*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 52011 *** Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. MADAME DE CHEVREUSE IMPRIMERIE PILLET ET DUMOULIN Rue des Grands-Augustins, 5, à Paris. MADAME DE CHEVREUSE NOUVELLES ÉTUDES SUR LES FEMMES ILLUSTRES ET LA SOCIÉTÉ DU XVIIe SIÈCLE PAR VICTOR COUSIN SEPTIÈME ÉDITION [Illustration] PARIS LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER PERRIN ET CIE, LIBRAIRES-ÉDITEURS 35, QUAI DES AUGUSTINS, 35 1886 Réserve de tous droits AVANT-PROPOS Les deux biographies de Mme de Chevreuse et de Mme de Hautefort, font partie d'un ouvrage où nous avons essayé de peindre, dans toute sa vérité et sous toutes ses faces, la lutte mémorable que le cardinal Mazarin eut à soutenir, en 1643, au début de son ministère et de la Régence d'Anne d'Autriche contre les Importants, ces devanciers des Frondeurs[1]. Parmi les nombreux et puissants adversaires que Mazarin rencontra sur sa route, l'histoire nous montre au premier rang deux femmes, qui déjà avaient tenu tête à Richelieu, et qui donnèrent de grands soucis à son successeur. Mme de Chevreuse et Mme de Hautefort. Elles ne nous ont point séduit à leurs opinions et à leur cause; mais en les étudiant avec attention, à l'aide de documents nouveaux et authentiques, nous n'avons pu nous défendre d'une vive admiration pour elles, à des titres bien différents, et nous avons pris plaisir à retracer le génie remuant de l'une et la vertu un peu superbe de l'autre. Il nous semblait que dans le vaste et sérieux tableau que nous avions entrepris, ces deux portraits, d'un coloris moins sévère, pouvaient avoir l'avantage de reposer les yeux sans les distraire, nous souvenant de la méthode de nos maîtres qui n'ont presque jamais manqué d'introduire dans leurs plus didactiques compositions d'apparents épisodes, devenus bientôt la lumière et la gloire de leurs ouvrages[2]. Mais, à la réflexion, nous avons reconnu que de tels exemples n'étaient pas faits pour nous, et nous nous sommes décidé, non sans quelque regret, à publier séparément ces deux morceaux, pour faire suite à nos études sur la société et les femmes illustres du XVIIe siècle. Mme de Chevreuse et Mme de Hautefort prennent bien naturellement leur place à côté de Jacqueline Pascal et de Mme de Longueville, et dans la noble et charmante compagnie que Mme de Sablé rassemblait à Port-Royal. [1] On peut en voir une ébauche dans une suite d'articles du _Journal des Savants_, intitulés: CARNETS AUTOGRAPHES DU CARDINAL MAZARIN, années 1854, 1855 et 1856. [2] Sur cette méthode des grands artistes, de Pascal, de Bossuet, de Montesquieu, de Rousseau, de Buffon, de Bernardin de Saint-Pierre, et de M. de Chateaubriand, voyez les dernières pages de notre écrit: ÉTUDES SUR LES PENSÉES DE PASCAL. Seulement, on voudra bien remarquer que ces deux biographies se ressentent de leur destination première. Nos deux héroïnes nous avaient occupé surtout comme adversaires de Richelieu et de Mazarin, et comme les deux actrices les plus intéressantes du grand drame de 1643. Ce drame terminé, nous devions nous borner à une simple et rapide esquisse du reste de la vie encore bien agitée de Mme de Chevreuse; et nous aurions changé de sujet si, après avoir fait connaître Mme de Hautefort, nous nous étions engagé dans l'histoire de la duchesse de Schomberg. Un jour nous retrouverons Mme de Chevreuse dans la Fronde[3], et nous avons déjà vu la duchesse de Schomberg chez la marquise de Sablé[4]. [3] Voyez Mme DE LONGUEVILLE PENDANT LA FRONDE, chap. I et IV. [4] Mme DE SABLÉ, chap. III et IV. Avertissons encore que, sous une apparence un peu romanesque, c'est toujours ici un livre d'histoire, pour lequel nous osons réclamer le mérite d'une scrupuleuse exactitude, et où même, s'il nous est permis de le dire, on pourra reconnaître le premier essai d'une méthode assez nouvelle qui consisterait, d'une part, à laisser là les récits convenus pour percer, à force de recherches, jusqu'aux faits réels et certains, si difficiles à retrouver après tant d'années; et, de l'autre, à ne se point contenter de la figure extérieure des événements et à tâcher de découvrir leurs causes véritables, non pas des causes générales, éloignées et en quelque sorte étrangères, mais ces causes particulières, directes, vivantes, qui résident dans le cœur des hommes, dans leurs sentiments, leurs idées, leurs vertus et leurs vices; à poursuivre enfin dans l'histoire l'étude de l'humanité, qui est, à nos yeux, la grande et suprême étude, le fond immortel de toute saine philosophie. Nous exposerons plus tard cette méthode en l'appliquant sur une plus grande échelle. Dans les limites de la biographie, elle était naturellement de mise: on verra donc ici les passions des individus composer leur destinée, et sous les scènes extérieures auxquelles s'arrête ordinairement l'histoire, les scènes secrètes et mystérieuses de l'âme, dont les premières ne sont que la manifestation à la fois brillante et obscure. On entrera dans un commerce plus intime avec les deux grands Cardinaux qui ont continué et fait prévaloir la politique d'Henri IV; on apprendra à mieux connaître leur vrai caractère, les ressorts cachés de leur conduite, leur génie si semblable et si différent. On pourra aussi se faire une idée de ce qu'étaient les femmes en France dans la première moitié du XVIIe siècle par les deux types opposés que nous présentons. Mme de Hautefort, si nous ne l'avons pas trop défigurée, est à peu près assurée de plaire par le pur éclat de sa beauté, la vivacité généreuse de son esprit, la délicatesse et la fierté de son cœur, et son irréprochable vertu. Nous ne donnons pas Mme de Chevreuse comme un modèle à suivre; mais nous espérons que tant d'intrépidité, de constance, d'héroïsme, bien ou mal employé, obtiendront grâce pour des fautes que nous ne pouvions taire. Nous sommes sûr au moins que son exemple ne sera point contagieux. En vérité, il ne semble guère à craindre que, sur les pas de Marie de Rohan, l'ambition ou l'amour égarent les femmes de notre temps jusqu'à leur faire entreprendre la guerre civile, tramer des conspirations formidables, regarder en face deux victorieux tels que Richelieu et Mazarin, jeter au vent la fortune et toutes les douceurs de la vie, préférer trois fois l'exil à la soumission, et combattre sans relâche pendant trente années pour ne se reposer que dans la victoire, la solitude et le repentir. Non: le foyer où s'allumaient de pareilles passions, est éteint; l'aristocratie française, avec son énergie aventureuse, avec ses vertus et ses vices, est depuis longtemps descendue dans la tombe; il n'y aura plus de Mme de Chevreuse ni de Mme de Longueville; le moule en est brisé pour toujours, et les belles dames du faubourg Saint-Germain et de la Chaussée-d'Antin peuvent lire aujourd'hui sans danger le récit des orages de ces vies extraordinaires, comme elles lisent sans en être fort émues les discours de l'Émilie de Corneille, ou les incomparables amours de Chimène et de Pauline, de Mandane et de la princesse de Clèves. Du moins il reste démontré que désormais il est impossible d'écrire l'histoire de Richelieu et de Mazarin sans y faire à Mme de Chevreuse, comme à son amie la reine Anne, une place éminente, un peu au-dessous des deux grands politiques. Nous ne craignons pas aussi d'appeler l'attention du lecteur sur les Appendices qui forment une partie considérable de ces deux volumes, et contiennent des pièces entièrement nouvelles, du plus grand intérêt pour l'histoire politique et pour l'histoire des mœurs. 1862. V. C. MADAME DE CHEVREUSE CHAPITRE PREMIER 1600-1622 LE CARACTÈRE,--LA PERSONNE,--LA FAMILLE DE MARIE DE ROHAN.--NÉE EN DÉCEMBRE 1600, ELLE ÉPOUSE EN SEPTEMBRE 1617 LE FUTUR DUC ET CONNÉTABLE DE LUYNES.--PLUS JUSTE APPRÉCIATION DE LA CARRIÈRE DE LUYNES: IL LE FAUT CONSIDÉRER COMME UN PRÉDÉCESSEUR INÉGAL DE RICHELIEU.--LE MARIAGE DE LUYNES ET DE MARIE DE ROHAN PARFAITEMENT HEUREUX. SON MARI L'INITIE AUX AFFAIRES; ELLE L'Y SERT, ET PREND SUR LUI UN GRAND EMPIRE.--A LA FIN DE 1618, NOMMÉE SURINTENDANTE DE LA MAISON DE LA REINE, ELLE EXCITE D'ABORD LA JALOUSIE D'ANNE D'AUTRICHE, PUIS DEVIENT SA FAVORITE, COMME LUYNES ÉTAIT LE FAVORI DU ROI.--ENFANTS QU'ELLE EUT DE SON MARI.--VEUVE EN 1621, ELLE SE REMARIE EN 1622 AVEC LE DUC DE CHEVREUSE, DE LA MAISON DE LORRAINE. Si nos lecteurs ne sont pas fatigués de nos portraits de femmes du XVIIe siècle, nous voudrions bien leur présenter encore deux figures nouvelles, également mais diversement remarquables, deux personnes que le caprice du sort jeta dans le même temps, dans le même parti, parmi les mêmes événements, et qui, loin de se ressembler, expriment pour ainsi dire les deux côtés opposés du caractère et de la destinée de la femme: toutes deux d'une beauté ravissante, d'un esprit merveilleux, d'un courage à toute épreuve; mais l'une aussi pure que belle, unissant en elle la grâce et la majesté, semant partout l'amour et imprimant le respect, quelque temps l'idole et la favorite d'un roi, sans que l'ombre même d'un soupçon injurieux ait osé s'élever contre elle, fière jusqu'à l'orgueil envers les heureux et les puissants, douce et compatissante aux opprimés et aux misérables, aimant la grandeur et ne mettant que la vertu au-dessus de la considération, mêlant ensemble le bel esprit d'une précieuse, les délicatesses d'une beauté à la mode, l'intrépidité d'une héroïne, par-dessus tout chrétienne sans bigoterie, mais fervente et même austère, et ayant laissé après elle une odeur de sainteté; l'autre, peut-être plus séduisante encore et d'un attrait irrésistible, puisque Richelieu lui-même y succomba, jetée dans toutes les extrémités du parti catholique et ne pensant guère à la religion, trop grande dame pour daigner connaître la retenue et n'ayant d'autre frein que l'honneur, livrée à la galanterie et comptant pour rien le reste, méprisant pour celui qu'elle aimait le péril, l'opinion, la fortune, plus remuante qu'ambitieuse, jouant volontiers sa vie et celle des autres, et après avoir passé sa jeunesse dans des intrigues de toute sorte, traversé plus d'un complot, laissé sur sa route plus d'une victime, parcouru toute l'Europe en exilée à la fois et en conquérante et tourné la tête à des rois, après avoir vu Chalais monter sur l'échafaud, Châteauneuf précipité du ministère dans une prison de dix années, le duc de Lorraine dépouillé de ses États, la reine Anne humiliée et vaincue et Richelieu triomphant, soutenant jusqu'au bout la lutte, et la renouvelant contre Mazarin, toujours prête, dans ce jeu de la politique devenu pour elle un besoin et une passion, à descendre aux menées les plus ténébreuses ou à se porter aux résolutions les plus téméraires; d'un coup d'œil incomparable pour reconnaître la vraie situation et l'ennemi du moment, d'un esprit assez ferme et d'un cœur assez hardi pour entreprendre de le détruire à tout prix; amie dévouée, ennemie implacable sans connaître la haine, l'adversaire enfin le plus redoutable qu'aient rencontré tour à tour Richelieu et Mazarin. On entrevoit que nous voulons parler de Mme de Hautefort et de Mme de Chevreuse. Est-il besoin d'ajouter que nous n'entendons pas tracer des portraits de fantaisie, et que si parfois nous avons l'air de raconter des aventures de roman, c'est en nous conformant à toute la sévérité des lois de l'histoire? On peut donc compter et bientôt on reconnaîtra que ces peintures en apparence légères méritent toute confiance, et qu'elles reposent sur des témoignages contemporains éprouvés ou sur des documents nouveaux qui peuvent défier la critique. Nous commencerons par Mme de Chevreuse. Elle remonte plus haut dans le XVIIe siècle que Mme de Hautefort. Il faut dire aussi qu'elle a occupé une situation plus élevée, joue un rôle plus considérable, et que son nom appartient à l'histoire politique encore plus qu'à celle de la société et des mœurs. Mme de Chevreuse en effet a possédé presque toutes les qualités du grand politique; une seule lui a manqué, et celle-là précisément sans laquelle toutes les autres ne sont rien et tournent en ruine: elle ne savait pas se proposer un juste but, ou plutôt elle ne choisissait pas elle-même; c'était un autre qui choisissait pour elle. Mme de Chevreuse était femme au plus haut degré; c'était là sa force et aussi sa faiblesse. Son premier ressort était l'amour ou plutôt la galanterie[5], et l'intérêt de celui qu'elle aimait lui devenait son principal objet. Voilà ce qui explique les prodiges de sagacité, de finesse et d'énergie qu'elle a déployés en vain à la poursuite d'un but chimérique qui reculait toujours devant elle et semblait l'attirer par le prestige même de la difficulté et du péril. La Rochefoucauld[6] l'accuse d'avoir porté malheur à tous ceux qu'elle a aimés: il est encore plus vrai de dire que tous ceux qu'elle a aimés l'ont précipitée à leur suite dans des entreprises téméraires. Ce n'est pas elle apparemment qui a fait de Charles IV, duc de Lorraine, un brillant aventurier; de Chalais, un étourdi assez fou pour s'engager contre Richelieu sur la foi du duc d'Orléans; de Châteauneuf, un ambitieux impatient du second rang, se croyant capable du premier et l'étant peut-être[7]. Il ne faut pas croire qu'on connaît Mme de Chevreuse quand on a lu le portrait célèbre que Retz en a tracé; car ce portrait est outré et chargé comme tous ceux de Retz, et destiné à amuser la curiosité maligne de Mme de Caumartin: sans être faux, il est d'une sévérité poussée jusqu'à l'injustice. «Je n'ai jamais vu qu'elle, dit-il[8], en qui la vivacité suppléât au jugement. Elle lui donnoit même assez souvent des ouvertures si brillantes qu'elles paroissoient comme des éclairs, et si sages qu'elles n'auroient pas été désavouées par les plus grands hommes de tous les siècles. Ce mérite, toutefois, ne fut que d'occasion. Si elle fût venue dans un siècle où il n'y eût point eu d'affaires, elle n'eût pas seulement imaginé qu'il y en pût avoir. Si le prieur des Chartreux lui eût plu, elle eût été solitaire de bonne foi. M. de Lorraine la jeta dans les affaires, le duc de Buckingham et le comte de Holland l'y entretinrent, M. de Châteauneuf l'y amusa. Elle s'y abandonna parce qu'elle s'abandonnoit à tout ce qui plaisoit à celui qu'elle aimoit, sans choix, et purement parce qu'il falloit qu'elle aimât quelqu'un. Il n'étoit pas même difficile de lui donner un amant de partie faite[9]; mais dès qu'elle l'avoit pris, elle l'aimoit uniquement et fidèlement, et elle nous a avoué, à Mme de Rhodes et à moi, que par un caprice, disoit-elle, elle n'avoit jamais aimé ce qu'elle avoit estimé le plus, à la réserve du pauvre Buckingham. Son dévouement à la passion qu'on pouvoit dire éternelle, quoiqu'elle changeât d'objet, n'empêchoit pas qu'une mouche lui donnât des distractions[10]; mais elle en revenoit toujours avec des emportements qui les faisoient trouver agréables. Jamais personne n'a fait moins d'attention sur les périls, et jamais femme n'a eu plus de mépris pour les scrupules et pour les devoirs; elle ne connoissoit que celui de plaire à son amant.» De cette peinture, qui ferait envie à Tallemant et à Saint-Simon, retenez au moins ces traits frappants et fidèles: le coup d'œil prompt et sûr de Mme de Chevreuse, son courage à toute épreuve, sa loyauté et son dévouement en amour. D'ailleurs Retz se trompe entièrement sur l'ordre de ses aventures, il en oublie et il en invente; il a l'air de regarder comme des bagatelles les événements auxquels les passions de Mme de Chevreuse lui firent prendre part, tandis qu'il n'y en a pas eu de plus grands, de plus tragiques même. A l'entendre, c'est le duc de Lorraine qui l'a mise dans les affaires, et le comte de Holland qui l'y retint, brouillant ainsi toutes les dates, et n'ayant pas l'air de se douter qu'avant Charles IV et Holland elle avait connu un tout autre politique, qu'elle avait été la femme dévouée du duc et connétable de Luynes, et que ç'avait été là sa vraie, sa première école. Enfin, il ne faut pas oublier que dans la Fronde, Retz et Mme de Chevreuse avaient fini par ne plus s'entendre, et que ce n'est pas lui, mais bien elle qui avait vu clair dans la vraie situation des affaires et dans le dernier parti qui restât à prendre. Tandis que Retz s'enfonçait dans des résolutions désespérées et des combinaisons chimériques, le coup d'œil prompt et sûr de Mme de Chevreuse lui montra vite la seule voie de salut, la nécessité de se rallier à l'unique pouvoir qui subsistait et dont elle accrut la force[11]. De là l'humeur et le dépit partout sensibles dans ce portrait exagéré à plaisir. Appartenait-il bien, en vérité, au remuant et déréglé coadjuteur d'être le censeur impitoyable d'une femme dont il a surpassé les égarements de tout genre? Ne s'est-il pas trompé tout autant et bien plus longtemps qu'elle? A-t-il montré dans le combat plus d'adresse et de courage, et dans la défaite plus d'intrépidité et de constance? Mais Mme de Chevreuse n'a pas écrit des mémoires d'un style aisé et piquant où elle relève sa personne aux dépens de tout le monde. Pour nous, nous lui reconnaissons deux juges, et qui ne sont pas suspects, Richelieu et Mazarin. Richelieu a tout fait pour la gagner, et, n'y pouvant parvenir, il l'a traitée comme une ennemie digne de lui: plusieurs fois il l'a exilée, et quand après sa mort les portes de la France s'ouvraient à tous les proscrits, son implacable ressentiment, lui survivant dans l'âme de Louis XIII expirant, les fermait à Mme de Chevreuse. Lisez avec attention les carnets et les lettres confidentielles de Mazarin, vous y verrez la profonde et continuelle inquiétude qu'elle lui inspire en 1643. Plus tard, pendant la Fronde, il s'est fort bien trouvé de s'être réconcilié avec elle, et d'avoir suivi ses conseils, aussi judicieux qu'énergiques. Enfin, en 1660, quand Mazarin, victorieux de toutes parts, ajoute le traité des Pyrénées à celui de Westphalie, et que don Luis de Haro le félicite sur le repos qu'il va goûter après tant d'orages, le cardinal lui répond qu'on ne se peut promettre de repos en France, et que les femmes mêmes y sont fort à craindre. «Vous autres Espagnols, lui dit-il, vous en parlez bien à votre aise, vos femmes ne se mêlent que de faire l'amour; mais en France ce n'est pas de même, et nous en avons trois qui seraient capables de gouverner ou de bouleverser trois grands royaumes: la duchesse de Longueville, la princesse Palatine et la duchesse de Chevreuse[12].» [5] Mme de Motteville, tome Ier de l'édition d'Amsterdam de 1750, page 198: «Je lui ai ouï dire à elle-même, sur ce que je la louois un jour d'avoir eu part à toutes les grandes affaires qui étoient arrivées en Europe, que jamais l'ambition ne lui avoit touché le cœur, mais que son plaisir l'avoit menée, c'est-à-dire qu'elle s'étoit intéressée dans les affaires du monde seulement par rapport à ceux qu'elle avoit aimés.» C'est à quoi se réduit le passage de Retz, que nous citerons tout à l'heure. [6] _Mémoires_, collection Petitot, deuxième série, tome LI, p. 339. [7] Sur Chateauneuf, son ambition et sa capacité, voyez Mme DE LONGUEVILLE PENDANT LA FRONDE, chap. II. [8] _Mémoires_, édition d'Amsterdam, 1731, p. 210. [9] Calomnie ridicule, dont le seul et unique prétexte est la dernière liaison de Mme de Chevreuse avec le marquis de Laigues, au milieu de la Fronde. Voyez notre dernier chapitre. [10] Cette grande accusation n'a pas la portée qu'on lui pourrait donner: elle signifie seulement que Mme de Chevreuse «étoit distraite dans ses discours,» comme nous l'apprend Mme de Motteville, t. Ier, p. 198. [11] Mme DE LONGUEVILLE PENDANT LA FRONDE, chap. I et III. [12] _Vie de Mme de Longueville_, par Villefore, édition de 1739, IIe partie, p. 33.--Mme de Motteville, tome Ier, _ibid._: «J'ai ouï dire à ceux qui l'ont connue particulièrement qu'il n'y a jamais eu personne qui ait si bien connu les intérêts de tous les princes et qui en parlât si bien, et même je l'ai entendu louer de sa capacité.» Un mot sur la beauté de Mme de Chevreuse, car cette beauté a fait une grande partie de sa destinée. Tous les témoignages contemporains s'accordent à la célébrer. Un portrait peint, à peu près de grandeur naturelle, que possède M. le duc de Luynes et qu'il a bien voulu nous laisser voir[13], lui donne une taille ravissante, le plus charmant visage, de grands yeux bleus, de fins et abondants cheveux d'un blond châtain, le plus beau sein, et dans toute sa personne un piquant mélange de délicatesse et de vivacité, de grâce et de passion. On retrouve ce caractère de la beauté de Mme de Chevreuse dans deux excellents portraits gravés du temps: l'un, de Le Blond[14], la représente dans sa première jeunesse, avec ses grands yeux, son beau sein, et les cheveux frisés et crêpés du commencement de Louis XIII; l'autre, de Daret, lui donne quelques années de plus et les cheveux flottants sur de riches épaules, comme en plein XVIIe siècle[15]. Ferdinand l'a peinte déjà vieille[16]; mais, en ce dernier portrait même, on sent encore que la grande beauté a passé par là, et la finesse, la distinction, la vivacité et la grâce ont survécu. [13] Ce portrait n'est pas un original; c'est une copie, mais ancienne. [14] Portrait in-folio fort rare et qui ne se trouve guère qu'au cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale. [15] In-4º, dans la collection de Daret, et reproduit par Harding en Angleterre. C'est le portrait qui est en tête de ce volume. Ajoutons bien vite que les petits vilains portraits de Moncornet n'ont aucun rapport avec Mme de Chevreuse à aucun âge. [16] L'admirable original de Ferdinand est chez M. le duc de Luynes. Balechou l'a gravé pour _l'Europe illustre_. Marie de Rohan appartenait à cette vieille et illustre race, issue des premiers souverains de la Bretagne, qui par elle-même et ses branches diverses, sans compter ses alliances, couvrit et posséda longtemps une partie considérable de la Bretagne et de l'Anjou, se divisa presque également au XVIe siècle et dans la première moitié du XVIIe entre le parti catholique et le parti protestant, tour à tour servit avec éclat ou combattit la royauté, et dont les traits héréditaires, marqués dans l'un et dans l'autre sexe, étaient particulièrement la hauteur de l'âme, la hardiesse et la constance. Au siége de La Rochelle, deux femmes, après avoir enduré toutes les rigueurs de la famine, comme les derniers des soldats, et s'être longtemps nourries comme eux de chair de cheval, aimèrent mieux rester prisonnières entre les mains de l'ennemi que de signer la capitulation. C'était Catherine de Parthenai et Anne de Rohan, la mère et la sœur de ce fameux duc Henri de Rohan, le chef des calvinistes français, le politique et l'homme de guerre du parti, et sans contredit notre plus grand écrivain militaire avant Napoléon[17]. La femme de ce même Henri de Rohan, Marguerite de Béthune, fille de Sulli, défendit Castres contre le maréchal de Thémines. Son frère Soubise, l'intrépide amiral, après la prise de La Rochelle, plutôt que de servir Richelieu et les catholiques vainqueurs, s'exila et alla mourir en Angleterre. Dans le cours des siècles, la noble maison n'a pas cessé de produire des héroïnes au cœur résolu, comme aussi, il faut bien le dire, des beautés plus brillantes que sévères. A cet égard, celle dont nous allons retracer l'histoire n'avait pas dégénéré de sa race, et elle était bien du sang des Rohan. [17] Voyez _le Parfait Capitaine, autrement l'abrégé des guerres des commentaires de César_, édition elzévirienne de 1639. Elle était fille d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon, serviteur zélé d'Henri III et d'Henri IV, grand veneur en 1602, et plus tard gouverneur de l'Ile-de-France. Sa mère était Madeleine de Lenoncourt, de la grande maison des Lenoncourt de Lorraine, fille d'Henri de Lenoncourt, troisième du nom, et de Françoise de Laval, sœur du maréchal de Bois-Dauphin. Elle avait pour frère le prince de Guymené, moins célèbre par lui-même que par sa femme, Anne de Rohan, cette belle princesse de Guymené, que les mémoires de Retz ont trop fait connaître[18]. Enfin un second mariage de son père lui donna pour belle-mère, en 1628, Marie de Bretagne, fille du comte de Vertus, une des femmes les plus belles et les plus décriées de son temps[19]. [18] Voyez sur Mme de Guymené, outre les _Mémoires_ de Retz, Mme DE SABLÉ, chapitres III et IV. [19] Voyez la JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. III. Marie de Rohan naquit presque avec le XVIIe siècle, en décembre 1600; elle perdit sa mère étant encore en très-bas âge, et à moins de dix-sept ans, en septembre 1617, on lui fit épouser celui qui devait s'appeler bientôt le duc et connétable de Luynes. Que faut-il penser de ce personnage si célèbre et si peu connu, auquel fut d'abord unie la destinée de Marie de Rohan? Luynes n'est-il qu'un favori vulgaire, comme le maréchal d'Ancre qu'il a renversé, ou ses talents ont-ils fait une partie considérable de sa fortune? Son pouvoir a-t-il été utile ou funeste à la France? Problème aussi intéressant que difficile, qui attend encore un sérieux examen. La passion a parlé d'abord avec son empire accoutumé, et le préjugé a docilement suivi. L'_Histoire de la mère et du fils_[20], attribuée à un contemporain véridique, a fait l'opinion générale, et, sur ces peintures si vives et en apparence si fidèles, il a été reçu et il est resté à peu près établi que l'élévation de Luynes vient du caprice d'un roi presque enfant, qui prend un de ses pages, un petit gentilhomme, pour en faire un premier ministre, parce qu'il le trouve habile dans l'art de la chasse aux oiseaux. Mais on sait aujourd'hui que l'_Histoire de la mère et du fils_ n'est point de Mézerai, mais de Richelieu; c'est le commencement même de ses mémoires, si précieux, si admirables à tant d'égards, mais destinés, comme tous les mémoires, à tromper la postérité au profit de leur auteur. Or, Richelieu avait bien des raisons de haïr Luynes: c'est Luynes qui, en 1617, détruisit le cabinet dont l'évêque de Luçon faisait partie, et c'est lui encore qui, à la fin de l'année 1620, malgré la cour habile que lui fit l'ambitieux évêque, ne se laissant pas séduire à l'apparence, l'empêcha d'être cardinal et arrêta quelque temps sa fortune. Aussi Richelieu, dont les rancunes étaient implacables, et qui joignait toutes les petitesses de la vanité à toutes les grandeurs de l'ambition et de l'orgueil, s'applique partout à rabaisser Luynes: il passe le bien sous silence; il met le mal en relief avec un soin, avec un art qui nulle part dans les mémoires n'est aussi sensible; et, singulier aveuglement de la haine, il va jusqu'à lui reprocher précisément ce que plus tard il a fait lui-même et ce qui le place si haut dans l'histoire. [20] Amsterdam, 1731, 2 vol. in-12. Richelieu, dans son second ministère, a poursuivi avec une vigueur incomparable, et avec un succès souvent acheté bien cher, trois grands objets: 1º la suprématie du pouvoir royal, au-dessus de cette république féodale de grands seigneurs qui divisaient, opprimaient, dévoraient la France; 2º l'abaissement de la maison d'Autriche qui depuis Charles-Quint affectait la domination de l'Europe; 3º la soumission politique et militaire des protestants, dont il fallait assurément respecter la liberté religieuse, mais en les empêchant de former un État dans l'État, et d'occuper des places fortes où l'autorité publique ne pénétrait point, et d'où ils pouvaient fomenter impunément des troubles et donner la main à l'étranger. Mais cette grande entreprise, d'où peu à peu est sortie la France nouvelle, ce n'est pas Richelieu qui le premier l'a conçue, comme il le dit et comme il a fini par le persuader, c'est Henri IV; et après Henri IV, celui qui l'a reprise et servie, avec plus ou moins de génie et d'éclat, c'est incontestablement Luynes, tandis que Richelieu a commencé par servir le parti contraire, sous le maréchal d'Ancre et sous la reine mère, dont il fut d'abord le courtisan et le favori avant d'en devenir l'ennemi irréconciliable. Le grand roi avait à peine fermé les yeux que ses desseins étaient oubliés et que sa veuve, la régente, Marie de Médicis, embrassait une politique toute différente. Henri IV s'était déclaré le protecteur de l'indépendance de l'Italie, et par conséquent l'allié du Piémont, de Venise et de Mantoue, que convoitait l'ambition espagnole, déjà maîtresse de Naples et du Milanais. Marie de Médicis laissa l'Espagne entrer, d'un côté, dans le Montferrat, qui appartenait alors au duc de Mantoue, et même franchir la frontière piémontaise, et de l'autre, chercher querelle à Venise, protéger contre elles les Uscoques, ces pirates de l'Adriatique, et faire effort pour s'emparer de la Valteline, afin de s'ouvrir une libre communication entre ses possessions d'Italie et ses possessions d'Allemagne. Henri IV, pour unir plus étroitement le Piémont et l'Angleterre à la France, voulait donner une de ses filles au prince de Piémont et une autre au prince de Galles. Marie de Médicis, se faisant tout espagnole, maria, le même jour, sa fille aînée avec l'infant d'Espagne, qui devint bientôt Philippe IV, et Louis XIII avec Anne d'Autriche. Quiconque voulait plaire à la régente et à son favori Concini célébrait l'alliance espagnole et les mariages qui semblaient la sceller à jamais, et nul ne l'a plus vantée que ce même Richelieu, qui devait lui porter le coup mortel. Dans ses mémoires, il se défend avec chaleur d'avoir jamais été partisan de l'Espagne. Il avait donc oublié la _Harangue prononcée en la salle du Petit-Bourbon, le_ _23 février 1615, à la clôture des Estats tenus à Paris, par révérend père en Dieu, messire Armand-Jean du Plessis de Richelieu, évesque de Luçon_[21]. Richelieu y félicite le roi d'avoir, tout majeur qu'il était, «remis les rênes de ce grand empire en la main de la reyne, sa mère, afin qu'elle eût pour quelque temps la conduite de son Estat.» «L'Espagne et la France, dit-il, n'ont rien à craindre estant unies, puisque estant séparées elles ne peuvent recevoir de mal que d'elles-mêmes.» Et, s'adressant à la reine mère, il lui dit: «La France se reconnoist, madame, obligée à vous départir tous les honneurs qui s'accordoient anciennement aux conservateurs de la paix et de la tranquillité publique.» Vains compliments! au lieu de jouir de la paix, la France allait revoir les horreurs de la guerre civile. Les grands, n'étant plus contenus par une main ferme, renouvelaient leurs vieilles prétentions et devançaient la Fronde. Les protestants redoublaient d'audace, et, s'appuyant sur eux, Henri de Bourbon, prince de Condé, reprenait ses rêves de régence: on était forcé d'en venir à cette extrémité d'arrêter et de mettre à la Bastille le premier prince du sang. Pendant ce temps, l'évêque de Luçon, grâce à ses adroites flatteries, était devenu secrétaire des commandements de la reine mère et grand aumônier de la jeune reine, infante d'Espagne; de là, en caressant le maréchal d'Ancre et le parti espagnol, il s'était fait nommer ambassadeur auprès du cabinet de Madrid, nomination considérée comme un triomphe par l'ambassadeur d'Espagne, duc de Monteleone[22], mais qui resta sans effet, parce que bientôt après, en novembre 1616, à l'aide de ses deux amis, le garde des sceaux Mangot et Barbin surintendant des finances, et par la protection déclarée du tout-puissant favori, Richelieu entra dans le ministère, au poste de secrétaire d'État des affaires étrangères. Il y mit sa haute capacité au service des passions régnantes. [21] Paris, 1615, en la boutique de Nivelle, chez Sébastien Cramoisy, rue Saint-Jacques, avec privilége du roi, in-12, de 64 pages. [22] Le duc le représentait alors à sa cour comme l'homme de France qui pouvait le mieux servir les intérêts de sa Majesté Catholique. Voyez _Lettres du cardinal de Richelieu_, publiées par M. Avenel, t. Ier, p. 19. La scène change à l'avénement de Luynes. Loin de retenir son jeune maître dans les amusements vulgaires auxquels jusque-là on l'avait abandonné, Luynes l'exhorte à s'occuper du gouvernement et à faire son métier de roi. Il tire de leur disgrâce les vieux ministres d'Henri IV, et avec eux il remet en honneur les maximes du grand roi et les fait prévaloir peu à peu, au dedans et au dehors, par ce mélange de finesse, de douceur, et, au besoin, de résolution qui est le trait de son caractère. Sans rompre avec l'Espagne, Luynes s'en dégage; il renoue avec l'Angleterre et reprend en main la cause de l'indépendance italienne; il resserre notre alliance avec Venise et avec le Piémont, marie la seconde sœur du roi avec Victor-Amédée et négocie l'union de la troisième avec le prince de Galles. Il tient quelque temps la reine mère éloignée de la cour et des affaires sans rigueurs inutiles, puis il l'y ramène après l'avoir deux fois vaincue. Tour à tour, il s'accommode avec les grands et leur fait la guerre. Il incorpore à la monarchie, range à nos institutions et à nos lois le Béarn et la Navarre. Enfin, c'est en poursuivant avec une énergie et une constance, que la fortune n'a point couronnées, la juste répression des protestants révoltés contre les prescriptions les plus formelles de l'édit de Nantes, c'est à la suite du siége de Montauban, précurseur de celui de La Rochelle, que Luynes a succombé, donnant son sang pour frayer la route au succès d'un autre. Il a donc été, dans la mesure de son génie et des circonstances, le restaurateur de la politique d'Henri IV et le prédécesseur inégal et incomplet de Richelieu. Tel est, à nos yeux, le titre de Luynes à l'estime de la patrie, et ce titre-là, toutes les attaques intéressées du grand cardinal, tous les pamphlets, sérieux ou frivoles, ni même bien des fautes et de grands défauts ne l'effaceront point[23]. [23] Cette opinion qui peut sembler paradoxale, n'est pas ici légèrement avancée; elle se fonde sur une étude sérieuse et détaillée des principaux actes du ministère de Luynes. Voyez le _Journal des Savants_ de l'année 1861, LE DUC ET CONNÉTABLE DE LUYNES. D'ailleurs, il ne faut pas s'imaginer que Luynes soit parti d'aussi bas qu'on le dit pour arriver en un jour à ce pouvoir presque souverain qu'il a exercé pendant cinq années. Sans examiner les généalogies vraies ou fausses que des dictionnaires complaisants, et même le Père Anselme et Moreri, donnent aux Luynes, et en ne remontant pas au delà du père de celui qui nous intéresse, on ne peut nier qu'Honoré d'Albert de Luynes n'ait fait bonne figure sous Henri III et sous Henri IV. Il se signala par son courage dans toutes les guerres du temps, et se fit un nom parmi les plus braves: on l'appelait _le capitaine Luynes_. Compromis, à tort ou à raison, dans l'affaire de La Mole et de Coconas, et offensé des propos que tenait à ce sujet un officier de la garde écossaise, célèbre par ses succès dans les combats particuliers, il le provoqua, et c'est en cette circonstance qu'eut lieu, en champ clos, au bois de Vincennes, en présence de Henri III et de toute la cour, le dernier duel que les rois aient autorisé. Luynes en sortit vainqueur. Dès que parut Henri IV, il s'attacha à sa fortune et lui rendit des services qui furent récompensés par le gouvernement d'une place forte alors importante et considérée comme une des clefs du Midi, le Pont-Saint-Esprit. Il s'était marié à une personne d'une bonne famille du Comtat, et joignit ainsi à sa très petite seigneurie de Luynes, en Provence, entre Aix et Marseille, deux autres seigneuries du Comtat, tout aussi médiocres, Cadenet et Brantes. Il eut trois fils qui prirent les noms de ces trois terres, et quatre filles, dont une a été religieuse et les trois autres ont fait d'assez beaux mariages. Le capitaine Luynes mourut en 1592. Son fils aîné, Charles d'Albert de Luynes, né le 5 août 1578, commença très-vraisemblablement par être page du comte du Lude, François de Daillon, sénéchal d'Anjou, le grand-père d'Henri de Daillon fait duc par Louis XIV et grand maître de l'artillerie. Il attira près de lui ses deux frères Cadenet et Brantes, et, sous les auspices de ce grand seigneur, ils passèrent ensemble au service du roi Henri IV, qui les mit auprès du petit Dauphin. Une fois là, les trois frères se poussèrent. On estimait particulièrement en eux la tendre amitié qui les unissait. Ils vivaient d'une pension de douze cents écus que l'aîné tenait du roi. Ils étaient bien faits, adroits dans tous les exercices, de manières distinguées, et empressés à plaire. Charles d'Albert surtout, sans être d'une beauté régulière, avait une figure si aimable qu'on disait de lui, comme de Henri de Guise, que pour le haïr il fallait ne pas le voir. Il s'insinua dans les bonnes grâces du jeune prince en le servant dans ses jeux et dans ses goûts, et en dressant à son usage des oiseaux de proie, alors peu connus, nommés pies-grièches, qui fondaient sur les petits oiseaux et les rapportaient à leur maître. L'inclination née de ces puérils amusements se fortifia avec l'âge et s'étendit à toutes choses. Luynes était discret, modeste, très-poli et très-fin. Sa faveur innocente n'inquiéta d'abord personne: il en profita, et sa fortune grandit vite. Avant 1617, il était déjà conseiller d'État, gentilhomme ordinaire de la chambre, gouverneur de la ville et du château d'Amboise en Touraine, et capitaine du château des Tuileries. En 1615, il avait été envoyé sur la frontière d'Espagne, au-devant d'Anne d'Autriche, pour lui remettre la première lettre du jeune roi, et le 30 octobre 1616 il acquit la charge importante de grand fauconnier de France. Compagnon assidu de Louis XIII, Luynes recevait souvent, dans leurs longs entretiens, les douloureux épanchements de cette âme mélancolique, de cet esprit inquiet, soupçonneux, jaloux, né pour se tourmenter lui-même, et qui alors se faisait une peine et une injure de la domination de sa mère et de celle du maréchal d'Ancre. Il y avait en Louis XIII, à côté de tous ses défauts, des instincts de roi dignes de son père Henri IV, et il s'indignait de voir un étranger incapable usurper le gouvernement de son État, tandis qu'on le reléguait dans un coin du Louvre. Il souffrait encore d'une autre blessure plus secrète et plus vive. Marie de Médicis avait trop laissé paraître la préférence qu'elle éprouvait pour son second fils, Gaston, duc d'Anjou, depuis duc d'Orléans, qui était, en effet, un très-gracieux et aimable enfant. Cette injuste préférence mit de bonne heure dans le cœur du jeune roi un sentiment qu'il ne s'avoua jamais bien à lui-même, que le temps n'éteignit point, et qui a été le ressort caché de bien des événements. Le roi se plaignit donc à son confident du jour de la tyrannie de Concini, comme, plus tard, Baradat, Saint-Simon, Cinq-Mars, Mlle de Lafayette et Mme d'Hautefort l'entendirent se plaindre de la tyrannie de Richelieu. Peu à peu le dévouement et l'ambition suggérèrent à Luynes la pensée de servir son royal ami et de se servir lui-même en brisant le joug qui leur pesait à l'un et à l'autre. Mais le fin courtisan mit un masque sur sa pensée, et s'appliqua à prévenir ou à désarmer les soupçons de Marie de Médicis en l'accablant de protestations de zèle. On dit pourtant que l'Italien entrevit le danger et que Luynes ne fit guère que frapper le premier. Quoi qu'il en soit, il est impossible de ne pas reconnaître qu'il fallait une énergie peu commune pour former une semblable entreprise et jouer sa tête sur la parole d'un roi de seize ans; comme il fallait assurément une habileté profonde et une prudence consommée pour dérober cette conspiration à la vigilance de ministres tels que Barbin, Mangot et Richelieu, saisir le juste moment de l'exécution, pendant que le maréchal d'Ancre envoyait toutes ses forces contre les grands seigneurs partout révoltés, concerter et arrêter le plan de la terrible journée du 24 avril 1617, préparer et assurer le lendemain, fonder un gouvernement. Luynes avait alors trente-neuf ans. Il hérita de celui qu'il venait de renverser. A toutes les charges qu'il possédait déjà, il ajouta celles du maréchal d'Ancre; il eut aussi, comme on disait alors, la confiscation du maréchal, c'est-à-dire sa fortune et celle de sa femme presque entière, accessoire accoutumé du succès dans les mœurs du temps[24]; et quand, le lendemain de la conspiration victorieuse, il songea à s'affermir par un grand mariage, il avait le choix des plus illustres alliances. Louis XIII voulait lui faire épouser Mlle de Vendôme, fille d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, la sœur du duc César de Vendôme et du grand prieur, la nièce du marquis de Cœuvres, le futur duc et maréchal d'Estrées[25]; et l'ambitieuse famille ne demandait pas mieux que d'acquérir à ce prix le favori du roi. Mais Luynes craignit de s'engager dans le parti des Vendôme et de se donner des beaux-frères qui voudraient le dominer et se servir de lui au lieu de le servir. Par le même motif, il déclina la main d'une autre fille d'Henri IV, Mlle de Verneuil, n'entendant pas se laisser entraîner dans les orgueilleuses prétentions et les ténébreuses intrigues de sa mère, Henriette de Balzac d'Entragues. On lui proposa encore une des plus riches héritières de France, la fille unique de Philibert-Emmanuel d'Ailli, vidame d'Amiens[26]. Il préféra Mlle de Montbazon, très-riche assurément et de grande qualité, dont le père occupait une haute charge de cour et pouvait être à son gendre un appui considérable, en même temps que la facilité de son humeur et un esprit sensé mais médiocre le devaient rendre un instrument sûr et docile. Il n'était pas besoin aussi de la finesse et de la pénétration de Luynes pour comprendre de quel secours lui serait dans tous ses desseins une jeune femme qui unissait déjà tant d'intelligence à tant de beauté. Comme nous l'avons dit, il avait alors trente-neuf ans, et Mlle de Montbazon n'en avait pas dix-sept; mais, outre qu'il était d'une figure encore très-agréable, d'une douceur et d'une politesse accomplies, il venait de braver de grands périls pour monter à un poste où il allait en trouver de tout aussi grands. Il y avait là de quoi toucher le cœur de la belle Marie, et leur union fut parfaitement heureuse[27]. Ils se convenaient par le contraste même de leurs caractères, l'une vive et impétueuse, l'autre réfléchi et circonspect jusqu'à l'apparence de l'incertitude. Luynes se complut à la former; il lui donna les premières leçons de la politique du temps qui ne connaissait point les scrupules et se composait surtout d'intrigue et d'audace. Marie de Rohan profita vite à cette école. Selon la nature ardente et dévouée que nous lui avons reconnue, elle mit au service de celui qu'elle aimait tout ce qu'il y avait en elle de grâces engageantes et de ferme courage. Luynes l'initia à tous ses secrets, la mit de moitié dans tous ses desseins et se gouverna par ses conseils. Un témoin contemporain très-bien informé assure qu'elle exerçait sur son mari un grand empire[28]. [24] APPENDICE, notes du chapitre Ier. [25] Catherine-Henriette, légitimée de France, qui épousa on 1619 le duc d'Elbeuf. [26] Plus tard, en 1619, il la fit obtenir à son frère Cadenet, et c'est sur la terre de Chaulnes, que lui apporta Claire-Charlotte d'Ailli, que Cadenet assit son titre de duc et maréchal de Chaulnes. [27] Mme DE MOTTEVILLE, tome Ier, page 11: «La duchesse de Luynes était très-bien avec son mari.» [28] Guido Bentivoglio, nonce du pape en France. Voyez APPENDICE, notes du chap. Ier. Le premier intérêt du favori de Louis XIII était de garder le cœur du roi pour lui et les siens, et de s'emparer aussi de la confiance de la reine Anne, afin d'être maître assuré de toute la cour. Il y introduisit donc sa jeune femme en lui donnant pour instruction de s'appliquer à gagner les bonnes grâces de la reine et du roi. Elle y réussit à merveille, et en décembre 1618, elle fut nommée surintendante de la maison d'Anne d'Autriche à la place de la connétable de Montmorenci. Anne et celle qui était chargée de la conduire étaient à peu près du même âge et dans la première fleur de la jeunesse; elles se lièrent aisément, et plus tard nous verrons cette amitié grandir et résister à bien des épreuves. Mais il y eut d'abord un léger nuage entre les deux amies. Soit que la belle surintendante eût un peu trop suivi les instructions de son mari et employé trop habilement les manœuvres de la coquetterie pour plaire au roi, soit plutôt que celui-ci voulût être agréable à Luynes en montrant à sa femme les attentions les plus flatteuses, la reine qui était Espagnole et jalouse, en conçut un chagrin qui ne céda qu'aux plus vives démonstrations de la tendresse du roi et à l'évidente innocence de ses relations avec la séduisante duchesse. En effet, loin de séparer les deux époux, Luynes et sa femme s'appliquèrent à les rapprocher, et c'est même Luynes qui, se prévalant de sa familiarité avec Louis XIII, osa lui faire une sorte de violence pour triompher de sa timidité et de sa froideur naturelle[29]. Depuis, Anne d'Autriche et Marie de Rohan redoublèrent d'affection l'une pour l'autre, et la duchesse de Luynes devint tout aussi chère à la reine que son mari l'était au roi. [29] APPENDICE, notes du chap. Ier. L'année 1621 vit le terme des prospérités et de la carrière de Luynes: il périt le 14 décembre devant Monheur, après avoir été forcé de lever le siége de Montauban, dans cette fameuse campagne, si bien commencée, si mal terminée, où le nouveau connétable, fier de ses premiers succès, s'obstina à continuer la guerre, dans une saison défavorable, contre les protestants admirablement retranchés, commandés par des chefs habiles et se battant avec l'énergie du désespoir. Il laissait une fille, morte assez tard sans alliance dans la plus haute dévotion, avec un fils né en 1620 sous les plus heureux auspices, pendant le plus grand éclat de la faveur de son père, et en présence de la jeune reine, qui n'avait pas voulu quitter un moment son amie[30] tant qu'avait duré le travail de l'accouchement. Le roi avait été le parrain de cet enfant. Louis-Charles d'Albert, second duc de Luynes, sans être ni militaire ni politique, porta fort bien son nom, s'honora par sa généreuse amitié pour les solitaires de Port-Royal, traduisit en français les _Méditations_ de Descartes, et écrivit, sous le nom de M. de Laval, d'estimables livres de piété. Il eut pour fils ce vertueux ami de Fénelon et de Beauvilliers, dont les descendants ont dignement continué, dans les armes et dans l'Église, l'illustre maison jusqu'au duc actuel qui n'en est pas le moindre ornement. [30] Voyez l'APPENDICE, notes du chap. Ier. La duchesse et connétable de Luynes épousa en secondes noces, à la fin de l'année 1622, Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, un des fils de Henri de Guise, grand chambellan de France, dont le plus grand mérite était celui de son nom, accompagné de la bonne mine et de la vaillance qui ne pouvaient manquer à un prince de la maison de Lorraine; d'ailleurs de peu de capacité, sans nul ordre dans ses affaires et bien peu édifiant dans ses mœurs, ce qui explique et atténue les torts de sa femme. De ce nouveau mariage il ne sortit que des filles. Deux furent religieuses: l'une, Anne-Marie, naquit à Londres en 1625, et mourut en 1652, abbesse du Pont-aux-Dames; l'autre, Henriette de Lorraine, née en 1631, devint abbesse de Jouarre, dans le diocèse de Meaux, eut d'assez vives contestations avec Bossuet, son évêque, sur l'étendue du pouvoir des abbesses, puis déposant volontairement la dignité pour laquelle elle avait combattu, se retira à Port-Royal où elle termina sa vie en 1693[31]. La troisième est cette belle Mlle de Chevreuse, Charlotte de Lorraine, née en 1627, morte sans alliance en 1652, qui a joué un rôle dans la Fronde, à côté de sa mère, eut la faiblesse d'écouter Retz, à ce que Retz nous assure, et qu'en récompense il n'a pas oublié de peindre en caricature pour divertir celle à laquelle il écrivait[32]. [31] _Gallia Christiana_, tome VIII, page 1715; _Vie de Bossuet_, par M. de Beausset, tome II, livre VII.--Il ne faut pas confondre cette abbesse de Jouarre avec sa nièce, Mme Albert de Luynes, fille du second duc de Luynes, qui a été aussi, avec une de ses sœurs, religieuse à Jouarre, et à laquelle Bossuet a écrit tant de lettres touchantes. [32] _Mémoires_, tome Ier, page 221. La duchesse de Luynes apporta à son second époux, entre autres avantages, le magnifique hôtel que le connétable avait fait bâtir à si grands frais dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre, à côté de l'hôtel de Rambouillet, et qui devint successivement l'hôtel d'Épernon et l'hôtel de Longueville[33]. De son côté, le duc de Chevreuse fit entrer dans sa nouvelle famille, avec un second duché, un des châteaux que les Guise possédaient autour de Paris, le château de Dampierre, près de Chevreuse, si célèbre au XVIIe siècle, reconstruit au commencement du XVIIIe à la façon de Mansard, et qui aujourd'hui, encore embelli par un goût délicat, est une des plus nobles demeures que nous connaissions[34]. [33] Voyez la JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. II, p. 129-130. [34] M. le duc de Luynes a fait de l'antique château des Guise un séjour à la fois splendide et charmant qui peut rivaliser avec les plus célèbres résidences de l'aristocratie anglaise. Où trouver ailleurs cette grandeur et cette simplicité, cet exquis sentiment de la nature et de l'art, ces belles eaux, ces magnifiques promenades, et aussi cette vaste bibliothèque, ces admirables portraits de famille, ces peintures ou du moins ces grandes esquisses de M. Ingres, et cette statue de Louis XIII, en argent massif, monument d'une généreuse reconnaissance? Et lorsqu'on vient à penser que celui qui a rassemblé toutes ces belles choses a consacré sa fortune au bien public en tout genre, qu'il nous a donné l'acier de Damas, les ruines de Sélinonte, l'histoire de la maison d'Anjou à Naples, la Minerve du Parthénon; que depuis trente ans, secondé par une compagne digne de lui, il répand les asiles, les écoles, les hospices, encourage et soutient les savants et les artistes, lui-même un des premiers archéologues de l'Europe, ami d'une liberté sage, et favorable à toutes les bonnes causes populaires, on se dit: Il y a donc encore un grand seigneur en France! CHAPITRE DEUXIÈME 1623-1626 LA DUCHESSE DE CHEVREUSE BIEN DIFFÉRENTE DE LA DUCHESSE DE LUYNES.--FAUTE DE POUVOIR AIMER SON NOUVEAU MARI, ELLE SE DONNE A LA REINE ANNE, DONT L'INTÉRÊT, BIEN OU MAL ENTENDU, DEVIENT SON PRINCIPAL ET CONSTANT OBJET.--ANNE d'AUTRICHE OPPRIMÉE PAR MARIE DE MÉDICIS, Mme DE CHEVREUSE LA CONSOLE ET AUSSI LA COMPROMET.--ELLE AIME LE COMTE DE HOLLAND, AMBASSADEUR D'ANGLETERRE, ET ELLE TACHE D'ENGAGER LA REINE AVEC BUCKINGHAM.--ELLE ACCOMPAGNE AVEC SON MARI LA NOUVELLE REINE D'ANGLETERRE A LONDRES. SES SUCCÈS A LA COUR DE CHARLES Ier.--HOLLAND ET BUCKINGHAM LA METTENT DANS LEURS INTRIGUES CONTRE RICHELIEU.--QUE BUCKINGHAM N'A JAMAIS ÉTÉ SON AMANT.--LA RÉSISTANCE DE LA REINE ANNE AU MARIAGE DE MONSIEUR AVEC Mlle DE MONTPENSIER, SUSCITE UNE CONSPIRATION A LAQUELLE Mme DE CHEVREUSE PREND UNE GRANDE PART.--HENRI DE TALLEYRAND, COMTE DE CHALAIS.--ODIEUSE CONDUITE DU DUC D'ORLÉANS QUI TRAHIT TOUS SES COMPLICES.--FAIBLESSE DE CHALAIS EN PRISON POUSSÉE JUSQU'A LA BASSESSE. TROMPÉ PAR RICHELIEU, IL S'EMPORTE CONTRE Mme De CHEVREUSE ET LA DÉNONCE, PUIS SE RÉTRACTE, ET MEURT AVEC COURAGE.--PREMIER EXIL DE Mme DE CHEVREUSE. Luynes au tombeau, la reine mère, Marie de Médicis, reprit son ascendant sur le faible Louis XIII, qui céda à la nécessité, et auquel on donna, pour l'amuser, un nouveau favori sans conséquence, le jeune, aimable et insignifiant Baradat. Elle s'empressa aussi de faire part de sa nouvelle puissance à celui qui l'avait si bien servie dans ses prospérités à la fois et dans ses disgrâces. En 1622, l'évêque de Luçon obtint enfin ce chapeau de cardinal dont le désir passionné lui avait fait rechercher dans les derniers temps la faveur et l'alliance[35] de Luynes qui, tout aussi fin que lui, et discernant bien l'usage que l'ambitieux évêque pourrait faire de cette haute dignité, la lui promit, mais sans se presser de la lui donner. Puis, en avril 1624, le nouveau cardinal rentra en triomphateur dans le cabinet, et commença ce second et glorieux ministère qui dura près de vingt années, et qui diffère essentiellement du premier. Il n'y porta pas en effet la politique du maréchal d'Ancre, mais celle-là même qu'il avait tant combattue dans Luynes. Comme lui, il ne se hâta point de rompre la paix avec l'Espagne, et parce que la reine mère, sa protectrice, était tout Espagnole, et parce qu'il lui importait avant tout de raffermir au dedans l'ordre ébranlé par tant de secousses[36]. Il acheva la complète incorporation du Béarn et de la Navarre à la France, et repoussa fermement les prétentions usurpatrices des protestants, en attendant que le moment fût venu de renouveler la campagne de 1621, de refaire le siége de Montauban et de soumettre La Rochelle. Il avait vu de près à Angers autour de la reine mère, dans les tristes affaires de 1620, l'égoïsme des grands, leur peu de foi, leur ambition déréglée, leur avidité insatiable; et forcé de les ménager d'abord, il se proposait bien de ne pas subir longtemps leur joug et de ne leur livrer ni la royauté ni la France. Ceux-ci à leur tour ne tardèrent pas à reconnaître que sur le cadavre de Luynes il s'était élevé un second Luynes, bien plus redoutable que le premier; et, selon leur habitude, après s'être empressés autour du nouveau favori de Marie de Médicis, comme ils l'avaient fait en 1617 autour du favori de Louis XIII, dès qu'ils désespérèrent de le gouverner au profit de leur vanité et de leur fortune, ils se mirent à recommencer leurs vieilles intrigues, et Richelieu vit bientôt s'agiter contre lui ses anciens complices d'Angers, couvrant habilement leurs vues personnelles d'un apparent dévouement à Monsieur, le jeune duc d'Anjou, qui sera bientôt le duc d'Orléans, et, bien entendu, s'appuyant sur l'étranger, sur la catholique Espagne ou sur la protestante Angleterre, sur le remuant duc de Lorraine, et particulièrement sur l'ambitieuse Savoie, impatiente de s'agrandir à tout prix et aux dépens de qui que ce soit, l'Italie, l'Autriche ou la France. C'est ainsi que Richelieu fut amené peu à peu à rompre avec son ancien parti, et plus tard avec le chef de ce parti, Marie de Médicis elle-même. Mais n'anticipons pas sur les événements, et bornons-nous à bien marquer ce point essentiel, qu'au début même de son second ministère, au lieu de continuer le conspirateur de 1620, Richelieu se montra le vrai successeur de Luynes et reprit tous ses desseins, mais avec le génie qui a rendu son nom immortel. [35] Il avait, en 1620, marié sa nièce, Mlle de Pontcourlai, à M. de Combalet, neveu de Luynes, qui la laissa veuve de très-bonne heure. [36] _Mémoires_, collection Petitot, t. II, p. 403: «Il faut pourvoir au cœur, c'est-à-dire au dedans.» _Ibid._, p. 407: «Il ne faut pas aussi entrer en rupture avec les Espagnols et venir avec eux à une guerre déclarée.» Pendant que s'accomplissait dans la pensée ou plutôt dans la situation du grand cardinal, cet important et heureux changement, un autre en sens contraire se faisait aussi dans la duchesse de Luynes, devenue la duchesse de Chevreuse. Comme elle ne choisissait pas son but elle-même, mais le recevait des mains de la personne qui l'intéressait, après avoir servi avec fidélité et dévouement Luynes, qu'elle aimait, n'ayant pas retrouvé dans M. de Chevreuse un mari fait pour la captiver, elle se donna tout entière à la reine Anne, sa maîtresse et son amie; et l'intérêt, bien ou mal entendu, de la reine la jeta dans une tout autre voie que celle qu'elle avait jusqu'alors suivie. En sorte que le même caractère, dans des circonstances diverses, lui dicta tour à tour les conduites les plus opposées. Du temps de Luynes, et grâce à ses soins, le jeune roi avait fini par aimer tendrement sa femme; il s'était complu à l'entourer d'honneur et de considération, et lorsqu'il était parti pour la grande et brillante campagne de 1620, il l'avait laissée à Paris à la tête du gouvernement. Mais l'orgueilleuse Marie de Médicis, en reprenant possession de son pouvoir, relégua dans l'ombre la jeune reine; on dit même qu'elle s'appliqua et réussit à éloigner d'elle Louis XIII, afin de régner sur lui sans partage. Anne d'Autriche, Espagnole et fière, et en même temps belle, jeune, ayant besoin d'aimer et d'être aimée, ressentit amèrement les nouvelles froideurs de son mari, qu'elle croyait avoir vaincues; toute sa consolation était la compagnie de sa vive et hardie surintendante. Nous avons ici le témoignage de la véridique et si bien informée Mme de Motteville. «La reine Marie de Médicis s'étant raccommodée avec le roi, la paix entre la mère et le fils brouilla le mari et la femme; et la reine mère étant persuadée que pour être absolue sur ce jeune prince, il falloit que cette jeune princesse ne fût pas bien avec lui, elle travailla avec tant d'application et de succès à entretenir leur mésintelligence, que la reine, sa belle-fille, n'eut aucun crédit ni aucune douceur depuis ce temps-là. Toute sa consolation étoit la part que la duchesse de Luynes, qui étoit remariée avec le duc de Chevreuse, prince de la maison de Lorraine, prenoit à ses chagrins, qu'elle tâchoit d'adoucir par tous les divertissements qu'elle proposoit, lui communiquant, autant qu'elle pouvoit, son humeur galante et enjouée pour faire servir les choses les plus sérieuses et de la plus grande conséquence de matière à leur gaieté et à leur plaisanterie: _A giovine cuor tutto è gioco_[37].» [37] _Mémoires_, t. Ier, p. 12. Mme de Motteville dit même, p. 11, qu'auparavant et encore en 1622, la reine étant grosse, se blessa en courant après sa surintendante qui était encore la duchesse et connétable de Luynes. Bassompierre, _Mémoires_, collection Petitot, 2e série t. XX, p. 376: «La reine devint grosse, et c'étoit de six semaines, quand un soir... s'en retournant coucher et passant près la grande salle du Louvre, Mme la connétable de Luynes et Mlle de Verneuil la tenant sous les bras et la faisant courir, elle broncha et tomba, dont elle se blessa et perdit son fruit... On fit savoir au roi comme et en quelle façon elle s'étoit blessée, et il s'anima tellement contre les deux dames, qu'il manda à la reine qu'il ne vouloit plus que Mlle de Verneuil et Mme la connétable fussent auprès d'elle, et leur écrivit à chacune une lettre pour leur faire savoir qu'elles eussent à se retirer du Louvre.» Le mariage de la connétable avec le duc de Chevreuse, qui avait beaucoup de crédit auprès du roi, arrangea tout, et sauva pour quelque temps la surintendante, _Mémoires_ de Fontenai-Mareuil, collection Petitot, 1re série, t. L, p. 350. La cour de France était alors très-brillante, et la galanterie à l'ordre du jour. C'était le temps où la marquise de Sablé soutenait et accréditait de son esprit et de sa beauté les maximes chevaleresques que les Espagnols avaient empruntées des Mores. Elle prétendait «que les hommes pouvoient sans crime avoir des sentiments tendres pour les femmes, que le désir de leur plaire leur donnoit de l'esprit et leur inspiroit de la libéralité et toutes sortes de vertus; et que, d'un autre côté, les femmes, qui étoient l'ornement du monde et faites pour être servies et adorées, ne devoient souffrir des hommes que leurs respects[38].» Anne, dans son pays, avait été de bonne heure accoutumée à ces maximes, et elle était fort portée à les mettre en pratique. Belle et sensible, elle aimait à plaire, et dans l'injuste abandon où la laissait Louis XIII, elle ne s'interdisait point de recevoir des hommages. La Rochefoucauld, qui l'a bien connue, dit «qu'avec beaucoup de vertu, elle ne s'offensoit pas d'être aimée[39].» Elle le fut, et Mme de Motteville ne fait pas difficulté de nous apprendre que le beau et vaillant duc Henri de Montmorenci conçut de tendres sentiments pour elle, et que même le héros de l'ancienne galanterie, le grand écuyer de Bellegarde, déjà un peu sur le retour de l'âge, lui fit une cour assez publique, sans que la réputation de la reine en eût éprouvé la moindre atteinte. Mais les choses ne se passèrent pas toujours ainsi. Mme de Chevreuse, qui n'avait pas la piété et la sagesse d'Anne d'Autriche, ne se retint pas longtemps sur la pente glissante de l'amour platonique; elle céda aux séductions de la jeunesse et du plaisir, et elle manqua d'y entraîner sa maîtresse. De là bien des fautes, dont nous détournerions les yeux si elles ne se liaient à d'importants événements, et n'exprimaient de la façon la plus frappante ce mélange de la galanterie et de la politique, qui est l'un des traits particuliers des mœurs de l'aristocratie et de la haute société au XVIIe siècle. [38] Mme de Motteville, t. Ier, p. 13, et Mme DE SABLÉ, chap. Ier, p. 13 et 14. [39] _Mémoires_, _ibid._, p. 338. En l'année 1624, le cardinal de Richelieu avait repris une des meilleures pensées de Luynes, et renoué la négociation autrefois commencée pour faire épouser au prince de Galles, fils du roi d'Angleterre, la troisième fille d'Henri IV, la dernière sœur de Louis XIII. D'abord, ce mariage empêchait celui du prince anglais avec une infante d'Espagne, dont il était question depuis assez longtemps, et qui eût été un accroissement redoutable de la puissance espagnole en Europe. L'alliance anglaise nous était aussi fort précieuse, parce qu'elle promettait d'enlever à la faction protestante de France l'appui de l'Angleterre, et ce n'est pas la faute des plus sages desseins si quelquefois des circonstances imprévues les renversent. L'amour vint ici, contre sa coutume, seconder la politique. Le prince de Galles, en traversant la France, avait vu la belle et aimable Henriette-Marie, et il en était devenu éperdument épris; il pressa donc son père de demander pour lui la main de la princesse, et Jacques Ier envoya à Paris, outre son ministre accoutumé, deux ambassadeurs extraordinaires pour traiter cette grande affaire, qui fut conclue le 10 novembre 1624. L'un des deux ambassadeurs, et le principal, était Henri Rich, lord Kensington, de la maison de Warwick, premier comte de Holland, celui qui joua un rôle dans la révolution d'Angleterre, commanda un moment l'armée royale, et monta, en 1649, sur le même échafaud que lord Capel et lord Hamilton. Il devint amoureux de Mme de Chevreuse. Il était jeune et bien fait[40]; il lui plut. Voilà, selon nous, le vrai début de Mme de Chevreuse dans l'amour coupable et dans les intrigues de toute espèce où elle a consumé sa vie. [40] La Rochefoucauld, _ibid._, p. 340. La Porte qui était alors porte-manteau de la reine Anne, et qui vit Holland à la cour, dit, _Mémoires_, collection Petitot, 2e série, t. LIX, p. 295: «Un des plus beaux hommes du monde, mais d'une beauté efféminée.» On nous assure qu'il y a en Angleterre, chez le comte de Breadalbane, un portrait du beau Holland. A la mort de Jacques Ier, le prince de Galles, devenu roi d'Angleterre sous le nom de Charles Ier, au mois de mars 1625, ordonna à ses ambassadeurs d'abréger tous les délais et de hâter la cérémonie des fiançailles. Grâce au crédit de Holland et de son ami Buckingham, favori du nouveau roi comme il l'avait été du précédent, Charles Ier choisit le duc de Chevreuse, grand chambellan de France, pour épouser Madame en son nom et pour la conduire en Angleterre: en même temps, on obtint de Louis XIII que le duc emmènerait avec lui sa femme qui devait être une des parures du cortége. Cet arrangement donnait aux deux amants le moyen de se voir souvent et l'espoir de ne pas se séparer trop vite. Holland était un homme de plaisir et d'intrigue. Il exerça une mauvaise influence sur Mme de Chevreuse. Il prit sur elle un tel empire, qu'il lui persuada d'engager sa royale maîtresse dans quelque belle passion semblable à la leur, et il lui désigna son ami, le premier ministre d'Angleterre, le beau, le brillant, le magnifique Buckingham, comme le seul homme qui pût être agréé de la reine de France. Anne d'Autriche et Buckingham ne s'étaient jamais vus. Il fallait leur ménager l'occasion de se voir et de s'entendre. Les deux galants conspirateurs «trouvèrent toutes les facilités qu'ils désiroient auprès de la reine et du duc de Buckingham[41]». Celui-ci, qui était tout aussi léger que Holland et aimait passionnément les aventures extraordinaires, se fit envoyer par Charles Ier en France pour l'y représenter particulièrement et faire plus d'honneur à la nouvelle reine. Il partit de Londres en toute hâte, arriva à Paris le 24 mai, et descendit dans ce bel hôtel de Luynes de la rue Saint-Thomas-du-Louvre qui s'appelait alors l'hôtel de Chevreuse[42]. Il se montra à la cour «avec plus d'éclat[43], de grandeur et de magnificence que s'il eût été roi. La reine lui parut encore plus aimable que son imagination ne la lui avoit pu représenter, et il parut à la reine l'homme du monde le plus digne de l'aimer. Ils employèrent la première audience de cérémonie à parler d'affaires qui les touchoient plus vivement que celles des deux couronnes, et ils ne furent occupés que des intérêts de leur passion[44].» Le duc de Buckingham resta sept jours à Paris[45], «retardant son départ le plus qu'il lui étoit possible, et se servant de sa qualité d'ambassadeur pour voir la reine[46].» Le 2 juin, la nouvelle reine d'Angleterre quitta Paris et s'achemina à petites journées vers Calais. Marie de Médicis et la reine Anne accompagnèrent leur fille et leur belle-sœur jusqu'à Amiens. Le duc de Chaulnes, gouverneur de la ville, leur fit une réception magnifique, et c'est là que se passa la scène fameuse où Anne d'Autriche apprit à ses dépens que le jeu qu'elle jouait était mal sûr. Buckingham était entreprenant, Mme de Chevreuse fort complaisante, et la reine ne se sauva qu'à grand'peine. «Un soir, dit La Rochefoucauld[47], que la reine se promenoit assez seule dans un jardin, le duc de Buckingham y entra avec le comte de Holland, dans le temps que la reine se reposoit dans un cabinet. Ils se trouvèrent seuls; le duc étoit hardi, l'occasion favorable, et il essaya d'en profiter avec si peu de respect, que la reine fut contrainte d'appeler ses femmes et de leur laisser voir une partie du trouble et du désordre où elle étoit.» Quand, quelques jours après, Buckingham vint officiellement prendre congé d'elle, il la trouva en voiture avec la princesse de Conti; en s'inclinant à la portière pour baiser le bout de sa robe, il lui fallut se couvrir un peu du rideau pour cacher les larmes qui lui échappaient. Anne d'Autriche fut si émue que la princesse de Conti, qui était à côté d'elle, lui dit en badinant qu'elle pouvait répondre au roi de sa vertu, mais non pas de sa cruauté, et que les larmes de cet amant avaient dû attendrir son cœur, puisque ses yeux l'avaient du moins regardé avec quelque pitié[48]. Le duc de Buckingham partit «passionnément amoureux de la reine et tendrement aimé d'elle[49].» Arrivé à Boulogne et près de passer la mer, «par un emportement que l'amour seul rend excusable,» il feignit d'avoir reçu du roi Charles une lettre qui l'obligeait de retourner sur ses pas pour avoir une nouvelle conférence avec la reine mère; et en revenant à Amiens, après avoir entretenu Marie de Médicis de l'affaire simulée qui lui avait servi de prétexte, il s'en alla bien vite saluer une dernière fois la reine Anne. «Elle était au lit[50]; il entra dans sa chambre, se jetta à genoux devant elle, et fondant en larmes, il lui tenoit les mains. La reine n'étoit pas moins touchée, lorsque la comtesse de Lannoi, sa dame d'honneur, s'approcha du duc et lui fit approcher un siége en lui disant qu'on ne parloit point à genoux à la reine. Le duc de Buckingham remonta à cheval en sortant et reprit le chemin d'Angleterre.» Ajoutez que la reine s'était fort bien prêtée à cette visite, ou que du moins elle la connaissait; car à Boulogne, Buckingham avait fait part à Mme de Chevreuse de la démarche où l'entraînait sa passion, et celle-ci s'était empressée de l'écrire à la reine[51]. [41] La Rochefoucauld, _ibid._ [42] _Mercure françois_, 1625, p. 365 et 366: «Le duc arriva en poste à Paris le 24e jour de mai, et fut logé à l'hôtel du duc de Chevreuse, l'hôtel le plus richement meublé qui soit à présent en France, et où le peuple de Paris fut plusieurs jours par admiration voir le riche équipage qu'avoit fait faire ce prince, lequel par ordre de Sa Majesté très-chrétienne, devoit, avec la duchesse sa femme, accompagner la reine en Angleterre.» [43] La Rochefoucauld, _ibid._ [44] Mme de Motteville, _ibid._, p. 15 et 16: «Le duc de Buckingham fut le seul qui eut l'audace d'attaquer son cœur. Il étoit bien fait, beau de visage; il avoit l'âme grande, il étoit magnifique, libéral, et favori d'un grand roi. Il avoit tous les trésors à dépenser et toutes les pierreries de la couronne d'Angleterre pour se parer. Il ne faut pas s'étonner si avec tant d'aimables qualités il eut de si hautes pensées, de si nobles mais si dangereux et blâmables désirs, et s'il eut le bonheur de persuader à tous ceux qui en ont été les témoins, que ses respects ne furent point importuns.» [45] _Mercure françois_, _ibid._ [46] La Rochefoucauld, _ibid._ [47] _Ibid._--Voici le récit parfaitement conforme de La Porte, alors au service de la reine, _Mémoires_, _ibid._, p. 296: «La reine logea dans une maison où il y avoit un fort grand jardin le long de la rivière de Somme; la cour s'y promenoit tous les soirs, et il arriva une chose qui a bien donné occasion aux médisans d'exercer leur malignité. Un soir que le temps étoit fort serein, la reine qui aimoit à se promener tard, étant en ce jardin, le duc de Buckingham la menoit, milord Rich menoit Mme de Chevreuse. Après s'être bien promenée, la reine se reposa quelque temps et toutes les dames aussi; puis elle se leva, et dans le tournant d'une allée où les dames ne la suivirent pas sitôt, le duc de Buckingham se voyant seul avec elle, à la faveur de l'obscurité qui commençoit à chasser la lumière, s'émancipa fort insolemment, jusqu'à vouloir caresser la reine, qui en même temps fit un cri auquel tout le monde accourut. Putange, écuyer de la reine, qui la suivoit de vue, arriva le premier, et arrêta le duc qui se trouva fort embarrassé, et les suites eussent été dangereuses pour lui si Putange ne l'eût laissé aller; tout le monde arrivant là-dessus, le duc s'évada, et il fut résolu d'assoupir la chose autant que l'on pourroit.» Le récit de Mme de Motteville ne diffère pas véritablement de ceux-là: «On a fort parlé d'une promenade qu'elle fit dans le jardin de la maison où elle logeoit. J'ai vu des personnes qui s'y trouvèrent qui m'ont instruite de la vérité. Le duc de Buckingham qui y fut, la voulant entretenir, Putange, écuyer de la reine, la quitta pour quelques moments, croyant que le respect l'obligeoit de ne pas écouter ce que ce seigneur anglais lui vouloit dire. Le hasard alors les ayant menés dans un détour d'allée où une palissade les pouvoit cacher au public, la reine dans cet instant, surprise de se voir seule, et apparemment importunée par quelques sentiments très-passionnés du duc, elle s'écria en appelant son écuyer, le blâma de l'avoir quittée... Si en cette occasion elle montra que son cœur pouvoit être susceptible de quelque impression de tendresse qui la convia d'écouter les discours fabuleux d'un homme qui l'aimoit, il faut avouer aussi que l'amour de la pureté et ses sentiments honnêtes l'emportèrent sur tout le reste.»--Telle est cette scène du jardin d'Amiens, que Tallemant a chargée à sa façon de détails grossiers. Mais nous ne croyons pas le moins du monde à une autre scène qui aurait eu lieu à Paris, dans le petit jardin du Louvre, et après laquelle la reine aurait envoyé Mme de Chevreuse demander à Buckingham s'il était sûr qu'elle ne fût pas en danger d'être grosse, ainsi que le dit Retz dans le manuscrit original de ses mémoires, que reproduit fidèlement l'édition de M. Aimé Champollion, Paris, 1859, t. III, p. 238. C'est vraisemblablement la scène d'Amiens que Mme de Chevreuse aura racontée à Retz, qui au bout de vingt ans se sera agrandie et embellie dans l'imagination libertine du cardinal, et qu'il aura transportée du jardin d'Amiens dans celui du Louvre. [48] Mme de Motteville, _ibid._, p. 18. [49] La Rochefoucauld, _ibid._ [50] La Rochefoucauld, _ibid._--Mme de Motteville, _ibid._, p. 19: «Il vint se mettre à genoux devant son lit, baisant son drap avec des transports si extraordinaires qu'il étoit aisé de voir que sa passion étoit violente et de celles qui ne laissent aucun usage de la raison à ceux qui en sont touchés. La reine m'a fait l'honneur de me dire qu'elle en fut embarrassée, et cet embarras, mêlé de quelque dépit, fut cause qu'elle demeura longtemps sans lui parler. La comtesse de Lannoi, alors sa dame d'honneur, sage, vertueuse et âgée, qui étoit au chevet du lit, ne voulant point souffrir que le duc fût en cet état, lui dit avec beaucoup de sévérité que ce n'étoit point la coutume en France, et voulut le faire lever. Mais lui sans s'étonner, combattit contre la vieille dame, disant qu'il n'étoit pas Français; puis, s'adressant à la reine, lui dit tout haut les choses les plus tendres, mais elle ne lui répondit que par des plaintes de sa hardiesse, sans être peut-être très en colère.» [51] Mme de Motteville, _ibid._: «La reine savoit par des lettres de la duchesse qui accompagnoit la reine d'Angleterre, qu'il étoit arrivé; elle en parla devant Nogent en riant, et ne s'étonna point quand elle le vit.»--Reconnaissons que La Porte parle ici autrement que Mme de Motteville et surtout que La Rochefoucauld, et qu'il a vu ce qu'il raconte; mais peut-être n'a-t-il vu que l'apparence, et le dessous des cartes lui a-t-il échappé. _Ibid._, p. 297: «Comme la reine avoit beaucoup d'amitié pour Mme de Chevreuse, elle avoit bien de l'impatience d'avoir de ses nouvelles. La reine, tant pour cela que pour mander à Mme de Chevreuse ce qui se passoit à Amiens et ce que l'on disoit de l'aventure du jardin, m'envoya en poste à Boulogne, où j'allai et revins continuellement tant que la reine d'Angleterre y séjourna. Je portois des lettres à Mme de Chevreuse et j'en rapportois des réponses qui paraissoient être de grande conséquence, parce la reine avoit commandé à M. le duc de Chaulnes de faire tenir les portes de la ville ouvertes à toutes les heures de la nuit, afin que rien ne me retardât. Malgré la tempête il arriva une chaloupe d'Angleterre qui passa un courrier lequel portoit des nouvelles si considérables qu'elles obligèrent MM. de Buckingham et de Holland de les apporter eux-mêmes à la reine mère. Il se rencontra que je partois de Boulogne en même temps qu'eux, et les ayant toujours accompagnés jusqu'à Amiens, je les quittai à l'entrée de la ville. Ils allèrent au logis de la reine mère qui étoit à l'évêché, et j'allai porter mes réponses à la reine, avec un éventail de plumes que la duchesse de Buckingham, qui étoit arrivée à Boulogne, lui envoyoit. Je lui dis que ces Messieurs étoient arrivés, et que j'étois venu avec eux. Elle fut surprise, et dit à M. de Nogent Bautru qui étoit dans sa chambre: _Encore revenus, Nogent; je pensois que nous en étions délivrés_. Sa Majesté étoit au lit, car elle s'étoit fait saigner ce jour-là. Après qu'elle eut lu ses lettres et que je lui eus rendu compte de tout mon voyage, je m'en allai et ne retournai chez elle que le soir assez tard. J'y trouvai ces Messieurs, qui y demeurèrent beaucoup plus tard que la bienséance ne le permettoit à des personnes de cette condition, lorsque les reines sont au lit, et cela obligea Mme de la Boissière, première dame d'honneur de la reine, de se tenir auprès de Sa Majesté tant qu'ils y furent, ce qui leur déplaisoit fort. Toutes les femmes et tous les officiers de la couronne ne se retirèrent qu'après que ces Messieurs furent sortis.» Telles sont les romanesques et téméraires aventures dans lesquelles Mme de Chevreuse et lord Holland embarquèrent la reine de France. Grâce à Dieu, elles se sont arrêtées là: Anne et Buckingham ne se sont jamais revus. Sur la fin de juin, Mme de Chevreuse arriva à Londres avec le cortége royal. Elle effaça toutes les beautés de la cour d'Angleterre[52]. Pour reconnaître l'hospitalité qu'il avait reçue à l'hôtel de Chevreuse, le duc de Buckingham «fit paroître toute sa magnificence et celle d'un royaume dont il étoit le maître: il reçut l'amie de la reine avec tous les honneurs qu'il auroit pu rendre à la reine elle-même[53].» Déjà Mme de Chevreuse était fort liée avec la reine Henriette-Marie, et elle plut infiniment à Charles Ier. Elle fit la conquête de plus d'un seigneur anglais, par exemple lord Montaigu, et le comte Guillaume de Craft, page de la nouvelle reine, jeunes cavaliers brillants et frivoles, mais dont plus tard le dévouement ne lui fit jamais défaut. Elle fut aussi très-vivement frappée de la puissance maritime de la Grande-Bretagne; elle admira la flotte[54] qu'on équipait alors et qui bientôt devait se tourner contre nous. Comme on le pense bien, Holland la dirigea pendant tout ce voyage, et ne négligea rien pour faire valoir les brillantes et solides qualités de celle qu'il aimait. Il en parlait sans cesse au roi Charles et aux ministres, la présentant comme une personne que l'Angleterre devait attacher à ses intérêts; en même temps il écrivait à Richelieu des merveilles de la conduite habile de Mme de Chevreuse, des services qu'elle rendait, de son crédit sur le roi et sur la reine, et en leur nom il appelait sur elle les grâces de la cour de France[55]. En vain le cardinal, instruit des menées secrètes de Mme de Chevreuse avec Buckingham et avec le cabinet anglais, pressait le retour du grand chambellan et de sa femme: l'adroite duchesse affectait en public de vouloir revenir en France, et sous main, à l'aide de Buckingham et de Holland, elle se faisait inviter par Charles Ier à rester quelque temps encore. Elle en avait une bien bonne raison, et qui n'était pas feinte: elle était dans un état de grossesse avancée, et c'est à Londres qu'elle mit au jour la première fille qu'elle ait eue du duc de Chevreuse, et dont la reine d'Angleterre a été la marraine, la future abbesse du Pont-aux-Dames[56]. [52] Bois-d'Annemets, qui accompagnait alors Monsieur, frère du roi, dit qu'au milieu de toutes les dames anglaises venues à la rencontre de la nouvelle reine, la comtesse d'Amblie, la marquise d'Hamilton, etc., «Mme de Chevreuse, qui avoit été ordonnée avec M. son mari pour passer avec la reine en Angleterre, leur fit confesser que toutes leurs beautés n'étoient rien au prix de la sienne.» _Mémoires d'un favori du duc d'Orléans_, Leyde, 1668, p. 41. [53] La Rochefoucauld, _ibid._, p. 342. [54] Mme de Motteville, _ibid._, p. 23. [55] Nous tirons ces détails d'une lettre inédite de Holland. Voyez APPENDICE, notes du chap. II. Quoi qu'en dise Retz, nous sommes persuadé que Buckingham n'a jamais été autre chose à Mme de Chevreuse que l'intime ami de son amant, le chef du parti dans lequel Holland l'entraîna. Nous ne saurions où placer les amours de Buckingham avec Mme de Chevreuse. Elle le vit pour la première fois en France, en mai 1625, et alors Buckingham était dans toute l'ivresse de sa passion pour la reine Anne; elle le revit bientôt après à Londres, mais avec Holland, qui la conduisait, et, Retz le dit lui-même, quand elle aimait, c'était fidèlement et uniquement. Ce n'est pas à vingt-quatre ans qu'on se moque à ce point d'un premier attachement, et le rôle de la pauvre femme n'est déjà pas assez beau dans cette affaire pour se complaire à l'enlaidir encore. Elle se trouva mal, il est vrai, en apprenant la nouvelle de l'assassinat de Buckingham. Rien de plus naturel: elle perdait en lui un ami éprouvé, le confident de ses premières amours, son plus solide appui dans les luttes où elle était engagée. Aux propos hasardés de Retz, nous opposons le récit bien lié de La Rochefoucauld, et le silence de Tallemant, qui n'aurait pas manqué d'ajouter ce trait à sa chronique scandaleuse, s'il en avait jamais entendu parler. Ainsi, sans avoir la prétention de voir bien clair en pareilles choses, surtout après deux siècles, mais en suivant notre habitude de ne rien admettre que sur des témoignages certains, nous estimons qu'on doit rayer Buckingham de la liste, encore trop nombreuse, des amants de Mme de Chevreuse. [56] Voyez plus haut, chap. Ier, p. 34. Mais il est difficile de n'y pas mettre le beau, le léger et malheureux Chalais. C'est encore son dévouement à la reine Anne qui jeta Mme de Chevreuse dans cette conspiration «la plus effroyable, dit Richelieu, dont jamais les histoires aient fait mention,» et où, dit-il encore, «Mme de Chevreuse fit plus de mal que personne[57].» En voici le fond et les principales circonstances. [57] _Mémoires_, t. III, p. 64 et p. 105. Ainsi que nous l'avons dit, Anne d'Autriche souffrait de l'orgueil et de la domination de Marie de Médicis; mais le chemin qu'elle avait pris pour relever ou adoucir sa situation l'avait empirée. La reine mère n'avait pas manqué de se faire une arme contre elle auprès du roi des imprudences que nous avons racontées. Déjà, sous un spécieux prétexte, on lui avait ôté Mme de Chevreuse comme surintendante de sa maison[58]; mais leur commune disgrâce n'avait fait que resserrer leurs liens. A son retour d'Angleterre, encore toute pleine des magnificences de Buckingham et des vives marques de sa passion pour la reine[59], Mme de Chevreuse ne cessait d'en entretenir Anne d'Autriche, de réveiller et d'animer ses souvenirs[60]. De son côté Buckingham brûlait du désir de revoir la reine, et il fit toute sorte d'efforts pour retourner en France, sous divers prétextes politiques[61]. Mais Richelieu et le roi n'étaient pas tentés de lui ouvrir les portes du Louvre. D'ailleurs les espérances d'intime union entre la France et l'Angleterre que le mariage de madame Henriette avait fait naître, s'étaient rapidement évanouies, et se tournaient en menaces d'une prochaine rupture. Le contrat de mariage de Madame lui garantissait, de la façon la plus positive, la plus grande liberté religieuse, une chapelle, un père de l'Oratoire pour confesseur, d'abord le père de Bérulle, puis le père de Sanci, et un évêque pour grand aumônier, avec un clergé convenable. Mais l'ombrageux calvinisme de l'Angleterre se souleva contre le spectacle du culte catholique à Londres, au sein du palais du roi, et Buckingham persuada au roi Charles qu'il n'était pas obligé d'observer scrupuleusement des stipulations qui blessaient l'opinion publique de son pays et compromettaient son gouvernement. On renvoya donc la plus grande partie des officiers et des dames que la reine avait amenés avec elle[62], et on lui composa une maison tout anglaise. On la gêna de toutes les manières dans l'exercice de sa religion, on tourmenta les prêtres français et leur chef, l'évêque de Mende; on alla jusqu'à dire ouvertement à la reine que l'intérêt du roi son mari exigeait qu'elle se fît protestante[63]. Voilà comme on entendait alors en Angleterre la liberté religieuse. Charles Ier aimait la belle Henriette, qui joignait aux grâces de sa personne un esprit insinuant et le cœur de la fille d'Henri IV. Buckingham craignit qu'elle ne prît de l'ascendant sur le roi et ne diminuât cette absolue autorité qui le faisait maître de la cour et de tout le royaume. Le jaloux et ambitieux favori s'appliqua donc, par toute sorte de manœuvres déplorables, à mettre assez mal ensemble le roi et la jeune reine; et celle-ci, malgré sa douceur et sa patience, fut bientôt réduite à faire connaître à sa mère, Marie de Médicis, et à son frère, Louis XIII, l'oppression dans laquelle elle gémissait: elle demandait même à revenir en France. Enfin l'amiral des Rochelois, l'obstiné et audacieux Soubise, le frère du duc de Rohan, s'était emparé de plusieurs vaisseaux français: pour ne pas les rendre après l'accommodement passager qu'on avait fait avec les protestants de La Rochelle, il les avait menés dans un port anglais, et au mépris de la foi publique on faisait difficulté de les restituer. Mais Richelieu n'était pas homme à supporter de pareils affronts, et il adressait à Londres d'énergiques réclamations[64]. Les deux gouvernements s'aigrissaient de jour en jour davantage. Buckingham et Richelieu se regardaient d'un œil ennemi; ils voyaient bien qu'ils ne s'entendraient jamais, et travaillèrent à se détruire. Richelieu comptait sur l'opposition toujours croissante du parlement qui venait de mettre en accusation l'incapable et présomptueux ministre de Charles; Buckingham comptait sur nos éternelles divisions, sur cette faction protestante vaincue mais non pas soumise, dont il tenait un des chefs dans sa main à Londres, prêt à le lancer contre la France, sur le mécontentement peu dissimulé des grands, qui n'admettaient point qu'un ministre prétendît gouverner dans l'intérêt général et non dans leur intérêt particulier, et s'apprêtaient à tirer l'épée contre Richelieu, comme ils l'avaient fait contre Luynes et contre le maréchal d'Ancre. Il y avait dans l'air un bruit sourd de conspirations et de révoltes[65]. [58] _Mémoires de Bassompierre_, collection Petitot, t. III, p. 3 et 4. [59] Nous n'admettons ni ne rejetons la célèbre histoire des ferrets de diamants, parce que cette histoire n'a pour elle qu'une seule autorité; mais cette autorité est celle de La Rochefoucauld. _Ibid._, p. 343: «Le duc de Buckingham étoit galant et magnifique; il prenoit beaucoup de soin de se parer aux assemblées. La comtesse de Carlisle (ancienne maîtresse du duc, gagnée par Richelieu), qui avoit tant d'intérêt de l'observer, s'aperçut qu'il affectoit de porter des ferrets de diamants qu'elle ne lui connaissoit pas; elle ne douta point que la reine de France ne les lui eût donnés, mais pour en être encore plus assurée, elle prit le temps à un bal d'entretenir en particulier le duc et de lui couper les ferrets, dans le dessein de les envoyer au cardinal. Le duc de Buckingham s'aperçut le soir de ce qu'il avoit perdu, et jugeant d'abord que la comtesse de Carlisle avoit pris ses ferrets, il appréhenda les effets de sa jalousie, et qu'elle ne fût capable de les remettre entre les mains du cardinal pour perdre la reine. Dans cette extrémité, il dépêcha à l'instant même un ordre de fermer les ports d'Angleterre, et défendit que personne n'en sortît, sous quelque prétexte que ce pût être, avant un temps qu'il marqua. Cependant il fit refaire en diligence des ferrets semblables à ceux qu'on lui avoit pris, et les envoya à la reine en lui rendant compte de ce qui étoit arrivé. Cette précaution de fermer les ports retint la comtesse de Carlisle; la reine évita de cette sorte la vengeance de cette femme irritée, et le cardinal perdit un moyen assuré de convaincre la reine et d'éclaircir le roi de tous ses doutes, puisque les ferrets venoient de lui et qu'il les avoit donnés à la reine.» Cette anecdote nous semble par trop romanesque et invraisemblable; c'est un bruit de salon qu'aura recueilli La Rochefoucauld, tandis que les autres aventures que nous avons admises s'appuient sur plusieurs témoignages, et particulièrement sur celui de Mme de Motteville. [60] Mme de Motteville, _ibid._, p. 23 et 24. [61] _Ibid._, p. 22. [62] _Mercure françois_, 1626, p. 227 et 261-265. [63] Voyez l'APPENDICE, notes du chap. II. [64] Lettres inédites de Richelieu à M. de Blainville, ambassadeur en Angleterre, des 10 et 11 novembre 1625: «Les Anglais semblent n'avoir de chaleur que quand il faut embrasser un parti préjudiciable à la France... La France pourroit bien s'accommoder avec l'Espagne plutôt que de souffrir toujours les hauteurs de Buckingham... Lui faire connoître que s'il veut venir en France, il faut qu'il fasse exécuter les articles du mariage, qu'autrement il n'y sera pas le bien venu. Tel est le naturel des Anglais, que si on parle bas avec eux, ils parlent haut, et que si on parle haut, ils parlent bas.» Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. XXXVII, année 1625. [65] Richelieu, _Mémoires_, t. III, p. 50: «Dès le commencement de l'année (1626), c'étoit un bruit commun qui couroit par la cour et dans tout l'État qu'il s'y formoit une grande cabale, et que l'on méprisa d'abord; mais quand on vit qu'il s'augmentoit de jour à autre, que l'on considéra qu'en telles matières tels bruits sont d'ordinaire avant-coureurs des vérités, et que celui-ci étoit accompagné de divers avis tant du dehors que du dedans du royaume, on jugea qu'on ne pouvoit le négliger sans péril.» C'est sur ces entrefaites que la reine mère et le roi songèrent à établir Monsieur, qui atteignait sa dix-huitième année. Ils lui destinèrent Marie de Bourbon, la fille unique du dernier duc de Bourbon Montpensier, princesse aimable et la plus riche héritière du royaume. Ce projet réunissait toutes sortes d'avantages, mais il blessait Anne d'Autriche qui, n'ayant pas d'enfants, redoutait une belle-sœur qui pouvait en avoir, et deviendrait alors toute-puissante par l'ombre seule du trône qui l'attendait après la mort du roi. Ce mariage lui semblait le comble de la disgrâce, le dernier coup porté à toutes ses espérances. Elle se décida à «tout faire pour empêcher ce mariage,» comme elle le dit elle-même à Mme de Motteville: aveu bien grave qu'il importe de recueillir[66]. Mme de Chevreuse embrassa la cause de la reine avec son ardeur accoutumée et cet énergique dévouement qui ne recule devant aucun danger, ni aussi devant aucun scrupule. [66] Mme de Motteville, _ibid._, p. 27: «La reine même m'a fait l'honneur de me dire qu'elle avoit fait alors tout ce qu'elle put pour empêcher le mariage de Monsieur... parce qu'elle croyoit que ce mariage, que la reine mère vouloit, étoit tout à fait contre ses intérêts, étant certain que cette princesse (sa belle-sœur) venant à avoir des enfants, elle qui n'en avoit point ne seroit plus considérée.» Il s'agissait d'amener Monsieur à refuser le mariage qu'on lui proposait. Mais on ne pouvait arriver à Monsieur que par un homme qui était en possession de sa confiance et presque de sa personne, son gouverneur, le surintendant général de sa maison et le chef de ses conseils, Ornano, le fils du célèbre colonel corse et maréchal de ce nom, lui-même longtemps colonel général des Corses et fait tout récemment maréchal; personnage très-considérable, à la fois politique et militaire. La reine s'adressa donc au maréchal[67]. Ainsi c'est elle qui a donné le branle à cette affaire; tout le reste n'a été qu'une suite de moyens jugés successivement nécessaires pour atteindre le but marqué. Or, marcher à un but quel qu'il fût par tous les moyens quels qu'ils fussent, pourvu qu'ils promissent d'y conduire, c'était là précisément le génie de Mme de Chevreuse. [67] Mme de Motteville, _ibid._, p. 27: «Elle employa à ce dessein le maréchal d'Ornano qui étoit son serviteur.» Il est vrai qu'elle ajoute que la reine lui fit parler par une tierce personne, et n'eut jamais d'intelligence avec les gens de Monsieur. Cela se peut, mais il est indubitable qu'Anne fit mieux que de parler à des gens de Monsieur contre le mariage projeté, et qu'elle en parla à Monsieur lui-même. Voyez la déposition de Monsieur, plus bas, p. 70. Elle connaissait depuis longtemps Ornano: il avait été l'un des complices les plus résolus de Luynes dans l'entreprise contre le maréchal d'Ancre, et c'est à Luynes qu'il devait sa charge auprès de Monsieur. Il avait rassemblé autour de lui et tenait dans sa main la plupart des anciens amis du connétable, Modène, Déagent, Marsillac et d'autres, tous gens de tête et de cœur, impatients de n'être plus rien et capables de tout oser. Lui-même était aussi hardi qu'ambitieux. Maître du frère du roi, il le poussait sans cesse à prendre dans l'État la place que lui donnait sa naissance, afin que la sienne s'en élevât d'autant. Lorsque le jeune prince avait obtenu de faire partie du conseil, Ornano avait demandé à l'accompagner et à y siéger avec le rang et le titre de secrétaire d'État. Le refus qu'il avait essuyé l'avait irrité contre Richelieu, et son inquiète ambition commençait à chercher d'autres voies. Mme de Chevreuse n'eut donc pas grand'peine à le gagner à la cause de la reine. Elle lui envoya d'ailleurs la belle princesse de Condé à qui le maréchal faisait une sorte de cour, et qui acheva de le décider. La princesse agissait dans l'intérêt des Condé, naturellement opposés à un mariage qui plaçait au-dessus d'eux dans la maison royale les Montpensier leurs cadets, et Mr le Prince, après avoir autrefois engagé sa fille, la future duchesse de Longueville, au prince de Joinville, le fils aîné du duc de Guise, rêvait de la faire épouser au duc d'Orléans, afin de confondre les deux familles et d'approcher toujours un peu plus du trône. Les Soissons pensaient en cela comme les Condé, et le jeune comte désirait pour lui-même Mlle de Montpensier. Sa mère, Mme la Comtesse, avait un grand ascendant sur Alexandre de Vendôme, grand prieur de France, personnage aussi redoutable par son audace que par ses artifices, et qui, lui aussi, comme Ornano, croyait avoir à se plaindre du cardinal, auprès duquel il avait en vain sollicité de pouvoir traiter avec le duc de Montmorency de la charge de grand amiral. Il avait aisément entraîné son frère aîné, César de Vendôme, gouverneur de Bretagne, qui, portant très-haut le nom de fils de Henri IV, trouvait toujours qu'on ne lui rendait pas ce qui lui était dû à lui et aux siens, et depuis la mort de son père s'était jeté dans tous les complots des grands. Tous ensemble avaient fait effort auprès de Monsieur, et ils avaient réussi à le détourner du mariage qui portait atteinte à leurs intérêts et contrariait tant la reine. Quelles raisons lui donnèrent-ils? Leur suffit-il de présenter à son goût du plaisir l'attrait d'une indépendance prolongée, ou de faire rougir sa vanité d'une docilité qui lui donnerait l'air d'un enfant entre les mains de sa mère, de son frère et du cardinal, et lui ôterait toute importance en France et en Europe? Ou firent-ils briller à ses yeux la perspective d'une autre alliance, par exemple, celle d'une princesse étrangère qui le mettrait hors de la dépendance du roi de France et lui permettrait de jouer un plus grand rôle? Ou enfin osèrent-ils lui laisser entrevoir la main même de la jeune et belle Anne d'Autriche, après la mort du roi, que faisaient paraître imminente et sa mauvaise santé et des prédictions d'astrologues? Le bruit de ce dernier projet s'est au moins fort répandu, et il a passé dans les mémoires du temps. La reine a toujours protesté qu'elle n'avait jamais trempé dans une aussi coupable pensée, si elle était venue à l'esprit de personne, et nous l'en croyons; mais nous connaissons assez Mme de Chevreuse pour être assuré qu'elle ne se serait pas fait le moindre scrupule de compromettre la reine pour la mieux servir, et que, comme l'en accuse Richelieu[68], elle n'hésita pas, sans en parler à la reine, à bercer d'une semblable espérance les oreilles crédules du jeune prince, si elle jugea qu'elle pouvait par là le décider et arriver à ses fins. Elle fit bien davantage. [68] C'est à quoi Richelieu se réduit avec raison, _ibid._, p. 107. Voy. ce que dit Monsieur lui-même, plus bas, p. 70. «Mme de Chevreuse, dit La Rochefoucauld[69], avoit beaucoup d'esprit, d'ambition et de beauté; elle étoit galante, vive, hardie, entreprenante. Elle se servoit de tous ses charmes pour réussir dans ses desseins.» Or, il y avait alors dans la maison même du roi, et tout près de sa personne, comme maître de la garde-robe, un jeune et brillant gentilhomme qui avait été nourri et élevé avec Louis XIII, et qu'il aimait beaucoup: Henri de Talleyrand, comte de Chalais, d'une ancienne maison souveraine du Périgord, et de plus, par sa mère, petit-fils du maréchal de Montluc. Quoiqu'il ne fût que le cadet de sa maison, il en était le représentant le plus en vue. Il avait vingt-huit ans[70]; il était bien fait, et à des manières agréables[71] il joignait cette bravoure téméraire qui ne déplaît pas aux dames. Il avait fait avec honneur la terrible campagne de 1621 contre les protestants, et s'était distingué aux siéges de Montpellier et de Montauban. Il sortait d'un duel qui avait fait beaucoup de bruit et où il avait tué le comte de Pongibault, de la maison de Lude. Maître de la garde-robe, il se plaignait d'un emploi qui le condamnait à l'oisiveté, et demandait instamment celui de maître général de la cavalerie légère. Il était entré fort avant dans la société et la confiance du duc d'Orléans, à ce point que les domestiques du prince ne croyaient pas lui faire mieux leur cour qu'en témoignant à Chalais une grande déférence. Il se prit d'une passion extraordinaire pour Mme de Chevreuse[72]; elle l'encouragea, et le précipita au plus épais de la ligue déjà toute formée autour de Monsieur pour empêcher son mariage avec Mlle de Montpensier. [69] _Mémoires_, _ibid._, p. 330. [70] Interrogatoire de Chalais, p. 31 du recueil de La Borde: _Pièces du procès de Henri de Tallerand, comte de Chalais, décapité en 1626_. Londres, 1781. [71] De La Rochefoucauld, _ibid._: «Sa personne et son esprit étoient agréables.» Fontenai-Mareuil, _ibid._, p. 23: «M. de Chalais étoit jeune, bien fait, fort adroit à toute sorte d'exercices, mais surtout d'agréable compagnie, ce qui le rendoit bien venu parmi les femmes, qui le perdirent enfin.» [72] La Rochefoucauld, _ibid._ Ornano était, avec Mme de Chevreuse, l'âme de cette ligue. Quoi qu'en dise Richelieu, il ne fut jamais question de porter la main sur le roi, nul n'y pensa, et ce n'est là qu'un sinistre épouvantail jeté par le cardinal sur toute cette affaire: c'est bien assez qu'on n'y puisse méconnaître un de ces crimes d'État que le succès seul peut absoudre, comme quelques années auparavant il avait absous le complot de Luynes: fatal souvenir, trompeuse analogie qui égara Ornano et Mme de Chevreuse: elle était trop jeune encore pour savoir ce qu'une longue expérience lui fit si bien comprendre à la fin de la Fronde, quelle différence c'est en France d'avoir le roi pour soi ou contre soi. Averti des menées du maréchal au dedans et au dehors, sûr de la reine mère et sûr aussi du roi qui lui déclara qu'il voulait lui servir de second dans cette rencontre, Richelieu, le 4 mai 1626, fit arrêter Ornano à Fontainebleau même, et l'envoya à Vincennes avec la ferme intention de lui faire son procès. Cette arrestation inattendue tomba comme la foudre sur la tête des conspirateurs. C'en était fait, non pas seulement de leurs desseins, mais de leurs personnes, si on instruisait le procès d'Ornano, et il n'y eut parmi eux qu'une seule pensée et un seul cri: délivrer le maréchal. Ils s'adressèrent donc à Monsieur, et le pressèrent d'obtenir du cardinal la liberté de son gouverneur, et, s'il n'y parvenait pas, comme ils s'y attendaient bien, de recourir à l'un de ces deux moyens: ou sortir de la cour, protester hautement, et se retirer dans quelque lieu sûr, ou s'en prendre au cardinal et se défaire de celui qui leur faisait obstacle. Pendant tout le mois de mai ils ne cessèrent de représenter avec force cette alternative au jeune prince; ils agitèrent avec lui les deux partis à prendre, et tour à tour le poussèrent à l'un et à l'autre. Il est établi: 1º Qu'une fois l'un des deux partis, et le plus violent, celui de se défaire du cardinal, fut arrêté; qu'en conséquence Monsieur, avec les conjurés les plus résolus, devait aller trouver le cardinal à sa maison de campagne de Fleury, et là le poignarder, s'il refusait de mettre en liberté le maréchal; qu'il y eut en effet une tentative d'exécution, que le jeune duc, bien accompagné, se rendit à Fleury, mais que le cœur lui manqua, et que le cardinal, averti, se tira d'affaire; 2º Que le comte de Soissons offrit 400,000 écus à Monsieur pour quitter la cour et commencer la guerre; 3º Que Monsieur envoya un de ses aumôniers, l'abbé d'Obasine, au duc d'Épernon, en Guyenne, pour l'inviter à se déclarer en sa faveur; et Chalais, un de ses gentilshommes, en Lorraine, à Metz, au marquis de La Valette, pour lui demander de les recevoir dans cette place; 4º Que Monsieur avait écrit en Piémont à sa sœur et à son beau-frère, Victor-Amédée, et qu'il entretenait une correspondance avec l'Angleterre; que le duc de Savoie, qui conspirait la perte de Richelieu comme il avait fait celle de Luynes et auparavant celle de Henri IV, avait promis un secours de dix mille hommes, et Buckingham une puissante diversion, et en désespoir de cause un inviolable asile. La plus grande partie du mois de mai se perdit en conversations et en tentatives infructueuses. Cependant Monsieur était allé trouver Richelieu et s'était plaint de l'arrestation de son gouverneur, disant qu'autant il eût valu l'arrêter lui-même, car il était coupable si le maréchal l'était. Il le prit d'abord assez haut, mais Richelieu le prit plus haut encore; il répondit au prince qu'il s'agissait de crimes effroyables, et finit par l'intimider, ce qui n'était pas difficile. Le roi et la reine mère se mirent de la partie, et, moitié en le caressant, moitié en lui montrant un visage sévère, le 31 mai, ils lui firent jurer sur les saints évangiles de ne jamais se séparer du roi et de porter loyalement à sa connaissance tout ce qu'il apprendrait qui pût être contraire à son service. On lui fit signer un écrit, évidemment dressé par Richelieu, et qu'il a inséré dans ses Mémoires, par lequel le duc prenait l'engagement solennel de n'être qu'un cœur et qu'une âme avec sa mère et son frère. Le faible jeune homme jura et signa tout ce qu'on voulut, mais sans se croire engagé à rien, et en faisant ses réserves mentales[73]. En effet, au milieu des pathétiques effusions du 31 mai, et tout en jurant à son frère de l'instruire de tout ce qu'il apprendrait contre son service, il ne lui dit pas un mot de la conspiration qui se tramait, et de retour parmi ses amis, sans leur rien dire aussi de ce qui venait de se passer, il leur renouvela toutes les promesses qu'il leur avait faites, et reprit avec eux les délibérations commencées. [73] C'était déjà une habitude et un principe pour le duc d'Orléans. «La reine mère disant à Monsieur qu'il avoit manqué à l'écrit si solemnel duquel le roi avoit voulu qu'elle fût dépositaire, il a répondu qu'il l'avoit signé, mais qu'il ne l'avoit pas promis de bouche... Le roi et la reine le firent souvenir que plusieurs fois depuis il avoit juré solemnellement de ne penser jamais à chose quelconque qui tendit à le séparer d'avec le roi; il a dit qu'il réservoit toujours quelque chose en jurant.» Pièce inédite tirée des archives des affaires étrangères. Voyez l'APPENDICE, notes du chapitre II. Le duc de Vendôme se préparait à lui offrir une retraite assurée dans son gouvernement de Bretagne. Il armait en secret, mettait ses places fortes en ordre, nouait des intelligences avec La Rochelle, et engageait le duc Henri de Montmorenci, grand amiral de France, à ménager la flotte des protestants qui ne périraient pas, disait-il, sans un immense dommage de l'aristocratie française, laquelle avait besoin d'eux pour s'y appuyer dans l'occasion. Richelieu s'aperçut des mouvements du duc de Vendôme, et, sentant de quelle importance il était d'étouffer l'insurrection à sa naissance dans une grande province voisine de La Rochelle et ouverte à l'Angleterre, il persuada au roi de s'y porter de sa personne pour y rétablir son autorité menacée. Il s'avança donc vers Nantes, et le duc de Vendôme et le grand-prieur n'ayant pu se dispenser, sans afficher la révolte, de venir présenter leurs hommages au roi, le cardinal, le 12 juin, se saisit des deux frères et les envoya dans la citadelle d'Amboise. Il connaissait alors si peu la portée et les chefs de la conspiration, qu'en partant pour Nantes il avait laissé derrière lui, à Paris, le comte de Soissons pour y commander au nom du roi. Monsieur y était aussi. Plus que jamais on le pressa de se déclarer et de se joindre au comte de Soissons. Le duc promettait toujours, parlait beaucoup et ne faisait rien. Un ordre du roi l'appela près de lui à Nantes; il s'y achemina à petites journées. Privée d'Ornano et du grand-prieur, à demi vaincue, mais ne désespérant pas d'elle-même, Mme de Chevreuse n'avait plus qu'une ressource, mais qui, bien employée, pouvait tout rétablir ou tout remettre en question, l'influence de Chalais sur Monsieur, et elle s'en servit jusqu'au dernier moment avec la constance, l'audace et l'adresse qui déjà la distinguaient. Chalais restait le dernier sur la scène. Sans cesse aiguillonné par Mme de Chevreuse, enflammé et soutenu par l'espoir de plaire à la belle duchesse, de conquérir son cœur et sa personne, il ne perdit pas une occasion de pousser Monsieur du côté par où il penchait, fuir et se jeter dans quelque place forte, Metz ou La Rochelle. Il s'était ménagé d'utiles auxiliaires dans les deux jeunes favoris du jeune duc, Puylaurens et Bois-d'Annemetz, tous deux hardis et résolus; il avait avec eux de secrètes conférences, et ils réussirent ensemble à persuader au prince de quitter la cour. A Blois, il paraissait décidé: il voulait se retirer à La Rochelle; ses deux favoris l'en dissuadèrent par motif de religion. Il envoya son aumônier au duc d'Épernon avec un billet qu'il écrivit de sa main et que lui dicta Bois-d'Annemetz[74]. Il reçut là un courrier du comte de Soissons, lui offrant de l'argent et des troupes[75]. Chalais se chargea de préparer sa retraite et de lui ménager partout de libres passages; il se chargea aussi d'envoyer un messager à La Valette, et disait à Bois-d'Annemetz et à Puylaurens: «Vous voyez comme je me confie en vous; s'il se savoit quelque chose de notre dessein, vous feriez La Mole et Coconas, et moi quelque chose de par-dessus[76].» A Nantes même, le plan de la fuite de Monsieur fut arrêté: ce devait être pendant une grande chasse, et la chose sembla moins manquer par la volonté du duc que par de fortuites circonstances. [74] _Mémoires d'un Favori_, p. 78. [75] _Ibid._, etc., p. 81. [76] _Ibid._, p. 79. Tandis que Chalais travaillait ainsi à satisfaire Mme de Chevreuse, pour tromper et endormir Richelieu il lui faisait une cour assidue, et lui donnait même quelquefois des renseignements utiles[77]. Mais il n'était pas de force à jouer longtemps un semblable jeu avec le vigilant, soupçonneux et pénétrant cardinal. Plus d'une fois, étonné et incertain devant des apparences et des allures si contraires, Richelieu se demandait et demandait autour de lui: Qu'est-ce que Chalais[78]? La plus lâche trahison le lui apprit. Chalais avait confié une partie de ses secrets à un de ses amis, Roger de Gramont, comte de Louvigni, le dernier des enfants du comte de Gramont, gouverneur de Bayonne, l'indigne cadet du futur duc et maréchal de Gramont. On prétend que Louvigni, étant devenu amoureux de Mme de Chevreuse, s'irrita de la préférence qu'obtenait le maître de la garde-robe[79]. D'autres disent qu'ayant demandé à Chalais de lui servir de second dans un duel contre le comte de Candale, frère du marquis de La Valette et le fils aîné du duc d'Épernon, Chalais, qui avait de puissants motifs de ménager les d'Épernon, avait prié Louvigni de l'excuser, et que celui-ci furieux s'était écrié: «Je vois ce que c'est, vous voulez rompre d'amitié avec moi; je changerai aussi d'ami et de parti[80].» Et il alla dire au cardinal tout ce qu'il savait[81]. Sur-le-champ, le 8 juillet, Richelieu fit arrêter Chalais à Nantes, et en même temps faisant comparaître Monsieur devant le roi et devant la reine mère, il lui imprima un tel effroi que le malheureux prince, perdant la tête, renouvela et surpassa la triste scène du 31 mai. Non-seulement il consentit au mariage contre lequel il s'était tant révolté, mais il découvrit le plus intime de la conspiration dont il était le chef, il livra sans pitié son gouverneur pour lequel il avait montré un si grand zèle, et révéla les intelligences du maréchal avec les grands et avec l'étranger, quand l'infortuné était à Vincennes sous la main de Richelieu, menacé de porter sa tête sur un échafaud. Il trahit également le grand-prieur de Vendôme; il apprit au cardinal que c'était le grand-prieur qui lui avait donné le conseil d'aller à Fleury le poignarder s'il ne délivrait Ornano. Il dénonça le comte de Soissons, Longueville, Soubise et bien d'autres. Et quant à Chalais, avec lequel la veille encore il méditait les moyens de s'enfuir, il lui rendit toute défense impossible par les aveux les plus circonstanciés. Enfin il avoua que la reine Anne l'avait plusieurs fois supplié de ne consentir du moins au mariage proposé qu'à la condition qu'on mît d'abord le maréchal en liberté[82], et il déclara que depuis plus de deux ans Mme de Chevreuse disait qu'il ne fallait pas qu'il se mariât, et qu'il épouserait la reine après la mort du roi. Encore on pourrait comprendre une pareille faiblesse, si le jeune prince eût craint pour sa vie; mais un tel danger était bien loin de lui, et, dès qu'il épousait Mlle de Montpensier, il ne s'agissait pour lui que d'un apanage plus ou moins considérable. C'était là aussi tout ce qui l'occupait; il réclama avec force un grand apanage: il ne lui échappa pas un mot de tendresse, de commisération, d'intérêt véritable pour ses malheureux complices. Il demanda grâce, il est vrai, pour Ornano, mais le maréchal fit bien de mourir vite en prison, car Monsieur ne l'aurait pas plus sauvé qu'il ne sauva Chalais, qu'il ne sauva Montmorenci, qu'il ne sauva Cinq-Mars. Il intercéda aussi en faveur de Chalais, mais seulement par ce motif bien digne de son égoïsme, que si on faisait mourir Chalais, il ne trouverait plus personne pour le servir. Déjà Richelieu nous avait donné quelque idée des aveux du prince, mais nous les avons aujourd'hui tels qu'ils sortirent de sa bouche, consignés jour par jour dans des procès-verbaux officiels, car il comparut devant une sorte de tribunal; il subit des interrogatoires, un secrétaire d'État écrivit ses réponses, et toutes ces ignominies sont maintenant sous nos yeux, revêtues du caractère le plus authentique; nous les avons trouvées dans les papiers de Richelieu, et les mettons au jour pour la première fois[83]. [77] Il est donc tout naturel que ce double jeu l'ait rendu suspect à bien des gens, _Mémoires d'un Favori_, p. 82: «Je vais vous dire une chose que vous ne trouverez pas mal plaisante, qui est que d'abord le pauvre Chalais vouloit trouver son compte de tous les côtés. Il voyoit M. le cardinal qui lui proposoit des honneurs et des charges en cas qu'il voulût servir le roi auprès de Monsieur, même qu'il pouvoit avoir la charge de maistre de camp de la cavalerie légère, et mettre la sienne à couvert. Le pauvre homme lui promettoit merveilles, puis nous venoit dire le contraire.» Fontenai-Mareuil dit aussi, _ibid._, p. 23, qu'au milieu de l'affaire et malgré tous ses engagements, Chalais se rapprocha de Richelieu, mais que «Mme de Chevreuse lui en fit tant de reproches et le pressa si fort que, rien n'étant quasi impossible à une femme aussi belle et avec autant d'esprit que celle-là, il n'y put résister, et il aima mieux manquer au cardinal de Richelieu et à lui-même qu'à elle, de sorte qu'ayant aussitôt fait changer Monsieur, il le rendit plus révolté que jamais.» Nulle part nous ne voyons que Chalais ait été blâmé de Mme de Chevreuse pour ses communications avec le cardinal dont elle connaissait le secret. [78] _Mémoires d'un Favori_, etc., p. 82 et 86. [79] Mme de Motteville, _ibid._, t. Ier, p. 26. [80] _Mercure françois_, 1626, p. 336. [81] On sera bien aise de savoir que le misérable qui déshonorait ainsi le nom de Gramont, étant sorti de France, fut tué en duel en 1629 à Bruxelles. [82] Pièce inédite déjà citée: «Monsieur a dit que la reine régnante l'a prié par différentes fois de ne pas achever le mariage sans que le maréchal fût mis en liberté.»--La même pièce: «Monsieur ayant sçu que Chalais avoit dit que le fondement de l'opposition que les dames faisoient au mariage étoit afin que si le roi venoit à mourir la reine pût épouser Monsieur, il dit au cardinal de Richelieu: Il est vrai qu'il y a plus de deux ans que je sçais que Mme de Chevreuse a tenu ce langage.» APPENDICE, notes du chapitre II. [83] Voyez l'APPENDICE, notes du chapitre II. Mais voici un autre spectacle presque aussi honteux. Il semble que Chalais ait entrepris de lutter de bassesse avec Monsieur. Lui qui avait souvent bravé la mort dans les combats particuliers et sur les champs de bataille en a peur tout à coup, et recule jusqu'aux dernières extrémités de la lâcheté devant l'échafaud qu'il ne pouvait éviter. Les dépositions du prince l'accablaient, et lui-même confessa sans réserve tout ce qu'il avait fait. Il n'eut pas même à se défendre d'avoir voulu assassiner le roi, cette odieuse accusation n'ayant pas été suivie. Il n'était pas de ceux qui avaient conçu et formé la grande conspiration qui du pied du trône s'étendait à travers tout le royaume jusque chez l'étranger, mais il s'y était associé. S'il avait peu connu les trames du maréchal Ornano, il n'avait ignoré aucune de celles du grand-prieur de Vendôme; il y avait pris part, et comme lui et avec lui il avait pressé Monsieur de ne pas abandonner son gouverneur, et de recourir pour le sauver à l'un des moyens que le grand-prieur proposait. Il était évidemment le complice du comte de Soissons, puisque, après l'arrestation des Vendôme, il lui avait écrit de ne pas venir à la cour parce qu'il y aurait le même sort qu'eux. Et, ce qui suffisait à constituer un crime d'État au premier chef, il avait à plusieurs reprises engagé le frère du roi à se retirer dans quelque place d'où il pût soulever le royaume: il avait même envoyé un messager au commandant de la forteresse de Metz pour lui demander d'y recevoir le prince et ses amis. Ce messager à son retour était tombé entre les mains de Richelieu, et son interrogatoire, que nous avons retrouvé[84], ne laisse aucun doute sur ce point capital. Ajoutez qu'il y avait contre Chalais bien des circonstances aggravantes: il était maître de la garde-robe; il faisait partie de cette haute domesticité qui lui imposait plus particulièrement une loyauté à toute épreuve; et c'est lui, l'un des premiers serviteurs du roi, qui avait mis la main dans un complot entrepris pour renverser le gouvernement du roi. Il s'était introduit dans la maison et dans la confiance du cardinal; il avait affecté le plus grand zèle pour ses intérêts; il lui avait rendu même plus d'un important service pour mieux couvrir ses desseins. Une conspiration qui avait pensé ébranler tout l'État ne pouvait passer impunie: il fallait un solennel et exemplaire châtiment pour bien avertir les grands du royaume qu'il y allait de leur tête à lutter contre la couronne. On ne pouvait s'en prendre à un prince du sang tel que le comte de Soissons, qui d'ailleurs était en fuite et hors de France, ni à des fils d'Henri IV tels que les Vendôme. Le maréchal Ornano se mourait à Vincennes. Chalais était donc la victime désignée pour cette juste et nécessaire expiation. Aussi on le livra à une commission composée de conseillers d'État, de maîtres des requêtes et de membres du parlement de Bretagne, parmi lesquels on rencontre le père de Descartes qui fit l'office de rapporteur. Cette commission s'assembla à Nantes, présidée par le nouveau garde des sceaux, Michel de Marillac. Le procès s'instruisit selon les formes accoutumées et dura quarante jours. Chalais ne comprit pas que tout cet appareil judiciaire n'était pas déployé en vain, et que rien ne pouvait le sauver. Il crut se tirer d'affaire par des aveux aussi étendus qu'on le souhaita. Non-seulement il fit connaître tous ses complices, mais il indiqua comme favorables en secret à leur cause et opposés au cardinal plusieurs grands seigneurs, ainsi que l'avait fait Monsieur; il grossit même cette liste de suspects en nommant sans nécessité le duc de Bouillon, Senneterre, l'ami du comte de Soissons, le père du futur maréchal, et ce fameux commandeur de Jars, de la maison de Rochechouart[85], qui plus tard, jeté aussi en prison, y garda un si courageux silence et monta sans pâlir sur l'échafaud où, à la place du coup mortel, il reçut inopinément sa grâce sans l'avoir jamais demandée. Chalais la demanda dès le premier jour; il la demanda sans cesse au roi, à la reine mère, à Richelieu. Il ne se contenta pas de descendre aux supplications les plus humbles, et de faire valoir en sa faveur les renseignements que plus d'une fois il avait donnés au cardinal et qui lui avaient été fort utiles, prétendant que si le cardinal n'avait pas été poignardé à Fleury, il le lui devait; il alla jusqu'à dire, et en cela il se calomniait lui-même, que s'il avait plusieurs fois écrit au comte de Soissons, c'était «pour entretenir créance et avoir moyen de découvrir ce qui se passoit, afin de servir le roi et le cardinal[86].» Il s'offrit même à les servir encore; il promit, si on voulait lui faire grâce, de donner avis de tout ce qui se ferait chez Monsieur, particulièrement pendant le procès du maréchal Ornano. «Encore[87] qu'il ne faille point douter, dit-il, que le maréchal ne soit coupable, et que le roi n'ait assez de lumière de sa faute, néantmoins lui répondant y servira beaucoup, tant à découvrir ses anciennes cabales qu'à faire connoître ceux qui solliciteroient pour lui... Il ne doute point que Monsieur étant à Paris, plusieurs grands et quantité de gentilshommes ne l'excitent à faire quelques remuements et des violences au cardinal: il les découvrira tous jusqu'au dernier conseiller.» «Il vous est nécessaire, écrit-il à Richelieu[88], d'avoir quelqu'un auprès de Monsieur... Il y a bien des grands prieurs en France[89], et Monsieur verra bien des fois le jour des personnes qui ne vous aiment guère... Si[90] le maréchal a été assez ingrat pour méconnoître les bons offices que vous lui avez faits, et qu'au bout de seize mois il vous ait trompé, assurez-vous, Monseigneur, que je ne suis pas Corse, et qu'en seize siècles cela ne m'entrera pas dans l'esprit... Je donnerai les apparences[91] à Monsieur et les services effectifs à qui je les dois.» [84] Cette pièce décisive n'est pas dans le recueil de Laborde; nous l'avons rencontrée aux archives des affaires étrangères, FRANCE, t. XXXVIII. Voyez l'APPENDICE. [85] Sur le commandeur de Jars, voyez dans le chapitre suivant la fin de l'affaire de Châteauneuf, et surtout notre écrit sur Mme DE HAUTEFORT, où l'on voit la noble jeune fille et le brave commandeur s'élever ensemble au suprême degré de la générosité et du dévouement. [86] Premier interrogatoire de Chalais, du 10 juillet, recueil de Laborde, p. 39. [87] Second interrogatoire du 28 juillet, _ibid._, p. 83. [88] Troisième lettre à Richelieu, _ibid._, p. 222. [89] Cinquième lettre, recueil de Laborde, p. 227. [90] Troisième lettre, _ibid._, p. 223. [91] Recueil de Laborde, p. 228. Du moins, pendant quelque temps et jusqu'à la fin de juillet, en trahissant tout le monde, Chalais avait gardé sa foi à Mme de Chevreuse. Ni dans ses dépositions officielles, ni dans ses conversations avec Richelieu, il n'avait prononcé ce nom. Mais emporté par la passion qui déjà lui avait fait faire tant de fautes, il céda au besoin de se rappeler à celle qu'il aimait toujours, et de lui faire hommage de ses souffrances. Il lui adressa des lettres remplies de l'adoration et du dévouement le plus chevaleresque, et écrites dans le jargon alors à la mode qui convenait bien mieux dans la bouche des mourants de l'hôtel de Rambouillet, que dans celle d'un homme aussi sérieusement menacé. En les lisant, on se demande si Mme de Chevreuse s'était rendue à l'amour de Chalais, ou si elle ne l'avait pas laissé sur ces espérances enivrantes et enflammées, qui transforment leur objet encore peu connu en une divinité dont on achèterait la possession au prix de tous les sacrifices[92]. A ces lettres imprudentes, qui évidemment ne lui arrivaient qu'après avoir passé par les mains de Richelieu, Mme de Chevreuse pouvait-elle répondre autrement qu'elle ne fit? Le domestique de Chalais écrit à son maître[93], le 4 août: «J'ai baillé la lettre à Madame; elle m'a dit qu'elle ne fait point de réponse, que sa vie et son honneur dépendent de cela véritablement; elle m'a dit sur sa vie qu'elle le servira sans écrire; elle lui baille cent mille baisemains.» Le 7 août: «Mme de Chevreuse a été bien aise; elle servira plus qu'on ne demande, mais elle ne peut écrire.» Il paraît que ce silence si naturel blessa Chalais, qui peut-être même ne reçut pas les lettres de son domestique et ne connut pas les réponses de Mme de Chevreuse. L'habile Richelieu partit de là pour jeter des soupçons dans l'âme du prisonnier, et l'aigrir contre la duchesse. Il la lui représenta[94] comme l'ayant fort oublié, occupée d'autres amours, et s'étant sauvée elle-même à ses dépens; manœuvre accoutumée d'une police déloyale qui s'étudie à tromper les accusés les uns sur les autres, et, en faisant accroire à chacun d'eux qu'il est trahi par son complice, le pousse à le trahir à son tour. Nous pouvons assurer que dans tous les papiers qui ont passé sous nos yeux, nous n'avons pas découvert l'ombre même d'une faiblesse de la part de Mme de Chevreuse. Mais le pauvre Chalais tomba dans le piége qu'on lui tendait, et le dépit de l'amour et du dévouement trompé ôtant tout frein à son ardent désir de complaire au cardinal et d'en obtenir sa grâce par des révélations importantes et inattendues, peu à peu il commença, ce qu'il n'avait pas fait jusque-là, à parler des dames, particulièrement de Mme de Chevreuse, et, passant sur elle de l'adoration à l'injure, il finit par la charger des accusations les plus graves. Il déclara que c'était elle qui l'avait engagé dans ce complot auquel auparavant il était resté entièrement étranger, «qu'elle avoit grande affection et liaison avec le maréchal d'Ornano sur l'affaire de Monsieur[95], qu'elle travaille à unir ensemble M. le Prince, M. le Comte et M. de Montmorenci, ainsi que les Huguenots par le moyen de Mme de Rohan[96], qu'elle l'avoit exhorté[97] à faire tout ce qu'il pourroit pour délivrer le grand-prieur, et qu'il n'y avoit rien qu'elle ne voulût faire pour cela, et qu'à toute occasion elle disoit à Monsieur: Ne voulez point faire sortir de prison le maréchal? qu'elle excitoit le grand-prieur à conseiller à Monsieur de quitter la cour et de faire violence à M. le cardinal, et qu'elle disoit continuellement au grand-prieur: Monsieur n'aura-t-il pas de ressentiment pour le maréchal[98]? que par ces mots: Monsieur ne se souviendra-t-il pas du maréchal? on entendoit: Monsieur ne fera-t-il pas violence au cardinal? qu'il le sait parce que le grand-prieur et Mme de Chevreuse le lui ont dit, et que Mme de Chevreuse étoit dans la confidence du dessein qui se devoit exécuter à Fleury[99],» c'est-à-dire du dessein d'assassiner le cardinal. Enfin, pour bien montrer à Richelieu qu'il n'y a pas de sacrifices qu'il ne soit prêt à lui faire, après celui de la personne qu'il avait tant aimée et à laquelle, la veille encore, il prodiguait les plus ardents hommages, il compromet jusqu'à la reine elle-même, et répète le bruit injurieux «qu'il a ouï dire que si Dieu rappeloit le roi, Monsieur pourroit épouser la reine[100].» Chalais ne pouvait descendre plus bas encore qu'en s'engageant à se faire l'espion de la reine et de Mme de Chevreuse, comme il avait promis d'être celui de Monsieur. Il croit nuire à Mme de Chevreuse, il la relève au contraire en la peignant obstinément attachée à la reine et à ses amis. «C'est elle, dit-il, qui a embarqué le maréchal d'Ornano, et elle lui conserve plus inviolablement que jamais l'amitié promise[101].» «Si elle vouloit, s'écrie-t-il, je jure qu'elle pourroit dire de belles choses,» excitant ainsi à la faire arrêter. Il la surveillera, il la démasquera, il lui ôtera toute influence, «il ne veut plus vivre que pour la damner[102].» Et sans cesse il rappelle au cardinal «les grandes choses qu'il feroit parmi les dames[103].» [92] Voici trois de ces lettres, que nous tirons du recueil de Laborde, p. 210, etc. _Première lettre_: «Si mes plaintes ont touché les âmes les plus insensibles quand mon soleil manquoit de luire dans les allées dédiées à l'amour, où seront ceux qui ne prendront part à mes sanglots dans une prison où ses rayons ne peuvent jamais entrer, et mon sort (est) d'autant plus rigoureux qu'il me défend de lui faire savoir mon cruel martyre? Dans cette perplexité, je me loue de mon maître qui fait seulement souffrir le corps, et murmure contre les merveilles de ce soleil, dont l'absence tue l'âme et cause une telle métamorphose que je ne suis plus moi-même que dans la persistance de l'adorer, et mes yeux qui ne servoient qu'à cela sont justement punis de leur trop grande présomption par plus de larmes versées que n'en causa jamais l'amour.»--_Deuxième lettre_: «Puisque ma vie dépend de vous, je ne crains pas de l'hasarder pour vous faire savoir que je vous aime; recevez-en donc ce petit témoignage, et ne condamnez pas ma témérité. Si ces beaux yeux que j'adore regardent cette lettre, j'augure bien de ma fortune; et s'il advient le contraire, je ne souhaite plus ma liberté puisque j'y trouve mon supplice.»--_Troisième lettre_: «Ce n'est pas de cette heure que j'ai reconnu de la divinité en vos beautés, mais bien commencé-je à apprendre qu'il faut vous servir comme déesse, puisqu'il ne m'est pas permis de vous faire savoir mon amour, sans courre fortune de la vie; prenez-en donc du soin puisqu'elle vous est toute dédiée, et si vous la jugez digne d'être conservée, dites au compagnon de mes malheurs qu'il vous souviendra quelquefois que je suis le plus malheureux des hommes. Il ne faut que lui dire oui.» [93] Recueil de Laborde, p. 68, etc. [94] Recueil de Laborde, p. 241 et 242, onzième lettre à Richelieu: «Depuis que vous me fîtes l'honneur de me dire qu'elle avoit médit de moi, je n'ai plus eu d'autre intérêt que de me conserver, etc.» [95] Recueil de Laborde, p. 96. [96] _Ibid._, p. 139-140. [97] _Ibid._, p. 97. [98] _Ibid._, p. 127. [99] _Ibid._, p. 137-138. [100] Recueil de Laborde, p. 93. [101] _Ibid._, p. 243. [102] _Ibid._ [103] _Ibid._, p. 228. On souffre en vérité d'avoir à transcrire de pareilles bassesses, et on voudrait les pouvoir imputer à un accès de fureur jalouse qui aurait troublé l'esprit de l'infortuné dans la sombre solitude d'un cachot. D'ailleurs elles furent inutiles. Dès que Richelieu sentit qu'il avait tiré de Chalais tout ce qu'il en pouvait espérer, le procès marcha vite, et l'inévitable sentence fut rendue le 18 août. Le lendemain on la lut au prisonnier. Elle rendit Chalais à lui-même. Il se souvint qu'il était gentilhomme et Talleyrand, il rougit de sa conduite envers Mme de Chevreuse, et sur la sellette il rétracta tout ce qu'il avait dit sur elle, déclarant particulièrement «qu'elle ne l'avoit jamais détourné du service qu'il devoit au roi[104].» Il chargea son confesseur d'aller demander pardon à la reine d'avoir mêlé son nom dans une pareille affaire[105], et quelques heures après, soutenu par les prières de sa vieille mère, la digne fille du maréchal de Montluc, agenouillée dans une église voisine[106], le 19 août 1626, il présentait avec fermeté sa tête à la hache du bourreau sur le premier échafaud dressé par Richelieu. [104] On ne conçoit pas pourquoi la _Relation de ce qui s'est passé au procès de Chalais_, tirée du cabinet de Dupuy, et qui est dans le recueil d'Auberi, _Mémoires pour l'histoire du cardinal duc de Richelieu_, t. Ier, p. 570, ne fait pas mention de cette rétractation de Chalais; mais elle est dans le recueil de Laborde, p. 168 et 179, séance du 19 août: «Et nous a dit de son propre mouvement que le contenu en toutes les lettres qu'il a écrites concernant les dames, étoit faux et ne savoit du tout rien de Mme de Chevreuse,... et particulièrement a dit qu'elle ne l'a jamais détourné du service qu'il devoit au roi.» [105] Mme de Motteville, _ibid._, p. 29: «Il pria son confesseur d'aller trouver le roi pour lui en dire la vérité, et d'aller de sa part demander pardon à la reine... Outre ces grandes paroles, sorties d'un homme qui alloit mourir, la mère de Chalais vint trouver la reine pour lui en faire satisfaction. Cette visite m'a été dite par des personnes qui étoient présentes quand elle fit cette déclaration.» [106] _Relation_, etc., dans le recueil d'Auberi. Elle dit à un archer des gardes du corps: «Dites à mon fils que je suis contente de l'assurance qu'il me donne de mourir en Dieu, et que si je pensois que ma vue ne l'attendrit pas trop, je l'irois trouver et ne l'abandonnerois point que sa tête ne fût séparée de son corps, mais que ne pouvant l'assister comme cela, je m'en vais prier Dieu pour lui.» La Porte, mettant en action ces nobles paroles, prétend que «Mme de Chalais monta sur l'échafaud avec son fils, et l'assista courageusement jusqu'à sa mort.» _Mémoires_, _ibid._, p. 302. Ainsi finit Chalais, et la première conspiration à laquelle prit part Mme de Chevreuse. Le mois d'août était à peine écoulé, que le maréchal Ornano succombait à Vincennes sous la menace du procès qui l'attendait. Le grand prieur le suivit à quelques années de distance, en février 1629. Le duc César de Vendôme ne sortit de prison qu'en 1630, et perdit pour toujours son gouvernement de Bretagne. Le comte de Soissons s'exila quelque temps lui-même en Suisse et en Italie. Pour Monsieur, il en fut quitte pour épouser une des princesses les plus aimables de France, avec une dot immense, et l'opulent apanage[107] que lui méritait bien cette première trahison qui devait être suivie de tant d'autres. Mais un an après, la nouvelle duchesse d'Orléans mourait en donnant le jour à une fille qui fut la grande Mademoiselle. Déjà le roi avait été fort mécontent des coquetteries de la reine avec Buckingham: cette fois il lui ôta à jamais sa confiance et son cœur. Sa jalouse et soupçonneuse nature lui persuada aisément qu'il y avait eu quelque intrigue entre elle et son frère, non pas peut-être pour se défaire de lui, mais pour s'unir ensemble un jour; toute sa vie il garda cette amère conviction, et quand à son lit de mort la reine lui jura avec larmes qu'elle était innocente, il répondit que dans son état il était obligé de lui pardonner, mais non de la croire. Dans les premiers transports de sa colère, il la fit comparaître devant un conseil, où elle fut traitée en criminelle; on ne lui donna qu'un pliant au lieu d'un fauteuil, comme si elle eût été sur la sellette, et le roi l'accusa d'être entrée dans un complot pour avoir un autre mari. La reine indignée s'écria qu'elle aurait trop peu gagné au change, et elle reprocha avec énergie à sa belle-mère et au cardinal de travailler à lui nuire dans l'esprit du roi[108]. Puis elle courba un peu plus la tête, renferma dans son sein la haine qu'elle portait à Richelieu, et se résigna, pour quelque temps du moins, à passer sa triste jeunesse dans la solitude de son palais, de toutes parts surveillée, et n'ayant plus un cœur ami pour y verser ses ennuis et ses souffrances. Mme de Chevreuse apprit à ses dépens ce qu'il en coûte de trop aimer une reine. Elle courut grand risque d'être enveloppée dans le funeste procès. Sur les dépositions de Chalais, le tribunal avait ordonné[109] qu'elle serait arrêtée pour être interrogée sur les charges qui s'élevaient contre elle. Le décret de prise de corps fut rédigé, signé par les juges, et remis au roi qui, dans un conseil tenu chez la reine mère, le montra au duc de Chevreuse. Celui-ci obtint à grand'peine qu'on se contenterait de la menace[110]. Elle quitta Nantes quelques jours avant la terrible exécution[111], et alla s'enfermer à Dampierre, espérant qu'elle y pourrait laisser passer la tempête. Mais on la trouva encore trop près de la reine, et elle reçut l'ordre de sortir de France[112]. Il lui fallut donc renoncer à toutes les douceurs de la vie, aux magnificences de son hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre, à sa belle retraite de Dampierre, et aller, à vingt-cinq ans, chercher un asile sur une terre étrangère. Aussi, dit Richelieu, «elle fut transportée de fureur; elle s'emporta jusqu'à dire qu'on ne la connoissoit pas, qu'on pensoit qu'elle n'avoit l'esprit qu'à des coquetteries, qu'elle feroit bien voir, avec le temps, qu'elle étoit bonne à autre chose, qu'il n'y avoit rien qu'elle ne fît pour se venger, et qu'elle s'abandonneroit à un soldat des gardes plutôt que de ne pas tirer raison de ses ennemis[113].» Elle aurait bien souhaité aller en Angleterre, où elle était sûre de l'appui de Holland, de Buckingham et de Charles Ier lui-même: cette permission ne lui fut pas accordée, et elle prit le chemin de la Lorraine. [107] Monsieur changea le titre de duc d'Anjou pour celui de duc d'Orléans, et il eut le duché d'Orléans, le duché de Chartres, le comté de Blois, avec cent mille livres de revenu, plus cent mille livres de pension, et une somme de cinq cent soixante mille livres, _Mercure françois_, 1626, p. 385, etc. [108] Voyez La Porte et Mme de Motteville. [109] _Relation_, etc., dans le recueil d'Auberi, p. 573 et 574. [110] Le P. Griffet assure, t. Ier, p. 513 de son _Histoire du règne de Louis XIII_, qu'elle fut interrogée sans être confrontée, et il renvoie à Brienne, lequel dit seulement que le roi donna ordre à Mme de Chevreuse de se retirer à Dampierre avec défense d'en sortir, _Mémoires_, collect. Petitot, 2e série, t. XXXV, p. 434. [111] La _Relation_: «Elle partit de Nantes, le lundi 17 aoust.» [112] Archives des Affaires étrangères, FRANCE, t. XXXIX, fol. 316. «Sire, ce porteur m'ayant trouvé à quatre lieues de Dampierre, je n'ai pu plus tôt satisfaire à la volonté de Votre Majesté. J'y serai (à Dampierre), demain au matin, pour en même temps donner ordre à l'éloignement de ma femme avec l'obéissance que je dois à ses commandements, étant, Sire, Votre très-humble, très-obéissant et très-fidèle sujet et serviteur. De Gallardon, ce 29 août. CHEVREUSE.» [113] _Mémoires_, t. III, p. 110. CHAPITRE TROISIÈME 1627-1637 Mme DE CHEVREUSE EN LORRAINE. LE DUC CHARLES IV. NOUVELLE LIGUE CONTRE RICHELIEU. VICTOIRE DU CARDINAL. MME DE CHEVREUSE RENTRE EN FRANCE.--ELLE EST D'ABORD ASSEZ BIEN AVEC RICHELIEU.--SA LIAISON AVEC LE GARDE DES SCEAUX CHATEAUNEUF.--LETTRES D'AMOUR ET D'INTRIGUE.--NOUVELLE DISGRACE.--MME DE CHEVREUSE RELÉGUÉE EN TOURAINE. CRAFT, MONTAIGU, LA ROCHEFOUCAULD.--AFFAIRES DE 1637. INTELLIGENCE DE LA REINE ANNE AVEC M. DE MIRABEL, A BRUXELLES, ET AVEC SON FRÈRE LE CARDINAL-INFANT, PENDANT QUE LA FRANCE ET L'ESPAGNE SONT EN GUERRE. ELLE CORRESPOND AUSSI AVEC Mme DE CHEVREUSE, QUI ELLE-MÊME CORRESPOND AVEC LE DUC DE LORRAINE ET L'ENGAGE AVEC L'ESPAGNE.--DÉCOUVERTE DE CES INTRIGUES. LA REINE ANNE PLUS QUE JAMAIS MALTRAITEE.--MME De CHEVREUSE CRAINT D'ÊTRE ARRÊTÉE ET PREND LE PARTI DE SE SAUVER EN ESPAGNE.--AVENTURES DE SA FUITE DEPUIS TOURS JUSQU'A LA FRONTIÈRE ESPAGNOLE. Mme de Chevreuse arriva en Lorraine dans l'automne de 1626. On sait qu'au lieu d'un refuge, elle y trouva le plus éclatant triomphe. Sa beauté éblouit le nouveau duc de Lorraine Charles IV, qui, se déclarant ouvertement son adorateur, en fit la reine de ces brillants tournois à la barrière de Nancy, illustrés par le burin de Callot. Elle n'a pas été, comme le dit La Rochefoucauld et comme on l'a tant répété, la première cause des malheurs de ce prince; non: la vraie cause des malheurs de Charles IV[114] était dans son caractère, dans son ambition présomptueuse, ouverte à toutes les chimères, et qui rencontrait devant elle, en France, un politique tel que Richelieu. N'oublions pas qu'ils étaient déjà brouillés bien avant que Mme de Chevreuse ne mît le pied à Nancy. Richelieu revendiquait plusieurs parties des États du duc, et celui-ci, placé entre l'Autriche et la France, commençait à se déclarer pour la première contre la seconde. C'était l'homme le plus fait pour entrer dans les sentiments de Mme de Chevreuse, comme elle était admirablement faite pour seconder ses desseins. Elle trouva Charles IV déjà uni à l'Empire; elle l'unit aussi à l'Angleterre, dont Buckingham disposait; elle renoua ses anciennes intelligences avec les ennemis de Richelieu, particulièrement avec la Savoie, et renouvela ainsi la ligue formée sous le maréchal Ornano, en lui donnant, comme toujours, à l'intérieur l'appui du parti protestant, que gouvernaient ses parents, Rohan et Soubise. Le plan était sérieux: une flotte anglaise, conduite par Buckingham lui-même, devait débarquer à l'île de Ré et se joindre aux protestants de La Rochelle; le duc de Savoie, avec le comte de Soissons, qui était venu chercher un asile auprès de lui, devait descendre à la fois dans le Dauphiné et dans la Provence, le duc de Rohan, à la tête des protestants du midi, soulever le Languedoc, enfin le duc de Lorraine marcher sur Paris par la Champagne. L'agent principal de ce plan, chargé de porter des paroles à tous les intéressés, était mylord Montaigu, personnage d'une activité et d'un courage à toute épreuve, qui passa la moitié de sa vie dans des intrigues galantes et politiques, et la finit dans une ardente dévotion. Il était alors ami particulier de Holland et de Buckingham. Il allait sans cesse de Londres à Turin et à Nancy[115]. Richelieu épiait toutes ses démarches, et en novembre 1627 il le fit arrêter jusque sur le territoire lorrain, pour s'emparer des papiers dont il était porteur, qui lui découvrirent toute la conspiration. La reine Anne y était si fort mêlée qu'elle trembla à la nouvelle de l'arrestation de Montaigu, et n'eut de repos qu'après s'être bien assurée qu'elle n'était pas nommée dans les papiers du prisonnier, et qu'elle ne le serait pas dans ses interrogatoires[116]. Renfermé assez longtemps à la Bastille, Montaigu montra qu'il était un serviteur des dames d'une autre trempe que Chalais: il garda un généreux silence sur la reine et sur Mme de Chevreuse. Mais le cardinal ne s'y trompa pas; il vit parfaitement que cette vaste machination était l'ouvrage de la duchesse, et que celle-ci n'avait agi qu'avec le consentement de la reine[117]. Il se hâta de faire face au péril qui le menaçait avec sa promptitude et sa vigueur accoutumées. L'Angleterre, poussée par l'impétueux Buckingham, était entrée la première en campagne: elle rencontra une résistance sur laquelle elle n'avait pas compté. L'attaque sur l'île de Ré échoua; Buckingham battu fut forcé à une retraite honteuse, et à peine avait-il remis le pied sur le sol anglais que le poignard d'un assassin terminait sa vie, le 2 septembre 1628. Le mois suivant, La Rochelle, le foyer et le boulevard de tous les complots protestants, La Rochelle, qui passait pour imprenable, cédait à la constance et à l'habileté du cardinal. Étonnés de pareils succès, le duc de Lorraine et le duc de Savoie demeurèrent immobiles; la coalition était dissoute, et l'Angleterre demandait la paix, en mettant parmi ses conditions les plus pressantes le retour en France de Mme de Chevreuse, devenue une puissance politique pour laquelle on fait la paix et la guerre. «C'étoit une princesse aimée en Angleterre, à laquelle le roi portoit une particulière affection, et il la voudroit assurément comprendre en la paix, s'il n'avoit honte d'y faire mention d'une femme; mais il se sentiroit très-obligé si Sa Majesté ne lui faisoit point de déplaisir. Elle avoit l'esprit fort, une beauté puissante dont elle savoit bien user, ne s'amollissant par aucune disgrâce, et demeurant toujours en une même assiette d'esprit[118]:» portrait moins brillant, mais tout autrement sérieux et fidèle que celui de Retz, et qui pourrait bien être de la main même de Richelieu, étant assez vraisemblable que le cardinal, selon sa coutume, aura ici plutôt résumé à sa manière que reproduit textuellement la dépêche du négociateur anglais. Quoi qu'il en soit, Richelieu, qui désirait vivement, La Rochelle une fois soumise, n'avoir plus sur les bras les Rohan, les protestants et l'Angleterre, afin de porter toutes ses forces contre l'Espagne, accepta la condition demandée, et à la fin de l'année 1628 Mme de Chevreuse eut la permission de revenir à Dampierre. [114] Sur Charles IV, sa liaison avec Mme de Chevreuse, la ligue qu'ils formèrent ensemble contre Richelieu et l'extraordinaire influence qu'elle conserva toujours sur lui, nous renvoyons avec confiance au t. Ier de l'excellent ouvrage de M. le comte d'Haussonville, _Histoire de la réunion de la Lorraine à la France_. [115] Voyez les _Mémoires_ de Richelieu, t. III., p. 311 et suiv. [116] La Porte, _Mémoires_, p. 304: «La nouvelle de l'arrestation de mylord Montaigu mit la reine en une peine extrême, craignant d'être nommée dans les papiers de mylord, et que cela venant à être découvert, le roi, avec qui elle n'étoit pas en trop bonne intelligence, ne la maltraitât et ne la renvoyât en Espagne, comme il auroit fait assurément; ce qui lui donna une telle inquiétude qu'elle en perdit le dormir et le manger. Dans cet embarras elle se souvint que j'étois dans la compagnie des gendarmes qui devoit être du nombre des troupes commandées pour la conduite de mylord. C'est pourquoi elle s'informa à Lavau où j'étois; il me trouva et me conduisit après minuit dans la chambre de la reine d'où tout le monde étoit retiré. Elle me dit la peine où elle étoit, et que, n'ayant personne à qui elle se pût fier, elle m'avoit fait chercher, croyant que je la servirois avec affection et fidélité; que de ce que je lui rapporterois dépendoit son salut ou sa perte; elle me dit toute l'affaire, et qu'il falloit que, dans la conduite que nous ferions de mylord Montaigu, je fisse en sorte de lui parler et de savoir de lui si, dans les papiers qu'on lui avoit pris, elle n'y étoit point nommée, et que si d'adventure il étoit interrogé lorsqu'il seroit à la Bastille, et pressé de nommer tous ceux qu'il savoit avoir eu connoissance de cette ligue, il se gardât bien de la nommer... Je dis à mylord Montaigu la peine où étoit la reine; à cela il me répondit qu'elle n'étoit nommée ni directement ni indirectement dans les papiers qu'on lui avoit pris, et m'assura que s'il étoit interrogé il ne diroit jamais rien qui lui pût nuire, quand même on le devroit faire mourir.» Quand La Porte rapporta cette réponse à la reine, celle-ci, dit La Porte, tressaillit de joie. [117] _Mémoires_, _ibid._, t. IV, p. 11: «Le tout suscité par Mme de Chevreuse, qui agissoit en cela du consentement de la reine.» _Ibid._, p. 80: «Une demoiselle qu'elle chassa donna avis que sa liaison avec la reine régnante étoit plus étroite que jamais, et qu'elle lui disoit qu'elle n'avoit rien à craindre, ayant l'empereur, l'Espagne, l'Angleterre, la Lorraine et beaucoup d'autres pour elle.» La Rochefoucauld, _ibid._, p. 344: «On sait assez que le duc de Buckingham vint avec une puissante flotte pour secourir La Rochelle, qu'il attaqua l'île de Ré sans la prendre, et qu'il se retira avec un succès malheureux; mais tout le monde ne sait pas que le cardinal accusa la reine d'avoir concerté cette entreprise avec le duc de Buckingham pour faire la paix des huguenots, et lui donner un prétexte de revenir à la cour et de revoir la reine.» [118] _Mémoires_ de Richelieu, t. IV, p. 74. Il y eut là quelques années de repos dans cette vie agitée. Du fond de sa retraite, Mme de Chevreuse vit plus d'une fois changer la face des affaires et de la cour. Elle vit Marie de Médicis revêtue de nouveau, en 1629, du titre et des fonctions de régente, de nouveau aussi dépouillée de son pouvoir en 1630, après la célèbre journée des dupes, et, plus maltraitée par son ancien favori qu'elle ne l'avait jamais été par Luynes, s'enfuir en 1631 à Bruxelles, se mettre sous la protection de l'Espagne et à la tête des ennemis de Richelieu. Elle vit le duc d'Orléans, après avoir voulu épouser la belle Marie de Gonzague, une des filles du duc de Mantoue, devenu amoureux de Marguerite de Lorraine, sœur de Charles IV, l'épouser contre la volonté du roi, et s'en aller à Bruxelles grossir et fortifier le parti de la reine mère. Anne d'Autriche et Mme de Chevreuse étaient naturellement de ce parti, et le secondaient de tous leurs vœux, mais en ayant grand soin de les cacher sous des démonstrations contraires, devant le cardinal tout-puissant et irrité, prodiguant sans pitié les destitutions, les emprisonnements, les exils, et faisant monter tour à tour, en 1632, sur l'échafaud de Chalais, son ancien ami le maréchal de Marillac, coupable surtout d'être resté fidèle à leur commune maîtresse, et le dernier descendant des deux grands connétables de Montmorency, le vainqueur de Veillane, qui s'était laissé engager dans la révolte la plus insensée par les conseils de sa femme, dévouée à la reine mère, et sur la parole du duc d'Orléans. Mme de Chevreuse avait appris à mettre un voile sur ses plus chers sentiments: peu à peu elle reparut à la cour en ayant l'air de ne chercher que le plaisir. Elle avait à peine trente-deux ans, et il était difficile encore de la voir impunément. On dit que Richelieu ne fut pas insensible à sa beauté. Pourquoi s'en étonner? D'autres grands politiques, Henri IV, Charlemagne, César, ont aussi aimé la beauté, et le XVIIe siècle est particulièrement le siècle de la galanterie. C'est une tradition accréditée que le cardinal fit quelque temps une cour inutile mais fort pressante à la reine Anne. Nous écartons les propos grossiers de Tallemant[119]; nous n'ajoutons pas foi à l'incroyable récit du jeune Brienne[120], mais son père[121], mais La Rochefoucauld[122], mais Retz[123], parlent de l'inclination que le cardinal a ressentie pour la reine; et celle-ci a conté elle-même à Mme de Motteville «qu'un jour il lui parla d'un air très-galant et lui fit un discours fort passionné[124].» C'est encore Mme de Motteville qui nous apprend que Richelieu, «malgré la rigueur qu'il avait eue pour Mme de Chevreuse, ne l'avoit jamais haïe, et que sa beauté avoit eu des charmes pour lui[125].» Il essaya de lui plaire, et un moment l'entoura d'attentions et d'hommages[126]. L'habile duchesse se garda bien de les repousser, sans les trop accueillir. Le cardinal s'efforça de lui persuader de rompre avec le duc de Lorraine[127]. Tantôt elle résistait, tantôt elle donnait des espérances[128], et mettait même son influence sur le duc de Lorraine au service des desseins de Richelieu[129]. Mais au fond son âme demeurait inébranlablement attachée à sa cause et à ses amis, et au tout-puissant cardinal elle préféra un de ses ministres, celui sur lequel il avait le plus droit de compter: elle le lui enleva d'un regard, et le conquit au parti des mécontents. [119] Tallemant, _Historiette du cardinal de Richelieu_, t. Ier, p. 350. [120] _Mémoires inédits_, publiés par M. Barrière en 1828, t. Ier, p. 274. [121] _Mémoires de Brienne_, collect. Petitot, 2e série, t. XXXVI, p. 60. [122] _Ibid._, p. 343 et 345. [123] Édition d'Amsterdam, 1731, t. Ier, p. 10. [124] _Mémoires_, _ibid._, p. 34. [125] _Ibid._, p. 62. [126] Il est certain qu'en 1632 Mme de Chevreuse était bien avec le cardinal. On en peut juger par les deux billets suivants que nous tirons des archives des affaires étrangères, FRANCE, 1632, t. LXII et LXIII: «Monsieur, je ne m'estimois pas si heureuse d'être en votre souvenir dans les occupations où vous êtes. Je me trouve agréablement trompée en cette opinion. Cela me fait espérer que je le serai peut-être encore à mon avantage touchant les sentiments où vous êtes pour moi. Je le souhaite aussi passionnément que véritablement. Je suis résolue de vous témoigner par toutes les actions de ma vie que je suis comme je le dois, Monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante, M. DE ROHAN. _P. S._ Je vous envoierois d'autres lettres en échange de celles que vous m'avez envoyées, si je ne craignois pas que la quantité vous importunât.»--«1er août 1632. Monsieur, si j'avois aussi bien pu refuser de donner cette lettre à ce gentilhomme, comme je sais m'empêcher de vous importuner à toutes heures de mes supplications, vous n'auriez pas eu la peine de la lire. Il faut que vous le souffriez encore, s'il vous plaît, Monsieur, pour que je satisfasse à la créance qu'a le maître de ce porteur qu'il obtiendra la demande qu'il vous fait, pourvu que vous la teniez de moi. Ma créance n'étant pas tout à fait de même, j'estime que je fais mieux de vous laisser voir cette demande dans la lettre qu'il vous écrit, crainte de vous ennuyer d'un trop long discours; et par cette même raison je ne vous dirai pas davantage, sinon que je serai jusqu'à la mort, Monsieur, votre très-humble et très-obligeante servante, M. DE ROHAN.» La Porte dit aussi qu'alors Mme de Chevreuse passait pour être en faveur auprès du cardinal, _ibid._, p. 317. [127] Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. LVII, année 1631. Bouthillier à Richelieu: «J'ai donné le mémoire à Mme de Chevreuse; elle m'a dit force choses qui seroient inutiles et trop longues à vous dire. J'essayai de lui faire comprendre qu'elle ne pouvoit écrire un mot à M. de Lorraine.» [128] _Ibid._, Mémoire pour interroger René Seguin, prisonnier à la Bastille, pris au retour d'un voyage en Flandre. «...Il avoit charge de parler à Mme de Chevreuse pour la gagner et la porter à desservir le roi, ce qu'elle a découvert à Sa Majesté, et ce qu'il n'est pas à propos que Seguin sache.» [129] Par exemple au traité de Vic en 1632. Voyez M. d'Haussonville, t. Ier, p. 295. Charles de l'Aubépine, marquis de Châteauneuf, d'une vieille famille de conseillers et de secrétaires d'État, avait succédé en 1630 à Michel de Marillac dans le poste de garde des sceaux; il le devait à la faveur de Richelieu et au dévouement qu'il lui avait montré. Il avait poussé ce dévouement bien loin, car il présida à Toulouse la commission qui jugea Henri de Montmorenci, et par là il mit à jamais contre lui les Montmorenci et les Condé. Châteauneuf avait donné des gages sanglants à Richelieu, et ils semblaient inséparablement unis. Le cardinal l'avait comblé, comme il faisait tous les siens. Châteauneuf avait été successivement nommé ambassadeur, chancelier des ordres du roi, gouverneur de Touraine. C'était un homme consommé dans les affaires, laborieux, actif, et doué de la qualité qui plaisait le plus au cardinal, la résolution; mais il avait une ambition démesurée qu'il conserva jusqu'à la fin de sa vie; l'amour s'y joignant la rendit aveugle[130]. On ne se peut empêcher de sourire quand on se rappelle ce que dit Retz, que Châteauneuf amusa Mme de Chevreuse avec les affaires; cet amusement-là était d'une espèce toute particulière: on y jouait sa fortune et quelquefois sa tête, et l'intrigue où l'un et l'autre s'engagèrent était si téméraire, que pour cette fois nous admettons que ce ne fut pas Châteauneuf qui y jeta Mme de Chevreuse, et que c'est elle bien plutôt qui y poussa l'amoureux garde des sceaux. [130] Richelieu, _Mémoires_, t. VII, p. 326: «On avoit fait le sieur de Châteauneuf garde des sceaux à l'éloignement du sieur de Marillac, croyant qu'il n'auroit d'autre mouvement que celui que le commandement du roi lui donneroit ou l'intérêt de son service, d'autant que jusque-là il avoit fait paroître n'avoir autre intention, et depuis quelques années étoit toujours demeuré attaché auprès du cardinal, servant avec beaucoup de témoignages d'affection et de fidélité; mais dès qu'il se vit émancipé par l'autorité de sa charge et en état d'agir seul, lors les intentions qu'il avoit tenues cachées auparavant par respect et par crainte commencèrent à paroître. Il se porta dans les cabales de la cour, particulièrement celle des dames factieuses dont la principale étoit la duchesse de Chevreuse, l'esprit et la conduite de laquelle avoient été souvent désagréables au roi, comme non-seulement n'ayant jamais manqué à être de toutes les mauvaises parties qui avoient été faites contre son service, mais même en ayant quasi toujours été un très-dangereux chef de parti.» Châteauneuf avait alors cinquante ans[131], et le sentiment qu'il avait conçu pour Mme de Chevreuse devait être une de ces passions fatales qui précèdent et qui marquent la fuite suprême de la jeunesse. Pour Mme de Chevreuse, elle partagea dans toute leur étendue les dangers et les malheurs de Châteauneuf, et jamais plus tard elle ne consentit à séparer sa fortune de la sienne. Elle portait au moins dans ses égarements ce reste d'honnêteté que, lorsqu'elle aimait quelqu'un, elle l'aimait avec une fidélité sans bornes, et que l'amour passé il lui en demeurait une amitié inviolable. Déjà, depuis quelque temps, Richelieu s'était aperçu que son garde des sceaux n'était plus le même. Son génie soupçonneux, secondé par sa pénétration et une incomparable police, l'avait mis sur la trace des manœuvres les plus secrètes de Châteauneuf, et lui-même s'est complu à rassembler tous les indices de la trahison de son ancien ami dans des pages jusqu'ici restées inédites et qui nous semblent un chapitre égaré de ses Mémoires[132]. Au mois de novembre 1632, à Bordeaux, pendant une assez grave maladie du cardinal, tandis que le cardinal La Valette, le P. Joseph et Bouthillier veillaient avec anxiété autour de son lit, le garde des sceaux, subjugué par Mme de Chevreuse et séduit par elle à la cause de la reine Anne, partagea tous les divertissements des deux jeunes femmes, et les accompagna dans un voyage de plaisir à La Rochelle. Cette conduite avait éclairé et irrité Richelieu; et à son retour à Paris, le 25 février 1633, Châteauneuf fut arrêté, et tous ses papiers saisis. On y trouva cinquante-deux lettres de la main de Mme de Chevreuse où, sous des chiffres faciles à pénétrer et à travers un jargon transparent, on reconnaissait les sentiments de Châteauneuf et de la duchesse. Il y avait aussi beaucoup de lettres du commandeur de Jars, du comte de Holland, de Montaigu, de Puylaurens, du comte de Brion, du duc de Vendôme et de la reine d'Angleterre elle-même. Ces papiers furent apportés au cardinal, qui les garda selon sa coutume; après sa mort on les trouva dans sa cassette, et ils arrivèrent ainsi, avec bien d'autres, en la possession du maréchal de Richelieu, qui les communiqua au père Griffet pour son _Histoire du règne de Louis XIII_[133]. Une copie assez ancienne est aujourd'hui entre les mains de M. le duc de Luynes, dont l'esprit est trop élevé pour songer à dérober à l'histoire les fautes, d'ailleurs bien connues, de son illustre aïeule, surtout quand ces fautes portent encore la marque d'un noble cœur et d'un grand caractère. Nous avons pu examiner ces curieux manuscrits[134], et particulièrement les lettres de Mme de Chevreuse. Elles confirment ce que nous dit Mme de Motteville de l'impression que la beauté de Mme de Chevreuse avait faite sur le cardinal: on y voit qu'il lui rendait des soins, qu'il était jaloux[135] de Châteauneuf, et que celui-ci s'alarmait des ménagements qu'elle gardait envers le premier ministre pour mieux cacher leur commerce. On ne lira pas sans intérêt divers passages de ces lettres encore inédites où se montre l'esprit délié à la fois et audacieux de la duchesse, son empire sur le garde des sceaux, et la haine intrépide qu'elle portait au cardinal parmi les déférences qu'elle lui prodiguait. [131] Il était né en 1580. Un admirable portrait au crayon de D. Demonstier, gravé par Ragot, le représente en garde des sceaux, d'une mine ferme et relevée. [132] Nous avons rencontré ce curieux fragment aux archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CI, la dernière pièce du volume, sous ce titre: _Mémoire de M. le Cardinal de Richelieu contre M. de Châteauneuf_. 12 pages de la main bien connue de Charpentier, l'un des secrétaires du cardinal. Voyez l'APPENDICE, notes du chap. III. [133] Tom. II, p. 392. [134] Nous en donnons au moins l'exact inventaire dans l'APPENDICE, notes du chap. III. [135] La jalousie de Richelieu contre Châteauneuf paraît aussi dans cet endroit des _Mémoires_ de La Porte, _ibid._, p. 322: «Le cardinal m'interrogea fort sur ce que faisoit la reine, si M. de Châteauneuf alloit souvent chez elle, s'il y étoit tard, et s'il n'alloit pas ordinairement chez Mme de Chevreuse.» Ailleurs encore La Porte raconte que le cardinal le questionnait beaucoup «sur la conduite de Mme de Chevreuse et de M. de Châteauneuf.» «Mme de Chevreuse[136] se plaint à M. de Châteauneuf de son serviteur qui a si peu d'assurance en la générosité et amitié de son maître, et fait bien pis quand il demande si Mme de Chevreuse le néglige pour l'avoir promis au cardinal. Vous avez tort d'avoir eu cette pensée, et l'âme de Mme de Chevreuse est trop noble pour qu'il y entre jamais de lâches sentiments. C'est pourquoi je ne considère non plus la faveur du cardinal que sa puissance, et je ne ferai jamais rien d'indigne de moi pour le bien que je pourrois tirer de l'une ni pour le mal que pourroit me faire l'autre. Croyez cela si vous voulez me faire justice. Je vous la rendrai toute ma vie, et souhaite que vous y ayez de l'avantage, car je prendrai grand plaisir à vous contenter et j'aurai grand'peine à vous déplaire. Voilà, en conscience, mes sentiments, et vous n'en avez point si vous manquez jamais à votre maître. [136] Disons une fois pour toutes que, dans l'original, Mme de Chevreuse est désignée par le no 28, Châteauneuf par le no 38, le cardinal par le no 22, Louis XIII par le no 23, la reine Anne par le no 24, M. de Chevreuse par le no 57, etc. «Mme de Chevreuse a vu le cardinal, qui a demeuré deux heures chez la Reine. Il lui a fait des compliments inimaginables et dit des louanges extraordinaires devant Mme de Chevreuse, à qui il a parlé fort froidement, affectant une grande négligence et indifférence pour elle qui l'a traité à son accoutumé sans faire semblant de s'apercevoir de son humeur. Sur une picoterie qu'il lui a voulu faire, Mme de Chevreuse l'a raillé jusqu'à en venir au mépris de sa puissance. Cela l'a plus étonné que mis en colère, car alors il a changé de langage et s'est mis dans des civilités et humilités grandes. Je ne sais si ç'a été qu'en la présence de la reine il n'a pas voulu montrer de mauvaise humeur, ou bien pour ne vouloir pas se brouiller avec Mme de Chevreuse. Demain je dois le voir à deux heures. Je vous manderai ce qui se passera. Soyez assuré que Mme de Chevreuse ne sera plus au monde lorsqu'elle ne sera plus à vous.» «Je crois que je suis destinée pour l'objet de la folie des extravagants. Le cardinal me le témoigne bien; mais quelque peine que nous donne sa mauvaise humeur, je n'en suis pas si affligée que de celle de 37[137], qui, sans s'arrêter à ma prière ni aux considérations que je lui ai représentées, veut aller où est Mme de Chevreuse, et dit qu'il n'y a rien qui l'en puisse empêcher, encore même que Mme de Chevreuse ne le veuille pas de peur de fâcher le cardinal s'il le découvroit. Je vous avoue que le discours de 37 m'a très affligée, car je ne le saurois souffrir. Je suis bien marrie que 37 m'ait donné tant de sujets de le fâcher après m'en avoir tant donné de me louer de lui. Je suis résolue de ne pas le voir s'il vient contre ma volonté, et même de ne pas recevoir ses lettres s'il ne se repent pas de la façon dont il parle à Mme de Chevreuse, qui ne peut souffrir ce langage d'âme du monde que de vous.» [137] Quel est l'adorateur importun caché sous ce chiffre? N'est-ce pas le comte de Brion? Voyez plus bas, p. 101, 102, 107, 109. «Mme de Chevreuse n'a point eu de nouvelles du cardinal. S'il est aussi aise de n'ouïr point parler de moi comme je le suis de n'ouïr plus parler de lui, il est bien content, et moi hors de la persécution dont le temps et notre bon esprit nous délivreront. «La tyrannie du cardinal s'augmente de moments en moments. Il peste et enrage de ce que Mme de Chevreuse ne va pas le voir. Je lui avois écrit deux fois avec des compliments dont il est indigne, ce que je ne lui eusse jamais rendu sans la persécution que M. de Chevreuse m'a faite pour cela, me disant que c'étoit acheter le repos. Je crois que les faveurs du roi ont mis au dernier point sa présomption. Il croit épouvanter Mme de Chevreuse de sa colère, et se persuade, à mon opinion, qu'il n'y a rien qu'elle ne fît pour l'apaiser; mais elle aime mieux se résoudre à périr qu'à faire des soumissions au cardinal. Sa gloire m'est odieuse. Il a dit à mon mari que mon humeur étoit insupportable à un homme de cœur comme lui, et qu'il étoit résolu de ne me plus rendre aucun devoir particulier, puisque je n'étois pas capable de donner à lui seul mon amitié et ma confiance. C'est vous seul que je veux qui sache ceci. Ne faites pas semblant à M. de Chevreuse de le savoir. Il a eu une petite brouillerie avec moi à cause qu'il a été si intimidé par l'insolence du cardinal qu'il m'a voulu persécuter pour que je l'endure bassement. J'estime tant votre courage et votre affection que je veux que vous sachiez tous les intérêts de Mme de Chevreuse. Elle se fie si entièrement en vous qu'elle tient ses intérêts aussi chers entre vos mains qu'aux siennes. Aimez fidèlement votre maître, et quelque persécution qu'on puisse lui faire, croyez qu'il se montrera toujours digne de l'être par toutes ses actions. «Je ne vous fais point d'excuse de ne vous avoir pas écrit aujourd'hui, mais je veux que vous croyiez que je n'ai pas laissé de songer souvent à vous, quoique mes lettres ne vous l'aient pas témoigné. Je ne vous saurois bien représenter l'entrevue du cardinal et de Mme de Chevreuse qu'en vous disant qu'il témoigne à votre maître autant de passion que Mme de Chevreuse en a cru autrefois dans le cœur de 33[138]; mais comme Mme de Chevreuse l'a toujours estimée véritable là, elle la croit fausse en celui du cardinal, qui dit n'avoir plus de réserve pour elle, voulant faire absolument tout ce qu'elle ordonnera, pourvu qu'elle vive en sorte avec lui qu'il se puisse assurer d'être en son estime et confiance par-dessus tout ce qui est sur la terre... Celui qui m'avoit promis de me dire des nouvelles fut hier ici, mais fort triste, et deux ou trois fois il me sembla qu'il me vouloit parler, dont je lui donnai assez moyen; mais il fut muet, et à moins de deviner, je ne saurois rien connoître de ses sentiments. Dès que j'en saurai la vérité, vous ne l'ignorerez pas, et j'en userai avec lui et avec tout autre comme je vous ai promis, soyez-en sûr, et que jamais les promesses du cardinal ne m'ébranleront. Est-il besoin que je vous assure de cela? Seroit-il possible que vous en eussiez seulement soupçon? Je serois au désespoir si je le croyois; mais j'ai trop bonne opinion de vous pour ne vivre pas certaine que vous ne l'avez pas mauvaise de moi. [138] Le duc de Lorraine ou le comte de Holland. «Je suis désespérée de ce que le cardinal a mandé à Mme de Chevreuse ce soir. Il lui a envoyé un exprès pour la conjurer de deux choses: la première, de ne point parler à Brion (François Christophe de Levis, comte de Brion, un des favoris du duc d'Orléans, le futur duc de Damville); la seconde de ne point voir M. de Châteauneuf; en ce dernier seul est ma peine. Toutefois, ma résolution de témoigner mon affection à M. de Châteauneuf est plus forte que toute la considération du cardinal. C'est pourquoi j'ai mandé au cardinal que je ne me pouvois pas défendre des prières que M. de Chevreuse me fait de voir M. de Châteauneuf pour mille affaires qu'il a. La plus grande que j'aye est de me revenger des obligations que j'ai à M. de Châteauneuf, à qui je suis plus véritablement que toutes les personnes du monde. «Il n'y a pas de divertissement ni de lassitude capable de m'empêcher de penser à vous et de vous en donner des marques. Ces trois lignes sont une preuve de cette vérité, et je veux qu'elles vous servent d'assurance d'une autre, qui est que si M. de Châteauneuf est aussi parfait serviteur en effets qu'en paroles, Mme de Chevreuse sera plus reconnaissant maître en ses actions qu'en ses discours. «Je ne doute pas de la peine où vous êtes, et vous proteste que Mme de Chevreuse la partage bien s'en croyant la cause. Mandez-moi comment je vous pourrai voir sans que le cardinal le sache, car je ferai tout ce que vous jugerez à propos pour cela, souhaitant passionnément de vous entretenir, et ayant bien des choses à vous dire qui ne se peuvent pas bien expliquer par écrit, surtout touchant 37[139] et le cardinal, mais du dernier beaucoup davantage, l'ayant vu ce soir et trouvé plus résolu à persécuter Mme de Chevreuse que jamais. Il est sorti bien d'avec elle; mais jamais elle ne l'a trouvé comme aujourd'hui, si inquiet, et des inégalités telles en ses discours que souvent il se désespéroit de colère, et en un moment s'apaisoit et étoit dans des humilités extrêmes. Il ne peut souffrir que Mme de Chevreuse estime M. de Châteauneuf, et ne sauroit l'empêcher, je vous le promets, mon fidèle serviteur, que j'appelle ainsi parce que je le crois tel. Adieu, il faut que je vous voye à quelque prix que ce soit. Faites-moi réponse et prenez garde au cardinal, car il épie Mme de Chevreuse et M. de Châteauneuf, en qui Mme de Chevreuse se fie comme à elle-même. [139] Voyez plus haut, p. 99. «Il est vrai que je voudrois avoir donné de ma vie et vous avoir vu hier. Je sortis le soir et faillis aller pour cela chez votre sœur (Élisabeth de L'Aubespine, qui avait épousé André de Cochefilet, comte de Vaucellas). Si le cardinal vous parle de la visite de Mme de Chevreuse, dites que ce fut pour l'affaire de la princesse de Guymené (belle-sœur de Mme de Chevreuse); mais je veux que vous lui témoigniez être mal satisfait de votre maître et le mépriser. Je sais que vous aurez de la peine en cela. Toutefois vous m'obéirez parce qu'il est absolument nécessaire. C'est pourquoi je vous le recommande. Prenez-y occasion bien adroitement, et n'envoyez pas chez moi. Vous aurez souvent de mes nouvelles, et toute ma vie des preuves de mon affection. Je serai aujourd'hui où vous allez. «Encore que je me porte mal, je ne veux pas laisser de vous dire comme s'est passée la visite de Mme de Chevreuse au cardinal. Il lui a parlé de sa passion qu'il dit être au point de lui avoir causé son mal par le déplaisir du procédé[140] de Mme de Chevreuse avec lui. Il s'est étendu en de longs discours de plainte de la conduite de Mme de Chevreuse, surtout touchant M. de Châteauneuf, concluant qu'il ne pouvoit plus vivre dans les sentiments où il est pour Mme de Chevreuse, si elle ne lui témoignoit d'être en d'autres pour lui que par le passé; à quoi Mme de Chevreuse a répondu qu'elle avoit toujours essayé de donner sujet au cardinal d'être satisfait d'elle, et qu'elle vouloit lui en donner plus que jamais. Le cardinal a pressé au dernier point Mme de Chevreuse pour savoir comment M. de Châteauneuf étoit avec elle, disant que tout le monde l'y croyoit en une intelligence extrême, ce que j'ai absolument désavoué. Je ne vous en veux dire davantage à cette heure, mais croyez que je vous estime autant que je le méprise, et que je n'aurai jamais de secret pour M. de Châteauneuf ni de confiance pour le cardinal. [140] Dans le texte, _procédure_ qui était alors le mot usité. «Je vous confirme la promesse que je vous fis de la dernière religion. Si j'en ai fait quelque difficulté, ce n'est pas que j'aye changé de volonté depuis, mais ç'a été pour voir si vous étiez bien ferme dans la vôtre. Il est vrai en cette occasion que vous me priez de ce que je désire pour vous rendre plus coupable si vous y manquez, et moi plus excusable en ce que j'aurai fait. «Pourvu que votre affection soit aussi parfaite que la bague que vous m'envoyez, vous n'aurez jamais sujet de rougir pour avoir fait un mauvais présent à votre maître, ni de l'avoir reçu. «Je veux partager avec vous le regret que vous avez de vous éloigner sans me voir. J'ai plus de haine de la tyrannie du cardinal que vous, mais je la veux surmonter et non pas m'en plaindre, puisque le premier sera un effet de courage et le dernier seroit un acte de foiblesse. Jamais je n'eus tant d'envie de vous entretenir qu'à cette heure. Le cardinal jure que Mme de Chevreuse sera mal avec vous dans peu, que M. de Châteauneuf n'aime pas Mme de Chevreuse et en fait des railleries avec 47 (dame inconnue, peut-être Mme de Puisieux, que Châteauneuf avait longtemps aimée). Pour ce qui la regarde, je me moque de cela; je crois M. de Châteauneuf fidèle et affectionné pour moi et le serai toute ma vie pour lui, pourvu que, comme il a mérité que j'aye pris cette bonne opinion de lui, il ne se rende pas digne que je la perde. Je suis au désespoir de ne pouvoir vous envoyer aujourd'hui la peinture de Mme de Chevreuse, que je vous ai promise. «Vous vous obligez à beaucoup; mais il faut que vous sachiez que la moindre faute est capable de me fâcher extrêmement. C'est pourquoi prenez garde à ce que vous promettez. Cela seroit déshonorant[141] pour vous si vos actions n'étoient conformes à vos paroles et honteux à moi de le souffrir. Je vous dis encore un coup que vous ne vous engagiez pas tant, si vous n'êtes bien assuré de ne manquer jamais à rien. Je m'obligerai de peu tant que je ne me serai pas attendue à tout; mais quand vous me l'aurez promis, et que je l'aurai reçu, je ne serai plus satisfaite de vous si j'y remarque la moindre réserve. [141] Dans le texte, _déshonorable_ que l'analogie donne naturellement en opposition à _honorable_. «Je vous conseille, ne pouvant pas encore dire que je vous commande et ne voulant plus dire que je vous prie, de porter le diamant que je vous envoye, afin que voyant cette pierre, qui a deux qualités, l'une d'être ferme, l'autre si brillante qu'elle paroît de loin et fait voir les moindres défauts, vous vous souveniez qu'il faut être ferme dans vos promesses pour qu'elles me plaisent, et ne point faire de fautes pour que je n'en remarque point. «Le cardinal est en meilleure humeur qu'il n'avoit été depuis son retour pour Mme de Chevreuse. Il m'a écrit ce soir qu'il étoit en des peines extrêmes de mon mal, que toutes les faveurs du roi ne le touchoient point en l'état où j'étois, et que la gayeté que M. de Châteauneuf avoit aujourd'hui a ôté l'opinion qu'il aime Mme de Chevreuse, à qui il a dit sa maladie sans que cela l'ait touché, et que si Mme de Chevreuse avoit vu sa mine, elle le croiroit le plus dissimulé ou le moins affectionné homme du monde, ce qui l'obligeroit à ne l'aimer jamais ou à ne jamais le croire. Sur cela, Mme de Chevreuse promet à M. de Châteauneuf que, ne se gouvernant pas par les avis du cardinal, elle fera les deux, l'aimant et le croyant toujours. «Je crois que M. de Châteauneuf est absolument à Mme de Chevreuse, et je vous promets qu'éternellement Mme de Chevreuse traitera M. de Châteauneuf comme sien. Quand toute la terre négligeroit M. de Châteauneuf, Mme de Chevreuse le saura toute sa vie si dignement estimer que, s'il l'aime véritablement comme il dit, il aura sujet d'être content de sa fortune, car toutes les puissances de la terre ne sauroient me faire changer de résolution. Je vous le jure, et je vous commande de le croire et de m'aimer fidèlement. «Hier au soir le cardinal envoya savoir des nouvelles de Mme de Chevreuse et lui écrivit qu'il mouroit d'envie de la voir, qu'il avoit bien des choses à lui dire, étant plus que jamais à Mme de Chevreuse, qui fait peu de cas de cette protestation et beaucoup de celle que M. de Châteauneuf lui a faite d'être absolument à elle. Demain, je vous en dirai davantage. Aimez toujours votre maître, il se porte mal et n'est sorti ces deux jours que par contrainte; mais en quelque état qu'il puisse être et quoi qu'il lui puisse jamais arriver, il mourra plutôt que de manquer à ce qu'il vous a promis. «Hier, à six heures du soir, le cardinal de La Valette vint voir Mme de Chevreuse de la part du cardinal de Richelieu. Il lui parla avec douleur et soumission en faveur de son maître. Ensuite de cela il fit force admirations de Mme de Chevreuse et mille galanteries à sa mode qui sont des sottises à la mienne. J'ai répondu fort civilement et froidement. 37 est au désespoir; il dit qu'il veut se perdre puisque Mme de Chevreuse ne le veut pas voir, qu'il lui seroit à charge toute sa vie qu'il n'a jamais chérie que pour ce qu'il croyoit qu'elle pourroit un jour être agréable et utile à Mme de Chevreuse, qu'en ayant perdu l'espérance à cette heure il avoit perdu l'envie de vivre, et que ce sera la dernière importunité que j'aurai de lui. J'espère que votre affection est à l'épreuve de tout. Je vous demande cette grâce et vous promets que tant que Mme de Chevreuse vivra, vous en recevrez d'elle. Cette lettre est écrite dès hier. Depuis, le cardinal de La Vallette m'a fait écrire mille compliments de la part du cardinal de Richelieu. «Il n'y a plus moyen de dire autre chose pour le diamant; mais quoique le cardinal soupçonne Mme de Chevreuse, ou elle lui en ôtera l'opinion, ou elle lui en donnera une autre, qui est que toutes ses prospérités ne sont pas capables d'assujettir Mme de Chevreuse jusqu'au point de dépendre de ses humeurs s'il en prend d'extravagantes pour elle. Ne vous inquiétez pas de cette affaire, mais bien de la santé de votre maître qui est fort mauvaise et l'arrête au lit, puisque, si vous le perdiez, vous n'en trouverez jamais un pareil en fidélité et affection. «Je n'ai pas moins d'envie de vous voir que vous de m'entretenir, mais je suis en peine comment en trouver les moyens, car il ne faut pas que le cardinal sache que nous nous sommes vus, si on ne le veut mettre hors des gonds. Mandez-moi donc comment il faut faire pour que je vous voye sans que le cardinal le puisse savoir. «Je vous commanderai toujours, hors cette fois que je vous demande une grâce qui est la plus grande que vous me puissiez faire, c'est que M. de Châteauneuf ne doute jamais de Mme de Chevreuse et s'assure qu'il ne perdra jamais les bonnes grâces de son maître que Mme de Chevreuse ne perde la vie, ce qu'elle auroit regret qui arrivât avant d'avoir prouvé à M. de Châteauneuf combien il est estimé de Mme de Chevreuse, encore que ce soit plus qu'elle ne lui a promis. Mais un bon maître ne sauroit craindre de faillir en obligeant son serviteur, quand il se témoigne plein de fidélité et d'affection. Le cardinal veut persuader à Mme de Chevreuse qu'il a le cœur rempli de tous les deux pour elle qui ne croit pas ses paroles. Je donnerois de ma vie pour vous entretenir, mais je ne sais comment faire, car il ne faut pas que le cardinal puisse le savoir. Parlez-en avec le porteur pour en trouver les moyens, et croyez qu'il n'y a que la mort qui me puisse ôter les sentiments où je suis pour vous. «Jamais il n'y eut rien de pareil à l'extravagance du cardinal. Il a envoyé à Mme de Chevreuse et lui a écrit des plaintes étranges. Il dit qu'elle a perpétuellement raillé avec Germain (lord Jermin, agent et ami très-particulier de la reine d'Angleterre), afin qu'il dît en son pays le mépris qu'elle faisoit de lui, qu'il sait assurément que Mme de Chevreuse et M. de Châteauneuf sont en intelligence, et que vos gens ne bougent de chez moi, que je reçois Brion à cause qu'il est son ennemi pour lui faire dépit, que tout le monde dit qu'il est amoureux de moi, qu'il ne sauroit plus souffrir mon procédé. Voilà l'état où est le cardinal. Mandez-moi ce que vous apprendrez de cela, et ne faites semblant d'en rien savoir. Je verrai le cardinal ici et vous ferai savoir ce qui se passera. Croyez que, quoi qu'il puisse arriver à votre maître, il ne fera rien d'indigne de lui ni qui vous doive faire honte d'être à lui. Je me porte un peu mieux, et plus résolue que jamais d'estimer M. de Châteauneuf jusqu'à la mort comme je vous l'ai promis.» Et ce n'était pas là un pur commerce de galanterie: il y avait dessous une intrigue politique très-compliquée. Le duc d'Orléans venait de nouveau de quitter la France, et on s'agitait autour de lui pour lui persuader de ne pas rester en Lorraine et à Bruxelles, et d'aller chercher, avec la reine sa mère, un asile auprès de sa sœur en Angleterre. Pour cela, il fallait changer le ministère anglais et renverser le grand trésorier attentif à maintenir la paix avec la France et à éviter tout motif de querelle et de guerre entre les deux pays. Une cabale puissante conspirait sa perte, et à la tête de cette cabale était ou passait pour être la reine Henriette, et à la suite de la reine lord Holland, ennemi personnel du grand trésorier, lord Montaigu et le commandeur de Jars, serviteurs dévoués et chevaleresques de la belle Henriette. On a peine à comprendre aujourd'hui comment un homme d'État tel que Châteauneuf a pu s'engager dans une entreprise aussi contraire à ses intérêts qu'à ses devoirs; mais Mme de Chevreuse avait réussi à faire passer dans l'esprit du garde des sceaux cette opinion alors très-spécieuse, qui plus tard a entraîné le politique et réfléchi duc de Bouillon, et qui était à Mme de Chevreuse le fond de ses espérances et le ressort de toute sa conduite: Louis XIII et Richelieu ont un pied dans la tombe; le premier des deux qui mourra emportera l'autre; l'avenir appartient donc au duc d'Orléans, qui déjà est presque roi, à la reine Anne, à la reine mère, qui ont pour eux l'Empire, l'Angleterre et l'Espagne; attendons et préparons cet infaillible avenir, et gardons-nous de nous donner à un homme dont la destinée est si précaire. Quel ne fut pas le courroux du superbe et impérieux cardinal lorsqu'il apprit qu'il avait été ainsi joué par une femme et trahi par un ami! Sa vengeance s'appesantit sur l'infidèle garde des sceaux. Il le tint enfermé dans le château fort d'Angoulême pendant dix longues années. Le frère de Châteauneuf, le marquis d'Hauterive, put à peine se sauver à la faveur de la nuit et se réfugier en Hollande. On s'empara de son neveu, le marquis de Leuville, qu'on garda longtemps en prison; on jeta à la Bastille le commandeur de Jars, ami particulier du garde des sceaux, et dont on avait saisi des lettres fort équivoques; on lui fit son procès à Troyes; il fut condamné à avoir la tête tranchée pour crime de correspondance avec l'étranger, et, comme nous l'avons dit, il ne reçut sa grâce que sur l'échafaud. Par un étrange contraste, Mme de Chevreuse, ménagée par Richelieu dans un reste d'espérance, n'eut pas d'autre punition que de se retirer à Dampierre, avec l'ordre de ne point revenir à Paris sans la permission du roi. Le cardinal croyait avoir besoin d'elle pour les affaires de Lorraine, où déjà son influence sur le duc Charles avait été fort utile, et pouvait l'être encore dans les nouvelles et difficiles négociations qui aboutirent au traité du 6 septembre 1633. Charles IV était alors plus engagé que jamais contre Richelieu: en favorisant le mariage du duc d'Orléans avec sa sœur Marguerite, il s'était comme enchaîné à la cause du duc et de la reine mère, et poussé par eux il avait rassemblé des troupes et fait des mouvements qui avaient contraint le cardinal, pour l'occuper chez lui et l'empêcher de se joindre à l'armée impériale, de lui jeter les Suédois sur les bras. Mais Charles IV avait les qualités de ses défauts: il soutenait ses téméraires entreprises de la plus brillante valeur et d'une vraie capacité militaire; il avait fait essuyer plus d'un échec aux Suédois, et il pouvait sortir de là des complications redoutables. Il importait à la France d'être tranquille du côté de la Lorraine, pour disposer librement de ses forces en Allemagne au service de ses alliés et en Flandre contre les Espagnols. Il s'agissait d'amener le duc Charles à désarmer en même temps que les Suédois, en donnant des sûretés bien plus grandes qu'aux précédents traités, en remettant même Nancy en dépôt provisoire entre nos mains. Pour persuader Charles IV, Richelieu avait, ce semble, une raison bien suffisante, l'impossibilité de toute résistance, une puissante armée française étant déjà dans le cœur de la Lorraine et maîtresse de toutes les places fortes. Le cardinal donna-t-il à Mme de Chevreuse la tâche ingrate de seconder et d'adoucir la nécessité[142]? Du moins il est certain que, grâce à une protection qui ne pouvait être désintéressée, Mme de Chevreuse put demeurer quelque temps à Dampierre avec son mari et ses enfants. Mais elle ne s'y amusait guère. La reine aussi ne s'amusait pas davantage dans sa prison du Louvre. Les deux nobles amies avaient besoin de se voir pour soulager leurs peines en s'en entretenant, et vraisemblablement aussi pour aviser aux moyens de les faire cesser. Plus d'une fois le soir, à l'ombre naissante, Mme de Chevreuse vint à Paris, s'introduisit furtivement au Val-de-Grâce, saint monastère dans le faubourg Saint-Jacques où se retirait souvent Anne d'Autriche; elle y voyait quelques moments la reine, et au milieu de la nuit s'en retournait à Dampierre. Bientôt on découvrit ou on soupçonna ces visites clandestines, et on exila de nouveau Mme de Chevreuse, non pas comme la première fois hors de France, où son activité et son influence eussent été bien plus redoutables, mais à cent lieues de la cour et de la reine, en Touraine, dans une terre de son premier mari. [142] M. d'Haussonville, si bien informé, ne donne aucun rôle à Mme de Chevreuse ni dans le traité de Liverdun en 1632 ni dans celui de 1633. Le passage suivant de La Porte prolonge pourtant jusqu'en 1633 l'influence diplomatique de Mme de Chevreuse, puisqu'il la place après l'arrestation de Châteauneuf qui est du 25 février de cette année. Avouons toutefois que les détails contenus dans ce passage se rapportent au traité de Vic conclu le 6 janvier 1632; nous ne le donnons pas moins ici parce qu'il montre quels étaient, soit en 1633, soit en 1632, les sentiments de Mme de Chevreuse et aussi ceux de la reine, et à quel point celle-ci s'affligeait des succès de Richelieu, alors même que ces succès profitaient à la France. _Ibid._, p. 327: «M. de Châteauneuf fut envoyé à Angoulême, qu'on lui donna pour prison, et où il demeura toujours depuis jusqu'à la fin du ministère. Pour Mme de Chevreuse, elle demeura à la cour à cause du besoin qu'en avoit le cardinal pour ses affaires en Lorraine; car le duc de Lorraine, excité par Monsieur, ayant voulu faire quelques mouvements, la peur qu'on eut qu'ils n'attirassent l'Empereur dans leur parti fit qu'on suscita les Suédois qui étoient en Allemagne et qu'on les fit entrer en Lorraine. Le duc leva aussitôt une belle armée pour s'opposer à cette invasion; mais le roi, pour le désarmer sans coup férir, lui envoya l'abbé Du Dorat, qui étoit à M. de Chevreuse; et Mme de Chevreuse même, quoique cette négociation ne lui plût pas, cependant, pour montrer son zèle à M. le cardinal, agit dans cette affaire contre ses propres sentiments, ne croyant pas le duc de Lorraine si facile; mais elle fut trompée, car l'abbé Du Dorat ayant trouvé cette altesse à Strasbourg avec son armée, fit si bien qu'il l'engagea à la licencier, et l'abbé en eut pour récompense la trésorerie de la Sainte-Chapelle. Cependant le roi, qui ne s'attendoit pas à cela, partit pour Metz, et étant à Château-Thierry il m'envoya avec des lettres de Mme de Chevreuse trouver à Nancy M. le duc de Vaudemont... A mon retour je trouvai le roi à Châlons, et de là je suivis la cour à Metz, où l'on apprit que le duc de Lorraine avoit licencié ses troupes. Cette nouvelle fâcha fort la reine et Mme de Chevreuse, qui pourtant n'en témoignèrent rien; mais la reine ne put s'empêcher de lui reprocher sa folie d'une plaisante manière: elle me commanda de faire un _tababare_ ou bonnet à l'anglaise, de velours vert, chamarré de passements d'or, doublé de panne jaune, avec un bouquet de fleurs vertes et jaunes, et de le porter de sa part au duc de Lorraine. C'étoit un grand secret, car si le roi et le cardinal l'eussent sçu, quelques railleries qu'elles en eussent pu faire, ils eussent bien vu leur intention. J'allai donc en poste à Nancy trouver cette altesse, à qui ayant demandé à parler, on me fit entrer dans sa chambre, et m'ayant reconnu il imagina bien que j'avois quelque chose de particulier à lui dire; il me prit par la main et me mena dans son cabinet, où je lui donnai la lettre que la reine lui écrivoit. Pendant qu'il la lut, j'accommodai le bonnet avec les plumes, et je lui dis ensuite que la reine m'avoit commandé de lui donner cela de sa part; il le mit sur sa tête, se regarda dans un miroir, et se mit à rire... Il fit réponse, et je retournai à Metz, où je trouvai la reine en grande impatience de savoir comment son présent avoit été reçu.» Qu'on juge du mortel ennui qui dut accabler la belle et vive duchesse, ensevelie jeune encore dans le fond d'une province, loin de toutes les émotions qui lui étaient devenues nécessaires, loin de toute intrigue de politique et d'amour. Elle resta en Touraine près de quatre années, depuis la fin de 1633 jusqu'au milieu de 1637. C'était pour elle un divertissement fort médiocre de tourner la vieille tête de l'archevêque de Tours, Bertrand d'Eschaux[143]; et, pour se soutenir, elle avait grand besoin des visites de plus jeunes adorateurs: il ne manqua pas de s'en présenter. [143] La Rochefoucauld, _ibid._, p. 355. Cet archevêque devait avoir alors plus de quatre-vingts ans, car on lit dans la _Gazette_ de l'an 1641, no 619, p. 315: «Le sieur d'Eschaux, archevêque de Tours, ci-devant évêque de Bayonne, et premier aumônier du roi, âgé de quatre-vingt-six ans, est mort le 21 mai en son palais archiépiscopal de Tours.» Lord Montaigu et le comte de Craft, envoyés en France par le roi et la reine d'Angleterre, passèrent à Paris la fin de l'année 1634. Les plaisirs de la cour, dans l'épuisement du trésor, et avec la guerre qui tenait éloignée la fleur de la noblesse française, n'étaient point assez vifs pour faire oublier aux deux gentilshommes anglais celle qu'ils avaient vue autrefois à Londres dans tout l'éclat de la beauté et de la puissance, et ils vinrent l'un après l'autre en Touraine consoler la belle exilée. Mme de Chevreuse coquetta beaucoup avec Craft, et peut-être parce que le jeune comte lui était agréable dans sa solitude, et aussi parce qu'elle mettait du prix à s'attacher un gentilhomme qui avait toute la confiance de la reine Henriette et une assez grande importance à la cour d'Angleterre. Elle y réussit parfaitement, et Craft ne la quitta, en février 1635, qu'avec le plus ardent enthousiasme pour sa beauté, son esprit et son courage. Il épanche sa jeune admiration dans les lettres passionnées qu'il lui adresse de Calais et de Londres[144]. Il lui sacrifie toutes les femmes qu'il rencontre. Il ne voit plus autour de lui que faiblesse et bassesse en comparaison des nobles sentiments et de la grandeur d'âme dont il emporte avec lui l'image. Il est résolu à tout braver pour conserver l'estime de sa belle amie; cette estime lui est le premier de tous les biens, et il ne demande à être traité que selon ce qu'elle lui verra faire. Était-ce un second Chalais que venait d'acquérir Mme de Chevreuse? Grâce à Dieu, celui-là ne fut pas mis aux mêmes épreuves que le premier. [144] Nous avons trouvé ces lettres de Craft dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fond françois no 9241, in-fol.; au dos: _Choses diverses_; à la garde: «Lettres curieuses interceptées du cardinal infant et des ministres d'Espagne, adressées à la roine, à Mme de Chevreuse, Mme du Fargis et autres personnes considérables en ce temps-là, pendant le ministère du cardinal de Richelieu, venues après sa mort de son cabinet; et quelques dépêches durant le courant de l'année 1639, venant du même lieu, tant du roi que dudit cardinal, adressées à M. l'archevêque de Bourdeaux, etc.» Il y a six lettres de Craft à Mme de Chevreuse. En voici un extrait.--_Première lettre_: De Calais, 5 février 1635. Le mauvais temps l'arrêtant à Calais, il lui écrit avant de s'embarquer. Il ne voit rien au monde digne d'une pensée que Mme de Chevreuse. «Il va en son païs avec cette opinion et ne la changera jamais. Il aimeroit mieux mourir pour elle que vivre et jouir de toutes les choses qu'il peut avoir en ce monde, sans la bonne opinion de Mme de Chevreuse. Il a pris la résolution de ne jamais rien faire qui méritât le contraire de cette bonne opinion; car son âme et son cœur est tout à elle, et son pauvre serviteur la prie de les garder jusqu'à ce que ses actions l'en rendent indigne.»--_Deuxième lettre_ non datée: «Le seul contentement qu'il ait en son absence est de regarder son portrait, ce qu'il fait souvent, et ne verra rien autre chose avec plaisir jusqu'à ce qu'il la revoye. C'est la seule chose au monde pourquoi il a plaisir de vivre, qui lui fera mépriser toute autre considération, et le dispose à se rendre digne d'elle, qu'il adorera toute sa vie de tout son cœur et de toute son âme.»--_Troisième lettre._ Il est enfin arrivé à Calais. Il ne veut pas l'importuner en lui racontant la peine qu'il a eue pour y venir; seulement il veut la supplier de continuer sa bonne opinion de lui. Le temps fera voir que la passion qu'il a pour elle est plus grande qu'il ne le peut exprimer. «Il ne désire autre usage d'elle qu'elle le croira mériter par ses actions (_sic_).»--_Quatrième lettre._ «Il est à cette heure sur le bord de la mer, avec un temps contraire qui lui fait craindre d'y demeurer longtemps sans partir. Si c'étoit au retour, le temps l'ennuieroit bien, mais, comme il est, toutes choses et lieux lui sont semblables... Il la prie de lui mander ce que N. (serait-ce Montaigu?) lui aura dit de lui et s'il a quelque soupçon de leur amitié, laquelle de son côté ne diminuera jamais. Il appréhende plus que jamais son païs, «ne pouvant espérer de voir aucune chose qui lui puisse porter de contentements. La seule chose qui lui reste pour le consoler est l'espérance qu'elle continuera ce qu'elle lui a promis; possédant cela, il méprisera toute autre chose au monde, etc.»--_Cinquième lettre._ Il est arrivé hier à Londres... «Il n'a jamais été si bien traité par N. (serait-ce la reine d'Angleterre?) ni mieux reçu. _Elle_ lui a demandé forces nouvelles de Mme de Chevreuse et de $ (serait-ce la reine Anne?) et si l'amitié continuoit si grande entre eux. Elle croit qu'il est amoureux ou de $ ou de Mme de Chevreuse, mais ne peut dire laquelle. Mme de Chevreuse doit lui avoir moins d'obligation que jamais de la passion qu'il a pour elle, car tout le monde ici est si bas et si méprisable, qu'il n'a contentement ni bien que quand la nuit vient pour être seul et penser à Mme de Chevreuse. Il a manqué être noïé en passant la mer; il a été trois jours et trois nuits entre Douvres et Calais en la plus grande tempête qui ait jamais été... Tout le monde ici est si plein de bassesse qu'il n'ose avoir familiarité avec personne, mais se console en lui-même en aimant Mme de Chevreuse, et en méprisant toutes choses ici, jusques aux plus considérées et adorées en ce païs... Il croit que l'honneur et la vraie générosité du monde est réduite en elle et en son amitié. Ses actions lui témoigneront que toute sa vie sera employée à la mériter. Si elle veut lui en donner permission, il est prêt à retourner pour la voir, et il la conjure par toute son amitié de le lui permettre; en attendant il la supplie de lui mander de ses nouvelles pour le soulager. Il y a longtemps qu'il n'en a eu, ce qui lui donne peur; mais quand il considère ses promesses, il bannit de son esprit toutes ses craintes, et toutes autres, et n'aime et n'aimera jamais qu'elle.»--_Sixième lettre._ «Il lui donne des nouvelles de Londres. La comtesse de Carlisle a dit d'elle tant de mal qu'il a été obligé de lui dire «qu'elle étoit devenue si laide elle-même, que l'envie qu'elle portoit aux autres la fesoit parler comme cela.»--Les choses qu'il voit ici sont si peu considérables, qu'il la prie de croire «que tant plus il voit le monde, tant plus il ne voit qu'elle d'adorable, ce qui est cause qu'il ne pourra jamais vivre sans une grande passion pour elle. Il ne se peut consoler qu'en pensant qu'il n'y a rien au monde de digne qu'elle. Il ne désire être traité par elle que selon ses actions, etc.» Lord Montaigu était un tout autre homme que Guillaume de Craft; la politique l'occupait plus que la galanterie, bien qu'il les mêlât ensemble, selon le goût et les habitudes du temps. Ennemi de Richelieu, son grand objet était d'unir contre lui le duc de Lorraine, le duc de Savoie, l'Angleterre et l'Espagne. Le coup de main dont il avait été la victime en 1627, au lieu de l'intimider, n'avait fait que l'animer davantage, et il persévérait dans tous ses desseins. Il était parvenu à entretenir en secret au Val-de-Grâce Anne d'Autriche, pour laquelle, ainsi que pour la reine Henriette, il professait le dévouement le plus désintéressé. Il s'était aussi rendu en Touraine auprès de Mme de Chevreuse. La reine lui avait donné une lettre pour son amie, où elle lui disait qu'elle portait bien envie à Montaigu de pouvoir passer une heure avec elle, et plaisantait un peu le fidèle et courageux gentilhomme sur le sentiment qui l'entraînait vers les bords de la Loire. Voici la réponse qu'elle reçut[145]: «Cet excès de bonté qui vous fait désirer d'être une heure en ce lieu pour rendre heureux ceux qui y sont, me donne la liberté de répondre à la raillerie que vous faites à M. de Montaigu sur son séjour ici. J'avoue que c'est avec sujet que vous croyez que ce lui est un avantage d'être quelque temps à Tours, mais pour une raison bien différente de celle que vous en donnez: il est certain qu'il avoit besoin de n'être plus auprès de vous pour lui faire voir qu'il étoit encore mortel puisqu'il ne demeuroit pas toujours avec les anges. Si j'ai du crédit auprès d'eux, il sera bientôt en cette félicité; c'est à mon avis le plus grand bien qu'il sçauroit avoir, et non pas le moindre qui vous peut arriver[146]. Je ne m'ose flatter de l'espérance d'un tel bonheur pour moi, ni ne me lasse point de le souhaiter, mais je m'afflige bien de vous dire tant de fois, sans vous le témoigner une seule, que je suis parfaitement votre très humble et très obéissante servante, «M. DE ROHAN.» [145] Nous la tirons du même manuscrit qui contient les lettres de Craft. [146] Il y a là, ce semble, une indirecte allusion aux services que peut rendre Montaigu à la reine, dans leurs communs intérêts. C'est aussi vers ce temps-là que Mme de Chevreuse fit la connaissance de La Rochefoucauld. Il entrait alors dans le monde, et en vrai jeune homme il se jeta d'abord dans le parti des dames qui était celui de l'opposition[147]; il se prit d'un grand attachement pour la belle reine persécutée, et surtout pour sa charmante dame d'atours, Mme de Hautefort. Demeurant à Verteuil, près d'Angoulême, il n'était pas fort loin de Tours. La reine Anne, touchée, comme le sera plus tard Mme de Longueville, des apparences chevaleresques du jeune et brillant gentilhomme, lui donna toute sa confiance, et désira que Mme de Chevreuse et lui se connussent. «Nous fûmes bientôt, dit La Rochefoucauld[148], dans une très grande liaison... En allant et revenant j'étois souvent chargé par l'une ou par l'autre de commissions périlleuses.» Il ne s'agissait donc pas seulement entre la reine Anne et son ancienne surintendante d'un échange de compliments et de nouvelles de leur santé. Non: Mme de Chevreuse employait mieux son activité et ses loisirs; elle était le centre et le lien d'une correspondance mystérieuse entre la reine de France, le duc de Lorraine et le roi d'Espagne. [147] Sur La Rochefoucauld, ses premières impressions politiques, et sa conduite à cette époque de sa vie, voyez LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. IV, p. 294, etc. [148] _Mémoires_, _ibid._, p. 355. La reine se servait pour ce commerce secret de La Porte, un de ses valets de chambre en qui elle avait une absolue confiance qu'il justifia bien, comme on va le voir. Quelquefois la reine écrivait la nuit dans l'intérieur de ses appartements du Louvre; quelquefois elle se rendait au Val-de-Grâce, en apparence pour y faire ses dévotions, et elle y écrivait des lettres que la supérieure, Louise de Milley, la mère de Saint-Étienne, doublement dévouée à Anne d'Autriche et comme catholique et comme Espagnole[149], se chargeait de faire arriver à leur adresse. La reine croyait agir dans une ombre impénétrable, mais la police du soupçonneux cardinal était aux aguets. Un billet d'Anne à Mme de Chevreuse, confié par La Porte à un homme dont il se croyait sûr et qui le trahit, fut intercepté, La Porte arrêté, jeté dans un cachot de la Bastille, interrogé tour à tour par les suppôts les plus habiles du cardinal, Laffemas et La Poterie, par le chancelier Pierre Séguier et par Richelieu lui-même. En même temps le chancelier, accompagné de l'archevêque de Paris, se fit ouvrir les portes du Val-de-Grâce, pénétra dans la cellule de la reine, fouilla tous ses papiers, et interrogea la supérieure, la mère de Saint-Étienne, après lui avoir fait commander par l'archevêque de dire la vérité au nom de l'obéissance qu'il lui devait et sous peine d'excommunication. La reine en cette affaire eut beaucoup à souffrir, et courut les plus grands dangers. [149] _Gallia Christiana_, t. VIII, p. 584. La mère de Saint-Étienne fut abbesse de 1626 jusqu'au 13 août 1637, où elle fut forcée de donner sa démission, et remplacée par Marie de Burges, la mère de Saint-Benoît. Elle était née en Franche-Comté, et toute sa famille était au service de l'Espagne; son frère était même gouverneur de Besançon. Écoutons La Rochefoucauld, qui, ce semble, devait être parfaitement informé, puisqu'il était alors, avec Mme de Hautefort et Mme de Chevreuse, le confident le plus intime d'Anne d'Autriche: «On accusoit la reine d'avoir des intelligences avec le marquis de Mirabel, ministre d'Espagne... On lui en fit un crime d'État... Plusieurs de ses domestiques furent arrêtés, ses cassettes furent prises; M. le chancelier l'interrogea comme une criminelle; on proposa de la renfermer au Havre, de rompre son mariage et de la répudier. Dans cette extrémité, abandonnée de tout le monde, manquant de toutes sortes de secours et n'osant se confier qu'à Mme de Hautefort et à moi, elle me proposa de les enlever toutes deux et de les emmener à Bruxelles. Quelques difficultés et quelques périls qui parussent dans un tel projet, je puis dire qu'il me donna plus de joie que je n'en avois eu de ma vie. J'étois dans un âge où l'on aime à faire des choses extraordinaires et éclatantes, et je ne trouvois pas que rien le fût davantage que d'enlever en même temps la reine au roi son mari et au cardinal de Richelieu qui en étoit jaloux, et d'ôter Mme de Hautefort au roi qui en étoit amoureux. Heureusement les choses changèrent; la reine ne se trouva pas coupable, l'interrogatoire du chancelier la justifia, et Mme d'Aiguillon adoucit le cardinal de Richelieu[150].» Tout ce récit nous est un peu suspect. Nous ne pouvons croire que la reine ait eu la folle idée que lui prête La Rochefoucauld; il aura pris une plaisanterie pour une proposition sérieuse, et il la rapporte pour se donner, selon sa coutume, un air d'importance. Il n'était pas d'ailleurs, quoi qu'il en dise, assez hardi pour se charger d'une entreprise aussi téméraire, et nous le verrons très-circonspect en des occasions bien moins périlleuses. D'autre part l'interrogatoire du chancelier n'a point justifié la reine, et la reine ne s'est point trouvée innocente; loin de là, elle a été trouvée et elle-même s'est reconnue coupable, et c'est à ses aveux qu'elle dut le pardon qui lui fut accordé. Mme de Motteville le déclare formellement, bien entendu en défendant, comme à son ordinaire, l'innocence de sa maîtresse: «La reine, dit-elle[151], avoit été réduite à ce point de ne pouvoir obtenir de pardon qu'en signant de sa propre main qu'elle étoit coupable de toutes les choses dont elle étoit accusée, et elle le demanda au roi en des termes fort humbles et fort soumis... Chacun étoit dans cette croyance qu'elle étoit innocente. Elle l'étoit en effet autant qu'on le croyoit à l'égard du roi; mais elle étoit coupable, si c'étoit un crime d'avoir écrit au roi d'Espagne, son frère, et à Mme de Chevreuse. La Porte, domestique de la reine, m'a conté lui-même toutes les particularités de cette histoire. Il me les a apprises dans un temps où il étoit disgracié et mal satisfait de cette princesse, et ce qu'il m'en a dit doit être cru. Il fut arrêté prisonnier comme étant le porteur de toutes les lettres de la reine, tant pour l'Espagne que pour Mme de Chevreuse. Il fut interrogé trois fois dans la Bastille par La Poterie. Le cardinal de Richelieu le voulut interroger lui-même en présence du chancelier. Il le fit venir chez lui dans sa chambre, là où il fut questionné et pressé sur tous les articles sur quoi on désiroit de pouvoir confondre la reine. Il demeura toujours ferme sans rien avouer... refusant les biens et les récompenses qu'on lui promettoit, et acceptant plutôt la mort que d'accuser la reine de choses dont il disoit qu'elle étoit innocente. Le cardinal de Richelieu, admirant sa fidélité, et persuadé qu'il ne disoit pas vrai, souhaita d'être assez heureux pour avoir à lui un homme aussi fidèle que celui-là. On avoit surpris aussi une lettre en chiffres de la reine qu'on montra à cette princesse. Elle ne put qu'elle ne l'avouât, et, pour ne pas montrer de dissemblance, il fallut faire avertir La Porte de ce que la reine avoit dit, afin qu'il en fît autant. Ce fut en cette occasion que Mme de Hautefort, qui étoit encore à la cour, voulant généreusement se sacrifier pour la reine, se déguisa en demoiselle suivante pour aller à la Bastille faire donner une lettre à La Porte, ce qui se fit avec beaucoup de peine et de danger pour elle par l'habileté du commandeur de Jars, qui étoit encore prisonnier. Comme il étoit créature de la reine et qu'il avoit gagné beaucoup de gens en ce lieu-là, ils firent tomber la lettre entre les mains de La Porte. Elle lui apprenoit ce que cette princesse avoit confessé, si bien qu'étant tout de nouveau interrogé par Laffemas et menacé de la question ordinaire et extraordinaire même, il fit semblant de s'en épouvanter, et dit que si on lui faisoit venir quelque officier de la reine, homme de créance, il avoueroit tout ce qu'il savoit. Laffemas croyant l'avoir gagné, lui dit qu'il pouvoit nommer celui qu'il voudroit, et que sans doute on le lui feroit venir. La Porte demanda un nommé Larivière, officier de la reine, qu'il savoit être des amis de Laffemas, et dont il n'avoit pas bonne opinion, ce que cet homme accepta avec grande joie. Le roi et le cardinal firent venir ce Larivière. On lui commanda d'aller voir La Porte sans voir la reine, et gagné par les promesses qu'on lui fit, il s'engagea de faire tout ce qu'on voudroit. Il fut mené à la Bastille, et il commanda de la part de la reine à La Porte de dire tout ce qu'il savoit de ses affaires. La Porte fit semblant de croire que c'étoit la reine qui l'envoyoit, et lui dit, après bien des façons, ce que la reine avoit déjà avancé, et protesta n'en pas savoir davantage. Le cardinal de Richelieu fut alors confondu, et le roi demeura satisfait. La Porte, homme de bien et sincère, m'a assuré qu'ayant vu les lettres dont il était question et sachant ce qu'elles contenoient, il y avoit lieu de s'étonner qu'on pût former des accusations contre la reine, qu'il y avoit seulement des railleries contre le cardinal de Richelieu, et qu'assurément elles ne parloient de rien qui fût contre le roi ni contre l'État.» La Porte, dans ses Mémoires, confirme ce récit de Mme de Motteville: «La reine[152], dit-il, se voyant sans enfants et ses ennemis dans une puissance absolue, elle avoit sujet de craindre qu'ils ne prissent cette occasion pour la perdre en la faisant répudier et renvoyer en Espagne, et faire épouser Mme d'Aiguillon au roi. Ces réflexions lui donnèrent de grandes inquiétudes, et n'ayant aucun sujet de consolation, elle en voulut chercher dans ses proches et dans les autres personnes qui lui étoient affectionnées et qui avoient les mêmes ennemis. Pour y parvenir elle tâcha d'entretenir correspondance avec le roi d'Espagne et le cardinal infant son frère, avec l'archiduchesse gouvernante des Pays-Bas sa tante, avec le duc de Lorraine et avec Mme de Chevreuse. Comme elle avoit peu de domestiques qui ne fussent pensionnaires du cardinal, et qu'elle avoit assez de preuves de ma fidélité, elle jeta les yeux sur moi pour ses correspondances: elle me donna les clefs de ses chiffres et de ses cachets; en sorte qu'étant au Val-de-Grâce et les soirs au Louvre, quand tout le monde étoit retiré, après avoir fait tout ce qu'elle pouvoit pour tromper ses espions, elle écrivoit ses lettres en espagnol qu'elle me donnoit après pour les mettre en chiffre, et lorsque je recevois les réponses, je les déchiffrois en les mettant en espagnol pour les lui donner. Je lui faisois signe de l'œil, en sorte qu'elle prenoit son temps pour me parler, et je les lui donnois sans qu'on s'en apperçût. Pour faire tenir ces lettres en Flandre et en Espagne, nous avions un secrétaire d'ambassade[153] en Flandre, qui les donnoit au marquis de Mirabel, qui étoit ambassadeur d'Espagne pour l'archiduchesse, après l'avoir été en France. Cet ambassadeur faisoit tenir tous nos paquets à leurs adresses, et nous recevions les réponses par les mêmes voies. Pour la Lorraine, nous avions l'abbesse de Jouarre, de la maison de Guise, que j'allois voir fort souvent; et pour les lettres de Mme de Chevreuse, je les lui envoyois à Tours par la poste, et je recevois ses réponses par la même voie; outre que la reine et elle s'écrivoient encore par le moyen de ceux qui alloient ou qui passoient à Tours. Nos lettres étoient écrites avec une eau en l'entreligne d'un discours indifférent, et en lavant le papier d'une autre eau l'écriture paroissoit. Ainsi la reine avoit des nouvelles de toutes parts sans qu'on s'en apperçût... Notre correspondance dura jusqu'au mois d'août 1637.» Le fidèle La Porte n'hésite pas à affirmer qu'il n'y avait pas de finesse dans les lettres de la reine et de Mme de Chevreuse, et «qu'on[154] embarqua Mme de Chevreuse dans cette affaire pour faire croire au public que c'étoit une grande cabale contre l'État; car il étoit de la coutume de son Éminence de faire passer des choses de rien pour de grandes conspirations.» [150] _Mémoires_, _ibid._, p. 352 et suiv. [151] _Mémoires_, t. Ier, p. 80. [152] _Mémoires_, _ibid._, p. 331. [153] Le secrétaire de l'ambassade d'Angleterre en Flandre, nommé Gerbier. [154] _Mémoires_, _ibid._, p. 346. Reste à savoir si en effet il n'y avait là que _des choses de rien_, comme dit La Porte. Nous venons d'entendre les amis de la reine, mais il faut entendre aussi Richelieu[155]; il faut entendre surtout des témoins bien autrement sûrs que tous les mémoires, c'est-à-dire les documents originaux et authentiques d'après lesquels Richelieu a écrit. Ces documents irrécusables sont les lettres mêmes de la reine Anne que La Porte a représentées à Mme de Motteville comme si parfaitement innocentes, ou du moins un certain nombre de ces lettres que la police du cardinal intercepta et qui de ses mains sont tombées entre les nôtres[156]. Beaucoup d'autres sans doute ont échappé à Richelieu et sont parvenues à leur adresse, mais celles-là suffisent à établir que pendant les années 1635 et 1636 et plusieurs mois de l'année 1637, tandis que la France et l'Espagne se faisaient une guerre à outrance sur la frontière de Flandre, la reine entretenait une correspondance suivie avec le marquis de Mirabel, naguère ambassadeur d'Espagne en France, et depuis résidant à Bruxelles, ainsi qu'avec le cardinal infant lui-même, le général en chef de l'armée espagnole qui avait franchi la frontière et après avoir pris Corbie menaçait Amiens. Cette correspondance passait en grande partie par les mains d'une personne que ne nomment pas même ni La Rochefoucauld ni Mme de Motteville ni La Porte, à savoir Mme du Fargis, la femme du comte du Fargis, ancien ambassadeur de France en Espagne, le négociateur du célèbre traité de Monçon, elle-même ancienne dame d'atours de la reine Anne avant Mme de Hautefort, qu'on avait éloignée de la cour en 1630 à cause des mauvais conseils qu'on l'accusait de donner à sa maîtresse, et qui, dès 1634, réfugiée en Flandre, y servait d'agent secret à Anne d'Autriche[157]. Sans doute, la plupart de ces lettres ne contiennent guère que des marques d'intérêt accordées par la reine à une femme qui s'était perdue pour elle, et qu'elle se faisait un devoir de recommander à la générosité de l'Espagne, avec des témoignages bien naturels de politesse et d'affection envers un ancien serviteur tel que Mirabel et envers son frère, le cardinal infant; mais, n'en déplaise à La Rochefoucauld, à Mme de Motteville et à La Porte, il y a aussi bien autre chose encore dans les lettres qui sont sous nos yeux. D'abord la reine laisse exprimer à Mme Du Fargis et au marquis de Mirabel des vœux et des espérances qu'une reine de France aurait dû repousser; ensuite elle-même se permet quelquefois un langage plus digne d'une Espagnole que d'une Française; enfin elle reçoit d'importantes nouvelles d'Angleterre, de Lorraine, de la reine mère, de Monsieur, de la jeune duchesse d'Orléans, du comte de Soissons et du duc de Bouillon, qu'elle se garde bien de communiquer au gouvernement du roi, et elle transmet à un gouvernement ennemi des renseignements qui pouvaient être fort préjudiciables à l'État. Par exemple, en 1637, la France s'efforçait d'acquérir le duc de Lorraine dont les talents militaires et la petite mais solide armée pouvaient être d'un grand poids dans la balance des événements. L'Espagne, de son côté, disputait le duc à la France, et Mme de Chevreuse ne négligeait rien pour engager Charles IV dans la cause espagnole. Mais ce qu'on ne savait pas, et ce qu'on voit clairement ici, c'est que Mme de Chevreuse ne fut guère que l'instrument de la reine Anne, et que, dans un moment décisif, lorsque Richelieu espérait entraîner le duc de Lorraine, la reine, instruite d'un pareil secret, se hâte de le communiquer à son frère le cardinal infant, et lui adresse une lettre qu'elle le prie d'envoyer au comte-duc Olivarès, dans laquelle elle fait vivement sentir la nécessité de maintenir la vaillante épée de Charles IV au service de Sa Majesté catholique, c'est-à-dire contre la France, et annonce qu'elle emploie à cet effet Mme de Chevreuse[158]. En sorte qu'en vérité, sans être Laffemas ou La Potherie, il est bien difficile de ne pas avouer que la reine Anne avait sacrifié son devoir à sa passion. [155] _Mémoires_, t. X, p. 195, etc. [156] Manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fonds françois, no 9241. Voyez plus haut, p. 116, dans la note. [157] Le manuscrit précité renferme une trentaine de lettres de Mme du Fargis à la reine, une douzaine de la reine à Mme du Fargis, cinq ou six lettres en espagnol de la reine à M. de Mirabel, autant à son frère le cardinal, avec les réponses de ceux-ci. Voyez l'APPENDICE, notes du chapitre III. [158] Manuscrit de la Bibliothèque impériale, no 9241, fol. 41, verso. Carta de la Reyna al cardinale Infante para embiar al Conde Duque, 28 may 1637: «Por ser cosa che importa mucho al servicio del Rey el conservar en el al Duque de Lorena, he procurado con mi amiga (Mme de Chevreuse) que hallasse una comodidad segura conque poder escrivir a l'amigo (le duc de Lorraine), ha me dicho que la tiene, etc.» Voyez l'APPENDICE, notes du chapitre III. Mais nous possédons un témoignage plus péremptoire, s'il est possible, celui d'Anne d'Autriche elle-même qui, voyant saisies ses lettres de Flandre et celles qu'elle avait écrites à Mme de Chevreuse, et se croyant menacée des derniers malheurs, pour les conjurer et apaiser le roi et son ministre, finit par dire toute la vérité. Ces aveux précis et détaillés, que le P. Griffet avait connus et qu'on vient de retrouver tout récemment[159], portent le dernier coup aux apologies intéressées de ses défenseurs, et justifient pleinement la conduite et le récit de Richelieu. La reine confessa: 1º en ce qui concernait Mme de Chevreuse, que, lorsqu'elle était reléguée à Dampierre, en 1633, avant d'être exilée en Touraine, la duchesse était venue deux fois en secret au Val-de-Grâce; que depuis elle lui avait écrit plusieurs fois à ce même Val-de-Grâce et y avait même adressé un messager; que de Touraine elle lui avait proposé de rompre son ban et de venir déguisée la trouver à Paris; qu'elle correspondait avec le duc de Lorraine, et qu'elle avait reçu un envoyé du duc; 2º pour elle-même, qu'en effet elle a écrit toutes les lettres interceptées, qu'elle les écrivait de sa main, les donnait à La Porte qui les donnait à Auger, secrétaire de l'ambassade d'Angleterre à Paris, et que celui-ci les faisait passer à Gerbier, résident d'Angleterre à Bruxelles, lequel les remettait à leur adresse; que souvent elle s'était plaint dans ses lettres de l'état où elle était en des termes qui devaient déplaire au roi; qu'elle avait signalé à la cour de Madrid le voyage d'un religieux envoyé en Espagne avec une mission secrète; qu'elle avait aussi averti qu'il y avait lieu de craindre que l'Angleterre, au lieu de demeurer unie à l'Espagne, ne s'en détachât et ne s'entendît avec la France; qu'enfin elle avait fait savoir que la France travaillait à s'accommoder avec le duc de Lorraine, afin que le cabinet de Madrid prît ses mesures pour empêcher cet accommodement. [159] Les diverses déclarations de la reine, avec les interrogatoires de la supérieure du Val-de-Grâce et ceux de La Porte, avaient été conservées dans la cassette de Richelieu, et elles étaient passées dans les archives du maréchal de ce nom, qui les avait communiquées au P. Griffet, comme il avait fait les papiers de Châteauneuf. Depuis, ces précieux documents avaient été dispersés: la Bibliothèque impériale les a acquis dernièrement. _Supplément françois_, no 4068, avec ce titre: _Pièces relatives à l'affaire du Val-de-Grâce_, 1637. Voyez l'APPENDICE, notes du chapitre III. Comme on le pense bien, on n'avait amené Anne d'Autriche à faire de pareils aveux qu'avec des peines infinies. D'abord elle avait tout nié, et dit que si elle avait plusieurs fois écrit à Mme de Chevreuse, ç'avait toujours été sur des choses indifférentes. Au mois d'août 1637, le jour de l'Assomption, après avoir communié, elle avait fait venir son secrétaire des commandements, Le Gras, et elle lui avait juré sur le saint sacrement, qu'elle venait de recevoir, qu'il était faux qu'elle eût une correspondance en pays étranger, et elle lui avait commandé d'aller dire au cardinal le serment qu'elle faisait. Elle fit venir aussi le P. Caussin, jésuite, confesseur du roi, et lui renouvela le même serment. Puis, deux jours après, voyant qu'il n'y avait pas moyen de s'en tenir à une dénégation aussi absolue, elle commença par avouer à Richelieu qu'à la vérité elle avait écrit en Flandre à son frère, le cardinal infant, mais pour savoir des nouvelles de sa santé, et autres choses d'aussi peu de conséquence. Richelieu lui ayant montré qu'on en savait davantage, elle fit retirer sa dame d'honneur, Mme de Sénecé, Chavigny et de Noyers, qui étaient présents, et, restée seule avec le cardinal, sur l'assurance qu'il lui donna du plein et absolu pardon du roi si elle disait la vérité, elle avoua tout, en témoignant une extrême confusion d'avoir fait des serments contraires. Pendant cette triste confession, appelant à son secours les grâces et les ruses de la femme, et couvrant ses vrais sentiments de démonstrations affectueuses, elle s'écria plusieurs fois: «Quelle bonté faut-il que vous ayez, monsieur le cardinal!» Et protestant d'une reconnaissance éternelle, elle lui dit: «Donnez-moi la main,» et lui présenta la sienne comme un gage de sa fidélité; mais le cardinal s'y refusa par respect, se retirant au lieu de s'approcher[160]. L'abbesse du Val-de-Grâce fit comme la reine; après avoir tout nié, elle avoua ce qu'elle savait. Le roi et Richelieu pardonnèrent, mais en faisant signer à la reine une sorte de formulaire de conduite auquel elle devait se conformer religieusement. On lui interdit provisoirement l'entrée du Val-de-Grâce et de tout couvent jusqu'à ce que le roi lui en donnât de nouveau la permission; on lui défendit d'écrire jamais qu'en présence de sa première dame d'honneur et de sa première femme de chambre, qui devaient en rendre compte au roi, ni d'adresser une seule lettre en pays étranger par aucune voie directe ou indirecte, sous peine de se reconnaître elle-même déchue du pardon qu'on lui accordait. La première à la fois et la dernière de ces prescriptions se rapportaient à Mme de Chevreuse: le roi commandait à sa femme de ne jamais écrire à Mme de Chevreuse, «parce que ce prétexte, disait-il, a été la couverture de toutes les écritures que la reine a faites ailleurs.» Il lui commande aussi de ne plus voir ni Craft, qu'on avait trouvé mêlé à toutes les intrigues de Flandres[161], ni «les autres entremetteurs de Mme de Chevreuse.» On le voit, c'est toujours Mme de Chevreuse que Louis XIII et Richelieu considèrent comme le principe de tout mal, et ils ne se croient bien sûrs de la reine qu'après l'avoir séparée de sa dangereuse amie. [160] _Mémoires_ de Richelieu, t. X, p. 201, et, dans l'APPENDICE, la _Relation_ de la main du cardinal. [161] Le nom de Craft se rencontre en effet plusieurs fois dans les lettres de Mme Du Fargis. Voyez l'APPENDICE. Mais que fallait-il faire de celle-ci? Fallait-il la laisser à Tours, ou l'arrêter, ou lui faire quitter la France? Il est curieux de voir quelles furent à cet égard les délibérations du cardinal avec lui-même et avec le roi. Il rend involontairement un bien grand hommage à la puissance de Mme de Chevreuse en établissant par une suite de raisons, un peu scolastiquement déduites à sa manière, que le pire des partis serait de la laisser sortir de France: «Cet esprit est si dangereux, qu'étant dehors il peut porter les affaires à de nouveaux ébranlements qu'on ne peut prévoir[162].» C'est elle qui, disposant absolument du duc Charles, lui a persuadé de donner asile en Lorraine à Monsieur, duc d'Orléans; c'est elle aussi qui a poussé l'Angleterre à la guerre; si on la jette hors du royaume, elle empêchera le duc de Lorraine de s'accommoder; «elle donnera grand branle aux Anglois à ce à quoi elle les voudra porter;» elle remuera de nouveau pour le commandeur de Jars et pour Châteauneuf, elle suscitera mille difficultés intérieures et extérieures, et le cardinal conclut à la retenir en France. [162] _Mémoires_, _ibid._, p. 224, etc. Pour cela, il y avait deux voies à prendre, la violence ou la douceur. Le cardinal fait voir beaucoup d'inconvénients à la violence, qui serait infailliblement suivie de tant de sollicitations importunes de la part de toute la famille de Mme de Chevreuse et de toutes les puissances de l'Europe, qu'il serait fort difficile d'y résister avec le temps. Il propose donc de la gagner par la douceur et de la traiter comme on avait traité la reine, mais à la condition qu'elle serait aussi sincère et répondrait aux questions qui lui seraient adressées. Connaissant Mme de Chevreuse, il prévoit qu'elle ne fera aucun aveu, et il oublie de nous dire ce qu'alors il aurait fait. On avait pardonné à la reine humiliée et repentante; mais quelle conduite aurait-on tenue envers la fière et habile duchesse persévérant dans d'absolues dénégations? Content de l'avoir séparée d'Anne d'Autriche, Richelieu l'aurait-il laissée libre et tranquille en Touraine? Est-il bien sincère quand il l'assure? ou l'ancien charme agissait-il encore, et ce cœur de fer, cette âme impitoyable ne pouvait-elle se défendre d'une faiblesse involontaire pour une femme qui rassemblait en sa personne et portait au plus haut degré ces deux grands dons si rarement unis, la beauté et le courage? Il lui fit parler comme étant toujours son ami; il lui rappela quels ménagements il avait eus pour elle dans l'affaire de Châteauneuf, et, la sachant en ce moment assez dépourvue, il lui envoya de l'argent. La duchesse fit beaucoup de cérémonies pour le recevoir; quelque temps elle le refusa[163], et, lorsque la nécessité finit par la contraindre à l'accepter, elle ne le prit pas comme un don, mais comme un prêt, et demanda pour toute grâce au cardinal de l'assister dans le juste procès qu'elle poursuivait pour être séparée de biens d'avec son mari, procès qu'elle gagna quelque temps après. Sur les questions qui lui furent adressées, elle répondit sans s'étonner et avec sa fermeté accoutumée. Ne pouvant nier qu'elle eût proposé à la reine de se rendre à Paris déguisée, puisqu'on avait saisi la lettre où la reine rejetait cette proposition, elle déclara qu'en cela elle n'avait eu d'autre désir que d'avoir l'honneur de saluer sa souveraine, et qu'aussi le besoin de ses affaires l'appelait à Paris; que, loin de songer à animer la reine contre le cardinal, son intention était d'employer le crédit qu'elle pouvait avoir sur elle à la bien disposer en faveur du premier ministre. Et, payant Richelieu de la même monnaie, elle lui rendit avec usure ses démonstrations d'amitié; mais au fond du cœur elle s'en défiait. En vain les envoyés de Richelieu, le maréchal La Meilleraie, l'évêque d'Auxerre, et surtout l'abbé Du Dorat, ancien serviteur de la maison de Lorraine et trésorier de la Sainte-Chapelle, avec qui elle était assez liée, lui dit-il tout ce qu'il put imaginer pour lui persuader la bonne foi du cardinal; elle ne vit dans cette bienveillance empressée qu'un leurre habile pour endormir sa vigilance et lui inspirer une fausse sécurité. Elle pensa à ses amis le commandeur de Jars et Châteauneuf, tous deux languissant encore dans les cachots de Richelieu, et elle résolut de tout entreprendre plutôt que de partager leur sort. [163] M. le duc de Luynes nous communique une lettre de Mme de Chevreuse à Richelieu, tout à fait de ce temps, où elle décline l'offre spontanée du cardinal, en lui exprimant toute sa reconnaissance et en l'assurant qu'elle ne s'adressera pas à un autre si elle est forcée de recourir à un emprunt. «Monsieur, je me trouve avec autant de ressentiments de vos bontés que d'impuissance à les exprimer; mais puisque vous me croyez digne de tant de bienfaits, j'ose m'assurer que vous ne douterez pas de ma reconnaissance, encore que je ne vous la puisse représenter par mes paroles ni témoigner par mes services... J'ai prié le porteur de vous dire sur le sujet de l'offre qu'il m'a faite de votre part, que je n'ai pas oublié cette même preuve de votre générosité que vous me donnâtes la dernière fois que j'eus l'honneur de vous voir, ni les termes où je demeurai d'accepter ces grâces de vous, si la fortune me contraignoit à les recevoir jamais d'aucun. L'état où je suis n'est pas jusqu'ici assez malheureux pour que je puisse prendre cette liberté; mais je n'en suis pas moins sensible à cette bonté dont l'intention présentement tient lieu de l'effet dans mon âme...» Cependant, Anne d'Autriche avait senti, dans son propre intérêt, le besoin d'avertir Mme de Chevreuse de tout ce qui se passait; et ayant promis de n'avoir aucun commerce avec elle, elle chargea La Rochefoucauld, qui s'en allait en Poitou, de lui dire ce qu'elle n'osait lui écrire elle-même. La Rochefoucauld venait de faire la même promesse à son père et à Chavigny, l'homme de confiance du cardinal, et lui, qui prétend qu'il aurait volontiers enlevé la reine et Mme de Hautefort, s'arrêta avec une admirable conscience devant l'engagement qu'il venait de prendre; il pria Craft, ce même gentilhomme anglais, si suspect au roi et à Richelieu, de faire la commission de la reine[164], et celui-ci, qu'enflammaient l'amour et l'honneur, n'hésita point. De son côté, Mme de Hautefort, dans le plus vif de la crise, avait envoyé à Tours un de ses parents, M. de Montalais, dire à Mme de Chevreuse le véritable état des affaires, et il avait été convenu qu'on lui adresserait des Heures reliées en vert si tout prenait une tournure favorable, et que des Heures reliées en rouge lui seraient la marque qu'elle se hâtât de pourvoir à sa sûreté. Une méprise fatale sur le signe convenu, avec une défiance profonde des vraies intentions de Richelieu et du roi, précipita Mme de Chevreuse dans une résolution extrême: elle aima mieux se condamner à un nouvel exil que de courir le risque de tomber entre les mains de ses ennemis, et elle s'enfuit de Touraine pour gagner l'Espagne à travers tout le midi de la France. [164] La Rochefoucauld, _Mémoires_, p. 354. Elle ne voulut de confident que son vieil adorateur, l'archevêque de Tours. Comme il était du Béarn et avait des parents sur la frontière, il lui donna des lettres de créance avec tous les renseignements nécessaires et les divers chemins qu'elle devait prendre. Mais, pressée de fuir, elle oublia tout, partit le 6 septembre 1637[165] en carrosse, comme pour faire une promenade, puis, à neuf heures du soir, elle monta à cheval déguisée en homme, et au bout de cinq ou six lieues elle se trouva sans lettres et sans itinéraire, sans femme de chambre, et suivie seulement de deux domestiques. Elle ne put changer de cheval pendant toute la nuit, et le lendemain elle arriva, sans avoir pris une heure de repos, à Ruffec, à une lieue de Verteuil, où demeurait La Rochefoucauld. Au lieu de lui demander l'hospitalité, elle lui écrivit le billet suivant: «Monsieur, je suis un gentilhomme françois et demande vos services pour ma liberté et peut-être pour ma vie. Je me suis malheureusement battu. J'ai tué un seigneur de marque. Cela me force de quitter la France promptement, parce qu'on me cherche. Je vous crois assez généreux pour me servir sans me connoître. J'ai besoin d'un carrosse et de quelque valet pour me servir.» La Rochefoucauld reconnut la main de la duchesse, et lui envoya ce qu'elle désirait. Le carrosse lui fut d'un grand secours, car elle était épuisée de fatigue. Son nouveau guide la conduisit sur-le-champ à une autre maison de La Rochefoucauld, où elle arriva au milieu de la nuit; elle laissa là le carrosse et les deux domestiques qui l'avaient accompagnée, et avec le seul guide qui lui avait été donné elle remonta à cheval, et se dirigea vers la frontière d'Espagne. Dans l'état où elle se trouvait, la selle de sa monture était toute baignée de sang: elle dit que c'était un coup d'épée qu'elle avait reçu à la cuisse. Elle coucha sur du foin dans une grange et prit à peine quelque nourriture. Mais, aussi belle, aussi séduisante sous le costume noir d'un cavalier que dans les brillants atours de la grande dame, les femmes, en la voyant, admiraient sa bonne mine; pendant cette course aventureuse, elle fit malgré elle autant de conquêtes que dans les salons du Louvre, et, ainsi que le dit La Rochefoucauld, elle montra «plus de pudeur et de cruauté que les hommes faits comme elle n'ont accoutumé d'en avoir[166].» Une fois, elle rencontra dix ou douze cavaliers commandés par le marquis d'Antin, et il lui fallut s'écarter de sa route pour éviter d'être reconnue. Une autre fois, dans une vallée des Pyrénées, un gentilhomme qui l'avait vue à Paris lui dit qu'il la prendrait pour Mme de Chevreuse si elle était vêtue d'une autre façon, et le bel inconnu se tira d'affaire en répondant qu'étant parent de cette dame, il pouvait bien lui ressembler. Son courage et sa gaieté ne l'abandonnèrent pas un moment, et, pour peindre la vaillante amazone, on fit une chanson où elle disait à son écuyer: La Boissière, dis-moi, Vais-je pas bien en homme? --Vous chevauchez, ma foi, Mieux que tant que nous sommes, etc.[167] [165] _Extrait de l'information faite par le président Vignier, de la sortie faite par Mme de Chevreuse hors de France_, avec diverses pièces à l'appui, Bibliothèque impériale, _collection Dupuy_, nos 499, 500, 501, réunis en un seul volume. Voyez l'APPENDICE, notes sur le chapitre III. [166] La Rochefoucauld, p. 356.--Tallemant, t. I, p. 250, se complaît à raconter les choses les plus singulières, mais nous ne rapportons que les faits certains et authentiques. _Extrait de l'information_, etc.: «Une bourgeoise de ce bourg-là passa fortuitement et la vit couchée sur ce foin et s'écria: Voilà le plus beau garçon que je vis jamais! Monsieur, dit-elle, venez-vous-en reposer chez moi; vous me faites pitié, etc.» [167] Tallemant, _ibid._ Celui qui l'accompagnait la pressant de lui apprendre son nom, elle lui dit avec un ton mystérieux qu'elle était le duc d'Enghien que des affaires extraordinaires et le service du roi forçaient de sortir de France, ce qui peut nous donner une idée de sa tournure à cheval et du ton décidé et résolu qu'elle avait. Puis, prenant confiance en son guide et n'aimant pas à porter longtemps un masque, elle lui avoua qu'elle était la duchesse de Chevreuse. Elle n'atteignit l'Espagne qu'avec des fatigues inouïes et à travers mille périls[168]. Un peu avant de franchir la frontière, elle écrivit au gentilhomme qui avait pensé la reconnaître dans les Pyrénées, et avait eu pour elle toutes sortes d'égards et de politesses, qu'il ne s'était pas trompé, qu'elle était en effet celle qu'il avait cru, et «qu'ayant trouvé en lui une civilité extraordinaire, elle prenoit la liberté de le prier de lui procurer des étoffes pour se vêtir conformément à son sexe et à sa condition[169].» Arrivée enfin en Espagne, elle s'élança pour la deuxième fois, avec sa résolution accoutumée, dans tous les hasards de l'exil, n'emportant avec elle que sa beauté, son esprit et son courage. Elle avait envoyé, par un de ses gens, à La Rochefoucauld, toutes ses pierreries, qui valaient 200,000 écus, le priant de les recevoir en don si elle mourait, ou de les lui rendre quelque jour. [168] _Extrait de l'information_: «Malbasty (le guide que lui avait donné La Rochefoucauld) lui dit qu'elle se perdroit, qu'elle rencontreroit mille voleurs, qu'elle n'avoit qu'un seul homme avec elle, qu'il craignoit qu'on lui fît du déplaisir... Elle offrit audit Malbasty un grand rouleau de pistoles, etc.» [169] La Rochefoucauld, _Mémoires_, _ibid._ Au bruit de la fuite de Mme de Chevreuse, Richelieu s'émut, et il fit tout pour l'empêcher de sortir de France. Les ordres les plus précis furent expédiés, non pour l'arrêter, mais pour la retenir. M. de Chevreuse fit courir après sa femme l'intendant de leur maison, Boispille, avec l'assurance qu'elle n'avait rien à craindre. Le cardinal envoya aussi un de ses affidés, le président Vignier, pour lui porter non-seulement la permission de résider à Tours en pleine liberté, mais l'espérance de revenir bientôt à Dampierre. En même temps Vignier avait l'ordre d'interroger le vieil archevêque, ainsi que La Rochefoucauld et ses gens, et d'en tirer tous les renseignements qui pouvaient éclairer le ministre[170]. Ni Boispille, ni Vignier ne purent atteindre la belle fugitive, et elle avait touché le sol de l'Espagne que le président arrivait à peine à la frontière. Il voulut du moins remplir sa mission autant qu'il était en lui, et il envoya un héraut sur le territoire espagnol signifier à Mme de Chevreuse le pardon du passé et l'invitation de revenir en France. Elle n'apprit toutes ces démarches que lorsqu'elle était déjà à Madrid. [170] Ce sont ceux que Dupuy a recueillis ou plutôt résumés de mémoire; nous les avons retrouvés nous-même, et nous en avons fait usage pour établir notre récit. C'est en cette occasion que La Rochefoucauld fut interrogé et mis huit jours à la Bastille. Voyez ses _Mémoires_, surtout LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, 4e édition, chapitre IV, p. 296, etc., et l'APPENDICE du présent volume, notes sur le chapitre III. CHAPITRE QUATRIEME 1637-1643 MME DE CHEVREUSE EN ESPAGNE, PUIS EN ANGLETERRE.--LONGUE NÉGOCIATION AVEC RICHELIEU POUR RENTRER EN FRANCE. COMMENT CETTE NÉGOCIATION ÉCHOUE.--LE PARTI DES ÉMIGRÉS A LONDRES. MARIE DE MÉDICIS, LE DUC DE LA VALETTE, LA VIEUVILLE, SOUBISE.--MME DE CHEVREUSE S'EN VA EN FLANDRES.--ELLE PREND PART A LA CONSPIRATION DU COMTE DE SOISSONS.--AFFAIRE DE CINQ-MARS.--MORT DE RICHELIEU. DÉCLARATION ROYALE DE LOUIS XIII MOURANT, DU 20 AVRIL 1643, QUI CONDAMNE MME DE CHEVREUSE A UN EXIL PERPÉTUEL. LA RÉGENTE LA RAPPELLE. On comprend l'accueil que fit le roi d'Espagne à l'intrépide amie de sa sœur. Il avait envoyé au-devant d'elle plusieurs carrosses à six chevaux, et à Madrid il la combla de toutes sortes de marques d'honneur. Mme de Chevreuse avait alors trente-sept ans. A tous ses moyens de plaire elle joignait le prestige des aventures romanesques qu'elle venait de traverser, et l'on dit que Philippe IV grossit le nombre de ses conquêtes[171]. Elle était déjà tout Anglaise et toute Lorraine; elle devint Espagnole. Elle se lia avec le comte-duc Olivarès, et prit un grand ascendant sur les conseils du cabinet de Madrid. Elle le dut sans doute à son esprit et à ses lumières, mais particulièrement à la noble fierté qu'elle déploya en refusant les pensions et l'argent qu'on lui offrait, et en parlant toujours de la France comme il appartenait à l'ancienne connétable de Luynes[172]. [171] Mme de Motteville, t. Ier, p. 93. [172] Bibliothèque impériale, _Manuscrits de Colbert, affaires de France_, in-fol., t. II, fol. 9. _Mémoire de ce que Mme de Chevreuse a donné charge au sieur de Boispille de dire à monseigneur le cardinal_: «Elle ne s'est obligée à rien du tout en Espagne et ne se trouvera pas qu'elle ait pris un teston, fors les bonnes chères et traitemens... Elle a parlé comme elle devoit en Espagne, et croit que c'est une des choses qui l'a le plus fait estimer du comte-duc.» APPENDICE, notes du chapitre IV. Néanmoins, quelque agrément que lui donnât en Espagne la faveur déclarée du roi, de la reine et du premier ministre, elle n'y demeura pas longtemps. La guerre des deux pays rendait sa situation trop délicate; ses lettres pénétraient difficilement en France; on n'osait lui écrire, tant la police de Richelieu était redoutée, tant on craignait d'être accusé de correspondre avec l'ennemi et avec Mme de Chevreuse. L'intendant même de sa maison, Boispille, recevant d'elle une lettre, dit au messager qui lui demandait une réponse: Nous ne faisons pas de réponse en Espagne. Aussi, pour avoir plus de liberté et pour être plus près de la France, elle prit le parti de passer dans un pays neutre et même ami, et au commencement de l'année 1638 elle arriva en Angleterre. Mme de Chevreuse fut reçue et traitée à Londres comme elle l'avait été à Madrid. Elle y retrouva le premier de ses adorateurs, le comte de Holland, encore très-puissant auprès du roi, lord Montaigu, son ami de tous les temps, Craft, toujours passionné pour elle, et bien d'autres gentilshommes anglais et français, qui s'empressèrent de lui faire cortége. Elle avait toujours beaucoup plu à Charles Ier, et l'aimable Henriette, en revoyant celle qui autrefois l'avait conduite à son royal époux, l'embrassa et voulut qu'elle s'assît devant elle, distinction tout à fait inusitée dans la cour d'Angleterre. Le roi et la reine écrivirent en sa faveur au roi Louis XIII, à la reine Anne et au cardinal de Richelieu. Mme de Chevreuse réclamait la pleine et entière jouissance de son bien, qui lui avait été naguère accordée, et ensuite retirée depuis sa fuite en Espagne. Au printemps de 1638, la grossesse de la reine Anne, étant devenue publique, avait rempli la France d'allégresse et ouvert tous les cœurs à la bienveillance et à l'espérance. Mme de Chevreuse profita de cet événement pour adresser à la reine la lettre suivante qu'Anne d'Autriche pouvait très-bien montrer à Louis XIII, et qui pourtant, sous sa réserve et sa circonspection diplomatique, laisse paraître la réciproque et intime affection de la reine et de l'exilée[173]: «A LA REINE, MA SOUVERAINE DAME, «Madame, je ne serois pas digne de pardon si j'avois pu et manqué de rendre compte à Votre Majesté du voyage que mon malheur m'a obligée d'entreprendre. Mais la nécessité m'ayant contrainte d'entrer en Espagne, où le respect de Votre Majesté m'a fait recevoir et traiter mieux que je ne méritois, celui que je vous porte m'a fait taire jusqu'à ce que je fusse en un royaume qui, étant en bonne intelligence avec la France, ne me donne pas sujet d'appréhender que vous ne trouviez pas bon d'en recevoir des lettres. Celle-ci parlera devant toute chose de la joie particulière que j'ai ressentie de la grossesse de Votre Majesté. Dieu récompense et console tous ceux qui sont à elle par ce bonheur, que je lui demande de tout mon cœur d'achever par l'heureux accouchement d'un dauphin. Encore que ma mauvaise fortune m'empêche d'être des premières à le voir, croyez que mon affection au service de Votre Majesté ne me laissera pas des dernières à m'en réjouir. Le souvenir que je ne saurois douter que Votre Majesté n'ait de ce que je lui dois et celui que j'ai de ce que je lui veux rendre, lui persuaderont assez le déplaisir que ce m'a été de me voir réduite à m'éloigner d'elle pour éviter les peines où j'appréhendois que des soupçons injustes ne me missent. Il m'a fallu priver de la consolation de soulager mes maux en les disant à Votre Majesté, jusqu'à cette heure que je puis me plaindre à elle de ma mauvaise fortune, espérant que sa protection me garantira de la colère du roi et des mauvaises grâces de M. le cardinal. Je n'ose le dire moi-même à Sa Majesté et ne le fais pas à M. le cardinal, m'assurant que votre générosité le fera, et rendra agréable ce qui pourroit être importun de ma part. La vertu de Votre Majesté m'assure qu'elle l'exercera volontiers en cette occasion, et qu'elle emploiera sa charité pour me dire, ce que je sais, qu'elle est toujours elle-même. Votre Majesté saura, par les lettres du roi et de la reine de la Grande-Bretagne l'honneur qu'ils me font. Je ne le saurois mieux exprimer qu'en disant à Votre Majesté qu'il mérite sa reconnoissance. Je crois que vous approuverez ma demeure en leur cour, que cela ne me rendra pas digne d'un mauvais traitement, et que l'on ne me refusera point les choses que l'autorité de Votre Majesté et le soin de M. le cardinal m'avoient procurées avant mon départ, et que je demande à monsieur mon mari. En quoi je supplie Votre Majesté de me protéger, afin que j'en aie bientôt les effets si justes que j'en attends.» [173] Manuscrits de Colbert, _ibid._ En même temps qu'elle réclamait son bien, Mme de Chevreuse songeait à acquitter une dette qui pesait à sa fierté. A Tours, elle avait bien été forcée d'accepter l'argent que lui avait envoyé Richelieu; mais, ainsi que nous l'avons dit[174] elle l'avait accepté comme un simple prêt, et sous le couvert de la lettre officielle à la reine Anne qu'on vient de lire, était un petit billet confidentiel et réservé à la reine seule, où nous voyons que la reine de France avait elle-même autrefois emprunté de l'argent à son ancienne surintendante. Celle-ci, en effet, la conjure de payer M. le cardinal sur ce qu'elle lui doit, et, si elle le peut, «d'achever le surplus de la dette[175].» [174] Plus haut, p. 136. [175] Manuscrits de Colbert, _ibid._ Ces derniers mots, et bien d'autres de lettres subséquentes, nous apprennent que depuis sa sortie de France, n'ayant rien voulu recevoir de l'étranger, Mme de Chevreuse avait épuisé toutes ses ressources, et que, n'ayant pas la disposition de son bien, elle en était réduite à Londres à faire des dettes toujours croissantes, et auxquelles elle ne savait comment satisfaire. Pendant ce temps-là M. de Chevreuse, qui avait mis sa maison dans le plus triste état, et pour la rétablir n'espérait que dans la raison et le crédit de sa femme, ne cessait d'intercéder auprès du roi et du premier ministre pour qu'on la laissât revenir en France. Le cardinal en était resté avec elle à l'offre de pardon et d'_abolition_, comme on disait alors, que le président Vignier avait été lui porter jusqu'à la frontière d'Espagne. Outre les raisons générales de souhaiter son retour, que lui-même a développées, Richelieu en avait une toute particulière en ce moment: il traitait avec le duc de Lorraine; plus que jamais il s'efforçait de l'attirer à un accommodement qui lui permît de rassembler toutes les forces de la France contre l'Autriche et contre l'Espagne. Il avait donc le plus grand intérêt à ménager Mme de Chevreuse, toute-puissante sur l'esprit du duc, qui tour à tour avait nui et servi, qui déjà, à ce qu'il croyait, avait, en 1637, empêché l'accommodement désiré, et pouvait l'empêcher encore. De son côté, Mme de Chevreuse était lasse de l'exil; elle soupirait après son bel hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre et son beau château de Dampierre, après ses enfants, après sa fille, l'aimable Charlotte, qui grandissait loin de sa mère, sans être, comme ses sœurs, destinée à la carrière ecclésiastique. Elle frémissait à la pensée de la douloureuse alternative qui chaque jour la pressait davantage, ou d'être forcée de recourir à l'Angleterre et à l'Espagne, ou d'engager ses pierreries qu'elle avait fait redemander à La Rochefoucauld[176]. Elle tenait à cette riche parure, souvenir d'un temps plus heureux; car Mme de Chevreuse était femme, elle en avait les faiblesses comme les grâces, et quand la passion et l'honneur ne la jetaient pas au milieu des périls, elle se complaisait dans toutes les élégances de la vie[177]. C'est ce mélange de mollesse féminine et de virile énergie qui est le trait particulier de son caractère, et qui la rendait propre à toutes les situations, aux douceurs et à l'abandon de l'amour, comme à l'agitation des intrigues et des aventures. C'est avec ces divers sentiments qu'elle se décida à reprendre avec Richelieu une négociation qui n'avait jamais été entièrement abandonnée, et dont le succès paraissait assez facile, puisque des deux parts on le souhaitait presque également. [176] Voyez sur cette particularité LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, 4e édit., chapitre IV, p. 237, etc. Il ne faut pas croire d'ailleurs que ces pierreries fussent celles de la pauvre Éléonore Galigai, la maréchale d'Ancre; car dans le partage que fit Louis XIII des richesses du maréchal et de sa femme, c'est à la reine Anne qu'il donna les joyaux et les bijoux. Voyez dans l'APPENDICE les notes du chapitre Ier. [177] Mme de Chevreuse, comme son petit-fils, aimait les arts et les encourageait. Elle a été la protectrice de l'excellent graveur Pierre Daret, qui lui a dédié sa collection des _Illustres François et estrangers de l'un et de l'autre sexe_, in-4º, 1654. Cette dédicace nous apprend des choses qui ne se trouvent dans aucune des biographies de cet artiste, pas même dans l'_Abécédaire_ de Mariette, et qui font le plus grand honneur à Mme de Chevreuse. Voyez l'APPENDICE, notes du chapitre IV. Cette négociation dura plus d'une année. Le cardinal autorisa l'intendant de la maison de Chevreuse, Boispille, et l'abbé Du Dorat, à se rendre en Angleterre pour mener à bien cette affaire délicate. Ils y mirent bien du temps, y prirent bien des peines; plus d'une fois il leur fallut retourner de Londres à Paris et de Paris à Londres pour aplanir les difficultés qui s'élevaient. Le fil souvent rompu se renouait pour se rompre encore. Le cardinal et la duchesse désiraient fort sincèrement s'accommoder; mais, se connaissant bien, ils voulaient prendre l'un envers l'autre des sûretés presque inconciliables. Quand on a sous les yeux les pièces diverses auxquelles a donné lieu cette longue négociation[178], on y reconnaît tout l'esprit et le caractère de Richelieu et de Mme de Chevreuse, les artifices habituels du cardinal avec sa hauteur mal dissimulée, la souplesse de la belle dame, son apparente soumission et ses précautions inflexibles. Successivement, Richelieu se relâche davantage de sa rigueur accoutumée; mais ses prétentions, perçant toujours sous la courtoisie la plus recherchée, avertissent Mme de Chevreuse de prendre garde à elle et de ne faire aucune faute devant un homme qui n'oubliait rien et qui pouvait tout. C'est un curieux spectacle de les voir, pendant plus d'une année, employer toutes les manœuvres de la plus fine diplomatie et épuiser les ressources d'une habileté consommée pour se persuader l'un l'autre et s'attirer vers le but commun qu'ils désiraient tous les deux, sans y parvenir et se pouvoir guérir de leurs réciproques et incurables défiances. Faisons connaître les traits principaux, les commencements, le progrès, les péripéties et la fin inévitable de cette singulière correspondance. [178] La bibliothèque nationale possède deux manuscrits qui la contiennent tout entière: l'un, que le père Griffet a connu et mis à profit, et que déjà plus d'une fois nous avons cité, est le tome II des _Manuscrits de Colbert, affaires de France_; ce ne sont que des copies, souvent assez défectueuses; l'autre, _Supplément françois_, no 4067, renferme, il est vrai, moins de pièces, mais originales, parmi lesquelles il y a plusieurs lettres autographes de Richelieu et de Mme de Chevreuse. Voyez l'APPENDICE, notes du chapitre IV. Elle s'ouvre le 1er juin 1638 par une lettre de Mme de Chevreuse. La duchesse remercie le cardinal des assurances de bienveillance qu'on lui a données de sa part; elle lui avoue que si l'année précédente elle s'est résolue à quitter la France, ç'a été par appréhension des soupçons qu'il paraissait nourrir envers elle; elle a voulu laisser au temps le soin de les dissiper: «J'espère, lui dit-elle, que le malheur qui m'a contraint de sortir de France s'est lassé de me poursuivre... Je serois très-aise d'être tout à fait guérie des craintes que j'ai eues en reconnoissant que mes ennemis ne sont pas plus puissants que mon innocence[179].» La lettre, en feignant de la confiance et de l'abandon, est fort calculée et réservée. Mme de Chevreuse se garde bien d'engager une polémique sur le passé, mais elle y revient un peu pour sonder Richelieu, ne voulant pas s'exposer à rentrer en France pour y être recherchée sur sa conduite antérieure; aussi a-t-elle soin de placer habilement et sans déclamation le mot d'innocence. Dès cette première lettre, on comprend le jeu de Mme de Chevreuse, qui consiste à prendre doucement ses sûretés. Cesser de se dire innocente, c'eût été se remettre entre les mains de Richelieu, qui, au premier mécontentement feint ou réel, pouvait s'armer de ses aveux et l'en accabler. La réponse du cardinal découvre aussi, et selon nous, découvre un peu trop sa secrète pensée: elle est, comme en général toute sa politique, captieuse à la fois et impérieuse. Au milieu des démonstrations d'une politesse un peu maniérée, il lui dit: «Ce que vous me mandez est conçu en tels termes que, n'y pouvant consentir sans agir contre vous-même par excès de complaisance, je ne veux pas répondre de peur de vous déplaire en voulant vous servir. En un mot, Madame, si vous êtes innocente, votre sûreté dépend de vous-même, et si la légèreté de l'esprit humain, pour ne pas dire celle du sexe, vous a fait relâcher quelque chose dont Sa Majesté ait sujet de se plaindre, vous trouverez en sa bonté tout ce que vous pouvez en attendre.» Mme de Chevreuse comprend aisément la finesse du cardinal; mais, pour ne laisser subsister aucune équivoque, elle lui adresse un mémoire où elle lui rend compte de toute sa conduite et des motifs qui l'ont déterminée à sortir de France. Elle a fui, parce que, tout en lui prodiguant les bonnes paroles, on essayait de lui faire avouer qu'elle avait écrit au duc de Lorraine pour l'empêcher de rompre avec l'Espagne et de s'entendre avec la France, et que, ne pouvant avouer une faute qu'elle n'avait pas commise, et voyant qu'on en était persuadé et qu'on alléguait même des lettres interceptées, elle avait mieux aimé quitter son pays que d'y rester soupçonnée et en un perpétuel danger. Richelieu s'empresse de la rassurer, mais au contraire il l'épouvante en paraissant convaincu qu'elle a fait ce qu'elle est bien décidée à ne jamais avouer. Était-ce une bien heureuse manière de lui inspirer de la confiance que de lui rappeler l'affaire de Châteauneuf, et de lui insinuer assez clairement qu'on a en main des preuves qui dispensaient de tout aveu de sa part? «Quand le sieur de Boispille vous alla trouver, je lui dis ce que j'estimois pour votre service et votre sûreté, qui consistoit à mon avis à ne tenir rien de caché; ce à quoi j'estimois que vous vous dussiez porter d'autant plus facilement, que l'expérience vous a fait connoître, par ce qui s'est passé au fait de M. de Châteauneuf, qu'en ce qui vous intéresse, ce dont vos amis ont la preuve en main est plus secret que s'ils ne l'avoient point. Tant s'en faut qu'on ait voulu vous faire avouer une chose qu'on ne sût pas, qu'on voudroit ne savoir pas ce qu'on sait, pour ne pas vous obliger à le dire[180].» Peut-on s'étonner, après cela, que Mme de Chevreuse recule, ou du moins qu'elle soit fort embarrassée? Elle écrit le 8 septembre au cardinal pour lui exprimer sa reconnaissance des bontés qu'il lui témoigne, et en même temps le trouble où la jette la conviction manifestement arrêtée dans son esprit, qu'elle est réellement coupable. Sa lettre peint à merveille ses perplexités: «Considérez l'état où je suis, très-satisfaite d'un côté des assurances que vous me donnez de la continuation de votre amitié, et de l'autre fort affligée des soupçons ou pour mieux dire des certitudes que vous dites avoir d'une faute que je n'ai jamais commise, laquelle, j'avoue, seroit accompagnée d'une autre si, l'ayant faite, je la niois, après les grâces que vous me procurez du roi en l'avouant. Je confesse que ceci me met en un tel embarras, que je ne vois aucun repos pour moi dans ce rencontre. Si vous ne vous étiez pas persuadé si certainement de savoir cette faute, ou que je la pusse avouer, ce seroit un moyen d'accommodement; mais vous laissant emporter à une créance si ferme contre moi qu'elle n'admet point de justification, et ne me pouvant faire coupable sans l'être, j'ai recours à vous-même, vous suppliant, par la qualité d'ami que votre générosité me promet, d'aviser un expédient par lequel Sa Majesté puisse être satisfaite, et moi retourner en France avec sûreté, n'en pouvant imaginer aucun, et me trouvant dans de grandes peines.» [179] Manuscrits de Colbert, _ibid._ [180] Manuscrits de Colbert, lettre du 24 juillet 1638. Or, voici l'expédient qu'inventa Richelieu pour délivrer Mme de Chevreuse des inquiétudes qui la tourmentaient: il lui envoya une déclaration royale par laquelle elle était autorisée à rentrer en France avec un pardon absolu pour sa conduite passée, et notamment pour ses négociations avec le duc de Lorraine contre le service du roi. En recevant cette grâce fort inattendue, Mme de Chevreuse protesta contre le pardon d'une faute qu'à aucun prix elle ne voulait reconnaître, ne s'avouant coupable que de sa sortie précipitée du royaume. Ses ombrages s'accroissant par le moyen même qu'on avait pris pour les dissiper, elle se mit à examiner, à la lumière d'une attention défiante, tous les termes de cette déclaration, et elle trouva bien du louche dans ce qui se rapportait à son retour à Dampierre. Il n'était pas dit nettement qu'elle y pourrait demeurer en liberté. La seule privation à laquelle elle se condamnait était celle de ne plus voir la reine et de n'entretenir aucune correspondance étrangère. Hormis cela, elle demandait une entière liberté; elle demandait surtout que, sous un air de pardon, on ne la noircît pas d'une faute qu'elle prétendait n'avoir pas commise. Elle refuse donc, le 23 février 1639, l'abolition qui lui est envoyée, et demande des explications sur la manière dont il lui sera permis de vivre en France. Le cardinal, irrité de voir découvertes et éludées toutes ses feintes, s'emporte et laisse paraître le fond de sa pensée dans une lettre du 14 mars à l'abbé Du Dorat, où il se plaint que Mme de Chevreuse ne veuille pas reconnaître ses négociations avec les étrangers, comme si, dit-il, «on avoit jamais vu de malade guérir d'un mal dont il ne veut pas qu'on le croye malade[181].» Il n'entend pas non plus laisser Mme de Chevreuse séjourner à Dampierre plus de huit ou dix jours, et elle devra se retirer dans quelqu'une de ses terres éloignées de Paris. Il consent toutefois à modifier l'abolition royale qui avait déplu à Mme de Chevreuse, et il lui en envoie une autre un peu adoucie, comme une preuve extrême de sa condescendance et de la bonté du roi. [181] Manuscrits de Colbert, folio 18. L'original est au _Supplément françois_, no 4067. Cette déclaration nouvelle était encore bien loin d'être celle que désirait Mme de Chevreuse; elle n'y était pas seulement absoute de sa sortie de France, mais «des autres fautes et crimes qu'elle avoit pu commettre contre la fidélité qu'elle devoit au roi,» et Richelieu revenait par un détour à son but, imposer indirectement au moins à la malheureuse exilée une sorte de confession de crimes qu'elle soutenait n'avoir pas commis, confession à la fois humiliante et dangereuse, et qui la mettait à sa merci. Cependant, tel était le désir de la pauvre femme de revoir sa patrie et sa famille, qu'après avoir réclamé de nouveau et inutilement, elle se résigna à cette grâce suspecte. Elle fit plus; Richelieu s'étant empressé de remettre à l'abbé Du Dorat et à Boispille l'argent nécessaire pour acquitter les dettes qu'elle avait contractées en Angleterre, et lui permettre de sortir de cette cour comme il convenait à sa dignité et à son rang, elle consentit à laisser signer en son nom, aux deux agents intermédiaires, un écrit destiné à satisfaire Richelieu sans trop la compromettre, où, en termes très-généraux, elle parlait humblement de sa mauvaise conduite passée[182], et s'engageait, pourvu qu'on la laissât vivre en toute liberté à Dampierre, à ne jamais venir secrètement à Paris. Elle avait dû vaincre bien des scrupules, étouffer bien des défiances, et faire céder ses secrets instincts aux sollicitations de sa famille, aux instances de l'abbé Du Dorat et de Boispille, et à la parole solennelle que lui renouvela Richelieu dans une dernière lettre du 13 avril 1639. [182] Manuscrit de Colbert, _ibid._ Les choses en étaient là: la fière duchesse avait courbé la tête sous le poids de l'exil et du malheur; elle allait partir, déjà elle avait fait ses adieux à la reine d'Angleterre; un vaisseau était prêt qui devait la conduire à Dieppe, où un carrosse l'attendait, quand tout à coup à la fin du mois d'avril, elle reçut la lettre suivante, ni datée ni signée, que nous transcrivons fidèlement: «Il ne faudroit pas vous être ce que je vous suis pour manquer de vous dire que si vous aimez Mme de Chevreuse, vous empêchiez sa perte, qui est indubitable en France, où on la veut pour sa ruine. Ceci n'est pas une opinion; il n'y a autre remède qu'à suivre cet avis pour garantir Mme de Chevreuse, dont le cardinal a dit affirmativement trop de mal, touchant l'Espagne et M. de Lorraine, pour n'en plus rien dire à l'avenir. Enfin, il n'y a que patience pour Mme de Chevreuse à cette heure, ou perdition sûre, et regret éternel pour celui qui écrit.» De quelque part que vînt ce billet, on peut juger s'il troubla Mme de Chevreuse. Il répondait à tous les instincts de son cœur et à la connaissance que, de longue main, elle avait acquise des implacables ressentiments du cardinal. Elle suspendit ou prolongea ses préparatifs de départ, et, aussi loyale que prudente, elle montra à Boispille ce qu'elle venait de recevoir, l'autorisant à le communiquer à Richelieu. Un mois à peine écoulé, elle reçut une autre lettre du même genre, non plus anonyme, mais signée de l'homme au monde qui lui était le plus dévoué: «Je suis certain du dessein qu'a fait M. le cardinal de Richelieu de vous offrir toutes choses imaginables pour vous obliger de retourner en France, et aussitôt vous faire périr malheureusement. Le marquis de Ville, qui a parlé à lui et à M. de Chavigny, vous en pourra rendre plus savante, comme l'ayant ouï lui-même. Je l'attends à toute heure, et si je croyois pouvoir assez sur votre esprit pour vous divertir de prendre cette résolution, je m'en irois me jeter à vos pieds pour vous faire connoître votre perte absolue, et vous conjurer, par tout ce qui vous peut être au monde de plus cher, d'éviter ce malheur, trop cruel à toute la terre, mais à moi plus insupportable qu'à tout le reste du monde, vous protestant que si ma perte pouvoit procurer votre repos, j'estimerois cette occasion très-heureuse qui me la procureroit, et que rien autre chose ne me fait vous servir que votre seule considération, étant pour jamais, Madame, votre très-affectionné serviteur, «CHARLES DE LORRAINE. «Cirk, le 26 mai 1639.» Ce nouvel avis porta à son comble l'anxiété de Mme de Chevreuse. Elle fit passer à Richelieu cette seconde lettre, comme elle avait fait la première, pour lui montrer qu'elle n'était pas retenue par de médiocres motifs, et le faire juge de ses incertitudes. Elle déclara aussi qu'elle ne partirait point avant d'avoir vu et entendu le marquis de Ville, que lui annonçait le duc de Lorraine. Henri de Livron, marquis de Ville, était un gentilhomme lorrain, plein d'esprit et de valeur, attaché à son pays et à son prince, qui, fait prisonnier, mis à la Bastille, puis relâché par Richelieu, avait été rejoindre le duc Charles dans les Pays-Bas. Il vint à Londres dans les premiers jours du mois d'août 1639, et fit tous ses efforts pour persuader à Mme de Chevreuse de rompre avec le cardinal. La duchesse voulut qu'il s'expliquât devant Boispille, et que celui-ci rendît compte à Richelieu de cette conférence. Le marquis de Ville demeura inébranlable dans son opinion, et il ne demanda pas mieux que de rédiger et signer cette déposition: «Un nommé Lange, m'ayant accompagné l'hiver dernier depuis Paris jusqu'à Charenton, me dit qu'il savoit l'affection que j'avois au service de Mme de Chevreuse, qui l'obligeoit de s'adresser à moi pour me dire qu'elle étoit perdue si elle retournoit à cette heure en France. Le pressant de me dire ce qu'il savoit particulièrement sur ce sujet, après avoir tiré parole de moi que je ne le dirois qu'à son altesse de Lorraine ou à Mme de Chevreuse, il me dit qu'il n'y avoit que deux jours que M. le cardinal, en parlant à M. de Chavigny de Mme de Chevreuse, témoignoit d'être fort mal satisfait de ce qu'elle persistoit à nier d'avoir conseillé à M. de Lorraine de ne s'accommoder pas avec la France. De quoi M. de Chavigny faisoit aussi fort l'étonné, disant tous deux que cette affaire est bien éclaircie, et que, Mme de Chevreuse étant en France, on la feroit bien parler françois avec ses lettres qu'ils avoient, qu'elle ne croit pas, et que si elle les pensoit tromper, elle se trompoit elle-même. Disant savoir ceci comme l'ayant ouï lui-même. A Londres, ce 8 août 1639. Henri de Livron, marquis de Ville.» Cet écrit fut loyalement envoyé à Richelieu comme les précédents. Nous le demandons: tout cela ne devait-il pas faire la plus forte impression sur l'esprit de Mme de Chevreuse? Pouvait-elle se rappeler sans terreur les sollicitations obstinées du cardinal pour lui arracher, par diverses voies directes et indirectes, un aveu bien indifférent, s'il n'avait l'intention de s'en servir contre elle? Ne connaissait-elle pas son humeur altière, la passion qu'il avait de tenir tout le monde à ses pieds, et d'avoir toujours de quoi perdre ses ennemis? Quiconque a ressenti les amertumes et les misères de l'exil ne s'étonnera pas que l'infortunée duchesse fût descendue jusqu'à subir des conditions pénibles et mal sûres, dans l'ardent désir de retrouver la patrie et le foyer domestique. Qui pourrait aussi la blâmer d'avoir hésité, sur des avis tels que ceux que nous venons de rapporter, à franchir le pas après lequel, si par malheur elle s'était trompée, il n'y avait plus pour elle que des regrets éternels et un désespoir sans ressource? Bientôt un autre conseil, qui lui était un ordre, l'enchaîna sur la terre étrangère. Celle pour qui, depuis dix années, elle avait tout souffert et tout bravé, son auguste amie, sa royale complice, Anne d'Autriche, lui fit dire de ne pas se fier aux apparences. Un jour, à Saint-Germain, la reine, rencontrant M. de Chevreuse, lui demanda des nouvelles de la duchesse. Celui-ci répondit qu'il avait fort à se plaindre de Sa Majesté qui seule empêchait sa femme de revenir. La reine lui dit qu'il avait grand tort de se plaindre d'elle, qu'elle aimait bien Mme de Chevreuse, qu'elle souhaitait bien de la revoir, mais qu'elle ne lui conseillerait jamais de rentrer en France[183]. Il parut à Mme de Chevreuse qu'Anne d'Autriche devait être bien informée, et elle se décida à suivre un avis parti de si haut. Elle ne toucha point à l'argent de Richelieu, et lui écrivit une dernière fois le 16 septembre, lui représentant ses incertitudes et ses embarras, et lui demandant du temps pour apaiser les inquiétudes qui travaillaient son esprit. Le même jour elle annonce à son mari, à Du Dorat et à Boispille, sa résolution définitive. «Je désire bien vivement, dit-elle à son mari, me voir en France en état de remédier à nos affaires et de vivre doucement avec vous et mes enfants; mais je connois tant de périls dans le parti d'y aller, comme je sais les choses, que je ne le puis prendre encore, sachant que je n'y puis servir à votre avantage ni au leur, si j'y suis dans la peine. Ainsi il me faut chercher avec patience quelque bon chemin qui enfin me mène là, avec le repos d'esprit que je ne puis encore trouver... J'ai appris des particularités très-importantes dont je suis absolument innocente, ainsi que peut-être on le reconnoît à cette heure, et dont toutes les apparences montrent qu'on me vouloit accuser. Je ne puis pas m'expliquer plus clairement sur cela.»--A l'abbé Du Dorat: «Je m'étonne comme on me peut accuser de feindre des appréhensions imaginaires pour n'aller pas jouir des biens véritables, au lieu de me plaindre des peines où ma mauvaise fortune me réduit.»--A Boispille: «Depuis votre départ, j'ai eu tant de nouvelles connoissances de la continuation de mon malheur dans les soupçons qu'il donne de moi, qu'il m'est impossible de me résoudre à m'aller exposer à tout ce qu'il peut produire... Croyez que je souhaite si passionnément mon retour, que je passe par-dessus beaucoup de choses, mais il y en a qui m'arrêtent avec tant de raison qu'il faut nécessairement que je demeure encore où je suis. Je sens et sens trop les incommodités de cet éloignement, pour ne le pas faire finir aussitôt que j'y verrai jour. En attendant, il vaut mieux souffrir que périr[184].» [183] Lettre de l'abbé Du Dorat à Richelieu, Manuscrits de Colbert, fol. 47. [184] Manuscrits de Colbert, fol. 53, etc. Ainsi s'évanouirent les dernières espérances d'un rapprochement sincère entre deux personnes qu'attiraient l'une vers l'autre et que séparaient avec la même force d'insurmontables instincts, qui se connaissaient trop pour ne pas se craindre, et pour se fier à des paroles dont elles n'étaient point avares, sans exiger de sérieuses garanties qu'elles ne pouvaient ni ne voulaient donner. A Tours, deux ans auparavant, Mme de Chevreuse avait mieux aimé reprendre une seconde fois le chemin de l'exil que de risquer sa liberté; à Londres aussi elle préféra supporter les douleurs de l'exil, consumer ses derniers beaux jours dans les privations et les fatigues, pour demeurer libre, avec l'espoir de lasser la fortune à force de courage, et de faire payer cher ses souffrances à leur auteur. Au milieu de l'année 1639, Marie de Médicis, fatiguée de la vie errante qu'elle menait dans les Pays-Bas, à la merci du gouvernement espagnol, qui lui avait prodigué les promesses dans l'espoir d'en tirer parti, et qui la délaissait la voyant impuissante à le servir, résolut de venir demander un asile à sa fille, la reine d'Angleterre. Celle-ci pouvait-elle donc repousser sa vieille mère, malade et réduite aux dernières extrémités? L'impitoyable Richelieu accuse Mme de Chevreuse[185] d'avoir soutenu et secondé la résolution de la reine Henriette; il lui fait un crime d'avoir été, elle-même exilée et malheureuse, mêler ses respectueux hommages à ceux de la cour d'Angleterre envers la veuve d'Henri IV, la mère de Louis XIII et de trois grandes princesses, qui venait d'essuyer sur l'Océan une tempête de sept jours, et arrivait dénuée, abattue, mourante, triste objet de la compassion universelle. Richelieu trouve dans ces hommages et dans les visites que fit Mme de Chevreuse à Marie de Médicis, des intrigues et des complots. Ce sont là vraisemblablement les accusations dont se plaint à mots couverts Mme de Chevreuse dans ses dernières lettres. Elle les repousse avec assez de vraisemblance; il paraît bien qu'elle se tint tranquille et même fort circonspecte aussi longtemps qu'elle conserva l'espoir d'une sincère réconciliation avec Richelieu; mais lorsqu'elle se crut bien sûre qu'il la trompait, l'attirait en France pour l'avoir en sa dépendance et au besoin la faire enfermer, ayant à peu près rompu avec lui, elle se considéra comme délivrée de tout scrupule, elle ne songea plus qu'à lui rendre guerre pour guerre, et resserra ses engagements avec l'Espagne. [185] _Mémoires_, t. X, p. 484. Quelque temps après Marie de Médicis, vint encore à Londres chercher un refuge une autre victime du cardinal, un autre proscrit, intéressant au moins par l'incroyable iniquité des formes du jugement rendu contre lui: l'ancien gouverneur de Metz, le marquis, devenu duc de La Valette, un des fils du vieux duc d'Épernon, le propre frère du cardinal de La Valette, l'un des généraux et des confidents de Richelieu, qui peut-être l'avait sauvé par ses conseils à la journée des dupes, et dont l'épée l'avait tant de fois fort bien servi dans les Pays-Bas et en Italie. Le duc de La Valette avait commis une grande faute. Au siége de Fontarabie, placé sous les ordres de M. le Prince, il avait fait échouer cette importante entreprise en ne secondant pas son général comme il le devait. Sans doute, ainsi que son père, il n'aimait pas Richelieu, il ne servait qu'à contre-cœur, il avait été indirectement mêlé à l'affaire de Chalais; mais avait-il trahi à Fontarabie et s'entendait-il déjà avec l'Espagne? Rien ne le prouve, et tout porte à croire que la seule jalousie envers le prince de Condé l'avait fait manquer à son devoir. Une juste punition eût satisfait l'armée; l'excès de la condamnation et le scandale du procès révoltèrent tous les honnêtes gens. Au lieu d'être traduit devant le parlement en sa qualité de duc et pair, selon les règles de la justice du temps, Bernard de La Valette fut livré à une commission, comme l'avait été le maréchal de Marillac. Le duc, voyant qu'on en voulait à sa vie, s'enfuit, et on le jugea par contumace de la façon la plus inouïe. Le roi assembla dans sa chambre un certain nombre de membres du parlement, le premier président, les présidents à mortier, quelques conseillers d'État, quelques ducs et pairs bien choisis; il en forma une sorte de tribunal, se mit à sa tête, présida lui-même, et, malgré la résistance généreuse de la plupart des membres du parlement, qui demandaient que l'affaire leur fût renvoyée selon toutes les ordonnances, il força ces prétendus juges de délibérer[186], d'adopter les tristes conclusions du procureur général, et on déclara le duc de La Valette criminel de lèse-majesté, coupable de perfidie, trahison, lâcheté et désobéissance; il fut condamné à être décapité, ses biens confisqués, et ses terres mouvant de la couronne réunies au domaine du roi. Le procureur général, Mathieu Molé eut grand'peine à se faire décharger du soin de mettre à exécution cette odieuse sentence, et l'illustre contumace fut décapité en effigie, sur la place de Grève, le 8 juin 1639. Une telle façon de procéder en matière criminelle, était le renversement de toutes les lois du royaume. Puisqu'elle consterna des magistrats attachés au roi et qui certes n'étaient pas des factieux, tels que les présidents Lejay, Novion, Bailleul, de Mesmes, Bellièvre, est-il surprenant qu'elle ait révolté l'âme d'une femme, et que Mme de Chevreuse ait conjuré Charles Ier de recevoir dans ses États le noble fugitif? Remarquez bien que le duc de La Valette n'arriva en Angleterre qu'à la fin d'octobre 1639, lorsque Mme de Chevreuse n'avait plus aucun ménagement à garder envers Richelieu. Elle intercéda si vivement auprès de Charles Ier que, malgré l'opinion contraire du conseil des ministres, grâce à l'intervention de la reine, elle obtint pour le duc la permission de venir résider à Londres, et même d'être présenté au roi, mais en particulier et en secret, pour ne pas trop blesser la France[187]: vaine précaution, qui ne sauva pas le roi Charles des rancunes vindicatives de Richelieu. Le cardinal, voyant que Mme de Chevreuse l'emportait sur lui auprès du roi d'Angleterre, et qu'elle le poussait vers ses ennemis, travailla plus que jamais à susciter au malheureux roi des embarras domestiques qui le missent hors d'état de nuire à la France; il poursuivit dans l'ombre ses pratiques artificieuses auprès des parlementaires, et surtout auprès des puritains d'Écosse[188]. [186] Il faut voir cette scène inouïe, non pas seulement dans la relation détaillée et suspecte que publièrent les amis de La Valette, et qui se trouve parmi les pièces imprimées à la suite des _Mémoires_ de Montrésor, mais dans les _Mémoires_ d'Omer Talon, Collection Petitot, 2e série, t. LX, p. 186-197. [187] _Mémoires_ de Richelieu, t. X, p. 498 et 499. [188] Voyez la lettre de Richelieu au comte d'Estrade du 2 décembre 1637; voyez aussi dans l'APPENDICE diverses lettres de 1639 de Boispille au cardinal, où il lui donne des nouvelles du peu de progrès de l'armée royaliste en Écosse avec une satisfaction mal dissimulée, qui trahit les sentiments de celui auquel il écrit. Voyez surtout à la Bibliothèque impériale, fond de Harlai, 223/23 un manuscrit in-fol., contenant des _Lettres du sieur de Montereul, secrétaire de monsieur de Bellièvre, ambassadeur en Angleterre, escrittes au dit sieur de Bellièvre, ès années 1638, 1639, 1640 et 1641, ensemble les duplicata des lettres qu'il escrivoit à la cour_. Montereul, chargé d'affaires en l'absence de l'ambassadeur, adresse à Bellièvre et au ministre des affaires étrangères de France, le comte de Chavigni, les renseignements les plus précieux sur l'état des partis en Angleterre, les débats des chambres, les fautes de la cour, et les progrès de l'opposition qu'il raconte avec une sorte de triomphe. Ce manuscrit est de la plus grande importance pour l'histoire des premiers commencements de la révolution d'Angleterre. On y voit fort bien que la France se réjouissait des embarras intérieurs qui empêchaient le gouvernement anglais de faire cause commune avec l'Espagne, et se servait du fanatisme protestant qui repoussait toute alliance avec Sa Majesté catholique. Il est curieux d'y trouver Pim, ce grand patriote, s'entendant fort bien avec Montereul, et protestant de son zèle pour les intérêts de la France, comme plus tard le fera Sidnei. Richelieu fit imprimer le _Manifeste des Écossois_, lorsqu'ils s'avancèrent en 1641 vers l'Angleterre, dans la _Gazette_ de cette année, no 34, p. 161. «On ne peut douter, dit l'exact et savant père Griffet, t. III, p. 158, que Richelieu n'ait été un des premiers auteurs de la révolution qui conduisit dans la suite Charles Ier sur l'échafaud et Cromwell sur le trône. M. de Brienne paraît en convenir, mais il a soin de remarquer que les _choses allèrent bien plus loin que le cardinal ne l'avoit prévu et qu'il ne l'eût souhaité_.» De son côté, Mme de Chevreuse ne s'endormit pas. Une fois son ancien duel avec Richelieu renouvelé, elle forma à Londres, avec la reine mère, avec le duc de La Valette, avec l'habile et infatigable Soubise, avec le marquis de La Vieuville, ancien surintendant général des finances que le cardinal avait accusé et fait déclarer coupable de concussion, une petite mais puissante faction d'émigrés qui, s'appuyant en secret sur la reine Henriette, secondés par lord Montaigu, devenu ardent catholique et le conseiller intime de la reine, par le chevalier d'Igby et par d'autres grands seigneurs, entretenant aussi d'étroites intelligences avec la cour de Rome par son envoyé en Angleterre, Rosetti[189], surtout avec le cabinet de Madrid, encourageant et enflammant en France les espérances de tous les mécontents, semaient de toutes parts des obstacles sur la route de Richelieu et amassaient des périls sur sa tête. [189] Aussi lorsque plus tard, en 1643, le pape destina le cardinal Rosetti à le représenter au congrès de Münster, le successeur de Richelieu n'hésita pas à l'exclure, en se fondant particulièrement sur ce que, pendant sa mission en Angleterre, Rosetti s'était fort lié avec Mme de Chevreuse, et qu'elle l'avait entièrement gagné. BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE, fond Gaignière, vol. 510, in-fol. sous ce titre: _Dépesches importantes sur la paix d'Italie des années 1643 et 1644_. Lettre de la reine à M. de Fontenai-Mareuil, 25 septembre 1643: «Vous avez fait entendre (aux ministres du pape) les raisons qui me convioient à faire exclusion au cardinal Rosetti de la légation de la paix, non pour avoir eu communication très-étroite avec Fabroni (confident et ministre de la reine mère), mais pour l'avoir affectée avec les ministres d'Espagne pendant son séjour en Angleterre qu'ils veulent excuser sur le but de la religion; mais il faudrait être bien simple pour s'y laisser prendre, et ne pas voir que, sous couleur de traiter d'une affaire, on en embarque une autre. Il n'est pas possible que leur ayant rendu compte de sa mission, il ne leur ait pas mandé qu'il avoit des communications très-secrètes et fréquentes avec la duchesse de Chevreuse, et qu'ils ignorent combien elle a recherché de nuire à l'État, les desseins pernicieux qu'elle a concertés et essayé d'advancer, et qu'enfin agissant avec beaucoup d'esprit offensé, et comme font d'ordinaire les femmes qui pour contenter leurs passions vont toujours aux extrêmes, elle n'a rien omis à promettre ou à embarquer qui pût causer la ruine de la France.» En 1640, Mme de Chevreuse était, à Londres, le chef avoué des ennemis du cardinal, et en commerce public avec l'Espagne et avec le duc de Lorraine, réfugié dans les Pays-Bas et à peu près passé au service de l'Autriche. Le marquis de Ville ayant été envoyé par le duc en Angleterre pour obtenir la permission de faire des recrues[190], avait amené avec lui six beaux chevaux dont son maître faisait cadeau à Mme de Chevreuse; il était descendu à son hôtel et avait pris logement chez elle. Le marquis de Velada, grand d'Espagne, gouverneur de Dunkerque, ambassadeur extraordinaire à Londres, avant même de voir le roi, avait été faire visite à Mme de Chevreuse, et s'était servi de son carrosse pour aller à sa première audience[191]. Elle protégeait et dirigeait à Londres les émissaires du prince Thomas de Savoie, tout à fait devenu un général espagnol, qui nous faisait la guerre en Flandre, et menaçait le trône de sa belle-sœur, la duchesse de Savoie, veuve de Victor-Amédée, Madame Royale, la sœur de Louis XIII[192]. Rencontrant de tous côtés la main de Mme de Chevreuse, Richelieu sentit mieux que jamais qu'elle lui faisait plus de mal partout ailleurs qu'en France, et il s'avisa d'un dernier moyen pour la contraindre à y revenir. Il mit en avant le duc de Chevreuse[193]. Celui-ci, poussé à la fois par l'intérêt et par l'honneur, écrivit au roi et à la reine d'Angleterre, dans les premiers mois de l'année 1640, les lettres les plus pressantes où il les suppliait de ne pas encourager la désobéissance de sa femme aux ordres du roi et aux siens; et puisque ni Boispille ni Du Dorat n'avaient pu réussir auprès d'elle, il annonça hautement sa résolution de venir lui-même la chercher. Cette résolution épouvanta Mme de Chevreuse[194]. Elle connaissait son mari: elle savait qu'après tout il était Guise, et qu'à une assez grande faiblesse de caractère il joignait une intrépidité, une audace qui ne reculerait devant aucune extrémité, et qu'évidemment couvert et soutenu par le cardinal, il était homme à l'enlever l'épée à la main, en plein jour, à Londres, au milieu de tous ses amis. En vain le roi Charles Ier et la reine Henriette lui promirent leur protection; elle reconnut qu'il n'y avait d'asile assuré pour elle que sur le sol espagnol, et elle céda aux instances du duc de Lorraine qui la faisait inviter par M. de Ville à se rendre auprès de lui en Flandre. Elle reçut de la reine Henriette un riche présent d'adieu, et apprenant que M. de Chevreuse faisait ses préparatifs pour passer la mer, elle le prévint, remit à Craft le soin de ses affaires en Angleterre, et, le 1er mai[195], partit de Londres accompagnée d'une brillante escorte, du marquis de Velada et du résident d'Espagne, du duc de La Valette, du marquis de La Vieuville et de son fils, du marquis de Ville, de lord Montaigu et de Craft, et d'un officier du roi, le comte de Niewport chargé par Sa Majesté Britannique de la couvrir de sa protection si on rencontrait M. de Chevreuse sur la route, et de la conduire avec les plus grands honneurs jusqu'aux limites de ses États. Le 5 mai, elle s'embarqua à Rochester pour Dunkerque[196], suivie du fidèle comte de Craft, qui ne voulut la quitter que le plus tard possible, et elle alla s'établir à Bruxelles. Là, n'ayant plus de mesure à garder, elle se donna tout entière et ouvertement à l'Espagne, y attacha de plus en plus le duc Charles, ainsi que les principaux émigrés français de Londres, La Valette et Soubise[197]. Elle se lia étroitement avec don Antonio Sarmiento, le plus influent ministre d'Espagne dans les Pays-Bas. On ne sait pas communément, mais nous pouvons établir qu'en 1641 elle prit une assez grande part à l'affaire du comte de Soissons, c'est-à-dire à la conspiration la plus formidable qui ait été tramée contre Richelieu. [190] Manuscrit déjà cité de la Bibliothèque impériale, _Lettres de Montereul_. Dépêche du 15 mars 1640: «Le marquis de Ville vient pour avoir permission du roi de faire passer en Flandre mille Anglois pour joindre aux troupes du duc Charles. A quoi il n'aura pas peu de difficulté, quelque crédit qu'y employe Mme de Chevreuse.»--Dépêche du 5 avril: «Le marquis de Ville vient aussi avec six beaux chevaux que le duc Charles envoye à Mme de Chevreuse, pour laquelle il y a peu d'apparence que le voyage de M. Du Dorat puisse être utile.»--Dépêche du 12 avril: «Le marquis de Ville arriva vendredi matin, il alla descendre chez Mme de Chevreuse; il s'est toujours servi d'un de ses carrosses, et a mangé chez elle...» [191] _Ibid._ Dépêche du 12 avril: «M. le marquis de Velada, grand d'Espagne, gouverneur de Dunkerque, ambassadeur extraordinaire en Angleterre, est arrivé hier... A peine arrivé, il alla visiter Mme de Chevreuse.»--Dépêche du 19: «Le marquis de Velada eut hier la première audience du roi et de la reine... Mme de Chevreuse lui envoya son beau carrosse... Cela ne l'empêche pas d'assurer qu'elle retourne en France dans quinze jours. La reine dit encore hier qu'il n'étoit pas besoin de lui préparer un logement à Greenwich, parce qu'elle alloit en France avant la fin du mois, et qu'elle n'attendoit que de l'argent pour payer ses dettes avant de partir. Je ne puis me persuader qu'elle exécute ce qu'elle promet: il me semble que le chemin de chez l'ambassadeur d'Espagne à Whitehall n'est pas le plus droit pour aller en France.» [192] _Ibid._ Dépêche du 2 février 1640: «Le sieur Hallot a été fort mal reçu de la reine quand il lui a rendu ses lettres du prince Thomas; elle lui a dit qu'elle ne pouvoit voir de bon œil une personne qui venoit de la part de celui qui faisoit un si mauvais traitement à sa sœur. Il est bien avec Mme de Chevreuse et avec M. de La Valette, et voit fort souvent les ministres de la reine mère.»--Dépêche du 16 février: «Le sieur Hallot a été visité par M. de La Vieuville, qui y demeura longtemps, et par Fabroni qui fut longtemps enfermé avec lui, avant qu'il eût envoyé ses dépêches en Flandres où il écrit beaucoup; il écrit aussi en France, et dit qu'il vient en cette cour pour faire agréer au roi les actions du P. Thomas, et essayer de tirer d'ici quelques secours pour ce prince.»--Dépêche du 23 février: «Hallot se trouva ces jours passés chez Mme de Chevreuse avec La Colle (?), où Hallot parla fort longtemps des affaires de Savoie à l'avantage du P. Thomas. La Colle lui avoua franchement qu'il seroit fâché si les affaires alloient si bien pour ce prince, et lui dit que pour lui il étoit du côté de Mme de Savoie. Alors Hallot haussa la voix et lui repartit: Est-il possible que vous osiez parler en ces termes, étant des amis de Mme de Chevreuse et vous trouvant dans son logis?» [193] On ne croyait pas que l'idée du voyage du duc de Chevreuse en Angleterre lui fût venue spontanément, et Montereul écrit à M. de Bellièvre, le 3 mai 1640: «On vous croit ici l'auteur du voyage de M. son mari en ces quartiers.» [194] Dépêche de Montereul du 29 mars 1640: «Mme de Chevreuse a été extrêmement surprise par la nouvelle de la résolution qu'avoit prise M. son mari de venir en Angleterre... On n'a jamais vu un tel trouble... Elle parloit de s'enfuir en Flandre si le roi ne l'eût assurée que, s'étant mise sous sa protection, il ne permettroit pas qu'on la pût forcer à retourner en France. Mme de Chevreuse le dit ainsi, mais d'autres m'ont dit que la promesse du roi n'étoit pas si précise, et que la reine lui avoit seulement fait dire qu'elle la prenoit en sa protection. Elle dépêcha dimanche dernier un courrier en France pour détourner M. de Chevreuse de venir ici, en cas qu'il eût ce dessein.»--Dépêche du 12 avril: «Un autre objet du voyage de M. de Ville, est pour assurer Mme de Chevreuse qu'elle sera bien venue en Flandre, au cas qu'elle soit obligée de s'y retirer; ce qui est conforme à ce qu'elle a dit à la reine depuis l'arrivée de ce marquis, qu'elle étoit résolue d'aller en Flandre devant un mois. La reine l'a dit ainsi, et a ajouté qu'elle avoit bien de la peine à le croire.»--Dépêche du 25 avril: «Mme de Chevreuse dépescha en France, vendredi dernier, un de ses valets de chambre. Elle fait croire qu'elle est résolue de passer en Flandre si M. de Chevreuse vient en Angleterre, comme on lui mande et comme l'écrit M. Leicester. On me donne avis que M. de La Valette a dit à table qu'il alloit écrire en France qu'elle partoit demain pour Flandre, ce qui me fait croire qu'elle n'en fera rien que le plus tard qu'il lui sera possible, et qu'elle voudroit bien n'être pas obligée d'y aller du tout. M. de Soubise arriva en cette ville samedi dernier. M. de La Valette et M. Le Coigneux (un des conseillers du duc d'Orléans) la voient fort souvent. On m'a averti de plusieurs endroits qu'ils avoient dessein de brouiller en France. On m'a dit qu'ils avoient quelque entreprise sur Oleron. Il y a peu d'apparence qu'ils soient aidés par le roi d'Angleterre.» [195] _Ibid._ Dépêche du 3 mai: «Mme la duchesse de Chevreuse, après avoir remis de jour en jour son voyage de Flandre, partit de Londres mardi premier jour de ce mois, à onze heures du matin, accompagnée du marquis de Velada et du résident d'Espagne, qui la quittèrent à huit milles d'ici, de M. le duc de La Valette, du marquis de La Vieuville, père et fils, du marquis de Ville, des sieurs Montaigu et Craft. Le comte de Niewport l'a aussi accompagnée jusqu'aux dunes; on croit que c'est par ordre du roi de la Grande-Bretagne, pour assurer M. le duc de Chevreuse, si elle le rencontre par les chemins, que le roi la tient en sa protection jusques à ce qu'elle soit hors de ses États... Il y a apparence, et par les coffres qu'elle a laissés chez Craft, à ce qu'on m'a dit, et par quelques paroles qui ont échappé à ceux qui ont plus de part à ses secrets, qu'elle fera tous ses efforts pour revenir dans cinq ou six mois, encore que le galland de diamants que lui a donné la reine de la Grande-Bretagne, qui est estimé dix mille escus, semble être un présent pour un dernier adieu... Ceux qui font de plus prudentes réflexions sur les choses qui se passent en cette cour, disent que cette fuite ne devroit pas retarder le voyage de M. de Chevreuse en ces quartiers, puisque, outre qu'il soutiendroit ici l'honneur de la nation, étant d'autre condition que les ambassadeurs d'Espagne, et qu'il aideroit à achever de ruiner en cette cour les mauvais François qui demeurent, et desquels il auroit juste sujet de se plaindre comme étant cause du malheur de Mme sa femme; il pourroit encore tirer parole du roi de la Grande-Bretagne que Mme de Chevreuse ne reviendroit plus en ses États, ce qu'on croit que ce roi promettroit volontiers, particulièrement s'il paroissoit y être forcé.» [196] Dépêche du 10 mai: «Mme de Chevreuse s'embarqua samedi 5 de ce mois, à Rochester, où elle revint en diligence de Cantorberi sur une fausse allarme qu'elle eut que M. le duc, son mari, étoit déjà à Douvres. Bien que son voyage ait été résolu assez promptement, il ne s'est pas exécuté sans peine et sans regret de la part de ceux qu'elle servoit ici. Ils l'ont à peine vue partir, qu'ils ont commencé leurs instances pour la faire revenir; de sorte qu'on croit que la venue de M. de Chevreuse ne seroit pas inutile pour l'empêcher... Comme vous jugez bien, M. Craft a suivi Mme de Chevreuse.»--Dépêche du 17 mai: «Mme de Chevreuse arriva à Dunkerque il y eut mardi huit jours.» [197] _Ibid._ Dépêche du 6 novembre 1640: «On me donne avis que M. de La Valette et M. de Soubise ont traité avec le roi d'Espagne par l'entremise de Mme de Chevreuse (alors en Flandre), que le marquis de Malvezzi a été envoyé ici pour ce traité, lequel a été conclu il y a quatre mois, que M. de La Valette promet de faire soulever la Guyenne et les provinces voisines (dont son père, le duc d'Épernon, était gouverneur),... qu'il touche mille écus chaque mois depuis ce traité,... que M. de Soubise reçoit pareille pension d'Espagne,... que M. Marmet, ministre (protestant), reçoit aussi pension d'Espagne...» Louis de Bourbon, comte de Soissons, prince du sang, avait été nourri, par sa mère, l'orgueilleuse Anne de Montafié, dans des prétentions dont aucune n'avait été satisfaite. En 1616, voyant le prince de Condé jeté en prison et menacé d'y mourir sans enfants, Mme la Comtesse avait conçu l'espoir que le titre de premier prince du sang retomberait bientôt sur la tête de son fils. Mais en 1619 M. le Prince était sorti de Vincennes et avait repris son rang au-dessus des cadets de sa maison. Sous le ministère de Luynes, le jeune comte avait osé prétendre à la main de Madame Henriette-Marie; elle lui avait échappé, et avait été donnée un peu plus tard à Charles Ier. M. le Comte et sa mère s'étaient alors tournés contre Luynes, et ils avaient été, en 1620, à Angers grossir le parti de Marie de Médicis. Sous Richelieu, convoitant pour lui-même la riche héritière des Montpensier, le comte de Soissons avait vu de très-mauvais œil le projet de la marier au duc d'Orléans, et pour faire échouer ce projet il n'avait point hésité à se jeter au milieu de la conspiration qui avait si tristement fini dans les cachots de Vincennes et sur la place publique de Nantes. Afin d'éviter le sort du grand prieur de Vendôme, il avait pris la fuite et s'était retiré d'abord en Suisse, puis en Piémont, auprès de son beau-frère, le prince Thomas de Savoie. Plus tard, il avait fait sa paix avec le roi et Richelieu par l'intermédiaire de son autre beau-frère, le duc de Longueville, et en 1636 on lui confia, sous le duc d'Orléans, le commandement de l'armée de Flandre; il y avait montré une valeur brillante et même des talents militaires, sans remporter toutefois de grands avantages. C'est vers ce temps-là, et lorsqu'ils étaient encore à l'armée, que le duc d'Orléans et le comte de Soissons formèrent cette mystérieuse conspiration d'Amiens que Richelieu a toujours ignorée, où les deux princes tinrent un moment entre leurs mains l'ennemi qu'ils devaient frapper, et le laissèrent échapper par un soudain retour de conscience ou par défaut de résolution. Les conjurés eurent peur d'eux-mêmes: le duc d'Orléans se retira bien vite à Blois, et le comte de Soissons à Sedan, auprès du duc de Bouillon. Frédéric-Maurice, le frère aîné de Turenne, était un homme de guerre et un politique, encore plus ambitieux, tout aussi capable, et moins prudent que son père. Sa place forte de Sedan, placée sur la frontière de la France et de la Belgique, lui semblait un asile d'où il pouvait braver toutes les menaces du cardinal. Le duc de Bouillon et le comte de Soissons se connaissaient depuis longtemps. Ils formèrent une ligue nouvelle, mieux concertée et plus puissante que celle de Montmorenci. Les circonstances étaient aussi bien plus favorables. Richelieu, en tendant tous les ressorts du gouvernement, en perpétuant la guerre, en aggravant les charges publiques, en opprimant les corps, en frappant aussi les particuliers, avait soulevé bien des haines, et il ne gouvernait guère plus que par la terreur. Son génie imposait; la grandeur de ses desseins parlait à quelques esprits d'élite; mais cette dureté continue et tant de sacrifices sans cesse renaissants fatiguaient le plus grand nombre, à commencer par le roi. Le favori du jour, le grand écuyer Cinq-Mars minait et noircissait le plus qu'il pouvait le cardinal dans l'esprit de Louis XIII. Il connaissait la conspiration du comte de Soissons, et sans en faire partie, il la favorisait. On pouvait compter sur lui pour le lendemain. La reine Anne, toujours en disgrâce malgré les deux fils qu'elle venait de donner à la France, faisait au moins des vœux pour la fin d'un pouvoir qui l'opprimait. Monsieur avait engagé sa parole, il est vrai bien peu sûre. On s'était ménagé de vastes intelligences dans toutes les parties du royaume, dans le clergé, dans le parlement. On conspirait jusque dans la Bastille, où le maréchal de Vitry et le comte de Cramail, tout prisonniers qu'ils étaient, avaient préparé un coup de main avec un secret admirablement gardé. L'abbé de Retz, qui avait alors vingt-cinq ans, préludait à sa carrière aventureuse par cet essai de guerre civile, qu'il avait même songé à inaugurer par un assassinat[198]. Le duc de Guise, échappé de l'archevêché de Reims et réfugié dans les Pays-Bas[199], allait sans cesse de Bruxelles à Sedan et de Sedan à Bruxelles; il devait, quand le moment serait venu, se joindre aux conjurés et combattre avec eux. Mais le plus grand, le plus solide espoir du comte de Soissons reposait sur l'Espagne: elle seule pouvait le mettre en état de sortir de Sedan, de marcher sur Paris et de briser le pouvoir de Richelieu; aussi envoya-t-il à Bruxelles un de ses gentilshommes les plus braves et les plus intelligents pour négocier avec les ministres espagnols et en obtenir de l'argent et des soldats. Ce gentilhomme s'appelait Alexandre de Campion. Il rencontra à Bruxelles Mme de Chevreuse, et lui fit part de la mission dont il était chargé. Elle s'empressa de le seconder de tout son crédit. Comme nous verrons reparaître plus d'une fois ce personnage dans la vie de Mme de Chevreuse, et au milieu des plus tragiques aventures, il nous faut bien nous y arrêter quelques moments et le faire un peu connaître. [198] Voyez dans le premier volume des _Mémoires_ tout le détail de cette affaire.--L'auteur de la _Conjuration de Fiesque_ s'attribue en cette occasion des discours politiques imités de Salluste, comme ses portraits, et où abondent les maximes d'État, selon la mode virile du temps, dont Richelieu est l'auteur et Corneille l'interprète. Les discours ont pu être ajoutés après coup pour donner au lecteur une grande idée du génie précoce de Retz, mais le récit, sauf toujours la charge ordinaire, est exact et s'accorde parfaitement avec les documents les plus certains. [199] Sur le duc de Guise, voyez LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chapitre III.--On lit dans la _Gazette_ de Renaudot, pour l'année 1641, no 61, p. 314: «Le 20 de ce mois de mai, le duc de Guise arriva de Sedan à Bruxelles, où il fut souper chez la duchesse de Chevreuse et coucher chez don Antonio Sarmiento.» Et dans le no 64, p. 327, sous la date du 28 mai: «Le secrétaire du duc de Bouillon est parti d'ici (Bruxelles) pour Sedan, où le duc de Guise est aussi retourné.» Lui-même au reste a pris soin de se peindre dans un ouvrage intitulé _Recueil de Lettres qui peuvent servir à l'histoire, et diverses Poésies, à Rouen, aux dépens de l'auteur_, 1657. Cet écrit, destiné seulement à quelques personnes, fort peu remarqué dans le temps, et depuis aussi peu connu que s'il n'avait jamais été, n'en est pas moins, quoique le titre le dise, très précieux pour l'histoire. Il est dédié à cette célèbre Gillonne d'Harcourt, comtesse de Fiesque, un des aides de camp de Mademoiselle pendant la guerre de la Fronde, femme d'esprit, intrigante et galante. Le livre est à l'avenant. Alexandre de Campion s'y montre plein de prétentions au bel esprit et à la galanterie; il recueille avec soin tous les petits vers qu'il fit dans sa jeunesse pour les belles d'alors, et donne sans façon les lettres qu'autrefois il écrivit, dans les circonstances les plus délicates, au comte de Soissons, au duc de Vendôme, au duc de Beaufort, au comte de Beaupuis, à de Thou, au duc de Bouillon, au duc de Guise, à Mme de Montbazon et à Mme de Chevreuse. On voit dans ces lettres qu'Alexandre de Campion, né, en 1610, d'une très bonne famille de Normandie, entré à vingt-quatre ans, en 1634, au service du jeune comte de Soissons, en qualité de gentilhomme, le suivit dans ses diverses campagnes, s'y distingua, et partagea peu à peu sa confiance avec Bardouville, Beauregard, Saint-Ibar, Varicarville, braves officiers et gens d'honneur, mais inquiets et un peu brouillons, qui flattaient l'ambition de leur maître, et le poussaient à jouer un grand rôle en France en renversant le cardinal de Richelieu. Alexandre de Campion nous apprend que, dès l'année 1636, le comte de Soissons méditait déjà ce qu'il exécuta un peu plus tard, qu'il s'entendait parfaitement avec le duc de Bouillon, et que l'un et l'autre s'efforcèrent d'attirer à Sedan le duc d'Orléans, afin de lever de là l'étendard de la révolte et de contraindre le roi à sacrifier son ministre. Campion alla à Blois pour décider le duc d'Orléans et lui indiquer les moyens les plus sûrs de se rendre à Sedan. En même temps il négociait avec Richelieu par le moyen du père Joseph. La fin de l'année 1636 et toute l'année 1637 se passèrent en ces intrigues, qui échouèrent par la peur qu'au moment d'agir éprouvèrent les conjurés à s'embarquer dans une pareille entreprise. Pendant que le comte de Soissons était réfugié à Sedan, son confident, resté à Paris, travaillait à lui faire des partisans par tous les moyens. Il se lia avec Cinq-Mars, et tandis que le comte avait un engagement secret avec une personne qu'il aimait et qui n'est pas ici nommée, Alexandre de Campion ne laissait pas de faire espérer sa main à diverses princesses et à leurs familles. En 1640, le complot, qui n'avait jamais été entièrement abandonné, se ranime et s'achève entre le duc de Bouillon et le comte de Soissons. Le grand écuyer, sans y entrer directement, promet son appui[200]. Emmanuel de Gondi, autrefois général des galeres, maintenant prêtre de l'Oratoire, père du duc de Retz et du futur cardinal, les présidents de Mesmes et Bailleul, sont consultés, non comme complices, mais comme amis. Richelieu les devine, et les éloigne de la cour et de Paris[201]. Après être resté quelque temps sur ce théâtre périlleux où il vit souvent l'abbé de Retz[202], Campion est bientôt réduit à fuir lui-même à Sedan. On l'envoie à Bruxelles négocier avec l'Espagne. C'est alors qu'il connut Mme de Chevreuse. La politique fit-elle seule les frais de cette liaison? Nous l'ignorons; mais lorsque Alexandre de Campion raconte au comte de Soissons tout ce qu'il doit à Mme de Chevreuse, le comte, jeune et galant, plaisante un peu son jeune et galant gentilhomme sur ses succès auprès de la belle duchesse, et celui-ci lui répond avec une apparente modestie, mêlée d'assez de fatuité: «3 juin 1641. M. de Châtillon (qui commandait l'armée envoyée par Richelieu contre les rebelles) ne vous fait guère de peur, puisque vous songez à me railler dans votre lettre, et c'est me savoir peu de gré des services que je vous rends en réunissant une illustre personne avec vous, et en vous procurant une amie qui ne l'avoit jamais été. Elle est persuadée de votre amitié par les compliments que vous lui faites dans votre lettre; mais si elle avoit vu celle que vous m'écrivez, peut-être n'agiroit-elle pas avec tant de chaleur, vos railleries n'étant pas trop obligeantes pour elle. Elle a écrit au comte-duc, de sorte que son assistance ne vous sera pas inutile; même, comme elle a tout pouvoir sur don Antonio Sarmiento, elle l'a fait écrire de la même manière, et elle a un très grand zèle pour vous. Je ne sais si vous en seriez quitte à si bon marché que vous pensez, si l'état de vos affaires vous obligeoit à faire un tour ici, ou si les siennes lui faisoient prendre le chemin de Sedan; mais si vous m'en croyez, vous n'aurez pas si bonne opinion de moi, puisqu'il est constant que j'envisage ces sortes de déités qui sont au-dessus de moi avec respect et vénération, et que comme elles n'ont garde de s'abaisser jusqu'à moi, je m'empêche bien d'élever mes prétentions jusqu'à elles. Après avoir parlé sincèrement, j'ose espérer que vous m'épargnerez à l'avenir, et elle aussi, qui se charge de solliciter vos affaires comme les siennes propres.» En effet, Mme de Chevreuse, sans qu'il soit besoin de lui prêter des raisons plus particulières, servit avec chaleur une entreprise dirigée contre l'ennemi commun. Elle écrivit au comte-duc Olivarès, et appuya vivement auprès de lui les demandes du comte de Soissons et du duc de Bouillon. A Bruxelles, elle entraîna don Antonio Sarmiento, et elle donna à Campion, ainsi qu'à l'abbé de Merci, agent d'intrigues au service de l'Espagne, des lettres pour le duc de Lorraine, où elle le pressait de ne pas manquer cette occasion suprême de réparer ses malheurs passés et de porter un coup mortel à Richelieu. Charles IV, sollicité à la fois par Mme de Chevreuse, par son parent le duc de Guise, par le ministre espagnol, surtout par son inquiète et aventureuse ambition, rompit l'alliance solennelle qu'il venait de contracter tout récemment avec la France, entra dans le traité de l'Espagne et du comte de Soissons, et fit diligence pour aller au secours de Sedan. Le général Lamboy et le colonel de Metternic accoururent de Flandre avec six mille impériaux. En même temps Mme de Chevreuse et les émigrés firent jouer tous les ressorts qui étaient entre leurs mains. La France et l'Europe étaient dans l'attente. Jamais Richelieu ne courut un plus grand danger, et la perte de la bataille de la Marfée lui serait peut-être devenue funeste, si le comte de Soissons n'eût trouvé la mort dans son triomphe. [200] Recueil d'Alexandre de Campion: lettres: «20 août 1640. M. le Grand est fort satisfait de ce que j'ai joint les compliments de M. Bouillon aux vôtres. Il m'a chargé de lui en faire beaucoup de sa part, et surtout de vous assurer qu'en temps et lieu vous verrez des marques que c'est tout de bon quand il vous a protesté par moi qu'il étoit votre très humble serviteur. Il est assuré du dessein que M. le cardinal a eu de le perdre: vous devez juger par là de ses intentions. Il se ménage fort avec la reine, Monsieur et vous, et en use assez adroitement. Personne ne sait que je le vois, et si la prospérité ne l'aveugle point, il est capable d'entreprendre quelque chose d'importance. En tout cas, si l'on vous poussoit et que vous fussiez nécessité de vous défendre pour ne vous laisser pas opprimer, il est bon d'avoir un protecteur auprès du roi, et un esprit ulcéré qui pour son propre intérêt ne perdra pas l'occasion de détruire celui qui le veut perdre. Je sais bien que ceux qui ne l'aiment pas blâmeront son ingratitude, à cause que M. le cardinal est son bienfaiteur; mais cela ne vous regarde pas...» Transcrivons encore cette lettre à De Thou du 3 mars 1641, un an avant l'affaire qui le conduisit à l'échafaud: «Je vous avoue que les raisons que vous m'alléguâtes il y a dix jours dans les Carmes-Déchaussés, ni celles que vous m'écrivez, ne me persuadent en aucune manière, et que je n'ai rien à ajouter à la réponse que je vous fis. Un voyage comme celui où votre ami et vous me voulez embarquer, qui sera d'abord suspect à *** qui ne m'aime pas, m'expose à sa vengeance et n'aboutit à rien. Je connois les gens, et un dessein de le ruiner par le cabinet est une chimère qui le perdra et peut-être vous aussi.» Il y a encore dans le _Recueil_ une autre lettre à De Thou où Alexandre de Campion lui annonce qu'il lui renvoie un portrait, des lettres et des bijoux que son ami lui avait confiés, qu'ainsi il pourra les rendre «à cette illustre personne pour laquelle on vous accuse de soupirer.» Il doit être ici question de Mme de Guymené. [201] _Ibid._ Lettre du 24 décembre 1640: «...Je montrerai vos lettres, suivant votre ordre, à madame votre mère, au père de Gondi et à MM. les présidents de Mesme et de Bailleul... Mais je prendrai la liberté de vous dire que j'eusse été bien aise de les voir en particulier, de peur que M. le cardinal ne sache qu'ils sont de vos amis, cela leur pouvant nuire s'il le découvre.»--«Du 21 janvier 1641. Je ne doute point du déplaisir que vous avez eu de l'éloignement du père de Gondi et des deux présidents. Je me doutois bien qu'on sauroit qu'ils seroient venus à l'hôtel de Soissons.» [202] _Mémoires_, t. Ier, p. 26. Mme de Chevreuse est-elle restée étrangère en 1642 à la nouvelle conspiration de Monsieur, de Cinq-Mars et du duc de Bouillon? Ce serait donc la seule à laquelle elle n'ait pas pris part. Il est bien douteux qu'elle ne fût pas dans le secret, ainsi que la reine Anne, dont l'intelligence avec Cinq-Mars et Monsieur ne peut pas être contestée. Tout en se ménageant très soigneusement avec Louis XIII et avec son ministre, Anne d'Autriche n'avait pas abandonné ses anciens sentiments ni même ses desseins, et elle eût pu être compromise dans l'affaire du comte de Soissons, si nous en croyons ces mots d'un billet d'Alexandre de Campion à Mme de Chevreuse, du 15 août 1641: «N'ayez point de peur des lettres qui parlent de la _personne du monde pour qui vous avez le plus de dévouement_; M. de Bouillon et moi nous avons brûlé toutes celles qui étoient dans la cassette du comte.» Quant au complot de Cinq-Mars, la reine le connaissait certainement, et elle y donna les mains. La Rochefoucauld l'affirme plusieurs fois comme une chose où il a été mêlé: «L'éclat du crédit de M. Le Grand, dit-il, réveilla les espérances des mécontents; la reine et Monsieur s'unirent à lui; le duc de Bouillon et plusieurs personnes de qualité firent la même chose. M. de Thou vint me trouver de la part de la reine pour m'apprendre sa liaison avec M. le Grand, et qu'elle lui avoit promis que je serois de ses amis[203].» Le duc de Bouillon déclare aussi que la reine s'entendait avec Monsieur et avec le grand écuyer, et qu'elle-même lui avait demandé son concours: «La reine[204], que le cardinal avoit persécutée en tant de manières, ne douta point que si le roi venoit à mourir, ce ministre ne voulût lui ôter ses enfants pour se faire donner la régence[205]. Elle fit rechercher le duc de Bouillon par de Thou secrètement et avec beaucoup d'instances. Elle lui fit demander que, le roi venant à mourir, il voulût lui promettre de la recevoir dans Sedan avec ses deux enfants, ne croyant pas, tant elle étoit persuadée des mauvaises intentions du cardinal et de son pouvoir, qu'il y eût aucun lieu de sûreté pour eux dans toute la France. De Thou dit encore au duc de Bouillon que, depuis la maladie du roi, la reine et Monsieur s'étoient liés étroitement ensemble, et que c'étoit par Cinq-Mars que leur liaison avoit été faite. Deux jours après, de Thou souhaita que la reine témoignât au duc de Bouillon la satisfaction qu'elle avoit de la manière dont il avoit répondu aux choses qui lui avoient été dites de sa part; ce qu'elle ne put faire qu'en peu de paroles et en passant pour aller à la messe, se remettant du reste à de Thou comme ayant en lui une confiance entière.» Turenne écrivant un an après à sa sœur, Mlle de Bouillon, lui dit: «Vous pouvez juger combien il doit être sensible à mon frère de voir la reine et Monsieur tout-puissants, et d'avoir perdu Sedan pour l'amour d'elle[206].» Or, où la reine Anne s'était si fort engagée, Mme de Chevreuse n'avait guère dû s'abstenir. Ajoutez qu'elle était depuis longtemps très-liée avec de Thou, qui s'était compromis pour elle dans une affaire qu'il nous est impossible de déterminer, mais où nous savons qu'il eut grand'peine à obtenir son pardon du cardinal, comme il le reconnaît lui-même dans le tragique procès qui le conduisit à l'échafaud[207]. Un ami de Richelieu, qui ne se nomme pas, mais qui paraît bien informé, n'hésite point à mettre Mme de Chevreuse, ainsi que la reine, parmi ceux qui alors ont voulu le renverser: «M. le Grand, écrit-il au cardinal[208], a été poussé à son mauvais dessein par la reine mère, par sa fille (la reine d'Angleterre) qui est en Hollande, par la reine de France, par Mme de Chevreuse, par Montaigu et autres papistes du parti malin d'Angleterre.» Enfin le cardinal lui-même, dans les premiers jours de juin 1642, retiré à Tarascon pour sa santé sans doute, mais aussi pour sa sûreté, avec ses deux confidents les plus dévoués, Mazarin et Chavigni, et les fidèles régiments de ses gardes, se sentant environné de périls sans savoir encore d'où ils viennent, et faisant représenter à Louis XIII la gravité de la situation, cite ce qu'on lui écrit des mouvements que se donne Mme de Chevreuse parmi les indices les plus alarmants[209]. [203] _Mémoires_, _ibid._, p. 362 et 363. [204] _Mémoires_ de la vie de Fréd.-Maurice de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon (par son secrétaire Langlade), Paris, 1692, in-12. [205] Cette crainte n'était pas dépourvue de fondement. Richelieu s'efforçait en effet de se faire donner par le roi la tutelle de ses enfants; et il y était presque parvenu, comme nous le voyons dans ce précieux document que nous tirons des archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CI, lettre de Chavigni à Richelieu, du 28 juillet 1642: «Le roi m'a dit depuis quelques jours qu'il se souvenoit que lors de sa grande maladie au camp de Perpignan, M. le Grand lui tint des discours pour le disposer à lui donner la tutelle de ses enfants après sa mort, sans pourtant lui en parler ouvertement. Sur quoi, prenant occasion d'exagérer l'effronterie et l'horrible ambition de ce scélérat, et de faire connoître à sa Majesté en général qu'il falloit qu'une personne eût toutes les qualités qu'il n'avoit pas pour être capable d'une telle charge, elle me dit: Si Dieu me met en état de penser à ce qui se fera après moi, je ne les puis laisser qu'à monseigneur le cardinal. Sur quoi je ne répondis rien que des protestations, de la part de son Éminence, de passion et de tendresse pour un si bon maître, etc.» [206] _Lettres et Mémoires_, etc., publiés par le général Grimoard, in-fº, t. Ier, p. 40. [207] _Nouveaux Mémoires d'histoire, de critique et de littérature_, par M. l'abbé d'Artigny, t. IV. _Pièces originales concernant le procès de MM. de Bouillon, Cinq-Mars et de Thou._ Interrogatoire du 6 juillet 1642, et surtout deuxième interrogatoire du 24 juillet: «Interpellé que pour ses sentiments il les a trop fait connoître en l'affaire de Mme de Chevreuse, a dit que pour l'affaire de Mme de Chevreuse, ayant la parole de M. le cardinal il s'en tient assuré, sachant bien qu'il ne fait pas de grâce à demi.» [208] Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CI, lettre anonyme du 4 juillet. [209] Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CII, mémoire inédit de Richelieu: «Il faut que MM. de Chavigny et de Noyers parlent au roi et lui disent que le cardinal, voulant partir de Narbonne, suivant son conseil, pour changer d'air, et ne sachant quel changement son transport apporteroit à son mal, a voulu témoigner de l'extrême confiance qu'il a en Sa Majesté en lui découvrant ce qui s'apprend de toutes parts. Les lettres du prince d'Orange, la gazette de Bruxelles, celle de Cologne, les préparatifs de la reine mère pour venir, les litières et mulets achetés, ce qui s'écrit par lettres sûres de Mme de Chevreuse, ce qui s'écrit encore de nos côtes de France, les bruits qu'il y a dans toutes les armées, les avis qui viennent de toutes les cours d'Italie, les espérances des Espagnols, soit du côté d'Espagne, soit de Flandres, la résolution que Monsieur a prise de ne point venir contre ce qu'il avoit promis, attendant peut-être l'événement du tonnerre, toutes ces choses ont obligé à en avertir le roi, afin qu'il mette tel ordre qu'il lui plaira à des bruits qui ruinent les affaires.» Mais bientôt l'œil de Richelieu perce la nuit qui l'enveloppe; il voit clair dans les menées du grand écuyer que depuis longtemps il surveillait: une trahison, dont le secret est demeuré impénétrable à toutes les recherches depuis deux siècles, fait tomber entre ses mains le traité conclu avec l'Espagne, par l'intermédiaire de Fontrailles, au nom de Monsieur, de Cinq-Mars et du duc de Bouillon. Dès lors, le cardinal se tient assuré de la victoire. Il connaissait Louis XIII; il savait qu'il avait pu, dans quelque accès de son humeur mobile et bizarre, se plaindre de son ministre auprès de son favori, souhaiter même d'en être délivré, et prêter l'oreille à d'étranges propos[210]; mais il savait aussi à quel point il était roi et Français, et dévoué à leur commun système. Il se hâta donc d'envoyer Chavigni à Narbonne avec les preuves authentiques du traité d'Espagne. A la vue de ces preuves[211], Louis se trouble; il a peine à en croire ses yeux, il tombe dans une sombre mélancolie, et il n'en sort qu'avec des éclats d'indignation contre celui qui a pu abuser ainsi de sa confiance et conspirer avec l'étranger. On n'a pas besoin de l'enflammer; il est le premier à demander une punition exemplaire; pas un jour, pas une heure il ne s'attendrit sur la jeunesse d'un coupable qui lui a été si cher; il ne pense qu'à son crime, et signe sans hésiter l'arrêt de sa mort. S'il épargne le duc de Bouillon, c'est pour acquérir Sedan. Il fait grâce à son frère, le duc d'Orléans, mais en le déshonorant et en lui ôtant tout pouvoir dans l'État. Sur un bruit parti d'un domestique de Fontrailles, et que les mémoires de Fontrailles confirment pleinement[212], ses soupçons se portent sur la reine[213], et on ne parvint jamais à lui arracher de l'esprit qu'ici, comme dans l'affaire de Chalais, Anne d'Autriche ne s'entendît avec Monsieur. Qu'eût-il dit s'il avait lu la relation de Fontrailles, les mémoires du duc de Bouillon, le billet de Turenne et la déclaration de La Rochefoucauld? A nos yeux, l'accord de ces témoignages est décisif. Les paroles du duc de Bouillon et de La Rochefoucauld sont telles qu'on n'en peut révoquer en doute l'autorité qu'en imputant à l'un et à l'autre non pas une erreur, mais un mensonge, et un mensonge à la fois gratuit et odieux. La reine fit tout au monde pour conjurer ce nouvel orage et persuader son innocence au roi et à Richelieu. Nous avons vu qu'en 1637 les protestations les plus solennelles, les serments les plus saints ne lui avaient pas coûté pour démentir d'abord ce qu'ensuite il lui avait bien fallu confesser. En 1642, elle eut recours aux mêmes moyens. Elle descendit à des humilités aussi incompatibles avec une bonne conscience qu'avec sa dignité et son rang. Elle fit paraître «une grande horreur pour l'ingratitude du grand écuyer;» elle déclara qu'elle se remettait sans réserve entre les mains du cardinal, qu'elle ne voulait plus se gouverner que par ses conseils, et qu'elle chercherait désormais tout son bonheur en ses enfants, dont elle abandonnait l'éducation à Richelieu. Elle lui écrivit elle-même pour lui demander avec tendresse des nouvelles de sa santé, comme autrefois elle lui avait demandé sa main et offert la sienne en signe d'éternelle alliance, ajoutant très-humblement qu'il ne se donnât pas la fatigue de lui répondre[214]. [210] Voyez les _MÉMOIRES_ de Montglat, collect. Petitot, t. Ier, p. 375. [211] Les détails de toute cette affaire ne sont nulle part, pas même dans le père Griffet; on ne les trouvera qu'aux Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CII. Pendant tous les premiers jours de juin il est bien question autour de Richelieu des troubles intérieurs du roi, des intrigues de Cinq-Mars, resté à Narbonne auprès de lui, et des dangers du cardinal; mais du traité avec l'Espagne et de quoi que ce soit de semblable, pas un seul mot. C'est le 12 juin que tout est éclairci par ce billet de Chavigni et de de Noyers à Richelieu: «Narbonne, ce 12 juin à dix heures du matin.--M. de Chavigny est arrivé ce matin une heure avant que le roi fût éveillé. M. de Noyers et lui, après avoir conféré ensemble, ont été trouver Sa Majesté, à laquelle ils ont rendu compte bien au long de toutes les affaires dont elle a lu elle-même les mémoires. Toutes les résolutions ont été prises conformes aux sentiments de son Éminence, et les dépêches s'en feront ce jour sans faillir. Le roi approuve le voyage de M. Castelan en Piémont. CHAVIGNY, DE NOYERS.» Ici tout est frappant. Le 11 juin Richelieu a dû recevoir la décisive nouvelle. A l'instant même il a envoyé Chavigny au roi avec les preuves, et aussi avec les mesures par lui proposées. Chavigny a voyagé toute la nuit, et le 12 au matin, avec de Noyers, il a vu le roi, qui a lu les mémoires adressés par Richelieu, entendu les explications des deux ministres, et immédiatement approuvé et adopté les mesures nécessaires, entre autres l'envoi de Castelan à l'armée d'Italie pour arrêter le duc de Bouillon. Le 12, Louis XIII n'avait pas hésité. Mais depuis ses réflexions avaient été très-sombres. Lettre de de Noyers à Chavigni, retourné à Tarascon, du 15 juin: «Je pense que l'on sera contraint de chercher le moyen de faire parler au roi M. de M. (azarin), car il lui revient d'étranges pensées en l'esprit. Il me dit hier qu'il avoit douté si l'on n'auroit pas mis un nom pour l'autre. J'ai dit là-dessus tout ce que vous pouvez imaginer, mais le roi est toujours dans une profonde rêverie. Le roi s'est trouvé mal toute la nuit, et sur les deux heures Sa Majesté a pris médecine, puis elle a dormi deux heures. Je l'ai vue ce matin et lui ai dit des nouvelles de son Éminence, dont elle a été bien aise d'apprendre l'amendement. En même temps je lui ai fait voir l'extrait de la lettre de M. de Courbonne, et par icelle l'accommodement de son Éminence de Savoie et l'avis sur les îles. Sur quoi elle n'a fait aucune réflexion, et elle m'a dit: Quel saut a fait M. le Grand! et cela deux ou trois fois de suite...» Autre lettre du même jour: «J'estime que le plus tôt que M. le cardinal Mazarin pourroit venir ici seroit le mieux, car en vérité je reconnois que Sa Majesté a besoin de consolation et qu'elle a le cœur fort serré.»--Lettre du 17 juillet; de Noyers à Richelieu sur les dispositions du roi: «Le roi nous a dit à l'oreille que Sedan valoit bien une abolition, mais que pour M. le Grand il ne lui pardonneroit jamais, et qu'il l'abandonnoit aux juges pour en faire selon leur conscience.»--Lettre du 19 juillet: «Le roi a eu la pensée de sauver la vie à M. de Bouillon pour avoir Sedan, mais de ne laisser pas de faire condamner M. le Grand.»--Lettre de Chavigni à Richelieu du 26 août: «...Le roi me parlant il y a deux jours du procès des conjurés, me dit qu'il n'auroit point l'esprit en repos qu'il ne vît M. le Grand châtié, et que c'étoit un monstre d'ingratitude et de méchanceté.» [212] _Relation de Fontrailles_, collection Petitot, t. LIV, p. 438: «Soudain que je fus seul avec M. de Thou (à Carcassonne après le voyage d'Espagne), il me dit le voyage que je venois de faire, ce qui me surprit fort, car je croyois qu'il lui eût été celé. Quand je lui demandai comme quoi il l'avoit appris, il me déclara en confiance fort franchement qu'il le savoit de la reine, et qu'elle le tenoit de Monsieur. A la vérité, je ne la croyois pas si bien instruite, quoique je n'ignorasse pas que Sa Majesté eût fort souhaité qu'il se pût former une cabale dans la cour, et qu'elle y avoit contribué de tout son pouvoir, pour ce qu'elle n'en pouvoit que profiter.» [213] Archives des affaires étrangères. FRANCE, t. CII. Chavigni à Richelieu, 24 octobre: «Le roi fit hier assez mauvaise chère à la reine... Il est toujours fort animé contre elle et en parle à tous moments.» [214] Archives des affaires étrangères, _ibid._, t. CI, lettre de Le Gras, secrétaire des commandements de la reine, à Chavigni. Saint-Germain, 2 juillet 1642: «Cette extrême ingratitude lui est en telle horreur qu'elle en témoigne ses sentiments au roi par la lettre qu'elle vous prie de lui rendre, ainsi qu'à son éminence celle ci-jointe.» _Ibid._, Chavigni à Richelieu, du 28 juillet: «J'ai trouvé la reine tellement reconnoissante des obligations qu'elle a à monseigneur, qu'il seroit bien difficile de lui faire changer la résolution qu'elle a prise de ne plus rien faire que par les conseils de son Éminence, et de se jeter entièrement entre ses bras. Elle m'a commandé de lui donner cette assurance de sa part.» _Ibid._, le même au même, 12 août: «...Je suis persuadé que la tendresse que la reine témoigne pour monseigneur est sans dissimulation, et qu'il n'y a rien au monde plus aisé que l'y entretenir, ne demandant autre grâce dans le monde que d'être auprès de messieurs ses enfants, sans y prétendre aucun pouvoir, ni se mêler de leur éducation dont elle souhaite passionnément que monseigneur soit le maître. Elle m'a commandé d'en assurer son Éminence, et qu'elle est dans une extrême impatience de le voir.» _Ibid._, t. CII, Le Gras à Chavigni, sans date: «La reine envoyant son écuyer ordinaire au roi pour se réjouir de sa guérison, et savoir de ses nouvelles, écrit aussi à son éminence pour le même sujet. Elle vous prie encore de dire à son éminence que ne désirant point lui donner peine, sachant bien qu'il ne peut encore signer, elle n'attend point de réponse, et ne se tiendra pas moins assurée de son affection pour elle.» Anne fit bien plus, elle ne se borna pas à la dissimulation et au mensonge: dans ce péril extrême, elle alla jusqu'à se tourner contre la courageuse amie qui se dévouait pour elle. Elle l'eût embrassée comme une libératrice, si la fortune se fût déclarée en sa faveur; vaincue et désarmée, elle l'abandonna. Comme elle avait protesté de son horreur pour la conspiration qui avait échoué et pour ses deux imprudents et infortunés complices qui montèrent, sans la nommer, sur l'échafaud, ainsi, voyant le roi et Richelieu déchaînés contre Mme de Chevreuse et bien décidés à repousser les nouvelles instances que faisait sa famille pour obtenir son rappel, la reine, loin d'intercéder pour son ancienne favorite, se joignit à ses ennemis; et, afin de donner le change sur ses propres sentiments et de paraître applaudir à ce qu'elle ne pouvait empêcher, elle demanda comme une grâce toute particulière qu'on tînt la duchesse éloignée de sa personne et même de la France. «La reine, écrit à Richelieu son ministre des affaires étrangères, Chavigny[215], la reine m'a demandé avec soin s'il étoit vrai que Mme de Chevreuse revînt; et, sans attendre ce que je lui repondrois, elle m'a témoigné qu'elle seroit marrie de la voir présentement en France, qu'elle la connoissoit pour ce qu'elle étoit, et elle m'a ordonné de prier Son Éminence de sa part, si elle avoit quelque envie de faire quelque chose pour Mme de Chevreuse, que ce fût sans lui permettre son retour en France. J'ai assuré Sa Majesté qu'elle auroit satisfaction sur ce point.»--«Je n'ai jamais vu une plus véritable et plus sincère satisfaction que celle qu'a eue la reine d'apprendre ce que je lui ai dit de la part de Monseigneur. Elle proteste que non-seulement elle ne veut point que Mme de Chevreuse l'approche, mais qu'elle est résolue, comme à son propre salut, de ne plus souffrir que personne lui parle contre la moindre chose de son devoir[216].» [215] Archives des affaires étrangères, _ibid._ Lettre déjà citée du 28 juillet. [216] _Ibid._ Lettre déjà citée du 12 août. Voilà donc Mme de Chevreuse tombée, ce semble, au dernier degré du malheur. Sa situation était affreuse; elle souffrait dans toutes les parties de son cœur; plus d'espoir de revoir sa patrie, ses enfants, sa fille Charlotte. Ne tirant presque rien de France, elle était à bout de ressources, d'emprunts et de dettes. Elle apprenait combien il est dur _de monter et de descendre l'escalier de l'étranger_[217], d'avoir à subir tour à tour la vanité de ses promesses et la hauteur de ses dédains. Et pour qu'aucune amertume ne lui fût épargnée, celle qui lui devait au moins une fidélité silencieuse se rangeait ouvertement du côté de la fortune et de Richelieu. Elle passa ainsi quelques mois bien douloureux, sans nul autre soutien que son courage. Tout à coup, le 4 décembre 1642, le redouté cardinal, victorieux de tous ses ennemis au dehors et au dedans, maître absolu du roi et de la reine, succombe au faîte de la puissance. Louis XIII ne tarda pas à le suivre; mais, forcé bien malgré lui de confier la régence à la reine et de nommer son frère lieutenant général du royaume, il leur imposa un conseil sans lequel ils ne pouvaient rien, et où dominait, en qualité de premier ministre, l'homme le plus dévoué au système de Richelieu, son ami particulier, son confident et sa créature, le cardinal Jules Mazarin. Ce n'était point assez de cette mesure bizarre qui, par défiance de la future régente, mettait en quelque sorte la royauté en commission; Louis XIII ne crut avoir assuré après lui le repos de ses États qu'en confirmant et en perpétuant, autant qu'il était en lui, l'exil de Mme de Chevreuse. Dans sa pieuse aversion pour la vive et entreprenante duchesse, il avait coutume de l'appeler _le Diable_. Il n'aimait guère plus, il craignait presque autant, l'ancien garde des sceaux Châteauneuf, enfermé dans la citadelle d'Angoulême. Comme si l'ombre du cardinal le gouvernait encore à son lit de mort, avant d'expirer il inscrivit dans son testament, dans la déclaration royale du 21 avril[218] contre Châteauneuf et Mme de Chevreuse, cette clause extraordinaire: «D'autant, dit le roi, que pour de grandes raisons, importantes au bien de notre service, nous avons été obligé de priver le sieur de Châteauneuf de la charge de garde des sceaux de France, et de le faire conduire au château d'Angoulême, où il a demeuré jusqu'à présent par nos ordres, nous voulons et entendons que ledit sieur de Châteauneuf demeure au même état qu'il est de présent audit château d'Angoulême jusques après la paix conclue et exécutée, à la charge néanmoins qu'il ne pourra lors être mis en liberté que par l'ordre de la dame régente, avec l'avis du conseil qui ordonnera d'un lieu pour sa retraite dans le royaume ou hors du royaume, ainsi qu'il sera jugé pour le mieux. Et comme notre dessein est de prévoir tous les sujets qui pourroient en quelque sorte troubler l'établissement que nous avons fait pour conserver le repos et la tranquillité de notre État, la connoissance que nous avons de la mauvaise conduite de la dame duchesse de Chevreuse, des artifices dont elle s'est servie jusques ici pour mettre la division dans notre royaume, les factions et les intelligences qu'elle entretient au dehors avec nos ennemis nous font juger à propos de lui défendre, comme nous lui défendons, l'entrée de notre royaume pendant la guerre, voulons même qu'après la paix conclue et exécutée elle ne puisse retourner dans notre royaume que par les ordres de ladite dame reine régente, avec l'avis dudit conseil, à la charge néanmoins qu'elle ne pourra faire sa demeure ni être en aucun lieu proche de la cour et de ladite dame reine.» Ces solennelles paroles désignaient Mme de Chevreuse et Châteauneuf comme les deux plus illustres victimes du règne qui allait finir, mais aussi comme les chefs de la politique nouvelle qui semblait appelée à remplacer celle de Richelieu. Louis XIII rendit le dernier soupir le 14 mai 1643. Quelques jours après, le même parlement qui avait enregistré son testament, le réformait; la nouvelle régente était délivrée de toute entrave et mise en possession de l'absolue souveraineté; Châteauneuf sortait de prison, et Mme de Chevreuse quittait Bruxelles en triomphe pour revenir en France et à la cour. [217] Dante. [218] Cette déclaration a été imprimée, mais elle est si rare, et elle est si curieuse et si importante, que nous la donnons dans l'APPENDICE, notes du chapitre IV. CHAPITRE CINQUIÈME MAI, JUIN ET JUILLET 1643 RETOUR DE MME DE CHEVREUSE A PARIS ET A LA COUR.--NOUVELLES DISPOSITIONS DE LA REINE. ANNE D'AUTRICHE ET MAZARIN.--EFFORTS DE MME DE CHEVREUSE CONTRE LE SYSTÈME ET LES CRÉATURES DE RICHELIEU, ET EN FAVEUR DE L'ANCIEN PARTI DE LA REINE. SES SOLLICITATIONS POUR CHATEAUNEUF.--POUR LES VENDÔME.--POUR LA ROCHEFOUCAULD.--SA POLITIQUE INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE.--ELLE EST LE VRAI CHEF DU PARTI DES IMPORTANTS.--VAINCUE DANS TOUTES SES DÉMARCHES AUPRÈS DE LA REINE, ELLE SONGE A RECOURIR A D'AUTRES MOYENS.--LA CRISE DEVENUE INÉVITABLE ÉCLATE A L'OCCASION DE LA QUERELLE DE MME DE MONTBAZON ET DE MME DE LONGUEVILLE. _La Gazette_ de Renaudot, le Moniteur du temps[219], contenait, le 20 juin 1643, l'article suivant: «Leurs Majestés ayant envoyé à Bruxelles le sieur de Boispille, intendant de la maison du duc de Chevreuse, pour haster le retour de la duchesse sa femme, elle en partit le 6 de ce mois accompagnée de vingt carrosses des seigneurs et dames les plus qualifiés de cette cour-là, qui l'ayant conduite jusques à Notre-Dame-de-Hau, elle vint le lendemain coucher à Mons en Hainault, passant au travers de l'armée espagnole campée dans la vallée dudit Mons, et de là par Condé arriva le 9 à Cambrai, estant partout bien dignement reçue des chefs et gouverneurs du païs, et par chacun en leur gouvernement accompagnée jusques à une lieue au delà dudit Cambrai, où le sieur d'Hocquincourt[220] l'alla recevoir sur la frontière de France, et l'ayant conduite à Péronne dont il était gouverneur, lui fit faire une réception magnifique. Elle y fut aussi complimentée par la duchesse de Chaulne, et de là conduite le douzième jour par le duc de Chaulne (son beau-frère, le second frère du connétable de Luynes) en sa maison où ils la traitèrent splendidement. Et estant partie de Chaulne le mesme jour, elle alla coucher à Roye; le 13 à la Versine, maison du sieur de Saint-Simon, frère du duc du mesme nom, où elle fust aussi très bien reçue et traitée de mesme, et où le duc de Chevreuse l'attendoit. Enfin le 14 de ce mois, elle arriva à Paris dix ans après en estre sortie; dans laquelle absence cette princesse a fait voir ce que peut un excellent esprit comme le sien, malgré tous les traits de la fortune que sa constance a surmontés. Elle alla saluer à l'instant Leurs Majestés, en laquelle visite elle reçut tant de témoignages de l'affection de la reine, et lui rendit aussi tant de preuves de son zèle à tout ce qui regarde son service et tant de résignation à ses volontés, qu'il parut bien que la longueur du temps, ni la distance des lieux, ni les espines des affaires, ne peuvent rien que sur les âmes vulgaires. Aussi le grand cortége de cette cour qui la visite incessamment, et qui rend trop petit le grand espace de son hostel[221], ne ravit point tant un chacun en admiration comme la remarque qu'on a faite que les fatigues de ses longs voyages, ni les efforts de cette rigoureuse fortune n'ont apporté aucun changement à sa magnanimité naturelle, ni, ce qui est le plus extraordinaire, à sa beauté.» [219] Dans son no 77, p. 519. [220] Le futur maréchal d'Hocquincourt, homme de guerre et de plaisir, politique incertain, qui, dans la Fronde, erra de Mazarin à Condé, et écrivit à Mme de Montbazon: _Péronne est à la belle des belles._ [221] Non pas le petit hôtel de Luynes, sur le quai des Grands-Augustins, au coin de la rue Gît-le-Cœur, demeure du fils du connétable, dont Perelle a donné une charmante petite gravure, et où le chancelier Séguier se réfugia pendant la Fronde, quand la populace l'attaqua sur le pont Neuf allant au Parlement, mais l'hôtel de la rue Saint-Thomas-du-Louvre, qui, comme nous l'avons déjà dit, devint depuis l'hôtel d'Épernon, et plus tard, en 1663, l'hôtel de Longueville. Mme de Chevreuse fit bâtir alors, par le célèbre architecte Lemuet, le bel hôtel de la rue Saint-Dominique-Saint-Germain, que Perelle a aussi représenté, et qu'habite encore aujourd'hui M. le duc de Luynes. Voilà l'apparence; voici maintenant la vérité. Mme de Chevreuse avait alors quarante-trois ans. Sa beauté, éprouvée par les fatigues, se soutenait encore, mais commençait à décliner. Le goût de la galanterie subsistait, mais amorti, et celui des affaires prenait le dessus. Elle avait vu les hommes d'État les plus célèbres de l'Europe; elle connaissait presque toutes les cours, le fort et le faible des divers gouvernements, et elle avait acquis une grande expérience. Elle espérait retrouver la reine Anne telle qu'elle l'avait laissée, n'aimant pas les affaires et très-disposée à se laisser conduire à ceux pour qui elle avait une affection particulière; et comme Mme de Chevreuse se croyait la première affection de la reine, elle pensait bien exercer sur elle le double ascendant de l'amitié et de la capacité. Plus ambitieuse pour ses amis que pour elle-même, elle les voyait déjà récompensés de leurs longs sacrifices, remplaçant partout les créatures de Richelieu, et à leur tête, comme premier ministre, celui qui, pour elle, s'était séparé du cardinal triomphant, et avait supporté un emprisonnement de dix années. Elle ne faisait pas grand état de Mazarin qu'elle ne connaissait point, qu'elle n'avait jamais vu, et qui lui paraissait sans appui à la cour et en France, tandis qu'elle se sentait portée par tout ce qu'il y avait d'illustre, de puissant, d'accrédité. Elle se croyait sûre de Monsieur, son ancien complice en tant de conspirations, et que devait aisément gouverner sa femme, la belle Marguerite, sœur de Charles IV. Elle disposait à peu près de la maison de Rohan et de la maison de Lorraine, particulièrement du duc de Guise et du duc d'Elbeuf, comme elle tout récemment revenus de Flandre. Elle comptait sur les Vendôme, le père et ses deux fils, le duc de Mercœur et le duc de Beaufort, sur le duc de La Valette et sur La Vieuville, ses anciens compagnons d'exil en Angleterre, sur le duc de Bouillon, si maltraité dans la même cause, sur La Rochefoucauld dont l'esprit et les prétentions lui étaient connus, sur milord Montaigu, qui possédait alors toute la confiance d'Anne d'Autriche, sur La Châtre, ami des Vendôme et colonel général des Suisses, sur Tréville, sur Beringhen, sur Jars, sur La Porte, et sur tant d'autres qui sortaient d'exil, de prison ou de disgrâce. Parmi les femmes, sa belle-mère et sa belle-sœur lui semblaient tout acquises, Mme de Montbazon et Mme de Guymené, les deux grandes beautés du jour, qui traînaient après elles une cour nombreuse d'adorateurs anciens et nouveaux. Elle savait aussi qu'un des premiers actes de la régente avait été de rappeler auprès de sa personne deux nobles victimes de Richelieu, Mme de Senecé et Mme de Hautefort, dont la piété et la vertu conspireraient utilement avec d'autres influences et leur donneraient un précieux appui dans l'intérieur le plus particulier d'Anne d'Autriche. Tous ces calculs semblaient certains, toutes ces espérances parfaitement fondées, et Mme de Chevreuse quitta Bruxelles dans la ferme persuasion qu'elle allait rentrer au Louvre en conquérante. Elle se trompait: la reine était changée ou bien près de l'être. Le temps est venu de remettre Anne d'Autriche à la place qui lui appartient dans l'histoire. Ce n'était pas une personne ordinaire. Belle, ayant besoin d'être aimée, et en même temps vaine et fière, elle avait été blessée des froideurs et des négligences de son mari, et, par esprit de vengeance et aussi de coquetterie, elle s'était complu à faire autour d'elle plus d'une passion, sans franchir jamais, même avec Buckingham, les bornes d'une galanterie espagnole plus ou moins vive. Elle avait supporté impatiemment d'être traitée sans conséquence, privée de tout crédit et tenue en une sorte de disgrâce permanente par le roi et par Richelieu; de là une opposition sourde, mais constante, au gouvernement du cardinal. Elle s'était même engagée dans diverses entreprises qui, comme nous l'avons vu, lui avaient fort mal réussi et l'avaient jetée en d'assez grands dangers. Elle appelait alors à son aide une autre de ses qualités de femme et d'Espagnole, la dissimulation. Le malheur lui avait enseigné vite «cette laide, mais nécessaire vertu,» comme dit Mme de Motteville[222], et on a pu reconnaître qu'elle y avait fait de rapides progrès. Naturellement paresseuse, elle n'aimait pas les affaires, mais elle était sensée, même courageuse, capable d'entendre et de suivre la raison. Jusque-là elle avait joué un double jeu: se faire en secret des partisans, encourager et pousser les mécontents, tâcher d'échapper au joug du cardinal, et cependant lui faire bonne mine, l'endormir par de fausses démonstrations, s'humilier au besoin, gagner du temps et attendre. Depuis la mort de Richelieu, se sentant plus forte et de ses deux enfants et de la maladie irrémédiable de Louis XIII, elle n'avait eu qu'un seul but, auquel elle avait tout sacrifié: être régente, et elle y était parvenue, grâce à une rare patience, à des ménagements infinis, à une conduite habile et soutenue, grâce aussi au service inespéré que lui rendit Mazarin, qui jouissait alors d'un grand crédit auprès du roi. Anne n'avait rien négligé pour désarmer les ressentiments de son mari; elle n'avait cessé de l'entourer de soins, passant les jours et les nuits auprès de lui; elle lui avait protesté avec larmes qu'elle ne lui avait jamais manqué, et que toutes les accusations dont on l'avait chargée dans l'affaire de Chalais, étaient sans fondement. Elle avait fort peu gagné sur l'esprit du roi; il s'était contenté de répondre, ainsi que nous l'avons dit: «Dans l'état où je suis, je dois lui pardonner, mais je ne suis pas obligé de la croire[223].» Il voulait l'exclure de la régence, avec son frère, le duc d'Orléans, qu'il n'estimait ni n'aimait. Mazarin eut grand'peine à lui faire comprendre qu'il était impossible de priver le reine du titre de régente, et que tout ce qu'on pouvait faire était de lui ôter toute influence, à l'aide d'un conseil fortement constitué dont elle serait obligée de suivre les avis en se conformant à la majorité des voix. Anne subit sans murmure ces dures et humiliantes conditions; elle reconnut la déclaration royale du 21 avril, qui resserrait son autorité dans des bornes fort étroites et consacrait l'exil de Châteauneuf et de Mme de Chevreuse; elle la signa et s'engagea à la maintenir. Après tout, elle était en possession de la régence, et comme elle la devait à la combinaison même qui limitait son pouvoir, loin de savoir mauvais gré de cette combinaison à celui qui en était l'auteur, elle la regarda comme un premier service qui méritait quelque reconnaissance. Voilà ce que n'ont pas vu la plupart des historiens, mais ce qui n'a pas échappé à la pénétration de La Rochefoucauld, mêlé à toutes les intrigues de ce moment. «Le cardinal Mazarin, dit-il, justifia en quelque sorte cette déclaration injurieuse; il la fit passer comme un service important qu'il rendoit à la reine, et comme le seul moyen qui pouvoit faire consentir le roi à la régence. Il lui fit voir qu'il lui importoit peu à quelles conditions elle la reçût, pourvu que ce fût du consentement du roi, et qu'elle ne manqueroit pas de moyens dans la suite pour affermir son pouvoir et pour gouverner seule. Ces raisons, appuyées de quelques apparences et de toute l'industrie du cardinal, étoient reçues de la reine avec d'autant plus de facilité que celui qui les disoit commençoit à ne lui être pas désagréable[224].» [222] Tome Ier, p. 186. [223] La Rochefoucauld, _Mémoires_, p. 369. [224] La Rochefoucauld, _ibid._ Mazarin, en effet, n'avait jamais été pour rien dans les déplaisirs que la reine avait essuyés: elle n'avait donc aucune raison d'être contre lui, sinon qu'il avait été un des amis particuliers de Richelieu; mais il n'avait aucune des manières du cardinal, il avait pris part au rappel de bien des exilés, et défendu la régence de la reine contre les ombrages du roi. Sa capacité était éprouvée, et Anne, avec sa paresse et son inexpérience, au début d'un règne qu'environnaient de toutes parts, au dedans et au dehors, les plus grandes difficultés, avait besoin de quelqu'un qui lui laissât l'honneur de l'autorité suprême, mais qui se chargeât du poids des affaires; et en regardant parmi ses amis, elle n'en voyait aucun dont les talents fussent assez certains pour emporter sa confiance. Elle faisait grand cas de l'esprit de La Rochefoucauld, mais elle ne pouvait songer à un aussi jeune ministre. Les deux hommes qui, avec lui, étaient le plus près d'elle, le duc de Beaufort, le plus jeune fils du duc de Vendôme, et son grand aumônier, Potier, évêque de Beauvais, lui paraissaient des serviteurs dévoués pour qui elle se proposait de faire beaucoup un jour, mais sans oser leur remettre encore le gouvernement. Attendre un peu lui semblait donc le parti le plus sage. Mazarin eut avec la reine plus d'une entrevue secrète. Il s'y montra empressé à la servir, ne répugnant pas à lui sacrifier quelques-uns des anciens ministres de Richelieu qui lui déplaisaient le plus, et à s'entendre avec ceux de ses amis envers lesquels elle se croyait des obligations indispensables. Il eut l'art de se mettre assez bien avec l'évêque de Beauvais, qui gouvernait la conscience de la reine. Il le trompa, il trompa le duc de Beaufort et tout le monde, en affectant un grand désintéressement et en faisant mine d'être tout prêt à s'en aller jouir à Rome, au sein de sa famille et des arts, des avantages et des honneurs du cardinalat[225]. [225] Voyez sur ces commencements de Mazarin, La Rochefoucauld, Mme de Motteville, La Châtre, l'un et l'autre Brienne. Enfin, il est un point délicat que La Rochefoucauld touche à peine, mais que l'histoire ne peut laisser dans l'ombre, à moins de négliger ce qui fit d'abord la force de Mazarin et devint bientôt le nœud et la clef de la situation: Anne d'Autriche était femme, et Mazarin ne lui déplut pas. Nous l'avons dit ailleurs[226]: «Après avoir été longtemps opprimée, l'autorité royale souriait à Anne d'Autriche, et son âme espagnole avait besoin de respects et d'hommages. Mazarin les lui prodigua. Il se mit à ses pieds pour arriver jusqu'à son cœur. Au fond, elle n'était guère touchée de la grande accusation qu'on élevait déjà contre lui, qu'il était étranger, car elle aussi elle était étrangère; peut-être même lui était-ce là un attrait mystérieux, et trouvait-elle un charme particulier à s'entretenir avec son premier ministre dans sa langue maternelle, comme avec un compatriote et un ami. Ajoutez à tout cela les manières et l'esprit de Mazarin: il était souple et insinuant, toujours maître de lui-même, d'une sérénité inaltérable dans les circonstances les plus graves, plein de confiance en sa bonne étoile, et répandant cette confiance autour de lui. Il faut dire aussi que, tout cardinal qu'il était, Mazarin n'était pas prêtre; qu'Anne d'Autriche avait à peine quarante et un ans et qu'elle était belle encore; que son ministre avait le même âge, qu'il était fort bien fait et de la figure la plus agréable, où la finesse s'unissait à une certaine grandeur. Il avait promptement reconnu que sans famille, sans établissement, sans appui en France, environné de rivaux et d'ennemis, toute sa force était dans la reine. Il s'appliqua donc, par-dessus toutes choses, à pénétrer dans son cœur, comme aussi l'avait tenté Richelieu; mais il possédait bien d'autres moyens pour y réussir. Le beau et doux cardinal réussit donc. Une fois maître du cœur[227] il dirigea aisément l'esprit d'Anne d'Autriche, et lui enseigna l'art difficile de poursuivre toujours le même but à l'aide des conduites les plus diverses, selon la diversité des circonstances.» [226] LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, 4e édit., ch. III, p. 223, etc. [227] Voyez l'examen de cette question aussi importante qu'obscure dans Mme DE HAUTEFORT, chap. IV; voyez surtout les lettres jusqu'ici inédites d'Anne d'Autriche, citées dans l'APPENDICE de cet ouvrage. Mais combien ne fallut-il pas à Mazarin de temps et de soins pour amener là Anne d'Autriche et triompher peu à peu de ses scrupules de toute sorte! L'histoire des progrès de Mazarin dans le cœur de la reine est l'histoire véritable des trois premiers mois de la régence. Anne commença par se résoudre sans répugnance, le 18 mai 1643, à garder, pour quelque temps au moins, le ministre que lui laissait et lui recommandait Louis XIII. On verra où elle en était arrivée le 2 septembre de la même année. Il lui était impossible de conserver la disposition de la déclaration royale qui établissait Mazarin premier ministre, chef du conseil sous M. le Prince, puisqu'elle voulait faire casser par le parlement toute cette partie du testament du feu roi, comme limitant, contre tous les usages, l'autorité de la régente. Il fut donc convenu, dans des conciliabules préliminaires, que Mazarin renoncerait à l'espèce de droit que lui donnait la déclaration royale, mais qu'en même temps la régente, dégagée de toute entrave, lui offrirait spontanément à peu près le même rang, en sorte qu'il tiendrait son pouvoir, non de la volonté du roi défunt, mais de la libre faveur de la reine. Tout cela fut arrêté entre eux dans un tel secret que la surprise fut fort grande et générale lorsque, le 18 mai, on vit le parlement investir la régente de l'autorité souveraine, et le même jour, le cardinal Mazarin mis à la tête du cabinet. Il y avait eu là une trame habilement ourdie que la reine avait cachée à tous ceux de ses amis qui étaient opposés à Mazarin. Et dès ce jour aussi, le cardinal put reconnaître qu'il avait trouvé, dans la reine Anne, en fait de dissimulation et de conduite politique, une écolière digne de lui et déjà très-avancée. Mazarin s'établit de bonne heure auprès d'Anne d'Autriche par le double talent d'homme d'État laborieux et infatigable et de courtisan consommé. Il prit sur lui tous les soucis du gouvernement, et lui renvoya l'honneur des succès qui ne se firent pas attendre. Il mit une adresse et une constance merveilleuses à l'éclairer sans jamais la blesser. Son grand art fut de lui persuader qu'il ne voulait du pouvoir que pour la mieux servir; qu'étranger, sans famille et sans amis, il dépendait entièrement d'elle et voulait tirer d'elle seule tout son appui. Un pareil langage, soutenu d'une capacité de premier ordre, ne pouvait manquer de plaire, et on peut dire avec vérité que la veuve de Louis XIII avait déjà auprès d'elle un autre Richelieu dans les premiers jours de juin 1643, lorsque Mme de Chevreuse quitta Bruxelles. Disciple et confident de Richelieu et de Louis XIII, Mazarin avait hérité de leur opinion et de leurs sentiments sur Mme de Chevreuse. Sans l'avoir jamais vue, il la connaissait, et il la redoutait profondément, ainsi que son ami Châteauneuf. Une favorite d'un tel esprit, d'un tel caractère, pleine de séduction et de courage, ayant dans sa main un homme ambitieux et capable, et en secret attachée au duc de Lorraine, à l'Autriche et à l'Espagne, était absolument incompatible avec la faveur à laquelle il aspirait et avec tous ses desseins diplomatiques et militaires. Il sentit qu'il n'y avait pas place à la fois pour elle et pour lui dans le cœur d'Anne d'Autriche, et il s'apprêta à la combattre, mais à sa manière, doucement et par degrés, selon les occasions. Mazarin avait un secret et puissant allié contre Mme de Chevreuse dans le goût nouveau et toujours croissant de la reine pour le repos et la vie tranquille. Elle s'était autrefois un peu agitée parce qu'elle souffrait de plus d'une manière; maintenant, parvenue au pouvoir suprême, heureuse et commençant à s'attacher, elle avait peur des troubles et des aventures, et elle craignait Mme de Chevreuse presque autant qu'elle l'aimait. L'habile cardinal s'appliqua à nourrir ces inquiétudes. Il s'appuya sur la princesse de Condé, alors très en crédit auprès de la reine par son propre mérite, par celui de son mari, M. le Prince, par les éclatants exploits de son fils, le duc d'Enghien, par les services de son gendre, le duc de Longueville, qui avait honorablement commandé les armées en Italie et en Allemagne, et par sa fille Mme de Longueville, récemment mariée et déjà les délices des salons et de la cour. Mme la Princesse, Charlotte-Marguerite de Montmorency, si célèbre autrefois par sa beauté, avait aussi, comme la reine Anne, aimé les hommages; mais, quoique belle encore, elle était devenue sérieuse et d'une piété assez vive. Elle n'aimait pas Mme de Chevreuse, et elle détestait Châteauneuf qui, en 1632, à Toulouse, avait présidé au jugement et à la condamnation de son frère Henri. Elle avait donc travaillé, de concert avec Mazarin, à détruire ou du moins à affaiblir Mme de Chevreuse auprès de la reine. On s'était armé de la dernière volonté de Louis XIII, et on était parvenu à faire presque un scrupule à la reine d'y manquer si vite. On lui avait fait entendre que les anciens jours ne pouvaient revenir, que les amusements et les passions de la première jeunesse étaient «de mauvais accompagnements[228]» d'un autre âge, qu'elle était avant tout mère et reine, que Mme de Chevreuse, emportée et dissipée, ne lui convenait plus, qu'elle n'avait porté bonheur à personne, et qu'en la comblant de biens et d'honneurs on acquitterait suffisamment envers elle la dette de la reconnaissance. [228] Ce sont les paroles mêmes de Mme de Motteville, t. Ier, p. 162. Ce passage est si important qu'il nous faut le donner ici tout entier: «On en fit autant et plus (de visites et de compliments) à Mme de Chevreuse comme à celle qui avoit régné dans le cœur de la reine, et qui dans toutes ses disgrâces avoit toujours conservé des intelligences avec elle et avoit paru posséder entièrement son amitié. On y pouvoit ajouter les obligations de ses souffrances qui l'avoient menée promener par toute l'Europe; et quoique ses voyages eussent servi à sa gloire et à lui donner le moyen de triompher de mille cœurs, ils étoient tous à l'égard de la reine des chaînes qui la devoient lier à elle plus étroitement que par le passé. Mais les choses de ce monde ne peuvent pas toujours demeurer en même état; cette vicissitude naturelle à l'homme fit que la duchesse de Chevreuse, qui étoit appréhendée et mal servie par ceux qui prétendoient au ministère, ne trouva plus en la reine ce qu'elle y avoit laissé, et ce changement fit aussi que la reine de son côté ne trouva plus en elle les mêmes agréments qui l'avoient autrefois charmée. La souveraine étoit devenue plus sérieuse et plus dévote, et la favorite étoit demeurée dans les mêmes sentiments de galanterie et de vanité qui sont de mauvais accompagnements pour un âge avancé. Ses rivaux et ses rivales dans la faveur avoient dit à la reine qu'elle vouloit la gouverner; et la reine étoit tellement prévenue de cette crainte qu'elle eut quelque peine à se résoudre à la faire revenir si vite, vu les défenses que le roi lui en avoit faites, ce qui en effet étoit louable en la reine et lui devoit être d'une grande considération. Mme la Princesse, qui haissoit Mme de Chevreuse et qui étoit d'humeur approchante de celle de la reine, avoit travaillé de tout son pouvoir à la dégoûter d'elle. L'absence en quelque façon avoit servi à détruire l'ancienne favorite dans l'esprit de la reine, et la présence avoit beaucoup contribué à l'amitié ou plutôt à l'habitude qu'elle avoit prise avec Mme la Princesse. Quand cette importante exilée arriva, la reine néantmoins parut avoir beaucoup de joie de la revoir, et la traita assez bien. J'étois revenue à la cour depuis peu de jours. Aussitôt que j'eus l'honneur d'approcher de la reine j'en vis les sentiments sur Mme de Chevreuse, et je connus que le nouveau ministre avoit travaillé autant qu'il lui avoit été possible à lui faire voir ses défauts...» Pour rendre ce qu'elle devait à son rang et à leur ancienne amitié, la reine envoya La Rochefoucauld au-devant de la duchesse, en le chargeant aussi de l'avertir des nouvelles dispositions où elle la trouverait. Avant son départ, La Rochefoucauld eut avec Anne d'Autriche un sérieux entretien où il fit tout pour la regagner à Mme de Chevreuse. «Je lui parlai, dit-il, avec plus de liberté peut-être que je ne devois. Je lui remis devant les yeux la fidélité de Mme de Chevreuse pour elle, ses longs services, et la dureté des malheurs qu'elle lui avoit attirés. Je la suppliai de considérer de quelle légèreté on la croiroit capable, quelle interprétation on donneroit à cette légèreté, si elle préféroit le cardinal Mazarin à Mme de Chevreuse. Cette conversation fut longue et agitée; je vis bien que je l'aigrissois[229].» Cependant il alla au-devant de Mme de Chevreuse sur la route de Bruxelles; il la rencontra à Roye. Montaigu l'y avait devancé. La Rochefoucauld venait au nom de la reine, et Montaigu au nom de Mazarin. Ce n'était plus le brillant et ardent Montaigu, l'ami de Holland et de Buckingham, l'un des chevaliers de la séduisante duchesse; l'âge aussi l'avait changé: il était devenu dévot, et à quelques années de là il entra dans l'Église. Il appartenait par dessus tout à la reine et par conséquent il était résigné à Mazarin[230]. Il venait donc s'efforcer d'unir l'ancienne favorite et le favori nouveau. La Rochefoucauld, toujours appliqué à se donner le beau rôle et un air de grand politique, assure qu'il supplia Mme de Chevreuse de ne pas prétendre d'abord à gouverner la reine, de songer uniquement à reprendre dans son esprit et dans son cœur la place qu'on avait essayé de lui ôter, et de se mettre en état de protéger ou de détruire un jour le cardinal, selon les circonstances et selon la conduite qu'il tiendrait lui-même. Mme de Chevreuse avait voulu entendre aussi un autre de ses amis, moins illustre, mais plus dévoué, cet Alexandre de Campion quelle avait connu à Bruxelles deux ans auparavant, et qui après la mort du comte de Soissons était passé au service des Vendôme avec son frère Henri, officier d'une bravoure éprouvée. Elle avait invité Alexandre de Campion à venir à sa rencontre à Péronne, et il paraît que celui-ci lui parla comme La Rochefoucauld, si on en juge par le billet qu'il lui écrivit à la fin de mai, avant de quitter Paris pour aller la rejoindre[231]: «Je ne sais, lui dit-il, ce que M. de Montaigu aura négocié avec vous, mais je suis certain qu'il vous offrira de l'argent de la part de M. le cardinal Mazarin pour payer vos dettes, et qu'il a fait espérer qu'il noueroit une étroite amitié entre vous et lui. Je crois qu'il n'aura pas trouvé votre esprit trop disposé à faire cette liaison, tant parce que vos principaux amis de France ne sont pas fort bien avec lui qu'à cause qu'il paroît uni avec la famille de feu M. le cardinal. Pour moi, le conseil que je prends la liberté de vous donner sur ce sujet est que vous ne preniez aucune résolution à fond que vous n'ayez vu la reine, sur les sentiments de qui vous aurez joie de régler votre conduite, à cause du zèle que je sais que vous avez pour elle et de l'amitié qu'elle a pour vous. Je sens bien, de l'humeur dont je vous connois, que j'aurai plus de peine à vous retenir qu'à vous pousser, vu l'amitié que vous m'avez fait l'honneur de me témoigner pour une certaine personne (évidemment Châteauneuf); car hors cette considération et celle de beaucoup de gens d'honneur engagés dans le même vaisseau, je ne vois pas qu'il soit nécessaire de perpétuer une haine et de la faire aller par delà la mort de nos ennemis. Je n'aimois pas M. le cardinal, mais je ne veux mal à aucun de sa race. Après tout, Madame, ce que je pourrois vous mander n'est pas la vingtième partie de ce que j'aurai à vous dire, et j'ose vous assurer que dès Péronne vous serez aussi instruite des sentiments de la plupart du monde que si vous étiez à Paris.» Mme de Chevreuse écouta tour à tour ses trois amis, promit de suivre leurs conseils et les suivit en effet, mais dans la mesure de son caractère et dans celle de l'intérêt du parti qu'elle servait depuis longtemps et qu'elle ne pouvait abandonner. Comme la reine montra beaucoup de joie de la revoir, elle ne remarqua pas de différence dans les sentiments d'Anne d'Autriche, et elle se persuada que sa présence assidue lui rendrait bientôt son ancien empire. [229] _Mémoires_, _ibid._, p. 378. [230] Il avait été pour Mazarin dans les conciliabules qui avaient précédé la régence, et nous trouvons dans les Archives des affaires étrangères, FRANCE, CIV, un fragment d'une lettre de Montaigu à la reine, sans date, mais à peu près de ce temps-là, où dans un langage mystique il l'engage à fermer l'oreille aux mécontents et à rester unie à son ministre. [231] _Recueil_, etc. * * * * * La première chose que se proposa Mme de Chevreuse fut le retour de Châteauneuf. La Rochefoucauld nous fait ici de l'ancien garde des sceaux un portrait justement avantageux, où il laisse entrevoir quel gouvernement ses amis les Importants[232] voulaient donner à la France: c'est celui que rêvèrent plus tard les premiers Frondeurs, et plus tard encore les amis du duc de Bourgogne, les derniers Importants du XVIIe siècle. «Le bon sens et la longue expérience dans les affaires de M. de Châteauneuf, dit La Rochefoucauld[233], étoient connus de la reine. Il avoit souffert une rigoureuse prison pour avoir été dans ses intérêts; il étoit ferme, décisif, il aimoit l'État, et il étoit plus capable que nul autre de rétablir l'ancienne forme du gouvernement que le cardinal de Richelieu avoit commencé à détruire. Il étoit de plus intimement attaché à Mme de Chevreuse, et elle savoit assez les voies les plus certaines de le gouverner. Elle pressa donc son retour avec beaucoup d'instance.» Déjà Châteauneuf avait obtenu que la dure prison où il avait gémi dix ans fût changée en une sorte de retraite dans quelqu'une de ses maisons[234]: Mme de Chevreuse demanda la fin de cet exil adouci, et qu'elle pût revoir celui qui avait tant souffert pour la reine et pour elle. Mazarin comprit qu'il fallait céder, mais il ne le fit que lentement, n'ayant jamais l'air de repousser lui-même Châteauneuf, et mettant toujours en avant la nécessité de ménager les Condé, surtout Mme la Princesse, qui, comme nous l'avons dit, haïssait en lui le juge de son frère. Châteauneuf fut donc rappelé, mais avec cette réserve accordée aux dernières volontés du roi, qu'il ne paraîtrait pas à la cour, et se tiendrait à sa maison de Montrouge, près de Paris, où ses amis pourraient le visiter. [232] Voyez plus bas, p. 233, les motifs de cette dénomination; voyez aussi LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. III, p. 224: «On appelait ainsi les chefs des mécontents, à cause des airs d'importance qu'ils se donnaient, blâmant à tort et à travers toutes les mesures du gouvernement, affectant une sorte de profondeur et de subtilité quintessenciée qui les séparait des autres hommes.» [233] _Mémoires_, _ibid._, p. 380. [234] Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. C, p. 135, lettre autographe de Châteauneuf à Chavigny, du 23 mars 1643, encore du vivant de Louis XIII, où il le remercie de l'assistance qu'il a prêtée à sa sœur, Mme de Vaucelas pour tenter de «le sortir de la rude et misérable condition où il est détenu depuis dix ans, dedans un âge fort avancé, et plein de maladies qui le travaillent continuellement.» Il ne fut élargi que dans les premiers jours de la régence. _Ibid._, p. 404: «Angoulesme, 25 may 1643. Sire, je rends très humbles grâces à Votre Majesté de celle qu'il lui a plu me faire après une si longue détention, en me permettant de me retirer dans une de mes maisons. Ce sera pour y employer si peu qu'il me reste de jours à prier Dieu pour qu'il lui plaise donner à Vostre Majesté de longues et heureuses années. Ce sont les supplications les plus dévotes que lui faict, Sire, de Votre Majesté, le très humble et très obéissant subject et serviteur, CHÂTEAUNEUF. Il s'agissait de le porter de là au ministère. Châteauneuf était vieux, mais ni son énergie ni son ambition ne l'avaient abandonné, et Mme de Chevreuse se faisait un point d'honneur de le replacer dans ce poste de garde des sceaux qu'il avait occupé autrefois et perdu pour elle, et que tous les anciens amis de la reine voyaient avec indignation entre les mains d'une des créatures les plus compromises de Richelieu, Pierre Séguier. C'était un très-habile homme, laborieux, instruit, plein de ressources, sans aucun caractère, que sa souplesse, jointe à sa capacité, rendait fort commode et utile à un premier ministre. Sa conduite sévère dans le procès de de Thou lui avait attiré la haine des Importants, et même de beaucoup d'honnêtes gens mal instruits de la part réelle et certaine[235] que de Thou avait prise au complot du grand écuyer. Dans cette même affaire, le garde des sceaux avait fait subir un interrogatoire à Monsieur, et auparavant, en 1637, il n'avait pas respecté l'asile de la reine au Val-de-Grâce. Il s'était beaucoup enrichi, et sa fortune avait fait faire à ses filles d'illustres mariages. Un cri s'élevait contre lui, et de divers côtés on demandait son renvoi. Deux choses le sauvèrent. D'abord on ne s'entendait pas sur son successeur: Châteauneuf était le candidat des Importants et de Mme de Chevreuse, mais le président Bailleul, surintendant des finances, convoitait la place pour lui-même; l'évêque de Beauvais craignait dans le cabinet un collègue tel que Châteauneuf, et les Condé le repoussaient. Puis, Séguier avait une sœur qui était très-chère à la reine, la mère Jeanne, supérieure du couvent des Carmélites de Pontoise. Les vertus de la sœur plaidaient en faveur du frère, et Montaigu, tout dévoué à la mère Jeanne, défendit le garde des sceaux que soutenait sous main le cardinal. [235] Voyez dans les _Mémoires de M. de Montrésor_, Leyde, 1665, 2 vol. in-12, la pièce intitulée _Rapport du procès_, t. Ier, p. 228. Mme de Chevreuse, reconnaissant qu'il était à peu près impossible de surmonter une si forte opposition, prit un autre chemin pour arriver au même but: elle se contenta de demander pour son ami le moindre siége dans le cabinet, sachant bien qu'une fois là, Châteauneuf saurait bien faire le reste et agrandir sa situation. Le président Bailleul, surintendant des finances, n'ayant pas montré dans cette charge une grande capacité, il fallut lui donner un nouvel auxiliaire quand le comte d'Avaux, avec lequel il partageait les finances, s'en alla au congrès de Münster. Mme de Chevreuse insinua à la reine qu'elle pouvait bien introduire Châteauneuf dans le conseil en lui donnant la succession de d'Avaux, emploi modeste qui ne pouvait faire ombrage à Mazarin; mais celui-ci comprit la manœuvre et la déjoua[236]. Il persuada assez aisément à la reine de maintenir Bailleul, qui était chancelier de sa maison et qu'elle aimait, en mettant auprès de lui, comme contrôleur général, l'habile d'Hemery, qui plus tard le remplaça entièrement. [236] CARNETS AUTOGRAPHES DE MAZARIN, IIe carnet, p. 10: «Non faccia sua Maestà sopraintendente Chatonof, se non vuol restabilirlo intieramente.» En même temps qu'elle travaillait à tirer de disgrâce l'homme sur qui reposaient toutes ses espérances politiques, Mme de Chevreuse, n'osant pas attaquer directement Mazarin, minait insensiblement le terrain autour de lui et préparait sa ruine. Son œil exercé lui fit reconnaître quel était le point d'attaque le plus favorable dans l'assaut qu'il s'agissait de livrer à la reine, et le mot d'ordre qu'elle donna fut d'entretenir et de porter à son comble le sentiment général de réprobation que tous les proscrits, en rentrant en France, soulevaient et répandaient contre la mémoire de Richelieu. Ce sentiment était partout, dans les grandes familles décimées ou dépouillées, dans l'Église trop fermement conduite pour ne s'être pas crue opprimée, dans les parlements réduits à leur rôle judiciaire et qui aspiraient à en sortir; il était vivant encore dans le cœur de la reine, qui ne pouvait avoir oublié les profondes humiliations que Richelieu lui avait fait subir et le sort que peut-être il lui réservait. Cette tactique réussit, et de toutes parts il s'éleva sur les violences, la tyrannie et par contre-coup sur les créatures de Richelieu, une tempête que Mazarin eut bien de la peine à conjurer[237]. [237] Voyez dans la JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. III, p. 222, la lettre que Mazarin écrit sur ce sujet au duc de Brézé, le 28 mai 1643. Mme de Chevreuse supplia la reine de réparer les longs malheurs des Vendôme en leur donnant ou l'amirauté, à laquelle était attaché un pouvoir immense, ou le gouvernement de Bretagne, que le chef de la famille, César de Vendôme, avait autrefois occupé, mais qu'il avait justement perdu dans les tristes affaires de 1626, où son frère le grand-prieur avait laissé la vie et lui-même subi un long emprisonnement[238]. Par là, Mme de Chevreuse se proposait un double but: l'élévation d'une maison amie et la ruine des deux familles qui avaient le plus servi Richelieu et pouvaient le mieux soutenir Mazarin. Le maréchal de La Meilleraie, parent de Richelieu, grand-maître de l'artillerie et nouvellement investi du gouvernement de Bretagne, était un homme de guerre plein d'autorité et en possession de plusieurs régiments. Le duc Maillé de Brézé, beau-frère du cardinal, était aussi maréchal, gouverneur d'une grande province, l'Anjou, et son fils, Armand de Brézé, alors à la tête de l'amirauté, passait déjà, malgré sa jeunesse, pour le premier homme de mer de son temps. Mazarin para le coup que lui portait la duchesse à force d'adresse et de patience, ne refusant jamais, éludant toujours, et appelant à son aide le temps, son grand allié, comme il l'appelait. Lui-même, avant le retour de Mme de Chevreuse, il s'était efforcé de gagner le duc de Vendôme et de le mettre dans ses intérêts. A la mort de Richelieu, il avait fort contribué à son rappel, et depuis il lui avait fait toutes sortes d'avances; mais il avait reconnu assez vite qu'il ne pouvait le satisfaire qu'en se perdant. Le duc César de Vendôme, fils de Henri IV et de la duchesse de Beaufort, avait de bonne heure porté très-haut ses prétentions, et s'était montré aussi remuant, aussi factieux qu'un prince légitime. Il avait passé sa vie dans les révoltes et les conspirations. Sa longue prison de 1626 à 1630 ne l'avait pas éclairé, et en 1641 il avait été forcé de s'enfuir en Angleterre sur l'accusation d'avoir tenté d'assassiner Richelieu. Il n'était rentré en France qu'après la mort du cardinal, et, comme on se l'imagine bien, il ne respirait que vengeance. «Il avoit beaucoup d'esprit, dit Mme de Motteville, et c'étoit tout le bien qu'on en disoit[239].» Contre l'ambition des Vendôme, Mazarin suscita habilement celle des Condé, qui ne souhaitaient pas l'agrandissement d'une maison trop voisine de la leur. Ils se devaient aussi à eux-mêmes de soutenir les Brézé, devenus leurs parents par le mariage de Claire-Clémence Maillé de Brézé, fille du duc et sœur du jeune et vaillant amiral, avec le duc d'Enghien; en sorte que Mazarin n'eut pas trop de peine à retenir entre des mains fidèles le commandement de la flotte et celui des grandes places maritimes de France. Mais il était bien difficile de conserver la Bretagne à La Meilleraie devant les réclamations d'un fils de Henri IV qui l'avait eue autrefois et la redemandait comme une sorte de propriété de famille, puisqu'il la tenait de son beau-père, le duc de Mercœur. Mazarin se résigna donc à sacrifier La Meilleraie, mais il le fit le moins possible. Il persuada à la reine de s'attribuer à elle-même le gouvernement de Bretagne, et de n'y avoir qu'un lieutenant-général, charge évidemment au-dessous de Vendôme, et qui demeura à La Meilleraie. Celui-ci ne se pouvait offenser d'être le second de la reine, et pour tout arranger et satisfaire entièrement un personnage de cette importance, Mazarin demanda bientôt pour lui le titre de duc que le feu roi lui avait promis, et la survivance de la grande maîtrise de l'artillerie pour son fils, ce même fils auquel un jour il donnera, avec son nom, sa propre nièce, la belle Hortense. [238] Plus haut, chap. II. [239] _Mémoires_, t. Ier, p. 126. Mazarin était d'autant moins porté à favoriser le duc de Vendôme, qu'il avait alors un rival dangereux auprès de la reine dans son fils cadet, le duc de Beaufort, jeune, brave, ayant tous les dehors de la loyauté et de la chevalerie, et affectant pour Anne d'Autriche un dévouement passionné qui n'était pas fait pour déplaire. Quelques jours avant la mort du roi, elle avait remis ses enfants à la garde du jeune duc. Cette marque de confiance lui avait enflé le cœur; il conçut des espérances qu'il laissa trop paraître et qui finirent par offenser la reine; et, pour comble d'inconséquence, il se mit à porter publiquement les chaînes de la belle et décriée duchesse de Montbazon. D'ailleurs, Beaufort n'avait pas même l'ombre d'un homme d'État: peu d'esprit, nul secret, incapable d'application et d'affaires, et capable seulement de quelque action hardie et violente. La Rochefoucauld nous le peint ainsi[240]: «Le duc de Beaufort étoit celui qui avoit conçu de plus grandes espérances. Il avoit été depuis longtemps particulièrement attaché à la reine. Elle venoit de lui donner une marque publique de son estime en lui confiant M. le dauphin et M. le duc d'Anjou un jour que le roi avoit reçu l'extrême-onction. Le duc de Beaufort, de son côté, se servoit utilement de cette distinction et de ses autres avantages pour établir sa faveur par l'opinion qu'il affectoit de donner qu'elle étoit déjà tout établie. Il étoit bien fait de sa personne, grand, adroit aux exercices et infatigable; il avoit de l'audace et de l'élévation, mais il étoit artificieux en tout et peu véritable; son esprit étoit pesant et mal poli; il alloit néanmoins assez habilement à ses fins par ses manières grossières; il avoit beaucoup d'envie et de malignité; sa valeur étoit grande, mais inégale.» Retz n'accuse point Beaufort d'artifices comme La Rochefoucauld, mais il le représente comme un présomptueux de la dernière incapacité[241]: «M. de Beaufort n'en étoit pas jusqu'à l'idée des grandes affaires, il n'en avoit que l'intention; il en avoit ouï parler aux Importants, et il avoit un peu retenu de leur jargon, et cela, mêlé avec les expressions qu'il avoit très-fidèlement tirées de Mme de Vendôme[242], formoit une langue qui auroit déparé le bon sens de Caton. Le sien étoit court et lourd, et d'autant plus qu'il étoit obscurci par la présomption. Il se croyoit habile, et c'est ce qui le faisoit paroître artificieux, parce que l'on connoissoit d'abord qu'il n'avoit pas assez d'esprit pour cette fin. Il étoit brave de sa personne et plus qu'il n'appartenoit à un fanfaron.» Ces deux portraits sont vrais sans doute, mais au début de la régence, en 1643, les défauts du duc de Beaufort n'étaient pas aussi déclarés et paraissaient moins que ses qualités. La reine ne perdit que peu à peu le goût qu'elle avait pour lui. Dans le commencement, elle lui avait proposé la place de grand écuyer, vacante depuis la mort de Cinq-Mars, qui l'aurait chaque jour approché de sa personne[243]. Beaufort eut la folie de refuser cette place, espérant davantage; puis, se ravisant trop tard, il l'avait redemandée, mais alors inutilement. Plus sa faveur diminuait, plus croissait son irritation, et bientôt il se mit à la tête des ennemis de Mazarin. [240] _Mémoires_, t. Ier, p. 372. [241] Tome Ier, p. 216. [242] Sa mère, Mme de Vendôme, était une personne de la plus haute dévotion et qui en avait le langage. [243] C'est Mazarin lui-même qui nous donne ce renseignement jusqu'ici ignoré, IIe carnet, p. 72 et 73. Mme de Chevreuse espéra être plus heureuse en demandant le gouvernement du Havre pour un tout autre personnage, d'un dévouement éprouvé et de l'esprit le plus fin et le plus rare, La Rochefoucauld. Elle eût ainsi récompensé des services rendus à la reine et à elle-même, fortifié et agrandi un des chefs du parti des Importants, et diminué Mazarin en enlevant un commandement considérable à une personne dont il était sûr, la nièce de Richelieu, la duchesse d'Aiguillon. Le cardinal réussit à la sauver sans paraître s'en mêler. «Cette dame, dit Mme de Motteville[244], qui, par ses belles qualités, surpassoit en beaucoup de choses les femmes ordinaires, sut si bien défendre sa cause, qu'elle persuada à la reine qu'il étoit nécessaire pour son service qu'elle lui laissât cette importante place, lui disant que n'ayant plus en France que des ennemis, elle ne pouvoit trouver de sûreté ni de refuge que dans la protection de Sa Majesté, qui en seroit toujours la maîtresse; qu'au contraire, celui auquel elle vouloit donner ce gouvernement avoit trop d'esprit, qu'il étoit capable de desseins ambitieux, et pourroit, sur le moindre dégoût, se mettre de quelque parti, et qu'ainsi il étoit important, pour le bien de son service, qu'elle gardât cette place pour le roi. Les larmes d'une femme qui avoit été autrefois si fière arrêtèrent d'abord la reine, qui, après avoir fait réflexion sur ses raisons, trouva à propos de laisser les choses en l'état où elles étoient.» C'est sans doute Mazarin qui suggéra à la duchesse d'Aiguillon les solides et politiques raisons qui persuadèrent la reine, tant elles s'accordent avec le langage qu'il tient sans cesse à la reine dans ses carnets. Mme de Motteville dit qu'il «la confirma dans l'inclination qu'elle avoit de conserver le Havre à la duchesse d'Aiguillon.» Ici, comme en bien d'autres choses, l'art de Mazarin fut d'avoir l'air de confirmer seulement la reine dans les résolutions qu'il lui inspirait. [244] _Mémoires_, t. Ier, p. 136. Remarquez que ce n'est pas nous qui prêtons ces divers desseins et cette conduite bien liée à Mme de Chevreuse, mais La Rochefoucauld, qui devait être parfaitement informé: il la lui attribue[245] et dans sa propre affaire et dans celle des Vendôme. Mazarin ne s'y trompe pas, et plus d'une fois, dans ses notes secrètes, on lit ces mots: «Mes plus grands ennemis sont les Vendôme et Mme de Chevreuse qui les anime.» Il nous apprend aussi qu'elle avait formé le projet de marier sa fille, la belle Charlotte, qui avait déjà seize ans[246], avec le fils aîné du duc de Vendôme, le duc de Mercœur, tandis que son frère, Beaufort, aurait épousé cette aimable et noble Mlle d'Épernon qui, déjouant ces projets et de bien plus grands, se jeta à vingt-quatre ans dans un couvent de Carmélites[247]. Ces mariages, qui auraient rapproché, uni, fortifié tant de grandes maisons médiocrement attachées à la reine et à son ministre, effrayèrent le successeur de Richelieu; il engagea la reine à les faire échouer en secret, trouvant que c'était déjà bien assez du mariage de la belle Mlle de Vendôme avec le brillant et inquiet duc de Nemours[248]. [245] _Mémoires_, t. Ier, p. 380-384. [246] Charlotte-Marie de Lorraine était née en 1627. [247] LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. Ier, p. 101-106. [248] Ier carnet, p. 112. Quand on suit avec attention le détail des intrigues contraires de Mme de Chevreuse et de Mazarin, on ne sait trop à qui des deux donner le prix de l'habileté, de la sagacité, de l'adresse. Mazarin sut faire assez de sacrifices pour avoir le droit de n'en pas faire trop, ménageant tout le monde, ne désespérant personne, promettant beaucoup, tenant le moins possible, et entourant Mme de Chevreuse elle-même de soins et d'hommages, sans se faire aucune illusion sur ses sentiments. Elle, de son côté, le payait de la même monnaie. La Rochefoucauld dit que dans ces premiers temps Mme de Chevreuse et Mazarin étaient en coquetterie l'un avec l'autre. Mme de Chevreuse, qui avait toujours mêlé la galanterie à la politique, essaya, à ce qu'il paraît, le pouvoir de ses charmes sur le cardinal. Celui-ci ne manquait pas de lui prodiguer les paroles galantes, et «essayoit même quelquefois de lui faire croire qu'elle lui donnoit de l'amour.» Ce sont les propres termes de La Rochefoucauld[249]. D'autres femmes aussi n'auraient pas été fâchées de plaire un peu au premier ministre, entre autres la princesse de Guymené, une des plus grandes beautés de la cour de France, et qui n'était pas d'une humeur farouche. Elle et son mari étaient favorables à Mazarin, malgré tous les efforts de Mme de Montbazon, sa belle-mère, et de Mme de Chevreuse, sa belle-sœur. On pense bien que Mazarin soignait fort Mme de Guymené et ne se faisait pas faute de lui adresser mille compliments comme à Mme de Chevreuse, mais il n'allait pas plus loin, et les deux belles dames ne savaient trop que penser de tant de compliments et de tant de réserve. En badinant, elles se demandaient quelquefois à qui des deux il en voulait, et comme il n'avançait pas, tout en continuant ses protestations galantes, «ces dames, dit Mazarin, en concluent que je suis impuissant[250].» [249] _Mémoires_, t. Ier, p. 383. [250] IIIe carnet, p. 39: «Si esamina la mia vita e si conclude che io sia impotente.» Ce jeu dura quelque temps, mais le naturel finit par l'emporter sur la politique. Mme de Chevreuse s'impatienta de n'obtenir que des paroles et presque rien de sérieux et d'effectif. Elle avait eu quelque argent pour elle-même, soit en remboursement de celui qu'autrefois elle avait prêté à la reine, ainsi que nous l'avons vu[251], soit pour l'acquittement des dettes qu'elle avait contractées pendant son exil dans l'intérêt d'Anne d'Autriche. Dès les premiers jours, elle avait tiré son ami et protégé Alexandre de Campion du service des Vendôme, pour le placer dans la maison de la reine en un rang convenable[252]. On avait remis Châteauneuf dans sa place de chancelier des ordres du roi, et plus tard même on lui rendit son ancien gouvernement de Touraine[253], après la mort du marquis de Gèvres, tué au mois d'août, devant Thionville. Mais Mme de Chevreuse trouvait que c'était faire bien peu pour un homme du mérite de Châteauneuf, qui pour la reine avait joué sa fortune et sa vie et souffert un emprisonnement de dix années. Elle reconnut aisément que les perpétuels retardements des grâces toujours promises et toujours différées pour les Vendôme et pour La Rochefoucauld étaient autant d'artifices du cardinal, et qu'elle était sa dupe; elle se plaignit et commença à se permettre des mots piquants et moqueurs. C'étaient des armes qu'elle fournissait à Mazarin contre elle-même. Il fit sentir à la reine que Mme de Chevreuse la voulait gouverner, qu'elle avait changé de masque et non de caractère, qu'elle était toujours la personne passionnée et remuante qui, avec tout son esprit et son dévouement, n'avait jamais fait que du mal à la reine, et n'était capable que de perdre les autres et de se perdre elle-même. Peu à peu, de sourde et cachée qu'elle était, la guerre entre eux se déclara de plus en plus. La Rochefoucauld a peint admirablement le commencement et les progrès de cette lutte curieuse. Les carnets de Mazarin l'éclairent d'un jour nouveau, et relèvent infiniment Mme de Chevreuse en faisant voir à quel point Mazarin la redoutait. [251] Voyez le chapitre IV, p. 147. [252] _Recueil_, etc., lettre du 12 juin 1643: «Je suis à la reine qui me fait l'honneur de me bien traiter. J'ai toutes les entrées libres, et même elle m'a accordé un don dont on me fait espérer que je tirerai près de cent mille écus. Mme de Chevreuse qui est bien avec elle me continue la confiance qu'elle a toujours témoigné avoir en moi.» [253] IIe carnet, p. 22, et parmi les _Lettres françaises_ de Mazarin conservées à la bibliothèque Mazarine, celle du 13 août 1643 où le cardinal annonce à Châteauneuf que la reine lui rend le gouvernement de Touraine. Une autre lettre du 2 janvier 1644 le qualifie en effet de _conseiller du roi en ses conseils, chancelier de ses ordres, et gouverneur de Touraine_. Partout il la considère comme le véritable chef du parti des Importants: «C'est Mme de Chevreuse, dit-il sans cesse, qui les anime tous.»--«Elle s'applique à fortifier les Vendôme; elle tâche d'acquérir toute la maison de Lorraine; elle a déjà gagné le duc de Guise, et par lui elle s'efforce de m'enlever le duc d'Elbeuf.»--«Elle voit très-clair en toutes choses; elle a fort bien deviné que c'est moi qui, en secret, agis auprès de la reine pour l'empêcher de rendre au duc de Vendôme le gouvernement de Bretagne. Elle l'a dit à son père, le duc de Montbazon, et à Montaigu.»--«Elle se brouille avec Montaigu lui-même, parce qu'il fait obstacle à Châteauneuf en soutenant le garde des sceaux Séguier.»--«Mme de Chevreuse ne se décourage pas. Elle dit que les affaires de Châteauneuf ne sont pas du tout désespérées, et elle ne demande que trois mois pour faire voir ce qu'elle peut. Elle supplie les Vendôme de prendre patience, et les soutient en leur promettant bientôt un changement de scène.»--«Mme de Chevreuse espère toujours me faire renvoyer. La raison qu'elle en donne, c'est que, quand la reine lui a refusé de mettre Châteauneuf à la tête du gouvernement, elle a dit qu'elle ne pouvait le faire présentement et qu'il fallait avoir égard à moi, d'où Mme de Chevreuse a conclu que la reine avait beaucoup d'estime et d'affection pour Châteauneuf, et que, quand je ne serai plus là, la place est assurée à son ami. De là leurs espérances et les illusions dont ils se nourrissent.»--«L'art de Mme de Chevreuse et des Importants est de faire en sorte que la reine n'entende que des discours favorables à leur parti et dirigés contre moi, et de lui rendre suspect quiconque ne leur appartient pas et me témoigne quelque affection.»--«Mme de Chevreuse et ses amis publient que bientôt la reine appellera Châteauneuf, et par là ils abusent tout le monde et portent ceux qui songent à leur avenir à l'aller voir et à rechercher son amitié. On excuse la reine du retard qu'elle met à lui donner ma place, en disant qu'elle a encore besoin de moi pendant quelque temps.»--«On me dit que Mme de Chevreuse dirige en secret Mme de Vendôme (sainte personne qui avait un grand crédit sur le clergé[254]), et lui donne des instructions, afin qu'elle ne se trompe pas, et que toutes les machines employées contre moi aillent bien à leur but[255].» [254] Voyez plus haut, p. 222. [255] IIe carnet, p. 65, 68, 75; IIIe carnet, p. 11, 19, 25, 29, 44. Ce dernier passage prouve que Mme de Chevreuse, sans être dévote le moins du monde, savait fort bien se servir du parti dévot, qui était très puissant sur l'esprit d'Anne d'Autriche et donnait à Mazarin de grands soucis. La principale difficulté du premier ministre était de faire comprendre à la reine Anne, sœur du roi d'Espagne, et d'une piété tout espagnole, qu'il fallait, malgré les engagements qu'elle avait tant de fois contractés, malgré les instances de la cour de Rome et malgré celles des chefs de l'épiscopat, continuer l'alliance avec les protestants d'Allemagne et avec la Hollande, et persister à ne vouloir qu'une paix générale où nos alliés trouveraient leur compte aussi bien que nous, tandis qu'on répétait continuellement à la reine qu'on pouvait faire une paix particulière, et traiter séparément avec l'Espagne à des conditions très convenables, que par là on ferait cesser le scandale d'une guerre impie entre le roi très chrétien et le roi catholique, et qu'on procurerait à la France un soulagement dont elle avait grand besoin. C'était là la politique de l'ancien parti de la reine. Elle était au moins spécieuse, et comptait de nombreux appuis parmi les hommes les plus éclairés et les plus attachés à l'intérêt de leur pays. Mazarin, disciple et héritier de Richelieu, avait des pensées plus hautes, mais qu'il n'était pas aisé de faire entrer dans l'esprit d'Anne d'Autriche. Il y parvint peu à peu, grâce à des efforts sans cesse renouvelés et ménagés avec un art infini, grâce surtout aux victoires du duc d'Enghien, car en toutes choses c'est un avocat bien éloquent et bien persuasif que le succès. Cependant la reine demeura assez longtemps indécise, et on voit, dans les carnets de Mazarin, pendant la fin de mai, tout le mois de juin et celui de juillet, que le plus grand effort du cardinal est de porter la régente à ne point abandonner ses alliés et à soutenir fermement la guerre. Mme de Chevreuse, avec Châteauneuf, défendait la vieille politique du parti, et travaillait à y ramener Anne d'Autriche: «Mme de Chevreuse, dit Mazarin, fait dire de tous côtés à la reine que je ne veux pas la paix, que j'ai les mêmes maximes que le cardinal de Richelieu, qu'il est nécessaire et qu'il est facile de faire une paix particulière.» Il s'élève plusieurs fois contre les dangers d'un pareil arrangement, qui eût rendu inutiles les sacrifices de la France pendant tant d'années: «Mme de Chevreuse, s'écrie-t-il, veut ruiner la France!» Il savait que, liée intimement avec Monsieur, son ancien complice dans toutes les conspirations ourdies contre Richelieu, elle l'avait séduit à l'idée d'une paix particulière en lui faisant espérer pour sa fille, Mlle de Montpensier, un mariage avec l'archiduc, qui lui aurait apporté le gouvernement des Pays-Bas. Il savait qu'elle avait gardé tout son crédit sur Charles IV, et le maréchal de L'Hôpital, qui commandait du côté de la Lorraine, lui faisait dire de se défier de toutes les protestations du duc Charles, parce qu'il appartenait entièrement à Mme de Chevreuse. Il savait enfin qu'elle se vantait de pouvoir faire promptement la paix au moyen de la reine d'Espagne, dont elle disposait. Aussi supplie-t-il la reine Anne de repousser toutes les propositions de Mme de Chevreuse, et de lui dire nettement qu'elle ne veut entendre à aucun arrangement particulier, qu'elle est décidée à ne pas se séparer de ses alliés, qu'elle souhaite une paix générale, que c'est pour cela qu'elle a envoyé à Münster des ministres qui traitent cette grande affaire, et qu'il est superflu de lui en parler davantage[256]. [256] IIIe carnet, p. 27, 43 et 55. * * * * * Battue sur ces différents points, Mme de Chevreuse ne se tint pas pour vaincue. Voyant qu'elle avait inutilement employé l'insinuation, la flatterie, la ruse, toutes les intrigues ordinaires des cours, cette âme hardie ne recula pas devant l'idée de recourir à d'autres moyens de succès. Elle continua de faire agir les dévots et les évêques, elle suivit ses trames politiques avec les chefs des Importants, et en même temps elle se rapprocha de cette petite cabale qui formait en quelque sorte l'avant-garde du parti, composée d'hommes nourris dans les anciens complots, habitués et toujours prêts à des coups de main, qui jadis s'étaient embarqués dans plus d'une entreprise désespérée contre Richelieu, et que, dans un cas extrême, on pouvait lancer aussi contre Mazarin. Les mémoires du temps, et particulièrement ceux de Retz et de La Rochefoucauld, les font assez connaître. C'étaient le comte de Montrésor, le comte de Fontrailles, le comte de Fiesque, le comte d'Aubijoux, le comte de Beaupuis, le comte de Saint-Ybar, Barrière, Varicarville, bien d'autres encore, esprits absurdes, cœurs intrépides, professant les maximes les plus outrées et une sorte de culte pour de Thou, parce qu'il était mort pour son ami, invoquant sans cesse la vieille Rome et Brutus, mêlant à tout cela des intrigues galantes, et s'exaltant dans leurs chimères par le désir de plaire aux dames. C'étaient eux surtout qui s'étaient fait donner le nom d'Importants par leurs airs d'importance, par leur affectation de capacité et de profondeur et par leurs discours ténébreux[257]. Leur chef favori était le duc de Beaufort, que nous connaissons, personnage à peu près de la même étoffe, composé à la fois d'extravagant et d'artificieux, mais d'une grande apparence de loyauté et de bravoure, et se donnant pour un homme d'exécution, d'ailleurs absolument gouverné par Mme de Montbazon, la jeune belle-mère de Mme de Chevreuse. L'ancienne maîtresse de Chalais n'eut pas de peine à acquérir cette petite faction; elle la caressa habilement, et, avec l'art d'une conspiratrice exercée, elle fomenta tout ce qu'il y avait en eux de faux honneur, de dévouement quintessencié et de courage chevaleresque. Mazarin, qui, comme Richelieu, avait une admirable police, averti des démarches de Mme de Chevreuse, comprit le danger qu'il allait courir. Il savait bien qu'elle ne se liait pas sans dessein avec des hommes comme ceux-là. Il était parfaitement instruit de tout ce qui se passait et se disait dans leurs conciliabules: «Ils ne parlent entre eux, dit-il dans les notes qu'il écrit pour la reine et pour lui-même, que de générosité et de dévouement; ils répètent sans cesse qu'il faut savoir se perdre,[258] et c'est Mme de Chevreuse qui les entretient et les unit dans ces maximes si funestes à l'État.»--«Saint-Ybar (un de ceux qui, avec Montrésor, avaient proposé à Monsieur et au comte de Soissons, à Amiens, en 1636, de les défaire de Richelieu) est vanté par Mme de Chevreuse comme un héros[259].»--«Visite de Campion, serviteur dévoué de la dame.»--«Mme de Chevreuse veut acheter une des îles de la Loire pour y établir les deux Campion et aller de temps en temps y voir en secret l'agent espagnol, Sarmiento[260].»--«Mme de Chevreuse les anime tous. Elle dit que, si on ne prend pas la résolution de se défaire de moi, les affaires n'iront pas bien, que les grands seigneurs seront tout aussi asservis qu'auparavant, que mon pouvoir auprès de la reine s'accroîtra toujours, et qu'il faut se hâter avant que le duc d'Enghien ne revienne de l'armée[261].» [257] Aux portraits si connus que La Rochefoucauld et Retz nous ont laissés des Importants on peut ajouter les lignes suivantes d'Alexandre de Campion, _Recueil_: «J'ai des amis qui n'ont pas toute la prudence qui seroit à désirer; ils se font un honneur à leur mode, et donnent des habits si extraordinaires à la vertu qu'elle me semble déguisée, de sorte qu'en cas qu'ils aient toutes les qualités essentielles ils s'en servent si mal que l'applaudissement qu'ils se sont attiré ne servira peut-être qu'à leur destruction.» [258] IIe carnet, p. 70: «...Si predica siempre que es menester perdierse.» [259] _Ibid._, p. 83: «Saint-Ibar portato dalla dama come un eroe.» [260] Était-ce par pure politique, ou n'y avait-il pas là quelque mélange de galanterie? Ailleurs Mazarin prétend qu'à Bruxelles don Antonio Sarmiento était bien avec la duchesse; mais il ne faut pas oublier qu'il ne dit cela qu'après coup, au milieu de la Fronde, dans le dernier emportement de l'inimitié, et que nulle part nous n'avons rencontré la moindre trace de cette liaison. Voyez les _Lettres du cardinal Mazarin_, etc., par M. Ravenel, Paris, 1836, p. 15. [261] IIIe carnet, p. 5, 24 et 25: «Que los majores enemigos que yo tenia eran los Vandomos et la dama que li anima todos, diciendo que se no si teneria luogo la resolucion de deshacerce de my, los negotios (no) irian bien, los grandes serian tan sujetos come antes, y yo siempre mas poderia con la reyna, y que era menester darse prima antes que Anghien concluviesse.» On ne pouvait être mieux informé, et le plan de Mme de Chevreuse et des chefs des Importants se dessinait clairement aux yeux de Mazarin: ou bien, par leurs intrigues incessantes et habilement concertées auprès de la reine, lui faire abandonner un ministre pour lequel elle ne s'était pas encore hautement déclarée, ou traiter ce ministre comme Luynes avait fait le maréchal d'Ancre, comme le grand prieur et Chalais, et ensuite Montrésor et Saint-Ybar, avaient voulu traiter Richelieu. La première partie du plan ne réussissant pas, on commençait à penser sérieusement à la seconde, et Mme de Chevreuse, la forte tête du parti, proposait avec raison d'agir avant le retour du duc d'Enghien, car le duc à Paris couvrait Mazarin: il fallait donc profiter de son absence pour frapper le coup décisif. Le succès paraissait certain et même assez facile. On était sûr d'avoir pour soi le peuple, qui, épuisé par une longue guerre et gémissant sous le poids des impôts, devait accueillir avec joie l'espérance de la paix. On comptait sur l'appui déclaré des parlements, brûlant de reprendre dans l'État l'importance que Richelieu leur avait enlevée et que leur disputait Mazarin. On avait toutes les sympathies secrètes et même publiques de l'épiscopat, qui, avec Rome, détestait l'alliance protestante et réclamait l'alliance espagnole. On ne pouvait douter du concours empressé de l'aristocratie, qui regrettait toujours sa vieille et turbulente indépendance, et dont les représentants les plus illustres, les Vendôme, les Guise, les Bouillon, les La Rochefoucauld, étaient ouvertement contraires à la domination d'un favori étranger, sans fortune, sans famille, et encore sans gloire. Les princes du sang eux-mêmes se résignaient à Mazarin plutôt qu'ils ne l'aimaient. Monsieur ne se piquait pas d'une grande fidélité à ses amis, et le politique prince de Condé y regarderait à deux fois avant de se brouiller avec les victorieux. Il caressait tous les partis et n'était attaché qu'à ses intérêts. Son fils ferait comme son père, et on le gagnerait en le comblant d'honneurs. Le lendemain, nulle résistance, et le jour même presque aucun obstacle. Les régiments italiens de Mazarin étaient à l'armée; il n'y avait guère de troupes à Paris que les régiments des gardes, dont presque tous les chefs, Chandenier, Tréville, La Châtre, étaient dévoués au parti. La reine elle-même n'avait pas encore renoncé à ses anciennes amitiés. Sa prudence même était mal interprétée. Comme elle voulait tout ménager et tout adoucir, elle donnait de bonnes paroles à tout le monde, et ces bonnes paroles étaient prises comme des encouragements tacites. Elle n'avait pas jusque-là montré une grande fermeté de caractère; on lui croyait bien quelque goût pour le cardinal; on ne se doutait pas de la force toujours croissante d'un attachement de quelques mois. De son côté, Mazarin ne se faisait aucune illusion. Il n'était donc pas maître encore du cœur d'Anne d'Autriche, puisqu'à ce moment, c'est-à-dire pendant le mois de juillet 1643, dans ses notes les plus intimes, il montre une extrême inquiétude. La dissimulation dont tout le monde accusait la reine l'effraie lui-même, et on le voit passer par toutes les alternatives de la crainte et de l'espérance. Il est curieux de saisir et de suivre les mouvements contraires de son âme. Dans ses lettres officielles aux ambassadeurs et aux généraux[262] il affecte une sécurité qu'il n'a point: avec ses amis particuliers, il laisse échapper quelque chose de ses perplexités, elles paraissent à nu dans les carnets. On y voit ses troubles intérieurs et ses instances passionnées pour que la reine se déclare. Il feint avec elle le plus entier désintéressement: il ne demande qu'à faire place à Châteauneuf, si elle a pour Châteauneuf quelque secrète préférence. La conduite ambiguë d'Anne d'Autriche le désole, et il la conjure ou de lui permettre de se retirer, ou de se prononcer pour lui. [262] Voyez la précieuse collection déjà citée de lettres italiennes et françaises de Mazarin, 5 vol. in-fol. provenant de Colbert, qui sont aujourd'hui à la bibliothèque Mazarine: Lettres de 1642 à 1645. «Tout le monde dit que Sa Majesté a des engagements envers Châteauneuf. S'il en est ainsi, que Sa Majesté me le dise. Si elle veut lui confier ses affaires, je me retirerai quand elle voudra[263].»--«Ils disent que Sa Majesté est la personne du monde la plus dissimulée, qu'on ne doit pas s'y fier, et que, si elle témoigne faire cas de moi, c'est par pure nécessité, et que toute sa confiance réelle est en eux[264].»--«Si Sa Majesté veut me conserver et tirer parti de moi, il faut qu'elle quitte le masque, et qu'elle montre par des effets le cas qu'elle fait de ma personne[265].»--«Je ne cherche que le goût et la satisfaction de Sa Majesté; mais la vérité me force de lui dire qu'il est impossible de la bien servir avec ces perpétuelles incertitudes, tandis que je travaille jour et nuit pour remplir mes devoirs[266].»--«Il est certain que les Importants continuent à se rassembler au jardin des Tuileries, que ceux qui se disent les plus grands serviteurs de la reine crient contre son gouvernement, qu'ils sont contre moi plus que jamais, et concluent toujours en disant que, s'ils ne peuvent me détruire par l'intrigue, ils tenteront d'autres moyens[267].»--«Je reçois mille avis de prendre garde à moi[268].»--«Ils crient contre la reine plus que jamais. Ils sont furieux contre Beringhen et Montaigu. Ils disent que le premier fait un très vilain métier, et qu'ils donneront au second mille coups de bâton; qu'il est absolument nécessaire de perdre tous ceux qui sont pour moi[269].»--«On me dit que beaucoup de gens sont si fort animés contre moi, qu'il est impossible qu'il ne m'arrive pas quelque grand malheur[270].» [263] IIe carnet, p. 21 et 22. [264] _Ibid._, p. 42. [265] _Ibid._, p. 65: «Sy S. M. quiere conservar me de manera que puede ser de provechio a su servitio, es menester quitarse la masqhera, y azer obras que declarase la proteccion que quiere tener de mi persona.» [266] _Ibid._, p. 77: «Es imposible servir con estos sobresaltos, mientras travajo di dia y de noche per complir a mis obligationes.» [267] IIe carnet, p. 76: «Es sierto que continuan juntarse al jardin de Tullieri, que ablan contra el gobierno de la reyna los que se dicen sus majores serbidores, y que son contra my mas que nunca, hasta concluir siempre que sy per cabalas no podrano destruirme, intentaran otros modos.» [268] _Ibid._, p. 93: «Ricevo mille avvisi di guardarmi.» [269] IIIe carnet, p. 18: «Los Importantes ablan contra la reyna mas que nunca. Estan desperados contra Belingan y Montagu; dicen que el primero es un alcahuete (maquereau), y que all'otro daran mil palos; que es menester perder todos los que fueran de mi parte.» [270] _Ibid._, p. 24: «Que muchas personas eran de manera animadas contra my que era imposibile que no me succediesse algun gran mal.» Il déclare qu'il se retirerait bien volontiers si, en se retirant, il croyait faire cesser l'orage. «Ah! s'écrie-t-il, si la mer pouvait s'apaiser par mon sacrifice, je m'y précipiterais comme Jonas s'est précipité dans la bouche de la baleine[271].» Il fait de tristes réflexions sur l'extrême difficulté de gouverner les hommes, et surtout les Français, par la raison et par le sentiment du bien public. Il se rend à lui-même cette justice qu'il n'a pas mal servi la France. Dans les premiers jours de son ministère, le 23 mai, il avait dit à la reine[272]: «Que votre Majesté me croie pendant trois mois, et ensuite qu'elle fasse ce qu'elle voudra.» Trois mois n'étaient pas écoulés, et la France, victorieuse à Rocroi, était sur le point d'enlever à l'Autriche la place qui gardait le passage du Rhin. Au delà des Alpes, elle était l'arbitre des différends des princes italiens; le pape lui-même reconnaissait sa médiation en dépit de l'opposition de l'Espagne, et en Angleterre le roi et le parlement s'adressaient également à la France pour obtenir son appui[273]. Et le principal auteur de cette prospérité était calomnié, outragé, menacé; il ne savait pas si quelque officier des gardes, ou quelqu'un des insensés que tenait dans sa main Mme de Chevreuse, ne lui réservait pas le sort du maréchal d'Ancre. A la fin du mois de juin, dans une lettre à son ami le cardinal Bichi, il lui parle comme il se parle à lui-même dans les carnets. «Chacun voit, dit-il, que je n'épargne aucune fatigue, et que cette couronne n'a pas de serviteur plus zélé, plus fidèle, plus désintéressé; et pourtant je songe toujours à retourner dans mon pays, quand je pourrai le faire sans me manquer à moi-même, à mes devoirs et à la France; car, bien que tous mes desseins soient bons, bien que je me rende ce témoignage que je n'en ai pas un qui n'ait pour objet la gloire de Sa Majesté, je ne laisse pas de rencontrer mille oppositions et d'en prévoir de plus grandes encore dans l'avenir, les Français n'ayant point de sérieux attachement à l'intérêt de l'État, et prenant en aversion tous ceux qui le mettent au-dessus des intérêts particuliers. Aussi, je le confie à Votre Éminence, je passe la vie la plus malheureuse, et sans la bonté de la reine, qui me donne mille preuves d'affection, je n'y tiendrois pas[274].» [271] IIe carnet, p. 76: «Sy la mar puede sosegarse con echarmi como Jonas en la bocca de la balena!» [272] Ier carnet, p. 108. [273] IIIe carnet, p. 65: «La riputazione della Francia non è in cattivo stato, poiche, oltre li progressi che dà per tutto fanno le armi sue, è arbitra S. M. delle differenze dei principi d'Italia, e di quelle del re d'Inghilterra con il parlamento, non ostante che li Spagnuoli faccino il possibile e combattino per ogni verso questa qualità, sino a minacciare il papa se adherisce alli sentimenti ed alla mediazione di Francia.» [274] Bibliothèque Mazarine, _Lettres italiennes de Mazarin_, 30 juin 1643, fol. 181. Rien n'était changé à la fin de juillet et dans les premiers jours du mois d'août 1643, ou plutôt tout s'était aggravé; la violence des Importants croissait chaque jour; la reine défendait son ministre, mais elle ménageait aussi ses ennemis; elle hésitait à prendre l'attitude décidée que lui demandait Mazarin, non-seulement dans son intérêt particulier, mais dans celui du gouvernement. Tout à coup un incident, fort insignifiant en apparence, mais qui grandit peu à peu, fit éclater la crise inévitable, força la reine à se déclarer et Mme de Chevreuse à s'enfoncer davantage dans l'entreprise funeste qui déjà était entrée dans sa pensée: nous voulons parler de la querelle de Mme de Montbazon et de Mme de Longueville. Nous avons ailleurs raconté en détail[275] cette querelle, et l'on connaît l'une et l'autre dame. Rappelons seulement que la duchesse de Montbazon, par son mariage avec le père de Mme de Chevreuse, se trouvait la belle-mère de Marie de Rohan, quoiqu'elle fût plus jeune qu'elle, que le duc de Beaufort lui était publiquement une sorte de cavalier servant, que le duc de Guise lui faisait une cour très-bien accueillie, et qu'ainsi de tous côtés elle appartenait aux Importants. Parmi ses nombreux amants, elle avait compté le duc de Longueville, qu'elle aurait bien voulu retenir, et qui venait de lui échapper en épousant Mlle de Bourbon. Ce mariage avait fort irrité la vaine et intéressée duchesse; elle détestait Mme de Longueville, et saisit avec une ardeur aveugle l'occasion qui se présenta de porter le trouble dans le nouveau ménage. Un soir, dans son salon de la rue de Béthizy ou de la rue Barbette[276], elle ramassa des lettres écrites par une femme, qu'un imprudent venait de laisser tomber. Elle en amusa toute la compagnie. Ces lettres n'étaient que trop claires. On chercha de qui elles pouvaient venir. La duchesse de Montbazon osa les attribuer à Mme de Longueville. Ce bruit injurieux se répandit vite. On comprend quelle fut l'indignation de l'hôtel de Condé. Mme la Princesse vint demander hautement justice à la reine: une réparation fut exigée et convenue. La duchesse de Montbazon, forcée d'y consentir, s'exécuta d'assez mauvaise grâce. Quelques jours après, la reine s'étant rendue avec Mme la Princesse au jardin de Renard, à une collation que lui donnait Mme de Chevreuse, Mme de Montbazon s'y était trouvée, et, quand la reine l'avait fait prier de prendre quelque prétexte pour se retirer et éviter de se rencontrer avec Mme la Princesse, l'insolente duchesse avait refusé d'obéir. Cette offense, faite à la reine elle-même, ne pouvait demeurer impunie, et le lendemain Mme de Montbazon recevait l'ordre de quitter la cour et de s'en aller dans une de ses terres près de Rochefort. Les amis et amants de la dame jetèrent les hauts cris; tout le parti des Importants s'émut, et l'affaire changea de face; de particulière qu'elle était, elle devint générale, comme souvent à la guerre un engagement particulier, une manœuvre précipitée, entraîne toute l'armée et détermine une bataille. [275] Voyez LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. III, etc. [276] Sur l'hôtel Montbazon, voyez Sauval, t. II, p. 124. Il était difficile de se mettre sur un plus mauvais terrain. D'abord la duchesse de Montbazon était aussi décriée pour ses mœurs et son caractère que célèbre par sa beauté, et elle attaquait une jeune femme qui commençait à peine à paraître et déjà était l'objet de l'admiration universelle, d'une beauté à la fois éblouissante et gracieuse qui la faisait comparer à un ange, d'un esprit merveilleux, du cœur le plus noble, et la personne du monde que les Importants auraient dû le plus ménager, car sa générosité naturelle ne la portait pas du côté de la cour et donnait même quelque ombrage au premier ministre. Mme de Longueville n'était alors occupée que de bel esprit, d'innocente galanterie, et surtout de la gloire de son frère le duc d'Enghien. Il y avait même en elle, il faut l'avouer, quelques germes d'une Importante, que plus tard sut trop bien développer La Rochefoucauld[277]. L'injure qui lui était faite, et dont les honteux motifs étaient visibles, révolta tous les cœurs honnêtes. L'emportement de Beaufort en cette occasion avait été aussi très-blâmé. Il avait autrefois adressé ses vœux à Mlle de Bourbon, qui ne les avait pas accueillis, de sorte que sa conduite avait un air de vengeance odieuse[278]. D'ailleurs l'effort de Mme de Chevreuse était d'ôter à Mazarin ses appuis: elle excitait contre lui et faisait agir auprès de la reine les dévots et les dévotes; or Mme de Longueville n'était pas moins l'idole des Carmélites et du parti des saints que de l'hôtel de Rambouillet. Enfin le duc d'Enghien, déjà couvert des lauriers de Rocroy et tout prêt d'y ajouter ceux de Thionville, était si évidemment l'arbitre de la situation que Mme de Chevreuse insistait avec force pour qu'on se défît de Mazarin, pendant que le jeune duc était occupé au loin, et avant qu'il ne revînt de l'armée. Le blesser dans une sœur qu'il adorait, le mettre contre soi sans aucune nécessité et hâter son retour, était une vraie extravagance: aussi tout ce qu'il y avait de sensé parmi les Importants, La Rochefoucauld, La Châtre, Alexandre de Campion, s'étaient-ils empressés d'apaiser et de terminer cette déplorable affaire; et Mme de Chevreuse, attentive à faire sa cour à la reine, en même temps qu'elle ourdissait une trame ténébreuse contre son ministre, lui avait préparé chez Renard une petite fête, destinée à dissiper les derniers effets de ce qui s'était passé. Mais toute sa politique avait échoué devant la sotte fierté d'une femme sans esprit comme sans cœur[279]. [277] A peu près vers ce temps, ou du moins encore dans l'année 1644, Mazarin trace un portrait sévère de Mme de Longueville où il ne la calomnie pas, mais où il ne lui passe rien, et met le doigt sur tous ses défauts sans relever ses qualités, comme si déjà il pressentait en elle sa plus redoutable ennemie. LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. IV, p. 271 et 272. [278] _Ibid._, chap. II, p. 199. [279] Alexandre de Campion, dans le _Recueil_ plusieurs fois cité, lettre à Mme de Montbazon: «Si mon avis eût été suivi chez Renard, vous seriez sortie pour obéir à la reine, vous n'habiteriez pas la maison de Rochefort, et nous ne serions pas dans le péril dont nous sommes menacés.» Cependant Mazarin avait mis à profit les fautes de ses adversaires. D'assez bonne heure il avait vu avec joie et il avait accru avec art l'inimitié des maisons de Condé et de Vendôme. A mesure que les Vendôme se déclaraient plus ouvertement contre lui, il ménageait d'autant plus les Condé. Il s'était posé à lui-même cette question: Que faudra-t-il faire si les Vendôme et les Condé en viennent à un éclat, bien entendu en supposant que l'intérêt de l'État ne soit pas engagé dans leur querelle[280]? La question avait été fort aisément résolue, car l'intérêt de l'État et celui du cardinal s'étaient réunis pour le jeter du côté des Condé. Pendant que Mme de Montbazon et Beaufort faisaient cette insulte à Mme de Longueville, on apprenait à Paris que le vainqueur de Rocroy venait de terminer le siége difficile de Thionville et d'ouvrir à la France une des portes de l'Allemagne. L'épée du jeune duc semblait porter partout la victoire avec elle. Le marquis de Gêvres, qui donnait de si grandes espérances, avait été tué; Gassion était grièvement blessé; Turenne et Praslin étaient occupés en Italie; Guébriant, serré de près par Mercy, venait de repasser le Rhin. Le duc d'Enghien, avec son audace et sa popularité toujours croissante, pouvait seul exercer assez d'ascendant sur l'armée pour la ramener en Allemagne, et dissiper l'épouvante qu'avait laissée le souvenir de la défaite de Nortlingen. Dans le conseil, M. le Prince prêtait à Mazarin un appui intéressé et incertain, mais nécessaire et utile. Mme la Princesse était la meilleure amie de la reine, elle était déclarée pour le cardinal et contre son rival Châteauneuf. Servir les Condé, c'était donc servir l'État et se servir lui-même. Le choix de Mazarin ne pouvait pas être douteux, et l'on dit que, loin d'apaiser la reine, il l'anima[281]. [280] IIIe carnet, p. 100: «Come dovrei governarmi se nascesse querela trà il duca d'Enghien e la casa di Vendomo, senza che vi fosse intrigato il servitio della regina?» [281] Mme de Motteville, t. Ier, p. 83. Dans cette critique circonstance que restait-il à faire à Mme de Chevreuse? Elle s'était efforcée de contenir Mme de Montbazon, mais elle ne pouvait l'abandonner ni s'abandonner elle-même. Elle résolut donc de suivre avec énergie le tragique projet devenu la dernière espérance, la suprême ressource du parti. Déjà elle avait ouvert l'avis de se défaire de Mazarin. Par Mme de Montbazon, elle avait entraîné Beaufort. Celui-ci avait rassemblé les hommes d'action dont nous avons parlé et qui lui étaient entièrement dévoués. Un complot avait été formé et toutes les mesures concertées pour surprendre et tuer le cardinal. CHAPITRE SIXIEME AOUT ET SEPTEMBRE 1643 CONSPIRATION DE MME DE CHEVREUSE ET DE BEAUFORT CONTRE MAZARIN.--LA ROCHEFOUCAULD ET RETZ NIENT CETTE CONSPIRATION.--PLAN ET DÉTAILS DE TOUTE L'AFFAIRE D'APRÈS LES CARNETS ET LES LETTRES DU CARDINAL, ET LES AVEUX D'HENRI DE CAMPION.--LA CONSPIRATION ÉCHOUE. BEAUFORT EST ARRÊTÉ ET MME DE CHEVREUSE RELÉGUÉE DE NOUVEAU EN TOURAINE. Ne nous étonnons pas trop d'une semblable entreprise de la part de deux femmes et d'un petit-fils de Henri IV. A cette grande époque de notre histoire, entre la Ligue et la Fronde, l'énergie et la force étaient les traits distinctifs de l'aristocratie française. La vie de cour et une molle opulence ne l'avaient pas encore énervée. Tout alors était extrême, le vice comme la vertu. On attaquait et l'on se défendait avec les mêmes armes. On avait massacré le maréchal d'Ancre; plus d'une fois on avait voulu assassiner Richelieu; lui, de son côté, ne se faisait pas faute de dresser des échafauds. Corneille exprime ces mœurs du temps. Son Émilie entre aussi dans un assassinat, et elle n'est pas moins représentée comme une parfaite héroïne. Mme de Chevreuse était depuis longtemps accoutumée aux conspirations; elle était audacieuse et sans scrupule; elle ne s'était pas entourée de Saint-Ybar, de Varicarville, de Campion, pour passer son temps en discours inutiles. Elle n'était pas restée étrangère aux desseins qu'ils avaient autrefois tramés contre Richelieu; en 1643, elle s'appliqua à enflammer encore leur courage et leur dévouement; et c'est avec raison, selon nous, que Mazarin lui attribue la première pensée du projet que devait accomplir Beaufort. Bien entendu, les Importants et leurs héritiers les Frondeurs nient ce projet et le donnent pour une invention du cardinal. Ce point est de la dernière importance et mérite un sérieux examen. Comme cette conspiration, imaginaire ou réelle, a décidé entre Mme de Chevreuse et Mazarin, l'histoire, est tenue de rechercher avec soin si Mazarin doit en effet toute sa carrière et le grand avenir qui s'ouvrit alors devant lui à un mensonge habilement imaginé et audacieusement soutenu, ou si c'est Mme de Chevreuse et les Importants qui, après avoir tout essayé contre lui, et en voulant le détruire à main armée, se sont eux-mêmes détruits et ont été les artisans de son triomphe. Pour nous, nous sommes convaincu et nous croyons pouvoir établir que le complot attribué aux Importants, loin d'être une chimère, était le dénoûment presque forcé de la situation violente que nous avons décrite. La Rochefoucauld, sans avoir partagé les folles espérances de ses amis et mis la main dans leur téméraire entreprise, se fait un point d'honneur de les défendre après leur déroute et s'applique à couvrir la retraite. Il affecte[282] de douter si le complot qui fit alors tant de bruit était véritable ou supposé. A ses yeux, le plus vraisemblable est que le duc de Beaufort, par une fausse finesse, tenta de faire prendre l'alarme au cardinal, croyant qu'il suffisait de lui faire peur pour l'obliger à sortir de France, et que ce fut dans cette vue qu'il fit des assemblées secrètes et leur donna un air de conjuration. La Rochefoucauld se fait surtout le chevalier de l'innocence de Mme de Chevreuse, et il se déclare très-persuadé qu'elle ignorait les desseins du duc de Beaufort. [282] _Mémoires_, t. Ier, p. 388. Après l'historien des Importants, celui des Frondeurs tient à peu près le même langage. Comme La Rochefoucauld, Retz n'a qu'un but dans ses Mémoires, se donner un air capable et faire une grande figure en tout genre, en mal comme en bien; il est souvent plus véridique, parce qu'il a encore moins de ménagement pour les autres, et qu'il est plus disposé à sacrifier tout le monde, excepté lui. Nous ne concevons pas ici sa retenue ou son incrédulité. Il savait fort bien que la plupart des gens accusés d'avoir pris part à cette affaire avaient déjà trempé dans plus d'une affaire semblable. Lui-même nous apprend qu'il avait conspiré avec le comte de Soissons, qu'il l'avait blâmé de n'avoir pas frappé Richelieu à Amiens, et qu'avec son cousin La Rochepot, lui, abbé de Retz, avait formé le dessein de l'assassiner aux Tuileries pendant la ceremonie du baptême de Mademoiselle[283]. La coadjutorerie de l'archevêché de Paris, que venait de lui accorder la régente, en considération des services et des vertus de son père, l'avait adouci, il est vrai; mais ses anciens complices, qui n'avaient pas été aussi bien traités que lui, étaient demeurés fidèles à leur cause, à leurs desseins, à leurs habitudes. Retz est-il sincère quand il refuse de croire qu'ils aient tenté contre Mazarin ce qu'il leur avait vu entreprendre, et ce qu'il avait lui-même entrepris contre Richelieu? Dans sa haine aveugle, il rejette tout sur Mazarin: il prétend qu'il eut peur ou qu'il feignit d'avoir peur. C'est l'abbé de La Rivière qui, pour se délivrer de la rivalité du comte de Montrésor auprès du duc d'Orléans, aurait persuadé à Mazarin qu'il y avait un complot tramé contre lui, où Montrésor était mêlé. C'est aussi M. le Prince qui aurait essayé de perdre Beaufort, dans la crainte que son fils le duc d'Enghien ne se commît avec lui dans quelque duel, comme il voulait le faire, pour venger sa sœur, pendant la courte apparition qu'il fit à Paris après la prise de Thionville. Enfin, «ce qui a fait, dit Retz, que je n'ai jamais cru à ce complot, est que l'on n'en a jamais vu ni déposition ni indice, quoique la plupart des domestiques de la maison de Vendôme aient été longtemps en prison. Vaumorin et Ganseville, auxquels j'en ai parlé cent fois dans la Fronde, m'ont juré qu'il n'y avoit rien au monde de plus faux; l'un étoit capitaine des gardes, l'autre écuyer de M. de Beaufort[284].» [283] _Mémoires_, t. Ier. [284] _Mémoires_, t. Ier, p. 65. Tout à l'heure on verra se dissiper d'eux-mêmes ces derniers motifs, les seuls qui méritent quelque attention; mais commençons par opposer aux deux opinions suspectes de Retz et de La Rochefoucauld des témoignages plus désintéressés, et avant tout le silence de Montrésor[285], qui, tout en protestant que ni lui, ni son ami, le comte de Béthune, n'avaient trempé dans la conjuration imputée au duc de Beaufort, ne dit pas un seul mot contre la réalité de cette conjuration, dont il n'eût pas manqué de se moquer s'il l'avait crue imaginaire. Mme de Motteville, qui n'a pas l'habitude d'accabler les malheureux, après avoir rapporté avec impartialité les bruits différents de la cour, raconte des faits[286] qui lui semblent authentiques et qui sont décisifs. Un des historiens contemporains les mieux informés n'exprime pas ici le moindre doute: «Les Importants, dit Montglat, voyant qu'ils ne pouvoient chasser le cardinal, résolurent de s'en défaire par le fer, et tinrent pour ce sujet plusieurs conseils à l'hôtel de Vendôme[287].» Cette opinion est confirmée par les renseignements nouveaux et nombreux que nous fournissent les carnets de Mazarin et ses lettres confidentielles. [285] _Mémoires_, édit. de Leyde, ou collect. Petitot, t. LIX. [286] _Mémoires_, t. Ier, p. 184. [287] _Mémoires_, collect. Petitot, t. LXIX, p. 419. Écartons la supposition de Retz, que Mazarin ait eu peur légèrement ou qu'il ait feint d'avoir peur d'un simulacre de conspiration. Sur le courage de Mazarin nous en appelons à La Rochefoucauld lui-même. «Au contraire du cardinal de Richelieu, qui avoit l'esprit hardi et le cœur timide, le cardinal Mazarin, dit-il, avoit plus de hardiesse dans le cœur que dans l'esprit[288].» Mazarin avait commencé par être militaire; il avait donné plus d'une preuve d'intrépidité, particulièrement à Casal, où il se jeta entre deux armées toutes prêtes à en venir aux mains. Sans doute il s'appliquait à conjurer les périls, mais, quand il n'avait pu les prévenir, il savait y faire face avec fermeté. Mazarin n'était donc pas homme à prendre l'épouvante sur de vaines apparences; et, d'un autre côté, il n'avait pas besoin de feindre des alarmes imaginaires, car le danger était certain, et, dans le progrès toujours croissant de son crédit auprès de la reine, quelle ressource, encore une fois, restait aux Importants, sinon l'entreprise qu'ils avaient autrefois tentée contre Richelieu, et qu'ils pouvaient aisément renouveler contre son successeur? Mazarin n'avait pas encore de gardes, et il connaissait assez Mme de Chevreuse pour avoir pris fort au sérieux la proposition qu'elle avait faite dans les conciliabules de l'hôtel de Vendôme. Pesez bien cette considération: dans ses carnets Mazarin n'est pas sur un théâtre; il n'écrit pas pour le public; il montre ses sentiments vrais; et là on le voit, non pas intimidé, mais ému. [288] _Mémoires_, t. Ier, p. 374. Il se sent environné d'assassins, et il est convaincu que c'est Mme de Chevreuse qui les dirige. Il suit tous leurs mouvements; il recueille tous leurs propos; il rassemble les moindres indices; il compte et il nomme les chefs et les soldats. «Mme de Chevreuse fait entrer les frères Campion.» «Chaque jour on fait venir une foule de gens.» «On trame certainement quelque entreprise. On parle de me prendre dans le faubourg Saint-Germain. On a l'air de vendre ses chevaux en public et sous main on en achète.» «Plessis-Besançon (officier très distingué, intendant militaire et conseiller d'État, attaché à Mazarin) a dit qu'autour de l'hôtel de Vendôme il y avoit plus de quarante personnes armées.» «M. de Bellegarde m'a dit avoir su que, si, en revenant de Maisons, je n'avois pas été dans le carrosse de son Altesse Royale, Beaufort m'auroit assassiné. Tous les domestiques du comte d'Orval ont vu, pendant trois ou quatre soirs consécutifs, douze ou quinze personnes armées de pistolets, entre l'hôtel de Créqui et le sien, de manière que je devois être pris au milieu.» «On est allé proposer au duc de Guise et à ses parents de me tuer; mais ils n'ont pas écouté cette proposition.» «L'Argentière a rencontré Beaufort et Beaupuis (le comte de Beaupuis, fils unique du comte de Maillé) qui rentroient au Louvre, d'où le premier étoit sorti quand la reine s'étoit retirée dans son oratoire. L'Argentière lui dit: «Mon maître, il faut qu'il y ait quelque querelle, car j'ai rencontré quinze ou vingt gentilshommes à cheval, bien montés et avec des pistolets.» Beaufort a répondu: «Que veux-tu que j'y fasse?» «J'ai reçu l'avis que l'on vouloit me prendre, quand j'allois en voiture chez M. le duc d'Orléans, dans le faubourg Saint-Germain (le duc d'Orléans demeurait au Luxembourg depuis la mort de sa mère Marie de Médicis).--Le mercredi, le duc de Vendôme, en causant avec le maréchal d'Estrées, lui a dit deux fois: «Je voudrois que mon fils Beaufort fût mort[289].» [289] IIIe carnet, p. 28, 34, 70, 82, 84, 85 et 91; IVe carnet, p. 5. Ces citations, que nous aurions pu multiplier, prouvent incontestablement qu'aux yeux de Mazarin la conspiration était réelle. C'est pourquoi il fit tout pour porter la lumière dans cette trame ténébreuse. Après quelque temps, il déféra l'affaire à la justice ordinaire, au tribunal le plus indépendant et même le moins bien disposé en sa faveur, le parlement de Paris. Elle fut instruite selon toutes les formes, et comme s'il s'agissait du dernier des particuliers. Les indices abondaient, quoi qu'en dise Retz, et ce n'est pas la faute de Mazarin si les dernières preuves manquèrent. Promptement avertis par les affidés qu'ils avaient à la cour, autour de la reine et de Mazarin lui-même, les Importants n'eurent pas de peine à faire évader les conspirateurs les plus compromis. «Je n'ai pas fort à me louer du chevalier du Guet,» dit Mazarin[290]. --«Brillet, Fouqueret, Lié et d'autres, au nombre de vingt-quatre, se sont enfuis. On croit qu'ils se sont embarqués pour l'Angleterre sur un vaisseau qui les attendoit depuis trois semaines[291].» Loin de les laisser échapper à leur aise, Mazarin les poursuivit longtemps avec une ardeur opiniâtre jusqu'en Hollande. Le 16 avril 1644, il écrit à Beringhen, qui était alors en mission auprès du prince d'Orange: «On m'a donné avis que Brillet et Fouqueret, qui sont les deux personnes qui ont eu le plus de part dans la confidence de M. de Beaufort, et auxquelles il s'est le plus ouvert dans la conspiration qui avoit été faite contre ma personne, sont allés servir dans les troupes en Hollande, ayant pris de grandes barbes qu'ils ont laissées croître, afin de n'être pas connus, et qu'ils ont changé de noms, Brillet se faisant appeler La Ferrière. Je vous prie de faire toutes les diligences possibles pour vérifier si cela est, et de donner ordre, quand vous reviendrez, à quelque personne confidente, de veiller de près à leurs actions, parce que nous songerions au moyen de les avoir[292].» [290] IIIe carnet, p. 88. [291] IVe carnet, p. 8. [292] BIBLIOTHÈQUE MAZARINE, _Lettres de Mazarin; lettres françaises_, t. I, fol. 274, recto. Celui que Mazarin signale dans ses carnets et dans ses lettres comme le confident intime de Beaufort et après lui le principal accusé, le comte de Beaupuis, fils du comte de Maillé, avait trouvé le moyen de se mettre à couvert des premières recherches; il était parvenu à sortir de France et avait été chercher un asile à Rome sous la protection déclarée de l'Espagne. Il n'y a sorte de démarches que Mazarin n'ait faites pour obtenir de la cour de Rome qu'elle remît Beaupuis à la France, afin qu'il fût légalement jugé. Non-seulement il en fit faire la demande officielle par M. de Grémonville, alors accrédité auprès du saint-siége, mais il en écrivit lui-même à tout ce qu'il avait d'amis sûrs, au cardinal Grimaldi, à son beau-frère Vincent Martinozzi, à Paul Macarani, à Zongo Ondedei[293]; il les presse de faire tout ce qui sera en eux pour obtenir l'extradition de Beaupuis; il leur suggère les raisons les plus fortes, qu'il les charge de faire valoir auprès du saint-père: que Beaupuis était le principal confident de Beaufort, qu'il était le lien entre Beaufort et les autres accusés; que ce lien supprimé, la justice ne peut plus avoir son cours; qu'il s'agit d'un crime qui doit particulièrement toucher le sacré collége et le saint-père, un assassinat tenté sur la personne d'un cardinal; que c'est la reine elle-même qui réclame Beaupuis; qu'il est question d'un de ses domestiques, Beaupuis étant enseigne dans une compagnie des gardes à cheval, emploi de confiance, qui oblige à un surcroît de fidélité; que Beaupuis ne sera pas livré à ses ennemis, comme on le prétendait, mais au parlement, dont l'indépendance était bien connue. Le pape ne put d'abord s'empêcher, au moins pour la forme, de faire mettre Beaupuis au château Saint-Ange. Mais on l'en fit bientôt sortir, et on lui donna un logement particulier où il pouvait recevoir à peu près tout le monde. Mazarin se plaint très-vivement d'une telle indulgence. «On s'arrange, dit-il, pour qu'au besoin il puisse s'échapper, ou bien on fournit au duc de Vendôme toute facilité de le faire empoisonner, afin qu'avec Beaupuis soit anéantie la principale preuve de la trahison de son fils. Si tout cela se passoit en Barbarie, on en seroit indigné. Et cela se passe à Rome, dans la capitale de la chrétienté, sous les yeux et par l'ordre d'un pape!» Un agent intelligent et dévoué, M. de Gueffier, devait recevoir Beaupuis des mains du saint-père, prendre _tous les moyens imaginables_ pour ne pas se laisser enlever son prisonnier sur la route de Rome à Civita-Vecchia, le mettre sur un vaisseau et le conduire en France. Dans son indignation, Mazarin menace les protecteurs de Beaupuis de la vengeance du jeune roi, «qui, pour n'avoir que sept ans, n'en a pas moins les bras fort longs.» Il ne cessa ses poursuites qu'à la fin de l'année 1645, lorsqu'il eut bien reconnu que le nouveau pape, Innocent X, qui avait succédé à Urbain VIII, le cardinal-neveu Pamphile et le secrétaire d'État Pancirolle, appartenaient entièrement au parti espagnol, et que la France n'avait à attendre ni faveur ni justice de la cour pontificale. [293] _Lettres italiennes de Mazarin_, t. I, lettre à Ondedei, du 25 mars 1645, fol. 226, verso; _ibid._, lettre du 8 mai à Vincenzo Martinozzi, fol. 240, verso; _ibid._, lettre du 26 mai à Paolo Macarani, fol. 246; _ibid._, lettre du 2 juin au cardinal Grimaldi, fol. 248; _ibid._, lettre à Ondedei, du même jour; _ibid._, lettre au cardinal Grimaldi, du 15 juillet, et à Ondedei, du 5 septembre; au cardinal Grimaldi, 2 juin 1645, fol. 248; à Ondedei, 2 juin 1645; au cardinal Grimaldi, 15 juillet 1645; à Ondedei, 5 septembre 1645. Voyez l'APPENDICE. A défaut de Beaupuis, Mazarin aurait bien voulu mettre la main sur quelqu'un des frères Campion, intimement liés avec Beaufort et avec Mme de Chevreuse, et trop haut placés dans la confiance de l'un et de l'autre, pour ne pas avoir tous leurs secrets. Lui-même il se plaint, ainsi que nous l'avons vu, d'être assez mal secondé. Et puis, il avait affaire à des conspirateurs émérites, consommés dans l'art de se mettre à couvert et de faire perdre leurs traces, à l'active et infatigable duchesse de Chevreuse, et au duc de Vendôme qui, pour sauver son fils, s'appliqua à faire évader tous ceux dont les dépositions auraient pu servir à le convaincre, ou les gardait en quelque sorte entre ses mains, cachés et comme enfermés à Anet. Mazarin ne put saisir que des hommes obscurs qui avaient ignoré le complot, et ne pouvaient donner aucune lumière. Cependant parmi eux étaient deux gentilshommes qui, sans avoir connu le fond de l'entreprise, avaient au moins assisté à plusieurs assemblées qu'on avait tenues sous le prétexte assez bien choisi de prendre en main la défense de la duchesse de Montbazon. Mazarin les nomme; c'étaient MM. d'Avancourt et de Brassy, gentilshommes de Picardie, d'un courage à toute épreuve, amis intimes de Lié, capitaine des gardes de Beaufort et l'un des conspirateurs. Ganseville et Vaumorin, sur le témoignage desquels Retz s'appuie pour prétendre qu'il n'y a jamais eu de conspiration, n'avaient pas d'importance. Vaumorin pouvait être devenu, en 1649, capitaine des gardes du duc de Beaufort, mais il ne l'était pas en 1643, c'était Lié; et Ganseville était un des domestiques qu'on n'avait pas mis dans la confidence. Ils ne savaient rien: ils ont donc très-bien pu dire à Retz pendant la Fronde ce que celui-ci leur fait dire. Mais d'Avancourt et Brassy savaient quelque chose: aussi le duc de Vendôme les fit-il instamment prier de venir à Anet. Arrêtés et mis à la Bastille, intimidés ou gagnés, ils firent, quoi qu'en dise Retz, des dépositions assez graves et fournirent de sérieux indices, mais qui s'arrêtaient à Henri de Campion et à Lié, les seuls conjurés qu'ils eussent connus. Mazarin ne négligea rien pour remonter plus haut et tirer parti de la seule capture un peu précieuse qu'il eût faite: «Presser, dit-il[294], l'examen des deux prisonniers. Faire appeler le maître de la maison du Sauvage située à côté de l'hôtel de Vendôme, où logeoient Avancourt et Brassy, ainsi que l'aubergiste près de la rivière, chez lequel il y avoit onze personnes le lundi soir. Interroger les laquais des susdits Avancourt et Brassy, etc.»--«Le frère de Brassy dit que Vendôme est mécontent d'eux, parce qu'ils se sont laissé prendre sans se défendre[295].» Les Importants s'inquiétaient fort des révélations que pouvaient faire les deux prisonniers. Mazarin fit répandre le bruit qu'Avancourt et Brassy ne disaient pas grand'chose, et que l'affaire s'en allait à rien, afin d'endormir la vigilance et les alarmes des fugitifs et de les enhardir à sortir de leur retraite et à venir se faire prendre à Paris. «Tremblay[296] (gouverneur de la Bastille) m'a dit que Limoges (l'évêque de Limoges, Lafayette, un des chefs des Importants dans l'Église) me vouloit grand mal, qu'il l'avoit sollicité pour savoir ce que disoient les deux prisonniers, et qu'il avoit fini par dire que le cardinal Mazarin seroit attrapé, ne les ayant fait arrêter et mettre à la Bastille que pour justifier, du moins en apparence, l'injure faite au duc de Beaufort. J'ai ordonné à Tremblay de dire à Limoges que les deux prisonniers ne faisoient aucun aveu et qu'ils se défendoient très-bien, pour le confirmer dans l'opinion qu'il avoit, et pour que, donnant avis de cela à Vendôme, comme il ne manquera pas de le faire, ceux qui sont en fuite se rassurent et reviennent, en sorte qu'on puisse mettre la main sur quelqu'un d'eux.» [294] Carnet IVe, p. 8. [295] Personne, à Paris, ne doutait qu'on ne suivît très-sérieusement l'affaire des deux gentilshommes. Une correspondance privée fort curieuse, conservée aux Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CV, contient une lettre d'un nommé Gaudin à Servien, l'habile diplomate, sous la date du 31 octobre 1643, où se trouve le passage suivant, qui reproduit presque dans les mêmes termes celui des carnets: «L'on a fait recherche des hotelleries au fauxbourg Saint-Germain où les deux gentilshommes emprisonnés dans la Bastille ont logé. En voyant qu'on ne pouvait rien découvrir par leurs interrogatoires et ceux de leurs laquais, on a aussi emprisonné les hotes et hotesses desdites hotelleries, à sçavoir, du Sauvage et de quelque autre, pensant les intimider et tirer quelque confession du fait dont ils sont soupçonnés; ce qui n'a non plus servi; et ils ont été relâchés.» [296] IVe carnet, p. 9. Mais pourquoi nous épuiser à démontrer que Mazarin ne joua pas la comédie dans le procès intenté aux conspirateurs, qu'il les poursuivit avec bonne foi et avec vigueur, et qu'il était parfaitement convaincu qu'un projet d'assassinat avait été formé contre lui, lorsque l'existence de ce projet est d'ailleurs avérée, lorsque, à défaut d'une sentence du parlement, qui avait dû s'arrêter dans la défaillance de preuves suffisantes, Beaupuis, ni aucun des Campion, ni Lié, ni Brillet, n'ayant pu être saisis, on possède mieux que cela, à savoir, l'aveu plein et entier d'un des principaux conjurés, avec le plan et tous les détails de l'affaire, exposés dans des Mémoires trop tard connus, mais dont l'authenticité ne peut être contestée? Nous voulons parler des précieux mémoires d'Henri de Campion[297], frère de l'ami de Mme de Chevreuse, que celui-ci avait fait entrer avec lui au service du duc de Vendôme et particulièrement du duc de Beaufort. Henri avait accompagné le duc dans sa fuite en Angleterre après la conspiration de Cinq-Mars, et il en était revenu avec lui; il possédait toute sa confiance, et il ne raconte rien où il n'ait pris lui-même une part considérable. Henri était d'un caractère bien différent de son frère Alexandre. C'était un homme instruit, plein d'honneur et de bravoure, sans jactance aucune, éloigné de toute intrigue, et né pour faire son chemin par les routes les plus droites dans la carrière des armes. Il a écrit ses Mémoires dans la solitude, où, après la perte de sa fille et de sa femme, il était venu attendre la mort au milieu des exercices d'une solide piété. Ce n'est pas en cet état qu'on est disposé à inventer des fables, et il n'y a pas de milieu: ce qu'il dit est tel qu'il le faut croire absolument, ou, si l'on doute qu'il dise la vérité, il le faut considérer comme le dernier des scélérats. Aucun intérêt n'a pu conduire sa plume, car il a composé ses Mémoires, ou du moins il les a achevés, un peu après la mort de Mazarin, ne songeant donc pas à lui faire sa cour par de bien tardives révélations, et deux ans à peine avant que lui-même s'éteignît en 1663. Il écrit véritablement devant Dieu et sous la seule inspiration de sa conscience. [297] _Mémoires de Henri de Campion_, etc., 1807, à Paris, chez Treuttel et Würtz, in-8º. Petitot en a donné seulement un extrait à la suite des _Mémoires de La Châtre_, t. LI de sa collection. Or, ouvrez ses Mémoires, vous y verrez de point en point confirmés tous les renseignements qui remplissent les carnets de Mazarin. Rien n'y manque, tout se rapporte, tout correspond merveilleusement. Il semble en vérité que Mazarin, en écrivant ses notes, ait eu sous les yeux les Mémoires d'Henri de Campion, ou que Henri de Campion, en écrivant ses Mémoires, ait eu sous les yeux les carnets de Mazarin: il les complète à la fois et il les résume. Déjà son frère Alexandre, dans ses lettres du mois d'août[298], laisse échapper plus d'une parole mystérieuse. Il écrit à Mme de Montbazon exilée: «Il ne faut pas vous désespérer, Madame, il est encore quelque demi-douzaine d'honnêtes gens qui ne se rendent pas... Votre illustre amie ne vous abandonnera point. S'il falloit renoncer à votre amitié pour être sage, il y a des gens qui aimeroient mieux passer pour fous toute leur vie.» Comme Montrésor, il ne dit pas une seule fois qu'il n'y eut pas de complot formé contre Mazarin, ce qui est une sorte d'aveu tacite; et quand l'orage éclate, il prend le parti de se cacher, conseille à Beaupuis d'en faire autant, et termine par ces mots significatifs: «On ne s'embarque pas dans les affaires de la cour pour être maître des événements, et comme on profite des bons, il faut se résoudre à souffrir des mauvais.» Henri de Campion lève ce voile déjà fort transparent. [298] _Recueil_ souvent cité. Il déclare nettement qu'il y eut un projet de se défaire de Mazarin, et que ce projet fut conçu, non par Beaufort, mais par Mme de Chevreuse de concert avec Mme de Montbazon: «Je crois, dit-il, que le dessein du duc ne venoit pas de son sentiment particulier, mais des persuasions des duchesses de Chevreuse et de Montbazon, qui avoient un entier pouvoir sur son esprit et une haine irréconciliable contre le cardinal. Ce qui me fait parler ainsi, c'est que, pendant qu'il fut dans cette résolution, je remarquois toujours qu'il y avoit une répugnance intérieure qui, si je ne me trompe, étoit emportée par la parole qu'il pouvoit avoir donnée à ces dames.» Il y a donc eu complot, et son véritable auteur, Mazarin l'avait bien dit et Campion le répète, c'est Mme de Chevreuse, car Mme de Montbazon n'était pour elle qu'un instrument. Beaufort, une fois séduit, séduisit son ami intime, le fils du comte de Maillé, le comte de Beaupuis, enseigne de la garde à cheval de la reine. Mme de Chevreuse leur adjoignit Alexandre de Campion, le frère aîné de Henri, avec lequel nous avons fait connaissance. «Elle l'aimoit beaucoup,» dit Henri de Campion, d'une façon qui, s'ajoutant aux paroles ambiguës d'Alexandre que nous avons rapportées[299], donne à entendre que celui-ci pouvait bien être alors en effet un des nombreux successeurs de Chalais. Alexandre avait trente-trois ans, et son frère avoue qu'il avait contracté auprès du comte de Soissons le goût et l'habitude de la faction. Beaupuis et Alexandre de Campion approuvèrent le complot qui leur fut communiqué, «le premier, dit Henri de Campion, croyant que c'étoit pour lui le moyen d'arriver à de plus grandes charges, et mon frère y voyant l'avantage de Mme de Chevreuse et par conséquent le sien.» [299] Voyez le chapitre IV, p. 181-182. Tels furent les deux premiers complices de Beaufort. Un peu plus tard, il s'ouvrit à Henri de Campion, un de ses principaux gentilshommes, à Lié, capitaine de ses gardes, et à Brillet, son écuyer. Là s'arrêta le secret. Bien d'autres gentilshommes et domestiques de la maison de Vendôme devaient participer à l'action, mais ne reçurent aucune confidence; d'où l'on comprend l'ignorance de Vaumorin et de Ganseville et ce qu'ils ont pu dire à Retz pendant la Fronde. L'affaire était bien conçue et digne de Mme de Chevreuse. Il y avait à peine cinq ou six conjurés, très-capables de garder le secret, et qui le gardèrent; au-dessous d'eux, des hommes d'action, qui ne savaient pas ce qu'ils devaient faire; et par derrière, les hommes du lendemain, sur lesquels on comptait pour applaudir au coup, quand il aurait été fait, sans qu'on eût jugé à propos de les mettre de la partie. Du moins Henri de Campion ne nomme pas même Montrésor, Béthune, Fontraille, Varicarville, Saint-Ybar, ce qui explique pourquoi Mazarin, tout en ayant l'œil sur eux, ne les fit point arrêter. Henri de Campion ne parle pas non plus de Chandenier, de La Châtre, de Tréville, du duc de Bouillon, du duc de Retz, de Guise, de La Rochefoucauld, dont les sentiments n'étaient pas douteux, mais qui n'en étaient pas au point de mettre la main dans un assassinat; et cela explique encore le silence de Mazarin à leur égard, en ce qui regarde la conspiration de Beaufort, bien qu'il ne se fît pas la moindre illusion sur leurs dispositions, et sur le parti qu'ils auraient pris si l'affaire eût réussi, ou même si une lutte sérieuse s'était engagée. Le complot resta quelque temps entre Mme de Chevreuse, Mme de Montbazon, Beaufort, Beaupuis et Alexandre de Campion. La dernière résolution ne fut prise qu'à la fin du mois de juillet ou dans les premiers jours d'août, c'est-à-dire précisément au milieu de la querelle de Mme de Montbazon et de Mme de Longueville, qui commença la crise et ouvrit la porte à tous les événements qui suivirent. C'est alors seulement que Beaufort en parla à Henri de Campion, en présence de Beaupuis. Le crime de Mazarin était de continuer Richelieu. «Le duc de Beaufort me dit qu'il croyoit que j'avois remarqué que le cardinal Mazarin rétablissoit à la cour et par tout le royaume la tyrannie du cardinal de Richelieu, avec plus d'autorité et de violence qu'il n'en avoit paru sous le gouvernement de celui-ci; qu'ayant entièrement gagné l'esprit de la reine et mis tous les ministres à sa dévotion, il étoit impossible d'arrêter ses mauvais desseins qu'en lui ôtant la vie; que le bien public l'ayant fait résoudre de prendre cette voie, il m'en instruisoit en me priant de l'assister de mes conseils et de ma personne dans l'exécution. Beaupuis prit la parole pour représenter avec chaleur les maux que la trop grande autorité du cardinal de Richelieu avoit causés à la France, et conclut en disant qu'il falloit prévenir de pareils inconvénients avant que son successeur ait rendu les choses sans remède.» A la conclusion près, ce sont les vues et le langage des Importants et des Frondeurs, de La Rochefoucauld et de Retz. Henri de Campion se donne comme ayant combattu d'abord le projet du duc avec tant de force, que plus d'une fois il l'ébranla; mais les deux duchesses le remontaient bien vite, et Beaupuis et Alexandre de Campion, au lieu de le retenir, l'animaient. Quelque temps après, Beaufort ayant déclaré qu'il avait pris son parti, Henri de Campion se rendit à deux conditions: «L'une, dit-il, de ne point mettre la main sur le cardinal, puisque je me tuerois plutôt moi-même que de faire une action de cette nature; l'autre, que, s'il faisoit entreprendre l'exécution hors de sa présence, je ne me résoudrois jamais à m'y trouver, tandis que, s'il y étoit lui-même, je me tiendrois sans scrupule auprès de sa personne, pour le défendre dans les accidents qui pourroient arriver, mon emploi auprès de lui et mon affection m'y obligeant également. Il m'accorda ces deux choses, en témoignant m'en estimer davantage, et ajouta qu'il se trouveroit à l'exécution, afin de l'autoriser de sa présence.» Le plan était d'attaquer le cardinal dans la rue, pendant qu'il faisait des visites en voiture, n'ayant d'ordinaire avec lui que quelques ecclésiastiques, avec cinq ou six laquais. On devait se présenter en force et à l'improviste, faire arrêter le carrosse et frapper Mazarin. Pour cela, il fallait qu'un certain nombre de domestiques de la maison de Vendôme, qui n'étaient pas dans la confidence, se trouvassent tous les jours, dès le matin, dans des cabarets autour de la demeure du cardinal, qui était alors à l'hôtel de Clèves, près du Louvre. Parmi les domestiques qu'on n'avait pas mis dans le secret, Henri de Campion nomme positivement Ganseville. On devait leur adjoindre «les sieurs d'Avancourt et de Brassy, Picards, gens fort déterminés et intimes amis de Lié.» On donnait ce prétexte que les Condé se proposant de faire affront à Mme de Montbazon, le duc de Beaufort, pour s'y opposer, voulait avoir sous la main une troupe de gentilshommes à cheval et armés. Les rôles étaient d'avance distribués. Ceux-ci devaient arrêter le cocher du cardinal; ceux-là devaient ouvrir les deux portières et le frapper, pendant que le duc serait là, à cheval, avec Beaupuis, Henri de Campion et d'autres, pour combattre et dissiper ceux qui tenteraient de résister. Alexandre de Campion devait rester auprès de la duchesse de Chevreuse et à ses ordres; et elle-même devait plus que jamais être assidue auprès de la reine, pour préparer les voies à ses amis, et, en cas de succès, entraîner la régente du côté des victorieux. Plusieurs occasions favorables d'exécuter ce plan se présentèrent. Une première fois, Henri de Campion étant avec son monde dans la petite rue du Champ-Fleuri, dont une extrémité donne dans la rue Saint-Honoré et l'autre près du Louvre, vit le cardinal sortir de l'hôtel de Clèves, en carrosse, avec l'abbé de Bentivoglio, le neveu du célèbre cardinal de ce nom, quelques ecclésiastiques et quelques valets. Campion demanda à l'un d'eux où le cardinal allait, on lui répondit: chez le maréchal d'Estrées. «Je vis, dit Campion, que, si je voulois donner cet avis, sa mort étoit infaillible. Mais je crus que je serois si coupable devant Dieu et devant les hommes que je n'eus point la tentation de le faire.» Le lendemain on sut que le cardinal devait aller faire une collation chez Mme du Vigean, dans sa charmante maison de La Barre, à l'entrée de la vallée de Montmorency, où était Mme de Longueville[300] et où devait aussi se trouver la reine, qui était déjà partie. [300] Voyez la JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. II et chap. III. C'est vraisemblablement aussi la partie de plaisir que décrit Scarron, t. VII, p. 178, _Voyage de la Reine à La Barre_. Le cardinal s'y rendait de son côté, et n'avait avec lui, dans son carrosse, que le comte d'Harcourt. Beaufort commanda à Campion d'assembler sa troupe et de courir après; mais Campion lui représenta que, si on attaquait le cardinal en compagnie du comte d'Harcourt, il fallait se décider à les tuer tous deux, d'Harcourt étant trop généreux pour voir frapper Mazarin sous ses yeux sans le défendre, et que le meurtre de d'Harcourt soulèverait contre eux toute la maison de Lorraine. Quelques jours après on eut avis que le cardinal devait aller dîner à Maisons, chez le maréchal d'Estrées, ainsi que le duc d'Orléans. «Je fis consentir le duc, dit Campion, que, si le ministre étoit dans le carrosse de son Altesse Royale, le dessein ne s'exécuteroit pas; mais il dit que, s'il étoit seul, il falloit qu'il mourût. Le matin il fit préparer des chevaux et se tint dans les Capucins avec Beaupuis, près de l'hôtel de Vendôme, postant un valet de pied dans la rue pour l'avertir quand le cardinal passeroit, et m'enjoignant de me tenir avec ceux que j'avois coutume d'assembler à l'Ange (nom d'un cabaret), dans la rue Saint-Honoré, assez proche de l'hôtel de Vendôme, et que, si le cardinal alloit sans le duc d'Orléans, je montasse à cheval avec tous ces messieurs, et l'allasse prendre en passant aux Capucins. Je fus, ajoute Campion, dans l'inquiétude que l'on peut penser, jusqu'à ce que, voyant passer le carrosse du duc d'Orléans, j'aperçus le cardinal dans le fond avec lui.» Enfin, l'irritation de Beaufort ayant été portée à son comble par l'exil de Mme de Montbazon, qui est certainement du 22 août[301], le duc, aiguillonné par Mme de Chevreuse, par la passion et par un faux honneur, devint lui-même impatient d'agir. Voyant que, le jour, il se rencontrait sans cesse des difficultés dont il était bien loin de deviner la cause, il résolut d'exécuter le coup pendant la nuit, et dressa une embuscade dont le succès semblait assuré, et que Campion nous fait connaître. Le cardinal allait tous les soirs chez la reine et s'en revenait assez tard. On l'attaquerait à son retour entre le Louvre et l'hôtel de Clèves. On aurait des chevaux tout prêts dans quelque hôtellerie voisine. Le duc lui-même s'y tiendrait avec Beaupuis et Campion, pendant que le ministre serait chez la reine, et, sitôt qu'il sortirait, ils s'avanceraient tous les trois et feraient venir les autres qui, en attendant, se tiendraient à cheval, sur le quai, le long de la rivière, tout auprès du Louvre. Tout cela se pouvait très-bien faire la nuit, sans éveiller aucun soupçon. [301] Voyez dans la JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. III, la lettre de cachet adressée à Mme de Montbazon. Songez que celui qui fournit ces détails si précis est un des principaux conjurés, qu'il écrit à une assez grande distance de l'événement, en sûreté, et, encore une fois, sans nul intérêt, ne craignant plus rien de Mazarin, qui vient de mourir, et n'en attendant rien; songez qu'en parlant comme il le fait il accuse son propre frère, que, sans doute il s'attribue de louables intentions et même quelques bonnes actions, mais qu'il confesse être entré dans le complot, et que, si l'exécution avait eu lieu, il y aurait pris part, en combattant à côté de Beaufort. Le procès déféré au parlement n'ayant pas abouti faute de preuves, Campion n'imaginait pas que Mazarin eût jamais connu «les circonstances du complot, ni ceux qui en savoient le fond et qui y étoient employés.» Il dit aussi «qu'à présent que le cardinal est mort il n'y a plus à craindre de nuire à personne en disant les choses comme elles sont.» Il ne se défend donc pas, il se croit à l'abri de toute recherche, il écrit seulement pour soulager sa conscience. Or, ce qu'il dit, c'est précisément, sans qu'il s'en doute, ce que Mazarin, de son côté, avait tiré de ses diverses informations. Nous avons vu quelle importance Mazarin attachait à l'arrestation d'Avancourt et de Brassy, et quel art il mit à répandre le bruit que dans leurs interrogatoires ils ne disaient rien, pour ôter toute inquiétude à ceux qu'ils auraient pu compromettre, et par là les attirer à Paris, où ils n'auraient pas manqué d'être pris. Henri de Campion nous apprend qu'il s'agit ici particulièrement de lui, et il semble qu'il traduise en français l'un des passages italiens des carnets: «On mena, dit-il, à la Bastille Avancourt et Brassy, où ils déposèrent que je les avois fait assembler plusieurs fois, de la part du duc de Beaufort, pour les intérêts de Mme de Montbazon, à ce que je leur avois dit. Cela ne donnoit pas motif d'interroger le duc, puisqu'ils avouoient qu'il ne leur avoit pas parlé; ainsi il n'eût pas manqué de nier d'avoir donné les ordres que je leur avois portés de sa part; on connut alors que l'on ne pouvoit travailler à son procès avant de me prendre, afin de trouver matière à l'interroger d'après mes propres dépositions, et de nous si bien embarrasser tous deux que l'on pût découvrir la trace de l'affaire. La preuve de cette conspiration importoit essentiellement au cardinal, qui, ne faisant que de s'établir dans le gouvernement et affectant de le faire par la douceur, avoit été assez malheureux d'être contraint, en débutant, de faire une violence contre un des plus grands du royaume, pour son intérêt particulier, sans qu'il parût une conviction qui l'obligeât à traiter le duc avec cette rigueur. Le cardinal, désespéré de ne pouvoir persuader les autres de ce dont il étoit entièrement assuré, avoit un grand désir de m'avoir entre ses mains. Il jugea néanmoins qu'il falloit me donner le temps de me rassurer afin de me prendre avec plus de facilité.» Nous pourrions ajouter à tout cela qu'Henri de Campion, recherché et serré de près dans sa retraite d'Anet chez le duc de Vendôme, s'étant enfui de France et ayant été retrouver à Rome son ami le comte de Beaupuis, rend compte des efforts opiniâtres que fit Mazarin pour obtenir l'extradition de celui-ci, la résistance du pape Innocent X, les égards qu'on eut pour Beaupuis lorsqu'on fut bien forcé de le mettre au château Saint-Ange; toutes choses qui, se rencontrant également dans les carnets et les lettres de Mazarin et dans les mémoires d'Henri de Campion, mettent hors de doute la parfaite sincérité des démarches du cardinal et l'exactitude de ses renseignements. N'en est-ce pas assez pour réduire à néant les doutes intéressés de La Rochefoucauld et les dénégations passionnées du chef de la Fronde, le très-spirituel mais très-peu véridique cardinal de Retz, le plus ardent et le plus opiniâtre des ennemis de Mazarin? Quant à nous, il nous semble ou qu'il n'y a plus de certitude en histoire, ou qu'il faut considérer désormais comme un point absolument démontré qu'il y eut un projet arrêté de tuer Mazarin, que ce projet a été conçu par Mme de Chevreuse, en quelque sorte imposé par elle à Beaufort à l'aide de Mme de Montbazon, que Beaufort a eu pour complices principaux le comte de Beaupuis et Alexandre de Campion, que Henri de Campion est entré plus tard dans l'affaire, à la pressante sollicitation du duc, ainsi que deux autres officiers d'un rang secondaire; que pendant le mois d'août il y a eu diverses tentatives sérieuses d'exécution, particulièrement une dernière après l'exil de Mme de Montbazon, le dernier d'août ou plutôt le 1er septembre, et que cette tentative-là n'a manqué que par des circonstances tout à fait indépendantes de la volonté des conspirateurs. Comment la dernière tentative d'assassinat formée contre Mazarin, l'embuscade nocturne si bien dressée le 1er septembre 1643, échoua-t-elle? Ici, sans nous arrêter à discuter les conjectures d'Henri de Campion, bornons-nous à dire que Mazarin, qui était sur ses gardes, prévint le coup qui lui était destiné, en n'allant pas chez la reine le soir où on devait le frapper, pendant qu'il reviendrait du Louvre. Le lendemain, la scène était changée. Le bruit s'était répandu que le premier ministre avait pensé être tué par Beaufort et ses amis, mais qu'il avait échappé, et que la fortune se déclarait en sa faveur. Un projet d'assassinat, surtout lorsqu'il est manqué, excite toujours une extrême indignation, et celui qui est sorti d'un grand danger et paraît destiné à l'emporter trouve aisément des défenseurs. Une foule de gens, qui eussent peut-être appuyé Beaufort victorieux, vinrent offrir leurs services et leurs épées au cardinal, et dans la matinée il se rendit au Louvre, escorté de trois cents gentilshommes. Depuis quelques jours, Mazarin avait compris qu'il lui fallait à tout prix éclaircir la situation, et que le moment était venu de porter la reine à prendre un parti. L'occasion était décisive. Si le péril qu'il venait de courir, et qui n'était que suspendu sur sa tête, ne suffisait pas à tirer la reine de ses incertitudes, c'est qu'elle ne l'aimait point; et Mazarin savait bien qu'au milieu des dangers qui l'entouraient, toute sa force était dans l'affection de la reine, et que de là dépendaient et son salut présent et son avenir. Aussi, soit politique, soit passion sincère, c'est toujours au cœur d'Anne d'Autriche qu'il s'adressait, et au début de la crise il s'était dit à lui-même: «Si je croyais que la reine se sert de moi par nécessité, sans avoir d'inclination pour ma personne, je ne m'arrêterais pas ici trois jours[302].» Mais, nous l'avons assez fait entendre, Anne d'Autriche aimait Mazarin. Chaque jour, en le comparant à ses rivaux, elle l'appréciait davantage. Elle admirait la justesse et la lucidité de son esprit, sa finesse et sa pénétration, cette puissance de travail qui lui faisait porter le poids du gouvernement avec une aisance merveilleuse, son coup d'œil si sûr, sa profonde prudence et en même temps la judicieuse vigueur de ses résolutions. Elle voyait les affaires de la France partout prospérer entre ses mains fermes et habiles. Le cardinal n'était pour rien, il est vrai, dans l'immortelle bataille qui venait d'inaugurer avec tant d'éclat le nouveau règne; mais il était pour beaucoup dans les succès qui avaient suivi et montré à l'Europe étonnée que la journée de Rocroy n'était pas un heureux hasard. Quand tout le monde dans le conseil s'était opposé au siége de Thionville, quand M. le Prince lui-même y était contraire, quand Turenne consulté n'osait pas se déclarer, c'est Mazarin qui avait insisté avec une énergie extraordinaire pour qu'on profitât de la victoire de Rocroy, et qu'on rapprochât la France du Rhin. La proposition première venait sans doute du jeune vainqueur, mais Mazarin avait eu le mérite de la comprendre, de la soutenir et de la faire triompher. Si jamais premier ministre n'avait été servi par un tel général, jamais aussi général n'avait été servi par un tel ministre; et, grâce à tous les deux, le 11 du mois d'août, pendant que messieurs les Importants mettaient leur génie à faire un indigne affront à la noble sœur du héros qui venait de sauver la France et qui allait l'agrandir, pendant qu'ils déployaient leur éloquence dans les salons ou aiguisaient leurs poignards dans de ténébreux conciliabules, Thionville, alors une des premières places de l'Empire, se rendait après une défense opiniâtre; nous pouvions marcher au secours du maréchal de Guébriant, couvrir l'Alsace, passer le Rhin, et aller faire tête à Mercy. La régence d'Anne d'Autriche s'ouvrait sous les plus brillants auspices. Et en même temps le ministre auquel la reine devait tant, au lieu de s'imposer à elle et de prétendre la gouverner, était à ses pieds et lui prodiguait des soins, des respects, des tendresses qu'elle n'avait jamais connues. Loin qu'il lui parut ressembler à l'impérieux et triste Richelieu, elle pouvait se rappeler, avec une émotion agréable, les paroles de Louis XIII, lorsque pour la première fois il lui présenta Mazarin: «Il vous plaira, Madame, parce qu'il ressemble à Buckingham.» Mais c'était Buckingham avec un bien autre génie. Elle dut frémir, quand Mazarin mit sous ses yeux tous les indices de l'odieuse entreprise formée contre lui. Il y eut là entre eux de suprêmes explications. Plus que jamais, il dut la presser de lever le masque[303], de sacrifier à une nécessité manifeste les ménagements qu'elle s'étudiait à garder, de braver un peu plus les discours de quelques dévots et de quelques dévotes, et de lui permettre enfin de défendre sa vie. Jusque-là Anne d'Autriche hésitait par des raisons qui se comprennent. L'insolence de Mme de Montbazon l'avait déjà fort irritée; la conviction qu'elle acquit des nombreuses tentatives d'assassinat qui avaient échoué par hasard et pouvaient se renouveler la décida, et c'est dans les derniers jours du mois d'août 1643 qu'il faut placer la date certaine de l'ascendant déclaré, public et sans rival, de Mazarin sur Anne d'Autriche. Il ne lui avait jamais déplu; il commença à lui agréer dans le mois qui précéda la mort de Louis XIII; elle le nomma premier ministre au milieu de mai, un peu par goût et beaucoup par politique; peu à peu le goût s'accrut, et devint assez fort pour résister à toutes les attaques; ces attaques, en passant aux dernières extrémités et en lui faisant craindre pour la vie même de Mazarin, précipitèrent la victoire de l'heureux cardinal, et, le lendemain du dernier guet-apens nocturne où il devait périr, Mazarin était le maître absolu du cœur de la reine, et plus puissant que ne l'avait été Richelieu après la journée des Dupes. [302] IIIe carnet, p. 10, en espagnol: Sy yo creyera lo que dicen que S. M. se sierve di mi per necessidad, sin tener alguna inclinacion, no pararia aqui tres dias.» [303] IIe carnet, p. 65: «Quitarse la masqhera.» Nous avons en vain recherché dans les carnets quelques traces des explications que Mazarin dut avoir avec la reine en cette grave conjoncture. Ces explications-là ne sont point de celles qu'on puisse oublier, et dont il soit besoin de tenir note. Cependant nous rencontrons un passage obscur écrit en espagnol, où nous saisissons assez distinctement les mots suivants: «Je ne devrais plus avoir aucun doute depuis que la reine, dans un excès de bonté, m'a dit que rien ne pourrait m'ôter le poste qu'elle m'a fait la grâce de me donner auprès d'elle; néanmoins, comme la crainte est une compagne inséparable de l'affection, etc[304].» Vers ce temps-là, Mazarin étant tombé un peu malade à force de travaux et de soucis, et ayant pris la jaunisse, a écrit cette ligne fort courte, mais qui donne beaucoup à penser: «La jaunisse, fruit d'un amour extrême[305].» [304] IIIe carnet, p. 45: «...mas contodo esto siendo el temor un compagnero inseparabile dell'affeccion, etc., etc.» [305] IVe carnet, p. 3: «La giallezza cagionata dà soverchio amore.» Mme de Motteville était de service auprès de la reine Anne, lorsqu'au bruit de l'assassinat qui n'avait pas réussi les courtisans s'empressèrent de venir au Louvre protester de leur dévouement. La reine, tout émue, lui dit[306]: «Vous verrez devant deux fois vingt-quatre heures comme je me vengerai des tours que ces méchants amis me font.» «Jamais, dit Mme de Motteville, le souvenir de ce peu de mots ne s'effacera de mon esprit. Je vis en ce moment par le feu qui brillait dans les yeux de la reine, et par les choses qui en effet arrivèrent le lendemain et le soir même, ce que c'est qu'une personne souveraine, quand elle est en colère et qu'elle peut tout ce qu'elle veut.» Si la fidèle dame d'honneur eût été moins discrète, elle eût pu ajouter: surtout quand cette personne souveraine est une femme et qu'elle aime. [306] _Mémoires_, t. Ier, p. 185. Mazarin avait dit[307]: «Les menées contre moi ne cesseront point tant qu'on verra auprès de Sa Majesté un parti puissant déclaré contre moi, et capable de gagner l'esprit de la reine s'il m'arrivait quelque disgrâce.» La défaite de ce parti fut demandée par Mazarin et accordée par Anne d'Autriche, et les mesures les plus nécessaires immédiatement arrêtées. [307] IIIe carnet, p. 93 et dernière: «Ogniuno mi dice che li disegni contra me non cesseranno, finche si vedrà che appresso di S. M. vi è un potente partito contro di me, e capace d'acquistar lo spirito di S. M. quando mi succeda una disgrazia.» Ce qui pressait le plus et ne pouvait être différé d'un jour, c'était de se mettre à l'abri de tout nouvel assassinat et de profiter du premier mouvement de l'indignation publique contre l'auteur du complot et ceux qui y avaient pris part. Or, l'auteur apparent du complot, c'était le duc de Beaufort, aidé de ses principaux officiers et de quelques gentilshommes de la maison de Vendôme. Il fallait donc arrêter Beaufort et lui faire son procès. La reine y consentit. On peut juger par là de l'autorité que Mazarin avait prise, et jusqu'où Anne d'Autriche pourrait aller un jour pour défendre un ministre qui lui était cher. Le duc de Beaufort était, avant la mort de Louis XIII, l'homme en qui la reine avait le plus de confiance, et pendant quelque temps on l'avait cru destiné au rôle de favori. Depuis, il avait bien gâté ses affaires par ses airs avantageux et par son évidente incapacité, surtout par sa liaison publique avec Mme de Montbazon; mais la reine avait une assez grande faiblesse pour lui, et au bout de trois mois signer l'ordre de son arrestation était un grand pas, nécessaire, il est vrai, mais extrême, et qui était le signe manifeste d'un entier changement dans le cœur et les relations intimes d'Anne d'Autriche. La dissimulation qu'elle mit dans cette affaire marque la fermeté réfléchie de sa résolution. La journée du 2 septembre est vraiment solennelle dans l'histoire de Mazarin, et nous pourrions dire dans celle de la France, car elle a vu le raffermissement de la royauté, ébranlée par la mort de Richelieu et de Louis XIII, et la ruine du parti des Importants. Ils ne s'en relevèrent qu'au bout de cinq ans, en 1648, à la Fronde, où ils reparurent toujours les mêmes, avec les mêmes desseins et la même politique au dedans et au dehors, et, après avoir soulevé de sanglants et stériles orages, vinrent de nouveau se briser contre le génie de Mazarin et l'invincible fidélité d'Anne d'Autriche. Le 2 septembre au matin, Paris et la cour retentissaient du bruit de l'embuscade tendue la veille à Mazarin entre le Louvre et l'hôtel de Clèves. Les cinq conspirateurs qui avec Beaufort y avaient mis la main, à savoir le comte de Beaupuis, Alexandre et Henri de Campion, Brillet et Lié, avaient pris la fuite et s'étaient mis en sûreté. Beaufort et Mme de Chevreuse ne pouvaient les imiter; fuir, pour eux, c'eût été se dénoncer eux-mêmes. L'intrépide duchesse n'avait donc pas hésité à paraître à la cour, et elle était auprès de la régente dans la soirée du 2 septembre, avec une autre personne, étrangère à ces trames ténébreuses et même incapable d'y ajouter foi, une bien différente ennemie de Mazarin, la pieuse et noble Mme de Hautefort. Pour le duc, insouciant et brave, il était allé le matin à la chasse, et à son retour il alla, selon sa coutume, présenter ses hommages à la reine. En entrant au Louvre il rencontra sa mère, Mme de Vendôme, et sa sœur la duchesse de Nemours, qui avaient tout le jour accompagné la reine et remarqué son émotion. Elles firent tout ce qu'elles purent pour l'empêcher de monter, et le conjurèrent de s'éloigner quelque temps. Lui, sans se troubler, leur répondit comme autrefois le duc de Guise: «On n'oserait,» et il entra dans le grand cabinet de la reine, qui le reçut de la meilleure grâce du monde et lui fit toutes sortes de questions sur sa chasse, «comme si, dit Mme de Motteville[308], elle n'avoit eu que cette pensée dans l'esprit. Le cardinal étant arrivé sur cette douceur, elle se leva et lui dit de la suivre. Il parut qu'elle vouloit aller tenir conseil dans sa chambre. Elle y passa suivie seulement de son ministre. En même temps le duc de Beaufort, voulant sortir, trouva Guitaut, capitaine des gardes, qui l'arrêta et lui fit commandement de le suivre au nom du roi et de la reine. Le prince, sans s'étonner, après l'avoir considéré fixement, lui dit: Oui, je le veux; mais cela, je l'avoue, est assez étrange. Puis, se tournant du côte de Mmes de Chevreuse et de Hautefort, qui étoient là et causoient ensemble, il leur dit: Mesdames, vous voyez, la reine me fait arrêter..... Le lendemain, continue Mme de Motteville, pendant qu'on peignoit la reine, elle nous fit l'honneur de nous dire, à deux de ses femmes et à moi, que deux ou trois jours auparavant, étant allée se promener à Vincennes, où M. de Chavigny lui avoit donné une magnifique collation, elle avoit vu le duc de Beaufort fort enjoué, et qu'alors il lui vint dans l'esprit de le plaindre, disant en elle-même: _Hélas! ce pauvre garçon dans trois jours sera peut-être ici, où il ne rira pas._ Et la demoiselle Filandre, première femme de chambre, me jura que la reine pleura ce soir-là en se couchant.» La bonne dame d'honneur, toujours attentive à taire ou à nier ce qui pourrait nuire à sa maîtresse, et à relever ce qui lui est favorable, se complaît ici à célébrer sa douceur et son humanité. Nous voyons surtout dans la conduite d'Anne d'Autriche une dissimulation profonde, comme Mme de Motteville ne peut s'empêcher de le remarquer: il est évident que tout était concerté d'avance entre la reine et Mazarin, et si les larmes qu'elle répandit en cette circonstance montrent ce qu'il lui en coûta de faire mettre en prison un ancien ami, elles prouvent aussi, et encore bien plus, à quel point l'ami nouveau lui devait être cher pour en avoir obtenu un tel sacrifice. [308] Tome Ier, p. 185. Le lendemain matin, le duc de Beaufort fut conduit à ce même château de Vincennes où, quelques jours auparavant, il avait été se promener et faire collation avec la reine. Le peuple de Paris, toujours ami des résolutions hardies quand elles réussissent, ne s'émut nullement de la disgrâce de celui qu'un jour il devait adorer, et en voyant passer sur le chemin de Vincennes le futur roi des faubourgs et des halles, il avait applaudi, à ce qu'assure Mazarin, et s'était écrié avec joie: «Voilà celui qui voulait troubler notre repos![309]» Les plus dangereux des Importants reçurent l'ordre de s'éloigner de Paris. Montrésor, Béthune, Saint-Ybar, Varicarville et quelques autres, furent confinés en province sous une exacte surveillance, ou même quittèrent la France. On commanda aux Vendôme de se retirer à Anet[310]; et le château d'Anet étant bientôt devenu ce qu'avait été à Paris l'hôtel de Vendôme, l'asile des conspirateurs, Mazarin les réclama du duc César, qui se garda bien de les livrer. Le cardinal fut presque réduit à assiéger en règle le château. Il menaça d'y pénétrer de vive force pour y saisir les complices de Beaufort; ne supportant pas ce scandale d'un prince qui bravait impunément la justice et les lois, il songeait à en avoir raison, et il allait prendre une résolution énergique, quand le duc de Vendôme se décida lui-même à quitter la France, et s'en alla en Italie attendre la chute de Mazarin, comme autrefois il avait attendu en Angleterre celle de Richelieu. [309] IIIe carnet, p. 88: «Tutto il popolo gode e diceva: eccolà quello che voleva turbar il nostro riposo!» [310] Mme de Motteville, t. Ier, p. 190: «On envoya ordre à M. et à Mme de Vendôme et à M. de Mercœur de sortir incessamment de Paris. Le duc de Vendôme s'en excusa d'abord sur ce qu'il était malade, mais pour le presser d'en partir et lui faire faire son voyage plus commodément, la reine lui envoya sa litière.» L'arrestation de Beaufort, la dispersion de ses complices, de ses amis, de sa famille, était la première, l'indispensable mesure que devait prendre Mazarin pour faire face au danger le plus pressant. Mais que lui eût-il servi de frapper le bras s'il eût laissé subsister la tête, si Mme de Chevreuse était restée là, toujours empressée à entourer la reine de soins et d'hommages, assidue à la cour, retenant ainsi et ménageant les dernières apparences de son ancienne faveur pour soutenir et encourager dans l'ombre les mécontents, leur souffler son audace, et susciter de nouveaux complots? Elle avait encore dans sa main les fils mal rompus de la conspiration, et à côté d'elle était un homme trop expérimenté pour se laisser compromettre en de pareilles menées, mais tout prêt à en profiter, et que Mme de Chevreuse s'était appliquée à faire paraître à la reine, à la France et à l'Europe, comme très-capable de conduire les affaires. Mazarin n'hésita donc pas, et le lendemain même de l'arrestation de Beaufort, le 3 septembre, Châteauneuf était invité à venir saluer la reine, et à se rendre ensuite dans son gouvernement de Touraine[311]. L'ancien garde des sceaux de Richelieu trouva que c'était déjà quelque chose d'être sorti ouvertement de disgrâce, d'avoir repris le rang éminent qu'il avait jadis occupé dans les ordres du roi et le gouvernement d'une grande province. Son ambition allait bien plus haut; il la garda et l'ajourna, obéit à la reine, se ménagea habilement avec elle, et se maintint fort bien avec son ministre, en attendant qu'il le pût remplacer. [311] IIIe carnet, p. 40: «Permissione a Chatonof di veder la regina ed ordine di andar in Turena.» Olivier d'Ormesson, dans son Journal donne cet ordre sous la date du 3 septembre 1643. Mme de Chevreuse n'eut pas la sagesse de Châteauneuf. Elle ne sut pas faire bonne mine à mauvais jeu, ou elle était trop engagée pour quitter sitôt la partie. La Châtre, qui était un de ses amis les plus particuliers et qui la voyait tous les jours, raconte[312] que le soir même où Beaufort fut arrêté au Louvre, «Sa Majesté lui dit qu'elle la croyoit innocente des desseins du prisonnier, mais que néanmoins elle jugeoit à propos que, sans éclat, elle se retirât à Dampierre, et qu'après y avoir fait quelque séjour elle se retirât en Touraine.» Mme de Chevreuse fut bien forcée d'aller à Dampierre; mais là, au lieu de se tenir tranquille, elle remua ciel et terre pour sauver ceux qui s'étaient compromis pour elle. Elle recueillit chez elle Alexandre de Campion[313] et lui fournit l'argent et tout ce qui lui était nécessaire pour se dérober sûrement aux poursuites du cardinal. Intrépide pour elle-même, accoutumée aux tempêtes, elle s'inquiétait par-dessus tout du sort de ses amis, et en sachant plusieurs à Anet elle y envoyait sans cesse[314]. Elle commença même à renouer de nouvelles trames, et trouva moyen de faire parvenir une lettre à la reine[315]. On lui adressait message sur message pour hâter son départ[316]. On lui envoyait Montaigu, on lui envoyait La Porte[317]. Elle les recevait avec hauteur, et différait sous divers prétextes. Nous avons vu qu'en allant au-devant d'elle, à son retour de Bruxelles, Montaigu lui avait offert, de la part de la reine et de Mazarin, de lui payer les dettes qu'elle avait contractées pendant tant d'années d'exil; elle avait déjà reçu de grosses sommes; elle ne voulait partir qu'après que la reine aurait accompli toutes ses promesses[318]. Elle quitta la cour et Paris la douleur dans l'âme et en frémissant, comme Annibal en quittant l'Italie. Elle sentait que la cour et Paris et l'intérieur de la reine étaient le vrai champ de bataille, et que s'éloigner, c'était abandonner la victoire à l'ennemi. Sa retraite fut un deuil à tout le parti catholique, aux amis de la paix et de l'alliance espagnole, et au contraire une joie publique pour les amis de l'alliance protestante. Le comte d'Estrade vint au Louvre de la part du prince d'Orange, auprès duquel il était accrédité, en remercier officiellement la régente[319]. [312] _Mémoires_, t. LI de la collect. Petitot, p. 244. [313] _Recueil_, etc., p. 133: «Je ne pouvois désirer une plus grande consolation dans mes malheurs que la permission que vous me donnez d'aller à Dampierre; la crainte que vous me témoignez avoir qu'on me surprenne sur les chemins est très-obligeante, mais je prendrai si bien garde à moi que ce malheur ne m'arrivera pas. Je ne marcherai point de jour, et les nuits sont si obscures que je ne serai vu de personne.» [314] IVe carnet, p. 1: «Hebert, mestre d'hotel di Mma di Cheverosa, tre volte in tre giorni a Aneto dà M. di Vendomo.» [315] IVe carnet, p. 3: «Lettera per altra strada di Cheverosa alla regina.» [316] IIIe carnet, p. 81 et 82: «Allontanar Cheverosa che fà mille caballe.» [317] La Châtre, _ibid._ Voyez aussi une lettre inédite de La Porte, BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE, IIe portefeuille du docteur Valant, p. 107. Voyez l'APPENDICE. [318] IIIe carnet, p. 86: «Mma di Cheverosa sortita havendo somme considerabili di denari contanti. S. M. sa ben li suoi disegni, e che se li da 200 mil lire, come pretende, vi havrà havute 400 mil lire.» Journal d'Olivier d'Ormesson: «19 septembre. Au conseil, j'ouïs Monsieur demander si on avoit payé les deux cent mille livres à Mme de Chevreuse qu'on lui avoit promises.» La Châtre, _ibid._: «Elle s'opiniâtra de toucher, avant que de partir, quelque argent qu'on lui avoit promis.» [319] Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CV, lettre de Gaudin à Servien, du 31 octobre 1643: «Le sieur de l'Estrade a fait un compliment à Sa Majesté, de la part du prince d'Orange, sur l'éloignement de Mme de Chevreuse, disant qu'elle avoit fait voir par cette action la bonne intention qu'elle a pour la considération de ses alliés, puisque dès son arrivée ladite dame lui proposa la paix très-facile, et que les Espagnols quitteroient bien volontiers tout ce que les François ont pris, pourvu qu'on leur accordât seulement une chose, qui est l'abandonnement des Suédois et des Hollandois.» CHAPITRE SEPTIÈME 1643-1679 MME DE CHEVREUSE RELÉGUÉE ENCORE UNE FOIS EN TOURAINE. ELLE Y RESTE PRÈS DE DEUX ANNÉES SANS ABANDONNER SES DESSEINS CONTRE MAZARIN.--ELLE REÇOIT L'ORDRE DE SE RETIRER A ANGOULÊME. CRAIGNANT D'ÊTRE EMPRISONNÉE, ELLE S'ENFUIT DANS L'HIVER DE 1645 ET S'EMBARQUE A SAINT-MALO SUR UN PETIT BATIMENT QUI EST PRIS EN MER PAR LES PARLEMENTAIRES ANGLAIS. ELLE MANQUE D'ÊTRE LIVRÉE A MAZARIN, ET OBTIENT A GRAND'PEINE DES PASSE-PORTS POUR DUNKERQUE ET LES PAYS-BAS.--MME DE CHEVREUSE EN FLANDRE PENDANT LES ANNÉES 1645, 1646, 1647. MÊMES INTRIGUES QU'EN 1640, 1641, 1642.--LA FRONDE EN 1648 CONTINUE ET TERMINE LES CONSPIRATIONS PRÉCÉDENTES: MÊME FIN, MÊMES MOYENS ET PRESQUE MÊMES HOMMES.--MME DE CHEVREUSE REVIENT A PARIS EN 1649. SON RÔLE DANS LA FRONDE. ELLE EST L'AUTEUR DU SEUL PLAN QUI POUVAIT SAUVER LA FRONDE, PERDRE MAZARIN ET ASSURER LE TRIOMPHE RAISONNABLE DE L'ARISTOCRATIE.--ELLE SE RÉCONCILIE A PROPOS AVEC LA REINE ET MAZARIN.--PLUS TARD ELLE CONTRIBUE A LA PERTE DE FOUQUET ET A L'ÉLÉVATION DE COLBERT.--SA RETRAITE ET SA MORT EN 1679. Voilà donc, dans l'automne de 1643, Mme de Chevreuse reléguée en Lorraine, comme elle l'avait été dix ans auparavant; mais alors, en ses plus cruels déplaisirs, il lui restait une consolation, une espérance, un asile qu'elle croyait inviolable, l'affection d'Anne d'Autriche; tandis qu'ici, c'était Anne d'Autriche elle-même qui la bannissait de sa présence. Cette amère pensée s'aggravait encore de la solitude qui ne tarda pas à se faire autour d'elle. Après avoir été comme la reine de la Touraine et de l'Anjou, et y avoir tenu longtemps une sorte de cour souveraine, grâce à sa naissance et aux grands biens qu'elle y possédait, elle et son père le duc de Montbazon, et son frère le prince de Guymené, le maître du vaste domaine et de l'admirable château du Verger[320], elle se vit peu à peu abandonnée de ceux-là mêmes qui lui devaient le plus, mais qu'entraînaient et dominaient les succès constants de Mazarin. Le spectacle de cette lâche ingratitude révolta à la fois et tenta la générosité d'un ancien favori du duc d'Orléans, exilé en Lorraine comme Mme de Chevreuse, le célèbre comte de Montrésor, dont on a déjà rencontré plusieurs fois le nom dans ce récit[321], homme d'honneur à la mode des Importants, c'est-à-dire fidèle à sa parole, dévoué à son parti et à ses amis, prêt à braver pour eux tous les périls, mais en même temps libre de tout scrupule et accoutumé à ne reculer devant aucune extrémité. Le comte de Montrésor était, avec son cousin le comte de Saint-Ybar[322], le type du parfait conspirateur. C'est Montrésor qui, succédant à Puylaurens dans la confiance du duc d'Orléans, l'engagea en 1636 dans le complot d'Amiens, pendant que de son côté Saint-Ybar y engageait le comte de Soissons. Mais le hardi gentilhomme avait fini par se lasser de servir un prince aussi prompt à entrer dans toutes les entreprises favorables à ses intérêts, qu'empressé d'en sortir en livrant les siens pour se sauver lui-même. D'ailleurs une haute et longtemps secrète amitié[323], en remplissant son ambition et son cœur, commençait à l'enlever à ses habitudes aventureuses. Il n'avait pas pris part à la conspiration de Beaufort[324], mais sa liaison hautement avouée avec les Importants, son caractère, ses maximes, sa vie tout entière l'avaient rendu suspect, et il avait été invité, ainsi que Saint-Ybar, à s'éloigner quelque temps de Paris. Il était donc venu en Touraine, et y trouvant Mme de Chevreuse délaissée, sa fierté naturelle, l'estime et le respect que lui inspiraient le courage et le malheur, le portèrent à se rapprocher de la noble disgraciée, et à lui offrir ses services[325]. Ils se virent assez souvent pour inquiéter Mazarin, même au delà de la vérité. Le cardinal était convaincu que Mme de Chevreuse n'était pas femme à se résigner jamais à la défaite et à l'impuissance. Il n'ignorait pas qu'elle écrivait à Paris à son parent le duc de Guise, pour savoir s'il était vrai qu'il désapprouvât sa conduite et par là réveiller la chevalerie dont il faisait profession[326]. Elle écrivait aussi à sa belle-mère, Mme de Montbazon, reléguée à Rochefort, et les deux exilées s'excitaient l'une l'autre à tout entreprendre pour renverser leur ennemi commun[327]. Elle ranima les intelligences qu'elle n'avait jamais cessé d'entretenir avec l'Angleterre, l'Espagne et les Pays-Bas. Son principal appui, le centre et l'intermédiaire de ses intrigues, était Lord Goring, ambassadeur d'Angleterre auprès de la cour de France[328]. Le comte de Craft, alors à Paris, s'agitait bruyamment pour Mme de Chevreuse, comme le commandeur de Jars intriguait sourdement pour Châteauneuf. Sous le manteau de l'ambassade d'Angleterre, une vaste correspondance s'était établie entre Mme de Chevreuse, Vendôme, Bouillon et tous les mécontents. [320] Disons-le en passant avec un regret douloureux: ce beau château, l'honneur de l'Anjou, qu'ont habité tant de grands personnages, depuis le maréchal de Gié, et où plus d'un roi de France reçut une noble hospitalité, n'est depuis longtemps qu'un débris et un souvenir. Les anciens seigneurs du Verger l'ont vendu, racheté, détruit à la fin du XVIIIe siècle. Ils ont abandonné le tombeau de leurs aïeux et le sol de la patrie pour aller jouir, en Autriche, d'une oisive opulence, au lieu de rester parmi nous, de partager notre destinée, bonne ou mauvaise, de renouveler leur gloire et de continuer la nôtre. [321] Plus haut, chap. V, p. 233, chap. VI, p. 252. [322] _Ibid._, et plus bas, p. 304. Voyez surtout Retz, t. I. [323] Montrésor fut aimé, dit-on, par Mlle de Guise, qui pour demeurer fidèle à cette liaison ne voulut pas se marier. Sur Mlle de Guise, voyez Mme de Motteville, t. Ier, p. 48, et p. 418. [324] C'est aussi ce qui se tire du silence de Campion; voyez plus haut, chap. VI, p. 266. [325] Montrésor, _Mémoires_, _ibid._, p. 355. «La demeure de Mme de Chevreuse à Tours me donnoit sujet de la voir de fois à autres, et bien que ce fût rarement je ne laissai pas de prendre plus de connoissance de son humeur et tempérament de son esprit que je n'en avois eu dans tout le temps qu'elle avoit été plus heureuse et en plus grande considération. L'abandonnement quasi général où elle étoit de tous ceux qu'elle avoit obligés et qui s'étoient liés d'amitié et unis d'intérêt avec elle me fit juger du peu de foi que l'on doit ajouter aux hommes du siècle présent, par l'état auquel se trouvoit une personne de cette qualité si universellement délaissée dans sa disgrâce; ce qui augmenta le désir en moi de m'employer à lui rendre mes services avec plus de soin et d'affection dans les occasions qui se pourroient offrir. Je n'ignorois pas que les conséquences que l'on voudroit tirer des visites dont j'avois l'honneur de m'acquitter vers elle, ne fussent capables de me nuire et de troubler ma tranquillité; mais l'estime et le respect que j'avois pour sa personne et ses intérêts m'engagèrent d'en courir volontiers le hasard, en observant toutefois cette précaution qu'elles ne fussent trop fréquentes ni qu'il y eût aucune affectation de sa part ni de la mienne. Les traverses dont toute sa vie avoit été agitée n'étoient pas prêtes à finir.» [326] IVe carnet, p. 14. [327] _Ibid._, p. 48 et 49: «Più animate che mai et in speranza di far qualche cosa contra me con il tempo.» [328] _Ibid._, p. 95 et 96: «26 febraio 1643 (lisez 1644), l'imbasciator Gorino, lega strettissima con Cheverosa e Vandomo et altri della corte e fuori. Risolutione di unir questa caballa a Spagnuoli, e disfarsi del cardinale. Il suddetto spedisce di continuo a Cheverosa, Vandomo et altri. È stato sempre spagnolissimo, et hora più che mai. Dice che il cardinale una volta à basso, il detto partito trionfara. Giar (Jars), confidentissimo di Gorino, è sempre in speranza del ritorno di Chatonof. Craft, più bruglione, più spagnolo, et più del partito del suddetto... Ha detto mille improperii della regina... S. M. faccia scriver una buona lettera al Re e Regina d'Inghilterra dolendosi del procedere de' suoi ministri e di quello scrisse Gorino, etc.» Lorsque dans l'été de 1644 la reine d'Angleterre vint chercher un asile en France et qu'elle alla prendre les eaux de Bourbon[329], Mme de Chevreuse désira passionnément revoir celle qui autrefois l'avait si bien accueillie, et la reine Henriette qui, comme sa mère Marie de Médicis, était du parti catholique et espagnol, eût été charmée d'épancher son cœur dans celui d'une ancienne et fidèle amie. Mais elle ne crut pas se pouvoir livrer à son inclination sans la permission de la reine qui lui donnait une si noble hospitalité. Anne d'Autriche répondit par politesse que la reine, sa sœur, était libre de toutes ses démarches, mais on lui fit dire sous main par le commandeur de Jars qu'il ne convenait pas qu'elle reçût la visite d'une personne brouillée avec Sa Majesté[330]. Cette nouvelle disgrâce, ajoutée à tant d'autres, porta à son comble l'irritation de la duchesse. Elle redoubla d'efforts pour briser le joug qui l'opprimait. Mazarin connaissait et surveillait toutes ses manœuvres. Il fit arrêter à Paris l'intendant de sa maison[331], et, même quelque temps après, son médecin, dans le carrosse même de sa fille. La duchesse se plaignit vivement d'un tel procédé dans une lettre qu'elle trouva le secret de faire arriver jusqu'à la reine. Elle prétend qu'on fit descendre Mlle de Chevreuse de voiture, «deux archers lui tenant le pistolet à la gorge, et criant sans cesse: tue, tue, et autant aux femmes qui estoient avec elle[332]». Elle ne manque pas de protester de son innocence et d'en appeler de l'inimitié de Mazarin à la justice d'Anne d'Autriche. Mais le médecin qu'on avait arrêté, conduit à la Bastille, fit des aveux qui mirent sur la trace de choses fort graves, et un exempt des gardes du corps alla porter à Mme de Chevreuse l'ordre de s'éloigner davantage de Paris et de se retirer à Angoulême: l'exempt était même chargé de l'y mener. Il y avait à Angoulême un château fort, servant de prison d'État, où son ami Châteauneuf avait été détenu pour elle pendant dix années. Ce souvenir, toujours présent à l'imagination de Mme de Chevreuse, l'épouvanta; elle craignit que ce ne fût la retraite où on la voulait conduire[333], et, préférant toutes les extrémités à la prison, elle se décida à se rengager dans les aventures qu'elle avait affrontées en 1637, et à reprendre pour la troisième fois le chemin de l'exil. [329] Mme de Motteville, t. Ier, p. 233, etc.--Craft accompagnait la reine d'Angleterre. Voyez l'APPENDICE, notes sur le chap. VII, _Mme de Chevreuse en Touraine_. [330] Ve carnet, p. 105: «S. Maestà puol dire al commendatore di Giar e a madamigella di Fruges che, sebbene S. M. per civiltà ha detto che per veder o no Mma di Cheverosa non sa ne curava, ad ogni modo la regina della gran Bretagna non dovrebbe admetter la visita d'una persona che per sua mala condotta ha perdute le grazie di S. M.» [331] Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CVII, lettre de Gaudin à Servien du 31 mai. [332] _Ibid._ «Tours, 20 novembre 1644. MADAME, Encore que le seul bien que j'avois espéré, dans l'esloignement de l'honneur de votre présence, ait esté de mériter celui de votre souvenir par la continuation de mes devoirs, je me suis privée de l'un et de l'autre, depuis que j'ai sceu que cette retenue vous seroit une plus agréable marque de mon obéissance, que j'ai tasché toujours de tesmoigner à V. M., plus tost par ce que j'ai cru plus conforme à ses intentions que par ce qui me pouvoit d'advantage satisfaire. Mais, comme V. M. m'a asseurée que le temps de cette absence ne diminueroit rien de la bonté qu'elle a fait cognoistre à tout le monde pour les choses qui me touchent, je crois, Madame, qu'autant vous avez pu juger de mon respect par le temps qu'il y a que je me suis retranchée la satisfaction de ces devoirs, autant je puis espérer de V. M. qu'elle aura agréable que j'y aie recours aux occasions importantes à mon repos. J'avois eu pouvoir sur moi de me retenir à la première qui s'est présentée de la détention de mon controlleur, quoique vous ne pouvez plus douter, Madame, que dans la créance que j'ai de son innocence, il ne m'ait été extrêmement sensible que cette qualité de mon domestique ait été la seule présomption de son crime. Mais je vous advoue que celle qui est arrivée encor depuis 4 ou 5 jours par l'emprisonnement d'un médecin italien, qui est chez moi depuis quelque temps, me touche tellement que je ne puis croire estre assez malheureuse pour que V. M. refuse cet accès à mes justes ressentiments; ce qui s'est fait encor avec des violences qui ne furent jamais pratiquées en semblables choses, aiant pris l'occasion pour cela qu'il estoit dans le carrosse de ma fille, laquelle on fist descendre, deux archers lui tenant le pistolet à la gorge et lui criant sans cesse tue, tue, et autant aux femmes qui estoient avec elle. Ce procédé est si extraordinaire que, comme j'attends de votre justice qu'elle me fasse rendre satisfaction en la personne de ma fille, j'ose me promettre de même que votre bonté m'asseurera à l'advenir contre de telles rencontres; et j'ai de si fascheuses expériences de mon malheur que V. M. trouvera bon que je lui demande protection avec d'autant plus d'instance que m'ayant ordonné de demeurer en ce lieu où je me suis privée du seul bien que je souhaite au monde, c'est la seule consolation qui me reste que d'y avoir sûreté pour moi et ma maison, et de pouvoir prier Dieu en repos qu'il vous comble d'autant de prospérités que vous en désire, Madame, de V. M., la très-humble et très-obéissante sujette, MARIE DE ROHAN.» [333] Montrésor, _ibid._, p. 356: «Ce traitement (l'emprisonnement de son médecin) souffert par un homme qui étoit son domestique, précéda de peu de jours celui qui arriva en sa personne. Riquetty, exempt des gardes du corps du roy, fut envoyé à Tours pour lui porter le commandement de se retirer à Angouleme où il la devoit mener. La crainte d'y être retenue et mise sous sûre garde dans la citadelle, fit une telle impression dans son esprit qu'elle se résolut à s'exposer à tous les autres périls qui lui pourroient arriver, pour se garantir de celui de la prison qu'elle croyoit être inévitable à moins d'y pourvoir promptement.» * * * * * Mais combien les circonstances étaient changées autour d'elle, et qu'elle-même était changée! Sa première sortie de France, en 1626, avait été un continuel triomphe. Jeune, belle, partout adorée, elle n'avait quitté la ville de Nancy et le duc de Lorraine, à jamais soumis à l'empire de ses charmes, que pour revenir à Paris troubler le cœur de Richelieu. En 1637, sa fuite en Espagne lui avait été déjà une épreuve plus sévère; il lui avait fallu traverser déguisée toute la France, braver plus d'un péril, endurer bien des souffrances, pour trouver au bout de tout cela cinq longues années d'agitations impuissantes. Du moins elle était encore soutenue par la jeunesse et par le sentiment de cette beauté irrésistible qui lui faisait en tout lieu des serviteurs, jusque sur les trônes. Elle avait foi aussi dans l'amitié de la reine, et elle comptait bien qu'un jour cette amitié lui paierait le prix de tous ses sacrifices. Maintenant l'âge commençait à se faire sentir; sa beauté, penchant vers son déclin, ne lui promettait plus que de rares conquêtes. Elle comprenait qu'en perdant le cœur de la reine, elle avait perdu la plus grande partie de son prestige en France et en Europe. La fuite du duc de Vendôme, que celle du duc de Bouillon allait bientôt suivre, laissait les Importants sans aucun chef considérable. Elle avait reconnu que Mazarin était un ennemi tout aussi habile et tout aussi redoutable que Richelieu. La victoire semblait d'intelligence avec lui. Le propre frère de Bouillon, Turenne, sollicitait l'honneur de le servir, et le duc d'Enghien lui gagnait bataille sur bataille. Elle savait, aussi que le cardinal avait entre les mains de quoi la faire condamner et la tenir enfermée toute sa vie. Quand tout l'abandonnait, cette femme extraordinaire ne s'abandonna point[334]. Dès que l'exempt Riquetti lui eut signifié l'ordre dont il était porteur, elle prit son parti avec sa promptitude accoutumée, et accompagnée de sa fille Charlotte, qui ne voulut pas la quitter, et de deux domestiques, elle gagna par des chemins de traverse les bocages de la Vendée et les solitudes de la Bretagne, et elle vint à quelques lieues de Saint-Malo demander un asile au marquis de Coetquen, gouverneur de cette place. Le noble Breton ne refusa pas l'hospitalité à une femme du sang des Rohan. Il lui procura même les moyens de quitter la France et d'échapper à ses ennemis. Elle déposa ses pierreries entre ses mains, comme autrefois entre celles de La Rochefoucauld, et, après avoir écrit un billet d'adieu à Montrésor, vers la fin de l'hiver de 1645, elle s'embarqua avec sa fille, à Saint-Malo, sur un petit bâtiment qui devait la conduire a Darmouth, en Angleterre, d'où elle comptait passer à Dunkerque et en Flandre. Mais des navires de guerre du parti du parlement croisaient dans ces parages: ils rencontrèrent et prirent la misérable barque et la menèrent à l'île de Wight. Là Mme de Chevreuse fut reconnue, et comme on la savait l'amie de la reine d'Angleterre, les parlementaires n'étaient pas éloignés de lui faire un assez mauvais traitement et de la livrer à Mazarin. Heureusement elle rencontra comme gouverneur à l'île de Wight le comte de Pembrock, qu'elle avait autrefois connu. Elle s'adressa à sa courtoisie[335], et grâce à son intervention, elle obtint à grand'peine des passe-ports qui lui permirent de gagner Dunkerque et de là les Pays-Bas espagnols[336]. [334] Montrésor, _ibid._: «Pour l'exécuter (ce projet d'évasion), il falloit beaucoup d'invention et d'adresse qui ne lui manquèrent point... Elle se sauva de Tours dès le même jour, accompagnée de mademoiselle sa fille, qui ne la voulut point abandonner, et de deux domestiques tels qu'elle les avoit pu choisir avec une extrême diligence. Elle se rendit en Bretagne, chez le marquis de Coetquen, de qui elle reçut les services et les assistances qu'elle s'étoit promises, par la facilité qu'il donna à son embarquement. Cette résolution hasardeuse pouvant être sujette à beaucoup d'inconvénients, n'ayant au dehors nulle retraite assurée, elle jugea qu'il étoit plus à propos de confier ses pierreries au marquis de Coetquen que de les emporter avec elle. Cette considération l'obligea de les laisser entre ses mains, et la bonne volonté qu'elle conservoit pour moi à m'écrire une lettre qui contenoit plusieurs témoignages de l'honneur de son souvenir, et des excuses infiniment obligeantes de ne m'avoir pas consulté dans une rencontre si importante, sur ce qu'il avoit fallu qu'elle usât nécessairement d'une si grande précipitation qu'elle n'avoit pas eu un moment de délibérer pour m'en faire entrer en connoissance.» Plus tard, elle pria le marquis de Coetquen de remettre ses pierreries à Montrésor, qui les rendit à un envoyé de Mme de Chevreuse. Mais Mazarin, croyant mettre la main sur quelque grand mystère, fit arrêter Montrésor et le tint quelque temps en prison, jusqu'à ce que, mieux informé, et surtout pressé par Mlle de Guise, il le relâcha en lui faisant des excuses. Voyez les Mémoires de Montrésor, _ibid._--Disons aussi que Mazarin, si sévère envers Montrésor, qu'il savait un conspirateur dangereux, montra de l'indulgence envers le marquis de Coetquen dont les intentions avaient été honorables. Dans ses _Lettres françaises_ conservées à la Bibliothèque Mazarine, nous trouvons celle-ci qui lui fait honneur, et que Richelieu peut-être n'aurait pas écrite. Fol. 376: à M. le marquis de Couaquin, 7 mai 1645: «J'ai vu par celle que vous avez pris la peine de m'écrire, l'avis que vous me donnez du passage de madame la duchesse de Chevreuse dans l'une de vos maisons. Sur quoi ayant entretenu le gentilhomme que je vous renvoye, j'ai estimé superflu de vous écrire ici le particulier de ce que je lui en ai dit. M'en remettant donc à sa vive voix, je me contenterai de vous assurer que j'ai reçu comme je dois les preuves que vous me donnez de votre affection pour le service du roi en cette rencontre. Je n'ai pas manqué de représenter à la reine tout ce que je devois, _excusant ce qui s'est passé par les raisons que vous mandez_, et par celles que le dit gentilhomme a déduites, etc.» [335] Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CVI, p. 162. Lettre de Mme de Chevreuse à «M. le comte de Pembroc, de l'île d'Ouit, du 29 avril 1645»: «MONSIEUR, La continuation de mon malheur m'obligeant à sortir promptement de France pour conserver en un pays neutre la liberté que le pouvoir de mes ennemis me vouloit oster dans le mien, le seul chemin que j'aye trouvé favorable pour éviter cette disgrâce a esté de m'embarquer à Saint-Malo pour passer en Angleterre et delà en Flandres, pour me rendre au pays de Liége, d'où en sûreté je puisse justifier mon innocence, si l'on me veut écouter, ou au moins me garantir de la persécution que la haine et l'artifice du cardinal Mazarin m'a procurée depuis un an et demi. M'estant mise en chemin à cette intention dans une barque que je trouvai preste à partir pour Darthemouth, d'où je faisois estat en arrivant d'envoyer quérir les passe-ports qui me seroient nécessaires pour aller à Douvres et m'y embarquer pour Dunkerque, elle a été prise par deux capitaines des navires de guerre qui sont sous l'autorité du Parlement, dans lesquels je suis arrivée en cette isle d'Ouit, dont j'ay appris que vous estiez gouverneur, ce qui m'a bien resjouie, m'assurant en vostre vertu et courtoisie que vous ne me refuserés pas la supplication que je vous fais de demander à Messieurs du Parlement un passe-port pour aller d'ici à Douvres et m'y embarquer pour passer à Dunkerque où le misérable estat de mes affaires me presse de me rendre au plustot. C'est une grâce que j'espère de la justice de messieurs du Parlement, qu'ils auront la bonté de ne pas me faire attendre, puisque la confiance que j'ay en leur générosité et la résolution où je suis de ne me rendre jamais indigne d'en recevoir des effets, m'en peut justement faire espérer le bien que j'attendrai impatiemment par le retour de ce porteur que j'envoye exprès pour ce subject à Londres avec l'homme de vostre lieutenant en cette isle, duquel je crois que vous recevrés un compte plus particulier des accidents de mon voyage. Je les abrége le plus que je puis pour ne vous importuner pas d'un si long discours, et il suffit de vous faire entendre le besoing que j'ay de vostre assistance en l'estat où je suis pour avoir promptement le passe-port que je demande à Messieurs du Parlement, et de vous supplier de croire que je n'aurai jamais de satisfaction entière que je ne vous aye témoigné par mes services que vous avés obligé une personne qui sera toute sa vie parfaitement, Monsieur, Votre très-humble et très-affectionnée servante, MARIE DE ROHAN, duchesse de Chevreuse.» [336] Archives des affaires étrangères, t. CIX, Gaudin à Servien, 20 mai 1645: «L'on écrit d'Angleterre que Mme de Chevreuse est encore à l'île de Wick, que messieurs du Parlement ne lui ont voulu bailler navire ni passe-port pour passer à Dunkerque, etc.»--BIBLIOTHÈQUE MAZARINE, lettres françaises de Mazarin, folio 415, 22 juillet 1645: «On peut juger, dit Mazarin, si on a une grande haine pour Mme de Chevreuse, puisque, lorsqu'elle étoit au pouvoir des parlementaires d'Angleterre, ils ont offert de la remettre entre nos mains, et qu'on ne s'en est pas soucié.» Elle s'établit quelque temps à Liége, s'appliquant à maintenir et à resserrer de plus en plus entre le duc de Lorraine, l'Autriche et l'Espagne, une alliance qui était la dernière ressource des Importants et le dernier fondement de son propre crédit. Cependant Mazarin avait repris tous les desseins de Richelieu, et comme lui il s'efforçait de détacher le duc de Lorraine de ses deux alliés. Le duc était alors éperdument épris de la belle Béatrix de Cusance, princesse de Cantecroix. Mazarin travailla à gagner la dame, et il proposa à l'entreprenant Charles IV de rompre avec l'Espagne et d'entrer en Franche-Comté avec le secours de la France, lui promettant de lui laisser tout ce qu'il aurait conquis[337]. Il parvint à mettre dans ses intérêts la sœur même du duc Charles, l'ancienne maîtresse de Puylaurens, la princesse de Phalzbourg, alors bien déchue, et qui lui rendait un compte secret et fidèle de tout ce qui se passait autour de son frère. Mazarin lui demandait surtout de le tenir au courant des moindres mouvements de Mme de Chevreuse; il savait qu'elle était en correspondance avec le duc de Bouillon, qu'elle disposait du général impérial Piccolomini par son amie Mme de Strozzi[338], et même qu'elle avait gardé tout son crédit sur le duc de Lorraine, malgré les charmes de la belle Béatrix. A l'aide de la princesse de Phalzbourg, il suit toutes ses démarches, et lui dispute pied à pied, Charles IV, quelquefois vainqueur, fort souvent battu dans cette lutte mystérieuse[339]. [337] IVe carnet, p. 81 et 82; carnet Ve, p. 18, 68 et 115. [338] Carnet V, p. 48: «Mma di Cheverosa, gran corrispondenza con lui (le duc de Bouillon) e con Piccolomini, e questo con Buglione. La Strozzi governa Piccolomini e la Strozzi è tutta di Mma di Cheverosa.» [339] BIBLIOTHÈQUE MAZARINE, lettres françaises de Mazarin à Mme la princesse de Phalzbourg, 23 juillet 1645, fol. 415. «...6 (Mazarin) ne doute point d'être déchiré de Mme de Chevreuse, mais tout le monde sait que le plus grand crime qu'il ait commis envers elle, c'est de l'avoir bien servie, et d'avoir recherché avec tous les soins imaginables son amitié à son retour de Flandres. Il est malaisé d'être bon François, de travailler pour la grandeur de ce royaume, de ne vouloir pas de négociations particulières avec les Espagnols, et de contenter Mme de Chevreuse. Elle hait 6 parce qu'elle l'a offensé au dernier point. Elle se dit persécutée et innocente; mais son médecin qui est à la Bastille après avoir fait par son ordre le voyage d'Espagne, n'en est pas d'accord, et outre cela 6 avoit en main de quoi la confondre, si la crainte de l'être ne lui eût fait prendre la résolution de s'enfuir. Je prie Dieu qu'il envoye à 6 le mal qu'il veut à Mme de Chevreuse. La plus grande punition qu'elle puisse avoir sera le remords qu'elle aura toujours dans son âme d'avoir si mal correspondu à son devoir, et de s'être perdue de gaieté de cœur, quand il étoit en son pouvoir d'être une des plus heureuses femmes qui fût au monde. On ne doute point qu'elle n'aura rien oublié pour imprimer dans l'esprit du duc de Lorraine qu'il ne doit jamais se fier ni à (la reine) ni à (Mazarin); et comme elle ne manque pas d'artifice, et croit avoir un grand ascendant sur l'esprit de ce prince, je ne doute point qu'elle ne lui fasse de grandes impressions...»--Lettre du 30 septembre 1645, _ibid._, fol. 448: «.....Mme de Chevreuse aussi bien que quelques autres personnes qui pourroient avoir dans ce royaume les mêmes intentions qu'elle de brouiller, ne peuvent rendre un plus mauvais service aux Espagnols que de leur donner, comme elles font, de fausses espérances sur lesquelles, comme on croit aisément ce qu'on désire, ils pourroient s'embarquer obstinément dans la conduite de la guerre, sans songer sérieusement aux moyens de faire la paix, qui semble être le plus grand bien qui leur puisse arriver dans l'état présent des affaires. Mme la princesse de Phalsbourg a fort bien jugé ce que c'étoit que l'affaire du Languedoc; tout y est plus tranquille que dans Fontainebleau même, et il ne dépend que de Leurs Majestés de prendre telle résolution qu'elles voudront et de la faire exécuter avec toute facilité; on sera pourtant bien aise d'apprendre la continuation de la conduite et des intrigues de ladite dame.....»--Du 11 novembre, fol. 468: «M. le cardinal remercie Mme la princesse de Phalsbourg des nouvelles marques qu'elles lui a données de son affection... il la supplie de lui donner souvent des nouvelles de ce qui se passe par delà, et particulièrement de Mme de Chevreuse...»--Du 2 décembre, fol. 476... «Il seroit extrêmement important de découvrir le sujet pour lequel a été arrêté l'homme de Mme de Chevreuse, et la reine prie la princesse de Phalsbourg de ne rien oublier pour en savoir la vérité, puisque l'on a déjà ici quelques lumières, par le côté de Liége, de certaines propositions que ladite dame avoit faites aux ministres d'Espagne, qui sont par delà...»--Du 23 décembre, fol. 492... «Le cardinal remercie très-humblement Mme la princesse des avis qu'elle lui a donnés; il la supplie de continuer à lui faire la même grâce, et particulièrement en ce qui concerne Mme de Chevreuse, laquelle, selon les avis qu'on en a de divers endroits, ne songe qu'à faire des menées contre ledit cardinal... Le cardinal Mazarin a tâché de servir toujours sincèrement le duc de Lorraine, et il a cru que ce ne seroit pas un petit bien pour la France que celui de l'attachement d'un prince de tant de mérite, et si capable d'augmenter dans la guerre les prospérités de ce royaume. Ledit cardinal a été fort marri que tous ses soins n'aient pas produit l'effet qu'il s'étoit promis, ayant fait accorder par la reine toutes les satisfactions que ledit duc pouvoit raisonnablement désirer. Il est vrai qu'à présent ledit cardinal n'a pas grand crédit sur ce point, n'ayant pas réussi aux promesses positives qu'il avoit faites que le duc de Lorraine entreroit en ce pays, moyennant ce qu'il avoit arrêté avec Plessis Besançon...»--Mme de Chevreuse correspondait aussi de Liége avec les mécontents de l'intérieur comme on le voit par une lettre de Mazarin du 28 septembre de cette même année 1645 à l'abbé de La Rivière, _ibid._, fol. 453: «J'ai souvent eu les mêmes avis que vous me donnez de la correspondance des Importans avec la dame dont vous m'écrivez. Nous nous en entretiendrons à notre première vue.» L'avantage demeura à Mme de Chevreuse. Son ascendant sur le duc de Lorraine, né de l'amour, mais lui survivant, et plus fort que toutes les nouvelles amours de ce prince inconstant, le retint au service de l'Espagne, et fit échouer les projets de Mazarin. Peu à peu elle redevint l'âme de toutes les intrigues qui se formaient contre le gouvernement français. Elle ne le combattait pas seulement au dehors; elle lui suscitait au dedans des difficultés sans cesse renaissantes. Entourée de quelques émigrés ardents et opiniâtres, entre autres du comte de Saint-Ybar, un des hommes les plus résolus du parti, elle soutenait en France les restes des Importants, et partout attisait le feu de la sédition. Passionnée et maîtresse d'elle-même, elle gardait un front serein au milieu des orages, en même temps qu'elle déployait une activité infatigable pour surprendre les côtés faibles de l'ennemi. Se servant également du parti protestant et du parti catholique, tantôt elle méditait une révolte en Languedoc, ou un débarquement en Bretagne; tantôt, au moindre symptôme de mécontentement que laissait échapper quelque personnage considérable, elle travaillait à l'enlever à Mazarin. En 1647, son œil perçant discerna au sein même du congrès de Münster des signes de mésintelligence entre l'ambassadeur français le duc de Longueville et le premier ministre, qui en effet ne s'entendaient guère[340], et elle a la triste gloire d'avoir dès lors fondé de trop justes espérances sur l'ambition mal réglée et l'humeur mobile du duc d'Enghien, tout récemment devenu prince de Condé[341]. [340] Voyez LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chapitre IV, p. 288, et p. 321-326. [341] Une pièce de la dernière importance et qui jette un grand jour sur toutes les intrigues de Mme de Chevreuse en 1646 et 1647, et aussi sur l'état des esprits en France à la veille de la Fronde, et sur l'ambition inquiète qui avait pénétré dans la maison de Condé, c'est un mémoire d'un agent espagnol, que nous avons déjà rencontré dans l'affaire du comte de Soissons, l'abbé de Mercy, mémoire adressé au gouvernement des Pays-Bas, et où l'abbé montre tout ce que pourraient contre Mazarin, Saint-Ybar et surtout Mme de Chevreuse, s'ils étaient mieux soutenus. Cette pièce est intitulée: _Mémoire sur ce qui s'est négocié et traité au voyage de l'abbé de Mercy en Hollande entre lui, le comte de Saint-Ybar et Mme la duchesse de Chevreuse_. La pièce est datée du 27 septembre 1647, et signée P. Ernest de Mercy. Elle fait partie des papiers de la secrétairerie d'État espagnole qui se trouvent dans les archives générales du royaume de Belgique à Bruxelles. Voyez l'APPENDICE, notes sur le chapitre VII, _Mme de Chevreuse en Flandre_. Le temps fait un pas, et en 1648 la conspiration, qui depuis tant d'années était pour ainsi parler en permanence, cherchant de tous côtés, au dedans et au dehors, une occasion favorable, la trouve enfin et éclate à Paris, le lendemain même de cette victoire de Lens qui portait un si terrible coup à la puissance espagnole et nous valut le traité de Westphalie. Ailleurs[342], nous nous sommes suffisamment expliqué sur la Fronde, sur ses causes générales et particulières, sur son caractère véritable; nous lui avons ôté son masque, s'il est permis de le dire: nous avons fait voir quelle elle est et d'où elle vient, et qu'au lieu de la prendre pour le premier élan de l'esprit nouveau, il la faut considérer comme le suprême effort de l'esprit ancien pour ramener en arrière la monarchie vers un passé mal défini[343], où l'aristocratie se complaisait à asseoir l'idéal de la vraie constitution de la France, parce qu'elle y contemplait l'image de l'anarchique domination qu'elle avait jadis exercée, et dont elle rêvait le retour. Ici, nous avons la confiance que, si on a suivi avec un peu d'attention le cours de cette histoire, on reconnaîtra, sans la moindre difficulté et avec la plus parfaite évidence, que la Fronde est tout simplement la dernière et la plus considérable des révoltes que nous avons racontées, depuis celle qui s'éleva contre Luynes, en 1620, jusqu'à celle des Importants en 1643: même fin, mêmes moyens, et nous pourrions presque dire mêmes personnages. La fin est celle que Mme de Chevreuse marquait elle-même au mois d'août 1643, lorsqu'elle disait aux Importants, pour les exciter à frapper Mazarin, que sans ce coup de main leurs affaires iraient mal, et que «les grands n'auraient pas plus d'indépendance qu'auparavant»: langage assez clair, assez significatif, ce semble[344]. Les moyens sont toujours la ligue des grands seigneurs, protestants et catholiques, la connivence volontaire ou forcée du Parlement, surtout l'appui de l'étranger. L'espoir de cet appui est en quelque sorte le fond commun de toutes les entreprises que couronne la Fronde. En 1620, la reine mère et la comtesse de Soissons, le duc de Nemours, le duc de Longueville, les Vendôme s'entendaient avec le duc de Savoie. En 1626, le duc d'Orléans, le comte de Soissons, le maréchal Ornano, le duc et le grand prieur de Vendôme, comptaient sur la Savoie et sur l'Angleterre[345]. En 1632, l'Espagne était derrière l'insurrection de Montmorency et du duc d'Orléans. En 1641, le comte de Soissons et le duc de Bouillon étaient d'intelligence avec l'Espagne et l'Empire; Retz était venu de Paris en Flandre pour conférer avec don Miguel de Salamanca et le colonel de Metternich, et il y avait des régiments autrichiens à la Marfée. En 1642, le duc d'Orléans, Cinq-Mars et Bouillon avaient un traité signé avec la cour de Madrid. En 1643, toute la politique des Importants reposait sur l'alliance espagnole dont ils se croyaient assurés. De même, en 1648, dès les premiers jours, Retz et Bouillon entrent en communication avec l'Espagne; le Parlement, qui vient de refuser audience à un messager du roi, reçoit sur les fleurs de lis un envoyé de l'archiduc, introduit par un prince du sang[346], et il applaudit à ses flatteries. Tour à tour, Bouillon, Turenne, Condé, deviennent et demeurent plus ou moins longtemps des généraux espagnols. Maintenant, si des choses on en vient aux hommes, et si on examine bien ceux qui figurent aux premiers rangs de la Fronde, on sera frappé de voir qu'excepté Condé et Turenne, jusqu'alors étrangers aux intrigues politiques, et qui n'y entrent, contre leur intérêt et leur génie, qu'entraînés, l'un par sa sœur, l'autre par son frère, tous les autres ont déjà passé sous nos yeux et pris part aux divers complots que nous avons traversés sur les pas de Mme de Chevreuse. Ceux-là seuls manquent à ce rendez-vous général des factieux de tous les temps depuis la mort d'Henri IV, que la prison, l'exil ou l'échafaud ont dévorés. Voilà bien leur chef accoutumé, l'incertain duc d'Orléans, qu'attire et épouvante le fantôme de l'autorité souveraine; poussé par la vanité jusqu'au seuil de l'usurpation, et se laissant très-bien nommer, par un parlement asservi, lieutenant général du royaume, mais incapable de soutenir un tel personnage, retombant bien vite de la témérité dans la peur, et tenant toujours quelque bassesse en réserve pour se tirer d'embarras. A défaut du grand prieur de Vendôme, mort avec Ornano dans les cachots de Vincennes, la Fronde ramène sur la scène le duc de Vendôme lui-même, le plus vieux conspirateur de France, qui a conspiré contre le maréchal d'Ancre, contre Luynes, contre Richelieu, contre Mazarin. A côté de lui est son fils cadet, le duc de Beaufort, celui que nous avons vu, en 1643, tenter à plusieurs reprises d'assassiner Mazarin; échappé de prison en 1648, il se donne pour une victime du despotisme, et se fait le héros de la populace. Si le comte de Soissons et le grand écuyer Cinq-Mars ne sont plus, leur complice est là qui les continue: après avoir combattu Richelieu à la Marfée, Bouillon, avec son frère Turenne, combat encore à outrance son successeur, à Paris, à Bordeaux, à Stenay, à Rethel; sauf à finir, s'il y trouve son compte, par s'accommoder avec lui et par le servir, avec la même vigueur et plus de succès, à Bleneau et au faubourg Saint-Antoine. Châteauneuf avait osé lutter en secret contre Richelieu; il aspire ouvertement à remplacer Mazarin. Sans doute l'éclat de La Rochefoucauld dans la Fronde lui vient de Mme de Longueville; mais ce n'est pas elle qui l'y a jeté; c'est lui au contraire qui a entraîné la sœur de Condé dans la route qu'il suivait depuis longtemps. Sa conduite dès 1637, ses menées équivoques en 1642, son opposition à la faveur naissante de Mazarin, ses prétentions contenues et dissimulées, mais au fond très-vives et mal satisfaites, tout destinait le discret Important de 1643 à devenir l'un des chefs des Frondeurs. Enfin nous connaissons Retz: lui-même a pris soin de nous apprendre ce qu'il avait imaginé et tenté bien avant 1648. Quand à vingt-cinq ans on a conçu l'idée d'assassiner un cardinal à l'autel; quand on a pu tramer avec des prisonniers, au sein même de la Bastille, le complot le plus extraordinaire pour appuyer dans Paris, par une révolte habilement concertée, l'insurrection du comte de Soissons; quand, à force d'activité, d'adresse et d'audace on a su être à la fois dans la même semaine, à Sedan avec Soissons et Bouillon, en Flandre avec des ministres et des généraux étrangers, à l'archevêché avec des curés et des officiers de la milice bourgeoise, dans la chaire de Notre-Dame et aussi dans plus d'un boudoir, on n'est certes pas un novice dans l'art des conspirations, et on est préparé à tout entreprendre à la cour, au parlement, sur la place publique, afin de se frayer une route au cardinalat et de là au ministère[347]. [342] Voyez les dernières pages de LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, et Mme DE LONGUEVILLE PENDANT LA FRONDE, surtout chapitre IV. [343] Plus haut, chap. V, p. 215, nous avons vu La Rochefoucauld vanter Châteauneuf comme «plus capable que nul autre de rétablir l'ancienne forme de gouvernement que le cardinal de Richelieu avoit commencé à détruire.» Mais La Rochefoucauld oublie de nous dire quelle était cette ancienne forme de gouvernement qu'il s'agissait de rétablir. En indiquant Richelieu comme celui qui a commencé à la détruire, il semble la placer sous Henri IV; mais si telle était sa pensée, il ne pouvait se tromper davantage, car c'est précisément Henri IV qui a commencé l'œuvre de Richelieu. Il faut donc remonter plus haut. Retz l'a bien senti, et pour retrouver cette ancienne et libre constitution de la France dont il prétend qu'il poursuivait le rétablissement, il erre à travers l'histoire, et il est forcé de reculer jusqu'au moyen âge, car il avoue que Richelieu reçut cette constitution altérée et corrompue depuis très longtemps, et il ne l'accuse que «d'avoir fait un fond de toutes les mauvaises intentions et de toutes les ignorances des _deux derniers siècles_.» _Mémoires_, t. Ier, livre II, etc. Or, on sait de quelle heureuse et libérale constitution jouissait la France deux siècles avant le XVIIe. [344] Voyez plus haut, chap. V, p. 235. [345] Voyez plus haut, chap. II, p. 64. [346] LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. IV, p. 338. [347] Sur tous les personnages ici indiqués, voyez LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, etc., et MME DE LONGUEVILLE PENDANT LA FRONDE. Au bruit des premiers mouvements et des succès croissants de la Fronde, Mme de Chevreuse se serait hâtée d'accourir à Paris, si l'armée royale, qui en faisait le siége, ne lui en eût barré le chemin. Elle se vit donc forcée de rester encore quelque temps en Flandre, et c'est à ce retard involontaire qu'elle doit d'avoir rencontré à Bruxelles celui qui devait fixer à jamais son cœur et lui être un dernier ami. Le marquis Geoffroi de Laigues, gentilhomme de Limoges, pauvre mais ambitieux, qui venait de se démettre de sa compagnie des gardes pour se donner tout entier aux Frondeurs, avait été envoyé par eux dans les Pays-Bas, au commencement de 1649, afin de traiter en leur nom avec l'Espagne. Retz assure que Montrésor, lorsque Laigues quitta Paris, l'engagea, dans l'intérêt de la cause commune, à tâcher de plaire à Mme de Chevreuse, toute-puissante sur le gouvernement espagnol. Quoi qu'il en soit de cette anecdote[348], il est certain que Laigues se prit d'une admiration passionnée pour l'illustre exilée, qui sans doute avait perdu cette beauté célèbre, victorieuse de tant de cœurs, mais qui conservait encore bien des attraits[349], relevés par l'éclat d'une haute position et de talents du premier ordre. Laigues était jeune, un peu fat et d'un esprit assez médiocre, du moins au jugement de Retz[350], mais d'une figure, d'une bravoure, d'un dévouement à racheter plus d'un défaut. Mme de Chevreuse se laissa aimer, et tous deux finirent par s'attacher si bien l'un à l'autre, qu'ils ne se quittèrent plus. On dit même, pour épuiser ici ce dernier épisode de la vie intime de Mme de Chevreuse, qu'à la mort de son mari, en 1657, elle s'unit à Laigues par un de ces mariages de conscience alors assez à la mode[351]. [348] _Mémoires_, t. Ier, Voilà l'unique fait, plus ou moins sûr, d'où Retz tire cette belle conclusion qui fait autant d'honneur à sa logique qu'à sa délicatesse: «Qu'il n'étoit pas difficile de donner un amant à Mme de Chevreuse, de partie faite.» Voyez plus haut, chap. Ier, p. 14. [349] Retz, qui, comme nous l'avons déjà fait remarquer, chap. Ier, p. 15, finit par détester Mme de Chevreuse, parce qu'elle refusa de le suivre dans les derniers et extravagants projets dont nous parlerons tout à l'heure, prétend qu'en 1649 elle n'avait plus même de restes de beauté; cela ne se peut, car elle en avait encore en 1657, comme on le voit par le portrait de Ferdinand, gravé par Balechou, dans l'_Europe illustre_ d'Odieuvre, où elle est représentée en veuve, avec une figure si fine, si expressive, si distinguée. [350] _Mémoires_, _ibid._: «Laigues qui avoit une grande valeur, mais peu de sens et beaucoup de présomption.» [351] _Mémoires du jeune Brienne_, par M. Barrière, t. II, chap. XIX, p. 178: «Le marquis de Laigues qui certainement étoit mari de conscience de la duchesse.» Dans les premiers mois de 1649, et tant que dura la guerre de Paris, elle resta en Flandre, y tenant en quelque sorte le rang d'ambassadrice de la Fronde. Elle n'eut pas de peine à faire comprendre à l'Espagne de quel suprême intérêt il lui était de favoriser une insurrection qui semblait faite exprès pour elle, et venait à propos arrêter l'essor de la France et sauver Bruxelles et les Pays-Bas. Mais elle eut besoin de toute son autorité pour triompher de la lenteur espagnole, et décider l'archiduc à envoyer à Paris un agent habile, qui sût engager doucement le parlement dans la guerre civile sans qu'il s'en doutât, et animer les chefs et les généraux du parti, en leur promettant des subsides et des soldats. Elle fit plus: elle obtint qu'on assemblerait au plus vite une petite armée qui, sous le commandement du comte de Fuensaldagne, irait faire sa jonction, vers la Picardie et la Champagne, avec l'armée d'Allemagne que Turenne devait soulever et mener à ce rendez-vous. En même temps, elle avait persuadé au duc de Lorraine que l'occasion était unique pour venger ses injures et réparer ses malheurs. Charles IV avait promis de se mettre à la tête des troupes qui lui restaient et que soudoyait l'Autriche, et d'aller se réunir à Turenne et à Fuensaldagne. En sorte que tous les trois, concertant leurs mouvements, devaient faire de leurs divers corps une masse irrésistible, la lancer sur la capitale, percer l'armée royale disséminée autour de ses murs, et venir à Paris donner la main à la Fronde et dicter des lois à la reine. Mme de Chevreuse se croyait assurée du succès; elle se proposait d'accompagner Fuensaldagne, et déjà son arrivée triomphante était annoncée à Paris dans une brochure d'un titre pompeux: _l'Amazone françoise au secours des Parisiens, ou l'approche des troupes de Mme la duchesse de Chevreuse_[352]. L'entreprise était hardie et bien conçue: elle échoua, le principal ressort sur lequel on comptait ayant manqué. En vain Turenne s'efforça d'entraîner dans sa révolte l'armée d'Allemagne qu'il commandait: Mazarin et Condé la lui disputèrent, et parvinrent même à lui enlever, par des largesses faites à propos, cette fameuse cavalerie weymarienne qui semblait appartenir au grand capitaine, et qui, sous lui, avait tant contribué à la victoire de Nortlingen. Turenne, abandonné par d'Erlach et par tous les généraux, put à peine s'échapper avec quelques officiers. Cet échec inattendu arrêta le duc de Lorraine; et bientôt la paix précipitée de Ruel, en désarmant pour quelque temps la Fronde, ôta à Fuensaldagne tout prétexte d'intervenir. C'est à l'ombre de cette paix, ou plutôt de cette trêve, que Mme de Chevreuse revint à Paris au milieu d'avril 1649. [352] Cette mazarinade est si peu connue que nous en donnerons ici une idée. Comme presque toutes les mazarinades elle est in-4º; elle n'a pas plus de huit pages. «_A Paris, chez Jean Henault, au palais, dans la salle Dauphine, à l'Ange Gardien. MDCXLIX. Avec permission._» On y fait un éloge emphatique et pédantesque de la naissance, de l'héroïsme et de la beauté de Mme de Chevreuse. «La beauté du corps est souvent un indice de la beauté de l'âme, pour ce que de la qualité du tempérament se forme la qualité des coutumes, et que l'excellence de la forme procède en quelque façon de la belle disposition de la matière.»--«Cette princesse, d'un courage inflexible à tous les abaissements de la fortune, et qui n'a jamais voulu plier sous la tyrannie des mauvais favoris, ne veut pas souffrir que nous languissions dans la servitude. Elle s'avance à notre aide, et rassemblant des troupes de toutes parts, elle nous promet sous peu un secours qui ne sera point infructueux. Cet ange de bataille dans l'armée des bons Français s'apprête à se couronner de lauriers que nous moissonnerons ensemble. Plusieurs ont assemblé des richesses pour relever leur fortune; mais cette princesse, qui ne tire la sienne que de sa naissance, alliée aux royales maisons de France, de Navarre, de Milan et de Bretagne, ne fait qu'un marchepied de tous ses biens pour monter à la gloire.»--«Chacun suit ses conseils comme des oracles, et tous se rendent sous son étendard. Cette incomparable princesse, ayant appris l'état de nos affaires présentes, après avoir rallié diverses troupes de cavalerie du Barrois et de la Champagne, a, selon les avis que nous en avons reçus, passé déjà la rivière de Somme avec la diligence nécessaire en cette pressante occasion, et s'alliant à l'armée de Monsieur le maréchal de Turenne, nous espérons que par un commun accord de tous les bons François, nous achèverons heureusement ce que nous avons commencé avec tant de justice pour l'intérêt et le repos publics; et nous conjurons le Dieu des armées que cette princesse vive pour reculer nos sépultures, que le ciel lui rende autant de biens qu'elle en fait à la terre, que la France partage sa gloire avec elle, et que les siècles à venir conservent a jamais la mémoire et le nom glorieux de cette amazone françoise sous le nom de Mme la duchesse de Chevreuse.» Elle y retrouva ses anciens et ses récents compagnons d'exil, ses complices de tous les temps, le duc d'Orléans avec sa femme, la belle et ambitieuse Marguerite, la sœur du duc de Lorraine, qu'elle avait vue autrefois à Bruxelles, auprès de la reine mère, alors ennemie déclarée de Richelieu qui voulait faire casser son mariage, et maintenant presque aussi opposée à Mazarin, et agissant auprès de son mari sous l'inspiration et dans l'intérêt de son frère; le duc de Vendôme et le duc de Bouillon qui, comme elle, avait quitté la France après la déroute des Importants; le duc de Beaufort qui restait asservi à Mme de Montbazon, et dont elle pouvait disposer encore; La Rochefoucauld, toujours inquiet, incertain et mécontent malgré une illustre conquête; son ami Chateauneuf conservant sous les glaces de l'âge tous les feux de l'ambition, et plus impatient que jamais de ressaisir le pouvoir; enfin dans des rangs secondaires Alexandre de Campion, Montrésor, Saint-Ybar et bien d'autres qui s'empressèrent de lui faire cortége. Retz était le seul homme supérieur du parti qu'elle ne connût pas; elle le rechercha, et si l'on en croit Retz, aussi avantageux en galanterie qu'en politique, la belle Charlotte de Lorraine, qu'une vie errante et de tristes exemples avaient trop disposée aux aventures, leur devint un étroit lien. Mme de Chevreuse n'avait guère alors moins de cinquante ans. Son cœur était au repos dans une dernière et sérieuse affection. L'expérience avait mis le sceau à ses grandes qualités; son génie était alors dans toute sa force: elle n'avait rien perdu de sa clairvoyance, de sa décision, de son audace, et l'âge l'avertissait qu'elle n'avait plus de fautes à faire, de disgrâces et d'exils à braver, qu'il lui fallait à tout prix réussir, établir solidement sa fortune et sa destinée. Elle mit donc son énergie naturelle sous la conduite de cette mâle et forte prudence qui n'a rien à voir avec la timidité des âmes faibles, et qui n'appartient qu'aux grands courages éclairés et mûris par le temps. On n'attend point que nous suivions pas à pas Mme de Chevreuse et nous engagions nous-même dans le dédale des intrigues de la Fronde. Ce serait une tâche trop étendue. Disons seulement ici que Mme de Chevreuse joua un des principaux rôles dans ce dernier acte du long drame des conspirations des grands au XVIIe siècle. Attachée au fond du parti et à ses intérêts essentiels, elle le dirigea constamment à travers bien des écueils, avec un admirable mélange de vigueur et d'adresse qui lui donne une place éminente parmi les politiques de cette grande époque. Elle est l'auteur du seul plan qui, selon nous, aurait pu sauver la Fronde, et la justifier en fondant un gouvernement aristocratique en France dans des conditions raisonnables. Mazarin qui, en 1643, s'était habilement servi, comme nous l'avons montré[353], de l'ambition des Condé contre celle des Vendôme et de leurs amis les Importants, avait eu recours, à la fin de 1649, à une manœuvre à peu près semblable. Fatigué de la protection altière du vainqueur de l'insurrection parisienne, il s'était en secret réconcilié avec les vaincus; et Mme de Chevreuse, avec son ferme bon sens, avait très-bien vu qu'il fallait par-dessus tout séparer Mazarin et Condé, et n'avoir pas sur les bras deux pareils ennemis à la fois. Elle n'avait donc pas hésité à répondre aux avances de Mazarin, et elle l'avait aidé à mettre impunément la main sur le héros de Rocroy et de Lens, et à l'envoyer remplacer Beaufort à Vincennes. Mais une fois délivré du joug de M. le Prince, le cardinal avait trouvé fort pesant celui de ses nouveaux alliés; il ne s'était pas piqué de tenir ses engagements, et, s'égarant dans ses propres finesses, s'abusant sur sa force et sur celle de ses adversaires, il avait tenté de se retourner contre la Fronde, et de la dominer à son tour. Il avait affaire à une personne digne de lui tenir tête, et qui ne tarda pas à lui faire payer cher sa faute. Mme de Chevreuse comprit vite que Mazarin lui échappait, et se retournant aussi contre lui avec sa promptitude ordinaire, elle prêta l'oreille aux amis de Condé, et proposa à la princesse Palatine, Anne de Gonzague, qui négociait, en leur nom, une combinaison où sans doute elle trouvait son compte, mais qui était aussi dans l'intérêt général du parti, et assurait son triomphe en mettant en commun toutes ses forces. Il s'agissait de former une véritable ligue aristocratique, sous les auspices des deux premiers princes du sang, le duc d'Orléans et Condé, inséparablement unis, appelant à eux tous les grands du royaume depuis trop longtemps divisés, ralliant par là la meilleure partie de la noblesse française, et composant, de leurs amis les plus capables, un ministère puissant, auquel le parlement devait prêter son concours. Le nœud de cette combinaison était le double mariage du petit duc d'Enghien avec une des filles du duc d'Orléans, et du jeune prince de Conti avec Mlle de Chevreuse. La Palatine, que Retz ne craint pas d'égaler à la reine Élisabeth d'Angleterre dans le gouvernement d'un État, et que nous comparons plus volontiers à Mazarin pour le le génie diplomatique, approuva la proposition de Mme de Chevreuse, et s'empressa de la transmettre à Mme de Longueville, alors enfermée dans Stenay avec Turenne après la perte de la bataille de Rethel, et tout près d'y être assiégée. Celle-ci l'accepta et la fit accepter à ses frères et à son mari à la fin de 1650. Delà, 1º un traité général, donnant satisfaction aux divers intérêts engagés dans la Fronde, et constituant la ligue dont nous avons parlé; 2º deux traités particuliers pour les deux mariages qui en étaient la condition et la garantie. Ces trois traités furent conclus et signés le 30 janvier 1651[354]; et grâce aux fortes manœuvres de Mme de Chevreuse, secondée par le duc d'Orléans et par Retz, au milieu de février, une tempête soudaine et irrésistible emportait Mazarin dans l'exil et faisait sortir les Princes de prison. Alors se leva l'espérance de jours heureux pour la Fronde. Elle était victorieuse sans que l'autorité royale fût avilie; l'aristocratie prenait les rênes de l'État en donnant la main au parlement; et, comme nous l'avons dit ailleurs[355], «le duc d'Orléans à la cour auprès de la reine et du jeune roi, Condé, Bouillon et Turenne à la tête des armées, Châteauneuf dans le cabinet, Molé dans le parlement, Beaufort sur la place publique, et derrière la scène Mme de Chevreuse, la Palatine et Mme de Longueville les dirigeant et les unissant tous, sans parler de Retz qu'on faisait cardinal en attendant le ministère; c'était assurément là un plan qui fait le plus grand honneur aux fermes esprits qui l'avaient conçu.» Trois mois n'étaient pas écoulés que l'habileté de la reine Anne, inspirée de loin et conduite par Mazarin, renversait tout ce plan en faisant rompre l'engagement sur lequel il reposait[356]; Mme de Chevreuse, profondément blessée dans son orgueil et dans ses intérêts de mère et de chef de parti, se séparait à jamais des Condé; et tandis qu'eux-mêmes se brouillaient peu à peu avec la cour, elle leur ôtait aussi l'appui du duc d'Orléans, du parlement, d'une grande partie de la Fronde, et ne leur laissait que la ressource désespérée de la guerre civile. Puis, se rapprochant de la reine, profitant de son aversion pour M. le Prince et de l'absence de Mazarin, plus heureuse qu'en 1643, elle lui persuada enfin de rappeler Châteauneuf dans ce poste de garde des sceaux qu'un amour insensé lui avait fait perdre et qu'une amitié fidèle et infatigable lui rendit. Châteauneuf, une fois garde des sceaux, devint bientôt l'âme du cabinet; il y déploya un sens, une résolution, une vigueur qui firent bien voir que Mme de Chevreuse ne s'était pas trompée, et n'avait pas trop présumé de la capacité de son ami en l'opposant tour à tour aux deux grands cardinaux. Entre ses mains fermes et habiles, le gouvernement reprit une force nouvelle. L'armée royale, bien payée, bien commandée, et rapidement lancée sur la trace de Condé, lui enleva le Berri, Bourges, Montrond, et le poursuivit dans la Saintonge et dans la Guyenne. Un rival de Mazarin s'élevait. Celui-ci le sentit, et, sous le prétexte d'apporter à la reine le renfort des troupes qu'il venait de rassembler en Allemagne, il rompt son ban, mène en toute hâte sa petite armée à travers mille périls des bords du Rhin jusqu'à Poitiers où la cour s'était avancée, et là, retrouvant tout entière l'affection d'Anne d'Autriche, il ne tarde pas à ressaisir son autorité et son rang. Châteauneuf, après avoir été le premier, ne se résigna pas à être le second, et, satisfait d'avoir revu quelque temps le pouvoir et honoré par une mâle conduite les derniers jours de force et de vie que lui avait donnés l'ambition, il se retira à propos pour lui-même et pour Mazarin[357]. [353] Chapitre V. [354] Nous avons retrouvé et publié l'un des deux exemplaires originaux du traité général, avec les signatures authentiques, et donné aussi les deux traités particuliers, Mme DE LONGUEVILLE PENDANT LA FRONDE, chap. Ier, et _Appendice_, notes du chap. Ier, p. 371-384. Nous reproduisons ici le traité pour le mariage de Mlle de Chevreuse avec Armand de Bourbon, prince de Conti. «Messieurs les princes de Condé et de Conty, et Monsieur et Madame de Longueville, recognoissant combien leur union avec son Altesse Royale leur est honorable et advantageuse au public, et que les alliances peuvent beaucoup servir à l'affermir, nous ont conviée, Anne de Gonzague, princesse Palatine, de faire trouver bon à son Altesse Royale que M. le prince de Conty recherchast en mariage Mlle de Chevreuse qui a l'honneur d'estre de la maison de Mme la duchesse d'Orléans, et honorée particulièrement de la bienveillance de Son Altesse; ce qui ayant été agréé par sadite Altesse et receu avec respect par Mme de Chevreuse, nous, princesse palatine, promettons au nom et en vertu du pouvoir que nous avons de Messieurs les princes et de Mme de Longueville, et engageons la foy et l'honneur de M. le prince de Conty, que, sitôt qu'il sera en liberté, il passera les articles qui seront trouvés raisonables entre luy et Mlle de Chevreuse, et l'épousera en face de nostre mère sainte Église, et avons déclaré que M. le Prince, M. et Mme de Longueville ont aussy trouvé bon que nous engageassions leur foy et leur honneur qu'ils consentiront, agréeront et approuveront ledit mariage; et pour la validité de cest article, il a esté signé par son Altesse Royale d'une part, et Mme la princesse Palatine, d'autre; et Mme de Chevreuse y est intervenue; et a esté signé en double.--Fait le 30 janvier 1651, GASTON, ANNE DE GONZAGUE, MARIE DE ROHAN.» [355] LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE AU XVIIe SIÈCLE, chap. Ier, p. 54. [356] Voyez les détails de cette intrigue obscure et compliquée dans le Ier chap. de Mme DE LONGUEVILLE PENDANT LA FRONDE. [357] Châteauneuf fut garde des sceaux un peu plus d'une année, de mars 1650 jusqu'en avril 1651. Il mourut en 1653 à l'âge de soixante-treize ans. On voyait autrefois son tombeau et celui de sa famille dans la cathédrale de Bourges; il n'y reste plus que sa statue en marbre avec celle de son père Claude de l'Aubespine et de sa mère Marie de La Châtre, de la main de Philippe de Buister. Ici éclatent les divisions qui ont amené la ruine de la Fronde à travers une déplorable succession de fautes et de crimes. Aveuglé par une présomption opiniâtre, jugeant mal et le temps et la situation et les hommes, Retz s'obstine à poursuivre le rêve de toute sa vie, le cardinalat, puis le ministère[358]; et ayant surpris l'un par des prodiges d'adresse, il croit pouvoir conquérir l'autre par des prodiges d'audace; il persiste à vouloir et à chercher un gouvernement entre Mazarin et Condé, avec un peuple et un parlement fatigués et l'incapable duc d'Orléans. L'instinct politique et le coup d'œil exercé de Mme de Chevreuse la sauvèrent d'une telle erreur. Elle reconnut qu'en temps de révolution un tiers parti est une chimère, et qu'au fond tout sérieux appui manquait à l'entreprise du nouveau cardinal. Elle ne mettait pas son courage à tenter l'impossible. Pour résister encore à Mazarin avec quelques chances de succès, il eût fallu se donner sans retour et sans réserve à Condé qui avait au moins son épée et l'Espagne, mais elle ne le voulait pas. Elle sentait d'ailleurs autour d'elle et en elle-même que la fièvre de la Fronde était passée, et qu'après tant d'agitations un pouvoir solide et durable était le premier besoin de la France. Elle voyait bien dans Mazarin les défauts qui avaient tant choqué les instincts héroïques de Condé et de sa sœur comme l'esprit élevé de Retz, et qui encore aujourd'hui obscurcissent auprès de la postérité l'importance de ses services et le mettent au-dessous de Richelieu que la grandeur n'abandonne jamais; mais elle ne fermait pas les yeux à ses rares qualités: elle était frappée de sa prodigieuse puissance de travail, de sa constance, de sa pénétration, de son habileté à traiter avec les hommes. Il avait aussi pour elle un mérite immense: il était heureux; il était évidemment inséparable de la reine et par conséquent du roi; il était nécessaire. Mme de Chevreuse fit donc comme la Palatine et Molé: sans avoir un grand goût pour Mazarin, elle s'y résigna, le supporta d'abord, puis le servit. [358] Qu'il me soit permis de détacher ici de notre ouvrage sur Mme DE LONGUEVILLE PENDANT LA FRONDE, chap. Ier, le portrait suivant de Retz, qui n'est pas un portrait de fantaisie: «Né plus remuant encore qu'ambitieux, mauvais prêtre, impatient de son état, et s'étant longtemps agité pour en sortir, Paul de Gondy s'était formé aux cabales en composant ou traduisant la vie d'un conspirateur célèbre; puis passant vite de la théorie à la pratique, il était entré dans un des plus sinistres complots ourdis contre Richelieu, et pour son coup d'essai il avait fait la partie, lui jeune abbé, d'assassiner le cardinal à l'autel pendant la cérémonie du baptême de Mademoiselle. En 1643, il n'eût pas manqué de se jeter parmi les Importants, mais le titre de coadjuteur de Paris qu'on venait de lui accorder en récompense des services et des vertus de son père l'arrêta. La Fronde semblait faite tout exprès pour lui. Il en fut un des pères avec La Rochefoucauld. En vain, dans ses mémoires, il met en avant des considérations générales: il ne travaillait que pour lui-même, ainsi que La Rochefoucauld, lequel du moins a la bonne foi d'en convenir. Forcé de rester dans l'Église, Retz voulait y monter le plus haut possible. Il aspirait au chapeau de cardinal; il l'obtint bientôt, grâce à d'incroyables manœuvres; mais son objet suprême était le poste de premier ministre, et pour y parvenir voici le double jeu qu'il imagina et qu'il joua jusqu'au bout. Voyant que Mazarin et Condé n'étaient pas des chefs de gouvernement qui pussent laisser à d'autres à côté d'eux une grande importance, il entreprit de les renverser l'un par l'autre, de faire sa route entre eux deux, et d'élever sur leur ruine le duc d'Orléans sous le nom duquel il eût gouverné. C'est pourquoi il poussait incessamment et le duc d'Orléans et le Parlement et le peuple à exiger, comme la première condition de tout accommodement avec la cour, le renvoi de Mazarin; et en même temps il se portait dans l'ombre comme un bienveillant conciliateur entre la royauté et la Fronde, promettant à la reine, le sacrifice indispensable accompli, d'aplanir toutes les difficultés et de lui donner Monsieur en le séparant de Condé. Tel est le vrai ressort de tous les mouvements de Retz en apparence les plus contraires: d'abord le cardinalat, puis le ministère sous les auspices du duc d'Orléans associé en quelque sorte à la royauté, sans Mazarin ni Condé. Il a beau envelopper son secret d'un voile de bien public, ce secret éclate par les efforts mêmes qu'il fait pour le cacher, et il n'a pas échappé à la pénétration de La Rochefoucauld, son complice au début de la Fronde, puis son adversaire, qui l'a parfaitement connu et l'a peint de main de maître, comme aussi Retz a très-bien connu et peint admirablement La Rochefoucauld. Retz a été le mauvais génie de la Fronde: il l'a toujours empêché d'aboutir, soit avec Mazarin, soit avec Condé, parce qu'il ne voulait qu'un gouvernement faible où il pût dominer. Pour arriver à son but, il était capable de tout: intrigues souterraines, pamphlets anonymes, sermons hypocrites dans la chaire sacrée, discours étudiés au parlement, émeutes populaires et coups de main désespérés, etc.» Comme on le pense bien, Mazarin s'empressa de mettre à profit les nouvelles dispositions de Mme de Chevreuse. Ainsi que Richelieu, il ne l'avait jamais combattue qu'à regret; il connaissait tout ce qu'elle valait, ce qu'elle avait fait, ce qu'elle pouvait faire encore. Il savait que c'était elle qui, en 1643, avait armé contre lui Beaufort, qu'en 1650 elle avait inventé le plan le plus redoutable qui ait jamais menacé sa fortune, l'indissoluble union de ses plus grands ennemis, qu'en 1651 elle avait tiré les Princes de prison et l'avait contraint lui-même à prendre le chemin de l'exil. Alors il lui avait rendu guerre pour guerre, il n'avait rien négligé pour la perdre, il ne lui avait épargné ni l'injure, ni même la calomnie[359]. Mais dès qu'il put espérer de l'adoucir et de la gagner, il l'entoura de soins et d'hommages, rechercha ses conseils, et se trouva souvent fort heureux de les suivre[360]. Elle lui acquit en secret le duc de Lorraine, sur lequel son influence resta toujours la même, et il n'est pas difficile de reconnaître sa main cachée derrière les mouvements divers et souvent contraires de Charles IV à la fin de la Fronde. Redevenue l'amie d'Anne d'Autriche, et étroitement unie à Mazarin, elle concourut aux triomphes de la royauté et elle en prit sa part: elle rétablit les affaires de sa maison, et travailla efficacement à la fortune de tous les siens, parmi lesquels elle mit toujours au premier rang le marquis de Laigues[361]. [359] _Lettres du cardinal Mazarin à la Reine, à la Princesse palatine, etc., écrites pendant sa retraite hors de France en 1651 et 1652, etc., par_ M. RAVENEL. Dans les deux premières lettres, Mazarin exaspéré rassemble tout ce qui se peut dire de vrai et aussi d'exagéré contre Retz et Mme de Chevreuse alors parfaitement unis. [360] Voyez à la Bibliothèque impériale, fonds Gaignière, no 2799, un Recueil inédit de lettres autographes et chiffrées de Mazarin à l'abbé Fouquet, frère du futur surintendant, où Mazarin demande sans cesse l'opinion et les bons offices de Mme de Chevreuse. [361] Aussi l'exigeante et ombrageuse comtesse de Maure lui reproche-t-elle plus d'une fois de garder son crédit pour M. de Laigues. Mme DE SABLÉ, _Appendice XXII_, p. 504-505. Voyez aussi à la Bibliothèque impériale, Saint-Germain françois, no 709, t. XLVI, p. 91, lettre de Mme de Chevreuse au chancelier Séguier, avril 1668, où elle lui recommande une affaire de M. de Laigues contre Mme de Nouveaux--Parmi les grâces que Mme de Chevreuse sollicita, la plus singulière est celle d'une sorte de suzeraineté sur les îles de la Martinique, qu'elle se proposait d'acquérir. Voilà du moins ce qui résulte de la pièce suivante, archives des affaires étrangères, registres d'Amérique: «_Mémoire de Mme la duchesse de Chevreuse pour Son Éminence._» «Au-devant des grandes isles de l'Amérique possédées par les Espagnols, il y en a plusieurs moindres appelées Antilles, à quinze cents lieues de France, pour lesquelles peupler il se forma, en 1626, à Paris, une société ou compagnie à qui le roy en accorda la seigneurie et propriété avec plusieurs beaux droits et priviléges contenus en les lettres de concession du mois de mars 1642. Mais cette compagnie, voyant qu'elle ne pouvoit qu'avec grande peine et beaucoup de frais continuer ainsi qu'elle avoit commencé le peuplement de ces isles, résolut de s'en défaire. Ainsi elle vendit en 1649 celle de la Guadeloupe et autres voisines à monsieur Houël; en 1650 celle de la Martinique et autres en dépendantes à feu monsieur Duparquet, et en 1651 celle de Sainct-Christofle avec les autres restantes à l'ordre de Malthe, auquel le roy a depuis cédé tous ses autres droits royaux à la seule réserve de l'hommage, avec la redevance d'une couronne d'or de mil escus à chaque mutation de roy, ainsi qu'il est plus amplement porté par les lettres patentes du mois de mars 1653. A présent, madame de Chevreuse ayant appris que les enfants de feu M. Duparquet avoient dessein de vendre les isles de la Martinique dont ils sont seigneurs, elle a eu pensée de les achepter en cas qu'il plaise au roy de lui accorder sur lesdites isles, non comprises en la susdite vente faite à l'ordre de Malthe, les mesmes droits qu'elle a accordés audit ordre sur les isles de Sainct-Christofle, et faire que ma dite dame en jouisse à un titre plus honorable et plus relevé que ne font les particuliers qui en sont seigneurs, se soumettant aussi à l'hommage avec quelque redevance à chaque mutation de roy, à y entretenir toujours la religion catholique, apostolique et romaine, à ne les jamais faire passer en d'autres mains que de François et à toutes les autres conditions qu'il plaira à Sa Majesté de lui imposer.» Après la mort de Mazarin, Mme de Chevreuse rend encore un dernier et immense service à sa famille et à la France: elle devina Colbert; elle contribua à son élévation et à la perte de Fouquet[362]; et la fière mais la judicieuse Marie de Rohan donna son petit-fils le duc de Chevreuse, l'ami de Beauvilliers et de Fénelon, à la fille d'un bourgeois de génie, le plus grand administrateur qu'ait eu la France. Parvenue au comble du crédit et de la considération[363], elle se retira peu à peu du monde, et, ainsi que ses deux illustres émules, Mme de Longueville et la princesse Palatine, elle acheva dans une paix profonde la carrière la plus agitée du XVIIe siècle. [362] Mémoires du jeune Brienne, t. Ier, ch. VII, p. 218: «Elle fit alliance avec les Colbert et maria son petit-fils à la fille d'un homme qui n'auroit jamais cru, dix ans auparavant, faire ses filles duchesses. Il fallut écraser pour cela le pauvre M. Fouquet; elle le sacrifia sans scrupule à l'ambition de son compétiteur. Je raconterai bientôt cette intrigue avec des particularités nouvelles. Mme de Chevreuse la conduisit avec ardeur; c'est la dernière action de sa vie.» _Ibid._, t. II, ch. IV, p. 178: «La duchesse de Chevreuse étoit avec le marquis de Laigues à Fontainebleau pour cette affaire (celle de Fouquet). Elle avoit obligé celui-ci à s'allier à M. Colbert le ministre, qui n'étoit même alors que contrôleur des finances... Ayant conservé assez d'ascendant sur l'esprit de la reine mère, elle la fit consentir à la perte de M. Fouquet, quoique Sa Majesté l'aimât, parce qu'il l'avoit toujours bien fait payer de son douaire et des pensions considérables que le roi son fils lui donnoit depuis sa majorité.» A l'appui de ces renseignements, nous trouvons parmi les papiers de Fouquet, qui étaient dans la fameuse cassette et qui sont aujourd'hui conservés dans l'armoire de Baluze à la Bibliothèque impériale, armoire V, paquet 4, no 3, diverses lettres d'un agent secret du surintendant l'avertissant que Mme de Chevreuse travaille contre lui et tâche de lui enlever la protection de la reine mère. Cet agent, qui devait être un seigneur de la cour, avait gagné indirectement le confesseur d'Anne d'Autriche, et c'est par lui qu'il savait les manœuvres de Mme de Chevreuse. Lettre du 21 juillet 1661: «Je n'ai pu rien sçavoir de plus particulier de chez Mme de Chevreuse; mais depuis peu le bonhomme de confesseur est venu ici pour voir la personne dont j'ai eu l'honneur de vous parler autrefois. Il lui a conté tout ce qu'il sçavoit, et entre autres choses lui a dit que depuis quelque temps Mme de Chevreuse lui avoit fait de grandes recherches, qu'elle lui avoit envoyé Laigues plusieurs fois, qu'il lui avoit parlé fort dévotement pour le gagner, mais surtout qu'il lui avoit parlé contre vous, Monseigneur. Je ne m'étendrai pas de quelle sorte, car ce bonhomme a dit qu'il l'avoit conté à M. Pélisson. Il me suffira donc de vous faire sçavoir sur cela que le bonhomme de cordelier se plaint un peu de ce qu'en faisant un éclaircissement à la reine mère, vous l'aviez comme cité, et que lui disant qu'elle alloit à Dampierre parmi vos ennemis et qu'on lui avoit dit des choses contre vous, comme elle nioit qu'on lui eût jamais parlé de la sorte, vous lui dites de le demander au père confesseur; que le lendemain la reine lui avoit dit qu'elle ne pouvoit comprendre comment vous sçaviez toutes choses et que vous aviez des espions partout.» Lettre du 2 août: «Mme de Chevreuse a été ici, et l'on m'a promis de me dire des choses qui sont de la dernière conséquence sur cela, sur le voyage de Bretagne (le voyage de Bretagne et l'arrestation de Fouquet sont du commencement de septembre), sur certaines résolutions très secrètes du roy et sur des mesures prises contre vous.»--Lettre du 4 août: «Mme de Chevreuse, lorsqu'elle fut ici, fut voir deux fois le confesseur de la reine mère. Cependant ce bonhomme cacha cela à M. Pélisson qui l'ayant été voir lui demanda s'il ne l'avoit point vue, ce qu'il lui nia, comme il a dit depuis. Il a encore dit des choses qu'il a données sous un fort grand secret et qui sont de très-grande conséquence. La personne qui les sçait fait difficulté de me les dire, parce que Mme de Chevreuse y est mêlée, et que lui étant aussi proche elle a peine à me les dire.» [363] Nous sommes bien aise de pouvoir compter Mme de Chevreuse parmi les rares personnes qui ont défendu Port-Royal. En 1664, on avait calomnié auprès du roi M. d'Andilli, et il avait été exilé chez son fils, M. de Pompone. Mme DE SABLÉ, _Appendice V_, p. 381 et 382: «Mme de Chevreuse n'était pas plus janséniste que moliniste, mais elle se connaissait en grandeur d'âme, et elle admirait Port-Royal. Son fils, le duc de Luynes, était dévoué au saint monastère et il y avait mis ses filles; c'était Mme de Chevreuse qui était venue elle-même les chercher, lorsqu'on avait fermé les écoles de Port-Royal-des-Champs. Elle prit hautement la défense de d'Andilli et en parla avec force à Louis XIV; noble conduite que nous nous empressons de relever, parce qu'elle fait voir que Mme de Chevreuse a pu faire bien des fautes, mais qu'il lui faut tenir compte aussi de la constante générosité qui l'a toujours mise du côté des opprimés contre les oppresseurs». Suivent diverses lettres de d'Andilli à Mme de Sablé qui nous donnent les détails de cette affaire. On dit qu'elle aussi, sur la fin de ses jours, elle ressentit l'impression de la grâce, et tourna vers le ciel ses yeux fatigués de la mobilité des choses de la terre. Successivement elle avait vu tomber autour d'elle tout ce qu'elle avait aimé et haï, Richelieu et Mazarin, Louis XIII et Anne d'Autriche, la reine d'Angleterre et sa fille l'aimable Henriette, Châteauneuf et le duc de Lorraine. Sa fille bien-aimée, la belle Charlotte, s'était éteinte entre ses bras au milieu de la Fronde. Celui qui le premier l'avait détournée du devoir, le beau et frivole Holland, était monté sur l'échafaud de Charles Ier, et son dernier ami, plus jeune qu'elle, le marquis de Laigues, l'avait précédée dans la tombe. Elle reconnut qu'elle avait donné son âme à des chimères, et se voulant mortifier dans le sentiment même qui l'avait perdue, l'altière duchesse devint la plus humble des femmes; elle renonça à toute grandeur; elle quitta son magnifique hôtel du faubourg Saint-Germain, bâti par Le Muet, et se retira à la campagne, non pas à Dampierre, qui lui eût trop rappelé les jours brillants de sa vie passée, mais dans une modeste maison, appelée la Maison-Rouge, à Gagny, près de Chelles. C'est là qu'elle attendit sa dernière heure, loin des regards du monde, et qu'elle mourut sans bruit à l'âge de soixante-dix-neuf ans, la même année que Retz et Mme de Longueville, un an avant La Rochefoucauld, quelques années à peine avant la Palatine et Condé. Elle ne voulut ni solennelles funérailles ni oraison funèbre. Elle défendit qu'on lui donnât aucun des titres qu'elle avait appris à mépriser. Elle souhaita être obscurément enterrée dans la petite et vieille église de Gagny. Là, dans l'aile méridionale, près la chapelle de la Vierge, une main fidèle et ignorée a mis sur un marbre noir cette épitaphe[364]: «Cy gist Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, fille d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon. Elle avait épousé en premières noces Charles d'Albert, duc de Luynes, pair et connestable de France, et en secondes noces Claude de Lorraine, duc de Chevreuse. L'humilité ayant fait mourir dans son cœur toute la grandeur du siècle, elle défendit que l'on fît revivre à sa mort la moindre marque de cette grandeur, qu'elle voulut achever d'ensevelir sous la simplicité de cette tombe, ayant ordonné qu'on l'enterrât dans la paroisse de Gagny, où elle est morte à l'âge de soixante-dix-neuf ans, le 12 aoust 1679.» [364] L'abbé Le Bœuf, _Histoire du diocèse de Paris_, t. VI, p. 133, etc. Il cite un auteur du temps qui dit: «Elle n'est nommée dans cette épitaphe ni princesse, ni même très haute et très puissante dame, ni son mari très haut et très puissant prince. Elle mourut dans cette paroisse, au prieuré de Saint-Fiacre de la Maison-Rouge.» APPENDICE NOTES DU CHAPITRE Ier L'ouvrage le plus digne d'être consulté sur le ministère du duc et connétable de Luynes est assurément l'_Histoire du règne de Louis XIII_, 3 vol. in-4º, Paris, 1758, par le P. Griffet, de la compagnie de Jésus. Griffet est tout à fait de la famille de Daniel et de Bougeant, et ce serait un historien d'un ordre très-relevé, s'il avait l'art de la composition et du style. Les recherches les plus étendues dans les dépôts publics et dans les archives privées lui ont fait découvrir un grand nombre de pièces rares et précieuses, qu'il met en œuvre avec équité et discernement. Faute de connaître le véritable auteur de l'_Histoire de la Mère et du Fils_, il s'y est beaucoup trop fié, ce qui rend d'autant plus remarquable la fermeté de jugement qui l'a empêché de succomber à l'entraînement général contre Luynes.--Dans nos articles du _Journal des Savants_, de l'année 1861, sur Luynes, auxquels nous avons pris la liberté de renvoyer, nous avons fait grand usage de deux documents nouveaux qui n'avaient jamais été employés. Le premier est la collection des dépêches du nonce apostolique en France, de septembre 1616 au 31 janvier 1621, adressées au cardinal Borghèse, cardinal-neveu, et secrétaire d'État sous Paul V. Ce nonce était le célèbre Guido Bentivoglio, homme de beaucoup d'esprit, fin diplomate, excellent écrivain, dont les _Relations_ et les _Lettres_ sont si connues et si estimées. Les dépêches de sa légation de France ne diminueront pas sa réputation. Restées jusqu'ici inédites, elles ont paru pour la première fois, il y a quelques années, à Turin: _Lettere diplomatiche di Guido Bentivoglio, arcivescovo di Rodi e nuncio in Francia, poi cardinale di Santa Chiesa e vescovo Prenestino, ora per la prima volta pubblicate per la cura di Luciano Scarabelli_, 2 vol., Torino, 1852. La politique de Bentivoglio est naturellement celle de sa cour: il est favorable à la reine mère et à l'Espagne, et d'abord assez mal disposé pour Luynes; puis, le temps le ramène vers le favori qui l'emporte et s'établit, et il s'insinue assez bien dans ses bonnes grâces pour en obtenir, en 1621, en quittant la nonciature, le titre de comprotecteur de France. Nous avons ici un observateur bel esprit, d'une perspicacité peu commune, et qui voit surtout le mauvais côté des choses. Il a la confiance de l'ambassadeur d'Espagne, celle du confesseur du roi et des partisans de Marie de Médicis; il abonde en détails intimes souvent piquants, quelquefois un peu lestes, qu'il raconte sans y faire de façons, bien sûr de ne pas scandaliser le cardinal Borghèse. Le second document qui a passé sous nos yeux est à la fois semblable et différent: ce sont aussi les dépêches d'un ambassadeur auprès de la cour de France à la même époque, mais cet ambassadeur est celui de la république de Venise, médiocrement bien avec Rome, très opposé à l'Espagne, lié avec le Piémont, avec la Hollande et l'Angleterre, se félicitant de la chute du maréchal d'Ancre et de la disgrâce de la reine mère, et poussant de toutes ses forces le gouvernement français à reprendre la politique de Henri IV. Ces dépêches écrites par diverses personnes, Bon, Grissoni, Angelo Contarini, Priuli, etc., que nous confondons sous le titre de l'ambassadeur vénitien, n'ont jamais vu le jour; elles ont été tirées tout récemment des archives de Venise par M. Armand Baschet, qui a bien voulu nous les communiquer et nous permettre de nous en servir avant de les faire entrer lui-même dans les grandes publications qu'il médite. C'est à ces deux sources que nous avons puisé la plupart des détails nouveaux relatifs à la duchesse de Luynes répandus dans notre premier chapitre. I.--Nous avons dit, p. 29 et 30, que le lendemain de la chute du maréchal d'Ancre et lorsqu'il eut succédé à son pouvoir et à sa fortune, Luynes eut le choix des plus opulentes et des plus illustres alliances, soit avec la fille du vidame d'Amiens, Mlle d'Ailli, une des plus riches héritières de France, soit avec une fille de Henri IV, Mlle de Verneuil, et même avec une autre fille du grand roi, Mlle de Vendôme; que Louis XIII tenait fort à ce dernier projet qui était même assez avancé, mais que Luynes ne voulut pas se condamner à servir l'ambition des Vendôme, et qu'il épousa Marie de Rohan par raison à la fois et par inclination. C'est là ce qu'on ignorait, et ce que l'ambassadeur de Venise et celui du pape affirment de concert. Dans une dépêche vénitienne du 16 mai 1617, c'est-à-dire à peine une vingtaine de jours après le meurtre du maréchal d'Ancre, il est déjà question du mariage de Luynes avec Mlle de Vendôme; une autre dépêche vénitienne du 23 mai parle encore de ce mariage et de plusieurs autres proposés à Luynes; et une dépêche de Bentivoglio, du même jour, fait connaître les motifs qui portèrent le nouveau et puissant favori à ne pas contracter ces alliances. DÉPÊCHE VÉNITIENNE DU 23 MAI.--«Louines intanto si va impossessando sempre più della grazia di S. M. che amandolo sopra tutti procura di farlo grande per tutti i mezzi possibili. Il matrimonio di madamosella di Vendomo col detto Louines si avanza, perche il saper che il Rè lo vogli basta à fare che i principi interessati sene contentino; anzi intendemo che Vendomo suo fratello lo desideri per havere con questa via il sicuro favore d'un soggetto di tanta autorità, il quale, perche degnamente possi ricevere l'honore della figlivola del re Henrico in moglie, prima sarà, per quanto viene detto, fatto duca pari di Francia. Le sono anco proposte altre principesse e dame di gran qualità e di estraordinarie richezze, trà le quali una figlivola del duca di Mombasone, ed una del vidama d'Amiens che sarà herede di più di trenta mille ducati di rendita.»--BENTIVOGLIO, 23 MAI: «Del matrimonio di Louines con madamosella di Vendomo si stà in sospenso. Molti uomini gravi l'han consigliato à non alzarsi tanto si presto, e sopra tutto à non gettarsi in partiti, e particolarmente nel partito di Vendomo che è ambiziosissimo e non hà fede. E perche si è parlato ancora di madamosella di Vernul è pur anche stato Louines disviato dà questo matrimonio e quasi per le medesime ragioni poiche egli si getterà al partito della marchesa di Vernul, donna ambitiosissima, sorella di conte d'Overnia... Louines mostra d'ascoltare volontieri e di stimar questi consigli.» II.--Nous mettons quelque prix à établir que les fameuses pierreries de Mme de Chevreuse dont nous parlons plus d'une fois dans le cours de cette histoire, qu'elle confia tour à tour à La Rochefoucauld et à Montrésor, ne sont pas et ne peuvent être celles de la maréchale d'Ancre, comme on pouvait le croire et comme on l'a dit, par cette raison décisive que dans la distribution des dépouilles du maréchal et de sa femme, Louis XIII réserva les joyaux, les bijoux, les diamants, pour en faire cadeau à la jeune reine Anne d'Autriche, particularité peu connue, mais attestée par l'ambassadeur de Venise. La part de Luynes est déjà bien assez large, et voici à cet égard des détails qui paraissent d'une entière exactitude, et qui ont la garantie de témoins bien informés. DÉPÊCHE VÉNITIENNE DU 2 MAI 1617.--«Li carichi ed honori che godeva il maresciale mentre era in vita sono stati distribuiti dal Rè frà li suoi favoriti e bene meriti. Monsù di Vittri è stato dichiarato maresciale di Francia, con un donativo appresso di settanta mille ducati che in mano di questi mercanti Lumaga erano tenuti sopra cambii di ragione della maresciala d'Ancre. Monsù di Aglie (du Hallier, depuis le maréchal de L'Hôpital) hà havuto il carico che prima teneva il fratello di colonello delle guardie del Rè. Monsù Louines è stato fatto primo gentiluomo di camera di S. M. ed inoltre hà havuta la luogotenenza della Normandia, con un libero dono di _tutti i mobili_ del maresciale e maresciala d'Ancre, _eccettuati gioie, ori ed argenti_. Furono ritrovate adosso al maresciale d'Ancre polizze di crediti per circa un million e mezzo, e di ragione della maresciala in diverse parti cosi d'Italia come di Fiandra si fà conto per altri cinque o sessento mille scudi, oltre le gioie ed argenterie che importano poco meno di un million d'oro, fra le quali gioie ve n'erano per gran somma di quelle che sono espresse della corona. Fu alla suddetta maresciala poste le guardie, e prese le scritture, e cose più preciose che furono portate à S. M., ed essa mandò subito le gioie in dono alla regina regnante...»--DÉPÊCHE VÉNITIENNE DU 11 JUILLET: «Il marchesato d'Ancre e la terra di Lieseni (Lesigni), che erano della maresciala, con gran parte della sua argenteria e buona somma de' denari che erano in mano de' mercanti in questa città, sono stati dati in dono dà S. M. à Monsù Louines, havendoci il signor duca di Nevers detto che l'amontare di tutto ciò importa _ottocento mila scudi_. Nella Normandia si sono ritrovate ducento mila scudi, che restano alla corona, insieme con li crediti delle polizze che al maresciale furono trovati adosso, che importano molti migliara di scudi, essendo il rimanente stato dispensato alla regina in gioie, à Monsù di Vittri ed altri in denari.» Tel serait donc le compte du partage de la fortune du maréchal et de sa femme: les joyaux et bijoux d'or et d'argent à la reine Anne; à Luynes, Ancre et Lesigni, avec huit cent mille écus (monnaie du temps), en argenterie et en argent; le reste à Vitri et aux autres. Pour les objets mobiliers, _tutti i mobili_, le don royal était d'une exécution facile; mais pour les immeubles que le parlement avait attribués à la couronne et qui y étaient incorporés, il y avait des difficultés: il fallait un nouvel arrêt du parlement pour distraire du domaine de la couronne le marquisat d'Ancre et Lesigni. Le parlement fit d'abord quelque résistance et finit par se rendre.--DÉPÊCHE VÉNITIENNE DU 22 AOÛT 1617: «Doppo praticato il parlamento per l'approbatione del donativo fattole dà S. M. dei beni stabili che erano del maresciale d'Ancre, nel che pareva che fosse qualche difficoltà perche non inclinava il parlamento ad aprire l'adito di smembrare i stati alla corona una volta incorporati ad essa, come per la sua sentenza contra il maresciale appare di questi, mentre per altra via il Rè haveva modo di premiarlo (Luynes) e riconoscerlo, tuttavia questa matina il parlamento hà decretato che ne sia infeudato.»--Quant aux sommes d'argent que le maréchal et sa femme avaient placées en Italie, à Florence et à Rome, le nonce apostolique nous en donne le chiffre. L'argent de Florence, comme il dit, _il denaro di Fiorenza_, était de deux cent mille écus; Bentivoglio le savait par Bartolini, l'envoyé florentin. Cet argent avait été déposé à Florence au nom de la maréchale et par le moyen d'officiers publics, _per via d'istromenti publici_: le grand-duc ne refusait donc pas de le livrer, mais la reine mère le réclamait comme étant à elle, bien que sous un autre nom. Nous ne voyons pas trop comment cela finit; mais il est certain que la cour pontificale refusa nettement de rendre les cent trente mille écus de la maréchale que la France redemandait, se fondant sur les droits du fils et des parents, et voulant connaître de la sentence du parlement de Paris. Le procureur général du parlement, Mathieu Molé, le ministre des affaires étrangères, Puisieux, Luynes et le roi, en parlèrent en vain avec force au nonce apostolique: on ne put rien tirer de Rome. Voy. Bentivoglio, t. Ier, p. 153, 178, 203, 207, 217, 245 et suiv. III.--Il est certain que la reine Anne, qui a tant aimé la duchesse de Luynes et la duchesse de Chevreuse, commença par un sentiment tout contraire, et qu'elle eut assez longtemps de l'humeur et de la jalousie, en voyant les empressements de Louis XIII auprès de la belle surintendante. Le roi, en effet, au rebours de la reine, commença par aimer Marie de Rohan autant qu'il finit par la haïr. La jalousie d'Anne d'Autriche n'avait pas le moindre fondement et fit place à la plus intime amitié, à ce point qu'à la fin de 1620, lorsque la duchesse de Luynes accoucha de son unique enfant mâle, la reine voulut rester toute la nuit auprès de son amie et la veilla avec la plus parfaite tendresse. BENTIVOGLIO. DÉPÊCHE DU 19 DÉCEMBRE 1617.--«Intendo dà buona parte che la regina giovane è in gelosia del Rè, dubitando di qualche principio d'amore colla moglie di Louines... Può essere che il Rè l'accarezzi più per rispetto di marito che di lei stessa, crescendo ogni di più l'affettione del Rè verso Louines.»--LE MÊME, DÉPÊCHE DU 3 JANVIER 1618: «Intorno à questi sospetti d'amore del Rè con la moglie di Louines ne cessò ogni ombra, e mene hà assicurato il medesimo duca di Monteleone (l'ambassadeur d'Espagne).--LE MÊME, DÉPÊCHE DU 20 MAI 1620: «La regina regnante si strugge di gelosia per i favori che il Rè fà alla duchessa di Louines, sebbene la sua passione è piuttosto invidia che gelosia, parendo à S. M. che quelle dimostrazioni del Rè verso la duchessa cadano à un certo modo in suo disprezzo, e dispiacendogli più che altro gli atti della medesima duchessa co' i quali procura anche in presenza della regina i favori del Rè. Mà, come si sia, si vede che ella è appassionata ed ultimamente si è veduto chiaro il suo dispiacere d'animo. Il padre Arnoldo (le confesseur du roi et de Luynes) però ancora di nuovo m'ha assicurato della purita del Rè, e che per questo non si può temere che frà le Maestà loro siano per nascere disgusti.»--AMBASSADEUR VÉNITIEN, DÉPÊCHE DU 29 DÉCEMBRE 1620: «La notte di Natale frà l'allegrezza e lo strepito delle campane; la moglie del signor duca di Luines hà partorito il primo figliuolo maschio. La regina regnante vegliò tutta quella notte e stette sempre à canto di lei.» Il s'en faut bien que Luynes et sa femme aient cherché à porter le trouble dans le jeune ménage royal: tout au contraire ils travaillèrent à mettre bien ensemble le jeune roi et la jeune reine, et, comme nous l'avons dit, page 32, c'est à Luynes qu'on doit la tendre intimité qui les unit quelque temps. Né en septembre 1601, Louis avait quatorze ans lorsqu'en 1615 on le maria avec l'infante d'Espagne, qui était du même âge que lui. Une juste prudence les sépara d'abord, mais la séparation se prolongea au delà de la nécessité, grâce à la timidité du jeune roi. Anne était belle et Espagnole; elle souffrait d'être négligée; le roi son père s'en plaignait; l'ambassadeur d'Espagne, le duc de Monteleone, en fit des représentations, et les relations des deux époux étaient devenues une affaire d'État. C'est Luynes qui parvint à les rapprocher, en secondant les attraits et les coquetteries de la jeune reine des remontrances du confesseur, et en osant lui-même, au commencement de l'année 1619, faire à propos à Louis XIII une sorte de violence. Bentivoglio entre ici dans des détails délicats où il nous serait difficile de le suivre, et nous nous bornons à renvoyer aux pages 157, 240, 242 et 300 du tome Ier, et aux pages 10, 31, 39, 40, 44, 80, 82 et 84 du tome II. Citons au moins quelques lignes du nonce et de son collègue. BENTIVOGLIO, DÉPÊCHE DU 30 JANVIER 1619: «Il Rè si risolse, venerdi notte di 25 venendo verso il sabbato, di congiungersi con la regina.... Luines anche egli s'è portato benissimo, perche la notte stessa che il Rè ando à dormire con la regina, stando anche tuttavia quasi in forze ed in gran contrasto frà se medesimo, Luines lo prese a traverso e lo condusse quasi per forza al letto della regina.»--AMBASSADEUR VÉNITIEN, DÉPÊCHE DU 27 JANVIER 1619: «Venerdi, notte passata, 25 del corrente, questo Rè christianissimo hà dormito e consummato il matrimonio con la regina.»--DÉPÊCHE DU 5 FÉVRIER: «Louines havendo accompagnata la Maestà sua che erà spoliata del tutto quella sera al letto della regina, e vedendo egli che il Rè stava pur ancora iresoluto se dovesse o no andar à dormire con lei, levò una certa zimarra che sua Maestà haveva d'intorno, e stesso con le proprie braccia pigliò il Rè e lo getto nel letto, usci poi egli fuori della stanza e serrò la porta.» Le roi finit par aimer sa femme, et par lui montrer même une vivacité de tendresse dont on ne l'aurait pas cru capable. Il lui sacrifiait jusqu'à la chasse qui avait été jusque-là sa grande passion. Dans une maladie qu'elle fit au commencement de 1620, il lui prodigua les soins les plus dévoués, et il est certain que tant que vécut Luynes, leur union ne connut pas le plus léger nuage. On dit même quelque temps que la reine était grosse. AMBASSADEUR VÉNITIEN, DÉPÊCHE DU 5 FÉVRIER 1619: «Il Rè non cosi spesso usci alla caccia come faceva,... di cacciatore sollecito è divenuto ubidientissimo marito, mutando la crudeltà contra le fiere in amor verso la moglie.»--LE MÊME, DÉPÊCHE DU 18 FÉVRIER 1620: «Il Rè hà dimostrato sentir incredibil dolore per tal infermità, ne hà dati segni e col' star assistente tre giorni e tre notti continue nel fervor del male al letto della regina con lagrime agli occhi et altre apparenze di vivissimo sentimento e quasi disperazione.»--BENTIVOGLIO, DÉPÊCHE DU 12 FÉVRIER 1820: «Non potrei esprimere il dolor grande che S. M. hà mostrato... e l'hà fatto apparir con pianti et con altri più teneri affetti di vivissimo senso. Non si partiva mai quasi della camera della regina e la serviva, porgendole con sua mano con grand'amore varie cose che ella doveva pigliare, il che hà edificato incredibilmente la corte e tutto questo popolo.»--LE MÊME, DÉPÊCHE DU 4 DÉCEMBRE 1619: «Di parte molto sicura ho inteso che si stà con ferma speranza che la regina sia gravida, il che piaccia a Dio segua per beneficio di questo regno. Nel resto ella se governa bene, ed il Rè l'ama.» IV.--Nous avons rappelé, p. 31, ces paroles de Mme de Motteville: «La duchesse de Luynes était très-bien avec son mari.» Sans doute sa beauté et son esprit lui faisaient bien des adorateurs, au premier rang desquels était le duc de Chevreuse, mais elle répondit à l'amour de son mari par un attachement fidèle; elle tenait admirablement sa maison; elle était dans le secret de toutes ses affaires, et elle l'y assistait. L'ambassadeur vénitien, dépêche du 14 juin 1620, l'appelle «bellissima e gentilissima.» Il nous apprend que, lorsque Luynes se décida à tirer de prison le prince de Condé, il envoya sa femme porter cette bonne nouvelle à Madame la Princesse au bois de Vincennes. DÉPÊCHE DU 17 OCTOBRE 1819: «I passati giorni madama di Louines fù al bosco di Vicena à visitare la Principessa, rallegrandosi del suo felice parto (la naissance d'Anne-Geneviève de Bourbon, la future duchesse de Longueville), e darle pegna di sicura ed indubitata fede che, subito giunto il Rè a Parigi, il Principe sarà liberato.» C'est encore la duchesse de Luynes qui, pendant la campagne de 1620, restée à Paris, donnait des nouvelles aux ambassadeurs et y représentait son mari. Enfin après cette campagne mémorable et les grands succès du duc en Normandie, en Anjou, en Guienne et en Béarn, Bentivoglio, recommandant au Saint-Père de s'appliquer à gagner de plus en plus l'heureux et tout-puissant favori, l'engage à faire quelque cadeau de dévotion à sa femme, parce qu'elle a sur son mari un pouvoir absolu. DÉPÊCHE DU 18 NOVEMBRE 1620: «Qualche corona per la moglie, _la quale è padrona, si può dire, del marito_.» V.--L'opinion que nous avons exprimée sur la place que Luynes mérite dans l'histoire par sa rupture avec la politique tout espagnole de Marie de Médicis et du maréchal d'Ancre, par sa ferme résistance aux prétentions des Grands en 1620, par l'entreprise formée par lui et à demi exécutée de mettre un frein aux perpétuelles usurpations des protestants et de les faire rentrer dans les sages limites de l'édit de Nantes, cette opinion n'est point entièrement nouvelle; et sans parler des équitables appréciations du P. Griffet, divers auteurs contemporains, français et étrangers, cités par Moreri et par Pithon-Curt (dans son _Histoire de la noblesse du Comté venaissin_, 4 volumes in-4º 1743), ont en quelque sorte devancé notre jugement sur les services de celui qu'on s'obstine à représenter comme un favori de la force du maréchal d'Ancre. Voici par exemple un éloge de Luynes, conçu en des termes un peu emphatiques, mais qui repose sur des faits incontestables, et qui a pour nous l'avantage de se rapporter à la fois au duc et à la duchesse. François Raymond, baron de Modène, gentilhomme du Comtat, parent et ami de Luynes, joua sous lui un assez grand rôle, remplit d'importantes missions, et occupa la charge de grand prévôt de France. Son fils aîné, Esprit Raymond, comte de Modène, s'attacha à la fortune du duc de Guise, le suivit dans son aventureuse expédition, de Naples, comme mestre de camp général, déploya, ainsi que son héros et son chef, une rare valeur, fut fait prisonnier avec lui, resta deux ans dans les fers, et à son retour en France écrivit l'histoire de ce brillant et malheureux fait d'armes: _Histoire des révolutions de la ville et du royaume de Naples, composée par le comte de Modène_. Il y en a deux éditions, l'une in-4º, de 1666 à 1667, l'autre in-12, en trois volumes, en 1668. Le comte de Modène était aussi galant que brave. Il fut l'amant de la Béjart et le père de la femme de Molière. Il aimait les lettres, particulièrement la poésie, et il a laissé des sonnets, des odes, et toute sorte de pièces de vers qu'a publiées en 1825 M. de Fortia d'Urban: «_Supplément aux diverses éditions des œuvres de Molière, ou Lettres sur la femme de Molière, et Poésies du comte de Modène son beau-père._» L'_Histoire des révolutions de Naples_ n'est point sans mérite; elle est dédiée à Mme de Chevreuse; et nous allons donner ici les principales parties de cette dédicace, qui n'a pas été assez remarquée. A MADAME, MADAME LA DUCHESSE DE CHEVREUSE. Madame, les bontés que Votre Altesse témoigna à feu mon père pendant la vie de M. le connétable de Luynes, et la vénération que j'ai toujours eue pour tant de merveilleuses qualités que l'Europe admire en la grandeur de vostre âme, m'obligent de vous supplier très-humblement d'agréer que vostre nom éclate à l'entrée de cet ouvrage. J'espère faire connoistre combien me doit estre précieuse la mémoire d'un connétable à qui nostre maison est si redevable. Je veux le témoigner au digne objet de son amour, et en lui dédiant cette histoire apprendre à toute la terre les grands services que cet illustre favori rendit en peu de temps à la France. Quelques louanges que l'on ait données aux ministres qui l'ont suivi, et que le feu roi prit après lui pour la conduite des affaires de son Estat, on peut dire sans flatterie que ce fut M. le duc de Luynes qui aplanit et qui ouvrit la voie glorieuse par laquelle, en marchant sur ses pas, ils trouvèrent heureusement tant de matières de victoires et tant de sujets de conquêtes. En effet, chacun sait que lorsque ce digne favori fut appelé dans les affaires par son adorable maître, la France n'étoit pas en estat de former aucune entreprise advantageuse hors de chez elle, ni d'oser s'éloigner de ses frontières. Elle avoit dans ses entrailles un ennemi aussi puissant et aussi redoutable qu'il estoit artificieux et caché, et qui par conséquent obligeoit le ministre à veiller et à demeurer incessamment sur ses gardes. Chacun sçait en quelle assiette estoit alors cette grande et formidable faction qui, sous couleur de réformer l'Église, avoit divisé l'Estat, et qui, feignant dès sa naissance de ne se vouloir établir que sur les débris des autels, fit voir au sortir du berceau qu'elle ne fondoit son repos que sur les ruines du thrône... Elle l'a bien fait paroistre par ces longues et funestes guerres civiles qui ont affligé le royaume, pendant lesquelles le parti, après avoir en tant de rencontres osé mesurer son épée avec celle de ses souverains, les contraignit non-seulement de lui pardonner ses révoltes et de lui accorder la paix, mais encore de lui donner pour sa plus grande sûreté beaucoup de villes importantes que l'on nomma place d'otage... Il y a beaucoup d'apparence que cette turbulente faction, qui ne couvoit dans son repos que des troubles, eust infailliblement enfanté quelque révolte générale, si ce judicieux connétable n'eust prévenu par sa prudence le coup dont elle menaçoit l'autorité royale et la tranquillité publique. Bien qu'il eust beaucoup de choses à craindre en cette hardie et glorieuse entreprise où il avoit sujet d'appréhender non-seulement un grand parti qui eut autrefois la témérité d'aller attaquer les monarques jusqu'aux portes de leur ville capitale, mais encore une infinité de malcontents qui le pouvoient favoriser ouvertement ou sous-main, aussi bien que les estrangers qui n'estoient pas moins à craindre par l'intérest qu'ils avoient de maintenir la division de ses Estats, il forma néantmoins ce digne projet avec tant de sagesse et l'exécuta avec tant de résolution et de diligence, qu'en faisant connoistre aux esprits pacifiques qu'il n'en vouloit qu'à la rébellion et non à la religion, il divisa prudemment ce grand parti et détruisit la faction avant qu'elle eust eu le moyen et le loisir de se défendre... C'est une merveille que l'on ne sçauroit assez admirer, et qui, rétablissant nos rois dans leur première authorité, rétablit la religion catholique en plusieurs provinces et en plusieurs villes d'où son exercice estoit banni depuis longtemps. C'est, madame, à ce grand connétable que la France est redevable d'un si avantageux bienfait. Ce fut lui dont la piété, secondant celle de son maître, vengea cette mère dont nos rois sont les fils aisnés. Ce fut lui le premier qui, faisant marcher son souverain par tous les lieux où sa présence estoit nécessaire, fit voir combien le visage d'un prince est formidable aux séditieux, et que bien souvent sa personne toute seule fait plus d'effet qu'une grande et puissante armée. Enfin, ce fut lui qui, ayant détruit ce redoutable corps en tranchant cette quantité de bras qu'il avoit dans le Béarn, dans l'Anjou, dans le Poitou, dans la Guyenne et dans tout le reste du royaume, donna le moyen à ce grand cardinal qui vint après lui, non-seulement de prendre La Rochelle, mais encore d'employer avantageusement toutes les forces d'un Estat puissant, réuni et soumis aux volontés de son roi, dans les pays estrangers, pour l'exécution de tant de glorieux desseins qui ont fait révérer la France jusqu'au bout de l'univers. Certes tous les bons François ont sujet de se louer de ce digne favori et de bénir à jamais son admirable et innocente conduite. Je l'appelle admirable, d'autant que sans beaucoup de bruit ni de dépense elle rendit nos rois maistres de leur Estat, et innocente parce que, n'ayant ni d'amour ni de haine que suivant les intérests de son maistre, il ne se servit jamais de son crédit pour satisfaire ses passions. Mais, madame, s'il est véritable qu'il ait mérité des louanges immortelles, il est certain que vostre Altesse en mérite autant et peut-estre encore plus, puisque l'on peut dire que la piété, la valeur et le bonheur de son roi contribuèrent beaucoup à sa gloire, mais que celle que vostre rare et intrépide vertu s'est acquise en luttant sans cesse contre l'envie et contre la fortune est toute à vous sans que personne y puisse prétendre aucune part... Aussi, madame, cette gloire que vostre invincible génie obtint sur ces deux ennemies de l'innocence et du mérite est sans égale, et tous les siècles passés ne sauroient former un exemple tel que celui que vous avez fait voir au vostre. Je m'arresterois volontiers sur cette matière si l'Europe n'avoit connu vos glorieuses infortunes, au sort desquelles le ciel, après avoir fait cesser les vents impétueux qui vous ont tant menacé du naufrage, vous fit enfin revenir au port désiré. Daignez donc agréer, madame, cet ouvrage que je me donne l'honneur de vous présenter. Je serois ravi de pouvoir, par des marques plus efficaces, vous faire paroistre mon zèle, mais la fortune qui me lie depuis tant d'années les bras ne me laisse rien que l'usage d'un cœur dont toutes les pensées et tous les vœux auront toujours pour but la passion de faire voir à tout le monde que je suis et veux estre toute ma vie, madame, de Vostre Altesse le très-humble et très-obéissant serviteur, Le comte de MODENE. NOTES DU CHAPITRE II Dans ce chapitre, les deux points importants sont: 1º les intrigues de Buckingham en Angleterre, où Mme de Chevreuse a été mêlée par Holland; 2º la conspiration de 1626, à laquelle Mme de Chevreuse a pris une si grande part, et qui porte très-improprement le nom de conspiration de Chalais, quoique celui-ci n'y ait joué qu'un rôle secondaire, mais parce qu'il y a laissé sa tête. Rassemblons sur ces deux points les pièces nouvelles sur lesquelles est fondé notre récit. I INTRIGUES D'ANGLETERRE. Établissons bien d'abord les rôles officiels de tous les personnages. L'ambassadeur ordinaire d'Angleterre en France sous Jacques Ier et sous Charles Ier était Goring, qui fut fait baron en 1625, à l'occasion du mariage. Henri Rich, lord Kensington, avait été envoyé en France dès 1624 par le roi Jacques, comme ambassadeur extraordinaire, pour traiter l'affaire du mariage, et on lui avait adjoint pour cette même affaire, et sur sa demande, le comte de Carlisle. Tous deux avaient aussi reçu leur récompense: milord Rich avait été nommé comte de Holland, et le comte de Carlisle avait eu la Jarretière. L'ambassadeur français en Angleterre était d'abord le comte de Tillières, qui n'avait pas fort bien réussi; on l'avait remplacé ou soutenu par le comte d'Effiat, depuis maréchal et surintendant des finances, le père de Cinq-Mars, qui lui-même, plus tard, en 1626, avait été remplacé par le comte de Blainville. Outre l'ambassadeur ordinaire, le duc de Chevreuse, grand chambellan de France, accompagnait la nouvelle reine d'Angleterre, au nom du roi son frère, avec le titre d'ambassadeur extraordinaire; et il avait avec lui sa femme, alors encore surintendante de la maison de la reine, qui avait été autorisée à suivre son mari et à escorter Madame, au moins jusqu'à la frontière de France; il paraît qu'elle avait pris sur elle et obtenu à grand'peine de M. de Chevreuse d'aller jusqu'à Londres. Le duc, par sa naissance et sa magnificence, était fort propre à la grande représentation, mais les affaires étaient en d'autres mains. La nouvelle reine eut d'abord pour confesseur le père de Berulle, fondateur et supérieur de l'Oratoire, l'homme de la reine mère et encore celui de Richelieu; il avait été remplacé de bonne heure par un autre père de l'Oratoire, le père de Sanci, de la maison de Harlay. Le chef de la maison ecclésiastique de la reine était l'évêque de Mende, un peu parent de Richelieu, qui avait toute sa confiance, et correspondait avec lui. L'ambassadeur ordinaire avait ordre de s'entendre avec l'évêque, et ils devaient agir de concert. La grande affaire était l'établissement de la jeune reine, selon les conventions et stipulations de son contrat de mariage. Enfin Charles Ier, comme son père Jacques, s'efforçait d'intéresser la France au sort du prince Palatin du Rhin, son beau-frère, qui pour avoir prétendu à la couronne de Bohème avait fini par perdre ses États, que Charles Ier travaillait à lui faire rendre par la diplomatie ou par la guerre. Cela posé, on s'oriente aisément dans une précieuse correspondance de Richelieu avec d'Effiat, Blainville, le père de Sanci et l'évêque de Mende, dont on trouve des extraits aux archives des affaires étrangères, dans le fond si souvent cité par nous, FRANCE, en un volume relié en vert, séparé du reste de la série, sans numéro d'ordre, mais portant ce titre: de 1624 à 1627; à ce volume séparé, il faut joindre, dans la série FRANCE, les t. XXXVII, XXXVIII, XXXIX et XL, qui se rapportent aux années 1625 et 1626. Henri Rich, comte de Holland, était insinuant, flatteur, courtisan et diplomate habile. Il avait fort réussi en France et avait d'abord été assez bien avec Richelieu. Mais il était par-dessus tout dévoué à Buckingham. Dans le volume précité on rencontre divers billets polis de Holland au cardinal, sans aucune importance; nous en possédons un qui n'est point aux archives des affaires étrangères, et qui, comme nous l'avons dit, p. 51, montre avec quel soin Holland relevait auprès de Richelieu les mérites et les services de Mme de Chevreuse. Le billet est autographe, en français, fort incorrect, comme on le pense bien; il n'est pas daté, mais il est évidemment de 1625; le cachet est intact ainsi que les soies vertes. A MONSEIGNEUR, MONSEIGNEUR LE CARDINAL DE RICHELIEU. «Monseigneur, le retour de monsieur de Montegue (_sic_ pour Montaigu) a été délayé (différé) et embarrassé, comme déjà vous avés sçu; mais asteure (à cette heure) il part avecque les résolutions du roi qui, nous espérons, vous seront agréables, come ont esté à Sa Majesté et à la reine les nouvelles de votre générosité envers leur cousine, Mme de Chevreuse, une action si noble qu'elle ajoute à votre gloire et sert à vos serviteurs; car toute cette court qui a esté honorée de la présence et cognoissance de cette dame la juge aussi bonne que belle, allant en perfection et égualité ensemble (_sic_). Pour moi, monseigneur, j'ai receu par M. de Montegue tels témoignagnes de votre faveur et estime qu'ils m'obligent d'être tous les jours de ma vie, monseigneur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. «HOLLANDE[365].» [365] Ainsi Holland lui-même donnait un air français à son nom, et tout le monde favorisait cette habitude de dénaturer les noms étrangers, les modernes comme les anciens. Mais Richelieu n'était pas dupe de Holland et de Mme de Chevreuse, et, malgré tous ces beaux semblants, ses fidèles agents l'avertissaient de toutes les intrigues qui se formaient en Angleterre, et contre la jeune reine et contre la France. Année 1624. FRANCE, 1624-1627. LETTRE DE D'EFFIAT, DE JUILLET. Rich avoit demandé à la cour son ami, le comte de Carlile, pour achever l'œuvre commencée; maintenant ils sont divisés.--LE MÊME, 28 AOUT. Rich a écrit en Angleterre qu'il a vu le cardinal, lequel lui avoit demandé s'il aimoit mieux que le comte de Tillières retournât ou que d'Effiat demeurât. Rich a rendu ici un compte fidèle des honneurs que le roi, la reine mère et le cardinal lui ont faits.--LE COMTE DE HOLLAND A RICHELIEU, 25 OCTOBRE. Il se plaint qu'on ne veut pas s'engager sur l'affaire du Palatinat que le prince de Galles a fort à cœur.--D'EFFIAT, 24 NOVEMBRE. Le roi d'Angleterre dit qu'ayant fait Rich comte de Holland et donné la Jarretière au comte de Carlisle en considération du mariage, le roi de France ne peut pas ne pas donner le cordon à d'Effiat, son ambassadeur. Année 1625. FRANCE, t. XXXVII. RICHELIEU A D'EFFIAT, DU 10 MAI: «Carlile et Holland connaissent mal la France.»--LE MÊME, 20 JUILLET, L'ÉVÊQUE DE MENDE, quand Mme de Chevreuse était encore en Angleterre: «On sçait ses mauvais déportemens, sa coquetterie, et les faiblesses de son mari.»--AOUT, BILLET EN CHIFFRE DE L'ÉVÊQUE DE MENDE: «Mme de Chevreuse doit faire ses couches en Angleterre, et pendant qu'elle dit qu'elle veut s'en aller, elle fait sous main que le roi d'Angleterre lui défend de partir.»--AUTRE LETTRE A L'ÉVÊQUE DE MENDE, du même mois, sur le même sujet: «Elle est logée chez lord Holland. La faiblesse du mari est si grande qu'on en a honte. Elle pleura beaucoup à Boulogne lorsque son mari dit qu'elle ne passeroit pas. Elle est cinq ou six jours avec Buckingham, et ne voit pas la reine un quart d'heure. Chaque jour elle et la maréchale de Thémines mangent de la chair publiquement.»--LE MÊME, en chiffre et du commencement d'août: «On n'a pas de plus grand ennemi que Buckingham. Il tâche de mettre mal la reine dans l'esprit du roi. La reine, d'un autre côté, ne fait pas ce qu'elle peut pour gagner le roi qui est amoureux d'elle. Elle ne le voit point ou ne le voit que malgré elle. Buckingham veut placer sa sœur auprès de la reine. C'est un esprit dangereux; elle est aux gages des ministres, et elle pourra gâter l'esprit de la reine. Effiat part demain avec les vaisseaux (vaisseaux français que les Rochellois avaient pris et conduits en Angleterre, chap. II, p. 56). Chevreuse sur la fin s'est porté avec courage.»--RICHELIEU A M. DE BLAINVILLE qui succédait à d'Effiat, 10 ET 11 NOVEMBRE: «Les Anglois semblent n'avoir de chaleur que quand il faut prendre un parti préjudiciable à la France... La France pourroit bien s'accommoder avec l'Espagne plutôt que de souffrir les hauteurs de Buckingham. M. de Chevreuse lui en a écrit. Enfin, on peut faire connoître à Buckingham que, s'il veut aller en France, il faut qu'il fasse exécuter les articles du mariage, qu'autrement il n'y sera pas le bien venu. Tel est encore le naturel des Anglois, que si on parle bas avec eux il parlent haut, et si on parle haut ils parlent bas.»--13 DÉCEMBRE. Lettre commune de Blainville et de l'évêque de Mende. Ils justifient leur conduite énergique et accusent celle de d'Effiat et de M. de Chevreuse: «Avec les Anglois, il faut agir avec vigueur.» Année 1626. FRANCE, 1624-1827. LETTRE DE BLAINVILLE, 26 JANVIER 1626: «Buckingham offrit hier à la reine d'Angleterre de la faire entrer au conseil et de lui donner part aux affaires. La reine d'Angleterre s'en excusa, par l'avis de Blainville, sur son âge et parce qu'elle n'entend point la langue; elle pria Buckingham de lui conserver cette bonne volonté pour d'autres occasions et de lui laisser la disposition de sa maison et qu'on ménageât un peu plus les catholiques. Blainville croit que Buckingham tendoit plus d'un piége à la reine, qu'il vouloit la rendre odieuse et avoir aussi le moyen de la voir plus souvent. Buckingham est inquiet à cause de la tenue du parlement. Les Anglois voient avec peine les préparatifs que fait le marquis de Spinola, déclaré amiral de ces mers sous le roi d'Espagne. L'ambassadeur de Savoie dit que son maître engagera si bien les affaires dans le Milanais, que le roi sera obligé de faire la paix avec les Huguenots. Les armements que la France fait ne sont pas inutiles. Le traité fait par le feu roi d'Angleterre et celui de France, par lequel il n'est pas permis à un des deux rois d'assister les rebelles de l'autre, va finir. Il envoie la proclamation publiée le jour précédent contre les catholiques; il l'appelle leur extrême-onction et croit qu'il la faut faire voir au comte d'Holland.» 5 MARS.--Lettre commune de M. de Blainville et de l'évêque de Mende. «Intelligence de Buckingham en France. Courriers qui lui viennent, et qui gâtent tout et décréditent les ministres du roi. Buckingham et ses partisans ne sont venus à des accommodements secrets que parce qu'on leur a fait connoître la faiblesse et la force de la France.» L'ÉVÊQUE DE MENDE, 2 AVRIL: «Il a trouvé les affaires fort brouillées à son retour de France. Il a engagé Buckingham à rendre visite à M. de Blainville dont la vanité est grande. Le parlement persiste dans la résolution de ruiner le duc. Le roi se voit obligé à le défendre. Le duc a voulu sacrifier les catholiques, croyant appaiser le parlement, et feroit souvent le même sacrifice s'il lui avoit réussi.» LE MÊME, MAI: «Buckingham est accusé par Bristol d'avoir fait mourir le feu roi d'Angleterre. C'est un artifice des Anglois pour lier les mains au roi. Buckingham se flatte que s'il est condamné par la chambre basse, il sera absous par la haute, et il se trompe. On accuse Carlile, Holland, etc.»--LE MÊME, 24 MAI: «On poursuit vivement Buckingham. Le roi est allé au parlement déclarer que Buckingham n'a rien fait que par son ordre, et il a fait arrêter deux gentilshommes qui avoient parlé contre lui, ce qui a fort aigri le parlement, qui ne veut plus travailler qu'on ne mette ces deux hommes en liberté. Si le roi les rend, il perd son crédit. Le parlement est résolu de déclarer Buckingham auteur des désordres qui sont entre le roi et le peuple, et charge le comte d'Arondel de le poursuivre. Mende a dit à celui-ci que la reine ne désapprouveroit pas sa conduite, et à l'autre (Buckingham) que s'il rompoit avec les parlementaires il trouveroit des voisins qui l'assisteroient. Les catholiques sont persuadés que leur salut dépend de cette division. Si on ne tend les bras à Buckingham, il se hâtera de faire la paix avec l'Espagne. Il promet de donner dans peu de jours quelque satisfaction pour les catholiques. On a délivré commission pour les domaines de la reine.»--LE MÊME, 25 MAI: «Buckingham, croyant pouvoir justifier l'emprisonnement des deux gentilshommes, a fait opiner la chambre haute. Holland est le seul qui ait parlé pour lui. Carlile s'est tu; tous les autres ont été contre. La même chambre, malgré les brigues du duc, a donné un avocat à Bristol. Les juges, assemblés pour savoir si les rois pouvoient être dénonciateurs ou témoins, et étant sur le point de prononcer que non, il les a empêchés de prononcer. Il y a des choses si infâmes, si sordides dans les accusations de Bristol contre le duc, qu'on n'ose les écrire. On croit que Bristol sortira glorieux et que Buckingham succombera.» LE MÊME, 6 JUIN: «Il a fait voir à Buckingham la compassion qu'a le cardinal pour sa fortune, et il a, à la prière de Buckingham, fait connoître au roi d'Angleterre qu'il ne devoit jamais l'abandonner, et que c'étoit plutôt le roi qu'on attaquoit que le favori. On a mis en liberté les deux membres de la chambre basse. Le sieur George Eliot étant élargi a parlé d'une manière encore plus offensante contre le duc qu'il n'avoit fait. Le parlement demande le rappel du comte d'Arondel ou qu'on découvre ses crimes. Le roi vient de faire deux barons, Goring et Carleton.»--LE MÊME, 11 JUIN: «On a élargi Arondel. Buckingham croit l'avoir gagné et il se trompe; il n'a pu porter le roi à rompre le parlement. Le roi d'Angleterre a tenu conseil avec Buckingham, Carlile, Holland et autres ministres pour savoir si on romproit le parlement ou si on le continueroit; quelques-uns ont été d'avis qu'il n'y avoit point d'autres moyens de sauver Buckingham que de casser le parlement. Buckingham a dit que le dessein étoit hardi dans la nécessité où l'on étoit et qu'il ne vouloit pas pour ses intérêts particuliers hasarder l'autorité de son maître. On a ajouté que la rupture du parlement pourroit entraîner la ruine des Huguenots en France, parce que le roi de France, connoissant la faiblesse de l'Angleterre, ne manqueroit pas de les attaquer. La résolution est prise de continuer, et s'ils peuvent obtenir des subsides du parlement, ils s'en serviront pour le ruiner. Le dessein étoit, si les affaires avoient réussi dans le parlement, de chasser les François et de porter la guerre en France, ce qu'ils feront dès qu'ils en auront le moyen, tant ils sont irrités de la paix de La Rochelle, du traité de Monçon conclu avec l'Espagne, de l'arrêt de leurs marchandises.»--LE MÊME, 24 JUIN: «Envoie copie de la lettre que le roi d'Angleterre écrit à la chambre basse pour la presser de régler les subsides. La chambre a répondu avec audace et mépris qu'il falloit auparavant leur faire justice sur les griefs qu'elle avoit présentés contre Buckingham. On parle de casser incessamment le parlement. Un courrier de Savoie, arrivé depuis vingt-quatre heures, donne espérance d'éluder la paix par ses artifices. Le roi d'Angleterre est fort piqué de ce qui s'est dit dans le traité de Monçon que, si les alliés refusent les conditions équitables, les deux rois s'uniront pour les y contraindre. Mais ce prince devroit se piquer davantage du refus absolu qu'on lui fait de lui donner des subsides. Il ne peut digérer la paix de La Rochelle et l'arrêt des vaisseaux et marchandises d'Angleterre; il en parle avec chaleur. Le parlement proteste contre le duc de Buckingham comme auteur des divisions entre le roi et son peuple. On ne peut pousser plus loin la persécution contre les catholiques. Les prisons sont devenues des couvents de religieuses. Mende écrit qu'il a vu Buckingham en pleurs aux pieds de son maître. Si le roi d'Angleterre casse le parlement, il faut qu'il en convoque un autre six semaines après, n'ayant pas de quoi subsister. Bristol a donné de nouvelles charges contre Buckingham, et son fils a donné une relation touchant de qui s'est passé en Espagne toute contraire à celle de Buckingham.»--LE MÊME, 26 JUIN: «Le roi a cassé son parlement parce que le lendemain les deux chambres s'unissoient pour porter la sentence contre le duc. Jamais prince n'a été plus haï ni dans une plus grande nécessité que le roi d'Angleterre. Le duc peut bien différer, mais non pas éviter sa perte. Mende veut le porter à rompre avec le parlement afin de donner, par ce moyen, le temps de respirer aux catholiques. On poussoit Buckingham sur l'affaire d'Espagne. Bristol a été envoyé à la Tour; on lui a offert son pardon, il l'a refusé disant que le pardon n'étoit que pour les coupables. Le comte d'Arondel est relegué dans sa maison avec toute sa famille. Le roi d'Angleterre a arraché des registres la déclaration, autorisée de sa main, de l'alliance d'Espagne, et celle de la chambre basse qui proteste que les impositions faites sans son ministère sont de pures violences.»--LE MÊME, 28 JUIN: «Il a écrit par Montaigu ce qui s'est passé depuis la rupture du parlement. Londres a refusé un million qu'on lui demandoit à emprunter. On demandoit aux aldermans à chacun 50,000 fr., ce qu'ils ont refusé. On a donné à Hamilton le commandement de quarante vaisseaux, il l'a refusé. Le garde des sceaux a ordonné à Bristol de se préparer à répondre; Bristol pourra demander son renvoi où le procès a été intenté. Tout cela aigrit le peuple contre Buckingham.» LE MÊME, 4 JUILLET: «Il a écrit par Montaigu, par ordre du roi d'Angleterre, le lendemain que le parlement fut cassé. Le roi assembla un grand conseil pour faire autoriser les impositions sur le peuple. Personne n'en ose ouvrir la bouche. On envoie par les provinces des lettres royales qui ne font que trop connaître la misère de la cour. On ne croit pas qu'ils gagnent beaucoup par cette quête. On a voulu faire des emprunts dans Londres, on n'a eu que des refus. Cependant Montaigu croit que dans peu le roi sera au-dessus de ses affaires et qu'il sera craint et redouté plus qu'aucun autre. Buckingham veut se faire absoudre par la chambre de l'Étoile. On ne croit pas qu'il y ait des personnes assez hardies pour le décharger des accusations de la chambre basse. Le roi d'Angleterre donne de bonnes paroles pour les catholiques, et en même temps il donne des commissions pour les poursuivre. Buckingham dit que les promesses en leur faveur n'ont été faites que pour endormir le pape. On doit s'en plaindre et les menacer de ne pas s'engager pour les affaires d'Allemagne. Il est important de faire connaître aux catholiques qu'on ne les abandonne pas. On tâchera de tirer d'eux une somme considérable. Mais Mende ne leur conseille pas de rien donner. Montaigu va solliciter le payement des 400,000 écus. Il dira que la reine a ses domaines, ce qui n'est pas. Jamais princesse n'a été plus maltraitée. Le comte de Carlile a conté à Mende les discours que Monsieur lui a faits, si pleins de haine et de mépris pour le roi que par respect on n'ose les écrire. Les dames du cabinet d'en haut (évidemment Mme de Chevreuse, la maréchale Ornano, la reine Anne) tiennent les Anglois fidèlement avertis. On dit Monsieur et la reine en bonne intelligence.»--RÉPONSE DU CARDINAL, 10 JUILLET: «Si les Anglois mettent des impôts sur les marchandises de France, on en mettra en France sur celles d'Angleterre. On fera ce qu'on pourra pour soulager les catholiques. On laisse à Mende de se roidir ou de se relâcher sur ce qui concerne la maison de la reine.»--LE MÊME, 16 JUILLET: «On a quelque lumière que les Anglois veulent se prévaloir des mécontentements de Monsieur et faire déclarer les Rochelois en sa faveur. L'ambassadeur de Savoie est le principal promoteur de cette affaire. On a surpris un paquet de Mme de Rohan, la mère, qui excite le sieur de Soubise, son fils, qui est retiré en Angleterre, à faire du pis qu'il pourra. Il faut tâcher de découvrir sur cela tout ce qu'on pourra. On a découvert de grandes cabales par la prise de Chalais: on fera ce qu'il faut pour y remédier.» L'ÉVÊQUE DE MENDE PAR COURRIER EXTRAORDINAIRE: «La ville de Londres accorde 200,000 livres, monnaie de France, au roi d'Angleterre. Le roi d'Angleterre s'approprie les deux tiers des biens des catholiques. On a retranché douze tables dans sa maison. On a envoyé dans les provinces affermer certaines viandes, de même que les charrettes, ce qui ne produira pas 40,000 écus par an, et rallume la haine contre le gouvernement. On a tenu conseil sur l'emploi de la flotte. Les uns vouloient qu'on l'envoyât à la rencontre de la flotte d'Espagne; les autres qu'elle demeurât sur les côtes pour interrompre le commerce; un troisième a conseillé de l'employer à reprendre les îles que les Rochelois ont perdues, assurant Buckingham que c'étoit le moyen de se faire absoudre par le parlement. Buckingham a fait mine de rejeter ce conseil et a consulté en même temps le moyen de l'exécuter. Le comte d'E. partira le 25 avec douze vaisseaux, et Buckingham, trois semaines après, avec les vingt-huit autres. Ils n'ont pas de vivres pour deux mois. Le roi d'Angleterre attend de grands effets de l'intelligence qui est entre Monsieur et la reine, et que presque toute la cour conspire à ce dessein. Buckingham entretenoit le roi d'Angleterre de la correspondance qui est entre le cardinal et Mme de Chevreuse, et qu'elle le caresse à deux fins: l'une pour éviter l'éloignement dont elle est menacée; l'autre pour couvrir ses intrigues. La reine d'Angleterre a fort protégé Buckingham pendant le parlement, et pour reconnaissance il n'est jour que lui et Carlile ne fassent tous leurs efforts pour irriter le roi d'Angleterre contre elle. Ils vont lui donner un parfumeur de Lombardie pour maître d'hôtel; la reine a prié le roi de ne la pas obliger à le recevoir. On lui a donné pour dames du lit la duchesse de Buckingham, la comtesse d'Amblie, la marquise d'Hamilton, les comtesses de Carlile et d'Holland. On a mis ce nombre afin d'exclure les dames françoises du carrosse. La reine a demandé la duchesse de Lenox et la comtesse d'Arondel. On n'a point reçu la duchesse de Buckingham. La reine a prié qu'on ôtât la comtesse de Carlile, ce qu'elle n'a pu obtenir. On a aussi nommé un officier pour auditeur des domaines. Tout cela se fait pour éloigner les François et pour placer les valets et les créatures de Buckingham. Carleton va ambassadeur extraordinaire en France pour le fait des domaines. Il est nécessaire de lui faire sentir fortement le peu de satisfaction qu'a le roi des mauvais traitements qu'on fait à la reine, sa sœur. Carlile et Buckingham tâchent de donner des maîtresses au roi, et on croit qu'ils lui ont fait voir la comtesse d'Oxford.» LE MÊME, 26 JUILLET: «Rien n'est plus extravagant que les Anglois. Buckingham, qui ne juroit que par Mende, veut absolument chasser les François. On est très-fâché du mariage de Monsieur (avec Mlle de Montpensier), parce qu'on croit toutes les cabales finies. La flotte étoit préparée contre la France et Soubise avoit ordre de se joindre aux Rochellois avec six vaisseaux qu'on tenoit tout prêts. Les agents de Savoie sont les principaux boute-feux. Les Anglois ont promis toute sorte de secours à ceux de La Rochelle pour reprendre les îles. Jamais temps ne fut plus propre pour attaquer La Rochelle. Les Anglois ne sont en état nullement de la secourir. Le comte de Tillières passe en France sous le prétexte d'aller faire un compliment sur le mariage de Monsieur, mais en effet pour représenter l'état où l'on est.» LE MÊME, 2 AOÛT: «Le duc de Buckingham songe fort à passer en France. La passion qu'il a pour les dames cause beaucoup d'extravagances et le cabinet d'en haut trouble fort les affaires.» LE MÊME, DE LA FIN DE JUILLET OU DU COMMENCEMENT D'AOÛT: «La reine envoie Tillières en France. On a mis, par force, quatre dames du lit auprès d'elle. On nie qu'on ait donné promesse de soulager les catholiques. On tâche d'étonner la reine pour lui faire changer de domestiques et ensuite de religion. Ils voudroient faire la paix avec l'Espagne et ils ont chargé Gondomar de leurs propositions. Il faut traverser cette paix dont Carleton doit faire quelque ouverture. Les Anglois en veulent particulièrement au cardinal, persuadés que, pendant son ministère, ils ne pourront pas jeter en France les divisions qu'ils ont projetées. Ils n'ont armé qu'afin de donner plus de hardiesse aux mécontents de la cour de prendre les armes. Soubise, par ordre du roi d'Angleterre, a envoyé à La Rochelle promettre que Buckingham iroit lui-même avec sa flotte les secourir. Cependant ils n'ont que douze vaisseaux. Ils en arrêteront vingt-deux marchands, en cas que La Rochelle accepte leurs offres. Carleton va pour demander l'éloignement des François. Il faut lui répondre fortement jusqu'à le menacer d'une rupture. Ils ne sont pas en état de rien faire sans la tenue d'un parlement, et le parlement est la ruine de Buckingham. Soubise n'a point de chausses ni le duc de quoi lui en donner. Celui-ci a toujours la fantaisie d'aller en France.»--LE MÊME, 10 AOÛT: «Il envoie un gentilhomme donner avis qu'on a signifié à tous les François ordre de se retirer, sans leur permettre de voir ni le roi ni la reine d'Angleterre. La reine est pénétrée de douleur. Cette résolution a été prise depuis le retour de Montaigu et sur l'assurance qu'il a donnée qu'on la pouvoit exécuter sans péril. Lettre très-touchante de la reine d'Angleterre à M. de Mende pour le prier de représenter ses malheurs à la reine mère. Il assure que tout ce qu'on peut mander des mauvais traitements que reçoit la reine d'Angleterre est beaucoup au-dessous de la vérité.--LE MÊME: «Sur le refus que les François faisoient de se retirer, le roi d'Angleterre est venu lui-même à _Somerset-House_ leur ordonner de sortir dans les vingt-quatre heures de ses États. On avoit mis près de la reine deux très-mauvais prêtres, Godefroy et Rozier; on a eu bien de la peine à obtenir qu'on y laissera un père de l'Oratoire avec son compagnon, à ces conditions qu'ils n'écriront point en France de la conduite de la reine, et qu'ils ne parleront qu'en présence de témoins. On cherche Calcédoine pour le faire mourir. Quelques conseillers ayant voulu représenter que la France pourroit se venger, Buckingham et Carlile ont parlé du roi avec le dernier mépris. La maison de la reine est remplie d'hérétiques et des parentes de Buckingham; et le roi a dit publiquement qu'il y a plus de huit mois qu'on avoit disposé de toutes les charges et qu'on avoit résolu que la reine n'auroit plus ni vêpres ni messe. On a fait ce qu'on a pu afin que le père de Sancy demeurât. Le roi ne l'a pas voulu permettre.»--LE MÊME, 15 AOUT: «On a chassé les François par violence. La vanité de Blainville, les intrigues de la reine régnante et de Monsieur ont causé tout cela. On a su que Blainville publioit partout la faiblesse et la nécessité où est l'Angleterre. L'éloignement de la Duvernay (Mme du Vernet, sœur du duc de Luynes, dame d'atour de la reine Anne, compromise dans l'affaire de Chalais) a beaucoup contribué à faire prendre cette résolution. La liberté qu'ils ont eue dans les cabinets a fait ce mal. Ils croient donner par là plus de hardiesse à Monsieur de continuer ses cabales. Toute l'envie est contre le cardinal. On a envoyé à La Rochelle pour savoir quel secours on en pouvoit attendre.»--LE MÊME, 18 AOUT: «On a défendu aux François d'approcher de la maison de la reine; son confesseur, faute de logement, couche dans la chapelle. Il n'est plus permis à la reine d'entendre la messe publiquement. On a eu beaucoup de peine à lui conserver son médecin et son apothicaire. Le roi d'Angleterre règle sa famille. Il veut qu'il n'y ait plus qu'une table pour lui et pour la reine. On veut traiter avec l'Espagne. Gerbier a fait deux voyages à Bruxelles à cette fin. Ils croient qu'on amasse beaucoup de vaisseaux à Blavet, et que les galères de Marseille étoient dans ces mers; ils en sont très-alarmés. Si on interrompoit le commerce, le peuple pourroit bien faire justice des favoris.» MÉMOIRE DU MÊME A SON RETOUR D'ANGLETERRE. «Les Anglois veulent faire la paix avec l'Espagne. On croit que Gondomar est chargé de cette affaire et que les voyages de Le Clerc et de Gerbier à Bruxelles sont à cette fin. Ils espèrent, étant d'accord avec les Espagnols, pouvoir soutenir les Huguenots en France. Peu de temps avant l'emprisonnement du maréchal d'Ornano, Buckingham prit le commandement de la flotte avec dessein d'attaquer les îles de Ré et d'Oléron, ou de surprendre quelque port en Bretagne ou en Normandie. Pembroc et Arondel le dirent à l'évêque de Mende. Après l'emprisonnement du maréchal, et même depuis le retour de Montaigu, ils ont cru que Monsieur pourroit passer en Angleterre. Buckingham s'en est expliqué à l'évêque de Mende et au comte de Tillières. Pembroc a dit au premier qu'on étoit convenu entre Mme de Chevreuse, les dames et les galants, que deux fois l'année on passeroit la mer, sous prétexte de raccommoder le roi et la reine d'Angleterre, et que la reine mère, dans la crainte que sa fille ne fût maltraitée, leur donneroit cette liberté. Comme ils jugent qu'ils pourront être traversés par le cardinal, ils songent à le perdre. Les raisons qu'ils disent en avoir sont la paix des Huguenots, le traité de la Valteline et l'éloignement de la Vieuville.»--LE MÊME, AMIENS, 24 AOUT. «Les Anglois sont dans le plus grand étonnement du monde du mariage de Monsieur, et disent qu'il faut que le cardinal soit un ange ou un diable pour avoir démêlé toutes ces fusées. Ils proposent déjà de rétablir une partie des personnes auprès de la reine.»--LE CARDINAL A M. DE MENDE, 27 AOUT. «Il le croit encore en Angleterre. Il loue son courage et dit qu'en ces occasions on doit souffrir le martyre; qu'il pleure avec des larmes de sang l'état malheureux de la reine d'Angleterre. Le roi envoie M. de Bassompierre témoigner le juste ressentiment qu'il a de cette perfidie. On prendra tous les conseils que vous pouvez vous imaginer pour la dignité d'un si grand prince, et pour empêcher que l'âme d'une si vertueuse princesse ne soit en hasard.» SEPTEMBRE: Instruction donnée à M. le maréchal de Bassompierre allant en Angleterre, signée à Nantes le 23 août 1626. BASSOMPIERRE, 17 OCTOBRE: «Le roi d'Angleterre ne veut entendre parler du rétablissement des officiers de la reine. Bassompierre est si mal content de sa première audience qu'il auroit pris congé de lui s'il en avoit eu la permission.»--LE MÊME, 30 OCTOBRE: «Il a disposé les ministres d'Angleterre à faire raison au roi. Buckingham y est fort porté et combat l'esprit opiniâtre du roi, son maître, qui ne veut plus, dit-il, retomber sous la domination et tyrannie que les François ont exercées sur lui en sa maison. Le point le plus difficile est qu'ils ne veulent point d'évêque pour grand aumônier, ni de réguliers.» «Propositions de M. de Bassompierre et réponses des ministres d'Angleterre. M. de Bassompierre appuie ses demandes sur les articles signés le 20 de novembre 1624, insérés dans le contrat de mariage de Madame Henriette, passé à Paris le 8 mai 1625 et ratifié par le roi de la Grande-Bretagne. Il est expressément promis que Madame aura le libre exercice de la religion catholique pour elle et pour toute sa maison; qu'elle auroit un évêque et un certain nombre de prêtres pour faire le service divin; que tous les officiers de sa maison et ses domestiques seroient François et catholiques choisis par Sa Majesté Très-Chrétienne. Par un autre acte particulier du 12 décembre 1624, le roi Jacques promet que tous ses sujets catholiques jouiront à l'avenir de plus de franchise et bons traitements qu'ils n'eussent pu faire en vertu d'aucuns articles accordés par le traité de mariage fait avec l'Espagne. Cet acte fut confirmé ce même jour par le prince, son fils, et celui-ci, étant revenu en son pays, avoit donné un autre acte de confirmation à Londres, le 18 de juillet 1625. Les ministres d'Angleterre conviennent des articles du 20 novembre, et prétendent qu'ils ont été religieusement observés; mais que l'évêque de Mende et Blainville mettoient la division entre les sujets du roi et animoient les mal affectionnés du parlement contre le roi et le repos de l'État; que les François prêtoient leur nom pour louer des maisons où les prêtres avoient leur retraite; qu'ils faisoient de la maison de la reine une retraite pour tous les jésuites et les fugitifs; qu'ils décrioient ce qui se passoit dans le particulier du roi et de la reine; qu'ils inspiroient à la reine de l'aversion pour le roi, son mari, du mépris pour la nation, du dégoût pour leurs manières, l'ayant empêchée d'apprendre la langue; qu'ils l'avoient soumise à la règle d'une obéissance monastique; qu'ils l'avoient menée au travers du parc, soutenue du comte de Tillières, en dévotion, à un gibet où on punit les malheureux condamnés, comme si on n'y avoit mis à mort que des innocents; que c'étoit ce dernier acte qui avoit fait perdre patience au roi; que cependant rien n'avoit altéré la bonne union et intelligence qu'il vouloit entretenir avec le roi de France, son frère; que Buckingham vouloit passer de Hollande en France pour faire ses plaintes, et qu'en France on n'avoit pas voulu le permettre. Quant à la liberté promise aux catholiques, ils nient que cela ait été porté dans le traité, et prétendent que l'écrit particulier passé sur ce sujet n'est qu'une formalité; que d'ailleurs on n'a fait mourir ni jésuites ni prêtres; que le roi d'Angleterre a lieu de se plaindre de ce que contre les paroles données on avoit refusé de faire une ligne offensive et défensive pour les affaires d'Allemagne; qu'après être convenu que Mansfeld pourroit descendre à Calais avec un corps d'infanterie angloise, auquel on joindroit un autre corps de cavalerie françoise pour pénétrer en Alsace, on avoit refusé de le recevoir, ce qui avoit coûté plus d'un million au roi d'Angleterre, et fait périr dix mille Anglois; qu'il étoit stipulé qu'on ne feroit point de représailles et que tout se termineroit par une voie amiable; que cependant on venoit d'arrêter et saisir les vaisseaux anglois et confisquer les marchandises; qu'on n'a rien tenu de ce qui a été promis à ceux de la religion réformée et particulièrement aux Rochelois par le traité conclu par la médiation des ambassadeurs que le roi d'Angleterre avoit envoyés exprès; qu'enfin on n'avoit pu obtenir l'entier accomplissement de ce qui avoit été promis au roi de Danemarck et à Mansfeld, ce qui a été très-préjudiciable à la cause commune. Pour conclusion, on convient que l'article du traité qui concerne la conscience de la reine sera ponctuellement observé, qu'on s'en rapportera au témoignage de la reine même, et qu'en considération de la reine on donnera aux catholiques romains la liberté que la constitution et la sûreté de l'État peuvent permettre. Donné par écrit le 13 novembre 1626. «Écrit passé entre le maréchal de Bassompierre et les ministres du roi de la Grande-Bretagne sur le rétablissement des officiers françois près de la reine, du 21 novembre. Bassompierre est convenu, sous le bon plaisir du roi, de ce qui suit, et en promet la ratification, savoir: que la reine aura un évêque, douze prêtres, un grand chambellan, un secrétaire, un écuyer, deux dames de la chambre du lit, trois femmes de chambre, qui sont la nourrice, sa fille et Mlle Vantelet, une empeseuse, un gentilhomme huissier de la chambre privée, M. Vantelet, un de la chambre de présence, M. Goudonis, un valet de chambre privé, Montaigu, un valet, un gentilhomme servant, un joueur de luth, Gautier, dix musiciens, deux médecins dont Mayerne est le premier, un chirurgien, un écuyer de cuisine, un apothicaire, un potager, un pâtissier. L'évêque n'aura nulle autorité hors la maison de la reine, n'ordonnera aucun prêtre, que les douze prêtres; il n'y aura ni jésuites ni pères de l'Oratoire hors le confesseur de la reine et son compagnon, qui sont de l'Oratoire; il ne reviendra aucun des domestiques qui ont été licenciés, hors le médecin Chartier. Bassompierre témoignera à la reine mère combien la reine, sa fille, étoit honorablement servie par ses dames du lit, que cependant elle pouvoit en mettre encore deux si elle le souhaitoit. «Signé: BASSOMPIERRE.» COMMENCEMENT DE L'ANNÉE 1627. AVIS DU P. DE SANCI: «Buckingham veut posséder la reine comme il possède le roi. Il a pour elle une passion extravagante. Il voudroit la pouvoir faire changer de religion pour gagner les protestants.»--Lettre de la reine d'Angleterre à la reine, sa mère, «sur l'envie que Buckingham a d'aller en France, et qu'elle ne peut se fier à lui.»--Mémoire intitulé: _Raisons contre le voyage de Buckingham_ (vraisemblablement de Richelieu). «Il y a dix-huit mois qu'on lui a refusé la permission qu'il demande, et on la lui a refusée attendu l'inexécution du traité; et comme aujourd'hui il y a contrevenu, on doit témoigner encore plus de fermeté. Lorsqu'on a pressé le roi d'Angleterre pour le soulagement des catholiques, il a répondu, par le conseil de Buckingham, que la clause du soulagement des catholiques n'avoit été mise que pour obtenir la dispense du mariage. Si on reçoit Buckingham auteur de cet artifice, on met les catholiques anglois au désespoir, et le roi perd sa réputation et son crédit. Buckingham est accusé dans le parlement d'avoir donné des vaisseaux pour ruiner les Huguenots. Il croit qu'en venant en France il leur donnera quelque espérance de relever leurs affaires, et cabalera dans le royaume et fomentera la division des grands. L'Angleterre n'est point en état de soutenir les affaires d'Allemagne. La France peut bien contribuer et ne pas les abandonner, mais elle ne veut pas les épouser. Enfin on ne peut point faire d'accueil à un favori dont il soit content, et moins à celui-ci qu'à un autre. On a vu qu'en Espagne il s'est brouillé avec le comte Olivarez, et cette rupture a causé la guerre entre l'Angleterre et l'Espagne. Son voyage en France l'a rendu ennemi du roi et de son principal ministre; depuis, il n'en a parlé qu'avec mépris, et a partout témoigné son animosité. Lorsqu'il fut à La Haye, il tâcha de rendre la personne du prince d'Orange odieuse. On ne peut pas douter que son voyage, donnant de la jalousie aux Espagnols, ne les porte à faire plutôt la paix, ce qu'on doit éviter.» AFFAIRE DE CHALAIS Les archives des archives étrangères, FRANCE, t. XXXVIII, XXXIX et XL, contiennent tout ce que contient le recueil de La Borde: «Pièces du procès de Henri de Tallerand, comte de Chalais, décapité en 1626, Londres, 1781.» Aucune des pièces imprimées n'y manque; il y en a même quelques-unes de plus. Ainsi, outre les deux lettres connues de Chalais au cardinal et au roi, où il leur demande grâce et s'engage à les servir, nous en trouvons ici une troisième à la reine mère, alors toute-puissante sur le roi et sur le cardinal, dans laquelle il renouvelle les mêmes offres de services d'un si peu noble caractère.--FRANCE, t. XXXIX. LETTRE A LA ROYNE, MÈRE DU ROI, DE 5 AOUST 1626: «Madame, les grâces que j'ai reçues de l'intervention de Votre Majesté ont tellement augmenté les espérances que j'avois de réparer mes fautes, qu'à présent que les inquiétudes me tuent je prends la hardiesse de la supplier pour la continuation; et bien que le misérable état en quoi je suis et le service très-humble que je lui ai voué de tout temps me fissent espérer tant de bonté, si osé-je lui dire que, n'ayant nul intérêt que dans celui du roy et dans son contentement, elle y est plus que obligée, puisque je me promets très-infailliblement lui rendre de bien grands services. Votre Majesté considérera donc que peut-être à toutes heures on en a besoin, vu la légèreté et malice des espris qui _conseillent ou font conseiller monseigneur_[366]. de même, lorsque monseigneur le cardinal me visita, je lui donnai avis combien étoit à soupçonner _le voyage de celui qui a les oiseaux de monseigneur_[367], et la grande confiance qu'on a en lui. je demande donc à Votre Majesté de hâter ma délivrance, puisqu'en un moment je saurai sa légation[368] et tout ce qui pourra importer le service du roy; et la supplie, si elle m'en juge digne, de m'en mander quelque chose par M. de Lamon (exempt de la garde écossaise et un des espions du cardinal), afin ou que je vive en espérance ou que je me réduise à prier dieu pour le roy et pour Votre Majesté, de qui je suis, madame, le très-humble et très-obéissant et fidèle serviteur, CHALAIS.» [366] La ligne est ainsi soulignée dans la copie qui est aux archives. [367] Ainsi souligné. [368] Une autre main: le but de son voyage. Cette pièce n'est pas propre à diminuer le mépris que mérite la conduite de Chalais en prison, ni la suivante à affaiblir une des plus graves accusations qui pesaient sur lui, celle d'avoir trempé dans les intrigues du comte de Soissons et tenté de séduire la fidélité du commandant de Metz. Après l'arrestation des Vendôme, Chalais avait envoyé son écuyer porter une lettre au comte de Soissons, pour l'avertir de cette arrestation et l'engager à ne pas venir chercher le même sort à la cour, conseil qu'avait fort bien suivi le comte; et il avait aussi envoyé le même écuyer au marquis La Valette, qui commandait à Metz au nom de son père le duc d'Épernon, pour l'inviter à s'entendre avec Monsieur, qui cherchait de divers côtés un asile. La proposition faite à La Valette n'avait pas été acceptée, mais elle avait été faite, et cela suffisait à établir la culpabilité de Chalais. L'écuyer, après avoir rempli ses commissions, était tombé à son retour entre les mains de Richelieu; et quoique déjà Chalais eût subi sa peine, on n'avait pas moins, comme nous l'avons dit, p. 73, procédé à son interrogatoire pour éclairer encore l'ensemble de l'affaire et confirmer la justice de la sentence rendue et exécutée. FRANCE, t. XXXVIII, fol. 12. «DU MERCREDI 23 SEPTEMBRE 1626, à trois heures de relevée, au château de la Bastille. Nous avons fait amener devant nous, en la chambre du sieur du Tremblay, gouverneur dudit château, Gaston de la Louvière, prisonnier audit château, pour l'ouïr et l'interroger à part, serment par lui fait de dire vérité. «Interrogé sur son nom, âge, qualité et demeure, a dit se nommer Gaston de la Louvière, âgé de 23 ans ou environ, gentilhomme servant d'écuyer au sieur de Chalais, avant sa prison, avec lequel il demeuroit. «Interrogé s'il sait pourquoi il est prisonnier, a dit qu'il ne sait, et qu'il a fait un voyage, pour ledit sieur de Chalais, de Blois à Paris, pendant que la cour étoit à Blois, après la prise de MM. de Vendôme, pour porter une lettre que lui bailla ledit sieur de Chalais pour porter à M. le comte de Soissons, laquelle il rendit à mondit sieur le Comte en sa maison, sur la fin de son dîner, en présence de madame sa mère, du sieur de Seneterre et beaucoup d'autres, laquelle fut lue par ledit sieur comte de Soissons, qui demanda au répondant depuis quand les sieurs de Vendôme étoient arrêtés.--A dit encore ledit répondant qu'étant retourné à Blois sans réponse dudit sieur comte, ledit Chalais, trois ou quatre jours après, le renvoya de Blois à Metz vers le sieur de La Valette, lui disant ces mots: «On m'a voulu mettre mal auprès du roi. Mgr le cardinal de Richelieu m'a dit que le vrai moyen de m'y remettre étoit de découvrir quelque chose des affaires ou intrigues de Monsieur: va-t'en donc à Metz, et porte cette lettre à M. de La Valette, à Metz.» Et, outre ladite lettre, lui donna un petit billet à part, dedans lequel étoient écrits ces mots: «Si vous voulez recevoir des propositions de la part de Monsieur, je me fais fort de vous en faire faire;» laquelle lettre et billet il porta au sieur de La Valette, à Metz, lequel dit au répondant qu'il trouvoit bien étrange que le sieur de Chalais, qui étoit de la maison du roi, se mêlât de ces affaires-là, et qu'il ne se falloit pas adresser à lui pour cela, qu'il n'avoit aucun pouvoir et dépendoit de M. d'Epernon, son père, et ne lui fit ne donna autre réponse; même se souvient le répondant qu'il bailla audit sieur de La Valette, étant dans sa salle, ladite lettre et billet en présence de beaucoup de personnes qu'il ne connoît pas de nom, et croit ledit répondant que c'est là le sujet pour lequel il a été emprisonné; et s'il eût cru l'être pour cela, il n'eût porté lesdites lettres; et même avant que partir de Blois, le répondant dit à la femme dudit Chalais, en présence de Lustié (?), écuyer de ladite dame, qu'il se réjouissoit fort de ce que son maître se remettoit aux bonnes grâces du roi, et que sondit maître lui avoit dit qu'il l'envoyoit à Metz parce que ledit sieur cardinal le faisoit faire; et de fait ledit sieur de Chalais lui dit que le sieur cardinal lui avoit baillé cent pistoles, dont ledit sieur de Chalais lui en bailla quarante pour son voyage; et étant le répondant de retour à Nantes, il fit entendre à son maître que ledit sieur de La Valette avoit trouvé mauvais ledit voyage, et lui avoit demandé de quelles personnes son maître se fioit et à qui il en avoit communiqué; sur quoi ledit Chalais lui dit ces mots: «Vraiment, tu n'as point d'esprit», s'étonnant de ce qu'il ne lui avoit point rapporté de réponse; et lui dit qu'il s'en alloit le dire à mondit sieur le cardinal. Et, deux jours après, ledit Chalais ayant été emprisonné, le répondant s'en étonna, et dit à la dame de Chalais plusieurs fois, et au comte de Cramail, qu'il ne croyoit pas qu'il pût être en peine, parce qu'il lui avoit dit que ledit sieur cardinal avoit fait faire ledit voyage de Metz, et qu'il alloit par là se remettre aux bonnes grâces du roi; auquel répondant ladite dame de Chalais disoit: Vous le voyez bien, si c'est M. le cardinal qui l'a fait faire; et quant au comte de Cramail il disoit qu'il falloit donc que ledit Chalais eût trompé ledit sieur cardinal. «Depuis quel temps il est au service dudit Chalais? A dit qu'il entra à son service environ le temps de la foire Saint-Gervais dernier par le moyen du comte de Louvigny, lequel il avoit servi auparavant. «De quelles affaires il s'est mêlé depuis qu'il est audit Chalais autres que celles dont il a parlé? A dit qu'il ne s'en est mêlé d'aucune autre, et que jamais il ne lui a rien dit ni donné aucun emploi. «S'il n'a pas toujours suivi ledit Chalais et été partout avec lui? A dit qu'il ne le suivoit pas toujours, et quelquefois il échappoit au répondant qui demeuroit longtemps sans le pouvoir trouver; une fois entre autres devant le dernier voyage du roi à Blois, ledit Chalais, sortant du Louvre après le coucher du roi, sur les dix à onze heures du soir, comme ledit répondant le suivoit, il le perdit entre les deux portes du pont dans la presse, et ne retrouva ledit Chalais à son logis qu'à deux heures après minuit, sans qu'on ait pu savoir où il avoit été. «S'il croyoit que le voyage qu'il avoit fait à Metz étoit pour le service du roi? A dit que oui. «Quelle interprétation il a pu donner aux termes portés par le billet d'offrir au sieur de La Valette des conditions de la part de Monsieur, et s'il appelle cela faire le service du roi? A dit que s'il a failli, c'est que son maître l'a trompé, et qu'il croyoit que son maître vouloit découvrir l'intention du sieur de La Valette pour le faire savoir après au sieur cardinal. «S'il n'avoit pas encore autre créance à dire de la part de son maître, de bouche, au sieur de La Valette, et quelle? A dit que non, que son maître ne lui en a point donné d'autre que celle du billet, lequel son maître lui avoit lu. «Combien de temps le répondant séjourna à Metz? A dit qu'il n'y demeura qu'un demi jour. «Avec quelles autres personnes il communiqua étant à Metz? A dit qu'il n'y a communiqué avec personne. «Ce que portoit la lettre de sondit maître au sieur de La Valette? A dit qu'il ne sait ce qu'elle portoit, qu'il ne l'a point lue, et ne lui a été communiquée par son maître, mais qu'elle n'étoit que de la moitié d'une page de papier. «Lui avons remontré qu'il ne dit la vérité, et se rend moins digne de grâce en la taisant, parce qu'il n'y a apparence que son maître lui ait confié un billet de si grande importance et si pernicieux contre le service de Sa Majesté sans lui avoir communiqué le particulier des conditions dont son maître entendoit parler par ledit billet, vu même que ladite lettre, courte et en peu de lignes, comme il le confesse, ne pouvoit instruire le sieur de La Valette, si le répondant n'eût su toutes les conditions. A dit qu'il est vrai qu'il n'a jamais rien su d'aucunes conditions ni autres choses que ce qu'il nous a dit, et qu'il voit bien que son maître l'a trompé. «S'il n'a pas fait le voyage de Metz pour persuader au sieur de La Valette d'y recevoir Monsieur? A dit que non. «S'il ne croit pas ce que ledit Chalais a dit touchant ledit voyage de Metz? A dit que non. «Pourquoi il n'en veut pas croire son maître et quels reproches il peut avoir contre lui? A dit que c'est pour ce que son maître ne lui a dit autre chose que ce que lui, répondant, nous a dit, et qu'il n'a autre reproche contre lui, sinon qu'il croit à présent qu'il s'est voulu servir de lui pour le tromper. «Si son maître ne lui a pas communiqué l'intelligence qu'il avoit avec autres grands du royaume, et qui ils sont? A dit que non. «S'il ne sait pas l'intelligence qui étoit entre son maître et M. le grand-prieur? A dit que non. «S'il ne sait pas le parti qui se formoit entre les grands du royaume, et à quelle fin? A dit que non, et qu'il ne lui a rien communiqué. «Pourquoi donc il a fait plusieurs voyages vers M. le comte de Soissons et autres? A dit qu'il n'a fait autres voyages vers M. le comte de Soissons que celui dont il nous a parlé ci-dessus. «Ce que portoit la lettre écrite par son maître à M. le Comte? A dit qu'il ne sait et qu'il croit qu'elle parloit de l'arrêt desdits sieurs de Vendôme ainsi que son maître le lui avoit dit, lequel arrêt avoit été fait le jour que ledit répondant partit de Blois. «Quelles autres charges il avoit vers mondit sieur le comte de Soissons? A dit qu'il n'en avoit point d'autres que ce qu'il a dit. «A qui il parla étant à Paris? A dit qu'il ne parla à personne, sinon au sieur de Castille et à ceux de sa maison. «S'il ne parla pas au sieur de Seneterre? A dit que oui, et que lorsqu'il rendit ladite lettre de son maître à M. le Comte, ledit Seneterre le tira à part et lui demanda quand lesdits sieurs de Vendôme avoient été pris. «Si ledit sieur de Seneterre ne lui dit pas autre chose, et quoi? A dit que non. «Quelle commission on lui donna de faire à son retour à Blois? A dit qu'on ne lui en donna point. «Si ledit Chalais n'écrivit point audit sieur Comte qu'il se gardât bien de venir à Blois, et autres choses? A dit qu'il ne sait. «S'il a su que ledit Chalais est mort? A dit qu'il l'a appris hier par un des domestiques de céans, et ne se souvient si le sieur du Tremblay l'a dit aussi. «Lui avons remontré qu'il ne nous dit la vérité, et qu'il a su toutes les menées et intelligences qui se sont passées entre plusieurs grands et son maître, comme il en a déjà reconnu beaucoup, et qu'il ne doit point douter que par les déclarations de son maître et autres personnes dignes de foi, le roi ne soit éclairci de tout ce qui s'est passé, et qu'on n'a pas besoin de sa confession, mais que pour satisfaire aux formes de justice, on lui en demande la vérité, l'admonestant de la dire et de se rendre par ce moyen plus digne de grâce, comme il sera, pourvu qu'il dise la vérité de tout ce qu'il sait, n'ayant été employé que par autrui. A dit qu'il nous a dit la vérité. «S'il ne sait pas l'intelligence du sieur de Chalais avec Mme de Chevreuse? A dit qu'il a ouï dire cent fois audit Chalais qu'il en étoit amoureux, et qu'il avoit la plus belle maîtresse du royaume, mais que ledit Chalais ne souffroit pas que lui, répondant, vît toutes ses actions, et qu'aussitôt qu'il étoit retiré dans sa chambre, au Louvre, après le coucher du roi, il renvoyoit le répondant à son logis à la ville, et qu'il a souvent vu ledit Chalais suivre ladite dame aux églises et promenoirs, et le plus souvent à la chapelle du Louvre. «S'il ne sait pas que ladite dame de Chevreuse se mêloit des pratiques et intelligences que ledit Chalais avoit avec aucuns grands du royaume? A dit que non. «Si quand, lui répondant, vint de Nantes à Paris, après la prison de son maître, il ne vit pas à son arrivée, devant qu'il fût arrêté, ledit sieur de Seneterre? A dit que non. «S'il ne vit pas d'autres domestiques dudit sieur comte de Soissons, et ce qu'ils lui dirent? A dit qu'il n'en a point vu, sinon qu'un jour après son arrivée, ledit sieur Comte, venant visiter le sieur de Castille, l'écuyer dudit sieur Comte, qui pique ses grands chevaux, duquel il ne sait le nom, lui demanda seulement comment alloient les affaires du sieur de Chalais. «Quelle réponse lui fit ledit sieur de La Valette lorsqu'il fut à Metz, autre que celle qu'il a dit? A dit qu'il ne lui en fit point d'autre. «Si au retour de Metz il passa par Paris? A dit qu'oui. «S'il ne rendit pas compte de son voyage à M. le comte de Soissons? A dit que non et qu'il ne vit pas M. le Comte. «A quelle autre personne il en rendit compte à Paris? A dit qu'il n'en parla à personne. «Lui avons remontré que par ses confessions il s'est manifestement convaincu, et que l'excuse de l'ignorance qu'il allègue et de s'être laissé abuser par son maître, comme il dit, est contre le sens commun pour un gentilhomme accoutumé à la vie de la cour, et que les pernicieux voyages qu'il a faits contre la personne du roi et son État ne peuvent avoir été faits que par un mauvais dessein prémédité; ce partant, que cela l'oblige davantage à dire la vérité, et mériter par ce moyen la grâce du roi et faciliter sa liberté, l'admonestant de reconnaître la vérité. A dit qu'il n'a rien à dire pour la vérité plus que ce qu'il a dit. «Lecture à lui faite du présent interrogatoire, a dit ses réponses contenir vérité, y a persisté, et a signé LA LOUVIÈRE.» Nous avons vu, p. 69, 70 et 71, qu'à la suite des viles dénonciations de Louvigni qui amenèrent l'arrestation de Chalais, à Nantes, le 8 juillet 1626[369], Monsieur, mandé devant le roi et sa mère, perdit la tête comme il avait fait au mois de mai précédent, et fit des aveux accablants pour ses complices, et en particulier pour Chalais. Richelieu, dans ses Mémoires, nous fait connaître en gros ces aveux; mais les procès-verbaux qui les comprennent sont encore aux archives des affaires étrangères, FRANCE, t. XXXIX, f. 329-335, avec les signatures autographes, avec le mot _employé_, attestant que Richelieu s'est servi de ces papiers, et même avec les principaux faits relevés de sa propre main à la marge. Nous donnons ces procès-verbaux tout entiers, comme un curieux et triste monument de l'une des plus grandes bassesses dont l'histoire fasse mention. Ici, en 1626, Gaston s'est d'avance surpassé lui-même, et tout ce qu'il fera plus tard dans l'affaire de Montmorency et dans celle de Bouillon et de Cinq-Mars n'est en vérité rien devant l'abîme d'infamies que contient cette première trahison, suivie de tant d'autres. Plus on l'examine, plus elle fait horreur. Son objet, le motif qui l'a déterminée, n'est ni l'ambition, ni l'amour, ni l'orgueil, ni la vengeance; c'est un intérêt d'argent, le désir d'un plus riche apanage. Les personnes qui vont en être victimes, c'est un de ses favoris, Chalais, c'est son propre gouverneur Ornano, ce sont ses deux frères naturels les Vendôme, ce sont deux femmes qui se sont fiées à lui, la reine et Mme de Chevreuse. Ajoutez que le comte de Soissons est seul parvenu à s'échapper, et que tous les autres, Chalais, Ornano, les Vendôme, sont là sous la main du terrible cardinal, et que ses aveux les livrent à l'échafaud, tandis qu'il pouvait les sauver tous aisément en se déclarant prêt à épouser Mlle de Montpensier, à servir loyalement le roi et à bien vivre avec son ministre, à la condition qu'on délivrât les prisonniers et qu'on abandonnât les procédures commencées. Richelieu aurait bien été forcé d'accepter cette condition, et il l'aurait embrassée avec joie si, à ce prix, il avait espéré acquérir véritablement celui qui le lendemain pouvait être son roi et hériter de la couronne de Louis XIII déjà très-malade et encore sans enfants. [369] Pendant tout le procès, Louvigni n'a cessé de s'entendre avec le cardinal, car il y a aux archives des affaires étrangères, FRANCE, t. XXXVIII, dans l'extrait de la correspondance de 1626, un billet de Louvigni à Richelieu, du 15 Juillet: «Il ne peut aller trouver monseigneur le cardinal, de peur de se rendre suspect et de se mettre par là hors d'état de servir.» DIVERSES CHOSES QUE MONSIEUR A AVOUÉES AU ROY. JUILLET ET AOUT 1626. «Le samedi, 11e jour de juillet 1626, le roi étant en la ville de Nantes, Monsieur a dit à Sa Majesté les choses qui s'en suivent, en présence de la reine sa mère, de monseigneur le cardinal de Richelieu, et de MM. le garde des sceaux (Marillac), d'Effiat et Beaucler, voulant reconnaître franchement la vérité sur les occurrences présentes, dont le roi lui parloit: «Qu'il étoit vrai que Chalais lui avoit dit dès Paris qu'on le vouloit prendre prisonnier, qu'il avoit fait une grande faute de souffrir qu'on mît des exempts dans le Pont-de-l'Arche et Honfleur, parce qu'il se fût retiré dans l'une des deux places et que le Havre se fût joint à lui; «Qu'il devoit empêcher M. le Comte de venir à la cour, de peur qu'on les prît tous deux ensemble; «Qu'il l'avoit convié à demander le marquis de Cœuvres pour premier gentilhomme de sa chambre, parce qu'il est parent de M. de Vendôme et du grand prieur; «Que lui, Chalais, vouloit vendre sa charge (de maître de la garderobe) pour être plus attaché à Monsieur et plus libre de le servir; «Qu'étant à Nantes il lui avoit dit qu'on lui avoit mis des compagnies de chevau-légers de tous côtés pour l'empêcher de sortir. «Monsieur dit aussi au roi que M. le Comte lui avoit fait dire à Paris qu'il ne lui parloit point parce qu'il disoit toutes choses et ne gardoit pas secret, et qu'après qu'il eut été à Limours voir le cardinal, M. de Longueville lui dit en se moquant qu'il voudrait bien savoir si les affaires du Colonel (Ornano, colonel des Corses) en alloient mieux. «LOUIS.--MARIE.--ARMAND, card. de RICHELIEU.--de MARILLAC.» «Le lendemain, dimanche, 12e jour dudit mois de juillet 1626, Monsieur a reconnu les divers desseins qui s'en suivent en présence du roi, de la reine sa mère, et de M. le cardinal de Richelieu. «Dessein perpétuel de s'en aller de la cour depuis Blois, qui étoit tout connu à Chalais, Boitalmet (_sic._ Bois-d'Annemets) et Puislaurens, et, depuis la prise de Chalais, au président Le Coigneux; qu'en ce dessein il avait diverses fins: d'aller à Paris pour tâcher de faire révolter le peuple, lui donnant du blé gratuitement et publiant qu'on l'avoit voulu prendre prisonnier et faire arrêter M. le Comte, ainsi qu'on avoit déjà arrêté des princes et autres personnes; d'essayer de surprendre le bois de Vincennes, et par quelque artifice faire sortir le bonhomme Hecour (un des gardiens) pour s'en saisir et faire ouvrir par ses enfants par crainte qu'on poignardât leur père devant eux; qu'il voyoit bien plusieurs difficultés en ce dessein parce que Pades (?) étoit dans la basse-cour, et qu'il falloit onze pétards pour venir jusqu'à la chambre du Colonel, aussi qu'il y avoit quatre des mousquetaires du roi dans le donjon, et qu'il craignoit qu'ils ne se rendissent pas quand même les autres le voudroient; qu'il eût bien désiré que le Colonel eût été à la Bastille où il ne falloit que cinq pétards, mais qu'il avoit bien jugé qu'on y avoit mis Mazargue et Ornano (frères du maréchal), parce que ceux-là n'avoient rien fait, et qu'on avoit mis le Colonel et Chaudebonne au bois de Vincennes; «Que sa résolution étoit de ne point partir de Paris que quand le roi reviendroit, auquel cas il en fût sorti pour aller à Metz, à Dieppe ou au Havre, desquelles places on lui avoit parlé pour se retirer dès avant que le roi partît de Paris; que pour cet effet le roi se souviendroit qu'il lui avoit demandé cent mille écus plusieurs fois dès Fontainebleau, et que c'étoit en intention de gagner Mme de Villars par ce moyen, ne se souciant pas du mari, pourvu qu'il eût gagné la femme (Villars était gouverneur du Havre; sa femme étoit de la maison d'Estrées); «Que le grand-prieur savoit l'affaire de Metz et du Havre, et qu'il lui avoit donné conseil d'aller à Fleury menacer le cardinal de Richelieu du poignard s'il ne moyennoit la liberté du Colonel, à quoi il avoit été résolu; «Qu'il avoit eu dessein de fortifier Quillebeuf; qu'il avoit pensé que le duc de Chaulnes ne lui refuseroit retraite à Amiens et qu'on lui avoit fait cette proposition, comme aussi on lui avoit parlé de Laon, lui disant que le lieutenant lui donneroit peut-être retraite à cause de la parenté du marquis de Cœuvres avec M. de Vendôme et le grand-prieur; qu'il est vrai que c'est lui-même qui a fait donner l'appréhension à MM. de Chaulnes et Luxembourg (les deux frères du feu duc de Luynes) qu'on leur vouloit ôter leurs places afin de les disposer à l'y recevoir; «Qu'il avoit pratiqué toutes les provinces du royaume pour connoître si on lui vouloit donner retraite en quelqu'une; «Que les Rochelois et M. de Soubise lui avoient fait offrir retraite à la Rochelle et que Boistalmet et Puislaurens lui avoient dit qu'ils le suivroient partout excepté en ce lieu là; «Qu'il n'avoit point encore écrit, mais qu'il avoit résolu d'écrire partout si tôt qu'il seroit parti à trois lieues même de Nantes; «Qu'il avoit seulement écrit une lettre à Mme la princesse de Piedmont à laquelle il est vrai qu'il avoit envoyé Valins devant que le Colonel fût pris; que l'on avoit dit que, depuis que M. le prince de Piedmont fut mécontent de la paix d'Italie, lui et M. le Comte lui avoient parlé, ce qui n'est pas vrai, mais bien qu'il avoit envoyé Valins en Savoye comme il a dit; «Qu'il avoit demandé son apanage à Blois à deux fins: l'une pour amuser, et l'autre afin qu'étant retiré de la cour on ne lui pût refuser, comme faisant une nouvelle demande, ce qu'on lui avoit auparavant accordé; «Que M. le Comte et M. de Longueville étoient tout à lui, et que maintenant qu'il étoit bien avec le roi, il répondoit d'eux à Sa Majesté; que M. de Longueville mouroit de peur qu'on le prît à Blois, où il n'avoit osé parler à lui, mais lui avoit laissé Montigny (capitaine de ses gardes) pour lui parler après qu'il seroit parti, ce qu'il avoit fait; «A dit que Dieu avoit voulu qu'avant hier ses maîtres d'hôtel par hazard avoient diné tard, et que sans cela il partoit pour s'en aller à Paris; mais y ayant dix ou douze gentilshommes des siens qui dînoient, cela le retarda, et que dans le retardement il trouva sujet de se contenter et changer son dessein; «Que, outre Chalais, Boistalmet et Puislaurens, qui ont toujours su toute sa conduite, il y avoit plus de quinze personnes qui savoient le dessein de son voyage à Paris, savoir: Lecoigneux, Ouailli, Dusaunois qui étoit venu de Paris depuis trois jours, Peregrin son maître d'hôtel, Rames, les deux d'Elbene, Delfin et autres, et qu'il avoit envoyé Boistalmet et Puislaurens, tant pour l'attendre sur le chemin que parce qu'aussi sachant ses affaires dès le commencement, il craignoit qu'on les arrêtât; «La reine disant à Monsieur qu'il avoit manqué à l'écrit si solennel duquel le roi avoit voulu qu'elle fût dépositaire, il a répondu qu'il l'avoit signé, mais qu'il ne l'avoit promis de bouche; en quoi sa mémoire l'a mal servi, vu qu'il embrassa le roi qui lui tendit les bras après la lecture de l'écrit, jurant qu'il le garderait inviolablement. Le roi et la reine le faisant souvenir que plusieurs fois depuis il avoit juré solennellement de ne penser jamais à chose quelconque qui tendît à le séparer d'avec le roi, il a dit qu'il avoit toujours quelque intelligence et qu'il réservoit quelque chose en jurant; et étant pressé par beaucoup de choses qu'il a jurées clairement, il a reconnu que dès qu'on a fait une faute on en faisoit ensuite cinquante autres. «Ensuite de tout cela, Monsieur a prié le roi de lui pardonner, aussi à Boistalmet et à Puylaurens. Le roi leur a pardonné, pourvu qu'ils reconnoissent ingénument leur faute, et qu'ils découvrent franchement la vérité de tout ce qu'ils savent, et viennent demander pardon au roi; ce que Monsieur promit de faire faire le lendemain; condition à laquelle Monsieur s'étoit soumis lui-même, ayant donné sa parole au roi de ne lui rien céler de tout ce qu'il a dit et pensé sur ces affaires. «LOUIS.--MARIE.--ARMAND, card. de RICHELIEU.» «Le vendredi 18e dudit mois de juillet 1626, Monsieur étant en bonne humeur, après avoir fait force protestations à la reine sa mère qui étoit en son lit, il lui avoua, le cardinal de Richelieu présent, qu'il étoit vrai que le Colonel l'avoit porté à prendre habitude avec le plus de grands qu'il pourroit dans le royaume, et même avec les princes étrangers; «Qu'après que le prince de Piedmont s'en fut allé malcontent de la cour, ils avoient envoyé Valins, sous prétexte d'aller au Saint-Esprit, en Savoye, pour former une étroite ligue et union avec M. le prince de Piedmont, et que ses paquets furent portés par un homme qui partit trois jours après, de peur qu'on ne dévalisât Valins; «Qu'ils avoient aussi fait la même chose avec les Anglois par le duc de Buckingham lorsqu'il étoit en France, et que depuis qu'il en étoit parti il se servoit de Rames, lequel il eût bientôt renvoyé en Angleterre, et il eût suivi le dessein qu'il a déclaré ces jours passés qu'il avoit de s'en aller; «Que du temps du Colonel ils étoient aussi assurés de l'amitié d'Aarsen, ambassadeur extraordinaire des États; sur quoi est à noter que tout d'un coup Aarsen, qui étoit convenu des articles d'un nouveau traité avec les États, se refroidit sans qu'on pût en pénétrer la cause, qui peut-être étoit l'assurance qu'on lui avoit donnée des brouilleries qu'on méditoit. «Il dit aussi qu'on avoit dessein de gagner le Nonce, et généralement de s'acquérir le plus d'amis de tous côtés qu'on pourroit. «Après tout cela, étant dit à Monsieur avec quelle foi il pouvoit jurer que le Colonel étoit innocent, comme il avoit fait plusieurs fois, il répondit qu'il entendoit, quand il juroit cela, qu'il étoit innocent envers lui, parce qu'il le servoit, et non pas envers le Roi. «MARIE.--ARMAND, card. de RICHELIEU.» «LE 23e JUILLET, Monsieur étant venu voir le cardinal de Richelieu en la maison épiscopale de Nantes, après lui avoir fait plusieurs protestations de vouloir obéir à la reine sa mère, lui dit que c'étoit maintenant tout de bon, qu'il étoit vrai que celle qu'il avoit faite par le passé n'avoit été que pour gagner temps, et que même la dernière fois qu'il lui avoit parlé il avoit fait semblant d'avoir du mal et lui avoit dit en grande confiance, encore qu'il ne fût pas, parce qu'il avoit une extrême aversion du mariage, non à cause de la personne de Mlle de Montpensier, mais en général parce qu'il appréhendoit de se lier. Ensuite il pria le cardinal d'assurer qu'il se marieroit quand on voudroit, pourvu qu'on lui donne son apanage en même temps. «Sur quoi il dit que feu M. d'Alençon avoit eu trois apanages, savoir est le premier qui valoit cent mille livres de revenu, le second, celui du roi de Pologne quand la couronne lui échut par la mort du roi Charles, et le troisième, une augmentation qui lui fut donnée pour lui faire poser les armes. Sur cela, le cardinal lui dit qu'il ne falloit pas prendre pied sur ces apanages, et qu'il y avoit une considération particulière en son fait qui n'empêcheroit pas le roi de lui en donner un bon, bien qu'elle le pût porter à ne le faire pas; et Monsieur s'enquérant soigneusement de ce que c'étoit, le cardinal lui dit que l'intention du feu roi étoit qu'on lui donnât de grosses pensions, mais non pas un apanage comme on avoit donné aux autres enfants de France. Il demanda si cette volonté du feu roi étoit signée; le cardinal lui répondit que non, et que le roi ne s'en vouloit servir. «Ensuite de cela il dit force belles paroles pour l'assurer de son amitié auxquelles le cardinal répondit avec le respect qu'il devoit. Puis, venant de discours en discours à parler du maréchal d'Ornano, il dit que la plus grande faute qu'il eût commise étoit de traiter avec les étrangers sans le sçu du roi, qu'il étoit vrai qu'il avoit écrit en Piedmont plusieurs lettres, et qu'on trouveroit à la plupart d'icelles qu'il avoit écrit une ligne ou deux de recommandations particulières ou autres choses semblables pour donner créance. Sur cela le cardinal lui disant que cette faute du Colonel étoit capitale, il témoigna ingénument le savoir bien, mais qu'il le faisoit pour lui acquérir plus d'amis et le rendre plus considérable. Ensuite Monsieur dit encore qu'une des plus mauvaises lettres qu'eût écrit le Colonel étoit à Mme la Princesse, à laquelle il mandoit: assurez-vous que je vous tiendrai ce que je vous ai promis. Mais, ajouta Monsieur, ce n'étoit que d'amourettes qu'il vouloit parler; ce qui est du tout sans apparence, étant certain que s'il y avoit quelque intelligence de ce genre entre une personne de la qualité de cette dame et un Adonis comme le Colonel, ce seroit plutôt à elle à donner des promesses qu'à lui qui, par raison, devroit être recherchant et non promettant. Pour conclusion, Monsieur dit au cardinal qu'il lui enverroit le président Le Coigneux pour lui parler de son mariage et de son apanage. «Monsieur dit aussi le même jour au cardinal, que lorsque M. de Vendôme et le grand prieur arrivèrent à Blois, pendant que le roi parloit à M. de Vendôme, il disoit au grand prieur que M. de Vendôme avoit grand tort d'être venu trouver le Roi, et que s'il eût tenu bon en Bretagne, lui s'en fût allé à Paris, et de là auroit tâché de se jeter en quelque place de la Picardie où il n'y a pas de citadelle, comme Saint-Quentin ou Compiègne qu'il eût aisément surpris, s'il en eût eu d'autres assurées, et que, par ce moyen, le roi ne pouvant aller à tous les deux à la fois, ils se fussent sauvés les uns et les autres. En tout cas, dit-il au cardinal, je croyois bien que M. de Longueville ne me dénieroit pas retraite dans Dieppe. «ARMAND, card. de RICHELIEU.» «LE 28 JUILLET 1626. Monsieur étant dans le cabinet de la Reine sa mère à Nantes, dit en présence de M. le cardinal de Richelieu et du maréchal de Schomberg que, depuis qu'il étoit à Nantes, il s'étoit résolu diverses fois avec son petit conseil de s'en aller. Une fois il s'en vouloit aller avec cinq ou six gentilshommes sur des coureurs, mais il eut crainte qu'il pouvoit facilement être arrêté. Une autre fois il s'en vouloit aller avec toute sa maison, et étant à Ingrande dépêcher vers le roi pour lui faire savoir que, lui ayant été dit qu'il n'y avoit point de sûreté pour lui à Nantes il s'en alloit à Blois, où il attendroit le retour de Sa Majesté: mais que son dessein après avoir passé Angers étoit de prendre le chemin du Perche droit à Chartres et s'en aller à Paris en grande diligence, et qu'afin que son dessein fût plus secret, celui qu'il envoiroit d'Ingrande vers le roi n'en devoit rien savoir. Une fois il fut tout près de s'en aller, sans qu'on vînt lui dire que ses maîtres d'hôtel n'avoient pas dîné. Et comme M. le cardinal et le maréchal de Schomberg blâmoient les conseils qu'on lui donnoit, il dit: c'étoient conseils de jeunes gens, mais assurément, si l'on ne m'eût pas donné avis qu'il y avoit des compagnies de chevaux légers sur tous les chemins que je pourrois tenir en m'en allant, et si je n'eusse eu la crainte d'être arrêté par lesdites troupes, je m'en fusse allé. «Monsieur dit de plus: quand je fus voir M. le cardinal à La Haye, j'étois résolu de partir l'après-dînée; mais M. le cardinal me dit tant de choses et m'embarrassa tellement que je revins tenir mon conseil, où Le Coigneux me dit qu'il falloit voir s'il n'y avoit pas moyen de me contenter plutôt que de me résoudre à m'en aller; et comme cela le dessein fut rompu. Ensuite de cela, Monsieur dit: je fus un soir bien embarrassé à Fontainebleau. Le roi avoit donné le bonsoir à tout le monde et étoit au lit. J'entrois dans sa chambre avec le maréchal d'Ornano; et incontinent après je vis venir M. du Hallier, et le roi demanda son habillement. Cela me mit bien en cervelle, et j'eusse voulu être hors de là; car nous savions bien que nous faisions mal, et ceux qui font mal sont toujours en crainte et ont peur. Comme Monsieur faisoit ce conte, le Roi entra et Monsieur lui dit: Monsieur vous souvient-il quand vous donnâtes un soir une sérénade à la Reine? Je disois ici que cela me mit bien en peine. Et il recommença à dire les mêmes choses qu'il avoit dites. «ARMAND, card. de RICHELIEU.--SCHOMBERG.» «LE DERNIER DE JUILLET 1626. Monsieur a dit à la Reine, sa mère, qu'à quelque prix que ce soit il falloit sauver Chalais, et qu'il faut en parler au Roi, et que de Paris on lui avoit mandé que s'il laissoit perdre Chalais et qu'il en fût fait justice, il ne trouvera plus personne qui le voulût plus servir, Chalais étant embarrassé pour son service. «Le même jour, Monsieur demanda à la Reine si on feroit le procès au maréchal d'Ornano, et lui dit que tout ce qu'il avoit fait avoit été par son commandement, et que même il avoit des lettres écrites de sa main par lesquelles il avouoit tout ce qu'il avoit fait. «En même temps Monsieur dit que M. le Comte lui offroit quatre cent mille écus à prêter pour sortir de la cour si on ne le contentoit. «Il dit qu'on avoit cru qu'il eût traité du Havre, mais qu'on n'y avoit jamais pensé; ce qui fait soupçonner que peut-être y a-t-il encore quelque dessein, vu qu'il nie une chose qu'il a confessée autrefois. «Que M. le Comte étoit bien fâché de son mariage, mais qu'il n'oseroit se séparer de lui, de peur qu'on crût qu'il fût mû seulement pour épouser Mlle de Montpensier. «Que la Reine régnante l'a prié par deux diverses fois depuis trois jours, de ne pas achever le mariage que le maréchal ne fût mis en liberté[370]. [370] Telle est la déposition en quelque sorte authentique de Monsieur. Avait-il été plus loin dans des conversations confidentielles? Nous trouvons dans les papiers de Richelieu, aux archives des affaires étrangères, France. t. XXXIX, fol. 318, ces lignes de la main de Cheré, un des secrétaires du cardinal: «_Secretissime_... Hébertin (Monsieur) a dit clairement que Chesnelle (la reine Anne) et la lapidaire (Mme de Chevreuse) s'étoient mises à genoux devant lui pour le prier de n'épouser pas Mlle de Montpensier, et qu'autrefois elles lui disoient, voyant cette condition impossible, qu'au moins il ne l'épousât point qu'il ne se fût souvenu du colonel et ne l'eût délivré». Richelieu, dans ses Mémoires, donne ces propos, attribués à Monsieur par sa police, comme les paroles mêmes du prince, quoiqu'il eût sous les yeux la déclaration positive de celui-ci. «Il dit de plus à la Reine qu'il vouloit demander abolition pour les petits garçons Boistalmet et Puilaurens. «LE DEUXIÈME AOUT. Le Roi ayant fait appeler Monsieur au conseil pour lui dire la résolution qu'il avoit prise de lui donner son apanage et approuver son mariage, nonobstant tous les divers avis qu'on lui avoit donnés pour ne le faire pas, dont même Sa Majesté en montra un qu'on avoit adressé au cardinal de Richelieu pour lui faire voir, duquel Monsieur lut la plus grande part; mondit sieur témoigna au Roi un extrême ressentiment de la bonté dont il usoit en son endroit, protesta avoir un extrême déplaisir de toutes les pensées qu'il avoit eues, jura qu'il ne se sépareroit jamais du service du Roi auquel il reconnoissoit être extraordinairement obligé. Et sur ce que Sa Majesté lui dit: parlez-vous sans les équivoques dont vous avez plusieurs fois usé, il jura solennellement qu'oui, qu'il donnoit sa parole nettement de tout ce qu'il disoit, et qu'on se pouvoit fier en lui quand il déclaroit donner sa parole sans aucune intelligence; et pour témoignage que je dis vrai, c'est que je vous promets nettement que si M. le Comte, M. de Longueville et autres qui sont de mes amis, me donnent jamais de mauvais conseils je les en détournerai si je le puis, et si je ne le puis faire je vous en avertirai. Il promit et jura le contenu ci-dessus devant le Roi, la Reine sa mère, le garde des sceaux, le duc de Bellegarde, le maréchal de Schomberg et le président Le Coigneux. «Monsieur dit devant le Roi, la Reine et le cardinal de Richelieu que l'intelligence qu'il avoit en Angleterre étoit particulièrement avec le comte de Carlile qui étoit lié de grande affection avec lui, et que, quand il entendoit parler des poursuites qu'on faisoit contre Buckingham, il n'en étoit pas fâché, espérant que, s'il venoit à être ruiné, Carlile viendroit en faveur, et qu'il pourroit beaucoup en son endroit. «Monsieur ayant su trois ou quatre jours avant la mort de Chalais qu'il avoit dit que le fondement de l'opposition que les dames faisoient au mariage étoit afin que si le Roi venoit à mourir, la Reine pût épouser Monsieur; il dit au cardinal de Richelieu: Il est vrai qu'il y a plus de deux ans que je sais que Mme de Chevreuse a tenu ce langage[371]. [371] Ici encore la police de Richelieu va plus loin que cette relation authentique. Dans le papier précité, écrit de la main de Cheré, nous lisons: «On a vu, par voie _secretissime_, de la bouche des Dieux accouplés, qui le peuvent savoir, qu'il étoit vrai que Chesnelle (la Reine) croyoit épouser Hébertin (Monsieur), et qu'il y avoit longtemps qu'elle avoit cette espérance». Quels étaient ces Dieux accouplés si fort en état de bien connaître la pensée de la reine Anne? «Un jour devant la mort de Chalais, Monsieur dit à la Reine sa mère qu'il n'y avoit que trois choses qui lui pussent faire faire une escapade et sortir hors de la cour: l'une, si on vouloit faire trancher la tête au Colonel; l'autre, si on vouloit faire le même parti au grand prieur, n'y ayant rien qu'il ne fît pour sauver ces deux personnes-là, et si on lui dénioit en effet l'apanage qu'on lui avoit promis. «Sept ou huit jours auparavant il dit aussi à la Reine sa mère qu'il savoit quelque chose de trois personnes qui leur feroit trancher la tête si on le savoit, mais que pour rien au monde il ne les nommeroit pas. «Monsieur confessa à La Ferté à M. de Mende, revenant d'Angleterre, que Montagu au voyage de Nantes lui avoit dit de la part du comte de Carlile, qui est celui avec lequel Monsieur a reconnu plusieurs fois que le Colonel avoit formé étroite liaison, que ledit comte de Carlile l'avoit chargé de lui témoigner le déplaisir qu'il avoit de le voir maltraité, savoir ses sentiments sur ce sujet et l'assurer que, pourvu qu'ils sussent ses intentions, il seroit servi du côté de l'Angleterre comme il pourroit désirer. «Monsieur, sur la fin du mois de septembre, étant au conseil à Saint-Germain, un jour que la Reine avoit été saignée et étoit au lit, avoua franchement que Beaufort, qui est dans la Bastille, faisoit des levées, sous prétexte de l'Empereur, pour lui en Picardie. Dit de plus que le Roi faisoit très-bien de désirer que l'ambassadeur de Savoye s'en allât, que c'étoit un mauvais homme, qu'il en pouvoit parler comme sçavant.» AFFAIRE D'ORNANO.--Sous ce titre, le t. XXXVIII, FRANCE, donne une liste de papiers relatifs au maréchal. Les charges contre Ornano sont dans les dépositions de Chalais et dans les aveux de Monsieur, et sa mort survenue dans les premiers jours de septembre 1626 arrêta le procès commencé. Les papiers ici mentionnés n'ont donc pas grand intérêt: ils ne seraient pourtant pas inutiles à qui entreprendrait une biographie des Ornano, qui jouent un rôle si important à la fin du XVIe siècle et dans la première partie du XVIIe. Nous nous bornons à donner la note suivante: «Mémoires des papiers domestiques du sieur colonel d'Ornano, par où on voit ses charges et emplois, ses biens, sa dépense, et comme il fut fait gouverneur du Pont-Saint-Esprit, 1598; brevet de conseiller d'État, 1610; provision de commandant de 50 hommes d'armes, 1613; de maréchal de camp, 1614; provision de gouverneur de Honfleur, Pont-de-l'Arche, Château-Gaillard, et lieutenant de Normandie, 1618; gouverneur de Monsieur, surintendant de sa maison, premier gentilhomme de sa chambre, 1619; brevet pour être du conseil des affaires du Roi, 2 mars 1620; colonel des gardes corses, la date en blanc; maréchal de France, 1626. Les mémoires de M. d'Andilly sont fort au fait sur ce qui regarde le maréchal d'Ornano.» Nos manuscrits nous fournissent plus de renseignements sur le grand prieur et le duc de Vendôme, et il y a ici des extraits de beaucoup de pièces qui établissent leur culpabilité. Bien entendu, Richelieu s'est servi de ces extraits dans ses Mémoires; ils ont même très vraisemblablement été faits pour lui; mais il les a fort abrégés, et nous croyons utile d'en publier quelques-uns. _Ibid._, t. XXXVIII. «Procès de M. de Vendôme et de M. le grand prieur.» «Mémoire pour interroger M. le grand prieur, écrit de la main du secrétaire de M. le cardinal. On doit le laisser entre l'espérance et la crainte, et lui faire apercevoir qu'il doit appréhender la rigueur de la justice, s'il n'a recours à la miséricorde par une confession sincère. Chalais dit que le grand prieur a conseillé à Monsieur de faire violence aux ministres, de sortir de la cour, de se retirer à Metz. Monsieur dit la même chose. M. le garde des sceaux doit tâcher d'en tirer encore davantage, particulièrement sur ce que Dunault, son secrétaire, a dit des entreprises contre la personne du Roi. Après que M. le grand prieur aura avoué qu'il a donné à Monsieur le conseil de traiter rudement les ministres, de sortir de la cour, de prendre les armes, il faudra savoir quand et comment cela se devoit exécuter; et pour ce qui regarde l'entreprise contre le Roi, il faut traiter ce point délicatement.» «Extrait des charges contre M. le grand prieur, réduites à quatre points: aversion contre le Roi, avis donné à Monsieur de faire violence aux ministres du roi et de sortir du royaume, s'être opposé au mariage de Monsieur». «Déposition de M. de Fossé au fait de M. le grand prieur, du 18 de novembre 1626. Il déclare que Dunault, secrétaire de M. le grand prieur, étant venu trouver Mme d'Elbeuf (sœur des Vendôme), afin qu'elle sollicitât le pardon de M. le grand prieur, avoit dit qu'il n'étoit plus temps que le grand prieur parlât d'innocence et songeât à se sauver par là, qu'il falloit qu'il eût recours à la miséricorde du roi et demandât pardon, reconnaissant être coupable de certains desseins non-seulement contre l'État, mais même contre la personne du roi; que, M. de Fossé étant allé trouver par commandement du roi M. le grand prieur avec Dunault, celui-ci répéta ce qu'il avoit dit à Mme d'Elbeuf devant le grand prieur, et le pria un genouil en terre de se sauver en confessant ce qu'il savoit. Sur quoi le grand prieur confessa ce qui s'ensuit: qu'il s'étoit opposé au mariage de Monsieur, qu'il avoit conseillé à Monsieur, depuis la prise du Colonel, de traiter rudement les ministres pour le ravoir par ce moyen; que, cela ne réussissant pas, il falloit sortir du royaume et prendre les armes; que MM. de Nevers et de Longueville étoient du parti; qu'on proposoit de se retirer à Sedan ou à Metz; qu'on disoit qu'il en avoit écrit à M. de La Valette; qu'on n'avoit qu'à montrer sa lettre, qu'il la reconnoîtroit; que Chalais étoit mort pour n'avoir point eu d'esprit; que si on vouloit s'en servir contre lui, il falloit le garder pour le lui confronter; qu'il avoit fait chasser Andilly et conseillé de ne croire ni Goulas ni Marcheville. Il ne voulut pas reconnoître ce que Dunault avoit dit d'un dessein contre la personne du roi, et lui avoit dit: Mon ami, vous avez dit une chose qui vous donnera de la peine et à moi; qu'ayant ensuite dit à de Fossé qu'il ne croyoit pas qu'il voulût redire ce qu'il avoit dit, de Fossé appela Loustenau (un des gardiens), lui répéta mot pour mot en présence du grand prieur ce que le grand prieur lui avoit dit, et l'avoit prié de s'en souvenir». «Les charges contre M. de Vendôme sont autres que celles contre le grand prieur: intelligence avec Soubise, cabale en Bretagne, conférence avec la Trémouille près Clisson.» «Chefs d'accusation contre M. de Vendôme. Souveraineté. Mme de Vendôme dit que le feu roi lui avoit promis de lui faire rendre son héritage, la Bretagne (elle était fille du duc de Mercœur et avait apporté en dot le gouvernement de Bretagne à César de Vendôme). M. de Vendôme a fait écrire sur les prétentions qu'il a sur la Bretagne; M. de Lomaria a eu les papiers, etc. A Blavet, conférence avec M. de Soubise. Vendôme fait mal placer les batteries, défend de tirer, ne veut écouter les propositions qu'on lui fait pour empêcher M. de Soubise de se retirer, maltraite ceux qui veulent sortir sur M. de Soubise, le fait avertir de s'en aller, favorise les prisonniers, en fait évader quelques-uns, en prend quelques autres à son service. Intelligence et union avec plusieurs grands mal contents, comme Retz, M. le Comte, M. le Prince à Chenonceaux. Intelligence en Espagne; avec les Rochelois. Lettre de M. de Vendôme, du 9 mai, au capitaine des vaisseaux de Saint-Malo qui étoient pour le service du roi devant La Rochelle, parce qu'il veut leur faire savoir à la hauteur de Bellisle les ordres du roi, et il n'avoit point d'ordre du roi à donner. M. de Vendôme a beaucoup de pensionnaires en Bretagne. «Délibération des États de Bretagne du 18 juillet, pour raser les places de M. de Vendôme. A quoi le sieur Aubry, commissaire, a consenti de la part du roi à Nantes. «Mémoire pour interroger du Rochet, qui couroit les provinces pour gagner des hommes et faire des levées. «Lettre de M. de Vendôme à M. le Prince. Il se plaint que l'État n'est gouverné que par des gens qui ne devroient se mêler que de leur bréviaire; qu'il n'y a plus de sûreté pour les gouverneurs que dans leurs gouvernements; que M. de Montbazon l'accuse d'avoir voulu surprendre Nantes, qu'on sait le droit qu'il y a, que Monsieur veut se retirer à Bordeaux. «M. Brissac à M. le cardinal. Il écrit que M. de Vendôme, après deux ans d'inquiétudes pour assurer les Huguenots de son service, veut jeter la province dans l'oppression, qu'il a fait mille folies dans Rennes, qu'il reçoit toujours des lettres du roi d'Angleterre, de M. de Rohan, etc. «M. (l'évêque) de Montauban à M. de Schomberg sur le même sujet. Il mande que les seigneurs de la province ne peuvent plus supporter les insolences de M. de Vendôme, que la Bretagne deviendra toute huguenote si on n'y prend garde. M. de Vendôme écrit très-souvent à M. le Prince et à M. de Soubise. «M. de Vendôme à M. d'Ornano. Il se plaint que le roi ait ajouté foi à la reine mère. Il dit qu'elle lui fait toutes sortes d'injustices depuis la mort d'Henri IV, quoiqu'il lui ait rendu service lorsqu'elle a eu besoin de lui; qu'elle élève des gens pour s'autoriser davantage; qu'elle ne le dépouillera pas néanmoins comme elle a fait le grand prieur son frère; que la couronne siéroit bien sur la tête de Monsieur s'il vouloit entrer dans leurs desseins; qu'il n'a ni Brest ni Nantes; que s'il peut avoir Blavet, ce sera une bonne place; pour lui il fait travailler à force à Saint-Malo pour être fort par mer et assure Ornano de ses services. Le même à M. de Soubise. Il a écrit au maréchal d'Ornano. Il voudroit que Monsieur se retirât à La Rochelle. Brissac, quoique éloigné, a toujours les yeux sur lui; et si le roi d'Angleterre, qui lui a écrit et à qui il a fait réponse, n'exécute ce qu'il a promis, ils ne pourront faire réussir leurs desseins. Il a ordonné à l'Anglais, canonnier de Saint-Malo, de ne point pointer ses canons sur les vaisseaux. _Ibid._, t. XLII, fol. 6, verso. «Extrait succinct de l'information contre M. de Vendôme écrit de la main d'un secrétaire de M. le cardinal. M. de Vendôme pensoit à se faire souverain en Bretagne. Il y a conjecture qu'on songeoit à dépouiller le roi. «Discours libres ou plutôt insensés des gens de M. de Vendôme contre la personne du roi; ce qui paroît de plus clair, c'est qu'il n'a pas fait ce qu'il devoit pour défendre Blavet lorsque M. de Soubise l'a attaqué. «Noms et qualités des témoins ouïs et informations contre M. de Vendôme, pour servir de lumière à M. le rapporteur sans qu'il soit besoin qu'il déclare les noms desdits témoins en faisant son rapport à la Cour, vu que par ce moyen ils pourroient être connus avant que d'être confrontés, ce qui pourroit donner lieu à des reproches. Les informations ont été faites dès le 8 juillet par M. de Roissy, par MM. Peschart et Hue le 24 septembre, par MM. Machault et Peschart le 30 novembre 1626. «Minute de deux lettres du roi à M. de Vendôme, du 28 novembre 1626. Il dit qu'ayant appris avec quelle franchise il déclaroit ses entreprises sur Nantes, Blavet et Brest, il lui pardonneroit s'il vouloit ne rien cacher de toutes les menées qu'il savoit qu'on avoit faites contre sa personne et contre son État. «Instruction pour Mme d'Elbeuf allant trouver M. de Vendôme au bois de Vincennes, accompagnée de M. le duc de Bellegarde. M. de Vendôme ne trouvant pas de sûreté en ce que le pardon que le roi lui promettoit étoit à cette condition qu'il ne cachât rien, le roi ou plutôt le ministre jugea de là qu'il veut cacher quelque chose d'important, et envoya Mme d'Elbeuf le trouver. On lui propose l'exemple du maréchal de Biron, et on lui déclare qu'il n'est point en état qu'on capitule avec lui, qu'on lui accorde la vie et les biens sans parler de la liberté; et s'il demande sa femme et ses enfants on lui répondra qu'il faut finir le principal avant que de venir à l'accessoire. «Lettre écrite par le roi au père Eustache Asseline, avec certificat qu'il l'a fait voir à M. de Vendôme. M. de Vendôme a prié Sa Majesté qu'il pût voir ce Père, afin de consulter avec lui la déclaration qu'il veut faire. Le roi permet à ce religieux de voir M. de Vendôme. «Déclaration de M. de Vendôme du 16 de janvier. M. de Vendôme proteste n'avoir eu aucune intelligence avec Soubise. Il avoue que, voyant Blavet en très mauvais état, il croyoit qu'il auroit été mieux entre ses mains qu'en celles du duc de Brissac, et qu'il ne songea à s'en assurer que depuis l'arrivée de Soubise; que pour Nantes, comme il étoit ami de M. de Montbazon, il ne songeoit pas à le lui ôter, mais que, voyant qu'il pouvoit le donner au prince de Guémenée, son fils, il avoit pratiqué des amis pour s'en rendre le maître quand l'occasion s'en présenteroit. Que quant à Brest, voyant la division qui étoit entre le marquis de Sourdeac et son fils, il avoit été avec l'évêque de Léon à Brest, qu'alors il avoit pressé Sourdeac à venir demander justice au roi contre son fils, et à laisser le marquis de T... dans la place, au lieu de Dumas, qui ne pouvoit pas en faire la charge à cause de son grand âge. Il parle du projet de marier son fils avec la fille de M. de Retz. Il dit qu'il n'a eu aucune part aux brouilleries de la cour, qu'il avoit même écrit à son frère de ne se point mettre dans la cabale de ceux qui s'opposoient au mariage de Monsieur; qu'il ne vouloit pas venir à Blois; qu'il s'étoit laissé aller aux persuasions de son frère qui l'avoit amené; qu'il trouvoit l'esprit de M. le Prince incompatible s'il étoit venu faute du roi et de Monsieur. «Lettre du roi à M. de Vendôme, du 17 de janvier. Il lui pardonne tout ce qu'il a déclaré à Mme d'Elbeuf, et lui en fera expédier grâce, l'assurant que, pourvu qu'il n'ait point de dissimulation, il lui pardonnera tout ce qu'il pourra avoir fait. «Déposition du gentilhomme capitaine de marine. C'est lui qui charge le plus M. de Vendôme sur l'affaire de Blavet. Il dit qu'il avoit proposé d'enfermer les vaisseaux du duc de Soubise en tendant des chaînes, et que le sieur de Vendôme lui ayant parlé pour le débaucher et lui déposant ne l'ayant point voulu écouter, M. de Vendôme lui avoit donné un coup de pied dans les bourses, lui avoit fait donner jusqu'à huit paires d'escarpins et brûlé toutes les jambes; que plusieurs qui déposoient contre M. de Vendôme étoient morts assez subitement en prison, qu'on avoit fait échapper plusieurs personnes, etc.» _Ibid._, t. XLIV, fol. 9, se trouve un autre extrait plus succinct encore de toute l'information contre M. de Vendôme, avec le mot ordinaire _employé_. «Le dessein de M. de Vendôme de se rendre souverain de la Bretagne paroît par diverses conjectures et par diverses actions, pour lesquelles il mérite d'être qualifié fol. Il y a preuve de deux témoins conformes par lesquels il paroît qu'on pensoit à dépouiller le roi, vu qu'étant en colère et disant force choses contre l'État, les deux témoins lui représentèrent qu'il falloit qu'il demeurât toujours dans le service du roi, et il s'échappa à dire: Je le servirai tant qu'il sera reconnu pour roi. Il faut joindre à cela que toute sa famille a été fort libre à parler criminellement contre la personne du roi, l'un disant qu'on avoit autrefois déposé un Louis, l'autre que les bâtards avoient régné aussi heureusement que les légitimes, un autre qu'il aimeroit mieux pendre le roi que le roi ne le fît pendre, etc. «Toute la Bretagne accuse M. de Vendôme d'avoir conspiré avec M. de Soubise l'entreprise de Blavet. Plusieurs témoins déposent l'avoir ouï dire à des gens du parti de M. de Soubise. Il est vérifié qu'ayant été pris des soldats de M. de Soubise prisonniers qui déposèrent que M. de Vendôme étoit de l'entreprise, ledit sieur de Vendôme fit ôter de l'information le feuillet où il étoit nommé et y en fit mettre un autre. Il est clair de plus qu'il voulut corrompre Gentillet (vraisemblablement le capitaine dont il est question plus haut), pour se faire justifier par sa déposition de cette accusation. Il est constant encore que, Gentillet ne l'ayant voulu faire, il le fit traiter très cruellement. Auparavant quoi, il a tâché à le porter à ne faire pas contre ledit sieur de Soubise, lui disant en termes exprès qu'il étoit bien misérable de vouloir agir contre son parti. «Il est vérifié encore que ledit sieur de Vendôme a refusé divers avis qu'on lui proposoit pour perdre ledit sieur de Soubise dans le port de Blavet. «Il est clair qu'il a défendu de tirer sur les gens dudit sieur de Soubise et sur ses vaisseaux. Et il y a des conjectures fort pressantes qu'il l'a averti, quand il a été temps de le faire sortir du port de Blavet, et qu'il a favorisé sa sortie. «Qu'il y a un nouveau témoin, qui est Furlatan, qui parle _de auditu et visu_ sur le fait de Blavet.» Voici maintenant la déposition de Lamont, exempt de la garde écossaise, qu'on avait déjà donné pour gardien à Chalais, auquel astucieusement il avait eu l'art d'arracher tous ses secrets, comme on le voit dans le recueil de La Borde. Mis auprès de MM. de Vendôme dans le même dessein, il avait également réussi, et il avait amené le duc à des aveux fort étendus, que celui-ci l'avait chargé de porter à la connaissance du roi. _Ibid._, t. XLIV, fol. 13. «M. le duc de Vendôme a commandé à Lamont de dire au roi, pour témoigner à S. M. sa repentance de ses fautes, ce qui est ici contenu: «A dit que par le conseil de Mme de Mercœur (sa belle-mère), il avoit depuis quelques années entretenu amitié avec M. de Retz afin de faire le mariage de son fils avec la fille dudit duc de Retz, qui lui cédoit Belle-Ile en faveur de ce mariage; mais que le duc de Retz, ayant eu défense de passer outre au traité du mariage, lui n'avoit pas laissé d'en parler, disant qu'il n'en avoit point de défense pour son particulier; en quoi il reconnoît avoir failli; comme aussi d'avoir recommandé ses enfants audit duc de Retz comme il se résolvoit de venir en cour, le priant de les garder à Belle-Ile pour s'assurer de leurs personnes. «A dit qu'il a cabalé dans le parlement pour y acquérir des gens qui fussent tout à lui, qu'il tâchoit à gagner la noblesse autant qu'il lui a été possible, les uns par pensions qu'il leur donnoit de son argent, les autres par quelques fonds qu'il leur faisoit distribuer par les États, recherchoit aussi la faveur du peuple par tous les moyens qu'il jugeoit être propres à se rendre populaire. «A dit qu'ayant dessein de recouvrer le droit que le défunt roi lui avoit donné de capitaine du château de Nantes, il auroit projeté de se saisir de cette place lorsque M. de Montbazon la remettroit entre les mains de son fils, ce qu'il estimoit devoir être fait environ ce temps, et espéroit d'exécuter facilement son dessein sous J... qui n'est qu'un sot, lequel le prince de Guymené devoit mettre pour son lieutenant dans ledit château; et à cet effet il gagnoit dans la ville le plus de gens qu'il pouvoit, et y avoit beaucoup acquis d'amis; qu'il n'avoit pas exécuté son dessein parce que Baillon et son frère faisoient si bonne garde que cela eût été difficile, et qu'il n'y avoit point de communication du château à la ville, et qu'il attendoit quelque événement public favorable à telle entreprise. «A dit que pour Brest, voyant la division qui étoit entre le père et le fils, il avoit dessein de prendre cette occasion de faire mettre le marquis de Timeur (?) qui est tout à lui, et pour cet effet auroit employé l'évêque de Léon, afin d'obtenir du père que ledit marquis fût mis comme son lieutenant, ce qui étant exécuté il estimoit la place à lui. «A dit qu'il a eu quelque dessein de se rendre maître du fort de Blavet lors de l'entreprise que fit M. de Soubise, non que son dessein fût que ledit sieur de Soubise prît cette place, mais qu'il pensoit bien sous cette ombre s'en rendre maître, vu le mauvais ordre qui étoit à la garde de ladite place; vu aussi l'insuffisance du duc de Brissac, il pensoit la prendre et puis mander au roi que la place étoit plus sûrement et mieux gardée entre ses mains qu'entre les mains dudit duc de Brissac. «A dit qu'il a visité les costes de Brest avec trop de soin et trop de curiosité. «A dit, sur ce que l'on lui demandoit s'il n'avoit pas de dessein sur la souveraineté de la duché de Bretagne, que si Dieu affligeoit tant la France qu'il y advînt faute du roi et de Monsieur, qu'il étoit résolu de ne s'accommoder jamais avec M. le Prince. «A dit, sur ce que l'on lui a demandé s'il ne savoit rien particulièrement des derniers partis qui se sont formés à la cour, qu'il n'en savoit rien que par ouï-dire; qu'il est vrai que M. le grand prieur lui avoit écrit une lettre il y a environ un an, qui portoit que lui et quelques autres étoient résolus d'empêcher le mariage de Monsieur avec Mlle de Montpensier, ce qu'il falloit faire par tous moyens. «A dit qu'il lut cette lettre en présence du sieur de La Roche, de son frère le président de Bretigny, qui la virent; qu'il communiqua le contenu à M. de Retz, qui étoit du sentiment de son frère. Qu'il n'étoit pas de cet avis, et qu'il se falloit garder de ces brouilleries, qu'il s'estimoit heureux d'en être éloigné, qu'il n'en a rien su de plus, et que si son frère lui eût communiqué quelque chose, il se fût bien gardé de venir en cour; il eut beaucoup de peine à s'y résoudre, vu divers avis qui lui venoient de toutes parts, que l'on l'y arrêteroit; mais que sondit frère lui dit, pour le résoudre, qu'il savoit bien que M. le Comte n'y viendroit pas, bien feroit-il semblant d'y venir et enverroit son train jusqu'à Orléans, mais qu'il feroit semblant d'être malade et renvoyeroit quérir son train; or, que l'on ne prendroit les uns sans les prendre tous à la fois. «A dit que le jour qu'ils furent séparés dans le château d'Amboise, ayant dit à son frère qu'il étoit temps qu'ils donnassent ordre à leurs affaires et qu'il prévoyoit qu'on pousseroit cette affaire jusqu'au bout, son frère lui fit réponse qu'il espéroit que M. le Comte étant en liberté il feroit pour eux, et que c'étoit son attente que ledit sieur Comte feroit quelque effort. «A dit qu'il reconnoît et avoue que le Roi a pris un juste et nécessaire conseil pour l'État quand il le fit arrêter, et que si les ministres de Sa Majesté ne l'eussent conseillé, ils eussent fait une grande faute en raison d'État. «A dit que Mme de Chevreuse leur avoit envoyé un laquais de M. le grand prieur jusqu'à Escures (?), pour leur donner avis qu'ils ne vinssent pas en cour et que s'ils y venoient ils seroient pris prisonniers. «A dit que le propre jour qu'ils furent arrêtés ils envoyèrent un gentilhomme du grand prieur à M. de Retz, pour par ce moyen savoir ce qui se passeroit et faire tout ce que M. de Retz jugeroit être utile à leur service; que mondit sieur de Retz étoit parti de Nantes, leur avoit envoyé de Vendôme ledit gentilhomme leur dire que l'on avoit résolu au conseil d'envoyer quérir M. le grand prieur, afin de le confronter à Chalais. «A déclaré qu'il avoit su force nouvelles à Amboise par la femme de Bernière et la fille qui venoient dans le jardin qui correspondoit à sa chambre, par où elles lui donnoient des billets, par lesquels il avoit appris ce qui étoit porté par les informations que M. de Roissy faisoit contre lui.» Ces aveux étaient bien considérables. Le duc de Vendôme y livrait, comme on le voit, son propre frère le grand prieur, son ami le duc de Retz, le comte de Soissons, et cette fidèle Mme de Chevreuse qui avait tâché de les sauver autant qu'il était en elle en envoyant les avertir du danger qui les menaçait. Dans ce même vol. XLIV, nous rencontrons un extrait de la déclaration de Vendôme de la propre main de Richelieu, avec des remarques du cardinal et la qualification des faits avoués. Cette pièce nous a paru mériter de voir le jour.--_Ibid._, fol. 17. «Cabalé les parlements, la noblesse, les communautés, pour se mettre en considération et augmenter sa fortune.--Ce qui a dû donner de légitimes sujets de méfiance à S. M. «Pensée et dessein de s'assurer de Blavet depuis l'arrivée de M. de Soubise et non auparavant. Pensée qu'il dit n'avoir communiquée à personne.--Projet du tout criminel. «Dessein perpétuel sur Nantes depuis en avoir été dépouillé. Préparatifs pour s'en rendre maître lorsque M. de Guémenée le posséderoit et que l'état des affaires générales du royaume lui en donneroit lieu. Acquisition d'armes dans la ville à cet effet.--Crime ouvert. «Dessein sur Brest pour le marquis de Timur, entre les mains duquel il tient la place comme entre les siennes. Ce dessein projeté avec ledit marquis de Timur en visitant la côte.--Crime déguisé. «Pensions du sieur d'Aradon, Dupan, Vaudurand, de L'Espine, Boulanger, tous gens dont il s'est servi dans les factions.--Suspicion grande de crime. «Autres pensionnaires du fonds qu'il ménageoit sur les fermes du Roi. «Conseil de M. de Retz et instante demande à M. de Vendôme de lui confier ses enfants au cas qu'il lui arrive d'être retenu à Blois.--Par où il paroît que M. de Retz s'offroit à les protéger contre le Roi. «Offre que M. de Retz fait à M. de Vendôme de parachever le mariage projeté entre leurs enfants moyennant qu'il prît Belle-Ile. Sur quoi est noté que M. de Retz avoit reçu défense et du mariage et de donner Belle-Ile.--Charge contre M. de Retz. «Dessein contre le mariage de Monsieur écrit à M. de Vendôme par le grand prieur, qui le convie à s'y joindre. «Assurance donnée par M. le grand prieur que M. le Comte feroit semblant de venir au voyage, faisant partir son train, mais ne viendroit pas. Ce qui faisoit que M. de Vendôme ne devoit rien craindre en son voyage, vu qu'on ne prendroit personne qu'on ne les prît tous ensemble.--Ce qui montre qu'ils se sentoient tous coupables et avoient union et intelligence pour éviter la preuve de leur crime. «Pensée de demeurer souverain en Bretagne en cas que le malheur voulût que la France fût privée du roi et de Monsieur, ne pouvant compâtir à l'humeur et à l'esprit de M. le Prince.--Crime manifeste.» A ces aveux si fortement caractérisés joignez deux lettres du duc de Vendôme plus accablantes encore, et que nous avons données plus haut, du moins en extrait, l'une à Ornano, l'autre à Soubise, p. 375, et vous aurez une juste idée de cette vaste et redoutable conspiration de 1626, la première où Mme de Chevreuse ait mis la main, et que Richelieu déclare, comme un homme qui semble frémir encore du péril qu'il a couru, «la plus effroyable dont les histoires fassent mention.» NOTES DU CHAPITRE III I.--MONTAIGU Lord Montaigu, gentilhomme de la chambre du roi d'Angleterre, et ami particulier de Holland et de Buckingham, a été l'agent le plus actif de la coalition formée, à la fin de 1626, contre la France, et qui se composait de l'Angleterre, de la Savoie, de la Lorraine et des protestants français. L'âme de cette coalition était Buckingham, furieux du refus qu'on lui faisait de le laisser revenir en France, brûlant de revoir la reine Anne, et de mettre sa gloire à ses pieds, comptant bien d'ailleurs effacer tous ses torts aux yeux de l'Angleterre en se portant l'ennemi de la France et le défenseur de la cause protestante. Il se mit donc à la tête d'une flotte puissante; Mme de Chevreuse lui répondait de la Lorraine, le comte de Soissons de la Savoie, le duc de Rohan des calvinistes du Midi, Soubise de la Rochelle. La reine Anne n'ignorait rien de ce qui se passait. Cette grande entreprise échoua devant le génie de Richelieu, et aboutit à la perte de Buckingham et à la prise de La Rochelle, en septembre et octobre 1628. Toute l'année 1627 est remplie des intrigues de Montaigu; il va sans cesse en Lorraine, en Suisse, en Hollande, à Turin, à Venise, et travaille à nouer et à resserrer les divers fils de la conspiration. Mais la police de Richelieu était sur ses traces. Pour vérifier ses soupçons, le cardinal le fit arrêter presque sur le territoire lorrain, et les papiers qu'on saisît sur lui ne laissèrent plus l'ombre d'un doute sur l'immense danger qui menaçait la France. Le 4 décembre 1627, Bullion reçut l'ordre de faire l'inventaire de ces papiers. En voici des extraits. FRANCE, 1624-1627. «INSTRUCTION DU ROI D'ANGLETERRE A LORD MONTAIGU, un des gentilshommes de sa chambre, allant en Savoie. Le roi lui dit qu'il a donné une puissante armée navale à Buckingham pour assister les amis et le parti qu'ils ont en France, pour empêcher l'armée navale d'Espagne de se joindre à celle de France, pour interrompre le commerce de ports en ports et aux Indes orientales et occidentales, et pour donner aide et support au roi de Danemark, son oncle, pour la conservation de l'Allemagne et le maintien de la bonne cause. Il promet de donner contentement au duc de Savoye dans toutes les choses justes et possibles, surtout pour ce qui concerne le trafic en son pays. Il le prie aussi que rien ne puisse donner de la jalousie et de la défiance à leurs amis et alliés. Quoiqu'on doive faire une grande considération sur l'affection et résolution du duc de Rohan, on ne pouvoit néanmoins y prendre aucune certitude à cause de l'état des affaires lorsque Montaigu l'a quitté pour retourner en Savoie. Pour cet effet il faut presser le duc de Savoie de finir les affaires qu'il a avec Gênes, et toutes autres qui pourroient l'empêcher d'assister puissamment ceux de la religion en France, qui sans cela pourroient être accablés. On ne peut compter sur les 16,000 hommes pour le comte de Soissons, le roi d'Angleterre ne se trouvant pas en état de contribuer à cette levée. Avant que de répondre sur le mariage proposé du comte de Soissons avec la fille aînée du roi de Bohême (le prince Palatin, beau-frère de Charles Ier), il faut savoir la volonté du roi et de la reine de Bohême; s'ils y consentent, il fera connoître l'estime qu'il fait de la personne du comte de Soissons et de la dignité de son sang. Ainsi il attendra ce que Pujeolles (_sic_, quelque envoyé du comte de Soissons auprès du roi de Bohême) aura fait avec le portrait. Quant à la place de sûreté que le comte de Soissons demande pour armer, on ne peut lui en donner une meilleure que la Savoye. Il faudroit tâcher de concilier Brisson (_sic_, quelque chef protestant), avec le duc de Rohan et que Brisson surprît Poussin et Valence et les livrât au comte de Soissons. On doit donner à Montaigu des lettres pour le duc de Lorraine.» MÉMOIRE DE MONTAIGU. «Le comte de Soissons veut intenter action au parlement contre le cardinal de Richelieu et prendre les armes en cas de déni de justice. Seneterre assure que si la guerre dure seulement deux mois, le comte aura un parti considérable en Dauphiné et que jamais il ne s'accordera avec le cardinal. On ne parle plus de mariage (avec la fille du prince Palatin). On espéroit que le duc de Savoie et le comte de Soissons publieroient un manifeste, ce qui auroit beaucoup servi à justifier la conduite du roi d'Angleterre et à fortifier le parti; plusieurs catholiques mal contents du cardinal se seroient déclarés. Montaigu envoie Villars aux cantons protestants de la Suisse. Pourvu qu'on pût obtenir qu'ils fermassent les yeux sur les levées qu'on feroit chez eux secrètement, ce seroit un moyen sûr de fournir beaucoup de monde à M. de Rohan. Il faudroit aussi tâcher d'empêcher le roi de France d'en tirer du monde. Il croit qu'on pourrait employer Wake, ambassadeur d'Angleterre à Venise, auprès des protestants. La déclaration du duc de Rohan a été reçue avec beaucoup d'approbation de tous les protestants et de tous ceux que le Cardinal persécute. M. le duc de Lorraine l'a averti par un courrier qu'il a déjà 10,000 hommes de pied et 1,500 chevaux. L'empereur lui doit envoyer 600 hommes d'infanterie et 100 chevaux; toutes ces troupes se joindront à M. de Verdun, pour assiéger Verdun. Le bruit seul de cette entreprise a empêché qu'on envoyât 6,000 hommes à M. le Prince qui est en Languedoc. Il seroit temps d'écrire à M. de Rohan et de le faire payer. Montaigu attend les ordres du roi d'Angleterre pour savoir s'il doit faire les avances à M. de Rohan. Il demeure tranquille jusqu'à ce que M. de Rohan le recherche. Si M. de Rohan eût reçu ce qu'on lui avoit promis, il aurait pu se saisir de quelque place d'où il auroit fort incommodé les ennemis. Le duc de Savoye donne avis à Montaigu de la ligue conclue entre la France et l'Espagne, afin qu'il en avertisse le roi d'Angleterre. Si la guerre dure, le comte de Soissons ne peut honnêtement demeurer les bras croisés, et il se déclarera. La Rochelle en fera certainement autant. Le duc de Savoye se joindra à M. le comte de Soissons. Le duc de Lorraine est pour ainsi dire en guerre ouverte. Montaigu ajoute qu'il a envoyé une personne de qualité courre fortune à La Rochelle, afin de savoir ce qui se passe là, et de donner des nouvelles de ce qui se fait ici.» «LETTRE DÉCHIFFRÉE DE M. DE SAVOYE. Il n'a pas osé se déclarer à cause des bruits qui ont couru d'un renouvellement d'un traité entre la France et l'Angleterre, à l'arrivée d'Albernan (?) que Bukingham avoit envoyé à Paris. Si le roi d'Angleterre veut continuer la guerre, il faut tâcher d'y intéresser les Hollandois, le duc de Lorraine, les Huguenots, et faire entendre qu'on ne prend les armes que pour tirer le roi des mains qui le tyrannisent, remettre la France en liberté et dans son ancienne splendeur. Il faut prendre garde que la France et l'Espagne sont unies, que l'empereur fait de grands progrès en Allemagne, que les États de Savoye étant situés entre la France et ce que l'Espagne possède en Italie, et ayant la guerre avec l'Espagne et Gênes, il n'a pas pu se déclarer plus tôt; mais sitôt qu'il saura les intentions du roi d'Angleterre, qu'il aura fait la paix avec Gênes, qu'il aura parole certaine et par écrit du roi d'Angleterre que S. M. B. ne fera ni paix ni trêve avec la France que par le moyen de Savoye ou avec l'Espagne ou tout autre sans sa participation, que le roi d'Angleterre enverra un homme à Gênes pour apaiser les troubles et représenter à la ville combien il lui seroit avantageux d'avoir pour ami le duc de Savoye, le duc de Savoye se déclarera ouvertement, et en attendant payera la somme de 30,000 écus.» MONTAIGU. «Il a fait passer un homme à La Rochelle. Il a reçu une lettre de M. de Rohan par un soldat qui lui a dit que le saint qu'on invoque en l'armée de M. de Rohan est Angleterre. M. de Brisson a pris deux places importantes en Dauphiné et sur le bord du Rhône. On l'a fait savoir à M. le comte de Soissons comme un bon commencement pour ses desseins. M. le comte de Soissons a mandé que si l'entreprise réussit, il se déclarera, ce qu'on fait savoir au duc de Rohan.» LE MÊME. «Il est tombé malade cinq jours après être arrivé à Turin, d'une fièvre qui l'a tenu cinq semaines au lit. Il est surpris de n'avoir eu aucune nouvelle d'Angleterre. Tout retentit des grandes actions de Bukingham. Ces Princes sont dans l'impatience de commencer. M. le comte de Soissons a amassé de l'argent et des troupes. Il traite avec le gouverneur de Valence pour avoir la place. M. de Rohan a écrit qu'on ne se fiât point à ce gouverneur, qu'on lui envoyât 200 chevaux et le surplus en argent. Le duc de Bukingham devoit venir au bec d'Ambès et Rohan se joindre à lui. Mais Bukingham étant arrêté en Ré, Rohan croit que le mieux qu'il puisse faire est de se tenir dans le bas Languedoc, le roi d'Angleterre lui ayant mandé de suivre les résolutions qu'il jugeroit les meilleures, à moins que Bukingham n'envoyât des ordres exprès qu'en ce cas il seroit obligé d'exécuter. Comme le duc de Savoye ne s'est pas trouvé tout à fait en état d'appuyer le duc de Rohan, Montaigu lui a donné avis afin qu'il prit ses mesures là-dessus. Rohan lui a répondu qu'au 20 de septembre 1627, il sera en campagne avec 600 hommes de pied et 400 chevaux. Le duc de Savoye devoit dépêcher Vignoles avec 200 chevaux et 14,000 écus; mais on apprit presque en même temps que le fort ayant été abondamment secouru, Bukingham avoit dépêché son neveu pour proposer un accommodement. Le 22, Montaigu tomba malade, et ne put entendre parler d'affaires jusqu'au 10 d'octobre que, commençant à se porter mieux, il voulut savoir si le duc de Savoye avoit quelque éclaircissement du traité. Le bruit étoit toujours fort grand d'un accommodement, quoiqu'on n'en dit pas les particularités. Montaigu soutenoit que cela ne pouvoit être, et le duc disoit qu'il pouvoit être arrivé telles choses en Angleterre qui avoient obligé Bukingham à souhaiter la paix.» COPIE DES MEMOIRES SUR LE FAIT DES SUISSES. «On vouloit tâter les Suisses protestants de la part du roi d'Angleterre. Tous les cantons étoient alors très-alarmés des progrès que l'Empire faisoit en Allemagne et craignoient d'être attaqués principalement par l'archiduc Léopold. On donnoit néanmoins quelque espérance que s'ils seroient recherchés par le roi d'Angleterre et qu'ils fussent bien informés que le roi d'Angleterre ne faisoit la guerre à la France que pour la défense des églises de France et non pour aucun autre sujet, cela pourroit possible émouvoir la seigneurie de Berne et les autres cantons à faire quelque effort pour un si bon sujet. Mais comme l'affaire presse, il semble que M. l'ambassadeur ne feroit pas mal d'envoyer présentement un manifeste du roi d'Angleterre, s'il est imprimé, avec une lettre, à chacun des quatre cantons protestants, parce que s'il n'obtenoit pas du secours, il pourroit au moins donner sujet à ces cantons de refuser à la France les lettres que l'ambassadeur Miron leur doit demander au premier jour.» COPIE D'UN MÉMOIRE pour le chancelier de Wake, ambassadeur pour le roi de la Grande-Bretagne à Venise. «On croit que Wake servira mieux en Suisse que Montaigu à cause des grandes habitudes qu'il y a; et parce qu'on n'a pas le manifeste du roi de la Grande-Bretagne, on lui envoie celui de M. le duc de Rohan, et l'acte de l'assemblée tenue à Usez, lesquelles pièces il enverra aux cantons et fera voir que le roi, son maître, n'est entré en guerre avec la France que pour le respect de la religion, pour la considération de la parole que ses ambassadeurs ont reçue du roi de France et qu'il avoit donnée à ceux de la Rochelle; à quoi il étoit d'autant plus obligé que c'étoit par le secours qu'il avoit fourni au roi de France que ceux de la Rochelle étoient dans le péril où ils sont, et qu'ils n'avoient pris les armes qu'après avoir cherché tous les moyens possibles pour éviter tous les inconvénients de la guerre; que le duc de Bukingham prêt à triompher du fort de Ré, avoit envoyé un gentilhomme Jacques Albernan pour voir s'il voudroit laisser vivre ses sujets faisant profession de la religion réformée en la liberté de ses édits, exécuter les promesses faites en son nom et de son consentement à messieurs de la Rochelle par les ambassadeurs d'Angleterre pour le rasement des forts. Le roi de France n'a voulu entendre à aucun accommodement, ce qui prouve le dessein qu'on a en France de persécuter lesdits sujets.» M. DE SAVOYE, 4 novembre: «Il loue la bonne conduite de Montaigu et se remet à lui et à l'abbé de Scaglia (de la maison de Verrue, célèbre diplomate piémontais) de tout ce qu'il pourroit lui écrire.» «Il y a encore une lettre de Montaigu à M. de Rohan, qui dit que l'essentiel et l'accidentel sont toujours dans les mêmes dispositions, que le premier n'attend que quelque conclusion avec celui dont Rohan a si longtemps attendu la réponse. Lettre aussi du père de Montaigu à Montaigu, son fils, du 25 de septembre, de Londres. Il mande que Bukingham est encore dans l'île de laquelle il n'a pas pris le fort. On lui envoye 10,000 Anglois, Irlandois ou Écossois. Les ambassadeurs de Savoye ne sont pas encore arrivés. On ne dit rien de ces princes de France auxquels on a eu confiance.» «Mémoire qui n'est pas signé. Il est du 4 octobre 1627. Cinq ou six gentilshommes du Velay, promettent de se rendre maître du Puy et de lui livrer 4 ou 5 bonnes places et de faire une diversion notable, pourvu qu'ils soient avoués de M. le comte de Soissons. Si on a cet aveu, il faut l'envoyer au gouverneur d'Orange qui le fera tenir à Brisson. Rohan laisse le bas Languedoc et les Cévennes bien unis et bien résolus. Il a mis le canon en campagne pour nettoyer quelques petites places. Il a 6,000 hommes de pied et 400 chevaux. Il espère que ses troupes grossiront considérablement à Montauban. Le baron de Favière s'est fait de la religion la semaine passée. Il a mis dans le parti la ville et le château de Lunas, place imprenable à quatre lieues de Béziers et un bon château sur le grand chemin.» AUTRE MÉMOIRE DE 5 OCTOBRE, DE VALENCE. «Il est apparemment de celui qui a donné le conseil de passer en Suisse, parce qu'il dit que Montaigu pourra empêcher les levées aux ennemis et peut-être obtenir quelque levée. Il signe: celui qui vous tint compagnie à la veillée des dames, H. P.--Promesse du roi de la Grande-Bretagne de ne faire ni paix ni trêve avec la France, si ce n'est par le moyen de M. le duc de Savoye.--Petit billet porté dans la bouche, à ce qu'a dit le prisonnier. Il est de M. de Rohan du 14 septembre. Il a fait déclarer tout le bas Languedoc et les Cévenois. Ils ont juré de n'accepter aucune paix que du consentement du roi d'Angleterre. Ils ont prié Rohan de reprendre sa charge de général et de faire toutes les levées nécessaires. Il aura dans treize jours 6,000 hommes de pied et 400 chevaux. Si on lui avoit envoyé de Savoye ce qu'on lui avoit promis, il auroit eu au moins 10,000 hommes de pied et 1,000 chevaux pour s'aller rejoindre à l'armée Angloise. Il a donné ordre afin que cette cavalerie puisse arriver à lui, en cas qu'on l'envoye. Mais si on fait difficulté d'envoyer la cavalerie, qu'on envoye l'argent à Orange. Il espère avec cela en faire assez pour tenir la campagne. AUTRE DU 9 OCTOBRE. «M. de Rohan est à Milau avec 6,000 hommes de pied et 500 chevaux. Le marquis de Malauze le joindra avec 1,500 hommes de pied et 100 chevaux, Dondredieu avec 300 chevaux. Favières s'est déclaré de la religion et a remis Lunas. Boderieux y est confirmé et se fortifie. M. de Montmorency cède à l'importunité du Parlement de Tolose qui l'oblige d'arriver pour s'opposer à M. de Rohan. LETTRE DE MONLERUN (?). «Il paroît que c'est lui qui avoit conseillé d'envoyer en Suisse. Il écrit d'Orange du 9; il mande qu'il a fait tenir au duc de Rohan la lettre qu'il lui a écrite, que le retardement de ce que Montaigu a promis tient beaucoup de choses en suspens, que le gouverneur d'Orange qui a fourni jusqu'à cette heure ne le veut plus faire, n'entendant point parler des fonds sur lesquels il étoit assigné. Il presse pour une réponse parce que l'ennemi arme de tous côtés. Il envoye la suscription de la lettre qu'il faut écrire aux cantons. LETTRE fort respectueuse que Montaigu a écrite de la Bastille au roi. «Il dit que le roi d'Angleterre n'a pris les armes contre le roi que parce qu'il a cru que le roi ne correspondoit pas à l'estime et à l'affection qu'il lui portoit, et que Savoye, Lorraine, Soissons se sont joints à lui piqués du peu de cas que sa majesté faisoit d'eux; que s'ils étoient les uns et les autres persuadés du contraire, on pourroit les porter à une bonne paix si nécessaire au bien des deux couronnes. «Le même au Cardinal. C'est un compliment qui tient un peu du galimatias.» On comprend quel effroi répandit parmi tous les conspirateurs la prise de Montaigu. Nous avons montré quel trouble saisit la reine Anne à la nouvelle de cette arrestation, et quel prix elle mit à faire parler par La Porte au prisonnier pour savoir si quelques-uns de ses papiers la compromettaient, et si elle pouvait compter sur sa discrétion, chapitre III, pages 87 et 88. La cour de Turin, qui avait cru tromper la France par le double jeu qu'elle n'avait cessé de jouer, s'émut, et au commencement de 1628, Marini, résident de France en Piémont, écrit, FRANCE, t. XLIX, qu'on songe à envoyer à Paris diverses personnes pour «porter des compliments sur les avantages des armes françoises contre les Anglois, et répondre, s'il est besoin, à tout ce qui pourroit être trouvé dans les papiers de Montaigu qui seroit au mécontentement de Sa Majesté.» «Les princes de Piémont, dit Marini, sont interdits et en confusion sur cette prise. Le comte de Soissons avec Seneterre sont jour et nuit pour trouver expédients de pouvoir réparer le mal qui se trouveroit ès-écritures de Montaigu contre le service du roi, et espèrent que par les instances du duc de Lorraine l'on empêche les voies de rigueur contre ledit Montaigu. Ils se confient en trois choses: que les mémoires importants sont écrits de la main de Montaigu; que leurs lettres sont en chiffres; que l'on ne tirera rien de Montaigu qu'ils tiennent habile.» Néanmoins l'avis de Marini est que «par voies directes et indirectes, l'on tirât le fond de cette affaire, parce que Montaigu en est très-informé, et qu'il faut lui faire expliquer les mémoires écrits de sa main.» Bien des conseillers de Richelieu pensaient aussi qu'après avoir tiré des papiers saisis tant de lumières sur les intrigues du dehors, on devait tâcher de voir clair dans celles du dedans, et vérifier les rapports que les agents secrets de Richelieu lui adressaient. Bullion, chargé d'interroger le prisonnier, l'avait en vain pressé; il n'avait pu lui rien arracher; il aurait fallu aller plus loin et recourir à des rigueurs qui auraient pu irriter le duc de Savoie, le duc de Lorraine et le roi d'Angleterre, et les décider à faire un dernier effort et une puissante diversion en faveur de La Rochelle qui était encore debout. Le profond Richelieu, attentif à ne poursuivre jamais qu'un seul grand but à la fois, sacrifia tout à l'ardent désir de renverser enfin le boulevard du protestantisme; pour retenir la Savoie et la Lorraine qui n'avaient pas encore tiré l'épée, il lâcha sa proie et mit en liberté Montaigu. Voilà ce que nous apprend une lettre de Bullion, FRANCE, année 1628, t. XLVII, fol. 60. La même politique fit accorder aux instantes prières du duc de Lorraine et du roi d'Angleterre la grâce de Mme de Chevreuse. Elle rentra donc en France en 1628 et se tint quelque temps tranquille, au sein de sa famille, ainsi que nous l'avons dit page 90. Il semble pourtant que dès l'année 1629 elle se serait fort rapprochée du duc d'Orléans dans l'intérêt de la reine Anne, qu'elle aurait favorisé les amours du jeune duc, veuf de Mlle de Montpensier, avec la belle princesse Marie de Gonzague, fille du duc de Nevers et sœur de la Palatine, qu'elle serait même entrée assez avant dans le projet de mariage qui fit alors tant de bruit et souleva une si grande tempête, pour avoir conçu l'idée d'aller elle-même en Flandre y ménager un asile aux deux amants rebelles, grâce au crédit qu'elle et la reine avaient auprès du gouvernement espagnol. C'est là du moins ce qui résulterait de diverses lettres de Bérulle écrites en 1629, au nom de Marie de Médicis, à Richelieu lorsqu'il était en Italie avec le roi.--FRANCE, année 1629, t. XLV, fol. 127. LETTRE DU 24 MARS 1629: «Il y a quelque temps que la 58 (Mme de Chevreuse) vouloit aller en Flandre, et nous étions en peine à quel dessein. Hébert (la Reine mère) l'a empêchée en faisant connoître à 58 qu'elle ne pouvoit permettre ce voyage. Dudepuis on a eu advis que La Chesnelle (la reine Anne) et Mirabel (ambassadeur d'Espagne en France) ont traité en Espagne et en Flandre pour faire que Hébertin (Monsieur) et la N. (Nevers, la fille du duc de Nevers, la princesse Marie) fussent reçus en Flandre soit pour s'y marier soit après être mariés. Flandre a répondu et tend les bras ouverts à ces deux hôtes. Ce dessein a été proposé à l'Angleterre comme l'unique moyen pour rappeler le roi d'Italie. On soupçonne que ce fut un des sujets du voyage désiré par la 58 (Chevreuse). On n'a pas voulu donner ces advis à Calori (Richelieu) sur les premières ombres qu'on en a eues. Hébert (la Reine mère) en a reçu nouvelle confirmation, et lors elle a voulu que Francigène (Bérulle) l'écrivit à Calori.»--LE MÊME, 4 JUIN: «...Les dames de la faction de N. (la princesse Marie) ne cessent d'agiter Hébertin (Monsieur) pour le porter à quelque extravagance... La puissance et la hardiesse de ces dames n'est pas tolérable...»--MÊME JOUR: «Je viens d'apprendre que ces dames pressent Hébertin d'aller en Savoie. Il est très vrai qu'on le presse puissamment de sortir hors du royaume... Cet advis ne nous est pas donné des trois marchands (Bellegarde, Puilaurens, Coigneux), mais de quelques discours secrets de la Reine (la reine Anne).--LE MÊME, 16 JUIN: «Les dames de la Reine, plus elles font contenance de s'appuyer de Calori, plus elles essaient de le ruiner. Je ne sais pas si elles en ont la volonté, je ne crois pas qu'elles en aient la puissance.» Ces lettres et bien d'autres expliquent comment, pour prévenir toute tentative d'enlèvement, Marie de Médicis, alors dépositaire de l'autorité royale, ait pris le parti de mettre quelque temps à Vincennes la princesse Marie. Ainsi encore une secrète conspiration où Mme de Chevreuse aurait eu la main, une aventure manquée à joindre à tant d'autres aventures. II.--CHATEAUNEUF Les 52 lettres de Mme de Chevreuse à Châteauneuf, dont nous avons donné des extraits plus étendus que ceux du père Griffet, embrassent au moins toute l'année 1632, avant le voyage de la cour dans le Midi, qui eut lieu en l'automne de cette année et auquel il n'est pas fait la moindre allusion dans les lettres de Mme de Chevreuse. Déjà, comme on le voit par ces lettres, Richelieu avait conçu des soupçons sur les relations intimes de la belle duchesse et du garde des sceaux; son jaloux amour-propre n'en fut pas seul blessé, sa politique s'en alarma; il se doutait bien que Mme de Chevreuse n'était pas femme à se prêter à la passion d'un homme de l'âge de Châteauneuf, sans avoir le projet de le faire servir à ses desseins. C'était après l'affaire de Castelnaudari. Monsieur ne savait encore à quoi s'arrêter, s'il se soumettrait ou irait retrouver sa mère à l'étranger et passerait en Flandre ou en Lorraine ou en Angleterre. On craignait que la reine Anne et Mme de Chevreuse ne fussent plus ou moins mêlées à ces intrigues, et que le garde des sceaux ne s'y fût laissé engager, ainsi que dans d'autres cabales anglaises avec son ami intime, le chevalier, depuis le commandeur de Jars. Dans les premiers jours de novembre 1632, toute la cour était à Bordeaux, le roi, la reine, Mme de Chevreuse, Richelieu, ses confidents, le cardinal La Valette et le père Joseph, Bouthillier et son fils Chavigni. Le garde des sceaux, après avoir présidé à Toulouse la commission qui jugea Montmorenci, était venu rejoindre la cour. Le roi, pressé de retourner à Paris, prit les devants, accompagné de Chavigni. Richelieu donna des fêtes à la reine; il se proposait de la ramener à Paris par la Saintonge, et de lui faire les honneurs de La Rochelle, sa nouvelle et illustre conquête. Tout à coup il tomba malade, et Châteauneuf, emporté par le désir de faire un voyage d'agrément avec Mme de Chevreuse, se fit donner la commission de conduire la reine à La Rochelle et d'y suppléer le cardinal. Les archives des affaires étrangères nous fournissent ici des renseignements curieux, FRANCE, t. LXI. Châteauneuf écrit de Bordeaux, le 12 novembre, au roi qui est en route pour Paris, que le cardinal, au moment de partir avec la reine pour La Rochelle, est tombé malade d'une rétention d'urine. Il voulait, dit-il, rester près de lui, mais le cardinal lui a commandé d'accompagner la reine jusqu'à La Rochelle, où il compte aller bientôt la retrouver. Le même jour Châteauneuf mande la même nouvelle à Chavigni, en lui disant que la maladie du cardinal est plus fâcheuse que dangereuse. Cependant le cardinal de La Valette, le père Joseph, Bouthillier, tous les vrais amis de Richelieu, Schomberg excepté qui se mourait après sa victoire de Castelnaudari, sont restés près de leur maître, l'entourant de leurs soins, l'assistant de leurs conseils; et de loin leur police vigilante surveille toutes les démarches, tous les propos de l'amoureux et aveugle garde des sceaux. Le père Joseph écrit à Chavigni le 13 novembre: «Nous avons été en grande peine pour M. le cardinal. Depuis une heure il y a plus à espérer qu'à craindre.» Il engage Chavigni à ménager habilement l'esprit du roi, à le bien entourer, à ne laisser arriver à lui que des personnes bien disposées. Ce même jour Bouthillier mande au roi que le cardinal a voulu lui écrire de sa main sur le fait de Monsieur, mais qu'il est trop faible pour entreprendre une seconde lettre, et qu'il lui a commandé de tenir la plume à sa place: «Dès que le mal de M. le cardinal lui permettra de se mettre en chemin, il est résolu de ne pas perdre une seule heure et d'aller droit se rendre auprès de Votre Majesté, sans se détourner ni pour La Rochelle ni pour quoi que ce soit. Il a reçu aujourd'hui un si grand soulagement de son mal que les médecins le tiennent toujours hors de danger, pourvu qu'il ne survienne point de nouvel accident.» Bouthillier écrit encore au roi, de Bordeaux, le 15 et le 16 novembre, pour lui annoncer les progrès de la convalescence de Richelieu. Mais voici une lettre d'une tout autre importance où l'_alter ego_ du cardinal découvre à l'un de ses correspondants la trahison de Châteauneuf, en se fondant, il est vrai, sur de bien faibles motifs et de pures apparences. Le père Joseph à Chavigni, de Bordeaux, 22 novembre: «Monsieur, ayant eu charge de M. le cardinal de vous faire réponse, je vous dirai qu'aujourd'hui son plus grand mal est le déplaisir de ne pouvoir aller trouver le roi aussitôt qu'il le désireroit, pour lui rendre ses très-humbles services et le remercier du soin qu'il daigne avoir de son incommodité. Il se porte bien mieux. Aujourd'hui les médecins ont recognu que la douleur qu'il souffre à uriner provenoit d'un pus qui s'étoit formé au col de la vessie et qui est sorti avec l'urine et l'a beaucoup soulagé. Il est fort foible pour avoir passé plusieurs nuits sans dormir et avoir été saigné plusieurs fois. Il a besoin de quelque temps pour se remettre... Je m'assure que vous aurez un grand regret de la mort de M. de Schomberg... Le secrétaire de Severin (le garde des sceaux) a dit depuis peu à un honnête homme qui a passé où ils sont et en a donné avis ici que, Du Puy (Monsieur) s'en alloit et que Severin en avoit des nouvelles. Si cela est, il est évident que ledit Severin y a bonne part, et peut être cru l'auteur de ce conseil. Pierre (le roi) fera bien d'avoir l'œil ouvert sur les actions de Severin et de ses amis en tant qu'ils le sont aussi à Du Puy (Monsieur). Ceux qui viennent du lieu où est Severin disent qu'il passe fort bien son temps, avec une grande gayeté, qui n'a pas été amoindrie par l'accident arrivé à François (Schomberg). Il n'a envoyé qu'une fois savoir des nouvelles de Dubois (Richelieu), et encore ç'a été pour faire entendre qu'il s'en alloit trouver Lafontaine (le roi).» Une telle communication ne demeura pas stérile entre les mains de l'intelligent Chavigni. Il n'eut pas de peine à animer contre le garde des sceaux l'ombrageux et soupçonneux Louis XIII. Bientôt il reçut de Charpentier, l'un des deux secrétaires de Richelieu, l'invitation de porter le roi à écrire au cardinal de La Valette une lettre ainsi conçue: «Mon cousin, j'ai bien voulu vous témoigner par ces lignes le gré que je vous sais de ce que vous avez toujours demeuré auprès de mon cousin le cardinal de Richelieu et ne l'avez point abandonné durant sa maladie, et aussi parce que je veux bien que tout le monde sache que ceux qui l'aiment sincèrement et sans feintise comme vous, sont ceux dont je ferai cas particulièrement.» Ce travail sur l'esprit du roi ne tarda pas à porter ses fruits, et le 29 novembre Bullion écrivait de Paris à Richelieu: «Le roi est en extrême colère contre 64 (Châteauneuf) de ce qu'il vous a quitté, et cinquante fois m'en a témoigné une extrême indignation.» Tous les amis de Richelieu conspirent à l'envi contre Châteauneuf, soit qu'ils voulussent en cela complaire au cardinal et servir à la fois toutes ses passions privées et publiques, soit qu'ils fussent jaloux des talents du garde des sceaux, soit qu'en effet ils fussent convaincus qu'il trahissait son pays et son bienfaiteur pour une femme. Le dernier novembre, le père Joseph écrit à Chavigni: «Le sieur Dubois (Richelieu) entre de mieux en mieux en l'affaire du sieur Severin; en quoi il se confie au secret et en l'adresse des sieurs Duplat (Chavigni et son père Bouthillier). Le petit Lin (Bullion) a fort bien commencé, et il tiendra la main pour une fin heureuse.» Le 4 décembre, Bouthillier, qui a précédé Richelieu à Paris, lui écrit une longue lettre sur l'attachement du roi, où nous relevons les lignes suivantes: «Le roi m'a dit avec larmes qu'il eût beaucoup mieux aimé qu'il fût arrivé faute de lui que de vous.» Et en post-scriptum: «Nous attendons demain M. le garde des sceaux.» Châteauneuf, à peine arrivé à Paris, sentit le péril qui le menaçait, et s'empressa d'écrire, le 8 décembre, à Charpentier, «au sujet de quelques mauvais offices qu'on lui avoit rendus auprès du roi et de M. le cardinal à cause qu'il ne l'avoit pas attendu à Bordeaux», et il se défend sur l'ordre qu'il prétend en avoir reçu. Inutiles efforts: sa perte était résolue. Le Mémoire suivant de Richelieu, qui voit ici le jour pour la première fois, doit avoir été composé après le 30 janvier 1633, puisqu'il y est fait mention de ce jour; et d'autre part il doit avoir précédé le 25 février, c'est-à-dire l'arrestation de Châteauneuf et la saisie de ses papiers, car il n'y a ici que des soupçons et des indices, tandis que les papiers de Châteauneuf auraient fourni au cardinal des preuves plus fortes. On y voit le travail auquel se livrait Richelieu avant de prendre un parti. Il rassemble tous les motifs qu'il a de douter de la fidélité du garde des sceaux, et il se rend compte à lui-même de la résolution qu'il médite.--FRANCE, t. CI. MÉMOIRE DE M. LE CARDINAL DE RICHELIEU CONTRE M. DE CHÂTEAUNEUF. «Du temps du maréchal d'Ancre le sieur de Chasteauneuf estoit extrêmement mal avec lui. Le cardinal de Richelieu ne laissa de l'assister, jusque-là que le dit maréchal lui en voulut mal. Le lendemain que le cardinal fut chassé, le dit sieur de Chasteauneuf fit tout ce qu'il put contre lui. Depuis, estant en Savoie, le cardinal lui fit avoir les trois abbayes de son frère[372], et les disputa contre la reyne mesme et en eust sa mauvaise grâce. Depuis, lorsqu'il fut fait garde des sceaux, il le pria de bien penser si c'estoit son avantage, parce qu'il ne vouloit pas le proposer au Roy pour l'utilité du cardinal, mais pour la sienne propre. Après y avoir pensé trois jours, il le pria de faire exécuter la proposition qu'il lui avoit faite. [372] Les abbayes de Massai, Préaux et Noirlac, qui étoient d'abord à Gabriel de l'Aubespine, évêque d'Orléans, furent à sa mort, en 1630, transportés à son frère Charles. Trois semaines après qu'il fut garde des sceaux, Monsieur s'estant accommodé avec le Roy et ayant promis son amitié au cardinal, et les sieurs Le Coigneux et Puylaurens désiré que le dit cardinal les maintînt auprès du Roy, ce à quoi Sa Majesté trouva bon qu'il s'engageast, selon certains articles que le dit sieur de Chasteauneuf en dressa lui-mesme, il envoya le sieur de Hauterive[373] avec Mme de Verderone[374] pour tâcher de séparer Puylaurens d'avec Le Coigneux, ce qui étoit chose directement contraire à ce qui leur avoit été promis; d'où Le Coigneux prit une telle allarme, Puylaurens lui ayant dit, qu'il crut que c'estoit un complot fait entre le dit sieur de Chasteauneuf et le cardinal qui n'en savoit rien; d'où il conclut qu'il ne s'y pouvoit fier, et partant médita la ruine du cardinal qui pensa arriver par la visite que Monsieur fit chez lui et sa retraite, d'où se sont ensuivies les guerres qu'on a vues depuis. [373] Frère de Châteauneuf. François de l'Aubespine, marquis de Hauterive, lieutenant général des armées du roi, mort en 1670. [374] Les Verderonne sont une branche des l'Aubespine. Mme de Verderonne dont parle ici Richelieu est vraisemblablement Louise de Rhodes, femme de Claude de l'Aubespine, seigneur de Verderonne, président de la cour des comptes de Paris. Estant à Château-Thierry le Roy fit le dessein de surprendre Moyenvic, sur un advis qui ne fut cognu qu'au Roy, au cardinal, au garde des sceaux, au maréchal de Schomberg et au sieur Bouthillier. Ce dessein ne fut pas plustôt fait que ledit garde des sceaux le mandast à 9[375], personne intéressée en cette affaire; et en effet ce dessein faillit, celui qui estoit dans cette place en ayant eu assez de vent pour s'y fortifier de gens, ce qui fit qu'on trouva toute autre garde au pont qu'il n'y avoit pas six mois auparavant. [375] Voyez la note qui suit. Il déclara aussi le dessein du voyage des troupes du Roy à Hermestein. Il a aussi dit à 9 dès Lyon que le Roy avoit résolut de faire trancher la teste à M. de Montmorency, et ce deux jours après la résolution que Sa Majesté en avoit prise. Ayant été pris dans Lyon un courrier que M. de Lorraine envoyoit à Monsieur, et dont le cardinal avoit eu advis par une voie secrète, incontinent il en advertit 9 qui, dans la chaleur de la dispute qu'elle[376] eut avec lui sur ce sujet pour le faire eslargir, lui découvrit qu'elle savoit les marques particulières qu'il devoit y avoir sur une lettre qu'on prétendoit qu'il eût cachée. Le cardinal consulta depuis avec le garde des sceaux la peine où il estoit de peur que par ces marques-là M. de Lorraine découvrist qui lui avoit donné l'advis et en perdist l'autheur. Il redit encore toute cette seconde conférence à cette mesme personne qui depuis le découvrit au cardinal. [376] Donc 9 est une femme. C'est très-certainement Mme de Chevreuse. Est à noter les lettres qu'on a interceptées qu'il escrivoit en Angleterre conseillant la Reyne contre les sentiments du Roy, particulièrement au fait de la religion. Ouaston, grand trésorier d'Angleterre, a fait advertir par son propre fils, ambassadeur extraordinaire en France, comme d'une chose bien assurée qu'il donne pour marque de l'affection qu'il porte au cardinal, qu'il sait de preuve très-certaine que le sieur de Chasteauneuf a dessein de perdre le cardinal, et la Reyne d'Angleterre a dit plusieurs fois que le garde des sceaux n'estoit point participant des mauvais conseils du cardinal, qu'il estoit son serviteur particulier, et qu'il feroit mieux aller l'Estat que le cardinal, quand il seroit mort. Est à noter encore qu'il dit à Chaudebonne[377] qu'il ne faisoit nulle difficulté de sauver la vie à M. de Montmorency et lui donner un autre gouvernement que celui du Languedoc, et ce pendant qu'il lui disoit, après avoir fortement opiné à faire mourir le dit sieur de Montmorency, et que la résolution en estoit prise. [377] Un des principaux officiers de Gaston. Voyez les lettres de Voiture. Est à noter qu'aussitost que la nouvelle de la prise de M. de Montmorency fut sçue, le garde des sceaux, de son propre mouvement, sollicita pour qu'on envoyast une ordonnance du Roy à M. le maréchal de Schomberg pour lui faire trancher la teste, nonobstant ses blessures, ce que le seul cardinal détourna, sur ce que tout le monde auroit horreur de cette action qui sembleroit inhumaine, qu'il falloit attendre s'il guériroit ou non auparavant du faire justice. Est à noter encore qu'après avoir ainsi parlé audit Chaudebonne, il vint dire au cardinal qu'il lui avoit dit qu'on ne pouvoit sauver ledit sieur de Montmorency, et que jamais il ne donneroit ce conseil au Roy, quand mesme le cardinal lui donneroit, et qu'il vouloit bien qu'il le dît à Monsieur; sur quoi le dit sieur de Chaudebonne dit à M. le cardinal de La Valette, au père Joseph et au jeune Bouthillier[378] qu'il le jugeoit de là un étrange homme, vu qu'il lui avoit dit tout le contraire, comme il est dit ci-dessus, par où il le croyoit serviteur de Monsieur, puisqu'il favorisoit M. de Montmorency, et que la difficulté venoit seulement du cardinal qu'il tenoit ennemi de Monsieur. [378] Léon de Chavigni, fils du surintendant des finances Claude Le Bouthillier. Le garde des sceaux dit à Chaudebonne au deuxième voyage qu'il a fait à la cour, qu'il eût à dire de sa part à Puylaurens que si Monsieur envoyoit quelqu'un au Roy, il feroit bien d'y venir et qu'il lui vouloit parler. Quand Chaudebonne est revenu à Montpellier, le garde des sceaux lui a demandé s'il s'étoit souvenu de parler de ce que dessus à Puylaurens. Chaudebonne lui ayant dit qu'il s'en estoit oublié (_sic_) par le peu de temps qu'il avoit demeuré là, le garde des sceaux l'a prié de dire à Puylaurens qu'il seroit bien aise de s'aboucher avec lui à la campagne, si l'on s'approchoit de plus près, et qu'il feroit en sorte qu'après M. le cardinal le verroit. Puylaurens a dit plusieurs fois au dit Chaudebonne qu'il se fioit au garde des sceaux et qu'il croyoit qu'il répondroit pour lui au Roy. Chaudebonne dit aussi avoir recognu qu'il y avoit intelligence entre le garde des sceaux et Puylaurens lorsqu'il étoit en Flandre, et que par le moyen de Mme de Barlemont ils entretenoient commerce sous prétexte de quelque réconciliation de Monsieur avec le Roy, sans que le garde des sceaux et Puylaurens en eussent dessein. M. le maréchal de Schomberg m'a dit deux ou trois fois que Briançon l'avoit assuré que chez Monsieur ils se faisoient fort du garde des sceaux et qu'ils estoient en bonne intelligence. Ce que le dit Briançon, depuis la mort du dit sieur maréchal, a donné lieu de croire par la lettre qu'il a escrite à M. d'Haluin[379]. [379] Charles, fils du maréchal Henri de Schomberg, lui-même maréchal, et duc de Schomberg à la mort de son père, s'appela d'abord duc d'Halluin, du chef de sa première femme. Est à noter que le maître des requêtes Belièvre dit à Saint-Laurent qui estoit prisonnier à Castelnaudary: «Monsieur menace toujours, mais ces menaces ne sont qu'en paroles; mais si on les voyoit suivies d'effet, il trouveroit bien plus de gens qui seroient de son parti.» Ce discours fut tenu en suite des escrits et des menaces faites au cardinal. Briançon advertit M. le maréchal de Schomberg de ce discours. Il ne faut pas oublier le procédé dont il a usé au procès de Marillac, où, lorsqu'il voyoit en mauvaise disposition le Roy et les siens, disoit ouvertement qu'il ne le jugeroit point contre son honneur; comme si c'eût été contre l'honneur d'un garde des sceaux de faire la justice! Et depuis qu'il a vu le Roy en meilleure santé, il l'a jugé comme sa charge l'y obligeoit. Auparavant tous ses amis qui parloient franchement de cette affaire disoient que M. le garde des sceaux ne vouloit point se mettre au hazard par le jugement de ce procès, de se mettre mal par la suite des temps avec des personnes qui le pourroient perdre, et ce pour les intérêts du Roy qui sembloient chancelants par sa mauvaise disposition et la fortune du cardinal qui ne pouvoit qu'estre caduque, la santé du Roi n'estant pas assurée. Et en effet M. d'Effiat[380] recognut un jour clairement qu'il marchandoit, sur la mauvaise opinion qu'il avoit de la vie du Roy, à prendre son congé sur la fin de son règne pour se faciliter une glorieuse rentrée en son imagination en celui qui devoit venir peu après. [380] Le maréchal d'Effiat, père de Cinq-Mars. Estant à Bésiers, il fit ce qu'il put adroitement pour faire trancher la teste à M. de Montmorency par une simple ordonnance, au lieu de le faire juger par le Parlement ou par commissaires. La cognoissance qu'on avoit que cette proposition n'estoit bonne que pour charger le cardinal de l'événement de cette affaire, disant qu'elle ne passoit que pur l'autorité du Roy auprès duquel il avoit grand crédit, fit que le cardinal s'en défendit disant qu'il falloit mettre cette affaire au cours ordinaire de la justice. M. de Montmorency ayant mandé au Roy, par le sieur de Launay, à Toloze, que Monsieur estoit marié à la princesse de Lorraine, on estima dans le conseil du Roy qu'il falloit tenir cette affaire fort secrète, parce que si Puylaurens, qui l'avoit découverte à M. de Montmorency, découvroit qu'on sçût la faute qu'il avoit commise en cette action qu'il avoit toujours niée, la peur le reporteroit à quelque nouvelle faute. Le Roy, pour cet effet, recommanda à son conseil un estroit secret, ce qui fut promis de tous, mais non pas gardé d'un chacun. La Vaupot, envoyé de Monsieur, qui estoit lors auprès du Roy, l'ayant sçu le lendemain, ce qui produisit un si mauvais effet qu'estant arrivé auprès de Monsieur, Puylaurens effrayé l'emmena de nouveau hors du royaume. Sur quoi le Roy manda au cardinal qu'ils estoient sortis parce qu'ils avoient sçu ce dont M. de Montmorency l'avoit adverti, ce qu'il croyoit ou sçavoit avoir été dit par le garde des sceaux. Il est vrai qu'estant à Lectoure, dans la chambre de la Reyne, Mme de Chevreuse demanda au cardinal en présence de la Reyne: Dites-nous un peu ce que M. de Montmorency a mandé au Roy par Launay. Sur quoi, le cardinal disant: il a mandé plusieurs choses; je ne sais pas ce que vous voulez sçavoir. Elle reprit la parole avec sa promptitude ordinaire et dit: il lui a mandé que le mariage de Lorraine est fait; je le dis afin que vous ne pensiez pas que nous ignorions ce dont vous faites secret. Elle n'adjousta pas qui lui avoit donné cet advis, mais apparemment celui qui l'avoit advertie du dessein de Moyenvic[381] lui avoit donné cette cognoissance. [381] Voyez plus haut, p. 396. Le procédé du garde des sceaux, dans la maladie du cardinal, est à considérer, où il est vrai qu'il le quitta, n'oubliant rien de ce que l'adresse lui put suggérer pour que le cardinal lui conseillât d'en user ainsi, ce qu'il sçavoit bien qu'il vouloit faire, Mme de Chevreuse ayant dit audit cardinal qu'il y avoit plus de quatre jours il avoit dit chez la Reyne que le dit cardinal demeureroit si bon lui sembloit, mais qu'il iroit avec elle. Est à noter l'affectation particulière que M. le garde des sceaux eut d'envoyer Leuville[382] en Piedmond, et la proposition qu'il fit au cardinal que le dit Leuville tueroit Toiras[383] s'il ne vouloit obéir au roi, ce que le cardinal rejeta; en suite de quoi cependant Leuville ne fut pas plustôt en Piedmont qu'il se mit tout à fait du parti de M. de Toiras qui se roidit plus que jamais à n'obéir pas, selon que M. Servien le mande, disant qu'il croit que la venue du sieur de Leuville n'a pas peu servi à lui donner du cœur pour résister aux volontés du Roy. Le Roy mesme m'a dit que de Montpellier le garde des sceaux avoit envoyé un de ses secrétaires en Piedmont à Leuville, ce qui s'estoit justifié par l'ordonnance du voyage que longtemps après le dit secrétaire avoit tâché de tirer en secret. Il est vrai que Leuville estant retourné d'Italie, le garde des sceaux m'a escrit et avoué de bouche qu'il estoit tout à fait pour Toiras, ce qui aussi estoit si clair qu'on ne le pouvoit nier. [382] Son neveu. [383] Le maréchal de Toiras. Le dit garde des sceaux qui avoit affecté le voyage de Leuville en Piedmont, depuis la mort du roy de Suède a eu grand désir de faire envoyer le maréchal d'Estrées vers les protestants d'Allemagne, ce qui fit que le cardinal ayant fait résoudre à son arrivée d'y envoyer le sieur de Feuquières, il ne se put tenir de dire au sieur Bouthillier le jeune qu'il avoit fait une grande faute, et qu'il y falloit envoyer un officier de la couronne; et cependant chacun sçait que les meilleures affaires ne se font pas toujours par les plus grands, et que Feuquières, maréchal de camp et lieutenant du Roy en la frontière, est cognu en Allemagne fort entendu et homme de bien. Au mesme temps le dit garde des sceaux eût bien désiré que son frère (Hauterive) eût été envoyé en Hollande pour empescher la trève, mais il s'est moins ouvert de ce desir pour mieux cacher son dessein. Au mesme temps le roy d'Angleterre ayant eu la petite vérole, et estant à propos que le Roy envoyast le visiter, il pria le jeune Bouthillier de proposer le chevalier de Jars pour faire ce voyage, et le faire en sorte que l'on ne cognût point qu'il lui en eût parlé. Au mesme temps il proposa au cardinal d'envoyer Berruyer à Bruxelles, sous prétexte de parler au prince d'Espinoy, lui disant qu'il verroit par ce moyen la dame de Barlemont et Puylaurens pour sçavoir à quelles conditions ils voudroient revenir en France. Par tout ce que dessus, il appert qu'il veut tenir toutes les négociations importantes de l'Estat en sa main. Dès que le cardinal fut revenu de son voyage, le soir mesme qu'il arriva à Rochefort, le dit garde des sceaux, quoiqu'estonné de ce qu'il cognoissoit n'estre pas bien avec le Roy, tira une lettre de sa pochette, que lui escrivoit Mme de Barlemont, qui estoit de deux ou trois pages pressées dont il ne montra que trois lignes au cardinal, ès quelles mesme il y avoit des mots en chiffres qu'il lui expliqua, en sorte que ces trois lignes signifioient que Puylaurens estoit déjà las d'estre là où il estoit, qu'il voudroit bien revenir et ramener son maistre en France, qu'il avoit eu envie d'escrire pour cet effet au garde des sceaux, mais qu'elle n'avoit osé prendre la lettre, que mesme pour donner assurance de lui il feroit faire le mariage de Monsieur et de la princesse Marie. Le dit garde des sceaux représenta fort au cardinal que le mieux qu'on pût faire estoit de l'y faire revenir, mais qu'il n'oseroit en parler au Roy. Le cardinal lui tesmoigna approuver son advis et dit qu'il en parleroit bien, mais qu'il falloit un peu attendre. Le lendemain ledit garde des sceaux reparla encore de cette affaire au cardinal. Sur quoi le cardinal lui disant: Mais quelle sûreté Puylaurens pourroit-il donner de lui? Il lui respondit: Elle consisteroit en deux choses: à marier Monsieur à une autre personne que la princesse de Lorraine, et à ce que Puylaurens espousât une des filles du baron de Pontchasteau. Sur quoi le cardinal respondit que cette sûreté estoit bien maigre, et qu'il ne voudroit pas y penser de peur de donner le moindre ombrage au Roy, à qui il devoit tout. Est à noter que le mesme jour le garde des sceaux dit au cardinal qu'il avoit une prière à lui faire, qui estoit d'agréer que sa nièce de Chasteauneuf, qui avoit dix mille livres en fonds de terre et cinquante mille escus comptant, espousât quelqu'un de ses parents, tel qu'il voudroit, pour que par ce moyen il entrast en son alliance, et qu'il seroit très-aise qu'il la voulût donner au fils du baron de Pontchasteau. Sur quoi le cardinal lui respondit qu'il se sentoit obligé de cette offre, mais qu'il feroit bien mieux de donner sa nièce à Leuville ou au fils de Mme de Vaucelas, comme il avoit ouï dire qu'il l'avoit projeté, qu'aussi bien le fils du baron de Pontchasteau estoit-il aucunement engagé avec la fille du baron de Quervenau. A cela le garde des sceaux répliqua que Leuville et cette fille se haïssoient, qu'il ne la vouloit point donner à son neveu de Vaucelas, et qu'il désiroit grandement cet honneur. Puis adjousta: Y a-t-il contract ou articles passés entre le fils de Pontchasteau et la fille de Quervenau? Le cardinal respondit: Non. Sur quoi il dit: Il n'y a donc rien qui empesche cette affaire. Sur quoi le cardinal se voyant pressé lui dit: Je sçaurai de M. et de Mme de Pontchasteau comme cette affaire va. Est à noter le discours que Leuville a fait à Roquemont allant en Italie, le priant de favoriser le sieur de Toiras; ce que M. le premier[384] a sçu de Roquemont et l'a dit au Roy de qui je l'ai appris. [384] Le premier écuyer, alors Saint-Simon. Est à noter que le garde des sceaux a fait cognoistre aux jesuites qu'il ne tenoit pas à lui qu'il ne les favorisast en l'affaire du collége du Mans, se déchargeant tacitement sur le cardinal; ce que j'ai appris du père Maillan. Est à noter ce que Servien escrit que Toiras a dit ouvertement avoir sçu les résolutions portées par Gagnot, et qui plus est celles qu'un courrier porta à M. Servien pour faire avancer les régimens de Saulx et d'Aiguebonne; ce qui fut fait pendant que le cardinal estoit encore en Brouage, sans qu'autres personnes en eussent cognoissance que le ministère. Est à noter les paroles de mépris que le chevalier de Toiras a dites au jeune Bouthillier du Roy, ce qui tesmoigne l'impression qu'il y a en cette maison. Est à noter la découverte qui a esté faite chez l'ambassadeur d'Espagne d'un homme qui donnoit des advis, laquelle est arrivée ainsi qu'il s'en suit. La Reyne envoya quérir Navas[385] et lui dit: Prenez garde à vous; je suis assurée qu'il y a quelqu'un chez vous qui advertit de ce qui s'y passe. Navas parla le soir à C. (Châteauneuf) et lui dit: Il n'y a que vous et moi qui ayons cognoissance des despesches; la Reyne m'a dit qu'on découvre ce qui se passe. C. l'assura de sa fidélité. La Reyne donna cet advis en un temps que Calori (le cardinal) avoit rapporté deux ou trois choses découvertes des malices de Mirabel[386], disant qu'elles estoient mandées par M. de Barrault; mais il se souvient qu'on pouvoit soubçonner qu'elles ne vinssent pas de si loin. Il disoit que M. de Barrault les découvroit en Espagne par un espion, mais la nature des choses pouvoit faire cognoistre que l'espion estoit en France, et de fait il a esté si bien soubçonné que la Reyne en a eu l'advis. Tels advis n'ont jamais esté rapportés au Roy que devant le garde des sceaux, le maréchal de Schomberg, et Bouthillier. Le secret du Roy, de Schomberg, de Bouthillier et de Calori sont à l'espreuve. L'affaire de Moyenvic fait cognoistre par expérience qui ne reçoit point la réplique que le garde des sceaux donne des advis d'importance à la Reyne. La conjecture tombe donc tout entière sur lui par la règle: _semel malus semper presumitur_. [385] Probablement un des attachés de l'ambassade. [386] L'ambassadeur d'Espagne. «Desroches, neveu de Chanleci, a dit le 30 janvier 1633 à M. de Fossé qu'un nommé La Forest, maître d'hotel de Puylaurens, qui fut tué au combat de Castelnaudary, a esté une partie de l'hiver passé à Paris et voyoit les nuits M. le garde de sceaux. «M. de Guron m'a dit que M. de Lorraine lui a dit que lorsque le Roy estoit à Metz la première fois, il se faisoit diverses allées et venues vers Puylaurens de la part de M. le garde des sceaux par un homme de Mme de Verderonne, et que ce qui se faisoit se faisoit par son conseil. «MM. de Bullion et de Fossé estant à Besiers auprès de Monsieur de la part du Roy, Puylaurens leur dit, sur les difficultés de la signature qu'on lui proposoit de faire pour la garantie de Monsieur, qu'il signerait ce qu'il refusoit si M. le garde des sceaux lui conseilloit; sur quoi ces messieurs lui disant qu'il en demeureroit d'accord et qu'il lui envoyast demander son conseil, Puylaurens repartit qu'il entendoit sçavoir l'advis dudit sieur garde des sceaux par un des siens qu'il prétendoit lui envoyer pour communiquer particulièrement avec lui. «Le Boulay[387] a dit à M. de Bullion que depuis le retour du voyage de Languedoc, le garde des sceaux lui parlant en particulier à Paris lui demanda: Quel homme est-ce que ce Puylaurens, et que dit-il? et que le Boulay lui respondit: Il faut que le cardinal soit un mal habile homme ou qu'il vous ruine à cause de Puylaurens.» [387] Un des officiers de Monsieur, qui le trahissoit et étoit vendu au cardinal. Il y en a une foule de lettres adressées au cardinal et à Chavigni aux Archives des affaires étrangères. PROCÈS-VERBAL DE LA VISITE DES PAPIERS DE M. DE CHATEAUNEUF FAITE FAR MM. BOUTHILLIER ET DE BULLION (Copie communiquée par M. le duc de Luynes.) «Le lundi, vingt-huitième jour de février mil six cent trente-trois, environ les huit à neuf heures du matin, Nous Claude de Bullion et Claude Bouthillier, conseillers du roi en ses conseils d'État et privé, et surintendants de ses finances, et Léon Bouthillier, aussi conseiller du Roy en sesdits conseils et secrétaire de ses commandements, en vertu de la commission de Sa Majesté du vingt-sixième dudit mois, nous sommes transportés, assistés du sieur Testu, chevalier du guet de la ville de Paris, au logis du sieur de Chateauneuf, ci-devant garde des sceaux, pour y faire perquisition de tous les papiers qui s'y pouvoient trouver, pour iceux faire transporter où nous verrions bon être, suivant la volonté de sadite Majesté; où étant arrivés, nous y aurions trouvé le sieur de Boislouer, enseigne d'une des compagnies des gardes du corps qui étoit en garnison audit logis par commandement de Sa Majesté, lequel nous auroit fait faire ouverture de la porte dudit logis où serions entrés et à l'instant montés en la chambre où couchoit ordinairement ledit sieur de Chateauneuf, où nous aurions fait appeler les nommés Mignon et Menessier, l'un ayant charge de ses affaires, et l'autre son secrétaire, auxquels nous aurions fait commandement de nous montrer les cabinets et autres lieux où pouvoient être les papiers appartenant audit sieur de Chateauneuf, ce qu'ils auroient à l'instant fait; et nous aurions montré la porte d'un cabinet qui donne dans ladite chambre, duquel nous aurions demandé la clef; et à faute de la pouvoir trouver nous aurions à l'instant envoyé quérir un serrurier nommé Duval, par lequel nous aurions fait faire ouverture de ladite porte et serions entrés dans ledit cabinet, où nous aurions trouvé des papiers, et iceux mis dans un coffre avec tous les autres qui étoient sur les tables de ladite chambre et sur les cabinets; de là nous serions entrés dans une autre chambre qui est à main gauche, dans laquelle il y a deux cabinets, lesdits Mignon et Menessier étant toujours avec nous, et nous serions entrés dans celui dont la porte est à la ruelle du lit, dans lequel il y a des armoires fermées de fil d'archal qui étoient pleines de papiers, comme aussi il y en avoit force sur la table, tous lesquels nous aurions fait tirer et mettre pareillement dans un coffre. Ce fait, nous sommes entrés dans un autre cabinet dont la porte est dans ladite chambre, duquel nous en avons aussi tiré tous les papiers et mémoires qui étoient dans un cabinet d'Allemagne tout ouvert, lesquels nous avons pareillement fait mettre dans un coffre; de sorte qu'il s'en est trouvé de quoi en emplir trois, lesquels nous avons à l'instant fait fermer et d'iceux pris les clefs. De là nous sommes retournés en la première chambre dans laquelle s'est trouvé un grand cabinet d'ébène noir et un autre petit desquels nous n'avons pu faire ouverture, attendu que nous n'en avions pas les clefs ni lesdits Mignon et Menessier, non plus que de celui qui étoit dans l'autre chambre; tous lesquels trois coffres pleins de papiers, ensemble lesdits trois cabinets avec deux grandes écritoires d'ébène, l'une en long et l'autre en espèce de carré, ont été transportés au logis de M. de Bullion, pour y être lesdits papiers vus et visités suivant l'exprès commandement du Roy et en vertu de la commission de Sa Majesté; et ont lesdits Mignon et Ménessier signé. Ce fait, nous nous sommes retirés. «BULLION, BOUTHILLIER, BOUTHILLIER.» «Et le samedi, cinquième jour de mars, audit an, à neuf heures du matin, Nous, commissaires susdits, assistés du sieur chevalier du guet, en vertu de l'exprès commandement du Roy et de la commission de Sa Majesté pour procéder à la visite de tous les papiers par nous saisis et trouvés, comme dit est, en divers lieux de la maison dudit sieur de Chateauneuf, nous sommes transportés au logis de M. de Bullion, où lesdits papiers avoient été portés, où nous avons fait venir le sieur Joly, un des domestiques dudit sieur de Chateauneuf, en la présence duquel nous avons fait faire ouverture des deux cabinets d'Allemagne qui avoient été trouvés dans la chambre dudit sieur de Chateauneuf avec les clefs que ledit Joly auroit mis dans nos mains quelques jours après le transport desdits papiers, nous déclarant qu'elles lui avoient été données par ledit sieur de Chateauneuf, à Saint-Germain-en-Laye, à l'heure qu'il fut arrêté, lequel lui dit qu'il les portât à la dame de Vaucelas, sa sœur, pour en tirer de l'argent et des lettres qui étoient dedans lesdits cabinets, et mesme ledit sieur de Chateauneuf a mandé par un courrier qui lui avoit été dépesché qu'il avoit donné lesdites clefs audit sieur Joly; dans lesquels cabinets ayant été ouverts il fut trouvé grande quantité de lettres et entre autres beaucoup en chiffres, toutes lesquelles ont été tirées et comptées en la présence dudit Joly et mises dans une cassette, laquelle nous avons fait fermer à l'instant et d'icelle pris la clef; et a ledit Joly signé. Ce fait, nous nous sommes retirés et avons remis l'assignation au lendemain neuf heures du matin, au même lieu.» «Le dimanche, sixième dudit mois, à neuf heures du matin, Nous, commissaires susdits, assistés dudit chevalier du guet, nous sommes transportés audit logis de M. de Bullion pour faire la visite des papiers; où procédant avons commencé par l'ouverture d'un coffre de campagne, façon de bahut avec serrure, plein de papiers entre lesquels il s'est trouvé quantité de lettres, à savoir: «Quarante-quatre lettres que nous avons mises dans une liasse cottée A; partie desquelles il y a du chiffre et du jargon. (Suit la mention détaillée du nombre de pages et de lignes de chacune de ces quarante-quatre lettres.) «Et d'autant qu'il étoit tard, nous nous sommes retirés et avons continué l'assignation au lendemain environ les neuf heures du matin au mesme lieu.» «Le lundi, septième dudit mois, Nous, commissaires susdits, nous sommes transportés à l'heure dite au logis de mondit sieur de Bullion, assistés dudit sieur chevalier du guet; où, en continuant la visite desdits papiers, avons fait l'ouverture d'un autre coffre tout plein de lettres et liasses, et entre autres: «Trente lettres toutes en chiffres du caractère suivant (divers chiffres et lettres), desquelles nous avons fait pareillement une liasse cottée B. (Suit la mention du nombre des pages et lignes de chacune de ces trente lettres.) «_Item_, trente-deux autres lettres signées de Montégu, desquelles nous avons aussi fait une liasse cottée C. (Suit la mention détaillée de chacune de ces trente-deux lettres.) «La trente-unième est une réponse aux articles projetés entre la France et l'Angleterre, écrite de la main de Montégu, contenant une page et deux tiers. «Ce fait, nous nous sommes retirés et avons continué l'assignation au lendemain à neuf heures du matin au mesme lieu.» «Le mardi, huit dudit mois, Nous, commissaires susdits, assistés dudit sieur chevalier du guet, nous sommes transportés à l'heure prise audit logis de monsieur de Bullion, où en continuant la visite desdits papiers, avons procédé à l'ouverture de l'autre troisième coffre tout plein de papiers entre lesquels se sont trouvées trente-quatre lettres signées de la dame de Vantelet, partie avec jargon, desquelles nous avons aussi fait une liasse cottée D. (Suit la mention détaillée.) «_Item_, vingt-neuf lettres, dont quelques-unes sont signées le chevalier de la Rochechouart, écrites toutes de mesme main, desquelles nous avons aussi fait une liasse cottée E. (Suit leur mention détaillée.) «_Item_, nous avons trouvé dans ledit coffre trente-une lettres de la reine de la Grande-Bretagne, et dans un papier douze vers que l'on croit être de sa main dont nous avons fait pareillement une liasse cottée F. «Ce fait, nous nous sommes retirés et avons continué l'assignation au lendemain neuf heures du matin au mesme lieu.» «Le lendemain mercredi, neuvième dudit mois, Nous, commissaires susdits et assistés dudit sieur chevalier du guet, nous sommes transportés en l'heure dite au logis de mondit sieur de Bullion, où étant avons procédé à l'ouverture de la cassette dans laquelle nous avions mis les lettres qui s'étaient trouvées dans les susdits deux cabinets d'ébène, en la présence dudit sieur Joly, entre lesquelles s'en est trouvé cinquante-deux contenant des caractères de chiffre pareils à ceux qui en suivent (diverses figures): desquelles lettres nous avons fait pareillement une liasse cottée G. (Suit la mention de ces cinquante-deux lettres qui sont celles de Mme de Chevreuse.) «_Item_, vingt lettres du comte de Holland dont nous avons aussi fait une liasse cottée H. (Suit la description.) «Une autre lettre signée R. Weston, contenant presque vingt lignes sans jargon. «_Item_, cinquante-six autres lettres, sans chiffre ni jargon, que l'on juge être d'amour et écrites par une femme, dont nous avons pareillement fait une liasse cottée L. «_Item_, neuf autres lettres dont nous avons fait une autre liasse cottée, à savoir: «Une lettre du sieur d'Estissac adressante au sieur de la Vacherie. «Une lettre écrite de la main dudit sieur de Chateauneuf contenant quatre pages. «Deux lettres signées Duplessis, dont l'une est adressée à Mlle de Minieux à Bruxelles, et l'autre sans superscription. «Deux autres lettres, l'une du sieur de Puislaurens, et l'autre sans superscription, adressantes toutes deux audit sieur de Chateauneuf. «Deux autres lettres du sieur comte de Brion, l'une adressante à Mlle d'Arscot, et l'autre à Mme la comtesse de Ganvillers. «Une lettre du sieur duc de Vendosme, du vingt-huit octobre mil six cent trente, signée César de Vendosme, adressante audit sieur de Chateauneuf. «Et le mesme jour avons de nouveau fait ouverture du susdit grand cabinet d'Allemagne pour chercher s'il n'y avoit point quelque cachette où il y pût encore avoir quelques papiers, et dans icelui avons trouvé une panetière d'or garnie de pierres façon de turquoises à l'entour, et deux morceaux d'ambre gris, lesquels nous avons fait peser, revenant l'un à quatre onces et l'autre à onze, lesquels nous avons pareillement tirés dudit cabinet. «Ce fait, nous nous sommes retirés et avons continué l'assignation au lendemain neuf heures du matin au mesme lieu.» «Le lendemain jeudi, dixième dudit mois de mars, Nous, commissaires susdits, assistés dudit sieur chevalier du guet comme ci-devant, nous sommes transportés à l'heure dite au logis dudit sieur de Bullion, où étant avons procédé à l'ouverture de l'autre cabinet et des deux écritoires d'ébène, lesquels nous avons fait ouvrir par un serrurier nommé Duval pour n'avoir pû trouver les clefs, dans lesquels cabinets et écritoires ne se sont trouvés aucuns papiers; et après avoir vu et visité tous lesdits papiers qui étoient dans les coffres, cabinets et écritoires mentionnés ci-devant, avons iceux remis dans lesdits coffres, à la réserve des liasses de lettres ci-devant spécifiées au nombre de onze inventoriées et cottées ainsi qu'il appert ci-dessus, toutes lesquelles lettres nous avons paraphées, _ne varietur_, excepté la liasse des trente-une lettres de la reine de la Grande-Bretagne cottées F, que nous n'avons pas voulu parapher pour son respect, et l'autre liasse contenant cinquante-six lettres cottées L; et icelles retenues pour être mises entre les mains du Roy; ensemble la susdite panetière d'or et lesdits deux morceaux d'ambre et lesdits coffres et cabinets sont demeurés encore dans le logis du mondit sieur de Bullion. Ce que nous certifions être vrai.» «Le mardy vingt-deux du mois de mois audit an, Nous, commissaires susdits, nous sommes transportés au logis du sieur Testu, chevalier du guet de la ville de Paris, où est détenu prisonnier le sieur Joly par commandement de Sa Majesté, auquel, assistés dudit sieur Testu, avons représenté cinquante-deux lettres toutes en chiffres inventoriées sous la cotte G, et lesquelles font partie de celles qui ont été trouvées en sa présence dans le grand cabinet d'ébène marqueté; et après avoir pris le serment dudit Joly l'avons interpellé de reconnaître si le caractère desdites lettres n'est pas semblable à celui que lui montra le nommé Guyon, valet de garde-robe de Mme de Chevreuse, ainsi qu'il nous a déclaré par son écrit; lequel a dit, après lui avoir montré toutes lesdites cinquante-deux lettres les unes après les autres qu'il a toutes bien vues et regardées, qu'il reconnoît être toutes de semblable caractère que celui que lui montra ledit Guyon, valet de garde-robe de Mme de Chevreuse, au logis de lui répondant où il le fut trouver le jour même qu'il assista à l'ouverture desdits cabinets. Lecture à lui faite de notre présent procès-verbal et de ses réponses, a dit le tout contenir vérité et a signé ledit Joly et approuvé les ratures. «BULLION, BOUTHILLIER, BOUTHILLIER, TESTU.» Nous aurions bien voulu donner intégralement les 52 lettres de Mme de Chevreuse; mais, outre que nous n'avions entre les mains qu'une copie assez peu correcte, elle contenait trop de chiffres dont nous n'avions pas la clef; en sorte que le lecteur n'en eût pas tiré beaucoup d'agrément ni d'instruction. En les étudiant avec soin, nous trouvons, au milieu de la lettre 51, un passage qui nous semble ne pouvoir être de Mme de Chevreuse et où nous croyons reconnaître une ou même plusieurs lettres de Châteauneuf; nous les transcrivons pour donner une idée du style d'amour du galant garde des sceaux: «Si vous me croyiez autant à vous que j'y suis, vous me commanderiez de vous servir en toutes les occasions où vous désirez être obéie. Il est vrai que c'est assez que je sache que 90 est votre serviteur pour m'obliger à faire ce qu'il désire; toutefois ne dépendant que de votre volonté et n'ayant point d'autre satisfaction au monde que de la suivre, faites-moi la grâce de me le dire souvent.» «Bon Dieu! que je suis malheureux de me trouver avec si peu de moyens de vous servir, étant en désir de le faire! Mais vous qui ressemblez trop aux divinités pour n'en avoir pas toutes les qualités, vous agréerez comme elles toutes les adorations que l'on vous rend, quoiqu'elles ne puissent rien ajouter à votre gloire, quand elles vous sont rendues par un cœur rempli d'obéissance, de respect et de fidélité. Je proteste que le mien en est si rempli pour vous, qu'il ne veut plus respirer sur la terre que pour y admirer la vertu et la générosité du vôtre. J'attends avec impatience votre commandement. Si c'est de parole que vous me le voulez faire, je suis plus heureux que je ne mérite et que je n'ose espérer.» «Le Roy sera ici demain, et n'y sera que dix jours. Bon Dieu, faut-il que j'en passe un de ceux de ma vie sans vous servir! Que je me trouve lâche d'employer mes soins à autre chose, et que vous êtes bonne de souffrir que je vous jure une éternelle fidélité et obéissance sans que je vous la puisse témoigner par mes services pour les deux personnes que vous m'avez dit. Il suffit de dire: Je veux, car vous devez commander et moi obéir.» En terminant cette note, disons que Richelieu confia la garde de Châteauneuf, dans la forteresse d'Angoulême, sous la haute autorité de l'honnête et respectable comte de Brassac, à l'un de ses affidés d'assez bas étage, ce même Lamont, qu'en 1626 à Nantes il avait chargé de surveiller Chalais, et qui sut en effet, par un air d'intérêt et en profitant de l'abandon trop naturel à un prisonnier jeune et inexpérimenté, en tirer plus d'aveux qu'il n'en fallait pour le faire monter sur l'échafaud. Après Chalais, Lamont avait eu aussi à Vincennes la garde des Vendôme; il avait employé auprès d'eux les mêmes manœuvres qui n'avaient pas moins bien réussi. Mais elles échouèrent devant l'innocence ou la prudence de Châteauneuf. Confiné dans une étroite prison, il eut recours sans doute à toutes les soumissions pour obtenir de bien légers adoucissements aux rigueurs exercées contre lui et qui mirent quelque temps sa vie en péril; il reconnut ce qu'on savait et ce qu'attestait la correspondance saisie chez lui, ses condescendances pour Mme de Chevreuse; il s'accusa tant qu'on voulut d'avoir trop aimé les dames, lui ecclésiastique, car il était d'abord l'abbé de Préaux; il s'avoua coupable envers Dieu, mais il refusa constamment d'avouer qu'il fût coupable envers le roi; il traita tout cela de _folies de femmes et de badineries_, et dit qu'après tout _le roi n'étoit pas son confesseur_. Et quand on en vint aux intrigues de son ami Jars en Angleterre, avec le comte de Holland, contre le grand-trésorier Weston, auxquelles on l'accusait d'avoir pris part, il rejeta bien loin une pareille accusation; il soutint qu'il n'avait jamais eu avec Holland que des relations de politesse et qu'il ne le connoissait que pour l'homme que Mme de Chevreuse avait le plus aimé et qu'elle aimait encore; il prétendit que toutes les intrigues de Jars étaient de pure galanterie, qu'il le savait amoureux d'une des femmes de la reine d'Angleterre, qu'il lui avait souvent dit qu'il était _un fol_, et qu'il prît bien garde aux démarches où il se laisserait entraîner. Il repoussa avec force l'idée de s'être mêlé de la fuite du duc d'Orléans. A son tour il accusa le cardinal de La Valette qu'il nomme, et d'autres qu'il ne nomme pas, d'être ses ennemis et de l'avoir desservi auprès du cardinal et du roi. Voilà ce que nous tirons des nombreux rapports adressés par Lamont à Richelieu qui se trouvent aux archives des affaires étrangères, dispersés dans les divers volumes de la collection FRANCE. Il est assez curieux de voir dans plusieurs de ces rapports que Richelieu consulte indirectement Châteauneuf sur plus d'une affaire importante. Lamont mettait la conversation sur telle ou telle nouvelle du jour qu'il lui donnait. Le prisonnier prenait feu et se prononçait avec l'énergie et la décision qui le caractérisaient. On lui parle du mariage du duc d'Orléans avec la sœur du duc de Lorraine: il n'hésite pas à déclarer ce mariage nul, puisqu'il est fait sans la permission du roi. Lamont lui annonce que le cardinal, pour faire cesser les discordes de la maison royale, songe à s'accommoder avec la reine mère. Le vieil homme d'État s'emporte, il s'écrie avec véhémence que si le cardinal fait cette faute, il est perdu, que jamais la reine mère ne changera, et qu'elle recommencera tout ce qu'elle a fait. Un des points les plus intéressants des rapports de Lamont est l'admiration sincère et constante qu'ils attribuent à Châteauneuf pour l'Espagne. Il ne lit guère que des livres espagnols. A tout propos il fait l'éloge de l'Espagne; il vante son génie politique et militaire, et sans songer à plaire à celui de qui dépend sa vie il se montre partisan de l'alliance espagnole. Cette opinion était aussi celle de Mme de Chevreuse. Après l'avoir exprimée sous Richelieu, l'un et l'autre la maintinrent sous Mazarin, et ils tâchèrent de la pratiquer pendant la Fronde. En un mot, ces lettres de Lamont sur Châteauneuf, loin de le diminuer, le peignent, à travers bien des misères, tel à peu près que nous le verrons dans le chapitre VII, pendant son rapide passage aux affaires en 1652. III.--CORRESPONDANCE DE LA REINE ANNE AVEC Mme DU FARGIS. Cette correspondance se trouve dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, _ancien fond françois_, no 9241, d'où nous avons tiré les lettres de Craft, page 116-118. Ainsi que nous l'avons dit, note de la page 128, il y a là une trentaine de lettres de Mme du Fargis à la reine, une douzaine de la reine à Mme du Fargis, cinq ou six en espagnol de la reine à M. de Mirabel, autant à son frère le cardinal infant, avec les réponses de ceux-ci. Ces lettres s'étendent de l'année 1634 jusqu'au milieu de 1637. Sans doute la plupart contiennent des compliments assez innocents, mais il s'y mêle des choses fort coupables. Par les nouvelles qu'on donne à la reine, on peut juger de celles qu'elle désire. On l'entretient des espérances et des complots de la reine mère, de Monsieur, du comte de Soissons, des préparatifs de l'ennemi, de ses succès probables. La reine avec Mme de Chevreuse travaille à enlever le duc de Lorraine à la France et à le donner à l'Espagne. Il est à regretter que cette correspondance n'ait pas été publiée. On y verrait à découvert les misères de l'émigration, les illusions, les discordes, les jalousies, les soupçons, les trahisons vraies ou fausses, tout l'intérieur d'un parti vaincu conspirant avec l'étranger et soldé par l'étranger. Mme du Fargis, malgré sa naissance, ses anciennes charges et celles de son mari, est contrainte par la détresse à tendre la main et à demander de tous côtés de quoi vivre; elle frappe à toutes les portes, et elle ne se soutient que par les bienfaits ou plutôt les aumônes intéressées de l'Angleterre et de l'Espagne. Nous devons nous borner à citer quelques passages de ces lettres qui suffisent à montrer leur vrai caractère. LA FARGIS A LA REINE, 15 AVRIL 1634: «...L'on croit l'accommodement de Monsieur assuré à d'étranges conditions, celui de la Reyne mère rompu, quoique l'on dise ici qu'elle avoit fait toutes les avances raisonnables pour ne pas être seulement reçue, mais applaudie, recherchée et désirée. Dieu en a ordonné autrement. On lui a même refusé par deux fois le passe-port qu'elle avoit fait demander pour le père Suffren, son confesseur, homme sincère et d'incomparable probité, qui mieux qu'aucun autre pouvoit assurer le Roi des saintes intentions de la Reyne sa mère. La défaite du duc de Weimar par Galas est confirmée. Il est fort blessé, s'il n'est mort. L'échec est rude pour les Suédois. Ratisbonne est assiégée par le duc de Bavière pour l'Empereur, qui promet au duc Charles de l'assister de tout son pouvoir à le rétablir.» 13 SEPTEMBRE 1636: «...Le frère de la Reyne s'est abouché avec le prince Thomas (de Savoye). La résolution est d'entreprendre bientôt quelque chose d'important. On croit qu'ils ont attendu que Galas entre. Des lettres du 23 août disent qu'il devoit passer entre Langres et Chaumont avec 20 mille hommes d'infanterie et 12 mille chevaux, qu'il vient encore 12 mille Polacres. Le roi de Hongrie est encore à Brissac. Les Hollandois ont fait semblant de bouger, mais on croit que c'est seulement pour changer d'air, la peste étant en leur armée. Aucuns doutent si ceux-ci pourront avancer plus, puisqu'ils manquent d'infanterie. Le bruit est que l'armée de France se grossit; mais aussi elle doit être forte pour résister en cas que Galas entre, lequel y est contraint pour faire vivre tout son monde. Les Bourguignons ont fait chanter le _Te Deum_, où la princesse de Phalsbourg et toutes les dames étoient. Force feu de joye. On dit que Monsieur n'est pas à Compiègne. On doute fort si on lui donnera de l'emploi.» 27 SEPTEMBRE: «Le marquis de Velade est arrivé. L'armée est encore à Corbie que l'on fortifie jusques aux dents. On en fait autant à Ancre. Les Espagnols attendent que Galas soit entré en France pour agir. Les Hollandois ne font rien ni n'en ont envie, à ce qu'il semble. Les Espagnols ont envoyé leur flotte pour se battre avec celle de France. On fait courir ici un bruit que M. le Cardinal est mort. On dit que le Roy très chrétien consulte à qui fier le ministère; si cela est, La Fargis prie à mains jointes que la Reyne parle pour le marquis de la Vieuville qui est le plus homme de bien de la terre, fidèle à la France et serviteur de la Reyne et de Monsieur jusques au centre de l'âme, et capable d'un si grand fardeau que le ministère.» 1er DÉCEMBRE: «...On est fort surpris de la nouvelle que Monsieur et M. le Comte se sont retirés, et croit-on que la comédie ne fait que commencer: il faut voir ce qui en sera. Le frère de la Reine dans trois jours sera ici, où il retourne aussi glorieux que la prudence humaine le pouvoit rendre, puisque le dessein n'étoit pas de prendre des places, mais de faire des diversions pour contribuer au secours de Dôle, et advancer si avant en la Picardie que, quand le Roi de France y viendroit, comme cela étoit certain, les volontaires ne trouvant de quoi faire long séjour, le Roi de France n'eût le pouvoir de venir ici, et ainsi auroit de quoi exercer sa patience comme sur Corbie, jusques à ce que la saison obligeât ici chacun au petit compliment de la retraite.» 20 DÉCEMBRE: «...La fuite de Monsieur à Blois a bien donné sujet d'espérances, évanouies maintenant que l'on en entend autre suite. Mirabel n'a cru autre chose de cette levée de boucliers. Le comte de Soissons passe ici aussi pour un de ces François qui n'ont pas un marc de plomb en la tête. Dieux! quelle sorte de génération! La Reine mère et Madame sont confuses de cette banqueroute, car les François ici s'étoient imaginé de grandes choses.» 31 JANVIER 1637: «L'Infant se porte fort bien. Mirabel a été malade. La Reine mère au désespoir que Monsieur n'est sorti, Fabroni tâche à faire grandes choses avec M. le comte de Soissons.» 6 MARS: «Les actions de Monsieur font bien parler le monde; et certes la Reine avoit raison de dire: con los Franceses basta por una ver; c'est ce que l'on m'a dit. Parlons de l'Infant qui mérite après la Reine autant de mondes qu'il y a d'étoiles au firmament; il a été saigné deux fois, par précaution, non autrement. Le prince Thomas se porte aussi bien; on se prépare à la campagne. Monsigot a été à Sedan; il dit que Soissons attendoit réponse du Roi de France et qu'il se résoudroit selon; on croit qu'il s'accommodera. Monsieur lui avoit envoyé dire qu'il avoit un nouveau mécontentement, mais le diable s'y fie.» 18 AVRIL 1637: «Madame (Marguerite de Lorraine) tient force correspondance avec Soissons qui a mandé ne vouloir entendre un accommodement. La princesse de Phalsbourg procure assistance pour le duc son frère et pour le prince François douze mille écus par mois. L'Infant part dans trois jours pour se pourmener sept jours à Anvers et en Flandre, voir peintures qui pour mille écus serviront al buen retiro. Le comte Palvasin est envoyé à Sedan pour offrir au Comte tout ce qu'il pourroit désirer d'ici. Les François se divisent et font caballe pour Madame, et à cet effet voudroient avoir pour chef le marquis de la Vieuville qui n'a pas envie, dit-on, d'accepter la condition.» 2 MAI: «...Tout est en nécessité, jusqu'à la Reine mère qui de trois mois n'a pas eu un sol. Certes le Comte-duc fait à sa mode, mais aussi faut-il avouer que la conservation des États du Roi d'Espagne paroît venir de quelque autre pouvoir, et non pas de la dextérité et diligence de ceux qui gouvernent. La Fargis peut assurer la Reine que le prince Thomas n'y fait pas beaucoup, étant chose remarquable que l'indifférence du personnage qui cause désespoir à plusieurs. Du temps que les ennemis sont alertes, il chasse; on se demande s'il veut être un saint Hubert. L'Infant vaut un monde, mais aussi est-ce parce qu'il ressemble à la Reine comme deux gouttes d'eau; il ne se faut pas fâcher contre lui, car il est impossible. La Reine mère est toujours en l'attente pour voir ce que fera le Comte. Palvasin y est encore qui écrit que la Comtesse (douairière) vouloit venir, ce que le Comte n'a pas voulu, craignant que si son accommodement ne se faisoit ce voyage ne lui portât préjudice. Les pères Chanteloub et Champagne sont en exécration. Fabroni consulte les astres si lui ou Deslandes tireront à la courte-paille.» 23 MAI: «On commence à faire les aprests pour la campagne parce que l'on dit que le Roi de France fait marcher son armée. Picolomini n'étant pas encore venu, et y ayant peu d'apparence que ce soit tôt, cela cause des appréhensions à ces peuples, auxquelles le prince Thomas est si peu sensible qu'il semble ne penser qu'à la chasse... Il y a cabale chez la Reine mère contre Fabroni. Le parti est le duc d'Elbœuf, Saint-Germain, Deslandes, princesse de Phalsbourg à qui Madame tend les mains, et le confesseur de ces bonnes âmes. Le prince Thomas a envoyé Pascal au Comte avec promesse.» 30 MAI: «L'Infant se prépare pour la campagne, et n'attend-on que jusques à ce que le Roi de France paroisse avancer son poste. Le comte de Soissons fait croire ici que le Roi de France ne fera rien cet été, et qu'il aura de l'ouvrage chez soi. On a despêché vers Milan pour obliger Leganez de faire diversion.» 27 JUIN: «J'ai reçu la lettre de la Reine du 11 du présent. Sitôt que j'aurai le portrait de l'Infant, je l'enverrai. L'incluse est pour Chevreuse, m'étant donnée par l'homme qu'elle a envoyé à Mirabel qui est parti en bonne compagnie. L'Infant, à ce qu'on dit, ne bougera pas d'ici; le prince Thomas y est encor; il est fort haï du peuple et des officiers parce qu'il ne fait que chasser. On fait ici tout ce qu'on peut pour demeurer sur la défensive; le secours de Picolomini est limité, ne pouvant servir contre les Hollandois; Galas l'a négocié ainsi par dépit. Si la Reine mère et le cardinal Infant peuvent trouver argent, le comte de Soissons montera à cheval, Bouillon joindra avec deux mille hommes de pied et cinq cents chevaux; sinon tout ira en fumée. La Reine mère est au désespoir que le président Rose fait difficulté de fournir quatre cens mille livres au comte de Soissons. Saint-Ibar est encor ici sollicitant.» LA REINE A LA FARGIS, 9 JUILLET:--«J'ai reçu deux de vos lettres, et une pour la Chevreuse que je lui ai fait tenir, et aussi celles de l'Infant et Mirabel à qui je fais mes excuses si je ne leur fais point de réponse. Je n'ai pas le loisir pour cette fois, et je ne vous écris que pour vous dire que je suis en une extrême peine de ce que le Roi d'Angleterre a fait avec le Roi de France, parce que j'appréhende fort que cela ne mette le Roi d'Espagne et le Roi d'Angleterre mal ensemble; si cela étoit j'en aurois une très grande peine; et aussi Gerbier seroit obligé de quitter le lieu où il est, par conséquent la Reine seroit privée d'avoir des nouvelles de l'Infant qui ne lui est pas une petite satisfaction. Je vous prie de me mander votre opinion là-dessus et le plutôt que vous pourrez, vous m'obligerez infiniment, et d'être assurée de mon affection.» LA REINE A LA FARGIS, 23 JUILLET:--«Je suis toujours bien en peine des bruits qui courent que le roi d'Angleterre et le roi d'Espagne vont être mal ensemble. Que je sçache de vous ce qui en est; je vous avoue que cela me touche bien sensiblement; je ne vous en dirai pas davantage sur ce discours; les incluses sont pour l'Infant et Mirabel, et je vous prie de lui dire qu'au nom de Dieu il ne parle jamais de moi en façon du monde et pour cause.» Voici la lettre de la reine dont nous avons parlé, p. 130: CARTA DE LA REYNA AL CARDINALE INFANTE PARA EMBIAR AL COMTE D (UQUE), 28 MAY 1637. «Por ser cosa que importa mucho al servicio del Rey el conservar en el al Duque de Lorena, he procurado con mi amiga (Mme de Chevreuse) que hallasse una comodidad segura con que poder escrivir al amigo (le cardinal Infant); ha me dicho que la tiene, que lo es mucho, y as si digo que se de parte muy segura, que de aqui se haze quanto se puede con el para que salga del servicio del Rey y de toda sù casa, haviendo le embiado persona expresa para proponer se lo, y prometer le que le bolueran todo lo que le han quitado y quanto el quisiere, como haga lo que se desea. A lo qual se tambien que ha respondido, como deve, que por quantas cosas hay, no dexarà el servicio del Rey y de sù casa, y que, aunque tuviera mucho mas que perder de lo que ha perdido, lo haria de bonissima gana, pues no podrià reconocer con menos las obligaciones que les tiene. Ha me parecido dezir lo todo esto al amigo para que lo diga al amo nuevo; y tambien, que lo otro lo sepa, para que puedan mostrar que saben reconocer los servicios que les hazen, y que lo muestren as si al Duque de Lorena, pues verdaderamente lo merece muy bien; y save el amigo la parte que a mi me toca en esto, pues save que he hecho lo que he podido para que el Duque de Lorena serviesse al Rey, como lo haze; y me holgarè tambien infinito que continue siempre en serville, y que lo reconoscan como es justo; y como me parece tambien que les importa tener al Duque de sù parte, no dirè mas en esta materia, pues el amigo sabra hazer mejor que yo se lo digo todo lo que le pareciese sobre ello, etc., etc.» IV.--AFFAIRE DE 1637 Ainsi que nous l'avons dit, la bibliothèque impériale possède aujourd'hui, _Supplément françois_, no 4068, in-fol., les papiers relatifs à l'affaire du Val-de-Grâce que renfermait la cassette du cardinal de Richelieu et dont le père Griffet a donné des extraits au t. III de son _Histoire du règne de Louis XIII_. Dispersés à la révolution, recueillis nous ne savons comment par M. le marquis de Bruyère-Chalabre, vendus à sa mort en 1833 (_Catalogue des livres imprimés et manuscrits et des autographes composant le cabinet de feu M. de Bruyère-Chalabre_, Paris, Merlin, 1833), achetés d'abord par le libraire Fontaine, puis par la société des Bibliophiles, revendus publiquement par cette société en 1847 (_Catalogue de documents historiques et de lettres autographes_, etc., Techener, 1847), la bibliothèque impériale les a définitivement acquis. Nous donnons ici quelques-uns des plus importants. «_Relation de ce qui s'est passé en l'affaire de la Reyne au mois d'août 1637, sur le sujet de La Porte et de l'abbesse du Val-de-Grâce._» Cette relation est de la main même de Richelieu, et a servi à ses Mémoires. On voit par là comment cet ouvrage a été composé, et qu'il n'est bien souvent qu'une collection de mémoires particuliers, fondés sur des pièces officielles et liés entre eux par quelques mots de narration. «Le Roy ayant divers avis qu'un nommé La Porte, porte-manteau de la reyne sa femme, faisoit divers voyages dont on ne savoit pas la cause et estoit en confiance assez estroite pour un valet avec la reyne, se résolut de le faire prendre lorsqu'il pourroit soubçonner apparemment qu'il auroit des lettres de la reyne. Pour cet effect, le 11e aoust (1637), Sa Majesté donna charge que, la reyne estant partie pour aller à Chantilly trouver sa dite Majesté, le dit La Porte fût arrêté par le sr Goulart, enseigne des mousquetaires du Roy. En le prenant on le trouva saisi d'une lettre de la reyne pour Mme de Chevreuse, qui faisoit cognoistre que la dite dame de Chevreuse vouloit venir trouver la reyne déguisée, à quoi Sa Majesté n'inclinoit pas trop. Au mesme temps le Roy commanda à M. le chancelier d'aller avec M. de Paris au Val-de-Grâce, où le procès-verbal qui y fut fait fait foi de ce qui s'y passa. «D'abord que la Reyne sçut la prise de La Porte, elle envoya le sr Le Gras, son secrétaire, vers le cardinal de Richelieu pour sçavoir ce que c'estoit, et l'assurer cependant qu'elle ne s'estoit servie du dit La Porte que pour écrire à Mme de Chevreuse, protestant n'avoir écrit en aucune façon ni en Flandres ni en Espagne, soit par son moyen ou par quelqu'autre voye que ce pût estre. Le jour de l'Assomption estant arrivé, la reyne ayant communié fit appeler le dit sr Le Gras, et lui jura de nouveau sur le Saint-Sacrement qu'elle avoit reçu qu'elle n'avoit point escrit en pays estranger, et lui commanda d'en assurer de nouveau le dit cardinal sur les serments qu'elle avoit faits. Elle envoya mesme querir le père Caussin pour lui parler de toutes ces affaires-là, et lui fit les mesmes sermens qu'elle avoit faits au sr Le Gras; en sorte que le bon père qui ne sçavoit pas ce que le Roy sçavoit en demeura persuadé par raison. «Deux jours après, la Reyne estant assurée par le sr Le Gras qu'on sçavoit davantage qu'elle ne disoit, commença à parler au dit sr Le Gras, et lui en avoua une partie, niant toujours le principal, et commanda au dit sr Le Gras de dire au cardinal qu'elle désiroit lui parler et lui dire ce qu'elle sçavoit. Le lendemain le cardinal la fut trouver par l'ordre de Sa Majesté. D'abord après lui avoir rendu plus de témoignages de sa bonne volonté qu'il n'en osoit attendre, elle lui dit qu'il estoit vrai qu'elle avoit écrit en Flandres à M. le cardinal infant, mais que ce n'estoit que de choses indifférentes pour sçavoir de sa santé, et autres choses de pareille nature. Le cardinal lui disant qu'à son avis il y avoit plus, et que si elle se vouloit servir de lui, il l'assuroit que, pourvu qu'elle lui dît tout, le roi oublieroit tout ce qui s'estoit passé, mais qu'il la supplioit de ne l'employer point si elle vouloit user de dissimulation. Estant pressée par sa bonté et par sa conscience, elle dit lors à Mme de Senecé, MM. de Chavigny et de Noyers, qui estoient présens et avoient esté appellés par le cardinal pour estre témoins de l'offre qu'il lui faisoit de la part du Roy d'oublier tout le passé, qu'ils se retirassent, pour lui donner lieu de dire en particulier au cardinal ce qu'elle lui vouloit dire; alors elle confessa au cardinal tout ce qui est dans le papier qu'elle a signé depuis, avec beaucoup de desplaisir et de confusion d'avoir fait les sermens contraires à ce qu'elle confessoit. Pendant qu'elle fit la dite confession au cardinal, sa honte fut telle qu'elle s'escria plusieurs fois: Quelle bonté faut-il que vous ayez, M. le cardinal! Et protestant qu'elle auroit toute sa vie la recognoissance de l'obligation qu'elle pensoit avoir à ceux qui la tiroient de cette affaire, elle fit l'honneur de dire au cardinal: donnez-moi la main, présentant la sienne pour marque de la fidélité avec laquelle elle vouloit garder ce qu'elle promettoit; ce que le cardinal refusa par respect, se retirant par le mesme motif au lieu de s'approcher. «La reyne ayant dit tout ce qu'elle vouloit dire, le cardinal l'alla dire au Roy qui trouva bon qu'elle l'écrivît et promit de l'oublier entièrement. Ensuite de quoi Sa Majesté monta dans la chambre de la reyne qui lui demanda pardon, ce que le Roy lui accorda volontiers, s'embrassant tous deux à la supplication du cardinal. «Est à noter que la mère supérieure du Val-de-Grâce d'abord nia tout ce qu'elle sçavoit, ainsi qu'il appert par les procès-verbaux, et depuis supplia M. le chancelier de lui pardonner si elle n'avoit pas recogneu la vérité, ainsi qu'il appert par les actes. «Est à noter que La Porte nia aussi d'abord la vérité, et ne la voulut recognoistre que par commandement de la Reyne, ainsi qu'il paroist. «Est à noter que le sieur Patrocle (écuyer de la reine) dit avant la confession de la reyne au père Caussin qu'elle estoit très-innocente, que cette accusation estoit un effet de la mauvaise volonté du cardinal qui lui vouloit mal parce que la reyne n'avoit pas fait arrêter son carrosse devant le sien au cours, et que déjà autrefois on avoit traité la reyne de la sorte, lui supposant des lettres de Mme du Fargis[388] qu'elle avoit esté contrainte d'avouer. [388] Non pas celles dont il a été question plus haut, mais d'autres lettres antérieures à celles-là, et pour lesquelles Mme du Fargis avait été exilée. Voyez le _Journal de M. le Cardinal_, etc., etc., édit. de 1665. «Est à noter que lorsque la reyne fit sa confession on lui demanda en cette considération s'il estoit vrai que les lettres de Mme du Fargis lui eussent esté supposées. Elle recognut de nouveau qu'elles estoient vraies, ainsi qu'il est clairement vérifié en son procès; et cependant Patrocle ne pouvoit apparemment avoir ouï dire ce qu'il disoit que de la Reyne qui, auparavant cette découverte, prenoit plaisir à faire croire ou laisser croire à diverses personnes dans le monde qu'elle avoit à souffrir du cardinal pour des raisons semblables et pires que celles que disoit Patrocle, toutes fausses comme celles qu'il mettoit en avant, ainsi qu'il a plu à la dite dame reyne le recognoistre par une lettre escrite au cardinal sur la permission qu'il lui fit demander par M. de Chavigny de se pouvoir justifier des calomnies qu'on lui mettoit à sus.» _Déclaration de la reine Anne, du 17 aoust 1637._ «Sur l'assurance que nostre très-cher et très-amé cousin le cardinal duc de Richelieu, qui nous est venu trouver à nostre prière, nous a donnée que le Roy, nostre très-honoré seigneur et espoux, lui avoit commandé de nous dire qu'ainsi qu'il avoit déjà oublié diverses fois quelques-unes de nos actions qui lui auroient été désagréables, et notamment ce qui s'estoit passé sur le sujet de la dame du Fargis en l'année 1631 et 1632, il estoit encore disposé de faire de mesme, pourvu que nous déclarassions franchement les intelligences que nous pouvions avoir eues depuis à l'insçu et contre l'intention de Sa Majesté, tant au dedans qu'au dehors du royaume, les personnes que nous y avons employées, et les choses principales que nous avons sçues ou qui nous ont esté mandées; Nous, Anne, par la grâce de Dieu, royne de France et de Navarre, advouons librement, sans contrainte aucune, avoir escrit plusieurs fois à M. le cardinal infant, nostre frère, au marquis de Mirabel, à Gerbier, résident d'Angleterre en Flandres, et avoir reçu souvent de leurs lettres; «Que nous avons escrit les susdites lettres dans nostre cabinet, nous confiant seulement à La Porte, nostre porte-manteau ordinaire, à qui nous donnions nos lettres, qui les portoit à Auger, secrétaire de l'ambassade d'Angleterre, qui les faisoit tenir au dit Gerbier; «Qu'entre autres choses nous avons quelques fois tesmoigné du mécontentement de l'estat auquel nous estions, et avons reçu et escrit des lettres au marquis de Mirabel qui estoient en des termes qui devoient déplaire au Roy; «Que nous avons donné advis du voyage d'un Minime en Espagne pour que l'on eust l'œil ouvert à prendre garde à quel dessein on l'envoyoit; «Que nous avons donné advis audit marquis de Mirabel que l'on parloit ici de l'accommodement de M. de Lorraine avec le Roy, et que l'on y prit garde; «Que nous avons témoigné estre en peine de ce que l'on disoit que les Anglois s'accommodoient avec la France aulieu de demeurer unis avec l'Espagne; «Et que la lettre dont La Porte a esté trouvé chargé devoit estre portée à Mme de Chevreuse par le sieur de la Thibaudière, et que la dite lettre fait mention d'un voyage que la dite dame de Chevreuse vouloit faire incognue devers nous. «Advouons ingénuement tout ce que dessus comme choses que nous recognoissons franchement et volontairement estre véritables. Nous promettons de ne retourner jamais à pareilles fautes, et de vivre avec le Roy nostre très-honoré seigneur et espoux comme une personne qui ne veut autres intérests que ceux de sa personne et de son Estat. En tesmoing de quoi nous avons signé la présente de nostre propre main, et icelle faict contresigner par nostre conseiller et secrétaire de nos commandements et finances. Fait à Chantilly, ce dix-septième aoust 1637. Signé: Anne. Et plus bas: Legras. «Et audessoubs est escrit de la main du Roy: «Après avoir veu la franche confession que la reyne, nostre très-chère espouse, a faite de ce qui a pu nous desplaire depuis quelque temps en sa conduite, et l'assurance qu'elle nous a donnée de se conduire à l'advenir, selon son devoir, envers nous et nostre Estat, nous lui déclarons que nous oublions entièrement tout ce qui s'est passé, n'en voulons jamais avoir souvenance, ains voulons vivre avec elle comme un bon roy et un bon mary doibt faire avec sa femme. En tesmoing de quoi j'ay signé la présente, et icelle faict contresigner par l'un de nos conseillers et secrétaire d'Estat. Fait à Chantilly, ce dix-septième jour d'aoust, 1637. Signé de la propre main du Roy: Louis. Et plus bas: Bouthillier.» _Nouvelle déclaration de la reine du 22 aoust 1637, de la main de Legras._ «La Reyne m'a commandé de dire à monseigneur l'éminentissime cardinal duc de Richelieu ce qui ensuit: «Qu'elle avoit baillé un chiffre à La Porte pour escrire au marquis de Mirabel ce que Sa Majesté a dit avoir escrit audit marquis par sa déclaration du 17 de ce mois, et que ledit La Porte lui avoit rendu ledit chiffre il y a quelque temps, lequel elle a bruslé; «Que Sa Majesté sçait que M. de Lorraine a envoyé un homme à Mme de Chevreuse, ne sçait si c'est pour traiter avec ladite dame de Chevreuse pour affaires générales ou particulières, n'entendant Sa Majesté charger ni décharger ladite dame de Chevreuse de la négociation dudit envoyé par monseigneur de Lorraine, ne voullant que si ladite dame de Chevreuse doist estre chargée ce fust par elle, laissant à La Porte à dire sur ce sujet ce qu'il sçaura; «Que Mme de Chevreuse est venue trouver deux fois Sa Majesté dans le Val-de-Grace, lorsqu'elle estoit releguée à Dampierre, et qu'elle a reçeu quelques lettres de ladite dame de Chevreuse dans le Val-de-Grace, et que mesme depuis peu un homme lui estoit venu apporter des nouvelles dans le Val-de-Grace; «Que Sa Majesté a escrit, devant la rupture de la paix, plusieurs fois dans le Val-de-Grace à ladite dame de Chevreuse; «Que lord Montaigu l'est venu trouver une fois dans le Val-de-Grace, et qu'elle a reçu quelque lettres dudit sieur de Montaigu par la voye d'Auger, tant pour elle que pour Mme de Chevreuse, qui n'estoient que compliments; «Que lorsque la Reyne escrivoit de Lyon à la supérieure du Val-de-Grace: donnez ces lettres à vostre parente qui est dans la conté de Bourgogne, c'est à dire: donnez-les à Mme de Chevreuse.» _Copie d'un mémoire écrit de la main du roi, le 17 aoust, et d'un engagement de la reine à se conformer à toutes les choses qui lui sont prescrites._ «Mémoire des choses que je desire de la royne.» «Je ne desire plus que la royne escrive à Mme de Chevreuse, principalement pour ce que ce prétexte a esté la couverture de toutes les escritures qu'elle a fait ailleurs. «Je désire que Mme de Senecey me rende conte de toutes les lettres que la royne escrira et qu'elle soient fermées en sa présence. «Je veux aussi que Fillandre, première femme de chambre, me rende conte touttes les fois que la royne escrira, estant impossible qu'elle ne le sçache puisqu'elle garde son escritoire. «Je deffends à la royne l'entrée des couvents des religieuses jusques à ce que je le lui aye permis de nouveau; et lorsque je lui permettrai je désire qu'elle aye toujours sa dame d'honneur et sa dame d'atours dans les chambres où elle entrera. «Je prie la royne de se bien souvenir quand elle escrit ou fait escrire en pays estrangers, ou y fait sçavoir des nouvelles par quelque voye que ce soit, directe ou indirecte, qu'elle mesme m'a dit qu'elle se tient deschue par son propre consentement de l'oubli que j'ai fait aujourd'hui de sa mauvaise conduite. «La royne sçaura aussi que je ne desire plus en façon du monde qu'elle voye Craft, et autres entremetteurs de Mme de Chevreuse. Fait à Chantilly, ce 17 aoust 1637. «Et plus bas est escrit de la propre main de la Reyne ce qui ensuit: «Je promets au roy d'observer relligieusement le contenu cy dessus. Fait à Chantilly le jour que dessus. «Cette copie a été escrite par commandement de la Reyne à Chantilly, ce 21 aoust 1637, pour estre mise ès mains de monseigneur l'eminentissime cardinal duc de Richelieu.» _Instructions adressées au chancelier Seguier pour interroger La Porte et l'abbesse du Val-de-Grâce, du 22 août._ PREMIER MÉMOIRE. «La Reyne a avoué que la lettre que La Porte avoit lorsqu'il a esté arresté, estoit pour Thibaudière qui la devoit porter à Mme de Chevreuse. Elle a avoué de plus que La Porte estoit celui qui portoit et recevoit les lettres qu'elle escrivoit en Flandre. «M. le chancelier doit, s'il lui plaist, envoyer querir La Porte, le soir en un carrosse, bien accompagné de son exempt et de ses fustes et de quelques soldats de la Bastille, et lui demander lui-mesme qui devoit porter la lettre qu'on lui a trouvée à Mme de Chevreuse, lui déclarant en parole de Chancelier que la Reyne a déclaré qui estoit le gentilhomme qui la devoit porter, et que s'il manque à dire la vérité le Roy le fera pendre. Après cela M. le Chancelier lui dira: On sait bien que ce n'est pas vous qui deviez porter la lettre, c'est un gentilhomme; qui est-il? «Pour l'autre article le Chancelier lui peut dire: Je veux vous aider à vous tirer de peine. La Reyne a dict que c'étoit par le moyen d'un nommer Auger qu'elle escrivoit et recevoit des lettres de Flandre, que c'estoit vous qui estiez porteur; comment y alliez-vous? A quelle heure? Qui vous les bailloit de la part de la Reyne? Les receviez-vous de sa main ou par personnes interposées? Où les escrivoit plus commodément la Reyne pour empescher qu'on ne les descouvrist? Qui vous donnoit celles qu'elle escrivoit au Louvre? et qui celles qu'elle escrivoit au Val-de-Grâce? Les donniez-vous vous-mesme au sieur Auger, ou si elles passoient encore par quelque main? «Enfin il le faut exhorter à dire la vérité par toutes sortes de menaces, et d'autre part l'assurer qu'il n'aura point de mal, s'il la dit, sur l'assurance qu'on lui donnera que la Reyne a déjà dit ce qu'on lui demande, qui lui est seulement redemandé pour voir son ingénuité ou sa malice.» SECOND MÉMOIRE. «La Reyne a avoué que, lorsqu'il est dit dans ses lettres que la dépositaire du Val-de-Grace apporta à M. le Chancelier, donnez cette lettre à vostre parente, c'est à dire Mme de Chevreuse, et qu'elle n'avoit jamais cognu mesme par imagination aucune parente de la supérieure du Val-de-Grace. Elle a recognu avoir escrit quelquefois dans le Val-de-Grace en Espagne lorsque la marquise de Mirabel estoit ici. Elle dit encore avoir donné en garde à la supérieure du Val-de-Grace deux reliquaires avec des pierreries. «De ces trois confessions qui ne disent pas tout, il en faut tirer les faits qui s'ensuivent pour interroger dessus la supérieure, qui est à la Bussière, sans lui dire d'abord que la Reyne ait rien avoué. «Il lui faut demander, savoir: si elle persiste à dire que la Reyne n'ait jamais escrit dans son couvent; si elle dit encore qu'elle n'y a point escrit, on lui demandera en particulier si du temps que la marquise de Mirabel estoit ici, la Reyne n'a point escrit en Espagne, en Flandre ou autre lieu, dans ledit couvent. «Si elle dit que non, on passera à un autre article, la sommant de dire si elle a dit vérité lorsqu'elle a soutenu que ces mots qui se trouvent dans les lettres que la Reyne lui a escrites: donnez cette lettre à vostre parente, signifient une des parentes de ladite abbesse ou quelque autre. «Si elle persiste à dire qu'ils signifient une de ses propres parentes comme elle l'a soutenu en son premier interrogatoire, on lui fera prêter nouveau serment si cela est vrai, l'exhortant premièrement à ne jurer pas faux. «Après, si elle prête nouveau serment, là-dessus on lui représentera la misère à laquelle elle est tombée de jurer des choses si notamment fausses, que la Reyne a avoué tout le contraire au Roy de ce qu'elle dit, confessant avoir escrit, dès le temps que la marquise de Mirabel estoit ici, des lettres en Espagne et en Flandre, dans le Val-de-Grace, et recognoissant que ces mots: donnez cette lettre à vostre parente, signifient à Mme de Chevreuse. «Ensuite on verra ce qu'elle dira, désavouant la Reyne ou confessant ce que la Reyne a recognu. Si elle recognoist la vérité, il faudra la convier de continuer à la dire, lui demandant si, depuis le partement de la marquise de Mirabel, la Reyne n'a pas continué à escrire dans le Val-de-Grace selon que les occasions s'en sont présentées. Si elle dict que non, on lui fera faire nouveau serment, l'exhortant à ne jurer pas faux. «Après cela on lui demandera si la Reyne ne lui a déposé aucuns papiers, chiffres ou autre chose en garde. Si elle dit que oui, on lui demandera quoi. Si elle dit que non, on lui demandera si elle le veut jurer, l'exhortant à ne jurer pas faux. Après cela on lui dira que la Reyne a déclaré lui avoir mis ès mains un grand et petit reliquaire de pierreries.» _Note du chancelier Seguier au cardinal._ «De Paris, ce 24 aoust mil six cents sept. Les religieuses ont tesmoigné estre fort surprises de l'ordre qu'elles ont reçu. La mère supérieure a paru fort estonnée. L'on juge néanmoins qu'il y avoit eu quelques avis donnés, non pas de la venue de Monseigneur l'Archevesque, d'autant qu'il ne le sçavoit pas lui-mesme, mais peut-estre la Reyne se doubtant de quelque chose peut en avoir adverti la mère qui aura donné ordre que l'on n'ait trouvé aucuns papiers. «Les lettres sont toutes escriptes en mil six cent trente. Il n'y a pas d'apparence que la Reyne n'ait escript depuis sept ans. Y ayant eu plusieurs voyages, si les porteurs ont esté destournés, il faut que ce soit avant que l'on soit entré dans le couvent, le chancelier ayant donné ordre de veiller que personne n'entrast dans la chambre de la Reyne pendant qu'il estoit en la cellule de la mère où l'on a fait une recherche exacte. «Ce qui est encore à remarquer est que la mère vouloit paroistre plus malade qu'elle ne l'estoit en effet. Elle avoit dit qu'elle avoit la fiebvre, et néantmoins le médecin a dit le contraire et a dit qu'elle n'avoit aucune esmotion, bien que ce qui se passoit lui en put donner. «Après les serments qu'elle a faits, il faut qu'elle ait de grandes subtilités et équivoques, si elle n'a dit la vérité. L'on lui a prononcé l'excommunication, et qu'elle ne pourroit en estre relevée si elle ne respondoit avecq vérité, et ensuite elle a juré sur la damnation de son âme et sur la vérité de la sainte Eucharistie; c'est tout ce qu'il y a de plus relligieux et de plus fort pour presser une conscience. «Elle tesmoigne grande passion pour la Reyne. Elle a dit que l'on l'avoit accusée de plusieurs choses qui estoient fausses, que c'estoit une princesse grandement vertueuse. En partant, elle a dit que l'on leur faisoit injustice et que Dieu les en vengeroit, et que cella ne dureroit pas long temps. «L'on dict que cette supérieure[389] est fort advisée; elle est Comtoise et a ses parents en la Franche-Comté. [389] Louise de Milley, en religion sœur sainte Estienne, était de Montmartin, en Franche-Comté. «La communauté a eu grand peine à la laisser partir. Il y a eu beaucoup de larmes, mais point de résistance, et une obéissance tout entière, et telle qu'en vérité on auroit peine d'en trouver une pareille dans les autres monastères. Elles s'offrirent toutes pour l'accompagner.» Le dernier interrogatoire et les aveux définitifs de la mère de sainte Estienne sont dans le manuscrit précité de la Bibliothèque impériale, et nous avons transporté dans Mme DE HAUTEFORT les nombreux interrogatoires de La Porte et tout ce qui regarde la conduite de ce fidèle et courageux serviteur. V.--FUITE DE MME DE CHEVREUSE EN ESPAGNE. Nous avons dit, pages 136 et 137, que Richelieu envoya à Mme de Chevreuse des commissaires pour lui poser diverses questions, auxquelles elle répondit avec son aplomb ordinaire. Nous avons retrouvé l'original même de sa réponse aux archives des affaires étrangères, FRANCE, t. LXXXV, fol. 350. «RÉPONSE AUX FAITS QUI M'ONT ÉTÉ APPORTÉS PAR MM. LES ABBÉS DE CINQ-MARS ET DU DORAT.» «Sur ce qui m'a été demandé par MM. les abbés du Dorat et de Cinq-Mars de la part de M. le cardinal, si je n'avois pas eu dessein de voir la Reine en cachette, j'ai dit qu'il étoit vrai que j'avois eu cette volonté depuis douze ou quinze mois, laquelle j'avois écrite à Sa Majesté par une lettre que je donnai à M. de la Tibaudière, passant par Tours, afin de savoir si elle l'agréoit et si elle croyoit pouvoir trouver un temps à propos pour l'exécuter. Sur quoi Sa Majesté m'ayant fait réponse, par une autre lettre que m'apporta M. de la Tibaudière, passant par Tours avec MM. le comte d'Arcourt et l'archevêque de Bordeaux pour aller à l'armée navale, qu'elle ne voyoit aucun moyen de le pouvoir faire en ce temps-là; je n'y pensai plus pour lors; et pourtant continuant dans le même désir en une saison plus propice, j'écrivis à la Reine quelques mois après pour savoir si le temps ne seroit point commode pour cela; ce qui ne se trouvant point, je n'en parlai plus jusques à depuis trois ou quatre mois que M. de la Tibaudière s'en allant à la cour me vit ici. J'écrivis encore par lui à la Reine la suppliant de trouver une commodité pour cela s'il se pouvoit; de quoi je n'ai point eu de réponse, et ne pouvant savoir son sentiment là-dessus, et les moyens que je devois tenir pour cela, je n'avois encore rien résolu tout à fait, attendant de savoir la résolution de la Reine avant de former la mienne. Bien avois-je déjà pensé d'aller à Saint-Amand, qui est une petite maison que j'ai proche de Tours, disant que je voulois aller chasser là six ou sept jours, et laisser tout mon train à Tours, n'ayant point intention de me servir d'aucuns de mes gens pour aller avec moi, mais plutôt de mener un gentilhomme d'auprès d'icy nommé Martigni, à qui je ne l'eusse dit que deux jours devant; mais l'affaire n'ayant pas été trouvée à propos à entreprendre, je ne lui en ai pas parlé. La raison pourquoi j'eus cette envie d'aller voir la Reine était premièrement l'extrême affection que j'ai pour Sa Majesté que j'eusse fort contentée en la voyant; de plus que connoissant le mauvais estat de mes affaires je songeois à demander la séparation de biens d'avec M. mon mari que j'ai obtenue par arrêt de la cour du parlement; et craignant de rencontrer bien des obstacles dans ce dessein, je crus n'en pouvoir mieux venir à bout que par l'entremise de la Reine pour m'obtenir en cette occasion la protection de M. le cardinal, et parler à M. de Chevreuse selon ce qu'il seroit à propos pour le faire résoudre. Et ce qui m'a fait écrire depuis peu à la Reine avec le plus de presse pour cela a été deux ou trois lettres de M. du Dorat, par lesquelles il me mandoit que M. le cardinal étoit fort mal satisfait d'elle, et que Sa Majesté ne vivoit pas comme elle devoit à son endroit. Je lui écrivis sur cela mon sentiment, et m'ayant fait réponse qu'elle n'ignoroit pas les obligations qu'elle avoit à M. le cardinal et le soin qu'il prenoit de ses intérêts, elle ne croyoit pas avoir manqué à lui en témoigner ses ressentiments, et qu'elle étoit fort trompée s'il n'étoit satisfait d'elle. Et M. du Dorat m'écrivant toujours le contraire, cela me faisoit doublement désirer de lui parler pour avoir un éclaircissement d'où venoit cet embarras, et la porter en tout ce que je pourrois, s'il en étoit de besoin, à donner sujet à M. le cardinal d'être satisfait de sa reconnoissance pour son particulier et le mien, et aussi à résoudre avec elle du biais que l'on pourroit prendre pour retirer les pierreries qui sont entre les mains de M. de Chevreuse ou en celles où il les a mises, et pour conclusion avoir l'honneur et le contentement de voir et entretenir Sa Majesté. «Pour ce qu'on m'a demandé quelles nouvelles j'avois eues de M. de Lorraine depuis que je suis hors de la cour, soit par lettres ou par personnes confidentes, j'ai répondu n'en avoir pas eu depuis que M. de Ville vint à Paris trouver le Roi de la part de mondit sieur de Lorraine, qui fut trois ou quatre jours à peu près devant que je m'en allasse à Bourbon-les-Bains, auquel temps il y avoit déjà plus de sept ou huit mois que je n'avois point eu de ses lettres; et me faisoit de fort simples compliments par ceux qu'il envoyoit à la cour. Et je croyois qu'il étoit mal satisfait de moi parce que je l'avois prié de ne me plus écrire après que M. le cardinal m'eut témoigné que ce commerce de lettres pouvoit donner soupçon au Roi. Toutefois je connus le contraire par le discours que me fit M. de Ville de sa part qui fut qu'il étoit fort fâché de la brouillerie qui m'étoit arrivée, et d'autant plus qu'en cette occasion il ne me pouvoit servir, et qu'il me prioit de croire qu'il avoit autant de volonté de le faire en toutes les choses où je le jugerois propre, qu'il m'en avoit témoigné en ma première disgrâce, et qu'il n'y avoit rien qu'il ne fist pour me le témoigner si je l'employois pour mes intérêts. De quoi le remerciant par le dit M. de Ville, je le priai de l'assurer du ressentiment éternel que j'ai de ses bontés pour moi, et de me conserver sa bonne volonté et continuer à ne me point écrire puisque cela n'étoit pas nécessaire pour m'assurer de son affection et me pourroit beaucoup préjudicier. Voilà toutes les nouvelles que j'ai eues de M. de Lorraine depuis la brouillerie qui m'est arrivée jusques à cette heure. Et par ce que j'ai dit à M. du Dorat que je n'étois pas si malheureuse que je n'espérasse encore un jour servir M. le cardinal, ç'a toujours été généralement parlant, et de même à M. de La Meilleraye, ainsi que j'ai déjà répondu sur ce sujet lorsqu'on m'en a écrit. Touchant la dépêche surprise en Bourgogne, je ne sais ce que c'est; mais si on m'en veut donner plus d'éclaircissement, je répondrai comme je dois pour ma justification, et bien loin d'avoir voulu porter M. de Lorraine à ne point s'accommoder avec la France, je souhaiterois de tout mon cœur qu'il y fust bien, et si j'y pouvois contribuer je croirois avoir rendu le plus grand service que je pourrois faire; et si parce que j'ai dit ici qu'il m'a témoigné de l'estime, M. le cardinal croit que j'y puisse contribuer, ce me sera un extrême contentement que Sa Majesté approuve que j'essaie de lui rendre ce bon office, selon les ordres qu'elle me prescrira, que je suivrai toujours en toutes choses de point en point. «J'ai aussi dit à MM. les abbés du Dorat et Cinq-Mars avoir eu quelques lettres de M. de Montégu depuis qu'il est en Angleterre, où il m'écrivoit en une qu'il croyoit que le traité avec la France seroit signé avant que je reçusse une autre lettre de lui; et depuis six jours il m'en a écrit une autre où il me mande que Mousigot est là de la part de la Reine-mère et qu'il devoit partir à deux jours de là et revenir avec des propositions d'accommodement, sans spécifier rien d'avantage. Ayant toujours reconnu M. de Montégu affectionné à la France et fort particulièrement serviteur de M. le cardinal, j'ai cru ne point faillir de recevoir de ses lettres et de lui écrire; mais en ce sujet comme en tous les autres, mon intention est de me gouverner comme Sa Majesté m'ordonnera et M. le cardinal me conseillera. MARIE DE ROHAN.--Fait à Tours, ce 24 août 1637.» Il faut avouer que l'envoi d'une commission rogatoire n'était pas fait pour rassurer Mme de Chevreuse, quoi que l'abbé du Dorat eût pu lui dire des bonnes intentions du cardinal. Après l'événement, du Dorat a bien prétendu que, soit à Tours dans la conférence qu'il eut avec elle, soit dans les lettres qu'il lui écrivit de Paris après avoir rendu compte de sa mission au cardinal, il lui répéta sans cesse qu'elle n'avait rien à craindre (FRANCE, t. LXXXVI, fol. 65, lettre du 21 septembre); mais il devait lui adresser de Paris ou plutôt lui apporter la pièce officielle qui seule pouvait ôter toute appréhension à Mme de Chevreuse, ce qu'on appelait alors une lettre d'abolition. Or, le 28 août, l'abbé du Dorat était encore à Paris, annonçant qu'il va partir pour Tours; mais il n'était pas parti (_ibid._, t. LXXXV, fol. 358, lettre du 28 août 1637); une indisposition le retint; ce retard inattendu effraya Mme de Chevreuse. Elle fit part de ses craintes à son mari qui les transmit au cardinal, s'affligeant de la maladie de l'abbé, et suppliant qu'on envoyât à sa place, à Tours, Boispille ou Boispillé, l'intendant de leur maison, afin de _lui ramener l'esprit_ (t. LXXXVI, lettre du duc de Chevreuse à Richelieu). On différa. Pendant ce temps, Craft, au refus de La Rochefoucauld, vint dire à Mme de Chevreuse ce qui se passait, et Montalais lui annonça les _Heures_ de Mme de Hautefort rouges ou vertes, selon les circonstances; elle se trompa de couleur, reçut des Heures qui lui parurent l'ordre de pourvoir à sa sûreté. De là la résolution prise subitement le 5 septembre, à Tours, par Mme de Chevreuse. Elle ne pouvait plus songer à se retirer en Angleterre, comme elle l'eût bien désiré; elle n'avait d'autre asile que l'Espagne, et elle s'y précipita à travers les aventures que nous avons racontées. On n'apprit à Paris la fuite de la duchesse que le 11 septembre; on perdit assez de temps en délibérations, et on finit par envoyer après la fugitive, comme on aurait dû le faire quinze jours auparavant, Boispille, avec une abolition pleine et entière du passé, et même la promesse de la laisser revenir bientôt à Dampierre. Mais Boispille n'arriva à Tours que neuf jours après que Mme de Chevreuse en était sortie, et sur les indications qu'il reçut de l'archevêque, il s'engagea dans mille courses qui durèrent plus d'un mois. Il ne revint à Paris qu'au milieu d'octobre, et là rédigea pour M. de Chevreuse et le cardinal la Relation qui se trouve aux archives des affaires étrangères, FRANCE, t. LXXXVI, folio 9. Mais bien avant de recevoir cette relation, le cardinal avait su que Mme de Chevreuse était passée près de Verteuil, et que La Rochefoucauld, alors prince de Marcillac, du vivant du duc son père, lui avait envoyé un carrosse et des chevaux. Celui-ci s'était bien douté que sa mère, sachant ce qui était arrivé, ne manquerait pas de le mander à son mari qui était alors à Paris. Il avait donc jugé à propos de prendre les devants, et il avait écrit à son secrétaire Serisay, celui qui fut plus tard de l'Académie française, la lettre suivante, du 13 septembre, qui donna le premier éveil à M. de Chevreuse et à Richelieu. _Ibid._, t. LXXXVI, fol. 51. «Je me donnerois l'honneur d'escrire à Monsieur (son père le duc de La Rochefoucauld) sy je ne savois que Madame (de La Rochefoucauld) lui mande toutes les nouvelles qu'elle sçait, et les particularités d'une affaire qui nous met en peine. Vous saurez donc que Mme de Chevreuse m'a fait l'honneur de m'escrire une lettre dont je vous envoie une copie[390], à laquelle j'ai obéi en lui envoyant un carosse et des chevaux pour aller à Xaintes; mais nous avons appris par leur retour qu'elle a pris un autre chemin, comme vers Bordeaux, de sorte que ne sachant si cette affaire là n'est point de conséquence, nous avons creu qu'il en falloit donner avis à Monsieur. Si ce n'est rien je serai bien aise qu'on n'en fasse point de bruit. J'ai reçeu aujourd'hui de vos lettres, mais je n'en suis pas plus informé de nouvelles que j'estois auparavant. Je vous prie de faire retirer soigneusement une quaisse qui est portée par la charette de Poitiers qui partira jeudi; voillà toutes mes commissions pour ceste heure. J'espère que vous aurez plus de curiosité d'apprendre des nouvelles affin de pouvoir m'en instruire mieux que vous n'avez fait jusques à présent. Je vous donne le bonsoir; adieu, mandez-moi toujours l'estat de votre santé, etc.--A Vertœil, ce 13 septembre[391].» [390] Cette copie manque ici. [391] La lettre n'est pas signée, mais l'authenticité n'est pas douteuse, l'écriture est tout à fait celle qu'a toujours gardée La Rochefoucauld; c'est la première lettre que nous connaissions du futur auteur des _Maximes_. La Rochefoucauld avait bien deviné ce que ferait sa mère, car nous trouvons, à côté de sa lettre, la suivante de Mme de La Rochefoucauld, vraisemblablement écrite à son mari. _Ibid._, t. LXXXVI, f. 49. «J'avois été jusqu'à aujourd'hui dans la croyance d'une visite de haut appareil. Mme de Chevreuse avoit écrit à mon fils en passant par Rufec qu'elle alloit à Xaintes pour une affaire d'importance et en diligence, et qu'elle le prioit de lui envoyer un carrosse, et qu'au retour elle me verroit. Mon carrosse est revenu aujourd'hui, et j'ai su qu'elle a pris un chemin tout contraire à celui qu'elle avoit mandé. Ainsi j'ai soupçonné qu'elle eût quelqu'autre pensée et qu'il étoit à propos de vous en donner avis, ce que je fais par ce porteur que j'envoie exprès de peur que mon paquet se perdît à la poste et que vous vous fachassiez si je manquois à vous avertir de cela. Vous jugerez mieux que moi si la chose peut être de conséquence. Qu'elle en soit ou n'en soit pas, je voudrois bien qu'elle se fut avisée d'aller par un autre pays que celui-ci, ou que Rufec n'eut été dans le voisinage de Verteuil, car une plus fine que moi y eut été de même trompée. Encore que je n'ai su qu'après que le carrosse a été parti qu'elle l'avoit demandé, et quand elle me l'eut demandé je lui eusse de même envoyé, croyant, aussi bien que mon fils l'a cru, que c'étoit une civilité qui ne se pouvoit pas refuser et qui n'importoit à personne, sachant assez qu'elle a des affaires avec M. son mari qui ne regardent que leurs seuls intérêts, et peut-être n'est-ce que cela. Je m'en remets au jugement de ceux qui ont meilleure vue.--De Verteuil, ce 19 septembre.» Le duc de La Rochefoucauld s'était empressé de communiquer au cardinal la lettre de sa femme et celle de son fils, et Richelieu avait fait écrire bien vite à Boispille d'informer sur cet incident. En conséquence, Boispille avait fait l'enquête consignée dans la _Relation_ que nous avons citée plus haut, et où il représentait la conduite de Marcillac sous des couleurs assez peu favorables, et appuyait la déposition d'un domestique déclarant que le prince avait conduit Mme de Chevreuse à une de ses maisons et lui avait donné collation. La relation de Boispille, assez confuse, ne satisfit point le cardinal, qui voulait pénétrer dans tous les replis d'une affaire et n'y laisser aucune obscurité. On ne savait pas même où était Mme de Chevreuse. Il résolut donc de recommencer l'enquête, et il la confia cette fois à un de ses agents les plus sûrs, le président Vignier, du parlement de Metz. Le président s'acquitta de sa commission avec le zèle d'un serviteur dévoué et les lumières d'un magistrat. Il interrogea successivement le vieil archevêque de Tours, le lieutenant général de Tours, Georges Catinat, qui était aussi un ami de Mme de Chevreuse, La Rochefoucauld et ses domestiques, particulièrement Thuillin et Malbasti. Toutes les recherches et procès-verbaux de Vignier sont aux Affaires étrangères, FRANCE, t. LXXXVI, pages 16, 22, 77, 190, 194 et 211. Nous donnons ici seulement ce qui concerne La Rochefoucauld. «Aujourd'hui huitième jour du mois de novembre mil six cent trente-sept, en continuant notre information et procès-verbal, sommes arrivés au bourg le Verteuil, à l'hôtellerie où pend pour enseigne le Dauphin; d'où nous nous serions transporté au chasteau du dit lieu où nous aurions dit à M. le duc de La Rochefoucauld, pair de France, et à M. le prince de Marcillac son fils, que nous avons reçu ordre de nous transporter en ce lieu pour leur donner communication de la commission de laquelle il a plu à Sa Majesté nous honorer, donnée à Saint-Germain-en-Laye, le vingt-sixième octobre de la présente année, laquelle nous leur aurions fait lire afin qu'ils eussent à nous répondre sur le contenu en icelle. Puis, ayant fait savoir au dit sieur duc les choses que Sa Majesté nous auroit ordonné de lui dire de vive voix, il nous auroit fait réponse qu'il rédigeroit par écrit celles qui étoient venues en sa connoissance du contenu en notre dite commission et les remettroit entre nos mains pour être envoyées à Sa Majesté[392]. Et pour le regard de M. le prince de Marcillac son fils, il se seroit offert de répondre et nous dire ingénument tout ce qu'il sauroit en cette affaire. Sur quoi serions venus ensemble en notre dit logis, et après avoir d'icelui pris le serment en tel cas requis et accoutumé, nous a dit que la veille de la fête de Notre-Dame de septembre dernier le nommé Hilaire, valet de chambre de Mme la duchesse de Chevreuse, lui auroit apporté une lettre de ladite dame, laquelle il nous a représentée et mise entre les mains par laquelle, entre autres choses, elle le prioit de lui envoyer secrètement un carrosse et promptement pour la mener à Xaintes pour des affaires d'importance lesquelles elle lui communiqueroit à son retour qu'elle viendroit voir Mme de La Rochefoucauld; ensuite de quoi il lui envoya un carrosse tiré par quatre chevaux, conduit par un cocher nommé Pierre et suivi d'un postillon nommé Villefagnan. Et outre cela le dit Hilaire lui demanda quatre chevaux de selle, lesquels il lui fit donner et fit conduire par un sien valet de chambre nommé Thuillin, et le dit Hilaire, lequel lui laissa la haquenée de la dite dame, le priant de la garder jusques à son retour, depuis lequel temps et départ de la dite dame il n'avoit ouï parler d'elle que par le retour du dit Thuillin, qui fut sept ou huit jours après, lequel lui ramena deux de ses chevaux et lequel arriva un jour devant le dit carrosse, ayant laissé la dite dame à Douzain, à une lieue de Castillonnet, et le dit carrosse à demie lieue au deçà de Mussidan. Et trois semaines après arriva le nommé Malbasty, lequel dit avoir laissé la dite dame à Bannières, laquelle lui avoit commandé de revenir apporter une lettre à M. l'archevêque de Tours, et des compliments et assurances de sa santé à lui déposant; laquelle lettre il auroit envoyé au dit sieur archevêque par un laquais du sieur d'Estissac. Et pour justifier de tout ce que dessus offre le dit sieur de nous représenter les susdits Thuillin et Malbasty pour être par nous ouïs, et nous conduire par les lieux où a passé la dite dame. Et ce qui a empêché lui déposant de dire les choses ci-dessus au nommé La Grange, qui lui apporta un mémoire et une lettre de la part du sieur de Boispillé, lesquels il nous a mis entre les mains, et même au dit Boispillé, c'est qu'il le trouva si extravagant qu'il ne vit pas que les choses qu'il pourroit lui confier pussent produire aucun bon effet, outre qu'il avoit déjà donné avis à M. le duc son père qui étoit à la cour de tout ce qu'il a ci-dessus dit, pour en informer le Roi et son Eminence, auxquels seuls il croyoit avoir à rendre compte de ses actions. Et sur ce que nous l'avons enquis s'il n'avoit pas vu la dite dame duchesse sur le chemin de Ruffec à La Tesne, et envoyé un des siens pour faire sortir tous ceux qui étoient dans la dite maison de La Tesne, et s'il n'y avoit pas mené la dite dame, donné la collation, et séjourné avec elle deux heures, nous auroit denié tous les dits faits et soutenu calomnieusement avoir été inventés par le dit Boispillé en haine du peu de cas qu'il auroit fait de lui, ce qui est tellement vrai qu'il le justifiera par le témoignage de tous les domestiques de sa maison et par quantité d'habitants du dit Verteuil, gens de bien et sans reproche, que non-seulement il ne sortit point de la maison et bourg du dit Verteuil les jours qu'il envoya son carrosse à la dite dame, mais même de plus de huit en suivant; déclarant qu'il consent être déclaré convaincu en toutes les choses ci-dessus esnommées s'il est trouvé un seul homme de bien qui die l'avoir vu, pendant les jours que passa la dite dame et les huit suivants, hors le susdit lieu de Verteuil. Sur ce que nous l'aurions enquis, s'il n'auroit point donné quelqu'une de ses maisons pour retraite à la dite dame ou de celles de M. son père et entre autres villes Cuzac, nous a répondu que non, et que tant s'en faut qu'il l'eût pu au dit Cuzac que les gens de M. le duc de La Vallette y étoient et sont encore logés dans le château; qu'il y est bien vrai que le dit Thuillin lui a dit qu'elle avoit passé dans le bourg, mais que ce fut sans s'y arrêter et qu'elle alla coucher à Douzain, d'où elle renvoya le dit Thuillin et y prit en sa place Malbasty qui fait sa récidence ordinaire. Et sur ce que nous l'aurions enquis si à son retour de la cour, il n'auroit point vu ou fait voir la dite dame par quelqu'un des siens et lui auroit donné de ses nouvelles par quelque autre voie: nous a dit que non, et qu'étant à Clerq (?) il reçut de M. de Liancourt une lettre à lui écrite de la part du Roi par laquelle il lui mandoit qu'il eût à dire au sieur de Thibaudière de ne voir point la dite dame, ce qui le confirma dans la résolution qu'il avoit déjà prise de ne la voir point et de ne lui faire aucuns compliments. Et l'ayant aussi enquis si ce n'avoit pas été lui qui auroit commandé au nommé Pauthet, concierge de La Tesne, d'aller guider la dite dame passant par le dit lieu, auroit dit que non, et que cette dame auroit reconnu le dit Pauthet pour l'avoir vu autrefois chez feu M. le connétable son premier mari, et l'avoit prié d'aller avec elle, ce qu'il lui auroit accordé, et d'autant plus aisément qu'il la vit accompagnée du dit Thuillin, et dedans le carrosse du dit sieur prince de Marcillac, lequel dit avoir ouï dire du depuis que la dite dame ne l'avoit emmené qu'à cause qu'il savoit parler le langage basque; qui est tout ce qu'il nous a dit savoir, et assuré ce qu'il a ci-dessus dit contenir vérité, et a signé, après lecture faite, F. DE LA ROCHEFOUCAULD.»--«Sur quoi, et pour exécuter le contenu de notre dite commission, lui aurions fait commandement de la part du Roi qu'il eût à se rendre près de Sa Majesté incessament pour lui rendre raison de ses actions, à quoi il a dit être pressé d'obéir et de fidèlement exécuter toutes les choses qui lui seront prescrites de la part de Sa Majesté. Signé: F. DE LA ROCHEFOUCAULD[393].» [392] _Ibid._, fol. 211.--COPIE DE LA RELATION DE M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD TOUCHANT MME DE CHEVREUSE. «Sur ce que M. le président Vignier m'a dit, de la part du Roi, que Sa Majesté s'étonne qu'après les si hautes obligations que je lui avois, j'eusse eu si peu de ressentiment que je n'aye pu tirer de mon fils de Marcillac la vérité touchant le passage de Mme du Chevreuse et que je n'en aye pas informé Sa Majesté; je lui ai fait réponse qu'étant à la cour, lors dudit passage, et en ayant eu avis par ma femme et mon fils, je fus à l'instant trouver M. le Chancelier auquel je montrai les lettres de ma femme et de mon dit fils, et la copie de la lettre que Mme de Chevreuse avoit écrite à mon fils du lieu de Ruffec; et le lendemain je fus à Ruel où je mis les susdites lettres en copie entre les mains de M. Charpentier, et le priai de les faire voir à Son Éminence, auquel j'eus l'honneur de parler ensuite sur le même sujet autant qu'il me fut possible. Et cinq ou six jours après mon fils m'ayant dépêché un gentilhomme pour m'avertir de ce qu'il avoit appris par le retour d'un gentilhomme qui ramenoit les chevaux et qui l'avoit accompagnée, j'envoyai mon secrétaire à Charonne où, ne pouvant parler à M. Charpentier, il s'adressa à M. Cheré, son neveu, et lui dit qu'il m'étoit arrivé un gentilhomme que m'envoyoit mon fils pour me dire les particularités du passage de Mme de Chevreuse, et comme elle prenoit le chemin d'Espagne. Je le priai de le faire savoir à Son Éminence, chez qui j'allai l'après-dînée, et trouvai dans la basse-cour M. l'abbé du Dorat et quelques autres, qui avec beaucoup de froideur me dit qu'on avoit baillé ce matin un mauvais avis à Son Éminence pour ce que Mme de Chevreuse n'avoit jamais pensé d'aller en Espagne, et qu'elle étoit en France, et n'avoit jamais été déguisée; ce qu'il me dit si affirmativement que je le crus, et d'autant plus que je n'avois autre avis sinon qu'elle prenoit la route d'Espagne. Et le lendemain, allant chez monseigneur le chancelier, je lui dis dans son jardin l'arrivée dudit gentilhomme et le sujet qui l'amenoit, ce que deux ou trois jours après je dis aussi à monseigneur le surintendant Boutillier, à Saint-Maur. Après quoi je pris congé du Roi et de Son Éminence, et voyant jouer MM. de Brezé, de Liancourt et de Mortemart à la paume, j'eus un coup de balle sur l'oreille qui m'arrêta quatre ou cinq jours à la chambre, en fin desquels je me mis en chemin pour venir à ma maison; je demeurai douze jours par le chemin à cause de mon indisposition, et ne m'y suis rendu que depuis vingt jours où je n'ai rien appris de plus particulier que les choses que m'avoit apportées le gentilhomme. Ce que je certifie véritable. Fait à Verteuil, le 8e novembre 1637, LA ROCHEFOUCAULD.»--«Et engage ma foi et mon honneur qu'il n'est rien venu depuis à ma connoissance, si ce n'est de petites particularités qui n'étoient pas de conséquence pour faire sur cela des dépêches, comme que étant à Bannières (Bagnères), l'homme qui étoit venu avoit laissé Mme de Chevreuse et que Boispillé avoit ramené la haquenée qu'elle avoit laissée icy, dont j'avois parlé à MM. de Chevreuse et de Montbazon. Fait à Verteuil, le même jour que dessus. Signé: LA ROCHEFOUCAULD.» Quelques jours après, le 12 novembre 1637, le duc de La Rochefoucauld écrivit cette lettre trouvée sans suscription, _ibid._, fol. 22, mais qui doit être adressée à son frère, M. de Liancour. «Je n'ai rien à vous mander depuis ce que je vous ai écrit par le dernier courrier, si ce n'est qu'un jeune homme de bonne famille de mes terres, apprenant la peine où nous étions, m'est venu trouver ce matin et m'a dit qu'étant le 15e du mois passé à Londres dans l'hôtellerie avec quantité de ses camarades, car il est enseigne dans un navire de guerre anglois, il y arriva un gentilhomme anglois de sa connoissance qui leur dit à tous qu'étant un jour ou deux devant à Plimour (Plymouth), Mme de Chevreuse y étoit arrivée déguisée, et incontinent s'étoit fait connoître et avoit dépêché vers le roi de la Grande-Bretagne pour recevoir ses ordres. Je vous envoie le nom de ce jeune homme en anglois et en françois, comme il me l'a laissé; car il part demain pour s'en retourner en Angleterre par La Rochelle, où est le vaisseau qui l'a amené. Je lui ai donné charge de se montrer chez M. l'ambassadeur, afin qu'il puisse savoir de lui comme il s'en retourne en ce pays-là pour ses affaires particulières, selon son dessein, et qu'il n'a autre ordre de nous que de le saluer parce que peut-être serions-nous si malheureux qu'on soupçonneroit que cet homme m'ayant vu et s'en retournant si promptement auroit quelque commission pour la décharge de mon fils pour lequel ce sera quelque consolation qu'on sache la pure et nette vérité. Je vous dirai aussi que j'ai vu hésiter M. Vignier sur la facilité et la diligence que trouva cette femme de passer de Bagnières en Espagne, et c'est en quoi seulement j'ai désiré qu'on ne dit pas que c'est un commerce quasi ordinaire, car l'on eût peut-être cru que j'eusse été bien aise de faire insérer cela dans un procès-verbal pour taxer des personnes qu'on sait qui ne m'aiment pas et qui me désobligent tous les jours. Mais il est très-certain que d'Espagne il vient des laines en France, et que de France il va par ce côté ordinairement des bœufs, des moutons, et bien souvent des mules, et que pour de l'argent tout se fait. Mon fils est parti ce matin pour aller à Brouage, pour être là en lieu que l'on ne puisse pas dire qu'il ait eu autre intention que celle d'obéir et de recevoir la punition que son action bien vérifiée méritera. Et je vous dis encore que vous pouvez sans crainte ni pour vous ni pour moi ni pour lui assurer qu'il n'a eu commerce aucun de lettres, de message, d'avis ni de concert quel qu'il puisse être avec cette femme, depuis avoir parlé à Royaumont à M de Chavigny, et de cela j'en réponds comme assuré, n'ayant si mauvaise opinion de lui que je crusse qu'il me voulût engager à répondre de cela sur ma vie et sur mon honneur, s'il n'étoit vrai. Et pour ce que dit cet imposteur de Boispillé qu'on l'a vu à la Tesne, je me soumets à tout ce qui se peut imaginer d'infamie et de châtiment si cela est, car ma femme et la sienne ne l'ont pas perdu de vue huit jours durant, et il n'est pas seulement sorti de céans durant ce temps, et je suis très-certain que ma femme et mes enfants ne me laisseroient pas hazarder ma foi, mon honneur et mon repos et celui de la famille sur une chose que l'on me déguiseroit et qui seroit toujours sue, si ce n'étoit à cette heure, ce seroit au moins par le temps, avec les diligences qu'on y pourroit apporter. Ce n'est pas que mon fils soit excusable ni envers moi non plus que d'ailleurs, car il m'a fort peu considéré; mais je parlerai de mon intérêt particulier quand le général sera vidé, et je prie Dieu qu'il soit plus sage à l'avenir qu'il ne l'a été depuis deux ou trois ans, et qu'il ait une meilleure ou plus heureuse conduite. Cette affaire m'embarrasse si fort que je ne puis vous écrire d'autre chose; aussi je m'assure que vous y ferez tout ce qui se peut faire sans que je vous demande rien. Je vous donne le bonjour. A Verteuil, ce 12e novembre 1637.» [393] La Rochefoucauld s'en alla d'abord à Brouage, comme le dit la lettre de son père du 12 novembre, puis à Paris, où il fut mis pour huit jours à la Bastille. _Ibid._, fol. 138: «A M. du Tremblay, gouverneur de la Bastille, pour recevoir à la Bastille M. de Marcillac.--«Monsieur, Le Roy ayant commandé à M. de Marcillac d'aller à la Bastille pour avoir fait quelque chose qui lui a déplu, je vous écris le présent billet de la part de Sa Majesté, afin que vous le receviez. Vous aurez soin, s'il vous plaît, de le bien loger et lui donner la liberté de se promener sur la terrasse. Je suis, monsieur, votre très-humble serviteur, CHAVIGNY. A Ruel, ce mardi 29 octobre 1637.» Ne faut-il pas lire 29 novembre, à moins que l'ordre n'ait été donné d'avance sur la _Relation_ de Boispille? C'est sur ces documents authentiques et sur d'autres encore que le savant collectionneur Pierre Du Puy a fait l'extrait suivant, conservé dans ses papiers, Bibliothèque impériale, collection Du Puy, nos 499, 500, 501, réunis en un seul volume. Dernière pièce du volume écrite de la main de Pierre Du Puy, qui, comme il le dit, a fait cet extrait de mémoire, après avoir lu les pièces originales. «EXTRAIT DE L'INFORMATION FAITE PAR LE PRÉSIDENT VIGNIER DE LA SORTIE DE MME DE CHEVREUSE HORS DE FRANCE.» «Le président Vignier commença à Tours ses informations, exposa à l'Archevesque dudit lieu sa commission, puis l'interrogea s'il n'avoit vu passer Mme de Chevreuse. L'Archevesque dit que oui, qu'elle estoit venue chez lui disant qu'elle avoit eu advis, par deux différentes personnes venues exprès la trouver, qu'on vouloit attenter à sa liberté, et qu'une compagnie de cavaliers avoit ordre de la prendre pour la mener à la Bastille; que sans cela elle n'eût pas sorti de France, et qu'elle estoit fort pressée de se sauver et qu'il falloit qu'elle s'en allât tout à l'heure, et pour cela qu'elle se retiroit en Espagne. L'Archevesque lui offrit cinq cents piastres. Elle n'en voulut point, disant que son Eminence lui avoit depuis peu fait toucher dix mille livres. Pour son carrosse, elle s'en servit deux journées pour aller jusques auprès d'une maison du prince de Marcillac. Dit aussi ledit Archevesque qu'au sortir de Tours son cocher lui a rapporté qu'elle fut dîner en une maison appartenant à M. de Montbazon. «Le prince de Marcillac, interrogé s'il a vu ladite dame, dit que non, mais qu'il a reçu une lettre d'elle sous un nom incognu, et la donna. La teneur est à peu près telle: «Monsieur, je suis un gentilhomme françois qui demande un service pour ma liberté, et peut-être pour ma vie. Je me suis malheureusement battu, et j'ai tué un seigneur de marque. Cela me force de quitter la France et promptement parce qu'on me cherche. Je vous crois assez généreux pour me servir sans me cognoistre. J'ai besoin d'un carrosse et de quelques valets pour me servir.» M. de Marcillac avoue lui avoir donné son carrosse, et un nommé Potet (Pauthet) qui se doutoit que c'estoit elle, mais qu'il ne le savoit pas asseurément. «Potet interrogé répond qu'il avoit trouvé à cent pas de là un jeune gentilhomme qui avoit la perruque blonde, lequel s'estoit mis seul dans le carrosse où il s'estoit couché paroissant fort las, et qu'il l'avoit conduit jusqu'à une autre maison de M. de Marcillac, où demeuroit un gentilhomme aussi à lui, nommé Malbasty, et que le gentilhomme à la perruque blonde avoit deux laquais avec lui qui l'avoient suivi à cheval, l'un nommé Renaud et l'autre Hilaire. «Malbasty interrogé a dit que Mme de Chevreuse arriva chez lui à trois heures de nuit, lui n'y estant pas, que sa femme se leva pour ouvrir à cause qu'elle cognust Potet qui lui dit que c'estoit un seigneur de qualité, ami intime de M. de Marcillac, qui s'enfuyoit pour s'estre battu en duel. Malbasty arriva là-dessus, auquel fut dit la mesme chose. Il demanda le nom de ce jeune seigneur, et qu'il désiroit savoir qui il devoit servir. L'inconnu lui respondit qu'il lui diroit le lendemain, cependant qu'il l'accompagnât une journée ou deux, parce qu'il craignoit que les deux gentilshommes qui estoient à lui ne fussent cognus, qu'il les lairroit là jusques à un nouvel advis de lui. On renvoya le carrosse du prince de Marcillac, et ladite dame monta sur une haquenée qui se trouva là. Malbasty et Potet la suivirent. Elle estoit vestue d'une casaque noire, les chausses et le pourpoint de mesme. Elle avoit la teste bandée, et un morceau de taffetas noir par-dessus, et dit audit Malbasty que c'estoit un coup d'épée qu'elle avoit reçu en son combat et que cela l'empeschoit d'oster son chapeau, et aussi qu'elle en avoit un à la cuisse qui l'empeschoit de monter légèrement à cheval. Comme ils arrivoient à la dînée, la selle de la haquenée se trouva pleine de sang, et Malbasty lui dit qu'il en estoit fort en peine, qu'il falloit que sa plaie se fût ouverte, et que l'on devoit envoyer querir un chirurgien. Elle ne le voulut pas, et prit deux chemises qui estoient audit Malbasty dont elle dit qu'elle feroit des linges pour se bander, que sa plaie lui faisoit fort mal. On a remarqué que ledit Potet couchoit dans sa chambre sous le prétexte de lui panser ses plaies, et qu'à cette heure-là même elle l'y mena, disant que c'estoit pour le même sujet. Les lits de l'hôtellerie lui semblèrent mauvais; elle se coucha sur du foin dans une grange pour se reposer, paraissant extrêmement affaiblie, où pour toutes choses on lui apporta à dîner le quartier d'une oie bouillie dont elle ne put manger. Une bourgeoise de ce bourg-là passa fortuitement et la vit couchée sur ce foin, et s'écria: Voilà le plus beau garçon que je vis jamais! Monsieur, dit-elle, venez vous-en reposer chez moi, vous me faites pitié. Elle la remercia s'excusant qu'elle avoit hâte, ne parlant néanmoins que fort bas, parce qu'elle disoit avoir un rhume qui l'empêchoit de hausser la voix. Ladite bourgeoise lui fut querir chez elle demi-douzaine d'œufs frais et lui en fit prendre quatre. Malbasty pressa ladite dame de lui dire son nom, comme elle lui avoit promis: elle lui dit qu'elle estoit le duc d'Enguyen, et que pour un sujet qu'elle ne pouvoit déclarer, il falloit qu'elle sortit de France pour un temps. «Malbasty et Potet déposent encore qu'il vint un homme vestu de rouge, lequel, de loin qu'ils l'aperçurent, descendit de cheval et lui fit de grandes inclinations; elle lui fit signe de la main comme en colère, et lui dit moitié entre ses dents qu'elle n'estoit pas en état qu'on lui fît tant d'honneur; elle s'écarta avec l'homme susdit, et parla à lui environ demi-heure, et puis s'en retourna. Potet dépose avoir vu encore une fois le même homme sur le chemin la venir trouver en une hôtellerie où il lui parla en particulier environ une heure ou deux. A une lieue de là, un laquais aussi vêtu de rouge lui amena une haquenée en bride, et elle monta dessus, et lui ramena la sienne. Comme ils furent au second gîte, Malbasty dit à Mme de Chevreuse: Vous ne m'aviez demandé que deux jours, permettez que je m'en retourne. Elle lui dit que tout du bon elle lui vouloit dire son nom, qu'elle estoit la duchesse de Chevreuse, qu'il lui envoyât ses deux gentilshommes en un lieu qu'elle lui nomma, qu'il lui envoyât aussi son fils qu'elle avoit jugé qu'il avoit de l'esprit et qu'elle feroit pour lui[394]. Malbasty lui dit qu'elle se perdroit, qu'elle rencontreroit mille voleurs, qu'elle n'avoit qu'un homme avec elle, qu'il craignoit qu'on lui fît du desplaisir. Elle lui dit que le gouverneur de la première ville d'Espagne lui enverroit son carrosse en relais, et que le vice-roy de Sarragosse avoit ordre de la Reyne de la secourir. Elle l'assura qu'elle ne desserviroit point le Roy ni son Éminence, qu'elle leur avoit trop d'obligations, qu'elle ne verroit ni le Roy ni la Royne d'Espagne et qu'elle passeroit les Rois en Angleterre, et que si les passages par la France ne lui en eussent pas été bouchés, elle y auroit esté et non pas en Espagne. Offrit audit Malbasty un grand rouleau de pistoles qu'il refusa, et n'en prit que sept pour s'en retourner. [394] Il paraît que ce jeune homme entra au service de Mme de Chevreuse ou du moins qu'il eut quelque intrigue avec une de ses femmes, à en juger par les lignes suivantes d'une lettre inédite de La Rochefoucauld, adressée à un de ses hommes d'affaires nommé Thuillin, dont il est fort question dans ces procès-verbaux: «Paris, 28 septembre 1643... J'ai desjà escrit au fils de Malbasty, mais s'il n'a point reçu ma lettre, faites-lui savoir que Mme de Chevreuse veut marier Mlle de Bessé à un gentilhomme, et que c'est une affaire qu'elle affectionne extrêmement. C'est pourquoi avertissez Malbasty de ne s'y oposer point pour ce qu'aussi bien cela ne serviroit qu'à aigrir Mme de Chevreuse encore plus contre lui. Dites-lui aussy que je lui conseille de renvoyer à Mlle de Bessé toutes les lettres qu'il a d'elle, afin de témoigner plus de respect à Mme de Chevreuse...» «Malbasty interrogé pourquoi il lui avoit baillé son fils, a respondu qu'il ne l'avoit pas envoyé, que sa femme, estant en peine pourquoi il mettoit tant à revenir, l'avoit envoyé, et qu'il falloit que ladite duchesse l'eût emmené. Avant que le dit Malbasty se séparât de Mme de Chevreuse, ils rencontrèrent dix ou douze hommes de cheval dont le marquis d'Antin en estoit un. Elle se détourna un peu appréhendant d'être cogneue, et Malbasty accosta un de ces hommes de cheval qui lui dit qu'ils venoient de prendre un homme qui avoit tué une demoiselle de ce pays-là. «La Reyne est citée deux ou trois fois dans les dites informations, mais l'on n'a pu se souvenir comment. Car cet extrait n'est que de mémoire, et néantmoins très-véritable. Pour les temps, les lieux, les circonstances et force mots de pratique, l'on s'en est peu souvenu, comme aussi de plusieurs autres choses qui se sont échappées de la mémoire. «Monsieur le président Vignier a porté l'abolition en allant faire les informations, et n'ayant pas pu entrer en Espagne, il a envoyé un trompette ou hérault à la duchesse de Chevreuse lui faire sçavoir qu'il lui portoit son abolition, et que si elle vouloit revenir le Roy lui promettoit toutes sortes de grâces et M. le cardinal toute assistance. Le Roy a fait commandement au prince de Marcillac de le venir trouver; on ne donne pas ceci pour certain comme tout le reste. Les informations n'arrivèrent à la cour que samedi au soir 15 novembre 1637.» EXTRAIT D'UNE LETTRE ÉCRITE DE TOULOUSE LE 2 NOVEMBRE 1637: «Un gentilhomme de notre voisinage, qui a charge dans nos montagnes, m'a dit ces jours-ci que Mme de Chevreuse estoit passée par une des vallées de sa charge pour entrer en Espagne, qu'un des siens le lui a mandé et que la recognoissant il lui avoit dit qu'il la prendroit pour Mme de Chevreuse si elle estoit vestue d'une autre façon, et qu'elle lui avoit respondu que lui estant fort proche elle lui pouvoit bien ressembler; qu'après cela estant entrée en Espagne à deux lieues de là, elle lui avoit mandé qu'il ne s'étoit pas trompé, et qu'ayant recogneu en lui une civilité extraordinaire elle prenoit la liberté de le prier de lui faire trouver des étoffes pour se vêtir conformément à son sexe et à sa condition avant de passer outre.» NOTES DU CHAPITRE IV --_Dédicace de la collection in-4 des portraits de Daret._ A MADAME LA DUCHESSE DE CHEVREUSE. «Madame, après toutes les faveurs et toutes les graces que j'ai reçues de Votre Altesse, je devrois demeurer dans l'admiration et dans le silence, ou, ne pouvant rien davantage, lui témoigner au moins par la confession de mon impuissance le ressentiment que j'ai de ses bienfaits. Mais, Madame, je suis forcé de lui faire de nouvelles supplications et de lui demander de nouvelles preuves de sa bonté. Ce n'est pas assez, Madame, que je lui sois obligé de l'honneur, de la liberté et peut-estre de la vie; il faut, s'il lui plaist, qu'elle m'accorde quelque chose de plus, et que, ne pouvant rien se promettre de moi, elle ait la générosité de se charger de mes dettes, et de me desgager elle-mesme de toutes celles dont je lui suis redevable. Comme elle est toute seule le juste prix et la véritable récompense de ses grandes actions, il n'y a qu'elle aussi qui puisse se rendre ce qu'elle a presté, et acquitter pleinement les obligations de ses débiteurs. Mais je parle, Madame, comme une personne qui n'est pas bien instruite de la noble manière que les grandes âmes agissent. Elles ne donnent jamais pour recevoir; elles ne prestent jamais afin qu'on leur rende ce qu'elles ont presté; elles font toujours des libéralités; laissant aux âmes vulgaires à faire des constitutions et des prests, elles regardent les bienfaits qui peuvent leur estre rendus comme des bienfaits qui ne sont pas dignes d'elles. Ce fut aussi dans cette vue, Madame, que Votre Altesse eut la bonté de me prendre en sa protection et de me donner un asile dans son palais. Elle ne se proposa point d'autre objet ni d'autre prix dans une action de si extraordinaire charité, que l'excellence et la beauté de l'action même. Elle se considéra, dans ce haut point de gloire où Dieu l'a élevée pour estre l'étonnement de plusieurs siècles, comme ayant une obligation toute particulière d'employer sa puissance pour secourir les faibles et les abandonnés, et pour tirer l'innocence persécutée d'entre les mains de ses persécuteurs. A peine la voix publique, Madame, lui eût-elle appris l'état déplorable où je me voyois réduit par la violence et par la haine de personnes que je n'ai point offensées, qu'elle se déclara pour un innocent malheureux[395]. Elle ne voulut pas attendre que mes pleurs et mes gémissements fussent parvenus à ses oreilles; elle ne me donna pas le temps de lui faire le récit de mes tristes aventures; elle se contenta de sçavoir que j'estois faible, que j'estois poursuivi, et que je n'estois point coupable; elle crut d'abord que ma cause estoit la bonne, et comme telle, quoique abandonnée et quoique honteuse en apparence, elle lui fut recommandable, elle lui fut précieuse. Elle entreprit ma défense avec cette fermeté et cette grandeur de courage qu'elle s'est toujours portée aux choses difficiles. Elle n'eut égard ni au temps ni à la coutume; elle ne considéra ni l'intérêt ni le crédit des puissants; elle me vit misérable, elle me secourut. Il faut aussi que je publie à sa gloire que, par une magnanimité inconnue dans ces derniers siècles, elle a toute seule empêché l'épouvantable exemple qu'on alloit faire d'une vertu humble et pauvre. Oui, Madame, si mon innocence n'a pas esté punie comme un crime, c'est que la constance et la protection de Votre Altesse ont arresté la fureur de ceux qui ne connoissent point de plus grands crimes que la bassesse de la naissance ou que celle de la fortune. Mais, Madame, quels efforts n'ont point faits ces redoutables ennemis? Quels prétextes spécieux et quelles belles apparences n'ont-ils point proposés à Votre Altesse pour la rendre favorable à leurs passions, et, par l'exemple de ces vertueux et de ces incorruptibles qui m'avoient déclaré coupable, la réduire à la nécessité de démentir sa propre connoissance et ne me plus croire innocent? On lui représenta toutes ces puissantes mais dangereuses raisons de prudence, de gloire et d'interest, qui sont aujourd'hui les règles de la conscience des ambitieux. On essaya de la picquer de ce faste payen et de ce faux honneur qui sont directement opposés à la vertu chrétienne et au véritable et solide honneur. On voulut même intéresser à ma ruine la splendeur de votre naissance, la majesté de votre condition et les grandes et fortes actions de toute votre vie. On passa des moyens ordinaires aux extrordinaires, des profanes aux sacrés, et d'une affaire d'aigreur et de vanité on en fit une affaire de conscience. On fut dans les maisons religieuses troubler la paix et le silence des saints. On fit prendre les armes aux forts d'Israël; on les engagea même dans le combat, et il ne s'agissoit que d'écraser un ver de terre. Mais Votre Altesse, Madame, repoussa la force par la force: la vertu fut victorieuse de l'artifice, et les forts de Juda qu'elle avoit appelés à son secours triomphèrent des forts d'Israël. Cependant les ennemis ne se contentèrent pas d'avoir esté battus une fois; ils retournèrent au combat avec une obstination de vaincre si ardente qu'elle eût ébranlé un courage moins haut et moins intrépide que celui de Votre Altesse. Elle parut aussi en cette nouvelle attaque plus grande et plus forte qu'en toutes les précédentes. Elle s'éleva au-dessus d'elle-même. On vit éclater quelque chose de divin sur son visage. Le feu de ses yeux fut comme celui des éclairs, et les foudres qui sortirent de sa bouche avec ses paroles jetèrent de la terreur dans l'âme des plus hardis du parti contraire. Ils vous cédèrent enfin la victoire, Madame, mais pour cela ils ne se réputèrent pas vaincus; ils se résolurent de tenter de nouveaux moyens, et vous faisant une dernière déclaration de leur mauvaise volonté à mon égard, protestèrent hautement qu'il n'y avoit rien au monde qui les pût empêcher de me perdre. Votre Altesse, Madame, se sentit obligée d'estre d'autant plus ferme et plus constante dans la résolution de me protéger, que mes ennemis lui paroissoient injustes et irréconciliables. Elle leur dit aussi qu'elle feroit de sa part toutes les choses auxquelles son honneur, sa conscience et sa foi l'engageoient, et les prit eux-mêmes pour témoins du serment qu'elle en voulut faire. Que Dieu, Madame, eût ce serment agréable, et qu'il a bien montré par l'événement des choses que non-seulement il l'avoit formé dans le cœur de Votre Altesse avant qu'il fût dans sa bouche, mais qu'il en vouloit demeurer lui-même le garant et le certificateur! Il a bientôt fait voir, Madame, qu'il est toujours véritable en ses promesses, et qu'il est toujours le protecteur des foibles contre toute la violence de ceux qui les oppriment. Il a répandu ses bénédictions sur une famille fugitive et désolée, et par des succès incroyables il a miraculeusement changé la face d'une affaire désespérée. La sagesse humaine, je dis la plus fine et la plus délicate, y a visiblement esté confondue. La puissance qui se croit capable de tout y a manqué à soi-même, et la justice devant les yeux de laquelle les harangues des beaux parleurs et les sortiléges de la chicane élèvent tant de brouillards et tant de nuages, a même au travers de ces corps opaques démêlé la vérité du mensonge, et reconnu mon innocence, quoiqu'elle eût esté toute noircie et toute défigurée. Ce grand changement, Madame, est un coup de la droite du Tout-Puissant. Après lui, Madame, c'est l'ouvrage de votre magnanimité toute chrétienne. Je sçais que mes ennemis renouvellent l'orage et se vantent qu'il ne finira point que par mon naufrage. Mais la même puissance qui m'a sauvé dans le fort de la tempête, ne me laissera pas périr au rivage. Je le vois, déjà, Madame, et ma petite barque estant toujours conduite par un pilote qui a toujours triomphé des vents et des flots, doit estre toute assurée du port. En effet, Madame, je commence à respirer avec liberté et rentrer en possession de moi-même; je jouis, à l'ombre du grand nom de Votre Altesse, du premier repos et de l'ancienne paix de ma condition inconnue, mais heureuse. En un mot, Madame, je suis encore, pour ce que vous ne m'avez point abandonné; et je regarde tous les jours, toutes les heures et tous les moments de ma vie comme autant de présents que je dois, après Dieu, aux bontés et à la protection de Votre Altesse. Faudra-t-il cependant que tant de bienfaits demeurent sans reconnoissance, et que je devienne ingrat par la multitude des graces que j'ai reçues? Non, Madame, cette souveraine Providence, qui est la source de tous les biens, ne permettra pas que je tombe dans un malheur si déplorable; elle a mis dans le cœur de l'homme un trésor qui est comme un rayon et comme une image de sa toute-puissance, afin qu'il n'y en eût pas un de si misérable et de si endetté qui fût contraint de vivre et de mourir insolvable. C'est sa bonne volonté, Madame, qui s'étend même au delà du pouvoir des plus grands Roys de la terre. Quiconque la possède est riche; quiconque la possède a de quoi obliger ses propres bienfaiteurs, et de quoi changer la qualité de débiteur en celle de créancier. Dieu, Madame, non-seulement nous la donne comme la plus grande de ses libéralités, mais il nous la redemande en même temps comme le plus saint et le plus agréable de tous nos sacrifices. C'est une victime dont il n'a jamais détourné ses yeux; c'est une odeur qui lui est plus douce que la fumée de l'encens le plus pur; et, bien que ce soit un présent de son amour, il la couronne néanmoins comme la plus haute de nos vertus. Si cela est ainsi, comme il n'en faut point douter, je me trouve bien plus puissant que je me suis cru, et je n'ai pas besoin de la nouvelle grâce qu'au commencement de ma lettre, Madame, j'ai pris la liberté de demander à Votre Altesse; je la supplie donc très-humblement d'agréer que je m'acquitte envers elle, et que recevant de mes mains une chose précieuse et rare comme est la bonne volonté, elle se contente d'un payement dont elle est bien persuadée que Dieu se contente lui-même. Votre Altesse la verra peinte à l'entrée de l'ouvrage que je prends la hardiesse de lui dédier[396]. Elle y paroît en action de sacrifiante, et bien qu'elle n'aie dans les mains que des fleurs et des branches de palmes et d'olivier, j'ose dire à Votre Altesse, Madame, que de ces fleurs et de ces branches elle lui fera des couronnes plus augustes et plus durables que celles qui sont composées de perles et de diamants. Je ne désire point que Votre Altesse fasse considération sur le grand monde qui assiste à la célébration de ce sacrifice. Ce sont, à la vérité, des Roys et des Reines, des Princes et des Princesses; ce sont des personnes de l'un et de l'autre sexe, illustres par leur naissance, par leur vertu ou par leur fortune. Mais quelque fameux que soient ces héros et quelque recommandables que soient ces héroïnes, ou ils ne sont déjà plus ou ils ne sont que pour quelques années, et par conséquent il n'y a rien en cela de véritablement grand, puisqu'il n'y a rien d'éternel. La bonne volonté a seule ce privilége, Madame, et c'est elle seule aussi qui peut estre le digne prix des actions héroïques de Votre Altesse et des grâces que j'en ai reçues. Je la lui consacre avec toute la sincérité qui lui est inséparablement unie, et avecque tout le zèle d'un homme qui n'a d'honneur, de liberté, ni de vie, que ce qu'il tient de votre bonté, et qui, par toutes sortes de loix divines et humaines, est obligé en cette considération de vivre et mourir, Madame, de Votre Altesse, le très-humble, très-obéissant et très-obligé serviteur, DARET.» [395] On voudrait bien savoir quels faits précis sont cachés sous toutes ces phrases hyperboliques. [396] Voyez le frontispice gravé de l'ouvrage. Partout les armes de Rohan et de Lorraine. Comme le dit énigmatiquement cette phrase de la dédicace, c'est la reconnaissance de Daret, ce n'est pas Mme de Chevreuse qui est représentée sous les traits de la sacrificatrice. Le portrait de la duchesse est parmi les autres et à la date de 1653. Celui de sa fille Charlotte, qui, je crois, est unique, est de 1652, l'année même de sa mort. II.--_Négociation de l'année 1638 et 1639 entre Richelieu et Mme de Chevreuse pour le retour de celle-ci en France._ Ainsi que nous l'avons dit, p. 150, la Bibliothèque impériale possède deux manuscrits qui éclairent cette négociation. L'un, SUPPLÉMENT FRANÇAIS, no 4067, in-fol., récemment acquis de la société des bibliophiles, contient, avec bien des lettres étrangères à notre objet, des lettres relatives à l'affaire qui nous intéresse, en trop petit nombre, mais autographes, et qui viennent certainement de la cassette du cardinal de Richelieu, comme les pièces sur l'affaire du Val-de-Grâce: ce manuscrit porte au dos ce titre: _Lettres originales_. L'autre est le tome II in-folio des MANUSCRITS DE COLBERT, _Affaires de France_; ce sont des copies des papiers de Richelieu concernant la négociation dont nous nous occupons. Ces copies l'embrassent tout entière; elles reproduisent les pièces originales du _Supplément français_, et elles en donnent beaucoup d'autres. Malheureusement elles sont assez défectueuses. Le P. Griffet n'a connu ou du moins il ne cite que ces copies de Colbert, et il en a le premier tiré plusieurs lettres importantes. Nous mettons ici, dans toute leur teneur, les principales pièces dont nous nous sommes servi. LA REINE D'ANGLETERRE AU CARDINAL DE RICHELIEU, SUR LA GROSSESSE DE LA REINE ANNE ET SUR L'ARRIVÉE DE MME DE CHEVREUSE EN ANGLETERRE. MARS 1638[397]. «Mon cousin, ce m'est une joie si sensible que la grossesse de la Reyne ma sœur que, envoyant ce gentilhomme pour en témoigner mon ressentiment au Roy mon frère et à elle, j'ai cru que vous estiez une personne avec qui, après eux, je m'en pouvois resjouir. C'est ce que je fais par cette lettre. Et aussi connoissant le soin que vous prenez de m'obliger, en ayant eu des preuves depuis peu, je vous donne avis de l'arrivée de ma cousine la duchesse de Chevreuse en ce pays, et vous prie que son arrivée ici ne lui porte aucun préjudice dans ses affaires. Je me fie tant en votre générosité que je ne fais nul doute que vous ne voudriez pas tant me désobliger, après m'avoir tant obligée que vous avez fait, que de ne lui pas accorder son bien, ainsi que vous lui aviez procuré avant son partement. C'est la justice et son mérite qui le demandent; s'estant comportée en Espagne et en ce pays comme elle a fait, elle mérite bien cela de vous, et moi je me tiendrai pour obligée qu'elle ne reçoive point de mauvais traitements estant avec moi. Je ne vous en parlerai davantage, me fiant à ce que vous m'avez promis qui est de m'obliger quand vous en auriez les occasions. En voici une qui me fera demeurer toute ma vie, votre bien affectionnée cousine, HENRIETTE MARIE R.» [397] Manuscrits de Colbert, fol. 1. Manque dans le _Supplément français_. LE ROI D'ANGLETERRE AU ROI LOUIS XIII[398]. «Monsieur mon frère, envoyant ce gentilhomme pour me resjouir avec vous de la grossesse de la Reyne, ma sœur, et vous assurer que personne n'en peut estre plus aise que moi, sachant la joie que vous en recevez. J'ai voulu aussi vous avertir de l'arrivée de ma cousine la duchesse de Chevreuse, vous priant que sa demeure ici ne lui apporte point de préjudice dans ses affaires, et si je puis vous faire voir mon affection en quelque chose que vous m'ordonnerez, vous verrez que je serai si prompt que vous me croirez, Monsieur mon frère, votre très-affectionné frère, CHARLES R.» LA REINE D'ANGLETERRE AU MÊME[399]. «Monsieur mon frère, si je pouvois moi-même estre si heureuse que de pouvoir aller témoigner à Votre Majesté l'extrême joie que j'ai de la bénédiction qu'il a plu à Dieu lui envoyer par la grossesse de la Reyne, ma sœur, elle connoistroit par ma diligence mon ressentiment; mais ne le pouvant j'ai cru que ce gentilhomme que j'envoie suppléeroit à mon intention, et que Votre Majesté prendroit en bonne part le témoignage de mon ressentiment, priant Dieu de lui vouloir envoyer la joie parfaite par un fils. Aussi j'ai cru de mon devoir d'avertir Votre Majesté de l'arrivée de ma cousine la duchesse de Chevreuse en ce pays. J'espère qu'elle ne recevra point de mauvais traittement pour estre venue ici, et que Votre Majesté lui fera l'honneur et à moi aussi qu'elle puisse jouir de son bien, selon qu'il a été arresté devant son partement de France. Je ne la ferai plus longue de peur d'importuner Votre Majesté. Me remettant à sa bonté ordinaire, je demeurerai à jamais, Monsieur mon frère, votre très-humble et très-obéissante sœur et servante, HENRIETTE MARIE R.» [398] Manuscrits de Colbert. fol. 1. Manque dans le _Suppl. franç._ [399] Man. de Colbert, fol. 2. Manque dans le _Suppl. franç._ MADAME DE CHEVREUSE A M. DU DORAT[400]. «L'estat où j'ai esté jusqu'à cette heure ne m'a pas permis de pouvoir escrire plus tôt, ni celui où je suis d'y demeurer davantage sans le faire, pour vous prier de donner une lettre que j'escris à la Reyne touchant l'affaire que vous sçavez de l'argent que m'envoya Monsieur le cardinal, laquelle je vous prie de dire à Sa Majesté, ainsi que je lui mande que vous ferez, et la très-humble supplication que je lui fais de le rendre sur ce qu'elle me doit. Je crois qu'il lui sera aussi aisé en l'estat où elle est, qu'à moi difficile en celui où je suis, auquel elle m'obligeroit beaucoup de m'envoyer le reste; mais pour ne l'importuner, je n'ose lui demander. Je fais bien de rendre cela à M. le cardinal, avouant que si cela ne m'eût esté impossible je l'aurois desjà fait avec tous les remercîments que je dois. J'espère que la bonté de la Reyne fera tous les deux pour moi, et que cela lui sera autant agréable que peut-estre mon malheur lui feroit désagréer ce qui viendroit de ma part. S'il est si grand que cela ne puisse estre, je ne manquerai de satisfaire à cela par quelque moyen que ce soit, et de témoigner, en quelque estat que je sois, que si j'ai beaucoup de mauvaise fortune, je n'ai pas moins d'innocence et autant de résolution de la conserver que d'envie de vous servir. M. DE ROHAN.» [400] Man. de Colbert, fol. 3. Manque dans le _Suppl. franç._ MADAME DE CHEVREUSE A LA REINE ANNE[401]. «J'ai chargé ce porteur de vous dire une affaire que je ne puis oublier ni ne dois vous céler; l'état où je suis m'oste le moyen de la payer, celui où vous estes vous le donnera facilement. Je vous conjure de le faire et d'en témoigner votre ressentiment. Si vous pouviez achever le surplus de la dette, croyez qu'il viendroit bien à propos pour moi, qui suis absolument à vous que je sçais qui le croyez, et que je ne puis vous récompenser du bien que vous me faites en cela.» [401] Manuscrits de Colbert, fol. 2. Manque dans le _Suppl. franç._ A LA REYNE, MA SOUVERAINE DAME[402]. «Madame, je ne serois pas digne de pardon, si j'avois pu et manqué de rendre conte à Vostre Majesté du voyage que mon malheur m'a obligé d'entreprendre. Mais la nécessité m'ayant contrainte d'entrer en Espagne où le respect de Vostre Majesté m'a fait recevoir et traiter mieux que je ne méritois, celui que je vous porte m'a fait taire jusques à ce que je fusse en un royaume lequel estant en bonne intelligence avec la France ne me donne pas sujet d'appréhender que vous ne trouviez bon de recevoir les lettres qui en viennent. Celle-ci, Madame, parlera devant toutes choses à Vostre Majesté de la joie particulière que j'ai ressentie de la publique, qui est partout, de la grossesse de Vostre Majesté. Dieu, qui connoît sa bonté si parfaitement, la sait seul récompenser, et consoler tous ceux qui sont à elle par ce bonheur que je lui demande de tout mon cœur d'achever par l'heureux accouchement d'un dauphin. Encore que ma mauvaise fortune m'empesche d'estre des premières à le voir, croyez, Madame, que mon affection au service de Vostre Majesté ne me laissera des dernières à m'en rejouir. Le souvenir que je ne sçaurois douter que Vostre Majesté n'aye de ce que je lui dois, et celui que j'ai de ce que je lui veux rendre, lui persuadera, sans que je lui die, le déplaisir que ce m'a esté de me voir réduite à m'éloigner d'elle pour éviter les peines où j'appréhendois que les soupçons injustes qu'on a donnés de moi me missent. Je jure à Vostre Majesté que dans ce dessein je ressentois tant de maux que je ne l'exécutai pas dans l'espérance de m'en délivrer, mais seulement de faire voir un jour que je ne les méritois pas. Je croyois venant ici me soulager en les disant à Vostre Majesté; mais la difficulté du passage m'obligeant d'entrer en Arragon, et depuis celle de passer en Angleterre m'obligeant d'aller à Madrid, il m'a fallu priver de cette consolation jusques à cette heure que je puis me plaindre à Vostre Majesté de ma mauvaise fortune, n'accusant qu'elle seule de mon malheur et espérant que la protection de Vostre Majesté me garantira de celui que ce me seroit de la colère du Roy et des mauvaises grâces de M. le Cardinal, puisqu'en ce sujet je n'ai manqué ni au respect ni au ressentiment à quoi j'estois obligée. Je n'ose le dire moi-même à Sa Majesté et ne le fais pas à M. le Cardinal, m'asseurant que vostre générosité le fera, et rendra agréable ce qui pourroit estre importun par mes lettres, par lesquelles je ne pourrois pas si bien témoigner mon innocence comme par la grâce que je demande à Vostre Majesté de la représenter; et la vertu de Vostre Majesté m'asseure qu'elle s'exercera volontiers en cette occasion, et qu'elle emploiera sa charité pour me dire ce que je sçais qu'elle fait, qui est d'estre toujours elle-même. Vostre Majesté sçaura par les lettres du Roy et de la Reyne de la Grande-Bretagne l'honneur qu'ils me font. Je ne le sçaurois mieux exprimer qu'en disant à Vostre Majesté qu'il mérite sa reconnoissance. Plût à Dieu le pouvoir faire par mes services! Je crois que vous approuverez ma demeure en leur cour, et que cela ne me rendra pas digne d'un mauvais traitement de la vostre, ni de me refuser les choses que l'autorité de Vostre Majesté et le soin de M. le Cardinal m'avoit procurées, que je demande à cette heure à M. mon mari; à quoi je supplie Vostre Majesté de me protéger, afin que j'en aie bientôt les effets si justes que j'en attends.» [402] Man. de Colbert, fol. 4. Manque dans le _Suppl. franç._ Une personne qui possède l'original de cette lettre a bien voulu nous le confier pour le collationner avec la copie. Trois pages in-fol. Cachet intact, cire rouge et soie verte. Mme DE CHEVREUSE AU CARDINAL DE RICHELIEU[403]. «Monsieur, je ne doute pas que vous ne soyez satisfait de la raison qui m'a empeschée jusques à cette heure de vous écrire, vous ayant esté donnée par une personne de qui j'espère autant de grâce comme vous de justice. Maintenant ayant appris ce que je crois aisément, pour le désir que j'en ai, que vous recevrez agréablement cette lettre, je vous la fais avec beaucoup de contentement, sachant bien que la vérité seroit bien reçue de vous, sans l'assistance que votre bonté promet à la personne de qui elle vient. J'espère que le malheur qui m'a contrainte de sortir de France s'est lassé de me suivre si longtemps, et que les soupçons qui m'ont donné des appréhensions auront en partie justifié ma peur, dont je serois très-aise d'estre tout à fait guérie par la connoissance que mes ennemis ne fussent pas plus puissants que mon innocence. Je ne puis pas mieux décharger votre bonté qu'en lui imputant les diverses demandes qu'on me fit; sur quoi, j'ai cru estre obligée de m'esloigner pour gagner ce qui m'estoit seulement besoin pour ma justification, à savoir, le temps. Les assurances qu'on m'a données depuis mon arrivée ici de votre bonté pour moi me font espérer le succès que je me suis promis. Je souhaite extrêmement encore que cela n'augmente pas la peine de mon éloignement, et comme les honneurs et grâces que j'ai reçues par tout ne font qu'exercer non pas abattre ma gratitude, vous devez estre assuré qu'ils contribuent à la mémoire de vos faveurs; car cependant que j'aurai cette qualité, je ne puis jamais perdre celle, monsieur, de votre très-humble et très-affectionnée servante, M. DE ROHAN.--Greniche, ce 1er juin.» [403] Manuscrits de Colbert, fol. 5 et 6. Manque au _Suppl. franç._ «MÉMOIRE[404] DE CE QUE Mme DE CHEVREUSE A DONNÉ CHARGE AU SIEUR DE BOISPILLE DE DIRE A MONSEIGNEUR LE CARDINAL.» «Ce qui la fit résoudre à partir, après l'avis qu'elle reçut, ce fut qu'elle n'eut point de lettre de M. du Dorat, et qu'elle fit réflexion sur les choses dont M. d'Auxerre l'avoit enquise, et sur le mémoire qu'elle avoit vu[405] qui portoit vouloir sçavoir d'elle s'il n'estoit pas vrai qu'elle avoit escrit pour empêcher M. le duc de Lorraine de quitter le service du roy d'Espagne, et que si elle répondoit que non, comme l'on croyoit qu'elle feroit, qu'elle dispensast à l'avenir son Éminence de s'entremettre entre le roy et elle, et que l'avoüant il l'avoit bien tirée de plus grandes affaires, et que son Éminence lui demandoit cela comme son ami, sachant la chose assurément par lettres interceptées d'un courier en Luxembourg, avec les paroles de M. le grand maistre[406], et ce qui se passa ensuite comme elle escrivit n'avoir promis ce que M. le grand maistre avoit dit; la dite légation de MM. d'Auxerre et du Dorat, et le dit avis, le tout mit son esprit dans les troubles que l'on peut juger, ayant peur que l'on crût qu'elle fût obligée ailleurs, ayant refusé de faire ce que mondit seigneur de La Meilleraie désiroit. C'est donc ce qui l'étonna, disant avoir vécu, mesme s'estre corrigée de toutes choses, et étudiée pendant son séjour à Tours à ne rien faire particulièrement qui pût déplaire à M. le cardinal, depuis l'obligation qu'elle lui avoit pour l'affaire de M. de Chasteauneuf: voulant avec le temps et sa façon de vivre et comportement lui faire perdre entièrement le souvenir de cette action qu'elle avoit faite. Et après cela voyant qu'on s'enqueroit de choses à quoi elle n'avoit jamais pensé, et lui dire que l'on en avoit en main la vérité, cela lui fit imaginer que l'on la vouloit perdre. Voilà les points sur lesquels elle a fait toutes ses réflexions. [404] Manuscrit de Colbert, fol. 8. Manque au _Suppl. franç._ [405] Le mémoire ou les instructions dressées par Richelieu lui-même pour interroger à Tours Mme de Chevreuse. Voy. chap. III, p. 137, et l'APPENDICE p. 425. [406] Le maréchal La Meilleraye, grand maître de l'artillerie, qui vit à Tours Mme de Chevreuse. «Pour son retour elle le désire si fort, pourvu qu'elle ait les bonnes graces de son Éminence, qu'elle ne conditionne point le lieu de sa retraite; ce sera où il lui plaira et pour faire tout ce qu'il lui commandera. «Elle ne s'est obligée à rien du tout en Espagne ni en Angleterre; ne se trouvera pas qu'elle ait pris un teston fors les bonnes chères et traitements; et pour le témoigner, les dernières paroles que lui dit le roy d'Espagne furent de faire ses recommandations en Angleterre, et que si elle alloit en France, comme il espéroit, qu'elle assurast la reyne sa bonne sœur de ses bonnes volontés qui ne diminueront point pour estre[407]... [407] Une petite lacune. «Elle supplie que son Éminence dise qu'elle a oublié cette créance du duc de Lorraine, disant que depuis l'avis que l'on en avoit eu il ne s'est pas trouvé tel, ou telle autre chose qu'il plaira à son Éminence, s'offrant de sa part qu'après son retour, si on le peut vérifier, elle se soumet à punition[408]. [408] Dans tout ce passage la copie est très-défectueuse. «Représenter qu'elle a escrit quatre fois d'Espagne, la première du fort de Sistam (?), première place de garnison d'Espagne; la seconde de Saragoce; la troisième de Madrid, et la dernière fois une lettre seule à Boispille du dit Madrid dont elle n'a reçu aucune nouvelle, et que le courier, à qui elle avoit donné la dite dernière lettre, a dit à son retour l'avoir donnée au dit Boispille et lui en avoir demandé réponse, et celui-ci avoir répondu: nous ne faisons point de réponse en Espagne. «Elle a parlé comme elle devoit en Espagne, et croit que c'est une des choses qui l'a le plus fait estimer du comte duc, lequel, elle croit, n'aura pas rabattu de l'estime qu'il faisoit de son Éminence. Qu'à son arrivée d'Espagne en Angleterre elle a tenu les mêmes discours, et tellement exprimé les obligations qu'elle a à la bonne volonté et bonté de son Éminence, qu'elle s'est presque mise dans le hazard de faire condamner ses craintes(?). «Pour ce qui est de l'ambassadeur d'Espagne, elle le voit parce qu'il est venu avec elle, joint les ordres qu'il a de la voir et lui faire compliment, ce qu'elle ne peut refuser, mais bien ne passer jamais cela. Pour Bruxelles, véritablement elle s'est acquittée d'une lettre avec un présent à l'infant cardinal, seulement de la part de la reyne d'Espagne, et ayant reçu compliment à son arrivée en Angleterre de Mme la princesse de Phalsbourg, sur la nouvelle qu'elle a eue qu'elle estoit malade d'une fièvre, elle l'a envoyée visiter par un laquais. «Que véritablement elle est visitée par tous les ambassadeurs et agents étrangers, ce qu'elle ne peut refuser pour le présent au lieu où elle est.» LE CARDINAL A Mme DE CHEVREUSE[409]. «Madame, monsieur de Chevreuse ayant désiré que le roy lui permit de vous envoyer le sieur de Boispille, je n'ai pas voulu le laisser aller sans vous témoigner par ce mot de response, que prenant part à ce qui vous touche, je ne serai point content quand je penserai que vous n'avez pas sujet de l'estre. Ce qu'il vous plaît me mander est conçu en tels termes que ne pouvant y consentir sans agir contre vous par une trop grande complaisance, je ne veux pas y respondre de peur de vous déplaire en voulant vous servir. En un mot, madame, si vous êtes innocente, votre sûreté dépend de vous-même; et si la légèreté de l'esprit humain, pour ne pas dire celle du sexe, vous a fait relascher à quelque chose dont sa Majesté ait sujet de se plaindre, vous trouverez en sa bonté ce que vous en pouvez attendre et que vous devez désirer. Je tiendrai en cette occasion, comme en toute autre, à faveur singulière de vous servir, pourvu que vous vouliez vous-même embrasser vos intérêts[410], comme vous y estes obligée. J'apprendrai votre intention par le retour de ce porteur et demeurerai cependant, etc.» [409] Manuscrits de Colbert, fol. 6. Manque dans le _Suppl. franç._ Nous avons vu l'original même sur lequel nous avons corrigé la copie. [410] La copie et par conséquent le P. Griffet: _les intérêts du Roy_. 24 JUILLET 1638. LE CARDINAL A Mme DE CHEVREUSE[411]. «Madame, le roy a volontiers consenti à ce que vous avez désiré. Puisque vous ne vous sentez coupable que de votre sortie du royaume, il m'a commandé de vous mander qu'il vous en donne de bon cœur l'abolition, comme il eût fait de toute autre chose que vous eussiez tesmoigné avoir sur votre conscience. Quand le sieur de Boispille vous alla trouver, je lui dis ce que j'estimois pour votre service et pour votre sûreté, qui consistoit, à mon avis, à ne tenir rien de caché; ce à quoi j'estimois que vous vous dussiez porter d'autant plus facilement que l'expérience vous a fait connoistre, par ce qui s'est passé au fait de Monsieur de Chasteauneuf, qu'en ce qui vous intéresse ce dont vos amis ont la preuve en main est plus secret que s'ils ne l'avoient point. Je vous puis bien assurer que je n'ai pas moins d'intention de vous servir aux occasions présentes qu'en celle-là, et que tant s'en faut qu'on ait voulu vous faire avouer une chose qu'on ne sçût pas, qu'on voudroit ne savoir pas ce qu'on sçait pour ne vous obliger à le dire. Tant y a qu'on vous envoie les sûretés que vous avez désirées. Que si vous avez besoin de plus grandes, je vous y servirai volontiers, comme je vous l'ai desjà mandé, vous assurant que je serai toujours, etc.» [411] Manuscrits de Colbert, fol. 11. Manque dans le _Suppl. franç._ 8 SEPTEMBRE 1638. Mme DE CHEVREUSE AU CARDINAL[412]. «Monsieur, si je doutois de vos paroles je n'en mériterois pas les effets; au contraire[413] la liberté qu'elles me font prendre à cette heure de vous représenter mes intérêts, n'estant digne du soin qu'il vous plaist d'en prendre. Considérez, Monsieur, l'état où je suis, très satisfaite d'un côté des assurances que vous me donnez de la continuation de votre amitié, et fort affligée de l'autre des soupçons ou pour mieux dire des certitudes que vous dites avoir d'une faute que je n'ai jamais commise, laquelle, j'avoue, seroit accompagnée d'une autre, si, l'ayant faite, je la niois, après les graces que vous me procurez du Roy en l'avouant. Je confesse, Monsieur, que ceci me met en un tel embarras que je ne vois aucun repos pour moi dans ce rencontre. Que si vous ne vous estiez pas persuadé si certainement de la sçavoir, ou que je la pusse avouer, ce seroit un moyen d'accommodement; mais vous laissant emporter à une créance si ferme contre moi qu'elle n'admet point de justification, et ne me pouvant faire coupable sans l'estre, j'ai recours à vous même, Monsieur, vous suppliant, par la qualité d'ami que votre générosité me promet, d'aviser un expédient par lequel Sa Majesté puisse estre satisfaite, et moi retourner en France avec sûreté, ne m'en pouvant imaginer aucun, et me trouvant dans des grandes peines. Comme je suis avec d'entières résolutions de vous servir, j'espère que vous trouverez bon la franchise avec laquelle je vous supplie de m'en tirer, et de me donner occasion de vous tesmoigner ce que je suis, Monsieur, votre très humble et très affectionnée servante, «MARIE DE ROHAN.» [412] Manuscrits de Colbert, fol. II. Manque dans le _Suppl. franç._ [413] Il paraît y avoir ici une petite lacune; supplées: _je vous prie d'excuser_, ou quelque chose de semblable. 8 JANVIER 1639. LE CARDINAL A MME DE CHEVREUSE[414]. «Les continuelles instances que M. de Chevreuse fait pour vous garantir de votre perte, joint à l'affection que j'ai toujours eue pour ce qui vous touche, m'ont porté à obtenir du roy un passeport pour M. l'abbé du Dorat et le sieur de Boispille qui vous vont trouver en intention de vous servir et de vous faire plus penser à vous que vous n'avez jamais fait. Si vous en avez autant de dessein qu'ils en assurent, et que vous vouliez par une bonne conduite me donner lieu de respondre au Roy de la suite de vos actions, je m'y engagerai de très bon cœur, me promettant que vous ne voudriez tromper de nouveau une personne qui veut estre, etc.» [414] Manuscrits de Colbert, fol. 13. Manque dans le _Suppl. franç._ Le cardinal remit à Boispille l'abolition ci-jointe, mais sous cette réserve que nous trouvons aux Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. LXXXXI, fol. 38: «Je, François Eveillard, sieur de Boispille, reconnois avoir reçu l'abolition générale qui m'a été donnée pour Mme la duchesse de Chevreuse, sur l'assurance que j'ai donnée de ne la délivrer point qu'elle n'ait premièrement reconnu par écrit ce dont elle prétend être absoute par ladite abolition, et particulièrement ce qu'elle a négocié avec le duc Charles de Lorraine pendant son séjour à Tours et autres lieux hors de la cour, pour le faire demeurer dans le service du roi d'Espagne. Fait en mon seing et 9e jour de février mil six cent trente-neuf, «EVEILLARD DE BOISPILLE.» «Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut. Nous n'avons point de plus grand déplaisir que quand nous nous voyons obligé par la nécessité du bien et repos de notre État de laisser aller le cours de la justice à quelque exemple de sévérité pour maintenir nos sujets dans le devoir et les plus qualifiés dans l'obéissance, la fidélité et le respect qu'ils nous doivent, et au contraire ce nous est un grand contentement lorsque par la reconnoissance de leurs fautes ils nous donnent sujet de les oublier. Notre cousine la duchesse de Chevreuse a autant de connoisssance que personne du monde de notre inclination plutôt à la clémence qu'à la rigueur, dont voulant lui départir présentement un effet particulier sur le sujet de sa dernière sortie hors du royaume contre l'ordre et le commandement exprès qu'elle avoit de nous de demeurer en notre ville de Tours, de sa retraite et séjour en pays ennemi, des intelligences qu'elle a eues avec le duc Charles, et autres fautes qu'elle auroit pu commettre contre la fidélité et le service qu'elle nous doit; sçavoir faisons que nous avons favorablement reçu sa très-humble supplication sur le sujet desdites fautes, et par ces présentes, signées de notre main, nous avons remis, quitté, pardonné et aboli, remettons, quittons, pardonnons et abolissons à notre dite cousine, la duchesse de Chevreuse, la faute qu'elle a commise s'en allant de notre ville de Tours contre l'exprès commandement que nous lui avions donné d'y demeurer, ensemble sortant de notre royaume sans notre congé et se retirant au pays de nos ennemis déclarés, comme aussi ce qu'elle a négocié avec ledit duc Charles de Lorraine contre notre service, et généralement toutes autres fautes qu'elle auroit commises contre nos intentions, service et fidélité qu'elle nous doit, demeurant content et satisfait de la confession qu'elle nous a particulièrement fait faire. Voulons et nous plaît que pour raison desdites fautes elle ne puisse dorénavant être recherchée en quelque façon que ce soit, imposant pour ce regard silence perpétuel à nos procureurs généraux et leurs substituts présents et avenir, et l'avons restituée et restituons au même état qu'elle étoit auparavant celui-ci. Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillés séants en notre cour du parlement à Paris, que de notre présente grâce et abolition ils fassent, souffrent et laissent jouir notre dite cousine, la duchesse de Chevreuse, pleinement et paisiblement, et qu'ils aient à l'entériner sans que notre dite cousine soit tenue de se représenter devant eux, dont, de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, nous l'avons dispensée et dispensons; car tel est notre plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre sceau à ces présentes. Donné à Saint-Germain-en-Laye, le 10 février l'an de grâce mil six cent trente-neuf et de notre règne le vingt-neuvième, «LOUIS, BOUTHILLIER.» LONDRES, 23 FÉVRIER 1639. Mme DE CHEVREUSE A M. LE CARDINAL[415]. «Monsieur, jamais je n'avois cru mon malheur si grand que je fais à cette heure, puisque la bonne volonté que vous me faites l'honneur de me témoigner ne le peut pas surmonter, et ne m'y fait trouver autre soulagement que la liberté qu'elle me donne de lui représenter les raisons pourquoi elle ne m'en tire pas. Je commencerai, Monsieur, par l'obligation que vous m'avez fait la grâce d'obtenir du Roy, en laquelle il est spécifié une négociation avec Monsieur de Lorraine contre le service du Roy, laquelle vous sçavez que je vous ai toujours protesté n'avoir jamais faite. Que si j'avois été capable de cette faute, je croirois en commettre une seconde de ne le vous pas avouer, ayant tant de connoissance de votre générosité que non-seulement j'eusse espéré que vous en eussiez obtenu le pardon de Sa Majesté, mais encore par votre bonté accoutumée vous l'auriez voulu étouffer, en causant l'abolition qu'il eût plu au Roy me donner que sur ma sortie de France qu'il me pardonnoit, et toutes autres fautes que j'aurois pu commettre, sans particulariser cet article touchant Monsieur de Lorraine, lequel n'estant point je n'ai pu vous confesser. Ainsi, Monsieur, je vous avoue que je suis doublement étonnée de le voir dans l'abolition que Boispille m'a montrée, et d'entendre à quelle condition il s'estoit engagé de me la donner. J'arriverai à la seconde chose qu'il m'a dite de votre part touchant mon retour à Dampierre sans sçavoir ni le temps que j'y demeurerai ni la liberté que j'y aurai, ientes (_sic_) si le roy voudra m'éloigner davantage un peu après, ou s'il lui plaira que j'y demeure sans avoir la liberté d'aller ailleurs. Sur ce sujet, je vous supplie très-humblement de croire que si vous me jugez méprisable jusqu'au point de m'obliger à la demeure d'un lieu, ou à estre reléguée à soixante lieues de mes plus proches et des moyens de donner ordre à mes affaires, il n'y a ville dans l'Europe où je me trouve mieux qu'à Angers, ni maison où je demeure plutôt qu'au Verger. C'est pourquoi, Monsieur, je vous demande cette grâce de considérer l'état où me laissent toutes les assurances d'amitié que vous me donnez, et de trouver bon que V. E. m'en procure une entière par une abolition qui ne me noircisse pas éternellement de ce que je n'ai pas fait, et ma demeure certaine chez moi avec la liberté d'aller par tout le royaume comme toutes les autres de ma condition, hors où seront Leurs Majestés, puisque mon malheur est tel que le Roy ne l'a pas agréable; afin qu'au moins estant privée, en lui obéissant, du plus grand bien de ma vie par l'absence de la Reyne, j'aie cette consolation de me voir sans honte avec mes plus proches, et les moyens de donner ordre à mes affaires. Alors, Monsieur, j'aurai une résolution fort constante d'attendre avec patience les effets que je me veux toujours promettre de votre protection, que je ne prétendrai que lorsque vous m'en croirez digne. C'est une ambition si juste que j'ose croire que vous ne la désapprouverez pas, et si quelques obstacles s'opposent à me faire obtenir ce bien, vous me plaindrez de n'y pouvoir atteindre, et ne me blâmerez pas de l'avoir demandé, vous assurant qu'en quelque état que je sois je conserverai toujours si parfaitement le souvenir des faveurs que j'ai reçues de vous, et le désir de les reconnoistre par mes services, que vous me croirez peut estre un jour digne des grâces dont vous ne m'avez pas crue jusques ici capable, et me trouverez en tout temps et en tout lieu ce que je dois, qui est, Monsieur, votre, etc., M. DE ROHAN.» [415] Manuscrits de Colbert, fol. 14. Manque dans le _Suppl. franç._ 17 MARS 1639. LE CARDINAL DE RICHELIEU A L'ABBÉ DU DORAT[416]. «Monsieur, la dernière lettre que j'ai reçue de madame de Chevreuse estant plutôt un reproche de ce que je ne la sers pas selon son gré qu'une aprobation de ce que j'ai pu faire pour son contentement, au même temps que la civilité qui est due aux dames m'empesche de lui faire réponse de peur de lui déplaire, son intérêt me met la plume en main pour vous faire savoir ce que j'estime qui lui doit estre représenté pour son avantage. [416] Man. de Colbert, fol. 18. L'original, de la main de Chéré, est au _Suppl. fr._ «Elle trouve étrange qu'on la veuille obliger à quelque reconnoissance de ce qu'elle a négocié avec certains étrangers. Sa sureté requiert qu'on en use ainsi. On a point encore vu de malade qui ait voulu et pu estre guéri d'un mal dont il ne veut pas qu'on croie seulement qu'il soit malade. Comme la connoissance des maux est nécessaire aux médecins, leur discrétion est telle qu'ils savent bien la cacher aux autres. Vous sçavez mieux que personne qu'en ce qui touche madame de Chevreuse, j'ai gardé le secret et de confesseur et de médecin en diverses choses qui lui sont assez importantes, et dont j'ai la preuve entre les mains. J'ose vous dire même que depuis l'affaire de monsieur de Chasteauneuf il m'en est tombé quelque autre aussi entre les mains, dont je ne vous ai jamais dit le détail, bien que je vous aie parlé en gros de quelque nouveau chiffre découvert. Je n'ai, graces à Dieu, pas moins de discrétion que j'ai eu par le passé, et j'aurai certainement autant de soin à l'avenir comme j'ai eu ci-devant en ce qui importera à madame de Chevreuse. Quelque passion qu'elle puisse avoir en ce qui la touche, elle est trop raisonnable pour vouloir que je choque les sentiments du Roy, et ne trouver pas bon qu'en la servant je serve l'Estat, mesme en ce qui ne lui peut porter préjudice. Cependant pour lui complaire j'ai obtenu du Roy une abolition pure et simple comme elle l'a désiré, laquelle monsieur de Chavigny vous envoie. «Elle témoigne encore un grand étonnement de ce qu'on ne lui permet pas d'aller et de demeurer en tout lieu que bon lui semblera en France lorsque le Roy et la Reyne n'y seront pas actuellement. Auparavant qu'elle fit la promenade qu'elle a faite depuis un an, Tours estoit sa demeure. Si depuis ce temps elle a fait quelque chose qui mérite une meilleure condition, j'ai grand tort de ne travailler pas à la lui faire obtenir; mais si ses actions n'ont pas esté de cette nature, il me semble qu'elle n'a pas raison de vouloir que, contre toute règle d'une bonne politique, on augmente les graces à proportion de l'augmentation des fautes. «Le temps et sa bonne conduite peuvent lui donner tout le contentement qu'elle désire, mais mon pouvoir n'est pas assez grand pour l'opposer à celui de la raison, ni ma volonté assez déréglée pour vouloir des choses aussi préjudiciables à l'Estat qu'inutiles à son service, bien qu'elles lui fussent agréables. Vous l'assurerez, s'il vous plaît, que j'aurai toujours une très-sincère affection à ce qui lui sera avantageux, et la conjurerai de trouver bon que tandis qu'elle sera en l'humeur où elle est, on mesure plutôt ce qui lui sera utile par le jugement de ceux qui sont ses amis et ses serviteurs, entre lesquels vous n'estes pas des moindres, que par elle-même, à l'esprit de laquelle je déférerai toujours très volontiers, lorsqu'il ne sera point prévenu de passion à son préjudice. Il ne me reste qu'à vous assurer que je suis, Monsieur, votre très-affectionné, etc.» ADDITION DE LA MAIN DU CARDINAL. L'ORIGINAL AU SUPPLÉMENT FRANÇAIS. «Madame, ces trois mots ne sont que pour vous dire qu'une lettre que j'escris à Monsieur Du Dorat servira de réponse à celle que j'ai reçue de vous, me contentant seulement de vous faire connoistre par ces lignes que je suis, etc. Si la demeure du Verger et d'Angers n'est pas agréable à madame de Chevreuse, on en pourra trouver quelque autre qui lui plaira davantage; mais il est impossible d'obtenir qu'elle demeure présentement à Dampierre plus de huit ou dix jours.» LONDRES, 28 MARS 1639. Mme DE CHEVREUSE A M. LE CARDINAL[417]. «Monsieur, j'ai vu en la réponse qu'il vous a plu me faire par la lettre à monsieur Du Dorat, combien je vous suis obligée, et combien je suis malheureuse, vous trouvant avec tant de bonté pour moi et demeurant avec tant de mauvaise fortune. Je prie Dieu que mes services vous puissent un jour faire paroistre que je ne suis pas tout à fait indigne des grâces que j'ai reçues de vous, mais seulement du malheur où je suis duquel j'espérois que vos bontés me feroient voir la fin, alors que mon malheur m'en fait rencontrer la continuation, par celle de mon éloignement des lieux qui me pouvoient tirer des incommodités qu'il m'a fait souffrir, auxquelles je vous confesse, Monsieur, qu'il m'est impossible de me résoudre. Je me promets qu'il ne le vous sera pas toujours d'obtenir du Roy un repos pour moi si juste que celui que je vous ai demandé, ainsi que messieurs Du Dorat et Boispille vous le feront encore particulièrement entendre. C'est pourquoi, m'en remettant absolument à eux, je vous supplie seulement de les vouloir entendre et croire que jamais je ne serai autre que, Monsieur, votre, etc., M. DE ROHAN. Londres, ce 28 mars.» [417] Man. de Colbert, fol. 20. L'original est au _Suppl. franç._ NOUVELLE ABOLITION DE Mme DE CHEVREUSE[418]. «Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, à tous présents et à venir, Salut: Nous n'avons point de plus grand desplaisir, que quand nous nous voyons obligé par la nécessité du bien et repos de notre Estat, de laisser aller le cours de la justice à quelque exemple de sévérité pour maintenir nos sujets dans le devoir, et les plus qualifiés dans l'obéissance qu'ils nous doivent. Et au contraire ce nous est un grand contentement lorsque par la reconnoissance de leurs fautes ils nous donnent sujet de les oublier. Notre cousine la duchesse de Chevreuse a autant de connoissance que personne du monde de notre inclination plutôt à la clémence qu'à la rigueur; dont voulant présentement lui départir un effet particulier sur le sujet de sa dernière sortie hors du royaume, contre l'ordre et le commandement exprès qu'elle avoit de nous de demeurer en notre ville de Tours, et sa retraite et séjour en pays ennemi, et autres fautes qu'elle auroit pu commettre en conséquence contre la fidélité et service qu'elle nous doit; sçavoir faisons que nous avons favorablement reçu sa très-humble supplication, sur le sujet desdites fautes, et par ces présentes, signées de notre main, nous avons remis, quitté, pardonné et aboli, remettons, quittons, pardonnons et abolissons à notre cousine, la duchesse de Chevreuse, la faute qu'elle a commise s'en allant de notre ville de Tours contre l'exprès commandement que nous lui avions fait d'y demeurer, ensemble sortant de notre royaume sans notre congé et se retirant au pays de nos ennemis déclarés, et généralement tous autres crimes et fautes qu'elle auroit commis en conséquence contre nos intentions, service et fidélité qu'elle nous doit. Voulons et nous plaît que pour raison desdites fautes ne puisse dorénavant estre recherchée en quelque façon que ce puisse estre, imposant pour ce regard silence perpétuel à nos procureurs généraux et à leurs substituts présens et à venir, et l'avons restituée et restituons au mesme état qu'elle estoit auparavant icelles; si donnons en mandement à nos amez et féaux conseillers, les gens tenant notre cour de Parlement à Paris, que de notre présente grâce et abolition ils fassent, souffrent et laissent jouir notre dite cousine la duchesse de Chevreuse pleinement et paisiblement, et qu'ils aient à l'entériner sans que notre dite cousine soit tenue de se représenter devant eux, dont nous l'avons dispensée et dispensons de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale; car tel est notre plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel aux susdites propositions, etc. Donné à Saint-Germain-en-Laye, au mois de mars, l'an de grace 1630 et de notre règne le vingt-neuvième. Signé LOUIS, par le Roy.--Bouthillier. Et scellé en placart de cire verte: Copie collationnée par moi, Boispille.» [418] Man. de Colbert, fol. 41. L'original de la main de Boispille est au _Suppl. franç._ C'est la seconde abolition modifiée selon le désir de Mme de Chevreuse et où il n'est plus question du duc de Lorraine. LONDRES, 21 AVRIL 1630. BOISPILLE A L'ABBÉ DU DORAT[419]. «Monsieur, j'arrivai ici mardi devant l'ordinaire bien las et fatigué, où j'ai rendu Madame très-contente et satisfaite des graces et bontés de Son Éminence, qui ne parle plus que de son retour, et aussi très satisfaite de vos soins et peines. Il faut pourtant tout dire: ayant voulu m'entretenir, avant de lire ses lettres, croyant que j'en sçavois la teneur, je la trouvai fort émue, même estonnée et en des appréhensions; mais après qu'elle eut lu la lettre de Son Éminence, surtout les trois lignes de sa main, ce fut un changement et une satisfaction si entière que je ne vous le sçaurois représenter. Je crois que ces trois lignes ont plus de force que toutes les abolitions en cire verte qu'elle a reçues; et en effet entre vous et moi elle en avoit grand besoin, et vous fîtes un grand coup quand vous suppliâtes son Éminence de prendre cette peine, car j'en eusse bien eu à l'assurer, après les appréhensions qu'on lui donne de Paris et _novissime_ depuis cinq ou six jours. Elle avoit encore la lettre en sa poche qu'elle m'a fait l'honneur de me montrer, c'est-à-dire me donner part de la lecture, sans avoir voulu que j'aie sçu qui (la lettre anonyme qui précédoit celle du duc de Lorraine). En substance on lui mandoit qu'elle ne prenne aucune créance et qu'il n'y a pour elle aucune sureté. Je crois pourtant sçavoir à peu près qui c'est. Enfin, Monsieur, il faut partir et s'en aller, c'est à ceste heure que l'on en parle tout de bon, et pour cet effet il faut payer où elle doit, car de prendre de l'argent de ceux qui lui en ont offert, il y a fort longtemps qu'elle n'en a voulu prendre, ni aussi refusé sur l'incertitude de son affaire; elle ne le fera pas; c'est sur ce sujet que nous vous ferons une dépêche dans un jour ou deux; car de quitter et retourner pour cela, je ne le crois pas à propos, et crois que son Éminence ne le trouveroit pas bon; toujours elle ne pourroit partir qu'après la Quasimodo, et si la Reyne la veut retenir tant qu'elle pourra. Je remets donc le reste de cette affaire à la dépêche que je vous ferai par ordre et commandement de ma dite dame, pour vous dire que M. de Lorraine est arrivé dès le 17e à Bruxelles. Madame n'en a aucunes nouvelles, ni n'en a eu aucune depuis celles qu'elle vous dit en avoir reçues. Londres, 21 avril 1639.» [419] Man. de Colbert, fol. 22. Dans le _Suppl. franç._ une simple copie. RECONNAISSANCE DE DU DORAT ET BOISPILLE COMME M. LE CARDINAL DE RICHELIEU LEUR A REMIS ES MAINS 18000 FR. POUR LES DETTES DE MME DE CHEVREUSE EN ANGLETERRE[420]. «Nous soussignez reconnoissons que monseigneur le cardinal duc de Richelieu ayant sçu par nous le désir qu'a Mme de Chevreuse de revenir en France pour amender le passé par l'avenir, en découvrant tout ce qu'elle sçaura qui puisse servir au bien des affaires de Sa Majesté, ce qu'elle ne peut faire si elle n'est secourue dans la nécessité et incommodité où elle se trouve; son Éminence nous a mis entre les mains la somme de dix-huit mille livres pour donner moyen à la dite dame de s'en revenir et accomplir les bonnes intentions qu'elle a pour le service du Roy; laquelle somme de dix-huit mille livres nous promettons à son Éminence d'employer aux fins que dessus. Fait à Ruel ce 19 mai 1639. DU DORAT, BOISPILLE.» [420] Man. de Colbert, fol., 25. L'original, signé de Du Dorat et de Boispille, est au _Suppl. franç._ 5 JUIN 1639, BOISPILLE A MONSEIGNEUR LE CARDINAL[421]. «Monseigneur, je puis avec vérité assurer votre Éminence qu'estant ici de retour il y a aujourd'hui huit jours, j'y ai trouvé Mme de Chevreuse m'y attendant avec de grandes impatiences pour donner ordre à ses affaires, et y régler le jour de son départ. A l'heure même que je fus arrivé, elle le fut dire à la Reyne de la Grande-Bretagne pour demander congé; laquelle, pour conclusion, lui dit qu'elle n'auroit point de vaisseau de quinze jours. Il fallut promettre ces quinze jours, et son partement fut arrêté au 13 de ce mois pour aller à Douvres s'embarquer, avec résolution même que nous avons prise ensemble, que s'il n'y avoit un vaisseau du Roy de la Grande-Bretagne, d'en prendre un marchand. Le lendemain Madame fit sa dépêche au Roy de la Grande-Bretagne, pour ses remerciements et son adieu; laquelle dépêche j'ai vue et estoit bien faite. Enfin, Monseigneur, tout est ainsi arrêté. (Elle) a écrit à monseigneur son mari lui envoyer carrosse et chevaux à Dieppe, et à M. Du Dorat l'y venir trouver. Nous sommes donc en cet état, et moi j'ai trouvé que de vérité elle doit plus que je ne croyois, ayant vécu toute cette année d'emprunt, n'ayant voulu prendre l'argent qu'on lui a offert pour s'acquitter, et a donné des pierreries en gage et nantissement. Elle vivoit contente en cette résolution jusques à hier au soir, qu'elle reçut la lettre de laquelle j'envoie copie à votre Éminence, la dite lettre écrite et signée de la main de celui qui l'écrit (la lettre du duc de Lorraine). Tout aussitôt elle me fit chercher pour me la communiquer, et je la trouvai dans des peines extrêmes et des appréhensions non imaginables. Je lui ai dit toutes les raisons que je sçais et qu'elle même connoist parfaitement pour lui ôter ces inquiétudes. Ce faisant elle m'a dit que je lui faisois plaisir, et qu'elle même croyoit plutôt le bien que le mal. Toutefois, Monseigneur, ce pauvre esprit travaille tant que cela est pitoyable. A même temps que nous eûmes lu cette lettre ensemble, il arriva compagnie, entr'autres M. Digby qui fut cause qu'elle me laissa la lettre quelque temps entre les mains, laquelle secretement je copiai promptement, et ai cru vous devoir faire promptement cette dépêche secrète et sans son sçu par cet homme exprès. Votre Éminence verra, comme celui qui écrit promet que le sieur de Ville la doit, ce semble, voir; c'est pourquoi elle a quelque opinion qu'il sera ici dans quatre ou cinq jours; qui fait que je n'ai pas voulu quitter, ni faire semblant d'avoir aucune alarme; car sans cela je fusse allé moi-même. Votre Éminence aura, s'il lui plaist, pitié de cet esprit à qui on donne tant de peines, lequel elle peut guérir et consoler si par charité et bonté elle avoit agréable de lui faire un mot de sa main, ou à moi me mander et commander ce qu'il lui plaira pour l'ôter de ces peines et inquiétudes, pour partir avec contentement: car quoiqu'elle soit entièrement résolue et assez courageusement pour son retour en France, nonobstant tous les autres écrits et avis, il lui est impossible de ne faire de grandes réflexions sur celui-ci si positif, ainsi que votre Éminence le verra. Si ce porteur est promptement dépêché, il sera ici bientôt de retour, et au temps qu'elle croit que le sieur de Ville y sera. Je détournerai plus facilement ces méchants et pernicieux conseils et avis, et votre Éminence fera une œuvre grandement charitable et officieux, et (elle) lui sera de plus en plus obligée. [421] Man. de Colbert, fol. 28. L'original au _Suppl. franç._ «Pour les nouvelles d'ici, le Roy de la Grande-Bretagne est à présent à Neufchastel (Newcastre) avec 20,000 hommes de pied et 3,000 chevaux et 10,000 volontaires qui se doivent rendre bientôt auprès de lui. C'est ce que j'entendis dire hier au soir à la Reyne à la promenade dans le parc de Saint-James, faisant ce rapport sur des lettres qu'elle venoit de recevoir. Elle dit aussi qu'elle prenoit bon augure, parce que quelqu'un s'étoit avancé vers les Écossois avec dix hommes de cheval, et en avoit fait fuir et battre trente, dont un fut tué; dit que M. le comte de Holland estoit entré jusques à dix mille en Écosse, lui cinq ou six, et où il n'y avoit point de gens de guerre, et avoit trouvé force peuple à qui il avoit demandé s'ils vouloient estre rebelles à leur Roy, qui dirent que non, lui disant qu'ils avoient ouï dire qu'il y avoit une déclaration du Roy qui leur avoit esté envoyée, qui leur estoit favorable, mais qu'ils ne l'avoient point vue et que leurs généraux et principaux ne la leur faisoient voir, qui fit que le dit sieur de Holland, qui en avoit des copies, leur en donna. Ainsi je vis hier au soir qu'ils estoient en bonne espérance et plus contents que de coutume. L'on avoit dit ici que le général Leslie étoit tombé de cheval et fort blessé, mais j'ai appris qu'il se porte fort bien. L'on désire fort l'accommodement avec les Écossois. «Au nom de Dieu, Monseigneur, que votre Éminence fasse quelque chose pour assurer encore ce pauvre esprit qui est en grandes peines; car elle est résolue à s'en aller; et lui est impossible que dans cette résolution ces lettres et écrits ne l'inquiètent au dernier point. Cela estant, je ne fais aucun doute qu'elle ne parte le même jour qu'elle a résolu. Il se trouve encore des gens assez qui nourrissent ce mal. Tout cela est pour étonner un plus fort esprit que le sien, à quoi votre Éminence peut facilement remédier par sa bonté et charité, laquelle je supplie très humblement me faire l'honneur de me croire. Monseigneur, votre, etc. BOISPILLE.--Londres, ce 5 juin 1639.» 8 JUIN 1639. BILLET DU CARDINAL DE RICHELIEU A BOISPILLE[422]. «Monsieur Du Dorat m'ayant fait sçavoir qu'il craint qu'on n'inquiète mal à propos l'esprit de Mme de Chevreuse en lui donnant des appréhensions qui n'ont point de fondement, ce billet est pour assurer le sieur de Boispille que Mme de Chevreuse n'a rien à craindre en France, et qu'elle y aura toute sûreté, et si quelqu'un lui veut persuader le contraire, il la trompe méchamment. Ledit sieur de Boispille peut faire voir ce billet à Mme de Chevreuse; à quoi j'ajoute ces trois mots de ma main, afin qu'elle en connoisse plus tôt la vérité.» [422] Man. de Colbert, fol. 30. Manque dans le _Suppl. franç._ 9 AOUST 1639. BOISPILLE AU CARDINAL DE RICHELIEU[423]. «Monseigneur, j'ai ci-devant donné avis à M. Cheré de l'arrivée de M. de Ville, et à présent je lui envoie une relation plus ample pour faire voir à Votre Éminence, avec le mémoire que Mme de Chevreuse vous envoye écrit et signé de la main dudit sieur de Ville. J'ai cru nécessaire et à propos, quelque temps après que j'eus donné à ma dite dame l'écrit que Votre Éminence me fit l'honneur de m'envoyer d'Abbeville, d'avouer à ma dite dame que Votre Éminence savoit le sujet qui la retenoit, afin de lui faire connoistre cette augmentation d'obligation qu'elle vous avoit; et la voyant aussi en peine de sçavoir comment Votre Éminence avoit pris ce soin de m'envoyer cet écrit, joint les inquiétudes où elle estoit de la longueur du dit sieur de Ville, crainte que cela ne vous déplût, je le fis encore pour lui faire voir par cet exemple comme Votre Éminence continuoit à lui vouloir autant de bien comme je l'en ai toujours assuré. Nous avons fort contesté ledit sieur de Ville et moi en la présence de ma dite dame, jusques à me moquer d'alléguer les morts, et que quand cela seroit l'on y avoit remédié. J'avoue que ledit sieur de Ville m'a toujours parlé avec tous les respects et devoirs, que je pouvois désirer de lui, de Votre Éminence; mais il m'a dit qu'estant serviteur très humble de ma dite dame, et croyant que partie des peines qu'elle avoit souffertes estoient à cause de la créance que l'on avoit qu'elle penchoit du côté de son maître, il estoit obligé de lui dire ce qu'il sçavoit. Je lui dis que ce n'estoit pas grand'chose, et qu'il venoit un peu tard. Après tout cela, Monseigneur, il me prit à part, dans une chambre du logis de ma dite dame, ne l'ayant vu ailleurs, et m'entretint des discours que Votre Éminence trouvera dans l'écrit enfermé en cette lettre; il me le dit, comme j'ai jugé, sur la créance qu'il avoit que je serois le porteur de cette dépêche, et me témoigna qu'il l'eût fort désiré, ne doutant point, puisque ma dite dame a désiré qu'il lui ait écrit et donné sous son seing son avis, qu'elle n'envoyast vous trouver. Mais, Monseigneur, je n'ai pas cru à propos de laisser ma dite dame, joint aussi que, quoique très-innocent, j'ai appréhendé de me trouver devant Votre Éminence après avoir rapporté fidellement à ma dite dame les obligations qu'elle lui a et les peines que je lui ai vu prendre pour elle, et néanmoins n'avoir pas effectué ce que je vous ai promis de sa part, et la voir encore arrêtée à ce qu'elle fait en continuant à vous donner les peines qu'elle fait, que je n'ai pu souffrir sans m'emporter. Elle l'a souffert, et m'a dit qu'elle est très assurée que Votre Éminence ne le trouvera mauvais, vous l'écrivant, et n'aura désagréables les supplications très-humbles qu'elle lui fait. Il est vrai, Monseigneur, qu'ils la mettent quelques fois en telles allarmes, ces bons conseillers, et son esprit en telles peurs et inquiétudes qu'elle me dit, lorsque je lui donnai des exemples de la vérité du contraire, que je lui fais grand plaisir, et que véritablement elle vous connoist mieux qu'eux tous, que Votre Éminence est très-généreuse et bonne, et qu'elle est assurée qu'elle ne lui manquera jamais. Au surplus, Monseigneur, pour n'importuner Votre Éminence, je supplie M. Cheré l'en entretenir, pour l'absence de M. de Chavigny, suivant les mémoires que je lui adresse. Je suis donc resté ici, Monseigneur, à attendre le retour de ce porteur, espérant que le proverbe sera, Dieu aidant, véritable, que la patience amène tout à bien, et que Votre Éminence me fera l'honneur de me croire, Monseigneur, son très humble, etc. BOISPILLE.--A Londres, ce 9 aoust 1639.» [423] Man. de Colbert, fol. 36. L'original au _Suppl. franç._ MÉMOIRE DE BOISPILLE AU CARDINAL DE RICHELIEU, TOUCHANT LA SURETÉ QUE DEMANDE Mme DE CHEVREUSE, AVEC LA RELATION DE L'ENTREVUE DE LADITE DAME AVEC LE SIEUR DE VILLE[424]. «Madame la duchesse de Chevreuse a vu M. de Ville qui arriva à Londres le troisième jour d'aoust, et en repartit le dimanche septième dudit mois, de grand matin, allant prendre un vaisseau anglois aux Dunes. Son dessein estoit de voir le Roy de la Grande-Bretagne de la part de son maître, et l'aller trouver où il estoit vers l'Ecosse, sans Mme de Chevreuse qui l'en a empêché, n'ayant voulu absolument qu'il se soit servi de son nom pour venir voir le Roy. Il a vu seulement une fois la Reyne, présenté par monsieur le comte Dorcé (d'Orsay), à cause que ma dite dame estoit malade, et la Reyne sortant de son cabinet dans sa drinchambre pour aller en une autre où un peintre l'attendoit; il ne fut pas longtemps avec elle, et y avoit force monde; salua et prit congé en même temps. [424] Man. de Colbert, fol. 38. Manque dans le _Suppl. franç._ «Son Éminence verra par le mémoire écrit et signé de la main dudit sieur de Ville, ce qu'il a dit à ladite dame, qui supplie son Éminence l'assurer par lettres que le contenu audit mémoire n'est point, ou quoi que ce soit, qu'elle est contente et satisfaite d'elle jusques à présent au moyen des protestations qu'elle lui fait de n'avoir à l'avenir autre soin que de ses intérêts, et si bien vivre avec elle qu'elle lui donnera tout sujet de contentement, et qu'estant de cette façon assurée il n'y a obstacle qu'elle ne surmonte; ou s'il ne lui veut faire cet honneur et lui écrire de la sorte, de l'en assurer par personnes de sa part avec lettres et créances. «Lange, à qui je n'avois jamais parlé, m'a dit au logis de monseigneur de Chavigny, m'y voyant pour les affaires de ma dite dame, qu'il avoit conduit M. de Ville et qu'il lui avoit dit qu'en partant on lui avoit dit et assuré que Mme de Chevreuse seroit plustôt en France que lui de retour. Il me fit force autres discours qui ne tendoient, non plus que celui-ci, à ce que dit M. de Ville, mais au contraire. «Enfin, ma dite dame demande à Monseigneur, que puisque l'honneur de ses bonnes graces est le seul fondement de son retour, qu'il plaise à son Éminence de lui vouloir écrire comme elle lui a autres fois fait l'honneur de le faire dans les soins qu'il prenoit de ses intérêts, se persuadant qu'elle le peut espérer, se souvenant du temps passé et des biens et honneurs qu'elle a reçus de Son Éminence, afin qu'elle puisse entrer en France avec repos. «Au fond, ce qui la presse continuellement et lui revient en l'esprit à toutes heures, c'est l'affaire de M. de Lorraine, quoique je l'aie assurée que l'on n'en parlera plus, ainsi qu'elle lui fut proposée à Tours par MM. d'Auxerre et Du Dorat, et dont son Éminence a continué à l'excuser jusques à sa dernière dénégation, la bonté de son Éminence lui accordant sa maison de Dampierre, et que l'on ne parlerait plus de l'affaire de M. de Lorraine. Elle craint donc qu'estant de retour l'on ne lui en parle encore, non par accusation mais par conférence, ou que ses malheurs ordinaires lui suggèrent qu'on lui fasse quelques autres demandes où elle ne pourra satisfaire, et ainsi qu'elle soit privée de l'honneur des bonnes graces de son Éminence. «Par ainsi elle le supplie très humblement, qu'attendu la confession qu'elle fit à messieurs d'Auxerre et Du Dorat des autres articles dont elle fut questionnée, il plaise à son Éminence que vu cette confession volontaire des unes et dénégation de l'autre qu'elle en a fait, il lui mande qu'il croit que l'avis qu'il en avoit eu n'est pas véritable, et ainsi que c'est une affaire morte et qu'il n'y pense plus. «Il est vrai, et ma dite dame me l'a avoué, que ledit sieur de Ville, de la part de son maître, a fait tout son pouvoir pour lui faire rompre son traité, et pour qu'elle ne s'en retourne, l'assurant que M. de Lorraine la viendroit voir cet hiver en ce pays; mais, Dieu aidant, son Éminence y remédiera. Je sçais aussi que c'est ce qu'il n'a pu obtenir et qu'il lui en a fait reproche par une lettre qu'il lui écrit en s'embarquant. «Elle m'a juré et protesté encore hier au soir, lui parlant des défiances que j'ai d'elle, qu'elle n'a autre désir que son retour, mais toujours qu'elle le veut et désire avec une entière assurance de l'honneur des bonnes graces de son Éminence, soit par lettre positive, ou une de créance par un homme de sa part. «Elle se persuade et croit si fort estre bien auprès de son Éminence, qu'elle croit qu'elle ne lui doit rien refuser de ce qui est dépendant de son bien, contentement et repos, puisqu'ainsi est qu'il lui pardonne tout le passé, disant qu'il lui a souvent promis d'effectuer tellement son bien jusqu'à en vouloir prendre un soin particulier. «Elle m'a encore commandé de faire entendre à son Éminence que si elle lui parle d'une dernière abolition, ce n'est pas qu'elle craigne le passé ni le présent, mais l'avenir; parce que son abolition, dont j'envoie copie, porte positivement qu'elle est quitte généralement de tout ce qu'elle a fait depuis sa sortie de France et en conséquence d'icelle. Elle désireroit, lorsqu'il plaira à Monseigneur, en avoir une générale aussi qui parle de toutes fautes qu'elle auroit faites tant devant sa dite sortie que depuis, soit en la forme et façon du mémoire que j'envoie ou autre façon que son Éminence jugera pour son mieux, s'y rapportant absolument. Mais si cette grande généralité de devant heurte en quelque façon son Éminence, j'ai pensé à ajouter en ce mémoire qu'elle eut agréable qu'elle fut au moins depuis son absence dernière de la cour, et depuis sa sortie de Tours. Elle dit qu'elle a un malheur qu'elle ne date jamais ses lettres, si bien que si elle avoit fait quelque chose et que ses ennemis et malheurs lui fussent encore contraires, ses lettres seroient prises pour estre du temps que l'on voudroit. Ce n'est pas pour le présent qu'elle craint cette supercherie, mais pour l'avenir. Elle dit que son Éminence lui a dit autres fois qu'elle vouloit en lui faisant plaisir la mettre entièrement à couvert, et qu'il n'y eut rien à redire. Elle proteste et promet que, cet homme de retour avec l'effet des supplications qu'elle fait à son Éminence, elle partira aussitôt. «Il semble qu'elle s'est portée plus facilement à ce long séjour ici depuis la résolution qu'elle avoit prise d'en partir le 14 juin dernier, à cause de l'absence de son Éminence de Paris; mais elle désire à présent passionnément pouvoir arriver à Dampierre quelques jours avant l'arrivée et retour de son Éminence.--A Londres, ce 9 aoust 1639.» 30 AOUST. LE CARDINAL DE RICHELIEU A Mme DE CHEVREUSE[425]. «Madame, le Roy a trouvé fort étrange qu'ayant reçu votre abolition il y a plus de trois mois telle qu'on la désiroit pour vous en ce temps et dont il vous a plu me remercier vous-même, vous ayez fait difficulté de vous en servir comme vous disiez le vouloir faire. Je vous avoue que je n'ai sçu jusques à présent attribuer le délai que vous avez pris à autre chose qu'à un dessein formé de ne revenir pas en France. L'esprit que Dieu vous a donné m'a empêché de croire que les faux avis que l'on vous a pu donner, aient esté capables de produire cet effet si préjudiciable à votre propre bien, vous croyant trop judicieuse pour ne connoistre pas que sa Majesté ne voudroit pour rien du monde vous donner une abolition pour une chose dont elle voulût par après vous rechercher en France. N'estant pas à Paris, elle n'a pu vous en envoyer une nouvelle, et quand elle y auroit esté, elle n'auroit pas jugé à propos de le faire, vu que celle que vous avez, qui a déjà été plusieurs fois changée à votre gré, ne peut estre plus grande et plus expresse. «Cependant, parce que le sieur de Ville vous a voulu persuader qu'on vous vouloit rechercher sur le fait de M. de Lorraine, je ne crains point de vous déclarer que l'intention du Roy n'a jamais esté et n'est point telle, et que vous jouirez de votre abolition selon son plein et entier effet, sans qu'il soit plus parlé de négociations faites avec M. de Lorraine. Reste donc à vous, Madame, de faire ce que vous estimerez plus à propos pour votre avantage, que je souhaiterai toujours autant que vous même, comme estant véritablement, etc.» [425] Man. de Colbert, fol. 44 bis. Manque dans le _Suppl. franç._ LONDRES, 16 SEPTEMBRE 1639. Mme DE CHEVREUSE AU CARDINAL[426]. «Monsieur, il est vrai que je vous ai remercié comme je fais encore des obligations que je vous ai des soins que vous avez pris de m'obliger auprès du Roy pour m'en faire obtenir les graces que j'en ai reçues et tiens de vous, lesquelles je vous jure ne vous avoir jamais demandées qu'avec un dessein ferme de m'en servir; mais, Monsieur, les rencontres qui se sont faites du depuis et que j'attribue à mon malheur, m'ont fait faire la dernière dépêche que je vous ai faite, afin de les vous faire sçavoir pour chercher les remèdes que la foiblesse de mon esprit ne pouvoit trouver sans votre aide. A ceci, Monsieur, je vous avoue que vous avez beaucoup remédié par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, dont je n'ai point de remercîments capables pour en exprimer mes ressentiments. Mais, Monsieur, il faut que je vous confesse aussi que les appréhensions où l'on m'a mise ont esté telles que mon esprit n'a pas été capable de les surmonter tout d'un coup en m'en retournant présentement en France, où je vous proteste que je n'ai jamais eu ni n'ai encore autre dessein que de m'y voir dans l'honneur de votre bienveillance. Seulement il faut, s'il vous plaist, que vous pardonniez à ma foiblesse qui a besoin de quelque temps pour remettre mon esprit si étonné par tant de diverses rencontres. C'est ce que je vous supplie de ne point trouver mauvais que je fasse, en vous assurant que je crois mon bien si attaché à mon retour en France que je me hâterai tant que je pourrai pour me délivrer des inquiétudes qui travaillant mon esprit m'empêchent de m'en aller présentement. A quoi, Monsieur, j'avoue que la considération de votre éloignement du lieu ordonné pour ma demeure m'est encore un grand obstacle. J'espère qu'elle ne sera pas longue, et que, votre bonté n'ayant autre vue en cette occasion que celle de mon repos, vous trouverez bon de me donner le temps que je vous demande pour m'y mettre, lequel je rendrai le plus court que je pourrai, puisque je vous assure encore une fois que je ne le sçaurois trouver parfait qu'en vous pouvant assurer de vive voix que je suis, Monsieur, etc., MARIE DE ROHAN.--Londres, ce 16 septembre.» [426] Man. de Colbert, fol. 45. Manque dans le _Suppl. franç._ On nous a communiqué l'original sur lequel nous avons rectifié la copie. PARIS, 12 SEPTEMBRE 1839. DU DORAT AU CARDINAL[427]. «Monseigneur, j'ai jugé qu'il estoit à propos de donner avis à votre Éminence que j'ai de vendredi dernier fait tenir la lettre qu'il lui a plu écrire à madame de Chevreuse, à laquelle j'ai fait aussi une bien longue lettre pleine de raisons qui la doivent porter à ce qui est du devoir d'une dame d'honneur[428]. Mais parce que je crains que dans le sentiment où elle est à présent, elle ne sera peut-estre pas satisfaite ni de mes vérités ni de mes respects, j'en ai retenu copie pour faire voir que mon intention a bien toujours esté de la servir, mais non pas de l'offenser. Mais comme je pensois fermer ma lettre un homme de condition m'est venu dire une nouvelle que votre Éminence ne doit pas ignorer, qui est que le mariage d'Espagne et d'Angleterre est conclu, et par la négociation de madame de Chevreuse. Je l'ai bien pressé de m'en dire davantage, mais il m'a juré n'en sçavoir que le bruit commun. J'ai ajouté cette nouvelle à ma lettre et lui ai mandé qu'elle pouvoit s'assurer que si la chose estoit, quoiqu'elle semblât bien cachée, ou votre Éminence la sçavoit ou la sçauroit dans peu de jours; que c'estoit un péché qui ne se remettoit ni en ce monde ici ni en l'autre, et que qui auroit commis ce crime feroit bien de mourir hors son pays et ne mériteroit pas de la terre pour l'y couvrir, qu'il ne falloit néantmoins jamais désespérer tant que votre Éminence seroit dans cette bonne volonté dont elle a si souvent reconnu les effets. Et quoique cette nouvelle m'ait à l'abord surpris, je ne l'ai pourtant pas jugée impossible, quand j'ai bien songé à la soudaine fuitte de Cousières, et sans sujet ni aucune apparence de crainte. Je ne sçais pas si quelqu'un affectionné à l'Espagne ou à l'Angleterre l'auroit voulu honorer de cette pénible et périlleuse commission, mais il faudroit estre plus fin et moins innocent que moi pour deviner. Cependant, Monseigneur, je crois qu'il faudra que cette dame s'explique dans le 21 de ce mois, car je mande vertement à monsieur de Boispille qu'il ne faut plus parler de retardement, et que s'il pense envoyer ci-après des lettres, je ne les ouvrirai point, car pour elle trois ordinaires se sont passés sans qu'elle m'ait écrit. Il y a quelques jours, Monseigneur, que j'avois prié monsieur Cheré de communiquer à votre Éminence un petit dialogue entre la Reyne et monsieur de Chevreuse lorsqu'il fut à Saint-Germain conduire Monsieur le vice-légat pour son congé. La Reyne demanda au mari des nouvelles de sa femme. Il lui répondit sans songer qu'elle en sçavoit beaucoup plus que lui, et lui dit d'un ton assez aigre qu'il se plaignoit bien fort de sa Majesté de ce que seule elle empêchoit le retour de sa femme. La Reyne, qui est toute bonne, fut surprise, et lui dit qu'il avoit grand tort, qu'elle aimoit bien fort sa femme, qu'elle souhaiteroit bien de la voir, mais qu'elle ne lui conseilleroit jamais de revenir. Et ayant fait une pose, elle lui demanda si c'estoit Du Dorat qui lui avoit dit cette nouvelle; il jura, et ne se parjura point, que je ne lui en avois jamais parlé; car il est très véritable qu'il y a quinze mois que je n'ai pas eu l'honneur de voir la Reyne, et m'en estimant indigne j'en ai évité les occasions, jusques là que je n'ai jamais vu monseigneur le Dauphin, et n'ai osé prononcer l'auguste nom de la Reyne qu'en demandant à Dieu la conservation de sa personne; et il faudroit estre bien abandonné de Dieu que d'avoir autre parole ni autre sentiment. Monsieur de Chevreuse m'a fait l'honneur de me redire ceci aux mêmes termes qu'il plaira à votre Éminence le lire, et le bon homme entreprend d'écrire à votre Éminence pour une affaire qui lui importe de la vie; car monsieur Prou, à qui il doit et qui fournit sa maison, le veut prendre par famine. Il a ouï dire que votre Éminence a fait beaucoup de bien à Madame sa femme, et que les jurisconsultes disent que l'homme et la femme sont _eadem persona_; c'est pourquoi il en espère aussi; mais les philosophes disent que _nullum idem simile_, et que qui a de l'argent le garde. J'espère, Monsieur, que votre Éminence me pardonnera d'oser tant écrire, puisque je suis, Monseigneur, votre, etc., DU DORAT.--Paris, ce 12 septembre.» [427] Man. de Colbert, fol. 47. Manque dans le _Suppl. franç._ [428] On n'a pas cette lettre. PARIS, 23 SEPTEMBRE 1639. DU DORAT AU CARDINAL RICHELIEU[429]. «Monseigneur, je supplie très humblement votre Éminence par sa bonté ordinaire me pardonner cette importunité qui sera, à mon avis, la dernière pour ce qui regarde les malheurs et fautes de Mme de Chevreuse, de laquelle je désespère le retour après tant de fuittes et de remises. Il est bien vrai que si je pouvois ajouter foi aux relations du sieur de Boispille, qui arriva ici le 20 de ce mois, il me resteroit encore quelque petit rayon d'espérance. Il est bien vrai qu'il a de bonnes intentions, mais il se laisse aisément piper au chant des Sirenes. Ses raisons, ou plutôt ses conjectures, sont, qu'il a l'argent que votre Éminence lui a fait délivrer avant que partir, que Mme de Chevreuse ne lui a point du tout demandé; seulement lui a esté ordonné de le garder quand elle voudra partir pour revenir en France, ce qu'elle ne veut faire que le Roy et votre Éminence ne soyent ici, parce qu'estant à Dampierre et si proche de Saint-Germain elle a assez d'ennemis qui pourroient rapporter qu'elle verroit toutes les nuits la Reyne, comme elle faisoit souvent, il y a huit ou neuf ans. Elle a encore une autre raison qui me semble bien ridicule, qu'elle demande du loisir pour reposer son esprit après tant de frayeurs qu'elle dit qu'on lui a faites; elle croit, à mon avis, que les esprits doivent faire diète comme les corps; mais c'est un régime que le sien ne doit pas pratiquer, car il se pourroit bientôt évaporer. Le dit sieur de Boispille à toutes ces apparences de son retour ajoute un serment qu'elle lui a fait de revenir, qui est si exécrable que je ne l'ose écrire. Je crois qu'estant en Espagne elle l'a tiré de quelque formalité des anciens Grenadins; et à tout cela le bourgeois de Londres et de Paris ajoute que la Reyne ne veut pas qu'elle revienne devant qu'elle ait parlé à votre Éminence, et disent-ils qu'elle n'est fort bien avec vous qu'afin de faire part à Mme de Chevreuse de votre amitié. Votre Éminence me pardonnera, s'il lui plaît, cette liberté de lui écrire ce qu'on dit ici. J'avois écrit à Mme de Chevreuse qu'on l'accusoit d'avoir sollicité l'alliance d'Espagne et d'Angleterre, mais le sieur de Boispille m'a assuré de sa part que là il ne se parle point du tout de cette alliance, et il m'assure que l'ambassadeur ou agent d'Espagne n'est pas fort bien dans l'esprit du Roy de la Grande-Bretagne, qui ne l'a point vu du tout depuis son retour d'Écosse, et que même il est mal satisfait des Espagnols qui ont fait quelque déplaisir au sieur Gerbier à Bruxelles; et de plus il ajoute qu'il y a trois mois que la Reyne mère n'a reçu d'argent. Hier, un homme natif d'Orléans, nommé Bernard, que j'ai autrefois présenté au feu père Joseph, me vint trouver et me dit qu'il y a long temps qu'il a intention de rendre un bon service au Roy, qui est que si on lui veut donner ce qu'il faut il baillera une rude atteinte au fort de Mardic, près de Dunquerque. Je lui voulus doucement demander les moyens, mais il me dit que c'estoit un secret à dire au maître. C'est un homme qui a séjourné longtemps à Bruxelles, et qui n'en est de retour que depuis dix-huit mois. Il m'a dit que quelque esloignée que fût votre Éminence, s'il avoit de quoi il y pourroit bien aller, et m'a conclu que son entreprise est une pièce d'hiver, ou pour le plus tard du mois de mars; c'est tout ce que j'ai pu tirer. Je vous supplie très humblement trouver bon, Monseigneur, que je vous aie écrit tout ce que dessus, et de me faire l'honneur de croire qu'il n'y a personne au monde qui ait plus de passion que moi à tout ce qui regarde votre service, comme y estant bien obligé, et voulant vivre et mourir dans la qualité de, Monseigneur, votre, etc., DU DORAT.--Paris, ce 23 septembre 1639.» [429] Man. de Colbert, fol. 49. Manque dans le _Suppl. franç._ 16 NOVEMBRE. Mme DE CHEVREUSE A M. DE CHEVREUSE[430]. «J'ai vu par vos lettres et entendu par Renaut les sentiments où vous estes pour mon retour, et le désir que vous avez de sçavoir quels sont aussi les miens. A quoi bien véritablement je vous respondrai que j'ose dire qu'ils sont encore plus grands que les votres de me voir en France en estat de remédier à nos affaires et de vivre doucement avec vous et mes enfants. Mais je connois tant de péril dans la résolution d'aller là, comme je sçais les choses, que je ne la puis prendre encore, sachant que je n'y puis servir à votre avantage ni au leur si j'y suis dans la peine. Ainsi il me la faut doublement éviter pour le pouvoir un jour faire, et cependant chercher avec patience quelque bon chemin qui enfin me mène là, avec le repos d'esprit que je ne puis encore trouver. C'est ce que je vous jure que je demande tous les jours à Dieu, et que je m'étudie à trouver tant que je puis, n'ayant autre dessein au monde que celui-là et le ciel. J'estois dans la même pensée quand Boispille partit, et, croyez moi, j'ai encore appris des particularités très importantes depuis, et dont je suis absolument innocente, ainsi que peut-estre même on connoist à cette heure, et toutes fois dont toutes les apparences montrent qu'on me vouloit accuser. Je ne puis pas m'expliquer plus clairement sur cela, mais je vous proteste bien qu'aussitôt que je connoistrai, selon les lumières que Dieu me donne, m'en pouvoir retourner surement, je ne perdrai un quart d'heure sans faire ce qu'il faut pour haster mon partement d'ici. Et puisque c'est mon intérêt aussi bien que le votre, vous devez en cela vous en reposer sur la parole que je vous en donne, vivant cependant le plus doucement que vous pourrez, et espérer avec moi que Dieu ne permettra pas que ce soit long-temps sans nous voir. Réglez votre maison le mieux que vous pourrez; ce sera toujours autant de fait quand je serai là, et la mienne le sera assez aussi pour n'y apporter point de désordre. C'est celle qui est absolument à vous, M.--16 novembre.» [430] Man. de Colbert, fol. 52. Manque dans le _Suppl. franç._ Nous avons sous les yeux l'original. 16 NOVEMBRE. Mme DE CHEVREUSE A M. DU DORAT[431]. «Monsieur, encore que vous me fassiez grand tort de m'accuser de tant d'injustice contre moi-même que je ne veux pas mon propre bien en ne désirant pas mon retour en France, je ne puis me fascher contre vous, d'autant que j'attribue ce soupçon à l'amitié que vous me portez, qui vous fait souhaiter mon repos que je sçais, aussi bien que vous, ne pouvoir trouver que là, et encore mieux que je ne le cherche point autre part. Puisque vous doutez encore de mes sentiments d'y aller, (je vous dis que) quand Boispille vous a dit que j'avois résolu de ne point perdre de temps pour cela, il vous a dit vrai, et le motif qui m'arrête est fondé sur des appréhensions si raisonnables de la continuation de la persécution de mon malheur ordinaire, dont j'ai encore depuis peu sujet de craindre de nouveaux effets, que je m'étonne comme on me peut accuser d'une telle extravagance comme de feindre des appréhensions imaginaires pour n'aller pas jouir des biens véritables, au lieu de me plaindre des peines où ma mauvaise fortune me réduit. Enfin je conclus que Dieu seul sçait quand il m'en tirera, et moi que j'y travaillerai après mon salut comme à ce qui m'importe le plus au monde, et que, comme il y va du tout, je n'oublierai rien dès que je verrai jour à trouver la fin de mes misères; c'est-à-dire à vous pouvoir dire de vive voix que je suis de tout mon cœur à vous, M. DE ROHAN.» * * * * * «Je ne nie pas que je n'ai beaucoup d'obligation à M. le cardinal; mais il faut que je lui en aie encore davantage pour n'estre plus malheureuse.--16 novembre.» Mme DE CHEVREUSE A BOISPILLE[432]. «Boispille, il est vrai que vous m'avez laissée dans un très véritable désir de retourner en France, et je proteste que j'y suis toujours; mais j'ai eu encore depuis votre partement tant de nouvelles connoissances de la continuation de mon malheur dans les soupçons qu'il donne de moi, qu'il m'est impossible de me résoudre d'aller m'exposer à tout ce qu'il peut produire contre moi. C'est ce qui m'arrête encore de suivre le dessein que j'avois d'écrire et envoyer selon que je vous avois parlé, et me fait attendre quelque temps qui me donne la lumière que je n'ai pas de pouvoir avec sûreté travailler à me procurer le repos de me voir chez moi, qui ne sçauroit estre tel jusques à ce que j'y puisse aller hors des inquiétudes que j'ai présentement sujet d'avoir. Croyez que je suis si partiale pour mon retour que je passe pardessus beaucoup de choses, mais il y en a qui m'arrêtent avec tant de raison qu'il faut nécessairement que je demeure encore où je suis. Je l'écris à monsieur mon mari, et l'assure que toute mon étude est le moyen de me procurer un retour exempt des maux que j'appréhende. A quoi j'espère qu'après tout Dieu me fera la grace de parvenir, peut-estre plus tôt qu'il me semble. Je sens et sens trop les incommodités qu'il y a dans cet éloignement pour ne le pas faire finir aussitôt que j'y verrai jour. En attendant il faut plutôt souffrir que de périr; et comme j'ai le principal intérêt j'aurai le principal soin de me retirer le plus tôt qu'il se pourra de l'état où je suis, ne le pouvant faire sans me mettre en un pire, où n'estant pas bonne pour moi-même je ne le serois pour personne. C'est tout ce que je vous puis dire pour cette heure, et que je serai toute ma vie votre très affectionnée amie, MARIE DE ROHAN.» [431] Man. de Colbert, fol. 52. Manque dans le _Suppl. franç._ [432] Man. de Colbert, fol. 54. Manque dans le _Suppl. franç._ III.--_Déclaration du Roy, vérifiée en Parlement le 21 avril 1643._ «Louis, par la grace Dieu, Roy de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut. Depuis nostre avénement à la couronne, Dieu nous a départi si visiblement sa protection que nous ne pouvons sans admiration considérer toutes les actions passées dans le cours de notre règne, qui sont autant d'effets merveilleux de sa bonté. Dès son entrée, la foiblesse de notre âge donna sujet à quelques mauvais esprits d'en troubler le repos et la tranquillité; mais cette main divine soutint avec tant de force notre innocence et la justice de notre cause que l'on vit en mesme temps la naissance et la fin de ces pernicieux desseins, avec tant d'avantage pour nous qu'ils ne servirent qu'à affermir notre puissance. Depuis, la faction de l'hérésie s'eslevant pour former un parti dans l'Estat qui sembloit partager nostre authorité, il s'est servi de nous pour en abattre la puissance; et nous rendant l'instrument de sa gloire, il a permis que nous ayons remis l'exercice de la religion et relevé ses autels en tous les lieux où la violence de l'hérésie en avoit effacé les marques. Lorsque nous avons entrepris la protection de nos alliés, il a donné des jours si heureux à nos armes qu'à la vue de toute l'Europe, contre l'espérance de tout le monde, nous les avons rétablis en la possession de leurs États. Si les plus grandes forces des ennemis communs de cette couronne se sont ralliés contre nous, il a confondu leurs ambitieux desseins. Enfin, pour faire paroistre davantage sa bonté envers nous, il a donné bénédiction à notre mariage par la naissance de deux enfants lorsque nous l'espérions le moins. Mais si d'un costé Dieu nous a rendu le plus grand et le plus glorieux prince de l'Europe, il nous a fait aussi connoîstre que les plus grands Roys ne sont pas exempts de la condition commune des autres hommes; il a permis, au milieu de toutes ces prospérités, que nous ayons ressenti des effets de la foiblesse de la nature; et, bien que les infirmités que nous avons eues et qui nous continuent encore, ne nous donnent pas sujet de croire que le mal soit sans remède, et qu'au contraire nous ayons par toutes les apparences l'assurance de recouvrer une personne entière, néantmoins comme les événements des maladies sont incertains, et que souvent les jugements de ceux qui ont le plus d'expérience sont peu asseurés, nous avons estimé estre obligé de penser à tout ce qui seroit nécessaire pour conserver le repos et la tranquillité de nostre Estat, en cas que nous vinssions à lui manquer. Nous croyons que comme Dieu s'est servi de nous pour faire tant de graces à cette monarchie qu'il désire encore cette dernière action de prudence qui donnera la perfection à toutes les autres, si nous apportons un si bon ordre pour le gouvernement et administration de nostre couronne que Dieu nous appellant à lui rien n'en puisse affoiblir la grandeur, et que dans le bas âge de nostre successeur le gouvernement soit soutenu avec la force et la vigueur si nécessaires pour maintenir l'authorité royale; nous croyons que c'est le seul moyen de faire perdre à nos ennemis toutes les espérances de prendre avantage de notre perte: et nous ne pouvons leur opposer une plus grande force pour les obliger à un traité de paix que de faire un si bon establissement dès nostre vivant qu'il rallie et reunisse toute la maison royale pour conspirer avec un mesme esprit à maintenir l'estat présent de nostre couronne. La France a bien fait voir qu'estant unie elle est invincible, et que de son union dépend sa grandeur, comme sa ruine de sa division. Aussi les mauvais François seront retenus de former aucune entreprise, jugeant bien qu'elles ne réussiront qu'à leur confusion, lorsqu'ils verront l'authorité royale appuyée sur de si fermes fondements qu'elle ne pourra estre esbranlée. Enfin nous affermirons l'union avec nos alliés, qui est une des principales forces de la France, quand ils sçauront qu'elle sera conduite par les mesmes maximes qui en ont jusques ici si heureusement et si glorieusement maintenu la grandeur. Nos actions passées font assez juger de l'amour que nous avons eu pour la conservation de nos peuples et de leur acquérir par nos travaux une félicité accomplie. Mais la résolution que nous prenons de porter nos pensées à l'avenir, avec l'image de nostre fin et de nostre perte, est bien une marque plus assurée de nostre tendre affection envers eux, puisque l'exécution de nos dernières volontés produira ses effets en un temps où nous ne serons plus, et que nous n'aurons autre part en la félicité du règne qui viendra que la satisfaction et le contentement que nous recevrons par avance de penser au bonheur de nostre Estat. Or, pour exécuter nostre dessein, nous avons pensé que nous ne pouvions prendre une voie plus assurée que celle qu'ont tenue en pareilles occasions les Rois nos prédécesseurs. Ces sages princes ont jugé avec grand'raison que la régence du royaume, l'instruction et éducation des Rois mineurs, ne pouvoit estre déposée plus avantageusement qu'en la personne des mères des Rois, qui sont sans doute plus intéressées à la conservation de leurs personnes et de leur couronne qu'aucun autre qui y pourroit estre appelé. * * * * * «A ces causes, de notre certaine science, pleine puissance et authorité royale, nous avons ordonné et ordonnons, voulons et nous plaist qu'advenant notre déceds avant que notre fils aîné le Dauphin soit entré en la quatorzième année de son âge, ou en cas que notre dit fils le Dauphin décedast avant la majorité de notre second fils le duc d'Anjou, nostre très chère et très amée épouse et compagne, la Reyne, mère de nos dits enfants, soit régente en France, qu'elle ait l'éducation et l'instruction de nos dits enfants, avec l'administration et gouvernement du Royaume, tant et si longuement que durera la minorité de celui qui sera Roy, avec l'advis du conseil et en la forme que nous ordonnerons ci après; et en cas que ladite dame régente se trouvant après notre déceds et pendant sa régence en telle indisposition qu'elle eust sujet d'appréhender de finir ses jours avant la majorité de nos enfants, nous voulons et ordonnons qu'elle pourvoye, avec l'advis du conseil que nous ordonnerons ci-après, à la régence, gouvernement et administration de nos enfants et du Royaume, déclarant dès à présent que nous confirmons la disposition qui en sera ainsi par elle faite, comme si elle avoit esté ordonnée par nous. * * * * * «Et pour témoigner à notre très cher frère le duc d'Orléans que rien n'a esté capable de diminuer l'affection que nous avons toujours eue pour lui, nous voulons et ordonnons qu'après notre déceds il soit lieutenant général du Roy mineur en toutes les provinces du Royaume, pour exercer pendant la minorité ladite charge sous l'authorité de ladite dame Reyne régente et du conseil que nous ordonnerons ci-après, et ce nonobstant la déclaration registrée en notre cour de Parlement qui le prive de toute administration de nostre Estat, à laquelle nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes pour ce regard. Nous nous promettons de son bon naturel qu'il honorera nos volontés par une obeissance entière, et qu'il servira l'Estat et nos enfants avec la fidélité et l'affection à laquelle sa naissance et les grâces qu'il a reçues de nous l'obligent, déclarant qu'en cas qu'il vînt à contrevenir en quelque façon que ce soit à l'establissement que nous faisons par la présente déclaration, nous voulons qu'il demeure privé de la charge de lieutenant général, défendant très expressément en ce cas à tous nos sujets de le recognoistre et de lui obeir en cette qualité. «Nous avons tout sujet d'espérer de la vertu, de la piété et de la sage conduite de notre très chère et bien amée épouse et compagne, la Reyne, mère de nos enfants, que son administration sera heureuse et advantageuse à l'Estat. Mais comme la charge de régente est de si grand poids, sur laquelle repose le salut et la conservation entière du Royaume, et qu'il est impossible qu'elle puisse avoir la connoissance parfaite et si nécessaire pour la resolution de si grandes et si difficiles affaires, qui ne s'acquiert que par une longue expérience, nous avons jugé à propos d'establir un conseil près d'elle pour la régence, par les advis duquel et sous son authorité les grandes et importantes affaires de l'Estat soient résolues suivant la pluralité des voix. Et pour dignement composer le corps de ce conseil, nous avons estimé que nous ne pouvions faire un meilleur choix pour estre ministres de l'Estat que de nos très chers et très amés cousins le prince de Condé et le cardinal de Mazarin, et de notre très cher et féal le sieur Seguier, chancelier de France, garde des sceaux et commandeur de nos ordres, et de nos très chers et bien amés Bouthillier, surintendant de nos finances, et de Chavigny, secrétaire d'Estat et de nos commandements; voulons et ordonnons que notre très cher frère le duc d'Orléans, et en son absence nos très chers et amés cousins le prince de Condé et le cardinal de Mazarin soient chefs dudit conseil, selon l'ordre qu'ils sont ici nommés, sous l'authorité de ladite dame Reyne régente. Et comme nous croyons ne pouvoir faire un meilleur choix, nous défendons très expressement d'apporter aucun changement audit conseil en l'augmentant ou diminuant, pour quelque cause ou occasion que ce soit, entendant néantmoins que vacation advenant d'une des places dudit conseil par mort ou forfaiture, il y soit pourveu de telles personnes que ladite dame Régente jugera dignes, par l'advis dudit conseil et à la pluralité des voix, de remplir cette place, déclarant que notre volonté est que toutes les affaires de la paix et de la guerre et autres importantes à l'Estat, même celles qui regarderont la disposition de nos deniers, soient délibérées audit conseil par la pluralité des voix; comme aussi qu'il soit pourvu cas échéant aux charges de la couronne, surintendant des finances, premier président et procureur général en notre cour du parlement de Paris, charges de secrétaire d'Estat, charges de la guerre, gouvernements des places frontières, par ladite dame Régente avec l'advis dudit conseil sans lequel elle ne pourra disposer d'aucune desdites charges; et quant aux autres charges, elle en disposera avec la participation dudit conseil. Et pour les archeveschés, eveschés et abbayes estant en notre nomination, comme nous avons eu jusques à présent un soin particulier qu'ils soient conférés à des personnes de mérite et de piété singulière et qui ayent esté pendant trois ans en l'ordre de prestrise, nous croyons, après avoir reçu tant de grâces de la bonté divine, estre obligé de faire en sorte que le même ordre soit observé pour cet effect; nous désirons que ladite dame Régente, mère de nos enfants, suive aux choix qu'elle fera pour remplir les dignités ecclésiastiques l'exemple que nous lui en avons donné, et qu'elle les confère avec l'advis de notre cousin le cardinal de Mazarin auquel nous avons fait cognoistre l'affection que nous avons que Dieu soit honoré en ces choix; et comme il est obligé, par la grande dignité qu'il a dans l'Église, d'en procurer l'honneur, qui ne sçauroit estre plus élevé qu'en y mettant des personnes de piété exemplaire, nous nous assurons qu'il donnera de très fidèles conseils conformes à nos intentions. Il nous a rendu tant de preuves de sa fidélité et de son intelligence au maniement de nos plus grandes et plus importantes affaires, tant dedans que dehors notre royaume, que nous avons cru ne pouvoir confier après nous l'exécution de cet ordre à personne qui s'en acquittast plus dignement que lui. Et d'autant que pour des grandes raisons, importantes au bien de notre service, nous avons été obligé de priver le sieur de Châteauneuf de la charge de garde des sceaux de France, et de le faire conduire au château d'Angoulesme où il a demeuré jusques à présent par nos ordres, nous voulons et entendons que ledit sieur de Châteauneuf demeure au mesme estat qu'il est de présent audit château d'Angoulesme jusques après la paix conclue et exécutée, à la charge néantmoins qu'il ne pourra lors estre mis en liberté que par l'ordre de ladite dame Régente, avec l'advis dudit conseil qui ordonnera d'un lieu pour sa retraite dans le royaume ou hors du royaume ainsi qu'il sera jugé pour le mieux. Et comme notre dessein est de prévoir tous les sujets qui pourroient en quelque sorte troubler le bon establissement que nous faisons pour conserver le repos et la tranquillité de notre Estat, la cognoissance que nous avons de la mauvaise conduite de la dame duchesse de Chevreuse, et des artifices dont elle s'est servie jusques ici pour mettre la division dans notre royaume, les factions et les intelligences qu'elle entretient au dehors avec nos ennemis nous font juger à propos de lui défendre, comme nous lui défendons, l'entrée de notre Royaume pendant la guerre; voulons même qu'après la paix conclue et exécutée, elle ne puisse retourner dans notre Royaume que par les ordres de ladite dame Reyne régente, avec l'advis dudit conseil, à la charge néantmoins qu'elle ne pourra faire sa demeure ni estre en aucun lieu proche de la cour et de ladite dame Reyne. Et quant aux autres de nos sujets de quelque qualité et condition qu'ils soient que nous avons obligé de sortir du royaume par condamnation ou autrement, nous voulons que ladite dame Reyne régente ne prenne aucune résolution pour leur retour que par l'advis dudit conseil. «Voulons et ordonnons que notre très chère et très amée épouse et compagne la Reyne, mère de nos enfants, et notre très cher et amé frère le duc d'Orléans fassent le serment en notre présence et des princes de notre sang, et aux princes, ducs, pairs, maréchaux de France et officiers de notre couronne, de garder et observer le contenu en notre présente déclaration sans y contrevenir en quelque façon et manière que ce soit. «Si donnons en mandement à nos amés et féaux les gens tenant notre cour de parlement de Paris, que ces présentes ils ayent à faire lire, publier et registrer pour estre inviolablement gardées et observées sans qu'il y puisse être contrevenu en quelque sorte et manière que ce soit; car tel est notre plaisir. Et affin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons signé ces présentes de notre propre main et fait ensuite signer par notre chère et très amée épouse et compagne, et par notre très cher et amé frère le duc d'Orléans, et des trois secrétaires d'Estat et de nos commandements étant de présent près de nous, et fait mettre notre scel. «Donné à Saint Germain en Laye, au mois d'avril l'an de grâce mil six cent quarante trois, et de notre règne le trente troisième. «Ce que dessus est ma très expresse et dernière volonté que je veux être exécutée. Signé LOUIS, ANNE, GASTON. «A côté visa, et plus bas: PHELIPEAUX, BOUTHILLIER, et de GUENEGAUD. «Scellées du grand seau de cire verte, sur lacqs de soye rouge et verte. Et encore est écrit: lues, publiées, registrées, ouï et requerant et consentant le procureur général du Roy, pour être exécutées selon leur forme et teneur, à Paris, en Parlement, le vingt unième avril mil six cent quarante trois. Signé DU TILLET.» NOTES DES CHAPITRES V, VI ET VII _Divers passages des Carnets de Mazarin qui se rapportent à ces trois chapitres._ Le cardinal Mazarin avait l'habitude d'écrire de temps en temps sur un de ces petits cahiers, qu'on appelle ordinairement _agendas_ ou _carnets_, ce qu'il devait faire, ou même ce qu'il se proposait de dire à diverses personnes, au conseil, surtout à la reine; et il mettait cet agenda, ce carnet dans la poche de sa simarre pour s'en servir au besoin. La plupart du temps, on n'y rencontre que des lignes fort obscures, où Mazarin seul aujourd'hui pourrait reconnaître sa pensée. Quelquefois il se développe davantage, et dans ces notes, jetées à la hâte sur le papier à mesure que les événements se succédaient, on découvre ses sentiments véritables, on a comme un tableau fidèle de ce qui se passait alors dans son esprit. Ce ne sont point des mémoires que l'on compose après coup pour justifier sa conduite, et où l'on arrange les faits sur le rôle et le personnage que l'on veut se donner auprès de la postérité. Ici, rien de pareil: tout est écrit sur place, sous l'impression du moment, sans aucun dessein préconçu. Ces notes n'étaient pas faites pour d'autres yeux que ceux de leur auteur; c'est une sorte d'entretien qu'il institue avec lui-même, un compte qu'il se rend de ses actions et même de ses intentions; par où l'on peut se convaincre que Mazarin n'a rien entrepris sans y avoir mûrement pensé, et qu'ainsi que Richelieu il a voulu tout ce qu'il a fait. Colbert, le premier domestique de Mazarin, comme on disait alors, son homme de confiance, l'intendant de ses affaires et de sa maison, recueillit ces carnets, à ce qu'il paraît; des mains de Colbert ils ont passé aisément dans celles de son bibliothécaire Baluze, et c'est de là qu'ils sont arrivés à la Bibliothèque impériale, FONDS DE BALUZE, _armoire_ VI, paquet 1. Chacun de ces carnets est tout petit, à peu près comme un in-32. Il y en a quinze; il est certain qu'autrefois il y en avait au moins seize; car le seizième est à Tours entre des mains bien connues qui le gardent sévèrement. Ces quinze carnets commencent en 1642, et vont jusqu'à l'exil de Mazarin en 1651. Ils embrassent donc près de dix années qui ne sont pas assurément les moins remplies et les moins glorieuses du XVIIe siècle. Sans entrer dans de trop minutieux détails, il suffit de dire que ces carnets sont écrits tantôt au crayon, tantôt à l'encre. Le crayon est aujourd'hui assez effacé; l'écriture a mieux résisté; mais elle est souvent bien difficile à lire. Les noms propres surtout sont presque méconnaissables. Pour surcroît de difficulté, Mazarin écrit d'abord en italien, et, quand il songe plus particulièrement à la reine, en espagnol; il ne se hasarde que peu à peu et assez tard à se servir du français. Nous ne craignons donc pas d'avancer que la moitié à peu près des premiers carnets est ou matériellement indéchiffrable, ou presque inintelligible faute de développements suffisants; mais l'autre moitié nous paraît digne de la plus sérieuse attention: tantôt elle confirme, tantôt elle rectifie, toujours elle éclaire les idées qu'on s'est faites des desseins, des sentiments et de la conduite de Mazarin. M. Ravenel, auquel on doit les _Lettres du cardinal Mazarin à la Reine et à la princesse Palatine_, etc., _pendant sa retraite hors de France, en 1651 et 1652_, était plus propre que personne, et par ses études antérieures et par sa pénétration ingénieuse, à continuer ce qu'il avait si bien commencé, et à donner des extraits intelligents et fidèles des carnets de Mazarin. Malheureusement M. Ravenel nous a déclaré qu'il avait renoncé à ce travail, et c'est à son refus, plus d'une fois renouvelé, que nous nous sommes engagé dans l'étude difficile de ce précieux document. Il a bien voulu nous communiquer une copie qu'autrefois il en avait fait faire: nous nous empressons de reconnaître que cette copie nous a été fort utile et nous a épargné bien des peines; mais nous pouvons dire aussi sans ingratitude qu'elle est très-imparfaite, et il n'est pas besoin d'ajouter qu'il ne paraîtra pas ici une seule ligne qui n'ait été soigneusement vérifiée sur le texte original. Enfin, M. Léon Delaborde qui, dans tous les sujets, recherche avec tant de patience les renseignements les plus cachés et les met en lumière avec tant d'art, a eu connaissance de ces carnets, et il en a semé plusieurs passages dans les notes de sa curieuse histoire du _Palais Mazarin_. Déjà nous-même, dans _La Jeunesse de Mme de Longueville_, nous avons fait usage de cette source riche et peu connue. Ici nous allons rassembler, sur les personnes et les choses engagées dans notre récit, les notes éparses dans les neuf premiers carnets, depuis 1643 jusqu'aux approches de la Fronde, en avertissant bien qu'il nous a fallu négliger plus d'une ligne qui nous ont été indéchiffrables, et en demandant grâce pour les fautes qui nous seraient échappées dans cette première et difficile transcription. PREMIER CARNET, PREMIERS MOIS DE 1643. P. 143: «4 giugno 1643. Ingiuste propositioni di haver l'ammiragliato con Avre e Bruaghe (le Havre et Brouage), ove l'isola di Ré, la Rocella et Tolone, o di haver Metz, Tul o Verdun col governatorio generale. Parlar col Principe e me di questo aggiustamento. Prometter per ricompenza a Vandomo la Ghienna o Champagna. In ogni caso è meglio la Bertagna che l'ammiragliato. S. M. dimandi tempo per acomodar ogni cosa.» P. 144, 145: «Megliare (La Meilleraie) e Breze, li conservi (S. M.), perche assolutamente, quando saranno disgustati, qualche principe sene prevalerà. Almeno durante la guerra non introduca cosa che possi loro dispiacere. Hanno piazze, sono denarosi, e La Megliare ha segreto e risolutione... In somma S. M. pensi che se li parenti del Cardinale (Richelieu) si disgustano, che li havrà, havrà un gran partito. Si puo prometter in oltre a Vandomo che nelli stati si farà che si rimborsi di cento mila scudi..... S. M. si compiaccia non risolvere senza che io ne habbi notizia.»--P. 146: «Vandomo mi rende pessimi uffizii appresso Monsieur e la caballa che è contra la Riviera (l'abbé de la Rivière).» DEUXIÈME CARNET, JUIN ET JUILLET 1643. P. 3: «Il Rosso (le personnage désigné par ce sobriquet est bien certainement le prince de Condé, père du duc d'Enghien) crede che madama di Cheverosa arrivando farà un acomodamento particolare trà le due corone (de France et d'Espagne) all'esclusione di tutte.» --«Se (S. Maesta) ha intentione per Chatonof, me lo dica, non havendo altro desiderio che viver bene con quelli S. M. vorrà.» P. 5: «Son richiesto dà Chatonou. S. Maestà comandi.»--«Il Rosso a madama di Vocellas (la sœur de Châteauneuf) che farebbe un viaggio in Berri per stringersi col fratello.»--«Si arma la caballa contro di me.» P. 7: «Dice il Rosso a tutti che si attacchino a Bovè (l'évêque de Beauvais) che durerà più di nessuno. Che Chatonou sarà assolutamente cancelliere. Mandà dà me genti per richiedermi d'amicizia e prometermi miraviglie. Instigano tutti Bovè a parlar contro me, et il medesimo fanno con Briena (le comte de Brienne) e sua moglie.» P. 11. «Rosso al Cancellier (Seguier) che assolutamente non sto ben in effetto, che presto lo vedrò.»--«Discorso tenutomi dal Rosso sopra Chatonof, et altre cose, e di M. di Vandomo, etc. Publicano che io voglio guardie, e sperano potermi far gran male con l'inventione trovata della galanteria.» P. 13: «S. A. (Monsieur) offertosi al Principe di parlar contra Chatonof. Venuto a dirmelo, e ricercatomi, e gli ha dato consiglio di parlarmene et impegnarmi.»--P. 14: «Rosso ha detto che bisogna travagliare per mettermi in diffidenza di S. M. facendo credere che sono tutto di Monsieur; perciò ha detto che volevo farlo coregente.» P. 15: «Roccafogo (La Rochefoucauld) dà Chatonof.»--P. 16: «Il Rosso m'ha mandato 50 persone per l'affare di Chatonof.»--«La carica di cancelliere del ordine (chancelier de l'ordre du Saint-Esprit), per renderla a Chatonof.»--Non faccià (S. Maestà) sopra intendente Chatonof si non vuole ristabilirlo intieramente. P. 17: «Bovè e Bofort, liga contro me.» P. 18: «Rosso non travaglia che alla divisione dei ministri. Adesso procura guadaguar Avo (le comte d'Avaux) adulandolo, etc. Rosso odia S. M. Pensa ad abbassarla, e dice haverne li modi.»--«Assolutamente il Rosso vuol vederli (li ministri) disgustati per rendersene capo. S. M. ci penci, perchè questo è il maggior punto di tutti.» P. 19: «Durarò fatiga (sic) a conservarmi, perche sono sempre più perseguitato, potendo dire senza vanità che il Rosso il primo e poi molti altri credono haver miglior mercato di S. M. non consigliata dà persona disinteressata e ferma come io sono.» P. 20: «Io non ardisco parlar in certe cose, temendo che S. M. non creda quello li vien insinuato ogni giorno che io ho le massime del Cardinale.»--«In tutti li affari vi sono due faccie. Se S. M. mi stima abile, mi creda, e riconoscerà in effetti se l'havrò ben consigliata. Si no, faccia elettione d'un altro e li creda, convenendo più cosi che titubare nelle risolutioni. Quando havrò havuto l'onore di dirli il mio senso, almeno deve esser certa che sarà sempre senza passione e cordiale. Molti possono usar di questi termini assicurando S. M. della loro servitu, mà nessuno con fundamento più palpabile di me.» P. 21: «Tutto Parigi da l'avantaggio dell' elettione di Briena al Rosso, il quale (Brienne) si crede che serve a S. M., mà doppo lei intieramente al Rosso.»--«Briena non m'ha veduto. Fa molto per accomodare il Rosso con la casa di Vandomo, non so se con ordine di S. M.»--«Sono assolutamente tradito con li Vandomi, mentre faccio il possibile per servirgli.»--«Ogniuno dice che S. M. è impegnata assai in favore di Chatonof. Se questo è, di grazia S. M. me lo dica, e se vuol servirsene, mi ritirerò come vorrà.» P. 22: «Rosso a Treville che suo figlio[433] si dovrebbe riscaldare per haver un governo e un' altro per Gassion.»--«Briena ha detto al maresciallo d'Estrée che andavo a visitar Chatonof per ordine della regina et offerirli l'ordine et il governa di Turena (Touraine).»--Si vuol far un presente a Mma di Cheverosa di 50 mil franchi.» [433] Cela prouve bien que _il Rosso_ est M. le Prince. P. 25: «Bovè travaglia incessamente per acquistar amici, e togliermi i miei. Dice tale esser l'intentione della Regina.» P. 26: «Rosso mille protestationi, etc., che sa bene che la Regina ha fatto in modo che io posso disporre di Monsieur.»--«Credo madama di Cheverosa impegnata in mille cose.» P. 27: «Discorso di Chatonof a M. d'Avo intorno la pace, dicendo che bisogna farla particolare.»--«Avo dice haver riconosciuta tenerezza in S. M. verso di lui.»--«Fieschi (le comte de Fiesque) mi ha stretto intorno Chatonof et il Cancelliere.» P. 31: «Bovè travaglia contro me per ogni verso. Riceve M. di Chatonof. Si mette nelle braccià di Bofort e madama di Monbazon, e mi dispiace le offerte che fà à madama di Cheverosa di depender intieramente dà suoi cenni.» P. 33: «Bovè dice che, perche non resti memoria in Francia del Cardinale, vorrebbe che nella pace si restitui ogni cosa, a che Botru (le comte de Bautru) ha risposto che converebbe ancora riedificar la Rocella e tante piazze abattute.»--«Rosso si lamenta, grida che la Regina perde ogni cosa, minaccia trà li denti del Parlamento. Fa istanza di sapere se S. Alt. dimanda qualche cosa.» P. 34: «Discorso havuto con Mma di Cheverosa, Campione, la principessa di Ghimené. Che la suddetta crede che senza interesse non vi può essere amicizia[434].» [434] Ainsi dès 1643 les dissertations sur les fondements de l'amitié, qui depuis occupèrent tant la société de Mme de Sablé, étaient déjà à la mode; mais en 1643 elles avaient, ce semble, un objet plus direct, et les discours que rapporte ici Mazarin ont bien l'air d'avances faites à condition. P. 38: «Mercordi, sarà fatto il negotio per 200 mil lire per Mma di Cheverosa.» P. 39: «M. Vincent (saint Vincent de Paul) vuol metter avanti il Padre Gondi (le père du cardinal de Retz).--«Belingan (Beringhen) sopra Chatonof, e che chiamandolo S. M. gli havevano detto che io mene anderei.»--P. 41: «Ogni uno si è messo in testa di rovinar il Cancelliere, e sono divisi circa il dar questa carica a Chatonof, alcuni escludendolo et altri desiderandolo.» P. 42: «S. M. mi perdoni se li dico che posso temere dei mali offizii, poiche vedo che questi (Importanti) hanno forza di far cambiar parere a S. M. in molte cose, ancorche havesse risoluto in contrario. Hanno detto a S. A. che S. M. è la più dissimulata persona del mondo, che non si deve fidare, che, sebbene in apparenza mostra far caso di me, in effetto dissimula per la necessità degli affari, e che ha tutta la confidenza in loro, di che si accorgerà in tempo che non potrà rimediarvi.» P. 47: «Tutta la casa di Vandomo dice che non si havrà riposo finche li parenti del Cardinale sieno intieramente rovinati, e quelli si sono arrichiti nel tempo passato. Principe di Nemur (le duc de Savoie Nemours) dice l'istesso, e che si voleva veder demolito Richelieu e le altre case dei parenti del Cardinale. In fine li Vandomi et adherenti e Bofort in particolare animano tutti li imbrogli della corte, etc.» P. 50: «S. M. ha detto al Rosso, che me l'ha riferito, sopra ricerca alli parenti del Cardinale, et ha risposto che vi pensarebbe. Si vede dà questo che S. M. non si fida di me, mentre non si apre quando li dimando la sua intentione in questo particolare.» P. 51: «S. M. dicendomi se vi sarebbe qualche modo dà farmi esser contento, quando sono appresso di lei, gli ho risposto che, come li miei dispiaceri et afflitioni non procedono dà altro che dà non vederla servita come vorrei, et della mala piega che prenderanno li affari se non vi si rimedia quando sono appresso di S. M., m'affligo d'avantagio perche conosco più dà vicino il suo gran merito, le mie obbligationi, e l'ingratitudine di questi che non fanno il loro dovere verso di lei. Gli ho detto nel fervore del discorso che se S. M. vedesse il molto che desidero servirla, e l'estrema passione che ho per la sua grandezza, si dolerebbe del poco che faccio, ancorche testifichi gradirlo, etc.» P. 53: «Consideri S. M. quello dice Mma di Cheverosa della sua dissimulazione e della poca fermezza; l'esempio in me delli quatro giorni della morte del Re, di Mma d'Egullion e di altri, etc.» P. 58, 59, 60, 61: «Il Rosso me ha appresado mucho porque ablasse por Dammartin[435], aziendo siempre el interesse de Mma la Principessa. Dice que el D. de Vandomo es el major enemigo que yo tengo, que estando asentado cerca del en el Parlamento le dijo que su negotio de Bertagna no abia succedido porque yo a parte habia aconsejado la Reyna de no azerlo; que era menester remediar muy presto al gran credito en que me ponia accerca della Reyna, porque m'establezeria en modo que dentro de poco tiempo no fuera posible el derribarme... Y en conclusion que era menester juntarse todos contra me... Abla tambien de la protetion que tengo de los parientes del Cardinal. Y el Rubio, despues de haverme rogado de no ablar a nadie d'esto, me ha jurado sobre los Evangelios que era verdad, y que, si fuesse necessario por my servitio, la sostentaria. De muchas otras partes se me confirma lo mismo, y todo se puede creer del natural de Vandomo, añadiendo solamente que por differente camino el Rubio tiene los mismos pensamientos... S. M. m'havrebbe echo major favor a no accomodarme con M. de Vandomo, porque me tormienta todos los dias. Es infallible que todas las cabalas de Paris son fomentadas dal dicho.» P. 62: «Vanno a trovar M. Vincent, e sotto pretesto di affetione alla Regina li dicono che la sua riputatione perde per la galanteria. Dicono che Bovè habbi fatto parlar M... sopra la galanteria.» P. 65: «Los enemigos se juntan para azer me mal... Que Mma Cheverosa le anima todos... Sy S. M. quiere conservar me de manera que puede ser de provecho, es menester quittar se la masqhera y azer obras que declarasen la protetion que quiere tener de mi persona.» P. 66: «Dicen me que S. M. por dar satisfation de que se sierve de mi a los que le ablan contra, dice que no puede azer otra cosa, agora siendo necesitada a esto.» P. 68: «Aze la Dama (Mme de Chevreuse) grandes diligentias por fortificar el partido de Vandomos. Ha ganado el Duque de Guisa que a sido mediator por el ajustamiento con el Duque d'Elbouf.» P. 69: «Tanto falta que aya producido un buen effetto lo que S. M. ha dicho a la Dama y otros... que al contrario todos estan animados contra me...» P. 70: «No ay otros discursos que de honra y generosidad, y si predica siempre que es menester perderse..., y azy liga todos la Dama in estas maximas tan prejuditiales all' Estado.» P. 71: «La Dama me ha preguntado quantos dias havia estado contrariado de lo que habia dicho de la disimulation de la Reyna; que es fuerza le ayan dicho my inquietud que yo confesse a S. M. haver tenido por esto particular. La Dama me ha dicho que no cree que yo tenga la amistad por la Reyna al punto que ella entiende, y quo no la tenga por nadie; y preguntandole lo que avia de azer por que creiesse que era su servidor al punto que decia[436], me ha respuesto que se ne aperciviera luego si esto fuesse, ma que yo no la engañeria, aziendo semblante de cosa que verdaderamente no fuesse.» P. 74, 75, 76, 77: «La Dama me ha dicho que la Reyna era disacreditada, y que cada dia lo seria mas; que... conoscia muy bien lo que venia de ella y lo que de my; que tenia entero credito acerca de S. M.; que a un volver de ojos entendia lo que S. M. tenia en el corazon. Entre los discursos[437] me ha dicho que yo prenderia alarme in malos passos. Yo e respondido, etc. A ablado contra Montegu por que sierbe el Cancelier.»--«Me ha querido ablar del como avia yo de gobernar me en buena politica, etc.» «Es cierto que continuan juntarse al jardin de Tulleri, que ablan contra el gobierno de la Reyna los que se dicen sus majores serbidores, y que son contra me mas que nunca, hasta concluir siempre que sy per cabalas no podran destruir me, intentaran otros modos.» «Sy la mar puede sossiegarse con echarmi... come Jonas en la bocca de la balena, yo are luego, no deseando mas que el gusto e contentamiento de S. M., y, valga la verdad[438], es imposible servir con estos sobresaltos, mientras travajo de dia y de noche por complir a mis obligationes, y acer bien que no se puede ser serbidor mas interessado de S. M. de lo que my.» P. 83: «Saint-Ibar, portato della Dama come un Eroe.» P. 84: «Mma d'Egullion... la famosa tapizeria di Lucrezia a Mma di Cheverosa.»--«S. M. deve amparar vigorosamente el Cancelier, o quittarle del puesto que tiene.»--«Fortificarmi di un ministro come Servien.» P. 91: «M. di Bofort pretende che il maresciallo della Megliare non ritorni in Bertagna. Riposta fatta.» P. 93: «Ricevo mille avvisi di guardarmi.» P. 107: «Vorrei che mi costasse molto et esser stato intieramente a S. M. dà molti anni in poi.» P. 108: «S. M. consideri La Megliare che si dona a lei. Ha... governo, regimenti, amici, comodità e valore, e si dona interiamente a lei.»--P. 109: «Megliare, suo domestico, è per il governo; darli il ducato che il Re li haveva promesso.» P. 110: «M. di Vandomo stringe per l'amiragliato, dicendo che io ho ordine e che non vi fa niente. Bovè rimette tutto a me et fa credere, come dice Vandomo, che io voglio sostener Brezé come parente di M. le Cardinal.» P. 115: «Bovè querelato M. de Ghimené per che diceva esser per me. Ostentatione dell' unione sua con Briena...»--«La Regina vedrà a Val di Grace Chatonof, etc.» [435] Nouvelle preuve décisive que _il Rosso_ est le prince de Condé. [436] Cela confirme ce que dit La Rochefoucauld des coquetteries que se faisaient alors Mazarin et Mme de Chevreuse. [437] Peut-être: _los dientes_. [438] Dans les lettres italiennes de Mazarin on rencontre souvent cette locution: _vaglia il vero_. TROISIÈME CARNET, AOUT 1643. P. 5: «Visita di Campion, affettionatissimo di la Dama.» P. 6: «Bovè procura il ritorno di M. di Noyers e tutti li Importanti.» P. 7: «Si pubblica che S. M. non sia bene con Cheverosa. Il Gras (Le Gras) l'ha detto a Le Teglier.» P. 8 et 9: «Per metter mi contro il popolo, vanno insinuando che io propongo di levare un quartiere delle rendite di Parigi, e sostengono che M. di Bovè vi si opponeva firmamente dicendo che era il sangue dei poveri, e che io dicessi che non importava e che si doveva fare, insieme che la Regina era forestiera, e che io non introducevo altri nella confidenza che Montegu medesimamente straniero.» P. 10: «Sy yo creyera lo que dicen que S. M. se sierve de me por necesidad sin tener alguna inclination, no pararia aqui tres dias.» P. 11: «Che la Dama haveva detto che non era disperato il negotio di Chatoneu, e che dimandava tre mesi di tempo per far vedere quello poteva. Cosi ha detto alli Vandomi, predicandoli ad haver pazienza, perche vedrebbero cambiamento di scena; in oltre, che ella acquistarà intieramente la grazia di S. M.; che voleva aplicarsi a questo adulandola, etc.» P. 18: «Los importantes ablan contra la Reyna mas que nunca. Estan desperados contra Belingan e Montegu; dicen que el primero es un alcahuete (maquereau) y que al altro daran mil palos; que es menester perder todos los que fueran de mi parte.» P. 19: «La Dama, Jacinto (?), y todos los Importantes no piensan a otra cosa che a sitiar la Reyna, de manera che no puene ablar con nadie que no le tenga discursos conformes en favor de su cabala contra my, mettiendole mil sospechos de todos los que no fueran unidos a ellos, y alejando los que supieren ser affectionados a mi persona.» P. 20: «La Ternera (_la genisse_, sobriquet qui désigne peut-être Mme de Senecé, gouvernante des enfants de France et première dame d'honneur de la Reine) tiene gran comercio con Chatonou... a concertado con Mma di Cheverosa antes que ella me hablava d'esto negotio y de la carta que avia recebido del dicho por dar a la Reyna. En fin azen mil concertos y enredos por diminuir mi dicha acerca de su Maestad.» P. 24: «Che muchas personas eran de manera animadas contra me que era imposible que no me succediesse algun gran mal.»--«Que algunas personas no de gran condition aviano offresido al Duque di Guisa y otros sus parientes de matarme, mas que avian querido eschuchar esta proposition.»--«Che los majores enemigos que yo tenia eran los Vandomos y la Dama que le animava todos, diciendo que se no si tomaria luego la resolution desazerse de me, los negocios (no) irian bien, los grandes serian tan sujetos como antes, y yo siempre mas poderoso con la Reyna, y que era menester darse priesa antes que Anghien volviesse.» P. 25: «Duca di Res al Mma d'Asserac per comprare una isola per Mma di Cheverosa dove vuol metter Campioni (les deux frères Campion) et andarvi talvolta per vedere senza sospetto Sarmiento.»--«La ragione per la quale crede la Dama et altri di poter farmi ritirare è che S. M. nella ricusatione di Chatoneu ha detto che non poteva presentemente metterlo appresso la sua persona, e che qualche rispetto l'impediva; dà che concludono che il mio riguardo ne sia ragione; e dicendo la Dama di esser certa che S. M. ha gran stima et affettione per il suddetto, spera che, quando si potrà disfar di me, il luogo sarà certo all'altro; et ogni uno si lusinga in questo massimamente. Mi si dice che ogni di S. M. assicura particolarmente Bovè della sua affettione e si scusa delle dimostrationi che fa a me con la necessità. Questo è un punto tanto delicato che S. M. deve compatire se ne parlo spesso.» P. 26: «M. d'Elbeuf mi ha detto che si travagliava gagliardamente perche non fosse amico e servitore mio, e che potevo imaginarmi quello si faceva con gli altri. Sotto gran segreto mi ha dimandato se era vero che io havessi detto avanti a S. M. a Mma di Cheverosa che parlava per il suo governo di Picardia, che lei parlava contra li interessi di suo marito che sarebbe stato costretto a restituir il denaro che riceve dal duca di Chone (le duc de Chaulnes); io gli ho risposto di si, come è la verità, mà che lo dissi per cominciar a dar una apertura per reintegrarlo nel governo. Mà si vede che la Dama non perde tempo per farmi de' nemici; e dalle diligenze che uza con Elbeuf, che non ama, si puol inferire quelle havrà fatte e farà con gli altri.» P. 27: «Trumble (?) y un gentilhuomo a S. M. che io non voglio la pace, e che ho le medesime massime del Cardinale, e che per mezzo della regina di Spagna, che ha credito, si puol concludere prontamente una pace particolare. Il detto è tutto di Mma di Cheverosa che ha fatto giocar la mina nell'istesso tempo che ha parlato a S. M. nelli medesimi termini. Questa dona vuole rovinar la Francia. S. A. dice che il matrimonio di sua figlia (Mademoiselle) si puol fare con l'Arciduca, e che S. M. inclina più a questo che a nessun altro partito, dicendo che se li potrebbe dare la Fiandra in governo.» P. 129: «La Dama et altri pubblicano che trà poco la Regina si servirà di Chatoneu, e cosi ingannano ogniuno et obbligano a visitarlo e ricercare la sua amicizia. Scusano la Regina della tardanza in chiamarlo sopra la necessità che (ha) dà servirsi di me per un poco... Li servitori di S. M. vanno tutti a far la corte a quelli che mi vogliono poco bene, e pure dovrebbero venir da me se credessero piacer cosi a S. M., e non faciendolo pare che o non sieno veri servitori di S. M. o che sappino che la S. M. non si cura di me.» P. 31: «Chatoneu ha parlato a lungo che bisogna far una pace particolare, e questo discorso solo puol rovinar intieramente la Regina.» P. 37 et 38: «Elbeuf me ha dicho que quando yo fui en la casa de Cheverosa, algunos de los que se avian juntado... que la Reyna y yo estavamos embarazados por el negotio de la de Monbazon, y que era menester hablar serio por ser estimados, y alcanzar todo sin permetter que la authoridad de la Reyna s'establezeria de todo punto.» P. 39: «Botru m'ha fatto molta istanza per che li dicessi chi stimavo più della Dama e la principessa di Ghimené, e mi ha confessato che questa l'haveva pregato di riconoscerlo. M'ha detto che si esamina la mia vita. e si conclude che io sia impotente.»--«M. di Guisa amoroso di Mma di Monbazon.»--«Mma di Guisa disgustatissima di suo figlio. Non inclina al parentado di sua figlia col duca di Mercurio[439].» P. 43: «S. M. diga con resolution a la Dama quando le hablarà de la paz......... que aunque intenderà cosa alguna en particular, siendo resuelta de trattar juntamente con los alliados de la corona en l'assemblea che sia concertado por esto effetto.» P. 45: «Io no tengo de que dudar, despues de haverme S. M. con eccesso de bontad persistiendo que nadie podria deribarme del puesto que se ha servido darme en su gratia; mas contodo esto siendo el temor un compagnero inseparabile dell'affection, etc.» P. 44: «Dicen me que la Dama dava istructiones a la de Vandomo por que las maquinas que se izieren contra me sean bien conducidas.» P. 47: «Las personas mas capaces y dispuestas a azer embustas y caballas en la corte son la Dama, Vandomos y Elbeuf, etc.» P. 54 et 55: «M. del Ospital (le maréchal de L'Hopital) che si prendi cura al duca di Lorena perche ingannerà, e farà molte caballe incerte, intendendosi intieramente con Mma di Cheverosa.» P. 56: «Cavalier di Giar (François de Rochechouart, chevalier, puis commandeur de Jars) pensa governare, e poter servire la Dama e Chatoneu[440], e li fa preparare una camera in una casa che ha in questa villa. In somma, tutti Importanti pensano valersi di lui, credendo che possi parlar di tutto alla Regina con la quale si vanta haver havuto abitudini, credito e familiarità in altro tempo.» P. 58: «Mma di Cheverosa vuol dimandare una camera nel palazzo Cardinale.»--«Dicono alcuni che non devo fidarmi tanto nel affetto di S. M. perche l'haveva maggiore per la Dama, e pare adesso che non sene cura molto.» P. 60: «La casa di Vandomo travaglia per ogni verso per mettersi bene con Monsieur, e facendosi il parentado con Madamigella di Guisa se puol temere per le diligenze che si fanno per guadagnar S. M. per li principi di Lorena, e questo è uno dei maggiori punti a quali deve haversi l'occhio.» P. 65: «La riputatione della Francia non è in cattivo stato perche, oltre li progressi che da per tutto fanno le arme sue, è arbitra S. M. delle differenze dei principi d'Italia e di quelle del Re d'Inghilterra con il Parlamento, non ostante che li Spagnoli facciano il possibile, e combattino per ogni verso questa qualità sino a minacciar il Papa se adherisce alli sentimenti e mediatione della Francia.» P. 69: «D'Estrée (le maréchal d'Estrée), che Bofort e li altri Vandomi parlano bene di me, mà che per questo non me ne risponde.»--«80 persone. Altre alloggiate in altri luoghi.»--P. 70: «La Dama fa entrar Campioni.» P. 71, 72, 73, 74 et 75: «Revocar il dono di M. di Bofort, e metterlo all'espargno.»--«Due garzoni della camera del Re affidati per metter appresso Bofort.»--«Far revenire le guardie Suizzere e Francesi.»--«Allontanar d'avantaggio Mma di Monbazon.»--«Far dire à Mma di Nemours che non si parli mai di suo fratello, e che facendolo metterà ordine S. M. che non lo facci più.»--«La Chatra, pensar a lui.»--«Risolver per M. di Bovè.»--«Saint-Ibar, non si li dica niente. Ha detto a Mortemart (le marquis, depuis duc de Mortemart) che riceve questo dà la Riviera (l'abbé de La Rivière) e Belingan (Beringhen).»--«Bariglione (le président Barillon, un des chefs des Importants dans le Parlement), mandarlo imbasciatore a Suizzeri.»--«Risolver per il governo di S. A. e per la Riviera.»--«Due mile pistole a M. di Bellegarde. Finir il negotio di Bassompiere.»--«Brevetto di Duca al maresciallo d'Estrée.» P. 80: «Padre Giuseppe, Giacopino di S. Onorato (jacobin, du couvent de la rue Saint-Honoré), a veder M. di Bofort. M. di Vandomo viene spesso a Parigi, e sua moglie non è partita.»--P. 81: «Cheverosa mille caballe, e dice che S. M. li fa continue protestationi d'amicizia.»--P. 82: «Allontanar Cheverosa che fa mille caballe.»--«Bofort riceve ogni giorno due lettere, e ne manda due, non è ben guardato. Varicarville con 35 cavalli a Aneto. Il conte di Mora (le comte de Maure) otte volte a Aneto. Leuville (neveu de Chateauneuf) molte volte, Villarso (le marquis de Villarseaux) il medesimo. Ha tre relassi (relais) dà qui Aneto, e si fanno grandi assemblee di gente. Boregard è a Parigi. Cargret, Clincian con un paggio. Gran nobiltà. Sicuramente qualche intrapresa. Si parla di prendermi nel foborgo di San Germano. Gran tavola. Finge di vender cavalli in publico e ne compra sotto mano. Grand' amasso di avena e foraggio[441].» P. 84: «M. le Prince a Bovè che se havesse creduto che Monsieur non avisarebbe Bofort, l'havrebbe fatto lui. M. d'Elbeuf m'ha detto che il Rosso[442] diceva che l'arresto di Bofort era stato risoluto senza lui, la mattina, e che li nepoti e fratelli di S. A. erano ben considerati, e che S. A. li faceva ben rispettare. Bovè ha dichiarato che l'ha detto a lui, il quale non si cura di essere allegato.» «Plessis Besançon ha detto che all'intorno della casa di Vandomo vi erano più di 40 persone armate. M. di Liancurt disse che per 10 giorni non dovevano andare li Vandomi a Liancurt per poter prima ben accomodare ogni cosa e ne restarono d'accordo, quando tre giorni appresso risolsero di andare a fine d'haver cavalli.» P. 85: «Cercar le prove per li cavalli di rilasso. Far chiamar Rivet, usciere del gabinetto, e dimandarli quello li disse il suo ote (hôte, aubergiste) e quello vede lui della gente armata in carozza, etc. Ricordarsi che l'amico (quelque ami ou agent de Mazarin) avvisò che facendo il colpo Bofort sarebbe andato in Inghilterra, e per Liancurt la strada è buona. M. di Bellegarde mi ha detto haver saputo che se, quando ritornai dà Maison, non ero nella carozza di S. Alt., l'assassinato di Bofort contro di me era eseguito. Conte d'Orval, che la sua gente, tre e quattro sere duranti, ha veduto 12 e 15 uomini armati di pistoletti trà la casa di Crequi e la sua, così che io venivo ad esser preso in mezzo.» P. 86: «Mma la Comtessa (la comtesse douairière de Soissons), entrando a visitar Mma di Vandomo, li disse in presenza di tutti: Madama, le medesime persone che hanno perduto vostro figlio, perdirono il mio, mà con una differenza che il mio è morto e il vostro solamente prigione. Et il giorno avanti la detta Contessa mandò dà me ad offerirmi non solamente servizio mà la sua casa e denari.» «Mma di Cheverosa sortita del regno avendo somme considerabili di denari contanti. S. M. sa bene li suoi disegni, e che se li da 200 mil lire, come pretende, n'havrà havute 400 mil lire.» P. 88: «Li 18 che furono otto giorni a desinare dà la Chatra tutti Importanti, e si dice che la fù presa la risolutione di disfarsi di me.»--«Mercurio (le duc de Mercœur) non è andato a Liancurt, et è stata una finta per coprirse, etc., e forse per ricever suo fratello quando havesse fatto il colpo.»--«Procurano di far salvar tutti, e Boregard ha detto che l'hanno messo in un cattivo affare.»--«Non ho gran soddisfatione del cavalier du Guet.»--«Tutto il popolo gode e diceva: eccolà quello che voleva turbar il nostro riposo!»--«Disegno che havevanno di madama di Cheverosa, di Chatoneu, e considerar sopra di ciò quanto si trattenne la Dama la sera del lunedi dà S. M.» P. 89: «Mma La Roche Guion che Lisieu (l'évêque de Lisieux) gli haveva fatti riprochi perche era venuta a vedermi; che gli haveva detto... che Mma di Cheverosa machinarebbe per altre strade la mia perdita, che poteva disporre assolutamente della Chatra e di Pernone (d'Épernon) il quale non mi amava punto et era un traditore; che Campione era fuggito sopra un cavallo della casa di Vandomo che fu spedito subito a Mma di Monbazon; che mi guardassi più che mai.» P. 91: «L'Argentiere incontrò Bofort e Bopui che rientravano nel Luvre dà dove il primo era sortito, quando S. M. si ritirò all'oratorio. L'Argentiere li disse: mon mestre, bisogna che vi sia qualche querela, avendo incontrati 15 o 20 gentiluomini a cavallo ben montati con pistoletti. Bofort li rispose: che vuoi tu che io facci?» P. 93: «Ogni uno mi dice che li disegni contra me non cesseranno, finche si vedrà che appresso di S. M. vi è un potente partito contro di me e capace di acquistar lo spirito di S. M., quando mi succeda una disgrazia.» [439] Il avait d'abord été question pour le duc de Mercœur d'un autre mariage avec Mlle d'Épernon, tandis que Mlle de Chevreuse aurait épousé Beaufort. Ier carnet, p. 112: «Matrimonii di Cheverosa e La Valeta (Mlle de la Valette d'Épernon) con il duo figli di Vandomo, quello di Nemours essendo fatto. S. M. dovrà avvertire all'unione di tanti grandi insieme, e al assicuri che non havranno mai altro oggetto che il proprio interesse.» [440] Sur l'amitié de Chateauneuf et de Jars, voy. le chap. III, p. 110 et 111. [441] Ces notes, comme bien d'autres, sont tirées des rapports de la police de Mazarin. Nous donnons plus bas quelques-uns de ces rapports. [442] Encore une preuve que _il Rosso_ est M. le Prince. QUATRIÈME CARNET, FIN DE L'ANNÉE 1643 ET COMMENCEMENT DE 1644. P. 2: «Ebber, mestre d'otel di Mma di Cheverosa, tre volte in tre giorni a Aneto dà M. di Vandomo.» P. 3: «Lettera per altra strada di Cheverosa alla Regina. Botru me l'ha detto.»--«La giallezza, cagionata dà soverchio amore.» P. 5: «Io ho avuto avviso che si pensava di prendermi andando a veder S. A. nel borgo di S. Germano.»--«Il mercordi disse Vandomo due volte in discorrendo al maresciallo d'Estrée: vorrei che fosse morto mio figlio di Bofort.» P. 6: «Vuol che Bofort sia più ammalato che non è. Non puol attender la pietà, etc. M. di Chavigny (gouverneur de Vincennes) ha torto in questo e nelle offerte fatte al detto nella visita dicendoli che il tempo potrà accommodare, etc.» P. 8: «Pressar l'esame delli due priggioni. Far chiamar l'oste del Selvaggo, incontro la casa di Vandomo, dove hanno allogiato Avancourt e Brassi, e l'oste vicino alla riviera dove erano undici il lunedi a sera. Interrogar li lacchè (les laquais) delli suddetti per saper se sono stati a Parigi, e cosi li esamineranno sopra questo punto. Il marchese d'Aligre fa assemblee di gentiluomini in casa sua con denari di Vandomo, e predica di darsi a lui. Briglié (Brillet), Foucré (Fouqueret), de Lié, et altri sino al numero di 24 sono partiti: si crede già imbarcati per Inghilterra in un vassello che era pronto dà sei settimane in quà per questo effetto. Il fratello di Brassi dice che Vandomo sospetti delli suddetti perche non si sono difesi. Che di Arlé (Harlay) sia andato ad incontrar S. A. al camino di Orleans, et che si fanno assemblee in casa del detto di Arlé.» P. 9: «Tremblé (Tremblay, gouverneur de la Bastille) m'ha detto che Limoges (l'évêque de Limoges) mi vuol gran male; che l'ha sollecitato per sapere quello dicevano li due priggioni alla Bastiglia, concludendo che il cardinale Mazarin saria _atrapé_, havendo fattoli metter priggioni per giustificar almeno in apparenza l'ingiustizia fatta a Bofort. Io ho detto a Tremblé di dirli di nuovo che non confessano cosa alcuna e che si difendono bene, per confirmarlo cosi nella credenza che ha, e perche dandone avviso a Vandomo, come farà, si riassicurino e ritornino le persone partite, afin di poterne prender qualcheduna.» P. 14: «Lettera di Cheverosa al Duca di Guisa sopra la sua condotta per sapere se la disapprovava come si diceva.» P. 17: «Marchese d'Aligre è stato dà me. Campione e Beauregard dà lui offertimi di farli prender priggioni.» P. 21: «Assemblea de' Principi a Fonteneblo per la S. Uberto per disfarsi di me e risolvere etc.» P. 26: «A Villeprou (Villepreux) e Nuesi (Noisy) assemblee di gente di Parigi et Aneto.» P. 27: «S. M. sappia in particolare di S. Alt. quello si dovrà fare di M. di Vandomo, dicendoli che io non parlo perche è mio interesse, e che è necessario prendere una buona risolutione per rumpere tutte le caballe che repullulano. Li nemici del cardinale pensano di nuovo a quelche estremità contra lui perche vedono che si governa in modo che li Parlamenti, li Ecclesiastici, li grandi et il popolo concorrano ad amarlo e stimarlo, crederlo necesario, desinteressato e zelante per il bene dello stato, e li detti nemici riconoscono che all'avvenir sarà sempre più.» P. 34: «Andar alla Sorbona al servitio del Cardinale.»--«È certo che Giar (Jars) porta parole a S. M. della parte di Chatoneu, etc.» P. 45: «La Schiatra con 10 cavalli, la viglia di Natale, dalla parte di Aneto; ben montati tutti con pistoletti, e cavalli di relasso. Entrò di notte e si trattene al passo di Madrid mezza hora. Si separò con 5 cavalli, e mando li altri avanti al Rulli (Reuilli) dove si riuni et entrò in Parigi.» P. 48 et 49: «Sanguin, valetto di camera di Mma di Monbazon, ben informato e pericoloso. La detta dama e Cheverosa più animate che mai et in speranza di far qualche cosa contra me con il tempo.» P. 57: «Manican, in carozza con Fieschi e Nemurs, ha inteso che il Principe insisteva per che facesse conoscere a S. Alt. R. che si era voluto assassinare a Aneto M. di Vandomo et il figlio.» P. 65: «Complimenti delli suddetti (Chandenier, l'évêque de Limoges, etc.) fatti diverse volte a Cheverosa.»--«S. M. dovrebbe applicare a guadagnarmi l'animo di tutti quelli la servono, e cio con far passar per le mie mani tutte le grazie che ricevono.» P. 80: «Marsigliac più Importante che mai. È sempre con Bariglion.»--«Si tengono consigli violenti contro di me, e si pensa ad usar il veleno. Faccià quello che vuole il cavalier di Giar, ancorche la sua legerezza e l'avidita di havere lo portino a protestarmi amicizia, in effetto è intieramente nel partito degli altri, et è persuaso che Chatoneu e Limoges sono nati per governar lo stato.» P. 95 et 96: «26 febraio 1643 (lisez 1644). L'imbasciatore Gorino, lega strettissima con Cheverosa e Vandomo et altri della corte e fuori. Risolutione di unir questa caballa a Spagnoli e disfarsi del Cardinale. Il suddetto spedisce di continuo a Cheverosa, Vandomo et altri. È stato sempre spagnolissimo et hora più che mai. Dice che il Cardinale una volta a basso, il detto partito trionfarà. Giar (Jars) confidentissimo di Gorino è sempre in speranza del ritorno di Chatoneu. Craft più brugione, più Spagnolo, e più del partito del suddetto. Gorino vuol partire di qui per haver più commodità di negotiare alla campagna. Craft ha detto mille improperii della Regina. S. M. faccià scriver una buona lettera al Re e Regina d'Inghilterra dolendosi del procedere de' suoi ministri e di quello scrisse Gorino. Gorino intese nel ponte de vecchi abiti[443] che non conveniva spogliarsene delle amicizie di Vandomo, Cheverosa et altri, sperando che alla fine prevalerebbero. S. M. impedisca Gorino di sortir dà Parigi se non è per ritornarsene... Assicurano che Marsigliac e Chandenier non sortono da casa di Gorino et intrano in tutti li consigli. In somma trà li trattati degli Importanti il veleno maggiore è che gli infetti una volta non ritornano mai.» P. 104: «S. M. dica al Principe qualche cosa perche lui fomenta tutto[444]. Accomodar l'affare del Duca di Guisa e Coligni, e commetterlo a 4 maresciali di Francia. Dir a S. M. come dovria governarsi in questo affare.» [443] Quelque pont-neuf ou chanson sur les vieux habits. [444] Mazarin parle ici de M. le Prince comme il a parlé de _il Rosso_. Nouveau motif pour penser que c'est le même personnage. CINQUIÈME CARNET, LE MILIEU DE L'ANNÉE 1644. P. 14, 15 et 16. «Vigié, luogotenente di cavalli in Lorena, etc., dipendente di Bopui. Brigliet... La Ferriere. Barbe longhe tutti[445]. Il vicario di Verduno, confidente di monsignor di Metz (l'évêque de Metz était le fils naturel d'Henri IV et de Mme de Verneuil), sa molte cose. Ganseville alla croce bianca, avanti Longavilla, aspettandomi, pagò la spesa alli altri. Hebbi fortuna un giorno che m'attendevano, che io sortii del Luvre in carozza di Mma di Chavigny, cosi evitai il pericolo. Tutte le assemblee si facevano in casa di M. di Metz che assolutamente sapeva la trama, et al presente machina con Monsieur. Monsieur ha fatto il possibile per abbocarsi con Avancourt. Pernon, Guisa et altri continuamente alle assemblee di M. di Metz, e tutti sapevano il complotto.» «Passaporto per D. Giovanni d'Austria con cento persone. Salamanca e Sarmiento vengono con lui che passerà (sic) incognito. Ne ho fatto scrivere in Olanda perche li stati et il Principe ne sieno informati; mentre si permetta o si deve impedire il passagio alli due, o inviare persone per invigilare alle loro attioni, e cacciar anticipatamente madama di Cheverosa.» P. 43: «Mma di Cheverosa gran corrispondenza con Buglione, e con Piccolomini, e questo con Bugliono. La Strozzi governa Piccolomini, e la Strozzi è tutta a Mma di Cheverosa[446].»--P. 44: «Far arrestar Campione et de Lié che non sono sortiti di Francia.» P. 58: «S. M., parlato con tenerezza di Bofort al buè di Vicenne (au bois de Vincennes); cio fa mal effetto. Conosco bene che non ostante il più nero assassinato, etc. Si ricordi S. M. del principio. Bofort dice che l'errore che fece fù di non far venir subito Chatonof e de Noyers.» P. 59: «Nuove di Mma di Cheverosa e di Mma di Monbazon, e se questa spera che possi tornare alla corte.»--P. 60: «M. de Chatoneu a Monrouge et a vedermi.»--P. 62: «M. de Chatoneu a Monrouge per suoi negozii particolari. Non vedrà nessuno e se n'andrà poi in Berri.» P. 66, 67 et 68: «Ordine a Mma di Nemours di partire... Non bisogna procedere freddamente nell'affare di Mma di Nemours, e non ascoltare le preghiere delle donne che senz'altro parleranno. Alla compassione che S. M. è tenuta in coscienza di havere allo stato devono cedere tutte le altre.»--«Bisogna ancora pensare ad allontanar altri perche assolutamente li mal contenti son quelli che fomentano tanto in Parigi.» P. 69: «Far un regalo a M. di Montbazon (gouverneur de Paris) che l'ha meritato per la maniera che ha tenuta nell'emotione di Parigi.» P. 75: «Mma di Nemours ancora à Meudon. Se S. M. non si fa obbidire, tutto è perduto perche ogni uno oserà (sic) tutto.» Il est bien singulier que ce soit en 1644, au plus fort de la querelle des Vendôme et de Mazarin, que soit née la première idée du mariage du duc de Mercœur avec une nièce du cardinal. Celui-ci rejeta d'abord cette proposition que lui faisaient les Vendôme par des motifs qu'il ne donne point ici, mais qui se trouvent au Carnet VIe.--P. 23: «Mma la marescialla di Estrée (il ne faut pas oublier que le maréchal d'Estrée, frère de Gabrielle d'Estrée, était l'oncle du duc de Vendôme) m'ha fatto istanza del matrimonio d'una delle mie nipoti al Duca di Mercurio per parte di Mma di Vandomo e della duchessa di Nemours sua figlia per raccommodar cosi ogni cosa et assicurarmi per sempre della loro affettione; il che è stato ricusato dà me per le raggioni, etc (sic).» Et Carnet VIe, p. 6: «Nell'istesso tempo che Mma di Vendomo, il Duca di Mercurio e Mma di Nemours sua sorella mi fanno parlare per la marescialla di Estrée acciò consenta al matrimonio d'una delle mie nipoti con Mercurio, inviando Bofort a Malta o in altra più remota parte, con protestatione d'una fedelta et affettione indissolubile, per altra strada hanno richiesto M. le Prince con dichiaratione di voler dipendere dà lui et esser intieramente e senza alcuna riserva uniti alli suoi interessi per il matrimonio della figlia del conte d'Alè (d'Alais), pregandolo interporsi per la liberatione di Bofort. E per altro verso procuravano l'effettuatione del matrimonio con madamigella di Guisa, del quale si parlò oltre volte, protestando di voler stringersi con la detta casa; in che Maulevrier travaglia M. di Nemours, et per parte di Mma di Nemours e di Mercurio molte persone vi si affaticano, come, trà gli altri, il conte di Fieschi. Dà che si vede la sincerità, etc.» P. 99 et 100: «Quando S. M. vedrà il Principe di Condé nel consiglio dibattersi, voltar la schiena, gridar con poco termine contro uno o l'altro, S. M. potrà dirli _tu bo_ (tout beau), come altra volta, che si ricordi che è in presenza sua. S. M. dica a Mma la Principessa in confidenza che la condotta del Principe non è buona, cominciando a procurare di mettersi alla testa del Parlamento per rendersi considerabile, e far come fece nell'altra regenza; che con mille artifizii porta le cose all'estremità contra il Cancelliere et altri ministri, mà che S. M. non lo soffrirà, e non c'è risolutione che non prenda per impedirlo, e che per il Cancelliere potrebbe sodisfarlo mettendo in suo luogo Chatonof.» P. 105 et 106: «S. M. puol dire al commendator di Giar et a madamigella di Fruges che, sebbene S. M. per civiltà ha detto che per vedere o no Mma di Cheverosa non sene curava, ad ogni modo la Regina della Gran Bertagna non dovrebbe admetter la visita di una persona che per sua mala condotta ha perdute le grazie di S. M. In oltre, deve S. M. dire alli medesimi che, se la Regina della Gran Bertagna risolve di trattenersi qui in Parigi o all'intorno lungo tempo, non ostante la buona dispositione della M. S., li cattivi spiriti l'inquieteranno, la porteranno insensibilmente a quelle cose che non vorebbe e che daranno disgusto a lei con S. M. La meglior stanza di tutte sarebbe Chatto-Thierri, e la detta Regina se n'anderà volontierissimo se quelli che sperano delli avantaggi o dell'aura dal suo soggiorno alla corte non li persuadono il contrario per loro interesse particolare. Ma sia sicura che Milord Gorino, Craft, Giar, commendator di Souvré, Cheverosa, Montbazon, Chatoneu, tutti li Importanti, e Bariglione, invidiosi della quiete presente del regno, travagliaranno con ogni potere perche stia qui. Perciò è bene di pensarvi in tempo.» Déjà, dans le QUATRIÈME CARNET, on lisait sur le duc de Lorraine, p. 81 et 92: «Mandar qualcheduno al Duca di Lorena per trattar con lui, e veder se volesse intrar nella Franche-Contea. S. M. l'assisterebbe, e quello conquistasse sarebbe suo. Per imbarcarlo guadagnar la Cantecroi, et in ogni caso o otteneremo quello vogliamo, o, continuando a trattar in sospetto a Spagnoli il procedere del detto Duca, si risolveranno a non fidarsi di lui, farli deperir le sue truppe, e forse a peggio. In fine dal trattar seco non si possono cavar che avantaggi notabili.»--Ici on lit, p. 18: «Assicurar la Cantecroi di una buona volontà mà dichiarando di non volersi ingerire nel matrimonio, essendo un affare che dipende di Papa.»--P. 68 et 69: «7 Iuglio 1644. La ragione principale per la quale S. M. risolve l'aggiustamento col Duca di Lorena, consentendo a rimetterlo ne' suoi stati all'eccezzione delle piazze che soltanto resteranno in deposito sino alla pace trà le corone, è per servirsi della sua persona e truppe, e goder delli avantaggi che per il suo mezzo le armate di S. M. e particolarmente quella di Turena possono havere nel passagio a prender quartieri di là dal Reno, essendo alla dispositione di S. M. Spira, Vorms et altri porti sopra il detto flume, e le facilità di far progressi nel paese di Lusenburgh et delle parti di Treveri. L'articolo dunque principale del trattato di S. M. con il Duca deve essere che servirà in persona col numero di sei mile combattenti, e che assisterà con tutti li posti che ha sopra il Reno. In che è necessario ben esplicarsi, etc.»--P. 72: «L'abbate di Croi ha detto alla badessa di Remiremont di dire alla duchessa di Lorena che il meglio che potrebbe fare sarebbe di riconoscer la Cantecroi.» P. 115: «Al due di maggio il Duca Carlo di Lorena al è agiustato di nuovo con Spagnoli. L'Escala (Léchelle, officier très-distingué) ne ha havuto avviso, et è certissimo, cio mentre assicurava noi di voler lasciar il detto partito. Nessun fundamento nella sua legerezza.» [445] Voyez plus bas l'explication de ces lignes si obscures dans les _Lettres françoises_ de Mazarin, lettres à Beringhen et à La Ferté-Seneterre. [446] Quelle est cette Mme Strozzi? Serait-ce Claire Strozzi, fille de maréchal, et sœur de Philippe Strozzi, lieutenant général au service de France, massacré en 1652 dans l'île de Saint-Michel, et elle-même mariée à Honorat de Savoie, comte de Tende? SIXIÈME CARNET, COMPRENANT LES DERNIERS MOIS DE 1644, ET COMMENÇANT AU 28 D'AOUT. P. 18: «Il giorno che la Regina d'Inghilterra fù a Turs, Craft fù la casa del luogotenente generale (Georges Catinat, voyez plus haut, p. 431) a dormire, che è confidente di Mma di Cheverosa. Vi si trovò Bandigli che è scudiere del duca di Mercurio.» P. 25: «Montresor a Persigny lungo tempo con Mma di Cheverosa.» P. 28: «Dica S. M. a M. di Cheverosa, quando li presenterà la lettera della moglie, che non fa quello dice mentre ha inviato il medico a negotiare in Spagna.» P. 29 et 30: «Craft al Duca di Lorena per moverlo al passaggio con le sue truppe in Inghilterra. È parente di quel Re; si è offerto altre volte, et è capace di persuaderlo per la sua debolezza nelle cose generose come apprenderebbe quella della quale si lunsigharebbe di rimetter la corona in testa a quel Re; et inoltre una somma di denaro considerabile sarebbe un gran stimolo.» P. 30: «Quello S. M. deve rispondere a Mma di Ghimené su la lettera di Mma di Cheverosa che il marito vorrà presentar a S. M.» P. 32: «Cheverosa è stato dà me. Condanna sua moglie, dimanda licenza di andar ad aggiustar seco un interesse che importa 500 mil lire.» P. 38: «Saint-Ibar divenuto pazzo intieramente; crede di dover essere avvelenato o ucciso.» Sur le duc de Guise. P. 63: «Il Duca è leggiero, e capace d'impegnarsi in ogni cattivo affare, oltre di che non è contento per essersi stato rivocato il comandamento dell'armi sotto S. A. R. Io non ho potuto impedire questa deliberatione di renderli Guisa, e l'ho solamente con mille arti e pretesi fatta differire un anno continuo, ne possendo davantaggio. Mi sono reso, protestando sempre, come sopra, e continuando ad havere li medesimi sospetti, perche non è il Duca in stato di cambiar natura.» P. 64: «Sapere dal Cancelliere se senza pregiudizio di S. M. si potessero inviar a Roma le procedure contro Bopui.» P. 75: «Aggiustar il cavaliere di Giar.» SEPTIÈME CARNET, ANNÉE 1645. P. 4 et 5: «Avvertir ben a Guisa, perche il Duca fa il disgustato per non haver havuto il commando nel esercito di Monsieur, e Elbeuf che è governatore della provincia (la Picardie, où la ville de Guise est située) non ha buona intentione e fomenta il Duca.» P. 14: «X mil lire date in contante ad una donna della regina d'Inghilterra, sollecitate e portate dal commandatore di Giar, che fà grandemente valere il suo credito appresso la medesima Regina, con simili cose, come quella di X mil scudi dati al figlio di Buchinghan (Buckingham); onde S. M. deve avertirvi, porche la sua lingua è nociva, trova a vedere a tutto, adherisce a quelli che sono mal soddisfatti, crede che li sia tutto dovuto; e pure non è capace di servir mai il Re in cosa alcuna. S. M. avverta di non li dar mai commissione alcuna, e lo tratti freddamente etc.»--«Dice Giar che l'abbadia di S. Satur li fù data dà S. M. senza mia saputa, e che ebbe buona fortuna e che non l'havrebbe havuta se io havessi potuto penetrar cosa alcuna.» P. 34: «S. M. parli per Bofort conforme alla sua intentione, perche crede che, se S. M. fosse informata, havrebbe più di libertà; e pure la S. M. sa che mi ha detto più d'una volta sopra le preghiere che li facevo di accordarli diverse cose, che io era troppo buono.» P. 42: «Se S. M. non prende risolutione di nominar qualcheduno per haver cura al negotio di Bofort, tutto perirà, e si troverà che il colpevole sarà protetto.» P. 43: «S. Quintin, intimo di Campione, important au dernier point, parla male di me, e S. A. R. lo protegge e procura di avanzarlo.» P. 59: «Farmi rendere ordine che si conservino le lettere di Mma di Cheverosa inviate da Sabran (?).» P. 76: «Abbate di Gora (?) ritira per tre giorni la Bomart[447] quando andò a Brusselles trovar la Cheverosa.»--«Principe di D... piange lo stato di Cheverosa, e dice che non puol rivenire in questo regno, mà che forse cambierà.» P. 77: «A. S. A. R., che S. M. ha rimarcato che lui era freddo nel discorrere di M. d'Anghien... non ostante che la Regina dalli discorsi che ha tenuti publicamente habbia assai fatte conoscere le sue inclinationi... In fine che si parla a S. A. R. dà S. M. e dà me liberamente d'ogni cosa e che S. A. R. non corisponde, essendo copertissimo e prendendo tutte le precauzioni immaginabili.»--P. 78: «Tutti concludono che si trema del Duca d'Anghien. Che questo habbi impedito due persone di qualità della religione di farsi cattoliche. Che M. di Chavigni sia più disgustato che mai, etc.»--P. 79: «Gorin a M. d'Hemeri, che il Duca d'Anghien non si accommoderà di cuor, che riceverà quello se li darà, mà che frà tre mesi et alle occasioni testificherà la sua poca soddisfatione; che è un Principe riverito nel settentrione e stimato a segno in Francia, che farà gran rumore quando vorrà.»--P. 81: «Lettera informe senza nome contra S. A. R. e l'abbate della Riviera sopra la dissimulatione dell'uno e la poca fide dell'altro... In oltre dice che la dilazione del Principe e Duca d'Anghien ad accettare la grazia che la Regina li vuol fare, procede dalla speranza che persone di qualità della casa di S. A. R. danno al detto Duca che guadagnarà S. M. e l'impegnarà intieramente nelli suoi interessi e sodisfationi.» HUITIÈME CARNET, ANNEÉ 1646. P. 15: «Saint Ibar, doppo haver bevuto a Munster, disse mille cose contro del Cardinale Mazarini, et dicendosegli il giorno doppo dà uno della casa di Longavilla: Voi havete parlato ieri contra, etc., mà havevate preso del vino, rispose: È vero che havevo preso del vino, mà è pure certo che non per questo perdo mai il giudizio e la ragione.» Il paraît que Mme de Montbazon revint à Paris et à la cour en 1646. On lit ici en effet, p. 26 et 27, ces lignes en français: «Son Alt. Royale fut voir madame de Montbazon vendredi 11me (il n'est pas dit de quel mois), y trouva Tillières et Trunquedec, lui parla demie heure en particulier. Le jour suivant, S. A. R. trouva madame de Montbazon chez Madame qui se retira pour les laisser parler ensemble. Le dimanche S. A. R. fut voir Mme de Montbazon chez elle et demeura plus d'une heure dans sa ruelle. Madame et Mademoiselle de Guise venoient d'en sortir. Messieurs de Tillières, Boisdauphin et Ouailly y estoient.» P. 35: «Far correre voce destramente che si richiamerà Mma di Cheverosa, e si metterà nel ministerio M. di Chatonof, a fine d'intimidire il Principe e la Principessa di Condé. S. M. potrebbe ancora far chiamare et accarrezzare molto la Principessa di Ghimené, non amata dà quella di Condé, e sopra tutto _tesmoigner_ grand'affettione al Madamoiselle.» P. 38: «Rimandar a Mma di Guisa la lettera che sua figlia haveva scritta a Montresor.» Symptômes de brouillerie entre les Condé et Mazarin depuis que celui-ci leur eut fait refuser l'amirauté laissée vacante par la mort d'Armand Maillé de Brezé, tué devant Orbitello. P. 46-56: «Il Duca d'Anghien ha detto all'Eglé (?) che il Duca di Brezé haveva ordinato a Dognon (depuis le maréchal du Dognon) che in caso di morte o priggionia di esso Brezé non riconoscesse altri nella piazza che il detto Duca d'Anghien.» «È stato pubblico in Parigi, havendone ricevuto l'avviso dall'armata, e n'è ben informato il maresciallo d'Estrée, che in un festino che si fece in casa di Saint-Martino che comandi l'artiglieria, alla presenza di S. A. R. e Duca d'Anghien, maresciallo di Gramont, etc., si parla indecentemente della Regina, e furono cantate de' fogliantines (feuillantines, couplets satiriques) contro di lei sopra il fatto della marina. Questo è certo, mà conviene dissimulare nella presente congiuntura, anteponendo il servitio del Re ad ogni altro rispetto particolare, massime che la Regina non perde cosa alcuna e fa un atto di gran moderatione e prudenza, havendo il tempo di mostrare il dovuto risentimento quando potrà farlo senza pregiudicare al figlio et al Regno.» «Rantzau ha detto a Launay, perche io lo sapessi, che quando S. A. R. hebbe la nuova della ritirata di Orbitello, disse a la Riviera: Voilà de nos entreprises! come se io dovessi rispondere delli errori che si fanno dà quelli che comandano li eserciti. Certo sarei in cattivo stato, particolarmente per quello segui in Fiandra dovè li preparativi fatti, le gran forze che vi hebbimo, la debolezza dei nemici e li gran rinforzi che si mandano continuamente fanno sentire più che non si faccino gran progressi, e cio per le difficoltà di S. A. R. e del suo consiliero contro l'avviso di tutti li capi, che il non prendersi Orbitello che non importa punto alla Francia e che era attaccato dà 2,500 fanti e 200 cavalli. Ma dà tal discorso di S. A. R. si cava che gli hanno guastato l'animo e parlatoli contro di me.» «Il Duca d'Anghien nel viaggio di S. A. R. al canale di Bruges, nel quale la Riviera non si trovò per essere stato ammalato, prese il tempo per dire a S. A. R. che ogniuno l'adorava quando non haveva apresso di se persone che non sapevano consigliarla, alludendo alla Riviera, e che se si fosse S. A. R. voluta fidare in lui Duca, l'havrebbe fatta rispettare in modo che sarebbe stata padrone, etc.» «M. d'Elbeuf ha detto mille cose a M. Le Tellier delli discorsi tenuti all'armata al disavantaggio della Regina e mio, e che il Duca d'Anghien haveva travagliato grandemente apresso S. A. R., e trà le altro cose gli haveva detto che io haveva concluso matrimonio d'una mia nipote col Duca di Brezé per unirmi intieramente al detto Duca senza participatione di S. A. R., dà che poteva raccogliere, etc.» «Il Duca di Nemours ha spedito dall'armata a sua moglie per dirli che si adoperi congiuntamente al Duca di Mercurio perchè la congiuntura è opportuna per liberare Bofort e rimetter tutta la casa di Vandomo; poiche il cardinale Mazarini era necessitato a far un partito contra quello Duca d'Anghien, che sarebbe favorito dà Monsieur; e la detta moglie spedi subito a suo fratello a Aneto, et il maresciallo d'Estrée m'a parlato assicurandomi che a mio piacere potrei disporre di quella casa. Il Duca di Guisa nell'istesso tempo mi ha fato et alla Regina ogni maggior protestatione, esibendosi ad intraprendere tutto.» «M. d'Elbœuf e li figli hanno stretto M. Le Tellier per veder se potesse sperare una mia nipote per il suo primogenito.» «Gramont, arrivando di Mardic le 18 agosto, mi ha detto che era vero che si erano fatti versi e fogliantine in disprezzo della Regina, etc.» «S. M. accarezzi Mma la Principessa avanti il suo diparto, mostrandone dispiacere, et assicurendola che l'ama più che mai, havendo riconosciuto nelle congiunture presenti il suo affetto e passione, etc.» «Masson, intendant de M. de Vendosme, a veu M. le Prince pour lui demander sa protection de la part de son maistre, et lui faire de grandes protestations de service et d'attachement. Il luy a tesmoigné qu'il avoit grande envie de venir en France et qu'il vouloit lui en avoir toute l'obligation, qu'il estoit pret à y venir sans demander autre assurance que sa parole ou celle de M. le Duc son fils, etc. M. le Prince a respondu d'abord qu'il ne le cognoissoit point, et qu'il vouloit voir la charge qu'il avoit de M. de Vendosme. Masson lui en montra les lettres, que M. le Prince a voulu retenir et ensuite luy a donné de grandes espérances, mais qu'il n'estoit pas encore temps de se déclarer. Le dit Masson a dit que toute la maison de M. le Prince avoit eu grande jalousie de la visite de S. Éminence à madame de Guise et à madame de Montbazon. Que l'on traite fort avant le mariage de M. de Mercœur et de mademoiselle d'Alais, etc.» P. 66: «Gentilhuomo di Vandomo al Principe di Condé per rimetterli tutti li diritti che ha sopra l'ammiragliato.» P. 65, 66, 67 et 68: «Saint-Ibar ha tenuti discorsi perniciosissimi a Brancas (?) contro lo stato e li ministri principali. Ha fatto il possibile per guadagnarlo, e gli ha portato un sacco con mille ducati d'oro. Scriverne a M. de Longaville. In oltre S. Ibar ha fatto ostentatione dicendo la parte che haveva nello spirito del Duca di Longavilla, il quale ha detto a Brancas che, quando fu a Munster li volse dare dieci mila scudi doppo haverli esaggerato le obligationi che il professava per il fu conte di Soissons e per lui. Fece il possibile per imprimere a Brancas che S. A. R. era maltrattata, che nella regenza doveva procurarsi delli avantaggi, et in fine che lui et il Duca d'Anghien dovevano dar la legge e non riceverla. Oltre le mille ducati che insiste per far ricevere a Brancas, procura in mille modi guadagnarlo; e cenando insieme volle metterlo mal a proposito sopra la Regina con parole assai insolenti, et il medesimo di me. Si levò però di tavola Brancas, giurò che non soffrirebbe; mà si mise qualcheduno di mezzo e troncò il discorso cominciato. Brancas et altri assicurano che tutto quello si publica a nostro disavantaggio viene dà lui, che ha molti emissarii per questo effetto. Ha incessamente travagliato per la trega e per impedire che l'armata Olandese non agisce. Va liberamente a Gant et Anversa havendo passaporti amplissimi, et ha commercio coi ministri spagnuoli e continuo, e scrive nuove a Mma di Cheverosa[448]. Parla contro di me in casa di M. de Longavilla che lo seppe molto bene, e benche non fosse allora seguita la morte del Duca di Brezé che ha data occasione al detto Duca di monstrar sentimenti in riguardo all' amiragliato, non fece dimostratione alcuna; anzi queste dichiarazioni di Saint Ibar e la sua condotta e corrispondenze assai publiche con li nemici di questa corona non impedino che non lo colmasse di gratie, favori e confidenze, mentre dimorò a Munster et alla sua partenza.» [447] Une des femmes de Mme de Chevreuse. [448] On reconnaît à quel point Mazarin était bien informé. Voyez plus bas le mémoire de l'abbé de Merci. NEUVIÈME CARNET, ANNÉE 1647 ET 1648. P. 12: «Le bruit de Paris est que je fais partir la Reine parce que Mme la Princesse acqueroit trop de crédit auprès de Sa Majesté, que pour cet effet Mme de Montbazon vi è andata, che per mezzo suo si tratta l'aggiustamento di Mma di Cheverosa per farla ritornare e metterla contra la detta Principessa, la quale a me medesimo ha parlato di questo, mà mostrando di ridersene.» P. 28: «Trattare che il duca di Lorena, facendo dichiarare nullo il matrimonio con la duchessa che è in Francia, alla quale si potrebbe dar molti avantaggi per la sua vita durante sopra la Lorena, et il detto Duca rinuntiando alla Lorena fosse per una remissione juridica del Re d'oggi[449] e dalli popoli acclamato Re di Portogallo, a conditione che il regno ritornerebbe al figlio, il quale si potrebbe maritar con la figlia del detto Duca[450], che sarebbe per la dissoluzione del primo matrimonio legitima. La Francia potrebbe in questo caso obligarse non solamente a fornir le cose necessarie per il tragetto del detto Duca, della sua casa e sue truppe in Portogallo, mà ancora di fornire dell'altre, e promettere una assistenza annua per la sussistenza e la conservazione di esse.» P. 33: «16 décembre 1647. Le marquis M., outre le discours qu'il m'a tenu de la campagne passée, soutenant que l'Archiduc, contre l'avis de tous les chefs de guerre, avoit attaqué Dixmude[451] avec cinq mille hommes de pied et dix mille chevaux, sachant qu'il y avoit près de trois mille hommes dans la place et les recrues des régiments, et soutenant ledit marquis qu'on ne pouvoit pis faire de nostre côté ni pour défendre la place ni pour la secourir, et que cela a grandement servi à relever la réputation dudit Archiduc en Flandre et à faire concevoir une mauvaise opinion des François, c'est-à-dire de leur courage et de leurs forces, il m'a dit en outre que la pensée de l'Archiduc étoit, lorsqu'il alla à Landrecies, d'attaquer Saint-Quentin, et que cela se fut fait s'il y eut eu moien pour les vivres. Il croit qu'il songe à présent à la même chose pour la campagne prochaine, mais surtout de faire des armées pour en faire entrer une en France du côté de la Champagne, composée de cinq mille chevaux et six mille hommes de pied; et c'est un ancien dessein auquel l'Archiduc a ordre d'Espagne de songer, et en son particulier il est bien persuadé qu'on ne peut rien faire de meilleur. Il aura deux mille Espagnols d'Espagne où il envoie trois mille Vallons; il aura infailliblement, à ce qu'il croit, quatre mille hommes d'Allemagne, infanterie et cavalerie, et déjà a envoyé l'argent pour en faire venir au plus tôt. Il dit que l'Archiduc est déjà d'accord avec le duc de Lorraine qui promet de mettre ses troupes à dix mille hommes; mais le marquis ne croit pas qu'il en puisse venir à bout, non obstant gran nombre de prisonniers françois qu'il tire des prisons pour les faire servir dans son corps. On assure qu'il y a déjà la moitié des François dans les troupes de Lorraine. Il dit que l'Archiduc aura ses places garnies, qu'on songe aussi à Rocroy, et que sans l'attaquer on croit qu'une armée entrant dans certain endroit de la Champagne peut aller sans obstacle jusques à Soissons, et que Mme de Chevreuse et les François qui donnent des advis de là assurent qu'avec cela tout sera sens dessus dessous.» P. 68: «Escrire une lettre du Roi à Saint-Ibar de venir ici rendre compte de ses actions; la lui faire rendre par M. l'ambassadeur, et passer outre en cas qu'il ne vienne pas.» P. 73: «Moron (?) porta lettere di Mma di Cheverosa per la Regina e per me. Saper dà S. M. se si devono ricevere, et, a mio parere, non si devono.» P. 92 et 93: «La Reyne pourra faire une réprimande à Brion. Il reçoit des lettres de M. de Beaufort. Serlière, dans la maison duquel ledit Beaufort a logé, vient ici et est entretenu de Brion. Sa légèreté ne vaut rien en ce rencontre. Sa vieille affection pour Mme de Nemours[452] agit en ce rencontre au préjudice de Sa Majesté et de l'avantage du dit Brion, lequel mesme a oblié ce qu'il doit à Sa Majesté et à moi. A parlé a S. Alt. R. avantageusement pour M. de Beaufort... M. de Mesmes, M. d'Avaux et M. de Chatonof se sont rencontrés à la maison de Bourdier. Il semble un rendez-vous, et que quelqu'un ait travaglié pour les faire voir ensemble.» «A quoi peut estre bon pour moi le commandeur de Jars? Toute sa passion est pour Chatonof. Après lui avoir fait donner deux abbayes qui valent vingt mille livres de rente, et une commanderie qui vaut autant, lui avoir fait donner des gratifications d'argent assez considérables, l'avoir traité avec affection et familiarité, je ne trouve pas qu'il m'ait jamais donné le moindre avis qui put regarder mon service, quoique dans les compagnies où il s'est trouvé il aye entendu des choses qui me regardoient, et dernièrement à Petitbourg, s'étant apperçu que S. A. R. étoit fâchée, il ne m'en dit rien comme fit Gersé. D'ailleurs il trouve à redire à tout ce qui se fait. Les malheurs qui arrivent, à son dire, on les pouvoit empescher, et M. de Chatonof l'eut fait sans doute, et les avantages que nous remportons eussent été plus grands si le susdit s'en fut meslé. Dans les occasions, donne ses coups auprès de la Reyne pour l'eschauffer en certaines rencontres. Enfin c'est une peste de la cour.» P. 97: «Les caballes de dehors qui agissent dans le Parlement sont celles de M. de Chatonof et de Beaufort. Beaufort avoit escrit une lettre fort souple, et dans laquelle il demandoit protection à M. le Prince, mais les Importants ont conseillé de ne la point rendre, parce qu'elle auroit fait un méchant effet à l'égard de S. A. R., et n'eut pu rien produire, M. le Prince ne devant demeurer ici qu'un jour ou deux.» [449] Le roi de Portugal, Jean IV, n'avait alors qu'un fils, Alphonse VI, dit l'Impuissant, le prince don Pèdre, depuis roi, n'étant né qu'en 1648, le 23 avril. [450] Anne de Lorraine, fille de Charles IV et de Béatrix de Cusance, née le 23 août 1639. [451] Pris par Rantzaw le 13 Juillet 1647, repris par l'archiduc peu de temps après. [452] Voy. Retz, t. Ier, p. 45, édit. d'Amsterdam, 1731. II.--_Lettre royale sur l'arrestation de Beaufort._ Dans cette lettre, Mazarin s'applique à établir qu'après une si grande affaire toutes les rigueurs du gouvernement se sont bornées à l'arrestation de Beaufort et à _commander à quelques autres de se retirer dans leurs maisons_. Cette circulaire est si habile et si modérée que nous la publions ici comme une solide justification de la conduite de Mazarin, et un tableau fidèle de la situation de la France au dedans et au dehors. ARCHIVES DU DÉPARTEMENT DE LA GUERRE, _Ministère de M. Le Tellier, minutes_, 1er vol., fol. 89. LETTRE DU ROY AUX GOUVERNEURS DES PROVINCES ET AUX GÉNÉRAUX D'ARMÉE SUR LE SUJET DE L'EMPRISONNEMENT DE M. DE BEAUFORT, DU 13 SEPTEMBRE 1643, A PARIS[453]. «Monsieur, depuis qu'il a pleu à Dieu de retirer de ce monde le feu Roy, mon seigneur et père, sa bonté a esté si grande pour cet Estat que bénissant les soins et les conseils de la Reyne régente madame ma mère, cependant que mes armées d'Italie, d'Espagne et d'Allemagne agissoient contre les ennemis de cette couronne, non-seulement en leur faisant teste dans leur propre pays, mais en attaquant leurs places et en éloignant de mes frontières les périls et les incommodités de la guerre, il a augmenté mes prospérités du côté de la Flandre par le gain signalé d'une grande bataille et par la conqueste d'une des plus importantes places des Pays-Bas; tout cela étant arrivé au temps qu'il y avoit plus tost sujet de craindre que la perte que je venois de faire avec mes sujets ne leur donnast le moyen de prendre sur moi quelque notable advantage, m'a obligé de redoubler mes vœux et mes prières pour obtenir la continuation de ce bonheur de la main toute-puissante de celui qui protége les Roys dans leurs justes desseins. Car chacun a pu voir comme par une espèce de miracle les efforts extraordinaires que mes ennemis avoient faits pour attaquer mon royaume n'ont produit autre chose que la perte de leurs meilleures troupes, au lieu du ravage qu'ils s'estoient promis de faire dans mes plus fertiles provinces, et que, par un effet visible de la justice divine, ils ont attiré chez eux les maux qu'ils avoient intention de faire à la France. Ils avoient estimé d'abord, après l'accident funeste qui estoit arrivé, que la conjoncture leur seroit favorable pour tout entreprendre, et qu'après la défaite de mes armées qu'ils ne croyoient pas qu'au milieu des larmes et des afflictions je pusse avoir mis en état de leur estre opposées, ils pourroient exécuter tous leurs desseins sans aucune résistance. Mais le ciel en ayant disposé autrement, les heureux succès qu'il a eu agréable de me départir, leur ont fait recognoistre que l'ancienne valeur de la nation françoise n'estoit pas morte avec son souverain, et qu'il estoit comme impossible qu'ils pussent jamais nous ravir par les armes les advantages que le feu Roy, mon seigneur et père, avoit acquis sur eux depuis l'ouverture de la guerre. Cette cognoissance leur eut sans doute déjà fait presser davantage la négociation de la paix, que je souhaite si ardemment pour le soulagement de mes peuples, s'il ne leur fut resté quelque espérance de se prévaloir des désordres et des divisions qu'ils se promettoient de voir naistre et peut-estre de répandre eux-mêmes dans ma cour au commencement de la régence. C'est ce qui a obligé la Reyne régente, madame ma mère, à redoubler ses soins pour remédier à un mal si dangereux, et qui l'a fait résoudre, après avoir mis par sa prévoyance les forces du dehors en estat de faire plus tost du mal aux ennemis que d'en recevoir d'eux, de travailler à la réunion de celles du dedans, remettant un chacun dans son devoir par une douceur sans exemple, en quoy elle n'a pas moins employé les effets de sa clémence que l'autorité souveraine qui est entre ses mains, afin de fermer la bouche aux plus difficiles, en leur ostant les moindres prétextes qu'ils eussent pu prendre de mécontentement. L'on a pu remarquer avec quel excès de bonté elle a rappelé dans la cour tous ceux qui s'en estoient absentés, combien libéralement elle a remis les uns dans leurs biens, les autres dans leurs charges, et comme générallement elle a voulu attirer tous les grands du royaume autant par ses bienfaits que par la considération de leur devoir et travailler avec eux à la conservation de la tranquillité publique. Mais tous ces effets d'extresme bonté n'eussent pas esté capables de les contenter, si elle ne les eut fait ressentir à mon peuple, auquel les dépenses excessives qu'il faut supporter pour la défense de l'Estat n'ont pu empescher qu'elle n'aye accordé cette année un notable soulagement ayant fait diminuer l'imposition des tailles de dix millions de livres jusques à ce qu'elle puisse faire davantage, comme elle espère bientôt. Encore qu'elle ait été portée à cette résolution par l'inclination naturelle qu'elle a de faire du bien à un chacun, elle a particulièrement esté conviée par la cognoissance qu'elle a eue que le plus assuré moyen qu'elle a de réduire bientôt les ennemis à la conclusion d'une paix générale estoit de faire concourir à un mesme but toutes les forces de mon royaume, en bannissant les divisions de la cour qui sont presque toujours suivies du trouble qui s'élève dans les provinces. Mais enfin ayant vu à mon grand regret que ceux qui ont reçu plus de graces et de témoignages de confiance de ladite dame Reyne, abusant de sa bonté, commençoient à former dans ma cour des caballes et factions qui ne pouvoient que nous estre suspectes, et que je ne pouvois plus différer de pourvoir à leurs secrettes menées sans mettre en péril le gouvernement de mon Estat, ayant particulièrement remarqué que mon cousin de Beaufort estoit celui qui me donnoit plus de sujet de mécontentement et de juste défiance, j'ai esté contraint, de l'advis de mon oncle le duc d'Orléans et de mon cousin le prince de Condé, de m'assurer de la personne dudit sieur de Beaufort, et de faire commander à quelques autres de se retirer en leurs maisons, afin d'assurer par ce moyen le repos de mes sujets qui ne m'est pas moins cher que ma propre vie, et qui enfin n'eut pas pu éviter d'estre troublé, si je n'eusse coupé le mal par la racine, en dissipant les entreprises et factions qui se forment dans la cour, lesquelles dégénèrent ordinairement en guerres civiles et dont les moindres causent en fort peu de temps la désolation entière des peuples. Cependant j'ai bien voulu vous faire part de ce qui s'est passé en ce rencontre, afin qu'estant informé de la grande prudence avec laquelle la Reyne régente, madame ma mère, travaille à conserver mon autorité et garantir mes sujets de tous les maux dont ils pourroient estre menacés, vous apportiez aussi de votre costé ce qui dépendra de vous aux occasions où il sera nécessaire pour les contenir dans l'obéissance qu'ils me doivent. Sur quoi, me remettant sur votre affection accoustumée au bien de mon service, je ne vous ferai celle-ci plus longue que pour prier Dieu, qu'il vous ait, Monsieur, en sa sainte et digne garde. Signé: LOUIS, et plus bas, LE TELLIER.--Escrit à Paris, le 13 septembre 1643.» [453] La même lettre a dû être adressée à toutes les cours souveraines. III.--_Pièces relatives à la conspiration._ ARCHIVES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, FRANCE, t. CVI. Ce rapport d'un agent inconnu de Mazarin est certainement de la fin de septembre 1643; il est, ainsi que le suivant, la source de plus d'une note des Carnets, et tous deux se peuvent utilement joindre aux Mémoires d'Henri de Campion. AVIS DE CE QUI SE FESOIT ET DISOIT A ANET, ET TOUCHANT CAMPION. «Le sieur de Campion (évidemment Alexandre de Campion) estant à l'hostel de Chevreuse et voulant s'en retourner au Louvre, fut conseillé par MM. de Guise et d'Espernon, qui estoient pour lors aussi au dit hostel, de n'y point aller, et pris résolution d'attendre le retour de Mme de Chevreuse qui estoit chez la Reyne; au retour de laquelle il se resolut de n'y point aller, ni même ne fut pas coucher en son logis qui estoit rue Grenelle chez des baigneurs, et lui fut dit que le bruit couroit chez la Reyne qu'il estoit arresté. «Le dit Campion fut adverti qu'il eut promptement à se sauver par M. de Beauregard qui se mit en chaise dans l'hotel de Vendosme pour faire ses visites en assurance et advertir tous ceux qu'il desiroit, craignant aussi qu'il ne fut arresté et recognu. Et M. de Vendosme estoit fort en peine si Campion n'estoit pas arresté, mais on lui dit que le dit sieur de Beauregard lui en avoit donné avis. Le dit Campion sitost averti monta à cheval, et de Paris s'en vint à Versailles où il fut deux jours en attendant les ordres de M. de Vendosme, etc. M. de Vendosme est parti d'Anet à cheval avec Beauregard et trois autres de ses gentilshommes pour aller parler au dit Campion, et pour cet effet envoya devant le dit Beauregard trouver le dit Campion en son logis à Vert, qui est à quatre lieues ou trois d'Anet, à une lieue à côté de Dreux, pour que le dit Campion eut à s'en venir au devant de M. de Vendosme sur le chemin au rendez-vous, entre Anet et Vert; ce qui fut fait, et là se parlèrent fort M. de Vendosme, Beauregard et Campion seulement, les trois autres gentilshommes étant éloignés d'eux et n'étant pas de la conférence. Le dit Campion ne va point assurément à Anet parce que M. de Vendosme craint que cela ne soit sçu. «Le frère de Campion est toujours à Anet[454]. Brillet y est aussi. Le dit Campion (Alexandre) est toujours en crainte. Beauregard l'allant visiter ces jours passés chez lui à Vert et courant dans son village, lui Campion et sa femme eurent appréhension, entendant le bruit des chevaux, en se promenant proche le logis. [454] Voyez les _Mémoires_ d'Henri de Campion, p. 233. «Le dit Campion a conférence par lettre avec Mme de Chevreuse. «Le dit Campion est toujours en visite chez le voisinage, tantost d'un costé, et tantost de l'autre. «M. de Vendosme a force avis de Paris et a tousjours du monde à cheval qui vont et viennent de costé et d'autre. Il a retranché beaucoup de sa maison. De vingt-cinq officiers de cuisine, il n'en a plus que trois. Pour ses gentilshommes, il garde tout, et on dit qu'il vend une partie de ses coureurs, et tout ceci se fait à dessein que la Reyne et monseigneur le Cardinal voyent qu'il n'a aucun dessein. M. de Vendosme fait faire amas d'avoine et fait achepter des chevaux sous main. «M. de Vendosme envoya en grande diligence à cheval donner advis à Campion qu'il eut à ne se tenir en sa maison à Vert et qu'il avoit eu advis qu'il y avoit ordre à le prendre. Le courrier le trouva dînant avec sa femme et Beauregard. Ceci par relation du courrier mesme, qui est une chose très véritable. Ce fut jeudy vingt-trois septembre; et aussitost il monta à cheval avec deux de ses gens, chacun sur bons chevaux, avec pistolets et fusil. M. de Vendosme prend très assurément grand soin de sa personne, et dit-on que si on le prenoit il feroit tous ses efforts pour le sauver. Par relation de ses domestiques. «M. de Vendosme a force visites à Anet de tous les costés de toute la noblesse d'alentour. De cognoissance il y avoit une fois un nommé M. de Clinchan qui avoit page; M. de Cargret, maître de camp d'un régiment d'infanterie; MM. de Crevecœur. M. Du Parc Roncenay, oncle de Campion, y est souvent. M. de Neuilly y estoit, et M. de Hallot, et M. de la Vilette, tous deux parens, et officiers chez le Roy, ainsi qu'un gentilhomme servant chez le Roy. Bref tous les jours force visites. «Du temps du feu Roy, lorsqu'il étoit malade et que l'on attendoit de jour en jour qu'il mourut, force noblesse venoit à Anet faire offre de leurs services à M. de Vendosme. «M. de Vendosme et Madame et M. de Mercœur sont toujours à Anet, et ne sortent point. Ils n'ont esté qu'une fois à la chasse. «M. de Vendosme fut avec M. de Beauregard au devant de Madame qui venoit de Paris où elle avoit esté toujours en une religion au dit Paris, et on croit que c'estoit au Calvaire; et quand M. de Mercœur salua Madame, ils se prirent tous deux à pleurer. Mme de Vendosme est toujours presque avec les religieuses d'Anet, et dit-on qu'elle boit et mange fort souvent avec elles, et qu'elle est servie dans de la fayence. «On dit à Anet que M. et Mme de Nemours sont à Paris, à l'hostel de Vendosme. «Campion (Henri) et autres qui sont à Anet alloient parfois se promener à une demie lieue du logis à pied; mais à présent ils s'en donnent de garde sur l'advis que l'on a donné qu'il y avoit ordre de les prendre, et ne sortent que peu si ce n'est à cheval. Ceci par relation d'un valet de pied. «On espère dans le logis qu'à la Toussaint prochaine M. de Beaufort sortira, et dit-on que Monseigneur le Cardinal sera contraint de sortir de la cour. Par relation d'un valet de pied, il se dit qu'ils estoient plus de cinquante ou soixante qui devoient assassiner Monseigneur le Cardinal s'il eut été à la promenade. «Le bruit court dans le logis, par relation du dit valet de pied, que M. le duc d'Anguin avoit demandé à la Reyne M. de Beaufort et qu'il sortiroit, mais que Monseigneur le Cardinal empesche le plus qu'il peut, attendu que s'il sortoit sa personne ne seroit en assurance; mais qu'il faudra bien que cela soit à la Toussaint. «Par relation d'un valet il s'est rapporté que la Reyne avoit envoyé courrier à M. de Vendosme et à M. de Mercœur pour revenir en cour, et que M. le Cardinal voudroit n'avoir point consenti à la prison de M. de Beaufort, mais qu'aussitost qu'il seroit sorti il faudroit que Monseigneur le Cardinal abandonnast la cour et qu'il ne dureroit pas longtemps en France, et que tous les princes y avoient grand intérest. Par relation du dit valet il fut rapporté qu'une grande partie des soldats qui escortoient M. de Beaufort au bois de Vincennes, n'avoient leurs mousquets que chargés de poudre, en cas que le secours fût venu pour le sauver. Par relation d'un valet, qu'avec un gentilhomme de M. de Vendosme, que je crois qui s'appelle Vaumorin, et encore avec un autre valet de pied, ils furent aussitost au bois de Vincennes pour parler à M. de Beaufort, mais que le gouverneur du lieu leur dit qu'ils ne le pouvoient faire et qu'il y alloit de sa teste. Par relation de domestiques du logis, il court un bruit que la Reyne et Monseigneur le Cardinal font tirer du bled en Espagne et que le bled rencherit fort partout, et que si tous les princes fesoient bien ce seroit le lieu de faire la guerre. M. de Vendosme a quatre ou six valets de pied qui sont tousjours en campagne et ne vont qu'à pied, et sont fort mal vestus de gris. Enfin on tient que M. de Vendosme a dessein de faire quelque chose journellement. Il y a force gentilshommes qui arrivent à Anet; il y en avoit de Vendosme dernièrement, et M. le Cardinal ne durera guère longtemps.» ARCHIVES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, FRANCE, t. CVI, p. 108. AVIS TOUCHANT L'AFFAIRE DE MONSIEUR DE BEAUFORT. «Depuis nos dernières relations par nos lettres des 9 et 14 octobre, nous fumes à Anet où nous avons resté le long du jour et couché. Là nous avons sçu très assurément comme les nommés Beauregard, Brillet, Fouqueret[455] et Ganseville y estoient, et vu Brillet avec le baron Desessart monter à cheval avec pistolets et fusils, estant à la chasse au chien couchant, d'où ils retournèrent à deux heures de là et n'allèrent qu'à un quart de lieue d'Anet. Nous avons appris en ce même lieu de personnes dignes de foi que de deux jours en deux jours il arrive deux espions de Paris qui ne tardent que six heures à faire leur course et sont vestus de gris. [455] Mazarin, dans ses lettres, l'appelle aussi Fouqueret, et dans les Carnets Foucré, Fouqueré, etc. Le vrai nom est Feuguerel. Henri de Campion était seigneur de Feuguerel, et porta, quitta et reprit ce nom, comme il dit en ses Mémoires, _Avertissement_, p. 5. «Monsieur, Madame et monsieur de Mercœur sont tousjours dans leur chasteau avec petit train, ce qui se fait par maxime. «Le baron Desessart l'a quitté six jours par mescontentement de l'avoir refusé d'un cheval de M. de Beaufort. Il ne reste plus de l'escurie de M. de Beaufort que ses deux courteaux anglois et son cheval de bataille. «Ganseville a dit qu'il voudroit bien se dégager du service, mais qu'il ne le peut. Le principal point, c'est qu'il a crainte d'être pris. Sçavoir si ce n'est point par feinte, car il en parle trop publiquement. «Campion (Alexandre) a esté à Anet et y a couché. Il y arriva fort tard et monta à cheval de grand matin pour s'en aller. Il est toujours accompagné de deux de ses gens bien montés à l'advantage avec pistolets et un fusil, et il ne couche point deux nuits en un lieu, estant grandement dans l'appréhension. «...Nous avons appris que les gentilhommes que l'on congédioit n'alloient pas plus loin que Vendosme, Montoire et autres lieux appartenant à mon dit sieur le duc de Vendosme, auxquels on avoit baillé la plus grande partie des chevaux que l'on feint avoir vendus. Nous avons aussi appris que La Lande disoit que l'heure n'estoit pas venue qu'il devoit faire un coup, et qu'après cela c'estoit le moyen de sortir de toutes affaires et d'avoir par force la femme qu'il n'a peu avoir de bon gré. «Nous avons esté à Vert, demeure de Campion (Alexandre) où nous avons sçu que lui Campion avoit couché la nuit dernière chez le sieur Du Parc, son oncle. ... Nous avons esté chez M. Frasel, garde de la manche, où nous n'avons rien appris, sinon qu'il y avoit deux jours que Campion estoit venu prendre possession d'une petite terre proche de lui, attenant Nonancourt, dont il est à présent seigneur, et qu'il y tarda fort peu. Nous avons esté à Bernay où nous avons appris du sieur Du Buisson les demeures des sus-nommés Ganseville et Lalande, et que Lalande avoit esté depuis douze jours deux jours dans ledit lieu de Bernay. Et comme nous parlions de l'affaire, il nous dit qu'il sçavoit de bonne part que la supposition de l'entreprise estoit que Ganseville avec un autre que je crois se nommer Giguet, tous deux appartenant à M. de Beaufort, avoient exprès feint une querelle, pourquoi ils montèrent à cheval de grand matin, et en même temps tous ceux de la maison en firent de mesme, feignant de les chercher, pour trouver l'occasion de rencontrer son Éminence, et pour ce subjet passèrent plus de dix fois dans la rue où demeuroit mon dit seigneur. «Nous avons esté à Orbec et nous avons sçu comme Lalande y tient d'ordinaire sa demeure. C'est à un village qui se nomme Saint-Jean, à une lieue de Lisieux. Il a deux frères et force alliés dans le pays. Il est monté avec avantage, et est en ce pays là attendant les ordres de M. de Vendosme. «Dès le lendemain que M. de Beaufort fut arresté, Ganseville est venu chez lui où il fut quelques jours, et depuis est retourné à Anet où il est à présent bien assurément. Ce que dessus par relation d'un de ses domestiques. Sa demeure est un petit village qui s'appelle Tané, voisin d'un de ses beaux frères qui se nomme Bois Duval demeurant tous près ledit Tané, proche de Capelle et à une lieue d'Orbec. La demeure dudit Ganseville est une simple maison. Nous avons aussi appris à Orbec le tout par la relation du sr Du Buisson, commissaire de l'artillerie, qu'un gentilhomme nommé Francheville, qui est de Gassé, avoit escrit à un gentilhomme proche d'Orbec, et nous croyons que c'est à Lalande, que M. de Beaufort seroit hors dans quinze jours, au moins que l'on l'espéroit. Il n'y a que trois jours que la lettre a esté vue, et on croit que c'est Ganseville qui a escrit la dite lettre. «En m'en venant j'ai sçu que dimanche dernier il y avoit un relai à Saint-Germain de la Granche, et l'autre à Villepreu, qui est le chemin d'Anet à Paris,... lesdits relais y ont esté jusqu'à mardi dernier. «L'homme de chambre de Campion est passé samedi dernier à Villepreu pour aller à Paris, et dit qu'il devoit repasser le lundi en suivant, mais il ne passa que le mardi et dit que son maistre seroit bien en peine, attendu qu'il avoit tant tardé. Il est vrai que ledit Campion se sauva sur un des courreurs de M. de Vendosme. Par relation d'un des palfreniers, celui là mesme qui donna son coureur. Il est très vrai que M. de Vendosme a donné parole à des principaux gentilshommes de la province qu'ils eussent à estre prets lorsqu'ils en seroient advertis. Il est très véritable que les nommés Vaumorin et le père Boullé ou Boullay, comme on l'appelle dans le logis de M. de Vendosme, sont perpétuellement à Paris pour faire le récit de ce qui se passe aux courreurs.» Mazarin, comme Richelieu, avait des agents dans tous les rangs de la société, et les ecclésiastiques n'étaient pas les moins utiles. Parmi eux, le père Carré de l'ordre de Saint-Dominique, qui avait si bien servi le premier cardinal[456], ne servit pas moins bien le second. Il lui faisait de fréquents rapports sur ce qu'il entendait. Il était aussi auprès de lui l'interprète de diverses personnes de la plus haute condition. Ainsi la comtesse de La Roche-Guyon, fille de M. de Matignon, très-souvent nommée dans les Carnets, faisait passer à Mazarin des renseignements précieux par le père Carré qui lui était une sorte de directeur. Il y a un bon nombre de lettres de ce père aux Archives des affaires étrangères. En voici une qui doit être de la fin de l'année 1643, t. CVI, f. 169. [456] Voyez Mme DE HAUTEFORT. «Monseigneur, depuis ce matin que j'ai eu l'honneur de parler à votre Éminence, j'ai eu nouveau sujet de l'avertir et d'exécuter la qu'elle m'a fait l'honneur ce matin de me recommander. J'ai vu ce personne[457] qui m'a averti que celle qui se scandalisoit[458] que vostre Éminence parlât si souvent et si à seul à Sa Majesté avoit parlé à la Reyne, et qu'en suite Sa Majesté ne parlera plus à vostre Éminence qu'en un lieu où grande quantité de monde sera, et vous verra tous deux Sa Majesté et vostre Éminence parler ensemble un peu à l'écart dans la même chambre, et point du tout dans le petit cabinet; qu'elle parlera encore à Sa Majesté fortement, car elle est résolue et hardie. Ce sont les propres mots qui ont esté dits à la personne qui affectionne Sa Majesté et votre Éminence. [457] La comtesse de La Roche-Guyon. [458] L'évêque de Lisieux avec lequel Mme La Roche-Guyon était très liée; ou peut-être Mme de Hautefort à laquelle conviennent très bien les qualifications de _résolue et hardie_. «Campion (Alexandre) estoit de la maison de Vendosme dont il a tousjours tiré mille écus de pension. On a feint qu'il en fut disgracié, et Mme de Chevreuse l'a donné à la Reyne pour servir à elle et à la maison de Vendosme. «Les nuits MM. les princes de Guise et de Beaufort et Campion alloient chez Mme de Chevreuse. Elle souvent quittoit ces deux princes et s'entretenoit avec Campion en particulier dans sa chambre. Souvent elle sortoit la nuit à onze heures en carosse et alloit par la ville accompagnée de ces deux princes et de Campion. Souvent ces deux princes venoient trouver Campion en son logis, et la nuit le fesoient lever de son lit et le prenoient en leur carosse et rodoient ensemble par la ville. Quand il s'enfuit, il prit un cheval en l'hostel de Vendosme. Son cousin a dit à la personne qui aime Sa Majesté et vostre Éminence qu'il rode icy à l'entour, tantost à Saint-Denis, tantost à Argenteuil, et qu'il vient les nuits à Paris. «La jeune comtesse du Lude servira grandement à Mme de Chevreuse. Durant la vie de feu M. le Cardinal, elle recevoit ses lettres et lui renvoyoit. «Avant hier une dame fut à minuit chez une demoiselle, grandissime confidente de Mme de Chevreuse. «Mme de Chevreuse a dit que la Reyne l'avoit assurée de sa demeure icy à la cour, et qu'elle feroit en sorte que Campion seroit rappelé et rétabli à la cour. «Celle qui a donné ces advis a esté visitée ce matin par une personne de grande condition qui estoit faschée de ce qu'elle avoit visité vostre Éminence[459]. Elle a fait semblant de n'estre contente de vostre Éminence, et ainsi elle l'a trompé et tiré tous ses secrets.» [459] Voyez plus haut, IIIe carnet, p. 89. ARCHIVES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, FRANCE, t. CVI, p. 71. LETTRE AUTOGRAPHE DE BRASSY AU CARDIAL MAZARIN, DE LA BASTILLE, 4 MARS 1644. «Monseigneur, depuis cinq mois que je suis à la Bastille, j'ai fait tout ce que j'ai pu pour vostre service, et me suis mis en estat que l'on me peut trancher la teste, pour vous tesmoigner que je n'ai point dessein d'épargner ma vie aux choses où il ira de vostre service. Présentement on me veut faire enteriner une abolition au Parlement comme si j'estois coupable, où il faut que je dise que je vous ai voulu assassiner, ce qui sera enregistré et que l'on verra tant que le monde durera, et qui m'attirera la haine de tous mes parens, estant d'une maison sans reproche, laquelle est de plus de mille ans; je serois le premier qui la tacheroit d'infamie. De plus, Monseigneur, vous sçavez que ceux qui attentent sur les personnes de vostre dignité sont inscrits à Rome sur le livre rouge et ne peuvent jamais eux ni les leurs espérer aucune grace du saint-siége; ce qui me fait supplier vostre Éminence de commander que l'on me sorte d'ici sous caution, aimant mieux la mort que de perdre ce que je me suis conservé en vous sauvant la vie[460]. Je prendrai la liberté de vous faire ressouvenir que vous m'avez promis que l'on ne me feroit point de violence, et que je sortirois d'ici quand je voudrois. C'est pourquoi estant assuré que je suis inutile, je supplie vostre Éminence de me donner la liberté, laquelle me conservera une vie que j'emploierai à vous servir en toutes les occasions que je pourrai rencontrer de vous donner des preuves que je ne suis en ce monde que pour estre, Monseigneur, vostre, etc. BRASSY.--De la Bastille, ce 4 mars.» [460] Cela est bien un aveu du projet d'assassinat. IV.--_Mme de Chevreuse en Touraine, 1644 et 1645._ Les Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CVI, fol. 145, etc., contiennent divers rapports d'un gentilhomme de Touraine nommé Cangé de La Bretonnière, agent soudoyé de Mazarin, chargé de surveiller les démarches de Mme de Chevreuse, et qui allait sans cesse de Tours à Rochefort, à Bordeaux et à Paris. Sa famille ayant connu les Servien, c'est par Lyonne qu'il était entré au service du cardinal, et c'est avec Lyonne qu'il correspondait. Ses dépêches sont chiffrées, mais on les a déchiffrées en grande partie. Donnons-en quelques-unes: MÉMOIRE DE M. DE CANGÉ, DU 11 SEPTEMBRE 1644. «... Dernièrement à l'arrivée de la Reine d'Angleterre à Tours, le sieur Craft, Anglois, conféra, dans le logis de l'abbé de Saint-Julien de Tours, où il logea, après le coucher du sieur abbé, depuis onze heures du soir jusques à deux heures après minuit, avec la demoiselle Galland, autrement appelée la Mandat, qui est confidente de la duchesse de Chevreuse, comme aussi avec le sieur de Vaumorin, domestique du duc de Vandosme, et le sieur du Tillac, domestique du comte de Montresor, pour adviser de faire demander par une personne de haute considération la liberté du duc de Beaufort. De plus le nommé Brillet a fait divers voyages vers le duc Charles de la part du duc son maistre (Beaufort), comme aussi les sieurs Campion par plusieurs fois sont allés à Vendosme, puis ont pris leur route par la Guyenne. La mesme route a esté prise par le sieur de Vaumorin qui partit de Vandosme dans les premiers jours d'aoust, avec un valet de chambre du duc de Beaufort qui le suivit deux jours de suitte. Ce fut un jour après que la Reyne d'Angleterre fut partie de Tours. «Il y a dans la ville de Paris un nommé Mandat, agent de la duchesse de Chevreuse, duquel le logis se peut sçavoir à l'hostel de Chevreuse, qui confère souvent, assisté d'un nommé le Rousseau, autrefois valet de chambre du comte de Montresor, avec un des plus considérés des officiers du Parlement duquel le nom a esté dit à Monseigneur... «Mon dit sieur de Lionne se souviendra, s'il lui plaît, de présenter dès ce jourd'hui dimanche 11 septembre le present mémoire pour recevoir ce mesme jour les commandemens que son Éminence voudra faire au gentilhomme qui va servir en Guyenne, selon les ordres qu'il lui en a donnés.» MÉMOIRE DE M. DE CANGÉ LA BRETONNIÈRE DU 18 SEPTEMBRE 1644. «Despuis le mémoire donné il y a huit jours à Paris, j'ai fait rencontre d'un gentilhomme appelé Mollière (?), qui avoit laissé le duc d'Espernon (Bernard, le seul héritier subsistant du vieux duc Jean Louis) en Gascogne..., et estoit venu de sa part, à ce qu'il me dit, porter quelques despesches à leurs Majestés; et sur ce que je lui demandai si son maistre arriveroit cet hiver en cour, il me dit que non, et qu'il estoit plus utile en son gouvernement pour le service du Roy, et que, bien que quelques personnes désirassent son retour près de S. M., il s'estoit résolu à ne point partir de son gouvernement. Ensuite je lui dis qu'il y avoit à craindre que son refus ne fût expliqué à désobéissance; il me fit response qu'il estoit appuyé d'une si puissante protection qu'il ne craignoit point ses ennemis. Après divers langages, je le conjurai par l'ancienne cognoissance et amitié que nous avons eue de longtemps ensemble, de m'apprendre s'il y avoit quelque espoir de la liberté du duc de Beaufort; il me dit que, pour me parler en confidence, cette mesme liberté estoit désirée des (plus grands seigneurs) de la cour, mais que l'on avoit remarqué si peu de résolution en son Altesse Royale pour demander la grace du prisonnier que l'on avoit peine à en bien esperer, que la Reyne d'Angleterre en feroit priere pressante à sa dite Altesse à l'insçu de la Reyne; de plus, qu'il y avoit aupres de la mesme Altesse deux personnes qui agissoient puissamment près d'elle et faisoient indirectement agir beaucoup d'autres... Ils espèrent aussi que la gouvernante du Roy apuiera près S. M. pour lui faire faire prière à S. A. à l'insçu de la Reyne pour la resoudre d'autant plus à supplier la Reyne en faveur du prisonnier. Ils se persuadent la mesme chose de Mademoiselle envers monsieur son pere par la recommandation de sa gouvernante. «Ensuite je feignis de demander où estoit le comte de Maillé, autrement Beaupuy. Il m'a dit qu'il estoit exilé avec trois autres. De plus je l'enquis s'il n'avoit point vu, depuis le malheur du duc de Vendosme, les Campion, Brillet et Vaumorin, qui estoient à lui. Il me dit qu'il n'y avoit lors près de son maistre que le nommé Tierceville, et du despuis le nommé Vaumorin, mais non Brillet ni les Campion, mais que le jeune Campion estoit arrivé depuis trois jours à Paris en habit d'anglois qui venoit chercher le nommé Craft qui estoit près la Reine d'Angleterre, lequel ne voulut point qu'il fut vu de la dite Reyne ni cognu en la cour. Il m'assura qu'il estoit logé à l'hostel de Nemours; et dans l'estonnement que je feignis avoir de sa hardiesse, il me dit qu'il ne sortoit point de ce mesme hostel que sur un cheval de mille escus, et qu'un homme qui meprise sa vie est capable d'entreprendre de grandes choses. Et lorsque je le voulus en quelque façon forcer de s'expliquer en confidence, il me repliqua de rechef en gascon, etc., etc. «Il me temoigna aussi que le duc de Nemours estoit extremement mécontent, et qu'il en avoit dit force particularités au comte de Candale, où il estoit present; qu'ensuite le dit comte lui avoit dit qu'estant allé visiter Monseigneur, les Suisses lui refusèrent la porte, quoiqu'en sa présence ils laissèrent entrer à l'hostel de son Eminence trois carrosses. Et comme je feignois avoir un regret extrême de laisser partir de Paris le jeune Campion, il m'assura qu'il lui avoit assuré d'être à Agen dans la fin d'octobre, et que si je voulois venir me divertir quelques mois en ces quartiers, il me feroit voir des esprits d'agreable conversation. Je lui dis ensuite que j'avois dessein d'y aller faire priere à M. l'archeveque de Bordeaux de donner à quelqu'un de mes nepveux quelque benefice, et qu'ensuite je lui promettois d'aller rendre mes debvoirs à son maistre et de faire quelque sejour en sa cour. Il me dit de plus qu'en cette même cour et dans le climat où elle fait sejour l'on pensoit que les affaires changeroient de face dans le quartier d'hiver. Il m'a assuré que l'un des Campion, mais il ne m'a pas voulu dire si c'estoit Feuqueret, estoit venu avec lui trois journées, qu'il l'avoit laissé sur les confins d'Allemagne en volonté de venir jusques à Anet par la Flandre, et en sa maison qui est proche, ce qu'il eut déjà fait s'il ne fut tombé malade...» «Monsieur,... je suis demeuré à Bourdeaux jusques à l'arrivée du comte de Candale qui fut le 17 de ce mesme mois, et le 20e j'en suis parti pour m'en revenir chez moi en cette province de Touraine dans laquelle j'ai trouvé la duchesse de Chevreuse fort affligée et alarmée avec ceux de sa confidence, en telle sorte qu'ils se tiennent plus sur leurs gardes que de coutume, et ne parlent pas avec tant d'audace. Or ce que j'ai pu apprendre de plus important en trois jours de séjour que j'ai fait en sa cour est qu'ils ont employé un religieux jeune de 25 à 26 ans, ainsi que l'on me l'a dépeint, qui est de l'ordre des Carmes mitigés, lequel on dit estre fils d'un officier du parlement de Rennes, et qu'on estime excellent medecin, pour conferer estant à Paris avec le medecin qui fut pris à Tours de la maladie d'une dame de ces quartiers, laquelle est femme du sieur de Sure et fille du sieur de Pontcarré, qui est demeuré en ces quartiers malade d'une hydropisie formée. Mais je puis assurer Monseigneur que ce n'est qu'un pur pretexte, et que ce mesme religieux s'est chargé de donner un billet estant dans la prison au dit medecin prisonier, et de lui parler s'il peut en particulier pour l'assurer qu'il ne doit point avoir peur, et que Mademoiselle devoit, par les prieres pressantes de la comtesse de Fiesque, supplier son Altesse Royale de ne permettre qu'on lui fasse son proces. A ce qu'il paroît, l'on voudroit qu'une mort subite l'eut oté du monde. Ce qu'il sçait fait craindre beaucoup de monde. Ce mesme religieux, auquel on doit prendre garde, a sejourné quinze jours dans une maison appelée la Gueritande proche de Montbazon, pendant lequel temps le maistre de la dite maison, qui est un des confidents de la duchesse, a conféré avec force personnes de sa part; puis, pour avoir plus de moyens de faciliter leurs desseins, l'on l'a mené chez le dit sieur de Sure pour ordonner sur la maladie de la dite femme, sans lui donner, à ce qu'ils font voir, aucune cognoissance de ce qu'ils prétendent faire ni de leur secret, hors que, dans l'estime qu'ils lui font avoir de la capacité du prisonnier, ils lui ont persuadé d'escrire au sieur de Pontcarré, son beau-pere, pour lui faciliter par sa faveur le moyen de conférer de sa doctrine de medecine avec le mesme prisonier. Il y a plus, Monsieur, c'est que lorsqu'il passa à Amboise, une demoiselle, qui est femme d'un officier de la forêt du dit lieu appelé Lussant, lui fit donner dextrement par la servante de l'hostellerie un petit papier écrit en arrivant de Chinon au dit Amboise sur les huit heures du soir. Elle eut l'assurance de ce faire sur le souvenir que lui fit avoir la dite demoiselle qu'il avoit autrefois ordonné pour elle estant extremement malade il y a près d'un an, et aussi qu'il lui fut donné une pistole et demie par la dite demoiselle, selon l'instruction de son mari qui est le mouchard de tous les mécontents, lequel reçoit toutes les années des bienfaits de leurs Majestés par les entremises du duc de Montbazon, comte de La Rochefoucauld et prince de Marsillac son fils, qui l'ont protégé jusques ici de telle sorte que diverses personnes qui avoient obtenu des commissions pour informer des ruines qu'il a faites de la forêt d'Amboise, ont été puissamment par ces seigneurs obstaclés[461]. J'en avois escrit quelque chose par les premieres depesches que je commençai à faire; ensuitte desquelles ces Messieurs n'ont laissé de lui faire toucher argent de leurs Majestés; et s'il n'y eut eu aucune conséquence je n'aurois pas réitéré, mais je croirois extrêmement manquer au service que je dois à Monseigneur si je dissimulois les mauvaises volontés qu'il a contre son service, pouvant assurer avec certitude que de sa seule maison sont sortis les premiers bruits qui ont couru en cette province parmi les peuples que l'on avoit arreté de grandes sommes d'argent qu'on transportoit en Italie; et il veut faire croire, quand il debite une nouvelle, qu'elle lui a esté soigneusement escrite par les nommés Lucas, secrétaire du Roy, et Lamy, qui l'a esté aussi du feu marechal d'Effiat, lesquels sont parens de la femme du dit Lussant, que je ne pretends neantmoins accuser d'aucune intelligence, n'en ayant jusques ici entendu parler pour leur particulier, sinon que leur estourdi de parent s'est prévalu beaucoup de fois d'eux dans les services qu'il rend en cette cour et à tous les autres mécontents, desquels il sçait des particularités fort importantes et qui seroient faciles à tirer de lui, tant sur le sujet des voyages que quelques personnes ont fait faire vers les ducs de Lorraine et de Vendosme qu'ailleurs en ce royaume, qui causa le dit Lussant à s'en vouloir fuir à La Rochefoucauld lorsqu'il sçut la prise du medecin, sans qu'il fut rassuré. Il a bien sa mesme audace, mais non pas sa resolution, car s'il estoit arresté la peur lui feroit tout dire. L'on lui fait croire neantmoins que son malheur lui sera avantageux, s'il estoit arresté, à cause qu'estant extrêmement hai en cette province on lui persuade que s'il est accusé tous ses temoings seront dignes de récusation. Mais s'il estoit prisonier, son esprit ne seroit capable de demesler telle fusée. Il ne peut aussi ignorer le pernicieux dessein qu'a Feuqueret (Henri de Campion), que l'on croit, à Bourdeaux, estre allé voir depuis peu de jours, avec le jeune Beaupuy, le comte de Fiesque qu'il a mandé en Hollande. C'est un bruit qui court à la cour du duc d'Espernon. A l'arrivée de son fils, ils furent deux heures enfermés dans un cabinet, et dans leur conference ils parlèrent fort, à ce que j'ai sçu de bonne part, du refus qui fut fait, à ce qu'on dit en leur cour, au mois de septembre dernier, à ce mesme fils de l'entrée de la maison de Monseigneur par un suisse de son Éminence, avec beaucoup d'autres langages qui seroient trop longs à déduire par escrit, et que je réserve à exprimer de vive voix, me contentant par cette occasion de supplier tres humblement Monseigneur de ne point mepriser ce que j'ai mandé sur le sujet de l'abbé de la Riviere et du nommé De Souches qui ont fait et font tout leur pouvoir pour faire agir leur maistre autrement qu'il ne doit et qu'il n'a voulu jusques à présent. Il y en a d'autres qui contribuent à ce mesme dessein, mais non si adroits, si capables ni si pernicieux, ni même si propres à esloigner les apparences de ce qu'ils ont projeté. Et n'estant pas plus assuré de mourir que je le suis de leur mauvais dessein, quoiqu'ils fassent paroistre le contraire, je m'estimerois le plus infidele serviteur si je manquois par toutes les nouvelles que j'en apprends d'en faire certain Monseigneur qui y est autant interessé que leurs Majestés. C'est en ces deux personnes que les factieux ont leur principal espoir, et qu'ils savent estre parfaitement acquis à la maison de Guise, pas un desquels, de la façon que j'en ai entendu parler confidemment, son Eminence ne se peut assurer de leur affection, hors le comte d'Harcourt; aussi les mesmes factieux ne l'aiment point, à ce qu'il paroit. J'omets à dire que ces deux agents de son Altesse font esperer aux mécontents qu'ils feront en sorte, lorsqu'il en sera temps, de lui faire demander à la Reyne tout ce qui depend de la duché d'Orléans et comté de Blois, ainsi qu'avoit feu M. le duc d'Anjou par le traité qui en fut fait avec le Roy Henry. Ils en souhaitent le refus. C'est, Monsieur, ce que je puis escrire par cette occasion, vous suppliant tres humblement agréer que j'aprenne de vous les commandemens de Monseigneur, et me faire cette grace de faire souvenir son Eminence de ce que sa bonté me fit l'honneur de m'assurer qu'en attendant qu'elle me fit donner quelque chose de solide, elle me feroit payer par son authorité ma pension, le brevet de laquelle j'ai laissé, ainsi que m'avez ordonné, à vostre secretaire pour vous le representer, s'il en est besoing, à la fin de cette année. Ce que je toucherai, je ne l'espargnerai pas, et l'emploirai de tout mon cœur au service de Monseigneur.» [461] _Sic_, et plus loin, p. 520. ADDITIONS FAITES A LA MARGE DE L'ORIGINAL. «Vous pourrez apprendre, Monsieur, des nouvelles de ce mesme religieux medecin en son couvent de Paris et à la Bastille où il se sera presenté s'il n'y a bien eu du changement. Le dit Lussant sçait tous ses desseins et force autres. J'ai de plus à vous dire, Monsieur, que lorsque j'étois à Agen le comte de La Rochefoucauld envoya visiter par un des siens le duc d'Espernon sur divers sujets que je ne pus apprendre; seulement J'ai sçu qu'il assura le dit duc que son maistre estant à Paris trouveroit quelque milieu pour avoir le gouvernement de Poitou... Depuis cette depesche escrite, j'ai appris que le mesme Lussant s'en est allé à Paris pour sentir, de la part de la duchesse de Chevreuse, le vent du bureau. Il logera et mangera chez les ducs de Chevreuse, de Montbason et de La Rochefoucauld, et envoyera en ces quartiers leurs desseins.» IBID., P. 135. «TOURS, DU 19 JANVIER 1645. «Monsieur, vous avez sçu par ma derniere depesche qu'à mon arrivée de Guyenne je ne fis que passer chez moi pour m'en aller à Tours auquel lieu je trouvai de la froideur et bien de la retenue à l'entretien de la confidente de la duchesse de Chevreuse, dont je ne me rebutai pas, estimant que c'estoient des effets de l'allarme qu'ils ont eue de la prise de leur medecin, et à mon second voyage que j'ai fait icy je suis demeuré jusques à present depuis quinze jours, et ai donné à cette mesme confidente une monstre que j'achetai à mon retour de Fontainebleau treize pistoles à Blois, laquelle m'a servi à lui faire faire une confession que j'ose estimer generale de ce qu'elle sçait jusques icy, dont les particularités sont que depuis que le nommé Lussant d'Amboise, duquel je vous ai escrit amplement par ma derniere depesche, est arrivé à Paris, il assure que l'on a envoyé deux personnes confidentes à dix jours l'une de l'autre, chargées de quantité de mauvaises pièces et manifestes esgalement audacieux et insolents, au duc de Lorraine et à celui de Vendosme, lesquels confidents en ont été chargés par la duchesse de Montbason qui fait, à ce que l'on tient icy, d'ordinaire telles expéditions par les ordres en partie de sa belle-mère[462], et de quantité d'autres esprits malfaisants de la cour. Cette mesme belle-mère seroit mieux loin que près. [462] Il doit être ici question de Mme de Chevreuse, qui était non pas la belle-mère, mais la belle-fille de Mme de Montbazon. «J'ai remarqué, Monsieur, que ces mesmes esprits ont de pernicieux desseins contre la personne du duc d'Anguyen, qui leur est une sorte d'espine à leur pied et contre lequel ils ont d'extresmes aversions, dans la créance qu'ils ont qu'il est entierement attaché dans les volontés et le service de la Reyne, et qu'il est assuré ami de son Eminence; c'est ce qui me fait à present d'autant plus desirer la conservation de sa personne, et vous assure, Monsieur, qu'il a à prendre garde d'une fille qu'il aime à Paris que l'on croit estre assez malheureuse pour lui donner à manger quelque venin ou de lui en faire present par l'odorat de certaines choses. Les predictions des mécontents sont que ce prince ne la doit pas faire longue. Il a besoin de prendre exactement garde à se conserver. Je vous supplie aussi, Monsieur, de faire prendre garde particulièrement à l'odorat de ce qui sera presenté, tant par placets qu'autres choses plus pretieuses à Monsieur auquel on a promis de faire un present lors de la foire de Saint-Germain, estimable pour sa gentillesse, mais tres-malheureux peut-estre pour ce que l'on y pourroit adjouter. La crainte que j'ai de ces diableries me fait fremir jusques au sang, et me force de rechef à vous suplier, Monsieur, de faire prendre garde plus que jamais à la conservation de son Eminence. «Par les dernières depesches que ce mesme Lussant a envoyées à la duchesse de Chevreuse, sa maîtresse, il assure qu'il y a plus d'espérance que jamais que les deux cabales de ce royaume, qui ont failli il y a quelques jours à esclater, se forment en parti et plustost que l'on ne pense, mais que les particularités ne s'en peuvent dire par lettres. Lorsque je serai à Paris, j'espere demesler ces fusées... Ledit Lussant assure encore par sa dernière que, quelques bruits que l'on ait fait courre du contraire, il est neantmoins vrai que Monseigneur est aussi mal avec le Pape que jamais, mesme que sa sainteté a promis de favoriser les armes d'Espagne, et que dans cette campagne les affligés auront leur tour, et qu'il arrivera ce que peu de personnes savent... «Je ne me fusse jamais pu persuader, si je ne l'avois sçu parfaitement, que la comtesse de Fiesque se fut laissée emporter, dans les intrigues qu'elle a avec les duchesses de Vendosme et de Nemours, de donner à Mademoiselle des conseils esgalement mauvais et pernicieux. Quoiqu'ils soient à l'avantage de ceux de la maison de Guise, ils sont neantmoins importants au service de la Reyne; et qui plus est, pour rendre sa maîtresse plus capable de ces persuasions, elle les fait appuyer par la duchesse d'Espernon et par sa belle fille, et est à present aussi bien dans son esprit qu'elle y a esté mal par le passé, ainsi que disent ceux de sa confidence. «Vous avez memoire, Monsieur, des particularités de mes autres depesches sur le sujet du comte de La Rochefoucauld, son fils, son beau frere, et quelques autres de ses intimes, qui souhaitent avec tant de passion des gouvernements. Je vous puis assurer de rechef que ce n'est pas pour en bien servir les personnes qui les leur peuvent donner, car ils sont acquis et tres attachés aux intérêts de ceux de Guise, et je vous assure que pour une bonne princesse la Reyne est mal et tres injustement servie; et quoique je sois fort impertinent dans les affaires de l'Estat, mon zèle me fait prendre la liberté de dire qu'après ce que j'ai sçu et vu, la Reyne et son Eminence doivent plustost faire des créatures que de permettre que d'autres les fassent. Je réserve à m'expliquer de vive voix et demande pardon à Monseigneur si la passion que j'ai à son service me fait entreprendre d'escrire avec cette liberté au prejudice des respects que je dois à sa Majesté et à son Eminence.» IBID., p. 154.--«Monsieur, depuis mon arrivée en cette province de Touraine, j'ai, avec tous les soins qu'il m'a été possible, recherché les occasions propres à m'instruire des choses les plus importantes au service de leurs Majestés et de son Eminence. «Premierement sera remarqué que la duchesse de Chevreuse reçoit de temps à autre des nouvelles de ce qui se passe à la cour par l'entremise de diverses personnes, et entre autres de Lussant d'Amboise, qui est à present encore à Paris, et qui lui sert d'ordinaire de mouchard tant en cour qu'en cette province. Par les dernieres depesches il assure que le duc de Vendosme est à Aneci, maison de son gendre (le duc de Nemours). Le comte de Montresor la vient visiter ensuite des conferences ordinaires qui se tiennent avec les comtes de Bethune et de Charost et lui; lesquelles conferences ne tendent qu'à faire donner par des personnes interposées de mauvaises impressions en leur voisinage et en d'autres provinces aux peuples du gouvernement de l'Estat, et leur faire avoir d'extresmes aversions contre les ministres. «Est à noter que le mesme Montresor a eu un gentilhomme en cour depuis qu'il en est parti, appellé Fuetillac (?) pour moucharder les nouvelles plus importantes de l'Estat, les faire ensuite tenir à son maistre par diverses voies et adresses. Ce mesme gentilhomme a quelques habitudes en Allemagne où il depesche souvent les nommés Rousseau et Lorrin, aussi domestiques de son maistre qu'il tient en cour depuis sept mois, et lesquels ont porté diverses depesches hors de ce royaume. «Il court ici un bruit sourd que quelques personnes de qualité de la religion ont, avec quelques factieux catholiques qui servent mesme le Roy en apparence, fait passer par la Catalogne une personne dont le nom m'est encore incognu, qui est, à ce que l'on tient, un homme d'intrigues, pour se rendre en Espagne porter nouvelles des factieux de ce royaume et en representer les calamités, et comme les peuples sont à la veille de faire une revolte generale; le tout pour obstacler[463] le raccommodement des affaires avec les ennemis. En suitte de ce bruit il en court un autre plus sur qui est que si la cour va à Fontainebleau le prisonnier de Vincennes sortira, soit par quelque intelligence de ses gardes ou par un effort que doivent faire ses amis apres quelque sedition qu'ils pretendent faire à Paris, lorsque la cour en sera un peu esloignée. [463] Plus haut, p. 516. «Le Palais-Royal, celui de son Eminence et de son Altesse Royale sont meublés de force mouchards qui suivent les ordres de quantité d'ingrats que leurs Majestés, son Eminence et son Altesse ne sauroient obliger. Ils sont plus ingrats au loin qu'auprès. Si Dieu permet que je puisse rencontrer les lumières que je cherche avec toutes sortes de soins, je m'expliquerai plus intelligemment, et specifierai les plus importantes circonstances... «Après avoir conferé avec... homme de la religion, qui sejourne en cette province pour s'en aller en celle d'Anjou où il demeure, je discourus avec lui dans toutes les complaisances dont je me pus aviser. Il s'est ouvert à moi jusques à me dire que Dieu avoit tousjours aimé la France, et que l'on devoit esperer qu'il ne permettroit pas longtemps que le Roy demeurast à la discretion et gouvernement de personnes estrangeres, et qu'il y auroit en peu de bons François, signalés de qualité, qui contribueroient leurs biens et leur sang pour mettre sa Majesté en liberté, et pour la faire instruire et nourrir en sorte que les peuples de ce royaume fussent soulagés de tant d'oppressions; que monseigneur le duc d'Orléans seroit cause en partie de la ruine de l'Estat, si l'on n'y remédioit, à cause des complaisances qu'il rendoit à la Reyne et des souffrances qu'il permettoit que le peuple ressentist; que la trop grande bonté et facilité de ce prince le rendroit un jour misérable et le Roy aussi, s'il n'y estoit remedié; que ceux de la maison de Lorraine avoient de tout temps conspiré contre cette couronne et esperé de s'en rendre maistres; bref, que l'on verroit dans peu de temps les affaires de l'Estat changer de face; que telles personnes de qualité qui en apparence sont les plus complaisans apuyeroient en peu le dessein des bons François. C'ont été là les dernieres paroles à nostre separation.» IBID., P. 174.--DU 2 DE JUILLET 1645. «Monsieur, deux jours apres estre arrivé chez moi, je suis allé à Tours, auquel lieu j'ai visité une demoiselle qui a tousjours été extremement aimée de la duchesse de Chevreuse, et avec laquelle elle a tousjours eu depuis deux ans parfaite intelligence. C'est celle-là avec qui j'ai conféré diverses fois, et laquelle porte avec des ressentiments non pareils l'absence de sa bonne amie. Ses plaintes sont excessives, et lui ont fait dire plus que je pense qu'elle ne feroit dans un autre temps. Les particularités que j'ai cru vous devoir dire sont que l'on n'eut jamais cru que la Reyne eut voulu permettre que son authorité eut servi à venger les passions des ennemis de sa bonne amie, qu'elle dit estre ceux des maisons de Condé et de Longueville et Monseigneur, que Dieu ne permettra pas longtemps les persecutions que l'on lui fait, et dans un temps où elle n'avoit d'autre pensée qu'à songer à son salut, que bientost on verra les effets de la justice de Dieu qui chatie ses créatures quand il lui plaist, et puis brise ses verges. Ses parenthèses tombent sur son Altesse royale qu'elle dit estre le plus ingrat de la terre d'avoir abandonné celle que la conscience et l'honneur l'obligeoient de proteger comme ceux de la maison de Vendosme et de sa bonne amie. Elle n'a pu s'empescher de donner en passant un coup de langue au duc son mari; et après une grande confusion de langages elle m'a demandé si je n'avois point vu un jeune homme de Vendosme, qui avoit passé en Flandre, lequel lui avoit dit des nouvelles de sa bonne amie. Elle ne me put dire son logis, mais bien que je pourrois sçavoir de ses nouvelles chez Mlle Des Cremilliers; et peu après je le rencontrai, et c'estoit celui duquel je vous ai escrit diverses particularités dans ma premiere depesche, il y a un an et plus. Celles que j'ai apprises à présent sont assez considérables pour vous les déduire exactement, ainsi que je le ferai ensuitte, après vous avoir assuré que, si cette demoiselle dit vrai, ceux d'Orleans n'ont jamais plus regretté la mort de leur Pucelle que ceux de Tours sa bonne amie. Le mesme jeune homme a esté laquais du duc de Beaufort et un peu avant sa prison l'un de ses valets de chambre. Le commencement de ses discours fut fort changeant, car tantost il disoit qu'il venoit d'Italie, puis qu'il venoit de Flandre, et après seulement de Vendosme. Enfin il m'a confié qu'il estoit parti d'Italie le 29 de mai, pour s'en venir en Flandre, où il est arrivé le 21 juin, et a donné deux lettres à la duchesse de Chevreuse qui estoient enfermées dans une canne, avec celles qu'il a apportées de Paris, auquel lieu il dit avoir sejourné sept jours, couché une nuit à l'hotel Vendosme, quatre à celui de Nemours, une à la maison du sieur de La Rochefoucauld, le mesme jour que le duc de Chevreuse ne voulut pas permettre qu'il couchast dans la sienne; la dernière nuit il coucha avec Lussant qui le mena le lendemain à Rochefort où il laissa quelques lettres. Je crois qu'il n'attend que l'arrivée du dit Lussant qui doit aporter quelques depesches pour Vendosme, et aussitot il sera depesché pour l'Italie. Il ne m'a pu assurer s'il repassera par Paris. Si cela estoit et qu'il put estre arresté, l'on aprendroit des choses fort importantes. Il est bien certain que le nommé Hurliers qui est au comte de Brion lui a baillé, à l'insçu de son maistre, à ce qu'il dit, une lettre de faveur, adressant à l'escuyer du comte d'Acer (?), pour favoriser son embarquement à Marseille. Le dit Hurliers est frère d'un nommé Vaumorin qui est au duc de Vendosme. Il m'a assuré que lorsqu'il partit d'Italie, le nommé Tierceville estoit allé de la part du duc de Vendosme à Rome pour y faire paroistre les doleances de son maistre, qui se plaint de ce que l'on ne veut, à ce qu'il dit, faire juger son fils au Parlement de Paris, et que l'on le veut faire perir comme Saint Philibert et Heudeville, prisoniers à la Bastille. Il y ajouste les mepris dont il dit que l'on traite toute la famille de son maistre, les persecutions que l'on fait à ses sujets par des logemens de gens de guerre dont ils sont presque tous ruinés, mesme ceux d'Estampes; les restrictions que l'on a encore fait depuis peu à son fils prisonier, auquel il avoit charge de faire passer quelques lettres, lesquelles il dit avoir mises ès mains d'un nommé Monuau. Pour conclusion il se repait d'esperances, et croit qu'il arrivera bientost quelques choses qui feront changer de face aux affaires de l'Estat. L'on croyoit, à ce qu'il assure, d'où il est parti, qu'en arrivant en France, il y trouveroit la plupart des provinces soulevées et protegées par le Parlement, ce qui fut, dit-il, arrivé sans la lacheté des uns et l'avarice des autres qui les ont portés dans une desunion. Mais il a promis que, quoique puissent faire les hommes, Dieu secourra bientost les affligés par des moyens que les almanacs ne sauroient dire. La pluspart de ses discours n'ont pas grande liaison parce qu'il revient à dire les choses qui semblent le satisfaire le plus; mais ce que j'en ai pu ramasser m'oblige à vous assurer, Monsieur, qu'il est important de ne point laisser aprocher aucun homme de cheval qui ne soit bien cognu du carosse de Monseigneur, ni aussi peu de sa chaise, et particulierement le soir lorsque son Eminence va de son palais à celui du Roy, ou qu'il en revient. Ce qui peut estre à craindre est à la sortie ou entrée de la rue venant du jardin. Les gardes peuvent facilement y soigner, et ceux de son Eminence lorsque sa personne sera en son carosse. Je vous supplie, Monsieur, d'apuyer cet advis à ce qu'il ne soit meprisé. Si l'on pouvoit se saisir de ce jeune homme qui est vestu de gris, le poil chatain, la barbe qui commence à lui percer, les cheveux fort longs, et à ses deux moustaches deux rubans noirs et au chapeau deux glands l'un vert et l'autre orange, l'on sçauroit de lui choses si importantes que je voudrois qu'il m'en coustast de mon sang qu'il fust arresté.» IBID., p. 198.--«Monsieur, le malheur de mes affaires qui ne m'ont pu permettre de retourner à Vendosme depuis ma derniere depesche, m'a donné lieu d'aller neantmoins par diverses fois à Tours où j'ai appris des particularités qui me forcent de dire que la demoiselle Mandat, qui a toujours esté extremement confidente de la duchesse de Chevreuse, seroit mieux pour le bien du service de leurs Majestés esloignée de cette province que dedans. Les raisons sont, Monsieur: premierement qu'elle agit avec dexterité et puissamment selon les ordres de sa maîtresse. Les derniers lui ont esté apportés par un laquais que la mesme duchesse a amené d'Espagne, vestu haut en bas de chausses d'un gris sale, et le pourpoint de peau de mesme couleur. Il est de taille allignée, les cheveux noirs, et sans barbe. Il a sejourné quelques jours à Cousières, maison du duc de Montbazon, feignant n'y estre venu que pour apprendre la santé de l'enfant de Paquine, valet de chambre de la duchesse et de... espagnole, sa femme de chambre. Mais enfin j'ai sçu, non sans difficulté, la plus grande partie des particularités de ces depesches qui me tentèrent fort de le faire arrester, et je l'aurois fait si j'eusse eu quelqu'un à qui me confier, osant vous assurer, Monsieur, qu'il a dit force choses qui donneroient de grandes prises sur le duc de Vendosme et la duchesse de Chevreuse et leurs partisans. Ses nouvelles sont que le mesme duc est à present à Rome depuis un certain temps, où l'on avoit feint quelques jours ne le vouloir recevoir. Mais les industries et adresses de ses agents ont réussi, à ce qu'assure ce compagnon qui en venoit, et lequel a apporté l'ordre à Vendosme de faire conduire à Rome des dogues d'Angleterre que le duc de Vendosme veut donner à quelques cardinaux de ses amis. Et pour abuser les esprits des peuples de cette province, cette mesme demoiselle assure que l'on nous croit en Italie plus heretiques que les protestants d'Allemagne; assure de plus que l'on ne veut en France paix ni treve, le tout pour favoriser les desseins des Suedois au préjudice, disent-ils, de la religion catholique, et pour donner lieu aux armes du Turc de piller la Sicile après avoir ruiné l'isle de Candie, ainsi qu'ils disent avoir commencé. Voulant en outre cet esprit infecté de tant de nouvelles seditieuses persuader que les progres des armes du Roy en cette campagne n'ont reussi que par la faveur de celles du Turc; allègue pour appuyer ces impostures l'attestation d'une damoiselle, femme d'un officier de l'un des vieux regiments, laquelle dit avoir reçu lettres de son mari estant au siege de Roses que sans cette armée turque cette place n'eust été prise par l'opposition des armées d'Espagne qui n'osèrent s'embarquer. Et a de plus, par un excès d'impudence, cette dite femme d'officier dit et redit, dans une passion deresglée fondée sur quelque vieille amitié d'Amboise, sur le sujet du décès du prisonier de Pignerol[464], des paroles si insolentes et si seditieuses qu'il est impossible de pouvoir rien adjouster au manque de respect; et feignant de plaindre la duchesse de Vendosme de laquelle elle est aimée, predit des choses que peut estre elle ne croit pas, et qui ne peuvent estre, ainsi qu'elle les figure, que pour noircir les actions de quelques personnes de respect. [464] Le président Barillon, mort dans la citadelle de Pignerol, le 30 août 1645. Cette lettre doit donc être postérieure à cette date, et on peut la mettre au commencement de septembre. «Je ne veux omettre à vous dire, Monsieur, que la confidente, qui a des intrigues à Vendosme aussi bien qu'ailleurs, m'a assuré que la dame du lieu lui avoit mandé que le père de Gondy, appuyé du père Vincent, avoit porté le Coadjuteur de l'archevesché de Paris[465] de faire en sorte que ceux qui iroient de la part de leurs Majestés vers les deputés de l'assemblée trouvassent en lui forte opposition sur ce que l'on leur demande, et qu'ayant desjà fait voir les puissances de son bel esprit par de pressantes raisons qu'ils disent avoir esté alleguées par lui, il a promis qu'il ne fléchira point. Mais j'ose dire, Monsieur, que de la sorte que je lui en ai ouï parler, il y a apparence que ce prélat soit prevenu par d'autres considerations que celles de la conscience. [465] C'est la première fois que dans nos documents il est question du Coadjuteur, et en des termes qui font honneur à la sagacité de Cangé. Retz nous raconte cet incident de l'assemblée du clergé de 1645, t. Ier, p. 75. «En attendant, Monsieur, que j'aye plus de moyens de servir plus utilement Monseigneur, je supplierai de jour à autre la divine providence de vouloir conserver S. Émin. en sa sainte garde, et vous, Monsieur, me faire l'honneur de vous ressouvenir de vostre pauvre serviteur qui est à present le plus affligé homme de sa condition qui soit en ce royaume.» V.--_Mme de Chevreuse en Flandre, 1646 et 1647._ Parmi les papiers de la secrétairerie d'État espagnole conservés aux Archives générales du royaume de Belgique, liasse A, 51, est un Mémoire curieux où l'on voit toutes les intrigues des émigrés français de ce temps, et particulièrement de Mme de Chevreuse et de Saint-Ibar. L'auteur de ce Mémoire est l'abbé de Mercy, déjà employé, en 1640 et 1641, dans l'affaire du comte de Soissons, et qu'en 1647 l'archiduc Léopold, gouverneur général des Pays-Bas, avait envoyé en Hollande pour reconnaître quel parti on pouvait tirer des émigrés et quel traité on pouvait faire avec eux. Il s'agit surtout ici du comte de Saint-Ibar que Retz nous a fait connaître, et qui était un homme de la trempe de Montrésor. Mme de Chevreuse y paraît comme l'âme secrète de la conspiration dont Saint-Ibar est l'instrument actif et officiel. L'abbé de Mercy grossit l'importance de ceux avec lesquels il traite pour relever la sienne, et il ne faut pas croire à tout ce qui est dit ici des dispositions de Condé; mais il est certain que depuis le refus de l'amirauté à la mort d'Armand de Brézé son beau-frère, et l'abandon où Condé accusait Mazarin de l'avoir laissé en Espagne devant Lerida malgré toutes ses promesses, M. le Prince commença à livrer son âme aux pensées funestes qui l'entraînèrent plus tard et manquèrent de le perdre lui et toute sa maison. Nous devons la communication de cette pièce à M. Gachard, archiviste général du royaume de Belgique, dont l'obligeance est aussi connue que la solide et vaste érudition. «MÉMOIRE DE CE QUI S'EST NÉGOTIÉ ET TRAITÉ AU VOYAGE DE L'ABBÉ DE MERCY EN HOLLANDE ENTRE LUI, LE COMTE DE SAINT-IBAL (SIC) ET Mme LA DUCHESSE DE CHEVREUSE. «Comme la conjoncture et disposition présente donne à espérer de pouvoir entrer en traité de ligue avec le prince de Condé, et que la seule chose qui lui donne crainte, faisant sa déclaration dans le royaume, à quoi le porte son ressentiment du gouvernement présent, est qu'il est persuadé, et par lui-mesme et par sa sœur la duchesse de Longueville et ses amis, que dans les emplois périlleux où l'on l'a tousjours jetté, le Mazarin a desiré son esloignement et sa perte; oultre que son grand courage et son ambition le portent à desirer une révolution dans le royaume qui lui donne une aucthorité entière, et, en procurant la paix que l'intérest de Mazarin n'est pas d'y souhaiter, d'acquérir l'affection et applaudissement de l'Estat et du peuple, et d'estre en posture de mettre sa maison et ses amis dans les postes et aucthorités qu'il croit leur estre dus, et de ne dépendre plus désormais d'un ministre odieux duquel il paroit subalterne et dépendant. «Or la seule chose qui lui donne le plus à craindre de prendre en cela les résolutions que notre intérest comme le sien est de souhaiter, est la défiance qu'au lieu de trouver en la maison d'Austriche l'attachement, l'intérest et l'union qu'il croit lui estre nécessaire pour parvenir à ses fins avec sureté, il n'arrive le contraire, que, commençant une déclaration, l'Espagne ne se ligue plustôt à la défense des intérests de Mazarin qu'il considère comme sujet d'Espagne, et que par le moyen de la Reyne il ne se fasse plustôt une ligue entre eux pour le perdre et ruiner ses desseins, par les assurances de conclure une paix avantageuse, et que les ministres d'Espagne ont tesmoigné jusques alors désirer avec tant de passion qu'il a semblé au prince de Condé qu'ils l'aimeroient mieux acheter à quel prix que ce soit, que de prendre le hasard d'une continuation de guerre, quelque espérance qu'il y eut de causer un changement à leurs affaires. «Et il a esté d'autant plus persuadé de n'oser songer seulement à s'ouvrir à nous pour aucun dessein par le peu d'estime et d'estat que le duc de Longueville a vu publiquement à Münster que l'on a fait de la seule personne qu'ils ont le plus en confidence, comme estant leur intime ami, le comte de Saint-Ibal, jusques à avoir esté, contre la civilité mesme ordinaire envers personne de cette haulte condition, refusé à la porte des ministres d'Espagne, y allant pour entrer en négociation avec eux et traiter des choses les plus importantes qui se pouvoient en ce temps là, et que, offrant de pousser à bout le soulèvement du Languedoc qui avoit comencé en ce temps là, le comte Pegnaranda lui fist response qu'il le prioit de ne se mesler de cela et que du costé d'Espagne on y avoit mis l'ordre nécessaire; oultre que mesme jamais ils n'ont voulu lui accorder passe-port pour sa sureté d'aller et venir de Münster en Hollande; où aussi l'on l'a tousjours laissé sans lui donner les assistances nécessaires pour sa subsistance et qui lui avoient esté accordées au traité de Sedan, duquel on lui avoit l'une des principales obligations, n'ayant reçu jamais, ni devant ni depuis la mort de feu M. le Comte, que cinq mil francs, il y a trois années. Or, tous ces mauvais traitements ne paraissant au prince de Condé, au duc de Longueville et à leurs amis estre faits au dict Saint-Ibal que pour estre connu irréconciliable à Mazarin, qui comme la mort a tousjours apréhendé son intelligence avec les ministres d'Espagne, comme aussi l'approche de sa personne à celle dudict prince, quel sujet pouvoit-il avoir de se fier à nous proposer aucun traité qu'il n'en apréhende en mesme temps la déclaration estre faite à la Reyne et à Mazarin, qu'il considère l'une comme sœur du Roy et l'autre comme son sujet, et les seules de qui l'Espagne a tesmoigné vouloir recevoir la paix qu'elle tesmoigne desirer avec tant d'ardeur et de passion? Ils ont cru mesme ne pouvoir plus douter de ce soubçon après que le baron de Balembour (sic), faisant compliment à Saint-Ibal de la part d'un ministre principal de l'Empereur sur le mauvais traitement qu'on lui faisoit pour n'y contribuer rien de sa part, lui dit clairement que son malheur parmi nous estoit qu'il se fut rendu irréconciliable avec le favori de France; quoi qu'à mesure que nos ministres le traitoient de la sorte, ceux de France lui rendoient des visites publiques, respects et defferences incroyables; oultre que les passeports qu'on a refusés avec tant d'obstination à Mme de Longueville, pour n'aprocher seulement en passant cette cour, ne paroit qu'un mécontentement donné exprès à cette princesse par adresse de Mazarin pour la rendre plus irreconciliable et moins praticable avec nous, et par ainsi en avoir moins à craindre, si bien que le prince de Condé, quoique desirant peut estre pour son intérest autant le parti que nous le pouvons pour le nostre souhaiter, voyant que le commençant il auroit peust estre aussi tout le faix à suporter, et à y aprehender pour les raisons susdittes une perte de ses interests inévitable et de sa personne, il est necessaire le rassurer là dessus; et comme il ne se peut que par le moyen de Saint-Ibal, il faut donc entrer en entière confiance avec lui, lui donner tout contentement, et par son moyen ne perdre temps à commencer à agir en cette affaire selon le besoing que nous pouvons en avoir: dont ci après je dirai les moyens pour cet effet. «De plus il est à noter que les mesmes soings et précautions que l'on croit par les indices susdicts que Mazarin apporte pour esloigner de toute intelligence la maison de Condé d'avec les ministres d'Espagne, il l'a apporté pour maintenir et fomenter une desunion entre les amis et parens de Mme de Chevreuse et le susdict prince. Il est notoire aussi qu'il l'a fait, comme il se preuve par le grand desmelé qu'il a causé entre le duc d'Espernon et le susdict prince, la brouillerie d'entre Mme de Monbazon et la princesse de Condé la mère, le différent d'entre plusieurs autres seigneurs et la maison de Vendosme; toutes lesquelles choses preuvent assez l'adresse en cela de Mazarin et son intérest de désunir toujours les choses qui lui peuvent faire mal. Mais quant à ce point de la désunion et mésintelligence jusques à présent des intéressés à la cause de Mme de Chevreuse et ses amis avec le Prince, c'est à quoi l'on travaillera à raccommoder incontinent les différends aussitot qu'on aura ajusté ici avec Saint-Ibal et donné à connoistre que tout de bon nos ministres veulent entrer en confiance et traité avec lui, et par lui avec le Prince et par Mme de Chevreuse avec ses amis et parents; qu'en ce cas aussitot Saint-Ibal despechera un gentilhomme, des quatre qu'il a affidés en Hollande, au Prince pour le rassurer sur toutes les choses susdites, le presser par toutes les raisons possibles à prendre une prompte resolution, et faisant ses propositions de ce qu'il peut désirer de l'Espagne et des Ministres en ajuster le tout avec nos Ministres le mieux et le plus promptement qui se pourra. Il en despechera un autre au Languedoc où il a ses plus secrètes intelligences, pour y disposer et fomenter le soulevement qu'il assure infaillible, si nous faisons de nostre costé ce qu'il nous dira et conseillera. Il en despechera un autre à la Rochelle où il pretend aussi donner une disposition parmi les Huguenots, qui aura un grand effet, et il verra avec Mme de Chevreuse les moyens pour enlever le jeune duc de Rohan[466], pour, dans la declaration de ces gens, le leur jeter pour leur chef avec d'autres qu'ils ont encor en main. Il en envoira aussi un autre, conjointement avec Mme de Chevreuse, au duc d'Espernon, pour le reunir avec le prince de Condé et les autres amis de ma ditte dame, et les obliger à faire pour cela tout ce qui sera necessaire et que le Prince desirera. [466] Tancrède de Rohan, tué depuis dans la guerre de Paris. «Il disposera aussi que nous pourrons faire une descente au bec d'Ambès, poste très important entre la rivière de Bourdeaux et la Dordogne, comme aussi une autre à l'île de Ré. «Il ira aussi de sa personne à Münster près la personne du duc de Longueville[467] pour le disposer à seconder son beau frère de la grandeur duquel il est si désireux comme de sa conservation qu'il ne souhaite rien tant sinon qu'il commence une chose de cette nature, pourvu que ce soit sur de bons fondements. De plus, comme ledict duc de Longueville est gouverneur de Normandie, il est en résolution, à quoi Saint-Ibal le poussera toujours, de s'y rendre maistre du Havre de Grace, le gouvernement particulier duquel il presse fort en France, et, si l'on ne lui donne, de s'en emparer. Il fera prendre aussi un sujet de mécontentement audit Duc avec Mazarin qui lui fait faire un personnage à Münster qui le ruine sans avoir l'aucthorité de conclure la paix, ni d'y rien faire pour le bien de la France[468]. Et comme on lui refuse de se retirer, ce qu'il ne pourra que mal content, en ce cas on trouveroit encor autres expédients pour le gagner en ce que nous desirerions. [467] Voyez plus haut, p. 497 et p. 500, les carnets de Mazarin. [468] Voyez LA JEUNESSE DE MME DE LONGUEVILLE, chap. IV, p. 325; et sur les relations de Saint-Ibar avec Mme de Longueville, v. aussi, _ibid._, p. 288. «Que si, enfin, sur toutes ces choses l'on prend une bonne résolution et on donne audict Saint-Ibal la satisfaction et confidence qu'il desire, aussitôt accordée, il se trouvera incontinent ici, ou en quelque lieu qu'on lui assignera, pour donner encor plus particulièrement conte des choses qu'il peut et desire faire, et en traiter avec M. le marquis de Castel Rodrigo, avant son voyage d'Espagne mesme s'il le desire, ou avec M. le comte de Schwartzemberg, et instruire l'un ou l'autre si particulièrement de toutes choses qu'on ne puisse douter du grand avantage que l'on recevra par son entremise et negotiation; d'autant plus que lui et Mme la duchesse de Chevreuse m'ont assuré qu'encor bien mesme, à quoi il n'y a point d'aparence, qu'après les diligences qu'ils feront pour engager le prince de Condé, il retarderoit ou demeureroit irresolu, ils donneront des moyens certains aux ministres et à S. A. que faisant, la campagne qui vient, une entrée en France en la manière et façon dont ils instruiront, il y aura des villes, ports de mer, provinces et parlements qui seconderont; et que cette entrée fera un tel effet, qu'il obligera et necessitera toujours ledict Prince à entrer en parti et déclaration, et qu'alors Saint-Ibal se rendra à l'armee proche S. A. pour payer de sa personne en faisant exécuter tout ce dont il aura esté convenu avec Mme la duchesse, lui, S. A. et les ministres du Roy. «Sur toutes lesquelles choses, si l'on prend de bonnes résolutions et promptes, outre que Saint-Ibal se trouvera pour en concerter avec M. le marquis de Castel Rodrigo ou M. le comte de Schwartzemberg, Madame la duchesse, toute chose estant conclue, et en estant priée, viendra à Bruxelles l'hiver pour estant sur les lieux aider et assister à tout autant qu'elle pourra. Si non, comme elle ne peut tousjours demeurer dans cette ambiguë et irrésolue conduite ordinaire de nos ministres, luy estant offert de la part de la Reyne et de Mazarin pour elle et ses amis de grandes satisfactions, elle sera contrainte à s'accommoder; ce qu'elle ne fera pourtant jamais sans la participation du Roy, de S. A. et des ministres. Pour Saint-Ibal, il est vrai qu'il assure qu'encor que nous ne prenions nulle résolution sur tout ceci, il demeurera tousjours irréconciliable avec Mazarin, mais qu'il croira avoir grand sujet de blasmer nos conduites en esloignant par des fausses maximes des négociations dont il se peut tirer tant d'avantage sans rien risquer, lesquelles devant avoir un commencement avant d'en venir à la jouissance, il y faut travailler avec soing et application par tous les moiens possibles, autant que l'importance le requiert. «Or, outre les services et avantages que l'on peut tirer en France par le moyen de Saint-Ibal, il m'a fait connoistre pour indubitables que les obligations principales que nous avons pour les bonnes dispositions qui sont en Hollande pour une paix, sont dues à la princesse d'Orange, la mère, les ministres d'Estat P... et K..., le baron d'Obdem et un autre dont j'ai oublié le nom; il m'a aussi fait voir, en la présence mesme de l'un et l'autre, qui tous me l'ont avoué, que les instructions qu'il leur a données, la chaleur avec quoi il les a poussés, les a fait demeurer fermes contre la France et porté Obdem à entreprendre le voyage dans les provinces pour en tirer leur consentement pour la paix, ce qui lui réussit si bien que de là sont venues les conclusions prises, et ce qui causa le grand différend entre le prince d'Orange, Brederode et autres contre ledict Obdem, qui pourtant estant tous unis à la mère et appuiés des bons conseils de Saint-Ibal tiennent le Prince en estat de n'oser rien entreprendre contre eux. Et comme, encor que les apparences et dispositions soient grandes pour la paix avec la Hollande, la chose n'est pourtant encor assurée, ledict Saint-Ibal promet et assure de tellement disposer le tout par des voies infaillibles qu'il nous fera connoistre, que pour certain il empechera tousjours que l'on entre en campagne l'année prochaine, et maintiendra le prince d'Orange[469] en tels sentiments qu'il contribueroit mesme ce qu'il pourroit pour causer une révolution grande en France, afin que de grands changements y arrivant il puisse espérer de monter à cheval pour la guerre qui est toute son ambition, et où il ne croit jamais parvenir que par de grandes disgraces et révolutions en France, qui donnant jalousie aux Estats il en prenne occasion pour les porter avec de bonnes raisons à lui laisser faire campagne, en quoi Saint-Ibal saura tousjours avec adresse le maintenir; ce qu'il peut mieux que personne, et lui faire faire ce que nous pouvons souhaiter, tant par la haute adresse qu'il a que par l'aucthorité qu'il a sur son esprit et celui de sa mere. [469] Guillaume de Nassau, mort en 1650, à l'âge de 24 ans, père du célèbre Prince d'Orange, depuis roi d'Angleterre. «Enfin, comme en cent manières nous pouvons tirer de grands services et avantages dudict comte Saint-Ibal, ainsi que je l'ai reconnu et me paraît infaillible, comme en dissipant avec adresse les prétentions et menées que peuvent avoir les François en Hollande et Münster ou en donner des avis; faisons demandes pressantes de Saint-Ibal avant toute chose, premierement que tout à l'heure on lui remettra en Hollande, par lettre de change, douze mil francs, tant pour pouvoir despecher en France les personnes ci-dessus nommées qu'autres choses nécessaires à faire; qu'on lui despechera un brevet d'assurance de pension de mille francs par mois, qu'on lui a desjà autrefois promis, de laquelle pourtant il ne pretend entrer en premier paiement que dans trois mois que l'on commencera à connoistre les effets de ses services; que par une forme de lettre S. A. l'assurera de donner assistance et entretenement aux particuliers qui s'emploieront au bien de cette affaire par l'ordre et commission dudict Saint-Ibal, selon la relation du merite et importance de chacun d'eux qu'il donnera, que l'on mettra près de sa personne un qui soit confident et bien connu des ministres de S. A., tant pour l'aider aux chiffres et choses de correspondance que pour l'aider en tout ce qu'il pourroit avoir à faire, et estre tesmoing de sa conduitte en toutes les choses du bien de cette négotiation.--Fait ce 27 septembre 1647. P. ERNEST DE MERCY.» VI.--LETTRES DE MAZARIN Bibliothèque Mazarine, 5 vol. in-fol. aux armes de Colbert. _Affaire de Beaufort._ LETTRES ITALIENNES, T. IV, 188, AL SIGNORE CARDINALE BICHI, 24 AGOSTO 1643. «...Vostra Eminenza apprenderà dà molte parti lo stato mio in questa corte, onde li dirò solamente che ricevo ogni giorno grazie maggiori della Maestà della Regina e dal signore duca d'Orleans; e per il medesimo caso gl'invidiosi del posto che io tengo si animano sempre più, e non lasciano indietro diligenza alcuna per precipitarmi. Si io potessi sodisfare tutti, lo farei volontieri, mà il mio delito consistendo in servire bene et in havere la buona gratia di sua Maestà, sono obligato di procurare, per quanto potrò, di render mi ogni giorno più criminale. Conosco la grandeza del posto nel quale mi trovo, mà conosco ancora che non essendo tentato dà alcun interesse particolare, questo posto non serve che a togliermi ogni riposo. Iddio l'ha voluto cosi, e nel conformarmi alla sua volontà so di non poter errare, mà vorrei bene che piacesse a sua divina Maestà di restituirmi alla quiete...» LETTRES FRANÇOISES, T. Ier, FOL. 106, VERSO, LETTRE DE 9 SEPTEMBRE 1643, AU MARÉCHAL DE LA MEILLERAIE. «Je trouve dans celle que vous m'avez fait la faveur de m'escrire du 6 de ce mois, tant de marques d'affection et de tendresse que je serois insensible si je n'en estois touché jusques au fond de l'âme. Après cette véritable protestation, permettez-moi de vous dire que, bien que j'estime comme je dois votre conseil, et que, voulant user des autres précautions que la prudence me conseillera pour ma conservation, je ne puis condescendre à celle-là, qui n'est, à mon avis, conforme ni à mon humeur ni à la situation des temps et à la disposition des esprits. Quand même je me tromperois en ceci, le désintéressement de ma conduite, dont nulle considération du monde ne me fera départir, et la pureté de l'intention avec laquelle je regarde le bien de l'Estat, la résolution ferme et inébranlable que j'ai de faire plaisir à qui je pourrai et de ne faire desplaisir à personne, me mettent en estat de ne rien craindre, et d'attendre sans émotion tout ce qu'il plaira à la divine Providence de permettre qu'il m'arrive. Si je voulois pourvoir à mon repos et à ma sûreté, j'en saurois trouver le chemin infaillible sans abandonner même le service de la France; mais je suis trop obligé à la bonté du feu Roy, je dois trop à la confiance que la Reyne me fait l'honneur d'avoir en moi, et je cheris trop la France qui seule me tient aujourd'hui lieu de patrie, pour considérer ni mon repos ni ma vie, tant que je lui serai utile et jusqu'à ce que le vaisseau soit au port; ou je périrai dans la tourmente, et j'aurai cette satisfaction de n'avoir rien espargné pour aider à l'y conduire. Ce sont mes véritables sentiments que je veux croire que vous ne condamnerez point, comme je me promets aussi que vous agréerez la résolution que j'ai d'estre toute ma vie, etc.» IBID., FOL. 107, A M. LE MARÉCHAL DUC DE BRÉZÉ, 11 SEPTEMBRE 1643. «Bien que je n'eusse pas besoin pour vous croire mon ami des offres que vous me faites de votre affection, elles ne laissent pas de m'estre fort chères. Vous croirez aussi que je les ai reçues avec tout le ressentiment et tout le désir de m'en revancher, dont l'âme d'un homme de bien est capable. Le sujet qui vous a excité à m'escrire a véritablement quelque chose de fâcheux. Je vous dirai pourtant comme à mon ami que, dans la certitude que j'ai de n'avoir jamais mêlé mon intérêt particulier avec le service que je rends au Roi et de n'avoir jamais perdu l'occasion d'obliger ceux que j'ai pu sans avoir jamais nui à personne, je me trouve une telle assurance contre tous les mauvais desseins qu'on pourroit faire contre moi, que rien n'est capable de l'ébranler. Si ce que je dois à la bonne volonté du feu Roi et à la confiance que la Reine me fait l'honneur d'avoir en moi, ne m'estoit pas plus cher que mon repos et la sûreté même de ma personne, il me seroit fort aisé de m'ôter des occasions de l'envie et de la haine; mais mon devoir l'emportera toujours en moi sur mon repos et la sûreté de ma personne. Ce sont mes véritables sentiments que je m'assure que vous approuverez, aussi bien que la résolution que j'ai faite d'estre toute ma vie et plus que personne du monde, etc., etc.» IBID., FOL. 108, RECTO, AU CARDINAL BICHI, 12 SEPTEMBRE 1643. «Monseigneur, Votre Eminence ne trouvera pas étrange la petite nouveauté qui est arrivée en cette cour puisqu'elle a esté de tout temps le théâtre de semblables aventures. Elle admirera plustost le bonheur de la Reyne et la sagesse de sa conduite qui a prévenu un mal lorsqu'il estoit sur le point d'esclater, et dissipé en un moment et presque sans bruit un orage qui se formoit de longue main, et qui ne pouvoit esclater qu'avec une grande violence. Votre Éminence saura donc que cette princesse, ayant inutilement employé la douceur et les bienfaits pour contenir certains esprits dans leur devoir, a esté contrainte de se servir d'une conduite plus forte pour les empescher d'achever la faute qu'ils avoient fort avancée. Je laisse à penser à V. E. combien cette princesse s'est fait violence en quittant le chemin de la bonté qui lui est si naturelle pour entrer dans ceux de la justice, et dans les moyens fâcheux d'une précaution nécessaire. Pour moi, je suis venu dans le ministère avec cette ferme résolution de n'y considérer jamais mes intérêts, et de n'y faire point desplaisir à personne, et d'y faire plaisir à qui je pourrai. J'avoue que ce m'a esté une très sensible douleur de n'avoir pas peu, comme j'eusse désiré, m'opposer à un accident qui ne m'est pas moins fâcheux qu'à ceux qui le souffrent. S'il n'eût été question que de ma retraite pour guérir les esprits malades, le remède m'eût été doux et facile, comme V. E. le pourra juger; et avec un repos qui n'eût pas été sans honneur, j'eusse pu retirer les autres des inquiétudes et des troubles qu'ils se sont donnés; mais le commandement absolu de la Reyne, la confiance qu'elle me fait l'honneur d'avoir en moi, et ce que je dois à la bonté du feu Roi, dont vous estes en partie témoin, seront toujours des motifs plus forts pour m'obliger à continuer dans le service, quelque hasard qu'il y ait à courir, que la considération de mon repos et de la sûreté même de ma personne pour me le faire abandonner en un lieu où Sa Majesté croit que je lui suis utile et en quelque façon nécessaire. Voilà mes véritables sentiments en cette occurrence que vous ne condamnerez pas, à mon avis, estant généreux et reconnoissant au point que vous estes. Au reste depuis cet accident, tout jouit ici d'un calme parfait, et toute la crainte et les alarmes qui agitoient les esprits, ont passé en un estat incroyable d'assurance. Pour ce qui est de nos affaires, elles sont partout florissantes, et nous espérons avec la grâce de Dieu recueillir des fruits de la prise de Thionville, qui feront que la fin de cette campagne ne démentira point le bonheur du commencement. Je suis de toutes les forces de mon âme, etc., etc.» IBID., A BERINGHEN, ALORS EN MISSION EN HOLLANDE AUPRÈS DU PRINCE D'ORANGE, 10 AVRIL 1641. «...On m'a donné avis que Brillet et Fouqueret (H. de Campion), qui sont les deux personnes qui ont eu le plus de part dans la confidence de M. de Beaufort, et auxquelles il s'est le plus ouvert dans la conspiration qui avoit esté faite contre ma personne, sont allés servir dans les troupes en Hollande, ayant pris de grandes barbes qu'ils ont laissé croître afin de n'estre pas connus, et ont changé de nom, Brillet se faisant appeler La Ferrière. Je vous prie de faire toutes les diligences possibles pour vérifier si cela est, et donner ordre, quand vous viendrez, à quelque personne confidente pour veiller de près à leurs actions, parce que nous songerions après au moyen de les avoir...» IBID., LETTRE DU 15 AVRIL 1644, A LA FERTÉ-SENETERRE COMMANDANT DU CÔTÉ DE LA LORRAINE. «Je sais que c'est vous obliger que vous donner occasion de servir la Reyne. On lui a donné advis que dans les troupes qui sont en vos quartiers il y a un lieutenant d'une compagnie de cavalerie nommé Vigé, si ami et despendant de Beaupuy qu'on a grande raison de croire que toutes les menées et cabales de M. le duc de Beaufort ne se sont pas faites sans sa participation et sa connoissance. Sa Majesté désire donc qu'avec adresse vous essayez, ou par vous-mesme ou par l'entremise de quelque personne affidée, de le faire parler et lui tirer, s'il est possible, les vers du nez, et si vous reconnoissez qu'il soit informé de ce qui s'est passé dans lesdites cabales, que vous m'en donniez advis secrètement, et je vous ferai envoyer les ordres du Roi de ce que vous aurez à faire.» IBID., LETTRE DU 16 SEPTEMBRE 1645 AU CHANCELIER SEGUIER, OU IL L'INVITE A VEILLER SUR L'AFFAIRE DE BEAUFORT REMISE AU PARLEMENT, ET DE RESTER A PARIS POUR LA BIEN SUIVRE. LETTRES ITALIENNES, T. I, FOL. 226, VERSO, LETTRE A ONDEDEI DU 25 MARS 1645. «Baupui essendo stato il principal confidente di M. di Beaufort nell'assassinato ordito contro di me, si fa istanza d'haverlo nelle mani perche possi finirsi qui il processo che se ne forma, dove lui è più volte nominato; onde prego vostra signoria a voler, occorrendo, fornire ragioni al signore de Gremonvilla, acciò non possi il Papa difendersi di non consegnarlo.» IBID., FOLIO 240, VERSO. LETTRE DU 8 MAI 1645 A VINCENZO MARTINOZZI. «Resto molto obligato all'applicazione del signor Ondedei per trovare ragioni dà muovere il Papa a rimettere nelle mani di S. M. la persona di Baupui senza pregiudicare alla sua giurisditione. E come il buon esito di questo affare mi preme grandemente, prego il detto signore d'impiegarvi tutta l'opera sua, conferendone con il sign. card. Grimaldi, e suggerendo a M. Gueffier, conforme a quello havrà aggiustato con sua Em., tutte le istanze che dovrà fare, havendo M. Gueffier ordine del Re di condursi in questo negozio conformamente a quello gli sarà accennato dal sign. Ondedei, senza darne però alcun segno nel publico; il medesimo si dovrà fare della parte del signor Ondedei. Il negotio è pieno di giustizia, onde portato dà un spirito cosi rilevato come è quello del sig. Ondedei, devo sperare buon esito; e se per haver favorevole il fiscale, bisognasse farli qualche regalo, approverò tutto quello che di V. S. e dal sig. Ondedei si risolverà di fare. Il vascello, che serve il sig. card. di Valencay, potrebbe con ogni sicurezza inviare in Francia Baupui quando il Papa volesse rimeterlo a M. Gueffier; nel quel caso sarà necessario valersi di tutti i mezzi imagginabili per assicurare il passaggio dà Roma a Civita Vecchia.» IBID., FOL. 246. «AL SIG. PAOLO MACARANI, 26 MAGGIO 1645. «Diverse lettere di costi portano la diligenza del sig. Mario Frangipani a favore di Baupui, uno dei principali capi della conspiratione contro di me, et essendone stata letta nel consiglio che era diretta al segretario di Stato, ogni uno si è miravigliato che un uomo accusato di tal delitto trovasse tanti protettori in luogo dove la dignità cardinalitia è più rispettata. Io non voglio intrare nella materia perche si puol con ragione presumere che vi habbia interesse, mà dirò solamente a V. Sign. che la condotta del sign. Mario, per il riguardo del Re e per il mio, non è buona. È vero che io non pensarò a vendicarmene, mà non vorrei che obligasse S. M. a farlo, come, certo, non sarebbe in mio poter d'impedirlo, se il detto sign. continuasse a fare ostentazione di condursi in modo di disgustare e procurare pregiudizii ad un gran Re che per essere di sette anni non lascia di havere le mani assai lunghe. Alcuni scrivono che il sig. Mario si riscalda all'avantaggio di Baupui perche si persuade d'incontrare il gusto del Papa, che vorebbe haver campo di ben trattar il suddetto e per compiacere a Spagnuoli, che lo proteggono, et per fare dispiacer a mi che S. S. non ama... Il Papa pensarà bene alla condotta che dovrà tener in un negozio di questa importanza, e molto più il sign. Mario dovrà esaminare quello li convenga.» IBID., FOL. 248, AU CARDINAL GRIMALDI, 2 JUIN 1645. «A dire il vero, io non havrai mai creduto, quando anche fossi stato certo dell'aversione del Papa verso la Francia e la mia persona, che dovesse trovare protezione costi uno dei principali conspiratori contro la vita d'un cardinale. Tutto il sacro collegio vi ha grand'interesse, e i cardinali spagnuoli medesimi dovrebbero prendere parte in un'attione che nella mia persona tocca tutto il sacro collegio... Per ritornare a Baupui, è una strana cosa che il Papa non habbia trovato commodo per lui il soggiorno nel castello di S. Angelo, che è stato il più proprio per la commodità e per la sicurezza alle persone le più qualificato che siano stato ritenute prigioni. Io non so dove procede tanta compassione, trattandosi di caso cosi enorme e di una persona ordinaria come è il detto Baupui. Chiunque l'ha voluto visitare non ha incontrato alcun ostacolo a farlo; e sin le persone che ha inviate costi M. di Vandomo, mi vien scritto che gl'hanno parlato, e che Mario Frangipani ha corrispondenza con il Vandomo, et ha visitato il suddetto Baupui, et che protegge publicamente il delitto et i delinquenti. Molti assicurano che il papa sia impegnato di parola con il Gran Duca di non rimeterlo, e vedendo di non poter sene scusare in riguardo alle vive istanze che dà questa parte sene fanno, fondate nella giustizia che non potrebbe essere disputata ad un Turco, poiche per l'estratto del processo inviato apparisce pienamente il delitto di Baupui, habbia S. S. risoluto di metterlo in luogo del quale possi il suddetto con facilità fuggirsene, assistito delli fautori di Vandomo, o di dare a questo commodità di farlo avelenare, affinche con la morte di Baupui manchi qui la principal prova per la convictione del duca di Beaufort. Si tutto questo succedesse in Barbaria, mi parebbere duro, e sarebbe senza dubbio disapprovato da tutto il mondo. Hor' pensi V. Em. quello che dove dirsene, sequendo in Roma. Io desidero con passione che il Papa sia ben consigliato in un' negozio nel quale, continuando a condursi come ha fatto sin hora, non riceverà gran soddisfatione, e l'avantaggio che havrà la Francia sarà che chiascheduno applaudirà le risolutioni che S. M. prenderà in un negozio cosi pieno di giustizia, e nel quale pare che S. S. prende piacere a maltrattarla...» IBID., A ONDEDEI, 2 JUIN 1645. «...V. Signoria non potrebbe immaginarsi l'alteratione che ha cagionata nello spirito di S. M. e di tutta la corte l'avviso della sortita dà castello di Baupui per essere custodito in una casa particolare, dell'indulgenza con che si tratta seco, della commodità che si da per la sua evasione, e della libertà che ha ogniuno di parlarli, e sin quelli che sono inviati a questo effetto dal duca di Vandomo, et in fine dal vedersi che si ricusa tacitamente dà S. S. di rimeterlo, ancorche per l'estratto del processo inviato apparisce convicto del più infame delitto che possi immaginarsi, e che dovrebbe più muovere S. S. et il sacro collegio, giacche doveva essere esequito non solamente nel primo ministro di S. M., mà nella persona di un cardinale.» IBID., AU CARDINAL GRIMALDI, 15 JUILLET 1645. «...Quanto a Baupui si prenderanno qui le risolutioni che saranno credute più a proposito, nelle quali si havrà particolare riguardo a i consigli di V. Em., subito che s'intenda quello sarà seguito doppo le diligenze che all'arrivo costi del signor Ondedei saranno state fatte. Ne entro discorrere dell'ostinasione di S. S. in ricusare di rimeterlo al Re, non ostante che sia suddito della M. Sua e suo servitore domestico, che il processo non si possi far altrove che qui dove è la preventione della causa, e più di vinti prigioni che si vedono complici del delitto, e particolarmente il duca di Beaufort che è il capo, e che si tratti di delitti si enormi, e contro la persona d'un cardinale, principal ministro di questa corona. Mà non tacerò a V. Em. che desiderarei grandemente per il puro servitio della sede apostolica che S. S. fosse meglio consigliata in negozio di tanta importanza, e nel quale S. M. ha tanta giustizia che non si può impedire che la Francia non conclude che la S. S. per piacere a Spagnuoli voglia disobbligare un si gran Re, facendo nel istesso tempo conoscere che non è impossibilità di attentare alla personna di un cardinale e trovare protezione in Roma... Il signor Paolo Macarani mi scrive che, andando in castello S. Angelo, haveva inteso del sign. castellano che Baupui diceva che il Papa non doveva rimeterlo a suoi nemici, e che lui sarebbe contentissimo che S. S. l'havesse rimesso al Parlamento; mà se non vuol altra satisfazione che questa, l'ha già ricevuta perche già sono due mesi che S. M. ha rimesso il processo al Parlamento.» IBID., A ONDEDEI, 5 SEPTEMBRE 1645. «Ho veduto la scrittura che V. Sign. ha fatta nel negozio di Baupui, che non puo essere ne più efficace ne meglio distesa. Credo solamente che si possi aggiungere qualche cosa dove si parla _de origine et domicilio delinquentis_, parendomi che farà gran forza quando si dirà che era Insegna della compania delle guardie a cavallo di S. M., che è il corpo più principale del regno, del quale la M. Sua più si confide, essendo composto di persone scelte, e che d'ordinario hanno dato saggio del loro valore e fedeltà con servitio reso in altri impieghi. Al suo tempo si prenderanno sopra questo affare le risolutioni più opportune, e si farà gran caso del consiglio di V. Signoria.» IBID., DU 16 SEPTEMBRE 1648, A M. LE MARQUIS DE COUATQUIN. (Le frère de celui qui avait donné l'hospitalité à Mme de Chevreuse.) «Monsieur, j'ai reçu par vostre gentilhomme la lettre que vous avez pris la peine de m'escrire. Elle parle en termes si positifs de l'attachement que vous voulez avoir à mes interests et de la forte passion que vous avez de m'en donner des preuves, que si je n'y respondois simplement que par des parolles, je croirois avoir mal correspondu à des avances si obligeantes, et mal connu la valeur de ce que vous m'avez donné. Je me tiens donc obligé à passer à des effets qui vous fassent paroistre la sincérité de mon affection et de mon estime; et comme je songerai de mon costé aux moyens que j'en puis avoir, je vous prie aussi de me les suggerer avec une entière liberté, afin que je puisse vous faire connoistre que c'est du cœur que je parle, quand je vous asseure que personne au monde n'a plus d'envie de vous servir que moi. Cependant, je vous dirai que j'ai esté ravi de voir ce que vous me mandez des sentiments de M. vostre frère, dont je n'avois jamais douté; et la confiance avec laquelle je vous ai descouvert quelques particularités que j'avois apprises sur son subjest, en doit estre une marque bien certaine. Je suis asseuré que quand il auroit eu des lettres de Mme de Chevreuse, et que mesme il y auroit fait response, ce n'auroit esté qu'à dessein de lui inspirer les bons sentiments qu'elle ne veut pas prendre de soi-mesme. C'est sa coustume de relever extresmement les intelligences qu'elle entretient en France, pour se rendre plus considérable auprès des Espagnols, et je sçai qu'en la dernière conférence qui s'est faite ces jours passés à Spa, entre elle, Saint-Ibar, l'abbé de Mercy et le secrétaire Galareta, elle a parlé fort librement du pouvoir absolu qu'elle dit avoir sur vous et sur d'autres personnes de qualité du royaume, qui non plus que vous n'en sçavent rien, et dont aussi vous ne devez point vous soucier les uns ni les autres. Ce sont chimères et suppositions qui ne laissent pas de lui estre utiles pour se tenir en considération au pays où elle est. Le plus grand mal que j'y vois, c'est que les Espagnols s'y amusent tousjours, quoiqu'ils n'en ayent jamais tiré aucun fruit, et que ces fausses espérances leur ostent les pensées de paix que le mauvais estat où sont leurs affaires de tous costés leur conseilleroient autrement. Cependant, je demeure avec une entière cordialité, etc., etc.» III Pendant la Fronde, quand Mazarin a besoin de Mme de Chevreuse, il en parle bien différemment. Parmi une foule de lettres du cardinal qui sont sous nos yeux, nous n'en donnerons qu'une seule, tirée du recueil de la Bibliothèque Mazarine, avec un billet de Mme de Chevreuse qui montre leur parfait accord après tant d'inimitiés privées et publiques. LETTRE DE MAZARIN A Mme DE CHEVREUSE, DU 30 SEPTEMBRE 1650. (Tandis que Mme de Longueville était renfermée dans Stenay, et que la jeune princesse de Condé avec le duc de Bouillon et La Rochefoucauld essayait de se maintenir dans Bordeaux.) «Madame, je dois response à deux lettres dont vous avez eu agreable de me favoriser, l'une sans date, et l'autre du 25 de ce mois. J'obéis avec quelque contrainte à la défense que vous me faictes d'user plus d'aucun compliment, ayant peine à ne vous pas tesmoigner le vif ressentiment que je conserve de la continuation de toutes les bontés que vous avez pour moi et pour mes interests en toutes rencontres. «Dès que j'ai appris vostre pensée touchant la rançon de M. le prince de Ligne, j'en ai parlé à la Reyne, qui vous l'a accordée avec grand plaisir et de la meilleure grâce du monde. Plusieurs personnes avoient eu souvent la mesme pretention, mais on a tousjours rejetté bien loing ces instances sur ce que Sa Majesté vouloit essayer de profiter de cette rencontre pour procurer la liberté à M. de Guise, comme vous aurez peut-estre sceu qu'il s'en est traitté bien avant, joignant quelques autres personnes au dit prince de Ligne. C'est pourquoi il y aura d'abord quelque conduite à tenir en cette affaire avec S. A. R., et je mande à M. Le Tellier de faire en cela tout ce que vous désirerez, si vous estimez qu'il y doive intervenir, quoi que je ne doute nullement que Son A. R. dans le fonds n'en soit aussi aise que la Reyne mesme. Agréez maintenant que comme votre serviteur très passionné, je vous conjure que votre generosité accoustumée ne vous fasse point de préjudice en cette rencontre, et pour cela je me crois obligé de vous donner advis que, quand on a parlé de cette rançon on n'a pas moins offert de six vingts mil florins, et j'estime que tenant bon on pourra porter la chose à cent cinquante mille. Vous sçaurez aussi que le marquis de Pomar, qui n'avoit pas la charge qu'a le dit Prince, paye six vingts mil francs pour sa rançon; je souhaiterois de tout mon cœur que ce fut le double, et pour vostre interest particulier et pour le service du Roy mesme, à qui je connois fort bien qu'il importe, que vous ayez moyen de continuer à soutenir les depenses que vous faites. Il n'y a, ce me semble, autre expédition à vous donner là-dessus, si ce n'est que, quand vous serez d'accord avec le dit Prince du prix de sa rançon et que vous aurez vos suretés pour le payement, on vous mettra ès mains un ordre du Roy pour la déclaration de sa liberté. S'il y faut quelque autre chose, vous n'avez qu'à me le mander. Cependant, je crois que vous jugerez à propos de ne faire rien esclatter jusqu'à ce que vous ayez conclu vostre traité, affin de ne pas faire naistre des obstacles, qui arrivent quelquefois contre ce qu'on a pu prévoir. «Je vois la Reyne fort résolue de faire si bien traitter Mme la maréchale de Rantzau qu'elle puisse vivre selon sa qualité. Vous croirez bien, Madame, que je m'y employerai avec chaleur par plusieurs motifs, et que la recommandation que vous m'en faites ne sera pas le moindre. «Pour ce qui est du mémoire que vous a adressé Mgr l'evesque de Verdun, j'ai entretenu, il y a trois semaines fort au long M. Le Tellier sur cette affaire, qui mérite de grandes considérations pour ne rien faire qui nous préjudicie dans les traittés de l'Empire, et pour ne pas faire tort au droit de M. de Feuquières. Particulièrement dans l'estat present des choses, c'est une affaire à accommoder, et cela ne se peut guère bien qu'à vostre retour par delà. «L'accommodement de ces mouvements-ci est enfin terminé aux conditions que vous avez desjà sceues, et la paix fut hier acceptée à Bourdeaux avec grande joie et acclamation du peuple, malgré tous les efforts de MM. de Bouillon et de La Rochefoucauld, et de ceux qui sont auprès de Madame la Princesse, qui ne se sont pas démentis de leur première conduite jusques au dernier moment. On nous disoit que Madame la Princesse a fait emmener M. le duc d'Enghien par le chevalier de Rivière, nous n'en n'avons pas encore la certitude; mais il se voit qu'ils n'agissent nullement de bonne foi, et que la mesme intention de faire tout le mal qu'ils pourront, dure tousjours. Je me remets du surplus à ce que M. Le Tellier vous dira de toutes ces affaires-ci, et me contenterai de vous asseurer, que je suis, et serai inviolablement jusques à la mort, etc., etc.» LETTRE DE Mme DE CHEVREUSE A MAZARIN, DE L'ANNÉE 1653[470]. «Monsieur, j'ay receu les marques que m'a apportées M. Ondedei de l'honneur de votre souvenir avec toute la reconnoissance que je dois de l'amitié qu'il vous plaist me tesmoigner. Il est vrai, Monsieur, que ce m'est une satisfaction estreme de voir que vous estes persuadé du plaisir que je prends à vous rendre tous les services dont je suis capable, et je vous proteste que je continuerai, dans toutes les occasions où vous aurez intérest, à vous tesmoigner qu'ils me sont chers au point qu'ils doivent. Je ne doute pas que votre bonté pour M. Bartet ne vous le face plaindre dans l'accident qui lui est arrivé. Je ne lui vois pas d'autre consolation en son malheur que l'honneur de vostre bienveillance qui lui est bien nécessaire pour sortir d'un si grand labyrinte. Je me rejouis bien du bon état où on nous dit ici qu'est le siége de Landreci, et vous souhaite toutes sortes de prospérités, étant plus que personne du monde, Monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante, LA D. DE CHEVREUSE.» [470] Ce billet autographe faisait partie de la riche collection de M. Lajariette de Nantes. FIN DE L'APPENDICE. TABLE DES MATIÈRES Pages AVANT-PROPOS 1 CHAPITRE Ier. 1600-1622. Le caractère,--La personne,--La famille de Marie de Rohan.--Née en décembre 1600, elle épouse en septembre 1617 le futur duc et connétable de Luynes.--Plus juste appréciation de la carrière de Luynes: il le faut considérer comme un prédécesseur inégal de Richelieu.--Le mariage de Luynes et de Marie de Rohan parfaitement heureux. Son mari l'initie aux affaires; elle l'y sert, et prend sur lui un grand empire.--A la fin de 1618, nommée surintendante de la maison de la reine, elle excite d'abord la jalousie d'Anne d'Autriche, puis devient sa favorite, comme Luynes était le favori du roi.--Enfants qu'elle eut de son mari.--Veuve en 1621, elle se remarie en 1622 avec le duc de Chevreuse, de la maison de Lorraine 9 CHAPITRE II. 1623-1626. La duchesse de Chevreuse bien différente de la duchesse de Luynes.--Faute de pouvoir aimer son nouveau mari, elle se donne à la reine Anne, dont l'intérêt, bien ou mal entendu, devient son principal et constant objet.--Anne d'Autriche opprimée par Marie de Médicis. Mme de Chevreuse la console et aussi la compromet.--Elle aime le comte de Holland, ambassadeur d'Angleterre, et elle tâche d'engager la reine avec Buckingham.--Elle accompagne avec son mari la nouvelle reine d'Angleterre à Londres. Ses succès à la cour de Charles Ier.--Holland et Buckingham la mettent dans leurs intrigues contre Richelieu.--Que Buckingham n'a jamais été son amant.--La résistance de la reine Anne au mariage de Monsieur avec Mlle de Montpensier suscite une conspiration à laquelle Mme de Chevreuse prend une grande part.--Henri de Talleyrand, comte de Chalais.--Odieuse conduite du duc d'Orléans qui trahit tous ses complices.--Faiblesse de Chalais en prison poussée jusqu'à la bassesse. Trompé par Richelieu, il s'emporte contre Mme de Chevreuse et la dénonce, puis se rétracte, et meurt avec courage.--Premier exil de Mme de Chevreuse 36 CHAPITRE III. 1627-1637. Mme de Chevreuse en Lorraine. Le duc Charles IV. Nouvelle ligue contre Richelieu. Victoire du cardinal. Mme de Chevreuse rentre en France.--Elle est d'abord assez bien avec Richelieu.--Sa liaison avec le garde des sceaux Chateauneuf.--Lettres d'amour et d'intrigue.--Nouvelle disgrâce.--Mme de Chevreuse reléguée en Touraine. Craft, Montaigu, La Rochefoucauld.--Affaires de 1637. Intelligence de la reine Anne avec M. de Mirabel, à Bruxelles, et avec son frère le cardinal-infant, pendant que la France et l'Espagne sont en guerre. Elle correspond aussi avec Mme de Chevreuse, qui elle-même correspond avec le duc de Lorraine et l'engage avec l'Espagne.--Découverte de ces intrigues. La reine Anne plus que jamais maltraitée.--Mme de Chevreuse craint d'être arrêtée et prend le parti de se sauver en Espagne.--Aventures de sa fuite depuis Tours jusqu'à la frontière espagnole 85 CHAPITRE IV. 1637-1643. Mme de Chevreuse en Espagne, puis en Angleterre.--Longue négociation avec Richelieu pour rentrer en France. Comment cette négociation échoue.--Le parti des émigrés à Londres. Marie de Médicis, le duc de La Valette, La Vieuville, Soubise. Mme de Chevreuse s'en va en Flandre.--Elle prend part à la conspiration du comte de Soissons.--Affaire de Cinq-Mars.--Mort de Richelieu. Déclaration royale de Louis XIII mourant, du 20 avril 1643, qui condamne Mme de Chevreuse à un exil perpétuel. La régente la rappelle 143 CHAPITRE V. MAI, JUIN ET JUILLET 1643. Retour de Mme de Chevreuse à Paris et à la cour.--Nouvelles dispositions de la reine. Anne d'Autriche et Mazarin.--Efforts de Mme de Chevreuse contre le système et les créatures de Richelieu, et en faveur de l'ancien parti de la reine. Ses sollicitations pour Chateauneuf.--Pour les Vendôme.--Pour La Rochefoucauld.--Sa politique intérieure et extérieure.--Elle est le vrai chef du parti des Importants.--Vaincue dans toutes ses démarches auprès de la reine, elle songe à recourir à d'autres moyens.--La crise devenue inévitable éclate à l'occasion de la querelle de Mme de Montbazon et de Mme de Longueville. 197 CHAPITRE VI. AOUT ET SEPTEMBRE 1643. Conspiration de Mme de Chevreuse et de Beaufort contre Mazarin.--La Rochefoucauld et Retz nient cette conspiration.--Plan et détails de toute l'affaire d'après les carnets et les lettres du cardinal, et les aveux d'Henri de Campion.--La conspiration échoue. Beaufort est arrêté et Mme de Chevreuse reléguée de nouveau en Touraine 248 CHAPITRE VII. 1643-1679. Mme de Chevreuse reste en Touraine près de deux années sans abandonner ses desseins contre Mazarin.--Elle reçoit l'ordre de se retirer à Angoulême. Craignant d'être emprisonnée, elle s'enfuit dans l'hiver de 1645 et s'embarque à Saint-Malo sur un petit bâtiment qui est pris en mer par les parlementaires anglais. Elle manque d'être livrée à Mazarin, et obtient à grand'peine des passeports pour Dunkerque et les Pays-Bas.--Mme de Chevreuse en Flandre pendant les années 1645, 1646, 1647. Mêmes intrigues qu'en 1640, 1641, 1642.--La Fronde en 1648 continue et termine les conspirations précédentes: même fin, mêmes moyens et presque mêmes hommes.--Mme de Chevreuse revient à Paris en 1649. Son rôle dans la Fronde. Elle est l'auteur du seul plan qui pouvait sauver la Fronde, perdre Mazarin et assurer le triomphe raisonnable de l'aristocratie.--Elle se réconcilie à propos avec la reine et Mazarin.--Plus tard elle contribue à la perte de Fouquet et à l'élévation de Colbert.--Sa retraite: sa mort en 1679 289 APPENDICE. Du duc et de la duchesse de Luynes: extraits des dépêches de Bentivoglio et des ambassadeurs vénitiens 331 Intrigues d'Angleterre 343 Affaire de Chalais 357 I. Montaigu 382 II. Chateauneuf 391 III. Correspondance de la reine Anne avec Mme du Fargis 411 IV. Affaire de 1637 416 V. Fuite de Mme de Chevreuse en Espagne 425 NOTES DU CHAPITRE IV. I. Dédicace de la collection in-4 des portraits de Daret 439 II. Négociation de l'année 1638 et 1639 entre Richelieu et Mme de Chevreuse pour le retour de celle-ci en France 443 III. Déclaration du Roy, vérifiée en Parlement le 21 avril 1643 471 NOTES DES CHAPITRES V, VI ET VII. I. Divers passages des Carnets de Mazarin qui se rapportent à ces trois chapitres 476 II. Lettre royale sur l'arrestation de Beaufort 503 III. Pièces relatives à la conspiration 505 IV. Madame de Chevreuse en Touraine, 1644 et 1645 512 V. Mme de Chevreuse en Flandre, 1646 et 1647 525 VI. Lettres de Mazarin 531 Paris.--Imprimerie Pillet et Dumoulin, 5, rue des Grands-Augustins. End of the Project Gutenberg EBook of Madame de Chevreuse, by Victor Cousin *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 52011 ***