Title: L'Illustration, No. 3256, 22 Juillet 1905
Author: Various
Release date: April 8, 2011 [eBook #35798]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
LE "FARFADET" DANS LE BASSIN DE SIDI-ABDALLAH
La
recherche des corps des victimes, d'après un croquis pris dans la nuit
du 15 au 16 juillet. Voir l'article, page 68.
Ce drame du Farfadet n'aura pas été pour nous qu'un affreux cauchemar de deux semaines: il laissera, ce me semble, dans l'esprit des braves gens qui réfléchissent, le souvenir d'une très douloureuse leçon... Vraiment notre science a d'étranges lacunes et nous sommes un peu trop fiers, peut-être, des victoires qu'elle nous aide à remporter, çà et là, sur la vie. Elle a réalisé, cette pauvre science, des tours de force dont la vue nous stupéfie; et c'est pitié de voir éclater tout à coup son impuissance en face de problèmes dont il semblait que la solution ne dût être qu'un jeu pour elle...
Nous avons fait de la vapeur et de l'électricité nos esclaves, trouvé des remèdes géniaux aux maux humains; nous avons inventé le téléphone, le cinématographe et la télégraphie sans fil; nous saurons demain, peut-être, diriger un aérostat dans la tempête; nous photographions l'invisible; nous creusons sous les montagnes des tunnels de dix lieues et nous nous entre-tuons, sans nous voir, à quinze kilomètres de distance. Tout cela est beau. Mais qu'une embarcation, large comme un bateau de pêche et où quinze hommes à peine peuvent tenir, glisse au fond de l'eau, dans un peu de boue, et voilà notre génie désarmé. La mer est calme comme un lac; à cinq cents mètres du bateau disparu, un arsenal offre aux naufragés le secours d'un outillage formidable; on s'empresse, on met en oeuvre toutes les compétences, tous les courages; et, pendant ce temps, quatorze créatures humaines, qu'on ne peut sauver, agonisent, meurent de faim, de soif, d'asphyxie. Il faut travailler huit jours pour amener à fleur d'eau cette coquille de noix. Huit jours... A peu près, je crois, le temps qu'on met aujourd'hui pour aller du Havre à Chicago!...
... A l'occasion du 14 Juillet, quelques anciens soldats viennent d'être décorés de la médaille militaire. J'ai lu dans les journaux la liste de leurs noms. Ils sont quatorze. La plupart d'entre eux sont des combattants de 1870 qui ont attendu pendant trente-cinq ans que le gouvernement daignât s'intéresser à eux, reconnaître leurs services et les récompenser. Encore ceux-là n'ont-ils pas trop sujet de se plaindre; ce sont les favorisés, sur qui la République «avait l'oeil». A côté de ces chançards, j'en rencontre deux, en effet--nommés Caseneuve et Marchand--qui, simples soldats, furent «retraités pour blessures reçues au siège de Sébastopol, en juillet 1855». Ce sont aujourd'hui de pauvres vieux. Depuis cinquante ans, silencieusement, ils guettaient la récompense espérée; elle n'arrivait pas vite; ces troupiers n'avaient sans doute ni sénateurs ni députés dans leurs familles. Caseneuve et Marchand donnent un bel exemple de patience à la jeunesse. Ils sont la preuve que tout arrive, même les choses qu'on a fini de désirer.
Mais comment ces aventures comiques sont-elles possibles? L'État n'ignorait ni l'existence ni les titres de Caseneuve et de Marchand, puisque, depuis un demi-siècle, il les pensionnait. Qu'attendait-il, au juste, pour ajouter à son aumône la gloire d'un petit bout de ruban? On m'a raconté que l'ancienne chanteuse Scriwaneck, ayant appris que sa photographie avait été trouvée, en 1870, dans la poche d'un soldat mortellement blessé, s'était écriée: «Pauvre enfant... Si j'avais su!»
A l'égard des deux mutilés de Sébastopol, la grande Chancellerie ne pouvait invoquer ce genre d'excuse. Il y a cinquante ans qu'elle «savait»...
Une baraque à la fête de Montmartre. Mieux qu'une baraque: un vrai théâtre, tout fleuri de lampes électriques. C'est fête. Il est onze heures du matin et l'on distribue aux petits forains leurs prix de l'année, car les petits forains ont une école (démontable) et deux institutrices, aussi nomades qu'eux-mêmes, qui les accompagnent dans leurs déplacements. Je passais là. Cette illumination, en plein jour, d'une baraque de foire et le bruit de l'orchestre invisible m'intriguaient. J'ai demandé à voir. Le plus obligeamment du monde, un colosse en habit noir et cravaté de blanc m'a conduite dans la salle et fait asseoir près d'une table où s'empilaient des livres rouges à tranches dorées et des couronnes en papier peint.
Derrière cette table, des messieurs à mine grave et très bien mis étaient assemblés. Mon voisin me les nomma: c'étaient un dompteur célèbre, un athlète, un tenancier de manège de chevaux de bois, le directeur du théâtre où se donnait la cérémonie et quelques autres «patrons» du lieu. Les mamans, souriantes, avaient revêtu leurs plus fraîches toilettes (quelques-unes me semblèrent presque élégantes) et la tenue de ces écoliers et de ces écolières--petites robes et complets de bonne coupe, coiffures coquettes, petites mains gantées de fil blanc--donnait une impression d'aisance heureuse, de confort. Des personnages officiels présidaient la fête: un conseiller municipal, un inspecteur d'académie. Ils parlèrent. Les trompes des automobiles, le trot des chevaux sur l'asphalte et surtout le roulement ininterrompu des tramways de Trocadéro-la-Villette déchaînaient autour de nous une cacophonie, un vacarme de tonnerre et de ferraille remuée contre quoi les quatre cloisons de toile peinte de la baraque défendaient mal nos oreilles. Aussi entendait-on peu les orateurs. Je compris cependant qu'ils exhortaient ces enfants à l'accomplissement de leurs devoirs sociaux et rendaient hommage à l'utilité des professions «artistiques» où se distinguaient leurs parents. On les acclama. Des vers de M. François Coppée furent dits; je ne sais quelle romance de Beethoven fut chantée par un violon; on distribua des livrets de caisse d'épargne aux lauréats les plus brillants; la Marseillaise fut jouée.
Les forains eux-mêmes deviennent des «réguliers», et le saltimbanque, en s'enrichissant, s'embourgeoise. Sur le boulevard, entre deux roulottes toutes neuves dont les portes d'entrée se faisaient face, une jeune femme, d'excellente mine, apprêtait le déjeuner. Dans l'une des voitures, les fourneaux bien astiqués où fumait un odorant fricot; le couvert dressé sur une nappe blanche; dans l'autre, un mobilier presque cossu de petit salon bourgeois; un piano, des vases pleins de fleurs et, tout au fond, le lit de cuivre de la chambre à coucher tendue de cretonne claire. Je demandai à la jeune femme: «Combien cela coûte-t-il, une roulotte?» Elle eut un sourire modeste:
--Je ne sais pas, me dit-elle, je suis la bonne.
Un clou chasse l'autre... et l'étranger continue de défiler dans Paris. A peine l'Angleterre, après l'Amérique, a-t-elle plié bagage, que la Perse survient et s'installe. Nasr-ed-Din, le souverain d'hier était, me dit-on, un fervent ami des Français; Mouzaffer-ed-Din est également leur ami, ses fils le seront; ses petits-fils aussi. Etranges amis, dont l'âme nous demeure obstinément mystérieuse et close... Qui sont ces gens? Notre civilisation les attire, et cependant ils ont peur d'elle. Ils boivent nos eaux minérales et notre cuisine leur semble louche. On m'a conté qu'il y a seize ans Nasr-ed-Din consentit à venir déjeuner au premier étage de la tour Eiffel; mais qu'à la vue de l'ascenseur qui devait le mener au sommet, il fut pris d'une peur folle et s'enfuit à pied, suivi de son escorte ahurie, jusqu'à la voiture qui l'attendait à l'entrée du Champ de Mars. A la vitesse de six lieues à l'heure Mouzaffer-ed-Din consent à voyager en chemin de fer; au delà, il s'effare, perd la tête, menace de tirer la sonnette d'alarme. On le dit brave homme: mais ce brave homme entend ne nous rien laisser connaître de ses affaires et, là-dessus, ses ministres demeurent aussi fermés que lui. Ils ont raison. Nous sommes encore très éloignés de «l'âme persane», ainsi que le prouve cette anecdote:
Le chah de Perse était accompagné, à Paris, l'an dernier, d'un ministre nommé Mahmoud Khan qui ne figure point cette année dans sa suite.
--Qu'est devenu Mahmoud Khan? demandait hier un journaliste de mes amis à l'un des fonctionnaires de l'entourage de Sa Majesté.
--Il est mort, monsieur.
--Le pauvre homme! Il était jeune, pourtant, et semblait jouir d'une santé admirable.
--Admirable, en effet.
--Il a été malade longtemps?
--Non, monsieur. Il n'a pas été malade du tout. Il est mort d'une façon subite.
--Comment cela?
Le fonctionnaire, d'un air embarrassé:
--Il n'était pas sympathique au grand vizir.
Sonia.
M. Villaverde, qui naguère encore, au moment du voyage d'Alphonse XIII en France, occupait la présidence du conseil des ministres d'Espagne, est mort, le 15 juillet, à l'âge de cinquante-cinq ans, succombant à une congestion cérébrale.
Avocat réputé, après avoir commencé sa carrière publique comme sous-secrétaire au ministère des Finances, il était devenu préfet de Madrid. Il eut, ensuite, les portefeuilles de la Justice et de l'Intérieur; puis il fonda, avec M. Silvela, la fraction des conservateurs indépendants, distincte du vieux parti catholique. Très compétent en matière financière, il avait pris pour la première fois le portefeuille des Finances au lendemain de la guerre qui aboutit à la perte de Cuba. On le retrouvait au même poste en 1903 et enfin au mois de janvier 1905, époque où il succédait au général Azcarraga, en qualité de président du conseil. Le mois dernier, il quittait le pouvoir, renversé par une coalition de libéraux et de conservateurs.
M. Villaverde avait donné des gages de sympathie pour la France. Ses compatriotes lui savaient gré d'avoir appliqué ses aptitudes spéciales à la réforme des abus et au relèvement du crédit national; aussi sa mort a-t-elle été vivement ressentie en Espagne.
Nous publions ci-après la suite de l'enquête illustrée de notre collaborateur Gustave Babin sur l'extraordinaire aventure du "Kniaz-Potemkine"; nous reprendrons, la semaine prochaine, la publication de l'intéressant récit du "Voyage en Norvège", écrit pour L'Illustration par M. Brieux.
La première apparition du Kniaz-Potemkine devant
Constantza...--Phot. Besançon.
Constantza, 12 juillet.
Voici le théâtre où s'est déroulé le dernier acte d'un drame qui passionna les deux mondes et qui pouvait plus mal finir: Constantza, aujourd'hui encore une toute petite ville maritime, qu'aperçoivent de la portière de leur sleeping les voyageurs de l'Orient-Express en route vers Constantinople; demain, quand les travaux formidables qu'on y exécute vont être achevés, un beau grand port, pourvu d'un matériel moderne, et rival d'Odessa peut-être.
Cette ville est souriante, gentillette, au bord d'une vraie mer d'Orient, d'un bleu tendre, ridée à peine et tout inondée d'éclatante lumière. Dans les rues, quelques matelots, blancs et nets comme s'ils sortaient de leur «coffre», avec de grands cols bleus, coquettement empesés et, çà et là, des officiers, très élégants sous une tunique gris-tourterelle fort seyante, et aimables, empressés... comme de vrais marins français. Car Constantza est le port militaire de la Roumanie et, à l'abri de ses jetées, sont mouillés le croiseur Elisabeta, la longue flamme de guerre pendant inerte à son mât, et les deux torpilleurs Zmeul et Naluca,--toute la flotte roumaine, que d'aucuns avaient espéré voir s'augmenter d'une unité assez inattendue, le Prince-Potemkine-de-Tauride.
Constantza, on se le rappelle, fut le premier port que visita le Potemkine à son départ d'Odessa. Il venait y demander des vivres qu'on eut le regret de devoir lui refuser. On le fit dans des formes adoucies, car le Roumain est accueillant, charitable et peut-être, au fond, pas animé d'une sympathie outrée pour la Russie.
C'est à Constantza qu'il est revenu achever son inglorieuse odyssée.
D'ailleurs, nombre d'entre ceux qui montaient le Potemkine étaient des Roumains,--des Roumains de cette Bessarabie que la Russie s'arrogea et vers laquelle la Roumanie entière jette encore des yeux chargés de regrets. Aussi se sont-ils aussitôt sentis chez eux, sur cette terre. C'est l'un d'eux, précisément que j'interrogeais, tout à l'heure, par l'intermédiaire obligeant de M. le lieutenant de vaisseau Gavrilesco Feodor Pogarneatzà était «sergent-major de signaux». Exactement, il commandait les tambours du Potemkine, et ce fut lui, on peut le dire, qui donna les trois coups, au commencement du drame.
Les marins révoltés sur le pont du
Kniaz-Potemkine.--Photographie prise par M. A. Forst dans le port de
Théodosie le 5 juillet.
Feodor Pogarneatzà.
Le récit que j'ai recueilli de sa bouche me paraît intéressant à reproduire parce qu'il enterre définitivement la légende du Potemkine, telle du moins que nous la concevions.
Tout d'abord, le matelot dont la mort déchaîna cette rébellion ne s'appelait pas Omeltchouk. Il se nommait Vakoulemtchouk, mais son camarade ignore son prénom. Je l'ai recueilli à Odessa: Grégor.
Le Potemkine, qui n'avait pas encore effectué ses essais d'artillerie, était parti le 12-25 juin de Sébastopol pour Tendra, près d'Odessa, où il allait y procéder.
Le 13, on était à Tendra d'où l'on envoyait à Odessa, pour y faire des vivres, un torpilleur. Tout était parfaitement tranquille sur le Potemkine, en apparence du moins, car depuis longtemps un comité fonctionnait à bord--comme d'ailleurs, sur tous les navires de la mer Noire et dans toutes les casernes de la marine à Sébastopol--comité dont le sergent électricien Athanase Matuschenko (un second maître, dirions-nous en France) était l'âme et qui préparait un coup de sa façon. Mais on était nullement pressé d'agir. Mieux, même, on n'était pas prêt. On avait choisi une autre heure, plus tardive.
Dans la nuit du 13 au 14, le torpilleur envoyé aux vivres rejoignait le Potemkine à Tendra. Au lever, les matelots, en montant sur le pont, virent la viande qu'il rapportait, suspendue à des crochets, au grand air. Elle dégageait une telle puanteur qu'on avait dû laisser là, en plein air, tout ce qu'on n'utilisait pas pour le déjeuner. Il y eut, au gaillard d'avant, des réflexions, des murmures. On se concerta...
A l'heure de la soupe, bien peu de matelots descendirent. Le commandant Golickof fut avisé de l'incident. Il le prit assez mal. La viande fut soumise par lui à l'examen du docteur Smirnof, médecin en chef du navire, qui, bien sûr de ne pas déplaire à l'autorité, donna tort aux matelots.
Alors, le commandant donna l'ordre de réunir sur le pont tout l'équipage. Une batterie des tambours de Pogarneatzà retentit. Les matelots s'alignèrent en silence à l'arrière. Tous les officiers de service et le médecin étaient présents.
--Il paraît, dit le commandant Golickof, que certains d'entre vous ne sont pas contents de la nourriture du bord et protestent. Tant pis pour eux. La viande est excellente et le docteur l'affirme. Mais, comme je veux connaître les mauvaises têtes, que ceux qui veulent bien manger passent ici,--et il désignait l'espace libre sur le pont, derrière lui. --Que les autres restent là,--devant lui.
Tout l'équipage, à peu près, défila devant le commandant, sans murmures, et vint se ranger où il avait dit. Demeuré en face d'une trentaine d'hommes qui hésitaient, il arrêta le défilé et fit sonner à la garde: dix-huit marins en armes arrivèrent et entourèrent les mécontents.
Le commandant avait perdu tout sang-froid: il commanda de fusiller sur l'heure les mutins. La garde obéit au commandement de charger les armes, mais ne fit plus un mouvement au cri de: «Feu!»
L'état-major et l'équipage du "Kniaz-Potemkine" avant le
drams.
Le torpilleur 267.
C'est alors qu'indigné de cette défection le second du bord, le capitaine Ghelerovski, arrachant à l'un des marins son fusil, mit en joue le sous-officier qui commandait le peloton. La balle partit, manqua le but, s'égara. Elle alla frapper Vakoulemtchouk, perdu dans le tas des trente.
Traversé de part en part, à la hauteur du rein, le matelot eut l'énergie de descendre dans la batterie pour y prendre son fusil; il fut le premier qui fit ce geste de rébellion, bientôt imité, comme on le verra. Sans que j'aie pu faire préciser ce qui se passa ensuite, on le repêcha, un moment après, de la mer où il était tombé, ou s'était jeté, ou avait été précipité. On le transporta à l'infirmerie. Le signal du carnage était donné.
Les hommes, ceux d'abord qui étaient demeurés ou avaient été laissés à part, puis tous, aussi bien «ceux qui voulaient manger» que les autres, s'étaient rués vers les râteliers d'armes.
Le capitaine Ghelerovski
(debout).
Le commandant Golickof avait fui avec son état-major. Seul le second, Ghelerovski, demeurait sur le pont: ce fut lui la première victime. Puis vint l'officier chef de l'artillerie, le capitaine Nioupakoïof. Le médecin en chef, le docteur Smirnof, se suicida d'un coup de bistouri, ou de sabre, au bas-ventre.
On fusilla l'enseigne Livintsof et le lieutenant de vaisseau qui dirigeait à bord le service électrique, M. Thone. Enfin on rejoignit dans la chambre de l'amiral le commandant Golickof qui s'était terré là, avec l'enseigne Alexeief, tous deux enfermés à double tour. Le commandant suppliait en pleurant «ses enfants» de l'épargner.
Ses prières ne pouvaient être entendues!...
Une bande qui remontait, cette sanglante besogne achevée, avisa, à l'entrée du carré, le pope Parmen, aumônier du bord, effaré, fuyant. Un des matelots, d'un coup de crosse, lui broya à demi le visage contre la cloison de fer. C'était Matuschenko.
Un officier, qui s'était jeté à la mer pour échapper à la fusillade, fut tué par un feu de salve.
Le massacre s'arrêta à ces sept victimes. On avait supprimé tous ceux qu'on haïssait, de qui on avait eu à se plaindre. On jeta les cadavres à la mer, sans une bénédiction. Les autres officiers demeuraient comme otages. On allait en rendre neuf à Odessa, ne gardant à bord, de vive force, que ceux qui étaient nécessaires à la marche du navire.
On ne songea même pas à faire disparaître les traces du drame, à réparer, fût-ce sommairement, les dégâts, le désordre, qui demeuraient. «Quand le Potemkine fut rendu à la Roumanie, me disait le capitaine Gavrilesco, on retrouva toutes les cabines des malheureux officiers dans un état lamentable, glaces brisées, meubles éventrés ou démolis à demi.» On ramassa même, quelque part, un débris sanglant, un doigt tranché d'un coup de sabre à une main qui suppliait peut-être.
Et le règne de Matuschenko commença. Il fut peu brillant.
Tous ceux qui, à Constantza, ont approché Matuschenko demeurent comme hantés du souvenir de cette inquiétante figure de brute, aux pommettes saillantes de Kalmouk, aux yeux haineux, au front obscur, stupide, fourmillant d'idées féroces.
Devant Odessa, aucun des révoltés ne voulait consentir à tirer sur la ville. Cette crainte de nuire à des innocents, de causer des morts inutiles, on la verra de nouveau se manifester devant Théodosie, bien que, là, on eût été attaqués, qu'on ait eu des blessés et des morts.
Les deux coups de canon tirés à blanc sur Odessa leur semblaient suffisants pour affoler les autorités de la ville et assurer la liberté à ceux de leurs camarades envoyés aux obsèques de Vakoulemtchouk. Matuschenko s'entêtait, imbécile, farouche, à vouloir faire charger les pièces à obus.
--Mais à quoi bon? lui demandait-on.
--Pour étrenner les canons!
Quant à l'un de ses principaux adjudants, Nikishkine, c'était un halluciné qui croyait voir de temps à autre le Christ lui apparaître!
La «nuit rouge» d'Odessa dut être douce à l'âme de cette dangereuse bête qu'était Matuschenko. Elle lui apporta, en outre, un réconfort moral, une aide que, peut-être, il n'avait pas prévue.
Dans la soirée, à la lueur fauve de l'incendie, une barque amena vers le Potemkine deux jeunes gens, deux étudiants, qui pouvaient bien fuir les flammes, et qui aussi venaient--qui sait?--de propos délibéré rejoindre les révoltés pour les diriger et s'en servir. L'un se serait appelé Ivanof; on ne connaissait l'autre que sous son prénom: Cyrille. Ce furent les deux seuls civils qu'il y eut jamais à bord.
Les marins du Potemkine supposèrent que Matuschenko avait pu s'aboucher avec les révolutionnaires d'Odessa dans la journée. Mais, dans ce cas, ne seraient-ils venus plus nombreux, apportant une organisation préparée, un plan? Ce qui frappe, dans tout cela, c'est au contraire le désarroi, le décousu de l'action. La rébellion du Potemkine est un fait. L'incendie, les troubles d'Odessa, d'autres faits, survenus à la faveur du premier, mais fortuitement, comme avait éclaté la sédition des marins. Ceci fut peut-être le signal de cela, mais les deux actions n'avaient pas été combinées.
Pogarneatzà me l'a répété à plusieurs reprises: on préparait lentement une révolte de toute l'escadre de la mer Noire. Des comités mystérieux fonctionnaient sur chaque bateau et devaient se concerter sur le moment, l'heure. La mort de Vakoulemtchouk brusqua le mouvement pour un des navires. On sait que les autres ne suivirent pas, ou suivirent mal, comme le Georges. On n'était pas prêt.
Cyrille et Ivanof apportèrent aux révoltés un concours un peu intelligent qui leur faisait grandement défaut. A peine arrivés à bord, ils se répandirent en discours véhéments, suppliant les matelots de prêter leur concours à la ville contre le despotisme, contre le tsarisme. Ils ne furent pas entendus, et les canons du Potemkine demeurèrent muets cette nuit-là. On se borna à fouiller le port avec les projecteurs électriques, à suivre les progrès de l'incendie, à faciliter, ainsi, la besogne des pétroleurs.
Le lendemain, on s'organisa pour naviguer.
Comme commandant, on élut l'enseigne Alexeief, qui était doux et bon et avait les sympathies unanimes du bord; je ne dis pas qu'il les rendît, surtout à ce moment où on le chargeait, à son corps défendant, de cette lourde responsabilité. Le second fut un maître, Mourzach. Deux officiers mécaniciens dirigèrent le service de l'énorme machinerie. L'un, Kovalescenko, était, d'ailleurs, de tout coeur avec les révoltés.
L'enseigne de vaisseau Alexeief et les
autres officiers du «Potemkine» que les
mutins épargnèrent mais obligèrent à
diriger le cuirassé.--Photographie prise
après leur débarquement à Constantza.
Enfin, un comité de vingt membres fut constitué et investi de l'autorité suprême: on fut comme en république, une république où fonctionnait le referendum, où l'on consultait parfois le corps électoral, sans suivre, d'ailleurs, ses avis, quand ils déplaisaient. A preuve que, dès le premier séjour du Potemkine dans les eaux de Constantza, cinq cents des matelots étaient d'avis de se rendre, de débarquer, d'arrêter net l'odyssée. Et vous savez le reste!
Chose inouïe, invraisemblable, le vrai maître du bord, le maître absolu et, selon la formule usuelle, le «maître après Dieu» du cuirassé, ce fut Matuschenko. Cyrille et Ivanof, qui siégeaient au «comité exécutif», ne purent jamais dompter ce fauve.
Il dominait par la terreur. Il allait et venait par les coursives sur le pont, dans les batteries; toujours furieux, frénétique, le revolver au poing, sans cesse menaçant. Tous tremblaient à le voir apparaître.
Matuschenko.
Photographie prise au débarquement à
Constantza.
Plus d'un dut regretter le tendre second, Ghelerovski, l'homme au fusil!
Seul de tout ce troupeau, Matuschenko avait une volonté. Elle se heurta cependant, se brisa contre l'inertie des sept cent cinquante pauvres diables, pas méchants, prisonniers avec lui sur ce navire en désarroi.
Quand, à Odessa, le Potemkine--auquel bientôt se joignit le Georges--se trouva en présence de l'escadre de l'amiral Krieger, les révoltés se défendirent de tirer contre leurs camarades, attendant les premiers obus, sans se douter que, de leur côté, les frères encore soumis, mais à peine, refusaient également de les attaquer.
Pareillement, on ne voulut jamais consentir à suivre l'idée de Matuschenko, qui était de débarquer de force en Russie. Seul, devant lui, chacun de ces hommes frissonnait dans l'attente d'une balle; réunis pour une décision à prendre, ils résistaient de toutes leurs forces à ses lubies de dément.
Depuis le début, un torpilleur, le 267, s'était attaché à la fortune du Potemkine. A moitié de bon coeur, seulement. On avait pris son commandant à bord, et on le débarqua à Odessa avec les huit officiers du Potemkine qu'on avait épargnés et dont on n'avait pas besoin pour la conduite du navire. En même temps, on plaçait sur le petit bateau cinq des plus «purs» du Potemkine, pour mater, au besoin, son équipage. Le 267 suivit donc sous la menace des canons du cuirassé. Vous avez appris avec quel empressement il rebroussa chemin vers Sébastopol dès qu'il fut libre de le faire, le Potemkine une fois amarré dans le port de Constantza!
Matelots du «Potemkine» et officiers
roumains à
Constantza.
«La vie sur le Potemkine fut une vie d'enfer», me disait Pogarneatzà.
Dès le soir du premier jour, on n'avait plus de pain. Ce fut la première chose qu'on demanda à Constantza. On vécut de biscuits, de conserves. On souffrit presque de faim, parfois.
Dans cette énorme ville flottante, dans ce monstrueux engin, la plupart, sans doute, des hommes ignoraient ce qui se passait, ce qu'on faisait, où l'on allait.
Ils s'abandonnaient, résignés.
Et c'étaient des querelles sans fin, entre une poignée d'énergumènes et l'immense majorité de l'équipage, repentant, inquiet des suites de cette équipée, anxieux de l'avenir; des rixes, des scènes atroces auxquelles mettait fin, son revolver toujours braqué, le frénétique Matuschenko.
L'aventure de Théodosie acheva de dégriser les plus endurcis des rebelles. On put se procurer, dans ce port, des vivres le jour où l'on y arriva; mais, quand, le lendemain, on revint pour prendre le charbon promis, qui était devenu indispensable, les cosaques du quai accueillirent la chaloupe à coups de fusil, tuèrent sept hommes, dont Ivanof, et en blessèrent trois, actuellement soignés à Constantza.
Ce fut à bout de ressources, les soutes surtout complètement vides, qu'on aborda à Constantza, malgré Matuschenko, malgré Cyrille, qui voulaient faire sauter le navire.
On y arriva le samedi 8, vers une heure du matin. Au jour, on entamait des pourparlers pour la reddition du navire au gouvernement roumain. A trois heures, le pavillon rouge était amené et le pavillon roumain, bleu, jaune et rouge, le remplaçait à la pomme du mât, tandis que les rebelles débarquaient, un équipage roumain prenait possession du cuirassé, dont le commandement était confié au capitaine de vaisseau Torgulesco, avec le capitaine Ciudin comme second.
Un pope reçoit, à bord du «Potemkine», le nouveau serment
de fidélité au tsar des cinquante repentants.Voir à la page
suivante.
Mais l'intérêt n'était plus là: il était sur le quai où arrivaient, par fournées, les marins russes.
Quel enthousiasme! quel délire! Je me demande si les marins de l'amiral Avellane, aux jours des premières tendresses, furent accueillis, chez nous, comme le furent ici ces innocents pirates. On se les arrachait. Chacun eut «son Russe». Et, comme je l'ai dit, la plupart, originaires de Bessarabie, parlant parfaitement le roumain, on s'entendit aisément.
On les dévalisa d'ailleurs de tout ce qu'ils possédaient de susceptible de constituer un souvenir: boutons d'uniforme, bérets, rubans rayés orange et noir au nom du Kniaz-Potemkine-Tauritchessky. Des gens pratiques ont amassé des stocks qu'ils écoulent. Un ruban de béret valait, au cours du jour,15 francs, hier!
Les plus endiablés, songeant aux bals masqués futurs, voulurent acquérir une tenue complète et habillèrent de neuf, au magasin voisin, quelques matelots. Le «marin russe» sera beaucoup porté, la saison prochaine, en Roumanie. Et, quant aux «beuveries», je vous laisse à penser ce qu'elles furent, non pas du côté des hospitaliers Roumains, race essentiellement sobre, mais de la part de leurs hôtes, un peu rationnés les jours précédents.
Les 750 hommes furent reçus comme des hommes libres et laissés à même de partir là où bon leur semblerait et comme ils le voudraient. La plupart demandèrent à être employés aux travaux des champs; très sagement, les autorités les répartirent par groupes de 50 à 100 dans diverses villes d'où l'on aurait la facilité de les diriger vers les propriétés, pour la moisson.
A Constantza: les révoltés du Kniaz-Potemkine emportant
leur paquetage.--Phot. Besançon.
Le gouvernement du roi Charles, qui venait de rendre au gouvernement du tsar un service incontestable et qui n'est peut-être pas sûr, à l'heure qu'il est, de pouvoir jusqu'au bout s'en féliciter--car, enfin, la mise en liberté des rebelles peut donner lieu à quelques observations assez justes--le gouvernement du roi Charles avait annoncé télégraphiquement à Saint-Pétersbourg la grande nouvelle. Dans l'après-midi même du dimanche, une escadrille russe, composée des croiseurs Tchesmé, battant pavillon de l'amiral Pisarewsky, du Sinope et de quelques torpilleurs, venait chercher le Potemkine qu'elle poursuivait depuis plusieurs jours et qu'elle trouvait enfin désarmé. On laisse entendre qu'elle mit, à l'accomplissement de sa mission, peu de formes. Elle reprit son bien, son dû, sans se confondre trop en remerciements. A deux heures après midi, la cérémonie était terminée.
Quelques marins du Potemkine, à la vue du pavillon de Saint-André flottant de nouveau sur «leur» bateau, sentirent leur coeur se fondre de repentir; une cinquantaine retournèrent à bord, où un pope reçut leur nouveau serment de fidélité au tsar. Après quoi, on les mit à fond de cale--ainsi d'ailleurs que les officiers et sous-officiers eux-mêmes, gardés de force par les insurgés sur le navire pour le conduire. D'aucuns assurent qu'on procéda à quelques exécutions sommaires. Mais c'est mal connaître les Russes que de les croire capables d'un pareil manquement aux règles de la courtoisie internationale.
Enfin, l'équipage que l'amiral Pisarewsky mit sur le Potemkine y trouva tout en état. Les feux étaient allumés, l'électricité avait illuminé le bord toute la nuit, les servo-moteurs tournaient, tout allait bien. Il n'y avait plus, semblait-il, qu'à donner le traditionnel: «En avant!»
Toutefois, on remarqua que le cuirassé s'était sensiblement enfoncé, à la poupe, depuis son arrivée. Il semblait faire eau. On s'inquiéta.
L'état-major russe fit rechercher la voie d'eau. Une vanne avait été ouverte. Par qui? Précisément, a-t-on avancé, par les matelots qui s'étaient soumis l'après-midi, et qui, emprisonnés, menacés de mort, s'étaient de nouveau révoltés: mais saura-t-on jamais la vérité, toute la vérité sur ces histoires... Où? On ne parvint pas à la découvrir tant qu'on fut à Constantza, et beaucoup d'officiers de marine attendent impatiemment, non sans quelque inquiétude, la nouvelle de l'arrivée du bateau à bon port.
A Constantza: accostage du remorqueur débarquant
l'équipage du Kniaz-Potemkine.
L'amiral avait télégraphié à Bucarest qu'il lèverait l'ancre à six heures, le dimanche. Mais il ne put d'abord mettre ses cabestans en action. Et puis, il y avait cette eau qui arrivait toujours et qu'il fallait épuiser sans relâche. L'amiral renvoya à terre le pilote roumain, voulant à tout prix découvrir la vanne, l'inquiétante vanne ouverte, avant que de lever l'ancre.
Le pilote revenu lundi matin, à sept heures, on n'avait pas encore aveuglé la voie d'eau. Et le mécanicien, nouvellement arrivé sur ce monstre, étudiait sa machine.
Sur les conseils du pilote, on se décida enfin à faire sortir le Potemkine du port par des remorqueurs et à le conduire jusqu'au Tchesmé, afin que celui-ci le prit à la remorque. Ce qui fut fait. Et ce fut dans cet équipage peu brillant que le Kniaz-Potiemkine-Tauritchessky soumis, derechef bénit, fit route vers Sébastopol, le lundi soir, à sept heures.
En somme, s'il fallait conclure, je dirais qu'il n'y a pas eu, dans cette extraordinaire aventure, tout ce qu'on y a vu de compliqué. Cette rébellion ne fut si peu grave, au demeurant, en ses conséquences, que parce qu'elle fut mal préparée--qu'elle ne fut pas préparée, même; qu'elle éclata avant l'heure. C'est une rébellion d'enfants terribles et inintelligents--surtout inintelligents. Je verrais là volontiers un de ces phénomènes dont parle Taine, un de ces cas «d'anarchie spontanée», selon son mot, qui marquèrent le commencement de la Révolution française, en furent le signal, multipliés à l'infini sur le territoire entier--comme en Russie; intéressant comme symptôme, inquiétant comme exemple.
Gustave Babin.
Le Kniaz-Potemkine, rendu aux autorités russes, est
remorqué vers Sébastopol.
LES FÊTES FRANCO-ANGLAISES DE BREST
L'initiation des marins anglais aux amusements populaires français:
un
tour d'équitation sur le manège forain.
(Agrandissement)
UN 14 JUILLET FRANCO-ANGLAIS A BREST
Le bouquet du feu d'artifice tiré en rade par les escadres.
--Dessin
d'après nature de G. Scott, à bord du yacht de F. de Haenen,
dessinateur au «Graphic» et de «L'Illustration».
Vice-amiral May, com. l'escadre anglaise. |
Sir F. Bertie, ambassadeur. |
Vice amiral Pephau, préfet maritime. | Mme l'amirale May. |
Vice-amiral Caillard, com. de l'escadre du Nord. |
Les futurs amiraux des deux marines:
«bordaches» et «midshipmen» (ces derniers en pantalon blanc). |
Un brin de causette dans une rue de Brest. |
Un représentant du Japon. | S. Exc. le prince Radolin, ambassadeur d'Allemagne. | S. Exc. l'envoyé extraordinaire de la république de Libéria. |
Phot. Julius Grape.
JOYEUSE ENTRÉE A STOCKHOLM DU
PRINCE GUSTAVE-ADOLPHE ET DE SA JEUNE FEMME.
De retour de leur voyage de noces en Irlande, le prince Gustave-Adolphe de Suède et sa jeune femme, la princesse Marguerite de Connaught, ont fait, à Stockholm, le 9 juillet, une entrée solennelle, à bord du canot royal. Notre photographie, prise de la rive, les montre, répondant joyeusement aux acclamations de la foule. Après deux jours de fêtes, le jeune couple princier s'est installé au château de Rosendal.
M. Clémentel traitait, mardi dernier, les représentants coloniaux au
Parlement et au conseil supérieur des colonies, ainsi que les directeurs
de son ministère. Comme, chez le jeune ministre, les soucis de
Un nouveau bateau à turbines: The Onward.
l'administration laissent place--une large place--à ceux de l'art, il
avait voulu approprier le cadre au sujet et c'est à l'Exposition
coloniale qu'il recevait ses invités.
Notre objectif a saisi M. Clémentel au moment d'une conversation animée avec l'un de ses prédécesseurs, M. Guillain, qui fut précisément le créateur du Jardin colonial.
Rencontre du passé et du présent. N'est-ce pas de ces deux facteurs qu'est fait l'avenir, c'est-à-dire le progrès?
Lundi dernier a eu lieu, à Boulogne, une petite fête nautique qui était en même temps une intéressante manifestation scientifique. En présence des autorités, des baigneurs, du Tout-Boulogne, on a inauguré le nouveau et luxueux bateau à turbines, The Onward, de la Compagnie du «South Eastern and Chatam Railway».
On se rappelle dans quelles circonstances le gouvernement décida d'envoyer M. de Brazza en mission au Congo. Des faits d'une nature révoltante, abus de pouvoir, sévices, meurtres accompagnés de tortures, dont de nombreux indigènes auraient été les victimes, avaient provoqué des poursuites judiciaires contre certains fonctionnaires coloniaux. Il semble bien, toutefois, que les faits signalés aient été quelque peu dénaturés, exagérés tout au moins, et l'instruction ouverte à leur sujet a permis de les réduire à des proportions plus exactes. Quoi qu'il en soit, le gouvernement français a sagement fait d'envoyer procéder à une enquête sur place. Depuis de longues années déjà, notre colonie s'anémie dans un marasme anarchique qui menace de lui être funeste. M. de Brazza, l'éminent explorateur qui donna ces vastes territoires à la France, trouvera certainement les remèdes indispensables pour les lui conserver.
M. Clémentel, min. des Colonies. |
M. Guillain ancien ministre. |
M. Bea, chef de cabinet. |
Dybowski, dir. du Jardin colonial. |
M. Harpet, dép. du Sénégal. |
M. Cireron, sén. de la Guadeloupe. |
M. Godin, sén. de l'Inde. |
M. Clémentel et les représentants des colonies dans le jardin de
l'Exposition coloniale de Nogent-sur-Marne.
Partout sur le passage de la mission, à Libreville, le long de l'Ogôoué, à N'Djolé, à Brazzaville enfin, les chefs indigènes sont venus au-devant de M. de Brazza et lui ont prodigué toutes les marques de la vénération et de la confiance.
Notre photographie représente une palabre de chefs bétékés et bellalis, présidée par le chef de la mission, assisté de Mme de Brazza. Une palabre, c'est une discussion, une contestation sur un droit. M. et Mme de Brazza sont assis au seuil de l'hôtel de M. Gentil, notre commissaire général au Congo. Devant eux, les chefs noirs, assis sur le sol en demi-cercle, discutent l'impôt--l'amende, comme ils disent--auquel ils sont astreints. Ils demandent des facilités de payement et M. de Brazza vient de leur causer une grande satisfaction en les autorisant à s'acquitter désormais, à leur gré, soit en espèces, soit en nature, c'est-à-dire en boules de caoutchouc.
Mme et M. de Brazza. |
Le 16 juillet a commencé en Belgique la «grande semaine», consacrée par nos voisins à la célébration du soixante-quinzième anniversaire de leur indépendance. Le programme comportait nombre de cérémonies, manifestations et réjouissances; mais, avant toute chose, les premières démonstrations patriotiques du peuple belge devaient s'adresser au souverain qui naquit cinq ans après l'événement de 1830, solennellement commémoré.
Donc, dimanche dernier, la résidence de Laeken, dont Léopold II s'est plu, on le sait, à faire une sorte de «Versailles», a servi de cadre au brillant prélude de la fête nationale. Au milieu du vaste parc, au pied du monument de Léopold Ier, une loge tendue de pourpre avait été dressée. C'est de là que le roi écouta la harangue du bourgmestre de la commune, M. Bockstael, et y répondit, aux acclamations chaleureuses de la foule.
Quelques jours auparavant, on aurait pu voir Léopold II se promener à Laeken même avec beaucoup moins d'apparat. C'était un matin, vers onze heures; le souverain, seul, en petite tenue de général, sans autre escorte qu'un piqueur, à distance respectueuse, chevauchait le long de la grille du parc, venant d'inspecter les travaux de la résidence. Or, sur son passage, se trouvait juste à point un virtuose de l'«instantané», qui prit le très intéressant portrait équestre que nous reproduisons. Ce document est d'autant plus curieux que le roi ne monte plus guère à cheval et qu'il a pour l'objectif une horreur notoire.
LE ROI DES BELGES LÉOPOLD II SE PROMENANT A CHEVAL A LAEKEN, PRÈS DE
BRUXELLES.
D'après une photographie instantanée de M. G. Nadaud.
Façade sur la rue de Lille.
M. Jouhannaud. M. Bliault. M. Frouin. M. Bérard.
Pose de la première pierre de la maison des Dames
des Postes, Télégraphes et Téléphones, par
M. l'ingénieur en chef Frouin, sous la présidence
de M. Alexandre Bérard.
M. Alexandre Bérard, sous-secrétaire d'Etat des Postes et des Télégraphes, avait été frappé des conditions défectueuses de logement et d'alimentation d'un grand nombre de dames employées de Paris, lorsqu'elles n'habitent pas dans leurs familles, et c'est le cas pour celles d'entre elles qui viennent de province.
Il n'existe, en effet, que quelques maisons aménagées pour des femmes seules, et encore ce qui a été établi jusqu'ici ne répond, pour diverses raisons, que très imparfaitement aux besoins que ressentent les employées de l'administration des postes, des télégraphes et des téléphones. Quant aux restaurants, exclusivement, féminins, leur nombre est très faible et, pour différents motifs, ils attirent difficilement la clientèle des dames employées.
D'autre part, M. Bérard avait constaté le désir manifeste qu'ont les employées de se réunir et de se grouper pour vivre en commun et reconstituer ainsi le foyer familial éloigné, désir qui est établi par l'existence d'assez nombreuses petites pensions où se retrouvent un certain nombre de dames du télégraphe ou du téléphone, mais où, en raison de leurs conditions même d'établissement, toutes les lois de l'hygiène moderne ne reçoivent pas toujours satisfaction.
C'est cette constatation de fait qui a suggéré l'idée de construire une maison où seraient logées une partie de ces jeunes filles et d'ouvrir un salon de travail et de lecture et une salle de restaurant où toutes pourraient être admises.
M. Bérard demanda à M. Georges Trouillot, alors ministre du Commerce et de l'Industrie, de créer une commission qui aurait pour mission d'étudier la question plus au fond et d'établir les bases sur lesquelles une société pourrait se constituer. Cette commission, dans laquelle furent appelés tous les initiateurs de l'oeuvre: MM. Jules Siegfried, Menier et Vazeille, députés; Paulet, directeur de l'Assurance et de la Prévoyance sociales; Chapsal et Jouhannaud, chefs des cabinets du ministre et du sous-secrétaire d'Etat; Frouin, ingénieur en chef; Charvin, chef de bureau; Mmes Peauger, Roy, Riaut, receveuses; Korn, Dupré, Fournier, surveillantes et employées, a conclu à la formation d'une Société par actions et a élaboré des statuts qui, après avis favorable du comité permanent des habitations à bon marché, ont été approuvés par M. le ministre du Commerce, de l'Industrie, des Postes et des Télégraphes à la date du 7 janvier 1905. Ces statuts ont été conçus dans un esprit extrêmement libéral et surtout en vue de permettre au personnel des postes, des télégraphes et des téléphones de s'intéresser à l'oeuvre et de lui donner sa direction définitive. Le mode coopératif a été adopté comme étant la forme normale d'une telle entreprise qui sera régie par les lois et les règlements sur les habitations à bon marché. Les statuts fixent le montant des actions à 25 francs, ce qui ouvre la porte très large aux souscripteurs; ils admettent un fonds de prévoyance pour permettre à de généreux philanthropes de donner à la Société un appui pécunier assurant son avenir.
L'appel fut entendu et, le 11 janvier 1905, la Société était constituée au capital initial de 135.000 francs et possédait un fonds de prévoyance de 70.000 francs et plaçait à sa tête au conseil d'administration la plupart des membres de la commission.
Un terrain de 600 mètres fut acquis rue de Lille, 41. Cette maison se trouvera ainsi à proximité des grands bureaux féminins (caisse d'épargne postale, articles d'argent, télégraphe central, téléphone principal).
Les plans en ont été dressés par M. Bliault, architecte du gouvernement et du Musée social et qui, à ce dernier titre, a déjà coopéré à tant d'oeuvres intéressantes (édification des palais des congrès d'économie sociale aux Expositions universelles de Paris 1900, de Saint-Louis et de Liège et de nombreux et intéressants types d'habitations ouvrières).
La nouvelle maison aura six étages, sa façade sera élégante. Le sous-sol, surélevé, sera occupé par les cuisines, les lavabos, etc. Le rez-de-chaussée, d'une hauteur de plafond de 5 mètres, comprendra trois grandes divisions communiquant largement entre elles, un salon de travail et de lecture, un hall vitré et une salle de restaurant; une grande cour de 200 mètres est ménagée entre les bâtiments. Toute cette partie sera accessible aux locataires de la maison, une centaine environ, et aussi aux jeunes filles appartenant ou non à l'administration des postes et faisant partie du cercle. Par ce moyen, l'oeuvre étendra son action utile à un très grand nombre de personnes. Les chambres seront vastes, bien aérées, chauffées à la vapeur. Le mobilier modern-style qui les garnira sera fort coquet.
Les locataires auront à leur disposition de l'eau chaude, des salles de bains et de douches, etc..
Les matériaux sont tous de première qualité et les procédés de construction sont ceux qui résultent des derniers progrès de l'hygiène.
Malgré ce grand confort, les prix seront peu élevés, grâce, d'une part, à la faible rémunération du capital social, limitée par les statuts à 3% et, d'autre part, aux sacrifices que divers entrepreneurs et fournisseurs ont consentis en raison de la nature philanthropique de l'oeuvre.
Mais les dépenses pour une pareille entreprise sont très considérables: plus de 550.000 francs; pour y faire face, la Société a le produit de ses actions et les dons. Pour augmenter ses ressources, elle a dû emprunter à la Société française de crédit des habitations à bon marché. Tout cela réuni ne donne pas encore la somme nécessaire; convaincue néanmoins qu'une oeuvre sociale qui s'adresse à un si grand nombre de jeunes filles particulièrement intéressantes ne peut que trouver, partout où elle est connue, des sympathies et des appuis, la Société a décidé de se mettre à l'oeuvre sans plus tarder, tout en faisant un nouvel et pressant appel en vue d'obtenir de nouveaux dons et de nouvelles souscriptions d'actions. Les envois peuvent être faits à l'une quelconque des correspondantes de la Société ou à M. Frouin, secrétaire-trésorier, 103, rue de Grenelle.
C'est avec cet espoir que la Société a procédé à la pose de la première pierre de sa maison. La cérémonie a eu lieu sous la présidence de M. Alexandre Bérard. Il a été placé dans un tube en plomb une médaille commémorative à l'effigie de la République, des pièces de monnaie d'argent au millésime de 1905, une collection complète des figurines postales actuellement en usage.
Rendez-vous a été pris dans six mois pour l'inauguration des nouveaux bâtiments.
Coupe longitudinale de la maison des Dames des Postes,
Télégraphes et Téléphones.
La Comédie-Française vient de représenter avec le plus grand succès les Phéniciennes, drame en vers de M. Georges Rivollet que L'Illustration a publié en août 1903, au lendemain de son apparition sur la scène du théâtre antique d'Orange. L'interprétation est à peu près la même qu'il y a deux ans; toute l'excellente troupe tragique du Théâtre-Français donne dans ce noble ouvrage qui, par le style et le choix des images, d'ordre purement classique, rend accessibles à tous, les beautés de l'oeuvre d'Euripide dont il est inspiré.
M. G. Nagelmackers.--Phot. Nadar.
M. Georges Nagelmackers, administrateur-directeur général de la Compagnie des Wagons-Lits, commandeur de la Légion d'honneur, vient de mourir à Villepreux, à l'âge de soixante et un ans. Il était né à Liège, où son père était banquier. Jeune ingénieur, il était parti pour l'Amérique, d'où il avait rapporté quelques années plus tard, en 1873, l'idée des wagons-lits, qu'il avait empruntée à Pullman.
En 1876, il fondait la Compagnie internationale, au développement de laquelle il devait consacrer toute son activité.
Sur son initiative, des innovations successives furent apportées au matériel et à l'exploitation. Aux wagons-lits succédèrent les wagons-restaurants, puis les trains de luxe, réunissant ces deux unités de transport: d'abord l'Orient-Express, puis le Sud-Express, le Nord-Express.
Après l'achèvement du Transsibérien, M. Nagelmackers obtint de l'État russe l'autorisation de faire circuler sur la nouvelle ligne un train de luxe qui, destiné à prolonger le Nord-Express et à faire le service entre Moscou et Péking, en raison des derniers événements, ne fonctionne encore qu'entre Moscou et Irkoutsk.
Le défunt laisse un fils, M. René Nagelmackers, l'un des directeurs de la Compagnie fondée par son père.
Une tache énorme, bien visible à l'oeil nu, vient d'apparaître à la surface du soleil (à la latitude de 12° dans l'hémisphère boréal), au méridien central duquel elle est passée le 16 juillet.
Ce magnifique phénomène est digne de l'époque du maximum de l'activité solaire, maximum qui doit avoir lieu précisément cette année. L'étendue totale sur laquelle s'étend cette perturbation de la surface de l'astre du jour est d'environ 200.000 kilomètres. Mais il s'agit d'un groupe de taches; la principale, avec ses langues de feu, sa pénombre à structure très compliquée, a une dimension de près de 100.000 kilomètres. Le reste du groupe est non moins intéressant, quoique moins apparent; tous les nombreux détails qui le composent et dont les changements ont été assez notables en quelques jours, apparaissent comme voilés par des gaz lumineux.
La rotation du globe solaire fera disparaître cette tache le 23 juillet. Si elle persiste quelque temps, on peut s'attendre à la voir réapparaître vers le 6 août.
Le 10 juillet, à 8 h. 30 matin. | Le 15 juillet, à 11 h. 30 matin. |
LES TACHES DU SOLEIL
Photographiées par M. L. Radaux, à Donville
(Manche).
M. Etienne, ministre de l'Intérieur, est allé présider, dimanche dernier, à Saint-Etienne, l'inauguration du monument élevé par souscription à la mémoire de Pierre-Frédéric Dorian, ancien ministre des Travaux publics sous le gouvernement de la Défense nationale.
Ce monument, placé dans un square en face de la nouvelle avenue du Président-Félix-Paure, est dû à la collaboration de deux artistes foréziens, lauréats du Salon, MM. Ch.-Louis Picaud, sculpteur, et Marcel La Maizière fils; sauf la statue en bronze, il est tout entier en pierre de Comblanchien; le socle porte sur ses laces les armoiries de Saint-Etienne et celles de Montbéliard, dont le maître de forges était originaire, ainsi que les médaillons de ses fils, Charles et Daniel, successeurs de leur père comme députés de la Loire. La composition de l'oeuvre fait honneur au talent de ses auteurs.
Le monument de Pierre Dorian, inauguré le 16 juillet, à
Saint-Etienne.
La cérémonie inaugurale a offert le caractère d'une imposante manifestation. Dans un éloquent discours, M. Etienne, un des plus chers amis de Gambetta, a justement associé le nom de Dorian à celui de l'illustre patriote qui, en 1873, sur la tombe de son ancien collaborateur de 1870, disait: «Grand citoyen, ta vie se résume en deux mots: la pratique du travail, le culte de la patrie.» Dorian fut, en effet, aux jours du péril national, l'organisateur actif, infatigable, de Paris assiégé, et c'est là son principal titre à l'hommage durable rendu à sa mémoire.
Au banquet qui a terminé la journée, M. Aristide Briand a pris à son tour la parole. Il a célébré le «passé glorieux» de notre pays et ajouté que, si la France était menacée, ce n'est pas parmi les socialistes, ses amis, qu'on trouverait des hommes pour faire le jeu de ses agresseurs. La note patriotique de ce discours a été fort remarquée.
Les Français de Genève, dont le chiffre, à l'heure actuelle, dépasse 35.000 et qui forment la plus nombreuse de nos colonies à l'étranger, se sont émus de la triste situation de nos nationaux, vieillards et incurables, fixés dans le canton, et ils ont eu, il y a deux ans, la pensée de créer un asile destiné à recueillir ces pauvres gens.
Un bazar de charité fut organisé, en 1903, pour constituer un premier capital. Grâce au concours de toutes les bonnes volontés, grâce à l'empressement du public genevois, grâce à la présence de la musique de la garde républicaine, venue rehausser l'éclat des fêtes, celles-ci réussirent brillamment et l'on put réaliser, avec les dons de généreux souscripteurs, une somme de 216.000 francs. Le gouvernement de la République, de son côté, tint à manifester sa sympathie envers cette oeuvre à la fois patriotique et humanitaire, et la commission du pari mutuel, dans sa séance de janvier dernier, accorda une allocation de 100.000 francs.
Le capital ainsi réuni permit de faire l'acquisition du château de la Fouillasse, situé aux portes de Genève et particulièrement propre à être converti en hospice. Autour de l'immeuble s'étend un parc très vaste.
Le château de la Feuillasse, près de Genève, converti en
asile pour les Français indigents en Suisse.
L'asile, qui sera prochainement ouvert, pourra abriter, au début, 18 à 20 vieillards; mais on espère que les souscriptions et les dons permettront d'augmenter rapidement ce nombre. Un généreux compatriote, dont l'esprit de bienfaisance s'exerce de la façon la plus libérale, vient d'accorder une nouvelle somme de 30.000 francs pour solder les travaux d'aménagement et de réparations. C'est là un bel exemple à imiter, étant donné qu'il y a déjà actuellement plus de 200 demandes inscrites et que la colonie formée principalement de modestes travailleurs venus des départements limitrophes, est, dans son ensemble, très peu fortunée.
Beaucoup de nos lecteurs peuvent, en ce moment, constater sur leurs arbres, ou sur ceux du voisin, la fréquence d'une maladie qui a reçu le nom de chancre et qui se manifeste par une sorte de plaie ulcérée qui se refuse à guérir. Jusqu'à ces derniers temps, le chancre, qui attaque souvent le pommier, était attribué à un champignon parasitaire, appelé nectria. On admettait que la gelée favorise l'apparition du mal: fendant l'écorce, elle faciliterait l'inoculation du champignon. Il semble toutefois qu'on doive abandonner cette façon de voir. Les recherches de M. Brzezniski tendent, en effet, à démontrer que le chancre est dû à un tout autre agent, à une bactérie qu'il a appelée la bactérie du pommier. Inoculée au pommier, elle détermine chez lui la production d'un chancre.
Il est regrettable, toutefois, que le savant polonais n'ait pas pu découvrir en même temps la manière de combattre le mal, car celui-ci est très tenace et l'on ne connaît encore aucun moyen d'engager avec succès la lutte contre ce dévastateur des vergers.
L'équipage du Farfadet, photographié le 14 juin dernier
dans l'arsenal de Sidi Abdallah.
D'après une carte postale communiquée
par la Patrie.
Après dix jours d'inutiles efforts, le sous-marin Farfadet a pu enfin, le 15 juillet, être dégagé et remorqué dans un des bassins de l'arsenal de Sidi-Abdallah. On vida partiellement ce bassin de façon que le sous-marin reposât sur le fond, incliné à bâbord, mais que, cependant, les radeaux et les barques nécessaires à l'enlèvement des cadavres pussent flotter autour de lui. Dans la nuit du 15 au 16, les capots furent ouverts et, bravant une effroyable odeur de putréfaction, les marins et ouvriers de l'arsenal commencèrent les recherches. Un premier cadavre fut presque aussitôt découvert, celui du quartier-maître Lessausse, et transporté dans un des cercueils qui avaient été préparés. Il fallut ensuite, à l'aide de manches, pomper l'eau qui remplissait le Farfadet avant de pouvoir pénétrer plus avant.
C'est à ce moment que fut exécuté le croquis de notre gravure de première page.
Pendant la journée du 16 et la nuit qui suivit, l'équipe des travailleurs n'interrompit pas un moment son horrible et pieuse besogne. Successivement, furent ramenés au dehors les corps de l'enseigne Robin et des autres victimes--pauvres matelots qui, deux mois auparavant, posaient joyeusement devant un photographe, pour ce groupe que nous reproduisons d'après une carte postale envoyée par l'un d'eux à ses parents.
Le dernier portrait d'Arton. Photographie prise
au
Jardin de Paris, par Sartony, rue Duphot.
Le financier Arton a été trouvé mort, lundi matin, dans les bureaux qu'il occupait à Paris au n° 13 de la rue Laffitte, ayant son domicile privé loin du centre, boulevard Pereire. Il s'était suicidé en absorbant un poison violent.
Cet homme qui disparaît, à l'âge de cinquante-cinq ans, en laissant planer un mystère sur les motifs de son suicide, avait eu une existence fort accidentée. C'est, on le sait, de l'époque des scandales du Panama que datent sa célébrité et ses plus romanesques aventures, dont le récit défraya copieusement la chronique. Son métier d'acheteur de consciences exercé avec la sereine bonhomie de l'inconscience; son rôle de corrupteur des parlementaires, son carnet de chèques tentateur, sa fameuse liste des «cent-quatre», qu'on ne connut jamais; sa fuite, son odyssée légendaire à travers le monde, pendant plusieurs années, la chasse longtemps vaine des plus fins limiers de la police lancés sur sa piste, l'«entrevue de Venise», la découverte du fugitif à Londres, en 1895, sous le masque fallacieux d'un marchand de thé; son extradition, mais accordée seulement pour des actes délictueux commis au préjudice de la Société de la Dynamite; sa condamnation à cinq ans de prison par la cour d'assises, son séjour de quinze mois à l'hôpital Saint-Louis; enfin, la remise gracieuse d'une partie de sa peine,--autant de faits appartenant à l'histoire contemporaine.
Arton, qui s'appelait en réalité Aaron, recourut d'ailleurs plus d'une fois aux pseudonymes pour compléter ses divers avatars; au cours de ses pérégrinations européennes, il prit successivement les noms de Debenham et de Henri Newman; ces derniers temps, il se donnait, dans un certain monde, celui de «M. de G...», emprunté à une personne de ses amies, et--le trait est assez piquant--c'est sous ce nom qu'il avait fait faire, au Jardin de Paris, la photographie reproduite ici.
Malgré ses malheurs, comme le personnage de Daudet, il «ne renonçait pas»: depuis six ans, il avait recommencé à brasser des affaires; mais l'astre avait perdu son éclat de naguère et même était devenu si nébuleux que le public pouvait croire à son éclipse totale.
Presque oublié, on s'aperçoit qu'il existait encore, en apprenant qu'il vient de s'éteindre d'une façon mystérieuse.
M. Eugène Schaeffer, commandant au 69e régiment d'infanterie, décédé dernièrement à Toul, où il était en garnison, avait exprimé le désir d'être enterré à Saverne, sa ville natale. Bien que la cité alsacienne ait cessé d'être française depuis l'annexion, la famille du défunt ne pouvait que déférer à un voeu inspiré par les sentiments les plus respectables; mais les obsèques prirent un caractère particulièrement curieux en raison de l'intervention de l'armée allemande, qui voulut s'associer à ce deuil en rendant les honneurs militaires à la dépouille mortelle de l'officier supérieur français. Des sous-officiers allemands transportèrent hors de la maison le cercueil sur lequel étaient placés l'uniforme, l'épée et les décorations du commandant Schaeffer; deux compagnies du même régiment, le 99e d'infanterie, musique en tête, l'escortèrent jusqu'au cimetière. Là, devant la tombe, la musique joua une marche funèbre, les tambours battirent, la troupe présenta les armes et tira des feux de salve.
Ce fut un spectacle très impressionnant que celui de ce suprême salut, adressé par des soldats de Guillaume II à un soldat de la France auquel la mort a permis de retrouver, dans la patrie perdue, un coin de terre pour y reposer à côté des siens.
Le 11 juillet, le comte Chouvalof, préfet de police de Moscou, tombait mortellement frappé de quatre balles de revolver, tirées à bout portant par un prétendu solliciteur qui se présentait à son audience. L'auteur de cet attentat, un ancien déporté, nommé Kowlikovsky, fut arrêté et déclara avoir voulu venger l'exécution du meurtrier du grand-duc Serge, dont le comte Chouvalof avait été l'aide de camp.
Les obsèques du haut fonctionnaire ont eu lieu le 13, avec tous les honneurs militaires; le cercueil avait été placé sur un affût de canon. C'est au milieu d'un déploiement considérable de troupes qu'il a été conduit au cimetière.
A Saverne: obsèques du commandant français Schaeffer, en présence d'une délégation officielle de troupes allemandes. | A Moscou: obsèques du comte Chouvalof, préfet de police, assassiné. Phot. A. Bakouline. |
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La pêche au véron est très pratiquée et donne d'excellents résultats, principalement pour la pêche à la perche et à la truite, qui en sont très friandes. Mais il n'est pas toujours facile de se procurer des vérons vivants et, lorsqu'on en possède, il s'agit de les conserver et de les transporter à grand renfort de soins et de précautions.
Ces difficultés sont supprimées par l'emploi du véron naturel conservé à sec par un procédé spécial qui fait ressortir ses brillantes couleurs en lui faisant écarter les nageoires et qui lui assure une conservation indéfinie.
Ce véron est supérieur à tous les poissons artificiels, surtout lorsqu'il est fixé sur la monture spéciale désignée ci-contre, qui le fait tourner rapidement sur lui-même et lui donne, avec ses nageoires écartées et sa couleur dorée, l'apparence complète d'un poisson vivant, que l'imitation courante ne peut atteindre.
Le véron conservé remplace avec avantage l'emploi du vif dans toutes ses applications, au lancer, à la traîne, à la ligne flottante et à la ligne de fond. Il est, dans certains cas, supérieur au véron vivant.
La vente et les envois se font facilement et le pêcheur emporte ses amorces sans embarras dans une simple boîte en carton.
Ces vérons sont assortis en trois grosseurs, petits, moyens et très gros, ce qui permet de pêcher avec succès toutes les sortes de poissons voraces.
Ces vérons se trouvent en vente chez M. Mérat, 63, rue Oberkampf, au prix de 1 fr. 50 la douzaine, assortis.
Cette monture, dont les dessins ci-contre feront comprendre l'emploi, quoique construite spécialement pour le véron conservé, peut servir également pour la pêche avec toutes sortes de poissons morts. A cet effet, elle se construit de trois grandeurs qui conviennent surtout pour les vérons petits, moyens et gros.
Elle est indispensable pour la pêche au lancer et à la traîne; le véron, solidement maintenu par les deux pointes en forme de harpon, tourne rapidement au moyen de l'hélice dissimulée sous les nageoires de tête et d'un émerillon spécial.
Le poisson carnassier distingue vite ce véron remarquable qui nage comme s'il était vivant et, en se précipitant pour l'avaler, se trouve infailliblement accroché par les deux hameçons doubles qui l'entourent et qu'il ne peut éviter.
Cette monture simple, solide et légère, est d'un prix très modique.
Elle se trouve en vente chez M. Mérat, 63, rue Oberkampf, aux prix de 0 fr. 65, 0 fr. 85 et 0 fr. 95, suivant grandeurs.
Il est souvent difficile de choisir parmi plusieurs autres un timbre-cachet, les caractères se trouvant à l'envers, et tout aussi peu aisé de l'apposer à l'emplacement exact désiré, puisqu'on ne voit pas du tout les caractères. La solution, d'une simplicité enfantine, de ces deux difficultés, a été très heureusement résolue par M. Berthé, avec son nouveau dispositif. La face supérieure de la griffe portant les caractères (en caoutchouc ou gravés) est munie d'une épreuve-modèle de l'impression exacte donnée par le timbre («papiers d'affaires», par exemple, comme l'indique notre gravure) et cette épreuve-modèle est protégée contre toute souillure ou détérioration par un recouvrement transparent et incassable en celluloïd.
Ce dispositif est le seul qui offre les avantages suivants:
1° Dans un assortiment de timbres sur un même râtelier, on trouve rapidement et facilement le timbre désiré, chaque timbre portant son libellé bien en vue;
2° L'apposition correcte est assurée, l'épreuve-modèle indiquant le sens: donc, jamais d'impressions à l'envers;
3° L'opérateur peut déterminer avec précision la position et l'endroit qu'occupera l'impression sur le document à timbrer: en effet, l'épreuve-modèle sur la griffe coïncide fidèlement avec les caractères qu'elle recouvre exactement; c'est comme si le corps des lettres, chiffres, etc., traversait la plaquette de la griffe.
On voit donc les sommets de ces lettres au moment de l'opération et l'impression correcte en est aussi facile que de coller un timbre-poste.
On conçoit donc que, notamment pour remplir des imprimés (lettres de voitures ou autres), on puisse apposer, sans tâtonnements, l'impression juste sur la ligne et dans la colonne qui lui sont assignées.
L'emploi général de ce timbre donnera par conséquent un meilleur travail et une certaine économie de temps. Ce qui n'est pas moins intéressant, c'est qu'il n'est pas plus cher que les timbres ordinaires; en effet, le dispositif comporte la suppression du nickelage, lequel est remplacé avantageusement par l'empreinte-modèle sous glace.
On pourra donc se procurer ce nouveau timbre sans augmentation sur les prix usuels. S'adresser pour tous renseignements à M. Berthé, 21, place de la République, Colombes (Seine).