*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 60417 *** ANDRÉ BRETON CLAIR DE TERRE AVEC UN PORTRAIT PAR PICASSO [Illustration 01] _La terre brille dans le ciel comme un astre énorme au milieu des étoiles._ _Notre globe projette sur la lune un intense clair de terre._ «LE CIEL» Nouvelle astronomie pour tous. Au grand poète SAINT-POL-ROUX À ceux qui comme lui s'offrent LE MAGNIFIQUE plaisir de se faire oublier TABLE CINQ RÊVES PIÈCE FAUSSE PSSTT LES REPTILES CAMBRIOLEURS AMOUR PARCHEMINÉ CARTES SUR LES DUNES ÉPERVIER INCASSABLE MÉMOIRES D'UN EXTRAIT DES ACTIONS DE CHEMINS RENDEZ-VOUS PRIVÉ LE MADRÉPORE LE VOLUBILIS ET JE SAIS L'HYPOTHÉNUSE IL N'Y A PAS À SORTIR DE LÀ LE BUVARD DE CENDRE L'HERBAGE ROUGE AU REGARD DES DIVINITÉS ANGÉLUS DE L'AMOUR TOUT PARADIS N'EST PAS PERDU MA MORT PAR ROBERT DESNOS PLUTÔT LA VIE DU SANG DANS LA PRAIRIE FEUX TOURNANTS SILHOUETTE DE PAILLE DANS LA VALLÉE DU MONDE MILLE ET MILLE FOIS L'AIGRETTE LÉGION ÉTRANGÈRE MÉTÉORE LIGNE BRISÉE TOURNESOL LE SOLEIL EN LAISSE À RROSE SÉLAVY CINQ RÊVES _À Georges de CHIRICO_ I Je passe le soir dans une rue déserte du quartier des Grands-Augustins quand mon attention est arrêtée par un écriteau au-dessus de la porte d'une maison. Cet écriteau c'est: «ABRI» ou «À LOUER», en tout cas quelque chose qui n'a plus cours. Intrigué j'entre et je m'enfonce dans un couloir extrêmement sombre. Un personnage, qui fait dans la suite du rêve figure de génie, vient à ma rencontre et me guide à travers un escalier que nous descendons tous deux et qui est très long. Ce personnage, je l'ai déjà vu. C'est un homme qui s'est occupé autrefois de me trouver une situation. Aux murs de l'escalier je remarque un certain nombre de reliefs bizarres, que je suis amené à examiner de près, mon guide ne m'adressant pas la parole. Il s'agit de moulages en plâtre, plus exactement: de moulages de moustaches considérablement grossies. Voici, entre autres, les moustaches de Baudelaire, de Germain Nouveau et de Barbey d'Aurevilly. Le génie me quitte sur la dernière marche et je me trouve dans une sorte de vaste hall divisé en trois parties. Dans la première salle, de beaucoup la plus petite, où pénètre seulement le jour d'un soupirail incompréhensible, un jeune homme est assis à une table et compose des poèmes. Tout autour de lui, sur la table et par terre, sont répandus à profusion des manuscrits extrêmement sales. Ce jeune homme ne m'est pas inconnu, c'est M. Georges Gabory. La pièce voisine, elle aussi plus que sommairement meublée, est un peu mieux éclairée, quoique d'une façon tout à fait insuffisante. Dans la même attitude que le premier personnage, mais m'inspirant, par contre, une sympathie réelle, je distingue M. Pierre Reverdy. Ni l'un ni l'autre n'a paru me voir, et c'est seulement après m'être arrêté tristement derrière eux que je pénètre dans la troisième pièce. Celle-ci est de beaucoup la plus grande, et les objets s'y trouvent un peu mieux en valeur: un fauteuil inoccupé devant la table parait m'être destiné; je prends place devant le papier immaculé. J'obéis à la suggestion et me mets en devoir de composer des poèmes. Mais, tout en m'abandonnant à la spontanéité la plus grande, je n'arrive à écrire sur le premier feuillet que ces mots: La lumière... Celui-ci aussitôt déchiré, sur le second feuillet: La lumière... et sur le troisième feuillet: La lumière... II J'étais assis dans le métropolitain en face d'une femme que je n'avais pas autrement remarquée, lorsqu'à l'arrêt du train elle se leva et dit en me regardant: «Vie végétative». J'hésitai un instant, on était à la station Trocadéro, puis je me levai, décidé à la suivre. Au haut de l'escalier nous étions dans une immense prairie sur laquelle tombait un jour verdâtre, extrêmement dur, de fin d'après-midi. La femme avançait dans la prairie sans se retourner et bientôt un personnage très inquiétant, d'allure athlétique et coiffé d'une casquette, vint à sa rencontre. Cet homme se détachait d'une équipe de joueurs de foot-ball composée de trois personnages. Ils échangèrent quelques mots sans faire attention à moi, puis la femme disparut, et je demeurai dans la prairie à regarder les joueurs qui avaient repris leur partie. J'essayai bien aussi d'attraper le ballon, mais... je n'y parvins qu'une fois. III Je me baignais avec un petit enfant au bord de la mer. Peu après je me trouvai sur la plage en compagnie d'un certain nombre de gens, dont les uns me sont connus, les autres inconnus, quand brusquement l'un des promeneurs nous signala deux oiseaux qui volaient parallèlement à une certaine distance, et qui pouvaient être des mouettes. Quelqu'un eut aussitôt l'idée de tirer sur ces oiseaux (car nous portions tous des fusils) et l'on put croire que l'un d'eux avait été blessé. Ils tombèrent en effet assez loin du rivage, et nous attendîmes quelque temps que la vague les apportât. À mesure qu'ils approchaient, j'observai que ces animaux n'étaient nullement des oiseaux comme je l'avais cru tout d'abord, mais bien plutôt des sortes de vaches ou de chevaux. L'animal qui n'était pas blessé soutenait l'autre avec beaucoup d'attendrissement. Quand ils furent à nos pieds, ce dernier expira. La particularité la plus remarquable que présentait cet animal qui venait de mourir était la différenciation très curieuse de ses yeux. L'un de ceux-ci, en effet, était complètement terne et assez semblable à une coquille d'oursin, tandis que l'autre était merveilleusement coloré et brillant. L'animal secourable avait depuis longtemps disparu. C'est alors que M. Roger Lefébure qui, je ne sais pourquoi, se trouvait parmi nous, s'empara de l'œil phosphorescent et le prit pour monocle. Ce que voyant une personne de l'assistance jugea bon de rapporter l'anecdote suivante: Dernièrement, comme à son habitude, M. Paul Poiret dansait devant ses clientes, quand brusquement son monocle tomba par terre et se brisa. M. Paul Éluard, qui se trouvait là, eut l'amabilité de lui offrir le sien, mais celui-ci subit le même sort. IV Une partie de ma matinée s'était passée à conjuguer un nouveau temps du verbe être--car on venait d'inventer un nouveau temps du verbe être. Au cours de l'après-midi j'avais écrit un article qu'autant que je me rappelle je trouvais peu profond mais assez brillant. Un peu plus tard je m'étais mis à continuer d'écrire un roman. Cette dernière entreprise m'avait conduit à effectuer des recherches dans ma bibliothèque. Elles amenèrent bientôt la découverte d'un ouvrage in-8° que j'ignorais posséder et qui se composait de plusieurs tomes. J'ouvris l'un d'eux au hasard. Le livre se présentait comme un traité de philosophie mais, à la place du titre correspondant à une des divisions générales de l'ouvrage, comme j'aurais lu: Logique, ou: Morale, je lus: _Enigmatique._ Le texte m'échappe entièrement, je n'ai souvenir que des planches figurant invariablement un personnage ecclésiastique ou mythologique au milieu d'une salle cirée immense qui ressemblait à la galerie d'Apollon. Les murs et le parquet réfléchissaient mieux que des glaces puisque chacun de ces personnages se retrouvait plusieurs fois dans la pièce sous diverses attitudes avec la même intensité et le même relief et qu'Adonis, par exemple, était couché à ses propres pieds. Je me sentais en proie à une grande exaltation; il me semblait qu'un livre d'observations médicales en ma possession m'apporterait sur la question qui me préoccupait une véritable révélation. J'y trouvai en effet ce que je cherchais: une photographie de femme brune un peu forte, ni très belle ni très jeune, que je connaissais vaguement. J'étais assis chez moi, à la table de l'atelier, le dos tourné à la fenêtre. La femme de la photographie vint alors frôler mon épaule droite et, après m'avoir adressé quelques paroles comminatoires, elle alla poser la main gauche sur la corniche de la petite armoire située près de la porte et je ne la vis plus. Je poursuivis mes investigations: il s'agissait maintenant de chercher dans le dictionnaire un mot qui était probablement le mot: souris. J'ouvris à Rh et mon attention fut aussitôt attirée par la figure qui accompagnais le mot: rhéostat. On y voyait un petit nombre de parachutes ou de nuages suspendus ensemble à la manière des ballons d'enfants: dans chaque parachute ou dans chaque nuage il y avait, accroupi, un Chinois. Je crus avoir trouvé ensuite ce qui m'étais nécessaire à: rongeur. Mais déjà, je n'avais plus grande attention à donner de ce côté. Devant le piano, en face de moi, se tenait en effet M. Charles Baron, jeune homme que dans la réalité je n'arrive jamais à reconnaître, vêtu de noir et avec une certaine recherche. Avant que j'eusse pu lui demander compte de sa présence, Louis Aragon l'avait déjà remplacé. Il venait me persuader de l'obligation de sortir immédiatement avec lui: je le suivais. Au bas de l'escalier, nous étions avenue des Champs-Elysées, montant vers l'Étoile où, d'après Aragon, nous devions à tout prix arriver avant huit heures. Nous portions chacun un cadre vide. Sous l'Arc de Triomphe je ne songeais qu'à me débarrasser du mien, la pendule marquait sept heures vingt-neuf. Aragon, lui, objectait le risque de pluie, il voulut absolument que les cadres fussent à l'abri. Nous finîmes par les placer sous la protection des moulures supérieures, contre la pierre, légèrement inclinés, à hauteur de chevalet. Il était question, je crois, de venir les reprendre plus tard. Au moment où nous les disposions j'observai que le cadre d'Aragon était doré, le mien blanc avec de très anciennes traces de dorures, de dimensions sensiblement moins grandes. V Paul Éluard, Marcel Noll et moi nous trouvons réunis à la campagne dans une pièce où trois objets sollicitent notre attention: un livre fermé et un livre ouvert, d'assez grandes dimensions, de l'épaisseur d'un atlas et inclinés sur une sorte de pupitre à musique, qui lient aussi d'un autel. Noll tourne les pages du livre ouvert sans parvenir a nous intéresser. En ce qui me concerne, je ne m'occupe que du troisième objet, un appareil métallique de construction très simple, que je vois pour la première fois et dont j'ignore l'usage, mais qui est extrêmement brillant. Je suis tenté de l'emporter mais, l'ayant pris en mains, je m'aperçois qu'il est étiqueté 9 fr. 90. Il disparaît d'ailleurs à ce moment et est remplacé par Philippe Soupault, en grand pardessus de voyage blanc, chapeau blanc, souliers blancs, etc. Soupault est pressé de nous quitter, il s'excuse aimablement et j'essaie en vain de le retenir. Nous le regardons par la fenêtre s'éloigner en compagnie de sa femme, que nous ne voyons que de dos et qui est comme lui toute habillée de blanc. Sans chercher à savoir ce que Noll est devenu, nous quittons alors la maison, Éluard et moi, Éluard me demandant de l'accompagner à la chasse. Il emporte un arc et des flèches. Nous arrivons au bord d'un étang couvert de faisanes. «À la bonne heure», dis-je à Éluard. Mais lui: «Cher ami, ne crois pas que je sois venu ici pour ces faisanes, je cherche tout autre chose, je cherche François. Tu vas voir François. » Alors toutes les faisanes d'appeler: «François, François, François!» Et je distingue au milieu de l'étang un superbe faisan doré. Éluard décoche dans sa direction plusieurs flèches mais--ici l'idée de la maladresse prend en quelque sorte possession du rêve qu'elle n'abandonnera plus--les flèches portent «trop court». Pourtant le faisan doré finit par être atteint. À la place de ses ailes se fixent alors deux petites boîtes rectangulaires de papier rose qui flottent un instant sur l'eau après que l'oiseau a disparu. Nous ne bougeons plus jusqu'à ce qu'une femme nue, très belle, s'élève lentement de l'eau, le plus loin possible de nous. Nous la voyons à mi-corps puis à mi-jambes. Elle chante. À ma grande émotion, Éluard lance vers elle plusieurs traits qui ne l'atteignent pas mais voici que la femme, qu'une seconde nous avions perdue de vue, émerge de l'eau tout près de nous. Une nouvelle flèche vient lui transpercer le sein. Elle y porte la main d'un geste adorable et se reprend à chanter. Sa voix s'affaiblit lentement. Je n'ai pas plus tôt cessé de l'entendre qu'Éluard et elle ne sont plus là. Je me trouve en présence de petits hommes mesurant environ 1 m. 10 et habillés de jersey bleu. Ils arrivent de tous les points de l'étang et, comme je les observe sans défiance, l'un d'eux, ayant l'air d'accomplir un rite, s'apprête à m'enfoncer dans le mollet une très petite flèche à deux pointes. Il me semble qu'on veut m'unir dans la mort au faisan doré et à la belle chanteuse. Je me débats et j'envoie à terre plusieurs des petits hommes bleus. Mais le petit sacrificateur me poursuit et je finis par tomber dans un buisson où, avec l'aide d'un des autres poursuivants, il cherche à me ligoter. Il me semble facile de terrasser mes deux adversaires et de les ligoter à ma place mais la maladresse ne me permet que de leur prendre la corde et d'en faire autour de leur corps un nœud extrêmement lâche. Je m'enfuis ensuite le long d'une voie de chemin de fer, et, comme on ne me poursuit plus, je modère peu à peu mon allure. Je passe à proximité d'une charmante usine que traverse un fil télégraphique dirigé perpendiculairement à la voie et situé à cinq ou six mètres du sol. Un homme de ma taille tend à deux reprises, très énergiquement, le bras vers le fil sur lequel, sans aucun mouvement de lancement, il réussit à placer en équilibre, à égale distance de l'usine et des rails, deux verres vides du type gobelet. «C'est, dit-il, pour les oiseaux.» Je repars, avec l'idée de gagner la gare encore lointaine d'où je puisse prendre le train pour Paris. J'arrive enfin sur le quai d'une ville qui est un peu Nantes et n'est pas tout à fait Versailles, mais où je ne suis plus du tout dépaysé. Je sais qu'il me faut tourner à droite et longer le fleuve assez longtemps. J'observe, au-dessus du très beau pont qui se trouve à ma gauche, les évolutions inquiétantes d'un avion, d'abord trèsélevé, qui boucle la boucle avec peine et inélégance. Il perd constamment de sa hauteur et n'est plus guère qu'au niveau des tourelles des maisons. C'est d'ailleurs moins un avion qu'un gros wagon noir. Il faut que le pilote soit fou pour renouveler sa prouesse si bas. Je m'attends à le voir s'écraser sur le pont. Mais l'appareil s'abîme dans le fleuve et il en sort sain et sauf un des petits hommes bleus de tout à l'heure qui gagne la berge à la nage, passe près de moi sans paraître me remarquer et s'éloigne dans le sens opposé au mien. PIÈCE FAUSSE _À Benjamin PÉRET_ Du vase en cristal de Bohême Du vase en cris Du vase en cris Du vase en En cristal Du vase en cristal de Bohême Bohême Bohême En cristal de Bohême Bohême Bohême Bohême Hême hême oui Bohême Du vase en cristal de Bo Bo Du vase en cristal de Bohême Aux bulles qu'enfant tu soufflais Tu soufflais Tu soufflais Flais Flais Tu soufflais Qu'enfant tu soufflais Du vase en cristal de Bohême Aux bulles qu'enfant tu soufflais Tu soufflais Tu soufflais Oui qu'enfant tu soufflais C'est là c'est là tout le poème Aube éphé Aube éphé Aube éphémère de reflets Aube éphé Aube éphé Aube éphémère de reflets PSTT _Neuilly 1-18._ Breton, vacherie modèle, r. de l'Ouest, 12, Neuilly. _Nord 13-40._ Breton (E.), mon. funèbr., av. Cimetière Parisien, 23, Pantin. _Passy 44-15._ Breton (Eug.), vins, restaur., tabacs, r. de la Pompe, 176. _Roquette 07-90._ Breton (François), vétérinaire, r. Trousseau, 21, (2e). _Central 64-99._ Breton frères, mécanicien, r. de Belleville, 262, (20e). _Bergère 43-61._ Breton et fils, r. Rougemont, 12, (9e). _Archives 32-58._ Breton (G.), fournit, cycles, autos, r. des Archives, 78, (3e). _Central 30-08._ Breton (Georges), r. du Marché-Saint-Honoré, 4, (1er). _Wagram 60-84._ Breton (M. et Mme G.), bd Malesherbes, 58, (8e). _Gutenberg 03-78._ Breton (H.), dentelles, r. de Richelieu, 60, (2e). _Passy 80-70._ Breton (Henri), négociant, r. Octave-Feuillet, 22, (16e). _Gobelins 08-09._ Breton (J.), Elix. Combier, ag. gén., butte du Rhône, 21-23. _Roquette 32-59._ Breton (J.-L.), député, s.-secr. Etat inv., bd Soult, 81 bis. _Archives 39-43._ Breton (L.), hôtel-bar, r. François-Miron, 38, (4e). _Marcadet 04-11._ Breton (Noël), hôtel-rest., bd National, 56, Clichy. _Roquette 02-25._ Breton (Paul), décolleteur, r. Saint-Maur, 21, (11e). _Central 84-08._ Breton (Th.), contentieux, r. du fg. Montmartre, 13, (9e). _Saxe 57-86._ Breton (J.), biscuits, r. La Quintinie, 16-18, (15e). _Archives 35-44._ Breton (J.) et Cie, papiers en gros, r. Saint-Martin, 245, (3e). _Roquette 09-76._ Breton et Cie (Soc. an.) charbons gros, q. La Râpée, 60, (12e). Breton (André). LES REPTILES CAMBRIOLEURS _À Janine_ Sur la tringle de la cour la petite Marie venait de mettre le linge à sécher. C'était une succession de dates fraîches encore: celle du mariage de sa mère (la belle robe de noce avait été mise en pièces), un baptême, les rideaux du berceau du petit frère riaient au vent comme des mouettes sur les rochers de la côte. L'enfant souillait les fleurs de la lessive comme des chandelles et se persuadait de la lenteur de la vie. Elle se prenait de temps à autre à regarder ses mains un peu trop roses et se renversait dans l'eau du baquet pour plus tard, quand elle aurait une anémone à la ceinture. Il commençait à faire nuit. Les précisions des cartes de marine ne comptaient plus guère; sur les ponts traînaient des écharpes de fumée ocre et des adieux. Sur le «sarreau» couvert d'étincelles de lait passent successivement la paresse des distractions, la tempête de l'amour et les nombreuses nuées d'insectes du souci. Marie sait que sa mère ne jouit plus de toutes ses facultés: des journées entières, coiffée de réflexions plus coulissées qu'en rêve, elle mord le collier de larmes du rire. Se souvient-elle d'avoir été belle? Les plus anciens habitants de la contrée s'inquiétaient du retour des couvreurs sur la ville, on eut préféré la pluie dans les maisons. Mais ce ciel! Les ruches d'illusions s'emplissent d'un poison étrange à mesure que la jeune femme élève les bras vers la tête pour dire: laissez-moi. Elle demande à boire du lait de volcan et on lui apporte de l'eau minérale. Elle joint les mains avant de prendre une feuille, plus verte que la lumière des carafes, pour écrire. Par dessous l'épaule on écoute (les anges ne s'en font pas faute, quand ils arrivent guidés par la trace des plumes qu'elle ne porte plus): «Ma petite Marie, tu sauras un jour quel sacrifice est à la veille de se consommer, je ne t'en dis pas davantage. Va, ma fille, sois heureuse. Les yeux de mon enfant sont des rideaux plus tendres que ceux des chambres d'hôtel où j'ai demeuré en compagnie des aviateurs et des plantes vertes.» Le trésor enfoui dans la cendre de la cheminée se décompose en petits insectes phosphorescents qui font entendre un chant monotone, mais que pourrait-elle dire aux grillons? Dieu ne se sentait pas plus aimé qu'à l'ordinaire mais le candélabre des arbres fleuris était là pour quelque chose. Il s'y blottissait de frivoles démons changeants comme l'eau des sources qui court sur le satin des pierres et le velours noir des poissons. À quoi Marie se montre-t-elle soudain si attentive? On est au mois d'août et les automobiles ont émigré depuis le Grand Prix. Qui va-t-on voir apparaître dans ce quartier solitaire, le poète qui fuit sa demeure en modulant sa plainte par les rails de perle, l'amoureux qui court rejoindre sa belle sur un éclair ou le chasseur tapi dans les herbes coupantes et qui a froid? L'enfant donne sa langue au chat, elle brûle de connaître ce qu'elle ignore, la signification de ce long vol à ras de terre, le beau ruisseau coupable qui commence à courir. Mon Dieu, mais voici qu'elle tombe à genoux et les gémissements se font moins sourds à l'étage supérieur, l'oeil de bœuf reflète tout ce qui se passe et une âme monte au ciel. On ne sait rien; le trèfle à quatre feuilles s'entr'ouvre aux rayons de la lune, il n'y a plus qu'à entrer pour les constatations dans la maison vide. AMOUR PARCHEMINÉ Quand les fenêtres comme l'œil du chacal et le désir percent l'aurore, des treuils de soie me hissent sur les passerelles de la banlieue. J'appelle une fille qui rêve dans la maisonnette dorée; elle me rejoint sur les tas de mousse noire et m'offre ses lèvres qui sont des pierres au fond de la rivière rapide. Des pressentiments voilés descendent les marches des édifices. Le mieux est de fuir les grands cylindres de plume quand les chasseurs boitent dans les terres détrempées. Si l'on prend un bain dans la moire des rues, l'enfance revient au pays, levrette grise. L'homme cherche sa proie dans les airs et les fruits sèchent sur des claies de papier rose, à l'ombre des noms démesurés par l'oubli. Les joies et les peines se répandent dans la ville. L'or et l'eucalyptus, de même odeur, attaquent les rêves. Parmi les freins et les edelweiss sombres se reposent des formes souterraines semblables à des bouchons de parfumeurs. CARTES SUR LES DUNES _À Giuseppe UNGARETTI_ L'horaire des fleurs creuses et des pommettes saillantes nous invite à quitter les salières volcaniques pour les baignoires d'oiseaux. Sur une serviette damée rouge sont disposés les jours de l'année. L'air n'est plus si pur, la route n'est plus si large que le célèbre clairon. Dans une valise peinte de gros vers on emporte les soirs périssables qui sont la place des genoux sur un prie-Dieu. De petites bicyclettes côtelées tournent sur le comptoir. L'oreille des poissons, plus fourchue que le chèvrefeuille, écoute descendre les huiles bleues. Parmi les burnous éclatants dont la charge se perd dans les rideaux, je reconnais un homme issu de mon sang. ÉPERVIER INCASSABLE _À Gala ÉLUARD_ La ronde accomplit dans les dortoirs ses ordinaires tours de passe-passe. La nuit, deux fenêtres multicolores restent entr'ouvertes. Par la première s'introduisent les vices aux noirs sourcils, à l'autre les jeunes pénitentes vont se pencher. Rien ne troublerait autrement la jolie menuiserie du sommeil. On voit des mains se couvrir de manchons d'eau. Sur les grands lits vides s'enchevêtrent des ronces tandis que les oreillers flottent sur des silences plus apparents que réels. À minuit, la chambre souterraine s'étoile vers les théâtres de genre où les jumelles tiennent le principal rôle. Le jardin est rempli de timbres nickelés. Il y a un message au lieu d'un lézard sous chaque pierre. MÉMOIRES D'UN EXTRAIT DES ACTIONS DE CHEMINS. RENDEZ-VOUS _À T. FRAENKEL_ Après les tempêtes cerclées de verre, l'éclair à l'armure brouillée et cette enjambée silencieuse sous laquelle la montagne ouvre des yeux plus fascinants que le Siam, petite fille, adoratrice du pays calqué sur tes parfums, tu vas surprendre l'éveil des chercheurs dans un air révolutionné par le platine. De loin la statue rose qui porte à bout de bras une sorte de bouteille fumant dans un panier regarde par dessus son épaule errer les anciens vanniers et acrobates. Un joli bagne d'artistes où des zèbres bleus, fouettés par les soupirs qui s'enroulent le soir autour des arbres, exécutent sans fin leur numéro! D'étonnants faisceaux, formés au bord des routes avec les bobines d'azur et le télégraphe, répondent de ta sécurité. Là, dans la lumière profane, les seins éclatant sous un globe de rosée et t'abandonnant à la glissière infinie, à travers les bambous froids tu verras passer le Prince Vandale. L'occasion brûlera aux quatre vents de soufre, de cadmium, de sel et de Bengale. Le bombyx à tête humaine étouffera peu à peu les arlequins maudits et les grandes catastrophes ressusciteront pêle-mêle, pour se résorber dans la bague au chaton vide que je t'ai donnée et qui te tuera. PRIVÉ Coiffé d'une cape beige, il caracole sur l'affiche de satin où deux plumes de paradis lui tiennent lieu d'éperons. Elle, de ses jointures spéciales en haut des airs part la chanson des espèces rayonnantes. Ce qui reste du moteur sanglant est envahi par l'aubépine: à cette heure les premiers scaphandriers tombent du ciel. La température s'est brusquement adoucie et chaque matin la légèreté secoue sur nos toits ses cheveux d'ange. Contre les maléfices à quoi bon ce petit chien bleuâtre au corps pris dans un solénoïde de verre noir? Et pour une fois ne se peut-il que l'expression _pour la vie_ déclanche une des aurores boréales dont sera fait le tapis de table du Jugement Dernier? LE MADRÉPORE _Il chante_ Les paris tenus au compte-gouttes Bernent les drapeaux de l'isthme Sur le soleil avec les taches des abbés L'entonnoir pose ses lèvres Par une criminelle attention Tu soutiens les cartes d'état-major On presse la poire de velours Et il s'envole des monticules percés Le battoir masque les neiges Promises à l'équateur Des boîtes de baptême tournantes Sans bruit sur les tapis de tapioca Les marchés se ternissent poulies De caresses pour les vieux vents LE VOLUBILIS ET JE SAIS L'HYPOTÉNUSE _À Simone_ I L'oreille en face du silence Comme une pierre de lune et de maraude J'espère passer le blé Dans un pont tout près s'en va la jarretière qui sent le musc des tracés Une lisse montée à la corde et le baiser naissant plaque les on qui reviennent Sur l'ami un doigt Pendant que s'apaisent les cils et les s'ils D'après l'homme Passez bontés humaines parcs de montres et de roses Souvent dans les noirs intérêts et les usages Puisque le sommeil est une flamme parfumée et descend des cuillers de cervelle Avec cette muraille de sureau qui chante les heures Les formes que nous tirons du puits II Sans une claire courageuse et pauvre étoile au nom miraculeux Le bois qui tremble s'entr'ouvre sur le ciel peint à l'intérieur des forêts de santé Par cette oraison de bluet caractéristique et ces yeux à biseaux Qui domptent les vagues travers zigzaguant par le monde Ô les charmantes passes les beaux masques d'innocence et de fureur J'ai pris l'enfer par la manche de ses multiples soleils détournés des enfants par les plumes Je me suis sauvé Tant que les métiers morts demandaient sur ma route Où va ce manœuvre bleu Mais sur les mers on ne s'élance pas si tard Demain caresse mon pas de son sable éclatant Et les carnassiers frivoles s'exaltent Voilez les montagnes de ce crêpe jaune étrange que vous avez si bien su découper suivant le patron des graminées des cîmes Je suis le perruquier des serrures sous-marines le souffle des amantes III Lorsque la bouteille est là ouverte à ses chants de coqs Le ciel pelure d'oignon Les charmes menteurs de la servante à la voix de salade blanche Te rappellent la boule d'agate élastique de cette nuit ancienne Elle reposait sur une feuille de laurier Toi la tête dans cette cage où tes baisers du matin sont des oiseaux qui se baignent Tu avais pris cette boule pour un des petits compas mystérieux qui prennent à la nuit tombante des mesures sur les étangs Dans le magasin de tailleur de ton père Et les journaux de ce pays étranglé Te font éprouver dans les testicules une douleur bien connue Qui remonte aux jours d'avant ton enfance Tandis que la foule se disperse Et que de petits chocs musicaux se produisent sans interruption dans le papier Au bord du comptoir il y a de la mousse orangée qui arrive Dans une survie ondoyante tu reconnaîtras les moqueurs IV Je ne crois pas que le progrès s'opère dans la direction du sens La confiance manque Mais la mémoire influe un peu sur le beau temps Page de brume au béret de cendre blanche illuminé de tous les sons du tambour d'été J'ai comme un pressentiment de l'aile Des fuites sans mon éclat personnel Qui est un peu déchiqueté L'averse boule de neige des jardins nordiques Puis la poésie aux phares rouges sur une mer toute brune Quand le Texas des piverts monte à l'échelle minuscule Adorée Adorée On offre à tout venant des calmants des voitures Cependant que des douze branches de l'étoile équatoriale L'une Se détache Et roule comme un paradis sans tête V Loin des femmes de course et des femmes de trait Après les arènes de plomb fondu comme la patrie et les bals noirs Le geste autochtone Cette partie sera la dernière et déjà les yeux de toutes les bêtes déménagent à la cloche de bois Des miels abondants sertissent les clochers Sous l'art passent de grands inquisiteurs dont le sourire est une poignée de feuilles sèches Et les grands écarts du soleil interrompent les trains jetés de la mer à la terre à la façon de ces aréopages antiques On a bien raison de couvrir de paille les musiques des oiseaux afin qu'elles ne se brisent pas en route Seul un ventilateur persan détaché de l'arbre tourbillonnera par-dessus les saisons du goût Voici que la rosace des ventres s'incline derrière l'horizon nous entrons dans l'araignée abstraite au corps de muqueuse transparente VI Pour l'estime des mondes les plus féminisés Dans l'aisselle des astres Là où le dogue des cieux garde les corps au bois dormant L'après-midi comme un seul homme entre dans les cases ou parachutes Les sonneries mentent à qui mieux mieux Au doigt les villes et les pluies enchantées Obéissent Il faut essayer la menace D'intérieurs mous s'écoulent de lentes théories de marchands aux paumes tournées en avant pour le besoin architectural Tandis que le premier mendiant en automobile suit de l'œil le bâton levé du premier voleur de la brigade des voitures Car le scandale a la part du lion dans le plus triste jardin zoologique de ma connaissance Les autres ne savent qu'éteindre les vieux sinus verbaux qui s'espacent de moins en moins régulièrement le long de la voie L'amour est un signal qui n'a pas fonctionné VII Les soigneurs disent aux soignées Là-bas sur les remparts de l'air l'interrogation est sentinelle Paix à nos principes solitaires Nous sommes les rossignols du Qui-vive Ici les trèfles sont des cœurs Et celles qui se sont battues Pour des écailles de tortue Manants des mille et mille seuils Au bras de songe d'outremer Quand ferez-vous palpiter devant nos seins autre chose que ces navires Déjà le jour danse très fort sur les jetées magistrales Où se décide le sort des faibles à la peau nattée jusqu'aux pieds Là nos cuisses s'ouvrent et se ferment belles de nuit Tout près des volumes humains que ceignent les algues de platine À vous mais dans les étendues postiches malgré les bonds prédestinés VIII C'est aussi le bagne avec ses brèches blondes comme un livre sur les genoux d'une jeune fille Tantôt il est fermé et crève de peine future sur les remous d'une mer à pic Un long silence a suivi ces meurtres L'argent se dessèche sur les rochers Puis sous une apparence de beauté ou de raison contre toute apparence aussi Et les deux mains dans une seule palme On voit le soir Tomber collier de perles des monts Sur l'esprit de ces peuplades tachetées règne un amour si plaintif Que les devins se prennent à ricaner bien haut sur les ponts de fer Les petites statues se donnent la main à travers la ville C'est la Nouvelle Quelque Chose travaillée au socle et à l'archet de l'arche L'air est taillé comme un diamant Pour les peignes de l'immense Vierge en proie à des vertiges d'essence alcoolique ou florale La douce cataracte gronde de parfums sur les travaux IL N'Y A PAS A SORTIE DE LÀ _À Paul ÉLUARD_ Liberté couleur d'homme Quelles bouches voleront en éclats Tuiles Sous la poussée de cette végétation monstrueuse Le soleil chien couchant Abandonne le perron d'un riche hôtel particulier Lente poitrine bleue où bat le cœur du temps Une jeune fille nue aux bras d'un danseur beau et cuirassé comme Saint Georges Mais ceci est beaucoup plus tard Faibles Atlantes * * * Rivière d'étoiles Qui entraînes les signes de ponctuation de mon poème et de ceux de mes amis Il ne faut pas oublier de cette liberté et toi je vous ai tirées à la courte paille Si c'est elle que j'ai conquise Quelle autre que vous arrive en glissant le long d'une corde de givre Cet explorateur aux prises avec les fourmis rouges de son propre sang C'est jusqu'à la fin le même mois de l'année Perspective qui permet de juger si l'on a affaire à des âmes ou non 19.. Un lieutenant d'artillerie s'attend dans une traînée de poudre * * * Aussi bien le premier venu Penché sur l'ovale du désir intérieur Dénombre ces buissons d'après le ver-luisant Selon que vous étendrez la main pour faire l'arbre ou avant de faire l'amour Comme chacun sait Dans l'autre monde qui n'existera pas Je te vois blanc et élégant Les cheveux des femmes ont l'odeur de la feuille d'acanthe Ô vitres superposées de la pensée Dans la terre de verre s'agitent les squelettes de verre * * * Tout le monde a entendu parler du Radeau de la Méduse Et peut à la rigueur concevoir un équivalent de ce radeau dans le ciel LE BUVARD DE CENDRE _À Robert DESNOS_ Les oiseaux s'ennuieront Si j'avais oublié quelque chose Sonnez la cloche de ces sorties d'école dans la mer Ce que nous appellerons la bourrache pensive On commence par donner la solution du concours À savoir combien de larmes peuvent tenir dans une main de femme 1° aussi petite que possible 2° dans une main moyenne Tandis que je froisse ce journal étoilé Et que les chairs éternelles entrées une fois pour toutes en possession du sommet des montagnes J'habite sauvagement une petite maison du Vaucluse Cœur lettre de cachet L'HERBAGE ROUGE _À Denise_ L'herbage rouge, l'or des grands chapeaux marins Composent pour ton front la musique et les plumes D'enfer. Sur ton chemin blanchissent les enclumes. S'il fait beau dans ton cœur il tonne sur tes reins. Jamais le val d'amour! Dans les feuilles ces trains Qui disparaissent, pris au lasso par les brumes... Tourne éternellement tes seins dans les écumes Des chutes: la lumière est tout ce que j'étreins. Va, comète du rire où le néant t'appelle, Ouvre tes jambes sur l'éventail ou l'ombelle; Toi seule sais me rendre un printemps sang et eau. Balances de la vie, avec toi pour fléau. AU REGARD DES DIVINITÉS _À Louis ARAGON_ «Un peu avant minuit près du débarcadère. «Si une femme échevelée te suit n'y prends pas garde. «C'est l'azur. Tu n'as rien à craindre de l'azur. «Il y aura un grand vase blond dans un arbre. «Le clocher du village des couleurs fondues «Te servira de point de repère. Prends ton temps, «Souviens-toi. Le geyser brun qui lance au ciel les pousses de fougère «Te salue.» La lettre cachetée aux trois coins d'un poisson Passait maintenant dans la lumière des faubourgs Comme une enseigne de dompteur. Au demeurant La belle, la victime, celle qu'on appelait Dans le quartier la petite pyramide de réséda Décousait pour elle seule un nuage pareil A un sachet de pitié. Plus tard l'armure blanche Qui vaquait aux soins domestiques et autres En prenant plus fort à son aise que jamais, L'enfant à la coquille, celui qui devait être... Mais silence. Un brasier déjà donnait prise En son sein à un ravissant roman de cape Et d'épée. Sur le pont, à la même heure, Ainsi la rosée à tête de chatte se berçait La nuit,--et les illusions seraient perdues. Voici les Pères blancs qui reviennent de vêpres Avec l'immense clé pendue au-dessus d'eux. Voici les hérauts gris; enfin voici sa lettre Ou sa lèvre: mon cœur est un coucou pour Dieu. Mais le temps qu'elle parle, il ne reste qu'un mur Battant dans un tombeau comme une voile bise. L'éternité recherche une montre-bracelet Un peu avant minuit près du débarcadère. ANGÉLUS DE L'AMOUR _À Roger VITRAC_ Bientôt les jardins seront sur nous comme des phares D'énormes bulles crèveront à la surface des étangs Seules quelques cristallisations emblématiques parmi lesquelles le pendule de sang et les cinq charbons blancs Témoigneront que le ciel est encore sensible Il y aura aussi un ruban magnifique Enroulé mille fois autour des beautés abstraites naturelles Ô mes amis fermons les yeux Jusqu'à ce que nous n'entendions plus siffler les serpents transparents des directions Aussi vrai que nous vivons en pleine antiquité Dans chaque rayon de soleil il y a une lucarne et à chaque lucarne peut apparaître la Gorgone Déjà nous avons assisté aux migrations de nos mains Immobiles au bord d'un fleuve nous regardions passer le travail à tire d'ailes Comme d'autres apprennent à vider sans bruit les poches de leurs vêtements suspendus et garnis de clochettes Quand nous levons la tête le ciel nous bande les yeux Fermons les yeux pour qu'il fasse clair où nous ne sommes pas Là trompant l'impossible étoile à une branche Nous danserons comme le feu parmi les paillettes de nous-mêmes Et ce sera toujours Nous passerons des ponts surprenants Nous verserons dans des vallées de larmes À la longue les cygnes ne répondrons plus de nous De nous qui retournons aux formes idéales Avec qui les saisons iront au plus pressé Et qui les premiers forcerons le danger Magique sur sa corde inexistante Pour nous servir à prendre des chemins de traverse TOUT PARADIS N'EST PAS PERDU _À Man RAY_ Les coqs de roche passent dans le cristal Ils défendent la rosée à coups de crête Alors la devise charmante de l'éclair Descend sur la bannière des ruines Le sable n'est plus qu'une horloge phosphorescente Qui dit minuit Par les bras d'une femme oubliée Point de refuge tournant dans la campagne Dressée aux approches et aux reculs célestes C'est ici Les tempes bleues et dures de la villa baignent dans la nuit qui décalque mes images Chevelures chevelures Le mal prend des forces tout près Seulement voudra-t-il de nous MA MORT PAR ROBERT DESNOS Le jeudi suivant les académiciens occupés au dictionnaire L'œil vitreux des hirondelles de bas-étage Un jardin aux parterres d'explosions C'était à la veille de *** Sur l'écorce des marronniers les mots À suivre On parait on se contentait de parer Jamais la religion au secours de l'opinion Ne s'était à ce point commise Dans une cabine de bains J'entrais avec la Vierge en personne Sachez que le baril de poudre Le Penseur Durant la nuit avait été hissé Au sommet de la Trinité Je reviens au même Les individus sont des crics Et je me balance sans cesse en arrière de moi-même Pareil à la suspension de la peur Ma course est celle de cinq jockeys Le premier bute sur ma tête Loin des tribunes Là où les haies sont remplacées par des avalanches Le second part seul Le quatrième pousse à la consommation des noix de coco en guise de cierges Mais le sixième virtuel Dans la glace de mes jours impossibles Ressemble à une patte de renard Je m'arrache difficilement à la contemplation des sourcils Au vert des sangs et des mines À l'apparence humaine qui dissémine Plus j'aime plus je suis aimé des bois où le cerf dans le serpolet Se signe à connaître que veux-tu Descendre estimer mourir Puis l'élément femelle croix des inquisiteurs PLUTOT LA VIE Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs sont plus pures Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures de flammes froides Que ces pierres blettes Plutôt ce cœur à cran d'arrêt Que cette mare aux murmures Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l'air et dans la terre Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la vanité totale Plutôt la vie Plutôt la vie avec ses draps conjuratoires Ses cicatrices d'évasions Plutôt la vie plutôt cette rosace sur ma tombe La vie de la présence rien que de la présence Où une voix dit Es-tu là où une autre répond Es-tu là Je n'y suis guère hélas Et pourtant quand nous ferions le jeu de ce que nous faisons mourir Plutôt la vie Plutôt la vie plutôt la vie Enfance vénérable Le ruban qui part d'un fakir Ressemble à la glissière du monde Le soleil a beau n'être qu'une épave Pour peu que le corps de la femme lui ressemble Tu songes en contemplant la trajectoire tout du long Ou seulement en fermant les yeux sur l'orage adorable qui a nom ta main Plutôt la vie Plutôt la vie avec ses salons d'attente Lorsqu'on sait qu'on ne sera jamais introduit Plutôt la vie que ces établissements thermaux Où le service est fait par des colliers Plutôt la vie défavorable et longue Quand les livres se refermeraient ici sur des rayons moins doux Et quand là-bas il ferait mieux que meilleur il ferait libre oui Plutôt la vie Plutôt la vie comme fond de dédain À cette tête suffisamment belle Comme l'antidote de cette perfection qu'elle appelle et qu'elle craint La vie le fard de Dieu La vie comme un passeport vierge Une petite ville comme Pont-à-Mousson Et comme tout s'est déjà dit Plutôt la vie DU SANG DANS LA PRAIRIE _À Georges LIMBOUR_ Ciel de verre cassé et de reines-marguerites À toi mon amour s'il y a une escarpolette assez légère pour les mots Les mots que j'ai trouvés sur le rivage Mes mains s'ensanglantent au passage des étoiles Ne dis rien D'après l'ombre des gants tu n'as pas à avoir peur Pour moi et pour tout ce qui ressemble Au survivant Lorsque je passe entre la nuit et le jour avec les menottes Je vois à une fenêtre mon enfant Mon enfant fait glisser à la surface de l'air des pierres claires ou bleues L'arête de poisson luit Et c'est l'œil Rien que l'œil de la soubrette un peu au-dessus du toit Il faut tuer à la marée montante Tuez-moi si vous voulez voir le Déluge Il y a encore d'autres barques que les étoiles sur mon sang Mon amour est une marelle Un palet de glace sur le mot Jamais FEUX TOURNANTS _À Max MORISE_ La toge rousse qui recouvre les astres à carreaux Fait peine à toucher mais l'enterrement divin Que suivent les oiseaux à peine a-t-il lieu Que je vais de dégradation en dégradation C'est d'abord le vainqueur de la rue du chant des roseaux Qui remet son épée à l'ensablement des coeurs Puis la bougie à la flamme haute sur la portée De ma chambre qui baise la hache de licteur Il y a des péchés qui de même sont remis Aux jeunes femmes l'aspic regarde le sein Que seul il a dégrafé vraiment au monde Lui épine arrachée à la rose de l'air Puis le socle désert d'une statue de jongleur En proie maintenant aux papillons et à leurs satellites Les grandes fusées de sève au-dessus des jardins publics Et la mousse qui vient recouvrir ma table quand je dors Dans un bureau le coup de poing américain fait merveille Est-ce que nous ne nous baignons pas chaque jour dans notre sang L'oreille compte les jours les jolies marques de fabrique Mouette sur le dos des moutons de mer Ce sont des charges de cavalerie contre la nuit Éternellement rebelle Des frissons de lances Est fait l'ange qui veille sur la virginité terrible Pareil à la lumière électrique dans les arbres Tambour tambour è tout jamais voilé Une fée balaye les diamants de sa robe de genêts Histoire de moudre un grain plus doux que le café Qu'on te sert en grand mystère sur les fortifications SILHOUETTE DE PAILLE _À Max ERNST_ Donnez-moi des bijoux de noyées Deux crèches Un prêle et une marotte de modiste Ensuite pardonnez-moi Je n'ai pas le temps de respirer Je suis un sort La construction solaire m'a retenu jusqu'ici Maintenant je n'ai plus qu'à laisser mourir Demandez le barême Au trot le poing fermé au-dessus de ma tête qui sonne Un verre dans lequel s'ouvre un œil jaune Le sentiment s'ouvre aussi Mais les princesses s'accrochent à l'air pur J'ai besoin d'orgueil Et de quelques gouttes plates Pour réchauffer la marmite de fleurs moisies Au pied de l'escalier Pensée divine au carreau étoilé de ciel bleu L'expression des baigneuses c'est la mort du loup Prenez-moi pour amie L'amie des feux et des furets Vous regarde à deux fois Lissez vos peines Ma rame de palissandre fait chanter vos cheveux Un son palpable dessert la plage Noire de la colère des seiches Et rouge du côté du panonceau [Illustration 02] DANS LA VALLÉE DU MONDE _À Joseph DELTEIL_ Des animaux disjoints font le tour de la terre Et demandent leur chemin à ma fantaisie Qui elle-même fait le tour de la terre Mais en sens inverse Il en résulte de grands quiproquos La Chine est frappée d'interdit La péninsule balkanique est doublée par une partie du cortège Au levant seize reptiles étoilés à partir d'un feu Souterrain sont hissés au sommet d'un mât Agitateur du ciel L'approche des crinières blanches est saluée Par les feuilles lancéolées Dont le murmure accompagne ce poème Au dire d'un chanteur L'ombre des ailes des pattes des nageoires Suffit à la renommée L'azur condense les vapeurs précieuses Les singes marins Suspendus aux arbres de corail Et le rossignol qui vit dans les épaves Montrent le bois injecté de roses et de cocaïne Les marches d'ambre Qui mènent au trône des pensées Laissent couler le sang prismatique Les oreilles des éléphants qu'on prenait pour des pierres tombales Dans la vallée du monde Battent la mesure des siècles Plus près les femmes par-dessus les villes de chasubles et de cerises Les femmes poudrées par les fleurs Les femmes dont le troupeau est conduit par les animaux fabuleux Accusent de rigueur le principe Qui assimile les plantes spectrales L'amour à cinq branches l'hystérie flocon des appartements À la mort la petite mort l'héliotropisme MILLE ET MILLE FOIS _À Francis PICABIA_ Sous le couvert des pas qui regagnent le soir une tour habitée par des signes mystérieux au nombre de onze La neige que je prends dans la main et qui fond Cette neige que j'adore fait des rêves et je suis un de ces rêves Moi qui n'accorde au jour et à la nuit que la stricte jeunesse nécessaire Ce sont deux jardins dans lesquels se promènent mes mains qui n'ont rien à faire Et pendant que les onze signes se reposent Je prends part à l'amour qui est une mécanique de cuivre et d'argent dans la haie Je suis un des rouages les plus délicats de l'amour terrestre Et l'amour terrestre cache les autres amours À la façon des signes qui me cachent l'esprit Un coup de couteau perdu siffle à l'oreille du promeneur J'ai défait le ciel comme un lit merveilleux Mon bras pend du ciel avec un chapelet d'étoiles Qui descend de jour en jour Et dont le premier grain va disparaître dans la mer À la place de mes couleurs vivantes Il n'y aura bientôt plus que de la neige sur la mer Les signes apparaissent à la porte Ils sont de onze couleurs différentes et leurs dimensions respectives vous feraient mourir de pitié L'un d'eux est obligé de se baisser et de se croiser les bras pour entrer dans la tour J'entends l'autre qui brûle dans une région prospère Et celui-ci à cheval sur l'industrie la rare industrie montagneuse Pareille à l'onagre qui se nourrit de truites Les cheveux les longs cheveux pommelés Caractérisent le signe qui porte le bouclier doublement ogival Il faut se méfier de l'idée que roulent les torrents Ma construction ma belle construction page ô page Maison insensément vitrée à ciel ouvert à sol ouvert C'est une faille dans le roc suspendu par des anneaux à la tringle du monde C'est un rideau métallique qui se baisse sur des inscriptions divines Que vous ne savez pas lire Les signes n'ont jamais affecté que moi Je prends naissance dans le désordre infini des prières Je vis et je meurs d'un bout à l'autre de cette ligne Cette ligne étrangement mesurée qui relie mon cœur à l'appui de votre fenêtre Je corresponds par elle avec tous les prisonniers du monde L'AIGRETTE _À Marcel NOLL_ Si seulement il faisait du soleil cette nuit Si dans le fond de l'Opéra deux seins miroitants et clairs Composaient pour le mot amour la plus merveilleuse lettrine vivante Si le pavé de bois s'entr'ouvrait sur la cime des montagnes Si l'hermine regardait d'un air suppliant Le prêtre à bandeaux rouges Qui revient du bagne en comptant les voitures fermées Si l'écho luxueux des rivières que je tourmente Ne jetait que mon corps aux herbes de Paris Que ne grêle-t-il à l'intérieur des magasins de bijouterie Au moins le printemps ne me ferait plus peur Si seulement j'étais une racine de l'arbre du ciel Enfin le bien dans la canne à sucre de l'air Si l'on faisait la courte échelle aux femmes Que vois-tu belle silencieuse Sous l'arc de triomphe du Carrousel Si le plaisir dirigeait sous l'aspect d'une passante éternelle Les Chambres n'étant plus sillonnées que par l'œillade violette des promenoirs Que ne donnerais-je pour qu'un bras de la Seine se glissât sous le matin Qui est de toute façon perdu Je ne suis pas résigné non plus aux salles caressantes Où sonne le téléphone des amendes du soir En partant j'ai mis le feu à une mèche de cheveux qui est celle d'une bombe Et la mèche de cheveux creuse un tunnel sous Paris Si seulement mon train entrait dans ce tunnel LÉGION ÉTRANGÈRE Non je ne ferai pas l'éther dans la revue future Où les décors plantés dans la mer En pleine aurore boréale Comme toujours Le pommier reprendra son bien Je n'ai garde de confondre le baguier de la mer Et l'arcade sourcilière de Dieu Je ne suis pas seul en moi-même Pas plus seul que le gui sur l'arbre de moi-même Je respire les nids et je touche aux petits des étoiles En tant que personnage de la revue éternelle Mes sabots de feu ne font pas grand bruit Sur le parquet céleste Du ciel blanc qui fait la roue aux pieds de Junon Tombent les ramoneurs de l'orage Je pique les coursiers de mes sens Les uns sont montés par de belles amazones Les autres se cabrent au bord de précipices vermeils Il y a une loge en dehors des coulisses Une loge où la psyché redresse les branches qui plient Sous trop de fruits de bouches encore vertes L'immense tremblement des cils est dans le lustre On tire le canon tout près On emporte la statue du soleil sur un camion Ma jeunesse prend part à une retraite aux flambeaux Dans une île du Pacifique Elle monte entre les fusées de ce dauphin Immortelles de ma vie Fiancées du jour qui n'hésite plus MÉTÉORE _À Louis de Gonzague FRICK_ C'est l'harmonie qui est à l'appareil Le cyclone reste en suspens sur le fleuve Comme deux paupières de vautour Voyez l'étamine de mes mains dans laquelle il y a une ville de l'extrême-orient Les myosotis géants les pousse-pousse d'amour Le carnaval des tempêtes part d'ici Je me tiens debout sur l'avant-dernier char J'espère que vous le baiser Vous paraîtrez Même en camisole de force La lueur qui pêche les cœurs dans ses filets Me demande l'heure Je réponds le temps de pêcher pour toi Pour moi celui d'agiter les mouchoirs et de tordre les poignets L'usine aux cheveux de trèfle L'usine où se plaignent les grandes rames à vif Redouble de foi quand je passe Les mains dans mes poches de grisou blanc et rose Je promets et ne suis pas capable de tenir L'atmosphère me demande conseil inutilement Le long des fils télégraphiques je fais mon apparition en robe fendue Sur ma tête se posent des pieds d'oiseaux si fins Que je ne bouge que pour les faire lever Je vis parquée dans les forêts D'où les nuages galants me font rarement sortir Misérable je fuis sur un quai parmi les caisses LIGNE BRISÉE _À Raymond ROUSSEL_ Nous le pain sec et l'eau dans les prisons du ciel Nous les pavés de l'amour tous les signaux interrompus Qui personnifions les grâces de ce poème Rien ne nous exprime au-delà de la mort À cette heure où la nuit pour sortir met ses bottines vernies Nous prenons le temps comme il vient Comme un mur mitoyen à celui de nos prisons Les araignées font entrer le bateau dans la rade Il n'y a qu'à toucher il n'y a rien à voir Plus tard vous apprendrez qui nous sommes Nos travaux sont encore bien défendus Mais c'est l'aube de la dernière côte le temps se gâte Bientôt nous porterons ailleurs notre luxe embarrassant Nous porterons ailleurs le luxe de la peste Nous un peu de gelée blanche sur les fagots humains Et c'est tout L'eau-de-vie panse les blessures dans un caveau par le soupirail duquel on aperçoit une route bordée de grandes patiences vides Ne demandez pas où vous êtes Nous le pain sec et l'eau dans les prisons du ciel Le jeu de cartes à la belle étoile Nous soulevons à peine un coin du voile Le raccommodeur de faïence travaille sur une échelle Il paraît jeune en dépit de la concession Nous portons son deuil en jaune Le pacte n'est pas encore signé Les sœurs de charité provoquent À l'horizon des fuites Peut-être pallions-nous à la fois le mal et le bien C'est ainsi que la volonté des rêves se fait Gens qui pourriez Nos rigueurs se perdent dans le regret des émiettements Nous sommes les vedettes de la séduction plus terrible Le croc du chiffonnier Matin sur les hardes fleuries Nous jette à la fureur des trésors aux dents longues N'ajoutez rien à la honte de votre propre pardon C'est assez que d'armer pour une fin sans fond Vos yeux de ces larmes ridicules qui nous soulagent Le ventre des mots est doré ce soir et rien n'est plus en vain TOURNESOL _À Pierre REVERDY_ La voyageuse qui traversa les Halles à la tombée de l'été Marchait sur la pointe des pieds Le désespoir roulait au ciel ses grands arums si beaux Et dans le sac à main il y avait mon rêve ce flacon de sels Que seule a respirés la marraine de Dieu Les torpeurs se déployaient comme la buée Au Chien qui fume Où venaient d’entrer le pour et le contre La jeune femme ne pouvait être vue d’eux que mal et de biais Avais-je affaire à l’ambassadrice du salpêtre Ou de la courbe blanche sur fond noir que nous appelons pensée Le bal des innocents battait son plein Les lampions prenaient feu lentement dans les marronniers La dame sans ombre s’agenouilla sur le Pont-au-Change Rue Gît-le-Cœur les timbres n’étaient plus les mêmes Les promesses des nuits étaient enfin tenues Les pigeons voyageurs les baisers de secours Se joignaient aux seins de la belle inconnue Dardés sous le crêpe des significations parfaites Une ferme prospérait en plein Paris Et ses fenêtres donnaient sur la voie lactée Mais personne ne l’habitait encore à cause des survenants Des survenants qu'on sait plus dévoués que les revenants Les uns comme cette femme ont l'air de nager Et dans l'amour il entre un peu de leur substance Elle les intériorise Je ne suis le jouet d'aucune puissance sensorielle Et pourtant le grillon qui chantait dans les cheveux de cendre Un soir près la statue d'Étienne Marcel M'a jeté un coup d'oeil d'intelligence André Breton a-t-il dit passe LE SOLEIL EN LAISSE _À Pablo PICASSO_ Le grand frigorifique blanc dans la nuit des temps Qui distribue les frissons à la ville Chante pour lui seul Et le fond de sa chanson ressemble à la nuit Qui fait bien ce qu'elle fait et pleure de le savoir Une nuit où j'étais de quart sur un volcan J'ouvris sans bruit la porte d'une cabine et me jetai aux pieds de la lenteur Tant je la trouvai belle et prête à m'obéir Ce n'était qu'un rayon de la roue voilée Au passage des morts elle s'appuyait sur moi Jamais les vins braisés ne nous éclairèrent Mon amie était trop loin des aurores qui font cercle autour d'une lampe arctique Au temps de ma millième jeunesse J'ai charmé cette torpille qui brille Nous regardons l'incroyable et nous y croyons malgré nous Comme je pris un jour la femme que j'aimais Nous rendons les lumières heureuses Elles se piquent à la cuisse devant moi Posséder est un trèfle auquel j'ai ajouté artificiellement la quatrième feuille Les canicules me frôlent Comme les oiseaux qui tombent Sous l'ombre il y a une lumière et sous cette lumière il y a deux ombres Le fumeur met la dernière main à son travail Il cherche l'unité de lui-même avec le paysage Il est un des frissons du grand frigorifique À RROSE SÉLAVY «_André Breton n'écrira plus._» (Journal du Peuple--Avril 1923) J'ai quitté mes effets, mes beaux effets de neige! End of the Project Gutenberg EBook of Clair de terre, by André Breton *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 60417 ***