The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 0075, 1 August 1844

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Title: L'Illustration, No. 0075, 1 August 1844

Author: Various

Release date: May 20, 2015 [eBook #49005]
Most recently updated: October 24, 2024

Language: French

Credits: Produced by Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0075, 1 AUGUST 1844 ***


L'ILLUSTRATION,

JOURNAL UNIVERSEL,

N° 75. Vol. III.--JEUDI 1er AOUT 1844.

Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
Prix de chaque N°. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.

N°75. Vol. III.
JEUDI 1 AOÛT, 1844. Bureaux, rue Richelieu, 60.

Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. Ab. pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40


Courrier de Paris. Illuminations des Champs-Élysées.--Académie des Sciences. Histoire naturelle. Six Gravures.--Théâtres. Diegarias (Théâtre-Français); Satan (Vaudeville); le Miracle des Roses (Ambigu). Une scène de Diegarias.--Le Tir fédéral de 1844. (Suite et fin.). Vue extérieure du Stand: Vues extérieure et intérieure de la Cantine.--Maroc. (Suite.) Murs de Tanger; Vue de Tanger; Costumes maures.--Histoire de la Semaine. Portrait de M. Cunin-Gridaine, ministre du commerce et de l'agriculture; Distribution des récompenses faite par le roi aux Exposants de 1844, dans la salle des Maréchaux.--Projet d'un Hôpital nouveau, à Paris. Une Gravure.--Exposition des Produits de l'industrie. Distribution des récompenses. Portraits de douze membres du jury.--Bulletin bibliographique.--Les Exposants heureux et les Exposants malheureux; Vol à main armée, Trois Caricatures par Cham.--Rébus.


Fête de Juillet 1844.--Illuminations des Champs-Élysées.


Courrier de Paris.

Les fêtes de juillet, interrompues pendant deux anniversaires, ont été célébrées cette année avec éclat: la mort si fatale du duc d'Orléans avait causé cette interruption; il n'avait pas semblé convenable de donner le spectacle de réjouissances éclatantes et publiques si près d'une tombe. Et cependant, les trois jours anniversaires de la révolution de Juillet 1830 ne sont pas tous consacrés aux vives splendeurs d'une fête: la première de ces trois journées mémorables invite au recueillement et au culte des morts; ce jour-là, dès le matin, les églises sont tendues de deuil, les chants pieux retentissent; l'orgue y mêle sa voix plaintive et funèbre; l'église prie pour les citoyens qui ont succombé, les armes à la main, en prenant la défense des lois. Le second jour est le jour réservé à l'aumône: des secours à domicile sont distribués aux indigents et aux malades; il est juste que dans une solennité commémorative d'une révolution populaire on donne quelque chose aux souffrances du peuple. Le fait est donc louable en lui-même; on doit regretter seulement que les pouvoirs publics ne consacrent pas à cette bonne action une somme plus considérable. Ne pourrait-on pas, si la rigidité du budget s'oppose à de plus amples largesses, économiser sur les lampions et sur les fusées volantes, pour soulager plus d'infortunes ou doubler le bienfait? Si je ne me trompe, le sentiment que nous manifestons ici a été exprimé plus d'une fois, et s'est fait jour à la Chambre des députés: des voix sensées et philanthropiques ont fait entendre le vœu de cet honorable et utile emploi des fonds annuellement consacrés au souvenir de la révolution de Juillet. Et certes, quoiqu'on parle toujours de l'amour du peuple pour les lampions et les soleils tournants, ce n'est pas le peuple qui réclamerait contre cette sage destination des deniers publics. Le peuple, chaque jour, devient sérieux et rangé; il est bien loin de ressembler à ce populaire ignorant et frivole que les gouvernements passés amusaient par des pyrotechnies et par des jeux d'enfant. On peut s'en convaincre en voyant le calme, l'ordre, la tenue régulière et convenable qu'il apporte actuellement dans la célébration des solennités publiques.

La troisième journée, c'est-à-dire la journée du 29, a été, comme par le passé, la journée éclatante et joyeuse; on avait séché les pleurs donnés aux morts, pour ne plus penser qu'à la victoire conquise par leur courage et scellée de leur sang. Les lampions éclataient aux fenêtres des maisons et au fronton des édifices, les orchestres dispersés sur la surface des Champs-Élysées emplissaient l'air d'harmonie, le mât de cocagne s'élevait dans l'espace, les marchands forains et les jeux de toute sorte attiraient la foule par leurs bruits nombreux et variés; vers neuf heures du soir, les mille fantaisies d'un magnifique feu d'artifice ont enchanté la foule qui affluait de toutes parts en flots pressés; fusées, girandoles, feux de Bengale, gerbes étincelantes, prodigieux soleils, palais de flamme, rien n'y manquait: beaux et bons écus de France jetés au vent!

L'illumination des Champs-Élysées a particulièrement étonné par son étendue et par son éclat, il faut avouer que cette magnifique promenade semble avoir été créée tout exprès pour servir à la pompe des fêtes nationales; c'est un spectacle vraiment magnifique que de voir cette immense avenue qui commence à la place Louis XV et aboutit à l'Arc-de-Triomphe par une route ascendante, de la voir, dis-je, hérissée de deux lignes de feux parallèles qui la sillonnent dans toute sa longueur, véritable et merveilleux palais de flamme. Placez-vous sur une des terrasses des Tuileries qui dominent l'espace immense, pour bien jouir de cette vue fantastique; la foule innombrable, les palais illuminés, les arcs de triomphe, les jets d'eau, les masses de verdure diversement éclairées par les feux qui les environnent et mêlent leur éclatante lumière à la splendeur du ciel: tout cela vous saisit, vous étonne, vous éblouit, et vous êtes tenté de croire aux magiciens et aux fées.

Du reste, les Champs-Élysées accroissent leur importance et leur beauté de travaux et de richesses plus durables que ces merveilles de feux splendides qui s'allument et brillent le soir, pour s'éteindre au bout de quelques heures et disparaître; de jour en jour les Champs-Élysées s'enrichissent d'habitations élégantes; ce n'est plus cette immense solitude dont on se défiait encore il y a dix ans à peine, et où l'on n'osait guère s'aventurer à une heure un peu avancée de la nuit. Du côté qui côtoie le faubourg Saint-Honoré, les Champs-Élysées ont rejoint la ville par des rues nouvelles et des constructions dont le nombre augmente sans cesse. Paris, comme un assiégeant qui avance d'heure en heure dans sa conquête, a poussé jusqu'à cette dernière limite sa population et ses demeures.

La partie qui s'adosse au cours de la Seine semblait, par sa position même, condamnée à un long abandon. De malheureuses tentatives faites, il y a quelque quinze ans, sur le terrain appelé quartier François 1er, semblaient confirmer cette espèce de prédestination fatale; mais voici qu'à son tour, ce côté, qui semblait jusqu'à présent maudit, se peuple et commence de meilleures destinées; la finance et l'aristocratie y jettent les premiers fondements de leurs maisons de plaisance; on peut voir déjà les vastes et élégantes murailles de plus d'une riche habitation sortir de dessous terre comme par enchantement: ici, c'est M. Mosselman qui fait élever un hôtel; là, M. de Morny; plus loin, madame la marquise de Praslin, et d'autres encore. Avant dix ans, ce côté des Champs-Élysées rivalisera avec celui qui lui fait face, et le désert de terrain en friche qu'il montre encore à l'œil des passants sera peuplé de riantes villas. Chemin faisant, Paris pourrait bien alors donner la main à Passy et étreindre Auteuil lui-même dans ses vastes bras qui s'allongent d'année en année.

C'est aux Champs-Élysées que M. Berlioz va donner le festival monstre dont il a publié lui-même le prospectus dans le feuilleton du Journal des Débats, ou plutôt à cette heure même où l'Illustration paraît, c'est-à-dire aujourd'hui 1er août 1844, la grande voix de ce concert colossal retentit et fait tressaillir le double écho du faubourg Saint-Honoré et du faubourg Saint-Germain. M. Berlioz a enrégimenté pour cette gigantesque expédition musicale, sans précédent à Paris, tout ce que la ville a pu lui fournir d'artistes un peu en crédit et expérimentés, soit pour le chant, soit pour la partie instrumentale. Il va sans dire que cet immense corps d'armée dont le total s'élève, pour les chanteurs, à plus de deux cent cinquante voix, et pour les instrumentistes à un chiffre à peu près pareil, a pour généraux en chef les virtuoses les plus habiles et les plus renommés. C'est le vaste bâtiment élevé pour abriter l'exposition des produits de l'industrie que M. Berlioz a choisi pour champ de bataille. L'industrie, rentrée depuis un mois dans ses magasins et dans ses fabriques, a cédé la place à l'invasion musicale de M. Berlioz. L'Illustration ne manquera pas de donner prochainement le bulletin authentique de cette campagne entreprise à grand renfort d'harmonie pour centre de bataille, et de mélodie à l'avant-garde.

La police correctionnelle va gagner ses lettres de noblesse; on annonce qu'un grand seigneur du nom de Montmorency doit bientôt comparaître devant la sixième chambre. M. de Montmorency-Robecq, hâtons-nous de le dire, n'aura à s'expliquer avec la police correctionnelle que sur le fait de distribution d'écrits légitimistes et de portraits du prétendant; je crois même que la cour d'assises jouera aussi son rôle dans cette affaire, et que M. de Montmorency n'échappera à une juridiction que pour retomber dans l'autre. Ce n'est pas la première fois que le glorieux et vaillant sieur de Montmorency figure dans nos guerres politiques; témoin le vieux connétable des derniers Valois, et le jeune et infortuné vaincu du combat de Castelnaudary. On mourait un jour de bataille ou sur un illustre échafaud, en ce temps-là. Aujourd'hui on se bat avec la police correctionnelle et l'on se retire de la mêlée avec quinze jours de prison pour toute blessure, qu'on va faire panser dans une maison de santé; cela vaut-il bien la peine de s'appeler Montmorency?

Mademoiselle Rachel a terminé ses représentations au Théâtre-Royal de Bruxelles. Chaque soirée a été pour elle un triomphe; or, mademoiselle Rachel a triomphé six fois, et ces six ovations se sont résumées en un total de 40,000 francs de recette. La ville de Bruxelles, dans son enthousiasme, voulait retenir mademoiselle Rachel à toute force, et lui demandait encore quelques coups de poignard et quelques imprécations pour achever de combler sa joie; peu s'en faut même qu'elle ne se soit jetée à la tête de ses chevaux pour arrêter la calèche de notre illustre tragédienne et l'empêcher de partir. Mais Bruxelles a eu beau faire, Lille, qui avait engagé mademoiselle Rachel, a été la plus forte; mademoiselle Rachel s'est mise en route pour y donner deux représentations, et tenir ainsi sa parole. On ne dit pas encore que Bruxelles ait mis sa milice sur pied pour aller revendiquer à Lille Roxane et Hermione, et, en cas de refus, établir devant ses murs un siège en règle. Mais tel a été l'enthousiasme de Bruxelles pendant le séjour de mademoiselle Rachel, et tel son désespoir en la voyant partir, que la nouvelle de ce coup de main de Bruxelles sur Lille pourrait bien nous arriver par le prochain télégraphe. Que deviendrait cependant le système de la paix partout et toujours?

Les nourrissons des collèges de Paris sont dans la jubilation. Voici les vacances qui approchent; dans quinze jours, tous ces oiseaux gazouillants sortiront de leur cage et iront becqueter aux vitres de la maison paternelle, en poussant des cris joyeux. Heureux jour! et que ne sommes-nous encore au collège!

En attendant que les vacances carillonnent définitivement l'heure du départ, et de la volée, toute la gent écolière agite à tours de bras le Gradus et le Conciones, et, les poings dans les yeux ou se rongeant les ongles, sue sang et eau et se bat à outrance pour obtenir les honneurs du prix ou de l'accessit. De leur côté, MM. les professeurs jaugent les phrases, pèsent les substantifs, vannent les solécismes, les fautes de quantité et les barbarismes.--Il y a quelqu'un qui est plus écolier que l'écolier lui même à l'approche des vacances, et qui sent une joie plus incommensurable encore; cet écolier-là, c'est le maître.

Certaines gens se plaignent beaucoup que l'indifférence nous gagne et qu'on arrive insensiblement à la tiédeur politique. Nous lisons cependant dans un journal: «L'autre jour, dans un café du pays latin, une discussion sur les affaires publiques s'engagea entre deux personnes d'opinions tout à fait opposées; l'une tenait pour l'opposition, l'autre pour le ministère. Après une discussion plus ou moins mal soutenue des deux parts, un des deux adversaires s'échauffa tellement qu'il lança à son interlocuteur un coup de poing qui le fit chanceler, il y eut un moment où on le crut mort sur la place.» Voilà un fait rassurant pour ceux qui craignent, comme nous le disions, l'indifférence en matière politique. Ce coup de poing-là leur annonce que les bonnes doctrines survivent quelque part et s'entretiennent.

Odry, le fameux Odry, est devenu un personnage tout à fait fantastique. Il a plus de soixante-dix ans, et de temps en temps on le voit apparaître au théâtre des Variétés comme un revenant. Les mieux informés disent que ce n'est plus Odry, mais son ombre. Cependant, depuis huit jours, le bonhomme Odry donne des représentations qui attestent qu'il n'est pas mort du tout, et que c'est bien au véritable Odry, au sublime Bilboquet et à l'adorable madame Gibou que nous avons encore affaire. Les grands hommes comme Odry finissent par être enterrés, mais ils ne meurent jamais.



Académie des Sciences.

COMPTE RENDU DES TRAVAUX PENDANT LE DERNIER TRIMESTRE DE 1843 ET LE PREMIER TRIMESTRE DE 1844.

(Voir t. III, p. 218.)

HISTOIRE NATURELLE.

Sur la tendance des tiges vers la lumière, par M. Payer.--On sait que la tige d'une jeune plante placée dans un lieu où la lumière n'arrive que d'un côté s'infléchit généralement vers le point le plus éclairé. M. Payer a cherché à reconnaître si cet effet était dû à la lumière blanche ou à quelques-uns des rayons qui la composent, il a donc éclairé de jeunes liges de cresson alénois (Lepidium salivum) avec des verres colorés, et s'est assuré que tous les verres qui ne laissaient passer que des rayons rouge orangé, jaune et vert ne produisaient aucune inflexion sur la tige, tandis que les rayons bleu, indigo ou violet produisaient cette inflexion. Les expériences n'étaient que provisoires: en effet, les physiciens savent, que les verres rouges, par exemple, laissent passer avec le rayon rouge une petite quantité de lumière orangée, jaune ou verte. Les verres rouges des vitraux des vieilles cathédrales sont les seuls qui ne laissent passer que le rayon rouge sans mélange: on s'assure de cette vérité en recevant sur un prisme la lumière qui a traversé un de ces verres, et on reconnaît qu'elle est du nouveau décomposée par ce prisme, ce qui prouve quelle n'était pas simple, mais composée de plusieurs couleurs élémentaires. Ainsi, comme nous l'avons dit, le rouge est souvent mêlé d'orangé, de jaune et de vert. Pour écarter ces causes d'erreur, M Payer plaça ses plantes dans les diverses portions d'un spectre solaire, obtenu en faisant passer la lumière à travers un prisme, et il vérifia de nouveau que les couleurs rouge, orangé, jaune et vert n'agissaient point sur les tiges, qui étaient surtout influencées par le bleu et le violet. Le résultat est intéressant, parce que ce sont précisément les mêmes rayons qui sont doués de propriétés chimiques, telles que de bleuir le chlorure d'argent, de noircir le nitrate d'argent, etc., etc.

Nouvelle espère de Seps supposé être le Jaculus des anciens, par M. Guyon.--Sous le nom de zureig, les Arabes désignent un lézard dont les mouvements sont si rapides que les Arabes prétendent qu'il traverse l'air comme un dard. Desfontaines raconte que l'un deux s'étant caché sous une pierre, il la fit lever: à l'instant l'animal s'élança et traversa l'espace de douze à quinze pas avec une telle rapidité, que Desfontaines le prit pour un serpent. M Guyon s'est procuré l'animal vivant: c'est un saurien du genre Seps. Il confirme tout ce qu'on a dit de la rapidité extrême de ses mouvements; toutefois il ne l'a pas encore vu s'élancer, mais seulement courir. Cet animal est probablement le jaculus des anciens.

Recherches anatomiques et physiologiques sur quelques végétaux monocotylés, par M. de Mirbel.--Les botanistes sont depuis longtemps divisés sur la théorie de l'accroissement en diamètre des végétaux ligneux, c'est-à-dire des arbres en général et de ceux de nos climats en particulier. On sait, en effet, que ce mode d'accroissement est tout à fait différent dans les grands végétaux des pays chauds, tels que les palmiers, les cocotiers, les fougères en arbre, et dans les chênes, les hêtres et les frênes de nos forêts. Les botanistes avaient jusqu'ici porté principalement leur attention sur nos végétaux indigènes, où chacun est à même de varier et vérifier leurs expériences, et dont la structure anatomique est infiniment mieux connue que celle des plantes exotiques qui ne peuvent vivre que dans les grandes serres de nos établissements publics.

Si l'on coupe transversalement un tronc ou une branche d'arbre européen, on remarque qu'il se compose de couches concentriques dont la moelle occupe le rentre. Le nombre de ces couches est égal au nombre d'années que l'arbre ou la branche ont vécu. Les couches se composent de tissu cellulaire et de tubes ou vaisseaux. On voit aussi des rayons allant du centre à la circonférence de l'arbre: ce sent les rayons médullaires, uniquement formés de tissu cellulaire. Comment se forment ces courbes annuelles de bois? Suivant les anciens physiologistes, un liquide appelé cambium s'épanche entre l'écorce et le bois; ce liquide s'organise, des cellules s'y développent d'abord; ces cellules s'allongent ensuite en vaisseaux dont la réunion forme des fibres qui montent vers les bourgeons, pénètrent dans le pétiole des feuilles et s'épanouissent dans leur limbe. Cette théorie fut vivement attaquée par Goethe, Dupetit-Thouars. Lindley, et, dans ces derniers temps, par M. Charles Gaudichaud. Ceux-ci, assimilant un bourgeon qui se développe à une plante qui germe, ne voient dans les nouvelles couches de bois que la réunion des rances de tous les bourgeons qui donnent naissance aux branches de l'arbre. La réunion de ces racines, jointe aux rayons médullaires, forme la couche annuelle de bois. Ainsi, un arbre est une réunion de végétaux implantés sur son tronc et sur ses branches, au lieu d'être fixés dans le sol.

La discussion avait pour objet les arbres de nos climats; mais M. de Mirbel pensa qu'il jetterait une vive lumière sur la question en étudiant le mode d'accroissement des dattiers.

Il se rendit donc en Algérie. A son grand étonnement, il trouva que ces arbres étaient devenus extrêmement rares; la plupart avaient été abattus depuis la conquête sans aucun motif d'utilité; enfin, après plusieurs semaines d'attente, au moment où il commençait à désespérer du succès de son voyage, un colon, M. de Vialar, mit généreusement à sa disposition un dattier, le seul qu'il possédât. Il n'en est pas moins à regretter que le savant auteur du mémoire sur la distribution géographique des végétaux phanérogames de l'ancien monde ne se soit pas dirigé vers Nice au lieu de s'embarquer à Toulon. Entre Gênes et Vintimille, il eût trouvé le petit village de la Bordighiera, dont tous les habitants vivent de la culture des dattiers. Ils en vendent les palmes aux prêtres de Rome pour les cérémonies du dimanche des Rameaux et aux juifs d'Amsterdam pour la fête des tabernacles. Là, sur une longueur de cinq kilomètres environ, le palmier est l'arbre le plus commun du pays. On le trouve de tout âge et de toutes les grandeurs, tantôt herbacé et aligné dans les plates-bandes des jardins, comme les cardons de nos potagers, tantôt formant de petites forêts dont les cimes en parasol s'épanouissent à quinze ou vingt mètres au-dessus du sol. Les habitants, faisant commerce de ces arbres, ne refusent point de les vendre; et nous croyons devoir signaler cette localité aux botanistes qui voudraient sa livrer à des recherches sur la structure ou le développement de ces arbres.

En possession d'un palmier de dix-huit mètres de haut, M. de Mirbel en fit l'anatomie avec le plus grand soin. Il contrôla toutes les assertions émises par Desfontaines, Moldenhawer, Mohl et Meneghini, sur la structure de ces végétaux. Nous n'entrerons pas dans le détail de ces observations délicates que le savant académicien a exposées avec sa lucidité habituelle. Nous ne saurions les donner ici, elles supposent une connaissance approfondie de la structure des arbres exotiques et celle de toutes les opinions émises sur ce sujet. Nous nous arrêterons à un seul point, celui qui divise les physiologistes à l'égard des arbres de nos climats. Dans le dattier, M. Mirbel a remarqué que la partie supérieure des filets qui constituent le bois du palmier et qui communiquent avec les feuilles est très-jeune en comparaison de la partie inférieure. Sans s'expliquer sur le point de départ de ces filets, il croit pouvoir conclure du fait précédent qu'ils croissent de bas en haut et montent du tronc sur les feuilles. La conséquence que l'auteur tire de cette observation est directement contraire à celle qui est actuellement soutenue par M. Gaudichaud. Si elle se trouve vraie pour les dattiers, il est probable qu'elle sera vraie aussi pour les chênes et pour les ormes, car la nature procède toujours par des lois générales. Mais peu de botanistes et à plus forte raison aucun amateur ne peut vérifier ces assertions, car les dattiers sont rares en Europe; nous ferons donc connaître, d'après les expériences de M. Gaudichaud, comment chacun peut se convaincre que la couche annuelle du bois est formée par des fibres, véritables racines, qui descendent des feuilles tout le long du tronc. Sans doute il est fâcheux que nous ne puissions pas, comme l'a fait M. Gaudichaud, combattre M. de Mirbel par les exemples mêmes qu'il a choisis; mais nous l'avons dit, nous serions inintelligible, et il faudrait nous croire sur parole. Les exemples, au contraire, que nous allons donner, tout le monde peut s'assurer de leur réalité par les expériences les plus nettes et les plus faciles. Ils sont empruntés à la dernière note lue par M. Gaudichaud, le 27 mai 1844, en réponse aux idées émises par M. de Mirbel.

Si l'on enlève circulairement un anneau de l'écorce d'un arbre ou d'une branche et qu'on les laisse végéter, on verra qu'il se forme un bourrelet circulaire au bord supérieur de la plaie. Si l'on exécute la même opération sur les branches tombantes d'un saule pleureur ou d'un frêne parasol (fig. 1) le bourrelet se forme au bord inférieur de la plaie. Ainsi donc l'enlèvement d'un anneau circulaire d'écorce a pour effet la formation d'un bourrelet sur le bord de la plaie qui correspond aux branches, tandis qu'il ne se forme pas de bourrelet sur le bord qui correspond aux racines. Il y a plus, toute la portion du trou ou de la branche qui est au-dessus de l'anneau continue à grossir; celle qui se trouve dessous de l'anneau ne grossit pas sensiblement. Dans l'ancienne doctrine, on attribuait ce bourrelet à l'accumulation du cambium qui ne pouvait franchir l'espace dénudé d'écorce; mais il suffit de faire l'expérience au printemps pour s'assurer que ce bourrelet se compose de fibres entrelacées et pelotonnées sur elles-mêmes. Mais, dira-t-on, ces fibres sont du cambium organisé transformé en vaisseaux. L'expérience suivante répond à cette objection. Enlevez, comme l'a fait M. Gaudichaud, deux anneaux d'écorce circulaires et laissez entre ces deux anneaux un cylindre d'écorce portant un bourgeon (fig. 2), vous verrez en enlevant ce cylindre, peu de temps après que le bourgeon se sera allongé en forme de franche, un faisceau de fibres partant de la base du bourgeon s'étalant à droite et à gauche et se dirigeant en bas; arrivées à la portion où l'écorce manque, ces fibres se contournent, se tortillent sur elles-mêmes, et donnent naissance au bourrelet dont nous avons parlé. Ce qui est vrai des branches l'est aussi des racines de l'arbre. La racine d'un peuplier (fig. 4) fut à moitié divisée à l'aide d'un trait rie scie par M. Gaudichaud; l'arbre ayant été agité par le vent, la racine se fendit dans le sens de sa longueur, et les deux fragments s'écartèrent l'un de l'autre. Les racines des bourgeons trouvant le chemin coupé, se détournèrent comme un fleuve dont le lit serait barré, descendirent le long de la fente, puis s'étalèrent de nouveau après avoir contourné l'obstacle qui s'opposait à leur passage. De l'autre côté de la racine était un second trait de scie; mais l'action du vent, qui avait écarté les bords du trait de scie que nous avons figuré, avait rapproché ceux du trait de scie que nous ne voyons pas, et les racines des bourgeons avaient franchi cette solution de continuité et formaient une espèce de pont qui la recouvrait. Si, à l'imitation de M. Gaudichaud, vous enlevez une bande d'écorce contournée en hélice (fig. 5) autour d'une branche, vous verrez les racines des bourgeons descendre en suivant le lit que vous leur aurez tracé et décrire une hélice autour de la branche; de même que les racines d'un arbre introduites dans une conduite d'eau suivront toutes les sinuosités de cette conduite. Cette expérience est importante; en effet, si les racines dont nous parlons n'étaient que des fibres développées entre le bois et l'écorce et montant vers le bourgeon, il n'y a aucune raison pour qu'elles se contournent en hélice avec la bande d'écorce qui les dirige: elles resteraient longitudinales et parallèles à l'axe de l'arbre comme dans l'état normal.

Mais, dira-t-on, dans toutes ces expériences, les fibres issues de la base du bourgeon descendent comme des racines qui s'enfoncent dans le sol; mais est-il vrai d'une manière absolue qu'elles ne puissent jamais monter pour contribuer à l'accroissement d'une portion du végétal quelles ne sauraient atteindre sans cela? L'expérience suivante de M. Gaudichaud répond à cette objection. Sur une branche d'arbre (fig. 3), il a isolé une languette d'écorce de telle façon qu'elle ne communiquait avec le reste que par sa partie inférieure; ainsi donc, si elle avait le pouvoir d'attribuer les fibres descendantes, celles-ci seraient recourbées de bas en haut pour se répandre entre elle et le bois. La fig. 4 montre que cela n'eut point lieu; les fibres provenant des bourgeons supérieurs contournèrent la solution de continuité, se rejoignirent au-dessous d'elle, et continuèrent à descendre; aucune d'elles ne remonta pour contribuer à l'accroissement ou épaisseur de la portion de branche qui était recouverte par la languette isolée.

L'assimilation de ces fibres à des racines a dû trouver parmi les naturalistes un certain nombre d'incrédules. En effet, il répugne au premier abord de regarder un tronc d'arbre comme formé en majeure partie des racines des bourgeons, qui de toutes les branches descendent pour gagner le sol; mais M. Gaudichaud a levé ces doutes par une expérience décisive. Il existe un arbre dont on a voulu employer la feuille pour remplacer celle du mûrier: c'est le Mactura auvantiara. Prenez une portion de branche de cet arbre, fichez-la en terre, et vous verrez bientôt des bourgeons se développer entre l'écorce et le bois; en même temps des racines sortiront le l'extrémité enfoncée dans la terre. Si vous enlevez l'écorce, vous apercevrez (fig. 6) un faisceau de fibres partir de la base du bourgeon, descendre le long de la bouture et sortir à son extrémité inférieure sous forme de racine. On pourrait citer encore un grand nombre d'expériences du même genre, mais il suffit presque de rappeler la pratique habituelle des jardiniers. Ils savent qu'une bouture ne prend jamais racine si elle n'est pourvue d'un œil, c'est-à-dire d'un bourgeon. Comment en serait-il autrement, puisque c'est ce bourgeon même qui émet des racines qui s'enfoncent dans le sol?

Je m'arrête, non que le sujet soit épuisé, mais dans la crainte de fatiguer le lecteur, car il y a autant encore un grand nombre d'arguments à faire valoir, sans parler des puissants motifs empruntés à l'analogie.

Quelle différence y a-t-il, je vous prie, entre un jeune rameau d'arbre chargé de feuilles de fleurs ou de fruits, et une plante herbacée, fixée au sol et portant aussi des feuilles, des fleurs ou des fruits? Aucune, si de n'est que l'une a des racines apparentes qui s'enfoncent dans la terre, celles du rameau ne le sont point, parce qu'elles se mêlent et se confondent avec les racines de tous les autres rameaux qui descendent le long des branches et du tronc, elles n'en existent pas moins sous l'écorce. Lorsque Goethe étudia les plantes, son coup d'œil d'aigle saisit immédiatement ce rapport, et il le signala. Sa confiance en la généralité et la simplicité des moyens employés par la nature ne le trompa pas, cette démonstration lui suffisait: mais on conçoit que des esprits plus difficiles et moins synthétiques aient attendu pour se décider, les preuves matérielles et décisives fournies successivement par Aubert, Dupetit-Thouars, Lindley et M Ch. Gaudichaud.



Théâtres.


Diegarias, drame en cinq actes et en vers, de M. Victor Séjour (Théâtre-Français); Satan ou le Diable à Paris, vaudeville en cinq actes (Théâtre du Vaudeville); le Miracle des Roses, drame en dix-sept tableaux (Ambigu-Comique).

Diegarias est premier ministre du roi Henri de Castille, ministre tout puissant; son crédit et son autorité sont sans bornes, il est vrai que ce roi est admirablement préparé pour abandonner à son ministre cette autorité suprême; c'est un voluptueux qui ne tient qu'à une chose, à toujours avoir de l'argent pour mener bonne vie et courre le cerf. Or Diegarias contente ce goût financier, et tout est dit, Henri lui abandonne le char de l'État et laisse flotter les rênes.

Diegarias serait donc un homme et un premier ministre parfaitement heureux, s'il ne lui arrivait pas ce qui suit.

Son premier malheur est d'avoir une fille qui se laisse séduire par un vaurien de la cour. Ce drôle se nommé don Juan. Sous prétexte d'un mariage secret, il s'est moqué de la belle Inès; le valet de don Juan, déguisé en prêtre, a donné la bénédiction nuptiale, ce guet-apens est renouvelé de l'Eugénie de Beaumarchais et de beaucoup d'autres drames.

Diegarias ne se doute encore de rien: mais patience, cela viendra. Il garde une rancune héréditaire à don Juan, et cette rancune le met sur les traces du déshonneur d'Inès. Voici comment: «Je veux me venger de don Juan et le faire pendre, dit-il un jour à sa fille, pour me payer d'un outrage que j'ai reçu autrefois de son père.--Ne le tuez pas, s'écrie Inès, je suis sa femme!» De là à découvrir que ce mariage n'est qu'un mariage pour rire, il n'y a pas loin. Une lettre insolente, écrite par don Juan à un vaurien de son espèce, suffit pour faire cette grande découverte; don Juan y raille la pauvre Inès de sa crédulité.

Je n'ai pas besoin de vous dire qu'Inès se désespère; cela est dans son rôle. Quant à Diegarias, il surprend don Juan et lui laisse l'alternative d'épouser Inès, ou d'être immédiatement poignardé par un sbire. Cette proposition sent son mélodrame d'une lieue. Don Juan prend l'air fanfaron et dit:

«J'aime mieux mourir!» Toutefois Diegarias fait une sage réflexion, à savoir qu'il est plus convenable pour un premier ministre de punir le criminel légalement que de l'assassiner, et, sur ce point, j'approuve fort monseigneur Diegarias.

Il en réfère donc au roi et lui demande justice. Henri, qui n'aime pas don Juan et même le soupçonne de trahison contre sa royale personne, Henri fait arrêter Don Juan, et prononce contre lui une sentence de mort pour crime de faux et subornation.

Diegarias croit tenir sa vengeance; mais bien fou est qui s'y fie. En un clin d'œil sa fortune prend une face nouvelle: Diegarias, en effet, n'est pas Diegarias, mais un certain juif nomme Jacob Eliacini; c'est sous ce nom que naguère, surpris par le père de don Juan dans une aventure amoureuse, il a été battu de verges par son ordre et de la main de ses valets. De là sa grande rancune contre le fils, et vraiment il y a de quoi. Comment, depuis cette avanie, est-il devenu premier ministre? je n'en sais rien; toujours est-il que personne ne soupçonne le juif sous le manteau du premier ministre. Quand je dis personne, je me trompe; un certain sbire que Diegarias a employé plus d'une fois à des services secrets, a surpris le fin mot de cette aventure, Diegarias a précisément la sottise de le mécontenter, et voilà notre gueux qui va tout conter à don Juan, Cette indiscrétion arrive bien a propos pour lui, et, en effet, quand le roi presse le séducteur de réparer l'honneur de Diegarias en épousant sérieusement Inès; «Je ne peux pas épouser la fille d'un juif,» répond-il effrontément.

«Quoi! un juif?» s'écrie-t-on de tous côtés; et la cour et le roi reculent d'horreur, et don Juan ne se sent pas de joie; Diegarias a beau rappeler au roi ses services passés, il n'en obtient rien; Henri le repousse et le chasse ignominieusement.

Diegarias s'est retiré avec Inès dans une sombre demeure. Là, il vit avec son ressentiment, et cherche comment il pourra prendre sa revanche contre don Juan et contre le roi. L'occasion ne se fait pas attendre, le roi est besogneux, comme on sait: l'habileté de Diegarias pouvait seule pourvoir à ses dépenses folles. Maintenant que Diegarias n'est plus là. Sa Majesté ne sait à quels écus se vouer; il s'en vient donc trouver secrètement Diegarias. «Donne-moi de l'argent, dit-il.--Oui, répond l'autre, à condition que tu feras exécuter don Juan à mort.--Eh bien, soit!» dit le roi. Excellent prince!

Voici donc maître Diegarias assuré du côté de don Juan; il ne lui reste qu'à châtier le roi; et, pour se donner cette joie, notre ministre déchu se fait complice et chef de la conspiration ourdie d'abord par don Juan. Décapiter don Juan, détrôner le toi, ô volupté!

Mais Diegarias n'aura pas ce bonheur, ou du moins il ne l'aura qu'à demi: Inès, n'écoutant que son amour, gagne le geôlier, et fait évader don Juan de sa prison; il est vrai qu'on l'arrête au détour de la rue, et que le bourreau s'en empare. Don Juan n'est plus! grande joie pour Diegarias, grand désespoir pour Inès. Il ne manque qu'un plaisir à la satisfaction de Diegarias; si la conspiration réussissait, quel agrément! Elle a l'air de réussir un moment, en effet, mais elle n'en a que l'air. Diegarias est pris dans ses propres pièges, et n'a plus d'autre moyen d'en finir que de mourir de douleur sur le corps inanimé de sa fille Inès, qui vient de s'empoisonner.

Il y a donc trois morts dans ce drame, sur quatre personnages, n'est-ce pas du luxe?

L'auteur, M. Victor Séjour, est un jeune homme de vingt cinq ans. Il est juste d'attribuer au goût et à l'inexpérience de la jeunesse le fond mélodramatique de son ouvrage, les emprunts faits aux devanciers, l'exécution incomplète des caractères; mais ce qu'il faut accepter comme signe d'un talent précoce et d'un bon avenir, c'est un style souvent net, énergique et concis, des sentiments exprimés avec sensibilité ou avec vigueur, et deux ou trois situations dramatiques. Que peut-on demander de plus pour un début, ou plutôt pour un coup d'essai, comme l'a dit Beauvallet, qui est venu nommer l'auteur au milieu des applaudissements? Ajoutons que ce même Beauvallet a bien joué le rôle de Diegarias et que madame Mélingue a donné à l'amour et au malheur d'Inès plus d'un accent du cœur et plus d'un vif élan.

--Satan n'est pas si diable que l'affiche du théâtre du Vaudeville veut bien le dire; d'abord, loin d'avoir le pied fourchu et de sentir le soufre, il a le pied mignon et répand partout où il passe un parfum de jolie femme, ce que Leporello appelle si éloquemment odore di femina. Ce prétendu Satan est, en effet, une charmante et riche héritière qui aime Fernand de Mauléon, un très brave et très-aimable cavalier, et qui s'attache à le sauver des pièges que de faux amis sèment sur ses pas; ainsi elle l'arrache aux séductions d'une coquette qu'il est près d'épouser, à sa ruine qu'un escroc est sur le point d'accomplir en lui enlevant sa fortune, à tous les périls, en un mot, qui accompagnent la vie d'un jeune homme confiant et amoureux du plaisir. Et quand Satan a fait tous ces miracles, il se dépouille de toutes ses apparences diaboliques, et Fernand de Mauléon, désensorcelé, trouve en lui une adorable femme qu'il épouse avec trois ou quatre millions de dot; on ne se marie pas à moins au Vaudeville, et surtout pour peu que le diable s'en mêle.


Théâtre-Français.--Diegarias 5e acte.--Diegarias,
Beauvallet; le roi, Maillarü; l'inquisiteur, Marius; Inès, madame Mélingue.

Le rôle de Satan est très-agréablement joué par madame Doche. Quant à la pièce en elle-même, elle est variée par des incidents nombreux et intéressants qui ont fait le succès. Les auteurs sont MM. Clairville et Damarin.

--Elisabeth de Hongrie est l'héroïne du drame à grand fracas que l'Ambigu-Comique sert depuis quelques jours à ses gourmets, sous le titre de Miracle des Roses.--On lit dans la légende que la pieuse Elisabeth allant distribuer du pain aux pauvres, ce pain, par une grâce particulière de Dieu, se trouva changé en roses. Les pauvres durent, ce jour-là, trouver le miracle peu nourrissant, mais Elisabeth y vit une marque spéciale de la protection du ciel.

À l'Ambigu-Comique, le miracle ne s'opère qu'après des événements de toutes sortes: batailles et croisades, usurpation et détrônement, lépreux errant, incendie, enfant affamé, inondation, mort, résurrection, tout ce qui constitue, en un mot, un mélodrame complet. C'est au moment où le tyran, persécuteur d'Élisabeth, croit la surprendre portant des vivres à un proscrit, contrairement à la loi, que l'ange qui protège Elisabeth change les vivres en bouquets de roses. Et ainsi le tyran a un pied de nez, sans compter que la vertu finit par triompher du scélérat et l'envoie ad patres.

Vers, prose, ange, démon, costumes et décors splendides, rien ne manque à cette production de MM. Hostein et Antony Béraud.



Le Tir fédéral de 1844.

(Voir t. III, p. 327, la première partie
de la lettre de notre correspondant.)


Le Stand.--Vue extérieure.


Bâle, 12 juillet 1844.

A l'heure fixée, c'est-à-dire à six heures du matin, le lundi 1er juillet, malgré ma fatigue de la veille, j'étais au stand.

Plus de dix mille personnes m'y avaient précédé. Quel mouvement, quel bruit, dans l'intérieur de cette immense salle! Avec quelle impatience les carabiniers qui occupaient les soixante-douze stalles du stand attendaient le signal de l'ouverture du tir! Dès que ce signal fut donné, soixante-douze coups de canon partiront à la fois... La fête est commencée. Elle durera huit jours sans interruption.


Tir fédéral.--Vue Extérieure de la grande cantine.


Tir fédéral.--Vue Intérieure de la grande cantine.

Mes dessins vous ont montré l'extérieur et l'intérieur du stand, je vous ai évalué en chiffres sa longueur, sa largeur et sa hauteur. Toutefois quelques détails sont encore nécessaires pour faire bien comprendre à vos lecteurs les mystères du tir fédéral.

Le stand bâlois renfermait, assure-t-on, deux mille deux cents compartiments, dans lesquels des chargeurs sont continuellement occupés à remplir de poudre, de bourre et de balles les carabines des tireurs. Mais on n'y comptait que soixante-douze stalles ou places destinées à ces derniers Les soixante-douze stalles correspondaient à autant de cibles placées à une distance de trois cents pas. Au service de chaque cible est attaché un marqueur chargé de vérifier les coups. Un fossé de trois mètres de profondeur, établi devant le front des cibles et sur toute leur longueur, sert d'abri aux marqueurs, et permet aux membres du comité de surveillance de circuler librement et sans danger d'une cible à l'autre. Et n'allez pas croire que de ce mouvement immense puisse naître quelque confusion, ou bien qu'il y ait quelque danger pour la vie des marqueurs. Chaque cible est pourvue d'une sonnette communiquant avec la stalle correspondante; le tireur, avant de faire feu, donne un coup de sonnette pour avertir le marqueur, qui, grâce à cette précaution, a le temps de se mettre à l'abri. En outre, comme les balles pourraient, par la plus légère déviation, atteindre les cibles voisines et leurs marqueurs, on a paré à tout inconvénient ou danger, en pratiquant à distance, entre le front des stalles et celui des cibles, deux cloisons en planches, percées d'autant de petites ouvertures qu'il y a de cibles; et cela en regard de ces dernières et de leurs stalles respectives.

De temps en temps vous entendez de bruyants bravos; ils annoncent qu'un habile carabinier a touché le but; ses camarades s'emparent de lui, l'élèvent sur leurs épaules et le promènent en triomphe; chaque bon coup vaut au tireur une carte qu'il s'empresse d'attacher à son chapeau et qui ne quitte plus sa coiffure pendant toute la durée du tir; le tir est à peine ouvert, et vous voyez déjà circuler un grand nombre de confédérés portant les marques multipliées de leurs victoires.

Il y a deux espèces de cible. Les cibles ordinaires (72 à Bâle) et les cibles fédérales, appelées bonnes cibles (7), auxquelles sont affectés les prix d'honneur. Au milieu d'un rond noir assez grand est tracé un autre rond de la circonférence d'une pièce de 5 francs. Loger une balle dans ce petit espace, c'est faire un carton. Tout citoyen suisse âgé de seize ans peut se faire recevoir membre de la société fédérale, et avoir ainsi le droit de tirer soit sur les cibles ordinaires, soit sur les bonnes cibles. Sur les cibles ordinaires, chaque carabinier peut tirer autant de coups qu'il veut moyennant une mise de 2 batz ou 30 centimes. La charge est en outre à ses frais. Un certain nombre de cartons donne droit à un prix. Mais les règlements sont faits de telle sorte qu'il n'est pas tenu compte des coups manqués. Ainsi le tireur qui sur vingt coups tirés a fait vingt cartons en une heure, obtient une récompense égale à celui qui, pour arriver à un pareil résultat, a tiré cinq cents coups en huit jours. Sur les cibles ordinaires, la persévérance a donc plus de chances que l'adresse, et le tireur malhabile qui a assez d'argent pour tirer continuellement pendant toute la durée du tir est certain de pouvoir lutter avantageusement avec le meilleur carabinier, moins favorisé que lui par la fortune.

Aussi qu'est-il arrivé? un original de la Grande-Bretagne, nommé lord Vernon, conçut, il y a quelques années, le désir de remporter le premier prix d'honneur à un tir fédéral. Pour satisfaire ce caprice, aucun sacrifice ne lui a coûté, il a renoncé à sa patrie et s'est, dit-on, fait naturaliser Genevois. Toute l'année il s'exerce à tirer la carabine. A Bâle, il avait dix chargeurs habiles qui ne se reposaient pas un seul instant. Il tirait du matin au soir sans trêve ni repos. A défaut du prix d'honneur, qui dépend plus du hasard que de l'adresse des tireurs, il ambitionnait la gloire de faire le plus grand nombre de cartons. Nul citoyen suisse ne possédait une fortune suffisante pour soutenir une lutte si coûteuse. Le rival le plus habile de ce fou d'orgueil était un Apenzellois nommé Bænzinger. Ses compatriotes ont aussitôt ouvert une souscription qui pût lui permettre de tirer autant de coups qu'il voudrait. Lord Vernon a été vaincu. Il n'a fait que 299 cartons; Bænzinger en comptait 320.

Le prix d'honneur, vous ai-je dit, dépend plus du hasard que de l'adresse des tireurs. Cela n'est malheureusement que trop vrai. Il se donne en effet au carabinier qui a logé sa balle le plus près possible du centre de la première des bonnes cibles, appelée la cible de la patrie. Or, chaque concurrent ne peut tirer à chacune des bonnes cibles qu'un seul coup. Ce n'est donc pas le plus adroit, mais le plus heureux qui l'emporte. Ces inconvénients que je vous signale, les Suisses les reconnaissent aussi bien que les étrangers. Leurs journaux eux-mêmes les ont signalés, et M. l'ingénieur Wild a renouvelé, dans la séance générale, une proposition qu'il avait déjà faite à Coire, et qui a pour but d'apporter un remède au mal. «M. le colonel Hübnerwade, de Lenzbourg, écrivait tout récemment le Courrier suisse, a obtenu, par exemple, le premier prix pour un heureux coup; il est le roi officiel du tir, mais au fond personne ne le regarde comme tel. Dans sa réponse aux paroles qui lui ont été adressées, le colonel a franchement confessé qu'il n'était pas un adroit tireur; mais que le prix n'était pas tombé en de mauvaises mains, et que depuis la révolution française, il avait loyalement servi sa patrie en toute circonstance. Chacun a reconnu dans son langage un homme digne et brave, qui saura apprécier et conserver le précieux don de la ville de Bâle. Mais on se demandait en même temps: Où est Bænzinger, Bænzinger, le roi véritable des tireurs suisses, qui pourrait décorer son chapeau de plus de 330 cartons, et qui, pour prix de cette adresse, recevra quelques caisses de cigares!»

Pendant huit jours, depuis le matin jusqu'au soir, le stand ne désemplit pas, si ce n'est à l'heure du dîner. Les mêmes scènes s'y renouvellent sans cesse. On a calculé qu'il s'y est tiré un coup de carabine par seconde, c'est-à-dire, à dix heures par jour, environ 232,000 coups. Aussi, malgré ses énormes dépenses pour les préparatifs de la fête, le comité a-t-il fait une assez bonne spéculation, ces 232,000 coups à 30 centimes représentant un capital de 73,600 francs, sans compter les coups des bonnes cibles, qui étaient payés 3 fr.

Sortons donc du stand, où nous avons tout vu, et promenons-nous dans l'enceinte, entre le stand et la grande cantine. Ici encore, je laisserai mes dessins parler pour moi. Ils vous représenteront mieux que les phrases les plus détaillées le spectacle varié et pittoresque qui attirait à chaque instant du jour l'attention des simples curieux. Devant le stand, ses compatriotes et ses amis portent en triomphe un heureux vainqueur; devant la cantine, la comité de réception fait l'accueil d'usage à une société cantonale. Attirée par une salve de trois coups de canons, la foule est accourue pour être témoin de cette cérémonie. Le comité présente aux nouveaux venus le vin d'honneur, et, après les libations voulues, ils remettent au comité leur drapeau, qui est immédiatement arboré sur le Fahnenberg.

Cependant midi sonne, et un coup de canon annonce l'heure du dîner. La fusillade cesse aussitôt. Carabiniers et curieux se rendent à la cantine, et vont prendre place aux cent cinquante tables dont je vous ai déjà parlé. Instruit par l'expérience du premier jour, je ne commis plus la faute de croire, pour mon propre compte, aux promesses du maître d'hôtel; mais chaque matin, après avoir fait à Bâle un excellent déjeuner, je venais à la cantine du tir jouir du coup d'œil unique que présentait cette immense salle, admirer l'ordre qui y régnait, écouter les concerts d'harmonie qu'exécutaient deux orchestres militaires placés aux deux extrémités, mais surtout me mêler à la foule toujours entassée au pied de la tribune pour entendre les discours des orateurs.

La tribune était toujours occupée. Pour y monter, il fallait seulement en avoir obtenu l'autorisation du président du comité central. Les étrangers eux-mêmes pouvaient s'y faire entendre. La plupart des orateurs étaient fort applaudis. Une fois en possession de la parole, ils ne la rendaient que lorsqu'ils avaient dit tout ce qu'ils avaient à dire. Ils exprimaient nettement les pensées les plus hardies. Aussi les discours de la tribune du tir ont-ils déjà plus de retentissement que ceux de la diète, et M. Zschokke, de Liestall, a t-il pu s'écrier sans être interrompu, en présence de plus de quatre mille personnes;

«Confédérés! n'attendez pas de moi de longues phrases, car je suis de la campagne, où on se contente d'agir vite. Jusqu'ici on a porté un vivat aux vivants; ils n'en ont pas besoin, car ils vivent. J'en veux porter un aux morts, non aux héros morts dans les champs de bataille, car ils vivent depuis longtemps dans notre mémoire; mais à une personne morte, qui aurait besoin de vivre et de se réveiller du tombeau, qui a péché contre le peuple suisse et paraît maintenant encore çà et là comme un revenant maudit pour de longues années peut-être. Elle est morte dans le soi-disant vorort de Lucerne; ce n'est pas à celle-là que s'adresse mon vivat, mais à celle qui doit se réveiller ici dans le vrai vorort fédéral, sur la place du tir fédéral. Vive la nouvelle diète!»

Citons aussi, dans un autre ordre d'idées, les fragments suivants du discours du curé catholique de Zurich, M. Kœlin:

«Voyez sur le drapeau fédéral, dit-il, cette croix, symbole de civilisation, de vérité, de lumière, et en même temps symbole de fidélité. Mais on abuse de cette croix, l'égoïsme et la trahison envers la patrie s'en couvrent comme d'une feuille de figuier. On veut les ténèbres et l'on se sert du nom de celui qui a dit: «Je suis la lumière du monde.» On veut l'esclavage et l'on se sert du nom de celui qui nous apporta la liberté. On veut la discorde, une Suisse catholique et une Suisse protestante, et l'on invoque celui qui a proclamé la loi de la charité!

«Nous voulons une religion, dit l'orateur en finissant, mais elle doit être une source de consolation et de courage, comme elle le fut pour nos pères, et non un moyen d'opprimer le peuple. Nous voulons des autels, non pour y placer un siège politique, mais pour y prêter le saint serment de la liberté. Tendons-nous la main près de la tombe des héros; à cet esprit fraternel un vivat!»

Mais l'incident le plus grave de toute la fête a été celui auquel a donné lieu l'arrivée inattendue de la députation valaisane.

On avait pensé qu'après la lutte qui venait d'ensanglanter le canton du Valais, vainqueurs et vaincus seraient peu disposés à prendre part à des réjouissances publiques. On s'était pourtant trompé, et le vendredi matin on vit arriver, drapeau en tête, une députation de quatre Haut-Valaisans, qui vinrent se glorifier de leur triste victoire comme d'un triomphe au profit du vrai libéralisme, et bientôt le drapeau valaisan figura au haut du Fahnenberg.

Cette nouvelle répandit une vive agitation parmi les carabiniers. Au banquet du même jour, M. le conseiller d'État Curti, de Saint-Gall, se rendant l'interprète du sentiment général, vint protester avec une chaleureuse éloquence contre l'odieux abus que les vainqueurs avaient fait de leur victoire dans le canton du Valais, contre l'établissement de ces tribunaux exceptionnels, de ces commissions extraordinaires que les vainqueurs avaient institués pour juger et condamner les vaincus; et lorsqu'il se prit à signaler l'impuissance de ce misérable lien fédéral qui ne sait rien faire ni empêcher en Suisse, un tonnerre d'applaudissements interrompit l'orateur. Ce fut en vain que le président du comité de Bâle voulut lui enjoindre de descendre de la tribune; sollicité de toutes parts de continuer, M. Curti n'acheva pas moins son discours au milieu des plus vives acclamations D'autres protestations vinrent se joindre à celles de la tribune. Dans l'après-midi, les députations d'Argovie et de Bâle-Campagne demandèrent hautement le retrait du drapeau valaisan, menaçant de se retirer sur-le-champ de la fête dans le cas où l'on ne voudrait pas donner satisfaction à l'opinion publique, et l'on ne sait trop comment se serait terminé ce conflit, si le lendemain matin les Haut-Valaisans n'avaient jugé prudent de se soustraire au cri unanime de réprobation élevé contre eux; ils ne tardèrent pas à sortir de Bâle, accompagnés d'une espèce de cortège de sûreté, et emportant leur drapeau, qui, pendant la soirée, avait été percé d'une balle.

Un temps magnifique avait favorisé la célébration de l'anniversaire de la bataille de Saint-Jacques et l'ouverture du tir; mais, à partir du mardi matin, une pluie abondante ne cessa pas de tomber pendant quatre jours. Elle avait fini par convertir la place du tir en un grand lac, et les communications entre la galerie du tir et la cantine ayant été un instant complètement coupées par les eaux, on prévoyait déjà le moment où il faudrait organiser un service de bateaux pour empêcher les malheureux et infatigables carabiniers de mourir de faim et de soif. On parvint cependant à faire écouler en partie les eaux, et, au moyen de planches jetées en tous sens sur cette terre boueuse, on rétablit tant bien que mal une circulation non exemple de périls; je vous citerai, entres autres, une dame qui, s'étant imprudemment engagée à traversées immenses flaques d'eau, finit par s'embourber si profondément, que quelques galants confédérés, accourus à son secours, eurent peine à la retirer de la vase dans laquelle elle enfonçait déjà jusqu'aux genoux; il fallut la porter à bras, et en la voyant revenir, assise sur les épaules de ses courageux libérateurs, le poste de la milice, trompé par les apparences, fut sur le point de lui rendre les honneurs militaires dus aux vainqueurs du tir.

Pendant ce temps, le dîner de la grande cantine présentait un spectacle non moins divertissant. La pluie tombant à grands flots s'était frayé un passage à travers les ais mal joints de la toiture en planches; l'eau ruisselait de tous côtés sur les infortunés convives, et ceux-ci, pour se soustraire, eux et leur dîner, à cette irruption diluviale, n'eurent plus d'autre parti à prendre que de se mettre à couvert sous leurs parapluies. Ce banquet, abrité sous une toiture multicolore, n'a pas été un des épisodes les moins curieux de la fête. Cette bigarrure même ne laissait pas de lui prêter un aspect tout à fait fédéral. Mais cet accident ne fut rien moins que réjouissant pour l'entrepreneur des banquets, dont la vaste salle à manger, où le dimanche 21,000 bouteilles de vin avaient été consommées en quelques heures, fut bientôt presque entièrement déserte.

Le tir a été clos le dimanche 7 juillet à sept heures du soir, selon le programme, et la distribution des premiers prix s'est faite le lendemain à dix heures du matin.--Ce jour-là, le président du comité central a remis leurs drapeaux aux sociétés encore présentes; puis, après avoir prononcé un discours d'adieu, il a offert le vin d'honneur aux partants. Ces cérémonies terminées, le cortège s'est mis en marche pour accompagner le drapeau fédéral.

Les prix sont de deux espèces: ceux offerts par les cantons et les villes et ceux provenant des particuliers. Ils ont représenté en totalité une valeur de 130,000 fr. de Suisse, soit environ 190,000 fr. de France, et se composent d'argent comptant et de dons en nature, tels que argenterie, médailles d'or et d'argent, fusils et carabines d'honneur, tableaux et autres objets d'art; montres, pendules, vases, cigares, tabac, pipes, tabatières, vins en fût et en bouteilles, soieries, toilerie, livres, objets de coutellerie, lampes, etc.; quelques dons se font remarquer par un caractère tout local: je citerai entres autres des fromages en grande quantité, un chariot du meilleur foin de Lucerne avec la voiture et la vache attelée, une génisse avec un collier en argent, des chamois, etc.

Plusieurs dons ont une valeur considérable: le conseil de ville (stadtrath) de Bâle a donné un plateau d'argent et 80 louis d'or;--le gouvernement du canton de Bâle, huit médailles d'or, de la vaisselle en argent, des ouvrages littéraires de prix et une somme de 3,200 fr. de Suisse, ce qui fait 4,800 fr., le franc de Suisse valant 1 fr. 50 c. de monnaie française;--la société de carabiniers de Bâle, une carabine garnie d'argent et une somme de 1,600 fr.;--le gouvernement de Bâle-Campagne, un tableau de Vogel représentant la bataille de Saint-Jacques, d'une valeur de 1,400 fr.; --des Suisses habitant l'Alsace, 200 tableaux de la bataille de Saint-Jacques, imprimés sur des foulards, d'une valeur de 1,400 fr.;--la société de carabiniers du canton de Berne, un fromage superfin de l'Emmenthal, du prix de 300 fr., un service de table damassé, pour 18 personnes, du prix de 300 fr., et un autre pour 24 personnes, du même prix; une magnifique pendule valant 300 fr.

Le corps des officiers de Bâle-Ville a donné une coupe d'argent et une somme de 840 fr.;--les Suisses habitant Mexico, une somme de 810 fr. en or;-M. Ch. Merian Hoffmann, de Bâle, une somme de 800 fr.;--lord Vernon, une carabine ou une somme d'argent de 700 fr.;--la société de carabiniers de Genève, deux montres en or, l'une du prix de 430, l'autre du prix de 200 fr.;--la société de carabiniers de Soleure et celle d'Argovie, chacune 600 fr.;--une société de carabiniers de Zurich, une coupe de 600 fr.;--une autre société de carabiniers de la même ville, 500 fr. en argent; --M. Zelliwegner, de la Havane, 6,000 cigares de la Havane: --des Français habitant Bâle, 420 fr. en or;--la société de carabiniers de Muttenz, un tonneau de vin de l'année 1834; --M Rodolphe Merian, de Bâle, 200 bouteilles de vin de Champagne;--les dames de Bâle, un tapis de pied brodé, d'une valeur de. 400 fr., etc., etc.

Les prix principaux ont été ainsi distribués:

Le premier prix à la cible fédérale (le plateau d'argent et 60 louis d'or), M. le colonel Hübnerwade, de Lenzbourg (Argovie); le deuxième prix (la carabine), M. Jacques Sïebenmann, d'Arau; le troisième (le tableau de Vogel donné par Bâle-Campagne), M. Studer, de Wipkingen; le quatrième (1,000 fr.), M. Buhler, de Zweisimmen; le cinquième (le vase offert par les Suisses résidant à Saint-Pétersbourg), M. Walser, de Grub (Appenzell); le sixième (la coupe donnée par le corps d'officiers bâlois), M. Holdennegger, du canton d'Appenzell.

Le premier prix à la cible Soleure (le vase provenant de l'abbaye des bouchers à Bâle), M. J. U. Aeby, de Seeberg (Berne); le deuxième prix (une médaille d'or, des espèces et autres objets, le tout valant 350 L. S.), M. J. Greben, de Bâle; le troisième prix (une coupe de cristal et un tonneau de vin, valeur 300 L. S.), M. J.-U. Zeliwegner de Teufen (Appenzell).

Le plateau d'argent donné pour premier prix est d'un travail exquis; il sort des ateliers de M. Hartmann à Bâle. Il est estimé 80 louis d'or. Les quatre reliefs dont il est orné sont très-beaux. Ils représentent Tell, d'Erlach, Nicolas de Flue et Winkelried, avec ces devises: Mir wid Gott helfen! 1307. Hie Banzer, hie Erlach! 1339.--Eidgenossen liebet Euch! 1481--Ich will Euch eine Gosse machen! 1386.

Mais, je le répète, le véritable roi du tir fédérai de Bâle a été l'Appenzellois Bænzinger, qui avait fait 330 cartons.

A sept heures du soir, après la clôture du tir, tandis que les canons grondaient, une troupe de tireurs, précédés d'une musique éclatante, s'approcha de la cantine; ils portaient sur leurs épaules Bænzinger. Mille vivat l'accueillirent comme le roi du tir de 1844. On le porta ainsi en triomphe de café en café, toujours accompagné par les acclamations de la multitude. Jamais vainqueur aux jeux olympiques ne fut accueilli avec plus d'enthousiasme par ses concitoyens, jaloux de l'honneur national.

Un compatriote de Bænzinger, Koller, homme riche et très-considéré dans son canton, s'est rendu coupable d'un acte inouï dans les annales des tirs fédéraux. Un jour que lord Vernon l'emportait sur son rival, il a consenti à ce qu'un marqueur lui attribuât des cartons qu'il n'avait pas faits. La fraude fut découverte et Koller cité devant un jury composé de douze carabiniers. Il ne nia point le fait qui lui était imputé, et déclara qu'ayant manqué à l'honneur, il était résolu de s'expatrier. Cet incident a produit une vive et profonde sensation. Le jury a prononcé un arrêt en vertu duquel les tirs fédéraux seront désormais interdits à l'infortuné qui n'a pas craint de se déshonorer pour défendre contre un étranger l'honneur de son pays.

Tout est fini maintenant. Bâle a repris sa tristesse accoutumée; on démolit les constructions provisoires de la Schutzenmatte, et les carabiniers fédéraux regagnent leurs cantons respectifs en se racontant leurs exploits passés et en rêvant aux triomphes qu'ils espèrent remporter dans deux ans au tir fédéral de Zurich.



Maroc.

GARDE IMPÉRIALE.--ABID-SIDI-EL-BOKHARI.--SOLDE.--ARMEMENT.--OPÉRATIONS MILITAIRES DU MARÉCHAL BUGEAUD--QUESTION DE LA DÉLIMITATION DES FRONTIÈRES.--TANGER.

Les troupes composant le corps des 36,000 hommes de la garde impériale marocaine (V. l'Illustration, t. III, p. 342.) ont reçu le nom de abid-sidi-el-Bokhari (serviteurs du seigneur Bokhari). Ce titre leur vient d'un marabout très vénéré, auteur d'un traité intitulé shahi (le sincère), recueil de traditions (hadis) du prophète. Ils ont adopté pour patron Bokhari, et ils portent son livre dans toutes leurs expéditions.

Depuis la dispersion des Oudayas, le noyau de l'armée de l'empereur Abd-el-Rahman se forme aujourd'hui des contingents des tribus suivantes, appelées pour cette raison tribus de la garde impériale; tribus de Tanger et du Rif; des Cheragah, occupant les montagnes que côtoie le Sbou; d'Oulad-Djama; de Rahamnat; de Demnjat.

Les abid-sidi-el-Bokhari qui ne font pas partie des expéditions militaires sont employés dans leurs cantons ou tribus à la garde et à la police du pays, sous la conduite de leurs alcaïdes ou officiers.

Il y a des alcaïdes de dix, de vingt-cinq, de cent hommes. Leurs grades, quoiqu'à la disposition des pachas, passent ordinairement de père en fils. Les quatre pelotons, de vingt-cinq hommes chacun, se distinguent par quatre étendards de couleurs différentes, c'est-à-dire vert, jaune, rouge et bleu. Une réunion de cinq centaines est commandée par un alcaïde de cinq cents hommes. L'emploi de ce dernier officier, ainsi que celui des pachas, des généraux, des gouverneurs, n'est ordinairement que temporaire. L'empereur les place, les renvoie, les récompense, les dépouille, sans autre loi que sa volonté. Tous peuvent être rejetés dans les derniers rangs de la société, puis employés de nouveau, et quelquefois dans des fonctions civiles étrangères à leur premier état. Les alcaïdes de dix, vingt-cinq, cent hommes, n'ont absolument que le traitement de simples soldats. Les alcaïdes de cinq cents hommes, les généraux, les pachas, les agents supérieurs civils, n'ont que le fruit de leurs avanies et des déprédations que leur position comporte. L'empereur connaît ces exactions et les favorise pour dépouiller ces fonctionnaires à leur tour, quand il les voit enrichis.

La solde, tant de l'alcaïde que du soldat, est absolument arbitraire, et le souverain la proportionne au service qu'il a reçu ou qu'il attend de ses troupes. M. le capitaine Burel l'évaluait, en 1840 à la somme annuelle de 65 francs pour un cavalier marié, et de 45 francs pour un célibataire; à celle de 50 francs pour le fantassin de la première catégorie, et de 40 francs pour le fantassin de la seconde; enfin, chaque jeune garçon et chaque veuve de soldat touche environ 32 francs en trois paiements, qui se font aux trois Pâques et en public.

Chaque famille de soldat jouit d'un terrain franc d'impositions et suffisant pour son entretien. Si la guerre ou la disette prive ces familles de leurs récoltes, l'empereur les aide en leur donnant gratuitement des vêtements et des grains. Au moyen de cette solde, de ces terres, de ces secours et de quelques bénéfices, licites ou non, attachés au métier de soldat de l'empereur, chacun est obligé de se fournir de cheval, d'armes, de poudre, de vivres, de transports, et d'être toujours prêt à marcher.

Outre la solde et les secours dont nous venons de parler, chaque Bokhari qui fait une campagne touche ordinairement 20 francs au départ et 20 francs au retour.

L'empereur appelle ses troupes dans les proportions d'infanterie et de cavalerie qui conviennent au pays et à l'ennemi contre lequel il va opérer. Tantôt la cavalerie forme les trois quarts de l'armée; tantôt elle n'y entre que pour la moitié; mais comme le cavalier est plus considéré, le soldat que sa jeunesse ou son indigence force de servir à pied n'a pas de repos qu'il n'ait obtenu un cheval, véritable instrument pour lui de fortune et de considération.

Les alcaïdes, pas plus que le général, ne se distinguent du simple soldat par aucune marque extérieure. Le soldat lui-même ne se distingue de l'artisan et du laboureur que par un fusil. L'habillement, qui est commun à toute la population, tant à la guerre que dans les douars, consiste en un bonnet rouge, en une chemise et un caleçon de toile, une veste longue serrée par une ceinture de cuir, des souliers jaunes sans bas, et par-dessus tout cela un burnous blanc.

Le harnachement du cheval est à peu près le même que dans l'Orient. La selle, dont le dossier et le pommeau sont fort élevés, est recouverte en drap rouge, ce qui contraste avantageusement avec les vêtement des cavaliers, qui éblouit par sa blancheur. Ceux-ci, au lieu d'éperons, adaptent à leurs talons une espèce de clou de 16 centimètres de longueur, gros comme le petit doigt et d'un poids effrayant.

Depuis près d'un siècle, les Maures ont quitté la lance, le javelot, la fronde. Leurs armes consistent en un fusil d'environ 2 mètres de long, léger cependant, et de calibre irrégulier; ils y adaptent depuis quelques années une longue baïonnette; ils ne savent d'ailleurs le porter qu'à la main ou en travers de la selle, ce qui les embarrasse dans les marches. Les abid-sidi-el-Bokhari, ou soldats de l'empereur, ont de plus un sabre demi-courbé, dont ils se servent dans la mêlée, et un poignard droit. Plusieurs tribus de Berbères ont, au lieu de sabre, un bâton à tête, qu'ils lui prêtèrent. On voit peu de pistolets, si ce n'est à la ceinture de quelques alcaïdes.

Toutes les troupes, infanterie et cavalerie, portent leur poudre dans des cornes de bœuf, et leurs balles dans une giberne à ceinturon, ou même un petit sac. Les soldats chargent le fusil en prenant la poudre à poignée, et mettant la balle séparément, ce qui exige au moins trois ou quatre minutes.

L'artillerie de campagne se réduit à quelques pièces de deux à quatre livres de balle, portées par des mulets et des chameaux.

Les Marocains sont braves et bons cavaliers, mais sans discipline, et complètement ignorants des plus simples manœuvres. Pour les combattre avec avantage, il ne faut donc que du sang-froid à des corps déjà accoutumés à guerroyer contre les Arabes; il faut surtout de la cavalerie, pour obtenir des résultats décisifs.

Les corps marocains se forment ordinairement en croissant, dont la principale force est au centre avec l'artillerie. Toute la stratégie consiste à envelopper l'ennemi, en s'approchant de lui à cinq cents pas à peu près, se déployant soudain et présentant le plus grand front possible. Les cavaliers s'élancent aussitôt à bride abattue, en ajustant le fusil, qu'ils manœuvrent aussi facilement que nos soldats manient une lance; arrivés à demi-portée, ils tirent un coup nécessairement incertain, en appuyant un doigt de la main gauche sur la détente, et sans abandonner les rênes; la main droite tient le fusil. Le coup tiré, ils arrêtent le cheval par un fort mouvement de bride, et, tournant le dos, ils battent en retraite avec la même vitesse pour recharger. Les chevaux sont tellement habitués à cet exercice, qu'ils font demi tour d'eux-mêmes dès qu'ils entendent partir le coup. Si l'ennemi recule, ils continuent le feu en regagnant du terrain. Ils ne font usage de leur sabre qu'à la dernière extrémité, et, pour s'en servir, ils sont obligés de placer leur long fusil devant eux sur l'arçon de leur selle, de sorte que chaque homme occupe un front de plus de deux, et reste isolé sans appui sur ses côtés.

Les équipages ne sont portés qu'à dos de mulets ou de chameaux; car il n'y a au Maroc, que des sentiers à travers les campagnes, et des voitures y seraient complètement inutiles. Des tentes, des plats de bois et de terre, quelques marmites de cuivre, et pour chaque homme cinquante livres de farine pressée dans un sac de peau, un peu de viande cuite et salée, des dattes, des figues, voilà les provisions et les équipages du soldat; l'herbe des champs et le chaume, avec un peu d'orge, quand on en trouve à acheter ou à piller, voilà pour les bêtes de somme et les chevaux, qui d'ailleurs sont accoutumées à se passer d'orge et à faire dix lieues sans manger ni boire.

Avant d'entrer en campagne, chacun moud son blé avec des meules à bras; il y a bien quelques moulins à chevaux dans les villes, et de» moulins à eau seulement à Tétuan, à Méquinez et à Fez, ce qui met tout corps d'invasion dans la nécessité d'apporter des farines et du biscuit.

Quand l'armée marocaine parcourt les provinces soumises, elle trouve partout la mouana, c'est-à-dire l'hospitalité du prophète pendant trois jours, en sorte que son passage est assez onéreux aux habitants; mais après trois jours de résidence sur le même lieu, elle est obligée de payer tout ce qu'elle consommé. Quand elle marche dans les provinces ennemies ou révoltées, elle pille sans façon tout ce qu'elle peut.

La plupart des blessures graves deviennent mortelles, faute de chirurgiens pour les soigner; si elles sont légères, les soldats qui en sont atteints gagnent le douar le plus voisin, où les scarifications d'un astrologue superstitieux et surtout le repos, les ont bientôt guéri? Quand l'empereur Muley-Sliman commandait l'armée, il conduisait ordinairement avec lui un pauvre chirurgien portugais, à qui il donnait 3 francs par jour, et qui composait lui-même les drogues qu'il administrait aux alcaïdes et aux soldats riches.

On voit, par les détails qui précèdent, quels avantages notre organisation militaire donnerait aux corps d'armée chargés d'envahir le Maroc, si la guerre prenait un caractère plus sérieux et plus général.

«Le bruit de l'arrivée à l'armée du fils aîné de l'empereur avec une force considérable s'accrédite de plus en plus. Les uns disent que c'est pour faire la paix, d'autres que c'est pour pousser la guerre avec plus de vigueur. Quoi qu'il en soit, la prudence exige que je me mette en mesure de faire face aux forces qui peuvent se présenter. En conséquence j'appelle à moi M. le général de Lamoricière.» Telles sont les paroles par lesquelles M le général Bugeaud termine un long rapport adressé par lui au ministre de la guerre, le 15 juillet, du camp de l'Oued-Bou-Eurda, au sud de Lalla-Maghrania, sur la frontière du Maroc.--Par une dépêche télégraphique, datée du lendemain 16, du bivouac de Sidi-Zaèr, M. le maréchal a résumé en quelque sorte lui-même son rapport de la veille, en annonçant que, provoqué par une nouvelle attaque des Marocains, il les a culbutés et poursuivis jusqu'à trois journées d'Ougda.

Ainsi, en fait, la guerre continue avec le Maroc, malgré les prétendues assurances de réparations promises à notre consul général à Tanger; et les dispositions personnelles de l'empereur sont encore tellement incertaines et douteuses, que M. le maréchal Bugeaud déclare ne pas savoir si le fils aîné de Muley Abd-el-Rahman vient avec des intentions pacifiques ou hostiles rejoindre l'armée à la tête de troupes nombreuses.

La preuve des hésitations de l'empereur semble résulter des deux faits suivants: le 8 juillet, un de ses ministres, Si-el-Bias, récemment rentré en faveur, après une disgrâce pendant laquelle il avait été promené dans les rues de Maroc, monté sur un âne, la tête tournée vers la queue de l'animal (ce qui est chez les musulmans le nec plus ultra de la dégradation civique), se plaignait, dans une lettre officielle adressée au consul général de France à Tanger, M. de Nion, de ce que les généraux français avaient franchi la frontière, approuvant la conduite des chefs marocains, et demandant que nos généraux fussent blâmés. Mais le lendemain 9 juillet, une seconde lettre, signée par un autre ministre, disait au consul que le sultan ayant appris, au contraire, que ses généraux avaient attaqué le camp français, et étaient ainsi entrés sur le territoire algérien, s'était arraché la barbe en jurant qu'il les punirait sévèrement. Le ministre implorait humblement l'intercession du consul pour que les bonnes relations avec la France ne fussent pas rompues. La reprise et la continuation des hostilités nous ont appris quel cas il est possible de faire de ces déclarations.

Du 7 au 15 juillet, la colonne française a parcouru le territoire aux environs d'Ougda: remontant l'Isly pendant vingt kilomètres, elle a campé, le 9, sur le lieu où Abd-el-Kader s'était tenu depuis près de deux mois. Le but de cette pointe était de déranger ses projets, de forcer sa deïra (son entourage, sa smalah) à interner dans le Maroc, de favoriser la rentrée sur le territoire algérien des tribus émigrantes, et enfin de consommer ou détruire les grains semés par Abd-el-Kader et sa suite, ainsi que les silos qu'il avait ramassés dans la vallée de Kanfouda (porc-épic). A l'approche de nos troupes, en effet, la deïra, qui était sur l'Oued Zekra, s'était enfoncée plus avant dans le Maroc, et était allée camper à Vioun (Fontaines) Suli-Mellouk, à quarante-huit kilomètres d'Ougda, près du camp des Marocains, qui avaient fui jusque-là.

Le 11, nos troupes pénétrèrent dans les montagnes, en remontant l'Isly et se dirigeant vers le sud. Une grande partie de nos tribus émigrées s'étaient retirées par la, et c'était leur faire un tort immense que de les forcer à se jeter dans le désert: cette dispersion enlevait à Abd-el-Kader, pendant quelque temps, les moyens de réunir des cavaliers pour tenter des coups de main sur la ligne sud du Tell. Une partie de l'émigration fut rencontrée dans une gorge par les éclaireurs de la cavalerie, qui ne purent prendre qu'environ 300 têtes de bétail. Si la poursuite eût été continuée sur les traces de cette émigration, elle aurait conduit sur la deïra elle même, campée à quelques kilomètres, près d'une petite rivière. Malheureusement, l'ignorance des lieux et le défaut de relations avec les habitants ont donné et donneront encore beaucoup d'incertitude et d'hésitation aux manœuvres de nos colonnes.

La question des frontières du Maroc, la seule qui ait fourni un prétexte à la prise d'arme des Marocains, serait loin d'être résolue dans le sens des prétentions de l'empereur, d'après les documents authentiques que l'Algérie, journal exclusivement consacré à la défense des intérêts algériens, vient de rappeler. L'empereur Muley-Mohammed, second prédécesseur de l'empereur actuel, ne pouvant se rendre maître des tribus guerrières d'Angad et des Beni-Snasen les avait abandonnées à l'autorité du bey Mohammed-el-Kebir, qui gouvernait les populations de l'ouest de l'Algérie. Celui-ci prit possession du territoire qui lui était concédé, en envoyant un kaïd algérien à Ougda. Ce kaïd était Sid-AddaBen-Maghni, qui gouverna cette ville pendant quatre ans.

Les successeurs du bey Mohammed-el-Kebir négligèrent de maintenir sous leur dépendance cette annexe algérienne. Le successeur de Muley-Mohammed; Muley-Sliman, prédécesseur immédiat de l'empereur actuel, ressaisit peu à peu son autorité sur ce pays, et l'Algérie perdit ainsi Ougda, les Angad et les Beni-Snasen, qui ont, pendant quatre ans, fait partie de son territoire. Mais, même dans les circonstances les moins favorables, l'ouest de l'Algérie a toujours été limité à l'Oued-Moulouiah, et a compris la plaine de Lalla Maghrania, les Soulaïa et le kaïdat de Nedroma.

A la question des frontières se lie intimement celle de l'expulsion d'Abd-el-Kader. Sa présence, en effet, au milieu des populations marocaines sera un danger permanent pour nos possessions dans le nord de l'Afrique. La tolérer plus longtemps, en se bornant à obtenir qu'il soit interné, ce serait apporter seulement une trêve et non mettre un tenue aux embarras de la situation actuelle. Le trône d'Abd-el-Rahman lui-même est menacé d'un côté par Abd-el-Kader, de l'autre par les armes de la France. C'est à notre gouvernement de faire parler l'une des craintes plus haut que l'autre et d'amener l'empereur à se débarrasser d'un seul coup de son ennemi et du nôtre. Le dénouement approche sans doute, car M. le prince de Joinville, après avoir mouillé dans les eaux d'Algésiraz, a franchi le détroit et n'attend plus dans la baie de Cadix, où il est entré le 15 juillet, avec toute son escadre, que le résultat des négociations pendantes, pour se présenter devant Tanger.

Le premier port du Maroc devant lequel un bâtiment (le Pluton) détaché de l'escadre de M. le prince de Joinville s'est présenté le 8 juillet, est celui de Tanger ou Tandja, le Tingis des Romains. Ce port semble appelé à jouer un rôle important dans les événements qui ne tarderont pas à s'accomplir. Le Pluton y a conduit M. Touchard, aide de camp du prince, chargé de constater la situation actuelle de nos relations politiques avec le Maroc; M. Chauchard, lieutenant-colonel du génie, qui doit visiter les fortifications de la place, et M. Warnier, membre de la commission scientifique de l'Algérie, auquel est confié le soin de s'assurer de l'esprit des populations et de leurs dispositions guerrières ou pacifiques.


Murs de la ville de Tanger.

La place de Tanger fut délaissée aux mahométans par le comte Julien, en l'an 718. Après deux attaques infructueuses en 1437 et 1463, les Portugais l'occupèrent de vive force, en 1471, sous Alphonse V, et la conserveront jusqu'en 1662, qu'elle fut donnée à Charles II, roi d'Angleterre, comme dot de la princesse Catherine de Portugal. Muley-Ismaël l'assiégea en 1680, avec quelque succès, mais sans réussir à s'en emparer, et en 1684 les Anglais l'abandonneront, après en avoir fait sauter le môle et les fortifications Ces ruines combleront une partie de la baie, qu'elles rendent dangereuse par les vents d'est.

Cette baie a de 3 à 4,000 toises d'ouverture sur 14 à 1,500 de largeur; elle est défendue, indépendamment de l'artillerie de la ville, par six batteries armées de 34 pièces. A l'exception de cette baie et de celle d'Al-Kasar-el-Soghaïr, à 12 kilomètres à l'est de Tanger, toute la côte nord est inabordable. Mais la côte ouest, depuis le cap Spartel jusqu'à El-Araïch, est susceptible de mouillage et de débarquement.


Vue de Tanger, prise du champ des Sacrifices, par M. Blanchard,
d'après une gravure de l'Espagne, de M. Taylor, publiée par M. Casimir Gide.

La ville de Tanger, bâtie à l'embouchure occidentale du détroit de Gibraltar, est entourée d'une enceinte gothique qui peut avoir 1,000 à 1,200 toises de développement, et flanquée de petites tours de 4 à 5 mètres de diamètre, quelques-unes rondes, la plupart carrées, ce qui prouve leur antiquité; car généralement les tours rondes sont postérieures au neuvième siècle. Un fossé de plus de trois mètres de profondeur, aujourd'hui à moitié comblé et cultivé en légumes dans quelques parties, règne à peu près dans tout son contour du côté de terre. En face du port, et dans le rentrant de la porte de la marine, s'élèvent plusieurs batteries, dont deux en étage, armées toutes ensemble d'environ 60 pièces de canon et de quelques mortiers, provenant de dons faits par les puissances européennes.


Costumes maures, par M Eugène Delacroix.

Les musulmans du dehors nomment Tanger la ville des infidèles, à cause des consuls et du grand nombre de chrétiens qu'elle renferme, comme aussi des privilèges que les juifs y possèdent. Les contingents de la province, passés dernièrement en revue pour se préparer à la guerre sainte, ont tenu la ville bloquée pendant dix jours. Une partie des berbères du Rif avaient été d'abord reçus dans l'intérieur; ils y ont commis beaucoup d'excès; ils ont forcé les magasins du gouvernement et enlevé 300 barils de poudre, que le peuple a répartis entre les Moudjehedin (combattants pour la foi) qui sont allés renforcer les tribus d'Ougda; ils ont démoli la maison d'une famille chrétienne, dévasté les jardins des consulats, et tiré un coup de fusil au consul d'Espagne, qu'ils aperçurent à sa fenêtre.

Du champ des Sacrifices, que représente notre dessin, on aperçoit les côtes d'Europe, Tarifa presque en face, Trafalgar, le magnifique tableau du détroit de Gibraltar, le vieux rocher de Gibraltar même. Sur les premiers plans apparaît la ville de Tanger, dont l'enceinte se réunit, du côté du nord, aux murs du vieux château ou Kasbah. Ce château, qui renferme une mosquée et qui domine la ville et la mer, produit, par sa position, un aspect fort pittoresque. Les mâts élevés au-dessus des maisons indiquent la résidence des consuls européens.

Ali-Bey estime la population de Tanger à 10 ou 12,000 habitants; M. le capitaine Burel, à 5 ou 6,000 seulement; M. Graberg de Hemso à 9,500; elle se compose en grande partie de soldats, de petits marchands en détail, d'artisans grossiers, d'un très-petit nombre de personnes aisées, et de juifs qui portent un costume particulier.

(La suite à un prochain numéro.)



Histoire de la Semaine.

Les fêtes anniversaires que le Courrier de Paris vous a décrites, notre situation vis-à-vis du Maroc, qu'un autre de nos collaborateurs s'est chargé d'exposer, la distribution des récompenses à l'industrie, dont nous représentons ici l'aspect dans la salle des Maréchaux, mais dont un article spécial vous donnera tout à l'heure le compte rendu, voilà les solennités, voilà les événements principaux d'une semaine dont l'historien n'a plus guère qu'un arriéré à mettre au courant et les événements de l'extérieur à enregistrer.

Si ce bulletin, dont nous avons toujours entendu faire uniquement des tablettes, prend quelquefois et inévitablement, de l'enregistrement de luttes et de résolutions parlementaires, une sorte d'aspect politique, c'est, grâce au ciel et à la prochaine ordonnance de clôture, une physionomie qu'il ne sera de longtemps exposé à avoir de nouveau. Finissons-en donc avec les Chambres, qui nous ont envahi, depuis sept mois, une place que parfois sollicitaient vainement des nouvelles intéressantes pour les sciences et pour les arts.

La chambre des pairs seule s'est réunie, et la certitude où elle est qu'il ne serait plus possible de rassembler 230 députés pour adopter un amendement, si elle en introduisait un dans un des projets qu'elle discute, les lui fait voter sans changements. Toutefois, pour la forme, on se livre encore des combats, comme si l'issue pouvait être incertaine, et dans la loi sur le chemin de Strasbourg notamment, M. Teste a cherché à être très-dur pour son successeur au département des travaux publics, M. Dumon.


M Cunin-Gridaine, ministre du
Commerce et de l'Agriculture.

A la chambre des députés on s'est borné à faire distribuer, avant la clôture officielle de la session, les rapports des commissions qui avaient terminé leurs travaux et qui voulaient, par le dépôt de leurs conclusions, mettre l'assemblée à même d'ouvrir ces discussions dès le commencement de la session prochaine.

On n'a point oublié qu'un traité conclu entre la France et la Sardaigne, au mois d'août 1843, entre autres conventions, consacre en principe entre les deux États la garantie réciproque de la propriété littéraire et artistique. Ce traité modifiant les tarifs de douanes, créant de nouveaux délits de contrefaçon, ne peut, sur ces deux points, s'exécuter qu'avec la sanction législative. Pour obéir à cette nécessité, le gouvernement a introduit plusieurs dispositions spéciales dans la loi de douanes présentée par lui à la Chambre dans cette session, et demeurée à l'état de rapport, et il a proposé un projet de loi pénale sur la contrefaçon en France des ouvrages publiés en Sardaigne. M. Vivien, au nom de la commission chargée de l'examen de ce projet, a fait distribuer un rapport dans lequel il conclut à son adoption. Nous y avons remarqué le passage suivant:

«C'est par la voie des négociations que le gouvernement peut faire reconnaître les droits des auteurs français. Le moment est favorable pour entreprendre ces négociations. Depuis quatre ans, la Hollande a accepté et inséré dans un traité passé avec nous la garantie réciproque de la propriété littéraire et artistique. L'Angleterre, la Prusse, la Saxe, ont promis à l'avance de reconnaître les droits de quiconque reconnaîtra les leurs. La confédération germanique, les États italiens ont signé des conventions fondées sur le même principe. Compléter le traité signé par la Hollande, répondre à l'appel des lois de l'Angleterre, de la Prusse et de la Saxe, réclamer l'application du principe déjà consacré en Allemagne et en Italie, obtenir partout l'interdiction de la contrefaçon des livres français, et, comme conséquence nécessaire et obligée, la prohibition de l'introduction des contrefaçons étrangères, telle est la marche à suivre. L'autorité de l'exemple, celle du bon droit, notre légitime influence employée pour une cause juste, auront bientôt entraîné l'opinion des États qui n'ont encore pris aucun engagement, et l'Europe entière, sans longs détails et sans efforts coûteux, aura, avec ou sans le concours de la Belgique, placé les droits de l'écrivain et les privilèges de l'intelligence sous la protection d'un principe tutélaire et conservateur: croisade pacifique, honorable pour la France, pour le gouvernement de Juillet, pour les ministres qui l'entreprendront, digne d'une nation qui a toujours compté parmi ses premiers citoyens des hommes de lettres et des savants, et qui n'est pas moins fière de l'éclat attaché à leurs noms que de ses plus glorieux succès sur les champs de bataille.»


Exposition des produis de l'industrie.--Distribution des
récompenses dans la salle des Maréchaux, le 29 juillet 1844.

Nous avons (p. 135 et suiv. de ce même volume), en faisant ressortir la nécessité d'une réforme postale, exprimé la crainte que ta proposition De M. de Saint-Priest, qui, tout incomplète qu'elle fût, était néanmoins un canevas sur lequel on pouvait tracer un plan meilleur, n'aboutit à aucun résultat. Nous nous étions peu trompé. Elle n'a abouti qu'au rapport de la commission qui, par l'organe de M. Chégaray, en propose le rejet, ou du moins, au lieu de l'amender dans le sens des principes incontestables qu'elle proclame, s'est bornée à formuler un article pour la suppression du décime rural, et à en conserver un de M. de Saint-Priest sur la réduction à 2 pour 100, pour tous les envois d'argent n'excédant pas 50 francs, du droit aujourd'hui fixé à 5 pour 100. Après les excellents principes que la commission a proclamés, après les opinions de réforme radicale qu'elle a émises, cette conclusion rappelle la montagne de la fable. En effet, le rapport combat et détruit tous les préjugés qui militent pour le maintien de l'état de choses actuel, tous les arguments qu'on met en avant pour le défendre. On répète chaque jour, par exemple, ce que M. le ministre des finances n'a pas craint de dire à la tribune pour combattre une taxe fixe et défendre la taxe progressive actuelle, qu'il est juste qu'une lettre paie en raison de ce que coûte son transport. La commission a établi le coût du transport, pour l'administration, de chaque lettre suivant la distance qu'elle parcourt. L'excédant de ces frais de revient constitue donc un impôt acquitté par chaque destinataire; on va voir, par le tableau dressé par la commission, quelle est l'égalité et la justice de cet impôt:

            Zone  ou                            Impôt ou différence
            distante        Taxe.        Coût.    de la taxe
            en kil.                             à la dépense.
Moins de   40                 20 c.    9 3/4 c.    10 1/4 C.
De         40 à 80            30       10 1/4      19 3/4
De         80 à 150           40       10 3/4      29 1/4
De        150 à 220           50       11 1/4      38 3/4
De        220 à 300           60       11 3/4      48 1/4
De        300 à 400           70       12 1/4      57 3/4
De        400 à 500           80       12 3/4      67 1/4
De        500 à 650           90       13 1/4      76 3/4
De        650 à 750         1 fr.      13 3/4      86 1/4
De        750 à 900         1 10       14 1/4      95 3/4
Plus de   900               1 20       14 3/4   1 fr. 5 1/4

Ainsi, la lettre qui coûte à l'administration 9 centimes 3/4 ne paie en sus du remboursement de ces frais que 10 centimes 1/4, tandis que celle qui ne lui coûte que 14 centimes 3/4 est condamnée à lui payer 1 franc 5 cent. 1/4. C'est une inégalité, une injustice insoutenables. On ne s'explique pas que la commission se soit bornée à les signaler. Espérons, toutefois, que ce qu'elle n'a pas osé faire, la Chambre saura l'exiger après avoir lu les considérations qui résument le travail de ses commissaires.

La commission chargée de l'examen de la proposition de M. Chapuys de Montlaville, relative à la suppression du droit du timbre sur les journaux et écrits périodiques, n'a pas racheté, elle, par la netteté et la hardiesse de ses considérants, ce qu'il y a de timide et d'embrouillé dans le dispositif de son rapport. M. Achille Fould, qui a été chargé de ce travail, dit à la page 19: «Les journaux dont la situation financière est prospère ne verraient pas une modification notable dans les conditions de la presse sans une certaine inquiétude.» Nous ne savons si c'est cette crainte de troubler la quiétude de quelques-uns qui a détourné la commission de rendre la publicité plus abordable à tous. Quel qu'ait été son motif déterminant, toujours est-il qu'elle a conclu au rejet de la proposition, et qu'à la suppression du timbre pour tous elle a eu la singulière idée de substituer un emprunt aux lois de septembre, consistant à varier le droit du timbre, comme le taux du cautionnement, selon l'importance des localités; de telle façon que la vérité coûtera plus cher à dire à Nantes qu'à Tours, à Lyon qu'à Mâcon, et que dans les arrondissements où se trouve une ville de 50,000 âmes, comme aussi dans les départements de la Seine, de Seine-et-Marne et de Seine-et-Oise, on paiera 4 centimes de timbre, quelle que soi l'exiguïté du format, tandis que plus d'un journal n'en paie que 3 aujourd'hui. C'est donc la substitution d'un aggravement de position pour un certain nombre de journaux au moyen nouveau d'expansion que l'auteur de la proposition avait voulu donner à la presse. Nous ne craignons pas de dire que cette contre-proposition n'a pus la moindre chance d'être adoptée.

On a encore distribué à la Chambre le rapport de M. Vitet sur le projet de loi relatif à la translation des affaires étrangères à l'hôtel de la Reynière, situé au coin de la rue des Champs-Élysées. La commission, à l'unanimité, propose d'affecter à ce but les terrains dépendants du domaine de l'État, situés entre la rue de l'Université, la rue d'Austerlitz et le quai d'Orçay, c'est-à-dire l'ensemble de bâtiments et de jardins annexes au palais de la chambre des députés, en vertu de la loi du 30 juin 1843. Elle, propose, en conséquence, de réduire le crédit demandé à 3 millions 900,000 fr.

On connaît aujourd'hui le texte officiel de la notification que M. le duc de Bordeaux a adressée aux puissances étrangères à l'occasion de la mort de M. le duc d'Angoulême, qui avait pris le titre de comte de Marne. Voici ce document:

«Devenu par la mort de M. le comte de Marne chef de la maison de Bourbon, je regarde comme un devoir de protester contre le changement qui a été introduit en France dans l'ordre légitime de succession à la couronne, et de déclarer que je ne renoncerai jamais aux droits que, d'après les antiques lois françaises, je tiens de ma naissance. Ces droits sont liés à de grands devoirs qu'avec, la grâce de Dieu je saurai remplir; toutefois je ne veux les exercer que lorsque, dans ma conviction, la Providence m'appellera à être véritablement utile à la France. Jusqu'à cette époque, mon intention est de ne prendre, dans l'exil où je suis forcé de vivre, que le titre de comte de Chambord; c'est celui que j'ai adopté en sortant de France; je désire le conserver dans mes relations avec les cours.»

L'Angleterre et l'Autriche ont seules refusé, à ce qu'il paraît, de recevoir cette notification, et le premier accusé de réception sympathique qui soit parvenu au prétendant est de Marie-Louise, duchesse de Parme.

Des lettres de Taïti, à la date du 19 mars, nous informent que les intrigues de l'ancien consul anglais, Pritchard, avaient amené un soulèvement dont le gouverneur s'était rendu maître sans effusion de sang, par l'adoption de mesures énergiques. La reine Pomaré était en rade, retirée sur un cutter anglais; quant à Pritchard, il avait été arrêté et mis au secret par les autorités françaises, qui avaient déclaré que ses biens, que sa vie leur répondraient des conséquences des événements qu'il avait provoqués. Une autre correspondance de Rio-Janeiro rapporte que Pritchard y est arrivé le 7 juin, à bord du bâtiment de guerre anglais le Vindict. Il s'était embarqué à Taïti, après vingt et un jours de détention.

Les interpellations se succèdent à Londres, et sir Graham ne sait plus à laquelle entendre. Les épi grammes l'assiègent aussi, et, par allusion aux révélations sur les indiscrétions du secret-office, on vient de graver et de vendre à grand nombre à Londres un cachet sur lequel on lit: For not to be Grahamed. Pour n'être pas Grahamisé. Puisse, pour l'honneur du cabinet anglais, la recommandation n'être pas vaine!--De toutes les questions récemment posées au ministère dans le parlement, celle qui a causé le plus d'étonnement et d'émoi par avance est celle de M. Sheil, qui concluait à la nomination d'une commission pour s'enquérir comment les possessions françaises en Algérie avaient été acquises, et jusqu'à quel point leur extension peut s'accorder avec les intérêts politiques et commerciaux du pays. Sur l'annonce de cette motion, sir Robert Peel avait déclaré qu'il devait se borner à dire que c'était la motion la plus extraordinaire qu'il eût jamais entendu faire. M. Sheil l'a développée néanmoins, mais il avait d'avance renoncé à demander la formation du comité qu'il provoquait primitivement. Il ne s'agissait plus, des lors, que d'une conversation politique dont le but était d'embarrasser le premier ministre et d'accroître l'aigreur qui peut régner entre la France et l'Angleterre. M. Sheil est irlandais; on l'a vu porter la parole comme défenseur dans le procès d'O'Connell. Sa conviction est, comme celle du grand agitateur, que l'Angleterre ne rendra justice à l'Irlande qu'au jour du péril, et quand l'assistance des Irlandais sera devenue absolument indispensable, comme dans un cas de rupture entre la Grande-Bretagne et nous. Le Standard, journal ministériel du soir, a cru devoir publier à cette occasion la note suivante: «M. Sheil a été longtemps intimement lié avec le parti-prêtre français; nous soupçonnons donc que son discours et sa motion d'hier, si bien calculés pour amener une querelle, peuvent être attribués à ce parti. Nous n'accusons pas M. Sheil de s'être laissé corrompre par les prêtres français, nous l'en croyons incapable; mais, comme nous l'avons dit, c'est un instrument que tous ses amis peuvent employer et qui ne demande pour salaire que l'honneur de l'emploi.»

Les journaux de Londres, la chambre des communes elle-même, se sont, ces jours derniers, vivement occupés de l'expérience faite à Brighton d'une machine explosible du capitaine Warner, destinée à défendre les ports et les rades, et à détruire les bâtiments qui tenteraient de franchir une passe on de s'approcher de la côte. Un bâtiment marchand de 300 tonneaux s'est enflammé tout à coup, et a sombré sans que l'on ait pu distinguer par quel moyen. Les feuilles anglaises se livrent à toutes sortes de conjectures contradictoires sur les procédés et l'efficacité de l'invention, mais elles sont d'accord sur son importance et sur le devoir pour le gouvernement de veiller à ce qu'elle soit éprouvée d'une façon concluante.

La malle des Antilles arrivée à Southampton a apporté la nouvelle que les résidents anglais des Cayes avaient écrit à la Trinité pour réclamer l'intervention d'un vaisseau de guerre de leur nation, parce que la ville était saccagée et pillée. Le général Guerrier était subitement tombé malade, et le bruit s'était répandu qu'il avait été empoisonné par son rival Acaan.--A la Dominique, où une révolte de noirs affranchis avait éclaté, ce qui était un fait nouveau dans l'histoire de l'émancipation anglaise, l'ordre avait été rétabli. Cet événement donne une autorité très-grande à ce que disait lord Clarendon dans la séance de la chambre des lords du 25 juillet: «Mon opinion est que nous devons nous efforcer de prouver aux autres nations que le travail de l'homme libre est plus productif que celui de l'esclave. C'est précisément ce que nous n'avons pas prouvé, et les autres nations, voyant que l'expérience avait manqué, ont regardé notre philanthropie comme un piège. Et pourquoi l'expérience n'a-t-elle pas réussi? C'est parce que dans nos colonies, nous n'avons pas donné au travail libre les moyens de se développer. C'est à cela que doivent tendre tous nos efforts.»

Bien que, grâce aux mesures prises, au déploiement de force armée, la ville de Prague n'ait pas été le théâtre de nouvelles luttes sanglantes, on a encore vu la fermentation et la révolte gagner les petites villes manufacturières. Une émeute a éclaté à Deutsch-Brod, et l'on a dû recourir aux garnisons voisines, qui sont toutes consignées A Schwartz-Koseritz, un mouvement a eu lieu contre la population israélite, qui a été expulsée. Vingt mille des plus riches juifs de Prague ont déjà aussi quitté cette ville. La question du paupérisme paraît être surtout en jeu dans ce qui s'est passé. Des vers imprimés ont circulé parmi la foule. Cette poésie révolutionnaire était écrite dans la langue des Bohèmes.

Un attentat contre la vie du roi et de la reine de Prusse a été commis à Berlin, le 26 juillet. Au moment où ils montaient en voiture, un individu, sortant de la foule, s'est approché de la portière et a déchargé dans cette direction un pistolet à double coup. La voiture était partie aussitôt; le roi a fait arrêter, et a montré au peuple que ni lui ni la reine n'étaient atteints. Le coupable a été arrêté en flagrant délit; c'est un ancien bourgmestre de Storkow, dans la Marche électorale, qui avait donné sa démission en 1841, après une gestion répréhensible. Il avait depuis, à plusieurs reprises, sollicité un nouvel emploi, et l'insuccès de ses tentatives l'avait irrité et poussé à ce crime. Il se nomme Tschech, il est âgé de cinquante-six ans.

Les autres nouvelles de Prusse sont l'abolition de la détention pour dettes, et une instruction du commandant général des gardes qui donne l'ordre aux officiers supérieurs de défendre aux soldats, jusqu'au grade de sergent-major inclusivement, de se faire recevoir membres des sociétés de tempérance. Cette mesure est motivée sur ce que les règlements de ces sociétés défendent l'usage d'une boisson qui, d'après les ordres supérieurs, est distribuée régulièrement à certaines époques, surtout pendant les manœuvres, dans les camps et les bivouacs, et à certains jours solennels, comme rafraîchissante et tonique.

Bologne vient d'être encore témoin d'une exécution politique. Le 10 juillet au matin, les carabiniers y ont fusille par derrière un peigneur de chanvre, arrêté à l'étranger en janvier 1844, qui avait été condamné à mort comme rebelle par la commission militaire, après, dit l'arrêt, que celle-ci eut oui la messe et fait les prières d'usage. Ce malheureux, nommé Gardenghi, a été mis à mort au même lieu où six autres condamnés avaient subi dernièrement cet atroce supplice.

La correspondance de Madrid contient d'affligeants détails. Nous avons parlé de l'exécution à Saragosse de trois personnes fusillées par suite de l'affaire du général Esteller; mais le général Breton avait dit dans une proclamation que ce n'était qu'un commencement d'expédition; et en effet, d'autres personnes sont arrêtées, et l'on annonce qu'elles seront prochainement exécutées. Ce n'est pas tout: M. Inglada. intendant général de la province de Tolède, nommé par le ministère Gonzalès Bravo, vient non-seulement d'être destitué, mais encore d'être arrêté et mis au secret comme prévenu de complicité dans le meurtre du général Quesada, assassiné dans le mouvement populaire qui suivit l'insurrection de la Granja. D'autres personnes, compromises dans la même affaire, ont été également arrêtées, et l'on s'attend à voir adopter des mesures semblables pour venger les mânes des généraux Basa, Mendez Vigo, Saint-Just, Duonadio et Canterac.

A Athènes on s'est occupé de la tentative d'un individu atteint d'aliénation mentale qui avait voulu pénétrer, le 7 juillet, dans le palais du roi et avait été frappé d'un coup de baïonnette à travers le corps par un soldat. Cet homme, autrefois brigadier de gendarmerie, avait revêtu son uniforme, et il paraît que la sentinelle ne l'a frappé que quand elle lui a vu mettre le sabre à. la main. Le malheureux insensé était porteur d'un rouleau de papier que l'on croyait être une pétition adressée au roi, mais qui ne contenait que des divagations sur Alexandre le Grand, en l'honneur de qui il poussait des vivat. Le chagrin de se voir dépouillé d'une petite propriété et des querelles intérieures, suites d'un mauvais ménage, semblent les causes de la folie de cet homme, dont la vie sera peut-être conservée, mais qu'il semble difficile de ramener à la raison.--Quant à la solution des embarras politiques, on attendait la réunion des Chambres. Le ministère a fait des promotions si nombreuses dans les hauts grades de l'armée, qu'il y a maintenant 40 généraux pour 3,000 hommes dont se compose la force militaire.

Sur la lutte sanglante des bords de la Plata, on trouve dans le Standard la note suivante, qu'il convient de n'accepter que sous bénéfice d'inventaire: «Il est arrivé ce matin des nouvelles de Buénos-Ayres et de Montevideo. Nous avions annoncé que les assiégés avaient fait une sortie qui s'était terminée par une déroule complète: aujourd'hui nous apprenons que les résultats de cette sortie ont été plus désastreux encore. Paz. à la tête de 2,000 hommes, avait attaqué un poste avancé de l'ennemi près de Pantanoso, pendant que Thiébaud et Carréa marchaient sur las Tres-Croces. Il espérait prendre l'ennemi à l'improviste, mais Oribe étant survenu avec des renforts, Paz a été repoussé avec perte. 68 hommes sont restés sur le champ de bataille, 160 ont été blessés. On lui a fait cinq prisonniers. La division de Carréa et de Thiébaud a aussi été repoussée à la baïonnette par le colonel Maza; 75 hommes sont restés sur le champ de bataille, y compris 62 ex-Français. Il y a eu 150 blessés.»

Des lettres reçues de Lima font connaître qu'au mois de mai dernier le général Vivanco était toujours président du Pérou. Mais ce malheureux pays continuait d'être en proie à la guerre civile. Les troupes de Vivanco avaient eu plusieurs engagements avec celles du général Castella, son plus grand antagoniste. Le général Santa-Cruz était tombé au pouvoir de Castella, qui avait livré son prisonnier au commandant de la frégate le Chili. On craignait que Santa-Cruz ne fût fusillé. Plusieurs généraux levaient des corps de partisans et se disposaient à agir chacun pour s'emparer du pouvoir, qui a passé par tant de mains en si peu d'années. Plus heureux que Santa-Cruz, le maréchal de la Fuente a pu se rendre à bord de la corvette française l'Embuscade, en rade de Callao. Il a été accueilli avec l'hospitalité qu'on est sûr de rencontrer chez le» Français. Cependant, le séjour du maréchal se prolongeant indéfiniment à bord de ce bâtiment, les agents du gouvernement établi à Lima ont adressé à ce sujet des représentations, d'abord au capitaine Mallet, qui ne les a point écoutées, et ensuite à l'amiral Dupetit-Thouars. Il est de principe, en effet, que si un neutre mouillé devant une place de guerre reçoit à son bord, à titre de réfugié, un ennemi de cette place, c'est à condition de l'embarquer sur le premier navire étranger qui sortira du port avec une destination lointaine. Or, il paraît que cette condition n'avait pas été observée. L'amiral, qui sait aussi bien respecter les droits des autres qu'il fait valoir les siens à l'occasion, a éloigné le maréchal de la Fuente et mis un terme au conflit.

Au Paraguay, il y a eu un changement de gouvernement. M. Lopez a été nommé directeur pour dix années Il avait ouvert au commerce étranger les ports du Paraguay et avait autorisé les négociants étrangers à s'y établir. Toutefois, si l'on en croit le correspondant du Times, la jalousie du gouvernement buénos-ayrien empêchera que cette mesure ne soit profitable aux nations étrangères et notamment à la Grande-Bretagne. Il a déclaré qu'il ne souffrirait pas que le commerce se fit sur le Panama et l'Uruguay, soit parce qu'il est en guerre avec le Banda oriental, soit parce que Corrientes s'est détaché de la confédération méridionale.

Le musée et les collections de médailles se sont enrichis de deux productions nouvelles. L'une est consacrée au souvenir de la séance du 20 janvier dernier, où M. Guizot répondit à l'opposition, qui lui reprochait vivement certains actes de sa vie politique: «On peut épuiser ma force, on n'épuisera pas mon courage.» Les amis de M. le ministre des affaires étrangères, qui avaient eu vis-à-vis de lui, dans cette séance, le tort de ne pas soutenir l'apologie qu'il cherchait à faire de ces actes reprochés, et de le laisser lutter seul contre l'opposition, ont cru lui devoir cette réparation. L'autre médaille est la médaille en bronze que le gouvernement a fait graver par M. Gavrard pour être donnée aux exposants. Elle représente la France tendant une couronne à l'industrie en lui disant: «Tu m'enrichis, je t'honore.» C'est trop sec et pas assez logique. L'industrie, en effet, enrichit la France, mais elle ne fait pas que l'enrichir, et c'est parce qu'elle ne fait pas que cela que la France l'honore. Il y a peu d'années, la ville de Paris percevait un double impôt des maisons de jeu et des maisons de tolérance. Les croupiers et les beautés de carrefours l'enrichissaient, sans qu'elle les honorât, que nous sachions. Les intérêts matériels ont leur côté fort respectable; mais il faut savoir le trouver, surtout quand on veut le couler en bronze.

Une inondation terrible a porté la consternation dans la ville d'Adana et dans ses environs. S'il faut en croire le récit des voyageurs, ce sinistre aurait coûté la vie à mille personnes et causé des dommages qu'on évalue à plusieurs millions de piastres.--A Rio-Janeiro, le 25 mai, la chaudière de l'un des steamers en fer qui font le service entre cette ville et Rio-Grande a éclaté, et plus de quarante personnes ont perdu la vie par suite de l'explosion.--A Londres, un événement est venu causer également la mort de trente personnes. Pour assister à une joute de bateaux à rames, la foule s'était portée sur une jetée flottante qui sert d'embarcadère près du pont de Black-Friars. Cette jetée, d'environ trente mètres de longueur, a cédé sous le poids des imprudents, et hommes, femmes et enfants ont été jetés dans le fleuve.--Sur le chemin de fer de Montpellier à Cette, le déraillement d'un train a causé la mort de trois voyageurs. Quatre autres ont été blessés.

A Paris aussi, hélas! lundi, à la fin de cette fête dont le Courrier de Paris ne vous a fait voir que le côté riant, nous avons vu se reproduire ce triste tableau qui avait assombri les solennités du mariage de M. le duc d'Orléans. A l'entrée de l'avenue Gabriel, des flots de curieux se contrariant et s'amoncelant ont déterminé de nombreux cas d'asphyxie dont quelques-uns, malgré les secours immédiatement prodigués, ont été mortels. Le nombre des blessés est considérable, et beaucoup de blessures présentent de la gravité.

--Un de nos auteurs dramatiques les plus féconds, M. Guilbert de Pixérécourt, vient de mourir à Nancy, sa ville natale, à l'âge de soixante-onze ans.--L'Allemagne vient de perdre également un de ses plus féconds producteurs dramatiques, M. Charles Blum, auteur de 589 ouvrages représentés. Il avait, par ses traductions, popularisé le vaudeville français chez ses compatriotes.--Le troisième fils du roi de Naples, comte de Castro-Giovani, est mort.



Projet d'un Hôpital nouveau à Paris.

Paris tend à se déplacer: c'est un fait incontestable que M. Rabusson déplore en fréquents mémoires au roi et en pétitions aux Chambres: nous nous bornons, nous, à le reconnaître. L'administration de la ville de Paris ne le méconnaît sans doute pas non plus, mais elle a le tort de ne pas assez étudier ce mouvement, de ne pas assez s'en préoccuper, non pas pour s'y opposer, comme le voudrait M. Rabusson, mais pour le diriger, l'organiser dans l'intérêt de la ville à venir et au moindre détriment de la ville ancienne.

C'est dans le quart de cercle compris entre le nord et l'ouest que Paris, gravissant la hauteur qui le dominait, l'a couronnée d'habitations nouvelles. S'étendant sur le plateau, elles descendront bientôt sur le versant opposé pour rejoindra la Seine qui le contourne. Cette extension s'opère en dedans et au dehors des limites de la ville, c'est-à-dire sur les vastes terrains non construits que renfermait l'enceinte du mur d'octroi et au delà même de cette enceinte. Pour la partie de ce développement qui s'opère dans la banlieue, la municipalité de Paris ne peut exercer aucune surveillance ni aucune action. Toute cette ville de Batignolles-Monceaux, qui dans un petit nombre d'années fera, à coup sûr, partie de la grande ville, s'est édifiée et s'édifie encore d'après des règles de voirie rurale, qui ne sont nullement en harmonie avec celles de Paris et qui laissent s'enrouler des rues étroites et sinueuses qu'à peu de frais aujourd'hui on établirait sur de plus grandes proportions et sur un alignement moins tourmenté, mais dont l'élargissement et le redressement entraîneront plus tard des dépenses énormes. Pour la partie de ces constructions qui est renfermée dans les murs de l'octroi, la ville de Paris fait observer, bien entendu, ses règlements; mais elle comprend que ses devoirs ne s'arrêtent pas là, et que cette agglomération de nouveaux habitants et d'émigrants des anciens quartiers, exige des établissements municipaux et des monuments publics. Bientôt nous aurons à rendre compte de l'ouverture et de la consécration d'une église qu'on achève sur la place Lafayette. On s'entretient depuis longtemps de l'érection d'un collège; aujourd'hui nous avons à faire connaître le plan d'un hôpital nouveau.

Cette construction s'élèverait précisément derrière l'église qui va être inaugurée, Saint-Vincent-de-Paule, dans l'axe de ce monument, et d'une rue Neuve-Hauteville, continuation de l'ancienne rue de ce nom et qui n'en serait séparée que par le monument religieux et ses abords. L'hôpital est destiné à recevoir 600 lits. L'administration des hospices dont tous les établissements ont été édifiés pour une destination tout autre que celle à laquelle ils sont appliqués aujourd'hui ou à une époque où l'on n'avait point étudié les exigences de l'hygiène pour la construction d'un hôpital, a reconnu la nécessité d'en élever un qui pût être regardé comme modèle. Malheureusement, le plan qu'elle a fait dresser ne nous paraît pas suffisamment justifier ce titre, et son auteur évidemment n'avait pas présents à l'esprit, en le combinant, les principes et les conditions établis par le rapport de l'Académie des sciences sur la construction d'un hôpital, rapport fait par les hommes les plus compétents de l'Europe, et signé de Tenon, d'Arcet, Lavoisier, Bailly, Lassone, Daurenton, Coulon et Laplace.

Ainsi, pour loger les 600 lits demandés, on propose d'établir trois étages de malades, ce qui est insalubre et proscrit par l'Académie. Malgré cet entassement, la superficie du plan de l'administration n'en serait pas moins de plus de 20,000 mètres carrés; tandis que l'hôpital de Bordeaux, élevé pour 600 à 700 lits, n'occupe qu'une surface de 16,000 mètres carrés et n'a que deux étages de malades. C'est que dans leurs plans certains architectes d'administrations se préoccupent beaucoup plus des accessoires, de l'agrément et des convenances des directeurs et chefs de service, que du bien-être des véritables destinataires. On en jugera quand nous aurons dit que les bâtiments occuperaient à eux seuls 9,203 mètres, dont 6,297 pour les accessoires et 2,906 pour les malades. L'exécution totale coûterait près de cinq millions. Par ce développement mal entendu, un terrain, précieux pour la ville, se trouverait absorbé sans nécessité dans ce clos Saint-Lazare, où il ne faut pas seulement penser à l'hôpital, mais aussi aux abords d'un quartier nouveau qui a un avenir si important, et ou des voies bien combinées devront faciliter une grande et utile circulation. Par ce développement encore l'hôpital serait trop rapproché de la gare du chemin de fer de Belgique, et il interromprait la rue du Nord, tracée pour l'importante communication de la barrière Poissonnière, au centre du faubourg Saint-Denis, voie déjà portée sur le plan de la ville et bâtie en plusieurs endroits. Le prolongement de la rue des Jardins deviendrait également impossible.

Un artiste oui a exécuté de grands travaux pour le gouvernement, M. Marchebens, vient d'adresser au conseil général des hospices et aussi au conseil municipal de Paris, dont heureusement l'avis devra être pris avant de se mettre à l'œuvre, une demande pour qu'un concours soit ouvert. Il fait bien ressortir les inconvénients manifestes du projet pour lequel l'administration se sent un faible, et il ajoute: «Dans cet état de choses, et pour un monument de cette importance, pourquoi, messieurs, ne décideriez-vous pas un concours public pour éclairer la marche de cette grande opération? La commission des hôpitaux de Bordeaux avait aussi son monde et ses architectes; elle n'en ouvrit pas moins un concours aux savants et aux artistes du royaume, pour l'érection de son grand hôpital. Vous approuverez, j'espère, ce principe, messieurs, en faisant un appel aux lumières du siècle, pour rendre plus parfait cet asile du pauvre; car, vous l'avez bien compris, il ne s'agit ici de blesser aucun intérêt, ni de ravir la place de personne, mais il s'agit d'une création modèle, sur laquelle la raison, l'expérience et la comparaison sont nécessaires pour éclairer l'administration. Aux plans et devis doit être joint le mémoire explicatif sur la construction, sur l'hygiène des salles, sur la séparation des malades et des convalescents, sur le chauffage, sur la ventilation, et enfin sur la commodité des services. Ce travail ensuite doit être soumis à un jury d'examen composé de membres de l'Académie des sciences, de médecins et de chirurgiens, d'architectes, administrateurs ou directeurs, afin qu'il soit jugé par chaque spécialité avec connaissance de cause, et afin qu'un monument de cette importance ne laisse rien à désirer.»

Et pour ce concours qu'il provoque, M Marchebens envoie son plan, dans lequel il est arrivé, en économisant, sur le projet rival, plus de 2,000 mètres carrés de terrain et plus de 2 millions, à faire beaucoup mieux pour les malades. Ainsi, dans cette construction, telle qu'il la conçoit et dont nous donnons l'aspect, tous les bâtiments sont isolés, et n'ont que deux étages de salles de malades;--les salles n'ont que 32 lits; elles sont toutes séparées par des jardins, et l'on peut y classer les diverses espèces de maladies;--après avoir logé les 600 lits, on trouve une réserve qui permet de placer 250 lits pour des temps calamiteux,--un quartier pour les convalescents, des promenades couvertes et des chauffoirs ont été ménagés dans toutes les divisions,--l'établissement des bains est disposé de manière à servir aux malades de l'hôpital et à ceux du dehors;--de grandes galeries à portiques réunissent tous les bâtiments et permettent le service en tout temps;--les constructions sont en pierre et en fer, ce qui non-seulement les met à l'abri de l'incendie, mais encore les rend plus saines, plus durables et plus économiques;--les dépendances, accessoires et jardins, n'occupent qu'un espace proportionne à leur service;--la rue du Nord n'est pas coupée, n'est pas interrompue, et tout l'édifice est entouré d'un boulevard planté d'arbres.

Nul doute que le conseil municipal, qui va avoir à délibérer sur les sacrifices qui lui sont demandés a cette occasion, y mettra pour condition l'ouverture d'un concours. Aujourd'hui, il n'y a donc encore de reconnu que la nécessité de cet établissement et d'adopté que son titre: Hôpital Louis-Philippe. Espérons que ce qui reste à déterminer le sera uniquement dans l'intérêt des malades et dans celui des budgets des hospices et de la ville de Paris.



Exposition

DES PRODUITS DE L'INDUSTRIE.


M. Thénard, président du jury de l'exposition.

M. Darcet.

M. le comte de Noe.

M. Léon de la Borde.

M. Alexandre Brongniart.

M. Fontaine.

Michel Chevalier.

M. Dumas.

M. Firmin Didot.

M, Blanqui.

M. Gay-Lussac.

M. Chevreul.

DISTRIBUTION DES RÉCOMPENSES.

Lundi 29, à une heure, ceux de MM. les exposants qui avaient été désignés par les différentes commissions du jury s'étaient réunis, au nombre de plus de huit cents, dans la salle des maréchaux. Les membres du jury, conduits par M. le baron Thénard, pair de France, leur président, les avaient précédés, et s'étaient placés à droite et à gauche de l'espace réservé pour le roi et sa famille.

Quelques instants après, Sa Majesté est arrivée. Elle portait l'uniforme de la garde nationale. La reine, madame Adélaïde, M. le duc de Nemours et M. le duc de Montpensier, accompagnaient Sa Majesté, qui était suivie de M le ministre du commerce et de l'agriculture, du préfet de la Seine et du commandant des gardes nationales du département.

Le roi, dont l'entrée avait été saluée par des acclamations, a pris place à quelques pas du grand balcon qui donne sur le jardin, ayant à sa droite M. le ministre du commerce.

M. le baron Thénard s'est alors avancé et a lu un discours dans lequel il a énuméré les résultats obtenus par l'industrie française depuis cinq ans, ainsi que les progrès signalés par l'exposition de 1844 dans les efforts et les produits du travail national. Le roi a répondu par quelques paroles qui ont été fort applaudies.

M. le ministre du commerce a ensuite fait l'appel de tous les exposants qui avaient été jugés dignes de récompenses. Le roi remettait lui-même les décorations ou les médailles en adressant à chaque lauréat des éloges et des encouragements. Cette distribution a duré quatre heures et demie.

On avait eu le bon esprit cette année de commencer par l'appel et la remise des récompenses les moins éclatantes et de terminer par les décorations. Aussi, tandis qu'aux distributions précédentes les rangs s'éclaircissaient, la salle devenait déserte et le roi demeurait presque seul, l'intérêt, cette fois, a été soutenu, a été croissant, et Leurs Majestés, en se retirant, se sont entendu saluer par des acclamations aussi nombreuses que celles qui les avaient accueillies à leur arrivée. Il est même résulté de cette persévérance de la foule un peu de confusion, une chaleur extrême et quelques évanouissements. Peut-être plusieurs de ces syncopes doivent-elles toutefois être portées au compte de l'émotion et de l'attendrissement; c'est ce qu'on pourrait établir en comparant la liste des évanouis et celle des récompensés; mais nous ne ferons aujourd'hui d'emprunts qu'à cette dernière.

L'Illustration a eu, toute la première, le droit d'être émue. Son fondateur, M. Dubochet, ses imprimeurs, MM. Lacrampe et compagnie, ont obtenu le rappel de la médaille d'argent qu'ils avaient méritée en 1839; et ses graveurs, MM. Best, Leloir et compagnie, ont été jugés dignes de la médaille d'or. Nous nous bornerons à donner aujourd'hui la liste des exposants qui ont obtenu la décoration de la Légion d'honneur. Ce sont:

MM.

Camu fils, filateur de laine, à Reims (Marne).

Bacot (Frédéric), fabricant de drap, à Sedan (Ardennes).

Chennevière (Théodore), fabricant de drap, à Elbeuf (Seine-Inférieure).

Grillet aîné, fabricant de châles, à Lyon (Rhône).

Bonner (Claude-Joseph), fabricant de soieries, à Lyon (Rhône).

Faure (Étienne) fabricant de rubans, à Saint-Étienne (Loire).

Debuchy (François), fabricant de tissus de lin, de laine et de coton, à Lille (Nord).

Gros (Jacques), fabricant de tissus de coton à Wesserling (Haut-Rhin).

Girard, imprimeur sur tissus, à Rouen (Seine-Inférieure).

Frèrejean, maître de forges, à Vienne (Isère).

Massenet, fabricant d'acier et de faux, à Saint-Étienne (Loire).

André, fondeur au Val-d'Oise (Haute-Marne).

Roswag (Augustin), fabricant de toiles métalliques, à Schelestadt (Bas-Rhin).

Charrière, fabricant d'instruments de chirurgie, à Paris.

Pecqueur, constructeur de machines, à Paris,

Bourdon, directeur des forges et fonderies du Creusot (Saône-et-Loire).

Rourkardt (J.-J.), constructeur de machines, à Guebwiller (Haut-Rhin).

Thénard, ingénieur en chef des ponts et chaussées, à Cubzac (Gironde).

Buron, fabricant d'instruments d'optique, à Paris.

Roller, fabricant de pianos, à Paris.

Winnerl, fabricant d'horlogerie, à Paris.

Lemire, fabricant de produits chimiques à Choisy-le-Roi (Seine).

Lefebvre (Théodore), fabricant de céruse, aux Moulins-lès-Lille (Nord).

Schattenmann, directeur de la compagnie des mines de Bouwiller (Bas-Rhin).

Bontemps, fabricant de verrerie, à Choisy-le-Roi (Seine).

Godard fils, fabricant de cristallerie, à Baccarat (Meurthe).

Millier, fabricant de porcelaine, à Montereau (Seine-et-Marne).

Faucer aîné, fabricant de maroquins, à Choisy-le-Roi (Seine).

Ogerau, tanneur, à Paris.

Cail (J.-F.), constructeur de machines, à Paris.

Lacroix (Jean Justin), fabricant de papiers, à Angoulême (Charente).

A six heures, le roi et la famille royale se sont rendus dans la grande galerie du Musée, où avait été dressée une table de deux cents couverts. MM. les ministres du commerce, de l'inférieur et des finances, des généraux, de hauts fonctionnaires, des officiers de la maison du roi, les membres du jury et ceux des exposants qui avaient reçu la décoration de la Légion-d'Honneur ou la médaille d'or, avaient été invités à dîner avec Leurs Majestés.

Pendant le dîner, une musique militaire, placée au milieu de la galerie, a exécuté de brillantes symphonies.--Au dessert, le roi s'est levé, a pris son verre et a porté le toste suivant: Honneur à l'exposition 1844! Prospérité à l'industrie française! Les exposants y ont répondu par des cris de Vive le roi! vive la famille royale! Ensuite deux santés ont été portées au roi et à la reine par M. le ministre du commerce et par M. le ministre des finances.

A sept heures et demie la famille Royale, suivie de tous les conviés, a quitté la galerie du Louvre et est rentrée dans les appartements du château. Le roi a pris place au grand balcon de la salle des Maréchaux; les convives aux autres balcons de la même salle et sur la terrasse qui règne à gauche du pavillon de l'horloge. De là ils ont assisté au concert exécuté à grand orchestre sous ces fenêtres; puis, des balcons des étages supérieurs, ils ont pu contempler le feu d'artifice tiré sur le quai d'Orçay et les illuminations féeriques qui unissaient, par une suite d'arcades éclatantes et diaprées, l'obélisque à l'arc de l'Étoile.

Ainsi s'est terminée cette journée qui a imposé des obligations aux vainqueurs, qui a fait naître le besoin d'une revanche pour les vaincus. A l'exposition de 1849!!!



Bulletin bibliographique.

L'Ultramontanisme ou l'Église romaine et la Société moderne; par M. Edgar Quinet. 1 vol. in-8.--Paris, 1844. Paulin. 4 fr. 50 c.

Sous ce titre, M. Edgar Quinet vient de réunir et de publier en un volume les leçons qu'il a faites cette année à son cours du collège de France. Qui n'a entendu parler du succès obtenu par l'éloquent professeur? Rien n'y a manqué, ni la foule qui se pressait aux portes longtemps avant leur ouverture, ni les applaudissements des auditeurs, ni les visites à domicile, ni les souscriptions collectives pour une médaille d'honneur, rien, pas même l'opposition des jésuites. L'effet a été immense. Après avoir lu cet ouvrage-, nous qui n'avons pas eu le bonheur d'entendre M. Edgar Quinet, nous comprenons maintenant pourquoi ses leçons ont excité de tels transports de sympathie et de reconnaissance. L'influence sera grande aussi. Jamais, peut-être, un enseignement plus élevé et plus utile n'avait attiré et retenu au collège de France les esprits distingués qui, dans ce siècle d'égoïsme, se préoccupent encore sincèrement des développements futurs de la révolution française.

L'année dernière, M. Edgar Quinet s'était contenté de réfuter le passé; aujourd'hui il s'avance beaucoup plus loin. Dans son opinion, le jésuitisme a compromis le catholicisme; il craint que le catholicisme ainsi engagé ne compromette le christianisme. Tel a été son point de départ. Mais sans rester au point de vue critique, il a marqué des fondements réels. En face de chacune des idées de l'ultramontanisme, il a élevé une autre idée plus vraie, plus féconde, plus religieuse. Il n'a critique le passé qu'en montrant les indices de l'avenir.

L'Espagne considérée comme le royaume catholique par excellence, les résultats politiques du catholicisme en Espagne, l'Église romaine examinée et jugée aux points de vue de ses rapports avec l'État, la science, l'histoire, le droit, la philosophie, les peuples et l'Église universelle, forment les sujets des neuf leçons de M. Edgar Quinet. Malheureusement, la réserve imposée à l'Illustration, en sa qualité de journal universel, nous interdit toute analyse d'un livre qui sera évidemment mis à l'index par la cour de Rome. En joignant ici nos éloges aux applaudissements des auditeurs de M. Edgar Quinet, en nous associant complètement et sans restriction, pour notre part, à ses protestations contre le passé, à sa critique du présent, à ses aspirations vers un avenir meilleur, nous devons nous borner à citer un court passage de l'Ultramontanisme, qui suffira pour faire comprendre la tendance et l'intérêt de ce remarquable ouvrage.

«Quand la question est ainsi posée par la nature des choses, et que l'on veut y échapper, on prononce un mot, un mot formidable qui a la magie de paralyser les cœurs: l'État moderne est athée; la loi est athée; la France, en tant que France, est athée! A ces mots, les fronts les plus fiers se courbent; beaucoup acceptent en silence cette condamnation, et les adversaires s'imaginent avoir flétri pour toujours l'esprit des révolutions et des institutions modernes. C'est ici, en effet, qu'est toute la question.

«Ah! quand je ne connais dans le monde d'institutions athées que celles des bohémiens errants, sans foyers, sans patrie sous le ciel est-il bien vrai que ce soit là tout l'esprit des nôtres? Ce serait là, en vérité, une politique sans espoir, un droit sans nuit, un jour sans lendemain. Ils croient frapper ainsi l'avenir de mort civile. Mais quoi! parlons tranquillement!

«Quand, dans la vieille France, la violence était dans les mœurs et dans la loi; quand les privilèges, les inégalités sociales, les servitudes de la terre et des hommes; abrégeons, quand tout ce que le Christ réprouve faisait le fond même de la vie civile, vous appeliez cela un royaume chrétien! Quand la force régnait à la place de l'âme; quand l'épée décidait de tout; quand l'inquisition, la Saint-Barthélémi, la torture empruntée du droit païen, les caprices d'un seul homme, c'est-à-dire quand la société païenne durait, dominait encore, vous appeliez cela un royaume très-chrétien; et depuis, au contraire, que la fraternité, l'égalité, inscrites dans la loi, tendent de plus en plus à descendre dans les faits; depuis que l'esprit est reconnu plus fort que l'épée et le bourreau, depuis que l'esclavage, le servage, ont cessé ou que l'on travaille à en abolir les restes; depuis que la liberté individuelle consacrée devient le droit de toute âme immortelle, depuis que ceux dont les pères se sont massacrés se tendent désormais la main, c'est-à-dire depuis que la pensée chrétienne, sans doute trop faiblement encore, pénètre peu à peu les institutions et devient comme la substance et l'aliment du droit moderne, vous appelez cela un royaume athée!

«Qu'entendez-vous donc à la fin par religion, et quel est donc votre Christ? Est-ce un mot ou une réalité vivante? Si c'est un mot, vous pouvez, en effet, à votre gré, le clouer à une époque déterminée du passé, comme le nom du roi des Juifs au haut de la croix. Si c'est seulement dans ce qui n'est plus.--Vous cherchez le Christ dans le sépulcre du passé; mais le Christ a quitté son sépulcre, il a marché; il a changé de place; il vit, il s'incarne, il descend dans le monde moderne...»


Buffon, Histoire de ses Idées et de ses Travaux; par M. Flourens, de l'Institut, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, membre de l'Académie française, etc. 1 v. in-18. 3 fr. 60.--Paulin, éditeur, rue Richelieu, 60.

M. Flourens vient de publier à la librairie Paulin un charmant volume qui a sa place marquée dans toutes les bibliothèques à côté des œuvres de Buffon. Ce volume est intitulé Buffon, histoire de ses idées et de ses travaux. Comme savant et comme écrivain. M. Flourens, à la fois secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences et membre de l'Académie française, possède tous les titres qui donnent le droit de toucher à un si grand sujet. Les idées et les travaux de Buffon jugés, éclairés, rectifiés par les idées et les travaux de la science actuelle, telle est l'étude que M. Flourens présente aux savants et aux gens du monde, dans un langage digne de Buffon lui-même. Il manquerait un trait intéressant à l'annonce de ce nouvel ouvrage de M. Flourens, si l'on ne disait que par une circonstance curieuse et naturelle d'ailleurs, l'illustre professeur de physiologie comparée au Jardin du Roi a écrit sur Buffon dans l'appartement même que celui-ci a habité, au sein de cet établissement dont la création lui doit sa première splendeur. M. Flourens, dont les travaux scientifiques sur les diverses branches de l'histoire naturelle ont une réputation universelle, n'est pas de ceux qui pensent que la science doit avoir ses adeptes et que ses secrets peuvent demeurer enfermés loin des regards de la foule. Ce n'est pas la première fois qu'il descend des hauteurs du sanctuaire mystérieux de la science pour rendre populaires les connaissances qui s'y préparent, en faisant passer dans une langue toute littéraire et académique, les notions de l'histoire naturelle. C'est par là aussi que m. Flourens est digne de son illustre prédécesseur, qui a su revêtir des tonnes du plus magnifique langage des vues et des découvertes qui ne savent le plus souvent s'exprimer que dans le style aride de l'amphithéâtre ou dans la langue barbare de la nomenclature. M. Flourens est l'auteur d'un volume sur Georges Cuvier dont l'Histoire des idées et des travaux de Buffon est un utile et précieux pendant. C'est ce qu'il exprime bien mieux que nous ne saurions faire, dans une préfacé à laquelle nous empruntons l'extrait suivant:

«J'ai publié en 1844 l'Analyse raisonnée des travaux de Georges Cuvier.

«L'histoire des travaux de Buffon touche partout à l'histoire des travaux de Cuvier; ces deux grands écrivains lient deux siècles; Buffon devine, Cuvier démontre; l'un a le génie des vues, l'autre se donne la force des faits; les prévisions de l'un deviennent les découvertes de l'autre, et quelles découvertes! Les âges du inonde marqués, la succession des êtres prouvée, les temps antiques restitués, les populations éteintes du globe rendues à notre imagination étonnée. Les travaux de Buffon et de Cuvier sont pour l'esprit humain la date d'une grandeur nouvelle.

«J'ai vu ces grands travaux, et j'ai voulu en écrire l'histoire,»

L'Histoire des idées et des travaux de Buffon, l'Analyse raisonnée des travaux de Georges Cuvier, sont donc deux parties d'un même sujet, traitées l'une et l'autre par le continuateur et le successeur des deux plus beaux génies que la science ait dotés depuis un siècle. M. Flourens est aussi l'auteur d'un excellent petit livre sur l'instinct et l'intelligence des animaux, inspiré par les travaux de M. Frédéric Cuvier, homme d'une grande science et d'une admirable pénétration, que son nom n'a pas empêché de devenir célèbre, et qui figure à côte du grand Cuvier, son illustre frère, plus haut que le second des Corneille à côté de l'auteur des Horaces et de Cinna.

Tous ces ouvrages, ainsi qu'un excellent Examen de la Phrénologie, où les gens du monde peuvent apprendre ce qu'on doit penser des théories de cette prétendue science, sont des travaux qui pourraient à eux seuls établir une renommée, mais qui sont pour M. Flourens comme une affaire de luxe et propres à montrer ce que la vraie science peut gagner à être revêtue d'un beau langage.

Nous reviendrons sur ces travaux et particulièrement sur le volume qui vient d'être publié. Un de nos collaborateurs que ses études mettent à même de l'apprécier dans ses détails, en rendra compte avec une autorité que nous ne pouvons donner au jugement que nous en portons ici.


La Chassomanie, poème par M. Deyeux, orné de seize grands dessins à deux teintes, compositions de MM. Alfred de Dreux, Beaume, Forest, Foussereau et Valerio. 1 vol. grand in-8.--Paris. Imprimeurs-Unis. 12 fr.

Telle est des dieux l'auguste volonté,

Qu'ils ont donné, ce penser les élève!

Une seconde à la réalité

Et plus d'une heure au moindre petit rêve.

Le prisonnier rêve la liberté;

L'ambitieux, la puissance infinie;

Tous les amours rêvent la volupté;

Mon rêve à moi, c'est la chassomanie.

M. Deyeux, comme on le voit, entre franchement en matière. Il avoue sa passion, et il s'efforce de la faire partager à tout le genre humain.

Le chassomanie est un dieu sur la terre!

Aussi, non content de chasser, il veut décrire en vers de dix pieds.

Les plaisirs différents

Qu'à ses amants toute chasse prodigue.

N'allez pas croire, sur ce début, que M. Deyeux soit un de ces chasseurs malheureusement trop communs, qui ont fourni à Collin d'Harleville le type de M. de Crac.

Sa volupté n'aime rien qu'en petit,

Et son plaisir sonne peu la trompette;

Il cherche l'ombre et déteste le bruit:

La jouissance habite une cachette.

Petit sentier plus doux qu'un grand chemin,

Sous son ombrage attiré le mystère;

Les grands effets brisent le cœur humain,

Et la gaîté fuit le grand caractère.

Le chassomanie, hélas! que ne peut-il

Sous son manteau, dans l'ombre, dans sa poche,

Cacher ses goûts, son amour, son fusil!

Le vrai bonheur doit rester sous la cloche!

Ainsi vous êtes bien et dûment averti; ce ne sont pas ses hauts faits, ce sont les plaisirs, les émotions, les procédés, les ustensiles de la chasse que va chanter et décrire tour à tour en vers de huit, de dix et de douze syllabes. M. Deyeux: la grande et la petite chasse, les armes, la chasse en plaine, en battue, au miroir, au marais, etc. Ces peintures sont semées çà et là de réflexions plus ou moins profondes, car

On croit que tout chasseur, en sa légère étoffe,

N'est qu'un homme frivole et fou dans ses plaisirs,

Dont l'incapacité présidé les loisirs

Mais tout chasseur devient, s'il n'est pas, philosophe.

Le silence des bois porte au recueillement.

Aussi, parvenu à la moitié de son poème, le chassomane rédige-t-il, un jour de pluie, toutes les observations qu'il a faites, toutes les méditations auxquelles il s'est adonné:

L'art ne présida point à ce vif abrégé;

Mais la campagne admet toujours le négligé.

Les méditations chassomanes embrassent toutes les passions, qualités et vices de l'espèce humaine. Veut-on savoir comment M. Deyeux a disséqué,

... Attentif, le scalpel dans les mains,

Toutes les variétés bizarres des humains?

Nous ouvrons au hasard le carnet.

L'amitié, dans la France, est fille du caprice.

Elle tient de son père, et, comme lui, vit peu...

Vous offrez votre cœur comme on donne le bras;

Soir; mais marcherez vous longtemps du même pas?

...............................................

Dussé-je être à la fin traité d'idéologue,

Je trouve à chaque femme une fleur analogue...

L'hortensia nous peint la belle femme bête,

Si contente d'avoir du rose sur la tête;

La fleur du dalhia, la femme sans émoi,

Qui dit: Je ne sens rien, mais je suis belle, moi!...

Je crois que cette fleur, qu'on nomme la pensée,

Porte en velours le deuil de l'ivresse passée.

Les cloches du cactus sonnent l'ambition

Des amours fiers, armés des griffes du lion.

La clématite semble exprimer pour emblème:

Il faut que m'attache avant que je vous aime.

La rose d'Inde, après la rose de Provins,

Est la rêveuse altière au teint jaune, aux yeux vains.

La tulipe admirable est la beauté stupide

Dont l'esprit est inerte et dont le cœur est vide.

Cependant le chassomane interrompt ses méditations, qui renferment un trop grand nombre de pensées communes et de mauvais vers.

Il court, en son délire,

Revêtir le harnais, bagage abandonné

Pendant ces tristes jours où la foudre a tonné.

Si la raison persiste encor, méditative,

Le beau temps la combat aussitôt qu'il arrive.

Et le poème de recommencer de plus belle: La Chasse aux Lapins avec des Furets, l'Orage, la Chaumière et le Château, la Sensiblerie, la Chasse et la Guerre, l'Aviceptologie, l'Art de mentir, Lanterne et Clochette, etc., etc., tels sont les principaux sujets traités par M. Deyeux dans cette seconde partie. Une Ode à son chien Mylord, et des recherches historiques en prose terminent ce beau volume de 334 pages, qui est orné de seize jolies lithographies à deux teintes, d'après des compositions de MM. de Dreux, Beaume, Forest, Foussereau et Valerio.


Les Bagnes, histoire, types, mœurs, mystères: par Maurice Alhoy; illustré de 105 dessins de MM. de Rudder, Bertall, Valentin, J. Noël, etc.. 1 vol. in-8 publié en 50 livraisons à 30 cent. G. Havard, Dutertre, Michel Levy.

Nous recevons la première livraison d'un ouvrage nouveau qui nous paraît destiné à un succès populaire. Il a pour titre les Bagnes, et pour auteur M. Maurice Alhoy. L'Illustration, qui vient de représenter à ses abonnés la vie entière d'un forçat au bagne depuis son arrivée jusqu'à sa mort, n'a pas besoin d'insister sur l'intérêt actuel d'un pareil sujet. Pour juger l'ouvrage qu'elle se borne à annoncer, elle attendra qu'il soit achevé. Dès aujourd'hui, cependant, elle peut affirmer que nul écrivain n'était plus capable que M. Maurice Alhoy de bien remplir cette lourde et pénible lâche, d'écrire l'histoire et de faire la description de ces prisons fameuses. Son ouvrage du Bagne de Rochefort, publié il y a quelques années, avait fixé l'attention des publicistes qui se sont occupés de la réforme pénitentiaire.

Depuis cette époque, il a amassé de nombreux matériaux; il a observé de nouveau le monde exceptionnel qu'il veut peindre sous toutes ses faces, sous l'aspect qui inspire l'horreur, comme sous celui qui inspire la pitié; il a étudié le condamné et l'a vu au départ, sur sa route, à l'arrivée, à la prise des fers; il l'a vu à Brest, à Toulon, à Rochefort, sur son banc de repos, où le forçat vit comme la brute; il l'a vu dans ses travaux incessants du port, où règne l'égalité, sans privilège pour les coupables; il l'a vu sur le lit de l'hospice: il l'a suivi à son retour au monde, ou à l'amphithéâtre et à la fosse commune, où les os de tant de générations de criminels s'entassent chaque jour.


Les Petits Mystères de l'Opéra, par Albéric Second, illustration par Gavarni.--Paris, Kugelmann et Bernard Latte. 1 vol. in-8º; prix: 6 fr.

Si nous ne craignions de nous attirer une partie des rancunes que ce volume ne peut manquer de valoir à son auteur, nous dirions qu'il s'en publie peu d'aussi spirituels, et que c'est la plus amusante révélation que nous ayons entendue depuis longtemps. Mais nous ne saurions admettre toutes les méchancetés du révélateur sur ces messieurs et sur ces dames; nous ne croyons ni aux intrigues ni aux sous-jupes, et c'est malgré nous que nous avons ri de ce chapitre notamment où l'auteur, ayant dit du mal de tout le monde, ayant épuisé toutes les formules malignes, et voulant cependant encore renchérir sur le compte d'un de nos peintres, M. Lepaute, ne trouve d'autre moyen que de faire son éloge. C'est bien traître!

Il est cependant un certain monde pour lequel l'auteur des Petits Mystères s'est montré plus indulgent. Il paraît qu'il n'a plus rien à attendre des femmes; attendait-il quelque chose des journalistes, des feuilletonistes surtout? Il nous les fait passer en revue à une sortie de l'Opéra; c'est tout un cortège de grands nommes. C'est bien l'idée que nous nous sommes toujours faite de ces messieurs, et ce qui double chez, nous le mérite de cette conviction, c'est que nous n'attendons d'eux aucun compte rendu. Mais à leur place, en lisant ces flatteries sur des pages mordantes, nous nous rappellerions le corbeau de la fable, et nous craindrions que l'éloge de notre plumage ne fût mis là uniquement pour nous faire ouvrir un large bec. Heureusement l'amour-propre des corbeaux sert toujours merveilleusement la ruse des renards, et d'ailleurs c'est par habitude sans doute que celui-ci se sera montré rusé; car il s'est montré trop spirituel, il a trop constamment su se montrer amusant, pour avoir besoin de recourir à des apothéoses qui feront peut-être sourire les gens qui ne croient à rien, pas même aux grands hommes de nos jours et aux réclames.


L'Univers pittoresque, histoire et description de tous les peuples, de leurs religions, mœurs, coutumes, industries, etc.--Europe, tomes XXV, XXVI, XXVII et XXVIII. Angleterre, Écosse et Irlande; par MM. Galibert et Pelle, 4 vol. in-8. 24 fr.--Paris, 1842-1844. Firmin Didot. Trois volumes ont déjà paru; le quatrième est en cours de publication.

On a déjà parlé dans ce recueil de la grande publication de messieurs Firmin Didot frères, et l'ouvrage que nous annonçons aujourd'hui est peut-être, pour nous autres Français, après les deux ouvrages de cette immense collection consacrés à l'histoire de France (Annales et Dictionnaire encyclopédique), celui de tonus qui offre le plus grand intérêt. Histoire civile et militaire, état social, religion, mœurs, littérature, sciences et arts, législation, agriculture, navigation, commerce, industrie, tout cela est renfermé dans le vaste cadre de MM. Galibert et Pelle, tout cela est touché, sinon traité à fond par eux, de telle sorte que, sans avoir fait une œuvre historique d'une haute portée, sans avoir laissé, ce à quoi eux-mêmes ne semblent pas prétendre, un de ces monuments qui traversent les siècles, ils ont donné un livre à la fois utile et amusant, dans lequel si rien de bien neuf, de bien original n'y brille, on est du moins assuré de trouver un résumé de ce que la science historique fournit de plus avancé sur l'Angleterre jusqu'à ce jour.




Les exposants heureux, caricature par Cham.


Les Exposants malheureux, caricature par Cham.


Vol à main armée, caricature par Cham.



Rébus.

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.

Le temps se passe, et les noirs ne sont pas encore affranchis.