The Project Gutenberg eBook of Les voyous au théâtre (Histoire de deux pièces)

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Title: Les voyous au théâtre (Histoire de deux pièces)

Author: Oscar Méténier

Release date: December 11, 2014 [eBook #47632]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES VOYOUS AU THÉÂTRE (HISTOIRE DE DEUX PIÈCES) ***

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.

1 2 3

Les Voyous au Théâtre

4 5

OSCAR MÉTÉNIER


LES
VOYOUS
au Théâtre
(Histoire de deux Pièces)

logo

BRUXELLES
chez HENRY KISTEMAECKERS, éditeur
73, RUE DUPONT, 73


1891

6 7

I
EN FAMILLE
et
LA CENSURE
Conférence prononcée à Paris
Salle des Capucines
LE 19 DÉCEMBRE 1890

8 9

EN FAMILLE et la CENSURE

MESDAMES, MESSIEURS,

Le sujet que je me propose de traiter devant vous aujourd'hui n'est plus d'actualité. Il y a déjà plus d'un mois qu'à la suite de l'abus dont j'avais été victime, je protestais énergiquement contre l'interdiction de ma pièce En Famille, qui devait être jouée aux Nouveautés, et que la presse toute entière prenait ma défense. Depuis, le silence s'est fait; d'autres incidents ont occupé l'opinion publique et je n'aurais pas songé à exhumer cette vieille histoire, si l'autre jour, en classant mes papiers, tout le dossier de cette affaire ne m'était revenu sous les yeux.

Il me sembla que l'examen attentif des 10 pièces de ce procès désormais classé pouvait donner lieu à un récit amusant et surtout instructif. Il me parut, en outre, curieux de rechercher à qui on devait faire remonter la responsabilité d'une mesure absurde que rien ne justifiait.

Cette recherche ne dût-elle servir qu'à mettre en garde mes confrères contre des procédés que je ne veux pas qualifier et à leur désigner l'Ennemi, je serai assez récompensé de ma peine.

D'autre part, puisqu'on me défendait de rendre le public juge de la légitimité de ma réclamation, que bien que ma pièce eût été jouée et applaudie au Théâtre-Libre, dans des cercles ou des réunions privées, et en dernier lieu à Bruxelles, au théâtre Molière, elle était ignorée de la majorité des lecteurs, et que par conséquent cette majorité pouvait la croire d'une immoralité répugnante et donner par suite raison à la censure, il me vint à l'idée de tenter une nouvelle expérience.

A Paris, heureusement, on trouve toujours un public bienveillant, lettré, délicat, tout prêt à applaudir aux tentatives nouvelles, 11 quand elles sont intéressantes et dictées par un sentiment artistique; le succès constant du Théâtre-Libre, depuis quatre années, votre présence dans cette salle ce soir sont la meilleure preuve de ce que j'avance.

Je résolus donc de raconter l'histoire de ma pièce, comment l'idée me vint de l'écrire, par suite de quelles circonstances elle fut jouée, par suite de quelles autres elle ne fut pas reprise, puis de terminer en donnant lecture de cet acte, qui fit couler plus d'encre qu'il n'en fallut pour l'écrire.

Ce sont toutes ces raisons qui m'ont amené aujourd'hui devant vous, mesdames et messieurs. Tout à l'heure j'aurai étalé devant vos yeux les pièces du procès. C'est vous que je constitue les juges en dernier ressort de mon différend et votre accueil me dira si j'ai eu raison de protester contre une mesure que je persiste à considérer comme monstrueuse—en attendant votre verdict.


Il y a cinq ans, je venais de publier mon premier livre: La Chair. Je reçus un soir 12 la visite d'un de mes bons amis, un auteur dramatique distingué, M. Louis Tiercelin, qui me dit:

—Mme Crosnier, de l'Odéon, à qui M. Porel accorde un bénéfice, est venue me demander un acte inédit. Je n'ai rien de prêt. Mais je viens de lire ton livre. Il contient une nouvelle: En Famille, qui m'a beaucoup frappé. Il n'y a presque rien à faire pour la transformer en un acte très original. Au surplus, jette les yeux sur ce scénario que j'ai préparé. Toutes les scènes y sont indiquées. Il n'y a presque qu'à copier dans le livre. Si tu veux écrire cet acte, nous serons joués sur la scène de l'Odéon. Je vais informer Mme Crosnier que j'ai ce qu'il lui faut.

Comme bien vous pensez, j'acceptai avec d'autant plus d'empressement que je n'eus aucune peine à me convaincre que mon ami Tiercelin avait raison. De plus, Mme Crosnier avait fait valoir qu'elle s'était assuré le concours de beaucoup d'artistes en renom. Elle devait jouer le rôle de la mère, Saint-Germain le rôle du père. Il n'y avait pas à hésiter. Le soir même, je me 13 mettais à l'œuvre et à quatre heures du matin mon acte était écrit.

Hélas! il n'était pas revenu de la copie que Mme Crosnier nous informait qu'il y avait contre-ordre. M. Porel lui donnait comme bénéfice la première de la reprise de la Vie de Bohème.

Tristement, j'enfermai mon manuscrit au fond d'un tiroir. Il y resta dix-huit mois.

Ce fut Antoine qui l'en tira.

Il venait de donner sa première représentation d'essai sur la petite scène du passage de l'Elysée des Beaux-Arts, et il était à la recherche d'éléments nouveaux pour la seconde quand un ami commun lui signala mon acte.

Un mois plus tard, il voyait le feu de la rampe, en même temps que la Nuit bergamasque d'Emile Bergerat, mais après combien de péripéties dignes du Roman comique!

En ce temps-là, le Théâtre-Libre n'était pas dans ses meubles. Nous avions répété un peu partout, dans une arrière-salle de marchand de vins, dans un logement vacant, à la lueur d'une bougie, posée sur 14 le marbre de la cheminée, avec une vieille malle pour figurer la table.

Directeur, auteurs, acteurs, tout le monde fut admirable de constance et de résignation, mais combien nous fûmes récompensés!

Cette seconde représentation d'essai fut un triomphe. Auguste Vitu qualifiait ma pièce «d'eau forte sanglante écrite d'une main ferme et sûre, d'une main d'ouvrier». Francisque Sarcey déclarait qu'il n'aimait pas ce genre de théâtre, mais qu'il était bien forcé d'avouer que cet acte était fait de main de maître.

A ma joie se mêlait un peu de déception. J'ai toujours aimé le combat et je m'étais, au cours des répétitions, accoutumé à l'idée que ma première pièce soulèverait des protestations, que peut-être il y aurait bataille, et voilà que tout le monde était d'accord pour la trouver charmante.

Bref, le lendemain le Théâtre-Libre était fondé définitivement et vous savez quelles glorieuses étapes il a parcourues depuis.

Deux ans après, Antoine, qui avait joué En Famille à Bruxelles, avec un très grand 15 succès, et qui avait l'intention de donner différentes pièces de son répertoire en matinées publiques sur le théâtre des Menus-Plaisirs, songea à mon acte.

La censure opposa son veto, M. Fallières étant ministre.

Antoine n'ayant pas donné suite à son projet, je ne songeai pas à protester. C'eût été un coup d'épée dans l'eau, puisque aussi bien la pièce n'eût pas été jouée.

Deux ans s'écoulent encore. Je reçois un beau matin, il y a de cela deux mois, une lettre du pauvre Brasseur, le directeur des Nouveautés récemment décédé. Je réponds à son appel.

—Avez-vous quelque chose de tout prêt pour entrer en répétition de suite? me demande-t-il à brûle pourpoint.

—Ma foi, non. Vous me prenez au dépourvu!

—C'est un peu fort! Plus moyen de rien trouver... les vieux n'ont plus rien dans le ventre... les jeunes n'ont rien dans leurs cartons. Eh bien! comme je veux quelque chose de neuf et que je suis pressé, indiquez-moi une pièce jouée au Théâtre-Libre 16 que je puisse reprendre de suite, une pièce ayant eu du succès.

—Je veux bien, mais celle que je pourrai vous indiquer ne sera guère à sa place aux Nouveautés.

—Ça m'est égal!

Je lui indique alors Le Maître de mon ami Jean Jullien.

—Allez me le chercher avec sa pièce.

Le soir même, Le Maître était reçu et il entrait le lendemain en répétition.

Brasseur revint à la charge.

Le Maître, c'est bien court! Trois actes! Il me faudrait pour finir la soirée un acte faisant contraste, un acte très rosse, mais gai... Donnez-moi En Famille!

—Je veux bien, mais la censure qui l'a interdit il y a deux ans?

—La censure permettra! Depuis deux ans, avec votre sacré Théâtre Libre, vous nous avez fait faire du chemin... Il y a deux ans, je n'aurais pas joué Le Maître... Les Variétés ne vous auraient pas joué Monsieur Betsy, il y a deux ans! La censure permettra, je vous dis, et puisqu'on veut 17 aujourd'hui du nouveau, eh bien, je suis décidé à en donner!

Je me rendis rue de Valois pour tâter le terrain.

Je trouvai là des hommes pleins de bon vouloir, à qui j'exposai le cas. Tous furent de l'avis de Brasseur. Certainement, aujourd'hui, après Germinie Lacerteux, après Monsieur Betsy, qui avaient triomphé malgré les attaques et les colères d'une presse pudibonde, l'éducation du public commençait à se faire et il n'y avait plus le même danger qu'autrefois à autoriser En Famille.

Toutefois, pour aplanir toute difficulté, on me conseilla de n'être pas intransigeant et de consentir aux atténuations qui pourraient être jugées nécessaires. Moyennant quoi, on me promettait un avis favorable.

Je consentis à tout, je partis plein d'espoir et je courus apprendre à Brasseur la bonne nouvelle.

—Je vous le disais bien! s'écria-t-il triomphant. Nous répéterons dès que le visa sera revenu.

Hélas! jusqu'alors je croyais, comme tout le monde, que les censeurs étaient les 18 maîtres et qu'ils jugeaient en dernier ressort.

Je comptais sans mon hôte... et quel hôte!

Après quatre jours, je n'avais pas de réponse.

Nouveau voyage rue de Valois. Je demande ce qu'il y a de nouveau.

—Nous ne savons rien... Nous sommes comme vous. Notre rapport favorable, comme nous vous l'avons promis, est parti chez le ministre. Il n'est pas revenu.

Et c'est alors qu'on m'expliqua la filière.

Il y a quatre censeurs au bureau des théâtres. Ils lisent tout ce qu'on leur apporte et rédigent un rapport qu'ils adressent à un employé supérieur qu'on appelle, je me demande pourquoi, Directeur des Beaux-Arts. Puis, de là, ce rapport va chez le ministre, qui décide.

Vous voyez que ce n'est pas une petite affaire.

S'il n'y avait qu'à plaire aux quatre censeurs, ce serait chose facile. Ce sont des hommes mûrs, bienveillants, très lettrés, aimables. Quelques-uns appartiennent à la 19 presse. Ils jugent sainement les choses et apportent généralement dans l'exercice de leurs fonctions délicates beaucoup de tact et un grand désir de conciliation. J'ai le plaisir de connaître personnellement deux de ces messieurs et je n'ai jamais eu qu'à me louer des bons rapport que j'ai eus avec eux. On est toujours sûr de s'entendre, lorsqu'on ne veut pas être trop intransigeant.

Ce qu'on ne sait pas assez, c'est qu'ils n'ont que voix consultative. Aussi supportent-ils très injustement la peine de leurs fonctions. C'est toujours sur leur dos qu'on frappe et ils n'en peuvent mais.

On a beau leur avoir plu, ils ont beau être bien disposés pour vous, il faut encore plaire à l'Autre, celui de l'étage au-dessous, le Monsieur qui dirige. C'est celui-là le vrai coupable, l'empêcheur de danser en rond, le baudet sur lequel on ne devrait jamais se lasser de crier haro!

Bref, les pauvres censeurs étaient fort désolés de voir que tout leur bon vouloir ne pouvait me servir, et comme je leur objectais que j'étais pressé:

20 —Vous devriez voir M. le Directeur des Beaux-Arts... Ecrivez-lui, c'est un homme fort poli, il vous recevra, et vous saurez à quoi vous en tenir.

J'écrivis et le surlendemain je recevais un autographe sur papier bleu que je conserverai précieusement toute ma vie, car j'espère bien qu'il sera unique:

«M. Larroumet aura l'honneur de recevoir M. Oscar Méténier lundi, de 2 à 4 h. de l'après-midi. Signé: Larroumet.»

Larroumet! Larroumet! Pour être Directeur des Beaux-Arts, ça devait être un homme illustre que sa valeur avait naturellement désigné pour un poste aussi important.

Et cependant je ne savais rien de lui. J'en étais honteux, positivement!

Je m'enquis auprès de gens bien informés qui me renseignèrent.

M. Gustave Larroumet était un homme froid, poli et décoré, qui avait eu des prix à l'Ecole Normale et qui avait professé la rhétorique dans des lycées de Paris et de la province. Il avait aussi écrit des compilations sur Molière et Marivaux et l'on 21 m'assurait même que ces compilations avaient certainement dû être publiées quelque part...

Et c'était tout. C'était peu comme titres. Je me creusai en vain la tête pour essayer de comprendre quel motif avait pu déterminer un ministre à aller chercher un professeur de province pour diriger les Beaux-Arts.

Fallait-il que Paris fût pauvre en grands hommes!

—Enfin, me dis-je, ça ne fait rien, il est peut-être intelligent tout de même!

Et le lundi je mettais ma plus belle redingote et je me présentais à l'immeuble de la rue de Valois. En voilà un monument qui n'a pas de veine! Avoir pendant des siècles abrité des rois et en être réduit à servir de réceptacle à un Larroumet! Je n'attendis pas longtemps, cinq minutes environ. On m'introduisit.

M. le directeur fut aimable et fort poli, quoique froid, comme il était prescrit.

—Monsieur, me dit-il en substance, non seulement j'ai lu votre acte, mais je l'ai vu jouer, et, ajouta-t-il avec un sourire qu'il 22 s'efforça de rendre gracieux et sur lequel il n'y avait pas à se méprendre, je n'ai pas à vous donner ici mon impression de confrère; mais le fonctionnaire a le regret de vous annoncer que M. le ministre, obéissant à des considérations qu'il ne m'appartient pas de juger, a purement et simplement confirmé l'interdiction de son prédécesseur, M. Fallières.

Au mot de confrère, j'avais bien envie de protester. Je me retins pour ne pas aggraver ma situation; mais en entendant la fin de la phrase, je ne pus m'empêcher de me récrier.

—Il ne m'appartient pas d'apprécier la décision de M. le ministre. Je ne suis qu'un intermédiaire, à mon regret, déclara de rechef l'homme poli.

—Cependant, monsieur, nous sommes en République; on a joué ma pièce sans protestation à Bruxelles, dans une monarchie, au théâtre de la Reine... A Paris, plusieurs milliers de personnes l'ont entendue et applaudie.

—Je n'ai pas à apprécier la décision de 23 M. le ministre, répéta immuablement le directeur des Beaux-Arts.

—Mais enfin, le ministre et vous-même venez d'encourager, par une subvention déguisée de cinq cents francs par an, ce même Théâtre-Libre que En Famille, pour sa faible part, a contribué à fonder.

—Nous avons entendu encourager l'ensemble de la tentative de M. Antoine, non certaines pièces prises en particulier, les Chapons, par exemple.

—C'est entendu! J'en excepte celles qui ont causé quelque scandale, mais la mienne, monsieur, qui a été louée même par M. Sarcey, je suppose qu'elle entre bien dans l'ensemble dont vous parlez. Alors je ne comprends pas... Donnez-moi une raison.

Sans répondre, M. Larroumet esquissa de la tête un geste vague et se leva comme pour me faire comprendre que l'audience était terminée.

Je ne me fis pas répéter l'invitation; je l'avais assez vu et je compris alors quelle joie avaient dû éprouver ses élèves, lors de la nomination de leur cher maître à la direction des Beaux-Arts.

24 —C'est bien, dis-je, en me dirigeant vers la porte; comme j'ai le droit d'exiger une raison, un motif, je vais chez le ministre.

—Chez le ministre? interrompit vivement M. Larroumet; c'est inutile, il ne vous recevra pas.

—Je ne dis pas que le ministre me recevra, mais je dis que je serai reçu chez le ministre...

En effet, la veille, j'avais eu le vague pressentiment que je ne tirerais rien de cet homme si poli, et je m'étais ménagé une entrée au ministère, pour le cas où j'échouerais rue de Valois.

Cette déclaration très nette parut gêner considérablement Larroumet dit l'Aimable, comme Choppart dans le Courrier de Lyon.

Il tira sa montre et tout en m'accompagnant:

—Il est quatre heures... Vous ne trouverez personne.

—Mais si... mais si... on m'attend!

Nombreuses et profondes salutations, et je sortis.

Au ministère, je fus reçu par un très haut fonctionnaire, mais celui-là digne des fonctions 25 qu'il remplit, aussi affable que l'autre était glacé.

Je lui rendis compte de la démarche que je venais de faire.

—Larroumet a dit la vérité, me dit-il, et le ministre a confirmé l'interdiction depuis deux jours. Toutefois, comme j'ai été prévenu hier de votre visite, j'ai voulu en avoir le cœur net et j'ai lu votre brochure. La voilà, là... sur mon bureau. Je vous fais compliment. Je trouve cela très drôle, très amusant, sans danger... et je ne m'explique pas que Larroumet se soit opposé à la représentation. Tous les jours on entend au concert des choses plus raides... Tenez, j'ai fait mieux, pour voir. Bien que le ministre, surchargé de besogne, soit à peu près inabordable, je suis parvenu à lui faire lire votre pièce ce matin... en déjeunant... Ça l'a fait rire...

—Et son avis?

—Comme moi. Pas de quoi fouetter un chat.

—Eh bien, alors?

—Eh bien, alors, il a signé, il y a deux jours, l'interdiction sur le rapport de Larroumet. 26 Que Larroumet revienne sur son rapport, il reviendra sur sa décision. Voyez Larroumet.

Mais, rue de Valois, M. Choppard, je veux dire M. Larroumet ne me reçut plus. Par son secrétaire particulier, un garçon fort gentil, un peu confus de la commission, il me fit dire qu'il serait trop heureux de m'annoncer lui-même une bonne nouvelle, mais que malheureusement la situation restait la même.

Toutefois, si je pouvais parvenir à lui faire envoyer par le ministre l'ordre de laisser faire, je ne rencontrerais chez lui aucune résistance.

Au ministère:

Que M. Larroumet commence... qu'il change les termes de son rapport. Le ministre laissera faire... Il n'y voit pas d'inconvénient.

Et pendant huit grands jours, je fus ainsi renvoyé de Caïphe à Pilate, flanqué de mon ami Jules Brasseur, qui ne me lâchait pas, faisant la navette entre la rue de Grenelle et la rue de Valois.

Tout le monde consentait. Personne ne 27 voyait d'inconvénient à ce que ma pièce fût jouée.

Personne ne voulut jamais prendre la responsabilité de dire: Allez!

Il est probable que si j'avais pu arriver à voir le ministre et lui expliquer de vive voix qu'on se fichait de lui et de moi, dix minutes d'entretien auraient eu raison de toutes ces difficultés.

Mais les ministres ne sont visibles que pour leurs directeurs! C'est par eux qu'ils savent ce qui se passe... Ils peuvent se vanter d'être joliment renseignés et conseillés. Ils ne se douteront jamais de ce que leur confiance en leurs subordonnés leur fait commettre de gaffes! Si, ils s'en doutent quelquefois, et M. Bourgeois l'a bien vu, au tollé général qu'a soulevé dans la presse la décision ridicule qu'il a prise en interdisant une pièce qu'il n'avait pas lue, sur le simple avis de M. Larroumet, une pièce qu'il a été tout étonné, deux jours après, d'avoir interdite.

C'est sur lui qu'on est tombé.

Et cependant on dit que M. Bourgeois, que je ne connais pas, est un homme d'idées 28 très larges, très libéral, très droit. Mon Dieu! que serait-ce s'il avait des idées étroites?

—Et nous sommes en République! s'écrie un des personnages de ma pièce.

—Moi, je n'ai pas d'opinions politiques et je m'en fais gloire, mais j'aimerais mieux l'Empire.

J'aurais économisé cent francs de voitures et huit jours de temps. J'aurais probablement trouvé un ministre et un directeur des Beaux-Arts qui m'auraient dit carrément:

—Monsieur, votre pièce ne sera pas jouée, et si vous voulez des raisons, je vais vous en donner une seule qui suffit: c'est que ça ne me plaît pas.

J'aurais été fixé de suite, ainsi que Brasseur.

Et encore est-il bien sûr qu'on m'aurait répondu cela?

On était très sévère pour tout ce qui pouvait se rapporter à la politique, mais quand il ne s'agissait que des mœurs!...

La Belle Hélène et la Grande Duchesse, ces satires des rois et des dieux, n'ont pas 29 eu de plus chauds partisans que l'Empereur et toute sa Cour.

On a laissé jouer sous l'Empire Henriette Maréchal, de MM. de Goncourt, une pièce très révolutionnaire pour ce temps-là, et ce sont les républicains qui ont protesté, les purs, sous la conduite du fameux Pipe-en-Bois.

Aujourd'hui, le farouche Pipe-en-Bois est directeur des Beaux-Arts et il continue son métier. Non content d'être plus intolérant que sous l'Empire, il se fiche du monde et il fait insulter pour ses gaffes son ministre, qui n'en peut mais. Je ne souhaite qu'une chose, c'est qu'il continue. Ça décidera peut-être M. Bourgeois à montrer un peu d'énergie et à nettoyer la rue de Valois. S'il tient à un professeur de rhétorique, il y en a quatre-vingt-six dans les quatre-vingt-six départements, qui ne demandent qu'à marcher.

Le moindre d'entre eux vaudra autant.

J'allais oublier un trait qui finira de peindre le bonhomme.

Le huitième jour de ma Passion, me trouvant au ministère, je me souvins qu'au 30 cours de mes pérégrinations j'avais oublié de demander le motif pour lequel Pipe-en-Bois avait requis l'interdiction de ma pièce auprès de M. Bourgeois qui ne la connaissait pas.

Naturellement, on l'ignorait au ministère, bien que cela puisse paraître invraisemblable, car tout est invraisemblable dans cette histoire édifiante; mais comme là on tenait à me faire plaisir, on téléphona pour demander en fin de compte, à la rue de Valois, le fameux motif qui me valait une pareille rigueur.

Cette fois, le sphinx se démasqua sans se douter que je n'étais pas loin de l'appareil, et on répondit: Contexture générale.

Il n'y avait plus de doute, le veto venait bien de la direction, mais que diable pouvait bien dire ce mot: contexture?

Le fonctionnaire auquel je m'adressai n'y pouvait, pas plus que moi, rien comprendre. Il y avait donc une contexture spéciale dont le modèle-type, l'étalon était déposé dans les archives des Beaux-Arts? Alors on le dit, on prévient les gens!

Toutefois, après avoir longuement réfléchi, 31 je crois avoir deviné. Lorsque M. Larroumet, arraché à ses chères études, fut appelé à Paris, il y vint avec l'évidente intention de diriger les Beaux-Arts dans une voie spéciale.

Mais voici que, justement, il tomba dans un moment où une évolution dramatique se manifestait, tout à fait contraire à ses opinions personnelles. L'opinion publique se déclarait ouvertement en faveur de cette évolution, les théâtres ouvraient leurs portes aux adeptes de la nouvelle école. Ce n'était pas de veine pour un début.

Alors Pipe-en-Bois imagina un truc d'une hypocrisie bien provinciale.

Comme il tenait à sa place et que pour la conserver il ne fallait pas avoir l'air de braver l'opinion, il affecta d'encourager les jeunes, couvrit d'or et de lauriers le Théâtre-Libre, qui joue ses pièces à bureau fermé, mais il se réserva in petto d'étrangler court et net le premier qui s'aviserait d'en sortir.

Comme il lui fallait un prétexte honnête, il chercha, pour couvrir sa petite infamie, un mot ronflant, mais vide de sens.

Contexture lui parut convenir admirablement 32 et il choisit contexture. Et je fus étranglé au nom de la contexture à Larroumet.

Et le même sort attend tous ceux qui, applaudis au Théâtre-Libre par Larroumet lui-même, tenteront de sortir du Théâtre-Libre et de se faire applaudir ailleurs [1].

[1] Ma prédiction s'est accomplie. Deux mois plus tard, Larroumet interdisait au nom de la contexture la pièce tirée par Jean Ajalbert du roman de M. de Goncourt, La Fille Elisa, qui venait de remporter un grand succès au Théâtre-Libre.

Nous avions déjà l'homme à la tête de veau, nous aurons désormais l'homme-contexture. Une idée neuve que je soumets et que je donne pour rien à nos intelligents Barnums.

Il y a de l'argent à gagner avec une attraction pareille à la foire aux pains d'épice.

Mais un petit détail eût certainement fait hésiter l'homme-contexture quand il soumit sa petite idée à l'innocent monsieur Bourgeois. Je suis certain que s'il eût pu prévoir que je ne me laisserais pas étrangler sans crier, s'il eût su que je serais aussi soutenu que je l'ai été par la presse entière, il aurait parfaitement laissé jouer En Famille.

33 Il s'est dit certainement:

—Un petit acte, ça ne tire pas à conséquence, et au moins comme cela je n'aurai pas à créer un précédent fâcheux.

Il est évident qu'il y a eu malentendu entre nous et qu'il ne me connaissait pas, pas plus du reste que je ne le connaissais.

Outre que je suis indépendant, j'ai la chance d'être très rancunier et un tantinet rageur.

Le lendemain de la contexture, j'allai trouver M. Francis Magnard, qui me reçut avec sa bienveillance ordinaire. Je lui exposai mon cas et avec une affabilité dont je ne lui saurai jamais assez de gré, il mit le Figaro à ma disposition.

Deux jours après, paraissait en première page un article où je faisais juge le public de la façon dont l'homme-contexture savait berner à la fois son ministre et les hommes de lettres en l'an de grâce 1890.

Aussitôt, Larroumet ripostait par un interview rédigé en style administratif, dans lequel il était expliqué que le ministre avait maintenu de sa pleine autorité la décision de son prédécesseur, que lui, Larroumet, 34 n'avait été dans cette affaire que le porte-parole de M. Bourgeois, et que par conséquent jamais le moindre désaccord n'a existé entre le ministre et lui.

Ma réponse va être facile.

De l'aveu même de M. Larroumet, le visa a été accordé par la censure, sauf approbation des autorités supérieures.

Donc les quatre censeurs sont hors de cause. Comme ils me l'avaient promis, leurs conclusions m'ont été favorables et il n'a pas tenu à eux que ma pièce ne fût jouée.

Restent en présence le directeur des Beaux-Arts et le ministre. L'un, le ministre, qui ignore de quoi il s'agit et jusqu'au titre de la pièce, et l'autre, le directeur, qui l'a lue et vu jouer.

Et cependant, le ministre, sans se renseigner ailleurs qu'auprès de M. Larroumet, maintient à l'aveuglette l'interdiction.

Je veux bien l'admettre, quoique cette façon d'agir soit peu digne d'un fonctionnaire d'un ordre si élevé, d'un ministre républicain.

Mais le hasard veut que, deux jours après, M. Bourgeois ait l'occasion de lire 35 ma pièce, et un témoignage, dont il n'est pas permis de douter, m'apprend qu'il est étonné qu'on lui ait fait signer l'interdiction d'une pièce où il n'y a pas de quoi fouetter un chat.

Alors le dilemme suivant s'impose: ou le ministre est un inconscient, ce qui est inadmissible étant donné le bon renom qu'il a su acquérir; ou sa bonne foi a été surprise par Larroumet.

J'aime mieux croire, pour son honneur, que sa bonne foi a été surprise.

Ce qu'il fallait démontrer.

Dans tous les cas, le ministre est un faible, car lorsqu'on a un domestique infidèle on lui fait rendre son tablier, et il a été bien bon de s'exposer pour l'amour de Larroumet aux camouflets qu'il a reçus.

Il n'avait qu'une chose à faire: le jeter à l'eau.

Voici une nouvelle preuve de ce que j'avance.

Le lendemain du jour où parut mon article, je rencontrai un sous-ordre de Larroumet, un qui l'approche de très près, le connaît fort bien et l'estime à sa juste 36 valeur, un qui connaissait les dessous de mon affaire.

Ce fonctionnaire me prit par le bras et me dit tout bas:

—Vous avez parfaitement raison de tomber sur Larroumet. C'est de lui que vient le mal... Vous m'entendez, c'est un cochon! (Sic)

Voilà l'opinion de ses subordonnés.

Maintenant l'opinion de ceux qui ont eu affaire à lui.

Un peintre très célèbre, qui a de nombreuses commandes de l'Etat et par conséquent de fréquents rapports avec le directeur des Beaux-Arts, s'exprimait ainsi:

—Vous n'avez eu qu'une fois affaire à Larroumet et vous vous en êtes mal trouvé... Moi, qui le vois souvent—je cite textuellement—je vous jure que c'est le dernier des mufles.

Bref, de tous côtés je n'ai reçu que des marques de sympathie et toute la presse pendant huit jours a marché comme un seul homme. Je vous assure qu'il n'y a rien de consolant pour moi et de réjouissant comme la collection des articles que j'ai là, 37 sous les yeux. Si vous voulez, nous allons rapidement parcourir les plus curieux.

L'homme-contexture n'a eu pour le défendre que les filets qu'il a rédigés de sa propre main et fait insérer dans les journaux entretenus.

Un exemple:

Un de mes amis fait passer un article dans son journal, un article dans la note douce, où M. Larroumet n'était blagué qu'agréablement. C'était un des tendres.

Le lendemain, le rédacteur était appelé dans le cabinet du rédacteur en chef, et on lui signifiait qu'il eût à ne plus jamais s'occuper de M. Larroumet, ni pour l'attaquer, ni pour le défendre, s'il tenait à sa place.

En même temps, la direction faisait passer un filet signé Z où il était dit que les journaux faisaient beaucoup de bruit pour rien et que je devais au contraire m'estimer heureux de me faire tant de réclame à si bon marché.

Mais je ne dis pas non, M. Larroumet! Je ne m'en plains pas, au contraire, bien que j'eusse préféré voir jouer ma pièce.

38 Et notez que je n'ai pas été seulement soutenu par les organes de l'opposition, ou les indépendants; mais la presse conservatrice elle-même a marché. Des journaux inconnus, invraisemblables, ont pris ma défense; des journaux catholiques comme l'Église de France, le Rosier de Marie, dont je ne soupçonnais pas l'existence, l'Observateur français, organe du Vatican.

Le rédacteur de l'Église de France s'exprime ainsi:

«Il est certain que dame Anastasie, personnifiée par trois fonctionnaires de la direction des Beaux-Arts, a des lubies inexplicables. C'est ainsi qu'elle se montre pleine de mansuétude pour ce qui regarde les cafés-concerts, tandis qu'elle réserve ses rigueurs pour quelques auteurs qui ont eu le tort de lui déplaire personnellement.

»On joue actuellement à la Scala une farce dégoûtante, et sans excuse, une ineptie qui a pour titre le Capricorne, que les censeurs patentés ont laissé passer sans sourciller et que la police devrait interdire comme un outrage permanent aux mœurs et à la religion.

39 »Je ne sais, ma parole d'honneur, à quoi songent les employés de M. Larroumet! Mais si l'on réfléchit qu'ils ont empêché la Comédie Française de représenter le Pater de François Coppée, on ne peut que se demander, en voyant le Capricorne, à quelle haine de sectaires ces gens-là obéissent.

»Il y a là dedans, à côté de saletés répugnantes et de cochonneries étalées au grand jour, une parodie insultante pour la conscience de la majorité des Français. L'un des personnages, le plus grotesque, naturellement, représente un séminariste qui chante des oremus au milieu des refrains libidineux de ses comparses.

»C'est un spectacle écœurant et honteux tout à la fois, car les auteurs de cette farce sans talent et sans esprit ne peuvent se vanter d'être des artistes. Ce sont des exploiteurs sans vergogne, qui flattent le public dans ses instincts les plus bas.

»Mais que penser des censeurs qui approuvent officiellement de pareilles infamies, ou du moins qui les tolèrent?

»Il n'y a pas deux façons d'envisager les choses. Ces censeurs-là ne sont que des censeurs complaisants et qui remplissent leurs fonctions tout au rebours.

40 »Ils ont donné des preuves multiples de leur incompétence, de leur ignorance, de leur nullité. Il faut les supprimer purement et simplement.»

Quant à moi, en ce qui a trait à la censure préventive, je m'en tiens à l'opinion d'un chroniqueur de la Nation, qui dit:

«M. Oscar Méténier continue, non sans raison, à maudire Anastasie et à réclamer sa mort.

»La censure préventive ne prévenant presque toujours rien, je ne vois pas pourquoi on s'obstine à la maintenir. Bien souvent, nous avons vu la censure couper une scène ou un mot qui auraient pu passer sans encombre, et en autoriser un autre qui provoque dans la salle des cris de chacal enrhumé.

»M. Méténier et beaucoup d'autres pensent avec raison que puisque la censure préventive n'arrête rien, autant vaut faire rentrer les auteurs dans le droit commun.

»Le théâtre est une industrie comme une autre; or, quand je prends un grog à Tortoni, Percheron n'a pas l'habitude de prier une commission de six membres de vouloir bien analyser ma consommation.

»Mais le jour où un limonadier me sert un 41 grog compliqué de vitriol, je dépose une plainte au parquet et je fais arrêter l'empoisonneur.

»Il est nécessaire de faire justice, mais alors seulement que le crime est constaté. Décapiter un individu avant qu'il l'ait commis m'a toujours paru abusif; le décapiter après me semble déjà une chose fort grave.»

En ce qui concerne la tolérance dont fait preuve l'homme-contexture pour les obscénités des cafés-concerts, j'en trouve une explication, que j'ignorais, dans un article emprunté à un journal de caricatures, la Silhouette:

«Ces bons messieurs de la direction des Beaux-Arts, dont l'emploi consiste à poser des censures aux littérateurs français, viennent encore de faire parler d'eux.

»M. Oscar Méténier s'est vu refuser l'autorisation de faire représenter sur une scène parisienne sa pièce En Famille, jouée jadis au Théâtre-Libre, sous le délicieux prétexte que sa CONTEXTURE GÉNÉRALE était inacceptable.

»Vainement, M. Méténier tenta démarches sur démarches aux bureaux de la rue de 42 Valois; après maintes aspersions d'eau bénite de cour et maints baisers Larroumette, on le renvoya berné et pas content.

»Le jeune auteur a regimbé et il a eu raison. Je ne viens point lui apporter mon faible concours, puisque aussi bien il est de taille à se défendre hardiment, mais il est une phrase de sa lettre de réclamation adressée à M. Francis Magnard que je veux retenir; c'est la suivante:

»—L'interdiction d'En Famille est un précédent. Après ma pièce, on en interdira d'autres. Une fois de plus, la parole de Figaro:—On m'assure qu'il existe à Madrid, etc., aura reçu son application, avec cette nuance qu'à Paris on fait exception pour les vaudevilles graveleux et les obscénités de cafés-concerts.

»C'est que sans doute M. Méténier ignore que le visa est la plupart du temps accordé aux susdites obscénités sur l'instante requête des chanteuses qui les doivent interpréter.

»Par contre, j'ai vu prononcer le veto sur certains vers où l'on eût vainement cherché la moindre allusion démoralisatrice. Tant il est vrai qu'il est toujours dangereux pour les littérateurs honnêtes de méconnaître l'éternelle 43 vérité du proverbe: Il est avec le ciel des accommodements.

«Vous devinez de quel CIEL il s'agit.»

J'avoue que je n'avais pas pensé à cela. Mais, très sincèrement, l'idée ne me serait jamais venue, après avoir vu Larroumet, de demander à aucune de mes interprètes, même aux plus dévouées et aux plus courageuses, un pareil sacrifice.

Il eût été au-dessus de leurs forces.

Voici maintenant le Petit National qui, du premier coup, a su dégager la responsabilité de chacun.

«M. Méténier n'est pas content. Nous le comprenons sans peine; mais nous avouons que nous ne sommes pas autrement fâché de sa mésaventure.

»Il était nécessaire pour les auteurs d'aujourd'hui et pour ceux de demain qu'une nouvelle incartade de la censure attirât sur elle l'attention générale.

»Or, cette fois, la chose nous paraît devoir prendre une tournure nouvelle.

»Fort habilement, M. Méténier oppose l'une 44 à l'autre deux administrations, et il nous paraît difficile que du conflit qui ne va pas manquer d'éclater entre M. Larroumet et M. Bourgeois, il ne sorte pas quelque avantage pour les littérateurs.

»Déjà, les journaux semi-officieux déclaraient hier soir que seul le ministre avait mis l'interdit sur En Famille; or, d'après M. Méténier, c'est M. Larroumet qui est le coupable.

»Qui trompe-t-on?

»Le ministre va-t-il endosser la responsabilité? Mais M. Bourgeois est un ministre radical, ennemi par ses principes mêmes de tout ce qui sent son privilège et son abus de pouvoir des temps passés, et s'il est reconnu que c'est véritablement lui qui a censuré, lors de la discussion du chapitre du budget qui le concerne, il pourrait bien s'attirer quelques réflexions ou modifications désagréables.

»Si, au contraire, M. Bourgeois rejette la responsabilité sur M. Larroumet, il avoue son impuissance et en même temps l'omnipotence du charmant universitaire.

»De quelque côté qu'on envisage la question, elle paraît difficile à résoudre autrement que par la mort sans phrases de cette vieille rageuse d'Anastasie.

»Son existence ne correspond à aucun de nos 45 besoins. Souverainement antipathique, ridiculement maladroite, niaisement appliquée, la censure a contre elle tout ce qui tient une plume, ou même un crayon.

»Les souvenirs de la Moabite, de Déroulède, du Pater, de François Coppée, sont encore présents à toutes les mémoires, et si jamais réforme fut désirée, c'est bien celle qui comporte sa suppression.»

Du National cette réflexion très judicieuse:

«Il se peut que l'œuvre de M. Oscar Méténier froisse les convenances. Mais comment se fait-il qu'elle n'ait pas choqué nos bons amis les Belges, chez qui elle a obtenu, dit-on, un grand succès? Nous ne pensons cependant pas qu'on soit plus chatouilleux à Paris qu'à Bruxelles. Hélas! s'il en était ainsi, nous n'aurions plus qu'à renier Rabelais, et c'est un sacrifice que nous ne sommes pas disposés à faire, n'en déplaise aux moralistes de la rue de Valois!»

L'Intransigeant, lui, est plus radical. Il est pour la justice que l'on se rend soi-même par les moyens violents.

46 Après avoir rappelé mes premières démarches, il s'exprime ainsi:

«Nouvelle course aux Beaux-Arts. L'illustre Larroumet confirme purement et simplement sa première réponse: le ministre, etc.

»Derechef, Méténier, accompagné de M. Brasseur, retourne au ministère où il apprend enfin que le ministre ne pouvait, malgré son désir, désavouer le bureau compétent et que le motif de l'interdiction était ainsi libellé: contexture générale.

»C'est baroque, mais insuffisant comme explication.

»Les bureaucrates de la censure et leur chef immédiat, le célèbre M. Larroumet, se sont évidemment moqués de M. Méténier et de M. Brasseur. Ils avaient le droit d'interdire En Famille, droit monstrueux et d'autant plus stupide qu'il est exercé par des gens très honorables, sans doute, mais peu versés dans la littérature—la lecture de quelques pages de M. Larroumet suffirait pour se convaincre du fait;—mais ils n'avaient pas le droit de berner M. Méténier.

»Si le ministre avait quelque sentiment de 47 l'équité, il rappellerait son subordonné à l'ordre. Mais, à la place de l'auteur d'En Famille, nous n'attendrions pas l'intervention de M. Bourgeois pour régler cette petite et sotte affaire.»

Henri Rochefort, dans un article terrible, comme ceux qu'il sait écrire, fait remonter la responsabilité à M. Constans, par habitude. Titre: LA RENTRÉE D'ANASTASIE.

«C'est la pièce En Famille qui lui a fourni l'occasion de faire sa rentrée. Nous allons revoir cette éplucheuse interdisant, dans le menu d'un dîner, le mot «barbe-de-capucin», qui chagrinerait les dominicains du Havre, et le grattoir dramatique ou littéraire tiendra compagnie au grattoir électoral.

»Oh! soyez tranquilles: la terrible sorcière ne s'exercera pas sur les représentations tauromachiques de la rue Pergolèse. Tout dernièrement, un picador a été éventré par un taureau qui se trouvait incontestablement dans le cas de légitime défense. La censure s'est bien gardée d'intervenir et de demander la fermeture de cet abattoir. Elle sait que M. Constans est dans l'affaire et elle n'est pas 48 assez mal élevée pour mettre le doigt entre l'arbre et l'écorce.

»Toujours comme sous l'Empire, tous les ouvrages sont permis, pourvu qu'il n'y soit pas question de politique. Faites une comédie en trois actes, dans laquelle les femmes se montreront décolletées jusqu'au nombril et danseront au dénouement un cancan final sans pantalon: Anastasie accordera à ces tableaux vivants son visa le plus sympathique.

»Si même une de ces décolletées se faisait spécialement engager pour chanter au second acte le Père la Victoire, chant de guerre particulièrement cher à M. Carnot, on l'autoriserait sans difficulté aucune à se présenter entièrement nue devant le public.

»Mais il est probable que l'œuvre de M. Méténier contient d'autres éléments d'intérêt, et c'est pourquoi on la sabre sans rémission. Comme tous les gouvernements de décadence, le nôtre consent à ce que les gouvernés rigolent, mais il ne veut pas qu'ils pensent. Des chevaux, des taureaux, des femmes, des tripots: rien de mieux; mais des études philosophiques, pas de ça, Lisette!

»M. Méténier montrait aux spectateurs une plaie sociale. Or, depuis l'arrivée de Constans, 49 Rouvier, Etienne et Yves Guyot, la société a été guérie de toutes ses plaies. Quand le ministre des finances fabrique à la Bourse des hausses factices de dix et douze francs en un mois, il y a bien, comme dans toutes les villes de jeux, des bonnes gens qui, faute de pouvoir payer leurs différences, se brûlent un peu la cervelle. Mais on les enterre la nuit, pour ne pas attrister les autres, et les danses recommencent, plus folâtres que jamais.

«Faites, tant que le cœur vous en dira, tourbillonner sur la scène des petites femmes qui exhibent leurs derrières aux yeux d'un orchestre ébloui, mais ne vous avisez pas de représenter un soldat mourant des fièvres au Tonkin: Anastasie démancherait tous les balais de sa portière pour vous donner la chasse.

»Pour les ministres, le théâtre est destiné à faciliter la digestion, et non à la troubler. Si Molière n'avait pas eu la chance de vivre sous Louis XIV et Beaumarchais sous Louis XVI, jamais, de nos jours, ils ne seraient parvenus à faire jouer l'un Tartufe, l'autre le Mariage de Figaro. Il y avait une censure à ces deux époques, mais elle était infiniment plus libérale que celle de Carnot.»

50 M. Rochefort a tort. Si j'avais eu affaire à M. Constans, qui est un autoritaire et qui n'a pas l'habitude de se laisser mener, il m'aurait dès le premier jour signifié sa volonté.

—Vous ne serez pas joué parce que cela ne me plaît pas.

Et j'aurais compris ça.

Mais s'il se fût aperçu après coup, comme cela est arrivé, que sa bonne foi avait été surprise, il eût sans hésitation renvoyé M. Larroumet faire admirer les beautés de sa contexture aux élèves d'un département éloigné.

Je pourrais vous lire de semblables articles jusqu'à demain. Rassurez-vous, je n'abuserai pas de votre bienveillance.

Je demande seulement à citer encore un paragraphe incident pris dans un article de Mme Sévérine, où elle répond au reproche que la censure pouvait me faire d'avoir employé dans ma pièce le langage populaire:

«N'allez pas conclure que j'approuve au théâtre la grossièreté voulue. Elle me navre lorsqu'elle est inutile; je la subis, je l'approuve 51 même lorsqu'elle est la traduction d'un état d'âme crapuleux, la résultante d'un milieu où s'agitent des êtres qui ne sauraient s'exprimer autrement.

»Chaque classe de la société a son langage comme ses refrains de prédilection. Le marmiteux qui, sous sa haute casquette, roucoulerait une phrase de Sigurd en surveillant le travail de sa bonne amie, serait aussi ahurissant que l'ambassadeur d'Angleterre chantant:

»C'est pas pour ça que je t'ai donné ma sœur!

»L'En Famille de Méténier, cette étude incomparable que la censure s'obstine à refuser sous prétexte que M. Carnot ne parle pas comme ça, l'En Famille est une œuvre de haut mérite, justement parce que les personnages ont le jargon qui convient.

»Evidemment: «J'en ai mouché un qui m'écrasait les fumerons!» constitue un euphémisme regrettable et d'une douteuse correction. «J'ai rappelé à la politesse un monsieur qui me marchait sur les pieds» serait grammaticalement meilleur et infiniment plus distingué. Reste à savoir lequel se dit place Maubert, quand c'est un taudis de la place 52 Maubert que représente le décor, et le monde à Gamahut qu'on a campé sur la scène.

»—A quoi bon ces spectacles vils? murmurent quelques vieilles harpes éoliennes, quelques vieux cygnes déplumés.

»Qu'on les égorge, ceux-là! Ou mieux, qu'on les renvoie au Lac—et autres gondoles! Tous les spectacles sont élevés, s'ils donnent une bonne émotion d'art, la sensation poignante d'une vérité. Un genre noble alors, et un genre pas noble?... Si ce n'est pas à pleurer! Mais justement parce que je suis une assoiffée d'exactitude, une inassouvie de sincérité, et point du tout une amoureuse du trivial par goût de bassesse, je subis le choc en retour de cette théorie, une, sans exception, sans dérogation. Un mot brutal, dit par de certaines gens, un détail cru placé en de certains milieux, me choque autant, si ce n'est davantage, qu'une expression choisie en la bouche d'un voyou.»

Et enfin, pour terminer, un article de M. Léon Millot, de la Justice, où il développe les raisons qui ont pu déterminer la censure à interdire ma pièce. On ne dira pas que je ne fais pas la part belle à 53 M. Larroumet.

Après l'exposé des démarches, il s'exprime ainsi:

»Nous ne saurions douter de la parole de M. Méténier, et entre ses affirmations catégoriques et les «renseignements» communiqués à un rédacteur du Figaro dans les bureaux de la rue de Valois, il n'y a pas lieu d'hésiter. Mais la question n'est pas là. Le fait saillant, celui qu'il nous importe de retenir, c'est l'interdiction prononcée contre la pièce de notre confrère. Edictée lorsque M. Fallières était ministre, elle est maintenue sous M. Bourgeois. Des ministres passent, mais les bureaux restent.

»Notez que M. Méténier avait demandé aux inspecteurs des Beaux-Arts de lui indiquer les modifications à faire. Il se déclarait prêt à les exécuter. Mais la censure avait oublié de tailler ses crayons rouges. Elle n'était pas en train de souligner et elle n'a dénoncé aucun passage particulièrement. Elle s'en est pris à la «contexture générale». La pièce de M. Méténier n'était pas conforme à son esthétique. Voilà où nous en sommes, après le décret du gouvernement du 4 septembre, qui 54 a supprimé la censure. Il est vrai qu'elle avait déjà été abolie, il y a cent ans, sous la première République.

»Nous n'acceptons, nous l'avons dit, que la version de M. Méténier. Mais si nous tenions pour authentique celle des bureaux reproduite par le Figaro, il en résulterait que ce sont successivement la censure, M. Larroumet et M. Fallières, puis M. Bourgeois, qui ont été pour l'interdiction. Le comité d'examen, le directeur des Beaux-Arts et les ministres chargés du département de la littérature seraient d'accord pour mettre le veto sur une pièce que le théâtre de la Reine a pu jouer sans protestation en Belgique. Franchement, la version de M. Méténier vaut mieux. Nous aimons mieux croire, pour l'honneur de la République française, que ce sont les castrats légendaires de la commission d'examen qui ont mis leur veto sur En Famille. M. Larroumet, comme c'est le devoir de tout directeur qui se respecte, les a couverts et le ministre était tout disposé à laisser jouer la pièce de notre confrère. Mais pouvait-il donner un démenti solennel à M. Fallières, à la censure et à son directeur des Beaux-Arts? C'en était fait de la sacro-sainte tradition; il eût porté un coup mortel à la hiérarchie.

55 »Et voilà comment les bureaux ont toujours le dernier mot et comme quoi les ciseaux du comité d'examen sont plus puissants que les bonnes dispositions des ministres. Est-ce que la Chambre, qui est en train de discuter le budget, ne va pas enfin faire l'économie de la censure?»

A part le rôle qu'il prête un peu injustement aux quatre censeurs, M. Millot est dans le vrai. Son article, très sensé, ne fait-il pas ressortir complètement la morale de cette affaire?

La conclusion n'est guère consolante. On a beau changer de gouvernement, les ministres passent et les bureaux restent, et nous sommes toujours destinés à être tracassés bêtement, nous, les inoffensifs, qui ne gênons en rien la liberté des autres, tant qu'un nouvel Hercule ne montera pas au pouvoir et ne nettoiera pas une bonne fois pour toutes ces nouvelles écuries d'Augias.

J'ai étalé devant vos yeux, mesdames et messieurs, toutes les pièces du procès.

Il vous reste maintenant, pour qu'il vous 56 soit possible de prononcer un jugement, à entendre cette pièce révoltante qui a porté une si rude atteinte à la pudeur de l'homme-contexture.

(Lecture d'EN FAMILLE)

L'accueil flatteur que vous venez de faire à ma pièce, mesdames et messieurs, m'indique assez clairement que j'ai gagné mon procès.

Il me reste à vous remercier de la bienveillante attention que vous avez bien voulu me prêter et à vous dire ce que je compte faire.

Mon Dieu! c'est bien simple. Ennuyer le ministre et les Beaux-Arts, jusqu'à ce qu'on m'ait rendu justice.

Que ce soit M. Bourgeois qui quitte le premier la rue de Grenelle, ou M. Larroumet qui soit remercié, je profiterai de chaque changement pour soumettre au visa du nouveau fonctionnaire la pièce que vous venez d'entendre.

Je suis de taille à me défendre hardiment, j'ai bec et ongles, étant parfaitement indépendant et ne craignant ni le bruit, ni le 57 scandale, puisque je n'ai pas de place à perdre; j'ai tout à gagner, au contraire, au bruit qui se fera autour de ma pièce.

Je me ferai ainsi une idée juste de la largeur de vues et de l'intelligence des fonctionnaires qui se succéderont.

Seulement, je m'y prendrai d'une façon différente.

De toute manière, ce sera amusant, et s'il surgit des incidents curieux, je me ferai un plaisir de vous en faire part.

Si ma petite histoire a eu le bonheur de ne pas trop vous ennuyer, j'aurai la joie de me retrouver ici en votre société.

Ce n'est pas moi qui serai le plus à plaindre.

58 59

II
A PROPOS
de
LA CASSEROLE
Conférence prononcée à Bruxelles
sur le Théâtre Molière
LE 12 MARS 1891

60 61

A PROPOS de la CASSEROLE

MESDAMES, MESSIEURS,

Vous avez devant vous, je ne fais aucune difficulté de l'avouer, un conférencier très embarrassé.

Bien que je n'aie pas une grande habitude de la parole, la timidité n'est pas mon principal défaut, et cependant je ne suis pas sans éprouver un peu d'émotion.

Et cette émotion, je l'ai ressentie déjà hier, en mettant pour la première fois de ma vie le pied sur le sol de la Belgique.

C'est que je dois beaucoup à la Belgique.

C'est à Bruxelles, chez un des vôtres, le vaillant éditeur Kistemaeckers qu'il y a dix ans je publiais mon premier livre: La Chair.

62 C'est ici, dans cette salle même, que le public belge a fait fête à ma première pièce: En Famille, dont un directeur des Beaux-Arts imbécile vient d'interdire à Paris la représentation publique. Ce fonctionnaire de la République française ferait bien de venir chercher ici des leçons de liberté et d'intelligence artistique.

Enfin, dernièrement, l'accueil que la presse et le public ont fait à Monsieur Betsy m'a bien vengé des injures qu'on a déversées sur moi à propos de cette pièce d'une immoralité si révoltante.

Et c'est encore un Belge, José Dupuis, qui m'a défendu, qui a mis à mon service son grand talent de comédien. Je suis heureux de le dire ici: Si, dès le premier soir, aux Variétés, Monsieur Betsy n'a pas sombré devant le parti-pris et l'hostilité d'une salle hypocrite et furieuse de voir ses propres vices étalés sans pitié, c'est au très brave et très grand artiste José Dupuis, votre compatriote, que je le dois!

La pièce, ou plutôt le tableau de mœurs populaires qu'on va représenter devant vous dans quelques instants, La Casserole, 63 m'a valu des éreintements qui resteront légendaires dans ma carrière, nos critiques les plus subtils n'ayant voulu voir qu'un fait-divers banal dans une œuvre où j'ai la prétention d'avoir montré moins des types que des entités curieuses, pittoresques, appartenant à un monde qu'aucun d'entre eux du reste ne connaissait.

Et c'est encore le public belge, c'est encore vous, mesdames et messieurs, devant qui j'ai gagné déjà plusieurs procès, qui êtes appelés à vous former en tribunal d'appel pour juger ce nouveau cas dont les considérants en première instance ont été si sévères pour moi.

De là l'émotion dont je vous parlais tout à l'heure, l'inquiétude de l'avocat, incertain s'il gagnera sa cause, avec cette aggravation qu'en même temps qu'avocat je suis dans ce procès partie principale.

Mais j'ai tant de confiance dans votre sens artistique, dans ce jugement très sûr dont vous m'avez donné tant de preuves, que me voici déjà à moitié rassuré.

La Casserole est donc un tableau très violent, mais très exact, des bas-fonds parisiens.

64 Ai-je eu raison de porter à la scène ces mœurs d'une brutalité cynique avec toute la crudité qu'elles comportaient?

On a prétendu que non, et on est parti de là pour m'échigner de la belle façon.

J'ouvre une parenthèse pour vous dire en passant que l'expérience m'a appris à ne jamais m'émouvoir d'aucune attaque, quelque violente qu'elle puisse être.

Je m'en réjouis au contraire, car elles constituent la meilleure des réclames. Personne depuis six ans n'a peut-être été aussi injurié que moi, et personne ne s'en est mieux trouvé...

Je ne veux, en l'espèce, donner à mes adversaires que cette excuse très simple.

J'ai écrit La Casserole parce que cela m'a convenu; je traite les sujets qui me plaisent, le plus artistiquement qu'il m'est possible, et je ne me demande jamais d'avance ce qu'on en pourra penser.

Cela m'est égal.

Je me fie au jugement de mes lecteurs et de mes auditeurs, que je veux croire assez intelligents pour apprécier la somme de sincérité et de bonne foi que j'essaie d'apporter 65 dans le développement de mes idées.

Si je me trompe, ou si j'ai affaire à des cerveaux étroits, à des âmes hypocrites, tant pis pour eux!

Je laisse dire et je passe outre.

Ceci posé, il me reste à dire ici comment j'ai été amené à observer de près les mœurs populaires, à m'intéresser particulièrement aux types de la rue et à leur consacrer mes études les plus importantes et les plus osées, en dépit de ce qu'on est convenu d'appeler «la morale».

La plupart du temps, le romancier ou l'auteur dramatique qui veut rester un fidèle et impartial historien des mœurs, ne choisit pas son sujet.

Il regarde autour de lui, il étudie, prend des notes, rassemble des documents, et il suffit souvent d'un fait banal de la vie courante pour éveiller en lui une idée. Il suit alors le filon qu'il a découvert, établit des personnages, crée des types auxquels il donne, sous des noms supposés, le caractère, les habitudes, la forme pour ainsi dire des gens qu'il a coudoyés, observés et dont l'originalité l'a frappé.

66 C'est ainsi qu'il n'est pas le maître de son sujet, mais qu'il en est l'esclave.

Il ne lui reste ensuite qu'à chercher une trame qui lui permette de relier entre eux ces différents types et de les faire mouvoir dans une action commune et unique.

Or, si j'ai laissé à d'autres jusqu'ici le soin de disséquer les âmes bourgeoises, si je ne me suis presque jamais complu aux psychologies compliquées de gens comme il faut, où excellent les romanciers mondains, c'est que les hasards de la vie m'ont mis à même d'étudier de tout près le peuple, le bon aussi bien que le pire, et que j'ai reconnu tout de suite qu'aucune classe de la société n'est aussi intéressante et aussi peu connue.

Dernièrement, dans une conférence qu'il faisait à propos de mon dernier livre: la Lutte pour l'Amour, Francisque Sarcey, avec beaucoup d'esprit et la bienveillance à laquelle il m'a habitué, constatait que nul mieux que moi n'avait vu clair dans ces âmes rudimentaires; mais il m'engageait amicalement à abandonner cette voie, à 67 chercher une nouvelle mine d'observations, ajoutant que j'avais épuisé la matière.

Les êtres que nous montre M. Méténier, déclarait-il, sont de véritables bêtes humaines, rebelles de par leur éducation et le milieu où ils vivent à toute civilisation. Tout tourne pour eux autour de la passion brutale qu'on appelle tout crûment le rut au Théâtre Libre, tout aboutit là, tout découle de là. Quand on a envisagé cette même idée sous ses différents points de vue, on a tout dit, et je défie qu'on trouve autre chose dans les études qu'on peut faire du bas peuple que ces deux dominantes: assouvissement de l'appétit sexuel et respect unique de la force brutale.

J'aurais mauvaise grâce de chercher noise à M. Sarcey, qui, à ces réserves près, m'a couvert de fleurs; mais il me permettra de lui dire qu'il se trompe.

Si, en effet, la plupart du temps, le rut, ainsi que selon lui cela s'appelle au Théâtre Libre, est le principal élément passionnel dans le peuple, cet élément se retrouve au même degré, sous le nom 68 d'amour, dans les théâtres les plus comme il faut.

Pour ne citer qu'un exemple, on pourrait résumer en une ligne la donnée du chef-d'œuvre du genre pompier: le Maître de Forges:

L'héroïne couchera-t-elle ou ne couchera-t-elle pas avec son mari?

Et encore le développement de cette idée est-il présenté d'une façon infiniment plus dangereuse et moins pittoresque, attendu que d'un bout à l'autre les caractères des personnages sont faux.

Moi, j'ai au moins le mérite de la vérité.

Quant au respect de la force, il existe dans toutes les classes de la société au même degré, et c'est généralement la force qui fait loi partout, avec cette nuance que dans le monde que je dépeins, elle se manifeste d'une façon plus brutale et plus immédiate.

M. Sarcey me reprochait ensuite de ne pas transposer en langage poli des passages qui rendent la lecture publique difficile, et même impossible, pour les oreilles chastes.

Mon Dieu! à quoi bon cette hypocrisie? 69 Si je choisis—comme c'est mon droit et mon bon plaisir—mes héros parmi les filles et les souteneurs, je ne puis cependant pas les faire parler en académiciens.

Je ne trompe personne. Mon livre coûte trois francs cinquante centimes, un fauteuil d'orchestre six ou sept francs, et l'acheteur qui prend le livre, le spectateur qui paie sa place parce qu'il voit mon nom sur l'affiche, sait parfaitement à quoi s'en tenir. Ni le théâtre ni le livre ne sont obligatoires.

Vous mêmes, mesdames et messieurs, qui m'avez fait l'honneur de venir aujourd'hui entendre La Casserole, trouveriez mauvais que mes personnages ne parlassent pas le langage de leur condition. Je suis persuadé que vous étiez fixés d'avance sur ce que vous allez entendre, qu'aucune audace ne vous étonnera et que vous seriez désolés si j'avais, par crainte, opéré les transpositions que réclame M. Sarcey.

Il y a un public—et vous en êtes la preuve—pour toutes les manifestations artistiques, et ce serait vous faire une injure gratuite et que vous ne méritez pas que de vous supposer moins intelligent que le 70 Larroumet de chez nous, ce directeur des Beaux-Arts français qui, lui, n'admet que le genre noble.


Comment m'est venue ma prédilection, je ne dirai pas pour le peuple, mais pour cette partie du peuple qu'on est convenu d'appeler les voyous?

Tout au début de ma vie littéraire, le souci de l'existence matérielle me força de prendre une carrière, et j'en choisis une qui devait me mettre à la source de tous les documents, qui devait être pour moi une mine inépuisable d'observations.

Je devins secrétaire de commissaire de police.

Cette carrière, par laquelle est passé un homme auquel je garde une profonde reconnaissance, Philippe Gille, l'auteur des Charbonniers, une comédie qui se joua dans son bureau avant de se jouer sur la scène des Variétés, on sait avec quel succès, devrait être l'école de tous les jeunes gens qui se destinent à la littérature.

En cinq ans, j'ai traversé trente-quatre quartiers, soit comme secrétaire suppléant, 71 détaché partout où mon concours était jugé nécessaire par l'administration, soit comme secrétaire titulaire, et j'ai acquis là une expérience de la vie que vingt ans d'existence indépendante ne m'auraient certainement pas donnée.

C'est une grave erreur de croire qu'on n'a affaire dans les commissariats qu'à la lie de la société, qu'à des malfaiteurs arrêtés pour un délit quelconque. Certes, on est à même de voir de près toutes les variétés de coquins, mais il arrive fréquemment que des jours s'écoulent sans qu'une arrestation soit opérée dans un quartier, et cependant dans le bureau ne cesse de défiler une foule de gens qui viennent consulter le commissaire ou son secrétaire, lui faire leurs petites confidences, lui demander aide, conseil ou protection.

A Paris, et plus spécialement dans les quartiers populaires, le commissaire, le quart d'œil comme on l'appelle, est l'arbitre suprême de toutes les contestations, le juge naturel de tous les différends, même les plus intimes. On ne remue pas une paille qu'il n'en soit averti.

72 La femme vient y raconter en pleurant que son mari a découché, le mari qu'il soupçonne sa femme; la maîtresse vient s'y plaindre d'avoir été abandonnée par son amant. A chacun le commissaire donne une consolation, un bon conseil, et que de drames sanglants, son intervention n'a-t-elle pas souvent évités!

Que de comédies amusantes aussi ne se sont-elles pas nouées et dénouées dans son bureau!

En outre, le commissaire possède des moyens d'information qui le renseignent à l'occasion sur la vie privée, la moralité de chacun de ses administrés, et au bout de quelques années de séjour dans un quartier, il sait exactement à quoi s'en tenir sur le compte de tous les habitants, j'entends de ceux qui n'appartiennent pas à la population flottante.

Aussi, que de secrets de famille dont il est le dépositaire! Que de hontes ignorées dont il est le confident! Mais comme le confesseur, le commissaire oublie tout sur le seuil de son cabinet.

Il m'arrive encore maintenant d'être salué 73 très bas par des gens dont je ne veux pas même me rappeler le nom, qui jouissent dans leurs quartiers d'une grande considération, mais dont j'ai su, par état, les gredineries cachées.

Il n'y a plus qu'eux qui s'en souviennent.

C'est ainsi que je me suis formé cette opinion que de même qu'il n'y a pas de dévouement absolu, il n'y a pas d'honnêteté absolue... Je dirai plus: au sens strict du mot, la vertu est un mythe, et voilà pourquoi nos livres paraissent amers..., parce qu'ils sont vrais.

J'ai donc été à même, par mes fonctions, d'établir une comparaison entre la moralité des gens du monde et celle des gens du peuple, puisqu'après avoir été successivement secrétaire dans le quartier de l'Opéra, aux Champs-Elysées, voire dans le noble faubourg, j'ai terminé ma carrière administrative dans les quartiers de la Roquette et de la Chapelle.

J'ai le regret de l'avouer, l'avantage, dans mon esprit, ne reste pas au beau monde.

Le vice y est moins apparent, mais il y 74 est plus fréquent et moins pardonnable, parce qu'il y est conscient.

On commet au fond des appartements dorés, sur le boulevard, les mêmes infamies qu'au fond des hôtels garnis, ou à la place Maubert, mais on les cache soigneusement.

Afin de donner le change, on affecte la pruderie, l'indignation pour des actes qu'on a peut-être commis la veille, sachant parfaitement qu'on faisait mal, et contre laquelle l'instruction et l'éducation auraient dû mettre en garde.

—Pas vu, pas pris! dit le peuple quand il commet un méfait.

—Pas vu, pas coupable! répondent le banquier qui dépose son bilan en garant son actif et la femme qui trompe son mari.

Lorsque, l'hiver dernier, mon collaborateur Paul Alexis et moi avons donné aux Variétés Monsieur Betsy, cette pièce qui nous valut une si rude volée de bois vert—vous nous avez, du reste, bien vengés—une dame, dont le mari appartient au monde de la finance, manifestait à haute voix, du fond de la première loge qu'elle occupait, la plus vive indignation.

75 —On n'avait jamais vu une ordure semblable... C'était simplement répugnant... Encore si cela avait le mérite d'être vrai!

Mais voici qu'entre le deux et le trois, le regard de cette vertueuse personne rencontra, comme par hasard, celui d'un monsieur en habit, également fort connu... qui se trouvait aux premiers rangs de l'orchestre. Elle se retourna vers son mari, debout derrière elle... lui dit quelques mots à l'oreille... Le mari prit son pardessus, sortit, et on ne le revit plus... de la soirée...

Quand le rideau se leva sur le troisième acte, le monsieur d'en bas avait remplacé le mari derrière elle, et c'est à son bras qu'elle sortit...

Or, la liaison de cette personne dure depuis longtemps; qui plus est, elle est tolérée et publique... On pourra dire tout ce que l'on voudra, jamais on ne fera croire que l'indignation de cette dame qui venait de donner la comédie dans la salle et de jouer elle-même une scène de Monsieur Betsy, était sincère.

J'aime mieux croire pour elle que, s'étant 76 reconnue, elle avait été piquée au vif par la satire de ses propres mœurs.

Je sais bien que l'humanité, à tous les degrés de l'échelle sociale, est sujette aux mêmes faiblesses; mais je m'insurge contre l'hypocrisie des uns, à laquelle je n'hésite pas à préférer l'inconscience et la belle franchise des autres.


Les gens du peuple, et même du bas peuple, ne sont pas plus mauvais que le commun des mortels. Ils sont calomniés par ceux qui ne les connaissent pas.

Je me souviens qu'à mes débuts, j'arrivai rempli à leur égard d'abominables préventions. Je fus bien vite converti et l'étude que je fis des milieux populaires fut pour moi une révélation.

Je ne viens pas dire qu'il n'y ait pas parmi eux d'affreux bandits; au contraire, ceux qui se mêlent d'être mauvais sont formidables, pour cette raison, que n'ayant jamais reçu aucune instruction, aucune éducation, ils ignorent la plupart du temps la notion du bien et du mal et suivent leurs instincts bons ou mauvais.

77 Ils deviennent des ouvriers, honnêtes à leur manière, sans préjugés ni scrupules, mais incapables de faire du tort à leur prochain, ou des coquins qui ne reculent devant aucun crime.

Mais ce qui subsiste toujours chez eux, même chez les pires, et c'est en cela que consiste leur supériorité sur leurs semblables des hautes classes, ce sont certaines vertus naturelles trop peu en honneur chez les êtres civilisés. Pas une de ces bêtes humaines chez qui on ne retrouve, à un degré qu'on ne saurait imaginer, le courage indomptable poussé jusqu'à la férocité, le point d'honneur, le respect de la foi jurée, l'amitié dévouée jusqu'à la mort, la mémoire des bienfaits, la reconnaissance, etc.

Je me rappelle toujours avec plaisir mes années de commissariat, mais c'est du temps passé dans les quartiers populeux, et notamment dans le quartier de la Roquette, que j'ai gardé le souvenir le plus agréable.

Le quartier de la Roquette a quatre-vingt-cinq mille habitants, quand les autres n'en ont en moyenne que trente-cinq ou quarante mille, et il passe à juste titre pour 78 le plus dangereux et le plus mal habité.

Il est à mon avis le plus facile à mener, quand on sait s'y prendre. Il suffit de savoir être doux, pitoyable, accessible à tous, et en même temps énergique.

Je m'étais donné pour règle de conduite d'être très dur pour quiconque me résistait et indulgent pour ceux qui manifestaient le moindre repentir de la faute commise; aussi, au bout de deux ans de séjour, j'avais su me concilier l'estime, je dirai presque l'affection de la plupart de nos habitués.

Que de fois un inculpé n'a-t-il pas posé cette question au gardien qui le conduisait au commissariat:

—Le petit secrétaire est-il de service? Pourvu que j'aie affaire au petit secrétaire! Il paraît que c'est un si bon garçon.

Contrairement au règlement qui veut que les inculpés soient toujours flanqués d'un agent, je préférais, quelque danger qu'il pût en résulter, interroger seul à seul chaque individu qu'on m'amenait. Et il suffisait la plupart du temps de cette marque de confiance, d'une parole douce, d'une 79 cigarette offerte, pour obtenir d'eux ce que je voulais savoir.

Et quand je les avais interrogés, comme c'était mon devoir, je leur parlais familièrement, je provoquais leurs confidences; et sans crainte, sachant très bien que je n'abuserais pas de leur confession, ils me racontaient leur vie, dans le plus pur argot, qu'à leur grand étonnement je parlais du reste aussi bien qu'eux.

Et c'était toujours la même éternelle histoire: une enfance pas surveillée, l'apprentissage au pair chez un patron brutal, le manque d'ouvrage en hiver, la rencontre d'anciens camarades d'atelier, qui, eux, ont trouvé le moyen de vivre sans rien faire. Comme il fait faim tous les jours, on les imite, et quand revient la belle saison, on a pris des habitudes dont on ne se défait plus. Ils ne sont pas mauvais, ni vicieux; ils le deviennent pas nécessité.

La condition des filles est encore pire. J'ai interrogé plus de deux mille de ces malheureuses. Il faut entendre de quel ton elles répondent à la question sacramentelle:

80 —Quels sont vos moyens d'existence?

—Je fais la noce!

Elles font la noce.. Et elles ont aux pieds des souliers troués, et elles vous demandent, avant de sortir de votre cabinet:

—Il n'y aurait pas moyen d'avoir pour deux sous de pain?

Elles se divisent en deux grandes catégories: celles qui sont nées à Paris, et les provinciales ou les étrangères.

Celles qui viennent de province ont quitté généralement leur pays pour servir comme bonnes d'enfant, nourrices ou femmes de chambre, ou pour suivre un amant. L'amant les a plantées là, ou elles ont perdu leur place... Elles ont fait comme leurs camarades qu'elles rencontraient bien habillées et dont le semblant de luxe les a éblouies.

Les autres sont nées au faubourg; elles se sont élevées, ont grandi dans le logement étroit ou la chambre garnie de leurs parents, pêle-mêle avec leurs frères et sœurs, les enfants des voisins.

A dix ans, elles savaient tout; l'atelier a fait le reste. A quatorze elles disent «mon amant» en parlant du petit de la fruitière, 81 un galopin de quinze ans. Ce n'est pas du vice; elles accomplissent une fonction naturelle; on ne s'est jamais gêné devant elles. Elles font ce qu'elles voient faire à leurs aînés. L'inceste, bien loin de leur apparaître comme une monstruosité, est fréquent à ce point que les cinq dixièmes des filles publiques nées à Paris ont eu pour premier amant un frère, parfois leur père.

Et elles vous racontent ces choses d'un ton uni, très tranquille, sans se douter qu'elles disent une énormité.

Si on leur reproche d'avoir un amant de cœur, elles vous répondent:

—On ne peut pas vivre seule dans la vie, il faut bien avoir quelqu'un à aimer.

Et c'est avec joie qu'elles donnent leur argent à celui qu'elles ont choisi. Elles sont par exemple d'une jalousie féroce; mais de leur côté, les amants ne toléreraient pas une infidélité gratuite.

L'autre, celle qui se paie, ne compte pas.

Beaucoup d'entre elles ont une probité particulière. J'ai entendu, non pas une fois, mais mille fois cette phrase:

—Vous pouvez aller aux renseignements, 82 monsieur, je suis une honnête fille et tout le monde m'estime dans le quartier... Je n'ai jamais dégringolé personne!

Et par une absence de sens moral effrayante, elles en arrivent à considérer leur état comme une profession parfaitement normale, mais qui a ses risques comme les autres. J'en ai vu très souvent qui, loin de s'indigner d'avoir été arrêtées par les agents, s'étonnaient d'avoir pu rester un mois sans «descendre à la Préfecture».

—Voyons! un mois que je n'ai pas été emballée! Franchement, c'était bien mon tour!

Et qu'on ne dise pas que je prends pour exemples des cas isolés, que je ne cite qu'une variété de types populaires, la plus basse. Pas du tout! Dans le peuple, c'est partout la même inconscience, à des degrés différents. L'ouvrier qui travaille régulièrement préfère le concubinage au mariage, lequel n'est qu'une source d'embarras «dans le cas où on ne se conviendrait pas», en même temps qu'une occasion de dépense; il ne craint pas de boire un verre avec 83 l'amant de sa fille, qu'il appelle son gendre; il le reçoit chez lui.

La seule honnêteté reconnue, c'est l'honnêteté naturelle, celle qui consiste à ne pas voler, à ne pas prendre le bien d'autrui.

Ceux ou celles qui tournent mal, sont, à mon sens, comme je le disais tout à l'heure, infiniment moins coupables que les criminels du grand monde, car ils n'ont eu pour les retenir ni l'exemple, ni l'excuse d'une vie aisée.

Aussi, je ne sais pas jusqu'à quel point il nous est permis, à nous, de jeter la pierre à des malheureux parce qu'ils se plaignent de l'injustice suprême qui condamne les uns à avoir faim tous les jours, alors que les riches, les braiseux de naissance, peuvent vivre sans être forcés de truquer.

Ces gonc's là, c'en a t'i de la chance,

a dit le chansonnier populaire Bruant, leur plus admirable interprète;

Ça mange et ça boit tous les jours!

Je ne me sens pas la force d'en vouloir à 84 ces pauvres parias d'une société marâtre, parce qu'ils restent, voués de par leur origine et leur éducation, à une existence que les moralistes qualifient d'inavouable!

De quel droit, inavouable? Donnez-leur le moyen de vivre autrement.

Je les plaignais; depuis que je les ai vus, que j'ai vécu au milieu d'eux, je les excuse et je n'éprouve plus pour eux qu'une immense pitié... Je les aime même!

Il est de par le monde pas mal de bourgeois qui feraient pire, s'ils étaient à leur place.

Eux, la société les traite en ennemis; ils lui rendent la pareille, et à l'heure où ils commettent un crime, ils croient se défendre... simplement, et ils sont sincères.


Vous jugez, mesdames et messieurs, quelle abondante récolte de notes, de documents, d'observations, j'ai pu faire, d'autant plus que, intéressé au suprême degré par ces mœurs qui n'ont jamais été vues de si près je ne me contentais pas des occasions que me fournissaient mes fonctions.

85 Après avoir vu tout ce qu'il m'était possible de voir en tant que secrétaire, après avoir assisté à toutes les expéditions qui sont du ressort de la police et qui sont toujours si pleines d'imprévu et de pittoresque, arrestations, rafles, constatations d'adultères, réveil des condamnés à mort dans leurs cellules, après avoir constaté toutes les variétés de crimes, depuis le meurtre passionnel jusqu'à l'assassinat, toutes les variétés de suicides, dans les conditions et les circonstances les plus invraisemblables, j'ai voulu vivre par moi-même de la vie de ces êtres si curieux et si intéressants.

J'ai fréquenté pour mon plaisir et mon instruction personnelle tous les lieux où l'on coudoie le peuple, depuis l'assommoir bien fréquenté où l'ouvrier godailleur vient boire sa paie le samedi, jusqu'à l'arrière-salle enfumée et à double issue des mastroquets louches où les escarpes se partagent leur butin, à l'abri de tout regard indiscret.

Partout, je rencontrais des figures de connaissance et jamais, je dois le dire, je n'ai été l'objet même d'une menace. On savait que j'étais là, non par métier, mais 86 par plaisir. Loin de se défier de moi, on profitait de ma présence pour me consulter, me demander conseil.

—Ah! si toutes les rousses vous ressemblaient, on serait bien plus heureux! soupirait un jour un de mes anciens clients.

—Dites donc, me dit une autre fois une grande femme dont une lie de vin coupait la figure en deux, vous savez, il va bien!

—Qui donc?

—Vous savez bien... mon amant, le petit Midy, qui est à la Nouvelle... Il se conduit parfaitement... Je lui envoie des timbres... il n'a pas le droit de recevoir de l'argent... Comment qu'il faudrait faire pour aller le retrouver là-bas? A qui dois-je m'adresser? Au besoin, je paierais la moitié du voyage... Vous seriez bien gentil de me faire la lettre!

Et j'écrivis la lettre, sur un coin de table graisseux.

Il s'agissait de Midy, l'un des assassins de Mme Ballerich.

J'ai beaucoup connu Gamahut, qui était un garçon fort doux, infiniment moins 87 coupable que ses complices. Il était d'une force herculéenne et faisait les poids au Château-Rouge. Il était parti pour voler et il n'a tué que dans un moment d'affolement, parce qu'il avait été surpris.

Je l'ai vu mourir; il s'est montré très brave.


La plupart de mes livres ou de mes nouvelles ont pour point de départ ou pour sujet des histoires où j'ai été mêlé.

Il devait donc me venir la tentation de mettre à la scène quelques épisodes de la vie des voyous. J'avais traité en comédie un sujet gai dans En Famille; je voulus lui donner un pendant en composant un drame, et j'écrivis La Casserole.

Je m'appliquai à faire entrer dans le cadre étroit d'un acte toutes les variétés d'habitués de bouges, en grossissant un peu plus leurs façons d'être, afin de les rendre plus sensibles dans cette action qui ne devait durer qu'une demi-heure.

Je restituai une aventure dont j'avais conduit l'enquête:—Un souteneur tuant 88 une femme qui avait dénoncé à la police son ami à lui... son ami—comment dirai-je pour être convenable?—son ami de cœur si vous voulez, et l'avait fait condamner aux travaux forcés.

De là le titre La Casserole, qui signifie en argot: mouchard, ou dénonciateur.

J'avais groupé autour de la figure centrale d'autres figures secondaires, mais personnifiant toutes les vertus et les vices de ce monde-là à leur plus haut degré.

Ainsi la femme soumise jusqu'à la mort à son amant qui la frappe et abuse d'elle, mais jalouse férocement.

La fille qui met plus haut que son honneur... le point d'honneur.

Le marlou formidable à côté du petit barbizet sans expérience qui ne demande qu'à se dessaler.

La vieille truqueuse alcoolique depuis trente ans en carte.

Le vieil ivrogne qui s'égare dans un bouge un jour de rigolade.

Enfin l'artiste habituel des tapis-francs, l'hercule qui y fait des poids à demeure et qui vit de la maigre recette qu'il y récolte.

89 Je croyais enfin avoir synthétisé complètement en aussi peu de scènes que possible un coin de la vie réelle des escarpes.

La chose avait été bien lancée; la curiosité était vivement excitée. C'était le dernier spectacle que donnait le Théâtre Libre en mai 1889, pendant l'Exposition.

Antoine avait bien fait les choses. L'interprétation et la mise en scène étaient admirables.

Un de mes amis les plus dévoués, M. Léo Will, un des hommes les plus forts de Paris et qui casse à volonté des pièces de deux sous avec ses dents, s'était fait acteur pour la circonstance et il avait accepté le rôle de l'hercule des bouges.

Il a bien voulu venir à Bruxelles reprendre son rôle et vous le verrez tout à l'heure jongler avec des poids dont il vous sera loisible de vérifier après le spectacle l'authenticité. Du reste, vous serez fixés quand vous l'aurez vu opérer.

Enfin, nous avions poussé la conscience jusqu'à recruter nos figurants parmi les professionnels. Pas un qui eût moins de huit condamnations. Tous nature. Le dessus 90 du panier du Tout-Grenelle! Jamais mise en scène ne fut plus amusante à établir.

Antoine, par un post-scriptum à son programme, avait prévenu les personnes pudiques qu'elles feraient bien de se retirer après la première pièce.

La Casserole fut donnée à minuit et demi devant une salle tellement bondée qu'on avait dû laisser ouvertes les portes des ouvreuses et qu'il y avait des spectateurs se haussant sur la pointe des pieds jusque dans les couloirs.

Les places faisaient prime et une épingle jetée du plafond ne fût pas arrivée à terre.

L'effet fut immense et la toile tomba à une heure du matin au milieu des applaudissements. C'était un succès de représentation; on s'était amusé, on avait ri quand il fallait rire; on avait tout accepté parce que les personnages que nous avions présentés étaient bien en chair et en os, que du vrai sang coulait dans leurs veines et qu'enfin ils exprimaient bien leurs passions vraies dans le langage de leur condition.

Le lendemain, dans la presse, ce fut non 91 pas un éreintement, mais une véritable exécution, une exécution qui témoignait bien de l'affolement et du trouble dans lequel ma pièce avait jeté les esprits.

On n'en avait retenu que les violences, et on n'avait voulu voir là qu'un fait-divers banal; mais l'un trouvait qu'il était encore plus ignoble que tout ce que l'on avait pu rêver, l'autre que je n'avais pas donné en brutalité tout ce qu'on était en droit d'attendre de moi.

—Il n'y a là, en somme, disait celui-là, que des mots que nous-mêmes prononçons plusieurs fois par jour.

Seul, le critique du Gaulois trouva que ce scénario ultra-réaliste rappelait par plus d'un point les sujets traités par les grands tragiques, Eschyle, Sophocle ou Corneille—à la qualité des personnages près—et qu'on retrouvait chez mes héros toutes les vertus dont se parent et s'honorent les protagonistes des grands drames classiques.

Lui seul avait compris quelque chose à mon drame.

Je ne fus pas le moins du monde peiné, comme vous le pensez, de cet accueil auquel 92 je m'attendais, étant fixé depuis longtemps sur la compétence et la bonne foi de la critique française; mais si j'en avais eu besoin, j'aurais trouvé une consolation dans deux témoignages que je vous demande la permission de rapporter.

Une aimable et déjà mûre artiste de la Comédie Française, qui était sortie fort indignée de la représentation et qui n'a pas l'avantage de me connaître, disait le lendemain à une de ses amies:

—Cette pièce est répugnante, mais c'est tellement ça que pour l'avoir écrite l'auteur doit être un véritable...

Ici un mot qui pour l'oreille rime avec escroc.

C'était certainement le plus beau compliment que cette dame pût m'adresser. Sans doute qu'elle s'y connaissait.

L'autre témoignage émane d'un homme de la partie.

A l'une des dernières répétitions un de mes figurants, orné d'ailleurs de plusieurs condamnations pour coups et blessures, attira dans un coin de la scène M. Will, l'athlète de La Casserole, et lui dit:

93 —C'est épatant c'te pièce; j'ai jamais vu ça, j'en suis bobêche! On se croirait là-bas, à Grenelle. C'est comme ça qu'on est tous, y a pas à dire, nous autres, les hommes!

Homme dans le sens d'homme d'honneur, car mon figurant peut s'appliquer, avec une variante, la déclaration des principes d'une de mes héroïnes:

«Maq... (pardon!) souteneur, tant qu'on voudra, mais pas voleur! Il se fait gloire de n'avoir pas une condamnation pour vol. Qui l'appellerait voleur passerait un vilain moment!»

Si j'étais critique, moi, je serais vexé qu'un pauvre bougre ait vu dans une pièce ce que je n'y aurais su trouver.

Et remarquez que mon figurant est un public, d'où il faut conclure que le seul critique qui sache rendre justice, et qui n'ait pas de parti pris, c'est le public qui sent. Tout le reste ne compte pas.


J'abuse de votre patience en dépassant les limites raisonnables d'une causerie; permettez-moi, 94 mesdames et messieurs, de me résumer.

J'ai écrit ma pièce avec sincérité, ne reculant devant aucune expression, aucun détail de mœurs quelque répugnant qu'il pût être, parce que j'ai voulu donner l'impression de la vérité.

A ceux qui prétendent que j'ai voulu faire œuvre de scandale et que d'ailleurs ces mœurs brutales n'intéressent personne, je répondrai:

—Ceci est une opinion, attendu qu'elles m'intéressent, moi, et qu'au besoin cela suffit... Mais le public en venant et en m'applaudissant m'a bien prouvé que cela l'intéressait aussi.

Aux vertus qui protestent au nom de la morale, je répondrai au contraire que ma pièce est chaste en dépit des violences qu'elle contient. Elle dénonce une plaie sociale et ne donne à personne l'envie d'imiter mes héros.

A ce propos je demande la permission de citer ici quelques phrases d'un des plus distingués critiques de cette ville, M. Georges Rénory, qui dans un compte rendu très 95 juste de Monsieur Betsy écrivait dernièrement:

«La seule pièce ou le seul roman immoral (j'ajoute, moi, s'il pouvait y en avoir un), serait la pièce ou le roman qui, doucement, modérément, avec des élégances bourgeoises, des caresses de langage, entraînerait le lecteur ou le spectateur en dehors des conventions de mœurs, jugées à tort ou à raison, nécessaires par la grande masse pour le maintien de l'ordre établi.»

Et notez que, moi, je ne condamne pas même celui-là, l'écrivain étant maître de traiter son sujet au point de vue particulier qui lui convient ou qu'il croit le plus propre à intéresser.

Après tout, la morale n'est qu'une convention relative, modifiable selon les climats, les époques, les latitudes.

Chez nous, à Paris, chaque classe de la société a sa morale particulière.

«Or, dans Monsieur Betsy, continue M. Rénory, on nous offre le spectacle d'une morale différente de celle dans laquelle nous vivons et 96 ayant force de loi dans un monde spécial. Nous trouvons cela curieux, parce que cela nous paraît insolite; mais je vous défie bien de découvrir dans tout ceci l'ombre d'un prosélytisme conscient ou inconscient.»

Nous avons, vous et moi, des notions apprises, des penchants ataviques, des opinions conventionnelles qui sont une autre morale, voilà tout. Sommes-nous bien sûrs d'être dans le vrai?

Mais sans vouloir pousser plus loin la discussion, pourquoi le roman, pourquoi le théâtre s'arrêteraient-ils devant certains êtres, qui sont, qui ont le droit d'être et qui au contraire font très salutairement réfléchir, parce qu'ils pensent autrement que nous?

Je n'admets pas plus la critique des tendances d'un roman que la critique des tendances d'une pièce.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, ni le livre, ni le théâtre ne sont obligatoires.

Le titre du livre ou de la pièce, le nom de l'auteur,—la presse, si ce nom m'était inconnu,—me renseignent suffisamment.

Vous n'avez pas le droit de m'empêcher d'acheter ce livre, ni d'aller voir cette pièce, 97 parce que tous deux sont contraires à votre morale à vous.

Si l'autre me plaît davantage, c'est mon affaire.

Faites comme moi: quand on joue Le Maître de Forges, restez chez vous, abstenez-vous!.. Mais n'entravez pas ma liberté et ne m'empêchez pas d'aller entendre La Casserole.

La critique, en France, ne veut pas comprendre cela.

Ici, mesdames et messieurs, l'habitude de la liberté vous fait juger toutes choses sainement, largement, sans parti-pris, avec une hauteur de vues inconnue chez nous.

Voilà pourquoi je vous soumets mon œuvre avec confiance.

Votre accueil me dira tout à l'heure si j'ai eu raison ou tort de l'écrire; mais j'ai si grande foi dans votre jugement que je serai le premier, si La Casserole n'a pas le bonheur de vous plaire, à déclarer en toute sincérité que c'était évidemment moi qui m'étais trompé.

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LA CASSEROLE

JUGÉE
par
LA PRESSE

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LA CASSEROLE
JUGÉE
par la

PRESSE FRANÇAISE

La représentation se terminait par une pièce en un acte, en prose, de M. Oscar Méténier, La Casserole.

Voici de quelle .... précaution oratoire on avait cru devoir faire précéder cet acte; les programmes portaient la mention suivante:

AVIS IMPORTANT.—Le large éclectisme qui a fait représenter tour à tour avec un égal respect de toutes les écoles littéraires des œuvres très diverses, la NUIT BERGAMASQUE comme EN FAMILLE, et LA FIN DE LUCIE PELLEGRIN comme LE BAISER, amène le théâtre libre à jouer cette fois LA CASSEROLE, œuvre d'un réalisme très violent, qui met en scène un cruel tableau des bas-fonds parisiens.

LA CASSEROLE terminera le spectacle.

Cela met en méfiance, n'est-ce-pas? Ou du moins cela présage des audaces énormes.

Eh bien, c'est pis que tout ce qu'on pouvait rêver!

Nous nous refusons à raconter de telles choses à nos lecteurs. M. Méténier ne devrait pas, lui qui a du talent, écrire de telles pièces, car il risquerait de réhabiliter ceux qui ont sottement troublé la représentation de l'œuvre d'Ostrovsky, l'Orage.

Je ne parlerai pas davantage des interprètes. Le silence en ce cas est la meilleure des leçons.

(Paris)

. . . . . . . . . . .
Notre lettre d'invitation nous prévient que La Casserole est «une œuvre d'un réalisme violent». Pas si violent que cela peut-être. On y dit bien deux ou trois mots qu'il n'était pas jusqu'à présent d'usage de dire en public. Mais, ces mots, les hommes les mieux élevés les disent volontiers plusieurs fois par jour, si l'occasion s'en trouve. A cause de cela, il se pourrait qu'ils n'eussent pas un sens très intéressant.

(Gil Blas)

Pour La Casserole de M. Oscar Méténier, nous aimons mieux la passer sous silence. Ce sont mœurs hideuses à voir et aventures qui ne sauraient se raconter dans une langue honnête.

(La Lanterne)

La Casserole n'est qu'une vulgaire insanité.

La scène se passe dans un bal de barrière et nous nous dispenserons de la raconter ici.

Si M. Méténier croit faire de l'art nouveau, il se trompe; du nouveau, peut-être, car on n'a encore rien vu de si sale; mais de l'art, ça, jamais.

C'est tout au plus un fait-divers, tel qu'on le lit dans les journaux, avec les gros mots en plus.

D'intérêt point, de pièce non plus.

Rolande n'était pourtant pas d'un langage fleuri, mais au moins il y avait quelque chose, une intrigue, des situations, tandis que là, rien!

Félicitons les artistes qui ont eu le courage de bien jouer une pareille ordure.

(L'Autorité)

La Casserole, disait le programme, terminera le spectacle.—C'était prévenir les dames qu'elles ne seraient pas obligées de subir la chose. Si la pudeur leur en faisait un devoir, elles pourraient s'en aller. Inutile de dire qu'elles sont restées fermes au poste. Beaucoup d'entre elles n'étaient venues que pour cela, de même qu'on ne va au feu d'artifice que pour voir le bouquet.

. . . . . . . . . . .
L'éclectisme est une belle chose; mais le mien ne va pas jusqu'à goûter l'œuvre de M. Méténier. Cela n'est ni beau, ni propre, ni même intéressant.

(Le Voltaire)

Je ne dirai rien de La Casserole. C'est une chose dont ce n'est pas le lieu ici de parler. Je me demande même en quel lieu on en peut parler.

(Le Soleil)

. . . . . . . . . . .
On dit dans cette pièce tous les gros mots possibles.... Cela excite un certain public. Pour moi, pas de caractères, pas d'analyse de passion, pas de drame... Il ne reste qu'une curiosité satisfaite, une curiosité qu'ont encore les dames—paraît-il—et sur laquelle, hélas! je suis blasé! J'ai ce goût mauvais et rétrograde que le mot de Cambronne me laisse froid sans le carré de la garde et les Anglais qui l'entourent.

(Le XIXe Siècle)

La Casserole est une de ces scènes comme Henri Monnier en a écrit quelques-unes et qu'il a réunies sous ce titre: Les Bas-Fonds. On a tiré le volume à 100 exemplaires et l'exemplaire a coûté 100 fr. aux premiers souscripteurs. C'étaient des scènes qu'Henri Monnier récitait quelquefois dans un atelier, portes closes, quand on avait éloigné les femmes, sans en excepter les modèles. On l'eût bien étonné si on lui eût dit qu'un jour viendrait où la bonne compagnie parisienne se réunirait dans un théâtre pour écouter des pièces faites sur le modèle de ses scènes, mais d'où l'on aurait eu soin de retrancher tout goût d'arrangement et d'art, ce feu d'idéal qui rend l'ordure supportable et même piquante aux esprits blasés. Je ne sais rien de plus vilain et de plus assommant que La Casserole. Il n'y a pas là-dedans l'ombre de mérite d'aucune sorte. Ça n'éveille pas même la bête. Et dire qu'un millier de personnes ont attendu jusqu'à une heure du matin pour le plaisir d'entendre une actrice jeter en pleine scène le mot dont se qualifient entre elles les femmes de mauvaise vie! Voilà une curiosité bête! Enfin, c'est comme ça! Et il paraît que c'est une rénovation de l'art!

(Le Temps)

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La pièce ignoble... c'est La Casserole.

M. Méténier cherche à s'imposer par le scandale. Un tort, car il ne manque pas de talent, encore que ce talent soit assez superficiel, comme il l'a démontré, notamment, dans ses adaptations inhabilement faites des mauvais drames russes [2].

[2] Il s'agit de la Puissance des Ténèbres (!!!) et de l'Orage, qui ont été non pas adaptés, mais littéralement traduits.

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Donc une Casserole a livré un de ses amants, le Marin, coupable d'une infinité d'assassinats (???). Ce Marin a été guillotiné à la Roquette (???). Or, un compagnon du Marin, un filou surnommé le Merlan a juré de découvrir la Casserole et de venger son ami. Il fait comprendre qu'il n'était pas lié d'amitié seulement au Marin et que des liens plus tendres....

Faut-il continuer? Ou le dégoût vous a-t-il déjà pris à la gorge?

Le fait est que le Merlan tue la Casserole et dit aux agents avec émotion:

Guillotinez-moi! Je retrouverai là haut mon Marin! (!!!!!)

Rien à dire de plus sur cette étude de l'ordure. Pouah!

M. Antoine aura mal fini sa saison.

(L'Evénement)

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La Casserole de M. Oscar Méténier est un tableau de mœurs dans le monde... où l'on assassine. A travers la hardiesse du dialogue, qui ne recule devant rien, se dessinent d'âpres figures de sinistres drôles, vigoureusement brossées. La pièce a obtenu un gros succès de curiosité.

(Le Petit Parisien)

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La pièce avait été placée délicatement à la fin du spectacle, afin que les personnes qui en seraient tentées pussent quitter la salle à temps. Il est inutile d'ajouter que la salle, à moitié vide jusque vers minuit, était remplie jusqu'au cintre lorsque la toile s'est levée pour les premières répliques de La Casserole. Seulement les espérances ont été déçues. Cet acte, d'une étonnante niaiserie, est en outre moins malpropre que d'autres que nous avons vus au même théâtre. Il y a des nuances dans l'immonde.

(Le Moniteur Universel)

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C'est un tableau, non pas populaire, mais outrageusement canaille que M. Méténier a brossé avec un talent réel.

Ce genre est grandement contestable et ne serait admis dans aucun théâtre public. Mais comme étude, je n'y trouve pas à redire. Les mêmes scènes grossières, les mêmes détails crapuleux sont traités couramment par les peintres, figurent dans les expositions, sont applaudis de tout le monde quand l'art y domine, et décrochent des médailles du jury.

Pourquoi la peinture vivante par le théâtre n'aurait-elle pas le même champ que la peinture figée par le pinceau?

Pourquoi ce qui provoque ici l'admiration fait-il jeter là les hauts cris? Pourquoi?

Mais il y aurait long à disserter là-dessus et voici que le jour fait pâlir ma lampe.

(La France)

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Ce sombre croquis des mœurs de la basse crapule n'a pas tenu tout ce qu'il promettait. On espérait plus de hardiesse de la part de l'auteur d'En Famille, et j'ai bien vu que les dames dissimulées dans les loges du Théâtre Libre n'avaient pas épuisé la grosse provision de pudeur offensée dont elles s'étaient munies avant de se rendre à l'invitation de M. Antoine. Un peu d'argot, quelques mots grossiers sont un fade ragoût pour des palais tels que les nôtres.

On est parti déçu.

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Je n'ai pas besoin de faire remarquer que ce scénario ultra-réaliste rappelle par plus d'un point les sujets traités par les grands tragiques. La qualité des personnages, le milieu dans lequel ils s'agitent, la langue qu'ils parlent distinguent certainement les héros d'Eschyle, de Sophocle ou de Corneille, des individualités mises en scène par M. Méténier. Mais au fond nous retrouvons chez eux la férocité, le courage indomptable, le respect de la foi jurée, l'amitié dévouée jusqu'à la mort, le point d'honneur dont s'honorent et se parent les protagonistes des drames classiques. Je n'insiste pas sur ces rapprochements.

Le charme de La Casserole est tout entier dans la vérité de la mise en scène. Poussant jusqu'à l'exagération le scrupule artistique, la direction du Théâtre Libre avait engagé, à la représentation, d'authentiques rôdeurs de barrières, des poivrots sortis la veille de Sainte-Anne, des grinches momentanément sans ouvrage, et des apprentis escarpes. De ces bêtes humaines suant l'alcool dans des loques pittoresques, fournies certainement par un recéleur, s'exhalait une odeur très nauséabonde, que humaient à pleines narines detrès belles dames, en quête d'impressions vives. Mais ces spectatrices ont dû se contenter de ces satisfactions olfactiques, simple relent de crasse et de boue. Le dialogue ne dépasse pas, s'il l'atteint, les audaces de quelques romans modernes.

(Le Gaulois)

Et le spectacle s'est terminé par La Casserole, le clou de cette représentation unique.

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Notre confrère Hector Pessard nous a affirmé que cette pièce était jouée par des repris de justice.

En ce cas, le Théâtre Libre ne serait pas seulement une chose malpropre; il deviendrait encore une chose dangereuse.

(L'Éclair)

C'est un grand tort de formuler un jugement au sortir immédiat d'une représentation. Je viens de reconnaître l'absolue justesse de cette vérité à propos de cette fameuse Casserole de M. Oscar Méténier, dont on a tant parlé ces jours derniers.

Si j'avais été obligé de donner mon avis sur ce drame des bouges aussitôt après la répétition générale, il est certain que j'aurais blâmé l'auteur; et voilà qu'après vingt-quatre heures de répit, je ne trouve plus que des éloges à lui adresser.

D'où vient ce revirement d'idées? Tout simplement de ce que, pendant ce court laps de temps, le drame poignant, sincère, qu'il y a dans l'œuvre, s'est dégagé des piments qui l'assaisonnent et qu'il m'est apparu dans le calme, tandis que, abasourdi, je l'avoue, au sortir de la répétition, par un dialogue auquel on m'excusera d'avoir mis quelques heures à m'habituer, je n'avais saisi que confusément les diverses péripéties par lesquelles l'action se déroule.

Ce n'est pas un joli monde assurément que celui où s'agitent le Merlan, le père Chabot, la Terreur de la Maube, la Grande Carcasse, Lisa, la Rouquine. Mais ce monde-là existe, il vit près de nous, avec ses douleurs aiguës et ses joies brutales, ses vices dégradants et ses vertus relatives. Oui, ses vertus! Cela peut paraître surprenant que le Merlan et la Grande Carcasse aient un code de l'honneur comme tout le monde. Cela est cependant, et voilà pourquoi le drame est passionnant et sincère; voilà pourquoi, lorsque la Grande Carcasse se révolte à l'idée qu'on peut la prendre pour une voleuse, elle s'écrie avec la plus grande sincérité, la plus absolue bonne foi:

—Putain, oui! putain tant qu'on voudra; mais grinche, jamais!

Voilà pourquoi encore le Merlan accomplit ce qu'il appelle un acte de haute justice lorsqu'il plante son couteau dans le dos de la fille qu'il accuse d'avoir, par ses révélations à la police, envoyé à la «Nouvelle» son ancien amant, le Marin, accusé et convaincu de crime.

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Et c'est pour cela que nous applaudissons ferme à la tentative désormais victorieuse de M. Antoine et de ses camarades. C'est parce qu'ils ont montré au public un idéal tout autre que celui si conventionnel de l'ancien théâtre, un idéal de vérité et d'exactitude.

(La Jeune République)

PRESSE BELGE

La conférence de M. Méténier a été des plus intéressantes, et il n'a pas eu de peine à se rallier les sympathies de son auditoire.

C'est un je m'enfichiste narquois, un philosophe sincère. Il a occupé pendant plusieurs années les fonctions de secrétaire de commissaire de police dans les différents quartiers de Paris, ce qui lui a permis de voir la vie de très près et d'arriver à cette conclusion: La vertu est un mythe.

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Cette conférence a obtenu le plus vif succès, et l'auteur dramatique n'a pas eu moins de bravos que n'en avait obtenu le conférencier.

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La Casserole—ce qui veut dire, en argot, une femme qui moucharde pour la police—nous montre des souteneurs s'occupant de leurs petites affaires dans un cabaret borgne. La Grande Carcasse, c'est ainsi qu'on nomme la Casserole, a jadis dénoncé un ami du Merlan à la police.

Résultat: Dix ans de travaux forcés.

Le Merlan, qui aimait tendrement son ami, a juré de se venger de la Carcasse. Le hasard la lui fait rencontrer au cabaret en compagnie du père Chabot. Celui-ci a été volé dans le bouge, et la Carcasse, qui est bonne fille, réclame l'argent du vieux; sinon, elle dénoncera les assistants à la police. Le Merlan, qui brûle du désir d'aller retrouver son ami à la Nouvelle, plonge un couteau dans la poitrine de la Carcasse et se fait arrêter.

La pièce est curieuse, intéressante et parfois émouvante, et ces scènes de mœurs bizarres ont vivement intéressé le public, qui a rappelé à grands cris tous les artistes et l'auteur.

(La Chronique)

Entre le vaudeville et le drame l'auteur de La Chair et de Monsieur Betsy nous a fait une conférence sur les voyous dans la littérature.

Un bruyant succès que cette conférence-causerie dans laquelle M. Oscar Méténier a parlé surtout de ses livres, de son théâtre, mettant de la crânerie et peut-être un peu trop de coquetterie à exposer la synthèse de La Casserole, à dire comment il fut amené à étudier les types populaires qui sont les héros de sa littérature.

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Après cette causerie on a écouté religieusement la pièce. Et l'on a été empoigné, serré à la gorge par une émotion douloureuse devant le dénouement éclaboussé de sang de ce tableau de mœurs violent où vibre de la passion.

(L'Indépendance Belge)

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Quant à la conférence de M. Méténier, c'est un petit chef-d'œuvre d'impertinence délurée et elle a été acclamée.

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Méténier, tel qu'il nous est apparu hier, est un petit homme vif, à l'œil très noir, au sang très chaud, le petit tapin de la vérité dans l'art. Avec un sourire entre cuir et chair d'une insolence charmante, il est venu expliquer son âme au public en affirmant que son âme lui plaisait beaucoup, à lui Méténier, telle quelle; qu'on pouvait la discuter si l'on voulait, mais que pour lui il s'en souciait comme de ça. Au demeurant, cette âme est simple, droite et aimable à voir. Elle est éprise de sincérité, elle hait les hypocrites fadaises dont nous sommes tant écœurés et elle se laisse aller avec une facilité naïvement crâne aux indignations qui servent le faible et le déshérité contre le fort et le privilégié.

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Où M. Méténier est vraiment supérieur et séduisant, c'est dans les tableaux voyous. M. Méténier aime le peuple parce qu'il le trouve plus sincère, meilleur, moins canaille que les autres classes; et l'affection qu'il lui porte ne recule pas devant ses vices et ses lèpres. Au contraire, M. Méténier, s'attarde plus volontiers encore au spectacle de la populace, de cette populace de souteneurs et de filles méprisables, irresponsables et si pittoresques qui nous a donné déjà les modèles de tant d'œuvres saisissantes.

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C'est tout cela qu'il nous a expliqué, sur un ton combatif et vite, et vite, comme un homme qui décharge son cœur et qui est bien aise de le décharger.

Son succès a été considérable et de pleine sympathie.

Et le succès de La Casserole aussi.

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La pièce est d'un très vif intérêt de détails, et la langue, pour un peu moins montée en couleur qu'elle n'était dans la nouvelle, n'en est pas moins encore fort curieuse et d'une sincérité absolue. M. Méténier n'a pas voulu atténuer la violence de son récit, et ce ne sont pas des audaces qu'il en a fait disparaître; il a seulement, et pour la clarté, remplacé quelques mots d'argot trop incompris par quelques vocables de langue courante.

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Voici que M. Alhaiza annonce trois représentations nouvelles de La Casserole. C'est une pièce à voir. Il y a du reste, au fond de toutes les œuvres de cette école-là, une grande idée de pitié sociale, pareille à celle qui guidait l'auteur de la Puissance des Ténèbres, et qu'on ne saurait trop aider à faire son chemin.

(La Réforme)

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La Casserole a été jouée au Molière par les artistes de M. Alhaiza au milieu d'une grande affluence de monde.

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Nous ne conseillons pas aux dames le spectacle actuel du Molière, mais tous les hommes un peu curieux de suivre l'évolution que M. Méténier (et avec lui quelques auteurs parisiens) veut faire subir à l'art dramatique, iront voir et entendre l'épisode mis en scène avec un rare talent par cet écrivain fécond, et, il faut le dire, admirablement doué au point de vue de la concision du dialogue et de la façon d'exposer une situation.

(L'Éveil.)

J'engage tous les lecteurs de L'Artisan à se rendre au Molière pour y applaudir La Casserole, le drame naturaliste d'Oscar Méténier. On ne peut s'imaginer l'exactitude des scènes composant cette Casserole, surtout pour les personnes ayant suivi de près les usages des quartiers... nobles (lisez: Belleville, la Roquette, etc.) de Paris.

M. Méténier peut se vanter d'avoir remporté un grand et légitime succès.

(L'Artisan)

L'affiche rouge de la Matinée d'hier, au Molière, n'avait guère effrayé le public, car la salle était pleine, et il y avait nombre de dames—plus de dames même, m'a-t-il semblé, qu'aux spectacles ordinaires. La curiosité des choses défendues ne s'est pas affaiblie chez le sexe aimable depuis notre mère Eve. Il est vrai que cette matinée comportait une attraction particulière: une conférence de M. Oscar Méténier, un des plus marquants écrivains de l'heure actuelle, l'auteur, notamment, d'En Famille, joué naguère sur cette même scène du Molière, et de Monsieur Betsy.

Dans une causerie aimable et spirituelle, après avoir remercié le public belge de l'accueil qu'il a fait à ses œuvres, et après avoir payé un tribut de reconnaissance à notre compatriote, l'excellent artiste José Dupuis, dont le talent a été d'un si précieux concours à M. Betsy, M. Oscar Méténier nous a dit comment il avait été amené à connaître, étudier, et... presque aimer, ce monde des bas-fonds parisiens, dont il trouve les vices moins odieux, en somme, que les vices—cachés—des classes plus élevées, qu'il a été également à même de découvrir,—thèse qu'il a appuyée de faits piquants.

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M. Oscar Méténier a hautement revendiqué pour l'écrivain, l'auteur dramatique, et pour lui et le Théâtre Libre en particulier, le droit absolu de peindre, de représenter ce qu'il veut, ce qu'il voit. La jolie vaillantise de M. Oscar Méténier a été très applaudie, même de ceux qui ne partageaient pas ses idées, ou toutes ses idées. Et l'on peut dire que M. Oscar Méténier, s'il n'a pas, peut-être, fait triompher sur toute la ligne la cause du Théâtre libre à Bruxelles, lui a, tout au moins, par sa parole ardente et convaincue, acquis l'intérêt de ses auditeurs.

Après la conférence de M. Méténier nous avons eu La Casserole, une de ses premières œuvres, un tableau absolument naturaliste et très pittoresque de la société louche des bas-fonds excentriques de Paris. Sans valoir En Famille, un autre tableau du même monde, La Casserole est une œuvre intéressante en sa vérité étrange. Elle a été très bien enlevée par ses interprètes du Molière........

(Le Soir)

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Quant à La Casserole de M. Oscar Méténier, l'auteur de M. Betsy et de En Famille, interdite par la censure, nous la classons de suite parmi les œuvres destinées à se perpétuer.

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Ce petit acte est plein de vie et fournit une étude très serrée des mœurs interlopes des quartiers mal famés de Paris.

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L'auteur a été rappelé après la chute du rideau et on l'a fêté comme il le méritait.

Le Molière est entré dans une bonne voie; aussi espérons-nous que son dévoué directeur voudra bien continuer cette série intéressante d'art jeune et libre.

(L'Impartial bruxellois)

M. Oscar Méténier, l'écrivain réaliste bien connu, qui a jeté un si grand jour sur les bas-fonds de la société parisienne et qui a dépeint avec un talent incontestable, dans ses romans et ses nouvelles, les mœurs des voyous, des souteneurs et des filles, est venu donner jeudi, à la première matinée libre, une conférence des plus intéressantes.

Trois quarts d'heure durant il a parlé avec une simplicité charmante et un esprit bien français sur: les Voyous dans la littérature. Il a défendu crânement ses convictions littéraires, a cinglé, avec une ironie fine et mordante, l'hypocrite indignation du monde bourgeois qui s'élève contre la hardiesse de certaines expressions et l'exposition des scènes prises sur le vif.

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Cette conférence, que le public a fort goûtée et vigoureusement applaudie, était suivie de La Casserole, drame en un acte de M. Méténier lui-même.

Cette dernière pièce, d'un réalisme saisissant et d'une grande puissance dramatique, dévoile un coin tragique de la vie du souteneur, en même temps qu'elle est une étude de l'argot moderne.

(Le Peuple)

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Oscar Méténier a fait au public bruxellois sa simple profession de foi avec une remarquable franchise d'allures. Il a développé, en l'appliquant au théâtre, la thèse invoquée par les romanciers d'aujourd'hui qui n'admettent point l'art sans la vérité et qui affirment que l'art est une manifestation de la vérité. En une causerie concise, gauloise, marquée tout du long au sceau de l'esprit gaulois, avec une note gouailleuse personnelle à l'orateur, celui-ci a fait le procès—peu solennel!—du théâtre ohnettique et feuillettatoire; il a prouvé que sa Casserole, dans sa forte nudité, était moins immorale que les quatre actes du Maître de Forges.

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Enfin, le conférencier a plaidé la cause de l'indépendance personnelle dans l'art, l'indépendance sans limites et sans chaînes, et résumé son opinion dans une phrase aussi catégorique que profonde:—«J'ai fait La Casserole, comme j'ai fait En Famille, parce que ça m'a plu; s'il est des imbéciles qui sur mon passage poussent des cris de terreur et des hurlements d'indignation, je souris et je passe outre. Somme toute, je n'impose mes pièces à personne; les voit jouer qui veut et je ne sache pas que j'aie pour principe d'avoir trompé quiconque sur la marchandise!...»

Ponctuée dans ses passages saillants par les applaudissements significatifs du public, cette profession de foi a valu à Oscar Méténier un succès qui frisait le triomphe. Ce triomphe s'est retrouvé au reste pendant la représentation de La Casserole, le corollaire de la conférence donnée par l'auteur.

Cet acte d'une vérité puissante, brutalement conçu sur un tableau vécu, sans trame, sans intrigues, sans entrées ni sorties scéniques puant la banalité des vieux refrains admis, a empoigné vigoureusement le public. Une scène de mœurs, âpre, sinistre par son milieu, sinistre par son action d'une simplicité cruelle. Avec son éclectisme d'homme de théâtre, Méténier n'en a pas moins su, tout en respectant les formules nouvelles, choisir ses effets scéniques,—et l'on est resté stupéfait, haletant, devant ce tableau vivant, génialement exact!...

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Faut-il dire qu'artistes et auteur ont été ovationnés triomphalement? Et faut-il dire aussi que le théâtre libre, le théâtre vrai, le théâtre de l'avenir a fait une glorieuse étape de plus? A M. Méténier et à la vaillante troupe du théâtre Molière la gloire d'avoir remporté cette victoire nouvelle!

(La Lutte, de Namur)

M. Méténier, l'auteur de la Casserole, a fait sa conférence, nourrie d'idées et de souvenirs personnels, sur «les voyous dans la littérature».

M. Méténier, avant de s'adonner entièrement à la littérature, a été secrétaire de différents commissariats de police de Paris, notamment dans les quartiers excentriques de Belleville, Grenelle et la Roquette.

Il y a appris à connaître le peuple et à l'aimer; à l'aimer malgré ses vices, car le peuple est franc et sincère dans ses vices, alors que le grand monde, sous le couvert de ce qu'il est convenu d'appeler la morale, ajoute à ces mêmes vices l'hypocrisie.

Le conférencier a expliqué ainsi la prédilection qu'on retrouve dans ses livres pour une certaine classe de la population.

M. Méténier a été vigoureusement applaudi.

La Casserole, qu'on jouait ensuite, est une pièce en un acte; les situations sont très osées, la scène se passe dans un monde d'escarpes et de filles perdues, les mots sont quelquefois très raides, mais tout est justifié: cette pièce, au fond, est d'une moralité âpre et austère.

L'interprétation en a été très convenable; Mlle Leinde s'y est surtout fait remarquer dans le rôle de Carcasse.

(Nouvelles du Jour).

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