The Project Gutenberg EBook of Les joies du pardon, by Anonymous This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Les joies du pardon Petites histoires contemporaines pour la consolation des coeurs chretiens Author: Anonymous Release Date: March 7, 2004 [EBook #11494] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES JOIES DU PARDON *** Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and PG Distributed Proofreaders LES JOIES DU PARDON Petites Histoires Contemporaines POUR LA CONSOLATION DES COEURS CHRETIENS PAR L'AUTEUR de la "Methode pour former l'Enfance a la Piete" Je n'ai pu achever ce petit livre sans essuyer plusieurs fois des larmes.... X***. 1891 AVANT-PROPOS Apres les joies de l'innocence, il n'en est pas de plus douces, de plus penetrantes que celles du repentir. Demandez a l'enfant coupable ce qu'il eprouve lorsque, reconnaissant son ingratitude, il vient se jeter en pleurant dans les bras de sa mere: c'est un soulagement inexprimable, une ivresse de bonheur... Ce bonheur n'est rien pourtant aupres de celui du pauvre pecheur qui, fatigue de ses longs egarements, renonce a sa vie mauvaise et vient se reposer dans le sein de Dieu. Aussi, n'existe-t-il pas non plus d'histoire plus attachante que celle des conversions. Plusieurs surtout, accomplies presque de nos jours, ont ete entourees de circonstances si extraordinaires et presentent un si poignant interet qu'on ne peut en lire le recit sans etre attendri jusqu'au fond de l'ame. Pages naives et sublimes, tout impregnees de larmes et d'amour, elles reveillent les sentiments les plus delicats, les plus exquis; rien ne ressemble davantage a un roman, et toutefois, on sent a merveille que rien n'est plus veridique. C'est, dirons-nous, un roman divin: les peripeties multipliees, les scenes emouvantes ont la terre pour theatre, mais le denouement n'a lieu qu'au ciel. Tels sont les exemples que nous allons rapporter dans ce Recueil: il faudrait pouvoir les mettre sous les yeux de tous les chretiens, pour le profit qu'ils en retireraient et le charme que leur ferait gouter cette lecture.--Nous n'avons eu garde de reproduire ici les traits que l'on rencontre dans les _Annales de Notre-Dame de Lourdes_, de _Notre-Dame du Sacre-Coeur_, et dans les Recueils analogues; on ne trouvera non plus aucune des Biographies contenues dans les _Conversions les plus memorables du XIXe siecle_. Nos recits ont un caractere plus intime et tout a la fois plus anecdotique: et c'est la justement ce qui en augmente l'interet. Offert a toutes les ames chretiennes, cet ouvrage s'adresse d'une maniere speciale aux jeunes gens. Personne n'a, autant qu'eux, besoin de ces manifestations eclatantes de la misericorde divine, si propres a inspirer une confiance inebranlable. Qui connait les epreuves reservees a leur foi au sortir du college? Ou est-il d'ailleurs le jeune homme qui dans les longues annees d'une lutte incessante contre le respect humain et les plaisirs mauvais, n'a jamais eu un instant de faiblesse? Ah! puissent nos lecteurs se souvenir, en ces moments critiques, des modestes pages qu'ils vont lire aujourd'hui! Elles leur rappelleront qu'apres meme les plus lourdes chutes, le coeur de Dieu reste toujours ouvert pour les recevoir et que le plus grand malheur a craindre, la plus funeste de toutes les fautes, c'est le _decouragement_. * * * * * LES JOIES DU PARDON 1.--LE CAPITAINE DE NAVIRE ET LE MOUSSE. Un capitaine de navire, qui s'etait fait craindre et hair de ses matelots par ses imprecations continuelles et sa tyrannie, tomba tout a coup dangereusement malade, au milieu d'un voyage de long cours. Le pilote prit le commandement du vaisseau, et les matelots declarerent qu'ils laisseraient perir sans secours leur capitaine, qui se trouvait dans sa chambre, en proie a de cruelles douleurs. Il avait deja passe a peu pres une semaine dans cet etat, sans que personne se fut inquiete de lui, lorsqu'un jeune mousse, touche de ses souffrances, resolut d'entrer dans sa chambre et de lui parler; malgre l'opposition du reste de l'equipage, il descendit l'escalier, ouvrit la porte et lui demanda comment il se portait; mais le capitaine lui repondit avec impatience: "Qu'est-ce-que cela te fait! Va-t'en!" Le mousse, repousse de la sorte, remonta sur le tillac. Mais le lendemain il fit une nouvelle tentative: "Capitaine, dit-il, j'espere que vous etes mieux?--O Robert! repondit alors celui-ci, j'ai ete tres mal toute la nuit." Le jeune garcon, encourage par cette reponse, s'approcha du lit en disant: "Capitaine, laissez-moi vous laver les mains et le visage, cela vous rafraichira." Le capitaine l'ayant permis, l'enfant demanda ensuite la permission de le raser. Le capitaine y ayant encore consenti, le mousse s'enhardit, et offrit a son maitre de lui faire du the. L'offre toucha cet homme farouche, son coeur en fut emu, une larme coula sur son visage, et il laissa echapper ces mots en soupirant: "O amour du prochain! Que tu es aimable au moment de la detresse! qu'il est doux de te rencontrer meme dans un enfant!" Le capitaine eprouva quelque soulagement par les soins de cet enfant. Mais sa faiblesse devint plus grande, et il fut bientot convaincu qu'il ne vivrait plus que quelques semaines. Son esprit fut assiege de frayeurs toujours croissantes, a mesure que la mort et l'eternite se montrerent plus pres. Il etait aussi ignorant qu'il avait ete impie. Sa jeunesse s'etait passee parmi la plus mauvaise classe de marins; non seulement il disait: _Il n'y a point de Dieu_, mais il agissait aussi d'apres ce principe. Epouvante a la pensee de la mort, ne connaissant pas le chemin qui conduit au bonheur eternel, et convaincu de ses peches par la voix terrible de sa conscience, il s'ecria un matin, au moment ou Robert ouvrait la porte de sa chambre, et lui demandait amicalement: "Maitre, comment vous portez-vous ce matin?--Ah! Robert, je me sens tres mal, mon corps va toujours plus mal; mais je m'inquieterais bien moins de cela, si mon ame etait tranquille. O Robert! que dois-je faire? Quel grand pecheur j'ai ete! que deviendrai-je?..." Son coeur de pierre etait attendri. Il se lamentait devant l'enfant, qui faisait tout son possible pour le consoler, mais en vain. Un jour que l'enfant venait d'entrer dans la chambre, le capitaine s'ecria: "Robert, sais-tu prier?--Non, maitre, je n'ai jamais su que l'oraison dominicale, que ma mere m'a apprise.--Oh! prie pour moi, tombe a genoux, et demande grace. Fais cela, Robert, Dieu te benira." Et tous deux commencerent a pleurer. L'enfant, emu de compassion, tomba a genoux et s'ecria en sanglotant: "Mon Dieu, ayez pitie de mon cher capitaine mourant! je suis un pauvre petit matelot ignorant. Mon Dieu, le capitaine dit que je dois prier pour lui, mais je ne sais pas comment; oh! que je regrette qu'il n'y ait pas sur le batiment un pretre qui puisse me l'apprendre, qui puisse prier mieux que moi, qui puisse recevoir la confession de ses peches et les pardonner en votre nom. Il croit qu'il sera perdu: mon Dieu, sauvez-le! Il dit qu'il ira en enfer, et qu'il sera avec les demons: o mon Dieu, faites qu'il aille au ciel, et qu'il soit avec les anges! Les matelots ne veulent pas venir vers lui; quant a moi, je veux faire pour lui tout ce que je pourrai; mais je ne puis le sauver. O mon Dieu! ayez pitie de mon pauvre capitaine! Je n'ai jamais prie ainsi auparavant. Oh! aidez-moi, mon Dieu, a prier pour mon pauvre capitaine!" Alors, s'etant releve, il s'approcha du capitaine en lui disant: "J'ai prie aussi bien que j'ai pu; maintenant, maitre, prenez courage. J'espere que Dieu aura pitie de vous." Le capitaine etait si emu qu'il ne pouvait s'exprimer. La simplicite, la sincerite et la bonne foi de la priere de l'enfant avaient fait une telle impression sur lui, qu'il demeura dans un profond attendrissement, baignant son lit de pleurs. Le lendemain matin, quand Robert entra dans la chambre du capitaine: "Robert, mon bon ami, lui dit celui-ci, apres que tu fus parti, je tombai dans une douce meditation. Il me semblait voir Jesus-Christ sur la croix, mourant pour nos offenses, afin de nous amener a Dieu. Je m'elevai par mes prieres a ce divin Sauveur, et, dans la grande angoisse de mon ame, je m'ecriai longtemps comme l'aveugle: Jesus, fils de David, ayez pitie de moi! Enfin je crus sentir en mon coeur que les promesses de pardon qu'il a adressees a tant de pecheurs, m'etaient aussi adressees; je ne pouvais proferer d'autres paroles que celle-ci: O amour! o misericorde! Non, Robert, ce n'est pas une illusion: maintenant je sais que Jesus-Christ est mort pour moi. Je sens que le sang de la croix peut aussi laver mes iniquites; mes yeux s'ouvrent a la lumiere d'en haut en meme temps qu'ils se ferment pour la terre; la grace de mon bapteme, la foi de ma premiere communion, rentrent dans mon coeur; que ne puis-je recevoir ces sacrements que l'Eglise accorde aux mourants pour leur passage a l'eternite, vers laquelle Dieu m'appelle!" L'enfant, qui jusque-la avait verse bien des larmes en silence, fut saisi dans ce moment d'une grande tristesse, et s'ecria Involontairement: "Non, non, mon cher maitre, ne m'abandonnez pas.--Robert, lui repondit-il tranquillement, resigne-toi, mon cher enfant: je suis peine de te laisser parmi des gens aussi depraves que le sont ordinairement les matelots. Oh! puisses-tu etre preserve des peches dans lesquels je suis tombe! Ta charite pour moi, mon cher enfant, a ete grande; Dieu t'en recompensera. Je te dois tout; tu as ete dans la main de Dieu l'instrument de ma conversion; c'est le Seigneur qui t'a envoye vers moi; Dieu te benisse, mon cher enfant! Dis a mes matelots qu'ils me pardonnent, je leur pardonne aussi, et je prie pour eux." Le lendemain, plein du desir de revoir son maitre, Robert se leva a la pointe du jour; et ayant ouvert la porte, il vit que le capitaine s'etait leve et s'etait traine au pied de son lit. Il etait a genoux, et semblait prier, appuye, les mains jointes, contre la paroi du navire. L'enfant attendit quelque temps en silence; mais enfin il dit doucement: Maitre!--Point de reponse.--Capitaine! s'ecrie-t-il de nouveau. Mais toujours meme silence. Il met la main sur son epaule et le pousse doucement: alors le corps change de position et se penche peu a peu sur le lit; son ame l'avait quitte depuis quelques heures, pour aller voir un monde meilleur, ou la grace d'un sincere repentir accordee a la priere permet d'esperer que Dieu dans sa misericorde a daigne le recevoir. * * * * * 2.--UNE NUIT DANS LE DESERT. C'est du missionnaire lui-meme, rapporte le marquis de Segur, que je tiens l'histoire suivante, ou l'action de la Providence se montre en assez belle lumiere. Il nous la raconta devant un nombreux auditoire d'hommes, particulierement de jeunes gens, qui l'ecoutaient avec une si religieuse attention, que pendant les pauses de son discours, on aurait entendu voler une mouche. Par humilite, il parlait a la troisieme personne comme s'il se fut agi d'un autre. Mais je devinai bien vite, a son accent, que c'etait son histoire a lui-meme qu'il nous disait, et quand je me trouvai seul avec lui apres la seance, je l'obligeai de m'en faire l'aveu. Si je pouvais faire passer dans mon recit les flammes de sa parole, telles qu'elles sortaient de sa bouche et de son coeur, elles allumeraient dans les ames cet amour surnaturel de Dieu et des hommes, qui resume et renferme la loi et les prophetes. C'etait l'heure qui precede le coucher du soleil. L'ombre du missionnaire et de son cheval s'allongeait sur le sable endormi. L'horizon s'empourprait comme aux lueurs d'un immense incendie. La chaleur etait etouffante. Parfois, a de longs intervalles, une brise legere venue on ne sait d'ou, passait comme une caresse de Dieu et apportait au voyageur une sensation delicieuse: alors, il ouvrait la bouche et aspirait longuement l'air un moment rafraichi. Puis le souffle tombait vaincu par le feu qui regne au desert, et l'immobilite ardente reprenait possession de l'etendue. Le missionnaire avancait, pressant l'allure de son cheval, pour arriver avant la nuit a la grande ville, terme de son voyage. Car la nuit, dans ces plaines d'Afrique, appartient aux fauves. Quand les premieres ombres descendent du ciel, les premiers bruits des lions et des pantheres montent de tous les points du desert, d'abord confus et lointains, comme le gemissement du vent, puis plus forts, plus distincts, semblables tantot au grondement sourd du tonnerre, tantot a ses eclats rudes et dechires. Ce moment redoute approchait, mais il n'etait pas encore imminent, et le pretre de Jesus-Christ avait bien une heure devant lui, une heure de jour et de marche tranquille, suffisante pour atteindre le port. Il etait arme, il avait des provisions de bouche, un flacon de rhum, pour ranimer ses forces et tremper ses levres brulantes. Il priait, il pensait, cherchant a lutter contre la sensation etouffante de la solitude, contre l'oppression de l'espace sans limites ou sa vue, son coeur et son esprit se perdaient. Il avait beau percer de ses regards l'etendue, il n'apercevait pas un etre vivant, pas un mouvement, pas meme celui du sable agite par le vent: le vent dormait sur le sable, d'un sommeil qui semblait eternel. Oh! si la bonte de Dieu mettait sur son chemin une de ses creatures, un etre humain, un frere, quelle joie inonderait son coeur! comme il volerait a lui! Avec quels transports il lui tendrait la main, et le presserait dans ses bras! Mais helas! il ne le savait que trop, une rencontre en ces lieux, ce ne serait qu'un danger de plus: quand on trouve sur sa route un homme au desert, au lieu d'un frere a embrasser, c'est un ennemi a combattre; c'est un de ces arabes pillards ou de ces Europeens declasses, bandits de la solitude, detrousseurs de caravanes, qu'il faut aborder, non pas le salut aux levres, mais le revolver a la main. Il se perdait en ces pensees, et berce par l'allure monotone de son cheval, il laissait flotter a l'aventure son esprit et ses guides, quand tout a coup il se redresse sur ses etriers, et d'un mouvement instinctif, arrete sa monture. Qu'a-t-il donc apercu a l'horizon? Est-ce une illusion de ses sens? N'y a-t-il pas la-bas, bien loin, quelque chose qui se remue?--Certainement, il ne se trompe pas: le point noir qui a frappe sa vue s'agite, se rapproche, grossit insensiblement. C'est un etre vivant, un animal ou un homme.--Un homme, c'est un homme! Il le voit maintenant, il distingue vaguement sa forme; cet homme l'a vu, lui aussi; il est evident qu'il s'avance dans sa direction... Que faire! Quel parti prendre? Faut-il pousser son cheval au galop et se mettre hors de la portee de cet inconnu? C'est le parti le plus sur, mais est-ce le plus honorable? Si, au lieu d'etre un voleur arabe, cet homme etait un chretien, un francais? Et quand meme il serait un coureur du desert, un bandit, est-ce le fait d'un missionnaire, d'un apotre de Jesus-Christ, de fuir devant une creature humaine, devant un de ceux pour qui le Sauveur du monde est mort sur la croix? L'hesitation du pretre n'est pas longue. Il attendra le frere qui vient au-devant de lui, que ce soit Cain ou Abel. L'hote du desert se rapproche de minute en minute, il semble a la fois se hater d'accourir et lutter contre la fatigue. Le voila a une petite distance, on dirait un spectre ambulant. Il est deguenille; sa main tient un fusil; ses yeux sont allumes de fievre, de haine et de convoitise. C'est indubitablement un brigand, mais un brigand europeen: c'est en tout cas, un malheureux devore de besoin. Le pretre n'hesite plus: il risque peut-etre sa vie, mais il a la chance de secourir un miserable, de sauver une ame. Apres tout, c'est son metier de s'exposer a la mort: le corps d'un missionnaire n'est rien; l'ame d'un pecheur est d'un prix infini. Il descend de cheval, jette ses armes a terre pour montrer a l'inconnu ses dispositions pacifiques, et d'un pas tranquille et ferme, va au-devant de lui. L'autre etonne, epuise, s'arrete; la surprise est plus forte que la haine; mais la faim, la soif devorante, voila ce qui domine tout le reste. Le pretre le devine, et, sans parler, lui presente ses provisions, des fruits, des dattes, du rhum.--Du rhum! C'est la force, c'est la vie! Pour cette gourde de rhum, le malheureux aurait tue son pere! Il etend la main, saisit la gourde, la porte a sa bouche, la boit, l'aspire a longs traits. Son visage se ranime, son sang circule, sa paleur mortelle fait place a une vive rougeur. Tout a coup, il chancelle; il a bu trop et trop vite, il tombe tout de son long et demeure sur le sol, inerte, engourdi, comme mort. Le missionnaire, effraye, se penche vers lui, tate son pouls, ecoute les battements de son coeur, et respire; ce n'est pas la mort, c'est le sommeil bienfaisant et reparateur. Il le considere longuement; a sa carnation, a la couleur de sa barbe et de ses cheveux, il reconnait un Francais. Malgre les traces des passions et de la fatigue, il croit lire sur ce visage devaste les vestiges d'une bonne race, et son ame d'apotre se remplit de reconnaissance et de joie. Soudain, il tressaille comme s'il sortait d'un reve. Le soleil va disparaitre, et son orbe agrandi et rutilant est deja a demi cache. Encore quelques minutes et la nuit aura remplace le jour. Que faire de cet infortune que la Providence a envoye sur sa route et dans ses bras? Le charger sur son cheval? C'est impossible; il connait le poids d'un corps qui s'abandonne. Le laisser la, seul, la nuit, dans le desert, expose aux dents des betes feroces, a une mort sans consolations? C'est plus impossible encore. Il n'y a pas a hesiter; il attendra le reveil du pecheur, sous la garde de Dieu qui ne laissera pas inachevee l'oeuvre de sa misericorde. Il s'agenouille sur le sable, pres de cet homme qu'il ne connaissait pas une heure avant, et pour lequel il sacrifierait sa vie avec joie. Il souleve doucement dans ses mains la tete du dormeur, la pose sur ses genoux, et il entre en prieres. La nuit est arrivee, profonde, solennelle, ivre de silence et de solitude. Deux heures se passent ainsi, sans qu'aucun des deux hommes ait fait un mouvement. Les etoiles se sont allumees les unes apres les autres et repandent sur l'ocean de sable une lueur mysterieuse et sacree. Les anges contemplent du haut du ciel ce spectacle plus beau que celui d'un ami veillant sur son ami, d'une mere veillant sur son enfant, le spectacle d'Abel veillant avec amour sur Cain: tel, au temps du sejour du Fils de Dieu sur la terre, Jesus priait dans les plaines de Galilee aupres de Judas endormi. Enfin, l'homme se reveille. Il releve la tete, ouvre les yeux et rencontre ceux de ce pretre a genoux qui le regarde avec une ineffable tendresse. Alors il se souvient, il devine, il comprend tout; il se met a trembler des pieds a la tete, comme ces possedes d'Israel au moment ou le demon sortait de leur corps et de leur ame a la voix de Jesus-Christ. La haine est vaincue, Satan s'enfuit de cette ame pour n'y plus rentrer. Le bienheureux larron pleure, il eclate en sanglots, et, sans prononcer une parole, il se laisse tomber dans Tes bras du missionnaire, qui le presse sur son coeur en lui disant: Mon frere! Quand il eut mange, le pretre le fit monter sur son cheval et marcha pres de lui, priant toujours et ne lui disant rien, pour le laisser tout entier a la grace divine qui parlait au fond de son ame. Ils arriverent a la ville sans rencontre facheuse. Le missionnaire fit coucher le prisonnier de sa charite dans son lit, et dormit pres de lui sur quelques coussins. "Demain, lui dit-il, vous me direz tout ce que vous voudrez. Aujourd'hui, je ne veux rien entendre." Le lendemain, l'homme lui raconta son histoire, prelude de sa confession: histoire terrible, commencee par une jeunesse sans corrections et sans travail, poursuivie dans le vice, dans le crime, et qui, par un prodige de la misericorde divine, s'achevait dans les larmes du repentir. Sa mere, brave paysanne, restee veuve de bonne heure, l'avait impitoyablement gate pour epargner quelques pleurs a son enfance. Il avait ete a l'ecole, parce qu'il l'avait bien voulu; s'y etait instruit, parce qu'il avait l'esprit vif et ouvert; puis s'etait livre a la paresse, au plaisir, bientot au vice. A dix-huit ans, c'etait deja un mauvais sujet accompli. Il s'engagea par ennui, pour connaitre la vie de la caserne, et courir les garnisons. Puis, le joug de la discipline gatant ses plaisirs, il demanda une permission, revint au village, en deguerpit un matin avant le jour, sans embrasser sa mere, mais non sans l'avoir devalisee, et ne reparut plus au regiment. Il passa aux Etats-Unis, y gagna une petite fortune qu'il depensa en folles orgies. Alors, dans un acces de raison, peut-etre de remords, il quitta l'Amerique pour l'Algerie, se remit a l'oeuvre, et mena pendant quelque temps une conduite reguliere et laborieuse. Il commencait a se refaire de corps, d'ame et de bourse, quand le demon envoya sur son chemin un de ses anciens compagnons de debauche, deserteur comme lui, qui le reconnut, chercha a l'entrainer de nouveau dans le vice, et n'y pouvant reussir, revela son passe et le perdit de reputation. Sa tete ne put resister a ce dernier coup. "Puisque je ne puis etre un honnete homme, se dit-il, je serai un franc scelerat." Et il fit comme il avait dit. Il quitta la grande ville ou toutes les portes se fermaient devant lui, s'enfuit au desert, et demanda a la rapine et au meurtre des moyens d'existence. Bientot il se trouva a la tete d'une bande d'arabes, qui detroussaient les passants, les pelerins de la Mecque, et vivaient comme lui de brigandage. Mais, par un reste de pudeur, il ne s'attaquait qu'aux musulmans et evitait de verser le sang des europeens. Ses compagnons s'en apercurent, et se revoltant contre lui, ils le menacerent d'abandon, meme de mort, s'il continuait a epargner les chretiens. Il resista d'abord, puis, avec sa faiblesse et son emportement habituels: "Eh bien! s'ecria-t-il, puisqu'il faut aller jusqu'au bout, j'irai aussi bien et plus loin que vous. Une caravane vint a passer; elle comptait des europeens et des musulmans. Il l'attaqua furieusement a la tete de ses hommes, frappa a tort et a travers sur tout ce qui lui tombait sous la main. Parmi les victimes se trouvait un francais. L'aspect de ce compatriote, peut-etre assassine par lui, le fit soudainement rentrer en lui-meme. "Je suis un miserable." se dit-il. Et laissant la ses compagnons occupes a depouiller les cadavres, fou de remords, epouvante de son ignominie, il s'elanca comme un insense et se perdit bientot dans l'immensite du desert. Quand le missionnaire le rencontra, il y avait trois jours qu'il errait a l'aventure, maudit et desespere comme Cain, ne mangeant pas, ne buvant pas, ne sachant ce qu'il faisait, ni ce qu'il voulait. Il etait a bout de forces, quand il apercut le voyageur qui passait au loin sur son cheval. Pousse par un transport infernal, il essaya de le rejoindre, non pour le voler, mais pour l'assassiner: "J'en tuerai encore un, se dit-il, et je me tuerai apres". Au lieu de la mort, c'est la vie qui l'attendait, et c'est dans les bras de la misericorde qu'il tomba. Tel fut le recit du criminel repentant: le missionnaire, le serrant plus tendrement encore sur son coeur, se contenta de lui dire: "Maintenant que je sais votre histoire, votre confession sera courte et facile. Agenouillez-vous devant Dieu, mon fils, et en son nom je vous pardonnerai tous les peches, tous les crimes de votre vie entiere." Le pecheur se confessa avec des torrents de larmes, et tandis que le pretre prononcait sur son front courbe jusqu'a terre les paroles sacrees de l'absolution, il lui sembla que son passe s'engloutissait dans l'abime de la misericorde divine et qu'une vie nouvelle s'ouvrait devant lui. Ce que fut cette vie, je l'ignore. Le missionnaire ne nous l'a pas dit. Mais qu'elle soit achevee ou qu'elle dure encore, qu'elle se poursuive dans un labeur honnete ou dans les austerites d'un cloitre, il n'est pas douteux qu'elle fut ou qu'elle sera jusqu'au bout une vie de repentir, d'action de graces et d'amour penitent." * * * * * 3.--LES DEUX FRERES Deux freres entrerent en meme temps dans un college de France; ils se ressemblaient si parfaitement quant a la taille et aux traits du visage, qu'il fallait les avoir vus souvent pour les distinguer l'un de l'autre: mais ils etaient bien differents de caractere: l'aine n'avait presque aucun sentiment de religion; le cadet etait d'une piete angelique. On ne saurait imaginer tous les moyens que sa charite lui suggera pour gagner son frere. C'etait peu pour lui de lui accorder ce qu'il demandait; il allait au-devant de tout ce qui pouvait lui etre agreable; il se privait, en sa faveur, de tout l'argent qu'on lui accordait pour ses menus plaisirs. On leur donna a tous deux un costume neuf de tres grand prix; l'aine, en peu de temps, mit le sien en mauvais etat; celui du cadet etait encore tres propre. Ne sachant plus quel present faire a son frere, il imagina de lui donner son habit. "Vous etes mon aine, lui dit-il, il convient que vous soyez mieux habille que moi: votre habit est gate; si le mien vous fait plaisir, je vous le donnerai, on n'en saura rien chez nous." L'offre est aussitot acceptee et l'echange fait. Quelques jours apres, le pieux enfant appelle son frere et lui dit qu'il avait quelque chose a lui communiquer. "Auriez-vous encore un habit a me donner? lui dit celui-ci. --Oui, lui repond l'enfant, et un bien plus precieux que celui que je vous ai donne dernierement; allez demain a confesse; reconciliez-vous avec Dieu, c'est lui-meme qui vous en revetira. --A confesse, repondit l'autre, vraiment j'y vais assez souvent; si, cependant, il ne faut que cela pour vous contenter, j'irai bien encore demain, mais je ne vous garantis pas que j'en deviendrai meilleur. --Promettez-moi au moins, repliqua le cadet, que vous ferez pendant deux jours quelques efforts pour le devenir." L'aine le lui promit. Le lendemain, ils allerent tous deux a confesse; ils avaient le meme confesseur. Le cadet se confessa le premier, et se retira devant le Saint-Sacrement, pour demander a Dieu qu'il lui plut de toucher son frere. L'aine raconta depuis, qu'en entrant au confessionnal, tout ce que son frere avait fait pour lui se presentant a son esprit, il eut honte de lui-meme, et ne fut plus maitre de retenir ses larmes. Il dit a son confesseur qu'il voulait bien sincerement se convertir et consoler son frere des chagrins qu'il lui avait causes jusqu'alors. Pendant toute sa confession, il versa un torrent de larmes. Le cadet qui de l'endroit ou il etait, l'avait entendu eclater en soupirs, etait remonte dans son quartier, comble de joie et benissant le Seigneur. Un moment apres, on vint le demander a la porte; c'etait son frere qui se jeta a ses genoux, et les arrosa de ses larmes, lui demandant pardon de tous les sujets de mecontentement qu'il lui avait donnes et lui promettant de suivre, a l'avenir, aussi bien ses avis que ses exemples. L'enfant, ravi des dispositions de son frere, se jeta a son cou, et lui dit tout ce que sa charite put lui suggerer de plus tendre et de plus affectueux pour l'encourager. Le jeune homme demeura si ferme dans ses bonnes resolutions, qu'en peu de temps, il devint, comme son frere, un modele de vertu, et ne se dementit jamais. * * * * * 4.--UN JEU OU L'ON GAGNE LE CIEL Dans une petite ville de France vivait un officier retraite, qui etait un excellent chretien. Personne devant lui ne se serait permis une parole inconvenante; chacun venait lui demander conseil: l'un le consultait pour l'achat d'une terre; l'autre, pour l'arrangement d'un proces; tout le monde, en un mot, l'honorait, le respectait et l'aimait. Lui-meme a raconte son histoire, et elle merite d'occuper une des premieres places dans ce recueil, car elle montre d'une maniere bien touchante que Dieu se sert des moyens les plus inattendus pour ramener a lui les pecheurs et que sa misericorde est inepuisable a l'egard des ames de bonne volonte. "Je ne date pas d'hier, disait plaisamment notre officier, vous vous en apercevez facilement a ma moustache et aux quelques cheveux qui me restent; mais si je suis vieux et casse, j'ai ete jeune et alerte. J'avais dix-huit ans environ, en 1792, lorsque la grande guerre vint a eclater; j'etais ardent, j'avais adopte avec enthousiasme toutes les idees du temps. Je criais avec les autres, et de bon coeur: "Vive la fraternite ou la mort!" Helas! ce devait etre la mort ou la ruine pour bien du monde. Aussi, des que j'appris que la France venait de commencer la lutte contre les etrangers, mon parti fut bientot pris, je m'engageai. "Il faut vous dire, avant d'aller plus loin, que, malgre les efforts de ma pauvre chere mere et de notre cure, je ne croyais guere a Dieu, et encore moins au diable; je m'amusais tant que je pouvais; je passais, parmi mes camarades de plaisir, pour un _bon garcon_. A vous parler franc, j'etais un tres mauvais sujet; mais parmi tous mes defauts, j'en avais un qui me distinguait de tous mes compagnons, je ne pouvais pas prononcer une phrase, souvent meme une parole, sans y ajouter un juron. Et ce n'etaient pas des jurons pour rire, c'etaient d'affreux blasphemes qui devaient dans le ciel faire voiler les anges et pleurer les saints. "Apres ce preambule, necessaire pour bien faire comprendre la suite de mon histoire, je la reprends, et je tacherai de l'abreger le plus possible pour ne pas trop vous ennuyer. Me voila donc engage a dix-huit ans, menant joyeuse vie et jurant tout le long du jour. Je vous fais grace de ma vie militaire, elle a ressemble a celle de beaucoup de mes camarades, qui n'ont pas laisse leurs os sur le champ de bataille; je fus envoye a l'armee des Pyrenees, puis a l'armee de Sambre-et-Meuse, puis en Italie, puis en Egypte, puis partout enfin ou il y avait des coups a donner et a recevoir. Les annees, l'experience, deux blessures, l'une recue aux Pyrenees, l'autre, a Austerlitz, l'affreuse retraite de Russie, tout cela avait calme ma fougue, m'avait rendu plus regulier dans ma conduite, mais n'avait pu me corriger de mon defaut de toujours jurer. Mon avancement meme se trouva arrete par ce vice; comme je savais lire et qu'on n'avait pas le choix alors parmi les lettres, je fus rapidement officier; mais une fois la, mon malheureux defaut me joua bien des tours; et souvent des generaux, apres une affaire ou je m'etais bien conduit, n'osaient pas m'avancer, parce qu'ils trouvaient que j'avais trop mauvais ton pour arriver aux hauts grades militaires. Je les traitais bien de sacristains, de calotins, mais, a part moi, je leur donnais raison, et pourtant je ne me corrigeais pas. Enfin, 1815 arriva: je fus licencie avec l'armee de la Loire et je revins dans ma ville natale capitaine et decore. Apres les premieres joies de retrouver mes vieux amis, mes vieux camarades d'enfance, apres les premieres douceurs du repos et de la liberte, a la suite de tant de privations et d'annees de discipline, je commencais a trouver le temps long, je fus au cafe et je mangeai ma demi-solde, comme un egoiste, entre une pipe et un jeu de cartes. Ma position, mes campagnes, mes recits me faisaient le centre d'un petit groupe de desoeuvres comme moi, et, par suite de mon habitude inveteree, on y entendait plus souvent jurer que benir le nom de Dieu. "Malgre cela, l'ennui me gagnait, lorsqu'un matin, je vois entrer dans ma chambre le cure de la paroisse. J'etais si loin de m'attendre a pareille visite, que ma pipe s'echappa de mes dents et vint se briser sur le plancher, ce qui me fit pousser le plus gros juron de mon riche repertoire. Le cure ne se troubla pas pour si peu, et, prenant une chaise, que je ne lui offrais pas, il s'assit tranquillement: "Bonjour, M. le capitaine, me dit-il; puisque vous n'etes pas venu me voir a votre arrivee dans ma paroisse, il faut bien que je vienne vous chercher.--Je n'aime pas les cures, lui repondis-je, je ne les ai jamais aimes et je suis trop vieux pour changer maintenant.--Eh bien! capitaine, nous ne sommes pas du meme avis, et, avec un brave comme vous, je n'irai pas par quatre chemins, c'est precisement pour vous faire changer que je suis venu vous voir." A peine le digne pretre avait-il fini sa phrase, que je me levai comme un furieux, et, en jurant comme un possede, je le mis litteralement a la porte. "Le lendemain, je me croyais a tout jamais debarrasse de pareille visite, lorsque je vis encore entrer le cure. Ah! par exemple, c'est trop fort, m'ecriai-je, et je me levai pour le repousser de chez moi. Lui, sans se troubler, me dit avec beaucoup de douceur: "Bonjour, capitaine, vous n'etiez pas bien dispose hier, et je suis revenu aujourd'hui pour savoir si vous etiez plus en train de causer." Malgre mon apparence terrible, je n'etais pas tout a fait mauvais au fond du coeur; aussi, ce sang-froid me desarma, et adoucissant ma voix, je lui repondis: "Eh bien! monsieur le cure, puisque vous avez tant de plaisir a causer avec moi, j'y consens, mais a une condition, c'est que vous ne me parlerez pas de vos momeries, de vos eglises et de vos bedeaux.--Soit, reprit le cure; mais, de votre cote, vous vous engagez a me consacrer chaque jour une heure: votre temps n'est pas compte, et vous ne pouvez me refuser ce plaisir.--Accorde; et pour repondre a votre politesse par une autre, je vous avouerai que je m'ennuie tant, que ce sera une distraction pour moi de causer avec un homme qui sait parler." Ma politesse n'etait pas tres polie, mais le cure eut l'air de la trouver accomplie. "La connaissance ainsi faite devint bien vite intime; l'heure que j'avais promise au cure me semblait de plus en plus courte, et il m'arrivait souvent de la doubler et de la tripler. Mon venerable ami jouait au trictrac, et j'aimais moi-meme extremement ce jeu; aussi, bientot chaque soir, au lieu d'aller au cafe, je prenais le chemin du presbytere, et nous jouions avec un tel acharnement, que la soiree se passait toujours trop rapidement. "Le cure etait fidele a sa promesse; il ne me parlait jamais de religion: malheureusement, de mon cote, j'etais fidele a mes mauvaises habitudes, et je prononcais bien peu de phrases sans les assaisonner de quelques grossiers jurons. Un soir ou le cure me battait a plates coutures, je m'en donnais a coeur joie, et jamais pareils blasphemes n'avaient retenti sous l'humble toit de notre pasteur. Il posa son cornet sur la table, et, me regardant bien en face: "Je vous ai fait une promesse, me dit-il, a laquelle je suis fidele; voulez-vous m'en faire une a votre tour?--Laquelle?--C'est de ne plus jurer.--Mais c'est impossible, voila plus de cinquante ans que j'ai cette habitude; elle m'a empeche de faire mon chemin, et vous voulez que j'y renonce: rayez cela de vos papiers; non pas que je le fasse maintenant par mechancete, mais c'est devenu une habitude chronique.--Je ne pretends pas que ce ne vous sera pas difficile, mais croyez-vous qu'il me soit facile de vous voir tous les jours, sans vous parler de religion, a vous, qui en auriez tant besoin pourtant; la partie n'est pas egale: il me faut une compensation: quand vous jurerez, je vous parlerai de Dieu.--Au fait, vous pouvez avoir raison; je n'en disconviens pas.--Puisque vous etes de si bonne composition, je veux vous montrer que malgre ma robe, je ne suis pas si noir que j'en ai l'air: et vous permets, toutes les fois que votre mauvaise habitude de jurer vous pressera, de remplacer vos gras jurons par _sapristi_.--Je consens au marche, repondis-je.--Et vous, capitaine, ajouta-t-il, n'oubliez pas que, si vous manquez a votre promesse, je manquerai a la mienne." "Je vis bien vite que j'avais fait un marche de dupe, ou plutot que le bon cure savait bien ce qu'il faisait en me le proposant. Chaque jour j'oubliais l'innocent _sapristi_, et je reprenais mon triste repertoire. Aussitot, le cure me faisait un sermon en trois points, et j'etais bien force de l'ecouter, puisque c'etait dans nos conventions. Vous devinez facilement le reste: a mesure que mon venerable ami me devoilait les beautes de la religion, j'y prenais gout; ce n'etait plus une punition, c'etait devenu un besoin. Bientot, je fus tout a fait converti; mon excellent cure me fit approcher des sacrements; maintenant je trouve mon bonheur a l'accomplissement de mes devoirs, et il ne me reste de mon ancien etat que l'habitude d'assaisonner toutes mes phrases du fameux _sapristi_, ce qui me fait appeler par tout le monde ici le capitaine _Sapristi_. Si je raconte volontiers mon histoire, c'est dans l'esperance qu'elle pourra detourner du mal, et de la mauvaise habitude de jurer, quelques personnes aussi coupables que je l'etais alors.[1]" [Note 1: Cite dans les _Petites lectures_, bulletin populaire des Conferences de Saint-Vincent-de-Paul.--Nous n'avons pu verifier nous-meme, on le comprend, l'authenticite des traits que nous avons puises dans d'autres Recueils; mais pourquoi la mettre en doute: Il est certain qu'il s'opere frequemment des conversions tout aussi extraordinaires que celle-la; le pretre n'y prend meme plus garde dans les pays de foi, tant il est souvent temoin de ces merveilles, et elles restent un secret entre l'homme et Dieu.] * * * * * 5.--LA VENGEANCE D'UN ETUDIANT CHRETIEN. Sous Louis-Philippe, ecrit Armand de Pontmartin, l'esprit d'irreligion regnait dans les colleges de Paris. Il y avait pourtant des exceptions... la plus originale et la plus touchante m'etait apparue sous les traits de Paul Savenay, natif de Guerande. Doue, ou plutot arme d'une piete angelique et robuste tout ensemble, il bravait le respect humain, defiait la raillerie, et il aurait mis au besoin tout l'entetement de sa race pour affronter la persecution et le martyre. Cette piete se revelait jusque sur son visage, qui prenait une expression celeste au moment de la priere. Ainsi, lorsque, sur un signe de notre professeur indolent, je recitais, au debut et a la fin de la classe, le _Veni Sancte Spiritus_ et le _Sub tuum praesidium_, c'etait pour presque tous les eleves, le signal d'un concert charivarique d'eternuements, de quintes de toux, de pupitres disloques, et de dictionnaires tombant a grand bruit. Paul Savenay s'isolait de ce tapage, et l'on pouvait suivre sur sa figure le sourire de la sainte Vierge dont il implorait la protection, et le contact de l'Esprit-Saint qui l'effleurait de ses ailes. Cette piete fervente l'avait fait prendre en grippe par le plus mauvais sujet de la classe, fanfaron d'impiete et de libertinage, liseur et colporteur des livres de Parny et de Voltaire, et pourtant Breton comme Paul; mais entendons-nous, ce Breton-la, nomme Jacques Fael, etait un Breton de contrebande. On disait que son pere, Nantais d'origine, avait pris part a quelques-unes des plus sanglantes scenes de la Revolution, s'etait enrichi en achetant des terres de Vendeens, puis ruine dans des speculations equivoques. Tout irritait Jacques contre Paul Savenay; un heritage de haine, le retour des Bourbons, l'animosite instinctive du vice contre la vertu, du mal contre le bien, de l'atheisme contre la foi, du diable contre le bon Dieu; mais ce qui l'exasperait le plus, c'etait la douceur de Paul, sa patience inalterable que, naturellement, Jacques taxait de lachete et d'hypocrisie.--Tu es donc un lache? lui disait-il en lui montrant le poing.--Je ne le crois pas, repondait Paul avec un accent de resignation qui aurait desarme un tigre. Son persecuteur ne lui laissait pas un moment de treve, et le harcelait de la facon qui devait le plus cruellement blesser cette ame tendre, chaste, exquise et pieuse. Non content de le traiter de cagot, de Basile, de tartufe et de cafard. Jacques joignait le blaspheme a l'insulte, le sacrilege a l'outrage. Il glissait de mauvais livres dans le pupitre de Paul et lui jouait les plus vilains tours. Nous sumes plus tard que ses brutalites s'etaient parfois envenimees jusqu'aux voies de fait: bourrades, brimades, coups de poing, coups de regle: un jour meme, un coup de canif qui fit couler le sang. La plupart des eleves feignaient de ne pas s'apercevoir de ces abominables violences. Quelques-uns avaient l'infamie d'applaudir avec des ricanements stupides. Jacques n'avait pas, en somme, l'air bien feroce; mais etait grand, bien decouple, taille en athlete. On le redoutait et il avait sa petite cour de complaisants et de flatteurs. Lorsqu'indigne de sa mechancete et attire vers Paul Savenay par d'irresistibles sympathies, je risquais, moi chetif, quelques reproches: "Tais-toi ou je t'assomme! me disait cet enrage; tais-toi, mauvaise graine d'emigre!" J'aurais certainement eu ma part de ses injures et de ses coups, si je n'avais trouve un admirable defenseur en la personne de Gaston de Raincy. Le martyre de Paul Savenay dura deux ans et pendant ces deux ans, pas une plainte. S'il versait en secret quelques larmes, il ne pleurait pas sur ses souffrances, mais sur les egarements de cette pauvre ame, revoltee contre Dieu. Un matin, me rencontrant a la porte de Saint-Sulpice, et me croyant meilleur que je n'etais, il me dit: "Armand, allons prier pour lui!" Je lui repondis: "Paul, tu es un saint... le saint de Guerande, et c'est sous ce nom que je veux desormais te connaitre et t'admirer!" Bientot, je perdis de vue le persecuteur et sa victime. Jacques Fael, convaincu de colportage du _Compere Mathieu_ et des _Chansons_ de Beranger, fut _prie_ par le proviseur de ne pas revenir apres les vacances. Paul Savenay, qui se destinait a la profession de medecin, quitta le college un an avant moi." Armand de Pontmartin, a cet endroit, interrompt son recit pour expliquer comment il retrouva quelques annees plus tard ce vertueux jeune homme chez Frederic Ozanam. Ce dernier venait de fonder, avec quelques amis, les Conferences de saint Vincent de Paul et il exposait aux jeunes messieurs reunis chez lui les moyens qui lui semblaient les plus propres a assurer le succes de l'entreprise. "Tout a coup, continue le narrateur, Ozanam regarde a sa montre et dit aux jeunes gens qui l'entouraient: "Mes amis, je suis un bavard. Agir vaut mieux que parler, dans une crise comme celle-ci. L'ennemi est toujours la; le cholera vient a peine d'entrer dans sa phase decroissante... Nous n'avons pas une minute a perdre! Il distribua a ses ouvriers de la premiere heure la liste des malades qu'ils devaient visiter. Puis, s'adressant a Paul Savenay:--Et vous, Paul, lui dit-il, votre premiere visite est toujours, n'est-ce pas, pour l'hotel Racine? --Oui, mon ami, repondit Savenay; oui, encore aujourd'hui, ajouta-t-il avec une emotion singuliere. En ce moment, Ozanam le prit a part et lui dit tout bas quelques mots en me regardant. Il me sembla que Paul Savenay opposait une certaine resistance. Ozanam insistait en repetant a demi-voix: Pourquoi pas? Pourquoi pas?... Paul parut enfin se decider, et se tournant vers moi: "Veux-tu, me dit-il, que nous sortions ensemble?" Nous sortimes: Ozanam habitait alors la rue de Sevres, et nous nous dirigions du cote de la rue Jacob. En descendant la rue des Saints-Peres, nous croisames une modeste voiture de louage, qui gravissait assez lentement cette montee fort raide. Paul salua et me dit: "Sais-tu qui est dans cette voiture? Mgr de Quelen, archeveque de Paris. Comme hier, comme demain, il vient de l'hotel-Dieu, et il va a l'hospice de la Charite; c'est ainsi qu'il se venge. Parmi ceux qu'il visite, qu'il secourt et qu'il console, on compterait par centaines les emeutiers de fevrier 1831, les pillards de l'archeveche et de Saint-Germain-l'Auxerrois, ceux qui l'auraient egorge, s'il etait tombe entre leurs mains!" Nous arrivames au bout de la rue Jacob; Paul s'arreta devant l'hotel Racine, moins poetique et moins elegant que son nom. La, il parut hesiter encore, puis prenant son parti: "Entrons," me dit-il. On sait ce que sont ces hotels d'etudiants. Nous montames quatre etages. Parvenus au quatrieme, nous vimes une clef sur la porte, n deg. 78, Paul entra sans frapper, et me fit signe de le suivre. Un emouvant spectacle m'attendait. Sur un lit fort propre, tendu de rideaux de toile verte, je reconnus a l'instant Jacques Fael, le persecuteur, le bourreau de Paul Savenay. Il etait evidemment en convalescence; mais sa paleur, ses yeux cernes, son visage amaigri, prouvaient qu'il venait de subir l'horrible crise. Sa soeur, vetue de noir, etait debout a son chevet, un rayon de soleil d'avril egayait la chambre. En me voyant, Jacques poussa un cri de surprise; puis, brusquement, presque violemment, imposant silence d'un geste a Paul, qui voulait parler: "Non, vois-tu? lui dit-il; non, Paul, tu ne veux pas que j'etouffe, n'est-ce pas? Quand je devrais retomber malade, il faut, entends-tu bien? il faut que notre camarade sache... ce qu'il a deja devine! Il a ete le temoin de mes infamies, de tes souffrances; il faut qu'il apprenne ce qu'a ete la revanche du chretien contre le mecreant, du saint contre le miserable. Tais-toi! tais-toi!... Noemi, dis-lui de se taire et de me laisser la parole!... Il y a un mois, j'etais encore tel que tu m'as connu... Non, Armand, j'etais pire: impie, athee, mechant, libertin, mangeur de pretres, corrompu jusqu'aux moelles. Le 29 mars, jeudi de la mi-careme, j'avais fait la noce avec quelques compagnons de debauches... je rentre a minuit... une heure apres, je me tordais sur ce lit, en proie a des convulsions effroyables... La tete en feu, le corps glace, tous les symptomes du cholera... et j'etais seul, seul au monde... Ma soeur Noemi, au fond de la Bretagne, chez une vieille tante..., mes parents morts..., point d'amis... le vice et l'impiete n'en donnent pas... Oui, seul dans ce miserable hotel, sur que, si j'avais la force d'appeler, l'hotesse epouvantee me ferait jeter sur un matelas, et me crierait d'aller mourir dans la rue... Oh! quelle nuit! L'enfer anticipe, moi qui ne croyais pas a l'enfer!... Tais-toi, Paul, je t'en prie, laisse-moi parler!... A sept heures, au paroxysme de mes tortures et de mon desespoir, ma porte s'ouvre, et je vois entrer Paul Savenay... Paul, ma victime, mon martyr!... Ah! je crus d'abord a une apparition vengeresse... Mais non, il avait sur les levres un sourire celeste; dans le regard, l'expression angelique du pardon... Il vint a moi, me prit la main, me dit quelques bonnes paroles;... c'etait un miracle, n'est-ce pas?... --Non, c'etait tout simple, interrompit Paul Savenay. Je suis interne a l'hospice de la Charite, a deux pas d'ici... Le docteur Recamier, mon maitre, m'avait charge de visiter tous les hotels de la rue Jacob... L'hotel Racine etait sur ma liste et le hasard... --Le hasard!!! C'est donc toi maintenant qui nies la Providence?... Pourquoi ne pas dire la verite tout entiere?... Tu etais delegue de la societe de Saint-Vincent-de-Paul, ou plutot du bon Dieu, pour me sauver, pour me guerir, pour me consoler, pour faire de moi un honnete homme et un chretien!... Une heure apres, poursuivit Jacques, en m'adressant de nouveau la parole, j'avais tous les remedes necessaires, et, le soir, sur ma demande, il m'amena un vicaire de Saint-Germain-des-Pres... Tu vois bien que c'etait le bon Dieu! Pendant cinq jours, Paul ne m'a presque pas quitte...; pendant cinq nuits, il m'a veille... Puis, lorsqu'il a reconnu que le danger etait passe, il a ecrit a ma soeur Noemi, qui n'a pas perdu une minute... et, a present, je suis le mieux soigne des convalescents, moi qui m'etais cru le plus abandonne des agonisants et des damnes... Oh! comment reconnaitre tant de bienfaits de la misericorde divine? Comment expier mes fautes, mes impietes, mes crimes?... --Jacques, reprit doucement Paul Savenay, je t'ai deja dit que, quand meme tu n'aurais eu, avant de mourir, qu'un moment, si ce moment avait ete bien employe, Dieu t'aurait pardonne!... Et tu as une vie tout entiere! --Mais toi, Paul, mon sauveur, toi qui m'as rendu tant de bien pour tant de mal, comment reparer, comment payer ma dette?... Comment meriter ton pardon, ton amitie?..." En sortant de l'hotel Racine, je dis a Paul: "Tu te figures peut-etre n'avoir gueri qu'un malade... Eh bien! tu te trompes; tu en as gueri un autre, et cet autre te serre la main[2]." [Note 2: Armand de Pontmartin, _Correspondant_ (Extraits).] * * * * * 6.--UN PERE CONVERTI PAR SON ENFANT. On trouverait difficilement un recit plus touchant que celui qui nous a ete laisse par le heros de cette histoire, heureux privilegie des misericordes divines. "J'ai ete eleve aussi mal que possible sous le rapport religieux, non seulement dans l'ignorance de la verite, mais dans le gout, dans le respect, dans la superstition de l'erreur, et je quittai mes classes, bien muni d'arguments contre Notre-Seigneur et contre l'Eglise catholique. Elevee comme moi, aussi ignorante que moi, ma femme etait beaucoup meilleure. Elle avait le sens religieux. Il se developpa lorsqu'elle devint mere; et, apres la naissance de son premier enfant, elle entra tout a fait dans la voie. Quand je songe a tout cela, j'ai le coeur remue d'un sentiment de reconnaissance pour Dieu, dont il me semble que je parlerais toujours, et que je ne saurais jamais exprimer. Alors je n'y pensais point. Si ma femme avait ete comme moi, je crois que je n'aurais pas meme songe a faire baptiser mes enfants. Ces enfants grandirent. Les premiers firent leur premiere communion, sans que j'y prisse garde. Je laissais leur mere gouverner ce petit monde, plein de confiance en elle, et modifie a mon insu par le contact de ses vertus que je sentais et que je ne voyais pas. Vint le dernier. Ce pauvre petit etait d'une humeur sauvage, sans grands moyens; si je ne l'aimais pas moins que les autres, j'etais cependant dispose a plus de severite envers lui. La mere me disait: --Sois patient; il changera a l'epoque de sa premiere communion. Ce changement a heure fixe me paraissait invraisemblable. Cependant l'enfant commenca a suivre le catechisme, et je le vis en effet s'ameliorer tres sensiblement et tres rapidement. J'y fis attention. Je voyais cet esprit se developper, ce petit coeur se combattre, ce caractere s'adoucir, devenir docile, respectueux, affectueux. J'admirais ce travail que la raison n'opere pas chez les hommes; et l'enfant que j'avais le moins aime, me devenait le plus cher. En meme temps, je faisais de graves reflexions sur une telle merveille. Je me mis a ecouter la lecon de catechisme. En l'ecoutant, je me rappelais mes cours de philosophie et de morale: je comparais cet enseignement avec la morale dont j'avais observe la pratique dans le monde, helas! sans avoir pu moi-meme toujours m'en preserver. Le probleme du bien et du mal, sur lequel j'avais evite de jeter les yeux, par incapacite de le resoudre, s'offrait a moi dans une lumiere terrible. Je questionnais le petit garcon: il me faisait des reponses qui m'ecrasaient. Je sentais que les objections seraient honteuses et coupables. Ma femme observait et ne disait rien; mais je voyais son assiduite a la priere. Mes nuits etaient sans sommeil. Je comparais ces deux innocences a ma vie, ces deux amours au mien; je me disais: "Ma femme et mon enfant aiment en moi quelque chose que je n'ai aime ni en eux ni en moi; c'est mon ame." Nous entrames dans la semaine de la premiere communion. Ce n'etait plus de l'affection seulement que l'enfant m'inspirait; c'etait un sentiment que je ne m'expliquais pas, qui me semblait etrange, presque humiliant, et qui se traduisait parfois en une espece d'irritation. J'avais du respect pour lui. Il me dominait. Je n'osais pas exprimer en sa presence de certaines idees, que l'etat de lutte ou j'etais contre moi-meme produisait parfois dans mon esprit. Je n'aurais pas voulu qu'elles lui fissent impression. Il n'y avait plus que cinq ou six jours a passer. Un matin, revenant de la messe, l'enfant vint me trouver dans mon cabinet, ou j'etais seul. --Papa, me dit-il, le jour de ma premiere communion, je n'irai pas a l'autel sans avoir demande pardon de toutes les fautes que j'ai faites et de tous les chagrins que je vous ai causes, et vous me donnerez votre benediction. Songez bien a tout ce que j'ai fait de mal pour me le reprocher, afin que je ne le fasse plus, et pour me pardonner. --Mon enfant, repondis-je, un pere pardonne tout, meme a un enfant qui n'est pas sage; mais j'ai la joie de pouvoir te dire qu'en ce moment je n'ai rien a te pardonner. Je suis content de toi. Continue de travailler, d'aimer le bon Dieu, d'etre fidele a tes devoirs; ta mere et moi nous serons bien heureux. --Oh! papa! le bon Dieu qui vous aime tant, vous soutiendra, pour que je sois votre consolation, comme je le demande. Priez-le bien pour moi, papa. --Oui, mon cher enfant. Il me regarda avec des yeux humides, et se jeta a mon cou. J'etais moi-meme fort attendri. --Papa!... continua-t-il. --Quoi, mon cher enfant? --Papa, j'ai quelque chose a vous demander! Je voyais bien qu'il voulait me demander quelque chose, et ce qu'il voulait me demander, je le savais bien! Et, faut-il l'avouer? j'en avais peur; j'eus la lachete de vouloir profiter de ses hesitations. --Va! lui dis-je, j'ai des affaires en ce moment. Ce soir ou demain, tu me diras ce que tu desires, et, si ta mere le trouve bon, je te le donnerai. Le pauvre petit, tout confus, manqua de courage, et, apres m'avoir embrasse encore, se retira tout deconcerte, dans une petite piece ou il couchait, entre mon cabinet et la chambre de sa mere. Je m'en voulus du chagrin que je venais de lui donner, et surtout du mouvement auquel j'avais obei. Je suivis ce cher enfant sur la pointe des pieds, afin de le consoler par quelque caresse, si je le voyais trop afflige. La porte etait entr'ouverte. Je regardai sans faire de bruit. Il etait a genoux devant une image de la sainte Vierge; il priait de tout son coeur. Ah! je vous assure que j'ai su ce soir-la quel effet peut produire sur nous l'apparition d'un ange! J'allai m'asseoir a mon bureau, la tete dans mes mains, pret a pleurer. Je restai ainsi quelques instants. Quand je relevai les yeux, mon petit garcon etait devant moi avec une figure tout animee de crainte, de resolution et d'amour. --Papa, me dit-il, ce que j'ai a vous demander, ne peut pas se remettre, et ma mere le trouvera bon: c'est que, le jour de ma premiere communion, vous veniez a la sainte Table avec elle et moi. Ne me refusez point, papa. Faites cela pour le bon Dieu qui vous aime tant. Ah! je n'essayai pas de disputer davantage contre ce grand Dieu qui daignait ainsi me contraindre. Je serrai en pleurant mon enfant sur mon coeur.--Oui, oui, lui dis-je, oui, mon enfant, je le ferai. Quand tu voudras, aujourd'hui meme, tu me prendras par la main; tu me meneras a ton confesseur, et tu lui diras: "Voici mon pere." _L'abbe_ LOTH. * * * * * 7.--UN CADEAU INATTENDU. Dans une fonderie situee pres de Paris, il y avait un ouvrier qui avait recu autrefois une certaine education. Mais des revers de fortune l'avaient oblige a chercher du travail. Un jour, il fit un faux pas, tendit ses mains en avant pour amortir sa chute, et sa main droite alla malheureusement s'etendre sur un morceau de fer rouge qui la brula jusqu'a l'os. Le malheureux subit l'amputation avec courage; mais il ne souffrit pas avec un courage egal une infortune qui le privait, lui, sa femme et ses quatre enfants, du pain quotidien; ses plaintes s'exhalaient en affreux blasphemes. Informee de sa triste situation par une bonne-soeur de charite, la comtesse *** se hata d'accourir. Elle prodigua avec ses secours les bonnes paroles, multiplia ses visites, ses cadeaux, ses encouragements. L'ouvrier la recevait froidement, acceptait tout poliment, remerciait sechement et, des que la charitable comtesse avait franchi le seuil de la mansarde, il se tournait vers sa femme et lui disait d'un ton railleur: "Les visites de cette dame sont bien interessees, j'en suis sur, c'est en vue des prochaines elections qu'elle nous vient en aide." Tout en partageant les sentiments de son mari, Annette ne parlait pas comme lui. Elle faisait bonne mine a la comtesse afin que les dons en faveur de ses enfants fussent augmentes. Mais son coeur restait ferme, et la genereuse bienfaitrice ne se faisait pas illusion sur les vrais sentiments de sa protegee. Noel arriva... Depuis quinze jours, la machine a coudre ne cessait de faire entendre ses tics-tacs. C'etait a ne pouvoir dormir, durant la nuit entiere, dans la maison. --Qu'avez-vous donc a travailler ainsi, Annette? demandaient les voisines. Nous allons vous conduire au Pere-Lachaise[3], bien sur! si vous continuez a vous fatiguer ainsi. [Note 3: Cimetiere bien connu, le principal de la Capitale.] --C'est que voici bientot Noel, et je ne veux pas voir pleurer mes enfants comme l'an passe. Ils ont eu les mains vides pendant que les autres avaient les mains pleines de jouets et de bonbons: cela m'a fendu le coeur et je leur ai promis que le Noel de cette annee les dedommagerait. Je travaille pour tenir parole. L'homme propose et Dieu dispose. Notre Annette travailla avec tant de precipitation qu'un beau soir sa machine a coudre cassa. Plus de travail, plus de pain. Adieu les cadeaux de Noel! O malheur! les enfants allaient pleurer... L'ouvriere fit contre mauvaise fortune bon coeur: elle porta vite son gagne-pain a la reparation; mais on la fit attendre et on lui fit payer quinze francs! helas! --Quel guignon d'etre malheureuse! murmurait la pauvre mere en pleurant. Ce Noel allait etre, bien certainement, encore plus triste que celui de l'annee precedente. La veille au soir, les enfants mirent leurs petites chaussures sous la cheminee. Mille precautions furent prises pour les placer au bon endroit; il y avait eu meme des contestations et des disputes entre eux a ce sujet. Le cadet n'avait pas craint de troubler l'ordre et de changer la topographie des souliers. La soeur ainee, qui s'en apercut en faisant une ronde a la derobee, fit un tintamarre qui necessita l'intervention du papa et de la maman. --Comme ils vont etre cruellement decus, demain matin! pensait Annette avec angoisse. Mon coeur se fend de chagrin. Ce ne fut point sans peine que l'on decida les petits a aller se coucher: ils restaient la, bouche beante, devant le tuyau de la cheminee qui subit vingt fois leur inspection. Ils auraient volontiers passe la nuit a attendre le petit Jesus. Couches sur leurs pauvres matelas, la discussion ne cessa point. Ils firent des projets, des echanges; ils jaserent, se disputerent. Quand le silence se fut etabli, Annette dit a Baptiste: --Je n'ai rien a leur donner: ma bourse est a sec. Pauvres petits! Annette et Baptiste pleurerent en voyant l'etalage des chaussures des enfants. Tout a coup, sans dire un mot, Baptiste se leva et sortit... Il passa devant les magasins etincelants de lumiere, s'arreta aux splendides etalages. --Passons, dit-il, je suis trop pauvre pour entrer la. Il porta ses pas du cote des petites boutiques en planches, echelonnees le long des boulevards et bourrees de jouets. Avisant une boutique a treize sous, il entra, et s'approchant du patron, il lui dit a l'oreille: --Je suis un brave ouvrier, j'ai quatre enfants; une grande dame nous protege (cet aveu lui coutait les yeux de la tete): je voudrais bien avoir, a credit, quelque objet a bon marche. Monsieur, vous pouvez voir... je demeure a... Le patron ne le laissa pas achever. --La maison ne vend pas a credit, Monsieur... Inutile!... A treize sous! Boutique a treize sous!... Bon marche sans exemple. Quand Baptiste revint a la mansarde, il etait exaspere et criait plus fort que jamais: "Ah! quel malheur d'etre pauvre!" Les cloches de la messe de minuit sonnaient a toute volee et joyeusement. Annette entendit frapper a la porte; elle courut ouvrir: la comtesse entra. --Quoi, vous a cette heure? --Oui, j'ai pense a vos cheris... Je n'ai qu'un instant; ma voiture est en bas qui m'attend pour me conduire a Sainte-Clotilde ou je vais entendre la messe de minuit. Oh! comme ils dorment d'un sommeil paisible, ces chers petits enfants du bon Dieu! Ils seront bien contents demain... tenez, voila pour eux. La comtesse tendit un paquet, et, enveloppee de son manteau ramene autour d'elle, descendit rapidement l'escalier. Un coup de couteau a travers une ficelle, et le paquet eventre etala ses merveilles. Il y avait des poupees, des pantins, des dragees, des oranges, du chocolat, des bonbons, tout un assortiment de bonnes et belles choses a admirer, a conserver, a croquer. Baptiste et Annette n'y voyaient plus: ils pleuraient, ils sanglotaient. Ces chers petits! comme ils seront heureux au reveil! Les chaussures ne furent pas assez longues, larges et hautes pour recevoir les dons du petit Jesus: le devant de la cheminee fut garni d'objets inconnus a la mansarde. Comment decrire la joie des enfants, leurs exclamations, leurs cris, lorsque le jour fut venu! Annette et Baptiste devoraient des yeux ces chers petits; ils partageaient leurs transports et pleuraient de joie avec eux. Quand la comtesse revint, Baptiste lui dit, les larmes aux yeux: --Madame, vous nous aimez puisque vous aimez nos enfants. Nous vous serons tous reconnaissants jusqu'a la mort. Huit jours apres, Baptiste, Annette et les enfants allaient a la messe de la paroisse. La charite de la comtesse avait trouve le chemin du coeur. * * * * * 8.--LES TROIS ACTES D'UN DRAME CONTEMPORAIN. Un dimanche matin, on aurait pu voir, il y a quelques annees, deux personnes se rendant a l'eglise principale de leur localite, vers l'heure de la grand'messe. C'etaient M. X*** et son epouse, tous deux imbus des prejuges de notre siecle et pleins de cette arrogante fierte qui distingue les _parvenus_ sans religion. Ils n'allaient pas a la maison de Dieu pour y prier, mais bien pour s'y pavaner et y chercher un moyen de se distraire en meme temps qu'une satisfaction a leur vanite. Lorsqu'ils entrerent, la messe etait commencee; au lieu de se tenir dans le bas de l'eglise, ils pretendent traverser les rangs, examinent curieusement toute l'assistance, se communiquent leurs impressions, en un mot affectent le meme sans-gene que s'ils s'etaient trouves dans un concert ou une salle de spectacle. A ce moment, un pretre a cheveux blancs, d'un aspect venerable, quitte le choeur pour faire, selon l'usage, la quete parmi les fideles. C'etait le cure de la paroisse, qui jouissait de l'estime universelle grace a ses bienfaits et a ses vertus. Le digne ecclesiastique avait la douceur d'un pere, mais il avait aussi la juste severite du ministre d'un Dieu trois fois saint. Indigne de l'attitude inconvenante de M. X*** et de son epouse, que leur toilette toute mondaine rendait plus revoltante encore, peine surtout du scandale qui en resultait pour ses ouailles, le pasteur ne put s'empecher de s'arreter un instant lorsqu'il arriva pres d'eux, et il leur dit a voix basse, mais d'un air grave: "Oubliez-vous donc que vous etes ici dans la maison de Dieu?..." Puis, il passa, mais sa parole ne passa point, elle demeura brulante sur le coeur de Mme X***, et en fit jaillir jusque sur son front la rougeur de la honte et de la colere... Peu de jours s'etaient ecoules, lorsqu'un jeune homme se presente au domicile du bon cure et demande a lui parler. Vainement lui objecte-t-on une occupation urgente, qui rend l'entrevue pour le moment impossible; il insiste vivement et justifie ses instances par les sollicitations d'un malade qui, se tordant, dit-il, dans les etreintes de l'agonie, l'appelle, veut le voir, lui parler, ne voir et ne parler qu'a lui seul!... Le pretre est averti, il abandonne tout pour porter au moribond les consolations de son ministere, il hate le pas, il court vers le domicile indique, il arrive. Introduit dans l'appartement ou il etait attendu, il cherche inutilement le lit du malade, il n'y trouve qu'un homme a l'abord froid et glacial et une dame se prelassant sur un riche canape.--On a devine M et Mme X***. C'etait un lache guet-apens. Le seuil a peine franchi, la porte se ferme a double tour derriere le vieillard. --Puis-je savoir ce que cela signifie? dit-il avec etonnement. --Je vais vous l'apprendre, repond X***. Asseyez-vous. Le venerable pasteur s'assit machinalement, sans rien comprendre a un pareil debut. Mme X*** laissa percer sur ses levres un imperceptible sourire, et son mari joua une dignite qui etait une contradiction flagrante avec le role qu'il s'imposait. --Monsieur l'abbe, dit-il, nous reconnaissez-vous? --Non, dit le pretre; cependant vos traits ne me sont point inconnus, mais je ne saurais preciser... --C'est etrange, fit X*** avec une legere ironie; eh bien! monsieur, j'aiderai vos souvenirs. Ministre d'une religion toute de charite, comment qualifieriez-vous l'insulte qu'un homme inflige a un autre? --C'est une faiblesse, dit le pretre. --Et si cette pretendue faiblesse atteint encore son epouse? --C'est alors une lachete, dit le vieillard, de plus en plus surpris. --Mais si cette lachete s'accomplit devant une foule nombreuse, et dans un lieu repute sacre par vous et par les votres, dans l'eglise meme: que devient alors cette lachete? --Cette lachete devient alors un sacrilege, dit encore le venerable ecclesiastique, dont l'etonnement n'avait plus de limite. --Nous sommes parfaitement d'accord, dit X*** en echangeant avec sa femme un rapide coup d'oeil. Les dernieres paroles du pretre avaient entierement epanoui le visage de Mme X*** et elle souriait beatement sur son siege. --Mais je ne sais vraiment pas, monsieur, dit le cure, ou peuvent aboutir toutes ces questions; daignez vous expliquer plus nettement, je vous prie. --Encore un point a eclaircir, monsieur l'abbe, et j'arrive au denoument. --Quel chatiment doit donc etre inflige a l'homme lache et sacrilege qui a pu s'oublier ainsi? --Le chatiment est, dans ce cas, monsieur, l'expression de la vengeance, et la vengeance n'appartient qu'a Dieu! --Ah! je le regrette; mais ici, monsieur, nous differons absolument de maniere de voir, et il m'est avis que l'insulte doit necessiter ou de promptes excuses ou une juste expiation. Permettez-moi, meme, de n'admettre a cet egard que mon opinion seule. Et maintenant, ajouta-t-il, en quittant tout a coup le ton d'une discussion calme pour les formes brusques et peu courtoises de la colere et de la passion; et maintenant, ma femme et moi, nous sommes les offenses, et l'insulteur, c'est vous!... --Moi! dit le pretre avec surprise sans doute, mais toujours avec ce calme et cette dignite qui jaillissent d'une conscience pure; moi!... Puis, un souvenir illuminant tout a coup sa memoire: "Oh! monsieur, poursuit-il d'un ton doucement ironique, vous intervertissez etrangement les roles: je sais a present de quoi il s'agit. Dieu m'a confie la garde de sa maison, j'ai du la faire respecter, et en vous rappelant, ainsi qu'a madame, la saintete du sanctuaire, je n'ai fait qu'accomplir un devoir." X*** demeure un instant interdit, en face d'une reponse aussi ferme: mais peut-il etre vaincu, lui, par un pretre, par un vieillard?... --Monsieur! s'ecrie-t-il avec violence, vos paroles etaient une insulte, et l'insulte veut l'expiation; et saisissant un pistolet cache sous son vetement: "A genoux, dit-il au vieillard, a genoux! et faites des excuses![4]" [Note 4: Quelque incroyable et meme improbable que paraisse cette Violence premeditee, qu'on pourrait regarder comme une scene de roman, L'auteur garantit l'authenticite du fait.] X*** avait arme le pistolet et le tendait menacant vers la poitrine du vieux pretre. Mais il ne savait pas tout ce qu'il y a de noblesse, d'energie, d'invincible volonte dans un coeur sans tache, dans une ame chretienne, nourrie chaque jour du pain des forts. Il ne savait pas qu'abreuve du sang de son Dieu, le vieillard y retrouve les forces de la jeunesse, le pretre l'heroisme qui fait les martyrs. Il ne le savait pas, il ne le soupconnait meme pas; s'il en eut ete autrement, aurait-il pu consentir a affronter benevolement cette alternative, ou d'etre le meurtrier d'un vieillard, ou de subir la honte d'une mystification qu'il pretendait infliger lui-meme? Le saint pretre, calme et impassible, regarde fixement l'homme qui le menace, et n'opposant a sa fureur qu'une sublime resignation: "Monsieur, dit-il, le vieillard qui n'a plus que quelques jours a passer sur la terre ne doit pas redouter la mort; et le pretre doit mourir plutot que de transiger avec sa conscience, il ne saurait retracter un devoir accompli, et il ne flechit le genou que devant son Dieu!" Et portant la main a son coeur: "Frappez, monsieur, dit-il, frappez! Dieu nous voit, qu'il nous juge; a lui seul appartient la vengeance!" Ainsi que nous venons de le dire, se trouvant dans la necessite ou d'etre meurtrier ou de subir la honte d'une defaite, X*** fut tout heureux de voir sa femme s'interposer et solliciter en faveur du vieillard un _genereux_ pardon. Cette mediation tout a coup inspiree a Mme X*** diminua un peu ce qu'avait d'humiliant la position que son mari s'etait faite. Ne paraissant alors obeir qu'aux instances de son epouse, il baissa l'arme et ne frappa point. --Puisque vous ne voulez pas me tuer, dit le cure, souriant a demi, soyez assez bon, monsieur, pour vouloir bien me rendre la liberte que vous m'avez ravie. X*** ouvrit la porte de son appartement, non sans quelque embarras, et le pretre, ne laissant paraitre aucune emotion, avec l'aisance d'un calme parfait, se retira en s'inclinant. Un an apres, jour pour jour, le triste heros de cette aventure revenait, a cheval, d'un village voisin. C'etait a la nuit tombante, et le voyageur humait avec delices la fraicheur du soir. Apres une absence de huit jours, il venait de regler quelques affaires et se hatait de rentrer au sein de sa famille. Le voyage jusque-la avait ete des plus heureux; tout a coup, arrive a un endroit ou la route decrit brusquement une courbe, le contact inattendu d'une branche qui s'inclinait isolement sur le chemin effraye le cheval. Un ecart aussi prompt qu'imprevu renverse le cavalier. Par une circonstance funeste, le pied de X**** demeure engage dans l'etrier et le tient suspendu aux flancs de sa monture, balayant de son front ensanglante le sable et les cailloux de la route. Non loin de la se trouvaient quelques, habitations, ca et la eparses. Aux cris de l'infortune, on accourt; mais, surexcite par le bruit qu'il entend et par la piqure incessante de l'eperon avec lequel il laboure lui-meme ses propres flancs, le cheval redouble de vitesse et traine a travers les champs le corps mutile de son maitre. On peut enfin l'arreter, mais X*** n'a deja plus le sentiment de sa propre existence. Ses vetements en lambeaux sont souilles de poussiere et de sang; son visage, horriblement defigure, laisse apercevoir au front une blessure large et profonde. Transporte sous le toit d'un pauvre paysan, il y recoit les soins les plus empresses, mais la nuit qu'il y passa fut une nuit d'angoisses et d'atroces douleurs. X*** n'etait qu'a 3 kilometres de chez lui, et le lendemain, sur l'assurance donnee par le medecin que le malade pouvait, sans trop de danger, a l'aide de certaines precautions, franchir cette distance, quelques amis le porterent sur une litiere, et apres bien des difficultes, parvinrent a le deposer mourant a son domicile. Malgre un repos absolu, malgre la rigoureuse observance de toutes les prescriptions de l'art, l'etat du malade devenait de plus en plus alarmant; il n'y avait meme plus d'autre lueur d'esperance que celle qui ne nous abandonne jamais, tant que l'objet de nos inquietudes ne nous est pas entierement ravi. Ses amis ne l'approchaient pas; sa femme elle-meme ne venait aupres de lui qu'a de rares intervalles. Elle etait loin de s'illusionner sur la gravite du mal, et quelques etincelles d'une foi non encore eteinte lui faisaient desirer pour son mari les secours de la religion; mais, partageant de ridicules prejuges, elle n'osait manifester ce desir. La difficulte s'aplanit de la maniere la plus inattendue, et par celui-la meme dont on pouvait le moins l'esperer. Dans le cours de sa maladie, X*** etait souvent en proie au delire, et souvent alors aussi on entendait s'echapper de ses levres un nom auquel se rattachaient pour lui de tristes souvenirs, un nom qu'il ne semblait cependant prononcer qu'avec respect. A ce nom se melaient encore des mots entrecoupes: Expiation!... Vengeance!... Et si le malade trouvait un peu de calme, si la raison succedait au delire, ce n'etait plus l'expression apparente du remords, mais celle du repentir, qu'articulait sa bouche. A l'un de ces moments heureux, mais rares, ou une amelioration sensible s'etait produite dans l'etat de X***, il fit venir sa femme aupres de lui, et apres quelque temps d'un secret entretien, celle-ci le quitta le front presque joyeux, comme si elle eut puise dans cet entretien meme une double esperance. Elle s'empressa donc de donner des ordres, qu'elle recommanda d'executer sans aucun retard. Un moment apres, le venerable cure que nos lecteurs connaissent deja, se rendait aux instances de Mme X*** et franchissait de nouveau, sans hesitation, le seuil d'une demeure ou il avait recu naguere un si cruel outrage. O religion sainte, voila tes oeuvres! Ce saint vieillard a tout oublie, tout pardonne, et il vient consoler et benir, il vient ouvrir le ciel a celui qui avait failli l'assassiner. Ce fut Mme X*** qui introduisit le pasteur aupres du moribond. A l'aspect de ces cheveux blancs, de ce front tout empreint d'une majeste simple et imposante, sous l'influence de ce regard toujours grave, toujours calme, toujours bienveillant, mille souvenirs surgirent spontanement dans l'ame de X***, et, soulevant la tete avec effort, il voulut s'incliner devant le noble vieillard. --Est-ce bien vous, monsieur, dit-il d'une voix faible, est-ce bien vous qui daignez venir jusqu'a moi? --Oui, c'est moi, dit le pretre avec bonte. --Je ne l'esperais pas, monsieur. Pouvais-je l'esperer apres l'outrage dont je me suis rendu coupable envers vous? Puis, apres un moment de silence: --Ah! monsieur l'abbe, dites-le-moi, venez-vous ici pour me pardonner ou pour me maudire? --Mon fils, le pretre ne maudit jamais, il ne sait que benir. Je vous benis et je vous pardonne! Mme X*** etait la. A ces dernieres paroles, son coeur s'emut, ses larmes coulerent, et, pour eviter d'augmenter par son emotion l'emotion du malade, elle quitta l'appartement avec discretion et prudence. Alors, son epoux tournant vers le pretre un regard ou se peignaient tour a tour et la reconnaissance et l'admiration: --Merci, monsieur, merci! Je mourrai maintenant moins malheureux, puisque j'ai obtenu un pardon que je n'osais meme pas implorer. --Ne parlons plus de moi, repondit le ministre du ciel; mon pardon n'est rien, mon ami, ou bien peu de chose; je vous en apporte un autre, autrement precieux, autrement desirable, celui de Dieu lui-meme. C'est lui qu'il faut aimer, lui qu'il faut benir. Voyez! jusque dans ses chatiments il se montre bon pere; c'est lui qui a fait naitre en vous mon souvenir, lui encore qui me conduit ici pour consoler votre souffrance. Que vos larmes montent jusqu'a lui, voici l'heure de la reconciliation! Et le pretre s'approcha bien pres du lit du mourant. Dieu seul entendit les aveux du coupable et les paroles consolatrices du pretre. Ce que nous savons, nous, c'est que les aveux de l'un furent souvent interrompus pas des sanglots, et que les paroles de l'autre furent accompagnees de douces larmes. Et quand ce secret entretien fut acheve, le vieillard s'inclina plus pres encore du penitent et deposa sur son front pale le baiser de la paix. Le lendemain, le vieux pretre revint aupres de son cher malade, portant dans ses mains le gage du salut, le sceau de la reconciliation. Le moribond, avec la piete d'un chretien, la foi vive d'un fidele, s'unit intimement au Seigneur, et, quelques heures apres, il expira dans les sentiments d'une esperance, d'une confiance illimitees, car il allait vers Dieu, accompagne par Dieu meme! (D'apres _Jules Ducot_.) * * * * * 9.--LE REMEDE EST DUR, MAIS IL EST BON!... Quelques jours apres avoir termine sa station, un missionnaire recut la visite d'un capitaine, homme d'esprit, droit et honnete, qui entama la conversation sur les grandes verites chretiennes exposees dans les reunions precedentes. "J'ai bien la foi, dit cet officier; qui ne l'a pas? Il n'y a qu'un ignorant ou qu'un homme perverti qui soit de force a ne pas croire a l'eternite, a ne pas croire en Jesus-Christ et a nier la majeste de l'Eglise. Dieu merci! je n'en suis pas la. Cependant, j'ai dans l'esprit je ne sais quoi de vague, d'indefini qui m'empeche d'aller jusqu'a la pratique." Le bon missionnaire sourit, et, lui tendant la main: "Mon capitaine, lui dit-il, bien des gens sont travailles de cette maladie. Voulez-vous en guerir?--Eh! sans doute, repondit l'officier? Quel livre faut-il lire?--Aucun.--Et comment, alors, m'instruirai-je?--Rien n'est plus simple. Seulement, je crains bien que vous ne repoussiez le remede. Il est infaillible cependant.--Dites toujours. Peut-etre ne me fera-t-il pas si peur.--Eh bien! mettez-vous a genoux et sans hesiter, priez de tout votre coeur. Moi je vais me mettre a prier avec vous, et puis... je vous confesserai.--Me confesser! repliqua vivement l'officier tout surpris; mais c'est la precisement ce qui me parait inadmissible." Et il lanca cinq ou six phrases contre la confession. Le Pere ecouta tranquillement, puis lui dit: "Vous voyez bien que vous avez peur, j'en etais sur. Je vous aurais cru plus brave.--Mais je le suis.--Prouvez-le-moi donc, ici a genoux." En disant cela, il s'agenouilla le premier.... Apres un peu d'hesitation, le capitaine en fit autant. Le missionnaire recita a haute voix et du fond du coeur: _Notre Pere, Je vous salue, Marie,_ et _Je crois en Dieu_; puis un acte de contrition. "Confessez-vous, mon fils, ajouta-t-il avec douceur et autorite. Dieu veut votre ame. Je vous pardonnerai tout en son nom." Le capitaine tout emu ne repondit rien. Le pretre se leva; l'officier resta a genoux. Dieu soit beni! dit le missionnaire. Et il s'assit pres du militaire, l'encourageant si bien que son pauvre coeur ferme s'ouvrit a la grace de Dieu et que, quelques minutes apres, l'absolution sacramentelle avait rendu a sa belle ame sa purete premiere. L'officier resta longtemps a genoux... il pleurait. Quand il se releva, il se jeta dans les bras du Pere. "Oh! quel remede! s'ecria-t-il. Qu'il est dur, mais qu'il est bon! Comme je vois clair a present! je n'ai plus de doutes; je crois tout; je suis le plus heureux homme du monde!" * * * * * 10.--LE BANC DE FAMILLE. Vers dix-huit ans, rapporte le heros de cette histoire, je perdis mon pere et ma mere a quelques mois de distance, et en les perdant, je perdis tout. Un an ne s'etait pas ecoule que ma foi et mes moeurs avaient fait naufrage. Les moeurs d'abord, la foi ensuite. C'est toujours ainsi que les choses se passent. Je devins voltairien, impie, materialiste; enfin, comme vous dites aujourd'hui, libre-penseur. Pousse par une logique satanique, je conformai mes actes a mes nouvelles opinions. Moi, le fils d'une famille de saints, je ne mis plus les pieds a l'eglise ni a Paques, ni a Noel, ni a l'occasion d'un enterrement ou d'un mariage. Cette conduite fut justifiee a l'aide de propos impies et blasphematoires qui scandaliserent toute la paroisse. Le vieux cure qui m'avait fait faire ma premiere communion, m'ayant ecrit pour me demander si je voulais garder a l'eglise mon banc de famille, je ne daignai pas lui repondre et je cessai de le saluer. Dix-huit ans s'ecoulerent; dix-huit ans que je voudrais effacer de mon existence au prix du temps que j'ai encore a passer sur la terre. Un trait vous dira quel homme j'etais. Un jour de Paques, fatigue d'entendre les cloches chanter a toutes volees dans leur langage l'_Alleluia_, exaspere de voir les chemins couverts d'hommes et de femmes en habits de fete se rendant a l'eglise, je saisis une cognee de bucheron et j'allai attaquer par le pied un chene situe dans une de mes prairies qui bordait la route. Je voulais protester contre les superstitions populaires!... Deux ans apres ce bel exploit, par un jour brulant d'ete, une tempete epouvantable s'abat sur le bourg de Saint-Maurice-les-Etangs. Une famille, composee du pere, de la mere et des trois enfants fut tuee par la foudre. Toute la paroisse se leva comme un seul homme et accompagna ces cinq cercueils a l'eglise et au cimetiere. Je suivis la foule. L'impiete n'est pas toujours de saison. On m'aurait, ce jour-la, jete des pierres, si je m'etais abstenu d'assister aux funerailles, ou si, en y allant, j'avais affecte de ne pas entrer dans l'eglise. J'entrai donc et je fis comme les autres. Il y avait pres de dix-huit ans que je n'avais mis le pied dans la maison de Dieu; aussi etais-je embarrasse de ma personne au milieu de la foule qui remplissait, ce jour-la, l'eglise. Pendant que je cherchais un coin pour m'y cacher, le sacristain vint a moi et me fit signe de le suivre. Je le suivis machinalement, me demandant ce que ce bonhomme me voulait. Quelle ne fut pas ma surprise, lorsqu'il m'ouvrit le vieux banc de ma famille, toujours a sa place et toujours inoccupe, comme si j'avais continue a payer a la fabrique la taxe annuelle! Je n'etais pas a la fin de mes etonnements. Le sacristain revint au bout de quelques minutes, apportant une petite clef rouillee. Il me la remit en disant: --Voici votre clef. Je me rappelai alors qu'il y avait dans notre banc un petit coffret scelle, moitie dans le bois, moitie dans la pierre, ou ma pieuse mere mettait ses livres de prieres. Le coffret, lui aussi, etait a sa place; je le reconnus, je reconnus la clef. J'ouvris, pousse comme par une force surnaturelle. Quelle ne fut pas mon emotion, en trouvant dans le coffret des livres dont ma mere se servait et ou elle m'avait fait lire souvent de si belles prieres! Ils etaient la, a peine deteriores par le temps et l'humidite, le _Formulaire de prieres_, l'_Ange conducteur_, l'_Imitation de Jesus-Christ_... Ma presence dans l'eglise et dans le banc de ma famille eut fait sensation en d'autres circonstances. Grace a la foule et a ces funerailles extraordinaires, elle passa inapercue. Je pus, non pas prier,--je ne savais plus le faire,--mais rever et reflechir comme si j'avais ete seul. Ayant ouvert l'_Imitation_ pour me donner une contenance, j'y trouvai une feuille de papier detachee, jaunie par le temps et le contact des doigts. Elle contenait une priere ecrite de la main de ma mere. La voici: "Oh! mon Dieu! ne me punissez pas de ce que je n'ai pas assez de foi pour souhaiter, comme la mere de saint Louis, de voir mon fils mort plutot que souille d'un seul peche mortel! Pardonnez a ma faiblesse. Conservez la vie et la sante de mon enfant. Gardez-le du malheur de vous offenser. Mais si jamais il s'egarait du chemin de la foi et de la vertu, ramenez-l'y doucement et misericordieusement comme vous ramenates l'enfant prodigue a son pere!" Vous devinez mon emotion. Des larmes, que mon orgueil s'efforcait de retenir, coulerent abondamment. Dire que je fus converti ce jour-la, serait trop dire. On ne brise pas aussi promptement avec dix-huit ans d'impiete. Mais si je ne fus pas converti, je fus touche et ebranle. Des le jour meme, j'allai remercier le venerable cure de Saint-Maurice de m'avoir conserve mon banc de famille. Il me fallut insister pour rembourser a l'excellent homme les dix-huit annuites qu'il avait avancees pour moi au tresorier de la fabrique. "Voyez-vous? me dit-il, bon sang ne peut pas toujours mentir. On n'est pas impunement le rejeton d'une famille de saints. Je le savais, moi, qu'un jour ou l'autre vous viendriez occuper le vieux banc des Chauvigny. Il ajouta, en me prenant les deux mains et en me les pressant: --Je vous en prie, mon cher enfant, puisque vous etes alle a l'eglise, retournez-y. Vous consolerez les dernieres annees d'un vieux pretre qui honorait et aimait vos parents, et qui en fut estime et aime." Que vous dirai-je de plus? J'allai a la messe le dimanche suivant. La grace de Dieu fit le reste. * * * * * 11.--LA LETTRE D'UNE MERE. Un des premiers malades que je visitai a mes debuts, disait un medecin chretien, ce fut un jeune homme d'environ trente-cinq ans, que le desordre avait prematurement conduit aux portes de la mort. Je m'attachai a ce malheureux, et, ne pouvant le sauver, j'essayai d'adoucir ses souffrances. Froid, silencieux, strictement poli, mon malade acceptait mes remedes et mes soins sans croire beaucoup a leur efficacite. Il aurait voulu dormir toujours et ne cessait de me demander de l'opium. Je rencontrai dans l'escalier de la maison un vieux pretre qui me dit: --Monsieur, j'ai entendu dire que vous etiez chretien; rendez donc a ce malheureux jeune homme un service: dites-lui quelques mots de Dieu. Je lui ai fait, sans resultat, plusieurs visites. Il m'accueille poliment, mais c'est tout. Je suis sur qu'une parole de vous ferait plus d'effet que toutes mes exhortations. Je promis d'essayer. Le lendemain, je m'efforcai de faire causer mon malade et, comme il s'y pretait d'assez bonne grace, j'amenai la conversation sur le terrain religieux; le jeune homme s'en apercut et me dit d'un ton ferme: --Je vous en prie, monsieur, ne me parlez pas de religion; je n'y crois pas. --Vous croyez au moins a l'existence de l'ame? --Je crois a l'opium, dit-il en souriant, et au sommeil. Et il prit la position d'un homme qui essaie de dormir. A quelques jours de la, je fis une seconde tentative, qui tourna plus mal encore que la premiere. --Ecoutez, docteur, me dit le malade, j'ai etudie un peu de philosophie, et j'en sais assez pour ne pas croire a l'existence de l'ame. Et il se mit a developper quelques-uns des arguments de l'ecole materialiste. Ces erreurs, qui m'auraient choque dans la bouche d'un professeur eloquent, me parurent, dans cette mansarde et sur les levres de ce mourant, revoltantes et monstrueuses. Je sortis navre. Cependant nous continuions, le vieux pretre et moi, a soigner, sans plus de succes l'un que l'autre, le corps et l'ame de ce malade. Le corps marchait a grands pas au tombeau. L'ame s'en allait a la perdition eternelle. Un jour que je posais a ce jeune homme une ventouse, j'eus besoin d'un morceau de papier; j'apercus une espece de lettre posee a cote de son chevet, je la pris et j'allais m'en servir lorsque le jeune homme me saisit brusquement la main et m'arracha la lettre. Un peu surpris, je dechirai une feuille a un vieux livre et je fis mon operation. Le soir du meme jour, je retournai voir mon client qui baissait de plus en plus. Je l'apercus tenant a la main et s'efforcant de lire la lettre que j'avais voulu bruler le matin. --Docteur, me dit-il, voici la derniere lettre que ma mere m'a ecrite; il y a un an qu'elle ne me quitte pas et je l'ai lue plus de cent fois; je voudrais la relire avant de mourir; mes mains tremblent et ma vue s'obscurcit: soyez bon jusqu'a la fin, lisez-moi tout haut cette lettre. Je pris la lettre et j'en commencai la lecture. Non! jamais, depuis, je n'ai rien lu d'aussi tendre et d'aussi touchant. C'etait Monique ecrivant a Augustin. J'avais beau etre medecin, je n'avais que vingt-six ans et je venais de perdre la meilleure des meres: les sanglots etouffaient ma voix; je sentais des larmes venir a ma paupiere. Je regardai le malade: il pleurait silencieusement; mes larmes se melerent aux siennes. Tout a coup je me levai et m'ecriai: "Malheureux! pouvez-vous croire que celle qui a ecrit une semblable lettre n'avait pas une ame?" Il garda le silence et ses larmes coulerent plus abondamment. Le lendemain, il fit appeler le vieux pretre et eut avec lui un long entretien. Le surlendemain, j'appris qu'il avait recu les sacrements. Il vecut encore une semaine. Sa froideur polie n'etait qu'un masque cachant un coeur egare sans doute, mais bon et genereux. Il mourut entre les bras du vieux pretre et les miens, couvrant de baisers les pieds du crucifix et la lettre de sa mere. * * * * * 12.--UNE PREMIERE COMMUNION A QUATRE-VINGTS ANS C'etait en juillet 1875. Dans un petit village du canton de Castillon, diocese de Bordeaux, vivait un pauvre vieux menage octogenaire. Le mari etait un impie, connu pour tel dans le pays; il n'allait pas meme a la messe le dimanche. Helas! il n'avait pas fait sa premiere communion. La bonne femme, au contraire, avait toujours ete chretienne, et, avec l'age, elle etait devenue tres pieuse. Bien des fois elle avait essaye de faire entendre raison a son mari, qui l'aimait beaucoup; mais des qu'elle abordait le chapitre de la confession et de la communion, elle etait invariablement repoussee. Un jour elle tomba malade. Le medecin constata bientot la gravite du mal, et engagea la bonne vieille a mettre ordre a ses affaires. Elle n'eut pas de peine a se resigner, mais son pauvre mari etait comme atterre par la perspective de la separation. Il etait a moitie paralyse et cloue, a l'autre bout de la chambre, dans un grand fauteuil, regrettant tout haut de ne pouvoir donner a la chere malade les soins que reclamait son etat. La bonne femme etait, elle aussi, tres desolee, mais pour un motif tout autre: elle pleurait et priait, profondement attristee de laisser derriere elle, non converti et dans un aussi pitoyable etat de conscience, celui qui avait ete le compagnon de fa vie pendant de si longues annees. Au moment de recevoir les sacrements, elle tenta une derniere fois, mais en vain, de ramener son mari au bon Dieu. Cependant celui-ci suivait avec angoisse les progres du mal Quand il crut que les derniers moments approchaient, il appela deux voisins et leur dit en sanglotant: "Mes amis, portez-moi aupres de ma pauvre femme pour que je l'embrasse avant sa mort et pour que je lui dise adieu." Le lit ou gisait la moribonde etait un de ces grands lits d'autrefois, qui avancent dans la chambre et que l'on peut aborder des deux cotes. En voyant approcher son mari, la femme reunit ses forces et se tourne de l'autre cote. On porte le vieil infirme de ce cote-la; au grand etonnement de tous, la femme se retourne, en disant: "A quoi bon nous embrasser et nous dire adieu, si nous devons ne pas nous revoir dans l'eternite?" Le vieil incredule n'y tient plus. Il fond en larmes. "Si! si! ma chere femme, s'ecrie-t-il, nous nous reverrons, je te le promets! Je vais appeler M. le cure tout de suite, et je me confesserai. N'aie pas peur; je ne veux pas etre separe de toi pour toujours. Moi aussi, je vais servir le bon Dieu. Prie-le qu'il me pardonne." On etait en pleine nuit, et il etait trop tard pour faire venir immediatement le pretre. Mais, des le matin, on courut au presbytere. "Venez, vite, monsieur le Cure!--Comment! repond celui-ci, elle n'est pas morte?--Ce n'est pas pour elle, mais pour son mari, qui vous reclame pour se confesser tout de suite." Le cure accourt. Deja froide et sans mouvement, la bonne femme vivait encore et avait sa pleine connaissance. Elle regardait fixement son mari, a l'autre bout de la chambre. En voyant entrer le cure, un eclair de joie brilla dans ses yeux eteints, et, d'une voix mourante, elle murmura: "Je ne voudrais pas m'en aller avant de le voir converti." Le cure s'assied aupres du vieux mari; la confession commence; et, au premier signe de croix, l'heureuse femme rend le dernier soupir... Huit jours apres, a la messe du second service funebre celebre pour sa femme, le pauvre vieillard converti faisait sa premiere communion, a la grande edification de toute la paroisse. * * * * * 13.--LA SOUPAPE. Une actrice de Geneve avait une petite fille de onze ou douze ans. La mere, tout oublieuse qu'elle etait pour elle-meme de ses devoirs religieux, se souvint cependant qu'elle etait catholique et voulut que son enfant fit et fit bien sa premiere communion. Elle la conduisit en consequence chez l'abbe Mermillod[5], l'un des pretres les plus intelligents et les plus charitables de la ville, et le pria de vouloir bien instruire et preparer sa petite fille. Le pretre la recut avec une bonte qui lui fit une vive impression, et il fut convenu que sous peu de jours commenceraient les lecons de catechisme en presence de la Mere. [Note 5: Devenu depuis eveque et cardinal.] Quelques jours apres cette premiere entrevue, l'abbe Mermillod, revenant de la visite d'un pauvre malade, passa dans le quartier et dans la rue ou demeurait sa petite eleve. Il sonna a cette porte peu habituee a des visites de ce genre, et une servante vint ouvrir. Le pretre se nomma, et la servante le pria d'entrer, disant que sa maitresse avait donne ordre d'introduire M. l'abbe toutes les fois qu'il se presenterait. Cette bonne fille avait pris la chose a la lettre; elle conduisit l'abbe Mermillod aupres de la dame, laquelle etait a table avec une douzaine de convives, tous acteurs ou actrices, faisant bombance. Le pauvre abbe se trouva fort attrape et les convives aussi. Il voulut se retirer, s'excusa de la malencontreuse obeissance de la servante; mais la maitresse de la maison insista si fort pour qu'il voulut bien demeurer un peu, et elle lui dit, au nom de toute l'assistance, des paroles si honnetes, que force lui fut de demeurer et de prendre un siege. La petite fille etait a table aupres de sa mere et a cote d'une autre actrice qui paraissait avoir a peine vingt-trois ou vingt-quatre ans. L'abbe Mermillod, homme de coeur et d'esprit, n'etait pas de ceux qui ont peur des pecheurs. Il comprit qu'a cette table, au milieu de cette etrange compagnie, il y avait a faire quelque bien et que la Providence ne l'avait pas amene sans motif en pareil lieu. Il repondit donc le plus poliment qu'il put aux avances dont il fut l'objet, et il se gagna bientot la sympathie des convives. Ne sachant de quoi parler, il entra en conversation avec la petite fille, et lui demanda si elle se preparait a bien faire sa premiere communion. "Oui, monsieur, de tout mon coeur, dit l'enfant. Mais voici une, ajouta-t-elle en designant sa voisine, voici une dame qui aurait a vous dire quelque chose et qui n'ose pas." L'actrice rougit, et avoua avec un peu d'embarras qu'elle desirait beaucoup donner a la petite sa robe blanche de premiere communion. "C'est la une bonne et aimable pensee, reprit l'abbe; mais il y aurait, Madame, quelque chose de mieux encore, ce serait d'imiter cette bonne enfant et de remplir comme elle vos devoirs religieux." La pauvre actrice rougit de plus belle. "Cela m'est malheureusement impossible, dit-elle; ma profession est mon seul gagne-pain et elle m'interdit la pratique de la religion; et puis je n'ai pas fait ma premiere communion. Maintenant je suis trop agee.--On n'est jamais trop age pour revenir a Dieu, repondit doucement le bon pretre; et a votre age, Madame, il n'est jamais impossible de quitter une profession pour en prendre une autre plus chretienne et meilleure." "Ma foi, M. l'abbe a raison, dit un acteur en riant, et vous devriez bien vous confesser." L'actrice ne repondit rien, et la conversation devint bientot generale; on interrogeait le pretre sur la confession, sur la position des acteurs et actrices vis-a-vis de l'Eglise; de part et d'autre on ripostait vivement, mais sans aucune aigreur. Le diner fini, on se leva de table; les fenetres de la salle donnaient sur un magnifique lac. Un bateau a vapeur vint a passer. "Tenez, messieurs, dit l'abbe Mermillod, voici qui va vous faire parfaitement comprendre a quoi sert la confession. Vous voyez ce bateau a vapeur. Une force puissante fait mouvoir sa machine et le fait avancer rapidement; mais cette force elle-meme est un danger, un principe certain d'explosion et de destruction sans ce que l'on nomme la _soupape de surete_. Par cette soupape s'exhale le trop-plein de la vapeur, et le bateau et les voyageurs sont en surete. Ainsi en est-il de nous tous. Nous avons en nous des forces puissantes qui sont nos passions; a ces forces, a ces passions il faut une _soupape_, une ouverture sans laquelle nous sommes perdus. Eh bien! cette soupape, c'est la confession, c'est la confidence sainte et pure que Dieu nous a donnee comme le soulagement de nos coeurs, comme la consolation et la purification de nos consciences. Aussi remarque-t-on dans les pays protestants ou infideles, ou la confession est meconnue, beaucoup plus d'alienations mentales, beaucoup plus de suicides, beaucoup plus d'accidents moraux, que dans les pays ou l'on se confesse." Et l'abbe developpa cette these avec autant de force que de science, en l'appuyant de nombreux exemples. Il prit enfin conge de la compagnie, qu'il laissa toute charmee de son esprit et de sa bonte. La jeune actrice le reconduisit jusqu'a la porte. "Suivez donc M. l'abbe jusqu'a l'eglise, lui dit un des acteurs, et allez vous confesser tout de suite. Cela vous fera du bien.--Je ne dis pas non, reprit serieusement la jeune femme, et je ne vois pas qu'est-ce qui m'en empecherait." Et sortant avec le pretre, elle l'accompagna jusqu'a la porte d'entree. Se trouvant seule avec lui: "Monsieur, s'ecria-t-elle d'une voix tout etouffee de sanglots, Monsieur, vous m'avez sauvee! C'est la Providence qui vous a envoye pour moi dans cette maison. J'etais desesperee; ce soir, j'avais forme la resolution de me jeter dans le lac et d'en finir avec les douleurs de la vie; il y a quelques jours j'ai ete sifflee sur la scene et je ne veux plus y reparaitre. Je n'avais plus de ressource, plus d'amis sur la terre, je voulais me tuer. Maintenant je veux me confesser, je veux me confesser tout de suite!" Le pretre calma avec douceur cette pauvre femme, l'encouragea dans son bon propos. Il ajouta quelques conseils chretiens aux paroles qu'il avait dites pour tout le monde, et la jeune femme prit une heure pour se rendre le lendemain au confessionnal. Grace a une energique volonte, elle a quitte le theatre, et est devenue une bonne et fervente chretienne. * * * * * 14.--UNE MEPRISE QUI PORTE BONHEUR. Un soir de l'annee 1855, apres une laborieuse journee, l'abbe Baron[6], alors vicaire a Douai, etait rentre dans sa modeste demeure et se reposait de ses travaux apostoliques en recitant l'Office divin. On vint frapper a sa porte; il ouvrit, et une petite fille se presenta devant lui, le priant de passer, le plus tot qu'il lui serait possible, chez une pauvre dame qui se mourait et qui demeurait rue ***, n deg. 28. Le bon abbe voulut interrompre sa priere et se rendre aussitot avec l'enfant a l'adresse indiquee; mais la petite messagere lui dit que la chose n'etait pas urgente a ce point, et qu'on lui demandait seulement de ne pas remettre sa visite au lendemain, de peur d'accident. Le pretre prit donc l'adresse de la malade et dit a l'enfant de le preceder et d'annoncer sa visite tres prochaine. [Note 6: C'est celui qui s'est immortalise a la guerre de 1870, par son devouement heroique et les services eminents qu'il a rendus a l'armee francaise.] Quand il eut termine la recitation de son Office, le pieux abbe se mit en route, sans faire attention seulement qu'il pleuvait a verse et que le froid etait vif. Il s'agissait de sauver une ame, de consoler une douleur; qu'est-ce que le froid et la pluie devant un but pareil? Arrive dans la rue indiquee par l'enfant, le pretre entra au n deg. 18, convaincu que c'etait bien la le numero qu'on lui avait donne. La maison etait pauvre; il n'y avait pas de concierge. Le pretre monta l'escalier a tatons et frappa a la premiere porte qu'il trouva sous sa main. Un homme vint lui ouvrir et, apercevant l'habit ecclesiastique, entra dans une brutale colere, repondit par trois ou quatre injures a la demande polie du charitable pretre, qui s'informait si ce n'etait point ici la chambre de la pauvre femme malade, et enfin lui ferma la porte au nez. Patient et doux comme le divin Maitre, le pretre frappa a la porte suivante, ou il ne fut guere mieux accueilli. Il monta au second etage, un petit garcon etait dans le corridor. "Mon enfant, lui dit le bon pretre, pourrais-tu m'indiquer la chambre d'une pauvre dame qui demeure dans cette maison et qui est bien malade. Elle s'appelle madame Gerard.--Il y a bien a la porte la-bas au bout du corridor une pauvre dame tres malade, monsieur le Cure; papa disait meme qu'elle ne passerait pas la nuit; mais il me semble qu'elle ne s'appelle pas comme vous dites.--Le nom importe peu. Fais-moi le plaisir de me conduire a sa porte." Et l'enfant le conduisit. L'abbe ouvrit la porte, entra dans la chambre. Aupres d'un lit ou etait en effet une femme malade a l'agonie, etait assis un homme d'une cinquantaine d'annees, qui se leva et parut fort etonne a la vue d'un pretre. Celui-ci le salua avec affabilite et lui demanda comment allait sa pauvre femme; "car c'est sans doute votre femme, ajouta-t-il, et vous etes monsieur Gerard?...--Moi? repondit brusquement le maitre de la chambre; point du tout. Qui vous a dit de venir ici et de vous meler de nos affaires?--Mais on vient de m'envoyer chercher, repartit le pretre fort etonne. On m'a dit qu'une pauvre dame Gerard, malade a l'extremite, m'envoyait querir pour recevoir les derniers secours de la religion. Si je me suis mepris de rue, ou de maison, ou de chambre, il me semble du moins que la pauvre dame que voici n'a pas moins besoin de mon saint ministere. C'est le bon Dieu, sans doute, qui m'a conduit ici et qui a permis cette meprise." "Oh! oui, Monsieur! murmura d'une voix affaiblie la pauvre mourante, c'est Dieu qui vous a conduit ici.--Point du tout, dit le mari avec emportement. Voici plus de dix ans qu'un pretre n'a mis les pieds chez moi, et vous ne confesserez pas ma femme; elle est a moi, melez-vous de vos affaires!--Vous vous trompez fort, Monsieur, dit le pretre avec douceur et fermete. Votre femme est a Dieu avant d'etre a vous, et vous n'avez pas le droit de disposer de son ame. Si votre femme veut se confesser, je la confesserai; et mon devoir est de ne l'abandonner que si, de sa propre volonte, elle refuse mon ministere." Et s'approchant de la malade: "Madame, lui dit-il, desirez-vous vous reconcilier avec Dieu et mourir chretiennement?" La pauvre femme leva les mains au ciel et se mit a pleurer de joie. "C'est le bon Dieu qui a tout fait, dit-elle. Depuis plusieurs jours je prie mon mari d'appeler un pretre, et il m'a toujours refuse. Je veux me reconcilier avec le bon Dieu, qui a eu pitie de moi.--Vous l'entendez, Monsieur? dit le pretre en se tournant vers le mari: veuillez pour quelques moments me laisser seul avec cette pauvre dame."--Et ces paroles furent prononcees avec tant de fermete et de resolution, qu'il fut comme force de se retirer; ce qu'il fit en grommelant. "Voici, Monsieur, ce qui m'a sauvee," dit en pleurant la mourante. Et montrant au pretre un chapelet suspendu aupres de son lit: "J'ai eu la faiblesse de craindre mon mari plus que Dieu, et pour eviter des scenes, j'ai depuis dix ou onze ans abandonne la pratique de mes devoirs religieux; mais je n'ai jamais cesse de me recommander a la bonne sainte Vierge. Tous les jours, ou a peu pres, j'ai dit un bout de mon chapelet, et j'ai toujours conserve l'amour de la sainte Mere de Dieu. C'est elle, Monsieur l'abbe, qui vous amene a moi; c'est elle qui sauve ma pauvre ame!..." Profondement touche de cette scene attendrissante, le bon pretre consola la malade, l'aida a se confesser, lui donna l'absolution de ses peches, et lui dit, en la quittant, de se preparer de son mieux a recevoir le saint Viatique et l'Extreme-Onction, qu'il allait chercher a la paroisse voisine. En sortant, il voulut serrer la main du mari qui la retira, et qui rentra fort mecontent aupres de son heureuse femme. L'abbe avait regarde dans son calepin l'adresse de la malade, pour laquelle on etait venu le chercher, et il avait vu qu'au lieu du n deg. 18, c'etait le n deg. 28 qui lui avait ete indique. Tout en benissant le bon Dieu de son erreur bienheureuse, il se hata d'aller a ce n deg. 28, ou il trouva en effet la malade qui l'attendait. Il la confessa a son tour, puis, sans perdre de temps, il alla reveiller le sacristain de la paroisse; et prenant le Saint-Sacrement avec les saintes huiles, il revint aupres de ses deux malades; mais quand il entra a son cher n deg. 18, sa penitente venait d'expirer--Elle avait eu dans l'absolution sacramentelle le pardon de ses peches, et la ferveur de sa bonne volonte avait sans doute supplee aux yeux du Dieu de misericorde aux autres secours que le pretre lui apportait. Rempli de foi et de reconnaissance envers la sainte Vierge, refuge des pecheurs, consolatrice des affliges, le ministre de Dieu termina aupres de l'autre malade ce qu'il avait a faire; et c'est lui-meme qui a donne tous les details de cette touchante aventure. Elle montre une fois de plus quels tresors de benediction sont renfermes dans la piete envers Marie, et combien Jesus est misericordieux pour ceux qui aiment sa Mere. * * * * * 15.--HEROISME D'EN JEUNE NEOPHYTE. Dans un emouvant recit, le P. Hermann a raconte le bapteme et la conversion d'un de ses neveux, ne comme lui dans la religion juive. Rien de plus edifiant que cette histoire, dont les details semblent nous reporter aux premiers temps du christianisme. Il y a quelques annees, dit-il, un enfant, alors age de sept ans, vint avec son pere et sa mere, tous les deux juifs comme lui, me visiter au monastere des Carmes, pres de la ville d'Agen. C'etait a l'epoque des belles processions de la Fete-Dieu. On avait inspire a cet enfant une profonde horreur pour notre divin Crucifie: cependant la grace, se repandant avec profusion du fond de l'ostensoir ou Jesus daigne se cacher pour notre bonheur, se rendit victorieuse de cette ame si naive, si inaccoutumee a nos mysteres; elle attira ce jeune coeur a son amour avec une si forte vehemence et une si forte douceur que l'enfant crut a la presence reelle de Jesus-Christ dans le sacrement de son amour avant de connaitre aucune autre des verites de notre divine religion. Aussi, a force de prieres et de supplications, obtint-il l'insigne faveur de pouvoir revetir les ornements d'un de ces enfants de choeur qui, pendant les processions du Tres Saint-Sacrement, repandent des fleurs sous les pas de Jesus-Hostie. Ravi de joies et de consolations celestes, apres avoir rempli cette angelique fonction, il courut a son pere: "O mon pere! dit-il, quel bonheur! Je viens de jeter des fleurs au bon Dieu." Dans la bouche de ce petit enfant juif, c'etait toute une profession de foi nouvelle... Le pere, redoutant qu'on ne fit changer de religion a ce fils unique sur lequel reposait toute son affection, le surveilla dorenavant et voulut repartir avec lui pour Paris, lieu de sa residence. Mais, avant le depart, un trait, parti du coeur de la divine Eucharistie, avait frappe, penetre, presque renverse la jeune mere, l'avait rendue chretienne et, dans le plus profond mystere d'une nuit silencieuse, celle-ci avait recu le bapteme et l'Eucharistie des mains sacerdotales de son propre frere[7]. Le jour suivant, l'Eveque lui donnait le sacrement de confirmation. Rien n'avait transpire de ce pieux secret et la famille se remit en route pour Paris, sans se douter qu'il y eut une chretienne dans son sein. [Note 7: Le R. P. Hermann, qui raconte ce fait.] Le jeune Georges--c'est le nom de l'enfant--ne put oublier les saintes impressions que son ame avait puisees dans ces fetes chretiennes; il en parla souvent a sa mere, il la questionna, et celle-ci, heureuse de voir germer dans cette chere ame la semence de lumiere que la grace y avait jetee, ne se fit pas prier pour developper dans son esprit, avide de s'eclairer, la connaissance de ce Dieu d'amour, de ce doux Jesus qui a voulu naitre d'une fille de Jacob et se faire homme pour sauver les brebis d'Israel... Des ce moment, en effet, sa jeune intelligence et son coeur ardent n'etaient plus occupes que de la pensee et du souvenir de la divine Hostie qui avait blesse d'amour son pauvre coeur, et chaque soir, apres s'etre assure que son pere etait endormi, il rouvrait les yeux, il se mettait a prier longtemps le doux Enfant Jesus et a bien apprendre son catechisme. "O mon Jesus! disait-il, quand donc mon jeune finira-t-il? quand donc pourrai-je vous recevoir dans la sainte Communion et vous presser sur mon coeur!" Ce qui le preoccupait vivement, c'etait le changement qu'il avait remarque dans sa mere depuis ce voyage dans le Midi; il lui voyait d'autres habitudes, d'autres demarches, des principes et des gouts plus severes, et un jour il lui dit: "Mere, si vous ne m'assurez que vous n'etes pas baptisee, je le croirai." La mere, embarrassee, ne sut que repondre. "Ah! maman, reprit-il, je le vois bien, vous etes deja chretienne et j'espere que le bon Jesus me reunira bientot a vous et que nous ferons ensemble notre premiere communion..." La mere, tressaillant d'une emotion melee de joie et de crainte, osa avouer a son fils qu'elle recevait son Sauveur presque chaque matin... Alors l'enfant se mit a pleurer a chaudes larmes, a sangloter, a se jeter au cou de sa mere: "Oh! pourquoi ne m'avez-vous pas attendu? Au moins permettez-moi de me tenir tout pres de vous quand Jesus sera dans votre coeur, afin que je puisse embrasser avec respect ce divin Enfant si aimable... O mere bien-aimee, je vous en supplie, la prochaine fois, gardez-moi quelque chose de votre communion; une mere partage volontiers avec son enfant sa nourriture.." Et le jeune enfant se rapprochait alors de sa mere et baisait avec respect ses vetements. Ce desir dura quatre annees tout entieres. Dire les sacrifices, les efforts que dut faire ce pauvre enfant pour concilier l'obeissance qu'il devait a son pere avec sa foi vive, sa preoccupation unique de devenir chretien, d'apprendre a connaitre, a aimer, a servir Jesus-Christ, serait chose impossible. Ce fut un long martyre... A onze ans, Georges assiste a la solennite d'une premiere communion dans sa paroisse. Il connait Jesus, il aime Jesus, il ne desire que Jesus!... son petit coeur est tout brulant de soif pour Jesus. Il voit tous ses compagnons d'enfance, ses amis, s'approcher legitimement de la table sainte, et lui, il doit se cacher dans un coin obscur de l'eglise, devorant ses larmes, lancant a tous ces heureux enfants des regards d'une inconsolable et sainte jalousie!... Quelques mois apres cette fete de sa paroisse, la mere m'ecrivait qu'elle ne pouvait resister aux larmes de son fils qui menacait d'aller demander le bapteme au premier pretre qu'il pourrait attendrir sur son sort. On pesa murement toutes les difficultes de sa position vis-a-vis d'un pere cheri, mais pour qui l'heure de la foi en Jesus-Christ n'avait pas encore sonne et qui s'armait de toute son autorite pour empecher son fils de devenir chretien. L'amour de Jesus-Christ fut le plus fort, et il fut decide que je viendrais en secret a Paris. Il fallait le voir, cet enfant, lorsqu'il entra dans la chapelle, conduit par sa mere! Celle-ci tremblait d'etre surprise dans cette pieuse soustraction a la surveillance paternelle. Avec quelle piete le petit Georges se mettait a genoux, calme, heureux, fort de sa resolution, le visage rayonnant d'une sainte allegresse!--Que demandez-vous, mon enfant? lui dis-je alors.--Le bapteme.--Mais savez-vous bien que demain, peut-etre, on voudra vous contraindre a entrer dans la synagogue, afin de participer a un culte aboli?--Ne craignez rien, mon oncle, j'abjure le judaisme.--Mais si l'on voulait avec menaces vous obliger a fouler aux pieds le Crucifix, en haine de notre divine religion?--N'ayez pas peur, mon oncle, je mourrais plutot. Cependant, ajouta-t-il, si on me liait pieds et mains, et si malgre mes cris, ma protestation et ma resistance, on me portait dans la synagogue et on placait mes pieds sur le visage du Crucifix, y aurait-il apostasie, si ma volonte resistait?--Non, mon enfant, la volonte seule constitue le peche.--Alors, je demande le bapteme. De grace, accordez-le-moi." La ceremonie continue au milieu de la plus profonde emotion des assistants. Apres le bapteme, vint la sainte messe, et apres avoir faire descendre et recu mon Dieu dans les transports de la reconnaissance, je me retournai et montrai a l'heureux enfant l'objet de tous ses voeux, de tous ses desirs. Jamais spectacle plus attendrissant n'avait frappe les regards de la foi chretienne!... Agenouille entre sa mere et sa marraine, il aspira dans un divin baiser et recueillit dans son coeur ce doux Jesus qui venait lui apporter tout son ciel avec lui... Rien ne troubla son bonheur, pas meme la crainte d'etre surpris par son pere... Quelques semaines apres, il communia encore pour la Toussaint avec la meme allegresse, et puis vint l'heure de l'epreuve. Son pere lui presenta un livre et lui dit: "Faisons la priere.--Mon pere, je ne puis pas prier dans ce livre des Israelites.--Et pourquoi?--Je suis chretien, je suis catholique.--Mon enfant, tu te livres a un jeu cruel! tu ne parles pas serieusement, je pense. Du reste, tu sais bien que ton bapteme ne serait pas valide sans le consentement de ton pere.--Pardon, mon pere, dans notre sainte religion catholique, il suffit d'avoir l'age de raison et l'instruction religieuse pour etre baptise validement." Le pere dissimula d'abord sa violente irritation; mais quelques jours apres, il enlevait son fils, partait avec lui et le conduisait dans un pays protestant, a quatre cent cinquante lieues de sa mere. Tous les efforts qu'on fit pour decouvrir l'asile ou l'on avait relegue le pauvre enfant demeurerent inutiles. On avait mis en mouvement toutes les autorites civiles et politiques pour le chercher; mais comme il avait ete place sous un nom suppose dans un pensionnat dirige par des heretiques, toutes les demarches furent sans succes, et la mere resta seule... et l'enfant, comme Daniel dans la fosse aux lions, fut en butte a des assauts acharnes pour lui faire renier sa foi. "Je voudrais revoir ma mere, s'ecriait-il souvent en versant d'abondantes larmes.--Tu la reverras, lui repliquait-on, si tu abjures.--Oh! non, je suis chretien, je suis catholique et je prefere tout souffrir plutot que de renoncer a ma foi." Et malgre cette heroique fidelite, on ecrivait a la mere que son fils etait rentre dans les tenebres du judaisme. Mais elle avait confiance en Jesus, en Marie, en Joseph, elle n'en crut rien, et ne sachant que devenir toute seule a Paris, elle alla se refugier a Lyon, ou elle fut accueillie par la marraine de son fils. Bien souvent, on vit tomber ses larmes sur la Table Sainte ou elle venait puiser des forces dans la reception du Pain quotidien, de ce Jesus pour l'amour duquel elle s'etait exposee a la cruelle separation de son fils unique. Trois mois se sont ecoules encore, et une lettre venue du fond de l'Allemagne lui dit: "Venez, votre fils est ici." Elle accourt, et apres un penible et long voyage de plus de cinq cents lieues, au moment ou elle apercoit sa famille, elle s'ecrie: "Mon fils! ou est mon fils?--Votre fils, vous ne le reverrez qu'apres avoir fait serment devant Dieu que vous l'eleverez dans la religion juive et que vous ne manifesterez par aucun signe exterieur la religion catholique que vous avez embrassee." Apres quelques semaines d'une dechirante agonie, le coeur du pere se laisse attendrir, et il permet une entrevue en sa presence, a la condition qu'il ne sera point question de religion. Le fils s'est jete au cou de sa mere, celle-ci l'a baigne de ses larmes, ils n'ont pu prononcer les doux noms de Jesus et de Marie; mais dans une lettre, ma pauvre soeur me disait: "Il n'a rien pu me dire, mais j'ai compris, j'ai senti, je suis sure qu'il est reste fidele. Oui, j'ai senti dans ses regards, dans ses tendres baisers que mon fils est toujours chretien." Mais le pauvre Georges se trouva de nouveau prive du tresor pour lequel il avait affronte toute cette persecution religieuse: il s'etait fait chretien pour pouvoir communier, et voici que depuis la Toussaint jusqu'a Paques une severe surveillance l'avait empeche de se rendre a l'eglise et il se trouvait place dans une pension, dans une ville ou il n'y avait pas un seul pretre catholique... Peut-on se figurer cette torture?... Plusieurs mois se passent encore. Un jour, (jour secretement fixe d'avance), il parvient enfin a se soustraire a la surveillance de ceux qui le gardent, il va jouer dans un bois; mais ce ne sont pas des fleurs ni des papillons qu'il cherche; son regard emu attend un messager du ciel... Un monsieur passe pres de lui et le regarde avec un interet marque: c'est bien lui. Savez-vous qui c'etait? C'etait un pretre missionnaire que la mere du petit Georges avait attendri sur son sort. Il s'etait deguise et etait venu se promener, comme par hasard, dans ce meme bois, et le pauvre enfant put faire pour la premiere fois sa confession depuis son enlevement, qui remontait a dix mois. Il la fit dans un bois, a l'ombre d'un arbre protecteur... Mais ce n'etait pas tout: comment communier? Le pretre dut repasser le fleuve (l'Elbe) qui separait sa mission du lieu habite par le pauvre neophyte. On pria, on etudia le terrain, et enfin, quelques jours apres, le missionnaire se deguisa de nouveau, prit sur lui un petit vase d'argent renfermant tout le tresor des cieux, la sainte Hostie, et s'embarqua sur un bateau a vapeur, au milieu d'une foule stupide qui ne se doutait pas que Jesus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, etait cache sur la poitrine de cet heureux pretre. L'enfant avait pu s'echapper de l'ecole pour accourir dans la chambre de sa mere, et la, dans cette chambre ou il avait improvise un petit autel couvert de fleurs et de lumieres, tous deux a genoux ils attendaient la visite si ardemment desiree du Sauveur Jesus en personne qui voulait bien condescendre a venir les fortifier dans leur exil. Enfin le pretre, traversant sans obstacle tous les dangers de cette perilleuse entreprise, arriva avec son depot precieux, et dans ce pays sans foi, dans cette ville sans pretre, sans eglise catholique, et dans cette modeste chambre, l'enfant put accomplir le devoir pascal et s'unir a son Jesus. Voici ce qu'il m'ecrivit quelques jours apres: "Quand je me reveille la nuit, o mon cher oncle, pour penser a toutes les graces que le bon Jesus m'a faites depuis que je suis ici, loin de tout secours religieux, quand je pense surtout a la communion que j'ai pu faire presque miraculeusement dans la petite chambre de maman, je me mets a bondir de joie sur mon lit et a mordre ma couverture dans le transport de ma reconnaissance." Quelques mois apres, il m'ecrivait encore: "Nous sommes a la veille de Noel, et a l'approche de cette solennite la surveillance redouble pour m'empecher de recevoir mon Dieu. Helas! devrai-je passer ces belles fetes dans un douloureux jeune, prive du pain de vie? Priez le saint Enfant Jesus que mon jeune finisse bientot. Il faut que je sois bien sage pour dedommager maman de ne pas se trouver a Lyon pendant que vous y prechez." Ici se termine le touchant recit du P. Hermann. Depuis lors, Georges a ete rendu a sa mere, et ils ne se sont plus separes. Le bon religieux revit, trois ans apres lui avoir donne le bapteme, cet enfant cheri qu'il ne cessa de diriger jusqu'a sa mort. * * * * * 16.--LES DEUX AMIS. Il y a quelques annees, en me rendant a Paris, raconte un homme du monde, je me detournai de la route directe pour aller prier sur la tombe d'un de mes jeunes compatriotes, Alexis ***. Descendu de voiture, j'etais bientot arrive au cimetiere. Je me mis a le parcourir dans toutes les directions, m'arretant devant chaque tombe, lisant toutes les inscriptions sans pouvoir decouvrir le nom que je cherchais. Je commencais a desesperer d'y parvenir, quand j'apercus un officier qui etait a l'extremite opposee. J'allai droit a lui: nous nous rencontrames pres d'une place ou la terre avait ete fraichement remuee; au milieu, une petite croix de bois apparaissait a peine entre quelques rares gazons. Nous echangeames un salut; je prononcai le nom d'Alexis. "C'etait mon meilleur ami, dit-il; vous le connaissiez donc?--Je suis entre ici pour chercher sa tombe et pour y prier.--Et voici precisement le lieu ou il repose." Ce mot dit, il s'agenouilla; j'en fis autant; nos prieres s'elancerent a la fois du fond de nos coeurs vers le ciel. Quand nous fumes releves: "J'avais encore un autre desir, lui dis-je, et il est en votre pouvoir de l'accomplir. Vous etiez, m'avez-vous dit, l'ami intime d'Alexis; vous avez sans doute assiste a ses derniers moments; ce serait une consolation pour moi que d'en entendre le recit de votre bouche.--Vous ne pouviez vous adresser mieux qu'a moi, monsieur. Mais, pour apprecier combien sa mort a ete belle, il est necessaire de remonter plus haut. Je vous raconterai l'histoire de quelques annees de sa vie; ce sera la mienne aussi. "Nous sommes entres le meme jour, Alexis et moi, a l'Ecole militaire; des notre premiere entrevue, une secrete sympathie nous attira l'un vers l'autre. Nous eumes le bonheur d'entrer dans le meme regiment. Il eut ete difficile de se figurer deux caracteres mieux en harmonie que les notres. Graves, serieux, reserves, nous prenions en horreur les plaisirs coupables. Nous ne trouvions aucun attrait pour les plaisirs bruyants. Nous ne quittions l'etude que pour discourir entre nous des matieres que nous venions d'apprendre, et, chose deplorable! nous n'avions de foi qu'en nous-memes, et toutefois, sur ce point-la meme, il y avait entre nous une grande difference. Alexis etait _incredule_, moi j'etais _impie_. S'il m'arrivait de tourner en derision des choses saintes, cet excellent Alexis me blamait; il m'adressait des reproches severes, bien que toujours affectueux. L'hiver venu, nous allames, chacun de notre cote, en semestre. A notre rentree au regiment, apres quelques paroles d'amitie echangees entre nous, "Eh bien, Alexis, lui dis-je en souriant, as-tu fait tes Paques avant de partir?--Non, repliqua-t-il d'un ton sec qui indiquait assez que la question lui avait deplu.--Je veux parier avec toi, repris-je, que ta mere t'aura bien persecute pour cela.--Elle m'y a exhorte tendrement; mais je lui ai dit que j'avais trop peu de foi pour bien communier, et que, grace a Dieu, j'en avais encore assez pour ne vouloir pas communier mal. Prenez patience et priez pour moi, en attendant qu'il me soit possible de vous satisfaire: ce jour ne tardera pas a venir, je l'espere. Oui, je l'espere!" repeta-t-il en se tournant vers moi et en appuyant fortement sur ce dernier mot. "En ce moment, je ne sais quel genie infernal s'empara de moi: sans respect pour l'amitie, sans egard pour les lois de la politesse, j'eclatai grossierement de rire. Mais je ne tardai pas a m'en repentir, quand je vis quelle blessure mon indigne conduite avait faite a son coeur. "Tu m'as fait de la peine, me dit-il. Ce n'est pas bien... je ne m'attendais pas a cela de ta part... moi qui te croyais un si bon coeur..." Tels furent ses reproches; il y avait a la fois dans l'accent de sa voix et dans l'expression du regard qui l'accompagnait quelque chose de si profondement triste et douloureux, que je fus saisi de confusion. "J'ai eu tort... me pardonneras-tu?... cela ne m'arrivera plus..." Je ne pus en dire davantage; lui, aussitot ... l'excellent homme! de m'ouvrir ses bras, dans lesquels je me precipitai: notre amitie etait devenue plus etroite que jamais. "Un jour, nous etions alles ensemble a l'hopital visiter quelques-uns de nos soldats. Un de ces malheureux venait de rendre le dernier soupir. "C'est triste, dis-je a Alexis, de voir un militaire mourir dans son lit comme une vieille femme. Je ne connais qu'une belle mort pour nous autres... le boulet de canon!--Si on est prepare, reprit-il; car pour moi, je ne connais pas de mort plus triste que celle qui vous frappe en traitre...--Je t'entends, tu ne voudrais pas mourir sans confession...--Pauvre ami!... Ainsi donc, incorrigible!... Tu m'avais cependant promis..." Et apres un court intervalle de silence: "Tu l'as dit, je desire et je desire vivement ne pas mourir sans confession... J'ai meme... il faut que tu l'entendes de ma bouche... j'ai pense que si je venais quelque jour a tomber malade, je m'adresserais a toi pour aller chercher un pretre; et je puis compter que tu me rendras ce service, n'est-il pas vrai?" Il remarqua la surprise que me causait une telle demande; il insista: "Tu me le promets, mon ami?..." Et il me tendit la main... J'hesitai encore; mais la pensee que mon refus affligerait ce bon ami l'emporta en ce moment sur toute autre consideration: je pris sa main, je la serrai dans les miennes; je lui promis, de mauvaise grace, il est vrai, ce qu'il me demandait; mais il n'eut pas l'air de s'en apercevoir, et il me remercia affectueusement. "Des que le pauvre Alexis fut atteint de la maladie dont il mourut, je ne le quittai plus. Je m'etais etabli dans sa chambre; le jour, j'etais constamment a le garder; je le veillai toutes les nuits. Un matin, le medecin venait de faire sa visite accoutumee. Il avait remarque un grand changement en lui; des symptomes facheux s'etaient manifestes; ses traits etaient visiblement alteres. Alexis se tourna vers moi, souleva peniblement sa tete appesantie et s'efforca vainement de parler; ses regards inquiets m'interrogerent; il me sembla qu'il me disait: "Tu as oublie ta promesse... Et moi qui avais compte sur ton amitie!...--J'y vais, j'y vais!" Je ne dis que ce mot, et j'etais parti comme un trait. En entrant chez le cure de la paroisse, je me sentais combattu entre le sentiment de la piete fraternelle et je ne sais quelle mauvaise honte. "Monsieur, lui dis-je, j'ai un ami dangereusement malade; il m'a demande de vous aller chercher: je n'ai pu qu'obeir; car le voeu d'un ami, et surtout d'un ami mourant, est une chose sacree." Nous nous dirigeames vers la maison du pauvre malade; j'introduisis le pretre dans la chambre, et je les laissai seuls. "Apres une demi-heure d'attente, je fus rappele; une ceremonie religieuse se preparait. J'etais debout au pied du lit. Au moment ou elle commenca, je deliberais en moi-meme si je garderais la meme attitude. Mais si je me comporte ainsi, ne vais-je pas blesser le coeur de mon ami?... Je n'hesitai plus; mon genou orgueilleux flechit, et il resta ploye pendant tout le temps que le pretre fit les onctions sacrees. Et cependant, a quoi pensais-je dans un tel moment?... A prier?... Helas! je n'en avais plus le souci; j'etais a me demander comment un esprit aussi distingue que l'etait Alexis put etre dupe de semblables momeries. Telles etaient les detestables pensees qui m'obsedaient; voila en quel abime j'etais tombe, o mon Dieu!... "Il ne restait plus qu'a accomplir une derniere ceremonie, la plus importante de toutes. Le pretre ouvrit une boite d'argent; il en tira avec respect une hostie consacree, et la presenta au malade, qui recueillit un reste de forces et se souleva pour recevoir son Dieu. Je le regardai. Oh! comment rendre l'impression dont je fus saisi a son aspect? Ses mains s'etaient jointes, et elles s'eleverent au ciel, et ses yeux aussi. Comme une glace limpide, ils reflechissaient les plus belles vertus, la foi, l'esperance et l'amour... Je baissai la tete: un sentiment inconnu, nouveau, avait traverse mon esprit; penetre d'admiration pour mon ami, j'en etais venu a rougir de moi-meme. "Apres que le cure se fut retire, Alexis me tendit la main; je l'arrosai de mes larmes. "Mon ami, dit-il, je te remercie; je n'avais pas attendu moins de toi!..." Et, apres une courte pause, il ajouta: "Je suis heureux maintenant!" Qui pourrait produire l'accent avec lequel il prononca ses paroles? ... Ce n'etait pas l'accent d'un homme, non: si les anges ont une langue pour exprimer leurs pensees, c'est ainsi qu'ils parlent. "Je suis heureux!" Pauvre jeune homme! Et il se voyait mourir a la fleur des ans, lui, dote des dons les plus precieux de l'esprit et du coeur, lui, cheri de ses amis, adore de sa famille! et il mourait loin de celle-ci, il mourait lentement, dans des souffrances aigues! Qui donc pouvait lui inspirer des sentiments semblables?... Qui?... A la foi seule il appartient de repondre a cette question. "Et la religion qui opere un tel prodige serait-elle donc un jeu d'enfant?... Non, me disais-je, elle est reellement divine... Il pressentait ce qui se passait au dedans de moi, et il m'interrogea d'un regard; je lui avouai tout en fondant en larmes. "Mon Dieu, s'ecria-t-il, je vous benis! C'est maintenant que je puis le dire en toute verite et dans l'effusion de mon coeur: Je suis heureux!" "Pendant la premiere periode de sa maladie, la douleur arrachait a Alexis d'assez frequentes marques d'impatience; maintenant, pas un murmure, pas une seule plainte. Il semblait que le Dieu qui venait de descendre dans son sein y eut depose un tresor de douceur, de resignation et de paix. Ainsi se passerent ses derniers jours. Vous n'exigerez pas, monsieur, que je m'etende davantage sur cette douloureuse catastrophe. Helas! quand je m'y porte par la pensee, les paroles me manquent pour rendre ce que je sens; je ne sais plus m'exprimer que par mes larmes." L'officier s'etait tu, sa tete s'etait inclinee sur sa poitrine. Je respectai son silence. Il reprit la parole et continua: "Apres que nous lui eumes rendu les derniers devoirs, au retour de la ceremonie funebre je m'enfermai dans ma chambre et j'y restai jusqu'au soir. A l'entree de la nuit j'allai chez le cure. "Monsieur, lui dis-je en entrant, je viens vous remercier...--Et de quoi donc? interrompit-il avec un accent gracieux; je n'ai fait que mon devoir; c'est la une des fonctions les plus essentielles de notre ministere, et une des plus douces aussi quand nous trouvons des ames disposees a l'accueillir comme l'etait votre ami. Oui, j'en ai la ferme conviction, nous pouvons compter en lui un protecteur dans le ciel----Monsieur, c'est a moi plutot a vous remercier... Je vois que vous ne soupconnez pas le veritable motif qui m'amene ici... Pendant que vous administriez les derniers sacrements a mon ami, j'etais la (vous vous le rappelez peut-etre) a genoux au pied de son lit. J'etais tombe a terre incredule; je l'ai vu communier et je me suis releve chretien. Chretien! qu'ai-je dit? Ah! je ne le sens que trop, je suis indigne de porter un si beau nom.--Je puis des ce moment vous le donner, ce nom," dit le pretre; et me serrant tendrement entre ses bras: "Oui, mon frere! mon cher frere! quiconque veut sincerement revenir a Dieu, celui-la est reellement et dans toute la force du terme un chretien.--Maintenant, mon Pere, j'avais un second but en venant vous voir. J'ai prepare ma confession tout a l'heure, et je vous prie de m'ecouter--Et, sans attendre de reponse, j'etais tombe a ses pieds. Que vous dirai-je de plus, monsieur! De ce jour date ma conversion..." * * * * * 17.--TEL EST PRIS QUI CROYAIT PRENDRE. O Jesus! on me demande de parler, de dire comment je suis redevenu chretien. On m'affirme que c'est pour la gloire de votre Sacre Coeur... Des lors, comment resister?... Je parlerai donc; et puissent beaucoup de pecheurs que je connais, qui sont mes amis, dont l'ame m'est infiniment chere, se convertir comme moi! De ma premiere enfance il ne me reste que des souvenirs tres vagues; cependant je vois toujours une grande image qui surmontait la statue de la Vierge, et devant laquelle ma mere me faisait prier: c'etait Jesus montrant son Coeur. Cette image me fascinait en quelque sorte, parce que ma mere me disait: "Jesus te voit, et si tu n'es pas sage, il te chassera de son Coeur." Le soir de ma premiere communion, quand, selon la coutume, nous nous agenouillames pour la priere en famille, je promis bien a Jesus de l'aimer toujours: en retour, je lui demandai de me garder dans son Coeur... Mais, helas! les passions l'emporterent bientot, je le dis pour l'instruction des jeunes gens; je fus victime de ces deux fleaux terribles qui, de nos jours, les font mourir presque tous a la vertu et a l'honneur: les mauvaises compagnies et les lectures dangereuses. A vingt ans, j'etais le premier debauche de ma ville natale. Pendant trente ans, j'ai entasse crimes sur crimes.... Je fus soldat, et Dieu sait la vie que j'ai menee!... On m'envoya en Afrique a cause de ma mauvaise conduite. N'osant plus me montrer a ma famille, j'y restai longtemps; il fallut revenir cependant. Que faire? Me voila ouvrier errant, cherchant de l'ouvrage de ville en ville, oblige parfois de tendre la main, couvert de honte. J'etais descendu aux derniers degres de l'impiete; je me trainais dans la fange des passions. Ah! je rougis en ecrivant ces lignes. Mais c'est pour la gloire de votre Sacre Coeur, o Jesus!... Paray-le-Monial, comme par hasard, se trouve sur ma route. La ville etait en fete; des oriflammes brillaient aux fenetres; des arcs-de-triomphe etaient dresses; une foule immense remplissait les rues; l'air retentissait d'un chant qu'il me semble entendre encore: "Dieu de clemence, o Dieu vainqueur!..." Surpris, je m'adresse a une pauvre femme: --Qu'est-ce donc, lui demandai-je? --Comment! vous ne savez pas? C'est le grand pelerinage... --Ah!... quel pelerinage? pour quoi faire? --Mais pour honorer le Sacre Coeur de Jesus! --Le Coeur de Jesus! ou est-il donc? Peut-on le voir?... --Vous savez bien que non; mais il s'est manifeste a une religieuse de la Visitation, a la Bienheureuse Marguerite-Marie; il lui a recommande de le faire honorer par les hommes. --Ou est-elle, votre Visitation? Et, sur les indications de la pauvre femme, je me dirige de ce cote: tous les sarcasmes, lus dans les journaux de cabarets contre les pelerinages, me revenaient a l'esprit; je regardais avec ironie ces hommes qui marchaient gravement, une croix rouge sur la poitrine; et malgre tout cela, j'eprouvais une certaine emotion. En passant a cote d'un groupe de jeunes gens, je fus meme frappe de ces paroles: Pitie, mon Dieu! pour tant d'hommes fragiles Vous outrageant sans savoir ce qu'ils font! Faites renaitre en traits indelebiles Le sceau du Christ imprime sur leur front. J'arrive a la Visitation; je veux penetrer dans la chapelle; mais elle etait pleine. En attendant que la foule se fut ecoulee, je regardais autour de moi; a quoi pensais-je? Je ne m'en rends pas compte. Mes regards sont attires par de grands tableaux en toile blanche sur lesquels des inscriptions etaient gravees en lettres rouges. Je lis: _Promesses de Notre-Seigneur Jesus-Christ a la Bienheureuse Marguerite-Marie_. Je passe d'un tableau a l'autre, c'etaient des phrases absolument vides de sens pour moi..., des mots auxquels je ne comprenais rien: grace, ferveur, misericorde, tiedeur, perfection!... Mais tout a coup une ligne me frappe: _Je donnerai aux pretres le talent de toucher les coeurs les plus endurcis_. Toute mon impiete me saisit. Toucher les coeurs les plus endurcis! Voila ce qu'ils ecrivent!... Eh bien! nous verrons... Pourquoi ne pas essayer? Prenons-les au mot. Demandons un pretre... Quelle parole pourra bien lui etre inspiree pour toucher un coeur endurci comme celui-la?... Et je ricanais en me frappant la poitrine. Au meme moment, une religieuse passait a cote de moi; je me retourne brusquement: --Je voudrais parler a un pretre, a un pretre de Paray-le-Monial. Elle m'introduit dans une petite chambre dont les murs, blanchis a la chaux, portaient des inscriptions noires; je n'y fais pas attention. J'avais ma fameuse phrase comme une arme invincible contre tous les pelerins du monde! et je repetais en riant: _Je donnerai aux pretres le talent de toucher les coeurs les plus endurcis._ Que va-t-il me dire? Bientot, un pretre entre. Nous sommes en face l'un de l'autre. Quelques secondes s'ecoulent... Il me regarde, attendant que je lui parle. Moi, je n'avais dans tout mon etre que l'impiete et l'ironie; et pourtant un tremblement passager me saisit. Le pretre s'en apercoit: --Eh bien! mon ami, me dit-il. Ce seul mot me rend tout mon aplomb et toute mon arrogance. --Votre ami!... Ah! vous ne me connaissez guere. Je n'ai pas la foi, moi! Je ne crois pas un mot de tout ce que vous me dites, et de tout ce que vous ecrivez. Appelez-moi excommunie, mecreant, paien, tout ce que vous voudrez; mais votre ami! a d'autres... Longtemps je lui parle sur ce ton. La phrase lue sur le tableau blanc retentissait a mes oreilles avec l'ironique question: "Que va-t-il me dire?" Le pretre etait devenu pale; mais pas un geste d'indignation ne s'etait manifeste en lui. Sans repondre a mes propos impies, il me fait de nombreuses questions. Je riais... il le voyait bien; mais il ne comprenait pas le signe de tete qui accueillait toutes ses demandes, et qui voulait dire: "Ce n'est pas cela!" J'etais vainqueur... je triomphais. J'allais eclater de rire et lui avouer tout... quand, soudain... ah! j'en fremis encore: --_Mon ami, avez-vous toujours votre mere?_ Dieu! quelle reaction se produit en moi! Coeur de Jesus, vous m'attendiez la! Mon coeur se fond: les larmes jaillissent; mon corps tremble. --Ma mere! vous me parlez de ma mere! Mais c'est vrai!... le Sacre Coeur de Jesus!... Oh! je vois l'image devant laquelle je m'agenouillais petit enfant, a cote de ma mere! ... Je relis ces lignes que sa main mourante m'a ecrites, malheureux! auxquelles je ne fis presque pas attention: "Mon enfant, je t'ecris de mon lit d'agonie; je meurs du chagrin que tu m'as cause; mais je ne te maudis pas, parce que j'ai toujours espere que le Sacre Coeur de Jesus te convertirait." Oh! ma mere!... Tenez, Monsieur, j'avais lu a l'entree de la chapelle que le Coeur de Jesus donnait aux pretres le talent de toucher les coeurs endurcis. J'etais venu pour savoir ce que vous me diriez, pour me moquer de vous. Je le sens; vous m'avez converti. Le pretre etait tombe a genoux. Il priait et il pleurait. Quand j'entrai dans le sanctuaire du Sacre Coeur, ce fut pour aller me prosterner dans un confessionnal. Ce fut, quelques jours apres, pour m'approcher de la Table sainte. Et maintenant, que tout cela soit pour la gloire de votre Sacre Coeur, o Jesus! --Pretres! aimez le Sacre-Coeur, et vous convertirez des ames. Meres de famille qui pleurez sur les egarements de vos fils, priez pour eux le Sacre Coeur de Jesus." * * * * * 18.--COMMENT ON OBTIENT ON MIRACLE. Il y a quelques annees,--c'est un missionnaire qui raconte le fait,--j'avais dit en chaire quel es enfants pieux pouvaient convertir leur famille. Dieu permit qu'une enfant innocente et pure se trouvat dans mon auditoire; son pere et sa mere l'aimaient comme une fille unique qui doit heriter d'une grande fortune; c'etait leur bonheur, leur joie, leur amour. Le lendemain, pres du saint tribunal, je vis une enfant agenouillee comme un ange; je l'ecoutai. La pauvre enfant ne pouvait parler, les sanglots etouffaient sa voix, elle avait les larmes aux yeux. --Mon pere, vous avez dit que les enfants sages qui avaient une foi vive convertiraient leur pere et leur mere. Depuis que je vous ai entendu, j'ai prie, j'ai pleure, mon pere et ma mere ne sont pas convertis. --Mais, ma pauvre enfant, ce miracle, je vous le promets. Il s'accomplira, pourvu que votre foi soit constante. Et j'ajoutai: "Je vais vous preparer moi-meme a la premiere communion." Elle revint les jours suivants, le temps passa bien vite. La pauvre enfant disait toujours: "Mon pere, le miracle ne se fait pas; mes parents ne sont pas meme venus vous entendre." La veille de la communion arriva. Apres avoir recu l'absolution, la pieuse enfant se releve heureuse. Elle ne parlait pas; dans le chemin elle rencontre une de ses jeunes compagnes et parentes, qui l'embrasse avec effusion et lui dit: "Quel bonheur! mon pere et ma mere doivent communier demain avec moi." Alors la pauvre enfant devint triste, et ses yeux se mouillerent de larmes. Son pere et sa mere l'attendaient cependant, et ils se disaient: "Comme elle va etre heureuse!" A la vue de ses yeux gonfles par les pleurs, la mere la presse sur son coeur et lui dit: --Mon enfant, tu nous avais annonce que tu serais si heureuse la veille de ta premiere communion! --Ma mere, je suis malheureuse aujourd'hui. Et le pere, temoin muet de cette scene, ne put s'empecher de verser des larmes et de dire: "Mon Dieu! que faut-il donc pour la rendre heureuse?" Aussitot l'enfant quitte les bras de sa mere, se jette dans ceux de son pere en s'ecriant: --O pere! si vous vouliez! --Mais, ma fille, nous ne vivons que pour toi; dis-moi, que faut-il faire? --C'est vous qui etes la cause de ma tristesse. --Nous? repond la mere. --Moi? repond le pere etonne. --Helas! reprit l'enfant. J'etais heureuse il n'y a qu'un moment; mais ma cousine est venue me dire: --Tu ne sais pas, Berthe? mon pere et ma mere communient demain avec moi. Alors je me suis dit pendant le chemin: "Et moi, demain, je serai donc heureuse toute seule!" Le pere et la mere n'y tinrent plus; les larmes coulerent de leurs yeux. Ils embrasserent cet ange, et lui dirent: "Oui, demain, tu seras seule; mais dans quelques jours tu renouvelleras. Alors nous serons heureux tous les trois." Le surlendemain, ajoute le missionnaire, l'enfant triomphante m'amenait son pere et sa mere en me disant: "Mon Pere, vous aviez raison, le miracle est fait; nous serons, dans quelques jours, tous les trois unis a la Table sainte et tous les trois heureux sur la terre." * * * * * 19.--LE MARQUIS D'OUTREMER. Le marquis d'Outremer etait un vrai philanthrope. Il ne s'amusait pas a fonder ces oeuvres qui ne figurent guere que sur le papier et qui servent surtout a obtenir des decorations a leurs fondateurs. Il vivait de tres peu, et ce qu'il eut pu employer de son superflu, il preferait le donner aux pauvres, qu'il aimait, qu'il visitait assidument, qu'il soignait lui-meme. Car, dans sa jeunesse, il avait etudie la medecine, et le titre de docteur ne lui paraissait pas messeant a cote de celui de marquis. Son defaut, c'etait d'etre non seulement incredule, mais impie. Il avait une fille unique. Bien qu'il fut veuf et qu'il l'aimat avec une extreme tendresse, Eudoxie, quand elle eut atteint ses vingt-cinq ans, ayant manifeste le desir de se faire Soeur de Chante, le marquis, chose etonnante pour un libre-penseur, n'y avait mis aucun obstacle. Il s'etait contente d'eprouver la vocation d'Eudoxie par quelques mois d'attente. Il avait consulte les directeurs de sa fille, et sa fille etait devenue fille de Saint-Vincent de Paul. Depuis un an, on l'avait chargee de la pharmacie, a l'hopital civil de Castres. Pendant le cholera, il passa bien des jours et des nuits, cote a cote avec des pretres, au chevet des malades. Jamais il n'entrava leur ministere; car, disait-il, il ne faut pas enlever au pauvre monde ses consolantes illusions. Mais le devouement de ces bons pretres, egal, sinon superieur au sien, n'entama pas seulement son Credo de libre-penseur. Un matin du mois de janvier, il revenait de chez l'une de ses plus pauvres pratiques. Le froid etait vif et le verglas si glissant qu'il eut fallu des patins pour cheminer d'un pied sur a travers les rues de la ville. Notre marquis-medecin glissa. En cherchant a se retenir, il se donna une entorse. Outre le verglas, il faisait un affreux brouillard, de sorte que notre homme gisait presque inapercu au coin d'une borne. Tout a coup, de dessous une porte cochere, sortit une bonne laitiere, alerte et robuste, comme on l'est a la campagne. "Eh! c'est vous, monsieur le marquis? dit-elle au pauvre patient.--Comment me connaissez-vous, ma pauvre femme?--Comment je vous connais? Mais qui ne connait pas dans le quartier M. le marquis d'Outremer?... Eh! qu'est-ce donc qui vous est arrive?" Le marquis raconta son accident. Elle saisit le marquis et se mit en devoir de le porter elle-meme jusque chez lui. Par ce brouillard et ce verglas, il y avait une bonne demi-heure de la borne a l'habitation du marquis. Pour oublier ce qu'il souffrait, le porte dit a la porteuse: "Qu'est-ce que je puis faire pour vous? je vous promets de le faire, si ce n'est materiellement impossible.--Monsieur le marquis, vous etes pris. Ce que vous pouvez faire pour moi? Franchement, je ne croyais pas avoir jamais l'occasion de vous le dire. Mais c'est de demander un pretre, de l'ecouter avec votre coeur et de devenir bon chretien. Savez-vous que c'est un vrai scandale de voir un brave homme tel que vous du meme parti, en religion, que les debauches et les partageux?--Vous etes saint Jean bouche d'or, laitiere. Mais j'ai promis; je tiendrai. Je ferai venir un pretre. A lui, par exemple, de me convaincre. J'assure d'avance que la besogne sera rude.--Et moi, je promets qu'elle sera douce." Quand un homme loyal comme le marquis consent a entendre la parole de Dieu, qu'il ne se raidit point contre elle, sa defaite est certaine, cette bienheureuse defaite qui vaut mieux que toutes les victoires. "Voyez-vous, disait-il a l'abbe Antoine, a leur seconde entrevue seulement, c'est une permission de Dieu que l'on m'ait extorque cette promesse, sans cela j'etais capable de mourir dans mon impiete. Pourquoi? Je n'en sais rien. Par esprit de contradiction." Vous peindrai-je la joie et la reconnaissance de Soeur Eudoxie? Elle ne put qu'ecrire a la bonne laitiere. Mais elle le fit avec une eloquence qui ravit et en meme temps confusionna la pieuse femme. Quant au marquis, il ne tarissait pas. Lui qui avait toujours tant aime les oeuvres de misericorde, il semblait qu'alors seulement il en eut decouvert l'esprit, la raison d'etre, la celeste origine, et ce baume qui, d'un coeur compatissant et chretien, coule a la fois sur les plaies du corps et sur les plaies de l'ame, et semble, remontant vers sa source, inonder le bienfaiteur lui-meme d'une suavite celeste. "C'est pourtant a vous que je dois tout cela, disait-il. Que puis-je faire pour vous?--Oh! monsieur le marquis, est-ce que la joie de ramener une ame a Dieu n'est pas une assez riche recompense, surtout quand il s'agit d'une aussi belle ame?" Un matin, la pauvre laitiere vint trouver le marquis. Elle etait troublee et tenait une lettre a la main. "Eh bien, oui, dit-elle, si vous voulez me remercier, priez Dieu pour mon pauvre garcon qui est soldat en Afrique, et qui m'ecrit des choses navrantes... Je crains bien qu'il ait perdu la foi." Le marquis pria. Soeur Eudoxie, de Castres fut envoyee a Toulouse, a l'hopital militaire. L'hopital etait comble. Depuis huit jours, il etait arrive d'Alger un nombre considerable de soldats malades. Soeur Eudoxie les soignait de son mieux. Elle en remarqua un entre autres, tres jeune, au sourire triste et doux: il etait mine par les fievres d'Afrique... Autre chose encore le devorait. Avec ce tact exquis de la Soeur de Charite, qui est presque le tact d'une mere, Soeur Eudoxie vit qu'il y avait la une blessure; que cette blessure s'envenimait en devenant secrete, que la confiance peut-etre allait la guerir. Un jour, tout naturellement, et sans que Soeur Eudoxie le lui eut demande, le soldat lui raconta son ame. Il avait ete eleve chretiennement. Sa mere n'etait pas seulement pieuse: c'etait une sainte. Enfin, Soeur Eudoxie apprit le nom du jeune soldat. C'est dire qu'elle redoubla d'efforts pour le ramener a Dieu. Il y avait la une dette de reconnaissance filiale a acquitter. Un jour, elle aborda le malade en ces termes: "Je connais votre mere, la bonne, l'ardente, la pieuse, la charitable Mme X... Elle a sauve mon pere doublement: son corps, d'abord, puis son ame. Je voudrais essayer de me liberer envers elle. Vous seul pouvez m'en fournir les moyens: faites comme mon pere. Je ne dirai pas de vous rendre a l'aveuglette, mais de consentir a ecouter un bon pretre." Jacques, que les raisonnements avaient trouve insensible, se laissa emouvoir. Une fois le bon pretre a son chevet, une fois cette voix entendue, au fond de laquelle Jacques ne pouvait meconnaitre la sincerite, la tendresse, la vraie charite, l'obstacle fut leve. Il revint a Dieu du fond du coeur. Jacques converti, le calme de son ame reagit sur son corps. La fievre tomba. Et il eut vite son conge de convalescence. Oh! quelles douces larmes coulerent de tous les yeux, lorsqu'il retrouva sa mere et le marquis! Et avec quels transports d'amour ils benirent ensemble les misericordes divines! ... * * * * * 20.--LA PLUS GRANDE VICTOIRE D'UN VIEUX GENERAL. Deux annees environ avant sa mort, arrivee le 24 fevrier 1845, le general Bernard, marechal de camp de gendarmerie en retraite, membre honoraire de la societe de Saint-Francois-Xavier, aborde, peu d'instants avant la reunion, le directeur des freres des Ecoles chretiennes, et lui frappant sur l'epaule avec une rudesse amicale: "Tenez, cher Frere, lui dit-il, je suis un vieux gredin, un pas grand' chose. --Allons donc, avec cette figure, vous, un brave dont le sang a coule sur nos glorieux champs de bataille, vous ne sauriez etre ce que vous dites; si vous vous accusiez d'etre un retardataire vis-a-vis du grand general de la-haut, a la bonne heure; mais vous lui reviendrez un jour ou l'autre, et plus tot que vous ne pensez, peut-etre. --Franchement, les conferences de notre Societe, ce que je vois ici comme ce que j'entends, tout cela me remue. Mais... c'est que... c'est que... pour en finir, il y a la confession, et, comme on dit au regiment: c'est le _hic_; une batterie a enlever me ferait moins peur! --Peur d'enfant, mon general! La confession n'est un epouvantail que de loin et pour ceux qui ne la connaissent pas. Elle ressemble a ces pretendus fantomes dont se sauvent les poltrons, et sur lesquels il suffit de marcher pour qu'ils s'evanouissent; ou mieux encore, c'est comme une medecine qui parait amere au premier abord et qu'on trouve de plus en plus douce a mesure qu'on la goute, sans compter qu'elle guerit infailliblement le malade... qui veut guerir. Essayez seulement, et vous m'en direz des nouvelles. --Hum ... hum ... A la maniere dont vous en causez, on croirait qu'il s'agit d'une partie de plaisir, de quelque friandise delicieuse a nous proposer! Et pourtant ... cette medecine, dont vous me faites une peinture si seduisante, me parait encore a moi une vraie medecine, une medecine d'autrefois, noire et effrayante... Mais voila la seance qui commence, le commandant monte au fauteuil; aux armes et chacun a son poste! et moi dans ma guerite, c'est-a-dire, dans mon coin. A quelques semaines de distance, une apres-midi, le Frere directeur voit entrer dans la salle commune le general, tout radieux, et qui accourt lui presser les mains avec force: "Oh! cher Frere! s'ecrie-t-il, une bonne poignee de main; et tenez, il s'en faut de peu que je vous embrasse! je suis si heureux! plus heureux que le jour ou j'ai recu la croix, et ce n'est pas peu dire. Je crierais volontiers, comme ce jour-la: Vive l'empereur! Savez-vous ce que j'ai fait ces jours-ci? --Non, mais je le soupconne a vos regards, repondit le Frere en souriant. --Juste! Vraiment oui, j'ai fait le grand pas! tous les anciens comptes regles! Au diable le vieil homme! Oui, cher Frere! j'ai suivi votre conseil; je me suis confesse. Et que vous aviez bien raison: Ca n'est effrayant qu'a distance et pour des poltrons! Il suffit de commencer, et ensuite rien de plus facile, grace a ce bon cure. Voyez-vous, a mesure que je parlais, je sentais comme un poids qu'on m'otait par degres de dessus la poitrine; ou encore, j'etais comme un homme qui rejette un poison qui lui tournait sur le coeur et sent rapidement la sante revenir! J'ai rajeuni de trente ans; pour un rien je m'envolerais au plafond; mais soyons sages et n'oublions pas que nous avons des cheveux blancs: ne faisons pas rire vos ecoliers, qui pourraient nous voir a travers les carreaux. Une fois encore, cher Frere, je vous remercie, car a votre conseil vous aurez joint, je n'en doute pas, les prieres. Le bon Frere etait presque aussi heureux que le general, et l'emotion de sa parole le prouva bien a celui-ci. Le brave militaire, des lors, n'en fut que plus assidu aux reunions de Saint-Francois-Xavier, qu'il edifiait par sa presence et qu'edifia davantage encore le recit de sa mort. Le general, apres avoir accompli avec calme et recueillement tous les devoirs du chretien, ordonna, avant que le pretre se fut eloigne, qu'on fit venir toute sa famille. Celle-ci arriva tout en larmes, et chacun se mit a genoux dans la chambre mortuaire. Il eleva alors la voix et dit: "Mes enfants, je vous remercie de toutes les preuves d'affection que vous m'avez donnees, et je vous prie de me pardonner les peines que j'aurais pu vous causer en cette vie." Apres un silence de quelques moments, interrompu par les sanglots des assistants, il reprit: "Vous tous que j'aime, je vous benis au nom du Pere, du Fils et du Saint-Esprit." Puis il inclinait la tete, pendant qu'un dernier et paternel sourire glissait sur ses levres. L'ame du juste etait devant Dieu. * * * * * 21.--LE BOUFFON ET SON MAITRE. Un riche seigneur avait a son service, suivant la coutume d'autrefois, un bouffon charge de le distraire par ses plaisanteries. Un jour il le fit habiller a neuf des pieds jusqu'a la tete, et lui mit en meme temps entre les mains une baguette de bouffon, en lui recommandant expressement de n'en faire present a personne, si ce n'est a un plus fou que lui. Le bouffon prit a coeur cet avertissement, et pour bien de l'argent il n'aurait pas donne sa baguette. Quelque temps apres il arriva que le seigneur tomba mortellement malade. Alors il s'appreta a faire son testament; mais, comme dans ses bons jours il s'etait peu occupe des pauvres et avait encore moins reflechi aux quatre choses supremes, c'est-a-dire a la mort, au jugement, au ciel et a l'enfer, il n'en fit pas plus alors que par le passe; il institua ses plus proches parents heritiers de tous ses biens; quant a des aumones ou d'autres dispositions charitables, il n'en fut point question. Pas un signe non plus pour la confession ni pour le saint Viatique. En attendant, on pleurait et on gemissait dans le chateau, a la pensee que le bon seigneur allait bientot quitter ce monde. Le bouffon, averti de ce qui se passait, courut droit a la chambre et au lit du malade, et lui demanda d'un air triste: "Maitre, j'apprends que vous allez partir? Est-ce vrai?--Oui, repondit le malade d'une voix a moitie brisee, oui, mon heure approche.--Ou voulez-vous donc aller? Les chevaux sont-ils deja equipes, la voiture est-elle deja attelee? Et vous, etes-vous tout pret a partir?--Je n'en sais rien.--Mais vous devez pourtant savoir a quelle distance vous allez, et combien de temps vous resterez dehors? Est-ce un mois, quinze jours, ou toute une annee?--Je n'en sais rien.--Mais au moins reviendrez-vous?--Ah!.... peut-etre jamais!...--Ainsi, repondit le bouffon d'une voix severe et convaincante, avec un regard penetrant, vous faites un si grand voyage que vous ne savez pas meme si vous reviendrez, et vous ne faites pas un seul preparatif pour une route aussi longue et aussi dangereuse? Tenez, prenez la baguette de fou, ajouta-t-il en la posant sur le lit du malade, car vous etes un bien plus grand fou que moi!" Le malade commenca tout a coup a y voir clair; il reconnut, a sa honte, que le bouffon n'avait jamais dit une verite plus grande. Et alors, il fit distribuer beaucoup d'argent aux pauvres et se prepara a faire le voyage en chretien[8]. [Note 8: Cette anecdote, deja ancienne, est rapportee par Guillaume Pepin, ecrivain ecclesiastique.] * * * * * 22.--UN EPISODE DE LA REVOLUTION. Pendant la crise la plus furieuse de la Revolution, quand Robespierre etendait son sceptre de fer sur la France, quand Carrier se signalait par ses noyades a Nantes, Lebon par ses massacres dans le midi, et Javogues par ses fureurs dans le Forez, la fermete courageuse des saints missionnaires de ces pays persecutes ne se laissait point abattre; leur zele, au contraire, semblait acquerir de nouvelles forces a la vue des malheurs de ces contrees et des dangers qui planaient sur elles. Tandis que plusieurs confesseurs de la foi prodiguaient leur zele sur d'autres points du diocese, M. l'abbe Coquet, (mort en 1845 cure de Rozier-en-Donzy), avait choisi pour theatre de ses courses evangeliques le centre meme de la persecution, Feurs, capitale du Forez, et l'intrepide proscrit poursuivait sa mission sublime sous les yeux pour ainsi dire de Javogues. On ne saurait raconter en detail tous les actes d'heroisme, de devouement, de sainte audace, qu'il accomplit pendant cette periode de terrible memoire; mais l'histoire suivante en donne une bien haute idee, en meme temps qu'elle offre un exemple des plus etonnants de la misericorde divine. Un jour, un envoye extraordinaire se presente dans le lieu de retraite du saint missionnaire. "Une femme se meurt, s'ecrie-t-il, une femme bien pieuse, bien devouee, mais qui ne peut se resigner a mourir sans sacrements et qui exprime le plus vif desir de recevoir les secours d'un pretre pour obtenir le pardon de ses fautes ainsi qu'une mort tranquille." L'abbe, apres avoir ecoute l'envoye avec sa bienveillance ordinaire, s'empressa de promettre les consolations de son ministere, dont on reclamait l'assistance; mais a peine le premier courrier avait-il disparu, qu'un autre entre et s'ecrie: "Monsieur l'abbe, on vient de vous mander aupres d'une malade? Gardez-vous bien d'aller chez elle! Depuis longtemps les satellites de Javogues, qui vous epient, ont appris la maladie de cette femme, et ils ont decide entre eux de saisir le premier pretre qui se presentera. Reflechissez: si vous etes pris, au meme instant vous serez conduit a Feurs et dans les vingt-quatre heures execute." Il y avait en effet de quoi reflechir: mais quand le devoir parle au coeur d'un ministre de Dieu lui-meme, toute crainte est bientot dissipee, et la decision ne se fait pas attendre. "Quoi qu'il arrive, se dit l'abbe Coquet, le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis; je suis appele, il faut partir..." Le soleil n'etait pas encore couche; le charitable pretre attendit encore quelques instants, esperant, aide du ciel et des ombres naissantes de la nuit, parvenir plus surement a son but. Enfin le voila en marche; couvert d'habits de paysan, il s'avance dans la campagne. Tout est silencieux autour de lui: les patres ont deja regagne leurs chaumieres, et les craintes qu'on lui avait fait concevoir sont bien pres de s'evanouir dans son esprit rassure. Il s'approche de la demeure dont on lui a indique l'adresse; toutefois, avant d'entrer, il jette un dernier regard autour de lui, et lance des pierres dans les massifs d'arbres ou de verdure, afin de s'assurer si personne n'est en embuscade pour le surprendre; mais, en fait d'ennemis, il ne voit que quelques oiseaux effrayes qui sortent precipitamment de leur retraite ainsi troublee. Il se tourne alors du cote de la maison; la solitude de l'interieur rivalise avec la solitude du dehors. "C'en est fait, se dit-il en lui-meme, tout danger a disparu; on m'a trompe." Et, ouvrant la porte cochere, il traverse rapidement la cour. A peine a-t-il franchi le seuil, qu'un grand nombre d'hommes se jettent sur lui; les baionnettes l'enserrent dans un reseau de fer, et de toutes ces poitrines ou le coeur n'a plus de place s'echappent mille cris menacants: "Nous te tenons enfin, miserable! Assez longtemps tu nous as echappe; cette fois tu n'echapperas plus.--Il faut le fusiller a l'instant! crient les uns.--Non, disent les autres; a demain la guillotine! Conduisons-le a Feurs: les traitres et les brigands apprendront par sa mort ce qu'ils doivent attendre des vrais patriotes!" D'autres enfin ne s'en tiennent pas a ces brutalites et les rendent encore plus ameres par des imprecations, par des blasphemes. Durant cette terrible scene, l'abbe Coquet gardait un profond silence et faisait interieurement le sacrifice de sa vie. Cependant, a force de vociferations, de trepignements, d'agitation furibonde, les poitrines a la fin s'epuiserent, les cris cesserent. Le bon pretre saisit alors ce moment de calme pour adresser quelques paroles a cette horde sauvage. "Mes amis, leur dit-il, je ne suis ni un traitre ni un monstre, comme vous vous l'imaginez; je n'ai jamais rien fait d'hostile ni contre le gouvernement ni contre le pays. Tout mon role se borne a porter secours aux infirmes, aux malades, a les consoler dans leurs maux, a leur apprendre a bien mourir. Vous le voyez par cette femme qui languit sur son lit de douleur dans une chambre voisine. Je ne vous demande qu'une grace, c'est de me laisser lui porter les dernieres consolations. Vous ferez ensuite de moi ce que vous voudrez." Un pareil discours etait fait pour attendrir les coeurs les plus durs. "Va! s'ecrie apres un moment de silence un de ces forcenes, va! nous te tenons, tu ne nous echapperas plus." L'abbe Coquet entre donc dans la chambre de la malade; il apercoit en meme temps une fenetre donnant sur le jardin; il pourrait s'echapper par cette issue, mas il n'a garde d'en profiter. "Que je suis malheureuse! s'ecrie la malade en le voyant s'avancer vers elle, que je suis malheureuse d'etre la cause de votre captivite, peut-etre de votre mort! Mais j'avais trop besoin de vos secours au moment si redoutable de la mort... Ne craignez rien du reste; la sainte Vierge, que j'ai bien priee cette nuit passee et les nuits precedentes, m'a fait comprendre qu'il ne vous serait fait aucun mal. Veuillez donc entendre ma confession et m'administrer les derniers sacrements." Depuis un instant le pretre etait dans l'exercice de cet auguste ministere, quand les revolutionnaires, se ravisant, prennent la resolution d'entrer dans la chambre de la malade; ils voulaient empecher le pretre, leur captif, de s'echapper par la fenetre dont nous venons de parler. Mais aussitot entres, emus par tout ce qu'il y a de touchant dans l'administration des derniers sacrements, ces hommes naguere si farouches tombent subitement a genoux et semblent plonges comme dans une extase. D'autres arrivent, ils sont terrasses de meme. Le pretre, tout entier a ses fonctions sacrees, aux exhortations qu'il adressait a la malade, ne s'etait pas meme apercu de cette scene etrange. Les ceremonies terminees, l'abbe Coquet quitte le chevet de la mourante pour s'occuper de son propre sort. "Allons, mes amis, dit le genereux martyr en s'adressant a ses bourreaux, je suis a vous. J'ai fait mon devoir, disposez de moi, je ne crains rien; mon corps peut perir, mon ame est dans les mains de Dieu." Mais, o surprise! o merveilleux effet de la grace divine! lorsque la victime croit marcher au supplice, elle devient au contraire l'objet du plus beau triomphe que puisse ambitionner le coeur d'un pretre. Les bourreaux se taisent, les menaces sont bien loin deja des levres qui les ont proferees; la haine a fait place a l'amour, l'impiete a la foi, le crime au repentir. Tous ces tigres alteres de sang qui s'elancaient naguere sur le ministre de Jesus-Christ comme sur une proie, sont la a ses pieds, renverses, comme Paul sur le chemin de Damas, par une puissance invisible, et confessant a haute voix le Dieu qu'ils osaient persecuter dans la personne de son representant sur la terre. Le croirait-on? le chef de cette horde sanguinaire, l'organisateur de ce guet-apens etait le fils meme de la pieuse femme qui achevait en ce moment sa paisible et sainte agonie. Le miserable, loin d'adoucir, de consoler les derniers moments de sa mere, n'avait pas craint d'offrir en spectacle, a ses yeux qui allaient se fermer, les preparatifs d'un meurtre et du meurtre de son confesseur!... Mais la grace divine venait de toucher son coeur comme celui de ses complices. Les armes lui tombent des mains; a son tour il implore le pardon du pretre qui avait vainement sollicite sa clemence. Qu'on juge de l'emotion de ce dernier. Il benit Dieu en versant des larmes et recoit avec une joie inexprimable ces brebis perdues qui reviennent au bercail. Puis, apres avoir entendu les aveux des coupables, il fait descendre sur eux le pardon en prononcant les paroles sacramentelles, et tous ensemble redisent les bontes infinies du Dieu des chretiens pour lequel il n'est aucun crime sans misericorde, si le pecheur est penetre d'un vrai repentir. Tous se separent alors en se disant adieu comme des freres, et le missionnaire regagne sa retraite, le coeur debordant de consolation et de reconnaissance. * * * * * 23.--LE ZELE RECOMPENSE. Une personne tres pieuse avait un frere, etudiant en medecine, qui s'etait laisse entrainer par le torrent des mauvais exemples et avait renonce aux pratiques de la religion. Leur mere souffrait d'une maladie de langueur, qui la conduisait peu a peu au tombeau. Mais ce qui la desolait, c'est qu'elle se sentait impuissante a arreter le debordement d'impiete de son fils. La fille, qui comprenait l'etendue de la douleur de la pauvre mere, et voyait son malheureux frere courir ainsi a la damnation, s'approcha la veille de Noel du lit de la malade: "Maman, dit-elle, si je pouvais aller a minuit a la messe a Notre-Dame-des-Victoires, quelque chose me dit que l'Enfant de la creche m'accorderait la conversion de mon frere.--Ma pauvre enfant! qui t'accompagnerait? Je n'irai jamais plus avec toi a la messe de minuit.--Eh bien! mon frere.--Ton frere! y songes-tu? lui qui eprouve une si grande horreur pour l'eglise, qu'aux enterrements il ne veut pas entrer et attend a la porte, esperes-tu qu'il te conduirait?--J'essaierai de le decider.--Je ne demande pas mieux; mais je crains que ton eloquence comme tes caresses ne soient inutiles. L'etudiant en medecine recut de tres haut la proposition, qu'il appela saugrenue. Tant de colere cependant denote ordinairement un reste de foi, prisonniere de l'impitoyable libre-pensee. Sa soeur insista, et, vaincu par cette persistance, vers minuit, heure a laquelle un homme du monde n'aime pas a dire qu'il prefere se coucher, l'etudiant la protegeait sur le chemin de la messe et s'installait aupres d'elle pour la proteger au retour. La ceremonie fort belle de Notre-Dame-des-Victoires paraissait l'interesser; il regardait avec une sorte d'avidite ce spectacle oublie et ne s'ennuyait pas. Au moment de la communion, il fut fort etonne; tous defilaient pour se rendre a la sainte Table. On arriva a son rang, les voisins sortirent, sa soeur aussi. Il se vit seul. Le vide lui causa une impression etrange... Cependant sa soeur recevait l'Enfant-Jesus en la creche de son coeur et le rechauffait de l'ardeur de sa priere pour le jeune incredule. De son cote, le libre-penseur, pret a resister fierement aux sollicitations de tous les chretiens assembles dans l'eglise, succombait sous le poids de l'isolement ou l'avaient laisse ses quelques voisins; disons le mot: il eut peur. Un souvenir d'enfance domina son esprit, il tomba a deux genoux, et une explosion de sanglots sortit de sa poitrine... La jeune fille cependant revenait devotement; elle voit cette abondance de larmes, et son frere qui se penche a son oreille pour lui dire: Ma soeur, sauve-moi! Un pretre! je suis ecrase sous le poids de mon indignite! Un pretre! un pretre! Ce fut sa soeur qui eut a moderer l'impatience de ce neophyte. A l'issue de la ceremonie, le pretre fut trouve, et bientot le jeune homme embrassait sa mere, en lui disant: Je vous rends votre fils. On ne reposa point en cette belle nuit, pas plus qu'a la creche de Bethleem, et a six heures du matin tous deux etaient revenus a la meme place en l'eglise de Notre-Dame-des-Victoires. Au moment de la communion, tous quitterent leur rang pour aller a la sainte Table; l'etudiant les suivait. Une jeune fille restait seule prosternee a deux genoux, et le pave qui avait recu la nuit les larmes de repentir, recevait encore des larmes; mais c'etaient des larmes de joie. * * * * * 24.--SAGESSE ET FOLIE. Vers l'annee 18l0, vivait a Clermont en Auvergne un ouvrier serrurier, travailleur habile et courageux, mais qui malheureusement se livrait de temps en temps a quelques exces. A la suite d'un ecart de regime, qui l'avait rendu momentanement malade, il passa une nuit fort agitee: il eut un songe, dans lequel sa soeur qui etait morte en religion lui apparut, lui reprocha son inconduite, et le conjura de revenir aux sentiments dont leurs parents leur avaient toujours donne l'exemple. Cette apparition lui fit une telle impression qu'il se leva, se rendit a l'eglise la plus proche, et, comme elle etait encore fermee, il se mit a genoux sur les marches et attendit l'ouverture des portes; il entra alors, entendit la messe, s'adressa a M. le cure et revint de nouveau apres son repas. Pendant les deux jours suivants il fit la meme chose: le changement qui s'etait opere en lui parut si etrange que le maitre de l'auberge ou il logeait pensa qu'il avait affaire a un fou, et pria le medecin de venir examiner son locataire. Aux interrogations du medecin, l'ouvrier repondit: "Monsieur le docteur, je vous remercie de votre interet; mais je me porte bien; j'ai ete fou, il est vrai, je l'ai meme ete longtemps, mais je suis gueri; je le sens, Dieu merci; je me trouve en possession de mon bon sens, et puis j'ai un docteur que je vois tous les jours, et que je vais encore aller trouver; je vous demande la permission de ne pas en changer." Il revint a son auberge apres une derniere visite a l'eglise, paya sa note, fit son paquet et se mit en route pour Paris, ou, marcheur intrepide, il arriva en cinq jours; la il se remit courageusement au travail; debout avant le jour, il n'allait a l'atelier qu'apres avoir entendu la messe, et pendant une annee entiere il ne porta pas a ses levres une seule goutte de vin. Une autre epreuve l'attendait. Il s'etait fait une loi de ne pas travailler le dimanche, les railleries ne purent triompher de sa resistance. Patrons et ouvriers conspiraient contre lui; on lui remettait un travail soi-disant presse le samedi soir, il offrait de travailler la nuit, mais son offre etait repoussee; il fallait passer a la caisse et regler son compte, cela lui arriva dans douze ateliers. Ce fut alors qu'il rencontra une personne dont les sentiments pieux etaient conformes aux siens; il l'epousa, et se mit a travailler pour son compte. Dieu benit son travail et il parvint a se procurer une petite fortune. Etant alle dans une ville d'eaux thermales pour la sante de sa femme, le genereux chretien s'y fixa et pendant huit ans prit part a toutes les oeuvres charitables. Entre dans la conference de Saint-Vincent-de-Paul, il s'adonna de tout son coeur au soulagement physique et moral des familles qui lui etaient confiees, il ne remettait jamais d'un jour la visite a leur rendre et se montrait genereux a leur egard. Il s'enquerait, a la fin de chaque seance, de l'absence de ceux de ses confreres qui ne s'etaient pas presentes, et se chargeait avec bonheur de leur porter leurs bons pour eviter tout retard dans la delivrance des secours. Les souffrances ne lui furent pas epargnees; opere plusieurs fois de la cataracte sans succes, il etait presque aveugle, mais cette infirmite ne l'empechait pas de faire des courses nombreuses pour le service des pauvres, ou de se trouver devant la porte de l'eglise avant qu'elle ne s'ouvrit; c'etait une habitude qu'il ne perdit jamais; il servait a genoux six ou sept messes tous les jours. Il s'eteignit, il y a quelques annees, dans une maison de charite de Marseille au moment ou il se preparait a un acte de piete desire depuis longtemps: un pelerinage a Jerusalem. On a retrouve dans des lettres ecrites par lui des preuves que l'_Imitation_ etait sa lecture favorite. Ce fervent chretien merite d'etre cite comme un modele de parfaite conversion. * * * * * 25.--LE TERRIBLE ARTICLE. Lors de mon dernier sejour en Normandie, raconte un medecin bien connu, le maire d'une commune voisine de Caen, s'affichant depuis longtemps comme libre-penseur, devint malade de la poitrine. Sa femme et sa fille, personnes pieuses, voyant que son etat etait menacant, userent de toutes leurs industries pour obtenir qu'il laissat venir le pretre. A la fin, il leur dit: "Eh bien! soit, faites-le venir, votre cure; mais avertissez-le que je lui dirai son fait." Les deux pauvres femmes allerent trouver le cure de la paroisse, a qui elles rapporterent cette reponse. Il parut tres peu s'en effrayer, car il les pria d'annoncer sa visite pour le lendemain. Le lendemain donc il se rendit chez le malade, et fut immediatement introduit dans sa chambre. Il le trouva tenant a la main un journal. "Monsieur le cure, lui dit celui-ci a brule-pourpoint, vous me surprenez relisant la loi Ferry. J'en etais precisement a l'article 7. Que pensez-vous de cet article? --Je pense, repliqua le cure, apres un moment de reflexion, que vous en etes egalement a un article qui devrait vous preoccuper bien davantage. --Et cet autre article, quel est-il? --Je n'ose vous le dire. --Parlez, monsieur le cure, parlez; vous savez que je n'aime pas les mysteres. Et il appuya sur ce mot d'un ton tres significatif. --Puisque vous l'exigez, reprit le pretre, je parlerai, quoi qu'il m'en coute. Sachez donc que l'article auquel j'ai fait allusion, c'est... l'article de la mort." Et il se retira. Le libre-penseur savait bien qu'il etait gravement atteint, mais il ne se croyait pas si pres du moment fatal. La declaration du pretre le jeta dans la stupeur, et, grace sans doute aux prieres de son epouse et de sa fille, la stupeur produisit l'effroi, avec le desir de la conversion. Quelques jours apres, il faisait appeler le meme pretre et se reconciliait sincerement avec Dieu. * * * * * 26.--LE TROTTOIR. Vous ne sauriez concevoir le nombre et la variete des petits contentements que l'on eprouve dans la pratique de l'abnegation et de l'obligeance sur le trottoir, dans les grandes villes et surtout a Paris. Suivons celui-ci, qui est des plus etroits. Un insolent vous voit venir, et il indique par son attitude une certaine resolution a l'impolitesse. Vous descendez froidement, et: Passe sans obstacle, homme fort, je triomphe de toi et de moi! Un peu plus loin, une pauvre femme, mal vetue et bien modeste, vous voit venir aussi; deja elle cherche la place de son pied sur le pave glissant. Vite vous la devancez... Un hommage a la pauvrete, que tout le monde opprime ou dedaigne, est chose bien louable. Plus loin encore, le passage est scabreux: sur la chaussee, de la boue, des paveurs, un tombereau d'ordures suivi de plusieurs charrettes. Pour vous le peril et la souillure de la rue, pour les autres le trottoir. On a compris, et on vous salue avec un air d'admiration et de sympathique reconnaissance. Ah! nous oublions trop la fecondite merveilleuse des principes chretiens. Le moindre devoir rempli a des approximatifs imprevus qui naissent sous nos pas pour nous produire un surcroit de merite et un salaire de delicieux plaisirs! Vous ne vouliez etre que patient avec courage, vous devenez tout de suite bienveillant sans effort; puis votre bienveillance va se transformer en une sorte de vertu gracieuse qui determinera l'apparition d'une foule de charmants petits faits.--Le trottoir etait hier une arene ou votre orgueil subissait un pugilat onereux; aujourd'hui, c'est la plate-bande d'un jardin ou les fleurs s'epanouissent. Mon point de vue une fois accepte, je defie que l'on trouve une situation et un lieu plus commodes pour acquerir le gout du devoir et s'y fortifier petit a petit. Tout en allant a vos affaires, vous accomplissez, une multitude d'actes vertueux qui laissent derriere vous une precieuse semence. Avec le droit, vous semiez des cailloux; avec le devoir, vous semez de bons exemples. De plus, votre patience se fortifie, et vous faites la conquete de l'humilite, la plus belle des vertus. Il y a quelques annees, pour me rendre a mon bureau, je suivais chaque matin la rue du Four. Tres souvent j'y rencontrais un homme dont le vetement indiquait un ouvrier a son aise. Nous nous croisions. Je descendais toujours du trottoir. Lui recevait l'hommage et continuait toujours de son pas vainqueur. Un matin, la rue etait plus malpropre et plus obstruee que d'ordinaire. Il y avait vraiment du merite a ceder la belle place. Je voyais venir mon superbe ouvrier. Il crut que je ne m'executerais pas de bonne grace. Il souriait insolemment et se disposait a me faire obeir. Je me sacrifiai a propos, sans hesitation, mais non pas sans dignite. Cela le surprit. Il se retourna et me suivit des yeux, jouissant de mes difficultes avec un air de bravade. J'avais aussi tourne la tete; son orgueil imbecile se brisa contre un regard fixe et froid que je maintins sur lui pendant quelques secondes. Je sentis qu'il m'en garderait rancune. En effet, le lendemain, le surlendemain encore, il me parut courrouce. Une resistance de ma part lui eut ete bien agreable! Il l'attendit en vain. Un des jours suivants, la pluie se mit a tomber tout a coup. La rue du Four ressemblait a un de ces chemins vicinaux de la Brie pouilleuse, ou le paysan monte sur son ane ne se hasarderait pas l'hiver, par crainte d'y perdre sa monture. Les pietons, bien ou mal vetus, les marchandes de noix ou de maquereaux se remisaient sous les grandes portes. Quoique muni d'un parapluie, je fis de meme, et je me melai a un groupe de pauvres gens qui attendaient la fin de la giboulee en geignant. Mon homme etait la! Nous nous regardames du coin de l'oeil. Il paraissait de mechante humeur, et la pluie le contrariait evidemment plus qu'aucun de ses voisins. Je prononcai a son intention quelque phrase banale sur le temps. Il repondit, comme se parlant a soi-meme: --Oui, un joli temps, quand on est presse! Je suis attendu dans une maison, a cent pas d'ici, chez des bourgeois. Je voudrais y arriver propre, et il faut que je reste la. Je vais peut-etre manquer une bonne affaire. Je devinai que mon parapluie lui faisait envie, et me placant brusquement bien en face de lui: --Monsieur, lui dis-je en affectant une politesse souriante, si vous etes attendu dans le voisinage, prenez mon parapluie. Vous le renverrez par une domestique ou un concierge; il vous suffira de remarquer le numero de la maison en sortant d'ici. --Mais, monsieur, si j'allais garder votre parapluie? Vous ne me connaissez pas. --Si, si, je vous connais. L'ouvrier crut a une allusion sur ses arrogances passees envers moi. Il devint rouge. Je continuai du ton le plus aimable: --Je vous connais aussi bien que vous vous connaissez vous-meme, et je suis sur que vous me renverrez tout de suite mon parapluie. Le voila, partez vite. Il se laissa faire. Au bout de dix minutes, mon parapluie me revenait avec une bonne femme qui fit tres verbeusement la commission de reconnaissance. Je devais m'attendre a un changement radical dans les procedes de mon homme. Il guettait une premiere rencontre. Pour moi je tenais peu a une liaison au moins inutile. A la premiere rencontre, je passai vite. Il ne put que m'envoyer un beau salut, que je lui retournai par un geste tres civil: un salut d'egal a egal. A partir de cette minime obligeance dont j'avais honore son caractere, je remarquai que non seulement mon fier ouvrier descendait du trottoir a la hate pour me faire place, mais encore qu'il avait renonce a ses anciennes pretentions; car je m'amusais a l'etudier, et je le vis plus d'une fois, a distance, ceder le pas avec un empressement semblable au mien. Il se christianisait sans le savoir! Les lois de Dieu sont grandes! Le moindre acte impregne du sentiment chretien a quelquefois des consequences d'une etendue extraordinaire. Nous n'en sommes pas toujours temoins. Un dimanche, par un beau jour de mai, je me promenais de long en large sur la place Saint-Sulpice, en attendant la messe basse de neuf heures. Si peu que je fisse attention aux personnes qui passaient pres de moi, il m'etait impossible de ne pas voir le profond salut que venait de m'adresser un promeneur. Ai-je besoin de dire que c'etait encore mon ouvrier? Sa confortable toilette l'avait transforme! Precisement parce qu'il me parut dispose a la discretion, sinon au respect, je l'abordai. Il avait le sourire fin. Il parlait peu. Ses paroles n'etaient point oiseuses. J'usai les banalites de la conversation sans qu'il y repondit rien que des monosyllabes. Et puis je me tus. Le brave homme me declara alors que mon opiniatrete a descendre du trottoir, pour lui ceder la place, l'avait fort surpris, fort intrigue, et qu'en dernier lieu, alors qu'il me supposait irrite enfin par sa bravade tout directe, mon extreme obligeance au sujet du parapluie avait bouleverse son humble raison. Il me supposait un but, un motif. Il cherchait, il ne comprenait pas. --Comment vous appelle-t-on? lui dis-je. --Jean. --C'est un nom favorable. Monsieur Jean, autrefois le trottoir de la rue du Four etait pour vous l'instrument d'un orgueilleux despotisme. Chacun se sentait contraint de descendre a votre approche. Depuis que je vous ai prete mon parapluie... --Ma foi, monsieur, depuis l'histoire du parapluie, j'agis tout autrement. J'ai eu l'idee de faire comme vous! D'abord je suis descendu pour les femmes et pour les vieillards, petit a petit je suis arrive a descendre pour tout le monde; et, vous ne le croiriez pas! aujourd'hui, si quelqu'un me previent, cela me fait de la peine; il me semble que l'on a mauvaise opinion de moi, et que l'on me prend pour un homme d'un tres vilain caractere. --Eh bien, votre orgueil a fait place a l'esprit de douceur; vous vous etes ameliore; vous etes entre dans la bonne voie; peut-etre irez-vous loin dans cette voie ou l'on ne recueille que des plaisirs, tout en epurant et en grandissant son caractere. Mon but est atteint. --Mais qu'est-ce que vous y gagnez? Qu'est-ce que cela vous fait? Je lui montrai l'eglise. Il me repondit par une grimace. Un banc etait la. J'allai m'y asseoir. Sur un imperceptible signe amical, le brave Jean vint prendre place pres de moi, non sans rire sous cape, convaincu qu'il etait que j'allais le precher. Le precher! je n'aurais eu garde. Il y a temps pour tout. A chacun sa fonction, d'ailleurs. Mon neophyte etait un homme de quarante ans, un brave ouvrier; son instinct le portait au bien assez directement; avec lui il suffisait d'agir tres simplement. --Monsieur Jean, je vous montrais du doigt l'eglise, ou je vais aller entendre la messe tout a l'heure. Vous, vous n'allez pas a la messe, je le sais. Je l'ai compris a votre grimace. Mais vous irez un jour comme moi. --Cela ne m'etonnerait pas trop. Vous avez deja fait un miracle a mon profit. --Je n'ai pas toujours ete pieux; je le suis devenu a l'aide de la reflexion. Il plut a Dieu de decider mon retour par ce chemin. Mon seul merite est d'avoir obei a son impulsion: nous ne saurions jamais, en face de lui, pretendre a un autre merite que celui de l'obeissance. --Mais pour obeir ainsi, il faut croire en Dieu; et il ne depend pas de nous de croire! --Mon cher Jean, vous vous trompez. Sans vous rien dire de la grace, ce qui ressemblerait a une predication, je vous affirme qu'il depend de nous de croire. ---Alors je n'y comprends plus rien. --Compreniez-vous mon empressement a descendre du trottoir lorsque vous approchiez, et l'offre de mon parapluie? --Enfin, monsieur, est-ce que vous voulez me rendre devot? --Ne riez pas. Vous etes bien devenu patient, meme obligeant, sur ce trottoir ou vous vous pavaniez en roi il y a six semaines. --Oui, c'est bien drole! S'il y a un secret, dites-le-moi. Par exemple, je ne m'engage pas a rien faire de contraire a mes opinions. --Ah! vous avez des opinions! Dites-moi, vous avez aussi de la loyaute? --Pour ca, je m'en vante. --Cela suffit. Tant qu'une seule vertu catholique demeure dans l'homme, elle peut devenir, elle devient tot ou tard une fondation sur laquelle la Providence divine rebatit tout l'edifice ruine. Ah! vous etes loyal! Eh bien, Dieu vous connait, il vous suit au travers du monde, et il vous aidera. --Mon cher monsieur, vous tapez a bras raccourci sur tout ce qu'il y a dans ma tete. Pour un rien, je me mettrais en colere. Mais je ne veux pas etre ingrat envers vous. Faites votre affaire; cette fois-ci je vous ecoute tres serieusement. --Bien. Une remontrance vous ennuierait; vous hausseriez les epaules. De longues explications religieuses et morales auraient a peu pres le meme resultat. Vous bailleriez dans le creux de votre main. --C'est vrai. --Cependant, si l'on vous disait: La foi vous viendra, a la condition d'un acte simple et loyal accompli en moins de dix minutes, et qui n'aura pas d'autre temoin que Dieu, vous accepteriez la foi? --Je l'accepterais... Je me levai; l'ouvrier se leva. Nous marchames a petits pas en regardant l'eglise. --Monsieur Jean, savez-vous encore votre _Pater_? --Oh!... --Et pourriez-vous le reciter couramment? --Oui, quoique cela ne me soit pas arrive trois fois depuis ma premiere communion. --Voici l'eglise devant nous. Entrez froidement. Si un murmure s'eleve dans votre esprit, faites-le taire; dites-vous: J'ai promis d'etre loyal, je dois etre loyal. --Je le serai. --Vous irez au benitier, que les fideles assiegent quelquefois. Vous prendrez de l'eau benite. Vous ferez le signe de la croix lentement et la tete haute, en homme de coeur qui a contracte une obligation et qui la remplit. Puis vous vous isolerez au milieu de la foule. Alors recueillez-vous l'espace d'une minute; rappelez-vous la promesse qui vous engage et que vous etes tenu a degager strictement. Faites ensuite de nouveau le signe de la croix, et debout, une main dans l'autre main, recitez le _Pater_ a voix basse, doucement, tres doucement. Vous ferez ensuite encore un signe de croix, et vous sortirez de l'eglise. --Apres cela? --Rien. --Je comprends. --Pourquoi hesitez-vous? --C'est plus difficile que cela ne le parait. --Moins difficile que de ceder la place sur le trottoir. --Et si je faisais ainsi que vous me l'avez dit, vous pensez..? --Je pense que cet acte bien simple sera un jour votre plus grand et votre plus beau souvenir. Mais si vous ne vous sentez pas maintenant l'energie et la loyaute necessaires ... --Ah! on ne doit pas remettre ces choses-la au lendemain. --Adieu; je vous predis que vous serez bientot un solide et fier catholique. Je lui serrai la main, et je m'eloignai rapidement, sans detourner la tete, demandant a Dieu de faire le reste. Pendant un mois, loin de chercher Jean, je l'evitais. Mais Paris est bien moins grande ville qu'on ne le pense. Jean m'avait guette, m'avait suivi, et il etait parvenu a connaitre mon nom et mon adresse, plus avance en cela que moi, qui ne savais de lui que son prenom de Jean. Un matin je recois une lettre de faire-part. Il s'agissait d'un mariage pour le lendemain, entre M. Marteau et Mlle Gilquin, qui m'invitaient a assister a la benediction nuptiale. Des noms inconnus; cela arrive de temps en temps. On cherche. Est-ce mon boulanger, mon fruitier, mon epicier? Ici se rencontrait un obstacle bizarre: M. Marteau exercait la profession de fabricant de formes pour chaussures. Je stimulai mes souvenirs: aucune lumiere. A la fin, je remarquai que le fabricant de formes de chaussures avait, entre autres prenoms, celui de _Jean_. Mais une observation de l'autre Jean m'etait demeuree dans la memoire: "J'ai de petits enfants," m'avait-il dit... Le Jean du trottoir etait donc marie; ce ne pouvait etre mon neophyte. Et cependant quelque chose me disait que ce devait etre lui... Mon incertitude cessa bientot. Je venais de diner: j'allais sortir. Un timide coup de sonnette m'annonce un visiteur. On ouvre. J'ecoute le nom: "M. Jean Marteau." C'etait le mien! c'etait mon ouvrier de la rue du Four et de la place Saint-Sulpice! --Entrez, monsieur Jean, asseyez-vous. Eh bien! vous allez donc vous marier? --Mon Dieu, oui, monsieur, demain. --Mais il me semblait que vous etiez deja marie? --Pas precisement. Si vous me le permettez, je vous expliquerai la chose. Je vous ai adresse une lettre de faire-part avec l'espoir que vous viendrez a l'eglise, parce que c'est vous qui avez fait mon mariage; aussi est-ce surtout a cause de vous que j'ai fait imprimer des lettres de faire-part. --Moi, j'ai fait votre mariage? --Certainement. Ah! c'est un peu long a expliquer. --Mettez-y le temps, et ne trouvez pas mauvais que je rie d'abord, a cette idee que j'ai fait votre mariage sans savoir ni votre nom, ni votre profession, ni votre adresse. --Le bon Dieu sait le nom et l'adresse de tout le monde. Il a eu sa belle part dans l'affaire. L'honnete garcon etait emu. Il n'avait pas dit: Dieu, mais le _bon Dieu_. Je ne sentis jamais si bien la difference. Dieu, ce n'est tres souvent que le terme plus ou moins banal des pantheistes et des philosophes, qui en font, au plus beau, le synonyme de l'Etre supreme des republicains de 93. Le _bon Dieu_, c'est le terme de predilection des catholiques, qui ne craignent pas d'afficher une foi naive de bonne femme ou de petit enfant: des qu'un homme, en parlant de Dieu, dit le _bon Dieu_, je vois le fond de son coeur et je puis lui tendre la main. Je tendis la main a Jean. Je compris, avec une joie intime, que la providence de Dieu avait fait murir le grain que j'avais seme. Me voila donc silencieux pres de mon cher visiteur, dont le visage s'epanouit des les premiers mots de l'histoire qu'il va raconter. --Monsieur, avant notre rencontre de la rue du Four et de la place Saint-Sulpice, j'avais des defauts insupportables. J'ai le droit de les avouer, puisque je ne les ai plus. Je me grisais quelquefois, et je battais ma bonne femme de loin en loin. Vous m'avez enseigne la patience; cela fut pour moi la meilleure des preparations. Ensuite, vous m'avez pousse dans l'eglise au moment propice. Il en est survenu comme un miracle. Mais votre _Pater_ m'a fait passer, je vous l'assure, une rude journee! Pour tenir loyalement ma parole, il m'a fallu plus de force et de courage qu'il ne m'en faudrait dans une lutte contre dix hommes. Vous avez oublie, peut-etre? --Je n'ai pas oublie, et je vois que le _Pater_ a ete bien dit. --Ah! Seigneur! Il faut que je l'aie dit comme on ne le dit jamais, car en sortant de l'eglise, voyez-vous, je ne savais que devenir. Je me sentais moitie heureux, moitie exaspere en dedans de moi. Tout a coup je me trouve, a ma grande surprise, en face de la maison que j'habite. Je croyais chercher un estaminet pour m'y etourdir, et je revenais chez moi. Je monte, j'entre; je prends une chaise: je ne dis rien. Ma femme me regarde, et elle s'ecrie: "Mon Dieu! Jean, est-ce que tu es malade?" Le moyen, apres cela, de croire que le _Pater_ etait une petite chose insignifiante! Il m'avait si bien bouleverse, que l'on me croyait malade. Je rassure ma femme; je lui dis de s'asseoir pres de moi, et je lui raconte ce qui venait de m'arriver. Vous pensez bien que je lui avais parle de vous souvent, et qu'elle vous connaissait on ne peut mieux sans vous avoir jamais vu. Elle m'ecoutait, sans souffler mot, en ouvrant de grands yeux. Quand j'ai fini, savez-vous ce que fait ma femme? Elle se prend a pleurer, mais a pleurer de tout son coeur! Et moi, Jean, un homme, je fais comme elle. Cela ne m'etait peut-etre pas arrive depuis vingt-cinq ans. Enfin, nous nous apaisons, et je me trouve soulage: petite pluie abat grand veut. Je voyais ma femme bien heureuse; j'etais aussi bien gai, bien heureux. Nous allons faire une promenade hors barriere avec les enfants. Vous vous souvenez que c'etait un dimanche? --Je m'en souviens. --Nous causions de vous, de votre parapluie, du trottoir, de l'eglise, des signes de croix que j'avais faits et que pour un rien j'aurais recommences toutes les dix minutes. Oui, monsieur! j'en eprouvais un tel besoin, qu'en apercevant le calvaire de Vaugirard, le coeur m'a battu, et j'ai double le pas comme malgre moi pour saluer le calvaire et faire le signe de la croix. --Vous le lui deviez bien. --C'est vrai. Aussi, est-ce justement ce que j'ai dit a ma femme. Nous etions, vers cette epoque, a la fin de mai, car il me semble tantot que cela date d'hier, tantot que cela date de dix ans. Le soir, au retour de la promenade, une eglise se rencontre devant nous. On disait la priere du mois de Marie. Nous entrons, avec les petits. Et je vous recommence mon _Pater_, notre _Pater_. Ah! monsieur, que je l'ai bien dit cette fois, et que cela m'a fait de plaisir! Mes enfants, me voyant prier, priaient aussi d'une petite facon grave. Moi, Jean, un ouvrier, debout au milieu de ces enfants et de leur mere qui priaient dans l'eglise; ...pour la premiere fois de ma vie, je me suis senti l'importance d'un pere de famille et d'un citoyen.--Je ne vous fatigue pas? --Ho!... --Enfin, nous sommes rentres chez nous et j'ai promis que je ne me griserais plus, et que je ne battrais plus jamais ma femme. Mais il y avait autre chose encore, dont ma bonne Francoise n'osait pas me parler; nous etions maries a la ville, mais pas a l'eglise. Maintenant, mon cher monsieur, vous en savez autant que moi. J'etais ravi; j'avais les larmes aux yeux. Jean riait de plaisir, un peu d'orgueil, et de l'air d'un homme qui est sur de se rendre infiniment agreable. Il n'avait pas fini. --Vous voyez donc bien, monsieur, que c'est vous qui avez fait mon mariage, et que je devais vous inviter a venir a l'eglise demain. --Ah! mon brave Jean, j'irai; j'irai avec plus de satisfaction et plus d'empressement dix fois, mille fois, que si vous etiez un millionnaire ou un prince. --J'en etais bien sur. Mais je dois vous dire encore un petit mot. Nous marier a l'eglise, c'etait la moindre chose; nous avons fait mieux que cela. Moi, je n'aime pas les demi-mesures. Devinez-vous, ah?... --Oui, ah! --Chut! Il ne faut pas toucher a ces affaires-la en riant; vous le savez mieux que personne. Ma femme et moi, nous avons communie ce matin, et bien communie tous deux, je vous le certifie. Ainsi, vous aviez raison, monsieur; en me quittant sur la place Saint-Sulpice, il y a cinq semaines, vous prophetisiez. Oh! j'entends encore votre derniere parole: "Jean, je vous predis que vous serez un jour un solide et fier chretien!" Je le suis! mes enfants le seront comme leur pere! Nous causons encore un moment, aussi attendris l'un que l'autre, puis il me dit: --Eh bien, monsieur, a demain donc. Le lendemain, j'assistai a la messe du mariage. Il y avait peu de monde: une dizaine de personnes et cinq ou six enfants. Je faisais, avec tout le soin possible, honneur aux maries par l'aristocratie de ma mise. Pour la premiere fois et la seule fois de ma vie, je regrettai de n'avoir pas un ruban rouge et une croix a ma boutonniere! Apres la messe, j'allai faire ma visite aux nouveaux epoux dans la sacristie. On m'attendait evidemment. Je fus salue comme ne le fut jamais un personnage d'importance: les enfants surtout me regardaient d'un air de veneration tres amusant. Mais voici Jean en habit noir, bien gante, bien cravate, chaussure parfaite, une physionomie tellement digne, que j'hesitais a le reconnaitre. Je lui serrai la main en ami, et je voulus faire un petit discours affectueux, un petit compliment d'homme du monde et de chretien. Notre emotion dura bien deux a trois minutes, apres quoi chacun rentra en possession de sa liberte d'esprit. J'ai pu dire a ces braves gens... Eh! qu'importe ce que j'ai dit et comment cela finit! Et si j'acceptai d'etre un convive de la noce! Et ce que Jean a fait depuis! Il est converti, voila tout! Jean prospere, sans hate; Jean s'attache bien moins a acquerir une fortune qu'a constituer une famille. Quand vous rencontrez sur le trottoir un luron de haute mine, qui vous cede la place avec une politesse inusitee, ce doit etre lui. (_Venet_, Extraits.) * * * * * 27.--UN FILS QUI TOMBE DANS LES BRAS DE SON PERE. Un jeune pretre attache a l'Hotel-Dieu de Paris est appele un soir pres d'un homme qui venait d'etre apporte tout meurtri, tout sanglant, a la suite d'une rixe de cabaret. En proie a une surexcitation extreme, le malheureux epuise le peu de force qui lui reste en maledictions et en blasphemes. La vue du pretre ne fait qu'augmenter sa rage. Vainement le ministre du Dieu de paix s'efforce de ramener a des sentiments meilleurs ce coeur ulcere; son zele demeure impuissant et la prudence le force a mettre fin a des instances evidemment inutiles. Le pretre s'eloigne donc, le coeur brise. Le lendemain matin, il revient tout anxieux a l'hopital. --La nuit a ete terrible, lui dit la bonne Soeur qui a veille au chevet du miserable. Il n'a eu ni un moment de repos, ni un moment de silence; toujours des douleurs atroces, toujours des blasphemes! Il n'y a pas plus d'une demi-heure qu'il est calme. Sa fureur s'est apaisee pendant qu'a la priere nous recitions les litanies du Saint Nom de Jesus. --Avant ma messe, je vais le voir un instant; ma Soeur, prions pour lui. Puis, sur la pointe du pied, l'abbe alla s'agenouiller pres du lit ou l'etranger etait couche... Il ne s'agitait plus, et ses yeux etaient fermes. "Mon Dieu! dit tout bas le charitable pretre, prolongez ce calme pour que je puisse, avec votre grace, faire descendre dans cette ame quelques pensees de repentir et de confiance." Apres avoir dit ces mots avec une grande ferveur, l'aumonier s'etait releve et allait se rendre a la sacristie. Il avait deja fait quelques pas dans cette direction lorsqu'il revint tout a coup vers le lit... Puis, ayant pris dans son breviaire une image, il l'attacha aux rideaux, de maniere a ce que le blesse put la voir lorsqu'il se reveillerait. Cette image representait saint Stanislas Kostka en oraison devant une statue de la sainte Vierge. Monte a l'autel, l'aumonier avait peine a se defaire de la pensee du malade. Dans cette multitude d'etres souffrants, combien n'y en avait-il pas de plus interessants que lui? Cependant c'etait celui-la qui le preoccupait le plus; et, durant le saint sacrifice, il pria pour lui plus que pour les autres. La messe terminee, le pretre, dans un grand recueillement, faisait son action de graces, quand une Soeur, celle a qui il avait parle le matin meme en entrant dans la salle, vint lui dire d'un air radieux: --Monsieur l'abbe, il vous demande... --Qui? --L'homme du numero 48... le furieux d'hier soir. --Les fureurs lui sont-elles revenues? --Oh! non; il est maintenant doux comme un agneau. Il vous demande... --Que Dieu soit beni!... hatons-nous. Les voici tous les deux aupres du malade... Il ne s'agite plus, il ne se tord plus sur son lit... Son visage n'est plus enflamme, ses yeux ne lancent plus d'eclairs, sa bouche ne blaspheme plus. A demi assis sur sa couche, il a les yeux fixes sur une image qu'il tient dans une de ses larges mains; de l'autre, il essuie la sueur froide qui ruisselle sur son visage... Sa preoccupation est telle qu'il n'entend ni ne voit le pretre et la Soeur arrives pres de lui... Enfin l'inconnu, levant les yeux, eut comme un sourire de reconnaissance sur ses levres, qui, la veille, ne proferaient que maledictions et blasphemes; et, d'une voix presque douce, il demanda: --Qui a attache cette image au rideau de mon lit? --C'est moi, repondit l'abbe. --Est-ce que vous me connaissez? --Aucunement. --Pourquoi donc avez-vous mis pres de moi l'image de saint Stanislas? --Parce que j'ai grande confiance en lui. --Ah!... vous n'avez pas eu d'autres raisons?... C'est que moi, ajouta-t-il en passant sa main sur son front, c'est que moi aussi... j'ai aime ce nom... je l'aime encore... A ces mots, l'inconnu porta l'image a ses levres: des pleurs jaillirent de ses yeux, sa bouche s'entr'ouvrit. "Mon Dieu! profera-t-il, mon Dieu!..." Et ses convulsions de la nuit le reprirent. Moins violentes que celles de la veille, elles ne durerent pas longtemps. Lorsqu'il fut redevenu plus calme, il se mit a parler, mais comme a lui-meme; quoique ses yeux fussent grands ouverts, il avait l'air de ne voir personne. "C'est etrange, disait-il, ce nom que je ne prononce plus... je le trouve ici, sur cette image... et attache a mon lit... Quand ce pretre a donne la communion... j'ai pu le regarder... j'ai fixe mes yeux sur les siens...; ils ressemblent a ceux que j'ai tant fait pleurer!... Hier, j'ai blaspheme contre lui... Lui et sa robe noire me faisaient horreur!... Un tel changement s'est opere en moi pendant sa messe, que, si je le revoyais a present, je le benirais." --Me voici! me voici! s'ecrie l'abbe, me voici pres de vous... Je ne sais pas qui vous etes, mais jamais, pour aucun malade apporte ici, je n'ai ressenti au coeur autant de charite... Je donnerais ma vie pour sauver votre ame. --Oh! mon ame!... Si vous saviez combien je l'ai souillee, vous ne penseriez pas a me sauver... --Arretez! au nom du Sauveur Jesus, ne desesperez pas de la misericorde divine. Parlant ainsi, le jeune pretre etait tombe a genoux pres du lit, tenant les mains de l'etranger dans les siennes et les arrosant de ses pleurs. Apres quelques instants, l'inconnu, qui ne retirait pas ses mains de celles de l'aumonier et qui laissait couler d'abondantes larmes, dit d'une voix plus calme: --Voila plus de vingt-trois ans... a Nantes... que j'ai abandonne, que j'ai condamne aux privations, au chagrin, a la misere peut-etre, ma femme et mon fils... --Quoi! s'ecria le pretre en se relevant et en se penchant sur l'inconnu, vous avez une femme, un fils!... vous avez habite Nantes... Ah! encore un mot, un seul mot, je vous en conjure; votre nom? L'inconnu se nomme. Impossible de douter plus longtemps. L'abbe Stanislas n'est plus debout, il est dans les bras, sur le sein de son pere!... Les battements de leurs coeurs, leurs larmes de joie se confondent. Mais, il n'y avait pas de temps a perdre. L'abbe parle d'un confesseur au pecheur repentant. "C'est vous que je choisis, repond celui-ci; je veux vous declarer tous mes crimes et vous dire combien mon odieuse conduite envers votre pieuse mere m'a rendu malheureux!" Lorsque le pardon appele par son enfant descendit sur le coupable, quelle ne fut pas la joie, l'indicible bonheur et du pere et du fils! Le repentant pardonne respirait a l'aise, le poids de ses peches ne l'oppressait plus; et le pretre qui avait enleve ce poids repetait avec transport: "Celui que je vois maintenant sur le chemin du ciel, c'est mon pere! Oh! Seigneur, soyez, soyez a jamais beni!" * * * * * 28.--LE ROSIER DU MOIS DE MARIE. Papa, disait une enfant de six ans a un ancien militaire qui, nouveau Cincinnatus, occupait ses loisirs a cultiver ses jardins et ses champs, donnez-moi ces jolies roses qui sentent si bon, et dont la blancheur egale celle des lis.--Pour les effeuiller, sans doute? repondit le pere a l'enfant.--Non, non, repliqua celle-ci: elles sont trop belles pour cela.--Mais qu'en feras-tu?--C'est mon secret.--Ton secret! Le mot est risible... Et si je te donnais l'arbuste entier, me devoilerais-tu cet important mystere?--Cher Papa, donnez toujours; je vous dirai plus tard a qui je destine ces fleurs.--A la tombe de ta pauvre mere, sans doute?--C'est bien pour ma mere... mais... pour ma Mere du ciel." En prononcant ces derniers mots, la voix de l'enfant avait un accent si penetrant et si doux, que le pere, sans en avoir compris le sens, en fut neanmoins profondement emu. Il s'avanca donc vers le rosier, le detacha habilement de la terre, et le remit entre les mains de sa petite fille, qui s'eloigna aussitot, emportant avec elle son cher tresor. Quand la bonne petite rentra au logis, il etait deja tard. Son pere l'embrassa plus tendrement encore que de coutume et se retira dans sa chambre pour prendre un repos bien necessaire apres une journee employee a de rudes labeurs. Mais, helas! le sommeil ne vint point fermer ses paupieres: une agitation febrile, inaccoutumee, s'etait emparee de son esprit: les souvenirs d'un passe grossi d'orages revenaient a sa memoire et lui causaient un indicible effroi. Lui, le brave guerrier, le soldat intrepide, que le bruit du canon et de la mitraille n'avait jamais fait palir, eprouvait un saisissement inexprimable. Pour calmer ces cruelles angoisses, vrai cauchemar de l'ame cause par le remords, il se mit a balbutier quelques-unes de ces prieres qu'aux jours de son enfance il avait bien des fois redites sur les genoux maternels; et les mots benis qui, depuis tant d'annees peut-etre, jamais n'avaient effleure les levres du vieux militaire, vinrent s'y placer en ordre les uns apres les autres, et former ce tout sublime connu sous le titre d'Oraison dominicale ou priere du Seigneur ... La priere! ce cri du coeur, cet elan de l'ame vers Celui qui l'a creee, qui l'aime, qui _veut_ et qui _peut_ seul lui donner le bonheur, est un de ces remedes efficaces et doux, dont l'effet ne tarde pas a se faire sentir. Notre homme en fit la consolante epreuve. Un rayon d'esperance vint tout a coup dissiper les tenebres dont, un instant auparavant, son entendement etait enveloppe: "Si je suis pecheur, se disait-il, si, pendant de longues annees j'ai vecu en veritable _paien_, en ennemi de Dieu, tout n'est pas perdu pour moi. N'ai-je pas un petit ange a placer entre moi et la justice du Seigneur prete a me frapper?" En pensant a son enfant, l'ancien soldat s'endormit, et un songe ravissant acheva de le calmer. Il se crut transporte dans un de ces temples majestueux eleves par le genie de la foi au Dieu trois fois saint. Au bas du choeur, a l'entree de la nef principale, etait un autel etincelant de mille feux et surmonte d'une gracieuse statue de la Vierge Marie. Une foule de fideles montaient et descendaient les marches de l'autel, deposant aux pieds de l'image veneree des fleurs et des couronnes. Une delicieuse harmonie ajoutait au charme de cette pieuse vision. Mais bientot la foule s'ecoula; les chants cesserent; les lumieres s'eteignirent; la lampe du sanctuaire seule projetait ses vacillantes clartes sur le candide visage d'une petite fille qui s'avancait furtivement vers l'autel, et y deposait un rosier charge de blanches fleurs. Ici le vieillard s'eveilla: le secret de sa chere enfant venait de lui etre revele; et quand, le matin, elle accourut joyeuse vers lui pour l'embrasser: "Moi aussi, lui dit-il en la prenant sur ses genoux, j'ai un secret." L'enfant sourit: "Vous me le confierez, Papa? dit-elle a son tour."--"Non, ma petite, _tu le verras_." Le dernier jour du mois de mai 186..., un militaire ayant sur sa poitrine le signe des braves, s'approchait de la Table sainte. Une jeune enfant le suivait du regard et semblait envier son bonheur. Quelques instants apres, le pretre qui venait de celebrer les saints mysteres, s'approcha de nouveau de l'autel, et detacha d'un rosier, place aux pieds de la sainte Vierge, une branche encore toute fleurie. Il la presenta ensuite au vieux guerrier, qui la baisa respectueusement. Depuis cette epoque, elle figure comme un trophee au dessus des armes appendues aux murs de sa demeure, et, chaque fois que les regards du vieillard se portent sur ce rameau desseche, il murmure une priere a Marie, l'aimable et tendre refuge des pauvres pecheurs. * * * * * 29.--LA STATUETTE DE SAINT ANTOINE. Eleve par une pieuse mere, D***, officier aussi loyal que brave, avait eu la foi, mais la vie des camps et des casernes avait efface l'empreinte primitive de la religion et il en etait arrive a cette indifference froide et triste qui est une forme honnete de l'impiete. Son epouse, restee maitresse pour elle-meme et pour sa fille de toutes les pratiques de la devotion, n'en pleurait pas moins l'egarement de celui qu'elle aimait assez sur la terre, pour ne pas vouloir en etre separee au ciel. Depuis longtemps deja, ses prieres montaient toujours vers le Ciel et imploraient l'appui de la Reine des vierges. Rien ne venait la consoler. Un jour meme, une nouvelle peine vint s'ajouter aux autres: son mari lui avait appris qu'il etait franc-macon! Ce n'etait plus seulement l'indifference, c'etait l'impiete reelle et notoire, l'impiete publique et affichee...; et, en pensant a cela, Mme D*** serrait sa fille sur son coeur comme pour la preserver d'un malheur, ou peut-etre pour avoir recours a l'innocence de l'enfant, contre le peril que courait l'ame du pere. Tout-a-coup, ses yeux se porterent sur une statuette de saint Antoine de Padoue qui ornait sa chambre, et une idee subite s'empara de son ame attristee... "Mon enfant, dit-elle a sa fille, mon enfant, il faut que tu pries beaucoup saint Antoine pour obtenir de lui que ton pere retrouve ce qu'il a perdu! --Qu'a-t-il donc perdu, ma mere? --Tu le sauras plus tard, mais prie et... n'en dis rien a ton pere." Le regard naif de la jeune fille se leva vers la statuette, et ses levres s'ouvrirent pour laisser echapper ces paroles: "Grand Saint, faites retrouver a mon pere ce qu'il a perdu." En-ce moment la porte s'ouvrait, et M. D*** venait avertir sa femme qu'il allait sortir. Il avait tout entendu et se demandait tout en marchant ce que cela pouvait bien etre. "Qu'ai-je donc perdu, se disait-il? C'est sans doute ma femme qui aura egare quelque chose...; mais quelle idee d'aller redemander cela a cette statue! Apres tout, peu importe! Elle est si bonne epouse et si bonne mere!... C'est egal, il faut que je lui dise de ne pas s'inquieter, car enfin si j'avais perdu une chose serieuse, je le saurais bien." Comme on etait aux premiers jours de juin, M. D*** jugea que la soiree assez belle lui promettait plus de jouissance a la campagne qu'entre les quatre murs de la loge. "Une idee! se dit-il en se frappant le front, je vais chercher ma femme et ma fille et nous irons faire un tour a la campagne...; mais qu'ai-je donc perdu?..." Mme D*** eut un sourire de bonheur et jeta un regard qui disait merci a saint Antoine, quand son mari vint lui dire son idee! mais elle resta muette et se sentit rougir lorsqu'il ajouta: "Dis donc, est-ce que j'ai perdu quelque chose?--Pourquoi me demandes-tu cela? repondit-elle.--C'est que j'ai entendu la petite." La conversation en resta la, mais l'embarras de Mme D*** n'avait pas echappe a son mari, et souvent encore il se demandait: "Qu'ai-je donc perdu?" Le 12 juin au soir, Mme D*** se trouvait encore dans sa chambre avec sa fille, et l'enfant redisait avec ferveur sa naive priere: "Grand Saint, faites retrouver a mon pere ce qu'il a perdu!" "Mais enfin, dis-moi donc ce que j'ai perdu, s'ecria M. D*** en entrant violemment dans la chambre... Depuis huit jours, je me le demande... Depuis huit jours, cette pensee m'obsede... Tu fais toujours prier ta fille pour cela, mais tu ferais bien mieux de me le dire, car je saurais si cela vaut la peine de fatiguer cette enfant!" Mme D*** se leva, en regardant son mari avec calme: "Mon ami, lui dit-elle, serais-tu content de me quitter pour toujours? --Ah! pour cela non! et si c'est pour cela que tu pries et que tu vas a l'eglise, tu peux t'abstenir! --Cependant, mon cher ami, si tu ne retrouves pas ce que tu as perdu, il faudra nous quitter un jour..., et pour toujours! --Mais qu'est-ce donc?... Dis, je t'en conjure..., qu'ai-je donc perdu? --La foi... la foi de ta mere!... et je ne veux pas te quitter, moi... Oh! je ne le veux pas... il faut que tu la retrouves!" Et la pauvre femme pleurait, pendant que, sans ajouter un seul mot, M. D*** sortait. "La foi, disait-il, la foi de ma mere... de ma femme et de ma fille!". Et pendant toute la nuit, Mme D*** qui priait, l'entendait marcher, s'agiter et repeter souvent: "La foi... la foi de ma mere!" Le lendemain matin, M. D*** entre sans rien dire, dans la chambre de sa femme; puis, comme eveille par une idee subite: "Est-ce que vous avez une fete aujourd'hui? --Oui, mon ami, la fete de saint Antoine de Padoue. --Ah! le petit Saint de la cheminee! ... Eh bien! merci, saint Antoine!" Et comme Mme D*** le regardait anxieuse... "Oui, oui, ma femme, s'ecria-t-il en ouvrant les bras, oui, c'est fait, j'ai retrouve ce que j'avais perdu;--mais nous devons un beau cierge a ton petit Saint, allons le lui porter!" Et quelques minutes plus tard, le frere Portier du couvent des Franciscains appelait un Pere pour confesser M. D*** qui avait retrouve la foi. (_R. P. Apollinaire_.) * * * * * 30.--LE CHEMIN DU COEUR. Un honorable ecclesiastique de Paris venait d'etre appele pour confesser une vieille femme mourante dans une de ces maisons qui servent de refuge aux chiffonniers; il entendit des cris plaintifs partir d'une chambre voisine et comme le bruit d'un corps qui tombe. Il s'y precipite et voit une femme etendue sur le carreau, qu'un homme rouait de coups. "Ah! malheureux!" s'ecrie involontairement l'abbe. L'homme se retourne, et, apercevant le pretre, il lui dit: "Que viens-tu chercher ici, calotin? Tu vas passer par la fenetre." Et, le saisissant par le collet et la ceinture, il le souleve de terre et se rapproche de la fenetre. C'etait au troisieme etage. L'abbe avait conserve sa presence d'esprit. Rapide comme l'eclair, un souvenir se presente a lui, et sans paraitre emu, il lui dit: "Moi qui venais vous chercher pour porter secours a une pauvre voisine qui se meurt!" L'homme s'etait arrete; il etait temps: la fenetre ouverte n'etait plus qu'a un pas. Il repose l'abbe par terre en lui disant: "Qu'est-ce que c'est?--Une pauvre femme qui se meurt sur un veritable fumier, et je venais pour que vous m'aidiez un peu a la secourir.--Voyons." Et l'abbe le conduisit dans la piece contigue et lui montra une vieille femme etendue sur un miserable grabat couvert d'une paille infecte, dans le paroxysme d'une fievre brulante, a peine recouverte de quelques miserables haillons. "Ah! pauvre femme! dit le chiffonnier dont la colere etait tout a fait tombee a cet aspect.--Je vais vous prier, lui dit l'abbe en lui tendant une piece de 40 sous, de me procurer deux ou trois bottes de paille fraiche pour qu'elle soit un peu moins mal.--Tout de suite." Et, prenant la piece, il s'elance, descendant quatre a quatre les marches de l'escalier vermoulu. A peine etait-il parti que toutes les portes du corridor s'ouvrirent, et tous les habitants, les femmes surtout, y compris celle qui venait d'etre battue, se precipitent en disant: "Sauvez-vous, monsieur l'abbe, sauvez-vous vite pendant qu'il est loin. Il est aussi fort qu'il est violent, et s'il vous retrouve ici, il pourrait bien vous faire un mauvais parti.--Non, non, repondit l'abbe en souriant, je resterai. Je l'ai entrepris. Il vaut beaucoup mieux que vous ne croyez, et il faudra bien que j'en vienne a bout." On l'entendit remonter. Chacun etait rentre chez soi, fermant soigneusement sa porte. Il arrivait en effet, charge de trois bottes de paille qu'il jeta a terre a la porte de la malade. Il en delie une, etend la paille par terre, et enlevant la pauvre infirme aussi delicatement qu'aurait pu le faire une soeur de charite, il la pose dessus avec precaution. Ouvrant la fenetre, il jette dans la rue, sans trop de souci des ordonnances de police, le fumier infect qui couvrait le grabat, et le remplace par la paille fraiche des deux autres bottes; il la recouvre de ce qu'il trouve de mieux dans tous ces haillons, et replace sur son lit avec le meme soin la vieille femme, qui le remercie par signes et surtout par l'air de satisfaction et de bien-etre avec lequel elle s'arrangeait sur sa couchette. L'abbe l'avait regarde avec bonheur, et des que tout fut fini, lui prenant la main, il lui dit: "Tenez, je gage que vous etes plus content de vous que si je vous avais laisse battre votre femme tout a votre aise.--Ah! dame! je ne dis pas; et, regardant la vieille voisine, il ajouta: Pauvre femme, je ne savais pas qu'elle fut si mal.--Vous etes un brave homme, j'ai vu comme vous vous y preniez bien pour elle, et avec quel soin.--Oh! c'est qu'elle est si faible!--Je reviendrai la voir dans quelques jours, et j'aurai bien du plaisir a vous voir.--Ah! monsieur l'abbe, dit-il en rougissant un peu; et prenant la main que l'abbe lui tendait de nouveau: Excusez si j'etais bien en colere tout a l'heure.--Je n'y pense plus, et a revoir. Cependant vous allez me faire une promesse.--Quoi donc?--Je reviendrai dans cinq a six jours, et d'ici-la vous ne battrez pas votre femme.--Ah! c'est qu'il y a des moments qu'elle m'impatiente.--Eh bien! dans ces moments-la, vous irez voir cette pauvre voisine... C'est promis, a revoir." Et sans attendre davantage, il secoue la main du chiffonnier et se hate de partir. Il revint effectivement au bout de cinq jours, et apres sa visite a la pauvre vieille, qui lui raconta en pleurant combien son terrible voisin avait ete bon pour elle, il entra chez lui. En le voyant, la femme se precipite vers lui en lui disant: "Ah! monsieur l'abbe, vous m'avez sauve deux _roulees_." Le mari, un peu confus, ajouta: "Ah! oui, les mains m'ont bien demange... Mais j'ai fait comme vous m'avez dit, et je ne rentrais que quand la colere etait passee.--Vous le voyez, dit l'abbe, on peut toujours en venir a bout, et je suis sur qu'apres ces deux fois vous avez trouve votre femme bien plus douce." La glace etait rompue, et l'abbe en profita pour parler un peu charite et amour du prochain. Nul n'avait mieux que lui, qui prechait si bien d'exemple, le droit d'en parler. De la il passa un peu a l'amour de Dieu, et quitta le couple enchante, emportant une nouvelle promesse de patience et celle d'une visite du mari. Sous cette grosse enveloppe il cachait un coeur intelligent et bon, et il ne fut pas difficile a l'abbe de le ramener a Dieu. Apres avoir ete la terreur de son quartier par sa force et sa violence, il en devint le modele et l'apotre. Plus d'une fois il amena a l'abbe d'anciens camarades dont il avait determine la conversion. Un matin, l'abbe se trouvait d'assez bonne heure a Saint-Sulpice. Il le vit entrer et, apres une courte priere, s'approcher du tronc des pauvres, y jeter quelque chose et se retirer precipitamment. Il le suivit, et l'ayant rejoint dehors, il lui demanda ce qu'il venait de faire. Le chiffonnier hesita a repondre, mais, certain que l'abbe avait tout vu, il lui dit: "Eh bien! c'est l'argent de mon dejeuner que j'y ai jete. Autrefois je n'en ai que trop depense au cabaret. J'ai donne des scandales, vous le savez mieux que personne. Pour les reparer autant que je le puis, je jeune quelquefois, et comme il ne serait pas juste d'en tirer profit, je viens jeter ici, pour les pauvres, l'argent que mon dejeuner m'aurait coute." (_L'abbe Mullois_.) * * * * * 31.--LE NOUVEL AUGUSTIN. Un jeune homme du nom d'Augustin, emporte par ses passions ardentes, etait tombe dans le desordre presque au terme de ses etudes. Ne connaissant plus ni frein ni regle, il n'ecoutait meme pas sa mere et restait insensible a ses larmes comme a ses reproches. Par intervalles cependant, le remords venait troubler la conscience du jeune libertin, mais il tachait de s'etourdir davantage et se plongeait dans la dissipation. Soudain, une maladie de poitrine se declara. Inquiete de le voir partir pour la capitale avec une toux opiniatre, sa plus jeune soeur, Anna, cacha, sans le lui dire, une medaille de la sainte Vierge dans l'habit qu'il portait. Ce pieux stratageme fut sans effet sur lui. Loin de la: "On s'est donne une peine inutile, ecrivit-il bientot; je prie qu'on ne recommence pas, mon tailleur a bien autre chose a faire qu'a decoudre des medailles." Les symptomes de la maladie ne tarderent pas a devenir inquietants, et firent de rapides progres; des crachements de sang menacaient d'etouffer tout a coup le malade. Ainsi la mort le pouvait frapper a toute heure: pauvre Augustin! il n'etait pas prepare a paraitre devant Dieu, il ne songeait pas meme a s'y disposer. Un jour, dans une entrevue qu'il eut avec sa soeur religieuse, celle-ci lui avait dit avec tendresse: "Mon cher Augustin, songe donc a mettre ta conscience en regle avec Dieu; moi qui t'aime tant, je ne puis soutenir la pensee de te savoir loin de lui." Pour toute reponse, le jeune homme avait serre avec emotion la main de sa soeur, puis il avait cherche a changer une conversation qui semblait le fatiguer. Un autre jour, une crise violente ayant fait apprehender que sa derniere heure ne fut arrivee, sa mere avait fait prier l'aumonier, premier depositaire des secrets du coeur de son fils, d'accourir en toute hate. L'aumonier s'etait presente sans retard avec sa douce parole, son regard ami. Augustin n'avait voulu rien entendre, et le vieillard s'etait retire les yeux pleins de larmes ameres. Mais pendant qu'Augustin repoussait le ministre de Dieu, on priait pour lui dans les sanctuaires consacres a Marie, si bien surnommee l'esperance des desesperes: l'heure du triomphe de la grace ne devait pas tarder a sonner. Soudain une crise affreuse se declare, c'est le dernier avertissement du ciel. Surmontant alors sa douleur, la mere d'Augustin s'approche de son lit et lui dit avec amour: "Mon fils, je t'en supplie, ne differe pas davantage; si cette crise continue, es-tu sur d'en supporter l'effort, dans l'etat d'epuisement ou tu es?" Courageuse mere, pour sauver l'ame de votre enfant, vous avez su triompher des faiblesses du coeur maternel; mais aussi, que votre ame abattue fut consolee quand le pauvre malade, levant vers vous son regard mourant, vous dit: "Je le veux bien, faites venir M. le Cure!" Celui-ci arriva promptement, fut recu a bras ouverts, et commenca avec le jeune homme un de ces mysterieux entretiens dont le ciel seul connait le secret et qui rehabilitent les ames devant Dieu. Quand le pretre sortit, le malade etait calme, une douce joie brillait sur son visage. Augustin, qui depuis trois mois n'avait pour sa mere qu'une froideur glaciale, triste fruit de son esprit aigri et chagrin, l'appela pres de son lit et l'embrassa avec tendresse; c'etait le temoignage de la reconciliation qu'il venait de cimenter avec Dieu, l'expression filiale de sa conscience tranquillisee. A partir de ce moment, le plus admirable contraste se fit remarquer dans le jeune malade; on le voyait subir d'heure en heure l'influence de l'action celeste. Lui adressait-on des paroles de piete? il les recevait avec reconnaissance. Lui faisait-on une lecture edifiante? il l'ecoutait avec une douce attention. Les _Confessions_ du grand eveque d'Hippone faisaient, entre tous les autres livres, ses plus cheres delices. C'est mon histoire que je lis, disait-il avec un pieux sentiment d'amour de Dieu. Il contemplait avec bonheur la croix de Jesus, cherchant a participer a la vertu qui s'en echappe pour le chretien supportant sans se plaindre les plus cruelles douleurs. Il fit publiquement ses excuses a tous les membres de sa famille et aux personnes de la maison pour les scandales qu'il avait donnes, et particulierement au venerable ecclesiastique dont il avait refuse le ministere quelques mois auparavant. Sa mort fut des plus edifiantes: le pecheur etait devenu un saint. * * * * * 32.--VAINCU PAR L'EXEMPLE. Un enfant pieux etait place dans un tres mauvais atelier de tourneur; c'etait veritablement pour lui un enfer. Pour comble de malheur, le patron avait un contrat passe avec les parents et ne voulut pas entendre parler de rupture. Le jeune apprenti fut tente de se desesperer; mais soutenu par les conseils de son confesseur, il se resigna. Les attaques allaient toujours croissant. Enfin, un dimanche, le pauvre enfant vient se jeter dans les bras de l'aumonier, et, fondant en larmes, lui fait part de ses nouveaux tourments; il se plaint surtout d'un ouvrier qui s'acharne apres lui plus que les autres et le harcelle de ses impietes. Quel remede a cette situation? "Un seul, la priere! Priez pour la conversion de ce malheureux! Tout est possible a Dieu." lui dit le confesseur. Reste seul dans un petit sanctuaire, l'enfant se prosterne devant une statue de la Sainte Vierge, pleure a chaudes larmes et prie longtemps avec la plus grande ferveur. Le samedi suivant, l'apprenti amenait aux pieds de l'aumonier du Patronage le malheureux ouvrier sincerement converti, autant par les prieres que par les bons exemples et la resignation de l'enfant. Peu de temps apres, tous les deux s'approchaient de la sainte Table, combles de graces et de consolations. Cet ouvrier persevera dans son heureux retour et prit energiquement la defense du pauvre apprenti. Ce n'est pas tout. Quelque temps apres, le patron lui-meme vint trouver le directeur du Patronage, lui avouant que l'exemple des vertus simples et modestes de son apprenti, joint a des malheurs de famille, avait profondement touche son coeur. "Je me suis deja confesse a M. le Cure, dit-il, et j'y retourne ce soir. Demain je fais mes Paques. Desormais je ne veux pas d'autres apprentis, ni d'autres ouvriers que ceux du Patronage. Jamais je ne travaillerai le dimanche, jamais une mauvaise parole ne sera prononcee chez moi. Veuillez, monsieur, me considerer comme un des votres, comme tout devoue a la religion et a la moralisation de la classe ouvriere." Ne faut-il pas dire apres cela que la priere et le bon exemple peuvent convertir les coeurs les plus endurcis? * * * * * 33.--LA FILLE DU FRANC-MACON. J'ai ete appele, racontait en 1865 un venerable religieux passioniste, pour administrer un mourant a Brooklyn. C'etait un allemand, que j'avais eu l'occasion de rencontrer plusieurs fois. Sa fille unique, excellente catholique, me prevint que son pere etait franc-macon et qu'il fallait exiger sa retractation. "Apres avoir entendu sa confession, je lui demandai s'il n'avait pas appartenu a quelque societe secrete.--Oui, mon Pere, je suis franc-macon; mais, vous le savez, en Amerique, cela n'est pas mal.--C'est une erreur, lui dis-je; la franc-maconnerie est condamnee partout ou elle existe. Il vous faut donc retracter tout ce que vous avez pu promettre et me delivrer vos insignes. "Le malade fit bien quelques difficultes, mais il avait garde la foi, et il signa la retractation que je redigeai: puis il me fallut faire de nouvelles instances pour obtenir son echarpe, son equerre et sa truelle d'argent, son tablier de peau et son rituel, renfermes dans une armoire pres de son lit. Je dus lui expliquer la necessite de se depouiller de tous ces objets s'il voulait faire preuve d'un repentir sincere et d'un retour efficace a l'Eglise. Je sortais, emportant les depouilles opimes, et tout heureux d'avoir arrache son ame au demon. "La jeune fille m'attendait sous le vestibule: Eh bien! dit-elle, mon pere vous a tout remis? Tout, n'est-ce pas? Il a fait la paix avec Dieu?--Voyez plutot, ma fille. Et je lui montrai les objets que j'avais a la main. Elle les prend l'un apres l'autre, et puis, d'un air triste, elle dit: "Non, tout n'est pas la; il n'a pas eu de peine a vous remettre ces insignes; il lui en a coute davantage pour ce livre, qui est particulier a son grade. Mais il y a encore autre chose.--Quoi donc?--Un ecrit dont j'ignore le contenu; mon pere m'a recommande de le porter tout cachete apres sa mort au chef de sa Loge. Ce doit etre quelque secret important." "Je retourne pres du malade, et je lui dis: "Mon pauvre ami, pourquoi me trompez-vous? Vous allez paraitre devant le tribunal de Dieu; croyez-vous echapper a sa justice? Vous avez encore quelque chose a me livrer." Le malade parut consterne; je remarquai la paleur de son visage et le trouble de ses yeux; puis il dit avec un certain embarras: "Mais vous avez tout emporte, je n'ai plus rien a vous livrer.--Non, il y a un ecrit comme en font tous les francs-macons.--C'est une erreur, mon Pere, je n'ai plus rien." Je redoublai d'instances: tout etait inutile, le demon allait triompher. J'employais tous les moyens que je croyais efficaces en telle occasion. Je n'obtins rien: le malade niait, ou ne repondait pas. Alors, sa fille ouvre la porte et se jette a genoux au pied du lit: "Oh! mon pere, de grace, sauvez votre ame; votre fille serait trop malheureuse. Vous dites que vous m'aimez, prouvez-le maintenant." "Le malade ne s'attendait pas a cette secousse: les embrassements et les larmes de sa fille l'emeuvent; elle lui prodigue les caresses les plus vives; elle lui dit les paroles les plus tendres, lui parle du ciel qu'il perd, et le malade veut repondre: "Tu sais que je n'ai rien de cache." Sa fille, prenant un ton inspire: "Ne mentez pas, mon pere; vous avez toujours ete franc; que je ne rougisse pas de votre nom. Donnez au Pere le papier que vous m'avez recommande de porter au venerable de la Loge." "A ces paroles, le malade pousse un cri; puis, faisant un effort, il dit en soupirant: "Non, ma fille, tu ne rougiras pas de ton pere. Tiens, prends cette clef a mon cou, ouvre le tiroir, et donne au Pere le papier qu'il renferme." Puis il tombe affaisse. "Sa fille, prompte comme l'eclair, avait execute ses ordres et me remettait un pli cachete en disant: "Victoire! mon pere est sauve!" Cette scene m'avait profondement touche. Le courage de cette fille me rappelait une chretienne des premiers siecles. Le malade vecut encore quelques heures, et ses dernieres paroles etaient un acte de contrition, en meme temps que de foi et d'esperance. J'ouvris, en presence de sa fille, le pli cachete. C'etait un serment signe avec du sang. J'avais entendu parler de ce genre d'ecrits en usage chez les chefs de la franc-maconnerie; mais quand je parcourus ce papier, je n'en pouvais croire mes yeux. C'etait le serment d'une guerre sans fin, sans merci, contre l'Eglise, la papaute et les rois; avec les plus execrables maledictions s'il violait sa parole. Ce papier, je l'ai remis entre les mains de l'archeveque, afin qu'il put apprecier aussi bien que moi la malice infernale de la franc-maconnerie." * * * * * 34.--UN VOYAGE DE CENT LIEUES EN AUSTRALIE. Dans une de ses courses apostoliques au milieu des regions peu frequentees de l'Australie, Mgr Polding tomba malade et fut soigne avec un devouement admirable par une veuve. Le venerable prelat, revenu a la sante, lui fit promesse qu'a quelque epoque de l'annee et en quelque lieu qu'il fut, il reviendrait, a son appel, lui administrer les derniers sacrements. Bien des saisons se passerent, et une nuit d'automne arriva une lettre invitant l'archeveque a remplir la promesse faite a sa bienfaitrice qui se mourait. Sans hesiter un seul instant, le digne prelat, en depit de la rigueur de la saison, se mit immediatement en route. Apres avoir bien marche des heures et des jours, il arriva haletant et harasse a la maison qu'il etait venu chercher de si loin; mais a son grand etonnement, il trouva une solitude complete. Pendant que l'archeveque meditait ce qu'il allait faire, son attention fut appelee soudain par le bruit de la hache d'un bucheron. Se dirigeant immediatement vers l'endroit d'ou partait le bruit, il se trouva bientot en face d'un robuste Irlandais. Mgr Polding apprit de lui que la vieille dame, craignant quelque retard de sa part, s'etait decidee, bien que mourante, a aller chercher ailleurs des secours spirituels; mais le bon Irlandais ne put lui indiquer la direction qu'elle avait prise. Le prelat comprit qu'il serait completement inutile d'aller a sa recherche mais une inspiration lui vint. Il s'assit sur un tronc d'arbre, et, s'adressant au bucheron, il lui dit: "Eh bien, mon brave, apres tout, je n'ai pas l'intention d'etre venu ici pour rien. Ainsi, mettez-vous a genoux, et je vais entendre votre confession." L'Irlandais commenca par s'excuser, alleguant son manque de preparation, le long laps de temps ecoule depuis sa derniere confession, etc.; mais tous ces scrupules furent combattus par l'archeveque, et le bucheron finit par s'agenouiller, repentant et contrit; pour recevoir l'absolution de ses fautes. L'archeveque lui fit promettre d'aller communier le dimanche suivant, et ils se separerent. Mgr Polding avait a peine fait quelques pas qu'il entendit un profond gemissement. Il revint en toute hate et trouva son penitent mort, ecrase par la chute d'un arbre. Combien n'est donc pas admirable la misericorde de Dieu, qui appelle ainsi un eveque a des centaines de lieues de sa residence, par des chemins pleins de dangers et par le temps le plus rigoureux, pour ouvrir les portes du ciel a l'ame d'un pauvre homme sur le point de comparaitre a son tribunal? * * * * * 35.--RIEN N'EST IMPOSSIBLE A DIEU. Dans une antique cite des bords du Rhin, la femme d'un cordonnier, qui vivait dans une extreme misere, se rendit chez l'eveque, pour lui demander secours et protection. Le prelat etait connu comme le consolateur de toute espece de souffrances: les vieillards, les veuves, les orphelins, les infirmes, les aveugles, tous ceux qui souffraient physiquement ou moralement, approchaient de lui, malgre sa haute dignite, avec confiance et abandon. Quand l'eveque eut entendu les plaintes de la pauvre femme, il lui dit amicalement, mais cependant sur le ton du reproche: "Je ne suis pas assez riche, bonne femme, pour vous donner l'aumone deux fois par semaine." La pauvre femme repondit sans oser lever les yeux: "Que Votre Grandeur daigne m'excuser; mais mon mari est depuis longtemps alite et tourmente de si grandes douleurs!... --S'il en est ainsi, s'ecria l'eveque, je ne saurais vous refuser, car, pour des cas semblables, j'ai toujours une somme en reserve. Je veux voir aussi votre mari et lui apporter quelques consolations spirituelles." A ces mots, la pauvre femme se montra inquiete et embarrassee: "Que Votre Grandeur ne se derange pas... Mon mari a de singulieres idees. --Malgre cela je realiserai mon projet, interrompit serieusement l'eveque qui se figura que cette maladie attribuee au mari etait un pretexte pour obtenir un secours plus abondant. --Il faut donc que je vous avoue franchement, dit la pauvre femme tout en larmes, que mon mari est si profondement irreligieux qu'il ne veut entendre parler d'aucun pretre. --Cela ne m'empechera pas de l'aller visiter, d'autant qu'il est, je le vois, doublement malade. Peut-etre, humble instrument de Dieu, pourrai-je le ramener dans la bonne voie." La pauvre femme courut avec le coeur inquiet pres de son mari; il souffrait beaucoup, elle n'osa lui annoncer la visite qu'il allait recevoir. Bientot apres, la porte de la chambre s'ouvrit doucement, et l'eveque entra. Il s'approcha avec bonte du lit de douleur et s'informa avec bienveillance des souffrances du malade; il s'efforca de rechauffer le coeur du pecheur au foyer toujours brulant de l'amour divin et de le preparer au voyage de l'eternite. Mais le malade qui, a la premiere vue de l'eveque, etait devenu rouge de colere, se montra tellement insensible a ce langage si doux et si eloquent, que le bon pasteur se retira le coeur profondement afflige. Il avait deja franchi le seuil de la chambre, lorsqu'il se retourna une derniere fois. Son doux regard rencontra celui de la femme attristee, et il lui dit a voix basse: "Ne desesperez pas, _vous savez qu'a Dieu rien n'est impossible_; ne doutons pas de la conversion de votre mari. Si un heureux moment venait ou il desirat ma presence, ne tardez pas a m'appeler, serait-ce meme au milieu de la nuit. Votre mari est plus mal que vous ne pensez, et chaque minute est precieuse pour le salut de son ame." La nuit suivante, a onze heures, la pauvre femme arrivait toute haletante au palais de l'eveque. Elle tira vivement, et a coups redoubles, le cordon de la sonnette, jusqu'a ce qu'enfin elle entendit le bruit des clefs et qu'elle apercut le domestique, qui lui demanda avec impatience ce qu'elle pouvait vouloir a une heure semblable. "Mon mari mourant demande Monseigneur. Il reclame la grace qu'il daigne venir au plus tot. --Y pensez-vous? repondit le domestique; comment pourrais-je troubler le sommeil de mon maitre, dont la vie est si remplie et les fatigues si grandes? Votre mari, je pense, peut bien attendre a demain matin; je ferai votre commission des le reveil de Monseigneur. --Ce sera trop tard, soupira la pauvre femme. Pour l'amour de Jesus, ayez pitie de mon pauvre mari et annoncez-moi de suite. Sa Grandeur m'a dit elle-meme de venir la chercher a toute heure, meme au milieu de la nuit. --S'il en est ainsi, repondit avec empressement le vieux et fidele serviteur, je vais communiquer votre demande au chapelain de Sa Grandeur." Et il courut chez le chapelain, qui lui ordonna de reveiller immediatement son maitre; mais l'eveque n'etait pas dans sa chambre a coucher. Le domestique, qui avait vieilli a son service, l'alla chercher a la chapelle, ou il savait qu'il passait en prieres une partie des nuits. Il le trouva, en effet, plonge dans de pieuses meditations devant l'image de Jesus crucifie. Des que le bon evoque connut l'appel du malade, il s'ecria avec une sainte joie: "Combien je vous remercie, mon Dieu, d'avoir exauce ma priere!" Et immediatement il se mit en route, traversa a pas presses les rues etroites et sombres, monta rapidement l'escalier et vint s'asseoir au chevet du mourant, qui le recut avec des larmes brulantes de repentir, et avec une profonde emotion lui parla ainsi: "La nuit etait venue, et j'avais deja passe plusieurs heures sans sommeil sur mon lit de douleur, lorsque tout a coup mon coeur a eprouve une inquietude que je n'avais ressentie de ma vie. J'avais compris quel affreux danger planait sur mon ame; j'ai reconnu mes graves offenses envers Dieu, et, en voyant combien il a toujours ete misericordieux pour moi, j'ai ete epouvante du sort qui m'attendait si je paraissais en cet etat devant le souverain Juge qui voit et qui sait tout. J'ai songe alors a ma mere, qui en mourant m'a recommande a la protection de la bienheureuse Vierge Marie. Je me suis adresse a cette Mere celeste, implorant sa protection aupres de son cher Fils, et bientot j'ai senti la consolation entrer dans mon coeur. Ma femme m'a rappele aussitot votre promesse de m'assister dans ce danger de mon ame et dans le peril de la mort..." Le malade ne put continuer; il retomba epuise sur son lit, en proie a un profond evanouissement. Des qu'il eut repris l'usage de ses sens, il deposa dans le coeur de l'evoque une humble confession generale, et attendit avec impatience ce moment heureux dont il avait ete si longtemps prive, ou lui fut presente le Pain celeste qui remplit son ame d'une paix inexprimable. Il murmura d'une voix deja presque eteinte: "O Dieu! qui as fait pour moi de si grandes choses, sois aussi misericordieux pour ma pauvre ame que tu le fus sur la croix pour le bon larron repentant." Le lendemain, sa lutte avec la mort et la douleur avait cesse: il etait passe a une vie meilleure. Le jour de la conversion de cet homme dut etre le plus beau jour de la vie d'un evoque; car il ne saurait y avoir ici-bas de plus grande joie que la pensee d'avoir ramene un pecheur a Dieu. Et ainsi, en cette circonstance decisive pour le bonheur eternel d'une ame, ce bonheur fut double; c'est la le propre de toutes les oeuvres de misericorde: elles sont la joie de ceux qui les accomplissent et de ceux qui en sont l'objet. * * * * * 36.--L'AMOUR MATERNEL. Dans une des principales villes du midi de la France, un venerable ecclesiastique, vicaire de paroisse, fut soudainement appele vers le milieu de la nuit, pres d'une malade qui, lui dit-on, se mourait, privee tout a la fois des ressources materielles capables d'adoucir les souffrances de son corps, et des sentiments religieux propres a soutenir l'energie de son ame, profondement aigrie par la misere. Le digne pretre ne se fit point attendre. Sautant hors de sa couche et s'habillant a la hate, il est bientot dans la rue, se dirigeant avec son guide vers la demeure de la pauvre mourante, a travers des tourbillons de neige dont une bise glaciale fouettait son visage. Il arrive, gravit six etages et penetre au fond du plus mechant reduit que l'on puisse voir. La, sur un grabat fetide, une malheureuse femme se debattait avec angoisse, voulant et ne voulant pas mourir; car a ses cotes dormait, ensevelie sous d'informes haillons, une petite fille qui la rattachait encore a la vie quand le malheur la pressait au contraire de quitter un monde devenu inhabitable pour elle. Un tel spectacle emut l'envoye de Dieu jusqu'aux larmes, et le frisson d'une pitie sincere parcourut tous ses membres. Que faire devant une pareille infortune? Comment ramener la paix et la joie dans une ame ainsi torturee, toujours en presence d'une misere de plus en plus poignante, de plus en plus irremediable? Tout autre qu'un pretre assurement eut recule devant une mission si difficile. L'abbe ne se decouragea point; il prit conseil de sa foi, il prit conseil de son coeur, et le plus doux triomphe couronna bientot ses intelligents efforts. Aux premiers mots sortis de sa bouche, la malade avait brusquement detourne la tete, a ses exhortations toujours plus tendres et plus pressantes, elle opposait une indifference profonde, un de ces sourires amers qui deconcertent les plus robustes esperances et attestent une incredulite systematique ou une ignorance absolue des verites chretiennes. Il fallait donc tenter un dernier assaut decisif; c'est alors qu'une inspiration soudaine vint illuminer l'esprit du bon pasteur a la recherche de sa brebis egaree. "Elle resiste a mes paroles, se dit-il en lui-meme, elle ne resistera pas sans doute aux saintes obligations de la maternite; l'amour maternel mene a Dieu, qui aime si tendrement sa Mere." Et, saisissant l'enfant endormi dans un coin de la mansarde, il le presenta a la mourante en lui disant: "Sauvez votre ame, vous sauverez celle de votre fille; si vous devez la laisser orpheline ici-bas, au moins gagnez le ciel pour la proteger et lui garder une place parmi les anges." A la vue de cette innocente et douce creature qui lui tendait ses petits bras et sollicitait ses caresses, la pauvre femme jeta un cri percant, serra convulsivement son enfant sur sa poitrine haletante, et, au bout de quelques instants, ses yeux desseches s'emplirent de larmes; bienheureuses larmes qui emporterent avec elles toutes les barrieres que l'esprit de revolte avait placees entre son coeur et celui du souverain Juge, dont la main ne nous frappe ici-bas que pour nous guerir. L'attendrissement qui ouvrait son ame aux plus nobles sollicitudes d'une mere, l'ouvrit en meme temps a tous les sentiments chretiens qui donnent la resignation dans les souffrances et le courage dans l'adversite. "Mon Dieu, s'ecria-t-elle pleinement soumise et consolee, mon Dieu, que votre volonte s'accomplisse! Je vous fais volontiers le sacrifice de ma vie; que tous les maux que j'ai soufferts soient autant d'infortunes epargnees a l'enfant qui doit me survivre. Et vous, monsieur l'abbe, ajouta-t-elle, daignez, je vous en conjure, prendre soin de l'orpheline; je vous la confie: si vous acceptez ce depot, je mourrai contente et rassuree." L'abbe promit tout, et la malade se confessa avec de grands sentiments de contrition. L'amour maternel l'avait ramenee a l'amour de Dieu. * * * * * 37.--UN PECHEUR MORIBOND ASSISTE PAR UN PRETRE MOURANT. Il y a une dizaine d'annees, l'eglise de Saint-Paul-Saint-Louis, de Paris, avait parmi ses desservants un pretre qui se faisait remarquer par sa haute taille et son visage grave et basane. A ses allures un peu militaires on devinait sans peine que ce pretre avait du porter l'epee, et l'on ecoutait sans surprise l'histoire de ce brave officier de cavalerie, qui vaillamment s'etait battu sous le commandement de don Carlos, l'avait suivi, et enfin etait entre dans le sacerdoce. Ce pretre etait l'abbe Capella. Apres etre reste quelques annees a Saint-Paul-Saint-Louis ou il s'etait particulierement attire l'estime de tous, M. Capella fut appele a une petite cure des environs de Paris. La, il fut venere par ses bons et simples paroissiens, presque tous jardiniers; son caractere aimable et sa franchise militaire avaient vaincu tous les prejuges, toutes les antipathies memes; le bien que fit la son court passage, est incalculable. C'etait la veille de sa mort; les derniers sacrements venaient de lui etre administres, et il se recueillait dans son action de graces, offrant au Seigneur ses dernieres souffrances et son agonie qui allait commencer. A ce moment une personne entra inopinement et s'approchant de lui: --Monsieur le Cure, lui dit-elle, un tel, que vous connaissez bien, est tres malade; il va mourir; nous sommes bien en peine, car il ne veut recevoir aucun pretre. Ainsi, quand M. le cure est venu, il lui a tourne le dos et ne veut pas l'entendre. --Quel malheur! un si brave homme, fit M. Capella avec chagrin. Ah! si moi-meme je n'eusse pas ete mourant, peut-etre ne m'aurait-il pas si mal recu! --Ah! vous, Monsieur le Cure, il vous aime et vous venere trop pour cela! Mais helas!... Et elle se retira sans achever. Une pensee sublime vint au saint pretre; se soulevant sur sa couche et joignant les mains: Mon Dieu, donnez-moi un peu de force! s'ecria-t-il. Faisant alors un effort supreme, il endossa une derniere fois ses vetements ecclesiastiques, puis il dit, d'un ton resolu, aux amis qui l'entouraient: --Soulevez-moi et portez-moi chez le malade. Frappes de stupeur, pas un ne bougea. Ils ecoutaient cette voix expirante qui avait retrouve le ton du commandement pour faire une chose impossible, et ils crurent le cure dans le dernier delire. Prenez-moi, repeta-t-il avec une supreme autorite. Une exclamation assourdie sortit de toutes les bouches. Mais le mourant, dont l'heure de vie s'etait refugiee dans son inebranlable volonte, presenta ses bras tremblants, ses jambes inertes deja; on lui obeit donc et soutenant avec precaution ce corps qui voulait reprendre la vie pour aller sauver une ame, on le deposa sur une litiere. "Ah! mon Dieu! il va mourir en route!" s'ecria l'un des porteurs avec desespoir. Lui, sans s'inquieter de ce qui se passait ou se disait autour de sa couche, absorbe dans son heroique idee fixe, donnait des ordres pour qu'on lui apportat ce qui etait necessaire a l'administration des sacrements. Quand tout fut pret: "En route, et hatons-nous," commanda-t-il. On se mit en marche vers la maison du malade. Le pretre ne faisait entendre ni un cri, ni une plainte, ni meme un soupir dans ce chemin douloureux dont tout choc etait une angoisse, mais il priait avec ferveur. Le voila pres du lit de cet autre mourant. "Mon ami, lui dit-il d'une voix entrecoupee, nous allons tous les deux paraitre devant le bon Dieu. Voulez-vous que nous fassions le voyage ensemble?... Moi, je viens vous aider... et vous apporter les secours de cette derniere heure..." Un intraduisible cri echappa au malade, et sans pouvoir articuler un mot, il saisit la main de son pasteur et la porta a ses levres avec un mouvement d'adoration. "Mon ami, continua celui-ci, le temps est court...; confiez-vous a moi; vous ne me refuserez pas de vous confesser, n'est-ce pas?" Le malade, subjugue par cet heroisme de la foi, fondit en larmes. "Oh! oui, je veux me confesser a vous!" s'ecria-t-il. Un sourire du ciel passa sur les levres blanches du pasteur. Il fit un signe, et le vide s'etablit autour des deux mourants. Bientot apres, le ministre de Dieu fit un dernier effort pour elever sa main au-dessus de la tete du pardonne, et les paroles de l'absolution tomberent comme une rosee sur cette ame ressuscitee. Le pretre appela; "L'Extreme-Onction!" demanda-t-il. On lui apporta ce qui etait necessaire pour la reception du Sacrement. "Prenez mon bras, et conduisez ma main," dit-il a son aide. Et l'on conduisit cette main mourante, se trainant refroidie deja, comme une supreme benediction, sur les membres du malade qui semblait se ranimer sous ce froid attouchement et sous les onctions de l'huile sainte. Quand tout fut acheve, le pretre pencha sa tete alourdie vers celui qu'il venait d'administrer, et dans un soupir de soulagement, il dit tout bas: "Au revoir, mon ami!... Maintenant, remportez-moi, ajouta-t-il d'une voix eteinte. _Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum, in pare!_" Puis sa tete tomba pesante sur sa poitrine; ses bras fatigues se laisserent pendre; ses yeux se fermerent: et, pendant cette lugubre route du retour, on aurait cru qu'il n'existait plus, si l'on n'avait vu ses levres remuer sous un souffle de priere. Peu apres, on le deposa immobile sur son lit. Quelques heures plus tard, il etait mort. * * * * * 38.--DEUX FOIS SAUVE! Il y a dans notre college, rapporte un eminent ecrivain, retracant ses souvenirs de jeunesse, un pauvre abandonne qu'on appelle Isaac. Comme son nom l'indique, il est juif. De plus, il est orphelin et sans fortune. La reprobation terrible qui pese sur sa race, eloigne de lui jusqu'aux moins chretiens de nos camarades. On le voit toujours dans le coin le plus desert de notre cour, ou le poursuivent encore les injures et les railleries d'un age sans pitie. Cependant il est doux et semble resigne par avance a toutes les amertumes de la vie, dont celles du college ne sont qu'un avant-gout. Quelquefois la nature l'emporte et le malheureux enfant eclate en sanglots; il se cache le visage entre les mains et pleure des heures entieres. Depuis longtemps je pense a l'aborder. Je voudrais consoler un peu cette precoce affliction, tenir compagnie a cette solitude prematuree; mais je n'ose. Isaac n'est pas sans quelque sauvagerie; ses malheurs et son abandon lui ont inspire la defiance. Quelques mechants coeurs, comme il en est meme au college, ont encore contribue a augmenter cette defiance, en venant solliciter l'amitie de l'orphelin et en trahissant ensuite, avec tous les secrets confies, un coeur si desireux d'abord de se communiquer, mais que l'infortune avait rendu susceptible a l'exces et incapable de se livrer deux fois. L'autre jour, une de ces tristes scenes qui se renouvellent trop souvent, est venue ajouter de nouvelles douleurs a celles de celui que j'aime en secret. Je sortais du parloir au milieu de la plus longue de nos recreations; tout a coup j'entends de grands cris. Je me hate, j'arrive devant tous nos camarades rassembles. Ils etaient en grande agitation. "Qu'y a-t-il?--C'est Isaac qui nous a denonces," me repond le plus colere. Et il entame une longue histoire a laquelle chacun veut ajouter son trait. C'etait encore une accusation banale et sans fondement. Les preuves abondaient, la haine suggerait les plus detestables hypotheses a ces petites tetes mechantes et enflammees; on accueillait tout, pourvu que tout fut contraire a l'accuse. Tristes juges comme on en voit tant dans un monde qui n'a plus la jeunesse pour excuse! Isaac n'etait pas la, mais bientot nous le vimes paraitre, accompagne du superieur qui s'eloigna quelques secondes apres, laissant le pauvre enfant en proie a la cruaute de ses ennemis. Oh! ce mot de _cruaute_ n'est pas trop fort. On l'injuria, et les injures bientot furent suivies de pierres. Un fils de boucher, qui sans doute avait vu avec quelque profit son pere assommer des boeufs a l'abattoir, s'elanca enfin sur lui et de ses gros poings lui mit la figure en sang. J'etais pale d'indignation. Mon coeur battait vivement. La colere finit par l'emporter, la sainte colere, et je m'elancai devant Isaac: "Vous etes des laches, m'ecriai-je en lui prenant les mains, et malheur au premier d'entre vous qui touchera a mon _ami!_" J'appuyai a dessein sur ce dernier mot, je regardai les agresseurs d'un regard decide, les poings fermes, le pied en avant: je leur semblai redoutable, malgre ma petite taille; ils se turent, ils s'eloignerent en jetant au vent leurs dernieres insultes, et l'un d'eux declara qu'il fallait mettre les deux juifs a la quarantaine. Ce mot de juif me fit beaucoup rougir, malgre moi. Cependant je me remis de cette soudaine emotion et me penchai vers Isaac. Il s'appuyait sur moi et semblait me sourire, mais je le vis tout a coup chanceler, puis tomber sans connaissance. Tant de douleurs l'avaient brise. Alors j'appelai a mon secours, et comme personne ne venait a mes cris, je rassemblai toutes mes forces, je le pris dans mes bras et parvins a le transporter jusqu'a l'infirmerie. Il y fut pres d'une heure evanoui. Cependant l'affaire s'etait ebruitee. Le superieur arriva et me tendant la main: "Vous etes un digne enfant, me dit-il; je sais tout et je veux desormais que vous me regardiez comme un ami, comme un pere." Il ajouta en me montrant la croix: "Mais voici l'Ami celeste, voici le Pere qui vous recompensera mieux que moi de votre belle action!" Il se retira, en me permettant de rester aupres de mon nouvel ami jusqu'a sa complete guerison. Helas! il ne savait pas que la maladie du pauvre enfant dut etre si longue. Le medecin vit bien tout d'abord que le cas etait grave et fit craindre une fievre cerebrale. En effet, les symptomes en eclaterent des le soir. Quinze jours apres, le pauvre Isaac etait encore a l'infirmerie, mais il etait sauve. J'avais obtenu la permission de le veiller une partie des nuits, et la soeur de charite avait peine a m'arracher de ce chevet auquel il semblait que ma propre vie fut attachee. Ces nuits furent pour mon ame une source delicieuse de jouissances morales. J'y pris une habitude presque monastique, celle de lire en latin l'office meme de l'Eglise, et je n'ai pu depuis detacher mes levres de cette coupe trop meprisee de la liturgie catholique. Oui, je me rappelle ces soirees d'ete, alors que quelques rayons, les derniers du jour, venaient enflammer les vitres de l'infirmerie, et qu'a genoux au pied du lit de mon ami en delire, je suivais sur ce visage en feu les progres du mal ou cherchais a y demeler les esperances de la guerison. Une idee m'avait saisi des le premier jour, idee si naturelle aux imaginations catholiques, qu'il semble qu'elle soit la premiere a y naitre et la derniere a s'en retirer, l'idee de convertir mon nouvel ami et de guerir en meme temps son corps et son ame egalement malades. Cette idee me poursuivait. Je ne pouvais m'empecher de penser que Dieu n'avait pas permis, sans quelque dessein secret, qu'un innocent fut accable de tant de malheurs, abreuve de tant d'injustices. Un jour donc qu'Isaac s'etait endormi, je m'armai d'une sainte audace et passai a son cou une petite medaille de la sainte Vierge. Deja on avait place sous ses yeux, en face de son lit, un crucifix ou il devait lire tout le resume de notre foi eloquente. La pauvre soeur redoublait de soins. Elle avait compris mon idee de conversion, ou plutot l'avait eue avant moi, mais elle eut craint de s'en attribuer le moindre honneur. Isaac fut enfin rendu a sa connaissance. C'etait un dimanche: les eleves etaient a la messe et l'on entendait tres distinctement dans l'infirmerie les chants de nos camarades et les harmonies de l'orgue. La petite soeur et moi suivions notre messe aussi exactement que possible et priions de grand coeur tous les deux pour notre cher malade. J'avais coutume de reserver pour l'instant de l'elevation mes plus vives prieres, et je crois bien que la soeur faisait de meme. Ce jour-la nous fumes encore plus recueillis. Mais un petit bruit nous vint arracher a ce recueillement; notre malade s'etait souleve, il s'etait assis sur son lit et semblait ecouter avec ravissement un bel _O Salutaris_, que nos enfants de choeur n'avaient jamais si bien chante. Il souriait pour la premiere fois peut-etre de sa vie, et ce sourire faisait du bien a voir, quoique brillant sur un visage eteint et decharne. Nous n'osions nous lever, mais il nous apercut, porta les mains a son front comme pour recueillir ses idees, reflechit quelques instants, puis tout a coup s'ecria: "Mon frere, mon cher frere!" Et je tombai dans ses bras. Nous pleurions tous, et la soeur souriait a travers ses larmes. Mais Isaac s'arreta tout a coup, et se mit a fixer le crucifix que nous avions mis sous ses yeux. Il le regarda d'abord froidement, puis ses yeux s'animerent, l'amour penetra dans son regard; il contempla alors l'Homme-Dieu avec des yeux qui exprimerent toutes les nuances de la commiseration, de la priere, de l'adoration; ses bras s'agiterent bientot et il les tendit vers Notre-Seigneur; enfin, il ne put resister a la grace, et un torrent de larmes sortit de ses yeux: "Mon Roi, mon Maitre, mon Dieu!" Et se tournant vers moi: "Tu ne sais pas que Jesus et Marie ont veille pres de moi pendant toute ma maladie? Ils etaient la, je les voyais, je touchais leurs mains, j'entendais leurs voix. Oh! je veux etre baptise!" Je l'embrassai en pleurant et lui racontai combien j'avais desire ce moment. Ce jour-la meme, nous eumes ensemble un entretien sur la foi. La soeur savait mieux faire le catechisme que moi; l'aumonier vient l'aider. La convalescence d'Isaac s'ecoula dans ces lecons qu'il semblait avoir deja recues de Dieu lui-meme, tant il s'elevait facilement aux plus difficiles de nos mysteres. Il avait meme sur nos dogmes des lumieres qui etonnaient l'aumonier et dont je profitai. Cependant le bruit de sa guerison s'etait repandu dans le college. On avait bien change d'idees sur le compte des "deux juifs," et comme, apres tout, des coeurs d'enfants ne sont jamais profondement pervertis, tous nos camarades s'etaient sincerement repentis d'une mechancete qui avait failli devenir si fatale. Tous les matins, il en venait a l'infirmerie quelques-uns s'informer avec anxiete de la sante d'Isaac. Les recreations etaient silencieuses, les visages tristes; quand on annonca qu'il n'y avait plus aucun danger pour le malade, ce fut un jour de fete pour tout le monde. On apprit en meme temps la miraculeuse conversion de notre ami et son bapteme, qui eut lieu, d'apres sa volonte, le premier jour qu'il put faire quelques pas. Au sortir de l'eglise, il alla revoir ses condisciples qui etaient devenus ses freres en Jesus-Christ. Ce fut un spectacle touchant: tous ces persecuteurs tomberent aux pieds de leur victime et solliciterent la benediction de celui qui tout a l'heure encore etait un catechumene et n'avait pas seize ans. Isaac, ou plutot Paul (car je lui ai, comme parrain, donne ce nouveau nom), Paul les benit avec ses larmes et voulut tous les embrasser. On sut qu'il etait pleinement chretien, quand on le vit presser avec plus d'amour dans ses bras celui-la meme qui l'avait autrefois le plus cruellement persecute. (_Leon Gautier_.) * * * * * 39.--DIEU A SES ELUS PARTOUT. Une actrice a adresse au P. de Ravignan le recit suivant de sa conversion, une des plus admirables de notre siecle. "Lorsque j'etais tout enfant, ma mere se trouvait seule a Paris, sans argent, sans etat, sans protection. Elle n'avait pas cette religion qui fait supporter toutes les adversites que Dieu nous envoie, mais seulement une foi tres vive en Marie. Des ma plus tendre enfance, elle me fit dire cette petite priere que je n'ai lue dans aucun livre: "Mon Dieu, je vous donne mon corps, mon esprit, mon coeur, ma vie; je me donne toute a vous. Faites-moi la grace de mourir plutot que de vous offenser mortellement. Ainsi soit-il." "Vers l'age de cinq ans a peu pres, j'allais tres souvent avec une vieille femme a la messe, et surtout adorer Jesus dans un sepulcre. Je rentrais a la maison, malade d'avoir vu Notre Seigneur mort pour nous; je pleurais. Ma mere grondait la vieille femme d'exciter a ce point ma sensibilite, et meme elle ne voulut plus absolument que je retournasse a l'eglise. J'etais tres fiere de m'appeler Marie. On me donnait le nom de Josephine a la maison; mais quand on me demandait comment je m'appelais: "Marie, repondais-je aussitot; j'ai le nom de la Vierge." "Ma mere me mit au theatre a l'age de six ans pour apprendre a danser. On la pria de me laisser jouer, elle se laissa tenter. Je jouai, j'eus un tres grand succes. Cependant j'entendais les petites filles parler de la premiere communion, ma mere ne m'en parlait pas; je voulais absolument la faire, mais aucun pretre ne put m'y admettre parce que j'etais au theatre. "Je priais toujours, je travaillais sans cesse; en dehors du theatre, je faisais de petits ouvrages a l'aiguille que je vendais. J'etais entouree de vices dans les femmes meme que j'aimais le plus; je les plaignais. Ma mere m'avait donne des principes que la misere la plus affreuse n'avait pu detruire. J'etais mal vetue, je mangeais des pommes de terre, mais j'etais heureuse avec ma mere. Je me disais: "Dieu me voit, lui; il me trouve bien avec mon vilain chapeau; il ne se moque pas de la pauvre Maria." Car on se moquait de moi; on me disait: "Si vous vouliez, vous auriez des cachemires.--Oui, disais-je, mais je ferais mourir ma mere de chagrin." J'etais une des premieres du theatre, par consequent tres admiree. Si je vous dis cela, c'est pour que vous compreniez bien la haute protection de ma celeste patronne au milieu de ce gouffre. "Ma mere tomba malade. J'etais obligee de passer toutes les nuits, je n'avais pas de domestique; je jouais, je repetais dans la journee; je n'avais le temps d'apprendre mes roles que la nuit, pres du lit de ma pauvre mere. C'est ici que Dieu a ete bon et indulgent pour moi. J'avais fort peu d'appointements, quoique premiere. Eh bien! mon Pere, malgre cela, pendant quatre mois et demi, ma mere etant au lit, depensant beaucoup d'argent que je n'avais pas, je n'ai pas fait de dettes, et je m'en suis tiree. Je devais tomber malade de fatigue et de chagrin, pas du tout: c'est que je priais Dieu, et Dieu aide ceux qui prient de tout leur coeur. "La derniere nuit que je passai pres de ma mere, je ne comprenais pas que ce fut l'agonie. Enfin sa derniere parole fut: "Maria, je t'aime!" et elle rendit le dernier soupir. Oh! mon Pere, quelle nuit! Je n'avais pas quitte ma mere un seul instant de ma vie, et je me trouvais a vingt ans, seule, sans parents, sans soutien, sans fortune, sans Dieu, car je ne le possedais pas encore. Je jurai a ma mere, sur ce corps inanime, sur cette main qui m'avait benie, que toujours je serais digne d'elle. J'allais tous les jours au cimetiere Montmartre, et, en rentrant, je me mettais a genoux au milieu de ma chambre; j'avais le portrait de ma mere la devant moi; j'avais un Christ qui avait ete pose sur son corps; je baisais ce Christ, je baisais le portrait, et ma vie se passait entre ces deux images. "Enfin j'allai vous entendre, mon Pere; vous eclaircissiez des idees confuses dans ma tete. Je suis bien ignorante encore en matiere de religion; j'aime avec amour Jesus et Marie. Pourquoi? comment? je n'en sais rien; je les aime et voila tout. "La seulement je compris ma position. "Sainte Vierge, dis-je alors, le theatre sans vous, ou vous sans le theatre. Ah! mon choix est fait. Mais pour arriver a vous, o Marie, comment faire?" Le dimanche de la Quasimodo, je vous vis de plus pres; je m'etais mise au pied de la chaire. "Je vais ecrire a M. de Ravignan, dis-je; il est impossible qu'il n'obtienne pas cette grace de Mgr l'archeveque: il faut que je communie." Je vous ecrivis, mon Pere, vous savez le reste; mais ce que vous ne savez pas, c'est que mon esprit n'est plus le meme, mon coeur non plus: les pieuses femmes que vous m'avez fait connaitre ont change tout mon etre. "Oh! merci, mon Dieu! merci, mon Reverend Pere! Votre zele a tout fait. J'ai communie, c'est vous dire que je suis la plus heureuse des femmes, et j'etais entouree de Mmes de Gontaut, Levavasseur et d'Auberville. Ah! autrefois je croyais aimer Dieu, mais non; c'est lui qui m'aimait. J'aimais Marie, mais ce n'etait pas de ce saint amour qu'elle a pour nous. Je ne sais pas ce que Dieu me reserve; mais s'il veut me rendre heureuse, il peut m'envoyer tous les malheurs qu'il voudra: je tacherai de les porter avec mon coeur qui est tout a lui. Si Dieu me conserve cette foi qu'il m'a envoyee, je peux tout faire pour lui. Aujourd'hui seulement je comprends les martyrs. "Je vous demande pardon, mon Pere, de la longueur de mon recit; mais je ne suis pas tres versee dans l'art d'ecrire. C'est pour vous obeir que je vous donne ces details. En parlant de ma mere, je ne m'arreterais point. "Mon premier acte, en sortant du theatre, a ete une premiere communion. Dieu veuille qu'en sortant de cette vie je sois agenouillee a la sainte table! A Dieu, a Jesus, a Marie, a ces dames, a vous, mon Pere, ma vie entiere. _Maria_." La jeune actrice eut le courage de rompre completement avec le theatre. Apres six annees d'epreuves et de privations, devenue mere de famille, elle ecrivait au P. de Ravignan pour le remercier, et elle ajoutait: "Oh! mon Pere, que de miseres! que de maladies! Mais Dieu etait au fond de mon coeur. Que de joies ignorees! et c'est a vous que je les dois. "Ah! comme je plains ceux qui ne pensent jamais a Dieu! Dans l'amour qu'il nous donne nous trouvons tout pour nos besoins d'ici-bas. Cette vie de l'ame a des charmes qu'on ignore si completement dans le monde! "Priez, mon Reverend Pere, pour que mon ame reste toujours attachee a ce Dieu de misericorde qui a daigne me prendre si bas! Ah! que ma vie passee m'a eclairee sur l'amour de Dieu pour ses creatures! Aussi, je ne veux que ce mot dans mon coeur: Amour pour Jesus dans la joie et la tristesse, amour pour Jesus!" Cette ame seraphique se consuma rapidement dans un douloureux martyre: l'ancienne actrice mourut en predestinee. * * * * * 40.--LA ROSE BENITE. Un dimanche vers les trois heures, rapporte un homme du monde, je passais rue de Vaugirard, a Paris. Une pluie torrentielle inondait les rues et faisait chercher un abri aux malheureux pietons. Je regardais machinalement a droite et a gauche, lorsque la petite eglise des Carmes m'apparut comme lieu de refuge. Arrive dans la cour, je vois son interieur tout resplendissant de fleurs et de lumieres; une foule immense la remplissait, et c'est a peine si je pus parvenir a me placer sous son portique. Quelle fete celebrait-on? voila ce que je demandai a une bonne femme qui, a genoux pres de moi, egrenait son chapelet. Elle releva la tete d'un air etonne: "Comment! monsieur, vous ne savez pas? c'est la fete du Saint-Rosaire, et, pour en conserver le souvenir, les reverends peres vont distribuer a tous ceux qui sont dans l'eglise une rose benite." J'ai une passion pour les fleurs et une predilection toute particuliere pour les roses; je voulais profiter de celles que la Providence semait (avec intention peut-etre) sur ma route: elles sont si rares, helas! Je suis le courant qu'un mouvement de chaises opere, et je me trouve transporte je ne sais comment pres de la balustrade de l'autel. Le R. P. qui venait de donner la benediction, en montait les degres. Il fit signe qu'il allait parler; je me sentis attire vers lui par un sentiment que je ne pus definir: son pale et noble visage inspirait le respect, une joie toute celeste l'animait, et l'immense quantite de bougies qui brulaient autour du tabernacle lui faisaient comme une aureole lumineuse. Son regard doux et penetrant se portait avec bonheur sur les nombreux fideles qui l'entouraient et l'ecoutaient. Il fit une allocution simple et touchante, sans phrases preparees ni oratoires; on sentait que c'etait le coeur qui debordait avec tous ses tresors, la source qui coulait limpide et transparente pour chacun. "Je vais vous distribuer de petites roses bien modestes, dit-il, parce que nous sommes pauvres. Vous les trouverez parfumees comme l'etait Marie, la reine du ciel, et leur parfum vous penetrant, vous desirerez lui ressembler. Vous les trouverez benites, afin qu'elles apportent dans vos maisons la benediction de Marie. Meres, ornez-en le berceau de votre petit enfant pour le proteger. Femmes, montrez-la a votre mari; dites-lui qu'elle sera son predicateur, son egide, lorsqu'il devra vous quitter. Jeunes filles, suspendez-la au Christ place a votre chevet, afin que votre premier regard, la premiere elevation de votre coeur soient pour Jesus et Marie confondus dans un meme amour." Ce serait trop long de raconter les belles et bonnes choses que dit encore le reverend Pere. La distribution commenca; lorsque je m'approchai pour recevoir ma rose, un leger sourire se dessina sur les levres du religieux: il semblait lire au fond de ma pensee ce mot _hasard_ qui m'avait amene la. Je m'inclinai et sortis de l'eglise beaucoup plus grave que je n'y etais entre. Une fois dehors, je me trouvai tres embarrasse: je dinais en ville et j'avais dispose de ma soiree; mais la pensee de porter dans une maison profane ma petite rose benite me fit rougir interieurement. Je rentrai chez moi, je la suspendis au portrait de ma mere. Pauvre mere! il me sembla qu'elle me regardait plus tendrement. Peut-etre etaient-ce ses prieres qui, du haut du ciel, avaient guide mes pas. Toujours est-il que j'etais reste chez moi par une force d'attraction plus puissante que ma volonte. Je passai mon temps a mediter sur les petites choses qui amenent souvent de grands effets. Je ne puis pas dire tout ce que je confiai de pensees tumultueuses a ma rose mystique: c'etait presque une confession, et la petite goutte de rosee benie qui reposait au fond de son calice etait le baume consolateur que j'appliquais sur les blessures orageuses de mon coeur. "Qui sait, murmurai-je en m'endormant, si je ne retournerai pas dans cette eglise, et si, te tenant a la main, je n'irai pas trouver ce bon religieux? Elle m'amene a vous repentant et converti!" lui dirai-je. * * * * * 41.--UN SOUVENIR DU BAGNE. Un religieux plein de zele, qui venait de remplir son saint ministere aupres des forcats de Rochefort, le P. Lavigne, ne pouvait se lasser d'admirer les merveilles de la grace sur ces pauvres ames si cheres au Bon Pasteur. Prechant dans la chapelle d'une Maison religieuse, a Paris, il racontait un fait admirable qui atteste l'etonnante bonte de Dieu en faveur d'un pecheur penetre d'un sincere repentir. "Il y a un homme, dit-il, dont le souvenir s'est empreint dans mon ame d'une maniere ineffacable, un homme que je place au-dessus de tous les religieux et de toutes les religieuses: c'est un saint que je venere, et cet homme, ce saint, c'est un forcat. "Un soir, il vint me trouver au confessionnal, et, apres sa confession, je lui adressai quelques questions, comme j'avais assez souvent coutume de le faire avec ces infortunes. Cependant, cette fois, un motif plus particulier m'engageait a interroger celui-ci. J'avais ete frappe du calme repandu sur ses traits. Je n'y fis pas d'abord grande attention, car j'avais eu l'occasion de remarquer la meme chose chez plusieurs de ces malheureux. Neanmoins, la precision avec laquelle il s'exprimait, l'exactitude rigoureuse et le laconisme de ses reponses piquaient de plus en plus ma curiosite. "Il me repondait sans affectation, ne disant pas un mot inutile, et n'allant jamais au dela de ce que je lui demandais. Aussi ce ne fut qu'en le poussant et en le pressant par mes questions, que je parvins a savoir, en quelques mots bien simples, sa touchante histoire. --Quel age avez-vous? lui dis-je d'abord. --Quarante-cinq ans, mon pere. --Combien y a-t-il que vous etes ici? --Il y a dix ans. --Devez-vous y rester encore longtemps? --A perpetuite, mon pere. --Quelle est donc la cause de votre condamnation? --Le crime d'incendie. --Sans doute, mon pauvre ami, vous avez beaucoup regrette d'avoir commis cette faute. --J'ai beaucoup offense Dieu, mon pere, mais je n'ai point commis ce crime. Toutefois, je suis justement condamne; mais c'est Dieu qui m'a condamne. Cette reponse piquant plus vivement encore ma curiosite, je repris: --Mais que voulez-vous donc dire, mon ami? expliquez-vous. Alors il me repondit: --J'ai beaucoup offense le bon Dieu, mon pere; j'ai ete bien coupable, mais jamais envers la societe. Apres une foule d'egarements, le bon Dieu toucha mon coeur. "Je resolus de me convertir, de reparer le passe; mais depuis ma conversion, il me restait une inquietude, un poids enorme sur le coeur. J'avais tant offense le bon Dieu? pouvais-je croire qu'il eut tout oublie? Et puis, je ne trouvais rien qui fut de nature a reparer ces iniquites malheureuses de ma jeunesse, et je sentais un besoin immense de reparation! Sur ces entrefaites, un incendie eclata pres de ma demeure. Tous les soupcons tomberent sur moi; on m'arreta, et on me mit en jugement. Pendant la procedure, je fus beaucoup plus calme que je ne l'avais jamais ete; je prevoyais bien que je serais condamne, mais j'etais pret a tout. Enfin arriva le jour ou on devait prononcer ma sentence. Le jury quitta la salle pour aller deliberer sur mon sort, et dans ce moment, il me sembla entendre une voix interieure qui me disait: Si je te condamne, je me charge aussi de faire ton bonheur et de te rendre la paix. A cet instant, je ressentis effectivement une paix delicieuse. Les jures revinrent bientot, apportant leur verdict, qui me declarait convaincu du crime d'incendie, avec circonstances attenuantes; j'etais condamne aux travaux forces a perpetuite. Je fus oblige de me contenir pour ne pas verser des larmes, qu'on aurait sans doute attribuees a tout autre motif qu'a celui du sentiment de bonheur que j'eprouvais. On me conduisit a mon cachot, et la, tombant sur la paille qui me servait de lit, je me mis a repandre un torrent de larmes si douces que l'homme le plus voluptueux aurait ete heureux d'acheter, au prix de toutes les jouissances, le seul bonheur de les verser. Une paix ineffable remplissait enfin toute mon ame. Elle ne me quitta pas pendant la route que je parcourus pour arriver au bagne, et ne m'a jamais abandonne jusqu'ici. Depuis cette epoque, je tache de remplir tous mes devoirs, d'obeir a tout et a tous. Je ne vois dans ceux qui commandent, ni le commissaire, ni les adjudants, ni leurs subalternes, je ne vois que Dieu. Je prie partout, dans les travaux, a la prison; je prie toujours, et le temps passe si vite que je puis a peine m'en apercevoir; les heures s'ecoulent comme des minutes, les jours comme des heures, les mois comme des jours, les annees comme des mois. Personne ne me connait; on me croit condamne justement et cela est vrai. "Vous ne me connaitrez pas non plus, mon pere; je ne vous dis ni mon nom ni mon numero; priez seulement pour moi, je vous en conjure, afin que je fasse la volonte de Dieu jusqu'a la fin." * * * * * 42.--CE QUE LE ZELE PEUT INSPIRER A UN ENFANT. Il y a quelques annees, le Careme etait preche dans une grande ville de France par deux saints missionnaires. Un soir, tandis que la foule empressee se rendait a l'eglise, la petite Mathilde de C***, enfant de dix ans, jouait sur le balcon de sa maison; tout a coup, poussee comme par une inspiration divine, elle abandonne la poupee qu'elle tenait a la main et, courant a son pere qui lisait un journal: "Oh! papa, que je serais heureuse!...--Que faudrait-il pour cela, mon enfant?--Je n'ose pas... dites, me l'accorderez-vous?--Oui, ma fille!--Ah! bon! eh bien! j'etais tout a l'heure sur le balcon et j'ai vu beaucoup de messieurs qui allaient au sermon; il y en a meme plusieurs qui y conduisaient leurs petites filles; et vous, papa, vous ne m'y menez jamais! Ce soir...--Tu veux que je t'y conduise, n'est-ce pas?--Oui! je le desire beaucoup." Bientot l'heureuse Mathilde entrait dans l'eglise avec son pere. Il la placa pres d'une dame de sa connaissance, parce que, dit-il, une petite fille ne reste pas avec les messieurs; et... faisant semblant d'aller du cote des hommes, il sortit. Mathilde, qui le suivait des yeux, s'en apercut, mais ne dit rien; le lendemain elle voulut, comme par un caprice d'enfant, rester parmi les messieurs avec son pere. Le pretre charge de maintenir l'ordre, voyant cette petite fille: "Mon enfant, lui dit-il, ce n'est point la votre place.--Monsieur, repondit-elle tout bas, laissez-moi ici, _je garde papa_!" M. de C*** entendit cette parole, il fut emu et resta au sermon. Le bon Dieu l'attendait, et la grace, se servant des paroles du predicateur, penetra dans son ame. Il voulut aller tous les soirs au sermon; il fit mieux, il s'approcha de la sainte Table le jour de Paques. * * * * * 43.--UNE CONQUETE DU SACRE-COEUR. Dans une petite ville assez populeuse, pres de Liege, une personne dirigeait un cafe, ou elle s'efforcait bien plus de conquerir des ames a Jesus-Christ que de grossir sa fortune. On y voyait en abondance les publications les plus edifiantes, les cadres et les scapulaires du Sacre-Coeur. Cette propagande fut benie de Dieu et devint le principe d'un grand nombre de conversions; nous allons reproduire ici la relation de plus remarquable, en conservant au style sa naive simplicite. "Un jour, la maitresse de la maison voit entrer chez elle un inconnu en haillons, de haute taille, ayant une longue barbe et une figure portant l'empreinte d'une profonde misere. Cet homme inspire a la zelatrice une grande compassion, il lui semble que Notre-Seigneur lui envoyait une ame a gagner. J'ai toujours eu, dit-elle, le desir de faire du bien, mais depuis que je suis zelatrice, il me semble en avoir contracte l'obligation, de sorte que cela me donne du courage pour vaincre ma timidite. Elle fit donc bon accueil a son nouvel hote, qui ne disait pas un mot, et le servit de son mieux, en priant le Coeur de Jesus de l'inspirer. Croyant le moment favorable, elle entama la conversation: "Ne vous etonnez pas, Monsieur, lui dit-elle, de ce que je vais vous demander; je fais cette question a toutes les personnes qui viennent ici, et je vous vois, je crois, pour la premiere fois: avez-vous fait vos Paques?--Non, repondit-il, je ne fais pas mes Paques, je suis libre-penseur.--Mais ce n'est pas une religion, cela.--C'est ma religion a moi, je n'en ai pas d'autre.--N'avez-vous pas ete catholique autrefois?--Oui, j'ai fait ma premiere communion; depuis, j'ai tout laisse: j'ai quitte ma femme, mes enfants, j'ai ete en Afrique... Je ne veux pas des pretres, pas plus qu'ils ne voudraient de moi.--Au contraire, Monsieur, ce serait un grand bonheur pour eux de vous ramener a Dieu; dans l'Evangile, n'y a-t-il pas la parabole de l'enfant prodigue ou le pere fete le retour de son fils?--Ne me dites rien, repond-il avec animation, je ne veux pas changer, vous ne me convertirez pas, vous dis-je; pensez-vous mieux reussir que ma femme et mes enfants qui m'ont supplie de toutes les facons? Non, vous ne me changerez pas, je devrais parler a des pretres, et je deteste les pretres; quand ils arrivent, je m'en vais d'un autre cote pour ne pas les voir." "Il ajouta encore beaucoup d'autres choses contre la religion. J'etais toute tremblante en l'entendant, dit la zelatrice, et je priais interieurement le Coeur de Jesus. Quand il eut fini, j'allai chercher un scapulaire du Sacre-Coeur.--Monsieur, lui dis-je, ne voudriez-vous pas, avant de partir, accepter ceci? j'aimerais a vous le donner; voyez, l'image est bien belle. Lisez, ajoutai-je, ce qui est ecrit dessous, ce sont de si bonnes paroles! Il le fait, puis se leve et tenant le scapulaire des deux mains, il le baise, pleure et dit: "Coeur de Jesus, je suis un des plus grands pecheurs, oui, un grand pecheur." Ses larmes coulaient en abondance, l'emotion l'oblige a s'asseoir.--Un pretre! dit-il, je veux me confesser. Qui etes-vous, pauvre femme, pour me convertir ainsi? car je suis converti.--C'est le Coeur de Jesus qui a tout fait, dit la zelatrice, et elle le fait entrer dans une chambre voisine, pendant qu'elle allait avertir le vicaire. Celui-ci vint aussitot, s'entretint avec le pauvre pecheur, puis l'engagea a se rendre a l'eglise pour preparer sa confession. En y allant, cet homme priait, et des qu'il fut arrive, il alla se prosterner au pied d'un autel de la sainte Vierge; il pleurait et disait a haute voix: "Vierge sainte, ayez pitie d'un grand pecheur qui vous demande sa conversion." Il fit le chemin de la croix, et, lorsqu'il fut arrive a la douzieme station, il mit les bras en croix sans s'occuper des personnes presentes, en disant: Jesus-Christ, je vous demande pardon de mes peches, oui, de tous mes peches. La contrition debordait de son ame, il etait inonde par la grace. Il alla a la sacristie, et, quand il en sortit avec le pretre, tous deux pleuraient. Il ne recut pas ce jour-la l'absolution: on prefera lui laisser quelques jours pour se preparer. Il passa ce temps dans le recueillement, vint prendre ses repas chez la zelatrice qui lui fournit des lectures pieuses pour occuper ses loisirs, car il evitait meme de travailler pour ne pas se distraire des pensees de foi qui nourrissaient son ame. Lorsqu'il rencontrait le vicaire, il lui serrait la main en lui exprimant son desir de recevoir l'absolution. Le temps d'epreuve fut abrege, et la brebis perdue rentra dans le bercail du Bon Pasteur, qui se donna a elle dans la sainte communion. C'etait la seconde de ce nouvel enfant prodigue qui n'avait plus recu son Dieu depuis cinquante ans. "Il fut des lors un modele de piete, et son exemple en ramena plusieurs qui travaillaient dans un atelier irreligieux ou il conduisit le pretre qui l'avait reconcilie avec Dieu." Ah! si tous les bons catholiques avaient le zele et le courage de cette genereuse chretienne, combien de pauvres pecheurs seraient ramenes a la pratique de la religion! Le pretre, helas! n'a aucun moyen d'atteindre ces infortunes qui ne viennent plus a l'eglise et lui ferment leur porte. Qui les sauvera, qui les arrachera aux flammes de l'enfer, si les pieux laiques de leur entourage ne s'interessent pas a l'oeuvre de leur conversion, la plus grande, la plus capitale de toutes les oeuvres?... * * * * * 44.--PUISSANCE DU CHAPELET. Imbu des sa jeunesse des maximes de l'ecole voltairienne, Arthur Grant etait impie; mais son impiete n'avait rien du cynisme des libres-penseurs du siecle. C'etait un impie de bon ton. Son education aristocratique, l'amenite de son caractere, la distinction de ses manieres le rendaient agreable dans le commerce du monde, et le venin de son irreligion se cachait sous des dehors attrayants et des formes polies. C'etait un majestueux vieillard a la figure noble, dont la barbe blanche tombait a flots d'argent sur sa poitrine. Initie, jeune encore, aux mysteres absurdes de la franc-maconnerie, apres en avoir subi les ridicules epreuves, il avait ete promu au grade de chevalier kadosch. C'etait un aimable viveur qui se faisait cherir dans son village, dont il etait le plus riche proprietaire, et en quelque sorte le seigneur. Il secourait les indigents et se faisait gloire d'etre philanthrope. Les glaces de l'age n'avaient pas encore eteint en lui les flammes des passions. La corruption du coeur avait perverti son intelligence. Cependant sa fille, Irma, gemissait en secret, sur les dereglements et l'irreligion de son vieux pere. On la voyait souvent repandre des larmes abondantes sur les marches de l'autel de Marie, a laquelle elle adressait de ferventes prieres pour sa conversion. Un zele missionnaire etant venu precher une retraite dans le village qu'habitaient Irma et son pere, la jeune fille, sous les inspirations de la grace, redoubla de ferveur et de supplications pour obtenir la conversion de celui qu'elle aimait de l'amour le plus tendre, et resolut de tenter un effort supreme. Elle consulta le missionnaire sur les moyens a prendre pour convertir son vieux pere. --Il faut prier, mon enfant, et prier sans cesse, lui dit le saint pretre: ne desesperez pas, Dieu est plus fort que le diable. Voyons, quelles sont les habitudes de Monsieur votre pere, quel est son genre de vie? --Il se leve tous les jours a neuf heures, repond la jeune fille, dejeune a dix, se rend ensuite a un kiosque situe a un kilometre au couchant du village, au pied d'une riante colline. C'est la qu'il passe le reste de la journee, se promenant dans son jardin ou s'enfermant dans son cabinet de travail. --J'en sais assez, mon enfant. Pendant trois jours, a onze heures et quart, vous reciterez un chapelet pour la conversion de votre pere. Le lendemain, apres s'etre livre aux occupations de son ministere, le saint pretre s'acheminait vers le kiosque. Quand il fut a quelques pas du vieillard, apres l'avoir salue gracieusement, il s'arreta comme pour lui parler. --Que signifie ceci, monsieur l'abbe? dit Arthur etonne et presque fache. --Monsieur, je vous demande pardon si je vous ai offense, repond le missionnaire; mais la vue de votre jardin m'a charme, je voulais vous adresser mes felicitations. Ce compliment adoucit le vieillard, qui lui dit: --Si je ne suis pas trop indiscret, monsieur l'abbe, puis-je vous inviter a m'accompagner a mon kiosque? --Avec plaisir, repondit le pretre. Et chemin faisant, en parlant de la pluie et du beau temps, on arriva au kiosque. On entra dans le jardin, on admira les fleurs, les ombrages, les bassins, les berceaux de verdure, les cascades, et on penetra dans le pavillon. Le missionnaire, que les travaux de son ministere appelaient au village, prend conge du vieillard; celui-ci, charme de la simplicite, de l'esprit et des manieres polies de l'abbe, lui fait promettre de se retrouver le lendemain a la meme heure dans son pavillon. Irma avait recite son premier chapelet, a l'heure prescrite, avec une ferveur extraordinaire. Le lendemain, le pretre etait fidele au rendez-vous. Et Irma recitait son second chapelet avec la meme ferveur. Arthur et l'abbe se promenerent dans le labyrinthe, sous les berceaux de noisetiers et les larges avenues de platanes, et parlerent longuement de la litterature contemporaine et des nouvelles politiques. Le pretre, en se separant du vieillard, pour aller s'enfermer dans le confessionnal, fut encore invite pour le lendemain. Le troisieme jour, au moment ou la pieuse jeune fille commencait son troisieme chapelet, le missionnaire se dirigea vers le kiosque. Il y fut accueilli par Arthur, avec une amabilite charmante et des marques de deference tout a fait exceptionnelles. On entra dans le pavillon, ensuite dans le cabinet de travail. Ce qui frappa les regards du missionnaire, ce fut un prie-Dieu surmonte d'un magnifique crucifix d'ivoire, pres duquel etait un tabouret. Le vieillard sourit. --Vous comprenez, monsieur l'abbe! --Oui, mon ami, repond le pretre, heureux de voir que Marie avait favorablement accueilli les prieres d'une ame pure et innocente. --Monsieur l'abbe, dit Arthur d'une voix vibrante, j'ai longtemps combattu; mais, apres une lutte longue et terrible, je m'avoue vaincu. La grace triomphe; vous avez devant vous un vieux pecheur qui renonce a ses egarements, un impie qui reconnait et abjure les erreurs d'une philosophie menteuse. Oui, la divinite de la religion catholique m'apparait dans toute sa splendeur. Comme Augustin, j'ai cherche le bonheur dans les vaines jouissances de la terre, et, comme lui, je n'ai trouve le repos que lorsque je les ai eu foulees aux pieds, et que les aspirations de mon coeur se sont dirigees vers le ciel. Tout n'est que vanite et affliction d'esprit, dit avec raison l'auteur du livre de la Sagesse. Mon pere, je me jette entre vos bras: aidez un pauvre naufrage a regagner le port; ramenez dans le bercail sacre de l'Eglise catholique une brebis errante et vagabonde; purifiez-moi de mes souillures. Le pretre et le vieillard resterent longtemps embrasses; des larmes abondantes coulerent de leurs yeux... Quelques jours apres, quand fut cloturee la retraite, on voyait agenouille a la Table-Sainte, a cote de sa fille rayonnante de bonheur, le venerable vieillard, dont le maintien noble, pieux et modeste rejouissait une population eminemment chretienne qu'avaient autrefois attristee ses ecarts. Enfants, si vos parents oublient le chemin de l'eglise, s'ils se laissent entrainer par les seductions de l'erreur, il depend de vous de les arracher a la fureur du dragon infernal, de sauver ces ames pour lesquelles Jesus-Christ est mort sur la croix. La Providence a place entre vos mains une arme puissante: c'est la priere. Adressez-vous a Marie, qu'on n'invoque jamais en vain, Marie, la Mere de misericorde et le refuge des pecheurs. Elle touchera le coeur de vos parents bien-aimes et les amenera repentants aux pieds de son divin Fils. * * * * * 45.--LA CROIX D'ARGENT. Une pauvre enfant du nom de Jane, errait un soir d'hiver dans les rues de Londres par un froid glacial. Sans asile, sans pain, elle ne savait ou porter ses pas, car son pere et sa mere etaient morts, laissant l'infortunee dans la plus cruelle detresse. Tout a coup elle voit briller un morceau de metal entre deux paves de la rue; elle le ramasse: c'etait un petit crucifix en argent. "Je vais aller le vendre, se dit Jane; avec ce qu'on m'en donnera, j'acheterai un peu de pain." Vite elle chercha une boutique d'orfevre, et, au coin d'une rue, elle en vit une, petite et faiblement eclairee. Jane entra. Une femme etait assise au comptoir, vetue de deuil; elle avait une figure d'une expression pure et pieuse; elle leva sur la pauvre fille un bon regard, et lui dit d'une voix douce: "Que desirez-vous? --Voulez-vous acheter ceci?" repondit brusquement Jane, en tendant le crucifix. La femme le prit avec respect, et jetant un coup d'oeil sur Jane, dont la figure malheureuse et sauvage ressortait sur ses vetements delabres, elle lui dit: "Ma fille, nous achetons les objets d'or et d'argent; mais, dites-moi, savez-vous ce qu'est ceci? --C'est de l'argent, je le sais bien! --Ce n'est pas la ce que je vous demande: savez-vous quel est cet homme etendu sur la croix? --Est-ce que je sais, moi! --Quoi! pauvre enfant, vous ignorez que cet homme est le Fils de Dieu, qu'il est mort sur la croix pour nous sauver? --Personne ne m'a jamais parle de cela. --Vous ne connaissez pas Jesus-Christ, notre bon Sauveur? --De quoi nous a-t-il sauves? --De l'enfer, et il nous a ouvert le paradis. --Je n'en savais rien." La marchande regarda plus attentivement la pauvre creature debout devant elle: elle embrassa d'un regard ce visage jeune et fletri, ces vetements sordides, et, mal plus terrible, cette stupeur de l'ame peinte sur ses traits. Sa charite s'emut, ses entrailles de chretienne et de mere tressaillirent. Elle dit a Jane: "Avez-vous des parents, une maison? --Rien. Mon pere est mort sous un buisson, loin d'ici; ma mere est morte aussi. Comment suis-je venue a Londres? je n'en sais rien. Comment ai-je vecu? je n'en sais rien non plus; ce que je sais, c'est que je voudrais bien etre au fond de la Tamise, car alors je n'aurais plus ni froid ni faim. --Mon enfant, dit la marchande, et ce mot, prononce avec une indicible bonte, fit monter les larmes aux yeux de la pauvre Jane, mon enfant, voulez-vous que je vous conduise dans une maison ou vous n'aurez plus ni faim ni froid et ou vous apprendrez a servir le bon Dieu? --Ni faim ni froid? repeta Jane; ce sera donc le paradis? --Non, mais le chemin qui y conduit. La marchande fit entrer dans sa boutique la pauvre fille, lui donna a souper, la revetit d'une robe neuve; bientot Jane dormait dans un lit sous ce toit hospitalier ou le Pere celeste l'avait amenee. Quelque temps apres, une des orphelines de la maison du Bon Pasteur, de Londres, recevait le bapteme. Sa joie, sa ferveur attendrissaient l'assemblee; cette heureuse neophyte etait la pauvre Jane, qui avait pour marraine la bonne marchande, l'instrument des misericordes du Seigneur. * * * * * 46.--UN COUP DE FILET DE LA SAINTE VIERGE. En se rendant a l'une de nos stations thermales, un officier superieur causait avec un compagnon de voyage:--Si nous nous arretions a Lourdes? lui dit ce dernier.--Pourquoi donc?--Nous y trouverions le pelerinage national.--Voila cinquante ans que je n'ai pas mis les pieds dans une eglise!...--Qu'a cela ne tienne, tout se passe en plein air.--Alors, c'est different. Ils s'arreterent a Lourdes; ils virent les ardentes prieres des pelerins. Elles etonnerent d'abord, subjuguerent ensuite cette ame droite et loyale: l'officier pria avec les autres, aussi longtemps que les autres. --Il fait chaud, lui dit son compagnon; si nous buvions un verre d'eau de la grotte?--Volontiers; ce pretre-la m'a rendu tout reveur... Il reva, il pria, il monta jusqu'a la crypte, il en redescendit priant et heureux.--Si vous voulez aller aux eaux, dit-il a son compagnon, allez-y; moi, j'ai trouve les miennes. * * * * * 47.--UNE CONVERSION EN MER. Le heros de cette histoire a rapporte lui-meme dans la lettre suivante la grace signalee dont il a ete l'objet. "Apres avoir failli perir avec mon navire, sur la barre de Bayonne pendant l'ete dernier, je me rendais de Livourne a Dunkerque et Rouen, lorsque le 28 decembre, au matin, je fus oblige de mouiller devant Malaga, ne pouvant y entrer. Bientot le temps devint affreux, et, des huit heures du matin, toute la population massee sur les quais, malgre une pluie torrentielle, nous regardant chasser sur les ancres, nous faisait comprendre quel peril nous menacait. Le pavillon fut mis en berne, mais en vain: ni remorqueur, ni pilotes, pas meme la canonniere de l'Etat n'osaient se risquer a nous secourir; Dieu seul pouvait nous sauver. Impossible de se jeter a la mer: nous aurions ete brises sur les rochers de la jetee en construction ou contre les recifs de la cote. Je pensai alors a ma mere, je me rappelai le projet de me faire catholique que j'avais eu autrefois. Me jetant a genoux devant le vieux christ en bronze dominant le compas de route, je priai avec foi le Dieu des chretiens et Notre-Dame de Montenero, dont j'avais visite, le 8 septembre dernier, le pelerinage celebre, en Toscane. La journee se passa en craintes; la mer augmentait de furie, et le fleuve, en face de nous, jetait devant le navire ses eaux jaunes debordees. Le consul de France, qui avait tente l'impossible pour nous faire secourir, nous ecrivit le soir au moyen d'une bouteille jetee dans les flots: il nous avouait tristement que les autorites de Malaga reconnaissaient l'impossibilite d'arriver jusqu'a nous, en face d'une situation si perilleuse, et qu'on attendrait que la nuit fut achevee pour prendre une decision. Pour moi, cette decision c'etait la mort et la perte de mon navire! Je voulus mourir catholique romain; je suppliai avec foi Notre-Dame de la Salette et je me sentis plein de courage. Mon equipage affole menacait de ne plus m'obeir; il voulait filer les chaines et jeter le navire a la cote. Plein de confiance dans le secours de Dieu et de la sainte Vierge, je resistai energiquement a tous et la nuit arriva. Les ouvriers qui couvraient la cote et le quai nous dirent, dans leur ame, adieu pour toujours... Je fis reposer successivement mes hommes, et, pensant a la mort, je me tenais sur la dunette en priant Dieu. Cette nuit fut epouvantable; l'orage augmentant sans cesse de violence, le navire se mit a talonner avec force, et a chaque instant il etait menace de s'entr'ouvrir et de se briser sur la jetee en construction. Les malheureux marins raidissaient a chaque instant les chaines. Le jour arriva enfin, mais pour nous montrer l'horreur de notre situation. La foule garnissait les quais, assistant, emue et impuissante, a ce terrible drame. Je pris un vieux catechisme, oublie a bord par un marin, je lus les Litanies de la sainte Vierge, et je promis alors solennellement d'abjurer aussitot arrive en France et de me faire baptiser. A huit heures, apparut devant Malaga un steamer; malgre le decouragement de tous les matelots de l'equipage et contre leur avis, je fis mettre le pavillon en berne et jeter a la mer une bonbonne renfermant une demande de secours; je la placai sous la protection de la Vierge. La bouteille arriva a terre, puis le steamer disparut au large. Ce fut alors parmi l'equipage un cri d'immense douleur: toute esperance s'evanouissait... Pour moi, j'esperais quand meme, priant, sondant l'horizon avec une longue-vue. Je promis un _ex-voto_ a Notre-Dame de la Salette et a trois autres pelerinages. Toutefois, je me preparai a mourir catholique et j'en placai la declaration ecrite de ma main sur ma poitrine. Tout a coup, vers dix heures, je decouvre une fumee noire dans le lointain: j'entends un coup de sifflet strident, et, au milieu des vagues enormes qui nous couvraient, le steamer qui apparaissait. Le navire sauveur, detachant sa grande chaloupe, nous envoie vingt-quatre hommes. Apres des peines inouies, plusieurs fois sur le point d'etre engloutis, ces braves finissent par nous accoster. Il etait temps; nous allions attendre la mort dans la mature elevee, car notre vaisseau etait sur le point de s'entr'ouvrir. On sacrifia les ancres, les chaines, etc., il fallait se hater. Le brave capitaine Corno, malgre une mer epouvantable, manoeuvra tellement bien avec son enorme steamer, qu'a midi il nous amenait dans le port. Nous etions sauves, grace a la sainte Vierge. Par une faveur providentielle, le navire et la cargaison n'avaient aucune avarie. Aussitot a terre, je me rendis a la cathedrale pour remercier Dieu et Notre-Dame et renouveler ma promesse d'abjuration. En attendant que je puisse la realiser, j'apprends ma religion dans un vieux catechisme oublie a bord..." * * * * * 48.--LA MORT D'UN SEPTEMBRISEUR. Vers le milieu de l'annee 1826, un homme du peuple, alors sexagenaire, tenait le petit hotel de Dijon, au n deg. 211 de la rue Saint-Jacques, a Paris. Atteint depuis longtemps d'une maladie grave, il avait en vain appele a son secours les plus celebres medecins de la capitale: le mal n'avait fait qu'empirer avec les annees; enfin, de violents acces de colere, auxquels il se livrait presque tous les jours, l'avaient rendu incurable. Cependant, ne pouvant se resoudre a mourir, il tenta un dernier essai en faisant demander le docteur Descuret, qui jouissait d'une grande reputation. Celui-ci, voyant le malade a la veille de succomber, se contenta de lui prescrire quelques legers adoucissements usites en pareille circonstance: il ne comptait plus le revoir. Mais le lendemain, vers six heures du soir, on vint l'appeler encore; cette fois ce n'etait point pour le vieillard, mais pour sa femme, que le miserable avait presque tuee dans un de ses emportements. Apres les premiers soins donnes a cette pauvre femme, le docteur se disposait a se retirer sans avoir adresse une seule parole a l'incorrigible mari. Celui-ci le remarqua, l'arreta par l'habit et lui dit d'un air piteux: "Eh quoi! monsieur le docteur, vous vous en allez sans daigner seulement me regarder?--Pourquoi m'inquieter d'un malade qui fait l'impossible pour rendre mes soins inutiles? Au reste, ajouta-t-il d'un ton severe, vous avez grossierement injurie vos premiers medecins, dont l'un vous a abandonne parce que vous avez meme ose lever la main sur lui. Ajoutez a ces ingratitudes la brutalite dont vous venez d'user envers votre femme, et jugez si je ne dois pas faire comme eux.--Vos reproches ne sont que trop justes, reprit le malade d'un accent penetre; oui, je suis bien coupable d'avoir maltraite ainsi ma femme; mais aussi, monsieur, si vous saviez ce qu'elle exigeait de moi! Ne voulait-elle pas que je fisse appeler un pretre, moi qui les ai toujours eus en horreur!--L'intention de votre femme n'avait rien que de louable: en vous proposant de mettre en paix votre conscience, elle vous donnait une nouvelle preuve de son affection, et si cela etait entierement oppose a vos idees, vous deviez vous borner a un simple refus et non la frapper.--Mais enfin, monsieur le docteur, vous qui avez fait des etudes, que feriez-vous si vous etiez a ma place et qu'on vous proposat pareille chose?--Moi, je n'hesiterais pas a mettre en paix ma conscience, d'abord par conviction, en second lieu, parce que le calme de l'ame contribue puissamment a alleger nos souffrances et meme a dissiper la maladie.--C'est bien singulier, qu'ayant fait des etudes, vous ayez cette maniere de voir!--Au contraire, mes convictions religieuses sont en grande partie le fruit de mes etudes." Le vieillard etait vaincu par ces paroles pleines de raison et de foi: une lumiere soudaine avait frappe son esprit. Il venait de se reveiller en lui des idees, des sentiments, des remords qu'il avait etouffes peut-etre depuis bien longtemps, car il avait vecu dans un temps de stupide delire ou les jeunes hommes de son age et les beaux esprits affichaient le plus insultant mepris pour toute pensee religieuse, en disant: "La religion!... c'est bon pour les enfants et les femmes." Ce prejuge infernal venait de s'evanouir a la parole du docteur, et, apres un instant de silence, le malade dit d'un accent qu'on ne lui avait jamais connu: "Eh bien! qu'on fasse venir un pretre; aussi bien, depuis longtemps j'en ai lourd sur la conscience!" Ici commence l'histoire touchante de sa conversion, de sa douleur, de sa reconnaissance, de sa joie, de sa confusion, de son amour, de son bonheur, de son salut ... Ici, nous allons voir comment Dieu s'est servi d'une femme chretienne, d'un medecin et d'un pretre, pour faire d'un assassin un elu, un saint!... Heureuse de ce changement subit, la pauvre femme, elle qui avait tant parle, prie et souffert pour cette ame rebelle, envoie a la hate chercher un des vicaires de la paroisse Saint-Jacques. A peine le vieillard l'a-t-il apercu qu'il lui dit d'une voix tremblante de honte et de remords: "Tenez, monsieur, enlevez-moi ce coutelas que j'avais mis sous mon oreiller.--Que vous etes imprudent, mon ami! mais vous couriez risque de vous blesser!--Eh! monsieur l'abbe, je m'en etais arme pour vous le plonger dans le coeur, si vous fussiez venu sans mon consentement... Oui, ajouta-t-il devant tous les assistants, en septembre 93, _j'ai massacre dix-sept ecclesiastiques_, et peu s'en est fallu que vous ne fussiez le dix-huitieme! Mais rassurez-vous: _Dieu a eu pitie de moi; un regard de sa grace a suffi pour m'eclairer_." Le vicaire, stupefait autant que touche, s'empare de l'enorme couteau: puis il s'enferme avec le penitent pour laisser agir Dieu sur cette ame dans le mystere du sacrement de la reconciliation. Jamais, dans l'exercice de son saint ministere, il n'avait goute des consolations comme celles qu'il trouva au chevet de ce malheureux qui avait ete jadis le bourreau de dix-sept de ses confreres, et qui, a l'heure de la grace, parlait et agissait comme le bon larron de la croix. Deja le bon Samaritain, qui venait de guerir cette ame si profondement blessee par le crime, se retirait en annoncant a l'heureuse famille qu'il allait apporter au converti les derniers sacrements de l'Eglise, quand tout a coup le vieillard s'ecria d'une voix etouffee par les sanglots: "Revenez, monsieur l'abbe, revenez bientot aupres de moi; j'ai bien besoin de vos consolations; mais, je vous en conjure, n'approchez pas de mes levres le divin Redempteur, dont tout a l'heure encore je blasphemais le nom; je suis trop indigne d'un tel bonheur!--Dieu est rempli de misericorde, lui dit le vicaire profondement attendri; on repare ses fautes quand on les pleure amerement, et votre repentir me parait trop sincere pour que j'hesite a vous administrer les sacrements que reclame immediatement votre triste position.--Je les recevrai, monsieur l'abbe, puisque vous me l'ordonnez, reprit le malade, mais seulement apres avoir fait amende honorable devant ceux que j'ai autrefois scandalises par mes forfaits." Tandis que le vicaire part pour chercher le saint viatique, le moribond fait appeler aussitot ses voisins, temoins de sa vie criminelle, ses anciens camarades, les complices de ses fautes; il leur demande, avec larmes, pardon des affreux exemples qu'il leur avait donnes, surtout a l'Abbaye et aux Carmes, lors du massacre des pretres; puis il fait de meme envers sa femme, un des instruments de sa conversion. Le pretre arrive portant l'auguste sacrement. Le vieillard, deja glace par la mort, se leve aussitot, se met a genoux et recoit ainsi les derniers sacrements avec une piete angelique: les traits de son visage baigne de larmes en etaient tout transfigures. Apres cette auguste action, il reste toujours a genoux, appuye sur le chevet de son lit, tenant en main un crucifix, qu'il couvre de ses baisers et de ses larmes. Son confesseur, a plusieurs reprises, l'engagea a se coucher, vu sa grande faiblesse: c'etait imposer a son coeur un penible sacrifice, c'etait lui oter une trop douce consolation. Aussi l'exprima-t-il au pretre: "Je sens, dit-il, qu'il ne me reste que peu d'instants a vivre; je ne puis rien offrir a Dieu que mes prieres et mes larmes; laissez-moi du moins la consolation de mourir a genoux; c'est faire bien peu pour expier tous mes crimes!" Et il resta ainsi en priere: son ame eclairee, renouvelee, sanctifiee, paraissait comme dans une sorte d'extase. Vers minuit, on entendit le moribond pousser un profond soupir; il s'etait endormi dans le Seigneur avec le calme d'un elu, toujours a genoux et les levres collees sur le crucifix qu'il n'avait cesse d'arroser de ses larmes!!! "Seigneur, que vous etes admirable dans vos oeuvres! qu'elles sont profondes vos voies, qu'elles sont immenses vos misericordes!" (_L'abbe Hoffmann_, Extraits.) * * * * * 49.--RENCONTRE PROVIDENTIELLE. Au commencement de ce siecle, un personnage assez marquant, M. de G***, etait tombe dans l'impiete la plus affreuse. C'etait une sorte de frenesie d'irreligion. Le blaspheme sortait a chaque instant de sa bouche, et il semblait n'avoir a coeur que de couvrir d'ignominie la sainte Eglise et ses ministres. Un jour, M. de G*** entend raconter que dans une petite ville voisine de son chateau, on allait donner une mission. Sa malice sembla prendre un nouveau degre de perversite a cette nouvelle. Il se proposa de se rendre lui aussi a la mission, et de suivre les exercices, pour contrecarrer les missionnaires et pour empecher, a force d'avanies, le fruit qu'ils devaient en attendre. On le vit donc arriver, suivi d'une escorte de vauriens, qui tous ensemble se rendirent a l'eglise paroissiale. Le chant des cantiques fut plus d'une fois interrompu par de grossiers lazzis et des rires indecents; mais le silence s'etablit, quand le Pere superieur des missionnaires parut dans la chaire. C'etait un homme de quarante ans environ, au visage pale et amaigri, aux traits expressifs, au regard inspire, tel en un mot que l'Ecriture nous depeint les prophetes de l'ancienne loi. Il n'avait pas acheve l'exorde de son discours, que deja M. de G*** l'avait reconnu. C'etait un des compagnons de son enfance, un des rivaux de ses etudes et qui lui avait dispute souvent avec avantage les couronnes academiques. Comment lui, qui pouvait briller dans le monde et parvenir aux postes les plus importants, avait-il pu se decider a embrasser la carriere pauvre et penible du ministere evangelique, c'est ce que la tete frivole de M. de G*** ne pouvait expliquer. Il l'ecouta donc avec toute l'attention dont il etait capable, et il trouva qu'il justifiait par son eloquence les hautes previsions de ses professeurs; mais ses pensees n'allerent pas plus loin. Apres le sermon, il renvoya ses amis et vint faire visite au missionnaire. Des qu'il se fut nomme, le bon pere courut a lui, et l'embrassant tendrement: "O mon ami, lui dit-il, que je suis heureux de vous voir, et que je remercie Dieu de vous retrouver avec des sentiments si chretiens! sans doute vous avez toujours ete fidele aux preceptes de religion que nous avons recus ensemble? Et, en vous livrant avec tant d'empressement aux premiers exercices de la mission, vous voulez..." M. de G*** ne le laissa pas achever; emporte par l'irascibilite de son caractere et par le sentiment d'impiete dont il s'etait fait une longue habitude, il s'oublia, jusqu'a lever la main sur le pretre du Seigneur: "Impertinent, s'ecria-t-il avec l'accent de la rage, garde pour d'autres tes sots conseils et ton insidieux proselytisme! Je venais te feliciter de ton eloquence hypocrite et non pas reclamer tes avis." Mais le missionnaire, impassible et tranquille, lui repondit avec cette douceur angelique que Dieu peut seul inspirer a l'homme: "Mon frere, peut-etre, il y a vingt ans, quand j'etais encore dans le monde, et que la religion ne m'avait pas appris a dompter mes passions, peut-etre un pareil outrage eut-il coute la vie a l'un de nous, et jete un damne de plus aux pieds de l'Eternel; mais Dieu m'a fait depuis longtemps la grace d'etre chretien! Ma longue experience dans la conduite des ames me montre a quelle horrible extremite est descendue la votre: o mon frere! je tremble pour vous; qu'allez-vous devenir?" Mais deja M. de G*** etait aux pieds du pretre; il baisait sa main en l'arrosant de ses larmes, et il s'ecriait; "Pardonnez-moi, mon pere, car je ne sais ce que je fais!" Et il se tordait dans d'effrayantes convulsions, jetant des phrases inarticulees, des exclamations sans suite, des accents de desespoir que l'oreille avait peine a saisir, mais que devinait le coeur du missionnaire. "Ou suis-je?... Quelle soudaine clarte brille a mes yeux?... Grace, grace!..." Et cet orage nouveau dans le coeur de l'impie, cette tempete de la conscience, frappait d'effroi le missionnaire lui-meme, tout accoutume qu'il etait aux miseres humaines. Tout a coup, reprenant la sublime autorite de son ministere: "Relevez-vous, mon fils, lui dit-il, relevez-vous, deja le remords vous a fait chretien!" Et M. de G*** se relevait tremblant, ses genoux se derobaient sous lui. Le pretre l'emporta dans ses bras, et le placant devant un prie-Dieu: "Dans un instant, mon fils, toutes vos peines seront calmees." Puis la confession commenca. Trois heures entieres ils resterent enfermes ensemble; l'on entendait du dehors de longs sanglots et d'etranges gemissements; on n'aurait pu dire lequel versait de plus abondantes larmes, ou du pretre ou du penitent. Tous deux confondaient leurs soupirs, tous deux melaient l'expression de leur douleur, tous deux s'humiliaient devant la grandeur du Tres-Haut et benissaient ses misericordes. M. de G*** etait justifie devant Dieu. Il partit et ne voulut plus rentrer dans son chateau. Il se choisit en ville une modeste retraite; et, malgre les railleries de ses anciens amis, il suivit avec une piete exemplaire toutes les predications et les moindres exercices de la retraite. Tous les jours il voyait le saint pretre, et se confirmait dans la grace. Enfin, le jour de la communion generale, il eut le bonheur de s'approcher de la sainte table, au grand etonnement de toute la ville, dont il avait ete si longtemps le scandale et l'effroi. * * * * * 50.--LE BON FILS CONSOLE. Un pieux jeune homme ecrivait la lettre suivante, qui doit inspirer une bien grande confiance en saint Joseph, surtout lorsqu'il s'agit d'obtenir des graces de conversion. "J'ai recu cette annee un grand nombre de faveurs par la puissante intercession du glorieux Epoux de Marie. La premiere a ete la conversion de mon excellent pere. Il ne s'etait pas confesse depuis plus de quarante ans. Il y avait une douzaine d'annees qu'il n'etait pas entre dans l'eglise paroissiale; et, pour comble de difficultes, il etait plein de prejuges contre notre sainte religion qu'il n'avait jamais bien connue. Pour ramener dans les bras de Dieu cette brebis egaree, il fallait un grand coup de lumiere et de misericorde. J'avais essaye de le convaincre par le raisonnement, j'avais prie et fait prier beaucoup pour lui: tout avait ete inutile. Il y a quelques semaines, je me sentis presse d'aller solliciter aupres de saint Joseph cette conquete si difficile. C'etait la premiere fois que j'implorais du saint Patriarche une faveur particuliere. J'allai donc me prosterner devant sa statue, et je lui promis que, s'il m'accordait ce que je lui demandais, j'aurais pendant toute ma vie une devotion toute speciale pour lui, et que je m'efforcerais de repandre son culte autant que je le pourrais. A peine ma priere terminee, je me sentis la plus grande confiance. Je fis alors une premiere neuvaine avec toute la ferveur dont j'etais capable. En meme temps, j'ecrivis a mon pere pour tacher de le decider a porter un Cordon de saint Joseph que j'envoyai avec ma lettre. Il eut ete impossible de le lui faire accepter comme objet religieux; mais, a ma demande, il consentit a le porter comme un petit souvenir de moi. Ma premiere neuvaine achevee, j'en commencai une nouvelle, et incontinent je pus me rendre ce doux temoignage que mon esperance n'avait pas ete vaine. Beni soit a jamais le tres bon et tres puissant saint Joseph!... La grace etait accordee. Des le commencement de cette seconde neuvaine, je recus de mon pere une touchante lettre, ou il m'exprimait, en des termes brulant, la joie et la paix qui inondaient son ame. Une lumiere nouvelle venait de briller dans son coeur et dans son intelligence. Le respect humain, les objections et les prejuges contre la religion etaient tombes d'eux-memes, et une petite occasion menagee par saint Joseph s'etant presentee, mon pere etait alle se confesser, comme pousse par une main invisible. Le lendemain, avec des sentiments ineffables de bonheur et de tendresse, il recevait dans son coeur le Dieu, si plein de misericorde, qui venait rejouir sa vieillesse, comme il avait autrefois rejoui sa jeunesse. La conversion a ete parfaite; saint Joseph ne fait pas les choses a demi. Depuis ce jour de benediction, mon pere prit part a tous les exercices de piete de la paroisse. Tous ceux qui le connaissaient furent profondement edifies de cet heureux changement, et declarerent qu'il avait fallu une main puissante pour operer cette merveille. Et cette main puissante, c'est la votre, o grand et tres-puissant saint Joseph! Je vous remercierai pendant toute ma vie de cette grace signalee..." Apres cela, pourrait-on recommander avec trop d'instances aux jeunes gens la devotion envers saint Joseph? Puissent-ils recourir a lui dans tous leurs besoins spirituels et ceux de leurs proches! S'ils prient avec ferveur et perseverance, ils ressentiront infailliblement les effets de sa paternelle protection. * * * * * 51--COMMENT ON RETROUVE LE BONHEUR. Passant un jour sur la place des Capucins, a Lyon, une zelatrice du rosaire y vit une petite fille agee de six a sept ans, qui, apres avoir brise la glace d'une fontaine, plongeait quelque chose dans l'eau. La dame s'approcha et dit: --"Que fais-tu la, mon enfant?--Je lave ma robe.--Quel est ton nom?--Marie.--Ou est ta mere?--A Loyasse (cimetiere de Lyon).--Et ton pere?--Il est malade et triste la-bas...--Eh bien! conduis-moi a ta maison.". L'orpheline regarda l'inconnue avec une sorte de crainte, puis, rassuree sans doute par l'affectueux sourire qui repondait a son regard, elle mit sa petite main glacee dans celle que lui tendait sa nouvelle amie, et se dirigea vers une de ces affreuses demeures, ordinairement habitees par le vice ou par le malheur. Arrivee au dernier etage, l'enfant ouvre une porte et dit:--Papa, voila une dame qui veut vous voir.--Me voir!... moi!... une dame!... allons donc!... C'est, sans doute pour jouir du spectacle de ma misere! Je suis chez moi; et, bien que je sois pauvre, malheureux, je ne souffrirai pas que les riches viennent insulter a ma misere! Donc, vous pouvez vous en aller," s'ecria-t-il en designant du doigt la porte restee entr'ouverte.--Je venais vous offrir des secours," murmura timidement la visiteuse, un peu effrayee.--Je n'ai besoin de rien, que de rester tranquille chez moi, sans qu'on vienne se moquer de ma pauvrete, reprend l'homme; et il lance par la porte de la mansarde une piece de monnaie qui vient d'etre deposee sur la table. Il n'y avait rien a faire... La charitable zelatrice embrassa la petite fille et lui dit tout bas: "Viens me trouver quand tu auras besoin de quelque chose." Puis elle sortit. Plusieurs semaines s'ecoulerent sans que la douce Marie reparut, bien qu'on allat souvent, pour l'y rencontrer, a l'endroit ou on l'avait trouvee. Mme L, l'apercut enfin, un jour, amaigrie et toute en larmes; son pere, qui manquait d'ouvrage et par consequent de pain, l'envoyait mendier dans la rue. Elle l'emmena chez elle et lui fit raconter son histoire, histoire bien simple et bien touchante, imprimee dans son jeune coeur. "Maman etait tres bonne; soir et matin, elle me faisait dire _Notre Pere_ et _Je vous salue, Marie_... Mon pere etait bon, lui aussi, alors; mais depuis qu'ils ont emporte maman a Loyasse, il est devenu triste, s'est mis a lire de grandes feuilles et ne parle plus de Dieu ou des riches qu'en se fachant bien fort." Ce recit fut un trait de lumiere pour Mme L. Elle fit promettre a la chere petite de dire, tous les jours, une fois, "Notre Pere," et dix fois, "Je vous salue, Marie..." _pour obtenir que son pere devint tres heureux_, et la renvoya munie d'abondantes provisions. Un mois apres, l'enfant revint chez sa bienfaitrice, mais, cette fois, avec un visage tout joyeux: "Madame, dit-elle, papa voudrait bien vous voir; seulement il n'ose pas venir..." La difficulte fut vite tranchee; Mme L... accourut a la mansarde, et y trouva l'ouvrier. Si l'aspect du pauvre reduit etait le meme, on lisait sur le visage du malheureux pere l'expression humble et douce du changement opere dans son ame. "Madame, dit-il avec respect, je ne sais comment cela est arrive, mais je ne peux plus me reconnaitre... En entendant la petite reciter tant de fois son _Notre Pere_ et son _Je vous salue_, je me suis d'abord impatiente, parce qu'elle le repetait trop... Puis j'ai fini par le dire machinalement avec elle, en me rappelant que ma pauvre femme le disait aussi... Alors, j'ai pleure, j'ai senti le regret de ma mauvaise vie, et je me suis reproche mon insolence envers la dame qui a ete si bonne pour nous... C'est pourquoi je voulais la voir, pour lui demander pardon." Ce pardon fut accorde sans peine, et Dieu, apres avoir purifie, soulage la misere de l'ame et du corps, par l'entremise de sa genereuse servante, sauva aussi par elle le pere et l'enfant. * * * * * 52.--LE SOUVENIR DE LA PREMIERE COMMUNION. Mous devons a un homme du monde le recit suivant, qui contient plus d'une instruction utile et fournit un nouvel exemple des ineffables tendresses de la misericorde divine. J'etais a Paris en 1841, et je faisais partie d'une Conference de Saint-Vincent-de-Paul. Quelques-uns des jeunes gens qui la composaient avaient la pieuse habitude de visiter une ou deux fois par semaine les pauvres malades des hopitaux du quartier. L'hopital Necker, dans la rue de Sevres, m'etait echu en partage. Je commencais toujours mes visites par la chapelle, et j'allais demander au Seigneur de benir l'oeuvre que, pour l'amour de lui, je venais accomplir, d'accompagner de sa benediction les paroles, les conseils que j'allais donner a mes malades; et quand j'avais fini ma tournee dans les salles, je venais encore en deposer le succes aux pieds de ce bon Maitre. Je fus oblige de quitter Paris au printemps, et je me rappellerai toujours le trait touchant dont j'ai ete le temoin a ma derniere visite aux malades de Necker. La salle que je devais visiter ce jour-la etait confiee aux soins d'une Soeur de Charite vieillie dans cet admirable metier, et non moins infatigable pour soulager les souffrances de ses malades que zelee pour le salut de leurs ames. En arrivant, j'allai, selon mon habitude, prendre les ordres de cette bonne Soeur. Elle me recommanda specialement six ou sept malades: l'un, Etienne, nouvel arrive, et encore inconnu d'elle; l'autre, comme moribond, ayant besoin d'etre fortifie et console; un autre comme ebranle deja, et pret a se convertir, etc. "Et puis, ajoute-t-elle, allez donc au n deg. 39; c'est un homme de trente-deux ou trente-trois ans, poitrinaire au dernier degre, qui sera mort dans trois jours. J'ai eu beau faire, je n'ai pu rien en tirer; il m'a envoyee promener trois ou quatre fois, et n'a jusqu'ici recu M. l'aumonier qu'avec des paroles grossieres. Un de vos confreres de Saint-Vincent-de-Paul, qui l'a deja visite plusieurs fois, n'a pas mieux reussi que nous. Il est probable qu'il vous enverra promener aussi; mais enfin il ne faut rien epargner. Il s'agit ici de la gloire de Dieu et d'une pauvre ame a sauver. --"Eh! mon Dieu, ma bonne Soeur, repondis-je, s'il m'envoie promener, j'irai me promener, voila tout; cela ne me fera pas grand mal. Dites seulement pour ce pauvre homme un _Ave Maria_ pendant que j'irai lui parler." Je fis ma visite; et de lit en lit j'arrivai a mon n deg. 39. Je fus tout saisi en le voyant. La mort etait peinte sur son visage. Trois ou quatre coussins le soutenaient assis sur son lit; sa face etait have et d'un blanc jaunatre, et son affreuse maigreur donnait a ses yeux noirs une apparence etrange... Je m'approchai de son lit. Il me regarda fixement sans rien dire. Je lui demandai de ses nouvelles: "La soeur m'a appris, mon pauvre ami, que vous souffriez beaucoup, et qu'il y avait bien longtemps deja que vous etiez malade." Pas de reponse; seulement le regard de mon homme devenait de plus en plus dur, et il semblait me dire: "Je n'ai que faire de vos condoleances; donnez-moi la paix." Je fis semblant de ne pas m'en apercevoir: "Souffrez-vous beaucoup en ce moment, et pourrais-je vous soulager en quelque maniere?" Pas un mot. "Que voulez-vous, mon pauvre enfant! il faut faire de necessite vertu, et offrir vos souffrances au bon Dieu en expiation de vos fautes; comme cela du moins elles vous seront utiles." Toujours meme silence et meme accueil. La position commencait a devenir embarrassante. L'oeil du malade etait de plus en plus menacant, et je voyais le moment ou il allait me dire quelque injure... La Providence de Dieu m'envoya tout a coup une inspiration. Je me rapprochai vivement du malheureux, et je lui dis a demi-voix: "Avez-vous fait une bonne premiere communion?" Cette parole produisit sur lui l'effet d'une commotion electrique. Il fit un leger mouvement; sa figure changea d'expression, et il murmura plutot qu'il ne dit: "Oui, Monsieur." --Eh bien! repris-je, mon ami, n'etiez-vous pas heureux dans ce temps-la?--Oui, Monsieur, me repondit-il d'une voix emue; et au meme instant je vis deux grosses larmes couler sur ses joues. Je lui pris les mains.--Et pourquoi etiez-vous heureux alors, sinon parce que vous etiez pur, chaste, aimant et craignant Dieu, en un mot, bon chretien? Mais ce bonheur peut revenir encore, et le bon Dieu n'a pas change! Il continuait a pleurer: N'est-ce pas, ajoutai-je, que vous voulez bien vous confesser? --Oui, Monsieur, dit-il alors avec force; et il s'avanca vers moi pour m'embrasser. Je le fis de grand coeur, comme vous pouvez penser, et je lui donnai quelques petits conseils pour faciliter l'execution de son bon dessein. Je le quittai ensuite, et j'annoncai a la Soeur le succes inespere de ma visite. Je ne sais ce qui s'ensuivit; mais ce qui m'est reste profondement grave dans l'esprit ou plutot dans le coeur, c'est la force merveilleuse de la misericorde de Dieu, qui changea en un instant, et a l'aide d'une seule parole, ce coeur si endurci! Le seul souvenir de sa premiere communion suffit pour convertir et probablement pour sauver ce pauvre malade, heureux de l'avoir bien faite; car s'il eut accompli, comme plusieurs, helas! avec negligence, ce grand acte de la vie chretienne, le souvenir que je lui en rappelai n'eut fait sans doute sur son coeur qu'une impression insignifiante!... Ainsi le bien produit le bien, et avec Dieu rien ne demeure perdu. * * * * * 53.--L'ORPHELINE ET LE VETERAN. Une pauvre orpheline avait ete recueillie par un vieux soldat qu'elle nommait son pere. D'une piete simple, mais serieuse, elle s'etait attire une telle estime, qu'il y avait autour d'elle comme une aureole de veneration. Le vieux soldat lui-meme s'etait laisse prendre a son influence. Il appelait sa petite orpheline, _sa petite sainte_. Jamais il ne fumait devant elle, il jurait encore moins. La pieuse enfant etait arrivee a faire prier son pere adoptif, ce qu'il n'avait pas fait depuis longtemps. Un jour qu'il passait devant l'eglise du village, je ne sais quelle inspiration secrete le pousse a y entrer. Il va s'agenouiller dans un coin et commence son signe de croix. Mais tout a coup il s'arrete, ses yeux ont rencontre une enfant qui, recueillie au pied de l'autel, les mains jointes, parait comme dans une extase. Il regarde, il reconnait sa fille. La pensee lui vient aussitot qu'elle demande a Dieu sa conversion; elle lui a dit tant de fois que c'etait la l'unique objet de toutes ses prieres. Une larme monte de son coeur a ses yeux et coule le long de ses joues sur sa vieille figure cicatrisee. Cette larme est efficace et decide de son retour a Dieu. Quelque temps apres, aux Paques, le vieux militaire pleinement converti, bien heureux, communiait a cote de sa petite fille. Et, comme, au sortir de l'eglise, quelques-uns de ses vieux camarades le regardaient etonnes: "Vous ne vous attendiez pas a cela, leur dit-il, mais que voulez-vous? Je ne puis resister a la _petite sainte_, elle convertirait le demon lui-meme, si le demon pouvait etre converti." Voila l'influence de la vraie piete. Puisse-t-elle devenir le partage de tous ceux qui liront ce petit livre! En meme temps qu'elle assurera leur propre salut, elle les aidera merveilleusement a travailler au salut des autres! TABLE DES MATIERES. AVANT-PROPOS 1.--Le capitaine de navire et le mousse. 2.--Une nuit dans le desert. 3.--Les deux freres. 4.--Un jeu ou l'on gagne le ciel. 5.--La vengeance d'un etudiant chretien. 6.--Un pere converti par son enfant. 7.--Un cadeau inattendu. 8.--Les trois actes d'un drame contemporain. 9.--Le remede est dur, mais il est bon. 10.--Le banc de famille. 11.--La lettre d'une mere. 12.--Une premiere communion a quatre-vingts ans. 13.--La soupape. 14.--Une meprise qui porte bonheur. 15.--Heroisme d'un jeune neophyte. 16.--Les deux amis. 17.--Tel est pris qui croyait prendre. 18.--Comment on obtient un miracle. 19.--Le marquis d'Outremer. 20.--La plus grande victoire d'un vieux general. 21.--Le bouffon et son maitre. 22.--Un episode de la Revolution. 23.--Le zele recompense. 24.--Sagesse et folie. 25.--Le terrible article. 26.--Le trottoir. 27.--Un fils qui tombe dans les bras de son pere. 28.--Le rosier du mois de Marie. 29.--La statuette de saint Antoine. 30.--Le chemin du coeur. 31.--Le nouvel Augustin. 32.--Vaincu par l'exemple. 33.--La fille du franc-macon. 34.--Un voyage de cent lieues en Australie. 35.--Rien n'est impossible a Dieu. 36.--L'amour maternel. 37.--Un pecheur moribond assiste par un pretre mourant. 38.--Deux fois sauve. 39.--Dieu a ses elus partout. 40.--La rose benite. 41.--Un souvenir du bagne. 42.--Ce que le zele peut inspirer a un enfant. 43.--Une conquete du Sacre-Coeur. 44.--Puissance du chapelet. 45.--La croix d'argent. 46.--Un coup de filet de la sainte Vierge. 47.--Une conversion en mer. 48.--La mort d'un septembriseur. 49.--Rencontre providentielle. 50.--Le bon fils console. 51.--Comment on retrouve le bonheur. 52.--Le souvenir de la premiere communion. 53.--L'orpheline et le veteran. End of the Project Gutenberg EBook of Les joies du pardon, by Anonymous *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES JOIES DU PARDON *** ***** This file should be named 11494.txt or 11494.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/1/4/9/11494/ Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and PG Distributed Proofreaders Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. 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