquel le prince nommait les nouveaux officiers; et le ton que prend ici Valentinien, s'accorde assez bien avec la fierté présomptueuse d'un jeune empereur.

XXXI.

Requête de Symmaque à l'empereur en faveur du paganisme.

Symm. l. 10, ep. 54.

Ambr. t. 2, ep. 11, p. 810, ep. 12, p. 812, ep. 17, p. 824, ep. 18, p. 833, et ep. 57, p. 1010, et or. de obit. Valent. t. 2, p. 1179.

Paulin. vit. Ambr. § 26.

Ennodius, carm. 142.

Till. vie de S. Ambr. art. 37.

Mais l'intérêt de la religion païenne était l'affaire la plus importante de Symmaque. Ce fut pour la soutenir sur le penchant de sa ruine, qu'il réunit tout ce qu'il avait d'activité, d'adresse et d'éloquence. Il s'était déja inutilement adressé à Gratien, qui n'avait pas même daigné répondre à sa requête. Il comptait trouver moins de fermeté dans un prince de treize ans qui, malgré le traité de paix, devait craindre Maxime et ses intrigues. Dans cette espérance, il assembla le sénat; les sénateurs chrétiens furent exclus de la délibération. On fit un décret en forme de plainte, sur lequel Symmaque dressa son rapport[601]; il l'envoya à[Pg 285] l'empereur en qualité de préfet de Rome, obligé par le devoir de sa charge de rendre compte au prince de ce qui se passait dans la ville.

[601] Cette pièce longue et curieuse, intitulée: Relatio Symmachi urbis præfecti, se trouve dans les œuvres de S. Ambroise, avec les lettres qu'il adressa à l'empereur Valentinien sur le même sujet.—S.-M.

XXXII.

Extrait de la requête.

Jamais la cause de l'idolâtrie ne fut plaidée avec plus de chaleur et d'éloquence. La requête contenait deux chefs; on demandait que l'autel de la Victoire fût rétabli dans le sénat, et qu'on rendît aux prêtres et aux vestales les fonds, les revenus, les priviléges dont Gratien les avait dépouillés. L'orateur faisait valoir l'ancienneté du culte qu'on prétendait proscrire; il tirait avantage de la tolérance de Constantin, de Jovien, de Valentinien le père, qui n'avaient troublé dans les temples ni les dieux ni leurs sacrificateurs; il étalait avec pompe les obligations que les Romains avaient à la Victoire, tant d'ennemis abattus, tant de royaumes conquis, tant de triomphes; il opposait, à l'exemple de Constant et de Constance, celui de Valentinien le père qui, du séjour des dieux où sa vertu l'avait élevé, considérait avec attendrissement les larmes des vestales, et s'offensait de voir détruire ce qu'il avait voulu conserver; il faisait parler Rome à Valentinien et à Théodose tout ensemble: «Princes généreux, disait-elle, pères de la patrie, respectez mes années. C'est au culte des dieux que je dois la durée de mon empire; je serais ingrate de les oublier. Permettez-moi de suivre mes maximes, c'est le privilége de ma liberté. Cette religion que vous m'arrachez m'a soumis l'univers, elle a repoussé Annibal de devant mes murailles, elle a précipité les Gaulois du haut de mon capitole. N'ai-je donc si long-temps vécu que pour tomber dans le mépris? Laissez-moi du moins le temps d'examiner ce nouveau culte qu'on[Pg 286] veut introduire; quoiqu'après tout, vouloir me corriger dans ma vieillesse, c'est s'y prendre bien tard; c'est me faire un affront sensible.» Il ajoutait que tous les cultes, toutes les religions tendent au même but, quoique par des voies différentes; qu'il fallait laisser aux hommes la liberté de choisir le chemin pour arriver à ce sanctuaire auguste, où la divinité s'enveloppe de sa propre lumière, et se dérobe à leurs yeux; il relevait le ministère des pontifes et des vestales, et montrait combien il était injuste de les priver de leur subsistance, de leur ravir les droits qui leur revenaient de la libéralité des testateurs; il insistait beaucoup sur la famine dont Rome avait été désolée aussitôt après l'édit de Gratien: c'était, à l'entendre, un effet manifeste de la vengeance des dieux, qui, voyant que les hommes refusaient la subsistance à leurs prêtres, la refusaient eux-mêmes aux hommes: c'était le sacrilége de Gratien qui avait séché les fruits de la terre jusque dans leurs racines; il excusait cependant ce prince, séduit par de mauvais conseils; et il finissait en exhortant Valentinien à réparer le mal que son frère n'avait fait que par la malice des impies, qui avaient fermé l'accès du trône aux députés du sénat, dépositaires de la vérité.

XXXIII.

Elle est approuvée par le conseil.

Ces conseillers pervers, ces impies dont parlait Symmaque, étaient les hommes les plus saints et les plus respectables de l'empire; le pape Damase et saint Ambroise. La délibération du sénat avait été tenue fort secrète: la requête arriva à Milan, et fut présentée à l'empereur dans son conseil, avant que personne fût informé de l'entreprise. Ceux qui composaient le conseil, surpris de ce coup imprévu, et craignant que la[Pg 287] partie ne fût déja liée avec Maxime pour appuyer la cabale, opinèrent tous, chrétiens ainsi que païens, à consentir à la demande. L'empereur seul ne jugea pas à propos de conclure, et remit la décision au lendemain.

XXXIV.

Combattue par S. Ambroise.

Saint Ambroise fut averti sur-le-champ du danger dont le christianisme était menacé. Il dresse aussitôt une requête contraire pour fortifier la religion du prince: il lui représente ce qu'il doit à Dieu; qu'il ne peut, sans une sorte d'apostasie, rendre aux païens ce que Gratien leur a ôté; qu'ils ont mauvaise grace de se plaindre de la soustraction de leurs priviléges, eux qui n'ont pas épargné le sang des chrétiens; que l'empereur ne les force pas à rendre hommage au vrai Dieu: qu'ils doivent au moins lui laisser la même liberté, et ne le pas contraindre à honorer leurs folles divinités; que c'était sacrifier aux idoles, que d'opiner en leur faveur; que les chrétiens faisant la plus grande partie du sénat, c'était une sorte de persécution, que de les forcer de s'assembler dans un lieu où il leur faudrait respirer la fumée des sacrifices impies; qu'un petit nombre de païens abusaient du nom du sénat; que si cette entreprise incroyable n'eût pas été tramée en secret, tous les évêques de l'empire seraient accourus pour s'opposer au succès. Il priait Valentinien de consulter Théodose, dont il avait coutume de prendre les avis sur les affaires importantes: et quelle plus importante affaire que celle de la religion et de la foi! Il demandait communication de la requête pour y répondre en détail. «Si vous prenez le parti des infidèles, continuait-il, les évêques ne pourront fermer les yeux sur une prévarication si criminelle: vous pourrez venir[Pg 288] à l'église, mais vous n'y trouverez point d'évêque, ou l'évêque n'y sera que pour vous en interdire l'entrée. Que lui répondrez-vous, quand il vous dira: L'Église refuse vos dons; nos autels ne peuvent les souffrir; Jésus-Christ les rejette avec horreur; vous les avez prostitués aux idoles; pourquoi cherchez-vous les prêtres du Dieu véritable, après avoir reçu entre vos bras les pontifes des démons? Que répondrez-vous encore à votre frère, qui vous dira au fond de votre cœur: Je ne me suis pas cru vaincu, parce que je vous laissais empereur; j'ai vu la mort sans regret, parce que je me flattais que vous maintiendriez ce que j'avais établi pour l'honneur du christianisme. Hélas! que pouvait faire de plus contre moi celui qui m'a ôté la vie? Vous avez détruit les trophées que j'avais élevés à notre religion sainte; vous avez cassé mes ordonnances, ce que n'a osé faire mon rebelle meurtrier. C'est maintenant que je reçois dans mes entrailles la blessure la plus cruelle. La meilleure partie de moi-même est dans le cœur de mon frère; et c'est-là qu'on me poursuit encore; c'est-là qu'on me porte encore des coups mortels.» Il lui représente ensuite son père qui s'excuse d'avoir souffert l'idolâtrie dans le sénat de Rome, sur ce qu'il ignorait ce désordre. En effet, Valentinien n'était jamais entré dans Rome, depuis qu'il était parvenu à l'empire. Saint Ambroise conclut enfin que l'empereur ne peut souscrire à la requête de Symmaque, sans offenser à la fois tout ce qu'il doit respecter, son frère, son père et Dieu même.

XXXV.

Rejetée par Valentinien.

Le jeune Valentinien avait le cœur droit, et ne manquait pas de prendre le bon parti, lorsqu'il n'en était pas détourné par les artifices de Justine. La lettre de[Pg 289] saint Ambroise trouva dans son ame des dispositions favorables; elle acheva de le déterminer. Il la fit lire dans le conseil; il reprocha aux chrétiens leur perfide faiblesse, et s'adressant ensuite aux païens: Comment osez-vous penser, leur dit-il, que je sois assez impie pour vous rendre ce que vous a enlevé la piété de mon frère? Que Rome demande de moi telle autre faveur qu'elle voudra: je la chéris comme ma mère; mais je dois plutôt obéir à Dieu. Il prononça ces paroles d'un ton aussi ferme que les aurait prononcées Théodose. Personne n'osa répliquer; et les comtes Bauton et Rumoridus, généraux des armées d'Occident, quoique nourris dans le paganisme, furent eux-mêmes d'avis de rejeter la requête[602]. On disait à cette occasion, que la Victoire était une ingrate qui, par un de ses caprices ordinaires avait abandonné son défenseur, pour favoriser son ennemi. L'affaire était terminée; cependant saint Ambroise crut que pour honorer la vérité, il devait réfuter les raisons que le préfet avait si pompeusement étalées en faveur de l'idolâtrie. Il s'en acquitta par un ouvrage que nous admirons encore; il y foudroie les sophismes de Symmaque avec cette supériorité que donne la vérité, quand elle est soutenue par la beauté du génie et la force de l'éloquence.

[602] S. Ambroise l'assure dans sa lettre au tyran Eugène, tom. 2, ep. 57, pag. 1010.—S.-M.

XXXVI.

Vestale punie.

Symm. l. 9, ep. 128 et 129.

[Ambr. t. 2, ep. 18, p. 836.]

La religion païenne fut bientôt après déshonorée par un scandale qui couvrit Symmaque de confusion. Saint Ambroise avait opposé au petit nombre de vestales, ce peuple nombreux de vierges chrétiennes, qui renonçaient pour toujours à tous les honneurs et à tous les[Pg 290] plaisirs du siècle; il avait observé que les païens avaient bien de la peine à trouver parmi eux sept filles, en qui les plus flatteuses distinctions, la vie la plus commode et la plus fastueuse, l'espérance d'être libres après un certain nombre d'années, la terreur du plus affreux supplice, pussent conserver pendant quelque temps une virginité forcée. L'événement justifia deux ou trois ans après cette réflexion de saint Ambroise. Une vestale fut convaincue d'inceste[603]. Symmaque, revêtu du souverain pontificat, depuis que Gratien l'avait refusé, poursuivit devant le préfet de Rome, son successeur, la punition de la vestale coupable. Elle fut enterrée vive, selon les lois anciennes, et son corrupteur fut puni de mort.

[603] Cette vestale se nommait Primigenia.—S.-M.

XXXVII.

Symmaque accusé de maltraiter les chrétiens, s'en justifie.

Symm. l. 10, ep. 34 et 41.

Aug. conf. l. 5, c. 13, t. 1, p. 117, et contra Petil. l. 3, c. 25, t. 9, p. 311.

Cassiod. Var. l. 3, ep. 31.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 22.

Till. vie de S. Damase, art. 14.

La guerre que Symmaque avait déclarée à la religion chrétienne, rendit quelques chrétiens injustes à son égard. Les murs de Rome étaient d'une construction solide et très-magnifique; les pierres remarquables par leur étendue, étaient liées ensemble avec l'airain et le plomb: les citoyens avides venaient pendant la nuit enlever ces métaux, et dégradaient leurs propres murailles. Valentinien chargea le préfet d'en informer. On accusa Symmaque d'avoir saisi cette occasion pour se venger du peu de succès de sa requête; d'avoir fait enlever des chrétiens du sanctuaire des églises, pour leur faire éprouver les tourments de la question; d'avoir mis en prison des évêques mêmes qu'il envoyait prendre dans les provinces. L'empereur, dans un premier mouvement d'indignation, rendit contre le préfet un édit sévère, lui ordonnant d'élargir tous les prisonniers, et de cesser ses poursuites injustes. Symmaque se justifia en défiant les accusateurs[Pg 291] de prouver leur calomnie, en prenant à témoin toute la ville de Rome; et, ce qui n'admettait point de réplique, en s'appuyant du témoignage même du pape Damase, qui reconnut par écrit qu'aucun chrétien n'était fondé à se plaindre du préfet. Je ne dois pas oublier ici une circonstance qui fait honneur au christianisme, à l'occasion de l'ordre que Valentinien avait donné à Symmaque de mettre les prisonniers en liberté: J'ignore, répondit-il, quels sont ceux que votre majesté veut que je délivre; nous avons ici dans les prisons plusieurs criminels; j'en ai pris connaissance; il n'y a pas un chrétien. Peu de temps après, les habitants de Milan ayant prié Symmaque de leur envoyer un professeur d'éloquence, que la ville devait entretenir, saint Augustin, qui n'était pas encore revenu des erreurs de sa jeunesse, poursuivit cet emploi. La vanité l'avait conduit d'Afrique à Rome pour y enseigner la rhétorique; mais il n'était pas content des désordres qui régnaient dans les écoles. Symmaque, à la recommandation de quelques Manichéens, se détermina en sa faveur, après avoir éprouvé sa capacité par un discours public, dont il fut très-satisfait.

XXXVIII.

Sirice succède à Damase.

Prosp. Chr.

Idat. chron.

Marcel. chr.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 4. c. 1.

Till. vie de S. Damase., not. 12. et vie de Sirice, art. 1 et 2.

Le pape Damase mourut le 10 ou le 11 décembre de cette année, ayant gouverné avec sagesse pendant dix-huit ans et environ deux mois. Onze jours après, Sirice fut élu en sa place. Ursinus renouvela en vain ses prétentions sur le siége de Rome; il fut rejeté par le peuple, et Valentinien soutint l'élection de Sirice par un rescrit du 23 février de l'année suivante. Le premier soin du nouveau pape fut de sonder les dispositions de Maxime. Les intelligences qu'on le soupçonnait d'entretenir avec les païens d'Italie, donnaient à l'église[Pg 292] de justes alarmes. Sirice lui écrivit donc pour l'exhorter à demeurer fidèle à la religion qu'il avait jusqu'alors professée. Maxime, dans sa réponse, lui proteste d'un attachement inviolable à la doctrine catholique; il la maintint en effet; mais en tyran et avec une cruauté qui arracha des larmes à l'église même dont il prenait la défense.

XXXIX.

Commencement du priscillianisme.

Sulp. Sev. hist. l. 2. c. 61 et 62.

Prosp. Chr.

Hier. in Isai. c. 64, t. 4. p. 761.

Isid. de viris illustr.

Baron. an. 381.

Pagi ad Baron.

Till. hist. des Priscill. art. 1.

Les Priscillianistes furent l'objet de son zèle sanguinaire. Quoique cette hérésie n'ait pas été une de ces sectes dominantes qui ont agité l'empire et causé de grandes révolutions dans l'ordre civil, elle mérite cependant une place distinguée dans cette histoire: c'est la première contre laquelle le bras séculier se soit armé du glaive; et l'église témoigna pour lors, par un cri général, combien elle est éloignée de cet esprit de persécution, qui va le fer à la main chercher l'hérésie jusque dans le sein de l'hérétique. La source du mal vint de l'Egypte[604]. Marc de Memphis ayant formé un composé monstrueux de diverses erreurs[605], jointes aux pratiques les plus obscènes des païens, des Gnostiques, et des Manichéens, fut chassé par les évêques[606]. Il passa d'abord dans la Gaule, aux environs du Rhône, et de là en Espagne, où il séduisit une femme noble nommée Agape[607], et le rhéteur Helpidius. Priscillien,[Pg 293] né en Galice, embrassa ses dogmes impies, et devint aussitôt le chef de la secte. Il était noble, riche, spirituel, éloquent, d'une grande lecture, et subtil dialecticien. A ces qualités[608] si propres à séduire, il joignait des apparences de vertu encore plus dangereuses, l'austérité des mœurs, l'humilité extérieure, le détachement des richesses, l'habitude des veilles, des jeûnes, des travaux. Mais il était vain, inquiet, enflé de son savoir; et, sous un visage mortifié, il cachait les plus honteux désordres. Il s'était dès sa jeunesse entêté des chimères de la magie. Flatteur et persuasif, il eut bientôt gagné un grand nombre d'Espagnols de toute condition, et surtout des femmes, légères, curieuses, avides de nouveautés. Cette contagion s'étendit en peu de temps presque dans toute l'Espagne; elle infecta même plusieurs évêques, entre autres Instantius et Salvianus, qui se lièrent par serment avec Priscillien.

[604] Origo istius mali oriens ab Ægyptiis. Sulp. Sev. l. 2, c. 61.—S.-M.

[605] Sulpice Sévère l'appelle, l. 3, c. 61, l'infame hérésie des Gnostiques, infamis illa Gnosticorum hæresis, une détestable superstition, superstitio exitiabilis.—S.-M.

[606] Idatius Hispaniarum episcopus, cognomento et eloquio clarus, scripsit quemdam librum sub apologetici specie: in quo detestanda Priscilliani dogmata, et maleficiorum ejus artes, libidinumque ejus probra demonstrat; ostendens Marcum quendam Memphiticum, magicæ artis scientissimum, discipulum fuisse Manis et Priscilliani magistrum. Isid. de Vir. illustr.—S.-M.

[607] Agape quædam non ignobilis mulier. Sulpic. Sev. lib. 2, cap. 61.—S.-M.

[608] Felix profecto, si non pravo studio corrupisset optimum ingenium; prorsus multa in eo animi et corporis bona cerneres. Sulp. Sev. l. 2, c. 61.—S.-M.

XL.

Concile de Sarragosse.

Sulp. Sev. l. 2, c. 62.

Baron. an. 381.

Till. Priscill. art. 5, not. 4.

Hygin, évêque de Cordoue et successeur du célèbre Osius, s'étant aperçu du progrès de l'erreur, en donna avis à Idatius, évêque de Mérida [Emerita]. Celui-ci, trop vif et trop ardent, ne fit qu'aigrir le mal, en poursuivant à outrance la nouvelle hérésie. Après de longs débats, on assembla un concile à Sarragosse [Cæsar-Augusta], où furent invités les évêques d'Aquitaine[609]. Les hérétiques n'osèrent s'y présenter. Ils furent condamnés par contumace, et on défendit sous peine d'anathème de communiquer avec eux. Ithacius, évêque[Pg 294] d'Ossonoba[610], aujourd'hui Faro[611] dans les Algarves, fut chargé de notifier à toute l'église d'Occident le décret du concile, et d'excommunier Hygin, qui ayant été le premier à dénoncer les sectaires, s'était lui-même laissé surprendre par leurs artifices.

[609] Il nous reste les Actes d'une des séances de ce concile; ils sont datés du 4 octobre de l'an 380, par conséquent sous le règne de Gratien et de Théodose.—S.-M.

[610] Il est appelé dans Sulpice Sévère, l. 2, c. 62, Episcopus Sossubiensis, évêque de Sossuba; cette ville est inconnue, c'est par conjecture que l'on a substitué le nom d'Ossonoba dans ce passage.—S.-M.

[611] Selon d'autres, l'antique Ossonoba répond à Silvas dans les Algarves; c'est un point de géographie qui n'est pas encore éclairci.—S.-M.

XLI.

Rescrit de Gratien contre les Priscillianistes.

Sulp. Sev. l. 2, c. 63.

Idat. chron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 13.

Till. Priscill. art. 6.

Instantius et Salvianus, condamnés par le concile, n'en devinrent que plus opiniâtres. Pour fortifier leur parti, ils honorèrent du titre d'évêque Priscillien, auteur de tous ces maux, qui n'était encore que laïc, et le placèrent sur le siége d'Avila [Abila]. De l'autre côté, Idatius et Ithacius, encore plus emportés, implorèrent le secours de la puissance séculière, et après beaucoup de poursuites, dans lesquelles la passion déshonorait le caractère épiscopal, ils obtinrent de Gratien un rescrit qui bannissait les sectateurs de Priscillien, non-seulement de l'Espagne, mais même de tout l'empire. Les hérétiques, frappés de ce coup de foudre, prirent le parti de se cacher, et se dispersèrent en diverses provinces.

XLII.

Priscillien obtient un décret contraire.

Sulp. Sev. l. 2, c. 63.

Auson. in profess. 5.

Idat. chron.

Hermant, vie de S. Amb. l. 3, c. 14.

Till. Priscill. art. 6 et 7.

Mais Instantius, Salvianus et Priscillien prirent le chemin de Rome, se flattant de tromper le pape Damase. En traversant l'Aquitaine, ils y semèrent leurs erreurs, surtout dans la ville d'Eause [Elusa], alors métropole de la troisième Aquitaine. Saint Delphin évêque de Bordeaux, leur ferma l'entrée de sa ville; mais ils séjournèrent quelque temps dans le voisinage, sur les terres d'Euchrocia, veuve d'Atticus Tyro Delphidius, qui avait professé l'éloquence à Bordeaux avec[Pg 295] réputation. Cette femme, fortement entêtée de la nouvelle doctrine, se mit à la suite de ces fanatiques avec sa fille Procula, qui s'abandonna si aveuglément à Priscillien, qu'elle devint enceinte, et se procura l'avortement pour sauver l'honneur de l'un et de l'autre. Ce nouveau crime fut inutile, et n'étouffa pas le bruit de leur infame commerce. Arrivés à Rome, ils ne purent obtenir audience de Damase. Ils allèrent à Milan, où saint Ambroise ne les rejeta pas avec moins d'horreur. Ils s'adressèrent à la cour, où ils espéraient que l'argent et l'intrigue leur procureraient plus de faveur. Ils ne se trompaient pas. Macédonius, maître des offices, gagné par leurs présents, obtint de Gratien un nouveau rescrit qui révoquait le précédent, et les rétablissait dans leurs églises. En vertu de cet ordre, Instantius et Priscillien retournèrent en Espagne; car Salvianus était mort à Rome. Ils rentrèrent sans obstacle en possession de leurs siéges. Ithacius ne manquait pas de courage pour s'y opposer; mais les hérétiques avaient mis dans leurs intérêts le proconsul Volventius: il leur était d'autant plus facile d'en imposer, qu'ils avaient pour maxime de ne pas épargner le parjure pour ne pas trahir le secret de leur secte; ils accusèrent même Ithacius comme perturbateur de la paix des églises, et obtinrent une sentence pour le faire arrêter. Ce prélat effrayé d'une si violente procédure, s'enfuit en Gaule et s'adressa au préfet Grégoire. Celui-ci, bien instruit des faits, se fit amener les auteurs du trouble; et pour fermer aux hérétiques toute voie de séduction, il informa l'empereur de la vérité. Mais tout était vénal à la cour. Les Priscillianistes achetèrent de nouveau la protection du maître des offices,[Pg 296] qui persuada à Gratien de retirer cette affaire des mains du préfet, et d'en charger le vicaire d'Espagne; car on venait de supprimer la dignité de proconsul de cette province. Macédonius dépêcha en même temps des officiers, pour conduire en Espagne Ithacius qui s'était réfugié à Trèves. Le prélat se déroba à leur recherche, et se tint caché jusqu'à l'arrivée de Maxime, qui ayant déja pris le titre d'empereur dans la Grande-Bretagne, se disposait à passer en Gaule.

XLIII.

Concile de Bordeaux.

Sulp. Sev. l. 2, c. 64.

Prosp. chr.

Idat. chron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 15.

Till. vie de S. Mart. art. 9.

Ithacius attendit l'événement de la guerre civile. Après la mort de Gratien, lorsque Maxime eut choisi la ville de Trèves pour sa résidence, l'évêque vint faire sa cour au tyran, et lui présenta une requête dans laquelle il faisait une affreuse peinture des crimes de Priscillien et de sa secte. Maxime, qui affectait un grand zèle pour la foi et la discipline de l'église, manda aussitôt au préfet des Gaules et au vicaire d'Espagne, de faire transférer tous ces hérétiques à Bordeaux [Burdigala], où se devait assembler un concile. L'ordre fut exécuté. Instantius tenta en vain de se justifier devant le concile: il fut déclaré déchu de l'épiscopat. Priscillien, pour éviter la même condamnation, refusa de répondre, et en appela à l'empereur. Le concile eut égard à son appel; il s'abstint de prononcer contre lui, et toute l'église blâma ces évêques d'avoir renvoyé à la puissance séculière une cause ecclésiastique. On conduisit donc à la cour de Maxime, et le chef et les sectateurs. Idatius et Ithacius les y suivirent pour les accuser, et montrèrent, par un acharnement qui n'avait rien d'apostolique, que la passion les animait plutôt que le zèle de la vérité. Ithacius, le plus violent des deux, était un homme de peu de jugement,[Pg 297] hardi, hautain, grand parleur, aimant la dépense et la bonne chère. Il voyait partout le Priscillianisme; la science, la régularité des mœurs, l'extérieur mortifié n'osaient paraître à ses yeux sans être soupçonnés d'hérésie.

XLIV.

S. Martin s'efforce de sauver la vie aux hérétiques.

Sulp. Sev. l. 2, c. 65.

Till. Priscill. art. 9, et vie de S. Martin, art. 9.

Une sainteté reconnue ne suffisait pas pour lui imposer silence. Saint Martin qui était pour lors à Trèves, ne cessait de l'exhorter à renoncer au personnage d'accusateur, si contraire à la douceur épiscopale. Ithacius lui reprocha d'être lui-même un Priscillianiste déguisé. Le saint prélat ne pouvant rien sur cet esprit opiniâtre, prit le parti de s'adresser à Maxime; il le supplia de ne pas verser le sang de ces malheureux: Qu'ils étaient assez punis par la sentence épiscopale qui les jugeait hérétiques, et les chassait de leurs églises; qu'il était inouï qu'un juge séculier prononçât dans une cause de foi. L'autorité d'un évêque si respectable arrêta Maxime tant que saint Martin fut à Trèves; et lorsque le prélat sortit de la ville, il se fit promettre par le tyran qu'on épargnerait le sang des accusés.

An 385.

XLV.

Punition de Priscillien et de ses sectateurs.

Sulp. Sev. l. 2, c. 65.

Pacat. paneg. § 29.

Prosp. chr.

Idat. chron.

Till. Priscill. art. 9.

A peine saint Martin fut-il éloigné, que les sollicitations cruelles d'Ithacius et de ses partisans firent oublier à Maxime la parole qu'il avait donnée. Il chargea de l'information le préfet Evodius, magistrat intègre, mais sévère. La cause fut examinée en deux audiences. Priscillien convaincu, n'osa désavouer ses infamies; il fut déclaré coupable et mis en prison, jusqu'à ce que le prince eût été consulté. Maxime ordonna de trancher la tête à Priscillien et à ses complices. Ithacius était l'ame de toute cette procédure; il avait assisté à la question. Mais après avoir conduit ces misérables[Pg 298] jusqu'aux portes de la mort, il s'arrêta par une vaine politique; et comme s'il eût encore été temps d'éviter la haine publique, il refusa de se trouver au jugement définitif. L'avocat du fisc prit à sa place le rôle d'accusateur. Priscillien eut la tête coupée avec la veuve Euchrocia[612], et cinq de ses sectateurs[613]. Instantius et un autre complice qui n'est pas nommé[614], furent dépouillés de leurs biens, et relégués pour toujours dans les îles Sylines, nommées maintenant Sorlingues, à la pointe occidentale de l'Angleterre[615]. Quelques autres[616] en furent quittes pour un exil de quelque temps, parce qu'ils n'avaient pas attendu la question pour avouer leurs crimes et révéler leurs complices. Une femme nommée Urbica, connue pour être attachée à la doctrine de Priscillien, fut assommée à coups de pierres par la populace dans la ville de Bordeaux.

[612] En parlant du supplice d'Euchrocia, qu'il regarde, ainsi que les autres Priscillianistes, comme des victimes de Maxime, Pacatus dit, c. 29: De virorum mortibus loquor, cum descensum recorder ad sanguinem fœminarum, et in sexum cui bella parcunt, non parce sævitum? Sed nimirum graves suberant, invidiosæque causæ ut unco ad pœnam clari vatis matrona raperetur. Objiciebatur enim, atque etiam exprobrabatur mulieri viduæ nimia religio, et diligentius culta divinitas.—S.-M.

[613] Ils se nommaient Félicissimus, Arménius, Latronianus, Asarinus et le diacre Aurélius. Ces deux derniers furent exécutés quelque temps après Priscillien.—S.-M.

[614] Sulpice Sévère l'appelle Tibérianus. Il était né, selon S. Jérôme (de Vir. illust. c. 122) dans l'Espagne Bétique.—S.-M.

[615] Instantius, in Sylinam insulam, quæ ultra Britanniam sita est, deportatus. Sulp. Sev. lib. 2, cap. 65. L'île Sylina, faisait partie du groupe appelé plus anciennement les îles des Silures, Silurum insulæ. On les nomme actuellement Scilly; elles se trouvent à l'extrémité du pays de Cornouailles, dont elles sont séparées par un détroit orageux, turbidum fretum, dit Solin, c. 22. Elles sont célèbres par des mines d'étain, qui leur firent donner dans l'antiquité le nom de Cassitérides.—S.-M.

[616] Tertullus, Potamius et Johannes.—S.-M.

XLVI.

Lettre de Maxime au pape Sirice.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 15.

[Till. Priscill. art. 10.]

Maxime n'oublia pas de tirer avantage de cette exécution cruelle et irrégulière, comme d'une action héroïque[Pg 299] en faveur de la religion. Il envoya au pape Sirice un copie des pièces avec cette lettre: Nous vous protestons que nous ne désirons rien avec plus d'ardeur, que de conserver la foi catholique dans sa pureté, de bannir de l'église toutes les divisions, et de voir tous les évêques servir Dieu dans une parfaite union de cœur et d'esprit. Après un discours assez obscur, qui paraît avoir rapport au schisme d'Ursinus, qu'il se vante d'avoir étouffé, il ajoute: Pour ce qui concerne les horreurs des Manichéens, qui sont depuis peu parvenues à notre connaissance, et qui ont été vérifiées en jugement, non par des conjectures, mais par l'aveu des coupables, j'aime mieux que votre sainteté en soit instruite par les actes que je lui envoie, que par notre bouche, ne pouvant énoncer sans rougir, des crimes honteux tout à la fois à commettre et à rapporter.

XLVII.

Toute l'église blâme le supplice des Priscillianistes.

Sulp. Sev. dial. 3, art. 15.

Pacat. paneg. § 29.

Prosp. chr.

Isid. de viris illustr. c. 2.

Pagi ad Baron.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 3, c. 15.

Till. Priscill. art. 10, 11, 12 et 13.

Cette lettre ne fit pas sur le pape l'impression que Maxime avait espérée. Sirice blâma la rigueur employée contre les Priscillianistes, et les plus saints prélats de l'Occident furent du même avis. Jamais hérétiques n'avaient été plus dignes de punition; ils renouvelaient toutes les abominations de ces sectes hypocrites et voluptueuses qui avaient enveloppé sous de ténébreux mystères la débauche la plus effrénée; mais l'église, en poursuivant l'hérésie, avait toujours épargné la personne des hérétiques; elle ne connaissait d'autres armes que ses anathèmes, et cette mère tendre, priant sans cesse pour ses enfants égarés, demandait à Dieu, non pas leur mort, mais leur conversion. L'acharnement de ces évêques les déshonora aux yeux de toute l'église. Quoiqu'ils eussent été déclarés innocents dans[Pg 300] un synode tenu à Trèves par leurs partisans, le concile de Milan en 390, et celui de Turin en 401, les condamnèrent. Idatius, qui était le moins coupable, se démit volontairement de l'épiscopat, et perdit ensuite le mérite de cette action par les efforts qu'il fit pour y rentrer. Ithacius fut excommunié, et mourut en exil.

XLVIII.

S. Martin se sépare de communion d'avec les Ithaciens.

Sulp. Sev. dial. 3, art. 15.

S. Ambr. ep. 24, t. 2, p. 891.

Till. vie de S. Martin. art. 9, 10.

Mais personne ne témoigna contre ce prélat sanguinaire, plus d'indignation que saint Martin. Dans le temps même que le synode de Trèves était assemblé, ce saint évêque vint à la cour pour intercéder en faveur de Narsès et de Leucadius[617]. Ces deux comtes allaient périr, parce qu'ils avaient été fidèles à Gratien. Les amis d'Ithacius venaient d'engager Maxime à envoyer des tribuns en Espagne, pour juger souverainement les Priscillianistes, et leur ôter les biens et la vie. C'était mettre en péril les plus innocents; car on confondait alors avec ces hérétiques tous ceux dont l'extérieur portait des marques de mortification. Dès que ces prélats apprirent que saint Martin approchait de Trèves, persuadés qu'il s'opposerait à l'exécution de ces ordres violens, ils lui firent interdire l'entrée de la ville au nom de l'empereur, s'il ne consentait à s'accorder avec eux. Saint Martin ayant répondu d'une manière qui ne l'engageait pas, entra dans Trèves, alla au palais, demanda la grace des deux comtes et la révocation des commissaires nommés pour l'Espagne. Maxime différa de lui répondre sur ces deux points, et saint Martin rompit toute communication avec Ithacius et ses partisans, qu'il traitait de meurtriers. Ceux-ci s'en plaignirent amèrement à Maxime: Nous sommes, lui dirent-ils,[Pg 301] perdus sans ressource, si vous ne forcez l'évêque de Tours à communiquer avec nous; son exemple va former contre nous un préjugé universel. Martin n'est plus seulement le fauteur des hérétiques; il s'en déclare le vengeur: lui laisser ce pouvoir, c'est ressusciter Priscillien. Ils le suppliaient avec larmes de faire encore usage de sa puissance pour abattre un séditieux. Il ne tint pas à ces hommes injustes et inhumains, que Martin ne fût confondu avec les sectaires; mais le tyran respectait sa vertu. Il le manda: il lui parla avec douceur; il tâcha de lui faire approuver le traitement fait aux hérétiques; et le voyant inflexible, il entra dans une furieuse colère, quitta brusquement l'évêque, et donna ordre de mettre à mort Narsès et Leucadius. A cette nouvelle, Martin retourna promptement au palais; il promit de communiquer avec les autres évêques, si l'empereur pardonnait aux deux comtes, et s'il révoquait l'ordre donné aux deux tribuns. Maxime accorda tout. Martin rentra le lendemain en communion avec les Ithaciens; mais il partit le jour d'après, pénétré d'un vif repentir de s'être laissé entraîner à cette condescendance, qu'il se reprocha toute sa vie. Saint Ambroise témoigna deux ans après plus de fermeté. Il aima mieux sortir de la cour de Maxime, où il était retenu par un intérêt important, que de communiquer avec les évêques qui avaient fait périr Priscillien.

[617] Voyez ci-devant, p. 245, n. 1, liv. XXII, § 5.—S.-M.

XLIX.

Le supplice des Priscillianistes étend leur hérésie.

Sulp. Sev. l. 2, c. 66.

Idat. chron.

Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 40, 43, 48, 59, 65.

Till. Priscill. art. 18.

La mort de cet hérétique montra dès lors quel effet devaient produire dans toute la suite des temps ces procédés inhumains. Loin d'éteindre l'hérésie, elle la répandit et l'accrédita. La Galice surtout en fut pour long-temps infectée. Ceux qui avaient écouté Priscillien comme un prophète, le révérèrent comme un[Pg 302] martyr[618]. Son corps et ceux de ses adhérents mis à mort avec lui furent transportés en Espagne; on les honora de magnifiques funérailles. On jurait par le nom de Priscillien[619]. Le fanatisme devint plus vif et la discorde plus opiniâtre. Ses sectateurs furent condamnés l'an 400 par le concile de Tolède. Malgré tous ces anathèmes, malgré les lois accablantes d'Honorius et de Théodose le jeune, cette pernicieuse doctrine se soutint jusqu'au milieu du sixième siècle.

[618] Qui eum prius ut sanctum honoraverant, postea ut martyrem colere cœperunt. Sulp. Sev. l. 2, c. 66.—S.-M.

[619] Quin et jurare per Priscillianum, summa religio putabatur. Sulp. Sev. l. 2, c. 66.—S.-M.

L.

Consuls.

Idat. fast.

Pacat. paneg. § 29.

Aug. conf. l. 6, c. 6, t. 1, p. 123, et adv. Petil. l. 3, c. 15, t. 9, p. 311.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 4, c. 2.

Théodose, dont les sentiments s'accordèrent toujours avec la plus saine partie de l'Église, n'approuva pas l'emportement des Ithaciens. C'est ce qu'on peut conclure des titres odieux dont les charge Pacatus, orateur païen, dans un discours qu'il prononça quatre ans après en présence de Théodose. Ce prince avait donné le consulat à son fils Arcadius; et Valentinien lui avait nommé Bauton pour collègue. Saint Augustin, qui professait alors la rhétorique à Milan, composa, selon l'usage, le panégyrique de Bauton et de Valentinien. Il avoue dans ses Confessions, qu'il devait y débiter un bon nombre de mensonges, auxquels, dit-il, n'auraient pas laissé d'applaudir ceux mêmes qui en connaissaient la fausseté. De la manière dont il s'exprime, il semble qu'il ne l'ait pas prononcé.

LI.

Justine favorise les Ariens.

Ambr. ep. 20, t. 2, p. 852-859.

Serm. contr. Auxent. p. 863-874.

Aug. contra Julian. l. 6, c. 14, t. 10, p. 683.

Ruf. l. 12, c. 15.

Socr. l. 5, c. 11.

Soz. l. 7, c. 13.

Theod. l. 5, c. 13.

Mabill. Itin. Italic. p. 17.

Baronius.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 4, c. 34 et suiv.

Till. vie de S. Ambr. art. 38-42.

Tandis que Maxime défendait en apparence la foi catholique, Justine l'attaquait véritablement, et abusait de l'autorité de son fils pour relever le parti des Ariens. La fermeté de Valentinien son mari l'avait obligé de se contraindre tant qu'il avait vécu: elle n'avait pas trouvé[Pg 303] Gratien plus disposé à seconder ses intentions. Mais après la mort de ce prince, lorsqu'elle crut la puissance de son fils affermie par le traité conclu avec Maxime, elle leva le masque, et se déclara hautement protectrice de l'Arianisme. Sa vivacité naturelle était encore animée par les dames de la cour qui, depuis la séduction d'Arius, s'étaient transmis comme de main en main le poison de cet hérésiarque. Elle n'eut pas de peine à se faire obéir du jeune Valentinien, esprit doux, facile, soumis sans réserve aux volontés de sa mère. Il était bien d'une autre difficulté de subjuguer Ambroise. Elle n'avait à lui opposer qu'un adversaire fort inégal dans la personne d'Auxentius, que les Ariens avaient choisi pour être leur évêque. Il était Scythe de nation, et se nommait Mercurinus. Mais ayant été contraint de quitter son pays à cause de ses crimes, il avait changé de nom, et pris celui de l'évêque Arien, auquel Ambroise avait succédé. Ce faux prélat, sans talents, comme sans mœurs, faisait peu de prosélytes: il ne comptait entre les siens aucun des habitants de la ville. Tout son troupeau se réduisait à un petit nombre d'officiers de la cour, et à quelques Goths. Il n'avait d'autre église que l'appartement ou le chariot de Justine[620], qu'il accompagnait dans ses voyages[621].

[620] L'impératrice en usait sans doute ainsi à l'imitation des Goths, dont les habitudes nomades ne permettaient pas qu'ils eussent d'autre église qu'une tente qui les suivait dans tous leurs déplacemens. Les Goths attachés au service impérial, avaient à ce qu'il paraît conservé cet usage.—S.-M.

[621] Prodire de Arianis nullus audebat; quia nec quisquam de civibus erat, pauci de familia regia, nonnulli etiam Gothi. Quibus ut olim plaustra sedes erat, ita nunc plaustrum Ecclesia est. Quocumque femina ista processerit, secum suos omnes cœtus vehit. Ambr., ep. 14, t. 2, pag. 855.—S.-M.

LII.

Elle tente de leur donner une église à Milan.

Cette princesse voulut l'établir dans une des églises de Milan. Elle choisit la basilique Porcienne, qui était[Pg 304] dans ce temps-là hors des murs: c'est aujourd'hui l'église St.-Victor. Elle prévoyait une vive résistance de la part d'Ambroise; mais elle était résolue de mettre en œuvre en cette occasion toute la force du pouvoir impérial. Ne pouvant pardonner à l'évêque d'avoir malgré elle placé un catholique sur le siége de Sirmium, elle avait oublié l'important service qu'il avait rendu à son fils, en s'exposant lui-même pour arrêter les progrès du tyran, et ne cherchait qu'une occasion de le perdre. Valentinien fait venir Ambroise au palais; et suivant la leçon dictée par sa mère, il emploie d'abord la douceur pour l'engager à céder la basilique. Sur le refus du prélat, à quoi on s'était bien attendu, il prend le ton de maître; il commande, il menace. Ambroise est inébranlable: il rappelle au jeune prince la piété de son père; il l'exhorte à conserver cette précieuse portion de son héritage; il lui expose la croyance catholique; il lui en montre la conformité avec celle des Apôtres, et l'opposition de celle des Ariens. Cependant le peuple accourt en foule au palais; il demande à grands cris qu'on lui rende son évêque. On envoye un comte avec des soldats pour dissiper cette multitude: sans s'effrayer ni se mettre en défense, elle se présente aux soldats et s'offre à mourir pour sa foi. La cour intimidée de cette fermeté, prend le parti de céder pour le moment; elle prie saint Ambroise d'apaiser le peuple, et le renvoie avec parole de ne rien entreprendre sur la basilique.

LIII.

Entreprises contre S. Ambroise.

Cette promesse n'était qu'une feinte de Justine: elle accusait saint Ambroise d'être l'auteur de l'émeute; elle tâchait même de soulever le peuple contre lui, et prodiguait dans cette vue les caresses et les présents. Elle offrait des dignités à quiconque serait assez hardi pour[Pg 305] le tirer de l'église où il se tenait renfermé, et le conduire en exil. Un officier nommé Euthymius se chargea de l'enlever; il alla se loger près de l'église, et tint un chariot préparé. Son projet fut découvert; le peuple prit l'alarme; et le courtisan craignant pour lui-même, se retira au palais. L'année suivante à pareil jour, Euthymius, ayant encouru la disgrace du prince, fut arrêté et conduit en exil sur le même chariot. Ambroise le fit alors repentir de son mauvais dessein, par la vengeance la plus digne d'une ame généreuse, et la seule que permette le christianisme: il le consola, il s'empressa de lui fournir de l'argent et tout ce qui lui était nécessaire pour adoucir sa disgrace. Auxentius de son côté servait le parti arien de tout ce qu'il avait de talents; il prêchait tous les jours et ne persuadait personne.

LIV.

Nouveaux efforts de Justine.

Justine n'était pas de caractère à se contenter d'une première tentative. Comme si elle eût voulu punir Ambroise de sa résistance, elle lui envoya demander de la part de l'empereur une autre basilique, nommée la Neuve, plus grande que la première et renfermée dans l'enceinte de la ville. Ambroise répondit, qu'il n'était permis ni à l'évêque de donner une église, ni à l'empereur de la recevoir: Vous n'avez pas droit, ajouta-t-il, d'ôter à un particulier sa maison; et de quel droit l'ôteriez-vous à Dieu? Les courtisans dans leur langage servile répondirent que tout était permis à l'empereur, que tout lui appartenait: Mais, dit Ambroise, Dieu est le souverain du prince; il a ses droits dont le prince n'est pas le maître. Néotérius, préfet du prétoire, vient le lendemain à l'église, où le peuple était assemblé avec son évêque; il conseille[Pg 306] de livrer au moins la basilique Porcienne; qu'il fera en sorte que l'empereur veuille bien s'en contenter. La proposition est rejetée avec de grands cris, et le préfet obligé de se retirer. Le jour suivant, sixième d'avril (c'était le dimanche des Rameaux), les Ariens s'emparent de la basilique Porcienne: le peuple se soulève; il les chasse, il se saisit d'un de leurs prêtres nommé Castulus, et l'allait mettre en pièces, si saint Ambroise, qui célébrait alors le saint sacrifice, en étant promptement averti, n'eût envoyé aussitôt des prêtres et des diacres pour le tirer de leurs mains. La cour fit arrêter et charger de chaînes un grand nombre d'habitants. Ces violences allaient allumer une sédition: le saint évêque vint cependant à bout de la prévenir; mais il persista à ne point céder la basilique; et la nuit étant survenue, mit fin aux contestations.

LV.

Résistance de S. Ambroise.

L'orage paraissait apaisé. Deux jours se passèrent sans nouvelle entreprise. Mais saint Ambroise connaissait Justine; il attendait constamment dans sa maison les effets de la vengeance de cette princesse; lorsque le mercredi saint, les soldats prirent possession de la basilique neuve. Ils obéissaient aux ordres du prince, mais à regret; ils étaient catholiques, et tandis que leurs armes menaçaient leur évêque, leurs vœux le favorisaient. Ils firent dire à l'empereur, que s'il voulait venir à l'assemblée des catholiques, ils étaient prêts de l'accompagner; qu'autrement, ils allaient se joindre au peuple pour assister au service divin que l'évêque célébrait dans l'ancienne basilique. Les courtisans commençant à trembler pour eux-mêmes, changeaient de langage; ils tâchaient d'adoucir Justine. Les Ariens n'osaient se montrer. Ambroise fait signifier aux soldats[Pg 307] qui entourent la basilique neuve, qu'il les sépare de sa communion. Aussitôt la plupart abandonnent leur poste et se rendent à l'église où était saint Ambroise. Leur arrivée apporte l'alarme; mais ils rassurent les fidèles en déclarant qu'ils ne viennent que pour prier avec eux. La cour avait tout à craindre, si le peuple eût eu un chef moins respecté, ou capable d'interpréter au gré de la passion, les maximes de l'évangile. Ambroise, maître de lui-même et des autres, les arrêtait sur les justes bornes qui séparent la résistance chrétienne d'avec la rébellion, bornes si étroites et si difficiles à ne pas franchir. Comme si l'empereur eût été présent, on criait de toutes parts: Prince, nous n'employons envers vous que les prières; nous n'avons pas la témérité de combattre contre vous; mais aussi nous ne craignons pas la mort. Écoutez nos supplications; c'est la religion attaquée qui vous présente sa requête. On souhaitait que saint Ambroise se transportât à la basilique neuve, près de laquelle une autre troupe de peuple l'attendait; il refusa d'y aller, de crainte que sa présence n'allumât la sédition; et pour occuper les esprits, et amortir tant de mouvements divers dont les cœurs étaient agités, il monta dans la tribune, et se mit à instruire son peuple aussi tranquillement que s'il eût été en pleine paix.

LVI.

L'empereur se désiste.

Il parlait encore, lorsque l'empereur envoya des officiers pour lui faire des reproches, qu'il réfuta avec une fermeté mêlée de respect. L'eunuque Calligonus, grand chambellan, s'étant approché du prélat, osa lui dire: Quoi! de mon vivant vous êtes assez hardi pour désobéir à l'empereur; je vais vous abattre la tête. Frappe, lui répondit Ambroise; je suis prêt à[Pg 308] mourir; tu feras l'office d'un eunuque, et moi celui d'un évêque. Ce Calligonus eut, deux ans après, la tête tranchée pour un crime dont il semblait qu'un eunuque ne pût être soupçonné. Dans cette crise violente, le peuple ne voulut pas abandonner son évêque; il passa la nuit en prières dans l'église. Enfin, le jeudi saint, l'empereur fit donner ordre aux soldats de quitter la basilique neuve; et la tranquillité se rétablit dans la ville. Justine renferma son ressentiment pour le faire éclater dans une autre occasion. Valentinien, peu capable de distinguer entre ce qui lui était dû et ce qui était dû à Dieu, regarda l'évêque comme son ennemi déclaré; et sur les instances que lui faisaient les seigneurs de sa cour de se rendre à l'église, où le peuple l'attendait pour assurer la paix: Vraiment, leur dit-il, je crois que si Ambroise vous l'ordonnait, vous me livreriez pieds et mains liés à sa discrétion[622].

[622] Le jeune Valentinien passa les six premiers mois de l'année à Milan, où il était encore le 10 juillet. On le trouve ensuite à Aquilée depuis le 31 août jusqu'au 12 décembre.—S.-M.

LVII.

Mort de Pulchérie et de Flaccilla.

Greg. Nyss. de Pulch. t. 3, p. 514, de Placid. p. 524.

Hieron. ep. 79, t. 1, p. 493.

Claud. de nupt. Honor.

Themist. or. 18, p. 225, 19, p. 231.

Theod. l. 5, c. 18.

Chron. Alex. p. 304.

Zon. l. 13, t. 2, p. 35.

Ducange, fam. Byz.

Harduin. not. ad Them. p. 477.

Marc. chron.

Tel était alors l'aveuglement de ce prince, que la faiblesse de son âge assujettissait aux caprices d'une mère impérieuse. Théodose était bien capable de lui ouvrir les yeux, et d'arrêter les emportements de Justine, mais il respectait la veuve de Valentinien, et connaissait assez son caractère hautain et jaloux, pour craindre de l'offenser, s'il jetait ses regards sur l'Occident, qu'elle gouvernait. Il ne sortit pas cette année de Constantinople, et remporta en Orient, par ses généraux, quelques victoires, dont les annales de ce temps-là ne marquent aucune circonstance. Mais cette joie fut troublée dans sa maison par deux afflictions très-sensibles:[Pg 309] il perdit d'abord sa fille Pulchérie. Cette jeune princesse donnait dès l'âge de six ans, les plus heureuses espérances; elle avait toutes les graces de la beauté; on voyait éclore en elle de jour en jour toutes les vertus de sa mère. Saint Grégoire de Nysse prononça son oraison funèbre, et rendit bientôt le même devoir à Flaccilla. Cette grande et sainte impératrice ne survécut pas long-temps à sa fille: elle mourut à Scotume[623] en Thrace, où elle était allée prendre les eaux minérales. Son corps fut rapporté à Constantinople. Elle fut honorée des larmes de tout l'empire, qui perdait en elle un ferme soutien des vertus de Théodose. Les pauvres surtout la pleurèrent; elle les aimait avec tendresse; ils n'avaient besoin auprès d'elle d'aucune autre recommandation que de leur misère, de leurs infirmités, de leurs blessures; sans gardes et sans suite, elle passait des jours entiers dans les hôpitaux, servant elle-même les malades, et leur rendant les plus humbles offices, que ses mains ennoblissaient. Comme on lui représentait un jour que ces fonctions ne s'accordaient pas avec la majesté impériale, et qu'il lui suffisait d'assister les pauvres de ses aumônes: Ce que je leur donne, dit-elle, n'est que pour le compte de l'empereur, à qui l'or et l'argent appartiennent. Il ne me reste que le service de mes mains, pour m'acquitter envers celui qui nous a donné l'empire et qui leur a transporté ses droits. Elle visitait fréquemment les prisonniers, et travaillait à leur délivrance.[Pg 310] Sa mémoire est encore en vénération dans l'église grecque, qui célèbre sa fête le 14 septembre, qu'on croit être le jour de sa mort. Elle laissait deux fils; quelques auteurs y en ajoutent un troisième, nommé Gratien; mais ce dernier, qui mourut avant son père, naquit de la seconde femme de Théodose. Arcadius commençait sa huitième année; Honorius n'avait encore qu'un an; l'empereur le mit entre les mains de sa nièce Séréna. Flaccilla laissait encore dans le palais un neveu qu'elle avait pris soin d'élever avec Arcadius; c'était Nébridius. Théodose lui procura quelques années après une alliance illustre, en lui faisant épouser Salvina, fille de Gildon, prince maure et comte d'Afrique. Nébridius fut revêtu en 396 de la dignité de proconsul d'Asie. Saint Jérôme parle avec éloge de sa vertu. Un palais que Flaccilla avait fait bâtir à Constantinople, conserva dans la suite le nom de cette princesse. On lui avait de son vivant érigé une statue: elle était placée dans le sénat avec celle de son mari et de son fils Arcadius.

[623] Ce lieu, dit S. Grégoire de Nysse, de Flaccilla, t. 3, p. 527, était appelé Scotoumin, dans la langue des habitants de la Thrace, ἀκούω γὰρ, dit-il, κατὰ τὴν πάτριον ἀυτῶν γλῶσσαν Σκότουμιν τόν τόπον ἐπονομάζεσθαι. La position de cet endroit est tout à fait inconnue.—S.-M.

LVIII.

Lois de Théodose.

Cod. Th. l. 9. tit. 7, leg. 4, 5, 6, 7, 8, 9.

Cod. Just. l. 1, tit. 26, leg. 3, tit. 9, leg. 7.

God. ad Cod. Th. t. 4, p. 449.

Liban. or. 18, t. 2, p. 447.

Socr. l. 5, c. 18.

La douleur de Théodose ne lui faisait pas perdre de vue le bon ordre de l'empire et les devoirs du souverain. Tisamène gouvernait la Syrie avec une dureté insupportable; il n'avait aucun égard aux lois que l'empereur avait publiées pour le soulagement de ses peuples, et sous le règne d'un prince rempli d'humanité, la Syrie ressentait tout le poids de la tyrannie. Libanius en adressa des plaintes à l'empereur, par un discours, où il demandait au nom de la province, la déposition de ce magistrat inhumain. On ne sait pas de quelle manière fut traité Tisamène; mais nous avons une loi du 9 décembre de cette année, par laquelle[Pg 311] Théodose donne ordre au préfet du prétoire de destituer tous les juges qui seront devenus odieux par leurs concussions, ou même inutiles par leur négligence ou par une longue maladie; il lui permet d'en nommer d'autres en leur place, et de punir ceux qui se trouveront coupables; il lui ordonne de ne faire à l'empereur le rapport de leur crime, qu'en lui annonçant leur châtiment. Deux jours après, il fit contre l'adultère une autre loi, qui ordonne de mettre à la torture pour tirer la preuve de ce crime, non-seulement les esclaves du mari accusateur, mais aussi ceux de la femme accusée. Ce prince témoigna toute sa vie une extrême horreur de ce désordre, et de tous ceux qui souillent la pureté des mœurs. Il écarta par ses lois tous les subterfuges, tous les délais qui pouvaient ou en éluder ou en retarder la punition. Il défendit aux Juifs la polygamie[624], et ordonna que les abominations contraires à la nature seraient expiées en place publique par le supplice du feu[625].

[624] Par une loi rendue à Constantinople le 30 décembre 393.—S.-M.

[625] Cette loi fut publiée à Rome, le 14 mai 390.—S.-M.

FIN DU VINGT-DEUXIÈME LIVRE.


[Pg 312]

LIVRE XXIII.

I. Opiniatreté de Justine en faveur des Ariens. II. Valentinien les autorise par une loi. III. Nouvelles entreprises contre saint Ambroise. IV. Saint Ambroise rassure son peuple. V. Fin de la persécution. VI. Maxime s'intéresse pour les catholiques. VII. Actions de piété de Valentinien. VIII. Théodose interdit aux Chrétiens toute participation à l'idolâtrie. IX. Guerre des Gruthonges. X. Leur défaite. XI. Théodose épargne les vaincus. XII. Histoire de Gérontius. XIII. Théodose épouse Galla. XIV. Sénateur accusé pour des songes. XV. Lois de Théodose. XVI. Sédition d'Alexandrie. XVII. Nouvel impôt. XVIII. La sédition commence à Antioche. XIX. Elle s'allume dans toute la ville. XX. On abat les statues de la famille impériale. XXI. Fin de la sédition. XXII. Prodiges fabuleux. XXIII. Crainte des habitants. XXIV. Ils prennent la fuite. XXV. Interrogatoires. XXVI. Punitions. XXVII. Changement des habitants d'Antioche. XXVIII. Discours de saint Jean Chrysostôme. XXIX. Flavien part pour aller fléchir l'empereur. XXX. Colère de l'empereur. XXXI. Arrivée des commissaires à Antioche. XXXII. Conduite qu'ils y tiennent. XXXIII. Informations nouvelles. XXXIV. Courage des moines. XXXV. Hardiesse de Macédonius. XXXVI. Les commissaires remettent l'affaire au jugement de l'empereur. XXXVII. La joie renaît dans Antioche. XXXVIII. Césarius va trouver l'empereur. XXXIX. Flavien se présente à Théodose. XL. Discours de Flavien. XLI. Clémence de l'empereur. XLII. Le pardon est annoncé aux habitants d'Antioche. XLIII. Joie de toute la ville. XLIV. Maxime se prépare à la guerre. XLV. On lui députe saint Ambroise. XLVI. Saint Ambroise devant Maxime. XLVII. Maxime passe les Alpes. XLVIII. Valentinien se réfugie à Thessalonique. XLIX. Théodose ramène Valentinien à la croyance orthodoxe. L. Succès de Maxime. LI. Généraux[Pg 313] et officiers de Maxime. LII. Tatianus succède à Cynégius dans la dignité de préfet du prétoire d'Orient. LIII. Dispositions de Théodose. LIV. Lois de Théodose. LV. Trahison punie. LVI. Soulèvement des Ariens à Constantinople. LVII. Flotte de Maxime. LVIII. Bataille de Siscia. LIX. Bataille de Pétau. LX. Théodose poursuit Maxime. LXI. Mort de Maxime. LXII. Mort d'Andragathe. LXIII. Guerre des Francs. LXIV. Clémence de Théodose. LXV. Actions de justice. LXVI. Théodose refuse de rétablir l'autel de la Victoire. LXVII. Synagogue de Callinicus. LXVIII. Théodose exclus du sanctuaire.

VALENTINIEN II, THÉODOSE, ARCADIUS.

An 386.

I.

Opiniâtreté de Justine en faveur des Ariens.

Idat. fast.

Sulp. Sev. hist. l. 2, c. 65.

Ruf. l. 12, c. 15.

Soz. l. 7, c. 13.

Ambros. de divers. serm. 1, t. 2, app. p. 439.

Till. vie de S. Ambr. art. 43.

Au commencement de l'an 386, Honorius, âgé seulement de quinze à seize mois, reçut le titre de consul, qui lui avait été dès sa naissance destiné pour cette année. Il eut pour collègue Évodius, préfet du prétoire de Maxime; et cette union prouve que Théodose vivait en paix avec le tyran, et qu'il le reconnaissait pour empereur. L'impérieuse Justine n'avait pas renoncé au dessein de rendre à l'Arianisme la supériorité dont il avait joui sous le règne de Constance et sous celui de Valens. Elle employait toute l'autorité de son fils pour troubler la paix des églises; elle menaçait d'exil les évêques, s'ils n'adhéraient aux décrets de Rimini; elle attaquait Ambroise par des outrages publics et par de sourdes intrigues; elle tâchait de semer parmi le peuple l'esprit de discorde; et regardant comme un affront le peu de succès de ses cabales, elle excitait son fils à la venger du mal qu'elle ne pouvait faire. Les Ariens et les courtisans, esclaves de la faveur, secondaient[Pg 314] sa passion. Tout était odieux dans Ambroise: on noircissait ses vertus mêmes; c'était un factieux, un rebelle, qui ne cherchait par ses aumônes qu'à se faire des créatures. Pour lui, loin de s'en alarmer: C'est un reproche, disait-il, dont je n'ai garde de rougir; et plaise à Dieu que je puisse toujours le mériter. Si c'est un crime de vouloir acheter par mes aumônes l'assistance et l'appui des indigents auprès du maître des empires, je m'avoue coupable; c'est en effet ce que je cherche. Ces aveugles, ces boîteux, ces malades, ces vieillards sont de plus puissants défenseurs que les plus vaillants guerriers.

II.

Valentinien les autorise par une loi.

Cod. Th. l. 16, tit. 1, leg. 4, tit. 4, leg. 1.

Ambr. ep. 21, t. 2, p. 860.

Ruf. l. 12, c. 16.

Gaud. præf. serm. ad Benev. Bibl. Pat. t. 2.

Soz. l. 7, c. 13.

Baronius.

[Till. vie de S. Ambr. art. 43.]

Le jeune prince entra dans la passion de sa mère. Résolu de la seconder de toute sa puissance, il approuva le projet d'une ordonnance dressée par Auxentius, évêque de Milan, pour les Ariens. L'empereur se déclarait pour la foi du concile de Rimini; il permettait aux Ariens de s'assembler; il défendait aux catholiques, sous peine de mort, de les troubler dans l'exercice du culte public, et même de présenter contre eux aucune requête. Pour rédiger cette disposition et y donner la forme de loi, Justine s'adressa à Bénévolus, secrétaire des brevets[626]. Celui-ci, né à Brescia [Brixia], en Italie, et instruit de la foi de Nicée par le saint évêque Philastrius, refusa de prêter son ministère à l'hérésie: et comme l'impératrice le pressait d'obéir, en lui promettant un emploi plus élevé: C'est en vain, lui dit-il, qu'on tente de m'éblouir; il n'est point de fortune qui mérite d'être achetée par une action impie; ôtez-moi plutôt la charge dont je suis revêtu, pourvu[Pg 315] que vous me laissiez ma foi et ma conscience. En parlant ainsi, il jeta aux pieds de Justine la ceinture qui était la marque de son office. Il ne fut pas difficile de trouver à la cour un ministre plus flexible et plus complaisant. La loi fut publiée le 23 de janvier[627]; elle répandit la joie et la confiance parmi les Ariens, et la consternation dans l'église catholique.

[626] Tunc memoriæ scriniis præsidenti, dit Rufin, l. 12, c. 16. S. Gaudence de Brixia l'appelle simplement magister memoriæ.—S.-M.

[627] Cette loi fut donnée à Milan. Les autres lois de cette époque font voir que Valentinien se trouvait à Pavie, le 15 février suivant, à Aquilée le 20 avril, à Milan dans les mois de juin et de juillet, à Aquilée le 3 novembre, à Milan le 18 du même mois, et le 3 décembre.—S.-M.

III.

Nouvelles entreprises contre saint Ambroise.

Ambr. ep. 21, t. 2, p. 860, et contra Aux. p. 863-874.

Aug. conf. l. 9, c. 7, t. 1, p. 162, et de Civ. l. 22, c. 8, t. 7, p. 663.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 4, c. 12, 13, 15, 16, 19.

Till. vie de S. Ambr. art. 44-47.

La fête de Pâques approchait. C'était le temps où les Ariens avaient coutume de redoubler leurs efforts pour se rendre maîtres des églises. L'empereur presse de nouveau Ambroise de leur céder la basilique Porcienne. Le prélat résiste; il offre au prince de lui abandonner les terres de l'église; mais il refuse de livrer la maison de Dieu. Justine lui fait donner ordre de sortir de Milan; on le menace de la mort s'il n'obéit; il se détermine à ne point partir, et à se laisser enlever de force plutôt que de se rendre coupable de l'usurpation de la basilique. Il répond aux officiers de Justine: Qu'il respecte l'empereur; mais qu'il craint Dieu plus que le prince; qu'il ne peut abandonner son église; que la violence pourra bien en séparer son corps, mais non pas son esprit; que si le prince fait usage du pouvoir impérial, il ne lui opposera que la patience épiscopale. Le peuple, résolu de mourir avec son évêque, accourt à l'église; il y passe plusieurs jours et plusieurs nuits. Les églises étaient alors accompagnées d'un vaste enclos, qui renfermait plusieurs bâtiments pour le logement de l'évêque et du clergé. Tant que durèrent les attaques de Justine, le peuple ne sortit pas de cette[Pg 316] enceinte; et il en restait toujours un grand nombre dans l'église même, où prosternés au pied des autels, qu'ils baignaient de leurs larmes, ils imploraient pour eux et pour leur évêque le secours du ciel. Ce fut en cette rencontre que, pour occuper le peuple et dissiper l'ennui d'une si longue résidence, saint Ambroise fit pour la première fois chanter des hymnes: il en composa lui-même qui firent dans la suite partie de l'office de l'église. Il introduisit aussi le chant des psaumes à deux chœurs; et cette coutume déja établie dans les églises orientales, se répandit de Milan dans tout l'Occident.

IV.

S. Ambroise rassure son peuple.

Ces chants étaient interrompus par les gémissements du peuple. Pour le consoler et le contenir en même temps dans les bornes de la soumission due aux souverains, saint Ambroise montait de temps en temps dans la tribune, et tâchait de faire passer dans le cœur des fidèles la sainte assurance dont le sien était rempli: Je ne consentirai jamais à vous abandonner, leur disait-il; mais je n'ai contre les soldats et les Goths d'autres armes que des prières au Dieu que nous servons. Telle est la défense d'un prêtre. Je ne puis ni ne dois combattre autrement. Je ne sais ni fuir par crainte, ni opposer la force à la force. Vous savez que j'ai coutume d'obéir aux empereurs, mais je ne veux leur sacrifier ni ma religion ni ma conscience. La mort qu'on endure pour Jésus-Christ n'est pas une mort, c'est le commencement d'une vie immortelle. Pendant qu'il parlait, l'église fut investie de soldats que la cour envoyait pour garder les portes, et empêcher les catholiques d'en sortir. J'entends, disait Ambroise, le bruit des armes qui nous environnent;[Pg 317] ma foi n'en est pas effrayée. Je ne crains que pour vous; laissez-moi combattre seul. L'empereur demande l'église et les vases sacrés; ô prince, demandez-moi mes biens, mes terres, ma maison, ce que j'ai d'or et d'argent: je vous l'abandonne. Pour les richesses du Seigneur, je n'en suis que dépositaire; il vous est aussi pernicieux de les recevoir qu'à moi de vous les donner. Si vous me demandez le tribut, nous ne vous le refusons pas; les terres de l'église payent le tribut. Si vous voulez nos terres, vous avez le pouvoir de les prendre; nous ne nous y opposons pas; les collectes du peuple suffiront pour nourrir les pauvres. Ces paroles généreuses étaient reçues avec de grands applaudissements. Les soldats qui étaient au dehors, pleins de respect pour celui même qu'ils tenaient assiégé, joignaient leurs acclamations à celles du peuple; et ce concert alarmait Justine.

V.

Fin de la persécution.

Valentinien désespérant de réussir par la terreur, et n'osant en venir aux dernières violences, envoya sommer Ambroise de se rendre devant lui pour disputer contre Auxentius, se réservant le pouvoir de décider par son autorité souveraine. Ambroise s'excusa d'aller au palais y plaider la cause de Dieu devant l'empereur ni devant aucuns juges séculiers. Il représenta que les contestations qui concernent la foi ne doivent se traiter qu'en présence des évêques, et il offrait à Auxentius d'entrer en dispute avec lui devant un concile. Justine ne trouvant plus de ressource ni dans ses menaces ni dans ses artifices, conçut le dessein de faire assassiner Ambroise. Elle s'occupait de cette affreuse pensée, lorsque les miracles qui s'opérèrent à la découverte des[Pg 318] corps de saint Gervais et de saint Protais, l'effrayèrent sans la changer. En vain les Ariens s'efforçaient de tourner en ridicule des prodiges que tout le peuple attribuait à la sainteté de l'évêque aussi-bien qu'aux mérites des deux martyrs. L'impératrice n'osa combattre plus long-temps le prélat; elle le laissa en possession de toutes les églises de Milan.

VI.

Maxime s'intéresse pour les catholiques.

Epist. Rom. Pontif. t. 1.

Ruf. l. 12, c. 16.

Theod. l. 5, c. 14.

Baronius.

[Till. vie de S. Ambr. art. 48.]

Les remontrances de Maxime firent peut-être sur l'esprit de Justine encore plus d'impression que les miracles; elle le craignait, et ne voulait lui donner aucun prétexte de prendre les armes. Ce tyran fut bien aise de saisir cette occasion de faire une action digne d'un prince légitime, pour diminuer, s'il était possible, l'odieux de son usurpation: il conjura Valentinien de cesser la guerre qu'il faisait à la vérité. On a conservé sa lettre dans laquelle il proteste de sa sincérité, et déclare que le seul motif qui le fasse agir est le vif intérêt qu'il prend à la prospérité de Valentinien; que s'il eût formé quelque dessein sur l'Italie, il ne devrait songer qu'à entretenir le feu de la division que le jeune prince allumait lui-même dans ses états: C'est une chose infiniment périlleuse, ajoutait-il, de toucher à ce qui regarde Dieu.

VII.

Actions de piété de Valentinien.

Prudent. περὶ στεφ. hymn. 6.

Grut. inscr. p. 1170, n. 6.

Baronius.

Till. Théod. art. 29.

Cod. Th. l. 8, tit. 8, leg. 3.

En même temps que Valentinien se déclarait ennemi de la foi catholique, par une bizarrerie dont les exemples ne sont pas rares, il s'occupait d'actions de piété, il donnait ordre de rebâtir et d'agrandir à Rome la basilique de saint Paul, sur le chemin d'Ostie. Ce projet fut ensuite exécuté par Théodose et achevé par Honorius. Placidie, fille de Théodose, y ajouta de riches ornements. Le jeune prince ne se contenta pas des lois déja établies par Constantin et par son père Valentinien[Pg 319] pour obliger les peuples à sanctifier le dimanche: il défendit de faire ce jour-là aucune procédure, aucun acte, aucune transaction; d'exiger le paiement d'aucune dette; de débattre aucun droit, même devant des arbitres; et il déclara infame et sacrilége quiconque ne s'acquitterait pas en ce saint jour des devoirs que prescrit la religion.

VIII.

Théodose interdit aux chrétiens toute participation à l'idolâtrie.

Cod. Th. l. 12, tit. 1, leg. 112.

Les ordonnances de Théodose s'accordaient mieux avec la pureté de sa foi. Il n'avait pas porté les derniers coups à l'idolâtrie; et dans chaque province subsistait encore un pontife supérieur, qui était chargé de la police de toute la religion païenne. Ce titre, regardé comme très-honorable, était conféré aux personnes les plus distinguées de l'ordre municipal: on le donnait quelquefois à des chrétiens malgré eux; d'autres, moins scrupuleux que Gratien, allaient jusqu'à le rechercher. L'ambition, qui sait plier la conscience au gré de ses désirs, leur persuadait que cette dignité n'exigeant aucun acte particulier d'idolâtrie, n'était pas incompatible avec leur religion. Théodose, mieux instruit des obligations du christianisme, ne voulut pas à la vérité abolir cette fonction; l'ordre public la rendait nécessaire tant que le paganisme subsisterait, mais il défendit aux païens d'y contraindre les chrétiens, et à ceux-ci de l'accepter[628].

[628] Ce fut en vertu d'une loi rendue à Constantinople, le 16 juin de l'an 386.—S.-M.

IX.

Guerre des Gruthonges.

Claud. in 4º Cons. Honor. v. 254 et seq.

Symm. l. 3, ep. 74 et seq.

Zos. l. 4, c. 38, 39 et 40.

Idat. fast. et Chron.

Marcel. Chr.

Depuis cinq ans la paix n'avait été troublée en Orient que par quelques incursions qu'on avait facilement réprimées. La réputation de Théodose rendait la frontière respectable à tant de nations guerrières dont l'empire était environné, lorsqu'un nouvel essaim de[Pg 320] barbares vint menacer la Thrace des mêmes désastres qu'elle avait éprouvés sous le règne de Valens. C'étaient des Ostrogoths, appelés aussi Gruthonges[629] qui, dix ans auparavant, chassés de leur pays par les Huns, erraient dans cette vaste contrée qui s'étend du Danube à la mer Baltique. Réunis sous un chef[630] nommé Odothée, ils entraînèrent avec eux une partie de ces nations féroces dont ils traversaient le pays. L'amour de la guerre et l'espérance du pillage leur associèrent un grand nombre de Huns; et c'est à cause du mélange de ces deux puissantes nations que quelques auteurs donnent à ces barbares le nom de Gothuns[631]. Tout à coup la rive septentrionale du Danube parut couverte d'une multitude immense de guerriers suivis de leurs chariots, de leurs femmes et de leurs enfants[632]. Ils envoyèrent[Pg 321] demander le passage à Promotus, général des troupes de la Thrace. Ce capitaine, aussi rusé que vaillant, s'avança aussitôt avec son armée, qu'il étendit le long du fleuve pour en défendre les bords. En même temps il choisit entre ses soldats des hommes de confiance, qui savaient la langue de ces barbares; il leur ordonna de passer le fleuve et de tromper les ennemis en leur promettant de leur livrer l'armée romaine avec le général. Ceux-ci s'acquittèrent adroitement de leur commission. Ils demandèrent d'abord une somme exhorbitante pour récompense de leur trahison. On disputa long-temps; enfin on se relâcha de part et d'autre, et l'on s'accorda sur le prix dont la moitié serait payée sur l'heure, et le reste après la victoire. On convint et des signaux et du moment de l'attaque; elle devait se faire de nuit. Les soldats revinrent et informèrent de tout leur général.

[629] Zosime a tort de dire, l. 4, c. 38, que cette nation scythique était inconnue aux habitants des bords du Danube, quand elle parut sur les bords de ce fleuve, ἔθνος τὶ Σκυθικὸν ὑπὲρ τὸν Ἴστρον ἐφάνη, πᾶσιν ἄγνωστον τοῖς ἐκεῖσε νομάσιν. Les Romains avaient assez souvent combattu les mêmes ennemis, quand ils étaient commandés par Alathée et Saphrax, pour qu'ils eussent dès long-temps appris à les connaître. Voyez ci-devant pag. 102, l. XX, § 5. C'est sans doute par une faute de copiste que le même auteur semble dire que ces peuples étaient appelés Prothinges par les Barbares, ἐκάλουν δὲ Προθίγγους αὐτοὺς, οἱ ταύτῃ Βαρβαροι. Il faut lire Γροθίγγους, au lieu de Προθίγγους.—S.-M.

[630] Claudien lui donne le titre de roi, in 4º cons. Honor. v. 632. Voyez ci-après, p. 322, note 1.—S.-M.

[631] Le nom de Gothunnus ne se trouve que dans quelques manuscrits de Claudien. Il y est souvent même remplacé par celui de Gruthungus. Cette leçon a été adoptée par presque tous les éditeurs. Il est question de ce peuple, mais seulement sous le nom de Gruthunges, dans le 2e livre contre Eutrope, v. 153.

......... Ostrogothis colitur mixtisque Gruthungis
Phryx ager,

et un peu plus loin, v. 196

........ Bene rura Gruthungus
Excolet.

—S.-M.

[632] Claudien porte à trois mille le nombre des barques avec lesquelles les Gruthunges tentèrent le passage du Danube.

Ausi Danubium quondam tranare Gruthungi,
In lintres fregere nemus: ter mille ruebant
Per fluvium plenæ cuneis immanibus alni.
Dux Odothœus erat.

Claud. de 4º cons. Honor. v. 623 et seq.—S.-M.

X.

Leur défaite.

On avait choisi une nuit où la lune ne donnait pas de lumière. L'obscurité semblait favorable aux barbares pour dérober le passage; elle l'était encore plus à Promotus, pour leur cacher ses mouvements. Lorsque cette nuit fut arrivée, les ennemis jettent dans des canots faits d'un seul arbre ce qu'ils avaient de plus braves soldats; ceux-ci devaient descendre les premiers, et égorger les Romains, qu'ils s'attendaient à trouver endormis. Ils font ensuite embarquer les autres, afin de soutenir leurs camarades. Ils laissent sur le bord les gens inutiles au combat, femmes, vieillards, enfants, qui ne devaient passer qu'après le succès. Cependant[Pg 322] Promotus, instruit de ces dispositions, se préparait à les recevoir. Ayant rassemblé les jours précédents un très-grand nombre de grosses barques, il les rangea sur trois lignes; et quoiqu'il ne laissât entre elles qu'un médiocre intervalle, il en eut assez pour border le fleuve dans l'espace de vingt stades, c'est-à-dire de deux mille cinq cents pas. On observait un grand silence, et la largeur du fleuve empêchait les ennemis d'entendre le bruit des barques et des rames. Lorsque tout fut prêt du côté des Romains, Promotus fit donner le signal dont ses émissaires étaient convenus avec les barbares, pour leur indiquer le moment du passage. Les Gruthonges font aussitôt force de rames, et s'avancent avec impatience comme à une victoire assurée. Au même instant, les deux premières lignes des barques Romaines se détachent afin d'envelopper les ennemis. Celles qui sont au-dessous s'étendent dans toute la largeur du fleuve pour former une barrière; les autres, aidées par le courant, descendent avec impétuosité. Fort supérieures aux canots des barbares par leur élévation, par leur masse et par le nombre des rameurs, elles les heurtent, les renversent, les brisent, les coulent à fond. La plupart des Gruthonges sont entraînés au fond des eaux par le poids de leurs armes. Ceux qui traversent le fleuve sont arrêtés par la troisième ligne des barques qui bordent la terre; ils y trouvent la mort. En peu de temps, le Danube n'est plus couvert que de cadavres et de débris[633]. Jamais combat naval[Pg 323] ne coûta tant de sang. Odothée y perdit la vie[634].

[633] Il semble par la manière dont s'exprime Claudien, en rapportant v. 632, la mort du chef des Ostrogoths, que ce chef avait été tué par Théodose lui-même; les dépouilles opimes dont il parle, désignent toujours la victoire remportée dans un combat singulier contre un chef ennemi.

Confessusque parens Odothœi regis opima
Rettulit, exuviasque tibi.

—S.-M.

[634]

Submersæ sedere rates; fluitantia nunquam
Largius Arctoos pavere cadavera pisces;
Corporibus premitur Peuce; per quinque recurrens
Ostia barbaricos vix egerit unda cruores.

Claud. in 4º cons. Honor. v. 628 et seq.—S.-M.

XI.

Théodose épargne les vaincus.

Les vainqueurs, après avoir détruit et enseveli dans les eaux l'armée ennemie, passent à l'autre rive, ils s'emparent des bagages, et mettent aux fers les femmes, les enfants, et tous ceux qui n'avaient pas trouvé place dans les canots. Théodose qui, sur le premier avis de Promotus, était parti de Constantinople, arrive en ce moment. Il vient trop tard pour vaincre, mais assez tôt pour sauver les vaincus. Il juge de l'importance de la victoire par la quantité de butin et par le nombre des prisonniers. Il leur fait rendre la liberté et leurs dépouilles; il y ajoute même des libéralités; et par cette généreuse clémence, il les change en sujets affectionnés. Il reçoit dans ses troupes ceux qui sont en état de porter les armes, et donne aux autres des terres à cultiver[635]. Il laisse Promotus dans la Thrace pour garder la frontière.

[635] Il paraît, d'après des vers de Claudien (in Eutrop. l. 2, v. 153 et seq.) cités ci-devant pag. 320, not. 3, que les établissements qu'on leur donna étaient situés dans la Phrygie.—S.-M.

XII.

Histoire de Gérontius.

Ces barbares, dispersés en divers cantons de la Thrace, conservaient leur férocité naturelle; ils avaient peine à s'accoutumer à la discipline romaine. Un de leurs détachements, composé des plus braves et des mieux faits, campait aux portes de Tomes, métropole de la petite Scythie, en-deçà du Danube. L'empereur leur avait assigné une paye plus forte qu'à ses propres troupes; il leur avait, par honneur, donné des colliers d'or. Fiers de ces distinctions, ils méprisaient les soldats[Pg 324] de la garnison; ils les insultaient et les maltraitaient en toute occasion. Ils formaient même des desseins sur la ville, et l'on avait sujet de tout appréhender de leur caractère brutal et impétueux. Gérontius commandait la garnison; c'était l'homme du monde le moins propre à souffrir ces insultes. Aussi fougueux que les barbares, il ne leur cédait ni en courage ni en force de corps. Il résolut de les prévenir; et ayant fait part de son dessein aux officiers de la garnison, comme il les voyait intimidés et peu disposés à le suivre, il ne prend avec lui que sa garde, qui formait un fort petit nombre, sort à cheval, l'épée à la main, et va d'un air intrépide charger les barbares. Les autres soldats saisis de frayeur se tiennent sur la muraille, simples spectateurs d'un combat si inégal. Les barbares se moquent d'abord de la folle témérité de Gérontius; c'était à leurs yeux un insensé qui venait chercher la mort; ils détachent sur lui quelques-uns de leurs guerriers les plus braves et les plus robustes. Gérontius s'attache au premier qui vient à lui, il le saisit au corps; et tandis qu'il s'efforce de le renverser de cheval, un de ses gardes abat d'un coup de sabre l'épaule du barbare, qui tombe par terre. Ce coup saisit les autres d'effroi. Gérontius se jette tête baissée au travers de l'escadron; les soldats romains, ranimés par son exemple, sortent de la ville; ils fondent sur la troupe ennemie, ils en font un horrible carnage. Ceux qui échappèrent se réfugièrent dans une église voisine qui leur servit d'asile. Gérontius ayant par cette action de valeur réprimé l'insolence des Gruthonges, s'attendait à des récompenses. Mais Théodose, irrité qu'il eût de son chef et sans l'avis de ses supérieurs entrepris un coup de cette importance, songeait[Pg 325] bien plutôt à le punir. On l'accusa même de n'avoir attaqué les barbares que pour leur enlever les colliers d'or qu'ils tenaient de la libéralité de l'empereur. Gérontius s'en justifia par le soin qu'il avait eu, aussitôt après sa victoire, de remettre ces colliers entre les mains des officiers du trésor. Si l'on s'en rapporte à Zosime, qui ne rend presque jamais justice à Théodose, Gérontius n'évita un traitement rigoureux qu'aux dépens de sa fortune, qu'il fallut sacrifier pour acheter la protection des eunuques du palais.

XIII.

Théodose épouse Galla.

Idat. fast.

Marcel. Chr.

Zos. l. 4. c. 43 et 44.

Socr. l. 4, c. 26.

Philost. l. 10, c. 7.

Pagi ad Baron.

Théodose avait conduit à la guerre contre les Gruthonges, son fils Arcadius, âgé de neuf ans. Il revint avec lui à Constantinople[636], où il entra comme en triomphe le 12 d'octobre. Il épousa quelques jours après Galla, fille de Valentinien I et de Justine. Selon Philostorge, elle était arienne ainsi que sa mère. On ne voit pas cependant qu'elle ait causé aucun trouble dans l'église; mais ce ne serait pas une preuve de la pureté de sa foi. Elle mourut avant son mari; et sous un empereur tel que Théodose, on pouvait ne pas s'apercevoir que l'impératrice fût hérétique. Zosime recule ce mariage d'une année, et il en fait une aventure romanesque qui ne s'accorde guère avec le caractère de Théodose, et qui aurait besoin d'un meilleur garant[637].

[636] Les dates des diverses lois rendues vers ce temps par Théodose font voir que ce prince passa la plus grande partie de l'année à Constantinople, ou dans les résidences impériales des environs, à l'exception du temps où il fut occupé à la guerre contre les Gruthonges. Il était le 20 mai à Périnthe ou Héraclée sur la Propontide, et le 3 septembre, dans sa maison de campagne de Mélanthias, d'où il existe deux lois: toutes les autres ont été décrétées à Constantinople.—S.-M.

[637] Cet auteur suppose, contre toute vraisemblance, que Théodose n'épousa cette princesse qu'à l'époque de la fuite de Justine et de Valentinien le jeune, poursuivis par le tyran Maxime. Théodose, épris de la beauté de Galla et incertain s'il ferait la guerre contre Maxime, n'aurait, selon cet auteur, obtenu la main de cette princesse qu'à la condition de marcher contre l'usurpateur.—S.-M.

[Pg 326]

XIV.

Sénateur accusé pour des songes.

Liban. vita. t. 2, p. 72 et 73.

Ce prince n'avait d'autre passion que de rendre ses peuples heureux: il l'était lui-même, lorsqu'il trouvait occasion d'user de clémence. Un sénateur d'Antioche, qui aimait à donner de magnifiques repas, raconta un jour devant un grand nombre de convives, des songes qui ne lui promettaient rien moins que l'empire. Quoiqu'il affectât d'en rire le premier, on sentit qu'il était la dupe de ces visions frivoles. Les parasites firent leur devoir; ce fut de le flatter d'abord et de l'accuser ensuite. Il était perdu s'il eût vécu sous le règne de Constance ou de Valens. Les juges se piquaient d'un zèle impitoyable; ils faisaient de cette extravagance une affaire d'état. Tous les convives, excepté les délateurs, étaient traités de complices. Il y en avait déja deux condamnés à l'exil; plusieurs avaient souffert la question. Le secrétaire de Libanius fut accusé entre les autres; on prouva qu'il était mort avant le festin dont on faisait tant de bruit: il n'en fallut pas moins pour arrêter les informations déja commencées. Théodose fit cesser et cassa toute cette procédure. Ne punissant qu'à regret les crimes réels, il était bien éloigné de s'engager à poursuivre ceux qui n'étaient qu'imaginaires.

XV.

Lois de Théodose.

Cod. Th. l. 2, tit. 33, leg. 2, l. 9, tit. 34, leg. 9, tit. 44, leg. 1, et l. 14, tit. 12, leg. unic. et ibi God.

Toujours prêt à pardonner les attentats contre sa personne, il punissait sévèrement les atteintes portées à l'honneur des particuliers. Il ordonna que ceux entre les mains de qui tomberait un libelle diffamatoire, eussent à le déchirer sur-le-champ, leur défendant d'en réciter à personne le contenu, et soumettant à la même peine et celui qui l'aurait composé et celui qui[Pg 327] l'aurait communiqué, à moins qu'il n'en déclarât l'auteur. Pour donner plus d'éclat à la ville de Constantinople, il voulut que tous ceux qui étaient revêtus de dignités civiles ou militaires, ne parussent en public que sur des chars attelés de deux chevaux: les magistrats du premier ordre, tels que les préfets du prétoire et ceux de la ville, avaient des chars à quatre chevaux; car, selon une louable discipline établie dès le temps de la république, il n'était pas libre aux particuliers de se distinguer par la pompe des équipages: c'était le rang et non pas la fortune qui permettait l'usage des voitures d'appareil. Les statues des princes étaient un asyle: ceux qui redoutaient la violence et l'injustice, trouvaient leur sûreté dans l'enceinte où ces statues étaient placées; mais il arrivait que certaines gens s'y réfugiaient par malice et par affectation de terreur, afin de rendre odieuses les personnes par qui ils se prétendaient menacés. Théodose ordonna que ceux qui auraient recours à ces asyles y demeureraient pendant dix jours; que durant cet intervalle on ne pourrait les en arracher, et qu'ils n'auraient pas eux-mêmes la liberté de s'en écarter; qu'après l'examen des motifs de leur crainte, si elle se trouvait bien fondée, les lois prendraient leur défense; au lieu qu'ils seraient punis si leur alarme prétendue n'était qu'un artifice et un effet de malignité. Constantin avait mis un frein à l'avarice; mais cette passion, qui veille sans cesse pour se dérober à la contrainte des lois, avait franchi ses barrières. Les usures étaient devenues arbitraires. Théodose se contenta de les renfermer dans leurs anciennes bornes, qui n'étaient que trop étendues. Il permit l'intérêt à douze pour cent par année, et condamna les[Pg 328] usuriers à rendre le quadruple de ce qu'ils exigeraient au-delà. La loi de l'Évangile n'avait pas encore en ce point pris le dessus sur les anciennes lois romaines.

An 387.

XVI.

Sédition à Alexandrie.

Idat. fast.

Liban. or. 12, t. 2, p. 391 et 392.

L'année suivante est mémorable par un de ces événements, dont l'histoire a pris soin de conserver tous les détails pour l'instruction des princes et des peuples. C'est la sédition d'Antioche. On connaît les causes qui la firent naître, la manière dont elle s'alluma, les excès auxquels elle se porta, les effets qu'elle produisit, la conduite des magistrats dans la punition, et celle de Théodose dans le pardon des coupables. Valentinien était consul pour la quatrième fois avec l'historien Eutrope, lorsqu'une première étincelle de sédition éclata dans Alexandrie. Le peuple assemblé au théâtre se souleva contre les magistrats: on les accabla d'injures, sans épargner la personne même des empereurs; on porta l'audace jusqu'à demander Maxime pour maître: on l'appelait à grand cris; on souhaitait qu'il voulût accepter la souveraineté de l'Égypte. Cette émeute excitée en un moment, passa aussi rapidement qu'un orage. Rien n'était plus ordinaire au peuple d'Alexandrie: rarement cette multitude légère et turbulente se voyait réunie dans le théâtre sans insulter les magistrats. La chose était tellement passée en coutume, que le gouvernement n'y faisait nulle attention.

XVII.

Nouvel impôt.

Liban. or. 21, t. 2, p. 526.

Idat. fast.

Marcel. Chr.

Pagi ad Baron.

Till. Théod. not. 27.

On ne dit pas même quel fut le prétexte de cet emportement populaire, comme s'il n'en eût fallu aucun pour soulever les Alexandrins. Il est cependant vraisemblable que ce fut la même cause qui excita vers le même temps dans Antioche une sédition, dont les suites furent beaucoup plus fâcheuses. En voici l'occasion. Au mois de janvier de cette année, il y avait[Pg 329] quatre ans révolus depuis qu'Arcadius avait reçu le titre d'Auguste; Théodose voulut commencer par une fête magnifique la cinquième année de l'empire de son fils. Cette solennité se nommait les quinquennales; pour y ajouter plus d'éclat, il avança d'une année ses propres décennales, c'est-à-dire la fête de la dixième année de son empire. C'était la coutume de distribuer en cette occasion de l'argent aux soldats; ces largesses épuisèrent le trésor. Théodose ne voulant pas laisser tarir cette source de la prospérité des états, songea aux moyens de le remplir. Il imposa une contribution extraordinaire.

XVIII.

La sédition commence à Antioche.

Chrysost. Hom. in S. Ignatium. c. 4, t. 2, p. 597.

Liban. or. 12, t. 2, p. 394, 13, p. 406, 21, p. 526.

Les ordres du prince ne trouvèrent aucune résistance dans le reste de la Syrie; mais ils soulevèrent Antioche. Cette ville était, par sa grandeur, par son opulence, par la beauté de sa situation et de ses édifices, considérée comme la capitale de l'Orient; divisée en quatre quartiers entourés de murailles, et qui formaient presque autant de villes, elle renfermait deux cent mille habitants[638], partagés en dix-huit tribus. A ce peuple nombreux, se joignaient une infinité d'étrangers, qui s'y rendaient sans cesse de toutes les contrées de l'univers. Tant d'humeurs diverses étaient une matière toujours préparée aux plus violentes agitations. On parlait depuis quelques jours de la nouvelle imposition: ce n'était qu'un bruit sourd qui trouvait peu de croyance, mais qui mettait déja les esprits dans cet état d'incertitude où ils deviennent plus faciles à émouvoir. Les ordres de l'empereur étant arrivés pendant la nuit du[Pg 330] 26 de février, le gouverneur assembla de grand matin le conseil. La lecture des lettres n'était pas achevée, que les assistants s'abandonnèrent à la douleur: ils s'écrient que la somme est exhorbitante, qu'on peut leur briser les os par les tortures, leur tirer tout le sang des veines; mais qu'en vendant et leurs biens et leurs personnes, on ne pourra trouver de quoi satisfaire à cette exaction cruelle. Les murmures, les gémissements, les cris, les marques du dernier désespoir troublent toute l'assemblée. Plusieurs élèvent la voix pour adresser à Dieu des prières plus séditieuses encore que les murmures.

[638] C'est S. Jean Chrysostôme qui donne cette évaluation de la population d'Antioche de son temps. Δῆμον εἰς εἴκοσι ἐκτεινόμενον μυριάδας, κ. τ. λ. S. Chrys. in Ignat. c. 4, t. 2. p. 597.—S.-M.

XIX.

Elle s'allume dans toute la ville.

Chrysost. Hom. de stat. 5, c. 3, t. 2, p. 62.

Liban. or. 12, t. 2, p. 393 et 394; 13, p. 406; 20, p. 516; 21, p. 526.

Le gouverneur fait de vains efforts pour les apaiser. Ils sortent de la salle et courent comme des forcenés sous le portique; là, redoublant leurs cris en se dépouillant de leurs robes, ils appellent les citoyens; ils leur exagèrent le sujet de leur alarme. On accourt de toutes parts; bientôt un peuple innombrable les environne: la fureur se communique plus promptement que leurs paroles; la plupart ignorent encore la cause du tumulte et frémissent déja de colère. Tout-à-coup sans aucun commandement il se fait un grand silence; cette immense populace demeure calme et immobile, ainsi que la mer aux approches d'un violent orage; et un moment après, poussant des cris furieux, et se divisant en plusieurs troupes comme en autant de vagues, les uns se jettent dans les thermes voisins; ils renversent, ils brisent, ils détruisent et les vases et les ornements; d'autres courent à la maison de l'évêque Flavien, et ne l'ayant pas trouvé, ils reviennent à la salle du conseil, d'où le gouverneur n'avait encore osé sortir: ils tâchent d'en enfoncer les portes, et menacent[Pg 331] de le massacrer, ce qui n'était pas sans exemple à Antioche. N'ayant pu réussir, ils se dispersent en criant: Tout est perdu: la ville est abymée; une imposition cruelle a détruit Antioche.

XX.

On abat les statues de la famille impériale.

Chrysost. hom. 2, c. 3; hom. 3, c. 1; hom. 5, c. 3; hom. 6, c. 1; hom. 17, c. 2.

Liban. de vita, t. 2, p. 75, et or. 12, p. 395; 13, p. 407; 20, p. 516; 21, p. 527.

Zos. l. 4, c. 41.

Theod. l. 5, c. 19.

Soz. l. 7, c. 23.

Tout ce qu'il y avait d'étrangers, de misérables, d'esclaves, grossit la foule des séditieux. Ce mélange confus ne connaît plus ni prince, ni magistrats, ni patrie. A la vue des portraits de l'empereur, qui était peint en plusieurs endroits de la ville, la rage s'allume; on l'insulte de paroles et à coups de pierres; et comme s'il respirait encore plus sensiblement dans les ouvrages de bronze, on va attaquer ses statues: on n'épargne pas celles de Flaccilla, d'Arcadius, d'Honorius, ni la statue équestre de Théodose le père. On attache des cordes à leur col; chacun s'empresse de prêter son bras à ce ministère de fureur: on les arrache de leur base; on les brise en morceaux en les chargeant d'opprobres et d'imprécations; on en abandonne les débris aux enfants qui les traînent par les rues de la ville.

XXI.

Fin de la sédition.

Liban. or. 12, t. 2, p. 396; 13, p. 408; 21, p. 527.

Ce dernier excès d'insolence effraya les coupables eux-mêmes. La vue des images d'un empereur si respectable, brisées et mises en pièces les frappa d'horreur, comme s'ils eussent vu les membres du prince même épars et déchirés. Pâles et tremblants, la plupart s'enfuient et se renferment. La sédition se ralentissait; mais elle n'était pas encore apaisée. Une troupe des plus opiniâtres s'assemble autour de la maison d'un des principaux sénateurs qui, se tenant renfermé chez lui, paraissait condamner la révolte. Ils y mettent le feu. Pendant l'emportement du peuple, les plus sages citoyens n'avaient osé s'exposer: les magistrats, cachés dans leurs maisons, ne songeaient qu'à conserver leur[Pg 332] vie. Ne pouvant se concerter ensemble, ni prendre aucune mesure, ils en étaient réduits à faire des vœux au ciel. Quantité de voix appelaient en vain le gouverneur. Quoique ce fût un officier vaillant et qui s'était signalé dans la guerre, cependant il n'osa se montrer jusqu'au moment où il apprit que la plus grande fougue du peuple était passée, et que la maison du sénateur n'était attaquée que par une poignée de misérables. Il s'y transporta à la tête de sa garde. Il n'en coûta que deux coups de flèches pour dissiper ce reste de séditieux. Le comte d'Orient qui commandait les troupes, et qui n'avait pas montré plus de hardiesse, vint alors se joindre à lui. On les blâma tous deux dans la suite, de n'avoir pas affronté le péril pour défendre les statues de l'empereur, et pour épargner à la ville un si criminel attentat. Leurs soldats poursuivirent les mutins qui fuyaient devant eux. On en prit un grand nombre qui furent aussitôt enfermés dans les prisons.

XXII.

Prodiges fabuleux.

Liban. or. 12. t. 2, p. 396.

Soz. l. 7, c. 23.

On remarqua que les femmes de la plus vile populace, qui ont coutume de signaler leur rage dans ces émeutes soudaines, ne prirent aucune part à celle-ci. L'agitation qui subsistait encore dans les esprits après tant de secousses violentes, fit, comme il arrive souvent, imaginer des fantômes et des prodiges bizarres. On ne pouvait croire que ce désordre n'eût pas été produit par une puissance surnaturelle. Le bruit courut que dans le fort du tumulte, on avait vu un vieillard d'une taille gigantesque, monté sur un puissant cheval; et que s'étant changé d'abord en jeune homme, ensuite en enfant, il avait disparu. On disait encore que la nuit d'auparavant, on avait aperçu au-dessus de la ville une femme horrible à voir et d'une grandeur[Pg 333] effrayante; que ce spectre avait passé sur toutes les rues en frappant l'air d'un fouet avec un bruit affreux. Ce n'était rien moins dans l'idée du peuple qu'un monstre infernal qui excitait les esprits à la fureur, de la même manière que les valets de l'amphithéâtre animaient à grands coups de fouet la rage des bêtes féroces dans les spectacles. Selon saint Jean Chrysostôme, il n'était pas besoin que le démon courût dans l'air; c'était assez qu'il entrât dans leur cœurs et qu'il y soufflât le feu de la révolte. Elle avait commencé au point du jour; à midi le calme était rétabli dans la ville.

XXIII.

Crainte des habitants.

Chrysost. Hom. 3, c. 6, t. 2, p. 44; h. 6, c. 2, p. 75.

Liban. or. 12, t. 2, p.398, 13, p. 407; 20, p. 516; 21, p. 527.

Théod. l. 5, c. 19.

Mais ce calme n'avait rien que de sombre et de lugubre. Après cet accès de frénésie, les habitants abattus, consternés, ne se reconnaissaient qu'avec horreur. La honte, les remords, la crainte tenaient tous les cœurs accablés. La vue des courriers qui partent pour informer l'empereur, leur annonce déja leur condamnation. Les innocents et les coupables attendent également la mort; mais personne ne veut être coupable; ils s'accusent les uns les autres. Les païens, qui n'étaient pas plus criminels que les chrétiens, tremblent qu'on ne leur impute tout le désordre. Tous renfermés avec leurs familles qui fondent en larmes, déplorent le sort de leurs femmes et de leurs enfants; ils se pleurent eux-mêmes. Partout règne une affreuse solitude. On voit seulement errer çà et là dans les places et dans les rues des troupes d'archers, traînant aux prisons des malheureux qu'ils ont arrachés de leurs maisons.

XXIV.

Ils prennent la fuite.

Chrysost. Hom. 2, c. 1, 2, et 5. H. 3, c. 1, 5, 6. H. 5, c. 5, 6. H. 13, c. 1.

Lib. de vita, t. 2, p. 75, et or. 12, p. 401; 21, p. 528.

La nuit se passe dans de mortelles inquiétudes: elle ne présente à leur esprit que des gibets, des feux, des échafauds. La plupart se déterminent à quitter leur patrie, qui ne leur paraît plus qu'un vaste sépulcre.[Pg 334] Les riches cachent et enfouissent leurs richesses. Chacun se tient heureux de sauver sa vie. Dès le point du jour, les rues sont remplies d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards qui fuient la colère du prince comme un incendie. Les magistrats, incertains du sort de la ville, n'osent les retenir; à peine peuvent-ils à force de menaces, arrêter les sénateurs qui se préparaient eux-mêmes à déserter Antioche. Les autres sortent en foule et se dispersent sur les montagnes et dans les forêts. Plusieurs sont massacrés par les brigands, qui profitent de cette alarme pour infester les campagnes voisines; et l'Oronte rapporte tous les jours dans la ville quelques-uns des cadavres de ces malheureux fugitifs.

XXV.

Interrogatoires.

Chrysost. H. 3, c. 6, 7; hom. 5, c. 3; hom. 6, c. 5; hom. 8, c. 4; h. 13, c. 1, 2.

Liban. or. 12, t. 2, p. 403; 21. p. 530.

Cependant les magistrats étaient assis sur le tribunal, et faisaient comparaître ceux qu'on avait arrêtés à la fin de la sédition et la nuit suivante. Ils déployaient toute l'horreur des supplices. On pouvait leur reprocher de n'avoir rien fait pour empêcher le crime: cette crainte les rendait plus implacables; ils croyaient faire leur apologie en punissant avec rigueur. Les fouets armés de plomb, les chevalets, les torches ardentes, toutes les tortures redoutables à l'innocence même étaient mises en œuvre pour arracher l'aveu du crime et des complices. Tout ce qui restait de citoyens dans la ville était assemblé aux portes du prétoire, dont les soldats gardaient l'entrée. Là, plongés dans un morne silence, se regardant les uns les autres avec une défiance mutuelle, les yeux et les bras levés vers le ciel, ils le conjuraient avec larmes d'avoir pitié des accusés, et d'inspirer aux juges des sentiments de clémence. La voix des bourreaux, le bruit des coups, les menaces des[Pg 335] magistrats les glacent d'effroi; ils prêtent l'oreille à toutes les interrogations; à chaque coup, à chaque gémissement qu'ils entendent, ils tremblent pour leurs parents, pour eux-mêmes; ils craignent d'être nommés entre les complices; mais rien n'égale la douleur des femmes: enveloppées de leurs voiles, se roulant à terre, et se traînant aux pieds des soldats, elles les supplient en vain de leur permettre l'entrée; elles conjurent les moindres officiers qui passent devant elles, de compatir au malheur de leurs proches, et de leur prêter quelque secours: entendant les cris douloureux de leurs pères, de leurs fils, de leurs maris, elles y répondent par des cris lamentables; elles ressentent au fond de leurs cœurs tous les coups dont ils sont frappés; et les dehors du prétoire présentent un spectacle aussi déplorable que les rigueurs qu'on exerce au-dedans.

XXVI.

Punitions.

Ce jour affreux et funeste se passa à interroger et à convaincre les coupables. La nuit était déjà venue; on attendait au dehors, dans des transes mortelles, la décision des magistrats: on demandait à Dieu, par les vœux les plus ardens, qu'il touchât le cœur des juges; qu'ils voulussent bien accorder quelque délai, et renvoyer le jugement à l'empereur, lorsque tout-à-coup les portes du prétoire s'ouvrirent. On vit sortir à la lueur des flambeaux, entre deux haies de soldats, les premiers de la ville chargés de chaînes, languissants et se traînant à peine, les tortures ne leur ayant laissé de vie qu'autant qu'il en fallait pour mourir de la main des bourreaux à la vue de leurs concitoyens. On avait voulu commencer ce terrible exemple par la punition des plus nobles. On les conduisit au lieu des exécutions. Leurs mères, leurs femmes, leurs filles, plus mortes[Pg 336] qu'eux-mêmes, veulent les suivre et manquent de forces. Le désespoir les ranime; elles courent, elles voyent leurs proches tomber sous le glaive et tombent avec eux par la violence de leur douleur. On les emporte à leurs maisons. Elles en trouvent les portes scellées du sceau public; on avait déja ordonné la confiscation de leurs biens; et ces femmes distinguées par leur rang et par leur naissance, sont réduites à mendier un asyle, qu'elles ne trouvent qu'avec peine, la plupart de leurs parents et de leurs amis refusant de leur donner retraite, de peur de partager leur crime en soulageant leur infortune. On continua pendant cinq jours de faire le procès aux coupables; plusieurs innocents furent enveloppés dans la condamnation, s'étant déclarés criminels dans la force des tortures. Les uns périrent par l'épée; d'autres par le feu; on en livra plusieurs aux bêtes: on ne fit pas même grace aux enfants. Tant de supplices ne rassuraient pas ceux qui restaient; après tant de coups redoublés, la foudre semblait toujours gronder sur leurs têtes: ils craignaient les effets de la colère du prince; et quoiqu'il ne pût encore être instruit de la sédition, on entendait sans cesse répéter dans la ville: L'empereur sait-il la nouvelle? Est-il irrité? L'a-t-on fléchi? Qu'a-t-il ordonné? Voudra-t-il perdre Antioche? Pour effacer, s'il était possible, la mémoire du soulèvement, chacun s'empressait de payer l'impôt qui en avait été l'occasion. Loin de le trouver alors insupportable, les habitants offraient de se dépouiller de tous leurs biens, et d'abandonner à l'empereur leurs maisons et leurs terres, pourvu qu'on leur laissât la vie.

XXVII.

Changement des habitants d'Antioche.

Chrysost. Hom. 4, c. 2, hom. 6, c. 1, hom. 15, c. 1, hom. 17, c. 2, hom. 18, c. 4.

Liban. or. 12, t. 2, p. 403.

Antioche était une ville de plaisir et de dissolution:[Pg 337] l'adversité, cette excellente maîtresse de la philosophie chrétienne, la changea tout-à-coup: plus de jeux, plus de festins de débauche, de chansons et de danses lascives, de divertissements tumultueux. On n'y entendait plus que des prières et le chant des psaumes. Les chrétiens, qui faisaient la moitié des habitants, pratiquaient toutes les vertus; les païens avaient renoncé à tous les vices. Le théâtre était abandonné; on passait les journées entières dans l'église, où les cœurs les plus agités se reposent dans le sein de Dieu même. Toute la ville semblait être devenue un monastère. Libanius en gémit; saint Jean Chrysostôme en félicite les habitants; il préfère aux emportements insensés de leur gaieté ordinaire, les fruits heureux de leur infortune et de leur tristesse.

XXVIII.

Discours de S. Jean Chrysostôme.

Pallad. dial.

Socr. l. 5, c. 3.

Chrysost. Hom. 2, c. 1, et 2 hom. 4, c. 1, hom. 5, passim. hom. 6, c. 3, 4 et 5. hom. 14, c. 1;

Soz. l. 8, c. 2.

Zon. l. 13, t. 2, p. 36.

Vita S. Joan. Chrysost. Benedict.

Fleury, hist. éccles. l. 19, c. 7 et 9.

[Till. Théod. not. 29.]

Ce grand homme animé de l'esprit de Dieu, fut seul, dans ces jours d'alarme et de douleur, la consolation d'un peuple nombreux. Il était né à Antioche l'an 347, de parents nobles. Il avait pris les leçons de Libanius. Mais la beauté de son génie, le goût du vrai et du grand, la lecture assidue de ces admirables modèles que l'ancienne Grèce avait enfantés, et surtout l'étude de l'Écriture sainte, dont la sublime simplicité passa dans son esprit comme dans son cœur, lui donnèrent un ton d'éloquence fort supérieure à celle de son maître. Ce fut une de ces ames choisies que la sagesse de Dieu se plaît à former de temps en temps, et à montrer aux hommes pour leur apprendre jusqu'à quel degré peuvent s'élever les forces humaines soutenues de la grace divine. Il embrassa d'abord la profession d'avocat. L'injustice des hommes qu'il voyait de trop près, l'en dégoûta presque aussitôt. Saint Mélétius le fit lecteur. Il[Pg 338] se retira dans la solitude; et le Démosthène du christianisme, vécut pendant deux ans renfermé dans une caverne, où il ne s'occupait que de la prière et de l'étude. Le mauvais état de sa santé l'en fit sortir à l'âge de trente-trois ans. Il fut bientôt après ordonné diacre par saint Mélétius. Flavien lui conféra la prêtrise en 385 ou 386, et lui confia le ministère de la parole. Il était alors dans un âge où l'on peut être assez instruit et assez exercé dans la pratique de la morale évangélique, pour accepter sans présomption le redoutable emploi de la prêcher aux autres hommes. Il parut comme un ange chargé d'annoncer les ordres du ciel; et s'attira, sans y prétendre et sans en vouloir tirer aucun avantage temporel, l'admiration de toute la ville d'Antioche. L'éclat, la solidité, la force, la pureté de son éloquence, lui fit donner avec raison le surnom de Chrysostôme. Depuis le vendredi 26 février, jour de la sédition, jusqu'au jeudi de la semaine suivante, il demeura dans le silence. Enfin, lorsque les plus coupables furent punis, que plusieurs de ceux que la terreur avait bannis de la ville, commençaient à y revenir, et qu'il ne restait plus que l'inquiétude de la vengeance du prince, il monta dans la tribune. Pendant tout le temps du carême, qui commença cette année à Antioche le huitième de mars, il continua de prêcher au peuple, dont il sut calmer les craintes et essuyer les larmes; et l'on doit principalement attribuer à ce grand orateur la tranquillité où la ville se maintint au milieu des diverses alarmes qui survinrent. Il prononça dans cet intervalle vingt discours comparables à tout ce qu'Athènes et Rome ont produit de plus éloquent. L'art en est merveilleux. Incertain du parti que voudra prendre Théodose, il mêle ensemble[Pg 339] l'espérance du pardon et le mépris de la mort, et dispose ses auditeurs à recevoir avec soumission et sans trouble, les ordres de la providence. Il entre toujours avec tendresse dans les sentiments de ses citoyens; mais il les relève et les fortifie. Jamais il ne les arrête trop long-temps sur la vue de leurs malheurs; bientôt il les transporte de la terre au ciel. Pour les distraire de la crainte présente, il leur en inspire une autre plus vive: il les occupe du souvenir de leurs vices, et leur montre le bras de Dieu levé sur leurs têtes et infiniment plus terrible que celui du prince.

XXIX.

Flavien part pour fléchir l'empereur.

Chrysost. Hom. 3, c. 1, et 2. hom. 6, c. 2, hom. 17, c. 2, hom. 21, c. 1.

Liban. de vita, t. 2, p. 75, et or. 12, p. 389.

Zos. l. 4, c. 41.

Il y avait déja huit jours que les courriers qui portaient à l'empereur la nouvelle de la sédition, étaient partis d'Antioche, lorsqu'on apprit qu'ils avaient été arrêtés dans leur route par divers accidents, et obligés de quitter les chevaux de poste pour prendre les voitures publiques. On crut qu'il était encore temps de les prévenir; et toute la ville s'adressa à l'évêque Flavien, prélat vénérable par sa sainteté, et chéri de l'empereur. Il accepta cette pénible commission; et ni les infirmités d'une extrême vieillesse, ni la fatigue d'un long voyage dans une saison incommode et pluvieuse, ni l'état où se trouvait une sœur unique qu'il aimait tendrement et qu'il laissait au lit de la mort, ne purent arrêter son zèle. Résolu de mourir ou de fléchir la colère du prince, il part au milieu des larmes de son peuple. Tous les cœurs le suivent par leurs vœux; on espère que la bonté naturelle de l'empereur ne pourra se défendre d'écouter un prélat si respecté. Zosime fait honneur de cette députation à Libanius et à un certain Hilaire distingué, dit-il[639], par sa naissance et par son[Pg 340] savoir. Nous avons en effet deux discours de Libanius, qui semblent avoir été prononcés devant l'empereur, l'un pour apaiser sa colère, l'autre pour louer sa clémence. Mais ce n'est qu'une fiction de déclamateur. Si l'on s'en rapporte à Libanius lui-même, il paraît qu'il ne sortit point de la ville. Ce sophiste qui veut toujours jouer un grand rôle, prétend avoir beaucoup servi à rassurer les habitants et à disposer ensuite à la douceur les commissaires de Théodose. Il y a tout lieu de croire que ce récit de Zosime n'est qu'une fable inventée pour dérober aux chrétiens la gloire d'avoir sauvé Antioche.

[639] Selon Zosime, Théodose le fit ensuite gouverneur de toute la Palestine. Ἱλάριος δὲ δια τὸ μέγεθος τῆς ἀρετῆς, ἐπαίνων ἀξιωθεὶς, ἄρχειν παρὰ βασιλέως ἐτάττετο Παλαίστινης ἀπάσης. Zos. l. 4, c. 41.—S.-M.

XXX.

Colère de l'empereur.

Chrysost. Hom. 14, c. 6, t. 2, p. 149; hom. 17, c. 2, p. 172.

Idem, in ep. ad Coloss. Hom. 7, c. 3, t. 11, p. 374.

Liban. or. 13, t. 2, p. 408 et 418. et or. 20, p. 517.

Theod. l. 5, c. 19.

Zos. l. 4, c. 41.

Soz. l. 7, c. 23.

Theoph. p. 60.

Till. Théod. not. 30.

Quoique Flavien fît une extrême diligence, il ne put atteindre les courriers. Ils arrivèrent avant lui, et leur rapport excita dans Théodose cette violente colère dont les premiers accès étaient toujours prompts et terribles. Il était moins irrité du renversement de ses propres statues, que des outrages faits à celles de Flaccilla et de son père. L'ingratitude d'Antioche redoublait encore son courroux: il avait distingué cette ville entre toutes celles de l'empire par des marques de sa bienveillance; il y avait ajouté de superbes édifices. On venait d'achever par ses ordres un nouveau palais dans le faubourg de Daphné, et il avait promis de venir incessamment honorer Antioche de sa présence. Son premier mouvement fut de détruire la ville et d'ensevelir les habitants sous ses ruines. Étant revenu de cet accès d'emportement, il choisit le général Hellébichus, et Césarius maître des offices pour l'exécution d'une vengeance plus conforme aux règles de la justice. Comme il ignorait encore la punition des principaux auteurs[Pg 341] du désordre, il chargea ces commissaires d'informer contre les coupables, avec pouvoir de vie et de mort. Il leur donna ordre de fermer le théâtre, le cirque et les bains publics; d'ôter à la ville son territoire, ses priviléges et la qualité de métropole; de la réduire, comme avait autrefois fait l'empereur Sévère, à la condition d'un simple bourg soumis à Laodicée, son ancienne rivale, qui deviendrait par ce changement métropole de la Syrie; de retrancher aux pauvres la distribution de pain, qui était établie dans Antioche comme dans Rome et dans Constantinople.

XXXI.

Arrivée des commissaires.

Chrysost. Hom. 12, c. 1, hom. 16, c. 1, hom. 17, c. 1, hom. 18, c. 4, hom. 21, c. 2.

Liban. or. 13, t. 2, p. 407, 20. p. 517, 21, p. 529.

Hellébichus et Césarius étant partis avec ces ordres rigoureux, rencontrèrent Flavien et redoublèrent sa douleur. Il continua sa route avec plus d'empressement pour obtenir quelque grace. Les deux commissaires se hâtèrent d'arriver en Syrie. La renommée qui les devança, renouvela la terreur dans Antioche. On publiait qu'ils venaient à la tête d'une troupe de soldats qui ne respiraient que le sang et le pillage. Les habitants prononçaient eux-mêmes leur propre sentence: On égorgera le sénat; on détruira la ville de fond en comble; on la réduira en cendres avec son peuple; on y fera passer la charrue; et, pour éteindre notre race, on poursuivra le fer et le feu à la main, jusque dans les montagnes et les déserts, ceux qui y chercheront une retraite. On attendait en tremblant le moment de leur arrivée. On se disposait de nouveau à prendre la fuite. Le gouverneur, qui était païen, vint à l'église, où une multitude innombrable s'était assemblée, comme dans un asile; il y parla au peuple, et s'efforça de le rassurer. Lorsqu'il se fut retiré, saint Jean Chrysostôme fit reproche aux chrétiens d'avoir eu besoin d'une voix[Pg 342] étrangère pour affermir des cœurs que la confiance en Dieu devait rendre inébranlables. Enfin, ceux qui connaissaient le caractère des deux officiers, vinrent à bout de calmer ces alarmes. On commença de se persuader que le prince ne voulait pas ruiner Antioche, puisqu'il confiait sa vengeance à deux ministres si équitables et si modérés. A leur approche, une foule de peuple sortit au-devant d'eux, et les conduisit à leur demeure avec des acclamations mêlées de prières et de larmes. C'était le soir du 29 de mars.

XXXII.

Conduite qu'ils y tiennent.

Chrysost. Hom. 17, c. 2, hom 18, c. 1 et 4.

Liban. or. 12, t. 2, p. 398, 20, p. 517, 21, 529 et seq.

Greg. Naz. ep. 123, t. 1, p. 857.

En effet, les deux commissaires n'étaient pas de ces courtisans vils et mercenaires qui, livrés sans réserve à la passion de leur maître, vont aussi vite que son caprice, et lui préparent d'inutiles repentirs. C'étaient des hommes prudents et vertueux. Hellébichus était même uni d'amitié avec saint Grégoire de Nazianze; et c'est une louange pour Théodose d'avoir choisi dans sa colère, deux ministres propres, non pas à la servir aveuglément, mais à la diriger et à la retenir dans les bornes d'une exacte justice. Ils apprirent en arrivant que les magistrats les avaient prévenus, et que la sédition était déja punie par des exemples assez rigoureux. Cependant, par les ordres du prince, ils se voyaient réduits à la triste nécessité de rouvrir les plaies récentes de cette malheureuse ville, et d'en faire encore couler du sang. Ils signifièrent d'abord la révocation de tous les priviléges d'Antioche.

XXXIII.

Informations nouvelles.

Chrysost. Hom. 17, c. 1 et 2; hom. 18, c. 1 et 4.

Liban. or. 20, t. 2, p. 517; 21, p. 530.

Le lendemain ils firent comparaître tous ceux qui composaient le conseil de la ville. Ils écoutèrent et les accusations formées contre eux, et leurs réponses. L'humanité des juges adoucissait autant qu'il leur était permis, la sévérité de leur ministère: ils n'employaient[Pg 343] ni soldats ni licteurs pour imposer silence; ils permettaient aux accusés de plaindre leur sort, de verser des pleurs; ils en versaient eux-mêmes; mais ils ne leur laissaient espérer aucune grace; ils paraissaient à la fois compatissants et inflexibles. Sur la fin du jour ils firent renfermer tous ceux qui étaient convaincus, dans une grande enceinte de murailles, sans toit et sans aucune retraite qui pût les garantir des injures de l'air. C'étaient les personnes les plus considérables d'Antioche par leur naissance, par leurs emplois et par leurs richesses. Toutes les familles nobles prirent le deuil; la ville perdait avec eux tout ce qu'elle avait d'éclat et de splendeur.

XXXIV.

Courage des moines.

Chrysost. Hom. 17, c. 1 et 2, hom. 18, c. 4.

Liban. or. 21, t. 2. p. 531.

Theod. l. 5, c. 20.

Le troisième jour devait être le plus funeste: tous les habitants étaient glacés d'effroi. C'était le jour destiné au jugement et à l'exécution des coupables. Avant le lever du soleil les commissaires sortent de leur demeure à la lueur des flambeaux. Ils montraient une contenance plus sévère que la veille, et l'on croyait déja lire sur leur front la sentence qu'ils allaient prononcer. Comme ils traversaient la grande place, suivis d'une foule de peuple, une femme avancée en âge, la tête nue, les cheveux épars, saisit la bride du cheval d'Hellébichus, et s'y tenant attachée, elle l'accompagne avec des cris lamentables. Elle demandait grace pour son fils, distingué par ses emplois et par le mérite de son père. En même temps Hellébichus et Césarius se voient environnés d'une multitude inconnue, que des vêtements lugubres, des visages pâles et exténués faisaient ressembler à des fantômes plutôt qu'à des hommes. C'étaient les solitaires des environs d'Antioche, qui[Pg 344] dans cette conjoncture étaient accourus de toutes parts; et tandis que les philosophes païens, plus orgueilleux, mais aussi timides que le vulgaire, étaient allés chercher leur sûreté sur les montagnes et dans les cavernes, les moines, qui étaient alors les vrais philosophes du christianisme et qui portaient ce nom à juste titre, avaient abandonné leurs cavernes et leurs montagnes, pour venir consoler et secourir leurs concitoyens. Ils s'attroupent en grand nombre autour des commissaires; ils leur parlent avec hardiesse; ils offrent leurs têtes à la place des accusés; ils protestent qu'ils ne quitteront les juges qu'après avoir obtenu grace. Ils demandent d'être envoyés à l'empereur: Nous avons, disent-ils, un prince chrétien et religieux; il écoutera nos prières; nous ne vous permettrons pas de tremper vos mains dans le sang de vos frères, ou nous mourrons avec eux. Hellébichus et Césarius tâchaient de les écarter, en leur répondant qu'ils n'étaient pas maîtres de pardonner, et qu'ils ne pouvaient désobéir au prince sans se rendre eux-mêmes aussi coupables que le peuple d'Antioche.

XXXV.

Hardiesse de Macédonius.

Ils continuaient leur marche, lorsqu'un vieillard dont l'extérieur n'avait rien que de méprisable, s'avança à leur rencontre. Il était de petite taille, vêtu d'habits sales et déchirés. Saisissant par le manteau l'un des deux commissaires, il leur commanda à tous deux de descendre de cheval. Indignés de cette audace, ils allaient le repousser avec insulte, lorsqu'on leur dit que c'était Macédonius. Ce nom les frappa d'une vénération profonde. Macédonius vivait depuis long-temps sur le sommet des plus hautes montagnes de Syrie,[Pg 345] occupé jour et nuit de la prière. L'austérité de sa vie lui avait fait donner le surnom de Crithophage[640], parce qu'il ne se nourrissait que de farine d'orge. Quoiqu'il fût très-simple, sans aucune connaissance des choses du monde, et qu'il se fût rendu comme invisible aux autres hommes, il était célèbre dans tout l'Orient. Les commissaires s'étant jetés à ses pieds, le priaient de leur pardonner, et de souffrir qu'ils exécutassent les ordres de l'empereur. Alors ce solitaire, instruit par la sagesse divine, leur parla en ces termes: «Mes amis, portez ces paroles au prince: Vous n'êtes pas seulement empereur, vous êtes homme, et vous commandez à des hommes de même nature que vous. L'homme a été formé à la ressemblance de Dieu. N'est-ce donc pas un attentat contre Dieu même, de détruire cruellement son image? On ne peut outrager l'ouvrage, sans irriter l'ouvrier. Considérez à quelle colère vous emporte l'insulte faite à une figure de bronze. Et une figure vivante, animée, raisonnable, n'est-elle pas d'un plus grand prix? Il nous est aisé de rendre à l'empereur vingt statues pour une seule; mais après nous avoir ôté la vie, il lui sera impossible de rétablir un seul cheveu de notre tête.» Le discours de cet homme sans lettres[641] fit une vive impression sur les commissaires. Ils promirent à Macédonius de faire part à l'empereur de ses sages remontrances.

[640] Κριθοφάγος, c'est-à-dire mangeur d'orge. Théodoret a donné la vie de ce personnage dans son Histoire monastique, c. 13.—S.-M.

[641] Théodoret nous apprend que ce solitaire, qui ne savait pas le grec, s'exprima en langue syriaque, τῇ Σύρῳ ἔλεγε γλώττῃ. c. 13. Des interprètes furent chargés de rendre en grec le sens de son discours.—S.-M.

XXXVI.

Les commissaires remettent l'affaire au jugement de l'empereur.

Chrysost. Hom. 17, c. 2, t. 2, p. 572.

Liban. or. 21, t. 2, p. 531 et 532.

Ils se trouvaient dans un extrême embarras, et n'étaient guère moins agités au-dedans d'eux-mêmes, que[Pg 346] les coupables dont ils devaient prononcer la sentence. D'un côté, les ordres de l'empereur leur faisaient craindre d'attirer sur eux toute sa colère; de l'autre, les cris et les vives instances des habitants et surtout des moines, dont les plus hardis menaçaient d'arracher les criminels des mains des bourreaux, et de subir eux-mêmes le supplice, désarmaient leur sévérité. Dans cet état d'incertitude, ils arrivèrent aux portes du prétoire, où l'on avait déja conduit ceux qui devaient être condamnés. Ils y rencontrèrent un nouvel obstacle. Les évêques qui étaient alors dans Antioche, et il s'en trouvait toujours quelques-uns dans cette capitale de l'Orient, se présentent devant eux; ils les arrêtent et leur déclarent que s'ils ne veulent leur passer sur le corps, il faut qu'ils leur promettent de laisser la vie aux prisonniers. Sur le refus des commissaires, ils s'obstinent à leur fermer le passage. Enfin Césarius et Hellébichus ayant témoigné par un signe de tête qu'ils leur accordaient leur demande, ces prélats poussent un cri de joie, ils leur baisent les mains, ils embrassent leurs genoux. Le peuple et les moines se jettent en même temps dans le prétoire, et la garde ne peut arrêter cette foule impétueuse. Alors cette mère éplorée, qui n'avait pas quitté la bride du cheval d'Hellébichus, apercevant son fils chargé de chaînes, court à lui, l'entoure de ses bras, le couvre de ses cheveux, le traîne aux pieds d'Hellébichus, et les arrosant de ses larmes, elle conjure ce général avec des cris et des sanglots, de lui rendre l'unique soutien de sa vieillesse, ou de lui arracher à elle-même la vie. Les moines redoublent leurs instances: ils supplient les juges de renvoyer le jugement à l'empereur; ils offrent de partir sur-le-champ[Pg 347] et promettent d'obtenir la grace de tant de malheureux. Les commissaires ne pouvant retenir leurs larmes, se rendent enfin; ils consentent à surseoir l'exécution jusqu'à la décision de Théodose. Mais ils ne veulent pas exposer tant de vieillards, atténués par les austérités, aux fatigues d'un long et pénible voyage: ils leur demandent seulement une lettre; ils se chargent de la porter au prince et d'y joindre les plus pressantes sollicitations. Les solitaires composèrent une requête dans laquelle, en implorant la clémence de Théodose, ils lui mettaient devant les yeux le jugement de Dieu, et protestaient que s'il fallait encore du sang pour apaiser son courroux, ils étaient prêts à donner leur vie pour le peuple d'Antioche.

XXXVII.

La joie renaît dans Antioche.

Chrysost. Hom. 17, c. 2, hom. 18, c. 4, hom. 20, c. 7.

Liban. or. 21, t. 2, p. 533.

Les deux commissaires convinrent qu'Hellébichus demeurerait dans la ville, et que Césarius irait à Constantinople. Ils firent transférer les criminels dans une prison plus commode. C'était un vaste édifice, orné de portiques et de jardins, où, sans les délivrer de leurs chaînes, on leur permit de recevoir toutes les consolations de la vie. Cette nouvelle fit renaître l'espérance, dont les effets se diversifiaient selon la différence des caractères. Les citoyens sensés bénissaient Dieu et lui rendaient des actions de grâces; ils se flattaient que l'empereur, en considération de la fête de Pâques qui approchait, pardonnerait les offenses qu'il avait reçues. Mais une jeunesse dissolue, dont cette ville voluptueuse était remplie, s'abandonnait déja aux excès d'une joie extravagante; elle avait en un moment oublié tous ses malheurs. Dès le lendemain du départ de Césarius, pendant que les principaux d'Antioche étaient dans les fers, et le pardon encore incertain,[Pg 348] les bains publics étant fermés, une troupe de jeunes libertins coururent au fleuve, sautant, dansant, chantant des chansons lascives, et entraînant avec eux les femmes qu'ils rencontraient. Ces désordres n'échappèrent pas aux sévères réprimandes de saint Jean Chrysostôme: pour les tirer de cette folle sécurité, il fit de nouveau gronder sur leurs têtes le tonnerre de la vengeance divine et les menaces de celle du prince.

XXXVIII.

Césarius va trouver l'empereur.

Liban. or. 20, t. 2, p. 519-521.

Theod. l. 5, c. 20.

Soz. l. 7, c. 23.

Césarius était parti dès le soir même. Une foule de peuple et surtout les femmes, remplissaient le chemin sur son passage jusqu'à la distance de près de deux lieues. Mais ce sage officier voulant éviter l'éclat des acclamations populaires, attendit que la nuit eût obligé cette multitude de se retirer. Afin de faire plus de diligence, il n'avait pris avec lui que deux domestiques; et le soir du lendemain, il était déja sur les frontières de la Cappadoce. Il ne s'arrêta dans sa route que pour changer de relais, et ne sortit de son chariot ni pour dormir ni pour prendre sa nourriture; il volait avec plus d'empressement que s'il se fût agi de sa propre vie. Quoiqu'il y eût plus de trois cents lieues d'Antioche à Constantinople, il arriva dans cette dernière ville le sixième jour après midi. Comme il était sans suite, il y entra sans être connu, et se fit sur-le-champ annoncer à l'empereur. Il lui présenta le procès-verbal qui contenait le détail de la sédition et de ses suites. Il n'y avait pas oublié la requête des moines et la remontrance de Macédonius. Il en fit la lecture par ordre du prince. Aussitôt, se jetant à ses pieds, il lui représenta le désespoir des habitants, les châtiments rigoureux qu'ils avaient déja éprouvés, la gloire qui lui reviendrait de la clémence. Théodose versa des larmes;[Pg 349] son cœur commençait à s'attendrir; mais la colère combattait encore ces premiers mouvements de compassion.

XXXIX.

Flavien se présente à Théodose.

Chrysost. hom. 21, c. 2, t. 2, p. 215.

Il y avait déja sept ou huit jours que Flavien était arrivé à Constantinople. Mais soit qu'il crût l'empereur encore trop irrité, soit que ce prince l'évitât à dessein, il ne s'était point jusqu'alors présenté à Théodose. Plongé dans la douleur la plus amère, il ne s'occupait que des maux de son peuple; son absence les lui rendait plus sensibles, parce qu'il ne pouvait les soulager; ses entrailles étaient déchirées; il passait les jours et les nuits à verser des larmes devant Dieu, le priant d'amollir le cœur du prince. L'arrivée de Césarius lui rendit le courage; il alla au palais; et ce fut peut-être Césarius même qui lui procura une audience, afin d'appuyer ses prières de celles de ce saint évêque. Dès que Flavien parut devant l'empereur, il se tint éloigné, dans un morne silence, le visage baissé vers la terre, comme s'il eût été chargé de tous les crimes de ses compatriotes. Théodose le voyant confus et interdit, s'approcha lui-même, et levant à peine les yeux, le cœur serré de douleur, au lieu de s'abandonner aux éclats d'un juste courroux, il semblait faire une apologie. Rappelant en peu de mots tout ce qu'il avait fait pour Antioche, il ajoutait à chaque trait: C'est donc ainsi que j'ai mérité tant d'outrages. Enfin, après le récit des bienfaits dont il avait comblé cette ville ingrate: «Quelle est donc l'injustice dont ils ont prétendu se venger? continua-t-il: pourquoi, non contents de m'insulter, ont-ils porté leur fureur jusque sur les morts? Si j'étais coupable à leur égard, pourquoi outrager ceux qui ne sont plus et qui ne les[Pg 350] ont jamais offensés? N'ai-je pas donné à leur ville des marques de préférence sur toutes les autres de l'empire? Je désirais ardemment de la voir; j'en parlais sans cesse; j'attendais avec impatience le moment où je pourrais en personne recevoir les témoignages de leur affection, et leur en donner de ma tendresse».

XL.

Discours de Flavien.

Chrysost. Hom. 21, c. 3, t. 2, p. 217.

Flavien pénétré de ces justes reproches et poussant un profond soupir, rompit enfin le silence, et d'une voix entrecoupée de sanglots: «Prince, dit-il, notre ville infortunée n'a que trop de preuves de votre amour, et ce qui faisait sa gloire fait aujourd'hui sa honte et notre douleur. Détruisez-la jusqu'aux fondements, réduisez-la en cendres, faites périr jusqu'à nos enfants par le tranchant de l'épée, nous méritons encore de plus sévères châtiments; et toute la terre, épouvantée de notre supplice, avouera cependant qu'il est au-dessous de notre ingratitude. Nous en sommes même déja réduits à ne pouvoir être plus malheureux. Accablés de votre disgrace, nous ne sommes plus qu'un objet d'horreur. Nous avons dans votre personne offensé l'univers entier; il s'élève contre nous plus fortement que vous-même. Il ne reste à nos maux qu'un seul remède. Imitez la bonté de Dieu: outragé par ses créatures, il leur a ouvert les cieux. J'ose le dire, grand prince; si vous nous pardonnez, nous devrons notre salut à votre indulgence, mais vous devrez à notre offense l'éclat d'une gloire nouvelle. Nous vous aurons, par notre attentat, préparé une couronne plus brillante que celle dont Gratien a orné votre tête; vous ne la tiendrez que de votre vertu. On a détruit vos statues:[Pg 351] ah! qu'il vous est facile d'en rétablir qui soient infiniment plus précieuses! Ce ne seront pas des statues muettes et fragiles, exposées dans les places aux caprices et aux injures: ouvrages de la clémence, et aussi immortelles que la vertu même, celles-ci seront placées dans tous les cœurs, et vous aurez autant de monuments qu'il y a d'hommes sur la terre et qu'il y en aura jamais. Non, les exploits guerriers, les trésors, la vaste étendue d'un empire ne procurent pas aux princes un honneur aussi pur et aussi durable que la bonté et la douceur. Rappelez-vous les outrages que des mains séditieuses firent aux statues de Constantin, et les conseils de ces courtisans qui l'excitaient à la vengeance: vous savez que ce prince portant alors la main à son front, leur répondit en souriant, Rassurez-vous, je ne suis point blessé. On a oublié une grande partie des victoires de cet illustre empereur; mais cette parole a survécu à ses trophées; elle sera entendue des siècles à venir; elle lui méritera à jamais les éloges et les bénédictions de tous les hommes. Qu'est-il besoin de vous mettre sous les yeux des exemples étrangers? Il ne faut vous montrer que vous-même. Souvenez-vous de ce soupir généreux, que la clémence fit sortir de votre bouche, lorsqu'aux approches de la fête de Pâques, annonçant par un édit aux criminels leur pardon, et aux prisonniers leur délivrance, vous ajoutâtes: Que n'ai-je aussi le pouvoir de ressusciter les morts! Vous pouvez faire aujourd'hui ce miracle: Antioche n'est plus qu'un sépulcre; ses habitants ne sont plus que des cadavres; ils sont morts avant le supplice qu'ils ont mérité: vous pouvez d'un seul mot leur[Pg 352] rendre la vie. Les infidèles s'écrieront: Qu'il est grand le Dieu des chrétiens! des hommes, il en sait faire des anges; il les affranchit de la tyrannie de la nature. Ne craignez pas que notre impunité corrompe les autres villes: hélas! notre sort ne peut qu'effrayer. Tremblants sans cesse, regardant chaque nuit comme la dernière, chaque jour comme celui de notre supplice, fuyant dans les déserts, en proie aux bêtes féroces, cachés dans les cavernes, dans les creux des rochers, nous donnons au reste du monde l'exemple le plus funeste. Détruisez Antioche; mais détruisez-la comme le Tout-Puissant détruisit autrefois Ninive: effacez notre crime par le pardon; anéantissez la mémoire de notre attentat, en faisant naître l'amour et la reconnaissance. Il est aisé de brûler des maisons, d'abattre des murailles: mais de changer tout-à-coup des rebelles en sujets fidèles et affectionnés, c'est l'effet d'une vertu divine. Quelle conquête une seule parole peut vous procurer! Elle vous gagnera les cœurs de tous les hommes. Quelle récompense vous recevrez de l'Éternel! Il vous tiendra compte non-seulement de votre bonté, mais aussi de toutes les actions de miséricorde que votre exemple produira dans la suite des siècles. Prince invincible, ne rougissez pas de céder à un faible vieillard, après avoir résisté aux prières de vos plus braves officiers: ce sera céder au souverain des empereurs, qui m'envoie pour vous présenter l'Évangile, et vous dire de sa part: Si vous ne remettez pas les offenses commises contre vous, votre père céleste ne vous remettra pas les vôtres. Représentez-vous ce jour terrible, dans lequel les princes et les sujets comparaîtront[Pg 353] au tribunal de la suprême justice; et faites réflexion que toutes vos fautes seront alors effacées, par le pardon que vous nous aurez accordé. Pour moi, je vous le proteste, grand prince, si votre juste indignation s'apaise, si vous rendez à notre patrie votre bienveillance, j'y retournerai avec joie; j'irai bénir avec mon peuple la bonté divine, et célébrer la vôtre. Mais si vous ne jetez plus sur Antioche que des regards de colère, mon peuple ne sera plus mon peuple; je ne le reverrai plus; j'irai dans une retraite éloignée cacher ma honte et mon affliction; j'irai pleurer jusqu'à mon dernier soupir, le malheur d'une ville qui aura rendu implacable à son égard le plus humain et le plus doux de tous les princes.»

XLI.

Clémence de l'empereur.

Chrysost. Hom. 21, c. 4, t. 2, p. 222.

Theod. l. 5, c. 20.

Soz. l. 7, c. 23.

Pendant le discours de Flavien, l'empereur avait fait effort sur lui-même pour resserrer sa douleur. Enfin, ne pouvant plus retenir ses larmes: Pourrions-nous, dit-il, refuser le pardon à des hommes semblables à nous, après que le maître du monde s'étant réduit pour nous à la condition d'esclave, a bien voulu demander grace à son père pour les auteurs de son supplice qu'il avait comblés de ses bienfaits! Flavien, touché de la plus vive reconnaissance, demandait à l'empereur la permission de demeurer à Constantinople, pour célébrer avec lui la fête de Pâques: Allez, mon père, lui dit Théodose; hâtez-vous de vous montrer à votre peuple, rendez le calme à la ville d'Antioche; elle ne sera parfaitement rassurée après une si violente tempête, que lorsqu'elle reverra son pilote. L'évêque le suppliait d'envoyer son fils Arcadius: le prince, pour lui témoigner que s'il lui refusait cette grace, ce n'était par aucune impression de[Pg 354] ressentiment, lui répondit: Priez Dieu qu'il me délivre des guerres dont je suis menacé, et vous me verrez bientôt moi-même. Lorsque le prélat eut passé le détroit, Théodose lui envoya encore des officiers de sa cour pour le presser de se rendre à son troupeau avant la fête de Pâques. Quoique Flavien usât de toute la diligence dont il était capable, cependant pour ne pas dérober à son peuple quelques moments de joie, il se fit devancer par des courriers, qui portèrent la lettre de l'empereur avec une promptitude incroyable.

XLII.

Le pardon est annoncé aux habitants d'Antioche.

Chrysost. Hom. 21, c. 1, et 4, t. 2, p. 213 et 222.

Liban. or. 13. t. 2, p. 418. 20, p. 522, 21, p. 535.

Depuis que Césarius était parti d'Antioche, les esprits flottaient entre l'espérance et la crainte. Les prisonniers surtout recevaient sans cesse des alarmes par les bruits publics qui se répandaient, que l'empereur était inflexible; qu'il persistait dans la résolution de ruiner la ville. Leurs parents et leurs amis gémissant avec eux, leur disaient tous les jours le dernier adieu, et l'éloquente charité de saint Jean Chrysostôme pouvait à peine les rassurer. Enfin, la lettre de Théodose arriva pendant la nuit et fut rendue à Hellébichus. Cet officier généreux sentit le premier toute la joie qu'il allait répandre dans Antioche. Il attendit le jour avec impatience; et dès le matin il se transporta au prétoire. L'allégresse peinte sur son visage annonçait le salut; il fut bientôt environné d'une foule de peuple qui poussait des cris de joie; et ce lieu arrosé de tant de larmes quelques jours auparavant, retentissait d'acclamations et d'éloges. Tous ceux que la crainte avait jusqu'alors tenus cachés, accouraient avec transport: tous s'efforçaient d'approcher d'Hellébichus. Ayant imposé silence, il fit lui-même la lecture de la lettre; elle contenait des reproches tendres et paternels: Théodose[Pg 355] y paraissait plus touché des insultes faites à Flaccilla et à son père, que de celles qui tombaient sur lui-même. Il y censurait cet esprit de révolte et de mutinerie qui semblait faire le caractère du peuple d'Antioche; mais il ajoutait qu'il était encore plus naturel à Théodose de pardonner. Il témoignait être affligé que les magistrats eussent ôté la vie à quelques coupables, et finissait par révoquer tous les ordres qu'il avait donnés pour la punition de la ville et des habitants.

XLIII.

Joie de toute la ville.

Chrysost. Hom. 21, c. 4, t. 2, p. 222.

Idem in ep. ad Coloss. Hom. 7, c. 3, t. 11, p. 374.

Liban. or. 13, t. 2, p. 408; 21, p. 535.

A ces mots, il s'élève un cri général. Tous se dispersent pour aller porter cette heureuse nouvelle à leurs femmes et à leurs enfants. La veille on accusait de lenteur et Flavien et Césarius; aujourd'hui on s'étonne qu'une affaire si importante, si difficile, ait été si promptement terminée. On ouvre les bains publics; on orne les rues et les places de festons et de guirlandes; on y dresse des tables; Antioche entière n'est plus qu'une salle de festin. La nuit suivante égale la lumière des plus beaux jours; la ville est éclairée de flambeaux; on bénit l'Être souverain qui tient en sa main le cœur des princes; on célèbre la clémence de l'empereur; on comble de louanges Flavien, Hellébichus et Césarius. Hellébichus prend part à la réjouissance publique; il se mêle dans les jeux, dans les festins. Les jours suivants on lui dressa des statues ainsi qu'à Césarius, et lorsqu'il fut ensuite rappelé par l'empereur, il fut conduit hors de la ville avec les vœux et les acclamations de tout le peuple. Flavien reçut à son arrivée des témoignages de reconnaissance encore plus précieux et plus dignes d'un évêque; il fut honoré comme un ange de paix, et toutes les églises retentirent d'actions de graces. Il eut même la consolation de retrouver encore[Pg 356] sa sœur, à qui Dieu avait prolongé la vie jusqu'à son retour, et de recevoir ses derniers soupirs. Plusieurs villes s'étaient intéressées en faveur d'Antioche: le sénat et le peuple de Constantinople avaient joint leurs instances à celles de Césarius et de Flavien. Séleucie, située sur la mer, à quarante stades de l'embouchure de l'Oronte, avait aussi envoyé une députation à l'empereur. Cette ville célèbre, autrefois appelée la sœur d'Antioche, avait beaucoup perdu de son ancien lustre. Antioche après en avoir été long-temps jalouse, affectait alors de la mépriser; et ses habitants enivrés d'un insolent orgueil au milieu même de leurs désastres, disaient hautement qu'ils aimaient mieux voir périr leur patrie, que de devoir son salut à de pareils intercesseurs. Il paraît que les habitants d'Antioche ayant obtenu leur pardon, osèrent demander à Théodose la permission de donner à leur ville le nom d'Arcadius; mais on ne voit pas que ce prince ait eu égard à leur demande. Ainsi se terminèrent les suites d'une sédition que la politique se serait cru obligée de châtier à la rigueur, pour donner un exemple terrible. Celui qui veille en même temps à la sûreté et à la gloire des monarques qui le servent, ne voulut armer contre les coupables que le bras de leurs propres magistrats; il ne laissa au prince que l'honneur de pardonner.

XLIV.

Maxime se prépare à la guerre.

Ruf. l. 12. c. 16.

Pacat. paneg. c. 25, 26, 27, 28.

Theod. l. 5, c. 14.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 5, c. 3.

L'état de l'Occident donnait alors à Théodose de grandes inquiétudes. Maxime se préparait à la guerre, et faisait des levées d'hommes et d'argent. Ses exactions désolaient la Gaule; il épuisait les provinces; et renonçant à cette feinte douceur qu'il avait jusqu'alors affectée, il s'enrichissait par les exils et les proscriptions. Lorsqu'il eut rempli ses trésors, déguisant son ambition[Pg 357] sous le masque d'un zèle hypocrite, il signifia à Valentinien que, s'il n'abandonnait la protection des Ariens, pour favoriser la foi catholique que son père avait professée, il allait l'y contraindre par la force des armes. Cette déclaration alarma Justine et toute la cour. On sentait aisément que la religion n'entrait pour rien dans les vues de Maxime, et que son unique dessein était d'usurper ce qui restait à Valentinien. Plusieurs des principaux officiers craignant que Maxime ne les demandât pour les faire mourir, et que le jeune prince n'eût la faiblesse de les livrer au tyran, se retirèrent auprès de Théodose.

XLV.

On lui députe saint Ambroise.

Amb. ep. 24, t. 2, p. 888-892.

Idem, de obitu Valent. p. 1173.

Paulin, vit. Ambros. § 19.

Hermant, vie de S. Ambr. l. 5, c. 3, 4.

Till. vie de S. Ambr. art. 51.

Pour écarter l'orage dont l'Italie était menacée, Justine s'adressa encore une fois à saint Ambroise. Elle l'avait employé quatre ans auparavant à négocier un accommodement avec Maxime; et quoiqu'elle n'eût payé ce service que de traitements injurieux, elle comptait assez sur sa générosité pour lui confier de nouveau ses plus grands intérêts; d'ailleurs c'était fermer la bouche au tyran, qui se couvrait du prétexte de la religion, que de lui opposer le prélat qui en était le plus ardent défenseur. Ambroise accepta cette commission difficile; il s'empressa de montrer à Justine et à toute la terre, que la persécution ne relâche pas les nœuds sacrés qui attachent les vrais chrétiens à leur prince: et ne croyant pas qu'il lui fût permis de vendre à son souverain les services qu'il lui devait, il regarda comme une bassesse de profiter du besoin qu'on avait de sa personne, pour exiger aucune condition, même en faveur de l'église catholique. Il partit après Pâques pour se rendre à Trèves auprès de Maxime. Il avait ordre de sonder les dispositions du tyran, de renouveller[Pg 358] avec lui le traité de paix, et de lui demander les cendres de Gratien, pour leur donner une sépulture honorable.

XLVI.

S. Ambroise devant Maxime.

Le lendemain de son arrivée, il alla au palais et demanda une audience particulière. L'eunuque grand chambellan[642] lui répondit qu'il ne pouvait être admis qu'en présence du conseil. Ambroise ayant répliqué que ce n'était pas ainsi qu'on avait coutume de recevoir les évêques, et que d'ailleurs il était chargé d'une commission secrète, l'eunuque alla en informer Maxime et revint avec la même réponse. Le prélat consentit à tout pour ne pas rompre la négociation. Lorsqu'il fut entré dans le conseil, il refusa le baiser de Maxime: Vous êtes en colère, évêque, lui dit le tyran: n'est-ce pas ainsi que je vous ai reçu dans votre précédente ambassade? Il est vrai, répondit Ambroise, que vous avez dès ce temps-là manqué à la dignité épiscopale: mais alors je demandais la paix pour un inférieur; aujourd'hui je la demande pour un égal. Et qui lui donne cette égalité? répartit fièrement Maxime. Le Tout-puissant, répliqua Ambroise, qui a conservé à Valentinien l'empire qu'il lui avait donné. Cette fermeté irrita le tyran; il s'emporta en invectives contre Valentinien et contre le comte Bauton, qui avaient, disait-il, amené jusque sur les frontières de la Gaule les Huns et les Alains: il reprocha au prélat de l'avoir trompé la première fois et d'avoir arrêté le cours rapide de ses conquêtes. Ambroise justifia le comte et l'empereur; il fit voir que loin d'attirer les[Pg 359] barbares dans la Gaule, ils les en avaient écartés à force d'argent[643]. Il se disculpa lui-même en rappelant à Maxime la bonne foi et la franchise dont il avait usé dans la première négociation: il le fit souvenir que Valentinien étant le maître de venger la mort de Gratien sur Marcellinus, frère de Maxime, qu'il tenait alors en son pouvoir, il le lui avait renvoyé: il demandait en récompense les cendres du défunt empereur[644]. Maxime alléguait pour raison de son refus, que la vue des cendres de ce prince animerait les soldats contre lui: «Et quoi? répondit Ambroise, défendront-ils après sa mort celui qu'ils ont abandonné pendant qu'il vivait? Vous craignez ce prince lorsqu'il n'est plus! Qu'avez-vous donc gagné à lui ôter la vie? Je me suis défait d'un ennemi, dites-vous: Non, Maxime, Gratien n'était pas votre ennemi; c'était vous qui étiez le sien. Il n'entend pas ce que je dis en sa faveur; mais vous, soyez-en le juge. Si quelqu'un s'élevait aujourd'hui contre votre puissance, diriez-vous que vous êtes son ennemi, ou qu'il est le vôtre? Si je ne me trompe, c'est l'usurpateur qui est l'auteur de la guerre; l'empereur ne fait que défendre ses droits. Vous refusez donc les cendres de celui dont vous ne pourriez retenir la personne, s'il était votre prisonnier! Donnez à Valentinien ce triste gage de votre réconciliation. Comment ferez-vous croire que vous n'avez pas attenté à la vie de Gratien, si vous le privez de la sépulture?» Il convainquit ensuite Maxime[Pg 360] d'être l'auteur de la mort du comte Vallion, qui n'était coupable que de fidélité envers son maître. Ambroise entre les mains et sous le pouvoir du tyran semblait être son juge; et Maxime confus ne se tira d'embarras qu'en renvoyant le prélat et en lui disant qu'il délibérerait sur les demandes de Valentinien. Ambroise avait eu trop d'avantage sur Maxime pour espérer aucun succès. Il aigrit encore le tyran en refusant de communiquer avec les évêques de sa cour, qui avaient fait mourir Priscillien. Maxime saisit ce prétexte pour lui donner ordre de s'en retourner sans délai. Le saint évêque, plus propre à soutenir avec force et avec franchise la vérité et la justice, qu'à se démêler avec souplesse des détours obliques d'une négociation épineuse, partit malgré les avis qu'on lui donnait secrètement qu'il serait assassiné en chemin. S'il est vrai que Maxime eût formé ce dessein, Dieu préserva l'évêque. Il revint à Milan, et rendit compte à Valentinien de son ambassade, qui n'avait servi qu'à démasquer le tyran[645].

[642] C'était un Gaulois, selon ce que dit saint Ambroise, epist. ad Valent. 24, t. 2, pag. 888. Egressus est ad me vir Gallicanus, præpositus cubiculi, eunuchus regius.—S.-M.

[643] Valentinianus Hunnos atque Alanos appropinquantes Galliæ per Alemanniæ terras reflexit.......... Tu fecisti incursari Rhetias, Valentinianus suo tibi auro pacem redemit. Ambr., ep. 24, ad Valent. t. 2, pag. 890.—S.-M.

[644] Ille tibi fratrem tuum viventem remisit, tu illi vel mortuum redde. Ambr. ep. 24, t. 2, p. 890.—S.-M.

[645] Esto tutior adversus hominem, pacis involucro bellum tegentem, dit Saint Ambroise, ep. 34, t. 2, p. 891, en s'adressant à Valentinien, à la fin de la relation de sa seconde ambassade auprès de Maxime.—S.-M.

XLVII.

Maxime passe les Alpes.

Zos. l. 4, c. 42.

Theod. l. 5, c. 14.

[Till. vie de S. Ambr. art. 52.]

Le jeune empereur ne perdit pas encore l'espérance de prévenir une rupture ouverte. Ses courtisans lui persuadaient que la roideur inflexible du prélat avait rebuté Maxime; et celui-ci donnait à entendre qu'il n'était pas éloigné de renouer la négociation. Domninus s'offrit à conduire cette affaire; c'était un Syrien qui, s'étant introduit à la cour du jeune prince, était devenu son confident et son principal ministre. On le regardait comme un profond politique, et il avait lui-même la plus haute idée de sa propre capacité. Maxime[Pg 361] le reçut à bras ouverts; il accepta sans résistance toutes ses propositions, et flatta sa vanité en le comblant d'honneurs et de présents. Le ministre s'applaudissait d'un succès si brillant; il ne doutait pas qu'il n'eût fait de Maxime le meilleur ami de Valentinien. Le tyran, profitant de son imprudence, le fit au retour accompagner d'une partie de son armée; c'était, disait-il, des troupes qu'il prêtait à son collègue pour dompter les Barbares qui menaçaient la Pannonie. Domninus partit de Trèves vers la fin du moins d'août, fort glorieux des présents qu'il avait reçus et du nombreux renfort qu'il conduisait à son maître. Maxime le suivit de près avec le reste de ses troupes; il se faisait précéder d'un grand nombre de batteurs d'estrade, pour arrêter tous ceux qui pouvaient donner des nouvelles de sa marche. Il trouva le pas de Suze[646] ouvert par le passage de Domninus; et s'étant joint à ses troupes avancées, qui avaient abandonné l'ambassadeur pour garder l'entrée de l'Italie, il prit le chemin de Milan[647].

[646] Zosime, le seul auteur qui ait parlé du passage des Alpes par Maxime, ne désigne pas d'une manière particulière l'endroit où il l'effectua. Il se contente de dire, l. 4, c. 42, qu'il franchit les passages les plus difficiles des Alpes et les plus inaccessibles, τὰ στενώτατα τῶν Ἄλπεων καὶ τὰ τῶν ὀρῶν ἄβατα διελθοντας, il ajoute qu'il traversa ensuite les régions marécageuses qui s'étendent au pied de ces montagnes, ἤδη δὲ καὶ τὰ μετὰ τας Ἄλπεις, ὅσα ἦν ἑλώδη; ce qui désigne évidemment les plaines basses du Piemont.—S.-M.

[647] Il n'y arriva pas avant le 8 septembre 387 car il existe encore une loi de Valentinien donnée à Milan et datée de ce jour.—S.-M.

XLVIII.

Valentinien se réfugie à Thessalonique.

Zos. l. 4, c. 43 et 44.

Sulp. Sev. vit. Mart. c. 23.

Aug. de civit. l. 5, c. 26, t. 7, p. 142.

Oros. l. 7, c. 34.

Socr. l. 5, c. 11.

Theod. l. 5, c. 14, 15.

Soz. l. 7, c. 13.

Philost. l. 10, c. 8.

Valentinien surpris de cette irruption imprévue, se sauva en diligence à Aquilée. Bientôt ne s'y croyant pas en sûreté, et n'attendant pas un meilleur sort que celui de Gratien, s'il tombait entre les mains de l'usurpateur, il s'embarqua avec sa mère, et gagna Thessalonique,[Pg 362] pour y trouver un asyle sous la protection de Théodose. Probus, que ses grandes richesses exposaient à un grand danger, accompagna le jeune empereur dans sa fuite. Dès qu'ils furent arrivés dans cette capitale de l'Illyrie, ils firent savoir à Théodose, qui était alors à Constantinople, l'extrémité à laquelle ils étaient réduits. Ce prince écrivit aussitôt à Valentinien, qu'il ne devait s'étonner ni de ses malheurs, ni des succès de Maxime: que le souverain légitime combattait la vérité, et que le tyran faisait gloire de la soutenir; que Dieu se déclarait contre l'ennemi de son église. En même temps il partit de Constantinople, accompagné de plusieurs sénateurs. Lorsqu'il fut à Thessalonique, il tint conseil sur le parti qu'il devait prendre. Tous les avis allaient à tirer de Maxime une prompte vengeance: Qu'il ne fallait pas laisser vivre plus long-temps un meurtrier, un usurpateur qui, accumulant crime sur crime, venait d'enfreindre des traités solennels. Théodose était plus touché que personne du sort déplorable des deux empereurs, l'un cruellement massacré, l'autre chassé de ses états; il était bien résolu de venger son bienfaiteur et son beau-frère. Mais comme l'hiver approchait, et que la saison ne permettait pas de commencer la guerre, il crut qu'au lieu de la déclarer avec une précipitation inutile, il était plus à propos d'amuser Maxime par des espérances d'accommodement. Il fut donc d'avis de lui proposer de rendre à Valentinien ce qu'il avait de nouveau usurpé, et de s'en tenir au traité de partage, le menaçant de la guerre la plus sanglante, s'il refusait des conditions si raisonnables.

XLIX.

Théodose ramène Valentinien à la croyance orthodoxe.

Suidas in Ὀυαλεντινιανός.

Theod. l. 5, c. 15.

Au sortir du conseil, Théodose tira Valentinien à[Pg 363] l'écart, et l'ayant tendrement embrassé: «Mon fils, lui dit-il, ce n'est pas la multitude des soldats, c'est la protection divine qui donne les succès dans la guerre. Lisez nos histoires depuis Constantin: vous y verrez souvent le nombre et la force du côté des infidèles, et la victoire du côté des princes religieux. C'est ainsi que ce pieux empereur a terrassé Licinius, et que votre père s'est rendu invincible. Valens votre oncle attaquait Dieu; il avait proscrit les évêques orthodoxes; il avait versé le sang des saints. Dieu a rassemblé contre lui une nuée de barbares; il a choisi les Goths pour exécuteurs de ses vengeances; Valens a péri dans les flammes. Votre ennemi a sur vous l'avantage de suivre la vraie doctrine: c'est votre infidélité qui le rend heureux. Si nous abandonnons le fils de Dieu, quel chef, malheureux déserteurs, quel défenseur aurons-nous dans les batailles?» Dieu parlait au cœur de Valentinien en même temps que la voix de Théodose frappait ses oreilles. Fondant en larmes, le jeune prince abjura son erreur, et protesta qu'il serait toute sa vie inviolablement attaché à la foi de son père et de son bienfaiteur. Théodose le consola; il lui promit le secours du ciel et celui de ses armes. Valentinien fut fidèle à sa parole; il rompit, dès ce moment, tous les engagements qu'il avait contractés avec les Ariens; il embrassa sincèrement la foi de l'Église; et sa mère Justine, qui mourut l'année suivante, toujours obstinée dans son erreur, n'osa même entreprendre d'effacer les heureuses impressions des paroles de Théodose.

L.

Succès de Maxime.

Ambr. ep. 40, t. 2, p. 946.

Pacat. c. 37. 38.

Symm. l. 2, ep. 31.

Socr. l. 5, c. 12.

Sigon. de Occident. imp. l. 9, p. 221.

L'hiver se passa en négociations infructueuses. Maxime envoya des députés à Théodose, qui les retint long-temps à Thessalonique sans leur donner ni audience ni[Pg 364] congé. Ce prince profitait de cet intervalle pour faire ses préparatifs. Cependant Maxime, qui avait fixé sa résidence dans Aquilée, achevait de soumettre à sa puissance les états de Valentinien. Rome ne fut pas la dernière à lui rendre hommage. Les payens se déclarèrent pour lui avec empressement; ils espéraient obtenir de lui le rétablissement du culte de leurs dieux. Ce fut sans doute une si flatteuse espérance qui aveugla Symmaque. Cet illustre sénateur, qui avait paru jusqu'alors un modèle de sagesse et d'attachement à ses maîtres légitimes, se déshonora en cette occasion par un discours qu'il prononça à la louange du tyran. La ville d'Émona, aujourd'hui Laybach, dans la Carniole, soutint un long siége: on ne sait si elle fut prise. Bologne se signala en faveur du nouveau prince; elle lui érigea des monuments sur lesquels elle lui donnait, à lui et à son fils Victor tous les titres que la flatterie avait inventés pour les souverains. L'Afrique se soumit à ses lieutenants, et fut bientôt épuisée par ses exactions. Avant la fin de l'hiver, tout l'Occident le reconnaissait pour maître.

LI.

Généraux et officiers de Maxime.

Ambr. ep. 40, t. 2, p. 953.

Oros. l. 7, c. 35.

Amm. Marc. l. 27, c. 6.

La terreur de son nom s'était répandue jusqu'au-delà du Rhin et du Danube; plusieurs nations de la Germanie lui payaient tribut. En effet ses forces étaient redoutables: le nombre et le courage de ses troupes semblaient lui promettre la conquête de l'Orient. A la tête de son armée étaient son frère Marcellinus et Andragathe, tous deux aussi méchants que lui, mais plus braves et plus intrépides. Andragathe, pour fermer à Théodose l'entrée de l'Italie, s'occupa pendant l'hiver à fortifier les Alpes Juliennes et les passages des rivières. Maxime ayant choisi Aquilée pour sa résidence, gouvernait de là tout l'Occident. Résolu de ne pas hasarder[Pg 365] sa personne, il s'attendait à voir bientôt à ses pieds Théodose chargé de fers. Il avait établi pour préfet de Rome, Rusticus Julianus, que ses partisans avaient onze ans auparavant songé à élever à l'empire pendant une maladie de Valentinien. C'était un homme cruel et sanguinaire; mais incertain du succès de la guerre, il se ménagea une ressource auprès de Théodose, en se conduisant avec une douceur et une humanité qui ne lui étaient pas naturelles. Le peuple de Rome ayant brûlé la synagogue des Juifs, Rusticus attendit à ce sujet les ordres de Maxime. Celui-ci envoya des soldats pour contenir le peuple et rétablir la synagogue. La protection qu'il accordait à cette nation odieuse, acheva de lui faire perdre l'affection des chrétiens, dont tous les vœux se réunissaient en faveur de son ennemi[648].

[648] Le peuple disait qu'il ne pouvait rien lui arriver de bon, puisqu'il s'était fait juif. Maximus destitutus est, dit S. Ambroise, en écrivant à Théodose, ep. 41, t. 2, p. 953, qui ante ipsos expeditionis dies, cum audisset Romæ synagogam incensam, edictum Romam miserat, quasi vindex disciplinæ publicæ? Unde populus christianus ait: Nihil boni huic imminet. Rex iste Judæus factus est.—S.-M.

An 388.

LII.

Tatianus succède à Cynégius dans la préfecture du prétoire d'Orient.

Idat. fast.

Zos. l. 4, c. 45.

Socr. l. 5, c. 12.

Soz. l. 7, c. 14.

Till. Theod. art. 17, 42, note 15.

Théodose avait pris le consulat pour la seconde fois, et s'était donné pour collègue Cynégius, qui était depuis quatre ans revêtu de la dignité de préfet du prétoire d'Orient. Ce sage magistrat avait secondé avec zèle, mais sans éclat et sans violence, le dessein formé par Théodose d'abolir l'idolâtrie. Il mourut à Constantinople dans le mois de mars de cette année. Le peuple, dont il était chéri, assista en foule à ses funérailles, et les honora de ses larmes. Son corps fut déposé dans l'église des Saints-Apôtres, et, l'année suivante, sa femme, Achantia, le fit transporter en Espagne, où il était né. Théodose délibéra long-temps sur le choix[Pg 366] d'un préfet du prétoire. Cette place devenait plus importante par la nécessité où se trouvait l'empereur de s'éloigner de l'Orient, pour aller combattre Maxime. Son fils Arcadius, qu'il avait laissé à Constantinople, n'était pas en âge de soutenir le poids des affaires. Enfin, il jetta les yeux sur Tatianus[649], connu par sa capacité et par les charges qu'il avait exercées sous Valens. C'était lui qui, en 367, étant préfet d'Égypte, avait traité durement saint Athanase et les catholiques d'Alexandrie. Le changement de prince avait sans doute changé la religion du magistrat. Son fils Proculus fut fait en même temps préfet de Constantinople.

[649] Théodose le fit venir d'Aquilée, selon Zosime, l. 4. c. 45; ce qui pourrait faire croire qu'il avait été jusque-là au service de Valentinien.—S.-M.

LIII.

Dispositions de Théodose.

Pacat. c. 32, et 33.

Ambr. ep. 40, t. 2, p. 946.

Aug. de civ. l. 5, c. 26, t. 7, p. 142.

Ruf. l. 12, c. 19, et 32.

Theod. l. 5, c. 24.

Philost. l. 10, c. 8.

Zos. l. 4, c. 45 et l. 5, c. 8.

L'empereur prenait toutes les mesures que la prudence lui inspirait pour le succès d'une expédition si périlleuse. Afin de ne laisser aucun sujet d'inquiétude, il renouvella les alliances avec les princes voisins de ses états. Les provinces n'étant pas encore remises des maux qu'elles avaient soufferts sous le règne malheureux de Valens, il ne pouvait, sans les dépeupler entièrement, en tirer toutes les troupes qu'il fallait opposer aux nombreuses armées de Maxime. Il attira donc les barbares qui, en son absence, auraient pu insulter la frontière. Les habitants du Caucase, du mont Taurus, des bords du Danube et du Tanaïs, Goths, Huns, Alains, nations endurcies à toutes les fatigues, vinrent en foule lui offrir leurs services. Il ne leur manquait que la discipline: Théodose les y dressa en peu de temps sous des capitaines expérimentés. Bientôt ces barbares apprirent à obéir à l'ordre sans confusion et sans tumulte, à résister à l'attrait du pillage, à épargner[Pg 367] les vivres, et à souffrir patiemment la disette, à préférer l'honneur au butin[650]. L'amour et l'admiration que les vertus de Théodose leur inspirèrent, en firent des Romains. Il y en eut cependant qui conservèrent leur ancienne férocité, et qui abandonnèrent son armée, comme nous le verrons bientôt. Théodose se fit accompagner dans cette expédition par quatre généraux, que leur valeur et leur expérience militaire avaient déja rendus célèbres: Promotus, renommé par la défaite des Gruthonges, avait le titre de général de la cavalerie; Timasius, qui s'était distingué dès le temps de Valens, commandait l'infanterie; Richomer et Arbogaste, Francs de naissance, et pleins de cette bravoure impétueuse qui plaît surtout aux barbares, eurent la plus grande part aux opérations de cette campagne. Ces officiers formaient son conseil. Mais avant que de partir, il voulut consulter Dieu même par l'organe d'un de ses plus saints serviteurs. Jean, l'anachorète, vivait dans les déserts de la Thébaïde, près de Lycopolis; il était fameux par ses miracles: Théodose lui écrivit pour lui demander quel serait le succès de ses armes. Jean lui promit la victoire; et ce prince ne forma depuis ce temps-là aucune entreprise importante sans avoir consulté ce saint solitaire.

[650] O res digna memoratu! Ibat sub ducibus vexillisque Romanis hostis aliquando Romanus, et signa contra quæ steterat sequebatur, urbesque Pannoniæ, quas inimica dudum populatione vacuaverat, miles impleverat, Gotthus ille, et Hunnus, et Alanus respondebat ad nomen, et alternabat excubias, et notari infrequens verebatur. Nullus tumultus, nulla confusio, nulla direptio, ut a barbaro, erat. Pacat. c. 32.—S.-M.

LIV.

Lois de Théodose.

Cod. Th. l. 3, tit. 7, leg. 2, l. 9, tit. 11, leg. unic. l. 16, tit 5, leg. 14.

Till, vie de Ste Olymp. c. 1, et not. 1.

Il n'oublia pas de faire les réglements nécessaires pour maintenir pendant son absence le bon ordre dans l'église et dans l'état. Il défendit de nouveau aux hérétiques de tenir des assemblées. Il déclara nuls et[Pg 368] adultères les mariages entre les chrétiens et les juifs[651]. Les hommes puissants, surtout en Égypte et dans Alexandrie, ville turbulente et pleine de désordres, s'attribuaient l'autorité d'arrêter leurs ennemis et de les tenir en chartre privée, quoique cette violence fût dès les temps anciens prohibée par les lois romaines; Théodose adressa au préfet d'Égypte une loi plus rigoureuse que les précédentes[652]; il soumit cet abus aux peines du crime de lèse-majesté. Ce prince, si juste et si religieux se laissa cependant alors entraîner à une violence également contraire à la religion et à la justice. Olympiade, sortie d'une famille très-illustre[653], et connue dans l'histoire de l'Église par la sainteté de sa vie, et par son attachement à saint Jean Chrysostôme persécuté, était alors dans sa première jeunesse. Ayant perdu son mari, Nébridius, qui avait été préfet de Constantinople, elle renonça à un second mariage, et se consacra au service de Dieu. Elpidius, seigneur espagnol, cousin de Théodose, après de vaines sollicitations, s'adressa à l'empereur pour la contraindre de l'épouser. Le prince fut piqué du refus d'Olympiade, comme d'un mépris qu'elle faisait de son alliance; il commanda, il menaça: tout fut inutile. Voulant vaincre la constance de cette femme, il ordonna au préfet de Constantinople de tenir tous ses biens en saisie, jusqu'à ce qu'elle eût atteint l'âge de trente ans, dont elle était encore éloignée. Olympiade écrivit à l'empereur qu'elle[Pg 369] le remerciait de l'avoir déchargée d'un fardeau si onéreux; et que s'il voulait l'obliger tout-à-fait, elle le priait de distribuer ses biens aux pauvres et aux églises. Le préfet gênait beaucoup Olympiade, et la tenait dans une sorte de servitude: un si dur traitement n'ébranla pas sa résolution. Enfin, Théodose au retour de la guerre contre Maxime, admirant lui-même la fermeté de cette veuve chrétienne, lui fit rendre ses biens et sa liberté.

[651] Ces mesures furent ordonnées, la première, par une loi datée de Stobi, le 14 juin 388, et la seconde, par une autre loi rendue à Thessalonique, le 29 février 388.—S.-M.

[652] Cette loi est du 30 mai 388.—S.-M.

[653] Elle était parente d'Olympias fille d'Ablabius, préfet du prétoire sous Constantin, et épouse d'Astace roi d'Arménie, après avoir été fiancée à l'empereur Constant. Voyez son histoire t. 2, p. 240 et 241, l. X, § 21 et 23, et t. 3, p. 270-275, l. XVII, § 4.—S.-M.

LV.

Trahison punie.

Zos. l. 4, c. 45.

Till. Théod. not. 36.

L'empereur était prêt à partir de Thessalonique, lorsqu'il fut averti qu'un grand nombre de Barbares, incorporés à ses légions, s'étaient laissé corrompre par les émissaires secrets de Maxime. Ces traîtres s'étant aperçus que leur perfidie était découverte, prirent la fuite vers les lacs et les marais de la Macédoine, et s'allèrent cacher dans les forêts. On envoya après eux des détachements, qui les poursuivirent dans leurs retraites. On en massacra plusieurs; mais il en échappa assez pour faire dans la suite de grands désordres. L'empereur se mit en marche avec toutes ses troupes, et prit la route de la Pannonie supérieure, conduisant avec lui Valentinien[654].

[654] Théodose était encore à Thessalonique le 30 avril. Il était à Stobi qui est à vingt-cinq lieues environ de cette ville, le 10 et le 16 juin. On le trouve le 21 du même mois à Scupi, trente-cinq lieues plus loin.—S.-M.

LVI.

Soulèvement des Ariens à Constantinople.

Ambr. ep. 40 t. 2, p. 950.

Socr. l. 5, c. 13.

Soz. l. 7, c. 14.

Théoph. p. 59.

Codin. orig. Constant. p. 64.

Cod. Th. l. 16, tit. 4, leg. 2, tit. 5, leg. 15 et 16.

Les opérations de la guerre n'étaient pas encore commencées, et déja on publiait à Constantinople qu'elle était finie, et que Maxime avait défait Théodose dans une grande bataille. Ce faux bruit se chargeant toujours de nouvelles circonstances en passant de bouche en bouche, on citait le nombre des morts et des blessés;[Pg 370] on ajoutait que l'empereur était poursuivi de près, et qu'il ne pouvait échapper. Ceux qui avaient le matin inventé cette fable, l'entendaient débiter le soir revêtue de tant de particularités et avec tant d'assurance, qu'ils devenaient eux-mêmes les dupes de leur propre mensonge. Les Ariens, irrités de voir les églises de la ville en la possession de ceux qu'ils en avaient si long-temps exclus, crurent aisément ce qu'ils désiraient. Ils s'assemblèrent et coururent mettre le feu à la maison de l'évêque Nectarius. Elle fut réduite en cendres avec le toit de l'église de Sainte-Sophie, que Rufin fit réparer dans la suite par ordre de l'empereur. La fureur aurait été plus loin, s'il ne fût arrivé des nouvelles certaines, qui détrompèrent les séditieux[655]. Il fallut demander pardon de cette insulte. Arcadius en écrivit à son père, et obtint grace pour les coupables. Mais afin de réprimer à l'avenir l'insolence des hérétiques, Théodose étant arrivé à Stobes, sur les frontières de la Macédoine, renouvela, par une loi du 14 de juin, les défenses qu'il leur avait faites tant de fois de s'assembler, de prêcher, de célébrer les mystères. Il chargea le préfet du prétoire de veiller à l'observation de cette ordonnance, et de punir les contrevenants. Deux jours après, étant encore dans la même ville, il ordonna au préfet d'employer les plus sévères châtiments pour imposer silence à tous ceux qui disputeraient publiquement sur la doctrine, et qui, soit par des prédications, soit par des conseils, échaufferaient sur ce point l'esprit des peuples.

[655] Constantinopoli dudum domus episcopi incensa est, et filius clementiæ tuæ intercessit apud patrem; ut et suam, hoc est, filii imperatoris injuriam, et domus sacerdotalis incendium non vindicares. Ambr. ep. 40, ad Theod., t. 2, p. 950.—S.-M.

[Pg 371]

LVII.

Flotte de Maxime.

Amb. ep. 40. t. 2, p. 946.

Pacat. c. 32.

Oros. l. 7, c. 35.

Zos. l. 4, c. 46.

Théodose faisait diligence; le 21 de juin il était à Scupes en Dardanie, ville éloignée de trente-cinq lieues de Stobes. Son armée marchait sur trois colonnes. Il n'avait pu établir de magasins dans un pays dont Maxime venait de se rendre maître; mais la providence divine lui aplanissant toutes les difficultés, les magasins du tyran lui furent ouverts par les troupes mêmes qui avaient ordre de les garder. Il ne lui restait qu'une inquiétude. Il semblait impossible de forcer les Alpes Juliennes, défendues par Andragathe, capitaine habile, vaillant, déterminé. Maxime eût été invincible, s'il se fût tenu derrière cette chaîne de montagnes, dont il pouvait aisément fermer tous les passages. Son aveuglement lui fit perdre cet avantage, et leva cet obstacle aux succès de son ennemi. Le tyran se persuada que Théodose faisait prendre à Valentinien et à Justine la route de la mer pour débarquer en Italie. Sur une si faible conjecture, il rassembla tout ce qu'il put de vaisseaux légers et en donna le commandement à Andragathe, avec ordre de se saisir du jeune empereur et de sa mère. Ce général ayant abandonné le poste important qu'il occupait, perdit son temps à courir vainement les mers d'Italie et de la Sicile.

LVIII.

Bataille de Siscia.

Pacat. c. 34.

Ambr. ep. 40. t. 2, p. 946.

Après le départ d'Andragathe, l'armée de Maxime se partagea en deux corps, dont chacun surpassait en nombre les troupes de Théodose; et ayant traversé les montagnes, elle entra dans les plaines de la Pannonie. Pour enfermer l'ennemi, qui, ayant passé la Save, marchait entre cette rivière et celle de la Drave, l'un des deux corps s'arrêta près de Siscia, ville alors considérable, qui n'est plus qu'un bourg nommé Siszek, sur le bord méridional de la Save. L'autre corps, composé[Pg 372] des troupes d'élite et commandé par Marcellinus, frère du tyran, alla camper à Pétau [Petavio] sur la Drave. Théodose avançait avec tant de diligence, qu'il arriva à la vue du camp de Siscia, beaucoup plus tôt qu'on ne l'y attendait. Aussitôt profitant de la surprise, sans donner à ses soldats le temps de se reposer, ni aux ennemis celui de se reconnaître, il passe à la nage à la tête de sa cavalerie, gagne les bords, tombe avec furie sur les troupes de Maxime, qui accouraient en désordre pour disputer le passage. Elles sont renversées, foulées aux pieds des chevaux, taillées en pièces. Ceux qui échappent au premier massacre, veulent se sauver dans la ville; les uns sont précipités dans les fossés; les autres, aveuglés par la terreur, donnent dans les pieux armés de fer qui en défendent l'entrée; la plupart s'écrasent mutuellement dans la foule ou périssent par le fer ennemi; le reste fuit vers la Save. Là, tombant les uns sur les autres, ils s'embarrassent et se noient. Bientôt le fleuve est comblé de cadavres. Le général, qui n'est pas nommé dans l'histoire, fut englouti dans les eaux.

LIX.

Bataille de Pétau.

Pacat. c. 35, et 36.

Ambr. ep. 40. t. 2, p. 946.

Marcellinus était arrivé le même jour à Pétau. Théodose s'étant remis en marche le lendemain, vint le troisième jour sur le soir camper en sa présence. Les deux généraux et les deux armées ne respiraient que le combat: le succès animait les uns; la rage et le désir de la vengeance enflammait les autres. Ils passèrent la nuit dans une égale impatience. Dès que le jour parut, on se rangea en bataille: c'était des deux côtés la même disposition; les cavaliers sur les ailes, l'infanterie au centre; à la tête, des pelotons de troupes légères. On s'ébranla, et, après quelques décharges de traits et de[Pg 373] javelots, on s'avança de part et d'autre avec une égale fierté pour se charger l'épée à la main. La victoire fut quelque temps disputée. Marcellinus savait la guerre, il avait un courage digne d'une meilleure cause; ses soldats se battaient en désespérés; enfin, enfoncés de toutes parts, ils se débandèrent et prirent la fuite. Ce ne fut plus alors qu'un affreux carnage: la plupart, mortellement blessés, allèrent mourir dans les forêts voisines, ou se précipitèrent dans le fleuve. La nuit mit fin au massacre et à la poursuite. Au commencement de la déroute, un grand corps de troupes baissa ses enseignes, et demanda quartier: les soldats jetant leurs armes se tinrent prosternés à terre, comme pour attendre leur sentence. L'empereur, doux et tranquille dans l'ardeur même de la bataille, leur ordonna avec bonté de se relever et de se joindre à son armée; et ses ennemis, devenus tout-à-coup ses soldats, partagèrent avec leurs vainqueurs la joie de leur propre défaite. L'histoire ne parle plus de Marcellinus, qui périt apparemment au milieu du carnage.

LX.

Théodose poursuit Maxime.

Pacat. c. 37, 38, 40 et 41.

Ambr. ep. 40. t. 2, p. 946.

Oros. l. 7, c. 35.

Maxime n'avait pas eu le courage de se trouver en personne à l'une ni à l'autre bataille: il s'était tenu à quelque distance de ses armées. A la nouvelle de la double victoire de Théodose, il prit la fuite sans tenir de route certaine: détesté des vaincus, poursuivi par les vainqueurs, déchiré au dedans par les remords de son crime, il ne voyait nulle retraite assurée. Conduit par la crainte, le guide le plus infidèle, il alla se jeter dans Aquilée; c'était se renfermer lui-même dans une prison, pour y attendre le supplice. La ville n'était pas en état de tenir contre une armée victorieuse. Théodose marchait avec ses troupes légères; lorsqu'il approchait[Pg 374] d'Émona[656], qui venait de ressentir tous les maux d'un long siége, les habitants sortirent au-devant de lui avec les démonstrations de la joie la plus vive. Les sénateurs vêtus d'habits blancs, les prêtres païens, couverts de leurs plus riches ornements, étaient suivis de tout le peuple, qui faisait retentir l'air de chants de victoire. L'entrée du prince fut un triomphe. Les portes étaient ornées de fleurs, les rues de riches tapis: partout brillaient des flambeaux allumés; une multitude de tout sexe et de tout âge s'empressait autour du vainqueur; tous le félicitaient et priaient le ciel de couronner ses succès par la mort du tyran.

[656] Pacatus donne, c. 37, à cette ville le surnom de Pia, à cause de la fidélité qu'elle avait montrée envers le jeune Valentinien.—S.-M.

LXI.

Mort de Maxime.

Pacat. c. 43, 44 et 45.

Claud. in 4º. Consul. Honor.

Oros. l. 7, c. 35.

Auson. in Aquileia.

Vict. epit. p. 232.

Zos. l. 4, c. 46 et 47.

Socr. l. 5, c. 14.

Philost. l. 10. c. 8.

Prosp. chr.

Idat. chr. et fast.

[Greg. Tur. l. 2, c. 9.]

Till. Théod. not. 37.

Théodose ayant traversé la ville, franchit les Alpes Juliennes, dont Maxime avait laissé les passages ouverts, et s'arrêta à trois milles d'Aquilée. Arbogaste, à la tête d'un gros détachement, s'étant avancé jusqu'à la ville, força les portes, qui n'étaient défendues que par une poignée de soldats[657]. Maxime, encore plus dépourvu de conseils que de forces, était si peu instruit des mouvements de son ennemi, qu'on le trouva occupé à distribuer de l'argent aux troupes qui lui restaient. On le jette en bas du tribunal, on lui arrache le diadème, on le dépouille, et, les mains liées derrière le dos, on le conduit au camp du vainqueur, comme un criminel au lieu du supplice. L'empereur, après[Pg 375] lui avoir reproché son usurpation et l'assassinat de Gratien, lui demanda sur quel fondement il avait osé publier, que dans sa révolte il agissait d'intelligence avec Théodose. Maxime répondit en tremblant, qu'il n'avait inventé ce mensonge que pour attirer des partisans, et s'autoriser d'un nom respectable. Cet aveu et l'état déplorable du tyran désarmèrent la colère de Théodose: la compassion sollicitait déja sa clémence, lorsque ses officiers enlevèrent Maxime de devant ses yeux, et lui firent trancher la tête hors du camp. Ainsi périt cet usurpateur, le 28 de juillet, ou, selon d'autres, le 27 d'août[658], cinq ans après qu'il eut fait périr son prince légitime. On fit mourir ensuite deux ou trois de ses partisans les plus opiniâtres, et quelques soldats maures, ministres de ses cruautés. Théodose fit grace à tous les autres[659].

[657] Ausone, dans le septième des petits poèmes qu'il a consacrés à la gloire des principales villes de l'empire romain, s'écrie, en s'adressant à cette ville, qu'elle a été heureuse d'avoir été spectatrice des triomphes obtenus sur le brigand breton par le héros italien, Théodose.

Felix quæ tanti spectatrix læta triumphi,
Punisti Ausonio Rutupinum marte latronem.

—S.-M.

[658] La première date est dans la Chronique d'Idatius; pour l'autre, elle se trouve dans Socrate, l. 5, c. 14.—S.-M.

[659] Paucis Maurorum hostium, quos secum velut agmen infernum moriturus incluserat, et duobus, aut tribus furiosi gladiatoris lanistis in belli piaculum cæsis, reliquos omnes, venia complexa, velut quodam materno sinu clausit. Pacat. c. 45.—S.-M.

LXII.

Mort d'Andragathe.

Andragathe, après avoir inutilement cherché Valentinien sur les mers d'Italie et de Grèce, avait reçu sur les côtes de Sicile, un échec dont on ignore les circonstances. Il faisait voile vers Aquilée pour rejoindre Maxime, lorsqu'il apprit sa défaite et sa mort. Ce furieux, qui ayant trempé ses mains dans le sang de Gratien, ne pouvait espérer de pardon, prévint son supplice en se précipitant lui-même dans la mer[660].

[660] Andragathius comes, cognita Maximi nece, præcipitem sese e navi in undas dedit, ac suffocatus est. Oros. l. 7, c. 35. Claudien dit aussi (in 4º cons. Honor. v. 91.) qu'Andragathe se précipita dans les flots en se donnant la mort.

.............. Hic sponte carina
Decidit in fluctus.

Socrate rapporte, l. 5, c. 14, qu'il se précipita dans un fleuve voisin d'Aquilée, où il trouva la mort, εἰς τὸν παρακείμενον ποταμὸν ῥίψας ἑαυτὸν ἀπεπνίγη.—S.-M.

[Pg 376]

LXIII.

Guerre des Francs.

Victor, fils de Maxime, qui dans un âge encore tendre[661], portait déja le titre d'Auguste, était demeuré dans la Gaule. Son père avait confié le soin de sa personne, et la défense du pays à Nanniénus[662] et à Quintinus, qu'il avait établis maîtres de la milice[663]. Tandis que Maxime était occupé de la guerre contre Théodose, ces généraux en avaient deux à soutenir contre les Saxons et contre les Francs[664]. Les premiers avaient fait une descente sur les côtes de la Gaule[665]: ils furent aisément repoussés. Il n'en fut pas de même des Francs[666]; conduits par trois princes, Génobaudès, Marcomir et Sunnon, ils passèrent le Rhin[667], ravagèrent le pays, massacrèrent les habitants, et donnèrent l'alarme à Cologne [Colonia Agrippina]. La nouvelle en étant venue à Trèves, Nanniénus et Quintinus assemblèrent des troupes et marchèrent à l'ennemi. A leur approche,[Pg 377] la plupart des Francs repassèrent le Rhin avec leur butin. Ceux qui demeurèrent en deça, furent taillés en pièces près de la forêt Carbonnière[668]; c'était une partie de la forêt des Ardennes qui s'étendait entre le Rhin et l'Escaut. Après ce succès, les deux généraux se séparèrent. Nanniénus refusa de poursuivre les Francs dans leur pays, persuadé qu'on les trouverait en état de se bien défendre; il se retira à Mayence [Mogontiacum]. Quintinus, plus téméraire, prit seul le commandement de l'armée, et passa le Rhin près de Nuitz [Nivisium[669]]. Au second campement, il trouva de grands villages abandonnés[670]. Les Francs feignant d'être effrayés, s'étaient retirés dans des forêts dont ils avaient embarrassé les chemins par de grands abatis d'arbres. Les soldats romains mirent le feu aux habitations et passèrent la nuit sous les armes. Au point du jour, Quintinus entra dans les forêts, où il s'égara; enfin, trouvant toutes les routes fermées, il prit le parti d'en sortir, et s'engagea dans des marais dont ces bois étaient bordés. On aperçut d'abord un petit nombre d'ennemis qui, élevés sur les monceaux d'arbres abattus comme sur des tours, lançaient des flèches empoisonnées, dont la moindre blessure portait la mort. Leur nombre croissant à chaque moment, les Romains tentèrent d'abord de traverser les marais pour gagner la plaine; mais ils reconnurent bientôt que c'était chercher une perte